PSYCHOTROPES interférences rituelles et artistiques, Mael Revaillot, Galerie Meyer Juin 2023

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psy cho tro pes

01.06.23 15.07.23 Interferences rituelles et artistiques commissariat d’exposition Mael Revaillot Galerie Meyer oceanic & arctic art 17 Rue des Beaux-Arts,75006 Paris

Cet ouvrage ne veut, ni ne doit inciter l’usage de substances psychotropes. Cette exposition expose uniquement un travail ethnologique et botanique sur un groupe de végétaux jouant un rôle important dans la vie culturelle et religieuse de nombreuses sociétés mélanésiennes.

Nous attirons l’attention du lecteur sur le fait que bon nombre des plantes décrites et représentées sont soumises à la loi sur les narcotiques, et que leur usage peut entraîner des conséquences physiques et mentales graves ainsi que des poursuites judiciaires.

REMERCIMENTS

En guise de reconnaissance, je tiens à témoigner mes sincères remerciements à toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à la création de ce projet.

Mes sincères gratitudes à M. Anthony JP Meyer et Mme Gisèle Bertin pour leur confiance, leur patience et leurs précieux conseils tout au long de la construction de ce projet.

Un grand merci à Pascal Lacombe pour ses expériences, ses connaissances et son temps, qui ont richement alimenté ma réflexion.

Je dédie une pensée à toutes les personnes avec qui j’ai pu échanger sur le sujet de ce projet et qui m’ont encouragé. J’adresse des remerciements sincères à l’IESA Paris et à Mme Docquiert, professeur qui a suivi mon parcours scolaire depuis 2 ans ainsi que l’élaboration de ce projet depuis sa genèse.

Mes sincères remerciements aux artistes Anaïs Penot Raquin, Antonin Renard et Kélit Raynaud, pour leur formidable travail, leur professionnalisme et leur motivation.

Un grand merci à Alix Anglade--Simon et Thomas Charpentier pour leur aide précieuse, ainsi qu’à Jérôme et Éléonore Jacquemin pour leur travail exceptionnel.

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9 10 11 76 SOMMAIRE • Remerciements Chapitre 1. Les Psychotropes • Introduction • Le rôle du psychotrope dans le chamanisme et la magie (Pascal Lacombe) • L’extase • Les psychotropes : clés du voyage chamanique • Un rêve collectif en Nouvelle - Guinée Chapitre 2. Regard Botanique • Introduction : Regard botanique sur la prise de substances psychotropes • Les psychotropes communs dans les cultures mélanésiennes • Les psychotropes communs dans les cultures de Nouvelle-Guinée • Les effets hallucinogènes de certaines substances psychoactives • Le sacré et le psychotrope • Drogue, poison et toxicomanie
Apprentissage de la consommation
Des plantes hallucinogènes à l’origine de phénomène religieux • Syndrome dionysiaque Chapitre 3. Objets rituels du Pacifique Chapitre 4. Artiste et interprétation contemporaine 35 13 13 23 27 28 29 32 32 34 3 5 8

Introduction sur la prise de psychotrope

Depuis toujours, les hommes font usage de substances psychoactives selon des modalités multiples et à des fins diverses, qu’elles soient rituelles, initiatiques, thérapeutiques ou festives. Cette pratique, culturellement formée, est constitutive de l’expérience humaine subjective dans la mesure où l’usage modifie les perceptions et les schémas d’interprétation du monde, et corrélativement, la relation à soi, au social et plus largement au monde. Audelà de l’historicité et de la diversité des usages, la spécificité de l’expérience réside dans une modification de l’état de conscience. La répétition d’un acte ancien sans cesse renouvelé et transformé, saisi ici comme un révélateur d’un type de communication se déroulant entre l’individu et le collectif : entre la subjectivité en tant qu’espace d’intimité, et l’objectivité d’une réalité sociale donnée.

Bien que les premiers vestiges témoignant de la présence des psychotropes dans la vie des sociétés remontent au néolithique, voire au paléolithique, on dispose de peu d’éléments exacts quant à leurs fonctions et leurs contextes d’usage avant l’histoire moderne. Nous savons néanmoins, grâce aux découvertes dans les sépultures et les traces iconographiques laissées par les sociétés, que ces usages s’inscrivaient dans le cadre de pratiques hors de la vie ordinaire des différents membres des populations. Sans qualifier a priori ces pratiques de « sacrées », une notion biaisée qui présuppose sa distinction claire par rapport aux « pratiques profanes », il est toutefois possible de dire que celles-ci étaient teintées d’un symbolisme révélant tantôt leurs dimensions surnaturelles, tantôt l’univers mythologique auquel elles sont rattachées.

Les témoignages anciens sur les usages des psychotropes proviennent principalement d’individus étrangers aux communautés et aux groupes culturels dans lesquels ces pratiques avaient cours. Dans tous les cas, pour reprendre Sahlins1 , il s’agit de représentations que l’on peut qualifier de « néo-traditionnelles ». Bien que la connaissance des traditions ancestrales soit limitée, voire subjectivement biaisée, il demeure possible de dégager quelques généralités à propos des « usages traditionnels » des psychotropes. La première, et probablement la plus significative, est que ces usages s’inscrivent dans des cadres spécifiques. Ils se déroulent dans des espaces-temps strictement définis ; sinon, ils sont réservés à des groupes d’individus identifiés par leurs liens privilégiés avec la ou les substances psychotropes. Les usages déviants ou hors contextes restent de l’ordre du possible, mais doivent être exceptionnels dans la mesure où les règles d’interdépendance qui régissent ces types de communauté laissent peu de place à toute dérogation mettant en péril l’unité du groupe et la pérennité de ses institutions.

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1 Marshall David Sahlins, né le 27 décembre 1930 à Chicago et mort le 5 avril 2021, est un anthropologue américain, spécialiste de l’économie des sociétés primitives et préhistoriques. Il est l’auteur d’ Âge de pierre, âge d’abondance : l’économie des sociétés primitives, édité en 1972.

Jean Delay explique que « les psychotropes sont des substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle, qui ont un tropisme psychologique, c’est-à-dire qui est susceptible de modifier l’activité mentale sans préjuger du type de cette modification1 ». Autour de cette caractéristique pharmaco-chimique, des significations sociales historiquement et culturellement formées prédéterminent les interprétations conférées aux usages et dessinent les contours de leur intégration collective et individuelle. Suivant cette perspective, le potentiel thérapeutique ou de dangerosité des substances psychoactives (SPA) s’exprime indépendamment de leurs qualités pharmacochimiques.

Les SPA2 dites hallucinogènes ont toujours occupé une position sociale particulière et suscité de vifs débats dans le monde scientifique. De tous les psychotropes, elles possèdent la plus forte potentialité à modifier l’état de conscience. De plus, elles ont été historiquement et socialement caractérisées : de la diabolisation au développement de systèmes répressifs, et ce parallèlement à l’exploration de leur potentiel thérapeutique au cours de l’Antiquité, au Moyen-Âge, ou encore lors du phénomène de contre-culture des années 70.

Catégoriser une pratique ou un ensemble de pratiques comme étant « traditionnel » implique la reconnaissance d’un lien d’identité entre les individus et les groupes qui s’adonnent à ces pratiques. La tradition fonde une filiation identitaire entre ceux et celles qu’elle concerne et relie. Mais tous les individus d’un même groupe ne partagent pas les mêmes rapports avec la tradition, en particulier dans les sociétés pluralistes où cohabitent et se concurrencent plusieurs traditions et normes culturelles. Ces rapports varient intrinsèquement selon les statuts, les rôles et les représentations, de même qu’extrinsèquement en fonction des processus d’acculturation qui marquent distinctement les groupes, les individus et les pratiques.

Par sa capacité à modifier les rapports au temps et à l’espace, l’expérience traditionnelle des drogues est parfois interprétée comme un retour aux sources de la tradition. Ainsi, Marino Benzi prétend que, chez les Huichols du Mexique, l’usage rituel du peyotl « recrée l’Espace mythique et le Temps primordial, le Temps de l’origine de toute chose3 ». « La drogue leur fait prendre conscience de l’origine divine de la tradition. » En retournant à la « Demeure Divine », l’officiant chamane peut ainsi dire qu’il a « vécu la tradition ». L’ expérience des psychotropes serait même, aux dires de certains, à l’origine de l’expérience religieuse et de la naissance des religions4 .

Contraints par leur cadre contextuel, les usages traditionnels des SPA s’expliquent par leurs fonctions. Ces fonctions, déterminées par les propriétés de la substance, peuvent être regroupées en quatre grandes catégories. Il est à noter que la classification est ici uniquement heuristique et ne se veut pas exhaustive, et qu’une même substance peut remplir plusieurs fonctions et ainsi tomber systématiquement dans l’une ou l’autre de ces catégories, selon son utilisation dans son environnement.

1. Jean Delay, La psycho-physiologie humaine, 1945.

2. SPA : substance psychoactive

3. Marino Benzi, Les derniers adorateurs du peyotl, In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 60, 1971. pp. 341-343.

4. Bareau André. R. G. Wasson. Soma, Divine Mushroom of Immortality. In: Revue de l’histoire des religions, tome 177, n°2, 1970. p. 236.

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Dans les grandes lignes, les psychotropes sont utilisés traditionnellement pour leurs propriétés :

• Alimentaires ou roboratives (sucre, café, bétel, noix de kola, coca, khat, alcool, vin, tabac à chiquer, iboga, etc.).

• Médiumniques ou magico-religieuses (datura, volubilis, mandragore, peyotl, cactus San Pedro, champignons hallucinogènes, cannabis, ayahuasca, iboga, tabac, coca, etc.)

• Curatives ou médicinales (opium, tabac, pommades ou décoctions « alchimiques », peyotl, ayahuasca, etc.)

• D’agrégation ou d’adjuvant social (principalement l’alcool dans des contextes de licence festive : bacchanale, saturnales, carnaval, etc., mais également le cannabis dans certains rites /contextes de « communion » collective ou encore, de nos jours, certaines drogues de synthèse à dessein hédoniste).

Encore une fois, toutes ces catégories peuvent se combiner et permuter au sein d’un même système symbolique, alors qu’une même substance peut jouer un rôle distinct selon les contextes et les types d’usage. Les traditions d’usage sont elles-mêmes susceptibles de changer avec le temps et selon l’évolution des contextes globaux dans lesquels les usages s’inscrivent et prennent sens.

Si certains psychotropes sont utilisés pour leurs propriétés curatives, il importe toutefois de distinguer leur usage comme élément de la pharmacopée traditionnelle des usages « médiumniques » de type chamanistique. En effet, même si les rites chamaniques peuvent être réalisés à des fins « médicinales », les psychotropes ne sont généralement pas utilisés tel un remède qui guérit, mais plutôt pour accéder à la réalité surnaturelle qui explique les causes du mal et de la maladie ainsi que ses traitements possibles. Très souvent, lors de ces rituels, seul le chaman ayant accès à l’univers des esprits auxiliaires utilise le ou les psychotropes pour ses propriétés médiumniques. L’usage du psychotrope facilite alors la communication avec les sources invisibles du mal que l’on doit traiter. Il est même possible que la personne souffrante, ou par laquelle le mal se manifeste, ne soit pas présente lors de ces rites de guérison, puisque tout se déroule entre le chaman et les forces surnaturelles que lui seul saura décoder et apaiser. Les « hallucinogènes » sont dans ce contexte « des déclencheurs et des amplificateurs d’un discours latent que chaque culture tient en réserve, et dont les drogues permettent ou facilitent l’élaboration1 ». L’efficacité symbolique de la cure chamanique repose sur la capacité à fournir au malade un langage lui permettant de verbaliser à propos de son état, en vue de rétablir un parallélisme harmonieux entre les opérations du traitement et l’espace mythique des représentations.

Les psychotropes peuvent être utilisés par les chamans comme « des déclencheurs et des amplificateurs d’un discours latent ». Ils peuvent également être intégrés pour leurs vertus curatives « magico-religieuses » aux décoctions ou pommades servant au traitement des malades.

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1. Lévi-Strauss Claude, Les Champignons dans la culture. A propos d’un livre de M. R. G. Wasson : in L’Homme, 1970, tome 10 n°1, pp. 5-16.

• Le rôle du psychotrope dans le chamanisme et la magie

«Qu’elles soient nommées psychotropes, enthéogènes, ou hallucinogènes, les substances qui induisent des modifications du niveau de conscience attirent, fascinent ou terrorisent. Depuis des millénaires, elles constituent un des outils qu’utilise l’humanité pour se projeter hors des limites de son quotidien rationnel. Cet « outil », qui procure une « extase », est habituellement utilisé par ceux que l’on nomme communément des chamanes. Un des aspects distinctifs de l’extase chamanique est la phase visionnaire. Les implications et les informations procurées par une extase sont nombreuses et variées mais, qu’elles soient induites par l’absorption de produits psychoactifs ou par tout autre stimulateur, le chamane, lors de l’expansion de son champ de conscience, est confronté (entre autres) à des « visions ». Ces dernières, maîtrisées et interprétées par un chamane expérimenté, seront au service de sa communauté.

Le champ visionnaire est en outre une source de créativité extrêmement riche.

Le processus visionnaire apparaît et évolue généralement en plusieurs phases :

- phase de type phosphénique : flou et fugace

- phase de type géométrique : organisation et structuration des éléments dans l’espace

- phase de type kaléidoscopique : enrichissement, multiplication, mobilité, irradiation

- phase de type naturaliste ou fantastique : visions très réalistes de lieux, d’animaux, d’esprits, etc.

C’est cette dernière phase, la plus élaborée et la plus riche d’enseignements, que recherchent les chamanes.

L’ensemble de ces visions offre un répertoire immense de formes et, au-delà, peut donner une approche « visuelle » de concepts abstraits ou d’entités spirituelles avec lesquels les chamanes des sociétés animistes entrent en dialogue pour ré-harmoniser le monde, dialoguer avec les ancêtres, prévoir l’avenir, guérir, chasser, etc.

Dans la plupart des communautés animistes traditionnelles, peu de membres font l’expérience individuelle de la vision chamanique. Aussi, pour ceux dont la vision n’a lieu qu’à travers les récits du chamane, il est important que ces récits puissent être entendus grâce au partage d’un répertoire iconographique admis par tous. Il est donc fréquent que le chamane propose une interprétation graphique des aspects marquants et récurrents de ses visions.

La forme, l’aspect, la couleur, la valeur de tel ou tel esprit important de la nature ou du panthéon de la communauté, reproduits par le chamane, prennent donc une dimension culturelle partagée et s’inscrivent dans l’iconographie symbolique. Se crée alors un vocabulaire graphique, spécifique à chaque culture ou communauté, qui va participer à sa démarcation du groupe voisin et affirmer ainsi une identité propre. La multiplication de ces éléments graphiques et leur rappel sur les objets rituels et séculiers vont légitimer une cosmovision partagée par les membres de la communauté.

Les récits chamaniques s’enrichissent, se combinent, se complexifient et évoluent au fil du temps. Ils pourraient même, être l’une des sources fondamentales des arts.

Les artisans détenteurs du savoir sacré des communautés s’emparent de leur vocabulaire graphique, l’adaptent aux objets nécessaires à leur groupe. Un « style » est né dont les variations et les chefs d’œuvres dépendront tant du talent que de l’implication rituelle de son créateur.

Il est probable que nombre de pétroglyphes anciens que l’on trouve sur les lieux rituels et sacrés soient les témoins d’alphabets visionnaires propres à chaque communauté. Les similitudes, souvent proches, entre ces marques symboliques que l’on trouve en des lieux très éloignés, tant par l’espace que par le temps, pourraient avoir pour même origine l’interprétation graphique de visions chamaniques. L’évolution de ces symboles de base vers des motifs élaborés particuliers tient à la fabuleuse diversité imaginative de l’homme et de cet « accélérateur » créatif offert par les substances psychoactives».

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1 Texte original écrit par Pascal Lacombe à l’occasion de l’exposition «Psychotropes»

• L’extase

À la suite de Mircea Eliade, il est devenu commun d’associer le « voyage chamanique » à l’état d’extase dans lequel serait plongé le chaman au moment dudit voyage. Pour cet historien des religions, l’extase est le trait essentiel du chamanisme, la marque du sacré. Le chaman, dit-il, « est le spécialiste d’une transe, pendant laquelle son âme est censée quitter le corps pour entreprendre des ascensions célestes ou des descentes infernales1 ». Eliade reconnaît toutefois que le chaman ne détient pas le monopole de l’expérience extatique et que s’il est un « magicien », tous les magiciens ne sont pas des chamans.

Cette remarque a son importance pour notre propos dans la mesure où la prise de psychotropes est l’un des moyens permettant d’accéder à la transe chamanique. Si le recours aux psychotropes est nécessaire à la réalisation du « voyage chamanique », le chaman se doit d’en maîtriser l’usage et les effets.

