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C’est en somme la Corse de la découverte, de la surprise et de la joie, de l’Histoire et de l’anecdote… de la vie ! C’est la Corse qui délaisse la marge pour rejoindre l’universel, sans nier sa singularité naturelle ou humaine.

Cette anthologie réunit de grands auteurs et d’autres moins connus du XVe siècle au début du XXe siècle, tous ayant pour dénominateur commun d’avoir raconté la Corse et les Corses sous un angle original, trempant leur plume dans une encre verte, bleue, jaune ou blanche, mais ni noire, ni rouge sang…

Della Grossa • De Chevrier • Rousseau • Boswelll • De L Lam ambe am berg be rg • Bonaparte • Tommaseo • Dinocourt • Ro Ross ssee ss eeuw ee uw Sai a ntt-Hil Hilai a re ai e • Flaubert • Guerrazzii • Daudet • Gl Glatiigny y • Maupassant • Bergerat • Arène • Loti • Nau • Cellli

Corse blanche

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CORSE « BLANCHE » c’est celle de la littérature enfin libérée de ses bandits, ses meurtres, ses vendettas et ses drames en tous genres qui furent, comme la lumière pour les papillons, les sujets de prédilection des écrivains des siècles passés.

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Corse blanche La Corse sans bandit ni vendetta Anthologie présentée par Jacques Moretti

Jacques Moretti, passionné par l’histoire et la littérature de son pays, œuvre dans le monde des Lettres. Il publie ici son premier ouvrage.

9€ ISBN : 978-2-84698-399-0 En couverture : Corse 1911. Le port de Calvi. Coll. particulière.

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Mes remerciements à Ange Lai à qui je dois la surprise des petites nouvelles de John Antoine Nau qui avaient jusqu’alors échappé à la sagacité des bibliographes de la Corse. Ma gratitude à Antoine Casanova, Mathée Giacomo-Marcellesi, Roger Martin, Petr’Antò Scolca et Aurélie Gendrat-Claudel dont le travail est repris dans ces pages.

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ANS SON ANTHOLOGIE intitulée Corse noire (Albiana,

2010), Roger Martin avait réuni autour de la figure du bandit près d’une vingtaine d’auteurs connus ou méconnus. Il s’agissait alors de révéler au grand public les petits bijoux oubliés de la littérature consacrée à la Corse. Le point de convergence choisi était alors l’archétype des archétypes, le bandit corse – devenu au fil des décennies une sorte de pléonasme… Entre réalité et fiction, le bandit corse avait largement mérité sa renommée : insaisissable, impossible à éradiquer, hantant tous les maquis – végétaux et mentaux. Sur un tel terrain propice, la littérature s’était déployée, empruntant à tous les genres : réaliste, burlesque, onirique, dramatique… L’ensemble des textes recueillis constituait un tout de qualité assez homogène, qui offrait néanmoins une diversité d’approches, aux styles et mêmes de types décrits. On y découvrait toutes sortes de « bandits » – percepteur, d’honneur, vengeur, au grand cœur, heureux, malheureux, victime d’un destin contraire… Le volume fut une réussite, et plutôt convaincant sur la question de la littérature qui ne trouve son chemin que lorsqu’elle prend des libertés… Ceci d’autant plus que certains écrivains, en route vers la gloire, consciemment ou non, misaient sur le style et le thème – politiquement très en vogue, pour ne pas dire très « correct » – pour valoriser leur œuvre… –3–

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Dans ces conditions, la Corse et les Corses – a fortiori les bandits eux-mêmes – ne furent souvent que des « prétextes », des faire-valoir. La critique ne peut manquer de soulever ce paradoxe de l’objet subrepticement disparu au cours des opérations… « Opération réussie, patient décédé » peut-on ainsi souvent objecter à cette littérature. Les histoires de bandits peuvent parfois confiner parfois à des exercices de style réussis ou non, des passages obligés, le résultat de l’obnubilation d’auteurs en mal d’inspiration, avides de sujets « grand public ». Et le reste alors ? À dire vrai, l’effet de loupe qui découle de cette « obsession » – que l’on peut considérer selon son humeur comme douteuse ou au contraire créatrice – est trompeur et ne doit pas faire oublier qu’il existe aussi, parfois chez les mêmes auteurs, une littérature « blanche » sur la Corse. À savoir des histoires directement inspirées de personnes, de lieux ou d’événements « corses », mais qui n’ont rien à voir avec la vendetta, ni avec l’honneur à venger, ni a fortiori avec des bandits de quelque type que ce soit. Pas d’atavisme de la violence en ces pages, ni règlement de compte sauvage ou… bibliquement cruel (« œil pour œil ! », ne dit-on pas dans l’Ancien Testament). Il nous faut avouer que l’emprise des bandits est telle qu’il nous a été peu aisé de mettre au jour cette littérature « corse », « blanche », souvent cachée dans les replis méconnus des œuvres complètes, ou dans les pages quasi anonymes des revues culturelles ou de littérature. Cependant, elle existe bel et bien et le choix parmi les textes dénichés s’est avéré tout aussi délicat. Nous nous sommes résolus à privilégier le plaisir du lecteur plutôt que celui de l’analyste. Textes graves ou anecdo–4–

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tiques, lyriques ou burlesques se succèdent donc dans cette anthologie. Mais que l’on ne s’y trompe pas, si nous avons conservé l’ordre chronologique de parution – depuis le Moyen Âge jusqu’à l’entre-deux-guerres – c’est aussi pour laisser deviner les grands mouvements de l’histoire de ce vaste « sujet », la Corse, au sein de la littérature en général. Leurs évolutions stylistiques et thématiques vont manifestement de pair. L’ouvrage débute ainsi avec un extrait d’une chronique médiévale, la toute première, celle de Giovanni della Grossa – qui aborde les origines de la Corse et nous introduit donc au mystère premier. La question de l’origine se confondra longtemps pour la Corse avec celle de son existence même : la « découverte » sera le maître mot des siècles durant. Irrémédiablement enfouie dans les ténèbres de l’histoire avant l’histoire, les auteurs de l’Antiquité ayant été par ailleurs assez peu diserts, cette question de l’origine ne pouvait être traitée que sur le mode spéculatif. Elle fournit ainsi à son auteur l’occasion d’une forme de privauté – littéraire – au sein d’un ouvrage qu’il voulait au contraire historique, sérieux et suffisamment circonstancié pour éviter la critique. Ici, la légende se mêle à l’histoire et l’imagination pallie les lacunes de la science. Nous avons ensuite préféré passer directement au XVIIIe siècle qui est proprement le siècle d’un double mouvement de découverte d’une part et de signalement de l’existence de l’île par ses habitants d’autre part. Au tout début de ce siècle qui sera celui des « Lumières », les Corses ont en effet engagé une lutte absolument inédite dans l’Europe monarchique. Cette lutte contre leurs maîtres génois est en définitive une remise en cause de la soumission à cet « ordre divin » qui veut que les princes et rois soient des émanations de la volonté de –5–

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Dieu. En ébranlant cette légitimité divine, ils plantent le premier coin qui verra notamment s’effondrer quelques décennies plus tard l’Ancien Régime. La France, appelée à la rescousse par les Génois, tend dans un premier temps à se concilier les rebelles corses (qui se sont proclamés indépendants et seront dirigés à partir de 1755 par Pasquale Paoli), tout en traitant avec les Génois qui, si la majorité du territoire échappe à leur contrôle, continuent de tenir les places fortes. Sous la houlette du marquis de Cursay, ils ménagent la chèvre et le chou. C’est l’époque du texte, inédit depuis 1751, de Antoine-François de Chevrier qui fut membre d’une Académie des Belles-Lettres de Corse, éphémère mais néanmoins significative de cette politique d’approche et de conciliation des « élites » locales. En ce milieu de XVIIIe siècle, on se cherche, on établit les premières passerelles, on se rencontre et l’on rend compte à des fins culturelles mais surtout politiques. Connaître, découvrir, se faire connaître, rechercher des appuis, susciter le respect, expliquer… c’est le siècle des tâtonnements… C’est dans cet état d’esprit que les Corses vont chercher en 1765 la caution du grand philosophe Jean-Jacques Rousseau, par l’entremise d’un militaire français et corse, Mathieu Buttafoco. Ils désirent que celui-ci les aide à la rédaction d’une constitution inédite, avec une arrière-pensée stratégique : convaincre les puissances européennes du sérieux de leur démarche d’émancipation. Nous proposons le préambule à ce travail inachevé car il permet de percevoir l’image qui est véhiculée en Europe des Corses et de leur révolte. Rousseau, qui n’a jamais mis les pieds dans l’île offre ici un exergue plein de verve et d’enthousiasme. –6–

