Protection agroécologique des cultures quae editions

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Table des matières Couverture Protection agroécologique des cultures Avant-propos Préambule Préface Remerciements Introduction Chapitre 1 - Décliner les principes de l’agroécologie à la protection des cultures Les contours de l’agroécologie Évolution de la protection des cultures La protection agroécologique des cultures : à l’interface de l’agroécologie, de la protection des cultures et de la gestion de la biodiversité Chapitre 2 - Application en cultures maraîchères : l’expérience Gamour Introduction Contexte et enjeux


Conception du projet Gamour Mise en œuvre du projet Gamour : le paquet technique Résultats en milieu producteur Acquisition de connaissances scientifiques Valorisation, communication et transfert Contribution à la transition agroécologique Conclusion Chapitre 3 - Application en cultures fruitières : l’expérience Biophyto Introduction Contexte et enjeux de recherche et développement Pratiques de protection agroécologique appliquées dans les vergers de manguiers Lutte biologique par conservation : retours d’expérience Résultats scientifiques obtenus dans le projet Biophyto Appropriation, apprentissage et transmission Contribution à la transition agroécologique Chapitre 4 - Retours d’expériences et approches génériques de protection agroécologique des cultures : autres exemples


Introduction Autres expériences en maraîchage Autres expériences en arboriculture fruitière Expériences sur d’autres types de cultures Approche de la biodiversité à l’échelle de l’agroécosystème Approche de la conception et évaluation multicritère de systèmes de culture innovants Conclusion Chapitre 5 - Les clés de la transition agroécologique Introduction Choisir et adapter les méthodes Générer et intégrer les connaissances Mettre en œuvre et évaluer les pratiques Se former et transmettre les connaissances Stratégies publiques concertées de soutien et de promotion à l’agroécologie : l’approche globale de la Réunion Les clés de la transition agroécologique : paroles d’agriculteurs Conclusion La PAEC, la ligne de conduite de la protection des cultures pour


l’avenir Sigles et acronymes Bibliographie Liste des auteurs CrÊdits photographiques


Protection agroécologique des cultures Jean-Philippe Deguine, Caroline Gloanec, Philippe Laurent, Alain Ratnadass, Jean-Noël Aubertot, coordinateurs © éditions Quæ, 2016 ISBN : 978-2-7592-2412-8 ISSN : 1952-1251 Photos de couverture : au centre, représentation schématique de la biodiversité végétale dans un agroécosystème (© M. Rousse) ; de haut en bas, femelle d’Eretmocerus eremicus se préparant à pondre sur des larves de Trialeurodes vaporarium sur une feuille de tabac (© A. Franck) ; recueil dans un « parapluie japonais » des arthropodes présents sur les inflorescences de manguiers (© J.-P. Deguine) ; adulte de Cheilomenes sulphurea se nourrissant au sein d’une population du puceron Toxoptera sp. sur agrume (© A. Franck). Éditions Quæ RD 10 78026 Versailles Cedex

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Avant-propos L’agroécologie, dans laquelle l’agriculture française est résolument engagée, s’appuie sur l’émergence d’initiatives collectives. Les relations et dynamiques humaines grâce au partage d’expériences et des projets coconstruits sont cruciales pour le développement d’une agriculture performante économiquement, environnementalement et socialement. Protection agroécologique des cultures est un ouvrage qui illustre l’importance de cette intelligence collective en rassemblant les contributions d’agriculteurs précurseurs et de scientifiques de renom. Ils se sont impliqués dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation de systèmes agricoles nouveaux et appartiennent à de nombreuses institutions (Inra, Cirad...), de l’enseignement, de la formation et du transfert. Cet ouvrage apporte la démonstration qu’il est possible de réduire significativement l’usage des produits phytopharmaceutiques dans les systèmes horticoles et, de manière globale, dans la plupart des agroécosystèmes. La démarche engagée qui dépasse ainsi le simple cadre de la protection des cultures permet de faciliter la mise en œuvre des principes agroécologiques. Les fruits de ces travaux de recherche appliquée, soutenus en grande partie par le ministère de l’Agriculture à travers des fonds du Casdar et du plan Écophyto, sont en cours de transfert vers les agriculteurs. Ils constitueront une référence pour tous les acteurs qui contribuent au développement de l’agroécologie. Stéphane Le Foll Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt


Préambule Le projet de cet ouvrage collectif est né de la volonté de valoriser des expériences de protection des cultures reposant sur des bases écologiques et conduites en lien direct avec des producteurs. Parmi ces expériences, deux projets novateurs sur la forme et sur le fond ont donné des résultats particulièrement probants à la Réunion : il s’agit des projets Gamour et Biophyto cofinancés par le Compte d’affectation spéciale pour le développement agricole et rural (Casdar). Pour renforcer le partenariat scientifique entre l’Inra et le Cirad, le réseau Protection intégrée des cultures (PIC), l’une des actions clés du métaprogramme SMaCH (Sustainable Management of Crop Health) de l’Inra, a été ouvert aux agents du Cirad dès 2013. Par la confrontation de différentes études de cas, cette ouverture a contribué à dégager des connaissances génériques et à élargir la portée de l’ouvrage. L’application du concept de protection intégrée des cultures, qui date de plusieurs décennies, ou, du moins, des stratégies de protection des cultures qui s’en réclamaient, avait montré certaines limites. La formalisation de principes d’actions écologiques pour la protection des cultures a conduit à l’émergence du concept de protection agroécologique des cultures (PAEC), qui est au cœur de cet ouvrage, en permettant le dépassement des problèmes liés à l’approche PIC. Ce concept est maintenant approprié par la communauté scientifique. Depuis plusieurs années, l’Inra et le Cirad considèrent l’agroécologie comme un axe stratégique de leurs activités de recherche. Pour partie, cet ouvrage est le fruit de la collaboration de chercheurs des deux instituts qui partagent des problématiques communes sur la protection des cultures, alors qu’ils s’intéressent à des situations et des systèmes de production très différents. De même, bon nombre d’établissements d’enseignement supérieur et de formation, dont des lycées agricoles, des organismes impliqués dans le conseil agricole, des centres et instituts techniques, ou des ONG se tournent aussi vers l’agroécologie. Cette orientation collective — scientifique, académique et technique — en faveur d’une agriculture reposant sur la compréhension, le pilotage et la stimulation des processus écologiques, est soutenue par les pouvoirs publics, à travers le


Plan d’action global pour l’agroécologie pour la France et les différents programmes d’action, dont Écophyto, qui le mettent en œuvre. Cet ouvrage résulte ainsi des efforts menés par différents partenaires pour le développement d’une protection des cultures basée sur des principes écologiques. Il s’adresse à un public de professionnels et d’étudiants. Il représente un outil nouveau, proposant des clés concrètes d’action pour la transition agroécologique, sur la base, d’une part, de retours d’expériences validés scientifiquement et, d’autre part, d’une revue des principes de l’écologie et de leur application à la protection des cultures. Au-delà des exemples présentés, il est donc de portée générale et propose des recommandations pour l’ensemble des systèmes de culture tempérés et tropicaux. Il contribue aux modules d’enseignement à distance qui se développent dans ce domaine et qui en utiliseront le contenu : c’est un support actualisé d’information pour les professionnels et un support d’enseignement pour les étudiants (agronomie, protection des cultures, gestion de la biodiversité, agroécologie). Il s’appuie sur une contribution large et reconnue : les 56 auteurs proviennent d’horizons géographiques différents ; certes, plus de la moitié appartiennent à l’Inra et au Cirad, mais au total, c’est une vingtaine d’institutions, principalement françaises mais aussi pour quelques-unes étrangères, qui est représentée. Le nombre et la diversité de ces contributions traduisent bien le besoin et les attentes de la communauté scientifique et technique dans ce champ de la protection agroécologique des cultures. François Houllier (PDG Inra) et Michel Eddi (PDG Cirad)


Préface L’ouvrage que vous avez entre les mains est un livre curieux pour curieux. Dès la lecture du sommaire, on prend conscience que sa ligne directrice n’est pas la synthèse, mais la capitalisation. Ainsi, on ne relève pas moins de trois contributions liminaires (un avant-propos, un préambule, une préface !) ; et le corps de l’ouvrage est à l’avenant, avec une collection de tout ce qui peut contribuer à une meilleure compréhension de ce qu’est la protection agroécologique des cultures (PAEC). Cela fait donc de ce livre une curiosité, à l’heure où les éditeurs cherchent le plus souvent à réduire les volumes publiés, et les lecteurs à disposer de condensés allant à l’essentiel. Et un objet très précieux, pour les curieux qui veulent savoir, dans un certain niveau de détail, tout ce qui peut avoir trait à la PAEC : les contenus conceptuels, scientifiques et techniques, mais également les dimensions pédagogiques, ou encore de décision publique. Cette sorte de mini-encyclopédie scientifique de la PAEC a une deuxième caractéristique qui me paraît essentielle à souligner. En effet, elle ne prétend pas être un aboutissement, le couronnement d’un parcours achevé, elle est au contraire un état des lieux daté, en 2016, de l’évolution de la protection des cultures. La protection des cultures est sur un chemin. Elle a connu une phase de recours massif aux produits de synthèse. Puis la prise de conscience des effets négatifs de cet usage sur la santé humaine, la biodiversité, l’environnement et sur l’efficacité même de la lutte contre les organismes nuisibles, a poussé à la promotion de la protection intégrée des cultures. Alors même que cette dernière, qui tente de favoriser les méthodes de protection et de lutte non chimiques, est encore loin d’être devenue la norme, la PAEC en est en quelque sorte le dépassement. Si on doit la résumer, on pourrait dire que la PAEC est, davantage que la protection intégrée des cultures qu’elle incorpore au moins en partie, ancrée dans une connaissance du fonctionnement écologique des agroécosystèmes. Cette caractéristique majeure l’ouvre, notamment, à d’autres échelles d’action comme l’échelle territoriale, et à d’autres leviers d’action comme la mobilisation de réseaux multitrophiques. Mais même si elle a été baptisée il y a déjà une décennie par certains des auteurs


de cet ouvrage, la PAEC est encore loin d’être stabilisée, et il lui reste un long chemin à parcourir. Le parti-pris de tout montrer dans cet instantané photographique, cette « photo de groupe », est riche et parfois déroutant, déroutant parce que riche. On n’y trouve pas une vérité, mais de multiples voies et voix sur ce chemin de l’évolution de la protection des cultures. Ainsi, la définition même de ce qu’est la PAEC, de son origine et de ses traits distinctifs, n’est pas traitée de manière univoque et dogmatique : l’écologue, l’historien, l’agronome et le phytopathologiste racontent la même histoire, mais chacun y apporte son regard singulier. L’un mettra l’accent sur telle méthode de lutte valorisant les fonctionnalités des écosystèmes, un autre insistera sur les échelles d’action, un troisième (bien que pas assez à mon goût !) sur le lien entre la PAEC et les autres finalités des pratiques agricoles dans les systèmes de culture… Au lecteur d’apprécier les différences, et de se forger sa propre opinion sur la plus-value conceptuelle et méthodologique de la PAEC par rapport aux conceptions antérieures de la protection des cultures. On retrouve la même dimension panoramique dans les exemples de mise en œuvre qui sont présentés. Là non plus, pas de langue de bois ni de discours unique. Les deux exemples réunionnais qui fondent la réflexion sont particulièrement démonstratifs de l’efficacité de la PAEC. Mais les auteurs de l’ouvrage n’ont pas cédé à la facilité qui aurait consisté à se contenter de ces deux démarches de recherche-action pionnières et emblématiques. D’autres travaux essentiellement français sont exposés, qui ne présentent pas tous le même caractère de réussite exemplaire (osons une amorce d’explication : peut-être parce que les mesures préventives de protection n’y ont pas la même place et la même importance ?). Ils illustrent bien que ni la compréhension des agroécosystèmes, ni la valorisation de la biodiversité à des fins de protection des cultures ne sont à un stade de maturité. La PAEC est ainsi un espoir nécessitant encore beaucoup de travail ; et l’analyse des difficultés rencontrées dans tel ou tel programme fait partie des voies de progrès. La volonté des auteurs d’être complets les a poussés à augmenter le fonds scientifique et technique de l’ouvrage d’une vraie partie entièrement


consacrée à l’accompagnement de la mise en œuvre de la PAEC. Elle ouvre de manière intéressante sur les questions de conception de méthodes de protection des cultures, de formation des acteurs, de politiques publiques favorisant la transition d’un mode de protection à un autre. Ce qui frappe, c’est la similitude des questionnements abordés avec ceux que l’on rencontre dans d’autres facettes des changements de systèmes en agriculture. C’est plutôt une bonne nouvelle : la mise en œuvre de la PAEC ne requerra pas trop de travaux spécifiques, mais pourra bénéficier de ceux qui sont menés dans d’autres domaines — et réciproquement. La PAEC est en marche, et cet ouvrage donne à voir sans fausse modestie et sans forfanterie où elle en est actuellement dans la recherche française. Il permet de comprendre les espoirs que suscite cette nouvelle forme de protection des cultures, et se révèle être un stimulus puissant pour poursuivre les efforts engagés. Allons-y ! Thierry Doré Professeur d’agronomie, directeur scientifique d’AgroParisTech


Remerciements Mes chaleureux remerciements s’adressent en priorité aux collègues qui ont contribué à la réalisation de cet ouvrage et tout particulièrement aux fidèles coordinateurs, qui m’ont accompagné. Quel plaisir d’avoir travaillé en pleine confiance avec Jean-Noël Aubertot, Caroline Gloanec, Philippe Laurent et Alain Ratnadass ! Merci pour le partage du difficile travail de coordination, qui a permis de rassembler, naturellement et de manière cohérente, les écrits de 56 auteurs d’origines diverses. Un grand merci bien sûr à ces 56 auteurs, chacun ayant apporté à sa manière une pierre à l’édifice de la transition agroécologique. C’est la richesse de cet ouvrage. Certains d’entre eux, chercheurs renommés, n’ont pas hésité à sortir de leur retraite et à faire bénéficier le lecteur de leur expérience et de leur sagesse : clin d’œil particulier à Jean Boiffin, Pierre Ferron et Philippe Lucas. Que cet ouvrage ait retenu la bienveillante attention de Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, de François Houllier, président directeur général de l’Inra, de Michel Eddi, président directeur général du Cirad, et de Thierry Doré, professeur d’agronomie à AgroParisTech, attirera celle du lecteur ; pour leur part, ses auteurs sont conscients de l’importance de la caution ainsi donnée à leur travail, tant pour la poursuite de leur engagement que pour l’accueil de ce livre auprès du public. Notre reconnaissance va aussi aux bailleurs, qui ont financé les projets pris comme exemples ou supports des expériences agroécologiques, aux institutions qui ont permis la mise en œuvre des activités sur le terrain, et aux instances ayant facilité la communication, la valorisation et le transfert. Leurs contributions furent en effet déterminantes en assurant les conditions de la démonstration pratique, sur le terrain, des bien-fondés de principes préalablement établis. L’élaboration des textes, la relecture et la finalisation de l’ouvrage ont été grandement facilitées grâce aux aides et soutiens de Patrick Caron (Cirad),


Olivier Le Gall (Inra), Cyril Kao, Danièle Saint-Louboué et Élisabeth Lescoat (direction générale de l’Enseignement et de la Recherche, ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt), Claire Jourdan-Ruf, Dominique Bollot et Mickaël Legrand (éditions Quæ), ainsi que les relecteurs, anonymes ou extérieurs, sans oublier les auteurs des photographies qui ont enrichi l’ouvrage. Et puisque ce livre s’adresse notamment aux professionnels agricoles (agriculteurs, techniciens, conseillers, enseignants) et aux étudiants, je remercie tous ceux que j’ai croisés sur le terrain ou dans les salles de cours depuis des années. Ils ont contribué, par leurs questions, leurs commentaires et leurs réflexions, à me décider à lancer ce projet, puis à en préciser collectivement les contours et le contenu. J’espère enfin que le lecteur aura le même plaisir à consulter cet ouvrage que celui pris pour le concevoir et le réaliser. Jean-Philippe Deguine


Introduction Il n’y a pas de solutions phytosanitaires « locales » sans réponse agroécologique « globale ». D. Potier, 2014. Pesticides et agroécologie : les champs du possible, rapport au Premier ministre. Si la phrase citée en exergue rappelle la direction à suivre pour accéder à un mode de protection des cultures compatible avec les objectifs d’un développement durable, encore convient-il de baliser le ou les chemins à emprunter en fonction de la diversité des conditions locales, qu’elles soient de nature agronomique, écologique, économique et/ou sociologique. Pour éviter de s’égarer, il est prudent de se référer à quelques principes généraux relevant de l’agroécologie, science à l’interface de l’agronomie et de l’écologie, de manière à définir une stratégie appropriée et sélectionner les techniques de mise en œuvre les plus adéquates. En fait, la question est posée de savoir comment assurer la transition entre des combinaisons de techniques de lutte préconisées aujourd’hui, telles que définies par le concept de protection intégrée des cultures (PIC), et la mise au point d’une méthode de gestion des peuplements d’un même agroécosystème sur des bases agroécologiques (protection agroécologique des cultures, PAEC). C’est l’objet de cet ouvrage collectif conçu à partir des résultats d’expériences participatives réalisées en vraie grandeur dans des exploitations horticoles réunionnaises et de l’analyse d’autres réalisations significatives récentes. L’active participation à la conception et à la rédaction de l’ouvrage de partenaires chargés de l’éducation, de la formation et de la vulgarisation, lui confère en outre une originalité particulière. Celle-ci conforte la démarche proposée, qui implique en effet une évolution significative de l’attitude habituellement adoptée en matière de protection des cultures, au point que certains n’hésitent pas à avancer qu’il convient de changer de paradigme pour atteindre le but ainsi fixé. Apporter la démonstration de l’efficacité et de la fiabilité de techniques


alternatives à la lutte chimique contre les bioagresseurs des cultures est en effet un des enjeux majeurs du défi posé par la nécessité de produire plus, en quantité et en qualité, tout en assurant simultanément un fonctionnement durable des écosystèmes et un revenu raisonnable aux producteurs. À cet effet, il est recommandé de procéder à une réelle rupture avec les pratiques antérieures, pour permettre une approche nouvelle des problèmes phytosanitaires, par une démarche systémique au niveau de l’agroécosystème en son entier et non plus à celui de la parcelle uniquement, considérée jusqu’à présent comme l’échelle privilégiée pour maîtriser les risques phytosanitaires. Cette rupture, visant à donner la priorité aux mesures préventives, tant dans l’esprit que dans la forme, justifie un approfondissement de nos connaissances, une mise en adéquation de nos pratiques, l’adhésion et la participation des acteurs concernés, ainsi qu’un renouvellement du vocabulaire employé. C’est bien dans cet esprit que la formulation « protection agroécologique des cultures » avait d’abord été proposée (Ferron et al., 2005a), puis développée à partir de l’étude de cas opportunément offerte par la récente évolution des techniques de culture cotonnière, détenant, comme les cultures fruitières et légumières, le record peu enviable de la consommation la plus élevée au monde d’insecticides (Ferron et al., 2006 ; Deguine et al., 2008b). En dépit des orientations agroécologiques données depuis à la politique agricole nationale, cette nouvelle terminologie est cependant encore loin d’être unanimement adoptée. Les difficultés rencontrées pour atteindre, dans les délais annoncés, les objectifs de réduction d’emploi des pesticides affichés par le plan Écophyto 2018 sont, par exemple, révélatrices de la nécessité de définir et de faire adopter au préalable une nouvelle stratégie phytosanitaire, considérée comme une composante de l’exploitation d’agroécosystèmes en leur entier par sa démarche systémique. D’ailleurs, le risque d’assister à un simple ajustement des systèmes de production existants par le seul déplacement des normes (homologation plus contraignante des pesticides, concertation accrue des parties prenantes, directives européennes visant l’adoption de la protection intégrée), au détriment d’une réelle remise en cause méthodologique, avait bien été souligné (Ricci et al., 2011).


La référence internationale en la matière a longtemps été la protection intégrée des cultures, progressivement élaborée conjointement par la Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO) et l’Organisation internationale de lutte biologique (OILB) depuis le milieu du xxe siècle à partir du concept de lutte intégrée. En dépit de la précision apportée ultérieurement par l’OILB (1977), indiquant que la PIC doit prendre en considération le cycle complet de chaque bioagresseur, l’ensemble du cortège des bioagresseurs de chaque culture, l’ensemble des cultures de la rotation et, finalement, tous les éléments de gestion de l’agroécosystème, y compris dans ses parties non cultivées, ce n’est que depuis le 1er janvier 2014 que la directive européenne 2009/128/EC en a prévu l’application des principes. Il faut certes reconnaître que les libertés d’interprétation de ce concept de protection intégrée ont été telles, qu’elles en avaient le plus souvent dénaturé le sens (Ferron, 1999). Sans doute que ces mesures réglementaires sont encore insuffisantes pour atteindre l’objectif espéré et faut-il souhaiter qu’une vision agroécologique de la production intégrée soit effectivement affichée, à l’image des dispositions prises récemment par l’OILB (Wijnands et al., 2012) et par la FAO, au travers de son récent symposium international intitulé « Symposium international sur l’agroécologie pour la sécurité alimentaire et la nutrition » (Rome, septembre 2014). C’est tout l’intérêt du chapitre 1 de l’ouvrage que de replacer dans son contexte scientifique et technique l’évolution du concept de protection des cultures et de montrer combien il est récemment devenu nécessaire de lui faire subir un pas significatif, à la lumière de la prise de conscience de l’importance d’une gestion durable des ressources de la planète. Au-delà d’un simple effet de mode, mais pour partie afin d’effacer les malentendus dont a été l’objet l’interprétation du concept de protection intégrée, il explique pourquoi il est même opportun de changer la dénomination du concept lui-même, de PIC à PAEC, pour permettre aux acteurs concernés d’aborder les problèmes phytosanitaires auxquels ils sont confrontés, suivant une démarche systémique nouvelle, débarrassée de toute polémique et enrichie tant par les expériences du passé que par une convergence récente des disciplines agronomiques et écologiques. Les chapitres 2 et 3 sont consacrés à des retours d’expériences


participatives, au sein desquelles le rôle des agriculteurs s’est avéré déterminant, de la conception à l’exécution des programmes engagés. Ainsi le projet Gamour, ou Gestion agroécologique des mouches des légumes à la Réunion, est-il pris comme exemple phare d’une solution durable à un problème phytosanitaire majeur, dans le chapitre 2 consacré à des applications de la PAEC en cultures légumières. Il s’inspire d’un programme de gestion des mouches des fruits aux îles Hawaï, dont l’intitulé traduit à lui seul l’évolution conceptuelle de l’approche des problèmes phytosanitaires : areawide pest management program (gestion intégrée à grande échelle). Ce projet Gamour est caractérisé par le transfert d’innovations technologiques auprès des praticiens locaux, au travers d’une action collective réunissant une douzaine d’organismes d’accompagnement agricole. Outre sa démarche résolument préventive, son originalité tient à ses échelles multidimensionnelles, de la parcelle au bassin versant et du cycle de culture d’un mois aux trois années du projet, mais aussi au souci permanent d’en faire une référence méthodologique. D’abord appliqué à des cultures conventionnelles de plein champ (courgette, citrouille, concombre), son extension à une autre Cucurbitacée des régions tropicales, le chouchou ou christophine, mais vivace et donc de culture pérenne, a particulièrement retenu l’attention des adeptes de l’agriculture biologique, créant ainsi un lien, tant conceptuel que technique, entre des pratiques par ailleurs souvent opposées. Les résultats ainsi obtenus ont valu aux producteurs maraîchers concernés d’être promus lauréats des Trophées de l’agriculture durable en 2011. Avec le projet Biophyto, objet du chapitre 3 consacré à des applications de la PAEC en cultures fruitières, l’application des principes agroécologiques à la protection des cultures a pris une dimension supérieure en s’adressant d’une part à une culture pérenne, le verger de manguier, et d’autre part en prenant en considération un contexte économique particulier, impliquant la fourniture sur le marché de fruits indemnes de toute trace d’insecticide. Cette contrainte est induite par le quasi-échec de la lutte chimique contre les ravageurs du manguier, tant en raison de son efficacité très relative que de son coût, sans négliger ses effets négatifs sur la santé humaine et l’environnement insulaire réunionnais, réserve de biodiversité. Le projet Biophyto affiche donc d’emblée des objectifs scientifiques, économiques et environnementaux. Le recours aux traitements insecticides étant banni,


sa stratégie repose principalement sur la régulation des populations de ravageurs des cultures par leurs cortèges de parasites et de prédateurs indigènes ; l’optimisation de leur rôle est favorisée à la fois par l’absence de ces traitements chimiques, qui leur sont néfastes, et par une gestion appropriée de leurs habitats. L’implantation de couvertures végétales au sol dans les vergers, créant un habitat favorable à de nombreux arthropodes prédateurs terrestres, a en outre permis d’éviter la plupart des traitements herbicides habituels. Cette gestion des habitats prend de plus une importance particulière dans le cas des cultures pérennes, puisqu’il convient d’y aménager les structures agraires sur le long terme (Ferron et al., 2005b). Au total, la PAEC s’appuie donc sur trois piliers : la prophylaxie, la lutte biologique par conservation et la gestion des habitats. Cette dernière vise la constitution d’habitats défavorables pour les ravageurs et/ou d’habitats favorables à leurs auxiliaires (couverture permanente au sol, plantes pièges ou refuges), assurant une diversification de la végétation, ellemême favorable à l’expression d’une biodiversité fonctionnelle au sein de l’agroécosystème considéré. On conçoit que ces aménagements des habitats débouchent sur une modification des paysages agraires, tant par une géométrie des parcelles appropriée aux capacités de déplacement des insectes, que par la création de bandes fleuries, de haies composites, voire de surfaces de compensation écologique, telles que préconisées par l’OILB (Boller et al., 2004a et b). Le chapitre 4 élargit volontairement le propos en rapportant d’autres expériences significatives de protection agroécologique de différentes cultures, maraîchères mais aussi fruitières, voire céréalières, tant pour montrer que les initiatives réunionnaises ne sont pas isolées, que pour en dégager les traits communs compte tenu de leur diversité. De plus, ces exemples complètent bien les deux chapitres précédents en illustrant le fait que la PAEC s’adresse à l’ensemble des bioagresseurs des cultures : ravageurs, agents pathogènes et plantes adventices. Alors que dans le projet Gamour, la gestion des populations parasitaires est en effet assurée essentiellement par des mesures prophylactiques et des techniques de piégeage à l’aide de plantes associées à la culture principale, d’autres procédés relevant également d’une démarche agroécologique ont été mis


en œuvre dans différents contextes agronomiques. C’est pourquoi quelques études de cas significatifs sont rapportées de façon à permettre d’accéder à une représentation plus globale de cette stratégie phytosanitaire agroécologique. De même, à partir du projet Biophyto, l’accent est mis sur la gestion des structures agraires. Ces différents témoignages autorisent à généraliser la démarche proposée, tout en mettant en évidence l’importance d’une nécessaire adaptation des solutions techniques mises en œuvre aux spécificités locales. C’est l’objet du chapitre 5 de l’ouvrage, opportunément intitulé « les clés de la transition agroécologique ». À cet effet, il fait écho au chapitre 1, tant par un élargissement méthodologique et pédagogique permettant de répondre aux besoins de situations agroécologiques variées, la production et l’acquisition de connaissances nouvelles, en particulier celles assurant une réelle convergence entre agronomie et écologie, que par les leçons tirées de la mise en œuvre participative de systèmes de culture innovants. Obtenir dans ce but les contributions d’auteurs issus des horizons les plus divers, des agriculteurs, les premiers concernés, aux universitaires, chercheurs, ingénieurs et vulgarisateurs, est révélateur d’une prise de conscience aussi significative que récente de l’importance déterminante pour le devenir de notre planète du respect des équilibres biologiques dans nos agroécosystèmes. C’est assurément la démonstration de l’intérêt bien compris d’une recherche finalisée par une démarche participative associant, dans un même but, utilisateurs des résultats de la recherche et chercheurs de solutions appropriées et durables. Ce chapitre identifie ainsi les piliers d’une démarche cohérente, susceptible d’assurer cette nécessaire transition vers la PAEC, quelles que soient les spécificités des cas considérés : concevoir une stratégie globale combinant un ensemble de méthodes permettant de maîtriser les bioagressions dans le respect des enjeux d’un développement durable au niveau d’un agroécosystème en son entier ; ouvrir le domaine d’investigation des techniques appropriées aux connaissances transdisciplinaires les plus récentes dans le cadre d’une approche systémique ; s’assurer de leur appropriation par les acteurs concernés, quels que soient leurs domaines de compétence et de participation, dans une démarche résolument participative ; et valider les résultats ainsi


obtenus par une analyse critique collective, objective et constructive, de la démarche ainsi adoptée. Assurer la compréhension de notions parfois abstraites, ainsi que la cohérence de ces différentes contributions pour en faire un ouvrage destiné au grand public et plus particulièrement aux étudiants et praticiens, est un autre défi, dont l’appréciation est réservée aux lecteurs, mais qui tient pour partie au rôle déterminant des coordinateurs de l’ouvrage, responsables de l’homogénéité du contenu dans le respect des contraintes éditoriales. Je ne doute pas, cependant, que les témoignages rapportés ciaprès soient de nature à inciter les lecteurs à partager et à appliquer les préceptes de la PAEC, et qu’ils soient ainsi motivés pour faire au plus tôt des « champs du possible », évoqués en exergue, une réalité sous la forme d’un nouvelle mise en scène d’un certain « théâtre de l’agriculture et mesnage des champs » (de Serre, 1600).