La focalisation sur les états de transe et d’extase est non seulement source de confusions, mais limite la compréhension du chamanisme en tant que « fait social total ». L’ethnologue Roberte Hamayon dénonce le biais interprétatif selon lequel le « voyage chamanique » correspondrait à un état de transe ou d’extase2 . Il en découle une « association automatique » entre « état altéré de conscience » et « chamanisme ».

En réduisant le chamanisme aux « techniques archaïques de l’extase », Eliade est lui-même conscient que l’on pourra confondre le chamanisme avec d’autres phénomènes tels que la « possession ». Si le chaman peut parfois être possédé par les esprits, il ne devient jamais pour autant leur instrument. Sauf exception, le chamane exerce toujours un certain contrôle sur son « voyage » ; ce qui n’est pas le cas, par exemple, des possédés dans les cultes de possession, qui deviennent littéralement l’instrument ou le réceptacle de l’esprit ou de la divinité qui les possède.

En effet, le chamanisme a longtemps été dévalué, voire combattu, comme sous le régime soviétique et sa propagande athéiste, où il était associé à la magie, à la sorcellerie ou à d’autres formes élémentaires de la vie religieuse. L’irrationalité apparente de certaines pratiques chamaniques, tout comme l’étrangeté du chaman en tant que personnage, était expliquée à la lumière des interprétations psychopathologiques. On doit principalement à Eliade, par son association des techniques archaïques de l’extase à l’expérience mystique des religieux, d’avoir sorti le chaman et le chamanisme du paradigme de l’anormalité dans lequel ils étaient jusqu’alors relégués.

• Les psychotropes : clés du voyage chamanique

Si le chaman et le chamanisme trouvent peu à peu, la voie de la normalité, on ne peut pas en dire autant de l’usage des psychotropes. L’usage de substances psychoactives est l’une des techniques (jeûne, immobilité, automutilation, danse, musique, etc.) à la disposition du chaman pour entrer en « transe » et réaliser le voyage chamanique, mais une « technique aberrante3 » selon Eliade. L’usage de narcotiques, dit-il, « dénote plutôt la décadence d’une technique d’extase ou son extension à des populations ou des groupes sociaux “ inférieurs4 ” ». Les narcotiques ne sont, à ses yeux, « qu’un substitut vulgaire de la transe “ pure ”.

1. Mircea Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, 1951.

2. Roberte Hamayon, La Chasse à l’âme. Esquisse d’une théorie du chamanisme sibérien. In: Archives de sciences sociales des religions, n°74, 1991. pp. 253-255

3. Mircea Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, 1951, p. 383.

4. Mircea Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, 1951, p. 371.

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La prise de substance hallucinogène serait un moyen plus facile, mais surtout plus rapide de réaliser le voyage chamanique. Aussi, note Michel Perrin, dans certaines sociétés, l’aptitude à se passer de la drogue serait-elle interprétée, lorsqu’on est un grand chaman, comme le signe d’une maîtrise supérieure. Dans certaines sociétés, « le chaman confirmé n’utilisera plus l’ayahuasca, mais seulement le tabac1 ». Mais peu importe la technique utilisée, le voyage chamanique se déroule toujours selon un scénario déterminé propre à la culture d’origine des initiés.

Les cérémonies chamaniques impliquent souvent l’utilisation de substances psychoactives hallucinogènes, destinées à induire des états de conscience altérée et à faciliter les expériences spirituelles. Plusieurs raisons peuvent pousser un chaman ou un participant à utiliser ces substances :

• Accès au monde spirituel : de nombreuses cultures chamaniques croient que l’utilisation d’hallucinogènes leur permet d’accéder au monde spirituel et de communiquer avec les esprits, les ancêtres ou les êtres divins. Ces expériences peuvent les guider, les guérir et leur permettre de mieux comprendre la nature de l’existence.

• Guérison et transformation : les hallucinogènes sont souvent utilisés dans les cérémonies de guérison chamanique pour aider les individus à surmonter des problèmes physiques, émotionnels ou spirituels. Les états de conscience altérés induits par ces substances peuvent aider les individus à faire face à des traumatismes, des peurs et des blocages profondément ancrés et à s’en libérer.

• Compréhension écologique et cosmologique : les cultures chamaniques ont souvent une compréhension profonde de l’interconnexion de tous les éléments du monde naturel.

L’utilisation d’hallucinogènes peut permettre de faire l’expérience directe de cette interconnexion, ce qui renforce le sentiment de compréhension écologique et cosmologique. Il est important de noter que l’utilisation d’hallucinogènes dans les cérémonies chamaniques se fait souvent sous la direction d’un praticien expérimenté, et que les substances elles-mêmes sont souvent considérées comme sacrées et traitées avec un grand respect. En outre, l’utilisation de ces substances comporte certains risques et ne doit être entreprise qu’avec prudence et dans un cadre contrôlé.

1. M. Perrin, Le chamanisme, 1996, p 43.

• Un rêve collectif en Nouvelle - Guinée :

D’après Jacques Barrau1 , au centre de la Nouvelle-Guinée, la mastication de feuilles et d’écorces d’agara pour « provoquer des visions prémonitoires à la veille de chasse ou de guerre. Les hommes en ont ce privilège mais quelques femmes s’en seraient aussi servies pour diagnostiquer l’origine de maladies2 ». Ailleurs, note-t-il à propos d’une zingibéracée, herbe considérée comme hallucinogène, les Wantoat3 du Nord-Est de la Nouvelle-Guinée se contentent « de placer la plante et son rhizome odorant “sous l’oreiller”, ce qui suffit, pour provoquer d’agréables rêves »

Pourtant, que le rêve, en Mélanésie et certainement ailleurs, ait été associé fréquemment aux cérémonies traditionnelles et aux arts qu’elles mettaient en œuvre, de nombreux exemples le suggèrent. Un ouvrage préfacé par Malinowski énumère, parmi les rites des Mailu de la côte Sud-Est de la Nouvelle-Guinée, « the nini uiwunua garu / that is the night for the sleeping ready for dreams4 » le soir même de l’érection du poteau cérémoniel Gora, préliminaire obligé de la grande fête Govi qui s’ouvrait le lendemain. De telles « nuits de rêve collectif » sont attestées ailleurs en Mélanésie. Selon Ross Bowden5 , on l’a vu, un même terme englobait chez les Kwoma, la cérémonie et le fait de rêver. Chez leurs presque voisins les Iatmul, deux membres de l’expédition bâloise de 1972, Jürg Schmid et Christin Kocher, ont observé6 que le contact psychologiquement vital avec les Wakin ou esprits des morts s’établissait sur le plan individuel par le truchement du rêve, et accessoirement par la rencontre fortuite d’animaux de taille exceptionnelle, tandis que c’était de la cérémonie, et notamment des objets confectionnés à cette occasion, qu’il était attendu pour l’ensemble de ses participants. Le caractère nocturne, partiel ou total, de beaucoup de cérémonies mélanésiennes anciennes invite aussi à scruter leur dimension onirique, et maintes recherches récentes tendent, explicitement ou non, à les analyser en tant que « rêve collectif ».

1. Jacques Barrau. Observations et travaux récents sur les végétaux hallucinogènes de la Nouvelle-Guinée. In: Journal d’agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 9, n°3-6, Mars-avril-mai-juin 1962. pp. 245249.

2. Jacques Barrau. Usage curieux d’une Aracée de la Nouvelle-Guinée. In: Journal d’agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 4, n°7-8, Juillet-août 1957. pp. 348-349.

3. Wantoat, du nom de la rivière Wantoat, est l’une des langues Finisterre de Papoua-Nouvelle-Guinée.

4. Malinowski, Bronislaw, The Natives of Mailu: Preliminary Results of the Robert Mond Research Work in British New Guinea, 1915.

5. Ross Bowden, Art and Creativity in a New Guinea Society: The Kwoma in Cross-Cultural Perspective. 2022.

6. Coiffier Christian. Schmid Jürg & Kocher-Schmid Christin, Söhne des Krokodils, Männerhausrituale und Initiation in Yensan, Zentral-Iatmul, East Sepik Province, Papua New Guinea. In: Journal de la Société des océanistes, 102, 1996-1. pp. 125-126.

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Regard Botanique

• Regard botanique sur la prise de substances psychotropes.

• Introduction

Les plantes à propriétés psychoactives prouvent que les états de conscience chamaniques peuvent avoir une base physiologique. Mais, comme pour les percussions et la danse (ou le jeûne et la privation de sommeil), la cause n’explique ni le contenu ni l’attrait affectif de ces états. Bien qu’il existe des plantes psychotropes partout sur terre, on en fait le plus grand usage dans les nouveaux mondes comme le continent américain et certaines régions de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique. Pour les chamans, les plantes sont en réalité des maitres-esprits et, en les consommant, ils s’approprient les différentes qualités de l’esprit. Le réel que révèle alors la substance psychoactive est une réalité sociale commune à toute la communauté. La consommation d’espèces végétales psychotropes offrira alors aux membres d’une communauté la possibilité de partager un champ de vision commun.

Avant le XVIIe siècle, il n’existait en botanique ni classification ni nomenclature logique généralement acceptées. Dans les divers pays d’Europe, on connaissait les plantes sous leur nom populaire, les savants utilisant le nom latin des espèces.Vers le milieu du XVe siècle, l’invention de l’imprimerie permit la publication d’un certain nombre d’ouvrages botaniques consacrés aux plantes médicinales.

Entre 1470 et 1670, la botanique et la médecine s’affranchirent des anciens principes de Dioscoride et des autres naturalistes de l’Antiquité, qui avaient régi la science pendant près de 1600 ans.

Mais il fallut attendre le XVIIIe siècle pour que Carl von Linné, médecin et naturaliste suédois, professeur à l’université d’Uppsala, mit au point le premier système de classification scientifique et de nomenclature des plantes, dans son monumental Spicies Plantarum de 1.200 pages, publié en 1753.

Parmi les centaines de substances chimiques composant une plante, une ou deux, tout au plus une demidouzaine, sont à l’origine de ses effets psychotropes. On ne connait pas encore la fonction spéciale que ces substances occupent dans la vie de la plante et il existe plusieurs théories à ce sujet : la plupart des éléments psychotropes propres à ces végétaux contiennent de l’azote, et l’idée a été émise qu’il s’agissait peut-être de déchets du métabolisme comme l’acide urique dans les organismes animaux, déchets par lesquels est éliminé l’excédent d’azote. D’après cette théorie, toutes les plantes devraient contenir de tels composants azotés, or ce n’est pas le cas. Autrement, bien des substances psychotropes sont toxiques à haute dose : il a donc été suggéré qu’elles servaient à protéger les plantes des animaux. Cette théorie n’est pas plus convaincante, car de nombreuses espèces toxiques sont en fait consommées par des animaux insensibles à ces poisons. Nous nous trouvons donc devant l’une des énigmes non résolues de la nature.

Il existe nettement plus de plantes hallucinogènes que celles utilisées par l’homme. La flore du monde comprend environ un demi-million d’espèces, mais on n’en connait qu’une poignée utilisée comme inébriants. Rares sont les régions du globe où il n’existe pas au moins une plante psychotrope jouant un rôle important dans la vie des habitants.

• Les psychotropes communs dans les cultures mélanésiennes :

La Mélanésie est une région insulaire composite de l’océan Pacifique peuplée par de nombreuses populations. Elle abrite de nombreuses espèces végétales diverses et uniques, dont certaines ont des propriétés psychotropes stimulantes et hallucinogènes. En voici quelques exemples :

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• Le bétel (Areca catechu) implique deux plantes : une pipéracée, Piper betle, et une arécinée, l’Areca catechu. Ces deux phanérogames1 ont des caractéristiques morphologiques bien différentes. Le bétel est le nom donné à la mixture aux caractéristiques psychotropes brumeuses composée d’une noix d’arec, d’une feuille de poivrier nommé bétel et de chaux.

Le Piper betle, ou bétel, est une plante grimpante qui pousse précisément dans les endroits plantés d’arecs. C’est une liane, vraisemblablement originaire de Java, qui pousse dans les zones humides de l’Asie orientale et du Sud-Est. Cette plante aux tiges ligneuses et rampantes qui portent de nombreuses racines adventives, aux feuilles obovales et lisses et aux petites fleurs dioïques a été l’objet, de nombreuses tentatives de culture commerciale, surtout au début du XXe siècle. Les feuilles du Piper betle contiennent une huile essentielle volatile, isolée par Kemp en 1885, et qui traitée par la potasse donne un phénol antiseptique puissant connu sous le nom de « chavical ». Selon le Hitopadesha (un texte indien ancien), la feuille de bétel possède treize propriétés : elle est acide, amère, échauffante, douce, salée, astringente ; elle chasse les gaz, le phlegmon, les vers, elle dissipe la mauvaise haleine, nettoie et embellit la bouche et excite les sensations voluptueuses.

L’aréquier (Areca catechu), parfois surnommé palmier à bétel, est très commun dans les contrées méridionales de la Chine, en Indonésie et Nouvelle-Guinée. Sa tige annelée, mince et élancée peut atteindre jusqu’à 25 mètres de hauteur. Sa cime est couronnée par un panache de feuilles pennées. Les fruits sont des baies ovoïdes de la grosseur d’un œuf et jaune rouge ; ils renferment un brou fibreux et une amande qui, débarrassée de son péricarpe, constitue la noix d’arec, dure, cornée, marbrée de blanc et de brun. Le fruit non mûr est laxatif et carminatif. En revanche, très frais, il a des propriétés toxiques et produit ivresse et vertige. Les fruits secs s’emploient pour modérer la respiration. La poudre d’arec torréfiée constitue en outre un excellent dentifrice. L’arec contient environ 15 % d’une substance tannique et 14 % de matière grasse, des colorants et plusieurs alcaloïdes, en particulier l’arecolina, qui est le principe actif du masticatoire consommé.

1. Un végétal phanérogame (du grec phaneros, apparent et gamos, union) est une plante ayant des organes de reproduction apparents dans le cône ou dans la fleur.
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Préparation de la composition du masticatoire appelé bétel : feuille de bétel, morceau de noix d’arec et nappage de chaux vive. Piper betle © Wikimedia Commons

La préparation du bétel

On plie une feuille de bétel en deux. Avec les doigts, on ôte le pétiole et la nervure du milieu. Sur l’une des deux moitiés de la feuille, on étend une couche très mince de chaux, sorte de stuc généralement fabriqué avec des coquillages calcinés, puis on ajoute la noix d’arec, en plus ou moins grande quantité selon les goûts. Celleci est coupée à l’aide d’un couteau spécial en tranches extrêmement fines. Enfin, la feuille est repliée, fixée avec un clou de girofle, et la « chique » est prête.

Dans la confection de ce masticatoire, on peut ajouter du tabac et des épices telles la cannelle, le cachou, la cardamome et autres plantes aromatiques, voire du camphre. Toutefois, certains amateurs préfèrent n’incorporer ces ingrédients qu’après avoir commencé à mâcher la feuille de bétel contenant seulement la chaux et la noix d’arec.

Ajoutons que, pour broyer correctement la chique de bétel, on doit se servir uniquement des molaires. Les vieillards, ayant perdu ces dents, sont amenés à écraser, avant usage, les ingrédients constitutifs du masticatoire avec un pilon.

On désigne généralement sous le nom de « bétel » le masticatoire dont nous venons de parler. Les deux plantes intimement associées dans sa préparation sont très souvent confondues dans le langage populaire ; aussi n’estil pas rare de constater, dans les récits de voyage, que l’expression « noix de bétel » est employée pour désigner la noix d’arec1 .

• Législation autour du Bétel en France et dans le Monde

Par arrêté du ministère de l’Agriculture du 6 avril 2018, l’importation et la mise sur le marché en France de produit destinées à l’alimentation en provenance d’États membres ou de pays tiers où l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant la substance active diméthoate est autorisée en traitement sont contrôlées mais pas suspendues. L’importation et la consommation de noix d’arec se situe alors dans un flou juridique, ne l’interdisant pas mais ne l’autorisant pas non plus. Ce produit étant particulièrement rare en France et dans ses DROM, sa consommation n’est pas réellement pénalisée par le code de santé publique. En revanche, certains pays asiatiques, comme l’Inde en 2019 et Taiwan en 2020, suspendent l’importation de cette noix en provenance d’Asie du Sud-Est. La première raison serait de contrôler le marché illégal qui génère des centaines de milliers d’euros par an. Ces chiffres incluent les noix venues illégalement d’Indonésie et de Birmanie, 2 pays produisant plus de 10.000 tonnes par an. La deuxième raison de cette interdiction est simplement la volonté de réduire l’addiction de la population à ce stupéfiant. Ce stimulant est considéré comme la substance la plus addictive au monde après le tabac, l’alcool et la caféine. Certains jugent que sa consommation est le problème de santé « le plus négligé du monde », insiste le Shanghai Daily, qui avance le chiffre de 60 millions de consommateurs réguliers rien qu’en Chine. Malgré 600 millions de consommateurs dans le monde, le bétel reste légal dans nombreux pays. Seul le gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée a récemment interdit la mastication dans sa capitale, Port Moresby.