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C’est d’ailleurs lui – tout à son enthousiasme – qui conseilla et convainquit James Boswell de se rendre en Corse (1765) pour y faire la connaissance de Pascal Paoli. Boswell, jeune noble écossais, ira au-delà d’une simple visite et publiera Account of Corsica, The Journal of a Tour to that Island and Memoirs of Pascal Paoli (1768) qui fit beaucoup pour le renom de la révolution corse en Europe. Il ouvre la voie – outre l’aspect politique justement mis en valeur par les historiens – à l’enquête ethnotouristique, un genre où la quête de réalisme doit l’emporter sur l’imaginaire, mais où les failles et les lacunes se doivent d’être habilement et agréablement masquées. Il s’agit toujours d’une invitation faite au lecteur de mettre ses pas dans ceux de l’auteur. Celui-ci agit en quelque sorte en éclaireur. La connaissance de l’autre prend peu à peu le pas sur la distance jusque-là revendiquée par les observateurs – et autres rédacteurs officiels de rapports et missions qui forment, il faut le dire, le gros de la production. Observant depuis Sirius dans les premières décennies du siècle, nous nous approchons enfin, pour arpenter, grâce à Boswell, quelques sentiers nouveaux. Dans son sillage – les Français venant de se rendre maîtres de l’île (1769) –, débarque Maximilien de Lamberg. Sa réputation et ses écrits ne sont pas à la hauteur de ceux de l’Écossais, mais ils n’en demeurent pas moins intéressants et symptomatiques. Contemporain et ami de Casanova (Giacomo !) avec qui il partage certainement des vues libertines, il est une sorte d’anti-Boswell. Bien qu’étranger, il se fait l’écho des propos des vainqueurs (il est l’hôte du comte de Marbeuf), et contribue notamment à bâtir les prémices d’une légende noire de P. Paoli. Jamais rééditée depuis sa première parution, sa description de la Corse intrigue par son originalité et ce mélange étrange de faits avérés et de considérations –7–

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farfelues, burlesques et revendiquées comme décalées : il adopte, comme le titre de son ouvrage l’indique, la posture d’un « mondain ». Distinction, détachement, érudition, épicurisme étaient sa marque de fabrique. Nous avons désiré clore ce XVIIIe siècle avec un clin d’œil : un texte nostalgique du jeune Bonaparte, exilé, malheureux dans son école militaire, en proie aux affres de l’adolescence. Ce texte vaut d’une part parce que les tentatives du futur empereur en matière de littérature sont peu connues et qu’elles signalent d’autre part à notre lecteur le surgissement de l’Histoire – avec un grand H – comme thématique majeure. Le siècle qui ouvre la période contemporaine renoue notamment avec l’Antiquité et ses héros. Et l’histoire de Corse justement – éternel Samson contre Goliath – regorge de ces faits d’armes, de ces hommes qui, le front haut, l’amour de la liberté chevillée au cœur, allient conviction, courage et esprit de justice et jouent leurs destinées personnelles sans complexe (Sambucuccio, Sampiero Corso, Vannina d’Ornano, Pascal Paoli et ses lieutenants, etc.). Nous avons cependant éliminé volontairement les textes – et ils sont nombreux – consacrés à la légende des Bonaparte qu’elle soit dorée ou noire selon le penchant idéologique des auteurs. Leur évocation de la Corse reste la plupart du temps purement formelle et caricaturale, sans recherche ni créativité particulière, tandis qu’ils ressassent des faits souvent historiquement douteux. Dans cette veine « historique » nous avons donc traduit un texte inédit en français de Francesco Domenico Guerrazzi – auteur majeur du XIXe siècle – qui narre de façon drolatique l’épisode glorieux – pour les Corses – des combats pour la tour de Nonza en 1768. Il est précédé d’un intéressant chapitre d’un romanfleuve (4 vol.) de Th. Dinocourt (1825) qui – bien qu’il –8–

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n’ait manifestement pas mis les pieds en Corse, ou en raison de cela – offre une image « positive » des Corses, issus de haute civilisation (grecque !). Mais si cette veine historique est bien un axe thématique majeur des écrivains sur la Corse, il en est au moins trois autres en ce XIXe siècle qui montrent combien fut riche et florissante cette littérature. Le premier filon est le statut « politico-culturel » de la Corse. Le XIXe siècle est le siècle du basculement culturel de la Corse dans le giron français. L’île se détourne assez brutalement à partir de 1840 de l’aire culturelle italienne. La langue de Molière remplace – au moins chez les élites – la langue de Dante. La langue corse entame, elle, un double mouvement de reconnaissance puisqu’elle voit naître les tout premiers écrits vernaculaires tandis que son usage oral diminuera lentement tout au long des deux siècles (jusqu’à nos jours, quasiment). Le texte de Niccolò Tommaseo donne le point de vue des italianophiles sur la question. Lui-même grand lexicologue italien avant d’être romancier, exilé politique à Bastia, fut particulièrement sensible à cette grande question qui occupa les intellectuels au mitan du XIXe siècle. Son roman quasi autobiographique, dont nous avons extrait quelques pages, l’évoque en partie. Deuxième veine, le voyage, la découverte, thème que les auteurs du XIXe siècle affinent par rapport à leurs homologues du siècle précédent (lorsqu’ils ne sont pas obnubilés par les images d’Épinal ou les bandits !). Les écrits de Gustave Flaubert et Émile Bergerat sont deux exemples de ce que devient le journal du voyageur : une autofiction où ce dernier – en connaissance de cause – organise « sa » Corse autour de lui-même, de ses « aventures ». Le prétexte d’une « chasse au mouflon » (animal mystérieux dont à l’époque on ne sait toujours –9–

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pas s’il est « plutôt chèvre ou plutôt mouton… ») en dit long sur les « motifs » qui concourent à faire de la Corse une destination privilégiée. Notons au passage que la santé fournit la première raison de séjourner sur l’île avant la curiosité, la nécessité ou encore le simple tourisme d’agrément (qui fleurira à la fin de ce siècle). Guy de Maupassant, Alphonse Daudet et Albert Glatigny, pour ne citer qu’eux, feront en partie le voyage pour tenter de trouver un climat qui soulage quelque peu leurs maux. La troisième veine est purement littéraire en cela qu’à partir du réel les auteurs forgent désormais des récits, des nouvelles, des romans – et parfois même des poésies. C’est le cas d’Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire qui nous gratifie d’une nouvelle tragicomique réjouissante, très ancrée dans la Corse du début du XIXe siècle. C’est le cas aussi des trois auteurs précédemment cités qui trouvèrent inspiration et matière à exercer pleinement leur talent, au-delà de leurs simples impressions de voyages (d’autant que ces derniers furent pour le moins pour le moins fugaces : quelques semaines tout au plus pour les plus longs). Daudet et Maupassant sont emblématiques de cela et leurs histoires se lisent encore aujourd’hui dans les écoles non pas pour ce qu’ils racontent, mais bien pour la modernité de la narration. Elles traversent le temps en raison de leur capacité à avoir délaissé le décor au profit de la réflexion sur les comportements et les caractères humains en général. Cette littérature est avant tout universelle. Son aptitude à révéler un aspect de la Corse est anecdotique, tout juste un prétexte. Nous avons donc choisi parmi ceux-ci des textes amusants ou tristes, toujours curieux quand on les rapporte à la Corse.

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Le XXe siècle est celui de l’apparition de la psychologie. Les individus prennent une épaisseur qui ne leur avait jamais été accordée jusque-là. Nous avons préféré ne conserver que les écrits dans lesquels cette dimension des personnages est privilégiée et exclure au contraire les textes qui relèvent des filons exploités au XIXe siècle. Le texte de Pierre Loti, même si celui-ci ne passa que quatre petits jours à Ajaccio en 1891, parut en 1929 parmi des écrits très personnels qu’il n’avait jamais désiré publier auparavant parce qu’il les jugeait trop intimes. C’est un texte curieux sur la mort et la mémoire qui n’étonnera pas vraiment les habitués de l’île et les Corses eux-mêmes qui savent combien celle-ci est partout et quotidiennement présente. John-Antoine Nau est, de son côté, un observateur d’autant plus intéressant qu’il est sans doute le seul en ce début de XXe siècle à avoir choisi la Corse pour résidence – sept années en tout ! – et n’y avoir pas cherché à produire un « guide » (les guides sont devenus une spécialité de l’édition du tournant du XXe siècle). Pas d’exotisme touristique, mais du « réalisme » – autant qu’un projet littéraire peut en laisser paraître. Deux histoires pour illustrer cette approche du quotidien corse au début du XXe siècle, jamais republiées depuis leur première édition (posthume). C’est aussi le cas des trois chapitres extraits du roman Isola de Rose Celli qui clôt cette anthologie. Un texte féminin (enfin !), méconnu et pourtant d’une grande valeur littéraire. Il finit d’ouvrir le champ littéraire corse à tous les possibles. Ici le roman se fait introspectif et la dimension psychologique produit une perception particulière, personnelle, qui fait passer le lecteur de la sphère du « nous » et du « vous » à la sphère du « je ». La Corse est désormais – aussi – un territoire intérieur… – 11 –