Chapitre 1 Décliner les principes de l’agroécologie à la protection des cultures Les contours de l’agroécologie L’agroécologie, science de la révolution agricole du xxie siècle ? L’émergence de l’agroécologie et son contexte Dans le monde, ces dix dernières années, les grands enjeux agricoles de la planète se sont modifiés sous l’influence combinée des grandes mutations écologiques et sociologiques en cours : changement climatique, perte de biodiversité, raréfaction des terres, processus d’urbanisation, pression démographique. Ces mutations constituent autant de variables en interaction qui ont contribué et contribuent encore à modifier fortement les attentes vis-à-vis de l’agriculture. Avec l’urbanisation croissante, les rapports entre les sociétés et la nature se modifient, et le rôle écologique et social de l’agriculture évolue et se transforme à un rythme rapide dans la plupart des sociétés, au Nord comme au Sud. À la question de la sécurité alimentaire, s’ajoutent aujourd’hui de nombreuses questions qui portent sur le rôle de la nature ou du développement économique et social dans nos sociétés, et pour lesquelles les réponses proposées sont le plus souvent contradictoires et/ou antagonistes. Depuis les années 1960, l’agriculture des pays développés s’est en effet profondément modifiée, augmentant très


fortement la productivité de la terre et du travail, grâce en particulier à l’utilisation de nouvelles variétés « améliorées », au recours massif aux intrants de synthèse (fertilisants chimiques et pesticides), à la mécanisation et à l’irrigation. Cette augmentation de la productivité ne constitue pas une voie efficiente pour un développement durable. Elle s’est le plus souvent faite au prix d’un impact négatif fort sur l’environnement, aux niveaux local et global : dégradation de la qualité des eaux due à l’utilisation massive d’intrants chimiques, perte de biodiversité, émission de gaz à effet de serre, dégradation de la qualité des sols, etc. Parallèlement, la mise au jour des effets négatifs des pesticides utilisés en agriculture sur la santé humaine se fait de plus en plus prégnante (Inserm, 2013), contribuant au rejet par la société des agricultures intensives et fortes consommatrices d’intrants chimiques. D’après les données de la littérature scientifique internationale publiées au cours des 30 dernières années et analysées par ces experts, il semble exister une corrélation entre exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies chez l’adulte (cancers, maladies neurodégénératives telles que la maladie de Parkinson, diminution de la fertilité). Par ailleurs, les expositions aux pesticides intervenant au cours des périodes prénatales et périnatales ainsi que lors de la petite enfance semblent être particulièrement à risque pour le développement de l’enfant (Inserm, 2013). L’agroécologie a émergé dans ce contexte complexe porteur de fortes controverses. Le concept se trouve confronté à de vifs débats sur l’avenir des agricultures mondiales, débats avivés par les différents positionnements politiques internationaux sur le changement climatique ou la protection de la nature. L’horticulture n’est pas épargnée par ces débats, elle en constitue même une composante majeure : requérant souvent un emploi massif de pesticides en raison de la forte sensibilité des fruits et légumes aux bioagresseurs en général, elle est dans le même temps porteuse de vertus potentielles pour la santé humaine (alimentation équilibrée). Face à ce paradoxe, l’agroécologie constitue une voie d’innovation majeure dans le domaine des productions horticoles, à même de proposer la création d’un cercle vertueux pour la mise au point de systèmes alimentaires durables. Nous analyserons dans ce chapitre les principes qui fondent ce courant devenu en quelques années dominant, au moins dans les enseignements dispensés dans la plupart des universités et


écoles d’agronomie en Europe, sinon dans les réalités agricoles. La diversité et la cohérence du concept d’agroécologie À la fois discipline scientifique, mouvement social et ensemble de pratiques agronomiques (Wezel et al., 2009), l’agroécologie constitue aujourd’hui un concept aux multiples facettes. On peut même dire que ses définitions sont plurielles (Anonyme, 2013). Bien que le terme soit apparu dans les années 1930, l’agroécologie ne connaît un développement réel et significatif (tant au plan des idées qu’au plan opérationnel) qu’à partir de la fin des années 1980. Si, dès le début, elle apparaît comme une tentative d’associer les disciplines scientifiques de l’écologie et de l’agronomie, l’association des sciences sociales, même si elle est plus controversée, correspond à un courant fondateur important et actif. Francis et al. (2003) définissent ainsi l’agroécologie comme « l’étude intégrée de l’écologie du système alimentaire dans son ensemble, comprenant ses dimensions écologiques, économiques et sociales, ou plus simplement l’écologie des systèmes alimentaires ». En Amérique latine, l’agroécologie est le plus souvent affichée comme mouvement social, et comprend une dimension explicite de lutte contre l’exclusion sociale et de maintien de la souveraineté alimentaire du petit paysannat face à l’agriculture industrielle et capitalistique (Altieri et Toledo, 2011). Rapidement, elle fonde également ses principes dans l’analyse des savoirs traditionnels, issus des pays tropicaux, où les exploitations familiales valorisent les ressources naturelles locales et où les systèmes se basent sur l’utilisation et la valorisation raisonnée de la biodiversité locale (Altieri, 1989 et 1995). Récemment, le terme est apparu dans différentes instances nationales et internationales à la fois scientifiques et politiques, afin d’appuyer une révision des modèles agricoles pour garantir une alimentation suffisante et équilibrée pour la population mondiale (De Schutter, 2011). En Europe, en France en particulier, l’agroécologie est devenue une orientation majeure à la fois dans la politique agricole gouvernementale, dans les programmes d’enseignement agricole technique et universitaire et dans la


stratégie des organismes de recherche dédiés à l’agriculture. Dans leurs documents d’orientation, l’Inra et le Cirad l’ont ainsi identifiée comme un chantier scientifique prioritaire (dans le cas du Cirad, c’est plus précisément le terme d’intensification écologique qui est retenu mais les différences avec le concept d’agroécologie sont minimes). En 2014, la FAO a organisé un symposium sur l’agroécologie pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle, montrant l’intérêt de cette institution pour cette voie d’évolution de l’agriculture, même si le symposium a révélé des différences d’acceptions et l’existence de débats et de courants différents quant à sa mise en œuvre (FAO, 2014). Parallèlement à ces débats, l’agroécologie connaît un fort développement en tant que discipline scientifique. Elle englobe aujourd’hui un large ensemble interdisciplinaire incluant l’écologie, les sciences de l’environnement, les sciences agronomiques et les sciences humaines et sociales (Dalgaard et al., 2003). Bien que le corpus d’articles scientifiques utilisant le terme agroécologie sensu stricto soit relativement limité (environ 1 500 articles indexés dans l’ensemble des bases de données internationales depuis les années 1950), les passerelles entre l’écologie et les sciences agronomiques concernent aujourd’hui près de 6 000 articles indexés par an (Soussana, 2015), révélant l’intense activité scientifique dans ce domaine. Les principes scientifiques de l’agroécologie Malgré une évolution importante des différentes acceptions de l’agroécologie depuis la première formalisation du concept dans les années 1930, des principes communs peuvent être retenus (ces trois principes interagissant pour augmenter les services écosystémiques) : produire en s’appuyant sur les fonctionnalités des écosystèmes ; maximiser la biodiversité fonctionnelle ; renforcer les régulations biologiques dans les agroécosystèmes. La démarche consiste principalement à (ré)introduire et à piloter une


biodiversité fonctionnelle dans les agroécosystèmes, et ce à différentes échelles, de la parcelle au paysage. Tirer un meilleur profit de la biodiversité constitue ainsi un axiome de base pour l’agroécologie (Reboud et Malézieux, 2015). Illustrée avec les productions végétales, la démarche consiste à introduire, puis piloter différentes plantes/cultures de manière simultanée et/ou imbriquée afin de valoriser au mieux l’espace, tirer profit de la complémentarité des caractéristiques adaptatives et fonctionnelles de ces espèces, assurer un fonctionnement optimal du sol pour une meilleure efficience des processus en jeu. Une démarche similaire peut être considérée pour l’élevage ainsi que l’interface entre productions végétales et animales avec la conduite d’un troupeau dans un verger, par exemple. Les systèmes multispécifiques (qui associent de manière raisonnée plusieurs espèces) sont ainsi susceptibles de présenter différents avantages en augmentant la productivité globale du système, assurant un meilleur contrôle des bioagresseurs, et fournissant des services écosystémiques accrus (Malézieux et al., 2009). La construction de tels systèmes repose précisément sur la mobilisation, dans les écosystèmes cultivés, d’un cadre cognitif (essentiellement issu de l’écologie) portant sur le rôle de la biodiversité fonctionnelle dans les fonctions écosystémiques et de son utilisation dans une perspective pilotée : les concepts de compétition vs facilitation, l’analyse (et l’optimisation) de la répartition des ressources (lumière, eau, nutriments) dans des systèmes complexes, l’analyse (et l’optimisation) des interactions et régulations biologiques entre les plantes et les bioagresseurs (effets de dilution, de barrière physique, d’habitat, effets chimiques, etc.) constituent ainsi les bases biophysiques de l’agroécologie. S’inspirant du fonctionnement des écosystèmes naturels pour lesquels la biodiversité joue un rôle central, il est possible de définir certains principes agroécologiques qui serviront de base à la construction de systèmes agroécologiques (Malézieux, 2012) : utiliser la complémentarité des traits fonctionnels des espèces cultivées pour assurer productivité et résilience ; maintenir la fertilité du sol à travers une couverture permanente du sol ;


favoriser la facilitation vs la compétition entre plantes cultivées ; utiliser la complexité des réseaux trophiques pour la régulation des bioagresseurs ; utiliser les propriétés des plantes pour le contrôle des bioagresseurs (substances répulsives, attractives, etc.) ; s’inspirer des successions écologiques après perturbation pour construire des systèmes de culture durables. Ces différents principes traduisent de nouveaux enjeux scientifiques qui portent sur la compréhension du fonctionnement des écosystèmes cultivés et en particulier sur le rôle de la biodiversité dans le fonctionnement de ces écosystèmes. Celui-ci a toujours fait l’objet de nombreux travaux dans la communauté des écologues qui l’appliquaient aux écosystèmes naturels : c’est désormais un objet de recherche central pour les agroécologues, et pour les systèmes cultivés. L’hypothèse générale qu’une communauté complexe soit plus stable et/ou plus « productive » qu’une communauté composée d’un nombre limité d’espèces n’est toutefois pas confirmée, et il s’agit avant tout d’identifier les traits fonctionnels des différentes espèces qui sont susceptibles d’influer positivement sur les caractéristiques de stabilité et de productivité du système. La protection des plantes pose ainsi bien évidemment des défis centraux pour l’agroécologie : la diversité des espèces végétales cultivées (que l’on peut appeler biodiversité planifiée) détermine fortement la biodiversité « non planifiée » associée, qui inclut bioagresseurs et auxiliaires, à la fois aériens et souterrains. La régulation des communautés d’adventices, de microorganismes pathogènes et d’arthropodes et nématodes ravageurs dépend fortement des espèces végétales cultivées en interaction. Différents processus, qui feront l’objet d’études spécifiques dans cet ouvrage, vont ainsi être mis à l’œuvre (Ratnadass et al., 2012). La structure du peuplement cultivé planifié influe sur ces processus soit directement (effet de dilution de l’espèce hôte recherchée par un ravageur, effet barrière), soit indirectement (habitats, présence de composés attractifs ou répulsifs par certaines espèces végétales, organisation des réseaux trophiques). Au-delà des nouveaux fronts de recherche qui apparaissent dans ce


domaine du fonctionnement des agroécosystèmes (fronts de recherche qui portent sur une compréhension du comportement des bioagresseurs à travers l’écologie chimique, par ex.), de nouveaux besoins de recherche émergent pour concevoir des systèmes innovants basés sur ces nouvelles connaissances. Les processus de conception de nouveaux systèmes techniques agroécologiques et les processus d’innovation associés portent à eux seuls de nouveaux enjeux scientifiques qui nécessitent une contribution importante des sciences humaines et sociales à l’agroécologie. La combinaison des savoirs empiriques, portés par les agriculteurs, et des connaissances scientifiques, portées par plusieurs disciplines, constitue en elle-même une source d’innovation. L’agroécologie à l’échelle du territoire Alors que les pratiques agricoles se matérialisent à l’échelle du système de culture (parcelle) et qu’un agriculteur agit à l’échelle de son exploitation, les objectifs en matière de services écosystémiques (comme la conservation de la biodiversité, le bouclage des cycles biogéochimiques, la qualité de l’eau, la réduction des gaz à effet de serre, le stockage du carbone, la conservation des sols, etc.), sont principalement à considérer à l’échelle des paysages et des territoires agricoles. En effet, l’organisation même des activités agricoles au sein d’un paysage ou d’un bassin versant, peut affecter (ou améliorer) le bilan hydrique et la qualité de l’eau, la qualité des sols, mais également la pollinisation et la régulation des bioagresseurs (Médiène et al., 2011). Les différents services (ou disservices) écosystémiques, qui interagissent à un ensemble d’échelles spatiales (de la parcelle au paysage) et temporelles (de la saison à la décennie) peuvent également être antagonistes entre eux, et ainsi générer des conflits entre acteurs. De plus, à l’échelle d’un territoire, les objectifs des différents usagers ne sont pas forcément partagés : certains peuvent par exemple appréhender la biodiversité comme une ressource, d’autres comme un frein au développement (Bretagnolle et Baudry, 2015). L’articulation entre les niveaux d’organisation de la parcelle (lieu


d’application des pratiques), de l’exploitation agricole (lieu de décision de ces pratiques) et du territoire rural (lieu d’élaboration des services) est ainsi devenue pour l’agroécologie un enjeu autant scientifique que politique (définition des politiques publiques). Les enjeux pour demain Au plan scientifique, l’agroécologie induit en réalité une véritable rupture épistémologique dans le domaine des sciences agronomiques, qui se traduit par une modification profonde des objectifs, des questions de recherche, des démarches, des outils. À l’opposé de la démarche réductionniste, l’agroécologie s’appuie de manière privilégiée sur des démarches holistiques, à même de prendre en compte la complexité — la complexité étant vue comme socle de la durabilité du système. Dans la sphère de l’agroécologie, le contrôle des bioagresseurs forme une composante importante, encore renforcée dans le cadre des productions horticoles en raison de la sensibilité des fruits et légumes aux bioagresseurs et des contraintes des marchés de produits frais. La transition d’un modèle « agrochimique » basé sur l’utilisation de pesticides à un modèle « agroécologique » basé sur la régulation biologique des bioagresseurs requiert de nouvelles connaissances aux échelles emboîtées de la plante, du peuplement cultivé et du système de culture, et, enfin, du paysage. Habitat et/ou nourriture, la plante est un élément central de la vie et du comportement du bioagresseur : la connaissance des interactions plante-bioagresseurs, et, plus largement, des réseaux trophiques sous l’influence des systèmes de culture, constitue donc un élément essentiel pour envisager une régulation basée sur une maîtrise raisonnée de la biodiversité cultivée.

L’agroécologie vue par un écologue évolutionniste[1] Réfléchir à ce qu’est l’agroécologie pour un écologue évolutionniste peut passer par la mise en exergue de quelques traits saillants d’un agroécosystème dans le cadre de l’agriculture dite intensive et moderne. Le premier trait d’un tel écosystème est une grande simplicité en termes de


biodiversité et d’hétérogénéité spatiale (Malézieux et al., 2009). Par exemple, le nombre d’espèces utiles est idéalement réduit à 1 et la diversité génétique à 0 (monoculture d’une même variété), même si, en pratique, d’autres espèces s’invitent dans les cultures, en particulier organismes du sol et « mauvaises herbes ». Le constat n’est pas très différent pour l’élevage hors-sol. Le deuxième trait est l’intervention directe et l’omniprésence de l’homme dans un but de contrôle des conditions agricoles. On notera que ses interventions indirectes, résultant par exemple de la pollution généralisée ou du changement climatique, sont souvent oubliées. Le troisième trait est l’emphase sur le rendement, une vision à court terme bien compréhensible d’un point de vue économique. La notion de rendement n’est cependant pas étrangère à l’écologue évolutionniste, rejoignant la notion de valeur sélective (fitness) de la théorie darwinienne. Si on devait rassembler ces trois traits en une phrase, on pourrait dire que l’agriculture intensive vise à obtenir un rendement maximal dans un environnement maîtrisé et simplifié au maximum — l’histoire de l’agriculture, depuis ses débuts dans les centres de domestication, par exemple, du Moyen-Orient ou d’Amérique latine, nous enseigne que cette vision n’est pas sans efficacité, puisqu’elle peut subvenir aux besoins alimentaires de plusieurs milliards d’humains et de leurs commensaux (par ex., chats et chiens), mais à un coût énergétique, et donc écologique, très élevé. Le point limite d’une telle vision est une agriculture en « boîte de Petri », par exemple en serres ou hydroponique, dans un contrôle maximal. Il peut en principe constituer un régal pour des modélisateurs de systèmes écologiques, par sa simplicité (Loreau, 2010). Il fait cependant l’impasse sur l’essence de ce qui constitue le vivant, à savoir une biodiversité luxuriante (pour reprendre les dernières phrases de L’Origine des espèces de Darwin) et des interactions nombreuses et complexes, entre espèces, ainsi qu’entre espèces et milieu (Blondel, 2012). Un tel modèle exerce une forte pression sur la planète, qui n’est certainement pas viable à moyen terme, pour plusieurs raisons : énergie nécessaire chère, réduction spatiale des écosystèmes non productifs (par ex., forêts tropicales), baisse de biodiversité… L’agroécologie, en tant que science et en tant que pratique (Wezel et al., 2009), apporte une vision


alternative s’inspirant au mieux du fonctionnement écologique d’écosystèmes « naturels » et des principes évolutifs. On reprendra ici les trois traits mentionnés ci-dessus. En tout premier lieu, l’agroécologie prend mieux en compte la biodiversité naturelle et les multiples interactions avec un environnement biotique ou abiotique hétérogène. Or cette biodiversité a généralement un impact positif considérable sur le fonctionnement des écosystèmes, sur leur productivité et leur stabilité, comme le montrent de nombreuses études manipulant la biodiversité (par ex., en nombre ou en identité d’espèces ou de génotypes — Malézieux et al., 2009 ; Tilman et al., 2012). En prenant en compte explicitement cette dernière, l’agroécologie échappe à la vision « boîte de Petri », en introduisant une perception de l’interaction entre espèces (écologie des communautés), mais aussi de la diversité populationnelle (biologie des populations). L’idée n’est bien entendu pas de mimer des écosystèmes naturels (pré-humains), mais de comprendre la part de complexité importante pour la gestion à court et moyen terme des agroécosystèmes. L’agroécologie sort aussi de cette vision en prenant en compte formellement les écosystèmes entourant les agroécosystèmes d’intérêt : ceux-ci contribuent à la stabilité et à la santé des agroécosystèmes de façon massive, et ne peuvent pas être considérés comme un environnement néfaste, source de pathogènes et autres compétiteurs des cultures ou élevages. L’intervention humaine massive, deuxième trait mentionné cidessus, via une technologie et des intrants coûteux, peut être substituée dans la pensée agroécologique par la complexité écologique, certes moins docile et nécessitant un investissement humain supérieur, mais plus intéressante à moyen terme. Un nombre croissant de travaux montre d’ailleurs que le rendement moyen peut être aussi élevé en pratique agroécologique qu’en pratique classique, en particulier pour des cultures tropicales (même si la variabilité du rendement peut être plus élevée), ce qui amène au troisième trait saillant, le rendement. Ce dernier ne peut être la seule aune : le maintien d’écosystèmes en bon état, viables, fonctionnels et divers, souvent perçu comme un objectif de second ordre, est cependant vital à moyen terme. En d’autres mots, le service écosystémique rendu par un agroécosystème doit dépasser le simple rendement (Carpenter et al., 2009).


Si la pratique agroécologique prend mieux en compte la complexité écologique, elle s’inspire aussi plus ou moins explicitement de thèmes centraux en biologie évolutive. En premier lieu, elle réintroduit l’idée d’adaptation locale, constituée par les forces agissant sur les populations, par exemple la sélection pour une adaptation à un milieu particulier — dans un processus d’itérations adaptatives, particulièrement bienvenu en des temps de changements climatiques. Il n’est donc plus possible de se contenter de quelques « variétés élites » sensu lato, cultivées sur une large gamme d’environnements à l’aide d’intrants, artificialisations et technologies. Par ailleurs, un écosystème est soumis à évolution, via la mutation ou la migration par exemple, ce qui peut être pris en compte par la pratique agroécologique, et perçu non comme une nuisance, mais comme un potentiel. Ces aspects ne peuvent pas être abordés sans mentionner les organismes génétiquement modifiés et les résistances diverses qui y sont liées. Ceux-ci constituent d’une certaine manière la négation de la pensée évolutive et écologique — création par un deus ex machina, importation au champ sans possibilité d’adaptation, et utilisation massive de pesticides pour contrôler les compétiteurs et autres migrants. L’agroécologie doit permettre de restaurer cette pensée. Si écologie et biologie évolutive sont de facto — mais pas nécessairement explicitement — des sources d’inspiration pour l’agroécologie, elles amènent aussi à penser la relation entre l’homme et son environnement en termes éthiques (Maris, 2010). L’agriculture intensive est une des expressions de l’appropriation de l’environnement par l’homme, dans une position fortement anthropocentrique. Rien de bien nouveau : la théorie de l’évolution nous apprend que la sélection individuelle à court terme (ici, le rendement et l’intérêt pécuniaire) est plus efficace sur le plan de la valeur sélective que sur celui de la sélection de groupe (ici, l’avenir des agroécosystèmes et plus généralement des écosystèmes), un processus connu sous le nom de « tragédie des biens communs ». L’agroécologie permet de renverser cette logique : sans défendre une position strictement environnementalement centrée, elle remet au cœur de la réflexion et de la pratique une relation plus équilibrée entre homme et nature et une solidarité écologique, certainement plus viables à moyen terme.

L’agronomie est-elle soluble dans l’agroécologie ?


Encore quasi absent du vocabulaire des agronomes français il y a moins de dix ans, le terme agroécologie y a littéralement fait irruption à la fin des années 2000, et a été accueilli avec intérêt par les communautés scientifiques et techniques liées à l’agronomie. De nombreuses publications, communications et rencontres ont permis d’en expliciter les différentes significations et de faire connaître les expériences de développement agricole qui s’y rattachent. Désormais d’usage courant, notamment dans l’intitulé de profils de recrutement d’enseignants et de chercheurs, il permet de désigner et mettre en valeur certains domaines et/ou démarches dans lesquels les agronomes souhaitent s’investir. Mais jusqu’où va la convergence ? Il reste utile de préciser le positionnement respectif de l’agronomie, de l’écologie et de l’agroécologie, ainsi que leur potentiel d’enrichissement mutuel. Agronomie et écologie Selon leurs définitions les plus courantes (encadré), l’agronomie se rattache clairement à l’écologie. Considéré en France comme un des fondateurs de l’agronomie en tant que discipline scientifique et technique, Stéphane Hénin la présente en 1966 comme une écologie appliquée (Sebillotte, 2006). À cette époque, l’affirmation du rattachement de l’agronomie à l’écologie procède plus de considérations de principe que d’une mixité réelle des communautés scientifiques concernées : les écologues ne s’intéressent encore que secondairement aux espaces cultivés, et la focalisation encore marquée de l’agronomie sur la nutrition minérale et la fertilisation la relie de façon privilégiée à la chimie et à la physiologie végétale. Au cours des années 1970-1980, l’essor de l’écophysiologie des plantes cultivées, et le développement d’approches beaucoup plus explicatives des relations plante-milieu, ainsi que des cycles biogéochimiques — tout particulièrement celui de l’azote — rendent plus évident l’apparentement de l’agronomie à l’écologie fonctionnelle. À cette époque, le terme agroécosystème est couramment employé, et tant au niveau de la recherche que de l’enseignement supérieur, les interactions entre les deux communautés sont fréquentes. Par la suite, la prise en charge des problématiques environnementales ne fera qu’accroître et approfondir ces échanges. L’affirmation selon laquelle l’agronomie et


l’écologie se sont historiquement développées de façon disjointe est donc à nuancer. Elle relève pour partie d’une « illusion d’optique », en situant entre agronomie et écologie un clivage qui correspond au moins autant aux divisions internes à l’écologie elle-même. Partageant avec l’écologie fonctionnelle un intérêt prioritaire pour la production et le recyclage de la matière organique, l’agronomie est moins concernée par les autres branches de l’écologie. À la fin des années 1960, l’avènement d’une protection des cultures quasi exclusivement chimique aboutit à l’idée que ce n’est plus à l’agronomie de traiter les problèmes phytosanitaires. La spécialisation et le cloisonnement des disciplines font le reste : ce sont les disciplines de la santé des plantes qui s’intéressent à l’écologie évolutive, l’écologie des populations et l’écologie des communautés, et développent le concept de protection intégrée initialement proposé par des entomologistes à la fin des années 1950 (Lucas, 2007). Aujourd’hui, la réintégration des problématiques phytosanitaires dans le champ de l’agronomie induit un nouveau rapprochement avec l’écologie, mettant en exergue les effets des pratiques culturales sur les dynamiques de populations des bioagresseurs et auxiliaires.

L’agronomie, discipline apparentée à l’écologie

scientifique

et

technique

« Étude scientifique des relations entre les plantes cultivées, le milieu — envisagé sous ses aspects physiques, chimiques et biologiques — et les techniques agricoles. » Cette définition, donnée par l’Association française d’agronomie pour définir son objet (www.agronomie.asso.fr ), est reprise presque in extenso du Petit Larousse, qui propose pour écologie : « science qui étudie les relations des êtres vivants entre eux et avec leur milieu ». « Étude, menée simultanément dans le temps et dans l’espace, des relations au sein de l’ensemble constitué par le peuplement végétal et le milieu physique, chimique et biologique et sur lequel l’homme agit pour en obtenir une production » (Sebillotte, 1977, cité dans Doré et al., 2006).

En revanche, une différence moins conjoncturelle entre écologie et agronomie tient à la nature de « science de et pour l’action » de cette dernière, ou si on préfère, à sa dimension technologique, plus apparente dans la deuxième définition. C’est cette dimension que souligne le suffixe –nomie (Buisson, 2013), et qui donne à l’agronomie pour objets d’étude non seulement la parcelle, mais aussi l’agriculteur cultivant sa parcelle


(Sebillotte, 2006), et donc les différents systèmes techniques que ce dernier met en œuvre. L’analyse, la modélisation et la conception de ces systèmes, constituent pour l’agronomie un champ thématique à part entière, qui fait appel à des notions relevant de disciplines autres que l’écologie : système de production, assolement, agroéquipements, organisation du travail, règles de décision... sans oublier les concepts d’itinéraire technique et de système de culture dont elle a été elle-même à l’origine. À ces différents systèmes techniques correspondent différents niveaux d’organisation — parcelle, exploitation, bassin de production, territoire, etc. — par rapport auxquels l’agronomie est amenée à se situer pour élaborer ses diagnostics et prescriptions techniques. Au total, il y a entre l’écologie et l’agronomie une zone de non-recouvrement, qui correspond aux intersections entre l’agronomie et d’autres disciplines que l’écologie, en particulier les sciences de gestion (fig. 1.1). Selon la façon dont se développe l’ingénierie écologique, qui se préoccupe aujourd’hui de l’intégration dans son champ d’étude des pratiques et processus de décision d'acteurs socioéconomiques très variés — aménageurs, gestionnaires des ressources naturelles, etc. (Rey et al., 2014) —, il n’est d’ailleurs pas exclu que ce non-recouvrement se réduise progressivement, voire disparaisse, pour faire émerger une véritable ingénierie agroécologique (fig. 1.1).


Figure 1.1. Représentation schématique, et non exhaustive, des recouvrements entre agronomie et autres disciplines.

Agronomie et agroécologie La difficulté à clarifier le positionnement respectif de l’agronomie et de l’agroécologie tient d’abord à la diversité de leurs significations. Pour le terme agronomie, la dualité entre sens restreint — celui de la discipline — et sens large — domaine d’étude couvrant tous les problèmes liés à l’agriculture — est inscrite depuis longtemps dans le langage courant. La situation n’est pas aussi stabilisée pour l’agroécologie : même si on s’en tient à l’acception scientifique, en écartant celles qui désignent un ensemble de pratiques agricoles ou un mouvement sociopolitique (Wezel et al., 2009), on est aujourd’hui en présence de plusieurs définitions correspondant à des contenus et périmètres substantiellement différents. Dans son acception la plus littérale (par ex., Gliessman, 1997),


l’agroécologie est un domaine de l’écologie défini par le caractère agricole des écosystèmes considérés. Elle correspond à l’intersection entre écologie et agronomie, et n’inclut pas la composante « systèmes techniques » de l’agronomie. Dans une acception plus large (par ex., Dalgaard et al., 2003), l’agroécologie est une discipline intégrative qui, d’une part, s’intéresse à une gamme plus étendue d’agroécosystèmes et de niveaux d’organisation, d’autre part, intègre un éventail plus large de disciplines : agronomie, écologie mais aussi sciences humaines et sociales. Dans cette optique, qui se rapproche de l’agronomie « au sens large », l’agronomie au sens restreint est incluse dans l’agroécologie, mais n’en est qu’une composante parmi d’autres. En allant au bout de cette perspective intégrative, certains auteurs (par ex., Francis et al., 2003) en viennent à considérer l’agroécologie non plus comme une discipline, mais comme un champ d’étude inter- voire transdisciplinaire. Ce champ comprend non seulement les agroécosystèmes (y compris les systèmes et ateliers de production animale), mais aussi les systèmes agroalimentaires dans leur ensemble. L’agroécologie est alors pour l’agronomie un cadre de travail et non plus un domaine disciplinaire apparenté ou englobant. Il est aujourd’hui prématuré de faire un pronostic sur l’évolution des usages terminologiques, soit vers une restriction, soit vers un maintien de cette diversité de significations du terme agroécologie. Cependant, on fera ici l’hypothèse que la première acception mentionnée ci-dessus, qui est à la fois la plus restreinte et la plus proche de l’agronomie, perdurera, notamment parce qu’elle semble la plus facilement assimilable par les écologues. Sous cette hypothèse, quels avantages l’agronomie peut-elle retirer de l’émergence de ce nouveau terme ? Sans prétendre à l’exhaustivité, nous en retiendrons trois : l’affichage du rattachement de l’agronomie à l’écologie, qui en sens inverse manifeste une prise de distance salutaire vis-à-vis d’une phytotechnie empirique, qui cherche à établir des relations directes entre les interventions techniques et les performances agroenvironnementales. Au contraire, dans une optique agroécologique, les interventions sont à considérer comme des perturbations écologiques complexes, c’est-à-dire la modification simultanée et drastique d’un grand nombre de facteurs et conditions


jouant en cascade sur le fonctionnement des agroécosystèmes auxquels elles s’appliquent. Ce n’est qu’en considérant sinon l’ensemble des processus concernés, du moins les principaux et leurs interactions, que l’on peut comprendre et prédire les performances agroenvironnementales associées aux pratiques agricoles, et établir des références techniques ; l’accent mis sur la nécessité de prendre en compte de façon plus explicite les agents et processus biologiques, y compris ceux qui relèvent de la dynamique et de l’évolution génétique des populations. L’agronomie les a parfois ignorés, ou bien souvent considérés comme des « boîtes noires », résumées par des coefficients ou paramètres de modèles dont la nature et la structure étaient à dominante physique ou chimique ; enfin, la possibilité de dénommer de façon claire et concise, sous le vocable agroécologie, un ensemble de champs thématiques concourant à l’étude du fonctionnement des agroécosystèmes, en les distinguant mieux de la composante proprement technologique de l’agronomie, centrée sur les systèmes techniques. Cette distinction ne doit évidemment pas occulter l’impératif d’articulation entre ces deux ensembles de champs thématiques. Agronomie et protection agroécologique des cultures Telle que définie dans cet ouvrage, la protection agroécologique des cultures (PAEC) se rattache clairement à l’acception scientifique « restreinte » du terme agroécologie. Elle est en étroite adéquation avec le réinvestissement en cours de l’agronomie dans le domaine de la protection phytosanitaire. En effet, dans une perspective de réduction d’usage des pesticides chimiques, le contrôle des bioagresseurs relève de l’emploi conjoint de différents leviers à efficacité partielle, en privilégiant une approche préventive de réduction ou d’évitement des risques de développement des bioagresseurs. Par rapport à celui de la protection chimique, le raisonnement sous-jacent à cette démarche fait appel à une connaissance plus large et plus approfondie, non seulement de la biologie


et de l’écologie des bioagresseurs et auxiliaires, mais plus globalement du fonctionnement des agroécosystèmes, à de multiples niveaux d’organisation spatiotemporelle. La figure 1.2 en donne une représentation simplifiée et met en exergue le fait que ce sont des systèmes complexes (puisque leurs performances peuvent être perçues comme des propriétés émergentes) et ouverts (puisqu’ils sont sous l’influence du climat, des pratiques agricoles et d’interactions multiples avec le reste du territoire). L’optimisation de leur pilotage doit donc reposer sur un large corpus de connaissances intégrées à différentes échelles, et issues de différents champs disciplinaires.

Figure 1.2. Représentation synoptique du fonctionnement d’un agroécosystème. Les interactions représentées par les flèches rouges sont celles qui doivent être prises en compte de manière privilégiée pour la PAEC, en plus des interactions au sein de la composante biotique (rectangle orange clair). L’échelle implicite de l’agroécosystème considéré est la parcelle cultivée (cadre vert). Le paysage (rectangle rouge) intègre l’ensemble des espaces, anthropisés ou non, susceptibles d’interagir avec la parcelle considérée via des échanges biotiques, physiques ou chimiques. Les déterminants sociaux, techniques, économiques et environnementaux (rectangle gris) se situent aux échelles de


la parcelle, de l’exploitation de la petite région (échelle locale) et des filières concernées (échelle régionale), et incluent les réglementations (échelle nationale), les prix de vente des produits récoltés et les innovations technologiques (échelle globale).

Le raisonnement qu’appelle une protection moins dépendante des produits phytopharmaceutiques est aussi plus complexe du point de vue technique, car il doit intégrer l’effet phytosanitaire des interventions autres que celles ayant directement pour cible le contrôle des bioagresseurs : c’est alors sur l’ensemble du système de culture, et non sur les seuls traitements phytosanitaires, que repose la protection des plantes, comme illustré dans Grechi et al. (2012) dans le cas du contrôle des pucerons des pêchers. Les success stories les plus emblématiques de la PAEC illustrent bien le fait que le process opérationnel s’appuie sur un schéma de raisonnement structuré et ordonné : ainsi la réussite du projet Gamour de lutte contre les mouches qui ravagent les productions de Cucurbitacées maraîchères à la Réunion (Deguine et al., 2015 ; chapitre 2) repose sur un modèle — qualitatif mais explicite — de dynamique des populations de bioagresseurs et auxiliaires, à l’échelle d’une portion de paysage qui déborde de la parcelle. Ainsi conçue, la PAEC ne s’oppose pas à la protection intégrée des cultures (PIC). Au contraire, ces deux notions doivent être vues comme complémentaires, car elles ne se situent pas sur le même plan : le terme PAEC se rapporte aux connaissances à mobiliser, celui de PIC aux opérations à effectuer et à leur combinaison au sein d’itinéraires techniques et systèmes de culture cohérents. Si elle répond aux critères de la PAEC, la PIC correspond alors à sa version la plus exigeante, celle de l’utilisation strictement en dernier recours des pesticides chimiques : la réduction des risques de développement des bioagresseurs y est intégrée en amont, lors des étapes de choix et conception des systèmes de culture (chapitre 5). Inversement, une PAEC réellement opérationnelle se traduit par des itinéraires techniques et systèmes de culture cohérents, efficaces et ergonomiques ; on peut alors dire que la protection phytosanitaire y est intégrée, au sens où elle n’y introduit pas de dysfonctionnement. C’est le cas du projet Gamour, qui aboutit à une réduction notable de la durée et de la pénibilité des travaux consacrés à la protection phytosanitaire, jointe à un accroissement des rendements et de la marge brute.