• Risques et effets secondaires de la consommation de bétel

Plusieurs études ont indiqué que la noix a des composés carcinogènes et les populations parmi lesquelles en mâcher est une activité répandue ont manifestement une plus grande prévalence des cancers de la bouche et de la gorge. Sa consommation peut également entraîner un ralentissement du rythme cardiaque, de graves lésions buccales, des blocages du tractus gastro-intestinal et des ulcères. La noix de bétel peut augmenter les sécrétions de liquide dans les poumons. Les chercheurs craignent que cela puisse aggraver les affections pulmonaires, telles que l’asthme ou emphysème.

La dose appropriée d’arec dépend de plusieurs facteurs tels que l’âge, la santé et plusieurs autres conditions de l’utilisateur. À l’heure actuelle, il n’y a pas suffisamment d’informations scientifiques pour déterminer une gamme appropriée de doses d’arec.

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1. Mercier André. L’aréca et le bétel (suite). Bulletin mensuel de la Société linnéenne de Lyon, 13e année, n°3, mars 1944. pp. 46-48

Homme machant du bétel, utilisant une spatule et une gourde à chaux. Région Massim, Mélanésie. © catalogue « Massim spatule à chaux », Galerie Meyer, 08.06.2000 au 13.07.2000.

Noix d’Arec Areca catechu © Wikimedia Commons © Wikimedia Commons Femme aux dents abimées dû à la consommation de Bétel

• Le kava (Piper methysticum)1. Le kava est une plante largement utilisée dans le Pacifique Sud pour ses effets calmants et sédatifs. Il contient des composés appelés kavalactones qui agissent sur le système nerveux central pour produire un sentiment de relaxation et de bien-être. Le kava est généralement consommé sous forme de boisson préparée à partir de la racine de la plante, et il est utilisé depuis des siècles lors de cérémonies traditionnelles et de rassemblements sociaux.

Le kava est cultivé et célébré depuis au moins 3.000 ans dans le Pacifique et son utilisation à l’état sauvage remonte certainement à bien plus longtemps. Le kava, ou Piper methysticum (du latin « poivre » et du grec latinisé « enivrant »), est une plante que l’on trouve à l’état sauvage et que l’on cultive dans de nombreuses régions du Pacifique. Il existe de nombreux noms locaux pour cette plante : on parle de « kava » (ou « kavakava ») à Tonga et aux Marquises ; il est connu sous le nom de « ’awa » à Hawaii ; « ’ava » à Samoa ; et « yaqona » à Fidji, où il est le plus important. Le kava est consommé dans toute la Polynésie, ainsi qu’au Vanuatu et dans certaines régions de Mélanésie et de Micronésie pour ses propriétés sédatives, anesthésiques et euphorisantes.

Le kava est un breuvage concocté à partir des racines de Piper methysticum. Il est d’une extraordinaire polyvalence pour les populations du Pacifique. Plante sacrée, médicinale, enivrante, les insulaires l’ont toujours utilisée comme le symbole de leur sociabilité. Les Océaniens n’ont eu de cesse de tirer la ou les vertus de la plante qui les intéressaient le plus et dont ils voulaient user. Ainsi, les usages et les modes de consommation se sont différenciés en fonction des zones géographiques, Mélanésiens, Polynésiens et Micronésiens faisant ainsi du kava le point d’ancrage culturel de leurs sociétés, pourtant bien distinctes.

Bien que cette boisson soit consommée dans des circonstances banales dans de nombreuses régions du Pacifique, elle a une fonction cérémonielle et rituelle très importante. La consommation de kava est ritualisée dans de nombreuses régions de Polynésie, mais ce sont de loin les Fidjiens qui ont porté la fonction enthéogénique du kava à son plus haut niveau. À Fidji, le yagona est utilisé par les prêtres pour induire une transe qui leur permet de communiquer avec les esprits ancestraux.

Les ingrédients actifs du kava sont appelés kavalactones. Les six principales kavalactones du kava sont la méthysticine, la dihydrométhysticine, la kavaïne, la dihydrokavaïne, la yangonine et la desméthoxyyangonine. Il s’agit de substances psychoactives qui induisent une variété d’états chez l’être humain, notamment ceux orientés vers la transcendance et les expériences extracorporelles.

Le kava est également utilisé pour ses propriétés relaxantes et euphorisantes. C’est aussi un analgésique. Il offre des formes de neuroprotection et semble atténuer les symptômes de la ménopause. Il est diurétique, antiépileptique, spasmolytique, bactéricide et antimycosique. Le Piper methysticum a récemment été réévalué comme l’une des plantes pharmaceutiques les plus importantes jamais découvertes. De nombreuses entreprises s’intéressent activement aux possibilités médicales que le kava semble receler2.

Les cultures de kava du Pacifique ont créé une quantité étonnante d’accessoires pour la fabrication, la ritualisation et la consommation de cette boisson. Il existe de superbes bols destinés à préparer et servir la boisson ; des passoires pour retirer la purée mâchée ou pilée du mélange avant la consommation ; des bols ou des tasses à usage individuel ; des plats profonds ou magnifiquement sculptés, géométriques, anthropomorphes ou zoomorphes pour les prêtres ; et bien sûr, la coque de l’omniprésente noix de coco est utilisée par tous pour servir et boire le kava.

1. Barrau Jacques. A propos du Piper methysticum, Journal d’agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 4, n°5-6, Maijuin 1957. pp. 270-273.

2. Siméoni Partricia. Le kava du Pacifique : une culture traditionnelle comme culture de rente, Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 41e année, bulletin n°1,1999. Systèmes de culture traditionnels et pratiques paysannes nouvelles en Océanie, sous la direction de Annie Walter et Alain Leplaideur. pp. 109-130.

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Piper methysticum © Wikimedia Commons

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• Son usage

La cérémonie du kava, pratiquée dans de nombreuses régions du Pacifique, a le pouvoir de rassembler et d’unifier une communauté. Pour sa préparation, la racine du Piper methysticum est pilée, broyée et mâchée, avant d’être mélangée avec de l’eau. La boisson concoctée est alors un mélange de l’élément terrestre où vivent les hommes, et l’élément céleste, l’eau, où résident les puissances créatrices en Océanie. Symbole de l’équilibre du monde, il donne la sensation à la personne qui le boit de pouvoir rentrer en communion avec les esprits et les ancêtres. Le kava est un psychotrope léger non-hallucinogène. Cette boisson, consommée depuis la nuit des temps par les populations du Pacifique, fut interdite pendant la colonisation avant de devenir une revendication culturelle après 1980. Le kava est servi dans des deminoix de coco, et le maître de cérémonie suit un ordre protocolaire précis : la première et dernière coupe sont les plus importantes, même si tous les invités seront servis pendant la cérémonie. Il est considéré comme un gage de paix par les cultures qui le consomment.

À Fidji, où le kava revêt une importance sociale et rituelle primordiale, la cérémonie du yagona se déroule en présence de l’invité d’honneur, du chef ou d’un visiteur.

La personne est assise les jambes croisées devant le grand bol de yagona à quatre pieds ou tanoa. Une corde épaisse en fibre de coco décorée de cauris blancs, appelée tui-ni-buli, attachée à la patte du bol, est pointée vers l’invité. Le maître de la cérémonie du yagona dirige la procédure. Traditionnellement, le yagona était préparé par des jeunes filles qui mâchaient les morceaux de racine pour obtenir une masse molle et pulpeuse. Une fois mélangée à l’eau, la boisson est filtrée à travers un faisceau de fibres végétales, généralement l’écorce déchiquetée de l’arbre Vau (Hibiscus tiliaceus), laissant une boisson lisse et opaque de couleur grise ou beige. Lorsque le maître de la cérémonie du yagona estime que le mélange d’eau et de purée est correct, l’échanson, avec beaucoup de cérémonies et de respect, présente à l’invité d’honneur le premier bilo (tasse en coquille de noix de coco).

Une fois que l’invité l’a vidé d’un trait, on crie « maca » (prononcé maatha), ce qui signifie « c’est vidé », et on tape des mains. Le maître de cérémonie est le premier à boire, suivi par tous les invités dans l’ordre de leur rang.

A Fidji, le yaqona est si important, que le fait de refuser la coupe ou le bilo offert, est considéré comme une insulte suprême et peut entraîner de graves conséquences.

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Making Kava, John La Farge, Samoa, 1891

• Plantes contenant de la DMT

La diméthyltryptamine (DMT) est un hallucinogène puissant que l’on trouve dans plusieurs espèces de plantes de Nouvelle-Guinée, notamment Psychotria viridis et Diplopterys cabrerana. Ces plantes sont utilisées dans les rituels chamaniques traditionnels pour induire des états de conscience altérés (EMC)1 et des expériences spirituelles.

La diméthyltryptamine, communément abrégée en DMT, est une substance psychotrope hallucinogène puissante qui existe à l’état naturel dans certaines plantes et certains animaux, ainsi que sous forme synthétique. La DMT est un composé de tryptamine chimiquement similaire à la sérotonine, un neurotransmetteur qui joue un rôle dans la régulation de l’humeur, de l’appétit et du sommeil. Le DMT est connu pour provoquer des expériences psychédéliques intenses et de courte durée qui peuvent inclure des hallucinations visuelles et auditives vives, ainsi qu’une altération de la perception du temps et de l’espace. Les effets du DMT sont généralement ressentis quelques minutes après l’ingestion et peuvent durer jusqu’à 30 minutes ou plus, selon la voie d’administration. Bien que le DMT ne soit pas considéré comme une substance addictive, elle peut constituer une drogue puissante et potentiellement dangereuse, dont l’usage est illégal dans de nombreuses régions du monde. En résumé, la substance DMT augmente l’action des neurotransmetteurs serotinergiques avec l’aide des bêtacarbolines, provoquant ainsi un état de conscience modifiée considéré comme effet hallucinogène.

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1. EMC : état de conscience modifiée. © Wikimedia Commons Diplopterys cabrerana © Wikimedia Commons

• Salvia divinorum, ou Sauge des devins, est une plante originaire du Mexique de la famille des Lamiaceae (menthe), qui a été introduite en NouvelleGuinée et dans d’autres parties du monde. Elle contient un composé psychoactif appelé salvinorine A, qui est un puissant hallucinogène. La salvia divinorum est généralement consommée en fumant ou en mâchant les feuilles, et elle peut produire des hallucinations visuelles et auditives intenses. Parmi les effets rapportés de la salvia divinorum figurent une altération de la perception de la réalité, des changements d’humeur et de perception du temps. Elle est légale dans certaines parties du monde, mais son usage est restreint dans d’autres, et elle est considérée comme une substance contrôlée de l’annexe I aux États-Unis1 .

Les premières estimations sur la consommation de cette plante publiées cette année par les autorités fédérales américaines en ont surpris plus d’un : 1,8 million de personnes y avaient déjà goûté au moins une fois dans leur vie, dont 750 000, les douze derniers mois. Chez les hommes âgés de 18 à 25 ans, qui en sont les plus gros consommateurs, près de 3 % disaient en avoir consommé au cours de l’année écoulée.

La Salvia est donc deux fois plus répandue que le LSD et presque autant que l’ecstasy. Selon des enquêtes menées récemment aux Etats-Unis, où la salvia se propage bien plus rapidement qu’en Mélanésie, où la consommation reste épisodique et rituelle, la proportion grimpe jusqu’à 7 %. La présence de la plante sur des navires de guerre et des bases militaires a suscité de telles inquiétudes sur l’état de préparation des troupes que l’Institut de pathologie des forces armées américaines a été chargé de mettre au point le premier test d’urine permettant de détecter la présence de sauge des devins : il analyse désormais cinquante échantillons par mois.

A en croire des chercheurs et des fumeurs expérimentés, les effets de cette substance connue par les vendeurs et les usagers sous le nom de Sally D ou « menthe magique » peuvent être plus ou moins puissants selon la dose absorbée, la concentration du produit, l’état d’esprit et la tolérance du consommateur. La sauge peut aussi être chiquée ou bue sous forme de décoction. Les usagers évoquent souvent un dédoublement brutal de la personnalité, comme s’ils voyageaient dans le temps. L’expérience est souvent solitaire, intérieure et parfois effrayante.

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1. Loi réglementant certaines drogues et autres substances L.C. 1996, ch. 19 aux USA. Salvia divinorum ou Sauge des devins © Wikimedia Commons

Il est important de noter que l’utilisation de plantes hallucinogènes comporte certains risques et doit être abordée avec prudence. Ces plantes peuvent produire des effets puissants et imprévisibles sur l’esprit et le corps, et elles ne devraient être utilisées que dans un cadre contrôlé et avec les conseils d’un praticien expérimenté.

• Focus sur La Nouvelle-Guinée et la Mélanésie.

En Asie du Sud-Est, et plus particulièrement en Papouasie-Nouvelle-Guinée, différentes plantes psychotropes encore mal connues sont employées. Le rhizome de maraba, une zingibéracée, est probablement consommé en Nouvelle-Guinée. Lorsqu’ils veulent provoquer des visions, les habitants de Papouasie ingèrent un mélange de feuilles provenant d’une aracée et l’écorce d’un grand arbre, l’agara. Ce mélange provoque des visions hallucinogènes pendant un état de conscience modifié (ECM).

Quelques exemples de SPA végétales consommées en Nouvelle-Guinée :

© Photo by Anthony JP Meyer, Nouvelle-Guinée, 1991

• Agara (Argyreia nervosa) : cette plante grimpante, pouvant atteindre 10 mètres de haut, contient dans ses cellules un jus laiteux semblable au latex. Les feuilles opposées, pétiolées, sont velues sur le dos et argentées. Les fleurs de couleur violette ou lavande sont placées en cymes. Leurs sépales sont couverts d’un duvet. Les fruits arrondis ressemblent à des baies et contiennent des graines lisses de couleur marron. Une capsule séminale renferme 1 à 4 grains. La plante est originaire d’Inde et d’Asie du Sud-Est, où elle est utilisée médicalement depuis longtemps. Un usage traditionnel comme enthéogène n’a pas encore été découvert. Le puissant effet psychoactif de l’Argyreia nervosa a été constaté grâce à la recherche phytochimique. Les graines contiennent 0,3 % d’alcaloïdes de l’ergot (ergotine, iso-lysergamide). Pour la plupart des psychonautes1 , l’effet produit par 4 à 5 graines peut être comparable à celui du LSD.

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1. Le « psychonautisme » est un néologisme désignant la doctrine des « navigateurs de l’âme » et leur méthode d’analyse des effets subjectifs des états modifiés de conscience. Argyreia nervosa © Wikimedia Commons

• Kaempferia L. (Kaempferia galanga) : plante utilisée en Nouvelle-Guinée pour ses propriétés hallucinogènes. Son rhizome aromatique très apprécié pour parfumer le riz est également utilisé en médecine traditionnelle comme carminatif, expectorant et aphrodisiaque. Une infusion de ses feuilles soigne les maux de gorge, les rhumatismes et les infections oculaires. En Mélanésie, la plante était ajoutée à un poison à flèches fabriqué à base d’Antiaris toxicaria. Les fleurs blanches éparses apparaissent au centre de la plante. Le rhizome de cette plante contenant une teneur importante d’alcaloïdes est utilisé par les populations locales comme psychotrope hallucinogène lors de certaines cérémonies.

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Kaempferia galanga © Wikimedia Commons

• Mytragyna (Mitragyna speciosa) : cet arbre ou arbuste pousse dans les régions marécageuses de la Nouvelle-Guinée et de Bornéo. Haut de 3 à 4 mètres, plus rarement de 12 à 16 mètres, son tronc est droit avec des branches fourchues et obliques. Les fleurs sphériques, jaune foncé, poussent sur de longues tiges dans l’aisselle des fleurs. Les graines sont alifères. Les feuilles séchées sont fumées, mâchées ou transformées en un extrait appelé kratom ou mambog. D’après certaines descriptions des propriétés pharmacologiques de ses composants actifs, le kratom agit à la fois comme un stimulant de type cocaïne et comme un dépressif de type morphine, c’est-à-dire de façon proprement paradoxale. C’est comme si l’on mâchait de la coca tout en fumant de l’opium. Quand on mâche les feuilles fraîches, l’effet stimulant se fait ressentir au bout de 5 à 10 minutes. La plante contient plusieurs alcaloïdes indoliques. Sa principale substance active, la mitragynine, ne présente quasiment pas d’effets toxiques, même à hautes doses.