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Tout le XXe siècle, malgré d’ineffables retardataires, est selon nous l’expression de cet avènement littéraire. Nota : cette collection d’auteurs aurait bien sûr pu être tout autre. Nous avons désiré offrir au lecteur, outre le plaisir de lire qui lui est dû, un panorama évolutif de l’image de la Corse, tous ses bandits impitoyablement éliminés ! Certains auteurs insulaires auraient notamment pu y figurer, tant il est vrai que leur production fut souvent de qualité – L’anthologie des écrivains corses en quatre volumes de Hyacinthe Yvia-Croce en fait foi. Une tendance littéraire particulière aurait par exemple peut-être pu être intégrée : la défense et illustration de la Corse par les Corses. Nous avons préféré lui consacrer une anthologie littéraire à venir, gageant que nous obtiendrons un volume important et particulièrement intéressant. Quelques insulaires sont néanmoins représentés pour mettre en valeur certains moments clés de l’histoire littéraire de la Corse. Sans qu’il soit besoin d’insister sur leur « origine » qui, dans le présent ouvrage, n’est qu’anecdotique. Jacques Moretti

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Jean-Jacques

Rousseau (1712-1778)

En octobre 1764, Jean-Jacques Rousseau est contacté par le noble corse, Mathieu Buttafoco, mandaté par les Corses dirigés par Pasquale Paoli depuis 1755, pour travailler à la constitution dont la Corse indépendante souhaite se doter. Ce projet l’enthousiasme car, depuis quelques années, l’Europe bruisse des « exploits » des Corses face à des Génois soutenus par l’Empire autrichien, puis par la France. Le petit peuple insulaire s’est libéré du joug de ses « maîtres » ligures au terme d’une guerre qui durait depuis 1729. Sa réponse à la première lettre de Buttafoco est éloquente : « Il est superflu, Monsieur, de chercher à exciter mon zèle pour l’entreprise que vous me proposez. La seule idée m’élève l’âme et me transporte. Je croirais le reste de mes jours bien noblement, bien vertueusement, bien heureusement employé ; je croirais même bien avoir racheté l’inutilité des autres si je pouvais rendre ce triste reste bon en quelque sorte à vos braves compatriotes, si je pouvais concourir par quelque conseil utile aux vues de

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leur digne chef et aux vôtres : de ce côté-là donc soyez sûr de moi, ma vie et mon cœur sont à vous. » Il se mit donc au travail. Un travail qui n’aboutit pas complètement en raison de ses propres avanies personnelles (il est sur la sellette depuis la parution des Lettres écrites de la Montagne) et, dira-t-il dans ses Confessions, en raison de l’intervention des Français et du double jeu manifeste de son interlocuteur indirect, Mathieu Buttafoco, chef du « parti français » dans l’île. Le philosophe de Môtiers ne se rendit jamais en Corse, malgré un projet avancé de séjour prolongé, puis d’installation. La Corse et les Corses pour lesquels il se met au travail, il les idéalise. Ils correspondent bientôt au peuple non civilisé, c’est-à-dire non corrompu par la civilisation et « qui ne fut pas usé pour la législation » dont il s’est fait le chantre par ailleurs dans ses écrits. Un peuple qui, de ce fait, reste « capable de législation ». Une île de braves gens, dont les vertus cardinales restent les mœurs pures, les comportements orientés vers des buts nobles s’il en est : la liberté, la paix, l’ordre social… qui n’ont pas de pareils dans l’Europe entière. L’introduction à son projet résume cela mieux que nous ne le ferions. Ces deux pages font basculer la Corse et les Corses du camp des barbares à celui d’avant-garde des Lumières. L’histoire retiendra la prédiction, introduite dans la seconde édition du Contrat social : « J’ai quelque pressentiment qu’un jour cette petite île étonnera le monde. »

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Jean-Jacques Rousseau

Projet de constitution pour la Corse (1765)

La situation avantageuse de l’Isle de Corse et l’heureux naturel de ses habitans semblent leur offrir un espoir raisonnable de pouvoir devenir un peuple florissant et figurer un jour dans l’Europe si, dans l’institution qu’ils méditent, ils tournent leurs vues de ce côté-là mais l’extrême épuisement où les ont jetés quarante ans de guerres continuelles, la pauvreté présente de leur Isle et l’état de dépopulation et de dévastation où elle est ne leur permettent pas de se donner sitôt une administration dispendieuse, telle qu’il la faudroit pour les policer dans cet objet. D’ailleurs mille obstacles invincibles s’opposeroient à l’exécution de ce plan. Gênes, maîtresse encore d’une partie de la côte et de presque toutes les places maritimes, écraseroit mille fois leur marine naissante sans cesse exposée au double danger des Génois et des Barbaresques. Ils ne – 55 –

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pourroient tenir la mer qu’avec des bâtiments armés qui leur coûteroient dix fois plus que le trafic ne leur pourroit rendre. Exposés sur terre et sur mer, forcés de se garder de toutes parts, que deviendroient-ils ? À la discrétion de tout le monde, ne pouvant dans leur faiblesse faire aucun traité de commerce avantageux, ils recevroient la loi de tous ; ils n’auroient au milieu de tant de risques que les profits que personne autre ne daigneroit faire et […] qui se réduiraient à rien. Que si par un bonheur difficile à comprendre ils surmontoient toutes ces difficultés, leur prospérité même attirant sur eux les yeux de leurs voisins seroit un nouveau péril pour leur liberté mal établie. Objet continuel de convoitise pour les grandes puissances et de jalousie pour les petites, leur Isle seroit menacée à chaque instant d’une nouvelle servitude dont elle ne pourroit plus se tirer. Dans quelque vue que la nation corse veuille se policer, la première chose qu’elle doit faire est de se donner par elle-même toute la consistance qu’elle peut avoir. Quiconque dépend d’autrui et n’a pas ses ressources en lui-même, ne sauroit être libre. Des alliances, des traités, la foi des hommes, tout cela peut lier le foible au fort et ne lie jamais le fort au foible. Ainsi laissez les négociations aux puissances et ne comptez que sur vous. Braves Corses, qui sait mieux que vous tout ce qu’on peut tirer de soi-même ? Sans amis, sans appuis, sans argent, sans armée, asservis à – 56 –

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PROJET DE CONSTITUTION POUR LA CORSE

des maîtres terribles, seuls vous avez secoué leur joug. Vous les avez vus liguer contre vous, tour à tour, les plus redoutables potentats de l’Europe inonder votre Isle d’armées étrangères ; vous avez tout surmonté. Votre seule constance a fait ce que l’argent n’auroit pu faire ; pour vouloir conserver vos richesses vous auriez perdu votre liberté. Il ne faut point conclure des autres nations à la vôtre. Les maximes tirées de votre propre expérience sont les meilleures sur lesquelles vous puissiez vous gouverner. Il s’agit moins de devenir autres que vous n’êtes, que de savoir vous conserver tels. Les Corses ont beaucoup gagné depuis qu’ils sont libres, ils ont joint la prudence au courage, ils ont appris à obéir à leurs égaux, ils ont acquis des vertus et des mœurs, et ils n’avaient point de loix, s’ils pouvoient d’eux-mêmes rester ainsi, je ne verrois presque rien à faire. Mais quand le péril qui les a réunis s’éloignera, les factions qu’il écarte renaîtront parmi eux et, au lieu de réunir leurs forces pour le maintien de leur indépendance, ils les useront les uns contre les autres et n’en auront plus pour se défendre, si l’on vient encore à les attaquer. Voilà déjà ce qu’il faut prévenir. Les divisions des Corses ont été de tout temps un artifice de leurs maîtres pour les rendre foibles et dépendans, mais cet artifice employé sans cesse a produit enfin l’inclination et les a rendus naturellement inquiets, remuants, difficiles à gouverner même par leurs propres chefs. Il – 57 –

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faut de bonnes loix (sic), il faut une institution nouvelle pour rétablir la concorde dont la Tyrannie a détruit jusqu’au désir. La Corse, assujettie à des maîtres étrangers dont jamais elle n’a porté patiemment le dur joug, fut toujours agitée. Il faut maintenant que son peuple fasse une étude nouvelle ; et qu’il cherche la paix dans la liberté. Voici donc les principes qui selon moi doivent servir de base à leur législation : tirer parti de leur peuple et de leur pays autant qu’il sera possible ; cultiver et rassembler leurs propres forces, ne s’appuyer que sur elles, et ne songer pas plus aux puissances que s’il en existoit aucune.

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Francesco Domenico

Guerrazzi (1804-1873)

On connaît peu en France Francesco Domenico Guerrazzi1. Il s’agit pourtant d’un des écrivains italiens les plus importants du

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siècle, auteur d’une œuvre

abondante d’où émergent biographies, romans historiques, essais politiques et sociaux, sans oublier des Mémoires qui ne seront publiés qu’après sa mort. Célèbres dans son pays, où La Battaglia di Benevento par exemple connut plus de cinquante éditions, ses œuvres furent traduites dans la quasi-totalité de l’Europe et valurent à leur auteur une notoriété durable. Il faut dire que le personnage avait de quoi surprendre, car Guerrazzi connut une destinée mouvementée et haute en couleur. Avocat à Livourne, Guerrazzi se passionnait davantage pour la politique et la littérature que pour le droit.