Pour pouvoir être qualifiée d’intégrée, la PAEC doit aussi pouvoir s’appliquer non pas à une seule espèce de bioagresseurs, ni même à un cortège d’espèces, chacune étant redevable d’un « segment de PAEC » à additionner aux autres, mais à l’ensemble du complexe de bioagresseurs et auxiliaires lié au système de culture. Il faut pour cela pouvoir décrire les dynamiques des bioagresseurs et leurs relations avec les pratiques culturales, ainsi qu’avec la gestion de l’espace et des paysages, non pas séparément pour chaque espèce, mais en faisant appel à des traits communs, selon une approche illustrée par Gardarin et al. (2012) à propos des adventices, ou dans le projet Biophyto (chapitre 3). À cette condition, il deviendra envisageable d’appliquer des raisonnements phytosanitaires en fonction de typologies croisant systèmes de cultures et caractéristiques du paysage, sans aboutir à une infinie diversité de schémas de protection. Sans cette structuration, la PAEC restera désintégrée et son assimilation par l’agronomie restera soit théorique, soit limitée à des situations particulières : celles, par exemple, où la lutte biologique contre les ravageurs s’applique avec succès et où les autres bioagresseurs ne posent pas de grave problème. Les concepts de l’écologie et ceux de l’agronomie peuvent, et doivent même, être hybridés pour permettre la mise en œuvre concrète de stratégies de PAEC (encadré). Néanmoins, les efforts méthodologiques doivent être poursuivis afin de proposer aux agriculteurs des outils d’aide à la conception de stratégies de gestion intégrées horizontalement (c.-à-d. maîtrise simultanée d’un ensemble de stress biotiques causés par des agents pathogènes, des plantes adventices et des ravageurs) et verticalement (combinaison de méthodes culturales prophylactiques, de variétés résistantes ou tolérantes, de méthodes de contrôle biologiques, physiques ou chimiques). Pour ce faire, les schémas conceptuels doivent être renouvelés, non seulement en ce qui concerne les démarches de modélisation (Aubertot et Robin [2013] proposent une méthode qualitative de modélisation des profils de dégâts sous l’effet des pratiques agricoles, du pédoclimat et de l’environnement de la parcelle), mais également en ce qui concerne les démarches expérimentales et les diagnostics en parcelles agricoles (chapitre 5). De plus, il est important de souligner que ces stratégies de PAEC s’intègrent dans des systèmes de culture agroécologiques visant un ensemble de services écosystémiques plus


large que la seule régulation des bioagresseurs (Lescourret et al., 2015 ; Duru et al., 2015 ; voir fig. 1.3 pour un exemple d’associations d’espèces cherchant à atteindre un vecteur de services écosystémiques).

Concepts emblématiques de l’écologie mobilisables pour la PAEC Niche écologique La niche écologique peut être définie comme l’ensemble des conditions environnementales et des ressources nécessaires pour le maintien d’une population viable d’une espèce donnée (Begon et al., 1996). C’est l’un des concepts fondamentaux de l’écologie. Il peut être mobilisé par l’agronome pour la conception de systèmes de culture limitant les stress biotiques des espèces cultivées via une modification du biotope (par ex., travail du sol, fertilisation azotée ou irrigation) et/ou de la biocénose (par ex., choix de l’espèce emblavée, choix du cultivar, lutte biologique ; fig. 1.3). Il fait écho au concept d’atténuation en culture (Attoumani-Ronceux et al., 2011) qui résulte de l’adaptation de la conduite d’une culture de manière à éviter qu’elle ne constitue des niches écologiques ad hoc pour ses principaux bioagresseurs.

Dispersion Cette notion est relative, pour une population d’une espèce donnée, à la colonisation d’une part, au maintien dans un environnement changeant, d’autre part (Begon et al., 1996). Les distances de dispersion sont variables suivant les organismes, mais la dispersion peut s’opérer à l’échelle du paysage pour plusieurs bioagresseurs et auxiliaires. La combinaison des mécanismes de dispersion et de niche écologique fait que les structures et configurations paysagères influencent la répartition spatio-temporelle de la biodiversité (Tscharntke et al., 2012). L’agencement relatif des systèmes de culture au sein d’un territoire et la gestion des espaces interstitiels influencent donc fortement les dynamiques de bioagresseurs et d’auxiliaires et peuvent ainsi être mis à profit pour la PAEC.

Interaction biologique Les organismes vivants peuvent interagir de différentes manières (rectangles rouge et vert, fig. 1.2). L’écologie considère les grands types de relations suivants : la symbiose, le mutualisme, le commensalisme, le parasitisme, la prédation et la compétition (fig. 1.4), la facilitation et le neutralisme. Ces interactions peuvent être mises à profit pour la gestion agroécologique des stress biotiques en pilotant le milieu ou les organismes présents afin de faire apparaître des régulations biologiques — une régulation étant l’ajustement, conformément à un ou plusieurs objectif(s), d’un système piloté.

Trait fonctionnel


Le concept de trait fonctionnel est central en écologie car il permet de regrouper un ensemble d’organismes, non pas en fonction des espèces considérées, mais en fonction de traits morpho-physio-phénologiques qui impactent leurs valeurs sélectives (Violle et al., 2007). On distingue d’un côté, trait de réponse à l’environnement, et de l’autre, trait d’effet. Dans le cadre de la gestion agroécologique des cultures, les traits de réponse permettent de regrouper les espèces étant impactées de la même manière par le pédoclimat, ou une pratique culturale (par ex., les œufs d’un ravageur, les semences de plantes adventices ou le mycélium se trouvant sur résidus infectés après une récolte sont impactés de manière semblable — mais non identique ! — par une opération de labour). Les traits d’effet correspondent à la nuisibilité des bioagresseurs. Ainsi, des maladies foliaires, un insecte défoliateur ou des dépôts de miellats par des pucerons partagent-ils le même mécanisme de dommage : une réduction de la surface foliaire photosynthétiquement active.

Figure 1.3. Association d’espèces tournesol/soja mise en place pour atteindre un vecteur de services agroécosystémiques (services d’approvisionnement, de régulation, de support, et culturels). © Inra France - UMR Agir Toulouse.


Figure 1.4. Régulation biologique par compétition et par prédation. Par compétition (a) : colonisation de racines de riz par Pseudomonas fluorescens, qui permet de limiter les attaques d’espèces cryptogamiques de différentes cultures (Pythium spp., Fusarium oxysporum, Gaeumannomyces graminis, Rhizoctonia solani) et dans une moindre mesure de bactéries (par ex., Pectobacterium carotovorum) et nématodes (par ex., Meloidogyne spp.) (Couillerot et al., 2009). Par prédation (b) : larve de Thea vigintiduopunctata se délectant d’un mycélium d’oïdium (photo © B. Hanssens, 2015).

Conclusion Les définitions de l’agroécologie, même si on se limite à son acception scientifique, ne sont pas encore suffisamment homogènes pour que l’on puisse avoir une vision stabilisée et unifiée de ce qui la rapproche ou la différencie de l’agronomie. En tout état de cause, aucune des définitions proposées à ce jour ne revendique de façon explicite l’analyse et la modélisation des systèmes techniques en tant qu’objets d’étude à part entière. Or cette dimension technologique a pour l’agronomie un caractère identitaire. En identifiant cette zone de non-recouvrement, on fait d’autant mieux apparaître le bien-fondé et l’intérêt de l’émergence du vocable agroécologie, pour mettre en valeur l’intersection entre agronomie et écologie, promouvoir l’application aux agroécosystèmes


des concepts et méthodes d’écologie encore sous-utilisés par les agronomes, mais aussi faire bénéficier l’écologie de la capacité qu’ont acquise ces derniers à analyser de façon explicative l’effet des interventions culturales sur la structure et le fonctionnement de ces agroécosystèmes, souvent indéchiffrables pour les écologues des milieux faiblement anthropisés. Il est particulièrement important de continuer à préciser en quoi agronomie et agroécologie se recouvrent et se différencient, dès lors que ces termes sont appelés à décrire des domaines d’enseignement ou de recherche, et des profils de compétences à recruter ou former.

Agroécologie et cadres de référence : une lecture épistémologique L’agroécologie fait bouger les lignes à deux niveaux principalement, le cadre de pensée et de connaissance, mais aussi les relations entre partenaires, du chercheur au technicien et à l’agriculteur. Du paradigme de simplification au paradigme de complexité La science, telle qu’elle s’est développée en Occident au cours des derniers siècles, a pour objectif de fournir une base rationnelle à l’action de l’homme sur la nature, en posant notamment que les phénomènes les plus simples sont les plus généraux et qu’ils sont la garantie du progrès scientifique. L’idée sous-jacente est donc bien celle d’une vérité à rechercher, opposée au relativisme (Nouvel, 2011). Cette démarche, qualifiée d’analytique ou de réductionniste, est profondément marquée par la philosophie positiviste d’Auguste Comte (1798-1857), qui avait pour ambition de remplacer les modes de pensée antérieurs dits « théologique » et « métaphysique ». Cette vision épurée du monde qui nous entoure, ou plutôt de ce que nous voyons du monde au travers du filtre des multiples disciplines scientifiques très spécialisées, est directement à l’origine de notre conception de l’agriculture. En effet, ses choix techniques et scientifiques résultent d’une vision simplifiée de la plante et de son milieu. La plante est considérée comme un ensemble de compartiments, dont nous


cherchons à améliorer certains (grain, fruit, racine, tronc…) à notre profit, souvent au détriment d’autres, grâce à la sélection génétique et à des méthodes culturales adaptées. Ce jeu de construction culmine d’ailleurs avec la possibilité de modifier le vivant par touches ponctuelles (transgénèse), ou davantage encore par ce qu’il est convenu d’appeler « la fabrication du vivant ». Pour ce qui est du milieu dans lequel se développe la plante, la situation optimale pour l’agriculture conventionnelle est celle où l’artificialisation est maximale, c’est-à-dire où toutes les variables sont contrôlées (substrat, lumière, eau, engrais). On est là dans le schéma classique de l’agriculture productiviste, basée sur des systèmes de culture en général gourmands en intrants de tous ordres : engrais, infrastructures, produits phytosanitaires. Cette vision de l’agriculture est basée sur des choix, des connaissances, des concepts, voire des croyances (créer la vie !), qui sont des parties constituantes du paradigme de simplification. De nombreux auteurs dénoncent ce paradigme dominant et voient en lui non seulement la source d’un appauvrissement des connaissances et de la réflexion en général, mais aussi du milieu naturel et de notre accès aux ressources naturelles : 90 % de l’alimentation humaine ne sont-ils pas assurés par seulement par 103 espèces végétales ! On l’accuse également d’être à l’origine de dysfonctionnements, comme celui de l’étanchéité entre les industries alimentaire et de la santé humaine, alors que les premières génèrent de manière évidente des affections qui doivent être prises en charge par la société. Développer une agriculture novatrice, dans son contexte à la fois écosystémique et humain, conduit donc à ré-imaginer des systèmes agricoles complexes, forcément beaucoup plus liés aux contextes locaux que ne le sont les systèmes agricoles classiques. On entre ainsi dans un nouveau paradigme, dit de complexité, qu’Edgard Morin (1977) a défini de cette façon : « Tout objet est alors conçu dans son organisation propre, mais aussi dans son environnement et en fonction de son observateur. » C’est dans ce cadre de pensée que l’agroécologie met l’accent sur la transdisciplinarité comme moyen de connaissances et d’actions. Au-delà de la simple juxtaposition des disciplines scientifiques (biologie, écologie,


agronomie, socioéconomie…) qui sont le propre de l’inter- ou de la pluridisciplinarité, la transdisciplinarité affronte la complexité des interactions du système étudié en croisant les connaissances. Celles-ci sont académiques dans les disciplines scientifiques a priori pertinentes pour la problématique posée ; elles sont également empiriques et recouvrent les observations et expériences des partenaires de terrain. Ce sont ce qu’il est convenu d’appeler les savoirs « profanes ». La mobilisation explicite d’autres sources de connaissances et le renouvellement des interactions entre partenaires L’agroécologie met l’accent sur le lien au terrain et sur les relations entre partenaires. Elle ne peut se développer qu’à partir du partage des observations et des connaissances, scientifiques ou « profanes ». Elle recherche aussi le partage des croyances, des engagements et des choix de référentiels. L’agroécologie est donc un lieu où les regards croisés — ce que certains appellent l’« itinérance des points de vue » — et les controverses sont souhaités. Ainsi, la plante adventice sera à éliminer si elle est considérée comme une mauvaise herbe, ou au contraire à conserver si elle héberge des insectes auxiliaires. Le scientifique, souvent considéré comme péremptoire dans ses affirmations, n’est alors qu’un partenaire parmi les autres. La transition vers ce paradigme de complexité, si elle est basée sur une autre façon de voir les interactions entre disciplines scientifiques, doit également inclure cet enrichissement par d’autres sources de connaissances, intimement lié à la confrontation avec d’autres partenaires (Grison, 2011). Les ruptures, souvent mises en avant par l’agroécologie, ne concernent donc par tant les savoirs (on retrouve souvent des pratiques anciennes) que les dispositions d’esprit et les relations entre partenaires. À l’image de ce qui est vécu dans nombre de groupes ayant vocation à innover, on favorisera donc les angles de vue insolites… et de ce fait une certaine insolence ! On veillera ainsi à intégrer des approches de la connaissance peu souvent mises en avant dans les démarches scientifiques classiques. Par exemple, l’intuition ou la créativité sont typiquement des aptitudes qui existent hors de la logique des raisonnements habituels et


dont l’intérêt n’est validé qu’après coup (Catellin, 2014). Si cette aptitude n’est pas forcément individuelle, elle peut être pleinement collective à partir du moment où les partenaires sont placés à égal niveau d’implication. Les recherches et les pratiques en PAEC : du « prêt-à-porter » au « sur mesure » On l’aura compris, la PAEC, par sa vision scientifique et technique transdisciplinaire et intégrative, se situe bien dans le paradigme de complexité qui, s’il n’est pas nouveau dans l’histoire de la pensée humaine, l’est sûrement pour la science occidentale et l’agriculture conventionnelle dominante depuis la seconde guerre mondiale. La complexité des interactions trophiques recherchée par la PAEC a pour objectif de stabiliser les processus écosystémiques, et éventuellement leur productivité moyenne. Cependant, un autre point est à souligner : que ce soit pour la biodiversité végétale fonctionnelle (permettant la bonne gestion des habitats des bioagresseurs, prédateurs, parasitoïdes ou pollinisateurs), l’amélioration de la qualité des sols (via la stimulation de son fonctionnement biologique) qui sont deux axes directeurs de l’agroécologie, ou pour la lutte biologique par conservation (qui préserve les ennemis naturels indigènes des bioagresseurs) par exemple, la PAEC recentre la réflexion scientifique et les pratiques sur le local. Il y a donc une priorité donnée à la connaissance fine et à la maîtrise du contexte local, pour passer ensuite au contexte général, jusqu’au paysage (Reynolds et al., 2014). Ce changement de perspective est un marqueur important de l’évolution des questionnements scientifiques et de la formalisation des pratiques impliquées par la PAEC.

Évolution de la protection des cultures Regard critique d’un historien des sciences sur l’évolution de la protection des cultures


Une histoire de la protection des cultures… pour quoi faire ? L’histoire des sciences, comme celle des techniques, n’a pas pour objectif de définir de grandes révolutions ou de faire émerger du passé de glorieux génies. Issue d’un travail minutieux, parfois rébarbatif, elle permet seulement d’appréhender la manière dont se sont construits les savoirs. Bien souvent limitée à sa dimension anecdotique et didactique, trop souvent positive, progressiste et triomphaliste, l’histoire des sciences, lorsqu’elle est bien menée, bouscule nos certitudes et remet en cause le principe même de progrès. Appliquée plus précisément à l’agronomie, elle pourrait améliorer notre compréhension des mécanismes qui ont forgé le monde tel que nous le connaissons : une planète où un bon quart de la biodiversité est en danger, où nos ressources s’épuisent et où le climat, changeant du fait des activités humaines, risque de ne pas arranger les choses. L’histoire des pratiques agronomiques devrait permettre de favoriser la réflexion chez les acteurs impliqués à nourrir l’humanité, qu’ils soient agriculteurs, étudiants, scientifiques ou militants. La présente partie propose donc une trop courte et incomplète réflexion sur l’histoire de la protection des cultures, de manière à préciser le contexte au sein duquel la protection agroécologique des cultures a pu voir le jour. En un sens, cet écrit est aussi un appel à ce que de plus amples études historiques soient menées sur le sujet passionnant de la lutte biologique. Aussi dans ce court voyage, gardons-nous de tout jugement rétrospectif, qui nous ferait sombrer dans les écueils de l’anachronisme. 1913 : une application des méthodes de Pasteur Dans un article datant de 1914, le docteur Félix d’Hérelle propose de subdiviser les procédés offensifs de lutte contre les insectes en deux catégories : « la lutte par les procédés mécaniques » et la lutte par « les procédés biologiques ». S’il ne cite pas la lutte chimique, c’est qu’à son époque celle-ci n’en est qu’à ses balbutiements, bien trop coûteuse pour être prise au sérieux ou appliquée à d’importantes surfaces. D’Hérelle, lorsqu’il parle de lutte contre les ravageurs, s’attaque en réalité


à une problématique millénaire, une des sept plaies d’Égypte : les sauterelles et les criquets. Ces acridiens « vont droit devant eux, dévorent tout sur leur passage : herbes, récoltes, feuilles […] forment une véritable couche grouillante, et leur nombre est tel que si une colonne traverse une voie ferrée, les convois qui viennent à passer patinent sur la couche gluante des insectes écrasés et doivent s’écarter jusqu’à ce que toute la colonne soit passée ». Même le chemin de fer, symbole de la puissante technoscience issue de la révolution industrielle, se retrouve paralysé par des nuées de criquets. Le symbole est fort ; la problématique pour les cultures immense, insoluble. C’est face à ce constat d’impuissance que les États se résigneront à mettre en place d’importants et coûteux programmes de recherche en matière de lutte contre les ravageurs, faisant intervenir les disciplines scientifiques les plus récentes de leur époque. À ce titre, l’agriculture est emblématique car elle voit souvent les dernières découvertes se décliner en son sein en de nombreux projets de recherche expérimentaux. Thomas Edison ne proposa-t-il pas d’électrocuter en plein vol les nuées de sauterelles au moyen de courants électriques produits par de formidables batteries ? Les propriétés radioactives de l’uranium, découlant des travaux de Marie Curie, ne furent-elles pas appliquées un temps à l’élaboration de nouvelles techniques agronomiques, avant d’être finalement abandonnées ? Les résultats obtenus par l’école pastorienne en matière de vaccination font naître l’espoir chez les agronomes et les scientifiques de pouvoir un jour immuniser les plantes de la même manière pour lutter contre les maladies qui touchent les cultures. Félix d’Hérelle lui-même applique à la lutte contre les ravageurs les techniques et savoirs de son temps. Empruntant ses méthodes à Louis Pasteur, dont il fut l’élève, il isole du contenu intestinal de cadavres de sauterelles, le microorganisme responsable de leur trépas. Ce coccobacille, alors cultivé dans le cadre maîtrisé du laboratoire, lui permettra par la suite de recréer à l’envi et au sein des nuées d’acridiens, de mortelles épizooties, endiguant par là les invasions de sauterelles en Amérique du Sud. Le progrès ou la fable de la passivité


Cette dynamique, récurrente dans l’histoire des sciences, qui consiste à déplacer les méthodes propres à une discipline vers une autre, est celle qu’emprunte Louis Pasteur tout au long de sa carrière. D’Hérelle admet d’ailleurs appliquer les techniques héritées de son école : « Pasteur a émis le premier l’idée que la meilleure manière de lutter contre les insectes nuisibles devait être l’emploi des microbes. » Cette dynamique permet d’éclairer d’une intéressante manière l’histoire des sciences agronomiques. Les savoirs et les techniques ne se succèderaient pas de manière progressive et positive, mais se superposeraient et/ou entreraient en concurrence. C’est ce que défend Jean-Baptiste Fressoz dans son Apocalypse joyeuse (2012). Étudiant la manière dont se sont imposées de nouvelles technologies au cours du xixe siècle, il en vient à la conclusion qu’aucune prise de décision, concernant les technosciences, n’a échappé aux débats et aux polémiques : « La modernité positive [d’Auguste Comte] qui aurait pensé les techniques sans leurs conséquences lointaines semblait déjà caduque lors de la révolution industrielle. Les hommes […] étaient bien conscients des risques immenses qu’ils produisaient. Mais ils décidèrent, sciemment, de passer outre. » Ce point est crucial : la mise en application d’une nouvelle technologie découle d’une prise de décision arbitraire au sein d’un débat de société. Qu’elle soit moderne ou post-moderne, notre réalité est issue de décisions plébiscitées et/ou imposées par les États, les industries ou la société ellemême. Ces prises de décisions sont donc conscientes et subjectives, influencées par les époques qui les ont vues naître, portées par des intérêts économiques, des idéologies militantes, politiques ou religieuses. Le caractère novateur d’une technique ne serait plus qu’un paramètre parmi tant d’autres dans la balance menant à la prise de décision. Il n’y aurait donc pas de réelle innovation, logique et progressiste, mais concurrence entre différents projets. Comprendre les mécanismes qui mènent à l’acceptation de l’un ou de l’autre est l’objet de l’histoire des sciences. Pour Félix d’Hérelle, l’utilisation des microorganismes dans la lutte contre les ravageurs des cultures représentait l’avenir : « Divers bactériologistes ont entrepris la recherche de maladies bactériennes des insectes, et il est certain que dans peu d’années, cette méthode de destruction s’étendra à tous les nuisibles. » Dès lors, comment expliquer


que la lutte biologique, pourtant soutenue par la puissante école pastorienne, n’ait pas connu plus de succès ? Comment se fait-il que nous ayons aujourd’hui l’impression lorsque nous parlons de lutte biologique d’être à ce point novateur alors qu’un siècle auparavant de telles méthodes étaient déjà envisagées et, a fortiori, déjà employées ? Il faut pour cela se rappeler que lorsque Félix d’Hérelle publie ses travaux en 1914 sur l’usage des microbes en lutte biologique, l’Europe est sur le point de sombrer dans l’horreur et la destruction, de se plonger dans quatre années d’une guerre mondialisée. La Grande Guerre ou le développement de l’industrie chimique La Grande Guerre, dans un premier temps, porte un coup à la recherche scientifique. Elle mobilise les corps et les esprits vers d’innombrables tranchées et entraîne des coupes drastiques dans les budgets de certains pans de la recherche. L’enlisement d’une guerre que l’on prévoyait courte conduira au développement de nouvelles armes, notamment celui des armes chimiques. Produites pour la première fois dans des proportions industrielles, elles deviennent tristement célèbres avec l’utilisation du gaz moutarde lors de la troisième bataille d’Ypres. Dès lors, les industries chimiques sont « armées » pour la production massive de biocides en tout genre. Dérivés des gaz mortels utilisés pour l’élimination des poilus, les pesticides peuvent désormais, au lendemain de la première guerre mondiale, être produits en grande quantité et à bas coût pour l’élimination d’un tout autre genre de nuisibles. Ils présentent de surcroît l’avantage d’être non spécifiques, un seul et même produit permettant alors de lutter contre un ensemble de ravageurs. De plus, là où la lutte biologique nécessite de disposer de connaissances approfondies et exhaustives sur la biologie et l’écologie des ravageurs, les pesticides permettent de s’en affranchir. Mais ces « avantages », seuls, n’auraient peut-être pas été suffisants pour permettre leur expansion si les gouvernements n’en avaient pas plébiscité l’utilisation, permettant aux désormais puissantes industries chimiques d’opérer un déplacement de leur production du domaine de la guerre vers celui de l’agriculture. Le maintien en activité de telles industries faisant partie d’une stratégie militaire officieuse, les recherches dans le domaine de l’armement chimique ainsi que l’utilisation des


pesticides gagneront en ampleur jusqu’en 1945. De l’armement à l’agriculture : vers la production d’intrants et la « Révolution verte » Après la libération, en 1945, l’État français est en pleine reconstruction. La guerre n’est plus une priorité et les subventions dans le domaine de l’armement chimique s’en trouvent fortement diminuées (au profit notamment du nucléaire). En parallèle, poussé par le besoin de nourrir une France touchée par deux guerres mondiales en moins d’un demi-siècle, le domaine de l’agriculture se rationalise. Cette rationalisation, calquée sur le modèle allemand des années 1930, avait en réalité déjà débuté sous l’occupation, instaurée par le gouvernement de Vichy pour pourvoir aux besoins du Troisième Reich. Ce sont les bases du modèle productiviste que l’on connaît aujourd’hui, caractérisé par de grandes monocultures aux variétés normées, inscrites au catalogue officiel, ainsi que par sa forte consommation en eau et en intrants. Dès lors, les paysages agricoles français vont s’uniformiser sur l’ensemble du territoire : uniformisation des espèces, uniformisation des variétés, sélectionnées pour leur rendement et leur homogénéité, mais aussi uniformisation des sols devant être aptes à recevoir lesdites semences. Les industries chimiques, qui ne s’occupent désormais plus de produire des armes, se consacrent à plein temps à la production d’intrants. Les engrais servent à l’homogénéisation des sols, les pesticides et les herbicides à éliminer tout paramètre indésirable. Seule compte la variété utilisée. Des no man’s land de la Grande Guerre, aux non bio land que sont certaines monocultures arrosées de biocides, le recyclage des industries chimiques est alors opéré, poussé par l’État, les lobbies et, il faut l’avouer, par son efficacité. En effet, faisant suite aux périodes de rationnement sous l’occupation, la normalisation agricole entraîna une explosion de la production qui propulsa les Français dans les Trente Glorieuses. Cette (trop) rapide histoire de l’évolution des techniques en protection des cultures, bien que schématique, propose un élément de réflexion à qui voudrait savoir pourquoi la lutte biologique ne connut pas l’expansion que


lui prédisait d’Hérelle en 1914. Et si elle traite pour beaucoup de la manière dont s’est développée la lutte chimique contre les insectes, la dynamique observée en lutte contre les « mauvaises herbes » ou contre les maladies des cultures est similaire. Les « terres » puniques ou la lutte contre les mauvaises herbes Concernant la lutte contre les mauvaises herbes — ces plantes « parasites » accusées en 1929 de causer la perte de plus de 5 % des récoltes —, la dynamique observée est similaire à celle décrite au sujet des insecticides. Si à la fin du xixe siècle, on voit déjà des pulvérisateurs à main se multiplier dans les champs, l’épandage d’herbicides n’est pas encore systématisé. Une large gamme d’herbicides minéraux reste toutefois à dispositions des paysans qui souhaitent se débarrasser de ces plantes indésirables, allant du sel marin au sulfate de cuivre, en passant par l’acide sulfurique. L’action stérilisante du sel sur les sols agricoles est connue depuis bien longtemps. En effet, dès le ve siècle, l’historien byzantin Sozomène rapporte que Rome, après sa victoire sur Carthage en 149 avant notre ère, aurait recouvert de sel les terres carthaginoises afin de les rendre stériles, de manière à ce que jamais cette civilisation ne se relève. Compte tenu de son coût exorbitant et de l’importance que revêtira le sel des siècles durant, il est permis de douter de la véracité de ces faits. C’est la raison pour laquelle il est difficile d’imaginer que le sel ait pu être utilisé à grande échelle dans la lutte contre les mauvaises herbes avant le milieu du xixe siècle. De son côté, l’acide sulfurique sera employé jusque dans les années 1960, progressivement remplacé par des herbicides organiques, au même titre que les autres herbicides minéraux du début du xxe siècle. Les méthodes de dispersion à grande échelle et les techniques de production développées durant la Grande Guerre permirent l’expansion des herbicides chimiques au même titre que celle des insecticides. Du reste, les pesticides ne sont pas les seuls à cultiver un lien étroit entre les industries agrochimiques et celles de l’armement. L’histoire de l’agent orange en est l’illustration la


plus frappante. Lors de la guerre du Vietnam (1955-1975), un herbicide utilisé aux États-Unis depuis les années 1950 fut employé à des fins militaires, affublé de ce surnom. Sa persistance dans l’environnement et au sein des chaînes trophiques causa, au-delà de dégâts environnementaux considérables, nombre de cancers et de malformations congénitales parmi les populations exposées. De son côté, la lutte contre les maladies des cultures étant intrinsèquement liée à la lutte contre les ravageurs, s’occuper de l’une revenait à prévenir l’autre. L’utilisation de biocide permettait donc de lutter sur deux fronts simultanément. Toutefois il importe de garder à l’esprit que, dans la lutte contre les maladies des cultures, la recherche de variétés végétales résistantes reste la technique la plus usitée. La dichotomie entre lutte chimique et lutte biologique : deux axes de recherche indépendants ? N’imaginons pas que le seul fait d’avoir « pris conscience » du poids qu’exercent nos activités sur l’environnement suffise à impulser les changements que nos sociétés « modernes » doivent opérer. Silent Spring, l’ouvrage de Rachel Carson qui conduisit à l’interdiction du DDT pour son usage agricole, fut publié en 1962. Plus de 50 ans après, l’usage de pesticides dans l’agriculture reste la norme. C’est là la distinction entre une réelle prise de conscience et une factuelle prise de décision. Il ne suffit pas qu’un savoir soit produit, qu’une technique soit créée, pour que la société les adopte. Il suffit de se pencher sur les archives du Cirad à la Réunion pour se rendre compte que, de manière quasi systématique depuis les années 1960, lorsqu’il s’agit de lutte contre des ravageurs, deux axes de recherche sont empruntés : la lutte chimique et la lutte biologique. Deux voies évoluant côte à côte, l’une se focalisant sur la recherche d’un produit phytosanitaire capable d’éliminer les ravageurs, l’autre sur la recherche d’un parasite ou prédateur naturel qui permettrait de réguler les populations de nuisibles. Menées en parallèle, ces recherches ne se mélangent pas. L’incompatibilité même de ces techniques de lutte explique en partie les difficultés


rencontrées en IPM (Integrated Pest Management pour les Anglais et protection intégrée des cultures pour les francophones) qui souhaitait les rassembler. En effet, comment procéder à de la lutte biologique si les cultures que l’on souhaite protéger sont traitées aux biocides ? Différentes pistes et solutions sont envisagées depuis bien longtemps par les centres de recherche. Certaines d’entre elles sont privilégiées, d’autres mises au placard. Quelles sont les raisons qui orientent ces prises de décision ? Aujourd’hui, l’utilisation de pesticides représente la norme. Leur efficacité à court terme ainsi que leur facilité d’utilisation ont certainement joué un rôle dans les choix qui menèrent à leur vulgarisation. Une meilleure compréhension des liens qui se tissent entre la recherche agronomique et notre société est cruciale si l’on veut promouvoir avec efficacité de nouvelles méthodes. Une agroécologie schizophrénique : la nécessité d’en clarifier les méthodes et les objectifs Pour que la protection agroécologique des cultures soit perçue comme une alternative viable à l’utilisation des pesticides, il est indispensable que ses acteurs sachent qu’il ne lui suffira pas d’« exister » pour être adoptée. La PAEC va devoir, au même titre que l’agroécologie, ré-expliciter le contrat qu’elle entend passer avec la société, entrant alors en concurrence avec d’autres pratiques. La PAEC n’est ni une révolution scientifique, ni un retour en arrière. Comme Félix d’Hérelle qui, un siècle auparavant, entendait répondre aux problématiques de son époque avec les méthodes pastoriennes, la PAEC, fait appel à un grand nombre de disciplines scientifiques actuelles (entomologie, écologie, agronomie, botanique, génétique, pédologie…). Pour le moment schizophrénique, l’agroécologie devra clarifier ses objectifs et ses méthodes si elle souhaite s’imposer au sein d’une société plus schizophrénique encore. C’est ce qu’entend faire la PAEC au moyen d’ouvrages qui, comme celui-ci, font intervenir des acteurs d’horizons différents. L’agroécologie et la PAEC soulèvent déjà un certain nombre de questions qui découlent directement de la diversité de leurs formes :


scientifiquement parlant, la PAEC ne saurait être compatible avec l’utilisation massive de biocides, mais ne serait pas incompatible avec des techniques issues de la biologie moléculaire, des biotechnologies ou de certaines formes de mécanisation. Par contre, une agroécologie militante pourrait s’y opposer pour des raisons idéologiques. De leur côté, les scientifiques risquent de se heurter à la rigueur administrative qui régit le fonctionnement de la recherche actuelle. L’agroécologie qui, par essence, est une discipline qui accepte la complexité et embrasse la diversité, doit bénéficier d’un cadre présentant une certaine flexibilité, capable d’évoluer en fonction des résultats obtenus et des particularités observées. En conclusion, si comme le dit Bruno Latour, sociologue, anthropologue et philosophe des sciences, « nous n’avons jamais été modernes », alors il nous faudra tenir compte du fait qu’une discipline ne s’impose pas d’ellemême, mais est poussée par des moyens politiques ou économiques, plébiscités par la société. Si la PAEC veut être une solution d’avenir, alors ses acteurs devront travailler de concert à son implantation dans nos sociétés. Circonscrite au domaine scientifique, elle ne resterait qu’à l’état de projet ; circonscrite au domaine politique, elle ne serait que discours séduisants sur l’environnement ; dans des mains militantes, elle ne pourrait s’étendre à l’ensemble de la société. Pour s’enraciner et être une alternative viable, la PAEC devra transcender l’ensemble de ces domaines et, afin d’éviter tout risque de confusion ou de récupération, réexpliquer le contrat qu’elle entend passer entre les chercheurs et la société.