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Mitragyna speciosa © Wikimedia Commons

• Magnolia Blanc (galbulimima belgraveana). Galbulimima belgraveana est un arbre de la famille des Magnolia, à feuilles persistantes avec une couronne densément compacte. Il peut atteindre une hauteur de 15 à 36 mètres. Le bol droit et cylindrique peut être exempt de branches de 10 à 25 mètres, de 30 à 50 cm de diamètre, parfois profondément cannelées ou avec des contreforts jusqu'à 3 mètres de haut et 1 mètre de large à la base. Les feuilles et l'écorce contiennent des alcaloïdes narcotiques et hallucinogènes puissants, utilisés en Nouvelle-Guinée en combinaison avec les feuilles d'une espèce de Homalomena (Araceae). L'écorce est brassée en thé et prise à l'intérieur. Elle produit une intoxication, qui est suivie d'un sommeil profond au cours duquel des visions sont ressenties.

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galbulimima belgraveana © Wikimedia Commons

Les effets hallucinogènes de certaines substances psychoactives

Quels sont les effets dits hallucinogènes ?

Les effets des substances hallucinogènes peuvent varier considérablement en fonction de la substance spécifique, du dosage et de la personne qui la consomme. Toutefois, les effets les plus courants des hallucinogènes sont les suivants :

• Altération de la perception de la réalité : les substances hallucinogènes peuvent entraîner une distorsion de la perception de l’environnement et des sens. Il peut s’agir d’hallucinations visuelles, auditives et tactiles, ainsi que de changements dans la perception du temps et de l’espace.

• Changements d’humeur : les hallucinogènes peuvent induire un large éventail d’états émotionnels, allant de l’euphorie à l’anxiété, la paranoïa et même les crises de panique.

• Changements dans les processus de pensée : les hallucinogènes peuvent modifier la façon dont les gens pensent et traitent l’information, ce qui conduit souvent à des pensées et des idées inhabituelles ou abstraites.

• Expériences spirituelles ou mystiques : certaines personnes déclarent ressentir un sentiment de connexion avec une puissance supérieure ou avec l’univers lorsqu’elles sont sous l’influence d’hallucinogènes.

• Effets physiques : en fonction de la substance et du dosage, les hallucinogènes peuvent provoquer toute une série d’effets physiques, notamment une dilatation des pupilles, une augmentation du rythme cardiaque et de la pression artérielle, des nausées et des vomissements.

Il convient de noter que les effets des substances hallucinogènes peuvent être imprévisibles et potentiellement dangereux, en particulier lorsqu’elles sont utilisées à fortes doses ou en combinaison avec d’autres drogues. Dans certains cas, les hallucinogènes peuvent entraîner des effets psychologiques durables, notamment des modifications persistantes de la perception, de l’anxiété et de la dépression.

• L’hallucination visuelle (HV)

L’hallucination visuelle (HV) est une expérience sensorielle subjective, ressemblant à une perception réelle, survenant en l’absence de stimulation externe sensorielle. Elle survient à l’état de veille, ce qui la distingue des expériences hallucinatoires liées au sommeil, hypnagogiques (liées à l’endormissement) ou hypnopompiques (au réveil) et des parasomnies comme la narcolepsie. Les hallucinations diffèrent des illusions qui correspondent à des erreurs d’interprétation d’un stimulus réel, pouvant porter sur les caractères physiques de l’objet et son identification. Cependant, leur distinction est parfois difficile, ce d’autant que les états de transition entre ces deux phénomènes sont fréquents.

On distingue ces phénomènes des troubles de la perception qui ne s’opposent pas à l’identification de l’objet, telle que macropsie et micropsie (relative à la forme et aux dimensions de l’objet), polyopie et diplopie (relatives au nombre d’images), persévérations, palinopsie (persistance ou réapparition d’une image après disparition du stimulus), ainsi que des phénomènes dits « entoptiques », tels que myodésopsies1 , photopsies, corps flottants, phénomène du fond bleu, vagues colorées ou nuages lors de la fermeture de l’œil. Ces phénomènes sont liés à une atteinte de l’œil, mais peuvent être observés lors d’atteinte de l’ensemble du système visuel et s’apparenteraient pour certains à des HV simples.

Les HV peuvent être causées par la prise de toxiques hallucinogènes dont les plus communs appartiennent à deux familles de produits : les sérotoninergiques, comme le LSD, la psilocybine et la diméthyltryptamine (DMT), et les phényl-alkalines comprenant la mescaline. Ces substances provoquent une intoxication parfois appelée « trip » au cours de laquelle se produisent des modifications sensorielles avec hallucinations et illusions, une plus grande conscience des stimuli internes, et même des pensées2

1. Les myodésopsies ou corps flottants, aussi appelés « mouches volantes » sont un trouble oculaire consistant en l’apparition dans le champ visuel de points, tâches, filaments ou toiles d’araignée de formes diverses et de couleur noire ou grise, qui se déplacent avec le mouvement des yeux.

2. Rapport SFO 2020 Société Française d’Ophtalmologie (SFO), Catherine Vignal-Clermont, Cédric Lamirel

Drogue, poison et toxicomanie

De nombreuses plantes sont toxiques. Ce n’est pas un hasard si la racine étymologique de ce mot largement utilisé par les spécialistes vient du grec toxicov (toxicon), dérivé de toçov (roxon), qui signifie « arc » mais voulait auparavant dire « flèche empoisonnée ».

Albert Hofmann1 , en se fondant sur la classification de Lewin2 , divise les drogues psychotropes en analgésiques et euphorisants (opium, cocaïne), sédatifs et tranquillisants (réserpine), hypnotiques (kawa-kawa ou kava) et hallucinogènes ou psychédéliques (peyotl, marijuana, etc.).

La plupart d’entre elles ne font que modifier l’humeur, en stimulant ou en calmant. Le dernier groupe cité provoque cependant de profonds changements au niveau des sensations, de la perception du réel (y compris de l’espace ou du temps) et de la perception du soi (allant jusqu’à la dépersonnalisation). Sans perdre connaissance, l’individu pénètre dans un monde onirique qui lui parait souvent plus réel que le monde normal. C’est parce qu’elles sont toxiques que les plantes médicinales peuvent guérir ou soulager. Le plus souvent, on prête au mot « toxique » le sens de « poison mortel ». Or, comme l’écrivait Paracelse au XVIe siècle : « Il y a du poison dans toute chose et il n’est rien sans poison. Qu’une chose devienne poison ou pas ne dépend que de la dose. La différence entre un poison, un médicament et un narcotique est une simple question de dosage3 ». L’évolution des usages de substances psychoactives caractérisées comme drogue présente parfois le modèle d’un syndrome caractérisé par la dépendance et de la déviance caractérisée par l’acte illicite appelée toxicomanie. L’inclusion de la toxicodépendance dans le large champ des addictions range cette pratique au rang de troubles du comportement (DSM IV).

Cependant, cette naturalisation pathologique de l’usage de drogues comporte des effets négatifs : elle évacue l’intentionnalité de l’usager et l’impact des variables culturelles et sociales sur le phénomène et la remplace par un sentiment profond de dépendance et de manque. L’usage de drogues constitue une adaptation du sujet à son environnement et à son état psychique. Or, c’est le contraire qui s’est produit : l’extension du concept d’addiction a non seulement permis d’étendre l’emprise de la désignation pathologique à de nombreux comportements humains (relation amoureuse, jeux, travail, sport...) mais également, d’inclure les usagers de drogues parmi la masse des dépendants et d’intégrer la dépendance, entité plurielle de la nosographie psychiatrique, dans la famille des troubles de comportements.

1. Albert Hofmann est un chimiste suisse. Il est notamment connu pour avoir découvert le LSD avec le professeur Arthur Stoll.

2. En 1924, Louis Lewin, pharmacologue allemand, décrivit et classa les psychotropes, dans leur ancien sens de drogues psychoactives qu’il qualifiait de poison de l’esprit, en cinq groupes en leur donnant des noms latins selon leurs effets. Cette classification était la première qui tenait compte des effets de ces produits : Euphorica, Phantastica, Inebriantia, Hypnotica et Excitantia.

3. Philippus Theophrastus Aureolus Bombast von Hohenheim dit Paracelse, Les plantes Magiques, vers 1530.

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• Apprentissage de la consommation

Dans un premier temps, nous pouvons considérer les usages de SPA en Nouvelle-Guinée comme un cheminement d’apprentissage et d’appropriation d’un univers symbolique. Cette appropriation graduelle fait intervenir la ritualisation, la symbolique du Bien et du Mal. Cela se produit dans une temporalité spécifique et demande de la patience. Dans un second temps, nous réfléchissons à la dimension sociale de ces pratiques intégrées dans un contexte culturel.

Pour Zinberg1 , le processus d’apprentissage renvoie principalement à 1’intériorisation des sanctions sociales, des croyances associées à l’usage.

L’apprentissage de l’usage de certaines SPA (contenants de la DMT par exemple) se présente en effet sous deux aspects co-existant. D’une part, avec la répétition de l’expérience, les usagers apprennent à se mouvoir dans « l’autre-monde », à se repérer et à ne pas se laisser happer par des moments du vécu considérés comme non-importants ou nonstructurants. C’est un apprentissage graduel de l’usage de techniques destinées à structurer le vécu qui confère une forme d’expertise aux usagers avisés. D’autre part, l’apprentissage recouvre la dimension « communication » associée à l’usage.

Les échanges entre les usagers sont nombreux. Chacun raconte en détails et partage un vécu subjectif, les visions et les émotions, le lien dynamique entre les visions et les réactions, la progression dans la compréhension de ce qui est vue et entendue. Ce partage rend possible l’intégration de vécus parfois très éprouvants et permet aux usagers de « garder les pieds sur terre », de ne pas confondre le vécu sous substances et le quotidien, de filtrer à l’aide des codes culturels disponibles la profusion symbolique, parfois anarchique, activée durant l’usage.

Ce « comprendre ensemble » participe à la création d’un consensus commun sur le statut du réel, de son contenu. Parler de soi dans sa rencontre avec l’autre monde et ses entités est un moyen permettant de ne pas se laisser enfermer dans une subjectivité « hallucinée », sans lien avec autrui, avec l’objectivité du monde, ce qui serait synonyme de folie.

1. Norman Zinberg, Drug, set, and setting, 1984.

• Le sacré et le psychotrope

L’une des notions qui revient fréquemment dans l’étude anthropologique-botanique de l’usage de psychotropes est la dimension du sacré. Le sacré, dans les sociétés traditionnelles mélanésiennes, s’incarne dans les pouvoirs attribués aux éléments naturels parmi lesquels les plantes psychotropes hallucinogènes, qui portent des messages du surnaturel1

Le sacré est une notion difficile à préciser. Depuis Durkheim2 , c’est une catégorie du lien social qui organise une administration du sacré dans des systèmes de croyances, des institutions, des groupes humains qui l’actualisent par la ritualisation. Le sacré émane de la société et permet de répondre à ses besoins de significations. Le sacré est social, il est également individuel car « chaque conscience individuelle a en elle du sacré3 ». La particularité du sacré dans la construction bipolaire des catégories d’entendement de Durkheim est qu’il s’oppose au profane. Mais Durkheim inclut dans sa conception du religieux une notion nouvelle, celle de force. « La religion n’est pas seulement un système d’idées, elle est avant tout un système de forces4 ». Pour Mauss5 , la description du sacré opposé au profane et renvoyant à l’interdit est insuffisante, le sacré est une notion ambivalente, source à la fois de crainte et de respect, car derrière l’idée de la croyance, il y a du respect, de l’amour, de la répulsion, de la crainte, des sentiments, qui se traduisent en gestes et en pensées. Le sacré devient alors pour Mauss, ce qui permet le passage de 1’individu au collectif, ce qui fait société.

1. Dobkin De Rios Marlene, Hallucinogens: Cross-Cultural Perspectives, 1984.

2. Isambert François-André. L’Élaboration de la notion de sacré dans l’« école » durkheimienne cas / The Elaboration of the Notion of the Holy among Durkheim’s Followers, Archives de sciences sociales des religions, n°42, 1976. pp. 35-56.

3. Tcherkézoff, S, Le mana, le fait « total » et l’«esprit» dans la chose donnée : marcel Mauss, les «cadeaux à Samoa» et la méthode comparative en Polynésie. Anthropologie et Sociétés, 1997.

4. E. Durkheim, Formes élémentaires de la vie religieuse, 1912

5. Marcel Mauss, sociologue français, considéré comme le père de l’anthropologie française.

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Des plantes hallucinogènes à l’origine de phénomène religieux selon R. G. Wasson.

« Dieu est une substance, une drogue »

À l’aube de l’humanité, le phénomène religieux ou spirituel a-t-il pu naître de la consommation de substances hallucinogènes végétales ?

Il y a quelque 15.000 ans dans le Nouveau Monde, des populations paléo-sibériennes franchirent le détroit de Béring, transportant avec elles l’usage de plantes psychotropes. Ces usages s’implantèrent durablement et évoluèrent en profondeur dans les cultures du continent américain. Wasson1 et ses collaborateurs ont étudié en profondeur le phénomène des substances hallucinogènes, notamment les champignons méso-américains. En nahuatl, une langue indienne du Mexique, les champignons sont nommés teo-nanácatl, littéralement « chair de(s) dieu(x) » – étonnante analogie avec le langage de l’eucharistie chrétienne : « Prenez et mangez, ceci est mon corps ». Leur consommation rituelle retrouvée par Wasson est une véritable manifestation populaire « fossilisée » de ce que l’Ancien Monde avait pratiqué depuis l’époque préhistorique et que plus tard la religion officielle a refoulé.

En écho à ces découvertes, Robert G. Wasson a émis plusieurs hypothèses qui valent toutes qu’on s’y attarde attentivement. L’Amanita muscaria pourrait être le premier hallucinogène de l’humanité, celui qui s’est répandu sous de multiples avatars, jusque finalement au vin rituel. Le vieil « adage in vino veritas » contient peut-être une vérité plus profonde qu’on ne l’imagine. Dans La Montagne magique, Thomas Mann écrit : « Mais de tout temps l’homme, avide de grands sentiments, a disposé d’un moyen de s’enivrer et de s’enthousiasmer qui lui-même est un des dons classiques de la vie, qui porte le caractère du simple et de la sainteté, un remède de grand format, si je puis dire, le vin, un présent divin aux hommes comme l’ont déjà dit les anciens peuples humanistes, l’invention philanthropique d’un dieu auquel est en quelque sorte liée la civilisation, permettezmoi de le rappeler. Car, ne dit-on pas que c’est grâce à l’art de planter la vigne et de presser le raisin que l’homme est sorti de son état de sauvagerie, a conquis la civilisation.2 »

Autrefois interprétées comme l’œuvre du surnaturel, les hallucinations provoquées par des SPA ont été étudiées sous le prisme de la neurobiologie. Jean-Pierre Changeux écrit : « Du buisson ardent aux plus récentes apparitions de la Vierge, les religions ont souvent retenu ces faits de conscience comme révélations de forces surnaturelles3 ». Les hallucinations ont, en réalité, une solide base biologique. Entre 1950 et 1980 environ, des découvertes majeures ont été réalisées. D’abord la mise au jour de la structure indolique dans les composés psychotropes. Ensuite la structure moléculaire des principes actifs des plantes hallucinogènes, qui s’avère très proche de certaines hormones du cerveau (neurotransmetteurs). Un exemple : la psilocybine, qui est présente dans une centaine de champignons hallucinogènes, dont les éponymes psilocybes, est une variante de la diméthyltryptamine (DMT), et la tryptamine (dérivé d’un acide aminé essentiel, le tryptophane) compose la base d’un neurotransmetteur : la sérotonine. Autre cas : la mescaline, proche de l’adrénaline, etc. Étonnantes parentés auxquelles s’est ajoutée la découverte des « serrures » cérébrales, en l’occurrence les neurorécepteurs avec lesquels peuvent réagir des molécules hallucinogènes des plantes, du fait de leur ressemblance structurale avec certains neurotransmetteurs. Mais qui plus est, on a découvert que le cerveau humain secrète naturellement, par exemple, de la diméthyltryptamine, une des substances hallucinogènes de l’ayahuasca (le yagé). D’où naît l’idée que des drogues existent sous forme latente dans le cerveau, drogues que les états de conscience modifiés activeraient. En outre, les chercheurs ont constaté que toutes ces substances augmentent la quantité de dopamine disponible dans le « circuit de la récompense » cérébral, d’où l’effet euphorique de ces substances.

Gottfried BENN
1. Robert Gordon Wasson est un banquier par ailleurs chercheur amateur et auteur. Ses recherches indépendantes sont une contribution significative pour l’ethnobotanique, l’ethnomycologie, la botanique et l’anthropologie. 2. Thomas Mann, Dans la montagne magique, 1924, p 615 3. Changeux J.P. , 1983. L’homme neuronal, Paris, p 198.