1. La première partie de cette présentation, consacrée à la vie de l’auteur, est due à la plume de Roger Martin. Dans sa Corse noire, il offrait pour la première fois au public la traduction française d’un extrait de la longue nouvelle de F.-D. Guerrazzi La storia di un moscone, publiée en 1857.

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Bouleversé par sa rencontre avec Lord Byron à Pise, en 1822, alors qu’il terminait ses études, il publie en 1824, à vingt ans, La Società, suivie l’année suivante des Stanze, deux ouvrages dédiés au poète anglais. En 1827, son roman historique La Battaglia di Benevento le rend célèbre. Devenu l’ami de Giuseppe Mazzini, il fonde avec lui, en 1829, l’Indicatore livornese dont il sera directeur jusqu’à l’interdiction du journal après 48 numéros. C’est qu’il est considéré comme séditieux, antiroyaliste, antipapiste, et son admiration pour Filippo Buonarroti, qui fut avec Babeuf l’un des organisateurs de la Conjuration des Égaux, en fait un dangereux révolutionnaire aux yeux du grand duc de Toscane. Décidément mauvais sujet, un hommage funéraire à Cosimo Del Fante, capitaine de l’armée impériale mort en Russie en 1812, lui vaut d’être condamné à six mois d’exil à Montepulciano. Il en profitera pour attaquer son roman historique L’Assedio di Firenze, imprimé en 1836 à Paris et signé du pseudonyme Anselmo Gualanti, avant que l’ouvrage se répande clandestinement en Italie. Entretemps, il aura été emprisonné à plusieurs reprises, entre autres au fort Stella de Portoferraio. La décennie suivante sera riche en événements. Pilier du mouvement Giovine Italia, Guerrazzi est retourné à sa profession d’avocat lorsqu’éclate la Révolution de 1848. Il est élu député et se retrouve ministre du gouvernement toscan. En février 49, à la fuite du grand duc Léopold II, il forme un triumvirat avec Giuseppe Mazzoni et Giuseppe Montanelli. Le nouveau gouvernement met en chantier des réformes importantes (création d’une armée populaire, lancement de vastes chantiers publics employant les chômeurs) qui suscite l’hostilité des grands propriétaires terriens. En avril,

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un coup d’État qu’ils fomentent avec l’aide de l’Autriche abolit le Parlement et rétablit le régime ducal. Guerrazzi, qui a refusé de s’enfuir, est condamné à quinze ans de prison. Il en accomplira trois, mettant à profit sa réclusion pour rédiger sa défense, Apologia, avant de voir sa peine de prison commuée en exil en Corse. Il séjournera dans l’île de mi-1853 à début 1857. Il y écrira Il Marchese di Santa Prassede (1853) et une fresque historique, Beatrice Cenci (1854). En 1857, le gouvernement libéral de Cavour l’autorise à résider à Gênes. Il y restera jusqu’en 1862, y publiant entre 1857 et 1862 une satire féroce, L’Asino, la nouvelle Fides, les romans La Torre di Nonza, La Storia di un moscone et Il Buco nel muro. En 1862, Guerrazzi est élu député au Parlement du Royaume d’Italie. Il se montrera fidèle à ses idéaux, fustigeant ceux de ses amis qui désertent les bancs des révolutionnaires pour ceux des républicains modérés. Jusqu’au bout, il trouvera l’énergie de se battre pour ses convictions. En 1870, très malade, il jette ses dernières forces dans la défense du caporal Piero Barsanti, membre de l’Alliance républicaine universelle accusé de sédition. Une affaire qui connut dans le pays un retentissement comparable à l’affaire Dreyfus trente ans plus tard en France et qui se solda par l’exécution de l’accusé. Parallèlement, Guerrazzi a beaucoup écrit. L’Assedio di Roma, où il exalte l’épisode romain de l’épopée garibaldienne, les quatre volumes des Vite degli Uomini Illustri d’Italia in politica e in armi, dal 1450 a 1850, dont le troisième, Sampiero d’Ornano, est consacré à Sampiero Corso, et son Pasquale Paoli ossia la rotta di Ponte Nuovo dédicacé à Garibaldi. Ses dernières œuvres, parfois élaborées bien plus tôt, comme ses Note autobiografiche,

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saisies et interdites à l’époque, ou son roman social, Il Secolo che muore, ne seront publiés qu’à titre posthume. Il est vrai que jusqu’au bout le vieux lion a défrayé la chronique et que ses ennemis n’ont pas désarmé, exaspérés par sa fidélité à Garibaldi avec lequel il a en outre soutenu la naissance d’un mouvement appelé à un grand avenir, l’Internationale ouvrière ! Guerrazzi meurt à Cecina, le 25 septembre 1873. À ses funérailles se presse une foule immense. Dans ses rangs, le poète Giosuè Carducci, qui deviendra en 1905 le premier Prix Nobel italien et veillera à la publication de ses œuvres posthumes. La Corse, où Guerrazzi passa donc un peu plus de trois ans, lui aura inspiré plusieurs livres, précédemment cités. La Torre di Nonza est consacrée à un épisode célèbre de la guerre qui opposa la Corse indépendante de Pascal Paoli aux troupes royales françaises décidées à prendre possession de leur bien : l’île vendue par les Génois, anciens maîtres de l’île, qui ne dominaient plus que les quelques citadelles fortifiées portuaires. Dans la tour de Nonza, résista seul contre deux régiments de grenadiers français le capitaine Casella. Celui-ci usa d’un subterfuge héroïque – raconté dans le texte traduit plus loin – qui lui permit une reddition « avec les honneurs militaires » sans équivalent dans l’histoire militaire. À dire vrai, l’épisode de la reddition dans La Torre di Nonza, dans la droite ligne de laconception « politique » de la littérature romanesque de Guerrazzi, n’est qu’un prétexte. Il s’agit – au-delà du plaisir intellectuel de ridiculiser par cette anecdote la puissance militaire française –,

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de s’en prendre aux prétentions de la France sur l’île. C’est l’occasion de contredire Lamartine et surtout Mérimée qui s’est illustré dans ses Notes de voyages en Corse (rédigées à l’occasion d’une inspection diligentée par les Monuments historiques), par la divulgation d’une thèse « celtiste » sur la civilisation corse. C’est aussi l’occasion pour ce résistant invétéré, de rappeler que chaque acte, le plus minime soit-il, en faveur de sa patrie est non seulement louable, mais aussi susceptible de réussir. Dans l’Italie de la pré-unification le message n’est pas anodin… Aux alentours de 1850, la Corse, elle, abandonne ses liens culturels multiséculaires avec la péninsule italienne pour entrer de façon définitive dans le giron français. La « francisation » de la société insulaire s’accélère (notamment par l’officialisation du français dans les actes administratifs et à l’école) et la Corse lui apparaît désormais comme n’étant déjà plus italienne, mais toujours pas française. Beaucoup plus sentencieux dans le reste de son ouvrage – et, pourrait-on dire, dans le reste de son œuvre – Guerrazzi choisit l’humour pour traiter de ce curieux fait d’armes. Mêlant habilement le récit d’une représentation théâtrale religieuse dans le village de Canari et l’assaut de la tour proprement dit, il offre un tableau picaresque qui s’éloigne pour une fois du romantisme noir italien – dont il est l’un des écrivains renommés. Il s’agit là encore d’un texte inédit en français.

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F.-D. Guerrazzi

La reddition de Nonza

Comme en Italie et ailleurs, les Mystères étaient des représentations dramatiques tirées de la légende de sainte Catherine d’Alexandrie ou du martyre de saint Pierre, mais plus souvent de la passion du Rédempteur. Plus que les autres villages de Corse, Vescovato avait acquis la réputation d’exceller dans l’art de monter de tels spectacles, même s’il faut confesser que Lamio1, Speloncato et Cateri étaient aussi très renommés. Mais parlons plutôt de notre localité2 : par ici, on trouve au-delà du bourg la pente douce d’un versant de montagne d’accès facile et régulier. Couverte aujourd’hui encore d’une épaisse forêt d’oliviers, de châtaigniers et de pins, elle était deux fois plus touffue au temps de notre récit. Nos habitants commencèrent à couper nombre de ces arbres, et ce d’autant plus volontiers qu’étant devenus vieux et ne 1. Il s’agit probablement de Lumio, situé en Balagne comme les autres villages mentionnés (N.D.T.). 2. Canari dans le Cap Corse (N.D.T.).