Passer de la protection intégrée à la protection agroécologique des cultures De la lutte contre les « parasites » à la gestion des communautés De tout temps, l’agriculteur a connu les craintes de perdre tout ou partie de la récolte espérée sur les cultures qu’il mettait en place. Face à cette menace, dont les causes n’étaient pas toujours clairement identifiées, l’observation et l’apprentissage par essais-erreurs ont longtemps guidé le choix des pratiques mises en œuvre. Il s’agissait alors de rechercher les moyens d’augmenter progressivement le rendement sans, dans le même


temps, mettre en péril les gains espérés par une plus grande vulnérabilité face à d’éventuelles agressions non maîtrisables. Au xixe siècle, les avancées sur la connaissance des causes biologiques de pertes de récolte, notamment sur les plantes adventices, ravageurs, maladies, et les premières expérimentations, permettent de mieux comprendre l’origine et la nature de ces agressions, en mettant en particulier à mal la théorie de la génération spontanée qui prévalait jusqu’alors. Ces avancées s’accompagnent de la découverte de l’efficacité de composés chimiques comme le sulfate de cuivre vis-à-vis de certaines maladies, ou de composés à base d’arsenic contre les insectes, donnant naissance à des techniques de lutte plus ciblées et à caractère curatif (Riba et Silvy, 1989). C’est au milieu du xxe siècle que le développement de la chimie appliquée à l’agriculture modifie profondément les pratiques de protection des cultures. Applications d’herbicides, d’insecticides, de fongicides deviennent ainsi des composantes incontournables au sein des itinéraires techniques. En permettant de maintenir un grand nombre de bioagresseurs en dessous de ce qu’on définira plus tard comme leur seuil de nuisibilité, ces applications entraînent même une évolution des pratiques agronomiques, pendant la période que l’on a qualifiée de Révolution verte, permettant d’augmenter les rendements (choix variétal, engrais, irrigation, dates et doses de semis, mécanisation, etc.), même si ces pratiques sont connues pour augmenter parallèlement les risques liés aux bioagresseurs. La deuxième moitié du xxe siècle connaît ainsi des gains de production agricole importants, mais aussi une utilisation croissante de pesticides et une dépendance de plus en plus importante des systèmes de culture à leur utilisation. Les constats faits sur cette dépendance et les effets indésirables sur la durabilité même de l’efficacité agronomique de ces techniques (pertes d’efficacité des molécules par adaptation des populations cibles, destruction de populations auxiliaires), sur la contamination des milieux (sol, eau, air), sur la santé des utilisateurs et des consommateurs, ainsi que sur les perturbations écologiques dans les agroécosystèmes, amènent à une remise en question des pratiques de protection des cultures et plus


globalement des stratégies de conception des systèmes de culture (Aubertot et al., 2005). Pourtant, en à peine plus d’un siècle, la discipline phytosanitaire a considérablement évolué, passant du concept de lutte contre les nuisibles à celui de la protection des cultures, donnant progressivement une place de plus en plus grande à la lutte chimique mais, devant certains excès, tentant d’y substituer ou d’y intégrer d’autres méthodes : lutte biologique, résistance variétale, adaptation des pratiques culturales... Après avoir analysé cette évolution, nous montrerons comment la nécessaire prise en compte des enjeux environnementaux implique des stratégies spatiotemporelles de gestion des populations de bioagresseurs à l’échelle de l’exploitation en son entier, voire du paysage, prenant en compte l’ensemble de l’agroécosystème, et tirant profit d’une gestion harmonieuse des ressources écologiques au bénéfice de la production agricole, sur la base de concepts développés en agroécologie. Les premières techniques de protection des cultures Les premières techniques de protection des cultures étaient basées sur des constats pas toujours expliqués quant aux réels effets sur les causes des dégâts. Dès la Renaissance, on arrachait les buissons d’épine-vinette : on savait que cela réduisait les attaques de rouille du blé sans que l’on ait compris leur rôle dans le déroulement du cycle du champignon responsable de la maladie (Chevaugeon, 1986). L’ennemi était parfois plus visible, mais les moyens de lutte restaient rudimentaires, comme les techniques manuelles contre les insectes : échenillage hivernal (de Serre, 1600) ; « hannetonnage » et lutte manuelle contre les doryphores, désherbage manuel (qui reste la première activité humaine dans le monde en termes de temps qui lui est consacré, surtout pour les femmes des pays en développement du Sud, notamment en Afrique sub-saharienne). Face à ces moyens de lutte à l’efficacité relative et au nombre limité, qui sont donc loin de pouvoir couvrir toute la gamme des risques encourus, l’agriculteur adopte des pratiques agronomiques dont il sait, par expérience le plus souvent, qu’elles ont des effets favorables sur la santé


de ses cultures. La pratique des rotations des cultures limite le développement des maladies et de certains ravageurs liés au sol, les alternances de cultures de printemps et de cultures d’hiver régulent les populations de mauvaises herbes. Le maintien d’une diversité génétique au sein des cultures, qu’elle soit monospécifique (variétés-populations ou associations variétales, par ex.) ou plurispécifique (association céréaleslégumineuses...) limite le développement des maladies et ravageurs au sein de la culture (Ratnadass et al., 2012). Le travail du sol est utilisé pour détruire les adventices mais a également des effets sur les insectes du sol et la production d’inocula primaires de certains agents pathogènes. Pourtant, quelques techniques de lutte directe par utilisation de substances minérales et d’extraits végétaux sont apparues tout au long du développement de l’agriculture. Ainsi les propriétés insecticides de différents extraits de plantes, en particulier la nicotine, le pyrèthre et la roténone, sont connues de longue date. La recommandation de l’utilisation de l’arsenic comme insecticide remonte à la Rome antique. L’acétoarsénite de cuivre a été utilisé dès 1865 contre le doryphore aux États-Unis d’Amérique et à la même époque, l’utilisation du soufre s’est développée en Europe comme fongicide contre l’oïdium. En 1885, la bouillie bordelaise a été la première véritable formulation fongicide à base de sulfate de cuivre et de chaux. À partir du début du xxe siècle, des poudres insecticides à base d’arséniate de plomb ont été utilisées en arboriculture fruitière et culture cotonnière. Des sels de mercure ont été employés dès 1890 et pendant presque tout le xxe siècle pour le traitement des semences avant d’être interdits en 1982 (Riba et Silvy, 1989). Le développement des méthodes de lutte basées sur la chimie de synthèse C’est au milieu du xxe siècle que l’industrie chimique de synthèse développe des produits aux propriétés insecticides, puis herbicides et fongicides. Les insecticides organochlorés comme le DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane), dont les propriétés insecticides sont découvertes dès 1939, et jusqu’à son interdiction en agriculture en 1972, suivis des insecticides organophosphorés, les herbicides de la famille des


urées substituées, les fongicides de la famille des benzimidazoles, constituent ainsi les premiers jalons d’une longue liste de matières actives, renouvelées au fur et à mesure des retraits pour cause de toxicité élevée, des pertes d’efficacité constatées suite aux adaptations des populations de bioagresseurs visés, et des progrès dans la découverte de nouvelles matières actives plus efficaces, voire plus sélectives ou ayant un impact environnemental plus faible. Ce progrès est essentiellement porté par le secteur privé et une industrie chimique dynamique. Il faut noter qu’en son temps, le développement des organochlorés a été salué comme un progrès pour l’humanité de par ses effets sur les arthropodes vecteurs de maladies humaines (typhus, paludisme). De même, les herbicides de synthèse ont été avant tout perçus comme un progrès technique considérable et un facteur de progrès social, vu la pénibilité et la chronophagie du désherbage manuel, en particulier pour certaines catégories de populations. L’efficacité des méthodes ainsi proposées et leur facilité d’emploi expliquent en grande partie leur succès et entraînent des excès dans leur utilisation et leur application. Une première prise de conscience permet de passer assez vite d’une lutte chimique dite « aveugle » selon des calendriers de traitements, à une lutte chimique conseillée grâce à un encadrement de distributeurs et de conseillers agricoles. La lutte raisonnée (entendue comme lutte chimique raisonnée) fait ensuite intervenir la notion de seuils de tolérance, en deçà desquels la nuisibilité du bioagresseur ne justifie pas la réalisation d’un traitement au plan économique. Une telle démarche nécessite une observation périodique de l’état sanitaire des cultures, facilitée grâce à la mise en place progressive des systèmes d’avertissements agricoles. En France, le service de la Protection des végétaux produit ainsi près d’une trentaine de modèles donnant des prévisions de risques concernant l’épidémiologie de certaines maladies ou la dynamique de plusieurs insectes nuisibles en fonction du climat (Jacquin et al., 2003). Une recherche qui se poursuit parallèlement sur la lutte biologique


La lutte biologique a été utilisée depuis l’Antiquité : le premier exemple documenté (dès 304 ap. J.-C.) concerne la lutte biologique par conservation avec des fourmis tisserandes contre des ravageurs des agrumes en Chine dans la province de Kwantung. C’est en 1889 que la lutte biologique classique a enregistré son premier succès incontestable en Californie (contrôle de la cochenille australienne des agrumes par la coccinelle Novia cardinalis introduite d’Australie par Riley). Toutefois, cette forme de lutte, de même que d’autres (comme la lutte autocide) n’est applicable que dans des cas de figure très précis et délimités. C’est par exemple le cas à l’île de la Réunion de la lutte biologique contre le ver blanc de la canne à sucre Hoplochelus marginalis par le champignon entomopathogène Beauveria brongnartii, ou contre le psylle vecteur du greening des agrumes (Aubert et al., 1980). Les succès ou le potentiel de la lutte autocide avec la technique de l’insecte stérile concernent surtout des insectes d’intérêt médical (par ex., moustiques vecteurs du paludisme) ou vétérinaire (lucilie bouchère Cochliomyia ; mouches tsé-tsé Glossina), ainsi que des mouches des fruits et des lépidoptères d’intérêt forestier et agricole (Dyck et al., 2005). La lutte biologique par inondation s’est quant à elle développée avec la protection intégrée des cultures, en substitution à la lutte chimique. Actuellement, elle est largement utilisée (avec efficacité) pour lutter contre la pyrale du maïs avec les trichogrammes (micro-Hyménoptères parasitoïdes oophages), notamment en Europe de l’Est. Sinon, le principal terrain d’application de la lutte biologique par inondation est l’horticulture sous abri. Ainsi, en France, 75 % des surfaces de tomates et concombres sous abri sont protégés par des insectes auxiliaires. On signalera aussi l’apparition récente en France, dans la sphère publique (ministère en charge de l’Agriculture, Inra) du vocable (sinon concept) de « biocontrôle », défini comme « un ensemble de méthodes de protection des végétaux par l’utilisation de mécanismes naturels ». Il ne s’agit donc pas de la traduction en français de biological control, dans la mesure où les produits/agents de bio-contrôle représentent un ensemble d’outils à utiliser, seuls ou associés à d’autres moyens de protection des plantes, pour la protection intégrée telle qu’elle figure dans l’approche


européenne. On distingue quatre principaux types d’agents de biocontrôle : les macroorganismes auxiliaires (invertébrés comme insectes, acariens ou nématodes) ; les microorganismes (champignons, bactéries et virus) ; les médiateurs chimiques (phéromones d’insectes et kairomones) ; les substances naturelles utilisées comme produits de biocontrôle (d’origine végétale, animale ou minérale ; Herth, 2011). Le difficile pari de concilier luttes chimique et biologique : lutte intégrée, IPM Le concept de « lutte intégrée » (integrated control) a été introduit dès les années 1950 à l’initiative d’entomologistes engagés dans la mise au point de lutte biologique (Stern et al., 1959 ; Ferron, 1999). Selon la FAO, la lutte intégrée est définie en 1967 comme étant un « système de lutte aménagée qui, compte tenu du milieu particulier et de la dynamique des populations des espèces considérées, utilise toutes les techniques et méthodes appropriées de façon aussi compatible que possible en vue de maintenir les populations d’organismes nuisibles à des niveaux où ils ne causent pas de dommages économiques ». Au sein de l’Union européenne (UE), la lutte intégrée est définie par la directive communautaire 91/414/CEE comme « l’application rationnelle d’une combinaison de mesures biologiques, biotechnologiques, chimiques, physiques, culturales ou intéressant la sélection des végétaux, dans laquelle l’emploi de produits phytopharmaceutiques est limité au strict nécessaire pour maintenir la présence des organismes nuisibles en dessous du seuil à partir duquel apparaissent des dommages ou une perte économiquement inacceptables ». On peut rapprocher le concept de lutte intégrée de l’Integrated Pest Management (IPM) des anglo-saxons (Dent, 1995). On retiendra de ces définitions que, si elles envisagent l’intégration de méthodes quelles qu’elles soient (« appropriées », dans la définition de la FAO, avec une limitation au strict nécessaire des méthodes chimiques pour l’UE), elles sont centrées sur la « lutte » (contre les organismes nuisibles) et, malgré


tout, sur la lutte chimique dans la pratique. Lutte intégrée, protection intégrée, production intégrée : des réformes aux impacts limités La définition de la protection intégrée telle que définie par l’OILB en 1973 (Ferron, 1999), à savoir « un système de lutte contre les organismes nuisibles qui utilise un ensemble de méthodes satisfaisant les exigences à la fois économiques, écologiques et toxicologiques, en réservant la priorité à la mise en œuvre délibérée des éléments naturels de limitation et en respectant les seuils de tolérance » n’est pas très différente de celle de la lutte intégrée, si ce n’est qu’elle suggère (même si la différence n’est pas très explicite dans l’énoncé des textes respectifs) de prendre en compte l’ensemble des organismes nuisibles d’une culture. Elle reste néanmoins, dans l’énoncé, basée sur le concept de lutte. De même, dans la pratique, c’est la lutte chimique qui en reste la pierre angulaire. La nécessité d’une clarification des définitions apparaît dans un texte connu sous le nom de déclaration d’Ovronnaz (Altner et al., 1977), petite ville suisse où cinq entomologistes de l’OILB esquissent les bases d’une nouvelle conception de la production agricole, en s’inspirant des acquis, réussites et échecs d’une trentaine d’années de recherches et d’expérimentations sur la lutte intégrée. Le terme « lutte intégrée » reste néanmoins très présent dans tous les travaux et toutes les communications à suivre de l’OILB, bien que Baggiolini (1998) reconnaisse que le terme protection intégrée était plus approprié. À partir de la déclaration d’Ovronnaz, les débats sont actifs pour préparer les « directives pour un label production intégrée », dont la première concrétisation sera l’élaboration, en 1991, d’un texte provisoire écrit conjointement sous l’égide de l’OILB et de l’ISHS (Société internationale pour la science horticole) et qui concerne la production intégrée des fruits à pépins (Poitout, 1998). Suivront plusieurs textes de directives, régulièrement réactualisés et faisant aujourd’hui référence. La troisième édition des principes généraux et directives techniques de production intégrée définit la production intégrée comme une production économique


de produits de haute qualité, donnant la priorité à des méthodes écologiquement plus sûres, minimisant l’utilisation et les effets indésirables des produits agrochimiques et visant à l’amélioration de la sécurité environnementale et de la santé humaine (Boller et al., 2004a). Selon ces directives générales, la production intégrée se donne pour objectifs de : promouvoir les systèmes de production respectueux de l’environnement, économiquement viables et soutenant les fonctions multiples de l’environnement, à savoir ses aspects sociaux, culturels et récréatifs ; d’assurer une production durable de produits sains de haute qualité contenant des résidus minimes de pesticides ; de protéger la santé des agriculteurs lorsqu’ils manipulent des produits agrochimiques ; de promouvoir et maintenir une haute diversité biologique des agroécosystèmes concernés et des aires périphériques ; de donner la priorité à des mécanismes de régulation naturelle, de préserver et promouvoir à long terme la fertilité des sols ; de minimiser la pollution de l’eau, du sol et de l’air. Le terme de production intégrée a été fréquemment repris à des fins de qualification de la production ou simplement de communication sur des pratiques agricoles ainsi labellisées de facto plus vertueuses. Les contenus sont parfois très éloignés des textes de l’OILB quant au respect des objectifs des directives, dans certains cas aussi quant aux concepts et à l’esprit, notamment en ce qui concerne les enjeux environnementaux, comme analysé par Bellon et al. (2006), prenant l’exemple de la production fruitière intégrée en France. D’une manière générale, le terme « production intégrée » est mal accepté par la profession agricole française sous prétexte qu’il prête à confusion avec « l’intégration économique ». Ainsi le réseau Farre (Forum des agriculteurs responsables


et respectueux de l’environnement) choisit de traduire l’integrated farming de ses partenaires anglo-saxons par « agriculture raisonnée ». C’est donc principalement en Suisse, dans la République tchèque et dans le Nord de l’Italie que la production intégrée a réellement connu un développement. Il est néanmoins important de citer l’exemple de la production intégrée de mangues à la Réunion (Normand et al., 2011). L’IPM et ses nombreuses déclinaisons : une évolution et un bilan similaires Au cours de son histoire longue de plus d’un demi-siècle, l’IPM a donné lieu à des dizaines de définitions et a donné naissance à de nombreuses appellations (conventional IPM, biointensive IPM, preventive IPM, community IPM, zero IPM, low IPM, high IPM, ultimate IPM, etc.). Cette diversité a engendré et engendre encore aujourd’hui, à la fois des difficultés d’interprétation et des dérives dans les applications. Ces dérives ont bien été soulignées par certains auteurs. Ehler et Bottrell (2000) remettent en cause le fait que les principes de l’IPM soient véritablement appliqués sur le terrain, en parlant de the illusion of IPM. Pour sa part, Ehler (2006) distingue le true IPM, celui où la prévention et la forte réduction de l’utilisation des pesticides sont pratiquées, de the other IPM, correspondant à des pratiques relevant de la lutte chimique raisonnée. Cet auteur souligne que la majorité des pratiques IPM relèvent de cette deuxième acception, même si le véritable souci d’intégrer d’autres techniques que la lutte chimique, existe. Pour illustrer cette dérive sur le terrain des principes de l’IPM, certaines expressions ont vu le jour ces dernières années : le sigle IPM a été qualifié d’intelligent pesticide management, d’integrated pesticide management, d’improved pesticide management… Poursuivant leur analyse, Ehler et Bottrell (2000) constatent que 30 ans après la directive Nixon inscrivant l’IPM comme élément de politique nationale des États-Unis et sept ans après l’engagement de Clinton d’étendre la pratique IPM à 75 % du territoire agricole à l’horizon 2000, les estimations de l’Union des consommateurs faisaient état d’un chiffre de 4 à 8 %. L’échec de cette politique est expliqué par un défaut de


pluridisciplinarité et d’intégration, mais aussi par une approche frileuse qui a consisté à proposer des ensembles de pratiques non chimiques ou à risque moindre, sans avoir une réelle connaissance de l’effet de ces pratiques sur l’ensemble de l’agroécosystème, et notamment sur les bioagresseurs non cibles ou secondaires, ainsi que sur les auxiliaires les affectant. Les auteurs en appellent à la nécessité d’une approche écologique du fonctionnement de l’agroécosystème plutôt qu’un objectif de traitement des symptômes, et une prise en compte plus dynamique des seuils de tolérance. Il ne faut pas oublier que, dès son avènement, l’IPM présentait un objectif difficile à atteindre : rendre compatibles la lutte chimique, dont les effets négatifs commençaient à être identifiés (Carson, 1962), et la lutte biologique, qui avait montré quelques succès retentissants. L’histoire de l’IPM a été marquée par un développement parallèle des techniques chimiques et des techniques biologiques, sans toutefois une véritable intégration dans les programmes de recherche et sans une harmonisation sur le terrain. Même si la mesure de l’évolution de l’IPM sur le terrain est difficile, son développement reste faible dans son sens true IPM, que ce soit dans les pays où l’agriculture est intensive (États-Unis, Europe, zones péri-urbaines) ou dans les pays en voie de développement. Au niveau de l’Europe et à l’initiative du groupe de recherche européen Endure, une attention accrue est portée à l’application d’une part du premier principe de l’IPM, concernant la prévention et le développement de systèmes de culture plus robustes et intrinsèquement moins dépendants des pesticides et, d’autre part, dans son huitième et dernier principe concernant l’évaluation, la prise en compte de critères de durabilité et d’impacts en santé humaine et environnementale à des échelles supérieures à la parcelle et au cycle de culture (Barzman et al., 2015). En termes de principes tout au moins, l’IPM peut donc être compatible avec l’agroécologie (Ratnadass et Barzman, 2014). Toutefois, une différence majeure entre la pratique de l’IPM et celle de l’agroécologie en termes de protection des cultures est que la première reste pour l’essentiel fondée sur des méthodes visant à augmenter l’efficacité des pesticides chimiques ou sur leur substitution par des alternatives plus « douces », alors que la dernière relève d’une stratégie


globale, spatio-temporelle, de gestion des populations animales et végétales et nécessite normalement la reconception complète du système de culture, ce qui traduit son positionnement « en rupture », car les enjeux écologiques sont véritablement pris en compte dès le départ. Ainsi, bien que la définition de l’IPM aux États-Unis ait considérablement évolué dans ses concepts — on compte 67 définitions entre 1959 et 2000, selon Bajwa et Kogan (2002) — intégrant progressivement une approche plus globale des bioagresseurs (pest populations), une démarche d’intervention plus systémique (systemic approach to crop protection), des interactions avec l’écologie (ecology-based pest control strategy), la mise en pratique reste frileuse. La pratique de l’IPM est par ailleurs souvent décrite comme un continuum dans l’adoption des acceptions de l’IPM : low IPM, moderate IPM et high IPM, selon le nombre et le type de pratiques alternatives mises en œuvre (Hollingsworh et Coli, 2001), témoignant d’une grande diversité de pratiques sur le terrain et entretenant une certaine confusion sur ce qu’est réellement l’IPM. Agroécologie et santé des plantes : la PAEC L’agroécologie, en particulier dans sa dimension de mouvement social, porte en elle l’idée de la nécessité de changer la nature humaine, appelant à la « sobriété » face à la diminution des ressources, attitude philosophique qu’on ne retrouve pas dans l’IPM. De même, dans son acception scientifique, la dimension « écologique » de l’approche agroécologique est beaucoup plus développée que celle de l’IPM, qui, bien que reposant sur des bases scientifiques, fait surtout appel aux connaissances en matière de phénologie des plantes cultivées et de bioécologie des bioagresseurs (en particulier dynamique des populations) dans une optique de combinaison des tactiques de lutte et de définition de seuils de nuisibilité économiques et d’intervention. D’ailleurs, dans la pratique de l’IPM, la notion d’« écologie » renvoie plutôt à la réduction des impacts environnementaux négatifs qu’à l’utilisation des processus écologiques en remplacement des intrants polluants et non renouvelables (Ratnadass et Barzman, 2014).


L’approche agroécologique a aussi une visée plus large que l’IPM, l’ingénierie écologique pour la régulation des bioagresseurs constituant sa déclinaison à la protection des cultures (Nicholls et Altieri, 2004 ; Ferron et Deguine, 2005a et b).Toutefois, la régulation des bioagresseurs constitue un pilier majeur de l’agroécologie dans la définition d’Altieri (1995). De même, Shennan et al. (2005) ont écrit : « An agroecological approach to agriculture involves the application of ecological knowledge to the design and management of production systems so that ecological processes are optimized to reduce or eliminate the need for external inputs. Nowhere is this more apparent than in the management of agricultural pests »[2]. Dans la pensée agroécologique, c’est l’adaptation des pratiques culturales en vue de manipuler les habitats et favoriser la lutte biologique par conservation qui est particulièrement mise en avant dans la notion d’« ingénierie écologique pour la régulation des bioagresseurs » (Gurr et al., 2004a et b). Dès 2005, Ferron et Deguine insistent pour signaler, qu’en plus de ces pratiques, centrales, de gestion des habitats, il est nécessaire, d’une part, de supprimer ou réduire fortement l’utilisation de pesticides et, d’autre part, de mettre en œuvre des systèmes de culture compatibles avec ces pratiques de gestion d’habitats. La protection agroécologique des cultures apporte donc des notions bien marquées par rapport à l’IPM : la prise en compte d’échelles spatiotemporelles emboîtées, la gestion concertée entre acteurs et notamment entre agriculteurs, l’écologie et le fonctionnement écologique de l’agroécosystème, la gestion des communautés animales et végétales, la gestion du sol, etc. Une nécessaire clarification et un changement de paradigme Même lorsqu’on lui adjoint un adjectif, on a vu que le fait de garder un même sigle (IPM) ne facilite pas l’évolution significative des pratiques sur le terrain et qu’il engendre des confusions d’interprétations. Par ailleurs, l’écologie a été, au cours des 60 dernières années, un enjeu qui n’a pas été suffisamment pris en compte dans la plupart des définitions de l’IPM et dans la grande majorité des pratiques. Le schéma du compendium des définitions de l’IPM de Bajwa et Kogan (2002) ne fait d’ailleurs pas


référence à l’écologie. À l’instar de l’École française d’agronomie, où la notion d’écologie se réduisait aux processus physico-chimiques et à leurs interactions avec la physiologie de la plante, négligeant fortement les processus et interactions biologiques (notamment dans le sol), les orientations écologiques de l’IPM se sont appuyées sur les seules notions d’épidémiologie et de dynamique des populations de bioagresseurs (dans une optique de surveillance) ou de réduction des impacts environnementaux négatifs des pesticides. Ceci ne correspond pas à l’objectif majeur d’optimiser les processus écologiques et les interactions entre communautés végétales et animales au sein de l’agroécosystème, dans l’optique d’optimiser son fonctionnement écologique de façon durable. La protection agroécologique des cultures se propose de prendre en compte, dans les mots et dans l’approche, cet objectif majeur. Au final, il ne s’agit pas de remettre en cause la pertinence et les résultats des concepts de la protection intégrée des cultures. Ils ont structuré avec succès le paysage de la recherche en protection des cultures au cours des dernières décennies et, à un degré moindre, le paysage des pratiques de protection des cultures. Mais, il paraît légitime de mettre à plat ces constats, de prendre en considération les éléments de contexte qui évoluent et de marquer des évolutions pertinentes dans les stratégies phytosanitaires, en particulier de mettre en avant, dans les pratiques, l’écologie comme fil conducteur et de considérer l’utilisation de la chimie en dernier ressort. Il y a donc nécessité à clarification. C’est bien l’ensemble de l’agroécosystème qu’il est nécessaire de prendre en compte, cette prise en compte ne se réduisant pas à la limitation des impacts indésirables des agroécosystèmes sur les écosystèmes mais ayant aussi et peut-être surtout pour objectif, la valorisation des ressources des écosystèmes au profit du fonctionnement durable des agroécosystèmes. En ce qui concerne la préservation de la santé des cultures, il s’agit de favoriser tout processus écologique contribuant à limiter le développement des dynamiques de pathogène, de ravageur, d’adventice, en tout lieu (à l’intérieur et hors de la parcelle cultivée) et à chaque pas de temps pertinent (avant, pendant, voire après la culture) de ces dynamiques.


Un tel objectif est cohérent avec les principes de l’agroécologie en tant que pratique, tels que définis par Deguine et Ratnadass dans cet ouvrage, en ce sens qu’elle fait reposer, a priori, la conception d’un agroécosystème sur deux axes directeurs principaux que sont le maintien de la biodiversité locale et la santé des sols, avec, en arrière-plan, une optimisation des régulations biologiques. Le Centre d’étude et de prospective du ministère français en charge de l’Agriculture définit l’agroécologie, en tant que pratique, comme un ensemble cohérent permettant de concevoir des systèmes de production agricole qui s’appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes, de réduire les pressions sur l’environnement et de préserver les ressources naturelles (Schaller, 2013). Ainsi l’exploitation des bénéfices écologiques est constitutive du système et non une dimension recherchée, a posteriori, pour corriger un dysfonctionnement causé par un déséquilibre au sein de l’agroécosystème, comme dans le cas de l’IPM ou de la production intégrée. Ce changement de paradigme n’est pas trivial ni exempt de possibilité de récupération pour qui ne verrait pas dans cette évolution la nécessité de rupture dans la conception de nouveaux systèmes de culture. L’intérêt que nous voyons dans l’émergence actuelle de ce concept est l’appui que peuvent trouver ces nouvelles pratiques dans la discipline scientifique qu’est l’agroécologie. Dans son acception scientifique, l’agroécologie correspond à la prise en compte prioritaire des enjeux écologiques, en recherchant l’optimisation des interactions écologiques entre les communautés végétales et les communautés animales au sein des agroécosystèmes. Plus largement, l’agroécologie peut aussi s’entendre comme une discipline à l’interface de l’agronomie, de l’écologie et des sciences sociales, et privilégiant les approches systémiques (Schaller, 2013). Elle est aujourd’hui inscrite comme axe prioritaire des grands instituts de recherche agronomique français que sont le Cirad et l’Inra. Ces deux instituts offrent la pluridisciplinarité nécessaire pour développer les recherches indispensables à l’accompagnement vers ces nouvelles pratiques. L’affichage actuel sur l’agroécologie les oblige tout particulièrement. Enfin, après le Grenelle de l’environnement et aux côtés du plan Écophyto dont l’objectif de réduction d’utilisation des pesticides de 50 % entre 2008


et 2018 s’est révélé inaccessible, les pouvoirs publics ont pris la décision « d’engager l’agriculture française vers la transition agroécologique ». Avec le plan Agroécologie lancé en 2013, par le ministre français de l’Agriculture, et qui offre un cadre administratif et réglementaire à de nouvelles pratiques agricoles, un ensemble de conditions techniques, scientifiques, administratives, sont donc aujourd’hui réunies pour en assurer le succès.

La protection agroécologique des cultures : à l’interface de l’agroécologie, de la protection des cultures et de la gestion de la biodiversité Aujourd’hui, l’enjeu de la protection des cultures est de passer d’une démarche curative, à base agrochimique, à une démarche préventive des dommages occasionnés par les ennemis des cultures, basée sur un fonctionnement écologique plus équilibré et durable des agroécosystèmes. Cette approche s’appuie à cet effet sur une gestion agroécologique des communautés végétales et animales, à des échelles de temps, d’espace et de gestion (organisation, décision) élargies. La lutte chimique est actuellement dominante dans les pratiques agricoles de protection des cultures, même si l’on peut souligner que les orientations règlementaires semblent évoluer dans le bon sens. Par exemple, le plan Écophyto ambitionne une réduction très significative des quantités de pesticides utilisées en France. Cette orientation nouvelle témoigne d’une prise de conscience qu’il faut désormais traduire dans les actes sur le terrain, la prise en compte de la notion de durabilité écologique étant devenue incontournable en protection des cultures. Ceci conduit inéluctablement à des innovations de rupture dans la gestion des systèmes de culture et l’ingénierie agroécologique propose à cet effet un ensemble d’outils et de techniques, tant pour la conception que pour la mise en œuvre de tels systèmes de cultures innovants. La PAEC trouve son origine dans la rencontre de plusieurs disciplines (agronomie, écologie, agroécologie), domaine d’application (protection des cultures) et enjeu de durabilité des agroécosystèmes (biodiversité fonctionnelle) (fig. 1.5).


Figure 1.5. L’ascendance de la protection agroécologique des cultures.

Application de l’agroécologie à la protection des cultures Concevoir que l’agriculture puisse être considérée comme un domaine d’application de l’écologie a longtemps heurté certains esprits. Pourtant, dès les années 1960, Stéphane Hénin définissait l’agronomie, science fondatrice s’il en est, comme « une écologie appliquée à la production des peuplements de plantes cultivées et à l’aménagement des terrains agricoles ». D’ailleurs, les activités agricoles n’étaient pas exclues dans l’esprit de la définition originale de l’écologie donnée par Haeckel en 1866 : « the study of the natural environment including the relations of organisms to one another and to their surroundings » (étude de l’environnement naturel, incluant les relations des organismes entre eux et avec leurs environs). Si l’on excepte l’utilisation du terme, mais avec une acception différente de celle qui prévaut actuellement, par des zoologistes allemands et des agronomes et physiologistes européens et américains dès les années 1930, c’est à partir des années 1970 que l’agroécologie s’est développée, à l’initiative d’écologues américains comme Miguel Altieri ou John Vandermeer, en réaction aux excès de la Révolution verte et de ses impacts négatifs sur les petits producteurs des pays en développement (Altieri,


1989 ; Vandermeer, 1995 ; Wezel et al., 2009). On l’a vu précédemment, on peut regrouper sous le terme d’agroécologie plusieurs notions : un ensemble de techniques agricoles comme les systèmes en semis direct sur couverture végétale (SCV) ou plus globalement l’agriculture de conservation, un mode de développement agricole général (comme celui préconisé par la FAO, à partir de ces techniques), un courant de pensée environnementaliste ou d’agriculture paysanne, une initiative politique, avec le plan national Agroécologie pour la France lancé en 2013, etc. Dans le présent ouvrage, l’agroécologie correspond à une discipline ou une démarche scientifique, telle que définie par Gliessman (1997) ou Dalgaard et al. (2003) : l’étude des interactions entre plantes, animaux, homme et environnement au sein des agroécosystèmes. En tant que discipline scientifique, l’agroécologie obéit à des normes précises : c’est une discipline holistique et intégrative, à l’interface entre écologie et agronomie, pouvant intégrer également les apports des sciences économiques et sociales, tout en incluant des références aux insuffisances des autres domaines scientifiques préexistants. En tant que science, l’agroécologie est enseignée dans les cinq continents.

Axes directeurs de la protection agroécologique des cultures L’évolution de la protection des cultures a été décrite par de nombreux auteurs ; elle s’est appuyée sur différents concepts, dont le plus emblématique est certainement celui de la PIC. Depuis les dernières décennies du xxe siècle, une tendance forte a conduit les chercheurs et les praticiens à des techniques visant à réduire l’utilisation des pesticides chimiques, notamment à cause de ses coûts économiques, sanitaires et environnementaux (baisse d’efficacité, toxicité pour les producteurs et les consommateurs, pollution de l’environnement). Cette réduction de l’utilisation des produits agropharmaceutiques s’est accompagnée de l’essor de solutions dites agroécologiques, fondées sur les principes scientifiques de l’écologie.