Plusieurs hypothèses découlent de ces découvertes. Des mutations seraient apparues chez l’homme à la suite de consommation, d’abord accidentelle, de substances psychoactives, d’où ces mythes universels de fruits qui ouvrent les portes d’un Autre Monde ou de la Connaissance Suprême. Il est très probable en tout cas que des aliments végétaux aient

Depuis la préhistoire, des contacts se sont produits entre les différentes populations, sibériennes, centre-asiatiques, proche-orientales. Plus tard, il y a eu des rencontres entre Indo-européens et Sibériens, des influences indo-iraniennes et mésopotamiennes en Asie centrale, des échanges entre la Chine et l’Orient hellénistique, etc. Il est certain qu’aucune religion n’est une création ex nihilo. Aucun contenu théologique ne fait disparaître le passé, mais se façonne par récupération, fusion, renouvellement des éléments fondamentaux antérieurs.

L’essor des grandes religions historiques, dans lesquelles les dogmes écrits fixent le surnaturel, a fait reculer les formes du chamanisme initial. Désormais des castes de prêtres se sont accaparés le rôle d’intermédiaires des dieux omnipotents. Les chefs religieux et officiants ont saisi le parti « miraculeux » qu’offraient les effets extraordinaires de certaines plantes ou champignons ; toutes ces substances produisaient une action cérébrale engendrant des comportements singuliers qui impressionnaient les autres participants non soumis à ces effets. A l’instar du chamane, le prêtre relie les deux mondes, et la communauté au divin : il devient le pontife, à savoir, selon l’étymologie des Anciens, le « faiseur de pont ». Qui ne sait d’ailleurs que le mot religion pourrait signifier « ce qui relie » ? Et la cérémonie rituelle du partage du vin unit dans une « communion » religieuse. Selon Michel Butor, on trouve chez Zola une profonde affinité entre le catholicisme et l’alcool : « L’un et l’autre produisent des ivresses, l’un et 1. »

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• Syndrome de Dionysos ou l’ivresse dionysiaque

« Moi, Dionysos, Dieu de la grappe En vérité, je vous le dis Pour se trouver, il faut se perdre Se dissoudre dans la danse, l’ivresse délirante, la musique et la transe »

Auteur Inconnu

Dopé par le dieu sauvage, l’Homme quitte sa condition et acquiert des pouvoirs. Partout où il passe, Dionysos est inextricablement lié au vin et à l’ivresse. Cette image est toutefois trompeuse. Malgré son association avec l’ivresse, Dionysos est d’abord le dieu de la possession. Incarnation même de la folie, Dionysos évoque pour ses fidèles une expérience transcendantale dont le vin n’est qu’un symbole. C’est par ailleurs un regard tardif, voire moderne, qui fait du dieu grec le simple avatar des abus des substances psychotropes.

Les origines de Dionysos font l’objet d’une profonde révision historique depuis quelques années, guidée par de nouveaux champs d’études expérimentaux reliant l’archéologie, la biochimie et la mythologie. Des auteurs comme Brian Muraresku, David Hillman et Carl Rule postulent que des drogues hallucinogènes étaient omniprésentes dans le monde à l’avènements des grandes civilisations. Ces drogues, consommées par le commun des mortels à la fois de manière récréative et médicinale, auraient joué un rôle clé dans l’écriture de la mythologie, dans son développement culturel, et même dans l’émergence des civilisations occidentales et orientales.

Si l’on accepte la prémisse selon laquelle les premières populations dépendaient bien plus de leurs connaissances botaniques pour la médecine, il n’est pas étonnant qu’elles aient établi un lien direct entre divinités, guérison et substances psychotropes. C’est d’ailleurs précisément cette triade que représente Dionysos, dont le vin est littéralement l’avatar. Boire le vin de Dionysos équivalait à devenir le dieu, et en cela, transcender la condition humaine, une idée qui deviendra par la suite fondamentale pour le christianisme naissant.

« La mère de tous les cultes toxicomanes dans l’Antiquité, le culte de Dionysos, le dieu de la vigne, était fortement imprégnée de la sombre tradition entourant les dévots frénétiques du dieu et leur mystérieuse extase rituelle1. »

Nous ne saurons jamais avec certitude quel était le mystère célébré par les bacchantes, mais l’hypothèse de la continuité shamanique et magique gagne en popularité avec l’appui de techniques d’analyses des traces chimiques. Une chose est sûre, Dionysos était, et restera, une figure métaphorique de l’attrait et du besoin des hommes pour les substances psychotropes, élevant et perturbant l’esprit, pratiques finalement essentielles dans toute civilisation.

Dans l’expérience dionysiaque, l’individu n’affirme plus sa subjectivité, et se dissout dans un tout indifférencié : le tout de la communauté humaine, le tout de la nature.

1. David Hillman, The Chemical Muse, Drug Use and the Roots of Western Civilization, 2008.

Objets rituels du Pacifique

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Un mortier à bétel représentant une figure d’ancêtre debout avec un nez exagéré et fortement recourbé. La figure masculine puissamment construite montre d’importants motifs de tatouage incisés sur la poitrine, l’arrière de la tête et les omoplates. Le bol du mortier est décoré de motifs géométriques incisés autour de l’extérieur et il y a deux petites têtes d’animaux stylisés aux extrémités. Les côtés du bol et les deux oreilles sont percés pour les ornements en fibre (un encore présent).

Lacs Murik, Région Nord du delta du fleuve Sépik, Bas Sépik à Côte Nord. PNG, Mélanésie. Bois dur avec pigment rouge, résidus de noix de bétel et fibres.

21,6 cm.

Première moitié du 20e siècle.

Anc coll. : L. Malmezat, acquis de Michael Hamson, USA.

Exp. : Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, Juin 2021 ; Modern & Tribal Masters, Galerie Meyer and Angela Berney Fine Arts, Basel Sept 2021. Honneur au Bois. Sculpteur-Sculpture, Galerie Meyer, Avril-Mai 2023, Paris.

A full figure betel nut mortar representing a free-standing ancestor figure with an exaggerated recurved nose. The powerfully built male figure shows extensive tattoo motifs incised in the chest, rear of the head and shoulder blades. The bowl of the mortar is decorated with incised geometric motifs around the outside and there are two small stylized animal heads at either extremity. The sides of the bowl and both ears are pierced for fibber ornaments (one remaining).

Murik lakes, Northern area of the Sepik River Delta, Lower Sepik to North Coast, PNG, Melanesia. Hard Wood with red pigment, betel-nut residue and fibber.

21,6 cm.

First half of the 20th century.

Ex coll. : Malmezat, acquired from Michael Hamson, USA.

Exh. : Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, June 2021 ; Modern & Tribal Masters, Galerie Meyer and Angela Berney Fine Arts, Basel Sept 2021. Honnor the Wood. Sculptor-Sculpture, Meyer Gallery, April-May 2023, Paris.

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Aire Massim, Papouaise Nouvelle-Guinée

L’univers insulaire des Massim se trouve dans la province de Milne Bay en Papouasie-NouvelleGuinée. Les spatules à chaux constituent leur forme d’art la plus courante et la plus connue. Leur production pour leur propre usage a pratiquement cessé mais ils en fabriquent encore quelques-unes à l’intention des étrangers. Aujourd’hui, la plupart des gens utilisent des couteaux en guise de spatules à chaux.

Toutefois, les habitants des îles Trobriand de haut rang préfèrent toujours utiliser les spatules traditionnelles en os de casoar, en partie parce qu’elles indiquent leur classe aristocratique.

L’univers des Massim se reflète dans leurs spatules. Les humains sont représentés sur le manche anthropomorphe des spatules. Le milieu naturel des Massim se manifeste sur les spatules dont le manche représente des animaux ou des plantes, et le monde physique qu’ils créent figure sur celles dont le manche represente des pirogues ou des rames. La structure hiérarchique de la société des îles Trobriand est exprimée par des spatules dont l’usage est réservé aux chefs.

Les spatules à chaux sont utilisées lors de la mastication des noix d’arec (mieux connues sous le nom de bétel). Dans la région massim, la mastication du bétel comprend la noix d’arec, la chaux provenant de corail brûlé et le fruit ou la feuille du bétel. La mastication du bétel réduit la faim, produit une sensation de bien-être et accroît la capacité de travail. Les raisons pour lesquelles les ingrédients de la mastication produisent ces effets ne sont pas entièrement connues. Il semblerait que l’euphorie soit causée par les propriétés nicotiniques des noix d’arec mêlées aux alcaloïdes que la chaux libère.

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Exemple de spatules à chaux de l’aire Massim, Collection British Museum. © catalogue « Massim spatule à chaux », Galerie Meyer, 08.06.2000 au 13.07.2000.

Les spatules massim ont toujours été populaires auprès des collectionneurs d’art océanien et beaucoup d’entre elles demeurent dans des collections privées. La collection présentée au cours de cette exposition constitue probablement le plus grand et le plus bel ensemble de ces objets à vendre depuis que la veuve d’Harry Beasley a cédé presque une centaine de ses spatules à la salle des ventes en Angleterre en 1975. Beasley était l’un des plus grands collectionneurs d’art océanien anglais du XIXe siècle et il a conservé sa collection pendant de nombreuses années au Cranore Ethnographical Museum de Chistlehurst, dans le Kent. Après son décès en 1939, la plus grande partie de sa collection fut donnée aux musées anglais.

L’analyse stylistique systématique de toutes les spatules dites clappers indiquerait certainement trois choses. Elle révélerait d’autres exemplaires des neuf styles avec de nombreux exemples déjà identifiés ; elle permettrait l’identification d’autres styles distincts avec de nombreux exemples, et elle permettrait le regroupement de certains styles distincts en familles de styles plus ou moins apparentés. Une telle étude montrerait probablement qu’il existe de nombreux styles différents de sculpture de clappers et que la plupart des styles distincts ne sont représentés que par un petit nombre d’exemplaires toujours existants

L’explication la plus plausible de cette diversité stylistique est que les clappers ont été fabriqués par un grand nombre de sculpteurs dont la plupart ont développé leur version personnelle du style massim. Ce fait expliquerait la grande variété de styles et le petit nombre d’exemplaires de la plupart des styles. Certains de ces sculpteurs font partie d’écoles de sculpture, ce qui explique les familles de styles apparentés (ex : le sculpteur Mutuaga).

Les comptes-rendus confirment que de nombreux sculpteurs ont fabriqué des clappers et cela dans de nombreuses parties de la région Massim, depuis les Trobriand au nord jusqu’à la région Suau au sud-ouest et à le Rossel au sud-est.

40 w

Les utilisateurs signalent que la mastication a meilleur goût si le fruit ou la feuille de bétel est inclus. Les Massim ne mélangent pas les ingrédients avant leur consommation mais les introduisent individuellement dans la bouche et broient la noix avec les dents. Si leurs dents ne peuvent plus y arriver, ils ont recours à un mortier et un pilon pour pulvériser la noix en poudre. Ils utilisent alors la spatule à chaux pour transporter la chaux du conteneur à la bouche. Ils lèchent la pointe de la lame de la spatule, la trempent dans la chaux pulvérisée, puis lèchent la chaux sur la lame.

La mastication du bétel mélangé à la salive est rouge vif et un dépôt de salive teintée de cette matière s’accumule sur la lame de la spatule si celle-ci n’est pas régulièrement nettoyée. De façon surprenante, certaines spatules dont l’âge, la patine et la qualité artistique sont évidents ne présentent pas de taches de mastication de bétel sur leur lame. Ceci est souvent dû au fait qu’elles ont été nettoyées avant ou après leur vente ainsi que le confirment les traces de nettoyage que l’on peut encore constater sur certaines d’entre elles. Dans d’autres cas, on ne distingue ni tache ni trace de nettoyage. Ces spatules ont peut-être été nettoyées longtemps avant leur vente puis conservées comme objets de valeur en les huilant régulièrement mais en cessant leur emploi dans la mastication du bétel.

Comme il a été mentionné, certains types sont réservés à l’usage des chefs et indiquent ainsi leur rang. D’autres peuvent exprimer la personnalité de leurs utilisateurs. Il existe des douzaines de modèles identifiables de spatules à chaux massim et environ 80 % des spatules traditionnelles en font partie. Les Massim utilisent euxmêmes des noms différents pour quelques-uns de ces modèles. Certains modèles sont complexes, d’autres sont simples, mais ils font tous partie d’une tradition de fabrication de spatules à chaux favorisant la création de nouveaux modèles à travers le temps et l’abandon de certains autres.

Les matières que préfèrent les Massim pour la fabrication des spatules sont l’ébène, l’écaille de tortue l’os de baleine, l’os de casoar et certains os humains. Les sculptures des spatules en ébène et en écaille de tortue sont rehaussées de chaux pour les mettre en valeur.

SPATULES ANTHROPOMORPHES

Les spatules au manche orné d’une figure humaine sont les plus nombreuses. Mais ce fait est peut-être dû à leur popularité parmi les collectionneurs sur le terrain.

Si ces collectionneurs ont eu tendance à sélectionner les spatules anthropomorphes parmi les divers modèles disponibles, leurs utilisateurs ont dû les remplacer plus souvent. Elles étaient sculptées dans de nombreux endroits de la région massim mais peutêtre tout particulièrement dans les iles Trobriand. Selon le chef Narubutau, le propriétaire d’une spatule anthropomorphe qui possédait les pouvoirs magiques appropriés pouvait convier un esprit des arbres, un tokwai, à habiter la figure qui forme le manche pour se protéger contre la sorcellerie. Que représentent en fait les figures des spatules ? II semble que personne n’ait jamais rapporté la réponse des Massim à cette question.

Peut-être les figures ne sont-elles que des réceptacles que viennent habiter les esprits des arbres. Toutefois, le chef Narubutau interprète le disque que de nombreuses figures de spatules portent sur la tête comme la perruque que portent les vieux hommes chauves. Les figures des spatules sont sculptées dans une variété de postures et une encore plus grande illustrent bien la grande variété des styles, mais les quatre spatules ornées de deux figures dos à dos le font de façon encore plus évidente. Divers degrés de stylisation produisent des styles différents, mais la complexité des figures humaines permet des styles différents même dans le même degré de stylisation.

Certaines figures sont moins stylisées et montrent des doigts et des orteils plutôt que des têtes d’oiseau sur les mains et les pieds. Généralement, les codes et les genoux des figures accroupies se rencontrent, mais ce n’est pas le cas sur un petit nombre de figures

Une spatule superbement sculptée représentant une figure portant une coiffe conique au niveau du manche. L’ancêtre est finement sculpté avec ses coudes touchant ses mains en position accroupie (position fermée du ‘ hocker’). Les membres sont joliment sculptés et décorés de symboles de coquilles. Alors que l’artiste n’a toujours pas été identifié, il est pour autant certain que ce dernier est un MaitreSculpteur de distinction.

Région de Massim Nord, PNG, Mélanésie. Bois d’Ébène.

23,1 cm. 19e siècle. Exp. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris Mai/Juin 2021 ; Modern & Tribal Masters, Galerie Meyer and Angela Berney Fine Arts, Basel Sept 2021 ; Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, Mai 2022.

A superbly carved lime-spatula, representing a single figure wearing a conical hat as the handle. The ancestor is finely carved with its elbows to knees in the classical squatting position (closed ‘hocker’ position) and the arms and legs decorated with beautifully carved scallop designs. While the artist here remains yet to be identified it is absolutely certain that a MasterCarver of distinction carved this spatula.

Northern ( ?) Massim Area, PNG. Ebony wood.

23,1 cm. 19th century. Exh. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris May/Jun 2021 ; Modern & Tribal Masters, Galerie Meyer and Angela Berney Fine Arts, Basel Sept 2021 ; Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, May 2022.

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Une spatule ornée d’une figure aux membres écartés, sculptée dans un style très idiosyncratique. Les membres sont triangulaires vus en coupe transversale, les mains sont sur les joues, les orteils reposent sur le devant et les côtés de la plateforme. Il est possible que le zigzag autour de la taille de la figure représente une ceinture.

Région Massim, Sud Est de la Nouvelle-Guinée, PNG, Mélanésie. Ébène avec une belle patine d’âge et d’usage.

27,6 cm.

Fin du 19e ou début du 20e siècle.

Anc coll.: Michael Ball ; acquis auprès de Maurice Joy en 1986 à Londres.

Les personnages aux membres écartés des spatules à chaux rappellent les figures de même forme situées au centre supérieur des brise-lames de pirogue de l’Ile Dobu. Ces figures, lorsqu’elles sont pourvues de leurs pouvoirs magiques, protègent les pirogues au cours de leurs voyages.

Pub.: SPATULES – MASSIM - SPATULAS. Exposition 20e anniversaire. Galerie Meyer, Paris 2000, N° 17, p. 26/27.

Exp. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris Mai/Juin 2021 ; Paris Tribal, Galerie Meyer, Paris Mars 2022

; Modern & Tribal Masters, Galerie Meyer and Angela Berney Fine Arts, Basel Sept 2021 ; Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, Mai 2022.