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LA REDDITION DE NONZA

fructifiant plus, il fallait les remplacer par des surgeons. Sur des troncs coupés au même niveau, ils posèrent des planches et voici fabriqué le plateau ; ils laissèrent en place les arbres latéraux, mais en accrurent beaucoup le volume par des branches de pins et des rameaux de lauriers ; ils plièrent ensuite les cimes l’une vers l’autre et les lièrent entre elles afin de leur donner vaguement l’apparence d’une arche à cintre aigu. Ils placèrent en abondance devant la scène des myrtes mélangés à des brins de romarin, de calaminthe et de lavande sauvage pour délecter l’odorat. Quant à la scène, je défie n’importe quel maître de valeur italien de la représenter, non pas de manière supérieure dirai-je, mais de simplement la brosser à grands traits, car la nature avait créé de ses propres mains celle du théâtre de Canari. Le fond du pays lui-même formait la scène mais, ainsi circonscrit, il était méconnaissable. Ce fut une tout autre affaire de constituer le vestiaire ; ils y réussirent enfin, non sans que l’ensemble des habitants ne s’y épuisât. Pour Pilate, ils trouvèrent à l’écurie une paire de bottes, un peu décousues, mais qui pouvaient aller : Orticoni donna l’uniforme qui avait appartenu à son aïeul maternel, capitaine de la garde corse du pape, renvoyée de Rome par ordre de Louis XIV ; ils y ajoutèrent deux épaulettes, l’une d’or, et l’autre d’argent, pour le rendre plus splendide. En guise de couvre-chef, – 169 –

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ils lui composèrent un turban de mandili 3 bigarrés ; une jupe plissée et cousue au fond lui tint lieu de braies. Ainsi fut accoutré Pilate. Ni de gré ni de force, le père Settembre ne voulut consentir à prêter une tunique à Caïphe et ce fut un exploit s’ils parvinrent à lui soutirer un vieux et grand tricorne ; mais ce couvre-chef ne suffisait pas à faire de Caïphe un religieux, et moins encore le plus éminent prêtre de la synagogue : ils le vêtirent donc d’une simarre de couleur brunâtre, mais cela ne les satisfaisant toujours pas, ils y ajoutèrent une barbe faite de poils de chèvre. C’était une bonne idée, mais encore insuffisante. Quelqu’un proposa alors de lui mettre une paire de lunettes, mais un autre ayant fait remarquer que cet accessoire n’était guère en usage à l’époque, ils furent rendus au désespoir. Soudain l’apothicaire se leva et proposa d’aller en personne voir le père Settembre pour le prier de bien vouloir confier son bréviaire. Celui-ci, entendant que ces mécréants voulaient mettre le saint livre dans les mains de Caïphe, saisit son bâton et les poursuivit jusque dans la rue. Par chance ils trouvèrent le notaire qui, les ayant menés à sa maison, prit sur une étagère un livre au hasard, qui se trouva être un tome des décisions de la Rote Sacrée Romaine et qu’ils jugèrent beaucoup plus adapté que le bréviaire. 3. Foulard habituellement porté par les femmes. En corse dans le texte (N.D.T.).

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Ils ne trouvèrent pas d’habits de roi dans tout le Cap Corse, quand bien même ils cherchèrent partout. C’est pour cette raison qu’Hérode dut se contenter d’un grand froc marron en drap de Sisco, et de chausses en poils de sanglier tanné avec des feuilles de laurier. Considérant ensuite qu’il est impossible de distinguer un roi sans couronne du premier vilain venu, ils délibérèrent de le munir d’une couronne de feuilles dorées. Ainsi le plus difficile avait été résolu parce que, pour ce qui concerne les vêtements de Marie, c’était déjà chose faite. De même, les couvertures des lits et les jupons des mères et des épouses remédièrent assez bien aux besoins du Christ et de ses apôtres. On ne parvint à rien de bon avec les angelots, parce que les cordes qui étaient censées les tenir à l’horizontale, vinrent à glisser sous leurs aisselles, et qu’ils se mirent d’un coup en position perpendiculaire ; ce ne fut pas le pire, le problème étant qu’en se sentant étreints, ils levèrent alors tous les bras, et c’est ainsi que le ciel apparut empli d’epsilon, non pas vraiment figés et tranquilles comme ceux imprimés sur les psautiers, mais hurlant et gigotant à faire peur. Ils s’en tirèrent mieux avec les diablotins, car ceux qui étaient sous la scène s’y trouvaient à leur aise : quand on voulait les voir apparaître, il suffisait de les avertir et ils montaient tout de suite les marches. C’est pourquoi, même les spectateurs les plus modérés durent avouer – 171 –

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qu’en cette occasion, les diables et les anges avaient échangé leurs rôles. À propos de rôles, apparurent ici aussi des difficultés à suer sang et eau, et néanmoins tout se serait arrangé grâce à de bonnes paroles, s’il n’y avait pas eu Christ et Judas. Le scandale vint de ces deux-là. À cause d’eux, le mystère corse courut deux mille fois le danger de partir à vau-l’eau, et voici de quelle manière. Tous prétendaient représenter Jésus-Christ, et tous à l’inverse abhorraient le personnage de Judas. Il semblait aux gentils qu’ils seraient apparus meilleurs sous les traits de Jésus, tandis que ceux de Judas rendraient pires les méchants ; et en vérité on n’aurait pu soutenir qu’ils avaient tort. En somme et pour en finir, il fut jugé plus avantageux de refiler le rôle de Judas au jeune homme le plus poli et le plus aimé du village, c’est-à-dire précisément Giammatteo, l’époux de Catalina. Celui du Christ fut confié à son frère de lait, un vrai gibier de potence s’il en fut jamais. Gibier jusqu’à quel point, hé ! expliquons-nous clairement là-dessus. Fedelino Fabrizi aimait la patrie de tout son cœur, il obéissait à ses parents, il craignait Dieu, mis à part que la plus futile des contrariétés lui tirait des blasphèmes comme s’il s’agissait de la fin du monde. Dans ce cas, gober un œuf ou tuer un homme, c’était tout un pour lui. Il importe cependant de dire qu’il n’avait tombé4 encore personne. Bien sûr, il avait bien 4. Tué. En corse dans le texte (N.D.T.).

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crevé l’œil de celui-ci, cassé des dents de celui-là. On ne compte pas non plus les yeux au beurre noir. Mais rien de plus. Et puis lui aussi en avait pris, car l’on va dans les rixes avec deux poches, l’une pour donner les coups et l’autre pour les recevoir. En outre, de tous ceux qui étaient là, Fedelino paraissait le moins apte à incarner Jésus-Christ du fait de sa corpulence : vous connaissez la différence, et même l’opposition manifeste entre les Grecs et les Latins au sujet de l’image du Rédempteur ? Les Latins le représentèrent à la limite de l’adolescence et de la virilité : bien proportionné, bien fait à merveille et beau, doux d’apparence, la barbe rare et la chevelure abondante d’un blond d’or. Il plut aux Grecs de le figurer horrible, ictérique, exténué, les côtes apparentes, ce qui fait qu’en Toscane on entend parfois le dicton : « Tu es plus affreux qu’un Christ de Cimabue », puisque ce maître, pour autant que j’en sache, a beaucoup retenu de la manière des Grecs5. Or, Fedelino ne correspondait pas à la vision des Latins, et encore moins à celle des Grecs. C’était un Christ tout à fait nouveau, haut de trois coudées et demie, sinon plus, avec des poignets et des épaules à déplacer une galère à lui tout seul, de couleur noire, en partie carbonisé par le soleil, si bien qu’il offrait l’image parfaite d’un tison de charbon, à moitié éteint et à moitié 5. Cenni di Pepe dit (Giovanni) Cimabue (vers 1240 – vers 1302) est un peintre italien de la pré-Renaissance. Il renouvela l’art de la peinture « byzantine ». (N.D.T.)

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Alphonse Daudet (1840-1897)

Les trois mois passés en Corse par Alphonse Daudet – de décembre 1862 à mars 1863 – auront été profitables, c’est le moins que l’on puisse dire. Il était venu, sur les conseils d’un médecin insulaire, respirer l’air sain de l’île. Si son séjour ne provoqua pas de rémission spectaculaire de ses ennuis d’origine vénérienne, il lui fournit un matériau suffisant pour alimenter quelques nouvelles et certaines scènes ou personnages de romans (Le nabab, Rose et Ninette et L’immortel). La performance est d’autant plus intéressante que sa Corse semble s’être cantonnée aux abords des îles Sanguinaires… au monde et aux histoires contés par les gens de mer. Les Contes du Lundi et les Lettres de mon moulin comptent ainsi des nouvelles corses, assez bien connues des jeunes écoliers de France. Ces derniers n’imaginent sans doute pas que celles-ci marquent une inflexion dans l’histoire de la littérature insulaire. Il est remarquable en effet de voir surgir – enfin ! pourrait-on dire – une Corse qui tend à se dépouiller de schémas archétypaux qui lui collent à la peau depuis son entrée sur la scène internationale, de l’histoire et des lettres. Certes, ici encore les Corses