La conception agroécologique d’un agroécosystème repose en effet sur deux axes directeurs principaux que sont le maintien de la biodiversité locale et la santé des sols. Ces deux éléments clés assurent la dynamique écologique de l’agroécosystème et donc sa pérennité. Les principes fondamentaux de l’agroécologie permettent cette approche durable. L’activité humaine (l’agriculture) est considérée comme une perturbation nécessaire de l’écosystème naturel. Synthétiquement, l’action agroécologique, concertée et réfléchie, a pour objectif de minimiser l’impact de cette perturbation en préservant ou en restaurant les équilibres biodynamiques qui régissent la durabilité de l’agroécosystème. Reprenant ces deux axes directeurs de l’agroécologie, l’application de l’agroécologie à la protection des cultures est abordée depuis le début des années 2000 par différents auteurs. Elle repose sur deux axes de gestion (fig. 1.6) : l’incorporation de diversité végétale dans le temps et dans l’espace (sous la forme d’une gestion des habitats) ; l’amélioration de la qualité des sols (matière organique, fonctionnement biologique), au travers de pratiques culturales durables sur le plan écologique et défavorables au développement des bioagresseurs.


Figure 1.6. Les deux axes directeurs de la protection agroécologique des cultures : biodiversité et santé du sol.

La gestion à long terme des populations des ennemis des cultures passe donc par une gestion harmonieuse, concertée et cohérente, de la biodiversité et de la matière organique. Ceci conduit à harmoniser la gestion de la santé du sol et la gestion de la santé des plantes dans les agroécosystèmes. Dans le cas de la gestion des populations de ravageurs, on cherche ainsi à optimiser les interactions entre les arthropodes (ravageurs, prédateurs, parasitoïdes, pollinisateurs) et les communautés végétales dans lesquelles ils vivent (cultivées ou non, dans ou en dehors de l’agroécosystème). La gestion agroécologique de la santé des plantes se trouve alors centrée sur la gestion des communautés végétales et animales dans l’agroécosystème.

Rôle de la biodiversité dans le fonctionnement des agroécosystèmes Le bon fonctionnement des agroécosystèmes, gage de la fourniture de différents services (approvisionnement en alimentation et matières


premières, contrôle des maladies et des organismes nuisibles, pollinisation ou encore régulation du climat) est assuré par la diversité des espèces qui y coexistent et interagissent. En effet, la richesse spécifique, somme des espèces au sein d’une communauté, est corrélée positivement à la probabilité qu’elles aient des traits bioécologiques et des fonctions complémentaires dans l’espace ou le temps. La biodiversité contribue ainsi à la productivité et à la stabilité des écosystèmes. Elle induit également une complexification des interactions trophiques, qui augmente, outre la stabilité des processus écosystémiques, leur productivité moyenne. Dans les agroécosystèmes cultivés, les menaces anthropiques sont accentuées et altèrent le rôle de la biodiversité dans les services qu’elle rend. L’implantation d’une seule espèce végétale cultivée et l’utilisation d’intrants chimiques et énergétiques sont à l’origine de destructions d’habitats et de pollutions. La gestion agrochimique des productions végétales montre ainsi ses limites : efficacité souvent insuffisante dans le contrôle des bioagresseurs, altération des propriétés physico-chimiques du sol et effets négatifs sur l’environnement. Il devient donc nécessaire de concevoir des systèmes de cultures favorisant la biodiversité, pour qu’elle contribue à assurer, comme dans les écosystèmes naturels, ses différents services et notamment la productivité des agroécosystèmes. La démarche de la PAEC répond à cet enjeu, en s’appuyant en premier lieu sur la lutte biologique par conservation qui vise à favoriser l’abondance et la diversité des ennemis naturels des ravageurs et celles des pollinisateurs dans les agroécosystèmes, et à supprimer toutes les mesures qui leur seraient défavorables. Cette démarche s’appuie aussi sur des techniques culturales, qui s’avèrent être un levier significatif de gestion des populations de bioagresseurs : il s’agit ici d’adapter ou de valoriser à des fins de protection des cultures des pratiques agricoles dont l’objectif premier n’est pas la protection des cultures (comme le travail du sol, la succession des cultures, la date et la densité de semis, la fertilisation, les couvertures végétales au sol, etc.). De plus, la démarche s’appuie de même sur l’utilisation de variétés moins sensibles ou tolérantes ainsi que sur la lutte physique (par ex., l’utilisation de filets anti-insectes ou de paillage plastique, anti-mauvaises herbes). La gestion de la richesse et de la composition des communautés dans les


agroécosystèmes nécessite, notamment, la prise en considération de l’ensemble des facteurs anthropiques qui peuvent les influencer directement ou indirectement, d’où l’importance accordée à l’influence des facteurs écosystémiques et paysagers sur la diversité des groupes fonctionnels. Parmi ces facteurs, on peut citer la nature des espèces concernées, les relations entre les différents niveaux trophiques, les différents types de pratiques culturales et phytosanitaires ou encore l’effet du paysage.

Définition et stratégie de mise en œuvre de la PAEC Deguine et al. (2008a) définissent la protection agroécologique des cultures comme un système de protection des cultures reposant sur les bases scientifiques de l’agroécologie. En privilégiant les mesures préventives, il vise à établir des équilibres bioécologiques entre des communautés animales et végétales au sein d’un agroécosystème, dans le but de prévenir ou de réduire les risques d’infestations, ou de pullulations de bioagresseurs. La PAEC porte sur l’ensemble des bioagresseurs (ravageurs, pathogènes, plantes adventices). Elle met l’accent, parmi les techniques classiques mobilisées dans le cadre de la protection intégrée, sur l’optimisation des pratiques culturales et sur les modalités de gestion des peuplements végétaux favorisant le maintien ou la création d’habitats favorables à la faune utile indigène et/ou défavorables aux organismes nuisibles. De plus, la protection agroécologique, quant à elle, associe à cette gestion de peuplements végétaux (cultures et plantes non cultivées aux abords des parcelles comme dans l’agroécosystème en son entier), la gestion d’autres populations d’organismes vivants, principalement les arthropodes, tels que ravageurs, auxiliaires divers et pollinisateurs, mais également les autres invertébrés du sol, tels que les lombrics et collemboles, ainsi que les plantes agents pathogènes. Il est en effet reconnu que les agroécosystèmes diversifiés comptent moins de ravageurs généralistes ou spécialisés et plus d’auxiliaires. La PAEC implique une action concertée entre les acteurs concernés, notamment les agriculteurs et les autres gestionnaires du territoire. La mise en œuvre de techniques curatives ne peut être envisagée qu’en


dernier recours et seulement en cas d’absolue nécessité, sous réserve de mettre en œuvre des moyens compatibles avec le respect du fonctionnement des groupes biologiques fonctionnels assurant la fourniture de services écologiques. L’avenir des pesticides paraît d’ailleurs à terme limité, du moins dans leur composition actuelle, à l’image de nombre d’entre eux déjà soumis à des restrictions d’usage environnementales et toxicologiques croissantes. Suivant ce concept, la prophylaxie, via le contrôle cultural notamment, la gestion des habitats et la lutte biologique sont des composantes principales de la protection des cultures, au sein de laquelle elles retrouvent pleinement leur pertinence et leur efficacité (fig. 1.7).

Figure 1.7. Les trois piliers de la protection agroécologique des cultures.

Si la PIC est une combinaison de techniques, la PAEC est une démarche qui se réfère à une acception scientifique de l’agroécologie (Gliessman, 1997), faisant appel à des connaissances fines en biologie, écologie et à l’intégration de ces connaissances (prise en compte à différentes échelles spatio-temporelles de la biodiversité fonctionnelle, du fonctionnement écologique des agroécosystèmes, etc.). Dans l’opérationnalité, cette approche agroécologique se traduit par une démarche méthodique et ordonnée. Sur la base de cette approche agroécologique, Deguine et al. (2008a) proposent une stratégie phytosanitaire adaptée à la gestion durable des agroécosystèmes. Dans cette approche, l’étape essentielle, chronologiquement après le respect des mesures réglementaires et avant d’envisager d’éventuelles techniques curatives, porte sur la mise en œuvre


prioritaire de mesures préventives par la gestion des peuplements végétaux (cultivés ou non) : cultiver des plantes saines et assurer une bonne santé du sol, ce qui passe par la prophylaxie, l’utilisation de variétés adaptées, la succession des cultures et les assolements, les itinéraires techniques comme le semis sous couverture végétale avec un travail minimal du sol notamment, la gestion de l’enherbement, la fertilisation et l’irrigation raisonnées, les amendements organiques ; réduire les populations de bioagresseurs et augmenter celles des auxiliaires (au niveau de la parcelle, de ses alentours, de l’exploitation et de l’agroécosystème dans son ensemble) par cultures ou plantes pièges, implantation de zones refuges, associations et cultures intercalaires, techniques de push-pull (répulsion-attraction), gestion des bords de parcelles, aménagement de structures de compensation écologique (corridors, haies, bandes herbacées et fleuries, etc.), techniques d’incorporation de diversité végétale ; favoriser la mise en œuvre de pratiques concertées, dans le temps comme dans l’espace, au sein des agroécosystèmes. Cette stratégie phytosanitaire est déclinée dans la figure 1.8 en étapes à suivre dans l’ordre pour la mise en œuvre de la PAEC sur le terrain.


Figure 1.8. Méthode de mise en œuvre de la protection agroécologique des cultures sur le terrain.

Par ailleurs, la PAEC est systématiquement considérée à différentes échelles spatio-temporelles, allant des pratiques agronomiques locales jusqu’à l’intégration dans le paysage, ce qui la rapproche, pour cet aspect, du concept d’area-wide pest management et qui est en lien fort avec l’écologie du paysage. C’est une des raisons qui font que l’évaluation de son efficacité doit être réalisée en milieu producteur, sur des petites ou des grandes surfaces selon les situations, et sur des pas de temps importants. La figure 1.9 donne, en sept points, les caractéristiques principales de la


PAEC.

Figure 1.9. La protection agroécologique des cultures en sept points.

La lutte biologique par conservation L’OILB (Organisation internationale de lutte biologique) dénomme lutte biologique l’utilisation d’organismes vivants, pour empêcher ou réduire les pertes ou dommages causés par des organismes nuisibles. Parmi les moyens biologiques mis à la disposition des praticiens, on identifie par


exemple des organismes vivants (acariens, insectes, nématodes, bactéries, champignons et virus). On distingue trois types de lutte biologique : la lutte biologique classique (ou par introduction/acclimatation), qui comprend l’identification d’auxiliaires indigènes et exotiques, l’introduction et l’acclimatation des auxiliaires naturels exotiques en vue de leur acclimatation, l’évaluation des capacités des ennemis naturels à supprimer un ravageur des cultures ; la lutte biologique par augmentation, qui comprend l’élevage et les lâchers d’ennemis naturels (autant de fois que nécessaire sous la forme de traitements biologiques), pour supprimer un ravageur quand un ennemi naturel est présent mais en nombre insuffisant pour assurer à lui seul cette suppression (trois composantes : inoculation, augmentation, inondation) ; la lutte biologique par conservation, qui comprend l’ensemble des mesures prises pour la préservation des ennemis naturels indigènes, en empêchant leur destruction par d’autres pratiques et en augmentant leur efficacité, notamment par la gestion des habitats. Des modalités intermédiaires ou prenant à l’un ou l’autre des trois types de lutte biologique, sont également possibles (par ex., lutte autocide). Longtemps sous-utilisée et moins étudiée que la lutte biologique par augmentation (introduction et lâchers d’auxiliaires) dans les milieux agricoles, la lutte biologique par conservation est devenue aujourd’hui une composante essentielle de la lutte biologique. Elle s’appuie, dans les agroécosystèmes, sur la gestion des peuplements végétaux (gestion des habitats des arthropodes), de la même manière que la biologie de la conservation s’appuie, dans les milieux naturels, sur la gestion d’habitats ou de réserves des espèces animales à protéger ou à favoriser. Ces deux voies peuvent ainsi se rapprocher et les frontières de gestion de la biodiversité dans l’espace peuvent se réduire. Ainsi, les agronomes protecteurs des cultures, les écologues pour la gestion des espèces protégées, ou encore les chasseurs pour la gestion des populations de gibiers (espèces chassées) concentrent finalement leurs actions sur la gestion des habitats.


En milieu agricole, les peuplements d’insectes présentent en outre la particularité d’être composés de populations fragmentées (métapopulations), en raison même des structures agraires et systèmes de culture adoptés. Du point de vue de leur cinétique, les populations sauvages y sont caractérisées par des processus d’extinction et de recolonisation locales liés à l’hétérogénéité spatiale des agroécosystèmes, qui perturbe leurs échanges comme les mécanismes de leur régulation naturelle. C’est pourquoi les études de dispersion de ces populations, tout particulièrement à l’interface des structures agraires, connaissent aujourd’hui un tel succès. D’une façon générale, les insectes exploitent les couloirs ou corridors biologiques, qui assurent les nécessaires connexions entre habitats fragmentés, ou effectuent des allers et retours entre les champs cultivés et leurs lisières, suivant des modalités variables en fonction de la structure de ces dernières, la forme des parcelles et la nature de leurs cultures. Cet effet lisière assure l’augmentation de la diversité biologique et de la densité de certaines espèces animales et végétales, à la limite entre différentes communautés de plantes. Ces observations sont utilisées en protection des cultures. Celles relatives aux corridors biologiques s’intègrent de préférence dans une stratégie collective, et le plus souvent contractuelle, de conservation de la diversité biologique dans son ensemble. Elles apportent des informations précieuses sur les dimensions souhaitables des mailles d’un réseau de couloirs biologiques pérennes, dont le dessin est une caractéristique des unités paysagères. Des études révèlent que les populations d’insectes parasitoïdes sont particulièrement sensibles à la fragmentation des habitats, sans doute en raison d’une capacité de distribution moindre que celle des espèces phytophages. La structure du paysage a donc un impact élevé, non seulement sur les communautés de plantes et les communautés des ravageurs des cultures et de leurs ennemis naturels, mais aussi sur les interactions entre elles (Bianchi et al., 2006). À l’échelle du paysage, il convient, d’une part, de comprendre les interactions entre la structure végétale du paysage et les populations d’arthropodes (ravageurs et utiles) et, d’autre part, de mettre en place des modalités de gestion des habitats afin d’améliorer la protection des cultures. Ces études des interactions et des dynamiques spatio-temporelles à l’échelle du paysage sont d’autant plus importantes


que les arthropodes sont des organismes mobiles et qu’elles concernent des cultures annuelles. De manière générale, les populations de prédateurs et de parasitoïdes augmentent avec la proportion dans le paysage de peuplements végétaux qui ne sont pas des plantes cultivées (habitats non cultivés : plantes moins dérangées, plantes pérennes) (Landis et al., 2000 ; Ratnadass et al., 2012). C’est un argument essentiel pour inciter à la création d’habitats pérennes servant de refuges ou de corridors dans les paysages (prairies, jachères, haies), alors qu’à l’échelle locale on peut envisager d’incorporer de la diversité végétale de manière annuelle ou selon des modalités spatiales (arrangement) plus adaptées à la culture ou au parcellaire. Sur le terrain, la mise en place de la lutte biologique par conservation s’appuie sur trois techniques : suppression dans la mesure du possible, ou à défaut forte réduction des traitements insecticides sur les plantes cultivées et des applications d’herbicides dans les agroécosystèmes ; insertion de biodiversité végétale dans les agroécosystèmes, en constituant des habitats défavorables pour les ravageurs et/ou des habitats favorables pour les auxiliaires, par exemple couverture végétale permanente au sol, plantes pièges pour les ravageurs, plantes refuges pour les auxiliaires ; adaptation des pratiques culturales à la fois pour la gestion des plantes cultivées et pour la gestion des nouveaux habitats. La figure 1.10 décrit les objectifs et les stratégies de mise en œuvre de la lutte biologique par conservation.


Figure 1.10. Lutte biologique par conservation. Les 3 sections situées autour du centre représentent les stratégies. Les 10 actions à l’extérieur sont des exemples de tactiques.

Les exemples que nous proposons ici portent sur la gestion des ravageurs, mais il est important de souligner que la PAEC prend en compte l’ensemble des bioagresseurs des cultures et qu’elle vise également la maîtrise des plantes adventices et des agents pathogènes responsables de différentes maladies. Avec la gestion des populations par un aménagement raisonné de leurs habitats, la lutte biologique s’appuie sur des bases agroécologiques nouvelles susceptibles d’accroître son efficacité et sa fiabilité (Landis et al., 2000 ; Nicholls et Altieri, 2004). Cette démarche conforte également les méthodes traditionnelles d’introduction-acclimatation ou de traitement


biologique, en favorisant l’implantation des organismes auxiliaires artificiellement introduits dans les agroécosystèmes. Elle est de nature à apporter une réponse opérationnelle à la demande de préservation de la diversité biologique dans son ensemble et s’inscrit dans la démarche d’un meilleur respect de l’environnement et d’une valorisation des paysages. Elle implique une évolution significative des pratiques agricoles qui doivent également concerner les surfaces non cultivées. Le rôle des agronomes s’avère donc déterminant par une nécessaire adaptation des systèmes de culture et des itinéraires techniques.

Conclusion Au plan scientifique, il est donc nécessaire d’acquérir des connaissances nouvelles pour concevoir des agroécosystèmes innovants, productifs, durables sur le plan écologique et respectueux de l’environnement. Ces recherches cognitives doivent concerner les différentes échelles spatiales et temporelles. Par ailleurs, une démarche pluridisciplinaire doit être privilégiée, intégrant les sciences biologiques, écologiques et socioéconomiques. Ainsi, les trois aspects de description, de compréhension et de gestion peuvent se développer simultanément, et chacune de ces activités peut bénéficier directement et rapidement des résultats des deux autres. Dans un cadre de protection agroécologique des cultures, la gestion des habitats vise à augmenter l’efficacité de la lutte biologique par conservation, trop longtemps rendue sans intérêt dans une protection des cultures basée sur la chimie. On a en effet eu souvent tendance à sous-estimer qu’au-delà de l’aménagement à long terme d’un environnement favorable aux ennemis naturels des ravageurs des cultures (lieux de ponte, de refuge, de reproduction, ressources alimentaires), la lutte biologique par conservation inclut aussi la suppression ou la limitation des mesures défavorables aux ennemis naturels, en particulier les applications de produits phytopharmaceutiques. Cette orientation met aussi en lumière l’importance des services écologiques rendus par d’autres « ingénieurs » des écosystèmes, tels que les pollinisateurs, catalyseurs de la biodiversité végétale ou encore les vers de terre, catalyseurs du bon fonctionnement des sols.


Sur le terrain, l’adoption des techniques de protection agroécologique des cultures, en particulier celles relevant de la gestion des communautés végétales dans l’agroécosystème (gestion des habitats), est confrontée à des contraintes liées aux habitudes de protection des cultures, vieilles de plusieurs décennies ou déstabilisantes sur le plan psychologique. En effet, les critères de raisonnement restent encore le plus souvent le court terme, la rentabilité maximale (le rendement, la « qualité » visuelle des produits), la gestion individuelle. En outre, la protection des cultures semble relever, aujourd’hui encore pour la plupart des acteurs, y compris les chercheurs, plus du ressort de la gestion des « habitants » (gestion des populations des bioagresseurs et des auxiliaires) que de la gestion des « habitats », ces deux orientations étant pourtant parfaitement compatibles et complémentaires, puisqu’elles constituent l’épine dorsale du concept de protection agroécologique des cultures. Pour toutes ces raisons, le développement de la protection agroécologique des cultures devra s’appuyer à l’avenir sur des efforts importants de sensibilisation, d’information et de formation des acteurs. 1. Merci à E. Garnier pour sa relecture attentive et ses suggestions. 2. L’approche agroécologique dans l’agriculture implique l’application des connaissances écologiques pour la conception et la gestion des systèmes de production qui optimisent les processus écologiques et éliminent le recours aux intrants. Il n’y a pas de meilleure illustration que dans le domaine de la gestion des bioagresseurs.


Chapitre 2 Application en cultures maraîchères : l’expérience Gamour[3] Introduction Gamour (Gestion agroécologique des mouches des légumes à la Réunion) est un projet de recherche et développement visant à contrôler les populations de mouches des Cucurbitacées présentes à la Réunion et s’appuyant sur une démarche agroécologique. Gamour est caractérisé, d’une part, par un partenariat diversifié et, d’autre part, par des innovations techniques de protection des cultures. Mis en place de 2009 à 2011 sur trois villages pilotes et sur quatre fermes certifiées agriculture biologique (AB) sur l’île de la Réunion, le projet a donné des résultats encourageants. De nombreuses connaissances ont été obtenues sur la bioécologie des mouches des légumes et sur de nouvelles stratégies de protection (fig. 2.1). L’enseignement, l’encadrement d’étudiants, la formation des acteurs et la sensibilisation du grand public ont également été mis en avant dans ce projet. Sur le plan socioéconomique, les agriculteurs ont pu supprimer les insecticides chimiques qu’ils épandaient de manière intensive sur les cultures, les pertes de récolte ont été fortement réduites. Le coût de production et le temps consacré à la protection des cultures ont baissé. L’expérience Gamour est depuis étendue à d’autres zones de l’île. Ce projet, qui s’inscrit dans la dynamique du plan Écophyto, a reçu une distinction nationale (mention des Trophées de l’agriculture 2011) et a permis de consolider les collaborations entre les partenaires. Il représente à la fois une étape significative pour le développement de l’agriculture biologique à la Réunion et un précédent


pour d’autres initiatives visant à développer une approche reposant sur la protection agroécologique des cultures. Dans ce chapitre, nous analyserons les phases de conception, de mise en œuvre et d’évaluation du projet Gamour en milieu producteur, afin d’en tirer des leçons génériques pour aider à la transition agroécologique dans le domaine de la protection des cultures.

Figure 2.1. Une vision simplifiée des techniques mises en œuvre dans le projet Gamour.


Figure 2.2. Les trois espèces de mouches des CucurbitacÊes. (a) Bactrocera cucurbitae, (b) Dacus demmerezi et (c) Dacus ciliatus.


Figure 2.3. Femelles de Dacus demmerezi en train de pondre dans une courgette.



Figure 2.4. Légumes tombés au sol : courgettes et chouchou.

Une réponse chimique systématique et inefficace Confrontés à ces ravageurs, les agriculteurs ne répliquent principalement que par un arsenal chimique. Pourtant, les études préalables au projet Gamour montrent que 70 % des agriculteurs interrogés jugent ces produits inefficaces et doutent de leur rentabilité. Dans le cas précis des mouches des légumes, cette inefficacité est liée au comportement de ponte : sur un cycle de 24 heures, les mouches ne sont présentes que


pendant un temps assez court sur les cultures (Deguine et al., 2015). L’essentiel de leur rythme circadien se déroule dans la végétation environnante où elles s’accouplent et trouvent abri et nourriture, comme c’est le cas pour d’autres espèces de mouches. L’efficacité de la protection agrochimique a également montré ses limites en provoquant l’apparition de résistances chez les ravageurs et l’élimination de la faune auxiliaire (Deguine et al., 2008b). Parallèlement, les solutions alternatives, bien que disponibles (adaptation des pratiques culturales, lutte biologique, piégeage sexuel ou alimentaire) ne sont encore que peu utilisées à la Réunion ou manquent d’efficacité (Ryckewaert et al., 2010). En outre, l’Integrated Pest Management (IPM) qui devait allier initialement lutte biologique et lutte chimique dans une démarche curative, montre des résultats plutôt décevants dans la plupart des situations. La conséquence directe de cet état de fait est la réduction des surfaces légumières, voire le risque de disparition de cultures emblématiques comme le chouchou (Sechium edule) dans certaines zones de l’île.

Sortir de l’impasse par la gestion agroécologique des ravageurs À la fin des années 2000, l’enjeu est de passer à une démarche de prévention des infestations de mouches, basée sur un fonctionnement écologique plus équilibré et durable des agroécosystèmes (Gurr et al., 2004a). Cette approche s’appuie sur une gestion agroécologique des ravageurs (Nicholls et Altieri, 2004) et se décline notamment en une gestion de leurs habitats ou encore de ceux de leurs ennemis naturels ou des pollinisateurs (plantes cultivées et non cultivées) à des échelles de temps, d’espace et de gestion élargies (Ferron et Deguine, 2005a et b). Le passage d’une protection agrochimique des cultures à une protection agroécologique représente un défi majeur de l’agriculture du xxie siècle (Deguine et al., 2008a). Gamour propose de répondre à ce défi.

Les enjeux scientifiques et socioéconomiques du projet Gamour


Ce projet présente un intérêt scientifique, tant sur le plan de l’acquisition de connaissances (bioécologie des mouches des légumes, fonctionnement écologique des agroécosystèmes), que sur le plan des applications, en proposant de placer la prophylaxie, la gestion des habitats et la lutte biologique par conservation au cœur d’un paquet technologique innovant. Depuis près d’un demi-siècle, les Téphritidés s’attaquant aux légumes ont fait l’objet de nombreuses études et synthèses, principalement en raison de leur incidence économique (Dhillon et al., 2005). Si de nombreux acquis existent sur la bioécologie des mouches s’attaquant aux cultures fruitières à la Réunion et sur leurs ennemis naturels, les travaux sur les mouches des Cucurbitacées sur l’île sont moins conséquents. De même, si les caractéristiques de certaines espèces (Bactrocera cucurbitae) sont assez bien connues de par le monde (White et Elson-Harris, 1992), les connaissances sur les autres espèces rencontrées à la Réunion (Dacus ciliatus et D. demmerezi) sont en revanche insuffisantes. Le projet Gamour a été l’occasion de collecter des données essentielles sur leur biologie, leur écologie, la dynamique de leurs populations, dans le but de mieux les gérer.

La plus-value de l’association des différents partenaires du projet Les partenaires réunis au sein de ce projet, de la recherche, de l’expérimentation, de la formation et du développement, ont beaucoup œuvré par le passé pour améliorer les pratiques agricoles, mais l’absence d’actions concertées et un manque de coordination ont souvent limité la réussite des actions engagées. Ils ont été particulièrement motivés par l’enjeu de ce projet, car il permettait de mutualiser et d’optimiser les compétences complémentaires de chacun pour répondre à un défi concret. De plus, un transfert en milieu producteur de techniques efficaces non chimiques représentait une expérience originale et novatrice dans le domaine de la protection des cultures. L’intégration d’acteurs de l’agrofourniture à un projet sur l’agroécologie peut sembler à première vue paradoxale. Cependant, l’objectif était de


répondre aux besoins du monde agricole et les fournisseurs d’intrants ont un contact privilégié avec les producteurs. Construire les nouvelles solutions avec eux est donc un facteur important pour la réussite du transfert. Les porteurs de Gamour ont choisi de travailler en étroite collaboration avec des partenaires privés locaux, avec l’objectif de produire et commercialiser des produits et techniques de protection des cultures d’une nouvelle génération (augmentoria, pièges sans insecticide, nouveaux attractifs, auxiliaires, produits mimétiques).

Une étape majeure vers une agriculture réunionnaise durable et rentable Aujourd’hui, les citoyens, consommateurs et agriculteurs, ainsi que les décideurs politiques et financiers, sont de plus en plus conscients des conséquences négatives de l’agriculture intensive et, en particulier, de l’utilisation massive de pesticides. Tous souhaitent des solutions alternatives efficaces, durables, respectueuses de la santé humaine et de l’environnement. L’enjeu de Gamour concerne la conception et le transfert de techniques se passant de pesticides chimiques, pour garantir la durabilité socioéconomique et environnementale des systèmes horticoles de plein champ à la Réunion. Un autre enjeu important du projet est d’instaurer une image propre de l’agriculture réunionnaise, aussi bien aux yeux du citoyen réunionnais que dans l’esprit des pays de la région et des régions destinataires des exportations réunionnaises. Cet enjeu répond aux attentes des consommateurs mais pose la question des modalités de valorisation des produits issus d’une telle approche. Cette question renvoie aux réflexions sur la traçabilité du produit et sa reconnaissance par le consommateur.

Conception du projet Gamour Une concertation inter-acteurs longue et précieuse Dès 2007, les piliers pour concevoir un projet de gestion agroécologique des mouches des légumes à la Réunion ont été établis. D’abord, entre les


partenaires de la recherche-développement et les producteurs, qui étaient dans une situation de demande d’alternatives à leur impasse technique et économique. Ensuite, une mission a été réalisée pour rencontrer les collègues scientifiques d’Hawaii (Recherche et Université) et des institutions de transfert, qui étaient confrontés à des problèmes similaires sur des Téphritidés. Des échanges fructueux entre ces entités scientifiques américaines et le Cirad, qui se poursuivent encore aujourd’hui, ont permis de poser les questions scientifiques qui permettraient d’obtenir des bases pour répondre aux demandes des agriculteurs et des développeurs réunionnais. Des objectifs et des indicateurs de suivi et d’évaluation ont alors été dressés conjointement par tous les partenaires et acteurs du projet.

Des financements multiples, un partenariat diversifié Chaque année, dans le cadre du programme national de Développement agricole et rural, le ministère de l’Agriculture, lance un appel à projets pour faire évoluer les pratiques des agriculteurs afin de répondre aux enjeux liés à l’innovation et au partenariat dans le système agricole français. Les lauréats bénéficient d’une dotation du Casdar. Bénéficiaire d’un tel financement de 2009 à 2011, le projet Gamour a également été soutenu financièrement par le conseil régional de la Réunion, le conseil général de la Réunion et par l’Union européenne. Un partenariat diversifié a permis de réunir les acteurs de la recherche, de l’expérimentation, du développement, de la commercialisation et de la formation autour du même objectif. Les partenaires techniques impliqués dans la réalisation du projet et destinataires de financements Casdar sont : l’Association réunionnaise pour la modernisation de l’économie fruitière, légumière et horticole (Armeflhor), la chambre d’agriculture de la Réunion, le Cirad, Farre Réunion, la Fédération départementale des groupements de défense contre les organismes nuisibles de la Réunion (FDGDON) et le Groupement d’agriculture biologique de la Réunion (GAB). D’autres partenaires techniques ont été impliqués : Comité des importateurs et distributeurs de produits phytosanitaires et chimiques (CIDPC), Centre national pour l’aménagement des structures des


exploitations agricoles - Bureau des structures agricoles (CNASEA-BSA), Institut universitaire de technologie (IUT), département Génie biologique (Saint-Pierre), direction de l’Agriculture et de la Forêt (DAF), Service de la protection des végétaux (SPV), Takamaka Industries (partenaire privé de production de matériel de protection des cultures), Émeraude (agrofournisseur), organisations professionnelles agricoles (Vivea, Terre Bourbon). Le projet Gamour a également reçu le soutien de Qualitropic (Pôle de compétitivité agro-nutrition-santé en milieu tropical). Gamour rassemble quatorze organismes locaux ou nationaux aux missions différentes, mais aux intérêts convergents. Aux six partenaires techniques impliqués directement dans la réalisation du projet et destinataires des financements Casdar, ont été associées huit structures publiques ou privées impliquées entre autre dans le conseil, le transfert, la formation ou la commercialisation. Un partenariat scientifique a été développé avec l’United States Department of America - Agricultural Research Service (USDA-ARS) et l’université d’Hawaii (États-Unis). Le projet avait l’objectif d’évaluer les performances des techniques mises au point et de mesurer la satisfaction des producteurs. Les méthodes de l’étude ont consisté en des expérimentations en plein champ d’efficacité des techniques, un suivi des populations des mouches dans les sites, un suivi technique des parcelles et des exploitations, une enquête de perception auprès des agriculteurs concernés.

Une structuration des actions adaptée aux objectifs Gamour balaie une gamme d’initiatives allant de la recherche cognitive et appliquée, jusqu’au transfert des innovations en milieu producteur, en passant par la formation des agriculteurs et la coordination des acteurs. Chaque partenaire apporte ses compétences au sein de quatre actions principales qui structurent le projet. L’action 1 est constituée des activités de recherche et d’expérimentation visant à concevoir et mettre au point un paquet technologique de gestion agroécologique des mouches des légumes. L’action 2 est consacrée à la formation et l’information des acteurs, elle est plus particulièrement concentrée sur l’amélioration des compétences et des connaissances des agriculteurs par la formation.


L’action 3 concerne le transfert des innovations en milieu producteur sur des sites pilotes. Enfin, l’action 4 intègre toutes les activités de suivi et d’évaluation et permet la mise en cohérence des trois actions précédentes en coordonnant le travail des nombreux partenaires. Gamour vise ainsi à construire un modèle d’organisation et de coordination entre les partenaires, nécessaire au bon fonctionnement du projet et qui constitue le socle de son prolongement et de collaborations futures. Enfin, l’action 0 est consacrée à l’animation, la gestion et la coordination du projet.