A spatula with a figure showing splayed limbs carved in a highly idiosyncratic style. The limbs are triangular in crosssection, the hands are on the cheeks, the toes on the front and sides of the platform. The zigzag around the figure’s waist may represent a belt.

Massim Region, South East New Guinea, PNG, Melanesia. Ebony wood with a fine patina of age and use. 27,6 cm.

Late 19th or early 20th century.

Ex coll.: Michael Ball ; purchased from Maurice Joy, London in 1986.

The splayed figures of lime spatulas are reminiscent of the splayed figures at top center of canoe splashboards from Dobu Island. These figures, s upplied w ith t he r ight m agic, protect canoes on their voyages.

Pub.: SPATULES – MASSIM - SPATULAS. 20th Anniversary Exhibition. Galerie Meyer, Paris 2000, N° 17, p. 26/27.

Exh. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris

May/Jun 2021 ; Paris Tribal, Galerie Meyer, Paris March 2022

; Modern & Tribal Masters, Galerie Meyer and Angela Berney

Fine Arts, Basel Sept 2021 ; Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, May 2022.

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Spatule à chaux très belle et rare dont le manche est composé d’une figure d’ancêtre (assis en position de hocker fermée) comme une poignée. Les épaules et les hanches sont ornées de volutes incisées et la colonne vertébrale est ornée d’un double motif festonné. Les deux motifs de sablier profondément incisés rappellent le style caractéristique du maître sculpteur responsable de l’ornementation d’un petit groupe de spatules à décor festonné de la région. Région Massim, PNG, Mélanésie. Bois de quila avec une superbe patine brillante d’âge et d’usage.

24,3 x 2,6 x 2,7 cm.

19e siècle.

Ex Yann Ferrandin, Paris ; Ex Guy et Nathalie Porré.

Exp. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris Mai/Juin 2021 ; Modern & Tribal Masters, Galerie

Meyer and Angela Berney Fine Arts, Basel Sept 2021

; Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, Mai 2022.

A very slim lime spatula whose handle represents an ancestor’s figure (sitting in a closed hocker position) s the handle. The shoulders and the hips are ornamented with incised volutes and the spine is decorated of a double scalloped motif. The two, deeply incised hourglass motifs remind the sculptor’s signature style. He is the author of a small group of scalloped spatulas of the same region.

Massim Region, PNG, Melanesia. Quilla wood with a superb patina of brilliant age and use.

24,5 x 2,6 x 2,7 cm.

19th century.

Ex Yann Ferrandin, Paris ; ex Guy et Nathalie Porré.

Exh. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris May/Jun 2021 ; Modern & Tribal Masters, Galerie

Meyer and Angela Berney Fine Arts, Basel Sept 2021

; Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, May 2022.

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Une spatule de forme asymétrique décorée de nombreuses volutes. Les éléments de ce modèle de manche semblent avoir une certaine ressemblance avec ceux des spatules tanagega et cette prèce peut en constituer une version très idiosyncratique. On peut identifier cinq têtes d’oiseau de chaque coté.

Probablement utilisée et nettoyée.

Massim, PNG, Mélanésie.

33,2 x 4,5 x 1 cm.

Fin du 19e ou début du 20e siècle.

Anc coll. : Michael Ball, N° M°76 (inscrit à la peinture blanche) ; achetée à Maurice Joy en 1986.

Pub.: SPATULES – MASSIM - SPATULAS. 20th Anniversary Exhibition. Galerie Meyer, Paris 2000, N°

63, p. 62/63. Exp. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris Mai/Juin 2021 ; Modern & Tribal Masters, Galerie

Meyer and Angela Berney Fine Arts, Basel Sept 2021 ; Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, Mai 2022.

A richly scrolled spatula of asymmetrical design. The components of the design of the handle seem to bear some resemblance to tanagega spatulas and this may be a highly idiosyncratic version of them. Five bird heads can be identified on each side. Probably used and cleaned.

Massim, PNG, Melanesia.

33,2 x 4,5 x 1 cm.

Late 19th or early 20th century.

Ex coll. : Michael Ball, N° M°76 (in white paint) ; purchased from Maurice Joy in 1986.

Pub.: SPATULES – MASSIM - SPATULAS. 20th Anniversary Exhibition. Galerie Meyer, Paris 2000, N°

63, p. 62/63. Exh. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris May/Jun 2021 ; Modern & Tribal Masters, Galerie

Meyer and Angela Berney Fine Arts, Basel Sept 2021 ; Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, May 2022

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Une spatule ornée d’une figure superbement stylisée accroupie sur ses pieds. Le corps de la figure est entièrement constitué de ses membres à sculpture dynamique. Les bras sont sculptés en forme d’oiseau, les jambes aussi en forme d’animal, peut-être un oiseau à l’envers. Les supports comprennent deux têtes d’oiseaux stylisées. Taches de salive de bétel sur la lame.

Massim, PNG, Mélanésie.

30 cm.

19e siècle.

Anc. Coll. : Michael Ball ; achetée à Marice Joy en 1986. Reproduite chez Beran (1988, Planche 4).

Exp. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris Mai/Juin 2021 ; Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, Mai 2022.

Pub. : SPATULES – MASSIM – SPATULAS. Exposition 20e anniversaire. Galerie Meyer, Paris 2000, N° 14, p. 24/25.

A spatula with a superbly stylised figure squatting on its feet. The body of the figure consists entirely of its dynamically carved limbs. The arms are carved as a bird ; the legs also as an animal, possibly a bird, upside down. The brackets include two stylised bird heads. Betelnut saliva stains on the blade.

Massim, PNG, Melanesia.

30 cm.

19th century.

Ex coll. : Michael Ball ; purchased from Maurice Joy in 1986.

Exh. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris May/Jun 2021 ; Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, Mai 2022.

Pub. : SPATULES – MASSIM – SPATULAS.

20th Anni- versary Exhibition. Galerie Meyer, Paris 2000, N° 14, p. 24/25.

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Une spatule en forme de faux « clapper » avec une représentation masculine. Une crête perforée s'étend entre les yeux et la bouche. Les crochets présentent un motif semblable à celui du visage sculpté sur la tête de la plupart des « clapper ».

Région Massim, PNG Sud-Est, Mélanésie. Bois d'ébène avec rehauts de chaux. 24,1 cm.

19e siècle.

Anc coll. : Philippe Bourgoin.

Exp. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris Mai/Juin 2021 ; Bourgogne Tribal

Show, Galerie Meyer, Mai 2022.

Pub. : SPATULES - MASSIM - SPATULES. Exposition du 20e anniversaire. Galerie Meyer, Paris 2000, N° 38, p. 44/45.

A false clapper with a clearly carved head. A perforated ridge runs from between the eyes to the mouth. The rest of the handle is decorated with two rows of interlocking scrolls on one side and a rare guilloche scroll on the other. The brackets show a face-like motif on both sides which is similar to the face carved on the head of most clappers. Massim Region, South East PNG, Melanesia. Ebony wood with lime infill.

24,1 cm.

19th century.

Ex coll. : Philippe Bourgoin.

Exh. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris May/Jun 2021 ; Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, Mai 2022.

Pub. : SPATULES – MASSIM - SPATULAS. 20th Anniversary Exhibition. Galerie Meyer, Paris 2000, N° 38, p. 44/45.

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Une spatule élaborée avec une poignée en forme de boucle. La poignée est recouverte de spirales imbriquées. L’ornement sommital est déficient.

Région Massim, Sud-Est PNG, Mélanésie. Bois d’ébène avec remplissage de chaux.

69,1 cm.

19e siècle.

Exp. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris Mai/Juin 2021 ; Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, Mai 2022.

Ill. : Catalogue de Norman Hurst Art of New Guinea, article 20.

Pub. : SPATULES – MASSIM – SPATULAS. Exposition 20e anniversaire. Galerie Meyer, Paris 2000, N° 57, p. 58/59.

D’autres spatules longues avec des poignées en forme de boucle dans le même style que la pièce actuelle sont dans la collection Harry Beran et le Royal Scottish Museum, Edinbourg, (N° 1896.87) et un troisième est publié dans la catalogue de W.D. Webster 16, article 100, et le catalogue 26, article 149.

A fine spatula with a loop-shaped handle. The handle is covered in interlocking scrolls. Its finial is deficient. Massim Region, South East PNG, Melanesia. Ebony wood with lime infill.

69,1 cm.

19th century.

Exp. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris May/Juin 2021 ; Bourgogne Tribal Show, Galerie Meyer, May 2022.

Ill. : Norman Hurst’s catalogue Art of New Guinea, Item 20.

Pub. : N° 57 SPATULES – MASSIM - SPATULAS. 20th Anniversary Exhibition. Galerie Meyer, Paris 2000, N°

57, p. 58/59.

Other long spatulas with looped-shaped handles in the same style as the present piece are in the Harry Beran collection and the Royal Scottish Museum, Edinburgh, (Nº 1896.87) and a third is published in W.D. Webster’s catalogue 16, Item 100, and catalogue 26, Item 149.

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Les sculptures en écaille de tortue surmontées d'un croissant étaient utilisées comme spatules à chaux et comme manches pour les disques en coquillage qui étaient attachés au bord du croissant. Les spatules étaient prisées en elles-mêmes mais étaient rendues encore plus précieuses par l'ajout des disques en coquillage. Lorsqu'elles étaient décorées de cette façon, elles permettaient d'acheter un terrain, une femme ou de payer pour une fête. Selon Deborra Battaglia, lorsqu'elles étaient tenues avec la lame dirigée vers le bas, elles pouvaient symboliser une personne, et vers le haut, une pirogue. Dans ce dernier cas, le croissant représente la coque de la pirogue, la lame, son mât, et les disques en coquillage, les îles parmi lesquelles la pirogue se déplace. La plupart des spatules étaient fabriquées sur l'île Sud-est de l'archipel Louisiade jusqu'à ce que leur production cesse dans les années 60, mais elles se sont réparties dans tout l'archipel. Seulement quelques-unes ont atteint les îles Trobriand.

La plupart des spatules en écaille de tortue surmontées d'un croissant fabriquées au XIXe siècle présentent deux têtes d'oiseau dos à dos aux becs plus ou moins horizontaux au sommet de la lame. Ces têtes d'oiseau suivent le bord inférieur du croissant. Les spatules plus anciennes se distinguent également par un travail plus fin et des entrelacées plus serrés sur la partie inférieure du croissant.

Beaucoup de spatules du XXe siècle sont ornées de deux têtes d'oiseau dont les cous tournent à 180° lorsqu'ils émergent du sommet de la lame et se rattachent sur ses côtés. La bande de volutes gravées sur la partie inférieure du croissant a tendance à être plus simple sur des spatules plus récentes. De nombreuses spatules présentent une abondance de têtes d'oiseau sculptées aux deux extrémités du croissant.

Les spatules à chaux en forme de gobaela, sont des sceptres-présentoirs de richesses, en l’occurrence des mbwagi (monnaie de disque de coquillage découpés dans le Spondylus rouge). La forme du gabaela fait de nombreuses références aux origines de la population massim de l’archipel des Louisiades. Lorsque sa lame est tournée vers le bas, il évoque de manière stylisée un être anthropomorphique masculin, on peut également y voir la représentation schématique des organes reproducteurs masculins et féminins. En position verticale, on peut la comparer à un phallus en érection ou à la pirogue mythologique, à mat unique, qui transporta leurs ancêtres de la terre à leur lieu de résidence actuel. Ces spatules à chaux sont uniques et sont sculptées en bois, en os de baleine ou en écaille de tortue.

Spatule à chaux en forme de gobaela

Une belle spatule en écaille surmontée d’un croissant. Deux têtes d’oiseaux dos à dos à becs horizontaux. De nombreuses autres têtes d’oiseaux et deux bandes de volutes parallèles. Taches de bétel salivaire sur la lame. 22,8 x 13,5 cm.

Probablement XIXe siècle. Archipel des Louisiades, Aire Massim, PNG, Mélanésie

Collecté sur le terrain en 1987-1990 par Harry Beran et Anthony JP Meyer.

Exp. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris Mai/Juin 2021.

A beautiful tortoiseshell spatula topped with a crescent. Two back-to-back bird heads with horizontal beaks. Numerous other bird heads and two bands of parallel scrolls. Betel saliva stains on the blade. 22.8 x 13.5 cm.

Probably 19th century. Louisiades Archipelago, Massim Area, PNG, Melanesia

Collected in the field in 1987-1990 by Harry Beran and Anthony JP Meyer.

Exh. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris May/Jun 2021.

© Photo by Anthony JP Meyer, Nouvelle-Guinée, 1991

Une belle spatule en écaille de tortue surmontée d’un croissant. Deux têtes d’oiseau dos à dos aux becs horizontaux sont sculptées sous le croissant. De nombreuses autres têtes d’oiseau émergent de ses extrémités et à l’intérieur de la courbure du croissant et une bande centrale d’ècailles de crocodile y est gravée sur toute la longueur du croissant. La bordure supérieure de l’objet est percée de multitudes de points accueillant initialement des disques de spondyle rouge, petit coquillage du type sulava. Les spatules étaient précieuses en elles-mêmes, mais elles ont été rendues plus précieuses par les disques de coquille. Dotés de disques, ils pourraient être utilisés pour acheter des terres, comme monnaie de mariage, ou pour payer une cérémonie.

Archipel des Louisiades, Région Massim, PNG, Mélanésie. Écaille de tortue.

25,5 x 14,5 x 0,2 cm max. 19e ou début du 20e siècle.

Collecté sur le terrain en 1987-1990 par Harry Beran et Anthony JP Meyer.

Exp. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris Mai/Juin 2021.

A fine turtle shell spatula with a crescentic top. Two backto-back bird heads with horizontal beaks are carved under the crescent. Numerous further bird heads emerge from its ends and along the inner curve of the crescent and a band of crocodile scales are carved all along its length. Turtle shell carvings with crescentic tops were used as lime spatulas and as gobaela, or handles for shell discs, which were tied to the crescents rim. The spatulas were valuable in their own right, but were made more valuable by the shell discs. Endowed with shell discs they could be used to buy land, as bride price, or to pay for a feast.

Louisiade Archipelago, Massim Region, PNG, Melanesia. Turtle shell. 25,5 x 14,5 x 0,2 cm max. 19th or early 20th century.

Collected in the field in 1987-1990 by Harry Beran and Anthony JP Meyer.

Exh. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris May/Jun 2021.

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Une belle spatule en écaille de tortue surmontée d’un croissant. Deux têtes d’oiseaux émergent du sommet de la lame et s’y rattachent. D’autres têtes d’oiseau émergent des extrémités du croissant. Le croissant est décoré d’une délicate bande de volutes. 27.6 x 16.8 cm. Début du XIXe siècle. Archipel des Louisiades, Aire Massim, PNG, Mélanésie.

Exp. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris Mai/Juin 2021.

A beautiful turtle shell spatula topped with a crescent. Two bird heads emerge from the top from the top of the blade. Other bird heads emerge from the ends of the crescent. The crescent is decorated with a delicate band of scrolls. 27.6 x 16.8 cm. Early 19th century. Louisiades Archipelago, Massim Area, PNG, Melanesia.

Exh. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris May/Jun 2021.

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Une belle et rare spatule en écaille de tortue sur-montée d’un croissant. La spatule est de forme classique, mais est dépourvue de têtes d’oiseau ; elle est par contre décorée de volutes d’une façon quasi-unique. Sa patine montre qu’elle était ancienne au moment de sa collecte, mais cette date est inconnue. Taches de salive de bétel sur la lame. 29.5 x 17.3 cm. Probablement XIXe ou début du XXe siècle. Archipel Louisiades, Aire Massim, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Mélanésie. Exp: SPATULES - MASSIM - SPATULES. Exposition du 20e anniversaire. Galerie Meyer, Paris 2000

A beautiful and rare turtle shell spatula topped with a crescent. The spatula is classic in shape, but lacks the bird’s heads; it is, however, decorated with scrolls in an almost unique manner. Its patina shows that it was old when collected, but the date is unknown. Saliva-betel stains on the blade. 29.5 x 17.3 cm. Probably 19th or early 20th century.

Louisiades Archipelago, Massim Area, Papua New Guinea, Melanesia. Exh: SPATULES – MASSIM - SPATULAS. 20th Anniversary Exhibition. Galerie Meyer, Paris 2000

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Rare mortier à noix de bétel finement sculpté d'une tête humaine inversée en guise de fleuron. Le visage triangulaire a un menton pointu et une bouche légèrement gravée. Une bande de gravure en spirale entoure la bouche du mortier. Ces mortiers étaient utilisés par les personnes qui avaient des difficultés à mâcher la dure noix d'arec du palmier à bétel. Le mortier servait à écraser la noix en une pâte et à la mélanger à la chaux et à la feuille de poivre, ce qui faisait de la noix de bétel un narcotique à mâcher utilisé en Mélanésie et en Asie du Sud-Est. Le mortier n'était pas seulement utilisé comme un objet fonctionnel, il avait aussi des propriétés magiques et pouvait être utilisé comme palette pour appliquer de la peinture faciale. Région nord Massim, PapouasieNouvelle-Guinée.