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sont parfois indolents, bien sûr au détour de cette phrase on sent la susceptibilité légendaire poindre, la vendetta s’avancer à petits pas, les bandits affûter leurs outils de mort… Mais là, tout à coup, les gens, les Corses, ceux qui ne sont ni bandits, ni fiers, ni ladres, ni escrocs, font aussi une apparition remarquée. Bien sûr, ils ont leur « couleur » propre, leurs mœurs, leurs histoires édifiantes… mais elles sont tout à coup « humaines ». Leur « exception » corse confirmant la règle universelle, en quelque sorte. Ici, le douanier peut affirmer en conclusion d’une bien triste journée, sans éclat, ni grandiloquence : « Voyez-vous, monsieur… on a quelquefois bien du tourment dans notre métier ! » La vie s’écoule avec son lot de petites joies et de grandes misères… La simplicité, la justesse de ton, l’émerveillement spontané pour le lieu, le moment, la phrase, caractérisent cette nouvelle approche de la littérature qu’incarne A. Daudet. Un lieu où il prend bien soin de s’insérer, auteuracteur, en écrivain-voyageur qui a pris le temps de digérer les impressions et les faux-semblants pour promouvoir une harmonie, une petite musique très simplement humaine. Deux exemples pour illustrer cette expérience, deux courtes nouvelles teintées de tristesse et peut-être même d’une certaine mélancolie. Une maladie insulaire, assurément…

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Alphonse Daudet

Le phare des Sanguinaires (1869)

Cette nuit je n’ai pas pu dormir. Le mistral était en colère, et les éclats de sa grande voix m’ont tenu éveillé jusqu’au matin. Balançant lourdement ses ailes mutilées qui sifflaient à la bise comme les agrès d’un navire, tout le moulin craquait. Des tuiles s’envolaient de sa toiture en déroute. Au loin, les pins serrés dont la colline est couverte s’agitaient et bruissaient dans l’ombre. On se serait cru en pleine mer… Cela m’a rappelé tout à fait mes belles insomnies d’il y a trois ans, quand j’habitais le phare des Sanguinaires, là-bas, sur la côte corse à l’entrée du golfe d’Ajaccio. Encore un joli coin que j’avais trouvé là pour rêver et être seul. Figurez-vous une île rougeâtre et d’aspect farouche ; le phare à une pointe, à l’autre une vieille tour génoise où, de mon temps, logeait un aigle. En bas, au bord de l’eau, un lazaret en ruine, envahi de partout par – 215 –

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les herbes, puis des ravins, des maquis, de grandes roches, quelques chèvres sauvages ; de petits chevaux corses gambadant la crinière au vent ; enfin là-haut, tout en haut, dans un tourbillon d’oiseaux de mer, la maison du phare, avec sa plate-forme en maçonnerie blanche, où les gardiens se promènent de long en large, la porte verte en ogive, la petite tour de fonte, et au-dessus la grosse lanterne à facettes qui flambe au soleil et fait de la lumière même pendant le jour… Voilà l’île des Sanguinaires, comme je l’ai revue cette nuit en entendant ronfler mes pins. C’était dans cette île enchantée qu’avant d’avoir un moulin j’allais m’enfermer quelquefois, lorsque j’avais besoin de grand air et de solitude. Ce que je faisais ? Ce que je fais ici, moins encore. Quand le mistral ou la tramontane ne soufflaient pas trop fort, je venais me mettre entre deux roches au ras de l’eau, au milieu des goélands, des merles, des hirondelles, et j’y restais presque tout le jour dans cette espèce de stupeur et d’accablement délicieux que donne la contemplation de la mer. Vous connaissez, n’est-ce pas, cette jolie griserie de l’âme ? On ne pense pas, on ne rêve pas non plus. Tout votre être vous échappe, s’envole, s’éparpille. On est la mouette qui plonge, la poussière d’écume qui flotte au soleil entre deux vagues, la fumée blanche de ce paquebot qui s’éloigne, ce petit corailleur à voile rouge, cette perle d’eau, ce flocon de brume, tout excepté soi-même… Oh ! que – 216 –

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LE PHARE DES SANGUINAIRES

j’en ai passé dans mon île de ces belles heures de demi-sommeil et d’éparpillement !… Les jours de grand vent, le bord de l’eau n’étant pas tenable, je m’enfermais dans la cour du lazaret, une petite cour mélancolique, tout embaumée de romarin et d’absinthe sauvage, et là, blotti contre un pan de vieux mur, je me laissais envahir doucement par le vague parfum d’abandon et de tristesse qui flottait avec le soleil dans les logettes de pierre, ouvertes tout autour comme d’anciennes tombes. De temps en temps un battement de porte, un bond léger dans l’herbe… c’était une chèvre qui venait brouter à l’abri du vent. En me voyant, elle s’arrêtait, interdite, et restait plantée devant moi, l’air vif, la corne haute, me regardant d’un œil enfantin… Vers cinq heures, le porte-voix des gardiens m’appelait pour dîner. Je prenais alors un petit sentier dans le maquis grimpant à pic au-dessus de la mer et je revenais lentement vers le phare, me retournant à chaque pas sur cet immense horizon d’eau et de lumière qui semblait s’élargir à mesure que je montais. Là-haut, c’était charmant. Je vois encore cette belle salle à manger à larges dalles, à lambris de chêne, la bouillabaisse fumant au milieu, la porte grande ouverte sur la terrasse blanche et tout le couchant qui entrait… Les gardiens étaient là, m’attendant pour se mettre à table. Il y en avait trois, un Marseillais et deux Corses, tous trois petits, barbus, le même visage tanné, – 217 –

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crevassé, le même pelone (caban) en poil de chèvre, mais d’allure et d’humeur entièrement opposées. À la façon de vivre de ces gens, on sentait tout de suite la différence des deux races. Le Marseillais, industrieux et vif, toujours affairé, toujours en mouvement, courait l’île du matin au soir, jardinant, pêchant, ramassant des œufs de gouailles1, s’embusquant dans le maquis pour traire une chèvre au passage ; et toujours quelque aïoli ou quelque bouillabaisse en train. Les Corses, eux, en dehors de leur service, ne s’occupaient absolument de rien ; ils se considéraient comme des fonctionnaires, et passaient toutes leurs journées dans la cuisine à jouer d’interminables parties de scopa, ne s’interrompant que pour rallumer leurs pipes d’un air grave et hacher avec des ciseaux, dans le creux de leurs mains, de grandes feuilles de tabac vert… Du reste, Marseillais et Corses, tous trois de bonnes gens, simples, naïfs, et pleins de prévenances pour leur hôte, quoique au fond il dût leur paraître un monsieur bien extraordinaire… Pensez donc ! venir s’enfermer au phare pour son plaisir !… Eux qui trouvent les journées si longues, et qui sont si heureux quand c’est leur tour d’aller à terre… Dans la belle saison, ce grand bonheur leur arrive tous les mois. Dix jours de terre pour trente jours de phare, voilà le règlement ; mais avec l’hiver et

1. S’agit-il de cailles (guaglie en corse) ? (N.D.E.)

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LE PHARE DES SANGUINAIRES

les gros temps, il n’y a plus de règlement qui tienne. Le vent souffle, la vague monte, les Sanguinaires sont blanches d’écume, et les gardiens de service restent bloqués deux ou trois mois de suite, quelquefois même dans de terribles situations. « Voici ce qui m’est arrivé, à moi monsieur – me contait un jour le vieux Bartoli, pendant que nous dînions –, voici ce qui m’est arrivé il y a cinq ans, à cette même table où nous sommes, un soir d’hiver, comme maintenant. Ce soir-là, nous n’étions que deux dans le phare, moi et un camarade qu’on appelait Tchéco… Les autres étaient à terre, malades, en congé, je ne sais plus… Nous finissions de dîner, bien tranquilles… Tout à coup, voilà mon camarade qui s’arrête de manger, me regarde un moment avec de drôles d’yeux, et, pouf ! tombe sur la table, les bras en avant. Je vais à lui, je le secoue, je l’appelle : – Oh ! Tché !… Oh ! Tché !… « Rien, il était mort… Vous jugez quelle émotion. Je restai plus d’une heure stupide et tremblant devant ce cadavre, puis, subitement cette idée me vient : « Et le phare ! » Je n’eus que le temps de monter dans la lanterne et d’allumer. La nuit était déjà là… Quelle nuit, monsieur ! La mer, le vent n’avaient plus leurs voix naturelles. À tout moment il me semblait que quelqu’un m’appelait dans l’escalier. Avec cela une fièvre, une soif ! Mais vous ne m’auriez pas fait descendre… j’avais trop peur du mort. Pourtant, au petit jour, le courage me revint un peu. Je portai mon – 219 –

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camarade sur son lit ; un drap dessus, un bout de prière, et puis vite aux signaux d’alarme. « Malheureusement, la mer était trop grosse ; j’eus beau appeler, appeler, personne ne vint… Me voilà seul dans le phare avec mon pauvre Tchéco, et Dieu sait pour combien de temps… J’espérais pouvoir le garder près de moi jusqu’à l’arrivée du bateau ! mais au bout de trois jours ce n’était plus possible… Comment faire ? le porter dehors ? l’enterrer ? La roche était trop dure, et il y a tant de corbeaux dans l’île. C’était pitié de leur abandonner ce chrétien. Alors je songeai à le descendre dans une des logettes du lazaret… Ça me prit tout un après-midi, cette triste corvée-là, et je vous réponds qu’il m’en fallut, du courage. Tenez ! monsieur, encore aujourd’hui, quand je descends ce côté de l’île par un après-midi de grand vent, il me semble que j’ai toujours le mort sur les épaules… » Pauvre vieux Bartoli ! La sueur lui en coulait sur le front, rien que d’y penser. Nos repas se passaient ainsi à causer longuement : le phare, la mer, des récits de naufrages, des histoires de bandits corses… Puis, le jour tombant, le gardien du premier quart allumait sa petite lampe, prenait sa pipe, sa gourde, un gros Plutarque à tranche rouge, toute la bibliothèque des Sanguinaires, et disparaissait par le fond. Au bout d’un moment, c’était dans tout le phare un fracas de chaînes, de poulies, de gros poids d’horloges qu’on remontait. – 220 –