La prise en considération d’autres expériences et l’adaptation au contexte réunionnais Gamour s’appuie sur plusieurs expériences basées sur une approche de gestion à grande échelle (area-wide pest management). À Hawaii, un programme de ce type a été initié en 2000 sur plusieurs centaines d’hectares où plusieurs espèces de mouches dont B. cucurbitae, étaient à l’origine de dégâts sur de nombreuses cultures (Cucurbitacées, papayes...) (Vargas et al., 2008). Outre le fait qu’Hawaii et la Réunion présentent de nombreuses similitudes, notamment sur le plan agricole, la situation à la Réunion en 2008 peut être comparée à celle d’Hawaii en 2000 : des dégâts préjudiciables des mouches des fruits et des légumes dans les systèmes horticoles ; un certain scepticisme de la part de certains acteurs, en premier lieu les agriculteurs, préalablement déçus par les orientations antérieures ; une volonté commune, partagée et volontaire, de la part des acteurs parties prenantes au projet. Sept ans de résultats sur le modèle hawaiien sont aujourd’hui disponibles pour en évaluer l’efficacité, à la fois sur le plan technique et sur le plan économique (Vargas et al., 2008). Quatre ans après le lancement de ce programme, les bénéfices générés dépassaient les coûts annuels de son application. Ce programme est considéré actuellement aux États-Unis comme un modèle de réussite de protection. L’une des clés de cette réussite tient à la coordination efficace entre les différents acteurs du programme. Il a de plus fait l’objet d’adaptations couronnées de succès dans d’autres pays, comme le Japon ou Taïwan. D’autres initiatives se sont appuyées sur ce modèle, comme à Maurice, avec le soutien de l’Agence internationale de l’énergie atomique.


La méthode du programme hawaiien de gestion des mouches à grande échelle a été valorisée à la Réunion grâce à l’intégration de données issues de la littérature, par l’intégration du raisonnement agroécologique dans les techniques et par la consultation des acteurs de l’agriculture réunionnaise. En particulier, une étude de faisabilité pré-projet a été menée dans le village de l’Entre-Deux en 2008 : 129 personnes (agriculteurs, habitants, touristes) ont ainsi été interrogées, afin de dresser un portrait de l’agriculture locale et d’évaluer la réceptivité par la population de cette approche novatrice. Le projet Gamour intègre ainsi les spécificités sociales, économiques, écologiques et biologiques de la Réunion. Il se distingue par ailleurs du projet d’Hawaii par sa durée (trois ans au lieu de sept ans) et parce qu’il prend en compte deux objectifs non visés là-bas : la durabilité socioéconomique (appropriation par les agriculteurs) et la durabilité écologique des systèmes horticoles (fonctionnement équilibré des processus écologiques).

Une sélection minutieuse des sites pilotes Le choix des sites destinés à l’évaluation du paquet technique Gamour et au suivi socioéconomique est déterminant. Pour cela, un certain nombre de critères scientifiques et socioéconomiques ont été retenus. En outre, la PAEC reposant sur la notion de gestion d’agroécosystèmes, elle inclut dans son raisonnement l’environnement spatial immédiat des parcelles. Des critères environnementaux (bassins versants prioritaires pour la protection des captages) et des critères écologiques (type de milieu, milieu ouvert ou fermé, cirque, en lisière de zones non cultivées…) ont donc été intégrés à la liste des autres critères socioéconomiques. Au-delà des considérations techniques et scientifiques, le projet Gamour résultait de l’adhésion des agriculteurs concernés par la maîtrise des mouches des légumes sur Cucurbitacées. Cette participation s’est appuyée sur leur capacité à s’impliquer sur le long terme dans des changements de modes de raisonnement et de pratiques culturales. Les instigateurs de Gamour ont échangé avec les agriculteurs, dans l’ensemble des sites présélectionnés, sur le projet, sa mise en œuvre et les implications de chacune des parties prenantes. En parallèle, les organismes de


développement (chambre d’agriculture de la Réunion, Cirad, Farre Réunion, FDGDON, GAB, organisations de producteurs) ont confronté leurs connaissances des sites, en termes de typologie des exploitations, des caractéristiques spatiales et agricoles des zones. De plus, les communes concernées, ont été invitées à participer au projet, en mettant en avant leur volonté de développer une agriculture durable et plus respectueuse de l’environnement. Enfin, quatre exploitations en agriculture biologique (AB) sont venues grossir les rangs des sites pilotes, motivées par le développement de nouvelles solutions techniques compatibles avec le cahier des charges AB. De nombreuses séances d’échanges ont été organisées avant le projet pour le choix des sites pilotes. Au total, 28 exploitations « conventionnelles » et 4 exploitations AB ont été contractualisées, sur une surface totale d’environ 50 ha (fig. 2.5).

Figure 2.5. Localisation des sites pilotes et des exploitations AB pilotes.


L’observatoire des impacts, un outil de structuration, de centralisation et de mise à disposition des données En appui à la coordination et au pilotage du projet, la mise en place d’un observatoire des impacts a permis de formaliser le suivi et l’évaluation des actions, en définissant un cadre de travail commun aux différents partenaires, afin d’obtenir un suivi homogénéisé assurant une capitalisation de l’information. L’observatoire est composé de trois modules : un diagnostic initial des exploitations maraîchères candidates, un dispositif de suivi des exploitations, et un bilan de l’appropriation de la stratégie Gamour par les exploitants. La caractérisation des exploitations maraîchères, accompagnée d’une analyse des stratégies de lutte existantes, a mis en évidence la grande diversité des exploitations et des stratégies de lutte, ainsi qu’un accès différencié aux dispositifs d’appui agricole. Après avoir identifié les domaines d’observation pertinents, une grille d’indicateurs de suivi et d’évaluation, socioéconomiques, biologiques et environnementaux, a été construite. Ces indicateurs ont tenu compte de spécificités des systèmes de production maraîchers : systèmes assez volatils (mise en place aléatoire des cultures, dépendant pour beaucoup des conditions climatiques et des cours du marché), hétérogénéité des exploitations maraîchères, niveau de formation et de technicité hétérogène entre agriculteurs. De plus, un dispositif de suivi a été mis en place. Il est constitué d’un réseau de surveillance entomologique sur les sites pilotes et d’un suivi technico-économique des exploitations candidates. De septembre 2009 à juillet 2011, les visites du suivi technique hebdomadaire auprès des agriculteurs Gamour ont permis de recueillir et centraliser 643 fiches de résultats technico-économiques pour l’observatoire des impacts. Une application informatique associée au site web du projet permet la collecte centralisée en ligne des données puis une restitution des indicateurs sous la forme de tableaux de bord et de graphes. Le fonctionnement du dispositif de suivi a permis de formaliser le pilotage et le suivi des actions du projet. Son application a suscité beaucoup de questions sur la production d’indicateurs globaux pour rendre compte de l’évolution des pratiques.


Mise en œuvre du projet Gamour : le paquet technique Sur un plan technique, Gamour a permis de développer une méthode de protection agroécologique des cultures de Cucurbitacées à la Réunion. Cette méthode a été initialement développée pour les cultures conventionnelles de plein champ (courgette, citrouille, concombre...), elle a ensuite été déclinée pour les cultures de chouchou et, enfin, elle a été adaptée au cahier des charges de l’agriculture biologique. Une passerelle entre agriculture conventionnelle et biologique a ainsi été réalisée, ce qui s’est d’ailleurs traduit par le passage en AB de plusieurs exploitations pilotes conventionnelles. L’axe fondamental de cette méthode, en accord avec les principes de la protection agroécologique des cultures est de privilégier une approche préventive au détriment d’une approche curative. Il s’agit donc de casser le cycle de reproduction des mouches plutôt que d’intervenir a posteriori pour lutter inutilement contre leurs pullulations. Le paquet technique qui a été conçu, mis au point et évalué, comprend plusieurs étapes ordonnées (fig. 2.6) : la surveillance assurée par un réseau de surveillance par piégeage sexuel mis en place par les partenaires techniques du projet pour évaluer l’évolution des populations de mouches ; la prophylaxie, qui consiste à ramasser et à détruire des légumes infestés par les mouches, car il a été montré que plusieurs centaines de mouches pouvaient émerger d’un seul fruit piqué ; l’implantation de plantes-pièges au moyen de rangs de maïs plantés pour attirer et concentrer les populations de mouches en dehors de la parcelle. Elles sont ensuite tuées par un insecticide biologique mélangé à un appât alimentaire pulvérisé par taches sur les feuilles de maïs (aucun insecticide n’est épandu sur la culture elle-même) ; le piégeage sexuel de masse, en piégeant les mâles dans des bouteilles contenant un attractif sexuel ;


la lutte biologique par conservation, qui en supprimant le recours aux applications insecticides chimiques en plein champ, permet à la faune de prédateurs et de parasitoïdes des mouches des légumes de s’établir et contribue à en contrôler la pullulation ; les pratiques agroécologiques, qui consistent à augmenter la diversité végétale de la parcelle (corridors écologiques, bandes enherbées, couverture végétale du sol…) pour faciliter l’installation des auxiliaires et prédateurs et ainsi limiter la prolifération des mouches.

Figure 2.6. Paquet technique Gamour.


Les trois piliers de la PAEC apparaissent dans les bulles roses (modifié et adapté d’après Deguine et al., 2015).

Prophylaxie Un des piliers emblématiques de la méthode Gamour est la prophylaxie, c’est-à-dire la mise en place de moyens empêchant le développement d’un ravageur, d’une maladie ou d’une adventice. Il s’agit ici de détruire les sources de multiplication des mouches que sont les fruits piqués. Concrètement, on ramasse et détruit les fruits piqués par les mouches, chaque fruit pouvant générer des centaines de descendants. Afin de faciliter ce ramassage, un outil original, l’augmentorium, a été mis à disposition des agriculteurs réunionnais (fig. 2.7). Les fruits piqués ramassés sont jetés dans cette structure bâchée, qui va les stocker tout au long de leur dégradation, tout en séquestrant les mouches qui émergent (fig. 2.8). Un système de filet sur le toit, avec une maille aux dimensions spécifiques, empêche les évasions des mouches, mais autorise la libération des Hyménoptères parasitoïdes, et donc favorise le développement de la faune auxiliaire dans le milieu.


Figure 2.7. Augmentorium (extérieur et intérieur).


Figure 2.8. Mouches emprisonnées dans un augmentorium. Source : Deguine et al., 2015, reproduit avec l'aimable autorisation d'Éric Lichtfouse.

L’augmentorium empêche ainsi une ré-infestation de l’agroécosystème par une nouvelle génération de mouches émergeant dans l’augmentorium, et il permet un enrichissement de l’environnement en parasitoïdes. La mise au point d’un augmentorium réunionnais avec un filet adapté a été nécessaire pour répondre aux spécificités des espèces locales. La maille retenue permet de piéger 100 % des mouches et de laisser la totalité des parasitoïdes s’échapper. L’augmentorium permet en outre de produire du compost, ce qui intéresse particulièrement les agriculteurs biologiques. Plusieurs dizaines d’agriculteurs utilisent l’augmentorium depuis 2009. Ils considèrent cette technique simple, efficace, respectueuse de l’environnement et peu coûteuse, comme en témoigne G.R. Hoarau, producteur de courgettes à Petite-Île : « La prophylaxie, c’est indispensable, c’est la base. Le temps investi est largement compensé par le


temps gagné avec l’arrêt des traitements phytosanitaires. »

À terme, l’utilisation de cette technique peut être envisagée aussi bien à la ville, dans les jardins, qu’à la campagne, dans les champs, reliant ainsi protection agroécologique des cultures et écologie urbaine.

Plantes refuges attractives et application d’appât adulticide La deuxième pratique de la méthode Gamour est basée sur le principe attract & kill (attirer et tuer). Il s’agit de concentrer les mouches dans une partie précise de l’agroécosystème, sur des plantes pièges, où elles peuvent être facilement gérées. La technique des plantes pièges repose sur des observations qui ont révélé que les mouches passaient 90 % de leur temps dans la végétation environnante pour se reproduire, s’abriter et se nourrir. Le temps passé par les femelles gravides sur la culture correspond au court laps de temps de la préparation à la ponte et de la ponte elle-même. On dispose des rangs de maïs autour des parcelles cultivées (fig. 2.9). Le maïs a en effet un pouvoir attractif très fort sur les mouches, mâles et femelles, comme l’ont montré certains travaux à la Réunion (Deguine et al., 2015a).


Figure 2.9. Rangée de maïs bordant une parcelle de courgettes.

Par ailleurs, les observations ont également montré que le maïs étant attractif pour de nombreux autres insectes, dont des auxiliaires et des pollinisateurs, l’application d’un insecticide non sélectif sur le maïs irait contre les principes de protection agroécologique des cultures et serait nuisible pour cette entomofaune « utile ». La méthode Gamour préconise donc d’utiliser un appât alimentaire hautement sélectif à base de protéines liquéfiées. L’appât contient également une matière active insecticide homologuée en AB, le Spinosad®, à une concentration extrêmement faible (0,02 %). La combinaison des deux est une spécialité commercialisée en France sous le nom de Synéïs Appât®. Des travaux ont montré son efficacité sur les trois espèces de mouches des Cucurbitacées. Cet appât adulticide est pulvérisé sur le feuillage en petites taches, espacées tous les 10 m, le long de la bordure de maïs. On obtient donc au final une action insecticide particulièrement spécifique et une quantité de matière active épandue à l’hectare extrêmement faible.


Piégeage de masse En plus de ces techniques qui, en principe, assurent déjà une très bonne efficacité contre les mouches des légumes, on utilise également des pièges sexuels à paraphéromones. Ces pièges peuvent être facilement fabriqués par l’agriculteur lui-même et appâtés par des attractifs disponibles dans le commerce. Le système de piège lui-même n’utilise aucun insecticide. Un simple système d’invaginations en nasse empêche les mouches, attirées à l’intérieur du piège, d’en sortir. Les avantages majeurs de ce piégeage de masse (plusieurs dizaines de pièges à l’hectare) sont son faible coût, sa simplicité d’entretien (les agriculteurs apprécient l’efficacité de cette technique, du fait qu’ils aperçoivent de nombreux cadavres de mouches dans les pièges) et sa spécificité extrême, due à l’utilisation de paraphéromones qui n’attirent que certaines espèces de mouches (fig. 2.10).

Figure 2.10. Piège sexuel à paraphéromone de Cue-lure® sans insecticide. Source : Deguine et al., 2015, reproduit avec l'aimable autorisation d'Éric Lichtfouse.

Cependant, on ne sait produire actuellement que des paraphéromones efficaces contre deux des trois espèces de mouches des Cucurbitacées (B. cucurbitae et D. demmerezi), et ces paraphéromones n’attirent que les mâles. Le piégeage de masse est donc plus utile dans des zones où D.


ciliatus est faiblement présente. L’élimination massive des mâles diminue significativement le taux d’accouplements dans la zone. Une femelle non accouplée ne pondant que des œufs stériles, les populations de mouches diminuent ainsi proportionnellement.

Lutte biologique par inondation Des lâchers de Psytallia fletcheri ont été réalisés par la FDGDON en 2010 à 2011 sur quatre parcelles de Cucurbitacées. Après ces lâchers, le taux de parasitisme a augmenté de manière modérée, avec un maximum de 16,7 % pour B. cucurbitae. Ces lâchers se révèlent pertinents dans les zones de 0 à 800 m d’altitude (zone où B. cucurbitae est présente). De telles opérations nécessitent de sensibiliser les agriculteurs à l’intérêt de diminuer l’emploi de pesticides et de promouvoir la lutte biologique par inondation. En dehors de ces lâchers, le principe de suppression d’utilisation d’insecticides chimiques dans les parcelles de Cucurbitacées vise à favoriser le rôle et l’impact de la biodiversité fonctionnelle (prédateurs, parasitoïdes, pollinisateurs), dans le cadre d’une lutte biologique par conservation (fig. 2.11).


Figure 2.11. Exemple de prédateur : une araignée (Nephila sp.) dans une treille de chouchou.

Insertion de biodiversité végétale Augmenter à bon escient la phytodiversité au sein des paysages agricoles et au sein même des cultures est assurément un axe important de la démarche agroécologique. Plusieurs producteurs réunionnais, impliqués dans le projet Gamour, ont ainsi complété les techniques à vocation uniquement phytosanitaire par la mise en place de couvertures permanentes du sol (fig. 2.12). Par ailleurs, certaines techniques agroécologiques, ayant à la fois des intérêts agronomiques et phytosanitaires, ont été initiées par certains agriculteurs biologiques : associations de cultures (fig. 2.13), agroforesterie, fabrication de compost dans l’augmentorium (fig. 2.14).


Figure 2.12. Culture de Cucurbitacées avec une couverture végétale.


Figure 2.13. Association de cultures.


Figure 2.14. Fabrication de compost dans un augmentorium.

Mise en œuvre des techniques Les opérations de transfert ont commencé en septembre 2009 avec l’intervention de la chambre d’agriculture de la Réunion, Farre Réunion, FDGDON et l’organisation professionnelle Terre Bourbon. Des formations ont été dispensées aux agriculteurs sur chaque site pilote. À l’issue de chaque session de formation, le matériel nécessaire a été distribué : de septembre 2009 à janvier 2011, 65 augmentoria, 636 pièges, 2 492 plaquettes de paraphéromone de Cue-lure®, 69 kg de semences de maïs et 136 litres de Synéïs Appât® ont été transmis aux producteurs du projet Gamour. Les 28 exploitations contractualisées ont ensuite fait l’objet de suivis hebdomadaires, réalisés par la chambre d’Agriculture, Farre Réunion et Terre Bourbon. Pour les exploitations AB, les agriculteurs eux-mêmes étaient chargés de ces suivis. Les données étaient


agrégées au niveau de l’observatoire des impacts. L’objectif du réseau de surveillance était le suivi des populations de mouches sur les sites pilotes afin de connaître leur évolution dans le temps. En termes de méthode, il s’agissait d’un piégeage spécifique au Cue-lure® (paraphéromone), soit un total de 50 pièges avec des relevés hebdomadaires. Ainsi, ces données ont permis de quantifier les niveaux des populations et leur évolution dans le temps, ce qui a constitué un indicateur pertinent pour mesurer l’évolution des populations capturées, avant, pendant et après le projet. Le suivi technico-économique de l’impact du projet a concerné une vingtaine d’exploitations maraîchères. Chacune de ces exploitations a d’abord été précisément cartographiée à l’échelle de la parcelle par un système d’information géographique et leur propriétaire a été interviewé, afin d’établir une typologie des pratiques agricoles avant le projet. Par la suite, chaque parcelle a été suivie de façon hebdomadaire lors des phases de production, pendant trois ans durant toute la durée du projet, afin d’enregistrer le calendrier cultural, l’évolution des pratiques agricoles et les données de production. L’ensemble des données récoltées lors du suivi a pu être compilé dans une analyse économique synthétique, afin de comparer la méthodologie Gamour avec la méthodologie « classique ». À la fin du projet, une enquête de satisfaction a été menée auprès des responsables d’exploitation. Outre le ressenti des agriculteurs, cette enquête a permis d’analyser l’appropriation de la méthodologie, les raisons motivant cette appropriation ou, au contraire, son rejet. Gamour étant fondé sous le signe du partenariat synergique, la méthode du projet inclut obligatoirement une dimension évolutive d’itération dans l’innovation. Dès le lancement, dans la dynamique de conception, il était en effet prévu d’amender la démarche grâce aux observations et propositions de ses acteurs. Ceci nécessite un transfert d’informations à tous les échelons, afin que tous puissent à la fois connaître l’état d’avancement général et émettre des propositions de modification. Ce réseau d’information a pris diverses formes selon la fréquence souhaitée et le public visé : séances d’échanges en salle, comités de pilotage, envois


d’informations, visites sur le terrain, réunions trimestrielles, notamment.

Résultats en milieu producteur Impacts socioéconomiques Le piégeage des mâles de B. cucurbitae et de D. demmerezi a été réalisé de septembre 2009 (période de mise en place des techniques Gamour chez les agriculteurs) à mars 2011, sur les trois villages (Entre-Deux, Petite-Île et Salazie) à l’aide de paraphéromones de Cue-lure®. Dans le village de Salazie (à partir de onze pièges disposés dans le site pilote de Mare à Poule d’eau), on note, à partir du mois de février 2010, une réduction drastique des populations de mouches capturées. L’augmentation des populations lors de l’été austral 2010-2011, pourtant attendue, n’est pas visible. On peut avancer l’hypothèse que l’application concertée à grande échelle des techniques Gamour dans le site pilote a contribué à la chute de ces populations, ce qui est confirmé par les dires des agriculteurs. Pour l’estimation des impacts technico-économiques de la méthode Gamour, nous avons suivi 21 exploitations conventionnelles et 4 exploitations en agriculture biologique. L’analyse des résultats de production porte sur le suivi hebdomadaire de 7,6 ha de treilles de chouchou, et de 19 cycles culturaux de courgette comparés à 7 cycles « témoins » hors zone Gamour. Pour le chouchou comme pour la courgette, les résultats montrent une tendance à l’augmentation des rendements et à la réduction des niveaux de pertes déclarés ; toutefois, la multiplicité des facteurs et la diversité des situations ne permettent pas d’analyser statistiquement ces observations. La différence économique majeure porte donc sur la quasi-absence des traitements insecticides curatifs sur les productions protégées par la méthode Gamour : 0,1 traitement / cycle de courgette contre 4,2 traitements / cycle en protection classique. Il est montré que cette suppression des insecticides n’entraîne aucune conséquence négative sur la production. Le point de satisfaction commun à tous les agriculteurs repose donc en particulier sur la baisse du coût de la protection contre les mouches selon la démarche Gamour : entre 1,2 et 4,2 fois plus économique pour l’agriculteur qu’une


protection classique à l’aide d’insecticides curatifs, comme l’attestent sur le terrain différents producteurs : « Pour 3 ha de chouchou, je dépensais presque 4 000 euros chaque année en produit contre les mouches : avec les méthodes Gamour, ça revient maintenant à environ 1 200 euros. » S. Victoire, producteur de chouchou à Salazie. « Normalement, je dépense environ 200-300 euros par mois pour protéger mes treilles. Avec la protection Gamour, ça revient au moins trois fois moins cher. » J.-D. Payet, producteur de chouchou à l’Entre-Deux.

Les autres points de satisfaction (augmentation de la productivité, amélioration des conditions sanitaires, respect de la faune auxiliaire) sont plus diversement mentionnés et font l’objet d’une enquête menée en parallèle. Au final, les résultats de ce projet pionnier en Europe sont très encourageants (Augusseau et al., 2011). L’utilisation d’insecticides chimiques sur la culture a été supprimée. Les rendements sont au moins aussi élevés que ceux obtenus avec la lutte chimique et les agriculteurs font des économies financières considérables par rapport à la situation de départ. Les résultats en économies de pesticides épandus sur la culture et en temps de travail sont très encourageants (tab. 2.1 et 2.2). Tableau 2.1. Comparaison qualitative et quantitative des traitements insecticides selon la protection chimique conventionnelle et la protection agroécologique Gamour. Protection

agrochimique

agroécologique

Nombre de traitements / semaine

1,5

2 (peut être réduit à 1 application)

Produit commercial

Cyperfor-Danadim™

Synéïs Appât®

Matières actives

CyperméthrineDiméthoate

Spinosad®

Dose matière active / semaine

400-500 g / ha

0,008 g / ha

Localisation du traitement

En couverture, sur la culture

Par taches, sur plantes refuges

Tableau 2.2. Comparaison du temps de travail requis pour une protection chimique conventionnelle et une protection agroécologique Gamour.


Temps de protection

chimique

agroécologique

Ramassage des fruits à terre

0

De 2 heures (au début) à 15 mn

Traitement d’un hectare

4,5 heures

1 heure

Placement des pièges

0

1 heure / ha / 3 mois

Plantation du maïs (bordure)

0

10 heures / cycle

Total de protection par semaine

4,5 heures

4,1 heures

Les techniques nouvelles qui ont été utilisées confirment en milieu producteur l’efficacité qui avait été montrée en conditions contrôlées et les agriculteurs les ont rapidement adoptées : « J’avais décidé d’arrêter la courgette à cause des mouches. Cette année, j’ai perdu moins de 10 % de la production. » J.-F. Payet, producteur de courgettes à Petite-Î le. « D’habitude les mouches détruisent 70 à 80 % de mes courgettes. Cette année, j’ai perdu moins de 25 %. » G.R. Hoarau, producteur de courgettes à Petite-Î le. « En plein été, les mouches ont détruit moins de 10 % de mes citrouilles. » G. Vitry, producteur de citrouilles à l’Entre-Deux.

En particulier, l’utilisation de bordures de maïs (en tant que plante piège) autour des parcelles, permet de concentrer à plus de 95 % les populations de mouches. Celles-ci peuvent être alors efficacement gérées avec des appâts adulticides. La technique de piégeage sexuel de masse (sans insecticide) se révèle efficace pour les mâles de deux des trois espèces de Téphritidés concernées.

Appropriation par les agriculteurs La sélection des sites et des exploitations s’est révélée a posteriori pertinente puisque les agriculteurs ont été impliqués en grande majorité avant et pendant tout le projet. Une étude de satisfaction a été réalisée auprès des agriculteurs Gamour et 80 % d’entre eux se sont déclarés satisfaits ou très satisfaits. Par ailleurs, les collectivités partenaires (mairies) se sont réellement impliquées tout au long du projet. Il faut également noter l’effet levier de ces précurseurs sur les autres


agriculteurs, ce qui constitue une perspective intéressante pour le transfert du paquet technique post-Gamour. Les techniques nouvelles qui ont été proposées confirment en milieu producteur l’efficacité qui avait été montrée en conditions contrôlées et les agriculteurs les ont rapidement adoptées. En particulier, l’utilisation de bordures de maïs (en tant que plante piège) autour des parcelles, permet de concentrer à plus de 95 % les populations de mouches. Celles-ci peuvent être alors efficacement gérées avec des appâts adulticides. Les agriculteurs se sont rapidement approprié ces techniques nouvelles. Par exemple, la prophylaxie est régulièrement pratiquée au moyen d’un augmentorium. Comme avec le piégeage sexuel de masse, cette technique est très appréciée par les agriculteurs car ils peuvent observer des mouches prisonnières à l’intérieur des pièges ou des augmentoria. Le bilan de l’appropriation des agriculteurs a été réalisé à partir d’entretiens menés auprès de l’ensemble des maraîchers des trois sites pilotes du projet Gamour (Augusseau et al., 2011). Les résultats mettent en évidence : une satisfaction globale des agriculteurs à la fois sur l’efficacité de la stratégie et la facilité de mise en œuvre des techniques proposées ; un bilan plus mitigé de l’appropriation de la stratégie de lutte qui vise à passer d’une logique curative à une logique préventive de réduction de la pression des mouches. Ceci étant lié à un nécessaire changement d’ordonnancement des pratiques (commencer par la prophylaxie, par ex.).

Acquisition de connaissances scientifiques Biologie et écologie des mouches des légumes Une technique nouvelle d’observation des adultes de mouches des légumes par contrôle visuel a été mise au point. Elle a été conçue dans différentes situations de production et consiste à dénombrer les mouches, en distinguant l’espèce et le sexe, sur les plantes cultivées dans la parcelle et sur des plants de maïs disposés en périphérie ou à l’intérieur de la parcelle cultivée. La technique est adaptée aux études des communautés où les trois espèces de mouches cohabitent. Elle permet par exemple d’étudier les


fluctuations saisonnières, les abondances relatives et la sex-ratio des trois espèces.

Rythmes circadiens et activités des adultes à l’échelle du système de culture Sur le maïs, les activités des mouches relèvent essentiellement du roosting (anglais : « étant juché »). Sur les roosting sites (lieux de séjour) que sont les plants de maïs, les adultes se déplacent en marchant, se reposent et se protègent de leurs ennemis naturels et des conditions climatiques défavorables telles qu’un ensoleillement trop intense ou de fortes précipitations. Leur alimentation est à base de miellats, de nectar, d’exsudats, de fientes d’oiseaux présents sur les feuilles. Le roosting représente la principale activité des adultes de mouches, toutes espèces confondues : 93 % des 3 646 adultes observés en 2008, 99 % des 5 749 adultes observés en 2009 et 96 % des 7 227 adultes observés en 2010, soit en moyenne plus de 95 % des 16 622 adultes dénombrés sur le maïs. En outre, les plants de maïs constituent le siège de certaines activités liées à la reproduction, telles que les leks et les accouplements. Les leks, correspondant à des regroupements de mâles en vue d’attirer les femelles pour s’accoupler, sont observés majoritairement sous les feuilles de maïs et commencent pour les trois espèces à partir de 17 h 00, en fonction de la photopériode et de la chute de l’intensité lumineuse. Les accouplements ont généralement lieu après les leks et dans la nuit, parfois jusqu’au petit matin. Les observations horaires montrent que les trois espèces de mouches des légumes présentent des rythmes circadiens. Ils sont essentiellement liés à des déplacements de femelles entre le maïs et les plantes cultivées. Les femelles gravides quittent en effet les plants de maïs pour aller pondre sur les fruits de Cucurbitacées. Ce sont majoritairement les femelles que l’on retrouve sur les plantes cultivées, les mâles restant majoritairement sur les plants de maïs. Après une période de recherche du site favorable, la ponte a lieu sur le fruit. Les heures de ponte varient selon les espèces et les observations conduites sur trois ans montrent les tendances suivantes : les femelles de B. cucurbitae pondent entre 10 h 00 et 15 h 00 ; les femelles de D. ciliatus entre 10 h 00 et 13 h 00 et les femelles de D. demmerezi de 16 h 00 à 19 h 00.


Caractéristiques des communautés pendant l’été austral Contrairement à la situation en hiver austral, les observations d’adultes in situ ont montré en été austral une grande variabilité de la fluctuation saisonnière des populations en fonction des conditions locales. Par ailleurs, l’abondance relative de B. cucurbitae est faible (< 18 %) pour les sites de plus haute altitude (au-dessus de 1 000 m d’altitude), dans lesquels D. demmerezi est l’espèce la plus répandue (> 56 %). L’abondance relative de D. ciliatus est variable selon les situations ; c’est l’espèce majoritaire en culture de citrouille (54 %). Enfin, la sex-ratio est également très variable d’une espèce à l’autre et d’une situation à une autre. Dans l’ensemble, l’évolution des populations dans l’espace et dans le temps, comme des caractéristiques bioécologiques telles que l’abondance relative ou la sex-ratio, sont très variables d’une situation à une autre. Cette variabilité s’explique par les effets cumulés de facteurs globaux au niveau du paysage et de facteurs locaux au niveau de la parcelle et des plantes. Ces facteurs sont de deux types : abiotiques (altitude et conditions climatiques dont température, pluviométrie et humidité relative) et biotiques (type d’hôte, compétition intra- et interspécifique, prédation et parasitisme, etc.).

Valorisation, communication et transfert L’acquisition de connaissances et la formation diplômante Les connaissances obtenues dans le projet ont été valorisées dans des revues : 10 publications scientifiques dans des revues internationales avec comité de lecture, 2 chapitres d’ouvrages scientifiques, 8 communications publiées dans des congrès internationaux, 9 posters présents dans des congrès internationaux, différents articles dans des revues sans comité de lecture. Les différents résultats scientifiques et techniques ont également été présentés en détail à l’occasion du séminaire final de restitution, organisé du 21 au 24 novembre 2011 à Saint-Pierre. Les actes de ce séminaire, qui a réuni plus de 80 participants, sont compilés dans un ouvrage en français et


en anglais. De plus, les recherches ont contribué à l’encadrement de différents étudiants : 11 stages type M2, 4 stages type ingénieur, 5 stages de licence, maîtrise ou DUT. Par ailleurs, deux thèses ont été initiées suite aux résultats obtenus dans le projet Gamour : l’une sur la structuration génétique des populations de mouches des légumes, l’autre sur l’attractivité des mouches par les stimuli olfactifs des différentes espèces de Cucurbitacées.

La transmission des savoirs et l’aide au transfert Le projet Gamour dispose d’un site Internet : www.gamour.cirad.fr . De nombreuses conférences ont été données à l’occasion de manifestations grand public. En outre, plusieurs reportages télévisés ou radio, ainsi que de nombreux articles dans la presse locale et nationale en ont traité. Des actions ont également été entreprises pour le jeune public, notamment par la FDGDON, le GAB et le Cirad : sensibilisation dans les écoles avec l’augmentorium, démonstrations lors de manifestations publiques (observations d’arthropodes à la loupe binoculaire), accueils et visites de collégiens dans les laboratoires du Cirad. Des fiches techniques ont été rédigées sur la biologie des mouches et sur les techniques agroécologiques. Les résultats ont également été compilés dans un livret technique, qui a été largement distribué aux agriculteurs et aux techniciens agricoles. Pour leur part, les recommandations des techniques ont été compilées dans un DVD d’information technique, également disponible en ligne[4] (fig. 2.15).


Figure 2.15. DVD de formation et livret technique distribués aux agriculteurs.

L’enseignement universitaire Au cours du projet, des enseignements ont été dispensés auprès de nombreux étudiants, en prenant l’exemple du projet Gamour comme application des concepts de l’agroécologie à la protection des cultures : à l’université de la Réunion (M1 et M2 Biologie et écologie des écosystèmes terrestres ; M2 Génie urbain et environnement ; DUT Génie biologique, option Génie de l’environnement), à l’université de Bordeaux (visioconférence, Sciences agro, 3e année) et en lycées agricoles. Par ailleurs, un module d’enseignement à distance se basant en grande partie sur le projet Gamour a été financé dans le cadre de l’appel à projets 2012 de l’Uved (Université virtuelle environnement et développement durable). Ce module d’une vingtaine d’heures est issu d’une collaboration entre le Muséum national d’histoire naturelle, le Cirad et l’université de la


Réunion et s’intitule « insectes invasifs en milieu insulaire et gestion agroécologique : cas des mouches des légumes à la Réunion ». Diffusé à partir de 2014, il est remis à jour annuellement.