Bois d'ébène.

10 cm.

19e siècle.

Ex Taylor Dale, Santa Fé, USA.

A rare and finely minute betel nut mortar carved with an inverted human head as the finial. The triangular face has a pointed chin and lightly engraved mouth. A band of spiral carving surrounds the mortars mouth. These mortars were used by people who had difficulty chewing the hard areca nut of the betel palm. The mortar was used to crush the nut into a paste and mix it with the lime and pepper leaf – making be- telnut a narcotic chew used in Melanesia and South East Asia. The mortar was not only used as a functional item but had magical properties as well and could be used as a palette when applying facial paint.

Northern (?) Massim Area, Papua New Guinea.

Ebony wood

10 cm.

19th century.

Ex Taylor Dale, Santa Fé, USA.

Mortier à bétel, sculptée d’une représentation anthropomorphe, ceinture géométrique. Région Massim, PNG, Mélanésie.

20,3 x 6 cm.

Betel-nut mortar, carved with an anthropomorphic representation, geometric belt. Massim region, PNG, Melanesia.

20.3 x 6 cm.

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Un plat lenticulaire sur un trépied ou sedre ni waiwai pour l’huile de coco sanctifiée prise et frottée sur le corps du prêtre avant la cérémonie de communication avec les ancêtres et l’exécution des rituels. La grande poignée en forme de croissant est sculptée avec une forme rare de motifs triangulaires répétitifs rappelant les dents de requin. Les quatre liens à section carrée qui attachent la poignée au bol étaient à l’origine six, mais deux ont été coupés dans les temps anciens pour des raisons inconnues.

Îles Fidji, Polynésie. Bois de Vesi (Intsiabijuga) avec une belle patine huileuse d’âge et d’utilisation. 56,9 x 30 x 8,6 cm. XIXe siècle.

Ex coll. : Carlo Monzino & Haralabos Melenos, Castagnola, Suisse. Inv. N° 181/4. Vendu chez Sotheby’s Paris, le 30 septembre 2002, Art africain, océanique et précolombien - les collections Jacob Epstein et Carlo Monzino, lot 97.

A tripod, lenticular, flat, priestly oil-dish sedre ni waiwai which contained sanctified coconut oil taken and rubbed on the priest’s body prior to the ceremony of communing with the ancestors and performing rituals. The large crescent-form handle is carved with a rare form of repetitive triangular motifs reminiscent of shark teeth. The four, square sectioned struts which attaches the handle to the bowl were originally six, however two were obviously cut away in olden times for unknown reasons.

Fiji Islands, Polynesia. Vesi wood (Intsiabijuga) with a fine oily patina of age and use. 56,9 x 30 x 8,6 cm. 19th century.

Ex coll. : Carlo Monzino & Haralabos Melenos, Castagnola, Switzerland. Inv. N° 181/4. Acquired Sotheby’s Paris, September 30, 2002, African, Oceanic and Pre-Columbian Art - the Jacob Epstein and Carlo Monzino collections, lot 97.

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Un plat à kava rituel sur un piédestal ou ibuburaunibete. Ce plat a été utilisé pour contenir le kava sacré ou yaqona que les grands-prêtres sirotaient à travers une paille afin d’entrer en transe avant d’officier. L’état altéré de transe permet au prêtre de communiquer avec les grands esprits et les ancêtres. Le plateau, extrêmement plat, rond et bordé est soutenu par deux colonnes à section carré verticales reposant sur une base circulaire ajourée. Le kava (Pipermethysticum) ou yaqona comme on l’appelle aux Fidji, est la racine d’un poivrier, séché et mâché ou martelé sous forme de pâte ou de poudre. Il est mélangé à de l’eau pour créer une boisson apaisante, relaxante et légèrement enivrante qui est servie à partir d’un bol commun dans des tasses en noix de coco. Les bols Fidji, de formes précoloniales, utilisés pour le mélange et le service étaient connus aux Fidji sous le nom de daveniyaqona ou ibuburau et plus particulièrement ibuburaunibete (plats de prêtre) comme celui présenté ici. Ceux-ci étaient très peu profonds et comme on peut le voir dans la gravure, ils ont été sculptés sous diverses formes et formats anthropomorphes à géométriques. Ces bols rituels de prêtre peu profonds, contraignaient l’officiant à boire le kava/yaqona en position prostrée et en le sirotant bruyamment du bord du plat, soit directement avec ses lèvres, soit à l’aide une paille. Cette méthode aérait soi-disant le kava lui donnant peut-être plus de puissance. Il est rapporté qu’un grand plat similaire à celui présenté ici servait aux prêtres à presser la pulpe du kava lors de rituels annonçant la guerre. Fidji, Polynésie. Bois de Vesi (Intsiabijuga) avec une belle patine d’âge et d’utilisation (ancienne cassure réparée et une petite restauration au bord). 18e/19e siècle. Ø 42 cm x 16 cm.

Ex coll. : John Hewett, Bog Farm, GB, Maurice Braham, London, GB, Sir Alister McAl-pine, Lord of Westgreen, GB, Inv. N° M2272. Vendu chez Christie’s, Paris, 14 juin 2004, lot 66.

Voir un exemplaire similaire dans le Museum of Anthropology, The University of British Columbia, Vancouver, Canada, Inv. N° C498. Exp: Rond / Round, objets ronds d’Océanie. Galerie Meyer, Paris, 2022.

A ritual kava dish on pedestal or ibuburaunibete. This dish was used to hold the sacred kava or yaqona that high priests would sip through a straw before entering a trance and then officiating. The altered state of trance allowed the priest to communicate with great spirits and ancestors. The top is extremely flat, round and edged and supported by two vertical square section columns resting on an openwork circular base.

Kava (Pipermethys-ticum) or yaqona as it is known in Fiji, is the root of a pepper plant, dried and chewed or pounded into a paste or powder form, mixed with water to create a soothing, relaxing and slightly intoxicating drink that is served from a communal bowl in coconut cups. The pre-colonial forms of Fijian bowls then used for mixing and serving were known in Fiji as daveniyaqona or ibuburau and more specifically ibuburaunibete (priest’s dishes) like the one shown here. These were very shallow and as can be seen in the engraving, they were carved in various shapes and sizes from anthropomorphic forms to geometric patterns. Shallow ritual priest bowls only allowed the celebrant to drink kava/ yaqona in a prostrate position and sipping it noisily from the rim of the dish, either with the lips or through a straw. This method supposedly aerates the kava possibly giving it more potency. A large dish similar to the one shown here is reported to have been used by priests to squeeze the pulp from kava during rituals announcing war.

Fiji, Polynesia. Vesi wood (Intsiabijuga) with a beautiful patina of age and use (an old break repaired and a small section of the edge restored). 18th/19th century. Ø 42 cm x 16 cm. See a similar example in the Museum of Anthropology, The University of British Columbia, Vancouver, Canada, Inv. N° C498.

Ex coll. : John Hewett, Bog Farm, GB, Maurice Braham, London, GB, Sir Alister McAlpine, Lord of Westgreen, GB, Inv. N° M2272. Sold at Christie’s, Paris, June 14th 2004, lot 66.

Exh: Rond / Round, objets ronds d’Océanie. Meyer Gallery, Paris, 2022.

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Plat à l’huile sacerdotale ou sedre ni waiwai utilisé pour contenir l’huile de noix de coco sanctifiée prise et frottée sur le corps du prêtre avant la cérémonie de communion avec les ancêtres et l’exécution des rituels. La poignée, de forme géométrique avec entretoises intérieures, se lie aux deux pieds arrières et coniques du plat sur la face inférieure avec deux crêtes surélevées. Le bord extérieur du plat est magnifiquement décoré d’un motif denté fortement sculpté. Fidji, Polynésie. Bois de Vesi (Intsia bijuga) avec une belle patine huileuse d’âge et d’utilisation. 39 x 33 x 4,3 cm XIXe siècle. Provenance : George Henry Bertram Bulmer (1902-1993) de la maison « Little Breinton », Breinton, Hereford, Royaume-Uni. Il fut directeur de Bulmer’s Cider Co. et le fils d’Edward (Fred) Bulmer. Voir des exemples similaires dessinés par Constance Gordon Cumming dans les années 1880.

A tripod, lenticular, flat, priestly oil-dish or sedre ni waiwai used to hold the sanctified coconut oil taken and rubbed on the priest’s body prior to the ceremony of communing with the ancestors and performing rituals. The handle, of geometric form with inner struts, links to the rear feet of the dish on the underside with twin raised ridges. The outer rim of the dish is beautifully decorated with a strongly carved dentate motif. Fiji Islands, Polynesia. Vesi wood (Intsia bijuga) with a fine oily patina of age and use. 39 x 33 x 4,3 cm. 19th century. Provenance : George Henry Bertram Bulmer (1902-1993) of «Little Breinton» house, Breinton, Hereford, UK. Director of Bulmer’s Cider Co. and son of Edward (Fred) Bulmer. See similar examples drawn by Constance Gordon Cumming in the 1880’s.

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Une superbe et très rare forme de plat à l’huile sacré ou sedre ni waiwai. Cet exemple est du format en croissant également décrit comme « aile delta ». Ce plat représente probablement une forme de pirogue stylisée ou peut-être un oiseau stylisé à ailes ouvertes. L’huile de noix de coco parfumée sacrée, ou waiwai, était utilisée pour oindre les corps des chefs et des prêtres pour les cérémonies et les occasions de dévotion. Le plat repose sur trois courts pieds cylindriques, le pied de devant incorporant une boucle de suspension. La signification culturelle du bois dit vesi est diverse et est ancrée dans de nombreuses expressions et croyances culturelles fidjiennes. L’arbre lui-même était sacré chez les Fidjiens, et sa dureté et sa nature apparemment indestructible incarnaient des qualités humaines admirées. L’arbre a été utilisé comme poteau principal pour soutenir les temples traditionnels et les bures (maisons traditionnelles), pour construire le drua ou waqa tabu (pirogue sacrée) réservé uniquement aux personnes de naissance noble, et pour fabriquer le gong traditionnel (lali) utilisé pour annoncer des événements importants et bien sûr pour fabriquer les plats et ustensiles sacrés. Fidji, Polynésie. Bois de Vesi (Intsia bijuga) avec une superbe patine brillante et des traces d’utilisation. 38 cm. XVIIIe/XIXe siècle. Provenance : George Henry Bertram Bulmer (1902-1993), Hereford, UK, directeur de Bulmer’s Cider Co. et fils de Edward Bulmer. Voir un exemple très similaire dans le Wood Museum of Archaeology and Anthropology, University of Cambridge : 1931.213, collecté par Alfred Maudslay, 1875 - 80.

A superb and very rare form of sacred priestly oil-dish or sedre ni waiwai. This example is of the rare crescent format also described as « delta winged ». It probably represents a stylized canoe form or possibly a stylized open-winged bird. The sacred perfumed coconut oil, or waiwai was used to anoint the bodies of the chiefs and priest for ceremonial and devotional occasions. The dish sits on three short cylindrical feet, the front one with a incorporating a suspension loop. The cultural significance of vesi is diverse and is embedded in many Fijian cultural expressions and beliefs. The tree itself was sacred among ancient Fijians, and its hardness and seemingly indestructible nature embodied admired human qualities. The tree was used as the main pole to hold up traditional temples and chiefly bures (traditional houses), to build the drua or waqa tabu (sacred canoe) reserved only for those of noble birth, and to make the traditional gong (lali) used to announce important events. Fiji, Polynesia. Vesi wood (Intsia bijuga) with a superbe glossy patina and traces of wear and usage. 38 cm. 18th/19th century. Provenance : George Henry Bertram Bulmer (1902-1993) of «Little Breinton» house, Breinton, Hereford, UK, the director of Bulmer’s Cider Co. and son of Edward (Fred) Bulmer. See a very similar example in the Wood Museum of Archaeology and Anthropology, University of Cambridge : 1931.213, collected by Alfred Maudslay, 1875–80.

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Cuillère à noix de coco sculptée d’un fleuron à tête humaine rappelant les traits prognathiques des figures de proue des pirogues des Salomon. Îles Salomon ( ?), Mélanésie. 10,7 cm. 19e/20e siècle

Exp : «NUTS...!» The Coconut in Oceania, galerie Meyer, Paris, 2018.

A coconut spoon carved with a human head finial reminiscent of the prognathic features on Solomon canoeprow figure-heads. Solomon Islands (?), Melanesia. 10,7 cm. 19th/20th century.

Exp : «NUTS...!» The Coconut in Oceania, gallery Meyer, Paris, 2018.

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Une cuillère en coco à tête d’oiseau marin. Iles Salomon, Mélanésie, 11,3cm. 19e/20e siècle.

Exp : «NUTS...!» The Coconut in Oceania, galerie Meyer, Paris, 2018.

A coconut spoon designed to imitate a sea bird. Solomon Islands (?), Melanesia. 11,3 cm. 19th/20th century.

Exp : «NUTS...!» The Coconut in Oceania, gallery Meyer, Paris, 2018.

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Petite coupe simple à kava un peu abîmé. Fidji, Polynésie. XIXe / XXe

7 cm.

Exp : «NUTS...!» The Coconut in Oceania, galerie Meyer, Paris, 2018.

Small simple kava cup, a little damaged.

Fiji, Polynesia. 19th / 20th . 7 cm.

Exp : «NUTS...!» The Coconut in Oceania, gallery Meyer, Paris, 2018.

Petite coupe à Kava, en coco et décorée de nacre.

Fidji, Polynésie. XIXe / XXe

12 x 9 cm.

Exp : «NUTS...!» The Coconut in Oceania, galerie Meyer, Paris, 2018.

Small Kava cup, made of coconut and decorated with mother-of-pearl.

Fiji, Polynesia. 19th / 20th

12 x 9 cm.

Exp : «NUTS...!» The Coconut in Oceania, gallery Meyer, Paris, 2018.

Coupe à Kava, écrit à l’intérieur, « 1238 » en rouge. Fidji, Polynésie. Coquille de noix de coco. 19e siècle. 9 x 12,3 x 12,3 cm.

Exp. : Rond/Round, galerie Meyer, Paris Dec/Jan 2022/23.

Bowl for kava with « 1238 » written on the inside. Fiji, Melanesia. Coconut shell. 19th century. 9 x 12,3 x 12,3 cm.

Exp. : Rond/Round, gallery Meyer, Paris Dec/Jan 2022/23.

Coupe à kava pour un grand chef.

Abelam, PNG, Mélanésie.

15,8 x 14,3 cm.

Exp. : «NUTS...!» The Coconut in Oceania, galerie Meyer, Paris, 2018 ,Rond/Round, Galerie Meyer, Paris Dec/Jan 2022/23.

Chief Kava cup

Abelam, PNG, Melanesia

15,8 x 14,3 cm.

Exp. : «NUTS...!» The Coconut in Oceania, gallery Meyer, Paris, 2018, Rond/Round, Galerie Meyer, Paris Dec/ Jan 2022/23.

Spatule à chaux en os humain destinée au Big Man.

Massim, PNG, Mélanésie. Os humain.

16,6 x 1,3 cm.

Collecté sur le terrain en 1987-1990 par Harry Beran et Anthony JP Meyer.

Big Man human bone lime spatula. Massim, PNG, Melanesia. Human bone. 16,6 x 1,3 cm.

Collected in the field in 1987-1990 by Harry Beran and Anthony JP Meyer.

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Un bel, ancien et très rare récipient à chaux, fait d’une courge cintrée à deux renflements et décorés de motifs pyrogravés. Les contenants à chaux utilisés par les hommes sont habituellement longs, fins, et cylindré, ceux des femmes eux, sont normalement

Lac Sentani, Irian Jaya, Nouvelle-Guinée indonésienne, Mélanésie. Courge. 23,9 x 9,8 cm.

Exp. : Signes, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris Mai/Juin 2021.

A beautiful, ancient and very rare lime container made of a curved gourd with two bulges and decorated with pyrographic motifs. Lime containers used by men are usually long, thin, and cylindrical, while those used by women are usually short and stocky. Lake Sentani, Irian Jaya, Indonesian New Guinea, Melanesia. Squash. 23.9 x 9.8 cm. 19th/20th

Exp: Signs, Volutes et Graphismes, Galerie Meyer, Paris May/June 2021.