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LE PHARE DES SANGUINAIRES

Moi, pendant ce temps, j’allais m’asseoir dehors sur la terrasse. Le soleil, déjà très bas, descendait vers l’eau de plus en plus vite, entraînant tout l’horizon après lui. Le vent fraîchissait, l’île devenait violette. Dans le ciel, près de moi, un gros oiseau passait lourdement : c’était l’aigle de la tour génoise qui rentrait… Peu à peu la brume de mer montait. Bientôt on ne voyait plus que l’ourlet blanc de l’écume autour de l’île… Tout à coup, au-dessus de ma tête, jaillissait un grand flot de lumière douce. Le phare était allumé. Laissant toute l’île dans l’ombre, le clair rayon allait tomber au large sur la mer, et j’étais là, perdu dans la nuit, sous ces grandes ondes lumineuses qui m’éclaboussaient à peine en passant… Mais le vent fraîchissait encore. Il fallait rentrer. À tâtons, je fermais la grosse porte, j’assurais les barres de fer ; puis, toujours tâtonnant, je prenais un petit escalier de fonte qui tremblait et sonnait sous mes pas, et j’arrivais au sommet du phare. Ici, par exemple, il y en avait de la lumière. Imaginez une lampe Carcel gigantesque à six rangs de mèches, autour de laquelle pivotent lentement les parois de la lanterne, les unes remplies par une énorme lentille de cristal, les autres ouvertes sur un grand vitrage immobile qui met la flamme à l’abri du vent… En entrant j’étais ébloui. Ces cuivres, ces étains, ces réflecteurs de métal blanc, ces murs de cristal bombé qui tournaient avec de grands cercles bleuâtres, tout ce miroitement, tout ce cliquetis de lumière, me donnait un moment de vertige. – 221 –

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Emmanuel Arène (1856-1908)

Emmanuel Arène doit sa notoriété à une fulgurante et très riche carrière politique. Élu pour la première fois à l’âge de 24 ans au poste de conseiller général – alors qu’il n’a pas encore l’âge requis – il est invalidé, mais se représente et est loyalement élu six mois plus tard. Nous sommes en 1880. En 1881, il est élu député… il est le plus jeune de France. Il faut dire que le bouillonnant étudiant en droit a su faire sa place auprès de personnages influents, au premier rang desquels Gambetta lui-même. Entré au journal XIXe siècle à la suite d’une controverse avec le directeur, Emmanuel Arène ne cessera de mener de front les deux activités, journalisme et politique, signant de très nombreux papiers dans la plupart des journaux importants de l’époque (Le National, Le Figaro, Gil Blas, Le Matin, L’Éclair, etc.). Son habileté politique le conduisit au sommet d’un système qui le fera surnommer u Rè Manuele dans l’île. Il distribue avantages et postes à sa clientèle – ses partisans – qui confortent en retour sa puissance politique. Fervent républicain, il est connu pour avoir démasqué Esterhazy, le

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commandant auteur de la forfaiture dans l’affaire Dreyfus, dans les pages du Figaro. Sa rencontre orageuse avec ce dernier, dans les bureaux du journal, tourna à son avantage et l’officier qui était venu faire rendre gorge au « délateur » dut s’éloigner piteusement. « Je dis tous les jours dans le Figaro ce que je vous dis en face : vous êtes un traître et un lâche ! » lui envoya Arène en pleine figure. Il faut dire que le courage physique ne lui manquait pas et qu’il n’était pas le dernier à se battre en duel (Paul Déroulède et Louis Andrieux – préfet de police dont Aragon fut le fils naturel – en firent les frais). Son activité débordante lui laissa tout de même le temps de composer un certain nombre d’historiettes, contes et nouvelles, réunis en 1933 par l’un de ses héritiers en politique, le député Henri Pierangeli (lui-même romancier à ses heures). Dans la tradition inaugurée par Daudet, il s’attacha à raconter les histoires édifiantes et les anecdotes concernant les petites gens, bousculés dans leurs modes de pensée et leurs traditions. Un certain nombre de récits concerne la Provence – dont il était originaire par son grand-père né à Solliès, dans le Var – le reste célèbre la Corse. Dans Le sanglier du préfet, Emmanuel Arène joue une « partition » que nous connaissons en Corse sous le terme de macagna. Son histoire, qu’il assure être vraie, est surtout burlesque : Se non è vera è ben contata…

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Emmanuel Arène

Le sanglier du préfet

Je veux vous conter une petite histoire dont la seule originalité sera d’être absolument vraie, quoique venant du Midi. C’est à Ajaccio qu’elle s’est passée, dans cette adorable petite ville d’Ajaccio, plus jolie que Lucerne, plus tempérée que Monaco, plus odorante que Séville, et que les Français ne connaissent pas, uniquement parce qu’elle est en France. Nous venions de recevoir, à Ajaccio, un hôte de distinction, un Anglais naturellement, car ceux-là, du moins, ne boudent pas à la fatigue et choisissent toujours les bons endroits. C’était un ancien major des Indes, le major Murray, un charmant et gai compagnon qui a reçu depuis droit de cité parmi nous, et qui est aujourd’hui plus corse que tous les Corses. Ce n’est pas précisément en touriste qu’il était venu, encore moins pour raison de santé. Le major était et – 301 –

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est encore une sorte d’hercule, grand et gros à plaisir, grand surtout, au point que, même assis, il a toujours l’air d’être debout. De sa vie il n’a eu affaire aux médecins, et je crois d’ailleurs qu’ils se récuseraient d’eux-mêmes, comme le spirituel docteur qui, appelé un jour auprès d’un cent-garde, et apprenant qu’il s’agissait d’un simple « mal aux cheveux », résultat d’une nuit orageuse, se dérobait en disant : « Veuillez m’excuser… Mais c’est un peu haut pour moi. » Le major Murray était venu chercher en Corse un terrain favorable à la culture des cédrats. Il le trouva tout de suite, car en ce pays on trouve de tout. C’était en face d’Ajaccio, de l’autre côté du golfe, une superbe propriété de quelques centaines d’hectares tout ensoleillée, baignée par la mer, desservie par un petit bateau, et bordée, dans toute sa largeur, par une admirable forêt de pins, tapissée de genièvres et de myrtes, et qui est, durant tout l’hiver, le rendez-vous des merles de l’arrondissement. C’est cette forêt surtout qui avait séduit le major, grand chasseur et marcheur intrépide. Et ce qui l’attirait, vous m’entendez bien, ce n’est pas la chasse aux merles qui n’a rien de particulièrement émouvant pour un major des Indes anglaises. Mais il y avait des sangliers en forêt, des sangliers renommés, et sans valoir la chasse aux tigres, d’ailleurs très peu répandue dans nos départements, la chasse au sanglier est, de l’avis des amateurs, un sport des plus attrayants. C’était – 302 –

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LE SANGLIER DU PRÉFET

sans doute l’avis du major, car le lendemain même de son installation, il se mettait en campagne, armé jusqu’aux dents, guêtré jusqu’aux genoux. On ne l’avait pas trompé : il y avait des sangliers dans la forêt. Pas énormément, car il passa bien trois ou quatre heures avant qu’il eût l’occasion d’épauler. Mais vers midi, juste au-dessous de Chiavari, qui est le village voisin, voici le sanglier, une bête superbe… Le major est un très beau tireur. Ses deux coups, pan ! pan ! partent à la fois et l’animal roule à terre, en poussant un cri plus plaintif qu’irrité. Le major s’approcha assez content de lui-même : on a beau être blasé sur ce genre d’exploits, un joli coup de fusil fait toujours plaisir – à donner bien entendu. Jamais, même aux Indes, notre major n’avait vu pareil animal, et c’est surtout en s’approchant qu’il s’aperçut que ce gibier était unique. Le sanglier avait, bien au milieu de la hure, délicatement planté entre les deux oreilles, un petit drapeau tricolore, gentil comme tout, comme ceux qu’on met sur les gâteaux de Savoie. Le major ahuri n’en pouvait croire ses yeux, mais il fut tout à fait terrifié, lorsqu’en regardant de plus près encore, il lut en caractères microscopiques, sur le calicot blanc du drapeau, l’extraordinaire inscription suivante : République française CHASSE PRÉFECTORALE DU 17 DÉCEMBRE 1880 Le major, de plus en plus effaré, n’y comprenait rien, mais ce qu’il entrevoyait vaguement, c’est que ce – 303 –