Formation et transfert auprès des professionnels Un important travail de formation des pratiques agroécologiques a été assuré par la FDGDON à l’attention des agriculteurs des sites pilotes et des techniciens des organismes partenaires intervenant dans le projet. La chambre d’agriculture de la Réunion, l’Arop-FL (Association réunionnaise des organisations professionnelles agricoles de fruits et légumes), Farre Réunion, le GAB et d’autres organismes de conseil ou de développement sont maintenant en charge du transfert du paquet technique aux agriculteurs de l’ensemble de l’île. Cependant, l’extension des innovations proposées par le projet Gamour doit être accompagnée d’un gros investissement en matière de formation et d’animation afin d’encadrer les exploitations candidates. Il est d’autant plus nécessaire que l’on observe une grande diversité parmi les exploitations maraîchères et une asymétrie importante quant à leur accès aux dispositifs d’appui agricole existants. Un comité de suivi du transfert Gamour est mis en place par la chambre d’Agriculture. Il regroupe les partenaires impliqués dans la mise en œuvre du projet. Il se réunit une fois par an. Depuis la fin du projet Gamour, les organismes de développement agricole de la Réunion ont souhaité vulgariser ces techniques auprès de l’ensemble des producteurs maraîchers de l’île. Deux ans après la fin du projet, les résultats de diffusion sont conséquents : respectivement 351 et 332 agriculteurs (ou professionnels de la filière) ont été formés en 2012 et 2013. Parmi ceux-ci, 130 agriculteurs (90 en 2012 et 40 en 2013) ont été suivis de manière rapprochée sur le terrain pour la conduite de la culture de Cucurbitacées avec les techniques Gamour. Ceci représente une surface de 128 ha (84 en 2012 et 44 en 2013) implantés avec ces techniques. La prophylaxie a été particulièrement bien suivie (92 % des agriculteurs référencés l’ont mise en place et beaucoup d’entre eux ont utilisé un augmentorium, notamment en 2012). Le rythme de cette diffusion est raisonné et adapté aux contraintes et besoins. L’Arop-FL participe à cette action de transfert auprès des agriculteurs, via les organisations


professionnelles. Enfin, les professionnels du monde agricole peuvent se former à la protection agroécologique des cultures grâce à un certificat universitaire de qualification professionnelle (CUQP PAEC). Ce diplôme délivré par l’université de la Réunion, traite entre autres de la méthode Gamour et a été développé pour les professionnels.

Contribution à la transition agroécologique Des agriculteurs aux compétences améliorées Les producteurs ont acquis de nouvelles connaissances et sont aptes à appliquer un programme original de protection des cultures. Un processus participatif de transfert des innovations en milieu producteur a été proposé et s’est révélé efficace. Il est à pérenniser. Les agriculteurs qui ont fait partie du projet sont aujourd’hui des agriculteurs autonomes, capables d’appliquer eux-mêmes les recommandations et les fiches techniques. Audelà de cette capacité, certains producteurs sont devenus des leaders dans leurs bassins de production. Ils sont aujourd’hui très souvent sollicités par leurs collègues voisins, afin que les recommandations et les pratiques Gamour leur soient transmises. Cependant, il y a des améliorations à apporter sur l’appropriation des techniques, certains agriculteurs n’utilisant pas toujours l’ensemble du paquet technique. C’est un enseignement pour le transfert : la mise en place du maïs est difficile à prévoir car celle des cultures de Cucurbitacées de plein champ est parfois opportuniste (cours du marché, par ex.). Il y a aussi des améliorations à apporter pour un accès encore plus facile aux nouveaux produits phytosanitaires (augmentorium, pièges).

Un partenariat efficace et durable Le projet Gamour a été l’occasion de faire travailler ensemble des organismes de recherche, de formation, d’expérimentation, de conseil et de développement agricole, sous l’égide des organismes de tutelle. Cette


action partagée s’est révélée performante et elle a été valorisée par une coordination efficace. Cette forme de travail en partenariat est appelée à persister dans le temps, compte tenu de ces résultats, et à donner naissance à de nouvelles initiatives.

Un marché de nouveaux produits de protection des cultures Pour faciliter et s’adapter à la diffusion des techniques agroécologiques, plusieurs nouveaux produits ont fait leur apparition sur le marché local : l’augmentorium, cet outil de prophylaxie maintenant disponible auprès d’une entreprise réunionnaise, qui en propose trois types (trois tailles) ; des pièges sexuels sans insecticide, mis au point dans le cadre du projet Gamour et qui sont désormais fabriqués et vendus aux organismes, aux agriculteurs et aux particuliers ; Synéïs Appât®, dont les nombreux essais effectués dans le cadre du projet Gamour ont contribué de manière décisive à son homologation sur les cultures tropicales légumières (tomate, aubergine, poivron, concombre, courgette, melon) et fruitières (litchi, mangue, carambole, fruit de la passion, avocat, papaye, goyave, corossol). Les modalités d’utilisation résultent directement des essais entrepris dans Gamour. Les actions des organismes de transfert et de conseil pour la diffusion des techniques Gamour se concentrent sur quelques points clés identifiés au cours du projet : disponibilité en augmentorium pour les agriculteurs candidats, formation sur le terrain, mise à disposition de livrets techniques. Par ailleurs, la dynamique agroécologique engagée à la Réunion est appelée à être adaptée à d’autres productions horticoles, comme la tomate, les agrumes ou la mangue ainsi qu’à d’autres zones de la sous-région de l’océan Indien, notamment via le projet régional de protection des


végétaux (e-PRPV).

Gamour : un catalyseur du développement de l’agriculture biologique Les techniques mises au point pour la gestion agroécologique des mouches des légumes sont parfaitement adaptées au cahier des charges de l’agriculture biologique : prophylaxie à l’aide d’un augmentorium, insertion de plantes pièges, utilisation du Synéïs Appât® (appât adulticide homologué en AB), piégeage sexuel sans insecticide. Ce paquet est également étendu à la gestion des mouches des fruits (agrumes, mangue). En agriculture biologique, la suppression des traitements insecticides chimiques permet un retour des arthropodes utiles et favorise la lutte biologique par conservation. Les prédateurs généralistes ont dans un tel contexte la possibilité de réguler les populations de bioagresseurs. De même, en agriculture biologique, des pratiques agroécologiques basées sur l’insertion de biodiversité végétale sont également proposées : couverture végétale permanente du sol ayant des vertus agronomiques (réduction de l’érosion, amélioration de la fertilité du sol, limitation de l’évapotranspiration, contribution à la gestion de l’enherbement) et représentant des habitats favorables aux arthropodes prédateurs terrestres épigés (araignées, fourmis, Dermaptères) ; bandes fleuries permettant le développement de populations d’Hyménoptères parasitoïdes, de prédateurs généralistes et de pollinisateurs. Il est évident que les populations importantes d’arthropodes utiles observées en agriculture biologique et dans les situations où les traitements insecticides ont été supprimés dans les cultures en milieu producteur (projet Gamour), confirment le bienfondé de la lutte biologique par conservation (Deguine et Penvern, 2014). Dans le cas du chouchou, qui recevait de grandes quantités d’insecticides avant le projet Gamour, les rendements ont semblé évoluer positivement et certains producteurs ont fini par être certifiés en « agriculture biologique ». Deux ans après la fin du projet Gamour, plus de la moitié de la surface cultivée en chouchou dans la région de Salazie (seul « grenier » de chouchou à la Réunion) est soit certifiée en agriculture biologique, soit


en conversion pour être certifiée selon ce label. Dans ce contexte de techniques Gamour appliquées à la culture du chouchou, la certification Agriculture biologique ne s’accompagne pas d’une perte de rendement ; au contraire, l’augmentation qui est décelée pourrait être imputée, aux dires des producteurs, au retour d’un grand nombre d’arthropodes utiles dans les treilles de chouchou par la suppression des traitements. Au-delà de ces arthropodes, d’autres animaux, dont certains sont emblématiques de la Réunion, sont en recrudescence dans les treilles de chouchou : c’est le cas de l’endormi (nom vernaculaire du caméléon). Au final, le projet Gamour et les résultats obtenus ont été un véritable déclencheur du développement de l’agriculture biologique à la Réunion, notamment sur cette culture, elle aussi des plus emblématiques, qu’est le chouchou. Cette augmentation des surfaces en chouchou bio à la Réunion s’est d’autant mieux développée qu’elle a été soutenue financièrement par les pouvoirs publics. Enfin, sur le plan scientifique, les conditions rencontrées en agriculture biologique représentent des situations opportunes, car non perturbées par des traitements insecticides, pour étudier le fonctionnement des communautés et les réseaux trophiques au sein des systèmes de cultures (Deguine et Penvern, 2014).

Une amélioration de l’image de l’agriculture réunionnaise L’absence d’épandage d’insecticides sur les cultures de Cucurbitacées a permis de donner une image nouvelle, plus saine, de l’agriculture. Les produits issus des procédés étant indemnes d’insecticides, des voies de valorisation commerciale de ce type de production sont actuellement à l’étude. L’exemple de la production de Cucurbitacées selon les méthodes Gamour a montré qu’il était possible de réduire fortement, voire de supprimer, l’utilisation d’insecticides sur les cultures. Les économies ont été importantes, rendant l’agriculture plus rentable. Par ailleurs, dans une île qui est un hot spot de la biodiversité à l’échelle mondiale, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco et sur laquelle 40 % du territoire sont couverts par un parc national, le respect de l’environnement et le respect


de la biodiversité mis en avant dans le projet Gamour, participent à renouveler positivement l’image de l’agriculture. Un autre point apprécié concerne les abeilles. Les agriculteurs et les apiculteurs apprécient fortement que les techniques Gamour préservent la faune des pollinisateurs et notamment les abeilles. Certains producteurs du projet Gamour, au sujet de l’expérience qu’ils ont vécue, parlent du « retour des abeilles ».

Une distinction nationale Le projet Gamour a répondu aux objectifs fixés initialement. En retour des bons résultats obtenus, le projet a reçu une mention spéciale des Trophées de l’agriculture durable 2011 (concours national organisé par le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l’Aménagement du territoire). Cette distinction a permis de faire connaître ce projet à l’échelle nationale et même internationale (les collègues étatsuniens de l’USDA, qualifient l’expérience d’exemplaire).

Des leçons génériques pour d’autres projets de recherchedéveloppement en agroécologie Le projet Gamour a permis d’identifier plusieurs conditions nécessaires (mais non suffisantes) à la réussite d’un projet de recherchedéveloppement : concevoir minutieusement et collectivement le projet ; organiser et répartir les activités selon un partenariat pertinent ; mettre en place une coordination ; effectuer un suivi rigoureux ; ne pas brûler les étapes en respectant scrupuleusement le calendrier. Dans les projets à venir, l’évaluation économique et commerciale d’une production agroécologique sera prise en compte dès leur genèse. L’expérience Gamour a montré que, sans traitement insecticide dans les cultures, la production et les données économiques peuvent être équivalentes, sinon meilleures, qu’avec les pratiques antérieures. Ceci a induit un changement de mentalité à tous les niveaux du monde agricole. Les freins humains liés au scepticisme vis-à-vis des performances d’un


modèle de production agroécologique ont pu être en partie levés, ce qui permet d’imaginer un nouveau modèle agricole à la Réunion par les décideurs et l’ensemble des acteurs. Gamour a aussi permis d’identifier la puissance pédagogique de certains outils comme l’augmentorium. Pour la prophylaxie, il permet de meilleurs acquis sur les bonnes pratiques agricoles des exploitants et salariés agricoles.

Conclusion Le projet Gamour a contribué à proposer au monde agricole réunionnais et national une protection agroécologique des cultures efficace, moins chère, respectueuse de l’environnement, saine et durable. Il s’inscrit pleinement dans la dynamique du plan national Écophyto. De nombreuses connaissances académiques ont été acquises ; des techniques agroécologiques ont été conçues et évaluées ; les agriculteurs disposent maintenant des pratiques moins chères, plus efficaces, plus respectueuses de la santé et de l’environnement ; un paquet technique est proposé au transfert et il est compatible avec le cahier des charges de l’agriculture biologique ; les partenaires de l’agriculture réunionnaise ont travaillé de concert et sont maintenant prêts pour pérenniser ces collaborations autour d’autres projets intégratifs. Maintenant que les techniques de protection agroécologique se sont montrées efficaces et transférables, l’après-projet consiste à envisager la diffusion de la protection agroécologique à l’ensemble des producteurs maraîchers de l’île. La dynamique agroécologique engagée à la Réunion est aussi appelée à être adaptée à d’autres productions horticoles, comme la tomate ou la mangue. Au final, Gamour a proposé une nouvelle démarche globale, un schéma participatif regroupant des acteurs aux fonctions diverses composant la mosaïque du milieu agricole réunionnais. Ce faisant, Gamour a créé un continuum entre la recherche, le développement et l’agriculteur, en proposant à chacun de ces différents acteurs de nouvelles compétences


acquises par le décloisonnement des milieux professionnels. L’expérience a été particulièrement profitable pour la conception de projets ultérieurs. Elle a permis par exemple de mettre en avant l’importance de la coordination entre les différents acteurs et du suivi rigoureux du déroulement général. C’est aussi toute une grille d’indicateurs de suivi qui a été élaborée, affinée par la confrontation in situ aux prévisions initiales. Enfin, Gamour a révélé certaines de ces carences et a permis l’élaboration d’une réflexion collective pour y remédier. L’importance de la valorisation commerciale des produits agricoles issus de ce type d’agriculture a ainsi été prise en compte dans le projet agroécologique qui a succédé à Gamour, le projet Biophyto (chapitre 3). 3. Avec la collaboration de C. Ajaguin Soleyen, X. Augusseau, E. Douraguia, V. Duffourc, T. Gentil, J. Gourlay, G. Insa, M. Jolet, K. Le Roux, B. Logoras, M. Marquier, M.-L. Moutoussamy, E. Poulbassia, P. Rousse, E. Roux, Y. Soupapoullé, W. Suzanne, T. Taye, P. Tilma, E. Trules. 4. http://www.agriculture-biodiversite-oi.org/Professionnel-producteur/Se-former/Formations-enligne/Formation-video-a-la-gestion-agroécologique-des-mouches-des-legumes (consulté le 12 août 2015).


Chapitre 3 Application en cultures fruitières : l’expérience Biophyto[5] Introduction Biophyto est un projet de recherche-développement qui s’est déroulé de 2012 à 2014 à la Réunion et qui vise à développer la protection agroécologique des cultures dans les vergers de manguiers. L’organisation repose sur un partenariat de onze organismes, de la recherche, de l’expérimentation, de la formation et du développement agricoles et treize producteurs qui appliquent les principes de l’agroécologie sur leurs parcelles. Ce dispositif a fait ses preuves dans la construction partagée et le transfert des nouvelles connaissances notamment lors du projet. L’acronyme du projet indique la teneur du contenu du projet. Il se compose de deux parties : « Bio », pour préserver la biodiversité fonctionnelle dans les agroécosystèmes à base de manguiers et développer l’agriculture biologique vers la mangue « bio » ; et « phyto », pour réduire ou supprimer l’utilisation des produits phytosanitaires, en cohérence avec le plan Écophyto. Biophyto s’inscrit dans un contexte où une dynamique agroécologique s’est installée à la Réunion après le déroulement du projet Gamour. Le projet confronte à la réalité du terrain, chez les producteurs, les principes de la protection agroécologique des cultures (Deguine et al., 2008a) et de la lutte biologique par conservation (Ferron et Deguine, 2005b) :


suppression de la protection chimique et mise en place de pratiques d’insertion de biodiversité végétale (couvertures végétales notamment) pour favoriser la biodiversité fonctionnelle dans les vergers. À la différence de Gamour qui ne portait que sur un type de ravageur, les mouches des légumes, Biophyto s’intéresse à l’ensemble des ravageurs du manguier. Ce projet marque une rupture avec les pratiques classiques de production et représente une étape majeure vers le développement de la mangue biologique. Ce chapitre présente le retour d’expérience du projet Biophyto, accompagné de quelques témoignages.

Contexte et enjeux de recherche et développement Le contrôle des ravageurs sur manguier : une impasse technique À la Réunion, la culture du manguier (Mangifera indica) est contrainte par trois problèmes entomologiques majeurs : la punaise Orthops palus Taylor (Hétéroptères : Miridés) ; la cécidomyie des fleurs Procontarinia mangiferae Felt (Diptères : Cécidomyiidés) ; les mouches des fruits Ceratitis capitata (Wiedemann), Ceratitis rosa Karsch et Bactrocera zonata (Saunders) (Diptères : Téphritidés) (fig. 3.1). La punaise et la cécidomyie infligent de gros dégâts aux inflorescences, tandis que les mouches des fruits pondent dans les mangues mûrissantes. D’autres insectes peuvent ponctuellement causer des dommages significatifs (cochenilles, thrips, cécidomyie des feuilles...), mais ils ne sont pas considérés comme des ravageurs aussi importants que les trois autres. De ces trois problèmes entomologiques majeurs, les mouches des fruits sont les mieux connues (Quilici et al., 2005). Leur écologie à la Réunion a été récemment étudiée en détail (Duyck et al., 2008). Le cas de la punaise est particulier puisque la Réunion est le seul endroit au monde où cette espèce pose problème sur manguier, d’où le peu de travaux publiés et le manque de connaissances à son sujet.


Figure 3.1. Femelle de Bactrocera zonata sur une mangue.

Pour les agriculteurs réunionnais, la seule réponse disponible est trop souvent l’application répétée de traitements chimiques. Actuellement, une seule matière active insecticide est homologuée pour protéger les inflorescences du manguier et, de l’avis même des agriculteurs, son efficacité reste très limitée. Ce constat a motivé depuis quelques années le développement de stratégies de lutte intégrée, regroupées en particulier dans la démarche de protection fruitière intégrée (PFI). Mais la lutte chimique restant la base de la protection phytosanitaire, elle annihile l’action des auxiliaires, sans compter les risques sur l’environnement et la santé des producteurs et des consommateurs.

Enjeux économiques et environnementaux pour le territoire


Les vergers de manguiers à la Réunion sont généralement situés sur des terres friables, sensibles à l’érosion et aux risques de pollutions diffuses vers les captages ou les récifs coralliens. La production de mangues représente le plus important revenu économique parmi l’ensemble des productions fruitières pérennes de la Réunion. Plus de 300 ha de vergers regroupant 80 producteurs fournissent en moyenne 1 800 t de mangues par an. Cette production continue actuellement à se développer, avec une tendance à la diversification de la gamme variétale afin d’étendre les périodes de commercialisation. Les producteurs de mangues à la Réunion sont confrontés à de nombreux problèmes phytosanitaires et recourent majoritairement à la lutte chimique pour contrer la pression parasitaire. Diverses expérimentations, menées par la chambre d’Agriculture et le Cirad de 1994 à 2001 chez des producteurs de mangues, ont mis en évidence la bonne efficacité des techniques de protection intégrée et ont contribué à la mise en place des premières mesures agroenvironnementales à la Réunion. En 2007, le projet Approche intégrée de la filière mangue à la Réunion, financé par le Casdar, a associé différents partenaires techniques et producteurs de mangues pour engager de nouveaux travaux d’étude sur le comportement de la floraison du manguier, la sensibilité aux attaques phytosanitaires en fonction des conditions pédoclimatiques, la valorisation commerciale de la mangue sur les marchés. Un itinéraire technique type a pu ainsi être formalisé sous forme de règle de décision en 2009. Bien que les techniques de production intégrée contribuent à la réduction des pesticides et des fertilisants minéraux, des progrès importants restent à faire pour tendre vers une production encore plus économe en intrants phytosanitaires. C’est ainsi qu’en 2012, dans le cadre du plan Écophyto, Axe 3 « Innover dans la conception et la mise au point de systèmes de culture économes en pesticides », le projet Biophyto, financé par le Casdar et animé par la chambre d’Agriculture, le Cirad et l’Arop-FL, propose d’expérimenter les méthodes de protection agroécologiques, avec pour objectif de supprimer le recours à l’ensemble des insecticides sur manguier.


Enjeux scientifiques du projet Les enjeux scientifiques du projet Biophyto concernent, d’une part, l’acquisition de connaissances sur le fonctionnement écologique des agroécosystèmes dans le domaine de la PAEC et dans celui de la lutte biologique par conservation et, d’autre part, l’intégration des connaissances acquises pour la conception et la mise au point de modalités de gestion agroécologiques. Sur le plan scientifique, dans le contexte de la Réunion, de nouveaux domaines d’étude sont ainsi abordés : conception de nouvelles pratiques agroécologiques (insertion d’habitats pour les auxiliaires) pour réduire l’impact des ravageurs, caractérisation de la biodiversité fonctionnelle en milieu cultivé, mesure de l’impact de facteurs écosystémiques et du paysage sur la biodiversité fonctionnelle et les réseaux trophiques, étude de la bioécologie de certains arthropodes méconnus (punaise du manguier), étude des interactions entre les communautés végétales insérées dans les vergers de manguiers et les communautés animales.

Conception du projet Biophyto La chambre d’agriculture de la Réunion, le Cirad, l’Arop-FL et les producteurs de mangues initient dès 2010 une réflexion sur des techniques agroécologiques, alternatives à la protection chimique. Une production de mangues sans insecticide répond alors à une demande émergente des producteurs. La plupart d’entre eux sont candidats pour s’engager dans cette démarche. Tous pensent que la protection sans insecticide des vergers de manguiers est possible, mais qu’il faut un projet pilote pour le démontrer. La réflexion pour la co-conception du projet est ouverte à l’ensemble des partenaires de la recherche, de l’expérimentation, de la formation et du développement. Biophyto affiche des objectifs économiques (amélioration de la compétitivité de la filière et ouverture à de nouveaux modes de valorisation). Il intègre aussi, dès son origine, des objectifs sociaux (transfert auprès des agriculteurs, retombées pour l’ensemble des acteurs


de la filière et les consommateurs), environnementaux (fonctionnement durable des agroécosystèmes) et, bien sûr, écologiques (durabilité des systèmes de culture, viabilité écologique des exploitations). Ces objectifs s’appliquent à différentes situations de production et de modes de production, en particulier celui de l’agriculture biologique. De plus, à l’image du dispositif partenarial de Gamour, Biophyto œuvre à une meilleure organisation du processus de recherche et développement en agroécologie à la Réunion. Onze partenaires techniques impliqués dans la réalisation du projet ont été destinataires de financements Casdar (encadré) : l’association Insectarium de la Réunion, l’Arop-FL, l’Armeflhor, la chambre d’agriculture de la Réunion, le Cirad, l’Établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricole (EPLEFPA) de Saint-Paul, la FDGDON de la Réunion, Farre Réunion, le GAB, l’Organisme certificateur Tropique Réunion océan Indien (Octroi), l’université de la Réunion (IUT de Saint-Pierre). D’autres partenaires techniques impliqués dans la réalisation du projet (hors financements Casdar) : la direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DAAF), le réseau mixte technologique Développement de l’agriculture biologique (RMT DévAB), l’office de l’eau de la Réunion. Certains ont été associés au comité de pilotage : DAAF, responsable du projet Écofrut, programme fruitier de recherche financé par le Feader, pôle de compétitivité Qualitropic. Outre le ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt (via la dotation Casdar), les partenaires financiers ont été le conseil régional de la Réunion, le conseil général de la Réunion, l’État, l’Union européenne. Les responsables du plan Écophyto ont considérablement soutenu et aidé le projet dans son déroulement et ont participé activement au financement de différentes opérations de valorisation et de communication.

Domaine d’activité des onze partenaires techniques Recherche Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), Insectarium de la Réunion.


Expérimentation Association réunionnaise pour la modernisation de l’économie fruitière, légumière et horticole (Armeflhor), Fédération départementale des groupements de défense contre les organismes nuisibles (FDGDON).

Développement, transfert Chambre d’agriculture de la Réunion, Forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement (Farre Réunion).

Formation Établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricole (EPLEFPA) de Saint-Paul, université de la Réunion (IUT de Saint-Pierre).

Organisations de producteurs Association réunionnaise des organisations de producteurs de fruits et légumes (Arop-FL), Groupement d’agriculture biologique de la Réunion (GAB).

Valorisation commerciale Organisme certificateur Tropique Réunion océan Indien (Octroi).

L’animation et la coordination sont réparties en trois pôles : le chef de projet est un agent du Cirad (pôle Recherche), la gestion administrative et financière du projet est confiée à la chambre d’Agriculture (pôle Développement), la coordination technique est assurée par l’Arop-FL (pôle Professionnel). Le projet se structure autour de cinq actions (fig. 3.2). Les expérimentations sont mises en place sur un réseau de sites pilotes avec des agriculteurs volontaires.


Figure 3.2. Structuration des actions et organisation de Biophyto.

Pratiques de protection agroécologique appliquées dans les vergers de manguiers Des expérimentations conduites chez les producteurs Sur chaque exploitation pilote, deux parcelles sont identifiées : la parcelle Biophyto et la parcelle témoin, comprenant chacune de 30 à 90 arbres. Ces parcelles peuvent être juxtaposées, contiguës ou éloignées l’une de l’autre, mais elles font partie d’un même verger. Les principes de lutte biologique par conservation (arrêt ou forte réduction des insecticides, prophylaxie et


gestion des habitats) sont déclinés selon des pratiques agroécologiques mises en place sur la parcelle Biophyto. Elle est donc conduite sans insecticide et des pratiques agroécologiques d’insertion de biodiversité végétale sont déterminées pour chacun des vergers avec les producteurs et les partenaires techniques du projet. La parcelle témoin conserve les pratiques culturales habituelles du producteur, permettant l’acquisition de données sur des pratiques de référence. Ces deux parcelles ne permettent pas une comparaison stricte des données mais constituent une base de dialogue et de constitution de références techniques. Les critères de sélection de ces parcelles répondent donc à la fois à des questions techniques, scientifiques et de faisabilité. Pour la production de données cohérentes, les mêmes parcelles sont suivies pendant les trois années du projet ; aussi, la motivation et l’engagement des producteurs pour l’application de pratiques en rupture avec leurs habitudes sont deux critères primordiaux. Différents critères de représentativité des vergers sont considérés : situation géographique, circuits de commercialisation, pratiques culturales, modèle économique et variétés. Au niveau géographique, les différentes zones de production de la mangue sont représentées : de SaintPaul dans l’Ouest de l’île à la zone de Saint-Pierre dans le Sud-Ouest de l’île. La représentativité des différents circuits de commercialisation est nécessaire pour la production de données technico-économiques : vente locale, exportation, via une organisation de producteurs. La représentativité des pratiques culturales prend en compte les trois principales voies observées à la Réunion : pratiques conventionnelles, agriculture raisonnée, agriculture biologique. Différents modèles économiques sont représentés : la mangue constitue le principal revenu ou il reste secondaire (derrière des activités de maraîchage ou d’agrotourisme, par ex.). La taille des exploitations va de moins d’un hectare à plus de 30 ha, avec des producteurs plus ou moins expérimentés. Dans le réseau, un verger appartient à un établissement d’enseignement agricole (EPLEFPA de Saint-Paul) et un autre à un centre d’insertion par le travail (Association laïque pour l’éducation, la formation, la prévention et l’autonomie) à Saint-Pierre. Enfin, le choix des


variétés s’est porté sur les plus cultivées : essentiellement ‘José’, mais aussi ‘Cogshall’ (mangue américaine). Pour rétablir les équilibres bioécologiques dans les parcelles Biophyto, les traitements insecticides sont supprimés et, en corollaire à l’implantation des couvertures végétales, les traitements herbicides sont également supprimés des itinéraires techniques conventionnels des producteurs. La biodiversité végétale y est favorisée de manière à créer des habitats propices aux auxiliaires : installation de couvertures végétales, de bandes fleuries et de plantes refuges. Les couvertures végétales, dont l’implantation et la gestion sont accompagnées par la mise en place d’un système d’irrigation par aspersion, représentent la modalité d’insertion de biodiversité végétale privilégiée. Un travail d’expérimentation sur les bandes fleuries est mené sur un réseau plus réduit de parcelles. Les essais sur les plantes pièges et plantes refuges sont encore à l’état d’expérimentation et ne sont pas abordées dans ce chapitre. Le recueil des données au cours des suivis concerne différents domaines : agronomique pour les pratiques culturales et les rendements ; phytosanitaire pour le suivi des principaux bioagresseurs ; socioéconomique pour la perception des pratiques agroécologiques par les agriculteurs. Suite à l’insertion de biodiversité végétale dans les vergers pilotes, notamment la mise en place de couvertures végétales, les suivis permettent d’évaluer l’évolution de l’enherbement en mesurant son recouvrement global, sa hauteur, son état général et sa richesse spécifique. De plus, la réaction physiologique du manguier fait l’objet d’études en réponse au changement d’irrigation nécessaire et destiné au maintien d’une couverture végétale permanente. Au total, une quarantaine de personnes d’organismes différents, avec l’appui des producteurs, participe au projet Biophyto.

Les couvertures végétales permanentes Une technique de gestion des habitats On appelle couverture végétale l’ensemble des plantes qui recouvrent le


sol d’un verger autour des plantes cultivées (enherbement). Outre le fait qu’elle limite l’érosion des sols et les risques de pollution des eaux par transfert des produits phytosanitaires dans le sol, la couverture végétale augmente la biodiversité animale en créant des habitats et ressources alimentaires pour la faune utile. Elle est donc particulièrement intéressante dans le cadre d’une lutte biologique par conservation, car elle représente un habitat très adapté pour des auxiliaires (notamment prédateurs), en comparaison d’un sol nu, obtenu à renfort d’herbicides, où la biocénose est quasi absente. En permettant le développement d’espèces herbivores n’attaquant pas le manguier, les couvertures végétales abritent des proies alternatives pour les auxiliaires prédateurs généralistes. Ces prédateurs généralistes offrent des avantages que les auxiliaires spécialistes n’ont pas : même en l’absence de ravageurs, ils se maintiennent à des niveaux de population non négligeables dans les vergers grâce à la consommation de proies alternatives et sont déjà présents dès qu’une attaque de ravageurs a lieu. Enfin, un enherbement dense et épais peut potentiellement constituer une barrière physique pour les ravageurs dont une partie du cycle se déroule dans le sol (cécidomyie, thrips, mouches des fruits). Installation, gestion et entretien d’une couverture végétale L’aménagement des couvertures végétales dépend du sol, du climat, des pratiques du producteur, de son matériel, etc. Ce qui est commun à toutes les exploitations, c’est qu’une couverture même monospécifique (avec par ex., 100 % de graminées) vaut mieux qu’un sol nu. Mais, rapidement, une flore diversifiée se met en place après l’arrêt des traitements herbicides. La priorité est d’avoir une couverture végétale, permanente, vivante, d’une hauteur minimale de 8 à 10 cm. Le recours aux herbicides est alors fortement déconseillé, d’autant qu’ils favorisent l’apparition d’herbes résistantes. Les producteurs sont unanimes pour dire que le meilleur moyen est de laisser la végétation spontanée s’installer en arrêtant les herbicides. Les espèces locales adaptées aux conditions pédoclimatiques du verger peuvent se développer ainsi durablement. Les premières années,


les espèces les plus résistantes aux herbicides prennent place aux endroits habituellement désherbés chimiquement (ligne de plantation, pourtour des arbres). Idéalement, la couverture végétale doit être à la fois dense (taux de recouvrement important) et riche en espèces végétales. En effet, la diversité et l’abondance des plantes ont des effets ascendants sur les niveaux trophiques, favorisant de même l’abondance et la diversité des herbivores ainsi que leurs ennemis naturels. L’adaptation du système d’irrigation peut être nécessaire pour installer et maintenir en permanence la couverture végétale. Le type d’irrigation adopté par les producteurs est un système d’irrigation par microaspersion. C’est une alternative qui permet aussi de remédier au risque élevé d’incendie dans la principale zone de production (Ouest de l’île). Dans ce cas, les pratiques d’irrigation doivent promouvoir le maintien de la couverture, sans perturber la floraison de l’arbre. Les expérimentations sont encore en cours pour déterminer une gestion adaptée de l’irrigation. Afin de ne pas perturber l’activité de la faune auxiliaire, il faut veiller à ne pas faucher lors des périodes critiques, c’est-à-dire du début de la floraison au début de la récolte. Dès les premières pluies d’été austral, avant la récolte, la fauche doit reprendre afin de réduire l’humidité dans le verger, favorable aux maladies comme l’anthracnose et la bactériose. Un couvert bas facilite le ramassage des fruits piqués, il représente une étape essentielle de prophylaxie et facilite aussi les travaux de récolte. À partir de la fin de la récolte et jusqu’à l’arrivée de la saison sèche, une fauche alternée un rang sur deux est recommandée afin de conserver un bon réservoir de faune auxiliaire. Il est également conseillé de faucher de l’extérieur vers l’intérieur du verger afin d’y retenir un maximum d’auxiliaires. Un engouement des producteurs pour cette pratique Une couverture végétale permanente a été mise en place dans chacune des parcelles Biophyto du réseau. La figure 3.3 présente une parcelle témoin à gauche (sol nu) et une parcelle Biophyto à droite (sol enherbé). Cette


pratique agroécologique a ainsi été confrontée à la perception des producteurs, ce qui constitue un point essentiel pour l’appropriation de ces techniques. Les parcelles Biophyto sont plus riches en espèces végétales que les parcelles témoin. Au début du projet, les producteurs exprimaient certaines craintes à l’égard de l’implantation des couvertures végétales, pensant que celles-ci deviendraient un réservoir d’arthropodes nuisibles. La plupart des producteurs, une fois formés à la reconnaissance des arthropodes utiles et nuisibles, ont été rassurés sur ce point.