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La divinité centrale du peuple Yimam est représentée par une grande figure masculine naturaliste appelée YIMAR. Le mot Yimar signifie homme ou être humain. On ne sait toujours pas si le YIMAR représente un ancêtre originel, un fondateur de clan ou un héros mythologique. Cependant, il s’agit certainement d’une entité de la plus haute importance. On ne sait pas non plus avec précision comment le YIMAR fonctionne dans la vie religieuse des Yimam, mais il semble certain qu’il occupe une position centrale avec les figures de crochets YIPWON qui tournent autour de sa frange. La figure du YIMAR occupe la position centrale sur la plateforme sacrée, à l’arrière de la maison des Hommes, les YIPWON encadrant le YIMAR de part et d’autre. Le YIMAR n’est certainement pas un esprit de guerre ou de chasse comme le YIPWON. L’effort systématique de naturalisme et la qualité sculpturale de ce YIMAR lui confèrent une vitalité et une puissance extraordinaires et le placent bien au-dessus de la norme des œuvres d’art connues de cette région. Seules six ou sept grandes figures de YIMAR (plus de 100 cm de haut) sont répertoriées.

Peuple Yimam (ou Yimar), régions supérieures des rivières Korewori et Blackwater, sud du Moyen-Sepik, PNG, Mélanésie. Bois dur, dense et altéré, noirci par les minéraux, avec des traces de terre, de racines et de dépôts d’insectes. 131 cm x 25 cm x 20 cm. Un test au carbone 14 donne un âge conventionnel de moins 105 ans (avant 1950) +/- 60 ans. L’âge calibré au carbone 14 vérifié par dendrochronologie donne une date ultime de 1650 après J.-C. pour la mort de l’arbre dans lequel cette figure est sculptée. Les informations ethnologiques concernant les rituels et les méthodes de sculpture du bois en Nouvelle-Guinée tendent à montrer que le bois est sculpté frais. Cette figure a donc été en principe sculptée peu après 1650 après J.-C.

Exp. : La Biennale, Galerie Meyer, Paris Nov/Déc 2021.

The central deity of the Yimam People is represented by a large naturalistic male figure called YIMAR. The word Yimar means man or human-being. Whether the YIMAR represents an original ancestor, a clan founder, or a mythological hero is still uncertain. However, it is surely an entity of the greatest importance. How the YIMAR functions in the religious life of the Yimam is not known with pre- cision either, but it seems certain that it occupies a central position with the YIPWON hook-figures revolving around its fringe. The YIMAR figure occupies the central position on the sacred platform, at the rear of the Mens House, with the YIPWON flanking the YIMAR on either side. The YIMAR is definitely not a war or hunting spirit like the YIPWON. The systematic effort towards naturalism and the sculptural quality of this YIMAR gives it extraordinary vitality and power and places it well above the norm for the known art works of this area. Only six or seven large YIMAR figures (over 100 cm tall) are recorded.

Yimam (or Yimar) People, Upper regions of the Korewori and Blackwater Rivers, Southern Middle Sepik, PNG, Melanesia. Hard, dense and weathered, mineral-blackened wood with traces of earth, roots and insect deposits. 131 cm x 25 cm x 20 cm. A Carbon 14 test gives a conventional age of minus 105 years (pre 1950) +/- 60 years. The calibrated C 14 age verified by dendrochronology gives a latest date 1650 AD for the death of the tree from which this figure is carved. The ethnological information concerning the rituals and methods of wood-carving in New Guinea tend to show that the wood is carved fresh. Thus this figure was in principal carved not long after 1650 AD.

Exh. : La Biennale, Galerie Meyer, Paris Nov/Dec 2021.

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Interpretation contemporaine

Anaïs Penot Raquin, née le 18 Juillet 2000 à Roanne, vit et travaille à Paris.

Diplômée en 2022 de l’ESAA Duperré en design textile et matériaux, elle y développe une pratique faisant dialoguer recherches textiles et picturales. À la fois peintre et designer textile, elle s’intéresse notamment aux procédés de fabrication de cordes et de passementerie, se concentrant sur les gestes qu’elle emploie et ce qu’ils produisent sur la matière colorée. Interrogeant notre rapport au décoratif et à l’ornement, Anaïs déploie au sein de sa peinture des espaces d’incarnation, dans lesquels, formes, couleurs et corps mutent et se transforment. À l’image des grotesques dépeintes, l’humain, le végétal et l’animal se confondent pour former des montages fantaisistes où se mêlent arrachées de couleurs, lignes, fils, traits, tresses, dessins, motifs : une exploration des possibles de ces « lignes molles ».

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Anaïs Penot Raquin
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© Anaïs Penot Raquin

La Vaseuse

Anaïs Penot Raquin

2023

Acrylique et aérographe sur carton (marouflé sur bois) 65 x 50 cm

Enrobée d’agréables couleurs, de fleurs et d’eau, la Vaseuse est dans sa brume, engourdie, confuse, sans contour. Son visage a disparu, flottant dans le décor. Depuis combien de temps est-elle étendue là ?

Derrière ses paupières alourdies, des pensées embrumées se confondent, des formes molles, des courbes somnolentes, et son regard, à demi clos et aux pupilles louches, ne confronte personne. Les vaisseaux rouges, le blanc en sang, elle s’abandonne aux illusions, rétractée à l’intérieur.

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ANTONIN RENARD

Antonin Renard est né le 13 septembre 2000 à Pantin. Il y grandit jusqu’à ses 8 ans puis passa le reste de son enfance dans une ancienne bâtisse située dans le parc naturel régional du Pilat, entre Lyon et Saint-Étienne. Ce changement d’environnement, de l’ultra-urbain à la campagne, est un fait important dans sa vie. Entouré par la nature, c’est dans ce paysage de l’Est du Massif Central qu’il construisît, inconsciemment, son rapport au vivant et aux autres espèces qui l’entouraient. Cette fréquentation quotidienne de milieux naturels fut constitutive de l’attention qu’il y porte aujourd’hui.

En 2018, il retourna à Paris pour se former en design d’espace à l’école Duperré. C’est dans cet enseignement artistique qu’il découvrit la possibilité d’être paysagiste. Il effectua plusieurs stages ouvriers entre 2020 et 2021 : au Jardin botanique de la Tête-d’Or (Lyon), au Jardin de Salagon (Lu- beron), au Domaine du Rayol (Var) et au jardin des méditerranées (MUCEM). Lors de ces moments à travailler auprès des plantes, il apprit leurs noms, leurs besoins, leurs usages, leurs manières de vivre... C’est à ce moment-là qu’il commença à les dessiner sur le vif. Cette pratique, ce temps, passé à les observer attentivement, lui permet de saisir leur singularité et l’énergie qui se dégage de chacune d’entre elles. Par ses dessins figuratifs, il essaye de retranscrire, grâce aux couleurs et aux formes, ce qui le traverse lors de ses rencontres végétales.

Il est actuellement en train de terminer ses études de paysagiste à l’école de la nature et du paysage de Blois (41).

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© Antonin Renard

Galbulimima belgraveana

Antonin RENARD

2023

Feutre à alcool, feutre à eau et crayon de couleur 65 x 50 cm

Nom vernaculaire : Agara

Hauteur à l’âge adulte : 30 m

Feuillage : persistant

Aire de répartition : Papouasie-Nouvelle-Guinée, Australie, Îles Bismarck et Salomon

Propriétés : feuilles et écorce contenant des alcaloïdes narcotiques et hallucinogènes.

Usages : infusion avec des feuilles d’une espèce d’Homalomena. Le bois est aussi utilisé comme matériau de construction (habitats + outils). L’artiste, a choisi de se concentrer sur une petite partie de l’arbre. Ce zoom, presque photographique, vient accentuer l’effet absorbant et hypnotisant induit par la contemplation de ces fleurs jaunes aiguisées de rouge ainsi que ces feuilles persistantes et coriaces. Certaines ombres, projetées sur celles-ci, viennent renforcer l’effet de l’hors-champ, laissant ainsi deviner l’existence de la végétation alentour. Les dimensions des feuilles et des fleurs, ainsi que les couleurs saturées, permettent de transmettre une impression de luxuriance. Une atmosphère que l’on peut retrouver dans les forêts tropicales humides, où poussent les Agaras.

Réaliser ces formes souples au feutre, avec des couleurs franches et contrastées, apporte à la plante une vibration onirique qui se détache du dessin réaliste de celle-ci. Ce choix figuratif laisse libre interprétation des effets que peuvent produire la plante à son consommateur.

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KELIT RAYNAUD

Né en 1999, originaire de Marseille, Kélit Raynaud joue avec de multiples technologies numériques et analogiques pour créer des œuvres multimédias. Diplômé du DSAA Design et Création Numérique de l’École Estienne et du Master 2 Design Transdisciplinaire du Cnam et du Césaap en résidence au Mobilier national, il réalise des films, développe des jeux vidéo, compose de la musique et conçoit des objets et expériences interactives. Son travail a été présenté au MIAM, au Musée Guimet, à la Cité des Sciences, et à la Paris Design Week.

Orienté vers l’art des nouveaux médias, il utilise ces nouvelles philosophies des techniques pour s’approcher d’un travail de sauvegarde de données quasiment anthropologique. L’étude des cultures et des civilisations se mêle alors à une volonté d’approche performative, rendue possible grâce à l’emploi d’outils expérimentaux.

Depuis 2020, il conçoit des paysages numériques réalisés en temps réel. Dans son projet Unreal Engine, il met en scène des scans 3D, des meshs sculptés en VR et des créations issues de médiums artistiques multiples afin d’en raconter une histoire, interactive ou non. Si sa pratique est initialement issue de la création musicale et du VFX, il tente aujourd’hui de la diriger vers une sensibilité plus cinématographique et organique, en recherche d’une forme d’authenticité. Dans une démarche interculturelle où l’art rencontre les récits des peuples, il participa en tant que directeur artistique à la réalisation de Baba Yakhsoz, un conte se déroulant dans la vallée de Bamiyan, mêlant animations 2D d’un studio de dessinatrices afghanes, photogrammétrie de lieux emblématiques afghans et paysages Unreal. Ce court métrage est le résultat d’un workshop qu’il mena de septembre à novembre 2022 auprès des étudiants en graphisme numérique de l’école Estienne et qui fût diffusé au musée Guimet.

Il souhaite à présent poursuivre cette direction et approfondir cette approche sur les terres des Penan. Le Sarawak (Malaisie) a radicalement changé sur les trente dernières années face à l’action des entreprises forestières. Accompagné de son père, ils mettront en commun leur engagement pour les Penan autour d’un projet et poursuivront ensemble la documentation de l’évolution de leur situation. En utilisant des techniques de captations audiovisuelles et de numérisations de paysages, Kélit Raynaud souhaiterait restituer par le biais d’une installation vidéo immersive la forêt tropicale humide et ses habitants, retranscrire leurs histoires, leurs visages et leurs présences dans leur contexte.

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Installation In situ

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Fragment de la projection vidéo, représentation dans l’ancêtre originel Yimar, scanné en 3D. © Kélit Raynaud

« Salvia »

Kélit Raynaud

2023

Installation vidéo Écrans récupérés, corde en jute, techniques de photogrammétrie, de composition 3D et d’intelligence artificielle

« Salvia » est un témoignage d’une relation entre la première expérimentation hallucinogène et Kélit Raynaud. Ces visions, provoquées par la consommation de cette substance psychotrope, projetèrent l’artiste à travers de multiples visions interférées. A travers cette distorsion, des figures interprétées comme des esprits, lui soufflèrent les mots suivants « ça y est, tu as enfin compris », phrase encore raisonnante dans la mémoire de l’artiste. Cette œuvre interprète alors sa connexion personnelle avec une forme divine, semblable aux rituels mélanésiens.

Le nom Salvia, fait également écho aux notions d’un caractère salvateur, sauveur, qui soignerait les maux par des altérations de la perception du réel. Cette installation tend à reproduire une perception mystique et expérimenter une vision sensorielle subjective. L’artiste a volontairement conçu une installation à l’allure organique, décomposant les éléments numériques, où l’électronique se mélange au végétal. Dirigée vers le ciel, la seule corde suspendant la structure de bois, imagine l’idée d’une réception, d’une connexion entre les hommes et les ancêtres, inspirée du culte du cargo en Nouvelle-Guinée, ou les esprits célestes, apporteraient richesse et abondance. Les écrans ne sont pas rétro éclairé dans un souci d’altération visuel, jumelant ainsi les lignes technologiques aux corps botaniques.

Remerciements : Pierre Bourdon, Paul Leblanc, Raphaël Guez, Matthias Appadourai (TV Store).

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Commissariat

MAEL REVAILLOT

Né en 2000, originaire de la région de Saint-Etienne, Mael Revaillot effectua des études d’Art Appliqué spécialisation Création industrielle, avant de continuer des études supérieures orientées vers le Marché de l’art. Actuellement en Master 2 Marché de l’art/ commissariat d’exposition à l’IESA Paris, il construit son mémoire de fin de cycle en tant qu’exposition, premier projet curatorial individuel organisé 17 rue des Beaux-Arts à la galerie Meyer. Apprenti dans cette même galerie depuis plus de 2 ans, il tend à joindre plusieurs domaines différents autour de projets, comme les arts premiers, l’art contemporain et la photographie argentique.

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Bibliographie

• Marshall David Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance : l’économie des sociétés primitives, 1972.

• Jean Delay, La psycho-physiologie humaine, 1945.

• Benzi Marino, Les derniers adorateurs du peyotl in Journal de la Société des Américanistes, Tome 60, 1971, pp. 341-343.

• Bareau André, « R. G. Wasson. Soma ; Divine Mushroom of Immortality » in Revue de l’histoire des religions, tome 177, n°2, 1970, p. 236.

• Lévi-Strauss Claude, Les Champignons dans la culture. A propos d’un livre de M. R. G. Wasson in L’Homme, 1970, tome 10 n°1, pp. 5-16.

• Hamayon Roberte, La Chasse à l’âme. Esquisse d’une théorie du chamanisme sibérien, in Archives de sciences sociales des religions, n°74, 1991, pp. 253-255.

• Eliade Mircea, Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, 1951, p. 371.

• Perrin Michel, Le chamanisme, 1996, p 43.

• Barrau Jacques, Observations et travaux récents sur les végétaux hallucinogènes de la NouvelleGuinée, in Journal d’agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 9, n°3-6, mars-avril-mai-juin 1962, pp. 245-249.

• Barrau Jacques, Usage curieux d’une Aracée de la Nouvelle-Guinée, in Journal d’agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 4, n°7-8, juillet-août 1957, pp. 348-349.

• Bronislaw Malinowski, The Natives of Mailu: Preliminary Results of the Robert Mond Research Work in British New Guinea, 1915.

• Bowden Ross, Art and Creativity in a New Guinea Society: The Kwoma in Cross-Cultural Perspective, 2022.

• Schmid Jürg & Kocher-Schmid Christin, Söhne des Krokodils, Männerhausrituale und Initiation in Yensan, Zentral-Iatmul, East Sepik Province, Papua New Guinea, in Journal de la Société des Océanistes, 102, 1996-1, compte-rendu par Christian Coiffier, pp. 125-126.

• Mercier André, L’aréca et le bétel, in Bulletin mensuel de la Société linnéenne de Lyon, 13e année, n°3, mars 1944, pp. 46-48.

• Philippus Theophrastus Aureolus Bombast von Hohenheim dit Paracelse, Les plantes Magiques, vers 1530.

• Marlene Dobkin De Rios, Hallucinogens: Cross-Cultural Perspectives, 1984.

• François-André Isambert, L’Élaboration de la notion de sacré dans l’école durkheimienne, Archives de sciences sociales des religions, n°42, 1976, pp. 35-56.

• Tcherkézoff Serge, Le mana, le fait “total“ et l’“esprit“ dans la chose donnée : Marcel Mauss, les “cadeaux à Samoa“ et la méthode comparative en Polynésie, Anthropologie et Sociétés, 1997.

• Durkheim Emile, Formes élémentaires de la vie religieuse, 1912

• Zinberg Norman, Drug, set, and setting, 1984.

• Mann Thomas, Dans la montagne magique, 1924, p. 615.

• Changeux Jen-Pierre, 1983. L’homme neuronal, Paris, p. 198. Butor Michel, Répertoire IV, 1974, Paris.

• Hillman David, The Chemical Muse, Drug Use and the Roots of Western Civilization, 2008

• Bellwood Peter, Man’s conquest of the Pacific: the prehistory of South-east Asia and Oceania. Auckland, Sydney, London: Collins, 1978.

• Meyer Anthony JP, Oceanic Art, 1995.

• Scelma Jean-Jo, Le voyage en Polynésie, 1994.

• Piers Vitebsky, Les Chamanes, 1995.

• Catalogue SPATULES – MASSIM - SPATULAS. 20th Anniversary Exhibition. Galerie Meyer, Paris 2000.

• Berran Harrt, Mutuaga, A nineteenth-Century New Guinea Master Carver, 1996

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Mémoire Master 2, IESA Paris.

Mael Revaillot, élève en Master 2 Marché de l’art / commissariat d’exposition. Promotion 2022-2023

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