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sanglier n’était pas un sanglier ordinaire. Il commençait aussi à se rendre compte que, pour son début dans le département, il venait peut-être de faire un mauvais coup. L’idée même lui vint un moment de planter là sanglier, drapeau, toute sa chasse, mais c’était, je l’ai dit, un fort brave homme, tout d’une pièce, et il préféra s’en aller au village voisin conter son aventure à la gendarmerie. Dès les premiers mots, le brigadier fit un soubresaut : « Sapristi, monsieur le major, un sanglier ! vous avez tué un sanglier ! Et c’est le sanglier de 1880 encore ! un des plus beaux. C’est embêtant, bien embêtant ! » Le major s’excusait de son mieux tout en commençant à se dire que, pour un pays de chasse, c’était un drôle de pays. « Très, très embêtant, continuait le brigadier, mais enfin vous êtes étranger, vous ne pouviez pas savoir… Allons toujours voir le sanglier. Il n’est peut-être que blessé. » Ils montèrent en forêt, et comme, en définitive, tout en comprenant bien, aux exclamations du brigadier, que « c’était embêtant, très embêtant », le major se rassurait peu à peu ; il voyait bien qu’il ne s’agissait pas d’un crime ; il s’enhardit à solliciter quelques explications, il demanda s’il était indiscret de savoir ce que c’était que le drapeau, l’inscription. – 304 –

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LE SANGLIER DU PRÉFET

« Indiscret ! Mais pas du tout, fit le brigadier. Il faut même que vous le sachiez… Saperlotte… Vous n’auriez qu’à tuer les autres ! » Et il raconta au bon major l’histoire de ce sanglier, bien connue de tout le canton et même de la Corse entière. C’était une très vieille tradition, chaque fois qu’un nouveau préfet arrivait dans le département, de lui offrir une chasse au sanglier qu’on organisait, pour ne pas la rendre trop fatigante, dans cette aimable forêt de Chiavari, toute proche d’Ajaccio. La fête se passait d’ordinaire avec toute la solennité voulue, on réunissait les meilleurs chasseurs du pays, on battait la forêt dans tous les sens, et le sanglier débusqué, on le relançait dans les règles jusqu’à ce que mort s’ensuivît. La curée avait lieu en grande pompe et les honneurs du pied étaient faits au nouveau préfet. À ce jeu, naturellement, le nombre des sangliers allait en diminuant, tandis que celui des préfets augmentait toujours. Depuis quelques années surtout, les préfets s’étaient si rapidement succédés, que la forêt avait fini par se dépeupler. Il n’en restait que trois ou quatre, les plus vieux, et sans doute aussi, les mieux renseignés, car, par une extraordinaire coïncidence, aux approches des mouvements administratifs, ils se tenaient de telle façon qu’on n’apercevait plus la queue d’un seul. Si bien que les habitants de Chiavari ou des villages voisins voyaient approcher avec terreur le moment où leur forêt, déshonorée du coup, n’aurait plus le moindre sanglier à offrir aux préfets. Il n’y avait pas là – 305 –

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seulement la fin d’une vieille tradition, mais aussi une perte sèche pour le canton, car ces chasses officielles y attiraient du monde, et, en toute occasion du reste, la préfecture lui en témoignait sa reconnaissance. Il fallait donc à tout prix empêcher ce désastre, et dans ce but on décida – tant il est vrai qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil – d’appliquer aux sangliers qui resteraient le système en usage à Paris vis-à-vis des taureaux. On chasserait toujours le sanglier, mais on ne le tuerait plus. Rien ne serait d’ailleurs modifié à la chasse : on y apporterait la même solennité, la même ardeur, et seulement à la fin, au lieu d’envoyer à l’animal le coup de fusil traditionnel, on lui planterait au défaut de l’épaule, un de ces jolis petits drapeaux, bleu, blanc et rouge, avec une inscription en lettres d’or qui perpétuerait l’événement. Ainsi fut fait, et pour sauvegarder l’amour-propre des préfets, on fit observer judicieusement que la chasse devenait ainsi beaucoup plus difficile, car à l’intrépidité d’un Nemrod il fallait ajouter la grâce et l’agilité d’un picador. C’était donc un de ces sangliers administratifs qu’avait tué le major Murray. Mais rendu plus prudent par ce fâcheux début, il se conforma lui aussi aux usages avec une légère variante que lui commandait son patriotisme. C’étaient des drapeaux anglais, commandés tout exprès à Londres, qu’il piquait dans la hure, un peu étonnée, de nos sangliers corses ; et ce nouveau sport étant devenu à la mode, toute la colonie étrangère s’en mêla, le consul d’Italie, le consul du – 306 –

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LE SANGLIER DU PRÉFET

Danemark, des officiers russes de passage. Personne ne voulait quitter la Corse sans avoir pris part à une de ces chasses originales et chaque fois, naturellement, c’était un drapeau de nationalité diverse qui marquait la fin de la chasse et la défaite du sanglier. Si bien que le dernier qui fut tué était littéralement pavoisé des pieds à la tête et qu’on l’avait surnommé, dans le pays, le sanglier du 14 Juillet. On ne fut même pas fâché, car il était devenu humiliant pour l’amour-propre insulaire ; et c’est à peine si un ou deux drapeaux français, plus un petit drapeau corse, furent relevés sur sa glorieuse dépouille, tous les autres étaient des drapeaux étrangers. C’était donc très pénible pour le patriotisme local. Mais c’est fini maintenant, tout à fait fini. Car j’oubliais de vous dire que, depuis peu, nos préfets sont beaucoup moins nomades. Celui que nous avons notamment aime la Corse autant que la Corse l’aime. Il s’y trouve bien et il y reste, de sorte qu’à présent, les mouvements administratifs étant plus rares, la forêt a eu le temps de se repeupler, et l’on s’est remis à chasser à la mode ancienne ; je veux dire qu’à la fin de la chasse, on tue le sanglier. On le tue même d’autant plus facilement que, sur la foi des traités, il ne croit pas risquer grand-chose et qu’il s’avance gracieusement vers le chasseur, s’attendant à recevoir un petit drapeau.

Extrait de Contes et nouvelles, 1913.

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Table des matières De l’éradication pacifique des bandits de papier • J. Moretti ........... 3 Moyen Âge Giovanni della Grossa ....................................................................... 13

Comment la Corse fut habitée selon l’avis de différents auteurs (XIV-XVe siècle) .............................................. 16 XVIIIe siècle

Antoine-François de Chevrier ..................................................... 25

Le voyage de Rogliano (1751) ........................................... 27 Jean-Jacques Rousseau

.................................................................. 53

Projet de constitution pour la Corse (1765)............. 55 James Boswell ....................................................................................... 59

Je me sentis assez peu à mon aise... (1768)............. 62 Maximilien-Joseph de Lamberg ................................................ 69

Arrivée (1775) .................................................................................... 71 Napoléon Bonaparte ........................................................................ 85

Toujours seul (1786) ................................................................... 87 XIXe siècle

Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire ................................................. 91

La dot de l’étudiant (1830) ..................................................... 93 Théophile Dinocourt ..................................................................... 119

Le vieux montagnard (1835) ............................................. 121 Niccolò Tommaseo .......................................................................... 131

Bastia (1840) ................................................................................... 134

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Gustave Flaubert .............................................................................. 145

Je rêverai encore longtemps... (1840) ........................ 147 Francesco Domenico Guerrazzi .............................................. 163

La reddition de Nonza (1857) ........................................... 168 Alphonse Daudet ............................................................................. 213

Le phare des Sanguinaires (1869) ................................ 215 Les douaniers (1873) ............................................................... 223 Albert Glatigny .................................................................................. 229

Le jour de l’an d’un vagabond (1870) ....................... 231 Guy de Maupassant ........................................................................ 265

L’exil (1883) ..................................................................................... 268 Le bonheur (1884) ..................................................................... 274 Émile Bergerat ................................................................................... 285

Vizzavona, Vivario, Corte (1887)

.................................. 288

Emmanuel Arène .............................................................................. 299

Le sanglier du préfet

............................................................ 301

Pierre Loti .............................................................................................. 309

Dans le passé mort (1891) .................................................. 311 XXe siècle

John-Antoine Nau ............................................................................ 317

Caritas (1909-1916) ..................................................................... 320 La petite rancune (1909-1916) ............................................ 327 Rose Celli ............................................................................................... 333

Isola (1932) ...................................................................................... 335

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Achevé d’imprimer en juillet 2011 sur les presses du Groupe Horizon 200 avenue de Coulin 13420 Gémenos-F Dépôt légal : 1er août 2011 Imprimé en France ISBN : 978-2-84698-399-0 Maquette et mise en page : Atelier Graphite Albiana – 4, rue Emmanuel-Arène – 20000 Ajaccio Tél. : 04 95 50 03 00 – Fax : 04 95 50 03 01 www.albiana.fr E-mail : contact@albiana.fr © Albiana 2011 Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays

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