Figure 3.3. Vergers de manguiers avec sol nu et sol enherbé.

L’enquête de satisfaction réalisée à la fin du projet montre que l’ensemble des producteurs est très satisfait de la mise en place d’une couverture végétale permanente. Ils apprécient son utilité du fait qu’elle favorise la biodiversité fonctionnelle, concourt à la protection de l’environnement et à la lutte contre l’érosion. Sa mise en place est jugée peu contraignante, bien que des complications aient pu apparaître (notamment sur le problème de plantes envahissantes sur certains sites) et que des améliorations sur le système d’irrigation sont attendues.

Les bandes fleuries Les bandes fleuries offrent aux auxiliaires des abris et des ressources de nourriture. Elles sont composées de plusieurs plantes attractives pour les pollinisateurs, les prédateurs et les parasitoïdes. Elles sont insérées dans la


parcelle de manière à ne pas perturber les travaux dans le verger. Les facteurs qui influencent les communautés d’insectes sont l’abondance des fleurs, leur couleur, la qualité de la végétation (nature du mélange), la structure, l’âge et l’entretien. En verger, les espèces bisannuelles et les vivaces sont intéressantes, car présentes en permanence dans ces structures paysagères pérennes. La complémentarité des différentes espèces composant le mélange est plus importante que leur nombre, la diversification n’ayant pas forcément un impact plus important sur la régulation des ravageurs. Ainsi, l’optimum d’un mélange tourne souvent autour de quatre à cinq espèces florales aux caractéristiques bien identifiées (époque de floraison, capacité d’attraction, pérennité et facilité d’entretien) (Ricard et al., 2012). Pour favoriser la biodiversité fonctionnelle, la floraison des bandes fleuries doit être suffisamment étalée dans le temps : ainsi, la faune auxiliaire peut jouer un rôle significatif lors des stades clés de la culture, comme par exemple la floraison du manguier sujette à de nombreuses attaques (cécidomyies, thrips, punaises, etc.) ou encore la fructification fortement menacée par les mouches des fruits. Dans le projet Biophyto, un mélange fleuri, adapté aux vergers de manguiers, a été construit à partir de plantes recensées à la Réunion qui ne présentent pas de caractère envahissant, et selon le cahier des charges suivant. Afin de limiter la concurrence avec les adventices spontanées, les espèces florales doivent avoir un bon taux de germination, de recouvrement et de régénération. Elles doivent pouvoir s’adapter aux sols et microclimats des différentes zones de culture du manguier. La floraison des plantes doit démarrer rapidement et durablement. Certaines d’entre elles peuvent avoir des caractéristiques agronomiques intéressantes comme les plantes aromatiques et mellifères. Enfin, les plantes sont choisies en fonction de la disponibilité des semences, de leur facilité d’installation et d’entretien, ainsi que de leur faible besoin en eau. Dans un premier temps, une recherche bibliographique a permis de présélectionner 149 espèces végétales. Puis, parmi elles, douze espèces vivaces ou annuelles, appartenant respectivement à huit familles différentes ont été choisies pour être implantées dans les bandes fleuries


au sein de vergers de manguiers (fig. 3.4) (Deguine et al., 2015b). Quatre espèces ont particulièrement bien fleuri : l’alysse maritime, la bourrache officinale, le souci officinal et le sarrasin. La plante abritant la plus grande abondance et la plus grande diversité en auxiliaires parasitoïdes est l’alysse maritime Lobularia maritima (Brassicacées). Les prélèvements réalisés sur l’alysse maritime ont regroupé 817 insectes dont 9 araignées, 9 Coléoptères, 88 Diptères, 250 Hétéroptères, 59 Homoptères et 402 Hyménoptères dont 229 Formicidés.

Figure 3.4. Bandes fleuries dans un verger de manguiers.


Les bandes fleuries et les couvertures végétales sont deux pratiques complémentaires pour favoriser la biodiversité fonctionnelle. Une évaluation effectuée dans un verger du réseau Biophyto en 2013, à l’aide de pièges Malaise, montre que des parcelles abritant ces deux pratiques, hébergent dix fois plus de parasitoïdes que la parcelle témoin.

La prophylaxie et autres techniques agroécologiques : exemple de la gestion des mouches des fruits À la Réunion, trois espèces de mouches piquent les mangues : la mouche de la pêche Bactrocera zonata Saunders, la mouche méditerranéenne Ceratitis capitata Wiedemann et la mouche du Natal Ceratitis rosa Karsch (Diptères : Téphritidés). Les femelles pondent en piquant à travers la peau du fruit grâce à leur ovipositeur. Après éclosion, les larves se développent en consommant le fruit de l’intérieur. Au bout de 6 à 7 jours, elles s’extraient du fruit en se catapultant au sol pour s’enfouir et se transformer en pupe. C’est à ce moment que les prédateurs généralistes au sol (araignées, staphylins, carabes, fourmis) viennent se nourrir des pupes ou des larves. En une semaine environ, les nouveaux adultes émergent des pupes. La durée du cycle, conditionnée par les températures, est courte en saison chaude et dure moins d’un mois. Les attaques sont plus importantes en saison chaude et humide, de janvier à mars. La tactique la plus efficace de protection contre les mouches des fruits est de l’ordre de la prophylaxie : entraver leur cycle de reproduction. Il convient donc de ramasser et détruire sans attendre les mangues proches de la maturité tombées au sol, surtout lorsqu’elles sont piquées par les mouches des fruits. La destruction des fruits est considérée comme efficace dans les cas suivants : distribution aux animaux de ferme (poules, canard, cochons) ; enterrement à plus de 20 cm de profondeur ; entassement des fruits dans un augmentorium. En plus de cette technique agroécologique, des techniques de protection intégrée peuvent être utilisées. Ainsi, le piégeage sexuel est employé pour capturer, selon la paraphéromone utilisée, les mâles des trois espèces s’attaquant à la mangue. De plus, la technique du piégeage de masse est complémentaire : elle permet de capturer les mâles et les femelles de cératites (C. rosa et


C. capitata), le genre Bactrocera n’étant que faiblement attiré par le piège. Il faut installer 80 pièges/ha en les fixant à hauteur d’homme sur une branche (environ 1 piège tous les 6 arbres). L’installation doit être réalisée avant la période chaude et humide. L’attractivité des pièges dure plus de trois mois, soit une campagne de récolte. Il faut les vider régulièrement des cadavres de mouches. Ces pièges sont ensuite éliminés par les circuits de récupération de déchets existant à la Réunion.

L’arrêt des traitements de pesticides La compatibilité des pratiques Biophyto avec le cahier des charges de l’agriculture biologique Les producteurs ont respecté l’arrêt des traitements insecticides chimiques sur les parcelles Biophyto, ce qui était l’objectif de départ du projet. Mais ils en ont très souvent profité pour supprimer dans la même logique les traitements herbicides (grâce à l’implantation des couvertures végétales et au profit des fauches) et les traitements fongicides de synthèse. Cette situation devient alors compatible avec une conduite en agriculture biologique. La prise de conscience de l’impact des traitements a conduit certains producteurs, qui se sont totalement approprié cette démarche, à appliquer les pratiques agroécologiques Biophyto sur le reste de leur exploitation. Parfois, l’excès dans la volonté de supprimer totalement les pesticides a joué des mauvais tours (certains producteurs n’ont pas voulu protéger leurs fleurs contre l’oïdium, avec pour conséquence des dégâts plus importants sur les parcelles Biophyto), mais qui serviront de leçon pour l’avenir, puisqu’il existe des solutions techniques de lutte compatibles avec l’agriculture biologique. La réduction de l’indice de fréquence de traitement (IFT) Si les pratiques agroécologiques ont permis de réduire très significativement l’IFT (presque nul à la fin du projet), les pratiques sur


les parcelles témoin se sont orientées vers un mode de protection phytosanitaire que l’on pourrait qualifier d’itinéraire de transition avec un IFT très bas (fig. 3.5). Sur les cinq exploitations considérées, l’indice de fréquence de traitement est calculé pour chaque verger à partir des moyennes des pratiques 2009, 2010 et 2011, alors que l’année 2014 ne concerne que les parcelles Biophyto et les parcelles témoin du projet. L’IFT moyen passe de 22,4 en 2011 à 4,5 fin 2014 sur la parcelle Témoin et à 0,3 fin 2014 sur la parcelle Biophyto.

Figure 3.5. Indice de fréquence de traitement (IFT) avant le début et à la fin du projet Biophyto. Moyennes réalisées sur cinq exploitations appartenant au réseau Dephy Ferme Écophyto chambre d’Agriculture de la Réunion, 2015.

En trois ans, grâce au travail conjoint des organismes de développement et à l’impulsion du projet Biophyto, les pratiques sont donc passées de traitements systématiques contre les ravageurs, avec une dizaine de traitements insecticides par an, à moins de trois traitements insecticides. Les producteurs ont acquis d’autres moyens pour réguler les cochenilles ou les thrips. Ils constatent que l’implantation d’une couverture végétale est bénéfique pour lutter contre ces ravageurs. En ce qui concerne la régulation des mouches des fruits, même si deux cyclones n’ont pas permis d’obtenir des observations quantitatives, les producteurs ont


délaissé les traitements chimiques, pour une meilleure prophylaxie et l’utilisation de pièges. Certains producteurs utilisent en complément le traitement par taches à base de Spinosad® (Synéïs Appât®) en cas de forte infestation. Ce produit est homologué en agriculture biologique. Seuls les producteurs dans les bassins de production infestés par la cécidomyie des fleurs ont des difficultés pour arrêter les traitements insecticides sans impact sur la production. Le rôle de la couverture végétale pour entraver le cycle de la cécidomyie des fleurs est difficilement observable car ces insectes peuvent aussi provenir de l’extérieur de la parcelle. Des réflexions et des expérimentations complémentaires sont en cours par les organismes de développement de la Réunion pour mettre en place des méthodes alternatives aux traitements, en complément de la lutte biologique par conservation. Par exemple, l’implantation de bandes fleuries qui permettraient une densification des parasitoïdes de la cécidomyie est une piste à étudier. Enfin, la réduction des traitements contre la punaise du manguier s’est poursuivie (transition de traitement « en plein » à traitement localisé sur les arbres les plus infestés, par ex.). Les travaux de recherche sur la bioécologie de la punaise du manguier sont en cours pour déterminer les espèces végétales qui pourraient être utilisées comme plantes pièges.

Lutte biologique par conservation : retours d’expérience Une prise de conscience de la nécessité de changer de pratiques Jusqu’alors considérée comme un ravageur mineur sur manguier, la cochenille des Seychelles (Icerya seychellarum) a connu en 2011-2012 de fortes pullulations. À la Réunion, où elle est présente depuis de nombreuses années, ses populations avaient toujours été bien contrôlées par l’action conjointe de ses ennemis naturels : la coccinelle Rodolia chermesina Mulsant et le parasitoïde Cryptochetum iceryae Willinston (Cryptochétifés) (Quilici et al., 2003). Mais depuis 2011, on assiste à un fort accroissement des populations de cette cochenille, surtout sur le


manguier. Conjointement, l’observation de momies parasitées de la coccinelle est de plus en plus fréquente. Les pullulations de la cochenille observées à la Réunion semblent dues à un déséquilibre dans le contrôle de ses populations par ses ennemis naturels. Plusieurs espèces de parasitoïdes récemment recensées à la Réunion s’attaquent à la coccinelle Rodolia chermesina dont le plus important est Homalotylus eytelweinii Ratzeburg (Encyrtidés) (Delpoux et al., 2013). Pour les producteurs, l’effet visuel d’une attaque de cochenilles est très anxiogène, car les arbres sont envahis de cochenilles, les feuilles deviennent noires et dans certains cas tombent à terre. Toutefois, dans la plupart des cas, en l’absence de traitements chimiques, un nouvel équilibre se crée en quelques semaines et les populations de cochenilles redescendent sous le seuil de nuisibilité. L’utilisation de la lutte chimique dans une telle situation ne fait qu’accroître le déséquilibre, puisque la plupart des composés utilisés ne sont pas sélectifs et affectent les insectes auxiliaires (Grafton-Cardwell et Gu, 2003). Certains producteurs ont tenté de résoudre cette crise en multipliant les traitements et sont ainsi tombés dans une spirale chimique. D’autres producteurs, notamment ceux participant au projet Biophyto, ont observé que dans les parcelles Biophyto (non traitées), le problème de cochenilles avait disparu : « Pendant la crise de la cochenille, nous traitions beaucoup et nous n’avions pas de résultats. À un moment donné, avec le projet Biophyto, nous avons décidé d’arrêter les traitements sur une parcelle et de laisser l’enherbement pour voir quel résultat nous pourrions avoir. Et c’est vrai que du coup, j’ai vu les auxiliaires s’installer, la cochenille est partie, et c’est à ce moment-là qu’on a vraiment cru en ce projet. » G. Boyer, agriculteur.

Les questions et commentaires fréquents relatifs à l’application des pratiques agroécologiques Est-ce que les populations de ravageurs vont devenir incontrôlables ? L’arrêt des traitements insecticides n’a pas entraîné une augmentation significative des niveaux d’infestation des bioagresseurs sur les parcelles Biophyto. On a cependant noté régulièrement des dégâts de la cécidomyie


des fleurs. Les observations des dégâts sur fruits n’ont pu être menées à leur terme en raison de deux cyclones qui ont mis les fruits à terre les deux premières années du projet, mais les pratiques de gestion des mouches de fruits sont similaires sur les deux parcelles dès la deuxième année du projet. Les attaques d’oïdium ont causé d’importants dégâts sur la plupart des parcelles en raison de l’absence de traitements fongicides. Selon les producteurs, l’impact des pratiques agroécologiques contre les attaques des ravageurs dans les vergers est positif. La plupart d’entre eux juge leur parcelle Biophyto en meilleure santé que celles conduites selon leurs habitudes antérieures. Est-ce que je dois m’attendre à une perte de production et quelles premières données économiques se dégagent du projet ? Une grande hétérogénéité de productivité est observée entre les différentes parcelles, qu’elles soient conduites de manière conventionnelle ou agroécologique. De manière globale, des rendements équivalents sont relevés dans les parcelles conventionnelles et Biophyto. Des pertes de rendement sont constatées dans les secteurs sensibles à la cécidomyie et suite à de très fortes attaques de punaises en 2014. D’après les premiers résultats obtenus en production agroécologique de mangues, les charges en intrants et en main-d’œuvre restent inférieures à celles d’une production conventionnelle : les traitements phytosanitaires se limitent à une ou deux interventions dirigées contre l’oïdium en période de floraison, les traitements herbicides sont supprimés et les opérations de fauchage sont moins fréquentes. Grâce à la réduction des charges de ces postes, le coût de production en mode de conduite agroécologique est plus faible (– 38 %) (tab. 3.1). Tableau 3.1. Données économiques (temps passé et coût en euros par hectare) entre les pratiques de production fruitière intégrée (PFI) et les pratiques agroécologiques. Nature

Conduite PFI

Itinéraire Biophyto

1 614 €

39 €

Intrants Pesticides


Piégeage de masse cératites (80 pièges/ha)

480 €

480 €

Irrigation (pour 2 990 m 3)

299 €

299 €

Total intrants

2 393 €

818 €

Surveillance phyto

473 €

473 €

(temps passé)

(50 heures)

(50 heures)

Traitements phyto

1 031 €

258 €

(temps passé)

(16 heures)

(4 heures)

Suivi piégeage de masse

525 €

525 €

(temps passé)

(55 heures)

(55 heures)

Gyrobroyage après taille

516 €

516 €

(temps passé avec tracteur)

(8 heures)

(8 heures)

Désherbage chimique sur rang

645 €

(temps passé)

(10 heures)

Fauchage inter-rangs

645 €

322 €

(temps passé avec tracteur)

(10 heures)

(5 heures)

Main-d’œuvre

0

Fauchage sur rang

151 € 0 €

(temps passé avec débroussailleuse)

(16 heures)

Récolte

1 106 €

1 106 €

(temps passé)

(117 heures)

(117 heures)

Taille

908 €

908 €

(temps passé)

(96 heures)

(96 heures)

Total main-d’œuvre

5 849 €

4 259 €

Coût de production

8 242 €

5 077 €


En protection agroécologique, est-il envisageable d’utiliser des produits phytosanitaires ? L’utilisation d’une technique de protection curative à base de produits phytosanitaires ne peut être envisagée qu’en dernier recours, lorsque la lutte biologique par conservation ne s’avère pas suffisamment efficace. Ceci peut particulièrement arriver lors des premiers mois ou années, période de transition entre les pratiques chimiques et les pratiques agroécologiques. Dans ces conditions, le choix et la période d’application du produit phytosanitaire sont primordiaux pour minimiser l’impact du traitement sur la faune auxiliaire : choisir les produits les plus sélectifs vis-à-vis de la faune auxiliaire ; intervenir le soir ou tôt le matin en dehors des périodes d’activité des pollinisateurs. Par ailleurs, des maladies fongiques comme l’oïdium peuvent être extrêmement virulentes sur certaines variétés de mangues. Une application préventive d’un fongicide minéral à base de soufre n’est donc pas à exclure en début de floraison. En revanche, l’utilisation d’herbicides est à proscrire, car ceux-ci détruisent l’habitat de nombreux auxiliaires présents au niveau du sol. Je ne vois pas d’auxiliaires spécialistes dans mon verger, est-ce que cela veut dire qu’il n’existe aucune régulation des ravageurs ? La lutte biologique par conservation s’attache à favoriser la diversité de tous les auxiliaires, pour optimiser la régulation des ravageurs. Il ne faut pas sous-estimer le rôle des prédateurs généralistes qui, grâce à leur polyphagie, sont présents toute l’année dans le verger. Ainsi ils peuvent entrer en action, dès l’apparition des ravageurs. En revanche, les prédateurs spécialistes, n’étant pas encore installés dans le verger, ne peuvent agir que plus tardivement. Des clés de reconnaissance d’arthropodes ainsi que des catalogues ont été produits dans le cadre du projet Biophyto et peuvent être utilisés (Miridés, araignées, Coléoptères, Parasitica...). Est-il opportun d’introduire des auxiliaires dans le verger ?


Ce n’est pas l’objectif de la lutte biologique par conservation, qui vise à maintenir ou à attirer naturellement des auxiliaires aussi diversifiés que possible dans les parcelles cultivées. Ceci présente l’intérêt d’apporter une solution durable à l’agriculteur à moindre coût. Cependant, l’introduction d’auxiliaires dans le verger, du ressort de la lutte biologique par inondation, peut tout à fait s’envisager en complément. La protection agroécologique est-elle suffisante pour avoir un verger en bonne santé ? La protection des cultures n’est qu’un élément de la conduite technique du verger. En agroécologie, l’approche est globale. Ainsi la gestion du sol, la maîtrise de l’irrigation, le choix des variétés, la taille des arbres sont tout aussi importants pour maintenir un verger de manguiers en bonne santé. Sur le terrain, nous avons besoin d’être formés à la reconnaissance des arthropodes utiles et nuisibles Connaître la biodiversité fonctionnelle présente dans son verger permet de construire sa propre stratégie agroécologique, adaptée à son contexte. Pour être autonome, une bonne connaissance de la bioécologie des ravageurs et les principales grandes familles d’auxiliaires est indispensable. Il est nécessaire de développer une bonne capacité d’observation : « Avant je détruisais mes insectes utiles. À chaque fois que je voyais des œufs de chrysopes, je les écrasais pensant que c’étaient des ravageurs. Aujourd’hui, ça a changé. » R. Zitte, agriculteur. « Je connaissais les insectes par mon expérience à force de travailler avec eux. Mais je ne connaissais pas forcément leur nom, ni leur fonction. Aujourd’hui, j’ai des bases de données bien concrètes sur l’état de la biodiversité de mon verger tant au niveau de la faune que de la flore. J’ai acquis des connaissances grâce aux échanges avec les partenaires du projet Biophyto. » S. Baud, agricultrice.

C’est un élément-clé dans la démarche de lutte biologique par conservation car l’observation permet d’apprécier si la biodiversité est suffisante pour assurer son rôle de régulation et surtout d’être en capacité


d’intervenir si un ravageur devient incontrôlable. Des formations pour la connaissance de l’entomofaune sont primordiales et des moyens sont mis à disposition dans le cadre du projet (fig. 3.6 et 3.7).

Figure 3.6. Poster de communication et de formation Biophyto sur les auxiliaires dans les vergers de manguiers : prédateurs.


Figure 3.7. Poster de communication et de formation Biophyto sur les auxiliaires dans les vergers de manguiers : parasitoïdes.

Pour l’observation, il est nécessaire de se munir d’une loupe de poche grossissant dix fois et d’un parapluie japonais. La loupe de poche permet d’observer de très petits arthropodes de moins de 3 mm (acariens prédateurs, micro-guêpes, petites coccinelles...) recueillis sur le parapluie japonais ou directement observés sur les plantes. Le parapluie japonais (fig. 3.8) est utilisé pour faire des battages sur les branches des végétaux (arbres, haies, plantes diverses) et les inflorescences du manguier. Il faut rapidement dénombrer les auxiliaires tombés sur la toile du parapluie


après chaque battage. Il est recommandé d’effectuer une vingtaine de battages par parcelle, au hasard sur les différentes strates du verger, en fonction de l’espèce d’auxiliaire recherchée.

Figure 3.8. Recueil dans un « parapluie japonais » des arthropodes présents sur les inflorescences de manguiers.

Résultats scientifiques obtenus dans le projet Biophyto Gamme des résultats scientifiques disponibles Les objectifs affichés dans le projet Biophyto ainsi que la mise en œuvre d’un dispositif expérimental adapté (réseau de couples de parcelles témoin vs Biophyto), ont donné lieu à diverses études scientifiques avant, pendant et après sa réalisation proprement dite (2012 à 2014). De nombreuses connaissances ont été acquises ou sont en cours d’acquisition. Elles


concernent la caractérisation de la biodiversité fonctionnelle dans les vergers, l’impact des pratiques agroécologiques (couvertures végétales) et du paysage sur la biodiversité fonctionnelle et sur la structure et le fonctionnement des réseaux trophiques. D’autres résultats scientifiques portent sur des bioagresseurs-clés, mal connus au début du projet, comme la punaise du manguier. L’évolution spatio-temporelle de l’abondance de plusieurs ravageurs et agents pathogènes majeurs, en présence ou non de pesticides chimiques, fait l’objet d’études approfondies. Les interactions entre plantes (espèces florales, plantes pièges, plantes refuges) ont également été étudiées. Par extension, les études ont également concerné l’agriculture biologique. Ces résultats ont fait l’objet de plusieurs publications scientifiques, de posters et de communications dans des congrès nationaux et internationaux. Les travaux de recherche ont donné lieu à de nombreux stages d’étudiants (master, césure agro, DUT, etc.) ainsi qu’à deux thèses, l’une sur la biodiversité fonctionnelle, l’autre sur la punaise du manguier. Une partie des résultats est, depuis la fin du projet, en cours d’analyse.

La biodiversité fonctionnelle, composante-clé de la durabilité écologique et de la régulation des ravageurs Ne pouvant détailler l’ensemble des résultats scientifiques obtenus dans le projet, nous choisirons de présenter quelques résultats concernant la biodiversité fonctionnelle, notamment l’analyse des effets des pratiques agroécologiques sur les groupes trophiques. Les figures 3.9 et 3.10 montrent les différences de pratiques entre les deux types de parcelles dans le réseau (témoin vs Biophyto), différences symbolisant deux types de vergers : des vergers conventionnels conduits selon une protection agrochimique (témoin) vs des vergers agroécologiques conduits selon la lutte biologique par conservation (Biophyto). Les figures indiquent également les différents niveaux trophiques et les groupes fonctionnels.


Figure 3.9. Représentation schématique des pratiques dans les parcelles témoin (dont traitements insecticides et traitements herbicides). Les groupes trophiques entourés de bleu indiquent ceux qui mobilisent généralement l’attention des praticiens en mode conventionnel (manguier, ravageurs).

Figure 3.10. Représentation schématique des pratiques agroécologiques relevant de la lutte biologique par conservation dans les parcelles Biophyto.


Ces pratiques comprennent arrêt des traitements insecticides et des traitements herbicides, mise en place et gestion d’une couverture végétale. Les groupes trophiques entourés de vert indiquent ceux qui mobilisent l’attention des acteurs en conduite agroécologique et qui ont fait l’objet de mesures quantitatives au cours du projet sur les deux types de parcelles.

Effets des pratiques agroécologiques sur les communautés de plantes et d’arthropodes[6] Dans les écosystèmes cultivés, les pratiques culturales évoluent pour favoriser la biodiversité, pour qu’elle contribue à assurer ses différents services, comme dans les écosystèmes naturels. La voie de la lutte biologique par conservation exploite l’un des services les plus attendus : la régulation des organismes nuisibles à l’espèce cultivée. Son principe est d’augmenter le contrôle des nuisibles en favorisant la diversité et l’abondance de leurs ennemis naturels : arthropodes prédateurs et parasitoïdes (Eilenberg et al., 2001). Ce principe est corroboré par les résultats de la méta-analyse de Cardinale et al. (2006) qui démontrent que plus un groupe trophique est riche en espèces, plus son abondance et sa biomasse sont importantes et peuvent ainsi conduire à l’épuisement de sa ressource. Les agroécosystèmes doivent donc évoluer pour favoriser la diversité biologique, gage d’écosystèmes plus stables et résilients (Yachi et Loreau, 1999). L’objectif de la présente étude est de savoir si les pratiques agroécologiques mises en place dans les vergers de manguiers permettent une augmentation de la richesse spécifique de différents groupes fonctionnels : les plantes adventices qui constituent des ressources en alimentation et des refuges pour les arthropodes herbivores et leurs ennemis naturels ; les arthropodes herbivores qui se nourrissent de plantes (seuls les herbivores s’alimentant du manguier sont qualifiés de ravageurs, les herbivores non nuisibles constituant des proies alternatives pour les prédateurs) ;


les arthropodes prédateurs qui consomment d’autres arthropodes ; les arthropodes parasitoïdes dont les larves se développent aux dépens d’autres arthropodes et entraînent la mort de leur hôte. Les arthropodes prédateurs et les parasitoïdes représentent des auxiliaires potentiels. Démarche expérimentale Les échantillonnages ont eu lieu entre 2012 à 2014, dans les vergers de dix exploitations agricoles appartenant au réseau Biophyto. Pour chacune de ces exploitations, les suivis des communautés de plantes et d’arthropodes sont effectués sur les deux types de parcelles, voisines et de taille semblable. Dans la parcelle Biophyto, les pratiques visent à favoriser l’abondance et la diversité des couvertures végétales : des systèmes d’irrigations par micro-aspersion ont été installés, des espèces de plantes herbacées ont été semées ou plantées, l’utilisation d’insecticides y est proscrite, l’utilisation d’herbicides disparaît via l’installation des couvertures végétales. Les changements de pratiques dans les parcelles Biophyto sont survenus en 2012. Les analyses sont réalisées pour les six couples de parcelle dans lesquelles ce dispositif est appliqué pendant les trois ans avec pas ou peu de modifications de pratiques. L’ensemble des méthodes d’échantillonnage et d’estimation de la richesse spécifique des groupes trophiques est détaillé par ailleurs (Jacquot et al., 2013 ; actes du séminaire Biophyto [7]). Les analyses statistiques sont réalisées avec le logiciel R. Les tests statistiques sont effectués au seuil de 5 %. Pour chaque groupe trophique, nous avons réalisé des modèles linéaires mixtes simples pour expliquer leur richesse spécifique en fonction du type de pratique (Biophyto ou témoin) et de l’année. Les résidus des modèles sont représentés graphiquement et analysés. Pour assurer la normalité et l’homoscédasticité des résidus, nous avons transformé les variables réponses (log) après adimensionnement le cas échéant. Puis, un test de comparaison des moyennes multiples (Tukey) est réalisé pour vérifier l’existence de


différences significatives entre les traitements, correspondant aux types de pratiques pour chacune des trois années. Comparaison de la richesse des groupes trophiques selon les pratiques Au total, 86 espèces végétales ont été recensées. Les échantillonnages d’arthropodes ont permis la collecte de 14 477 arthropodes herbivores appartenant à 116 espèces différentes, 3 448 arthropodes prédateurs appartenant à 114 espèces différentes et 2 880 arthropodes parasitoïdes appartenant à 146 espèces différentes. Les résultats de richesse spécifique sont présentés dans la figure 3.11.


Figure 3.11. Richesse spécifique moyenne (± erreur type) de différents groupes trophiques en fonction du type de pratiques et de l’année. En vert, pratique Biophyto ; en bleu, témoin. Les données sont issues d’un seul échantillonnage par an, en période de floraison des manguiers, dans 6 couples de parcelles. Les moyennes avec des lettres différentes sont significativement différentes au seuil α = 5 % pour le test de comparaison de moyennes multiples de Tukey.

La richesse spécifique en plantes est équivalente entre les parcelles Biophyto et témoin en 2012, puis elle est significativement plus élevée dans les parcelles Biophyto que dans la parcelle témoin en 2013 et 2014 (respectivement P < 0,01 et P = 0,0116). Par ailleurs, la richesse spécifique en arthropodes herbivores est


équivalente dans les parcelles Biophyto et témoin pour les années 2012 et 2014. En 2013, la richesse spécifique des herbivores est plus élevée dans les parcelles Biophyto que dans les parcelles témoin (P < 0,01). La richesse spécifique des herbivores est plus élevée en 2013 et 2014 qu’en 2012, que ce soit dans les parcelles Biophyto (respectivement P < 10–9 et P < 10–9) ou dans les parcelles témoin (respectivement P = 0,0129 et P < 10–4). De plus, la richesse spécifique des arthropodes prédateurs est plus élevée dans les parcelles Biophyto que dans les parcelles témoin en 2013 et 2014 (respectivement P < 10–4 et P < 10–3). En 2012, il n’existe pas de différence significative. Dans les parcelles Biophyto, la richesse spécifique des prédateurs est plus élevée en 2013 et 2014 qu’en 2012 (respectivement P < 10–4 et P < 10–5). Enfin, la richesse spécifique des arthropodes parasitoïdes est plus élevée dans les parcelles Biophyto que dans les parcelles témoin en 2013 (P < 0,01). En 2012 et 2014, il n’existe pas de différence significative. Dans les parcelles Biophyto, la richesse spécifique des parasitoïdes est plus élevée en 2013 et 2014 qu’en 2012 (respectivement P < 10–5 et P < 10–6). Dans les parcelles témoin, la richesse spécifique des parasitoïdes est plus élevée en 2014 qu’en 2012 (P = 0,0010). Les pratiques agroécologiques engendrent des communautés d’arthropodes et de plantes plus diversifiées En 2012, quel que soit le niveau trophique, il n’existe pas de différence significative de richesse spécifique entre les deux types de pratiques. En effet, les changements de pratiques dans les parcelles Biophyto n’ont été opérés que lors du dernier trimestre 2012, après les échantillonnages. On peut donc considérer que la première année représente l’état initial des communautés dans les deux types de parcelles. Les pratiques de gestion des couvertures végétales mises en place dans les parcelles Biophyto ont permis le développement de communautés végétales plus riches en plantes en 2013, ce qui s’est confirmé en 2014. Par


ailleurs, après leur mise en place en 2012, les pratiques Biophyto engendrent une richesse spécifique plus élevée d’arthropodes qu’avec les pratiques habituelles des producteurs : ceci est vérifié, au moins pour une des deux années 2013 et 2014 et pour chacun des trois groupes trophiques étudiés (herbivores, prédateurs, parasitoïdes). Les années où les différences n’existent pas s’expliquent par une augmentation de la richesse spécifique dans les parcelles témoin par rapport à leur état initial de 2012. C’est le cas en 2013 pour la richesse spécifique des prédateurs, et en 2014 pour la richesse spécifique des herbivores et des parasitoïdes. Enfin, il convient de noter une augmentation de la richesse spécifique de tous les groupes trophiques d’arthropodes en 2013 et 2014 par rapport à la situation observée en 2012. Cet effet est lié à l’effet des pratiques agroécologiques, suite à leur mise en place en 2012. En conclusion, les pratiques agroécologiques opérées dans les parcelles Biophyto (mise en place d’une couverture végétale entretenue, arrêt des traitements insecticides et arrêt des traitements herbicides) engendrent une augmentation de la richesse spécifique en plantes ainsi qu’en arthropodes herbivores, prédateurs et parasitoïdes. Les cas où des différences de richesse spécifique ne sont pas observées selon les deux types de pratiques (herbivores et parasitoïdes en 2014) peuvent s’expliquer par au moins deux raisons. D’abord, nous avons constaté une réelle prise de conscience chez les producteurs de l’intérêt agronomique et phytosanitaire des pratiques agroécologiques par rapport à leurs pratiques habituelles. Ceci a eu pour conséquence une évolution des pratiques dans les parcelles témoin, dans une direction plus agroécologique. Cette évolution est d’ailleurs confirmée par des différences significatives de richesse spécifique, entre les années 2012 et 2014, pour les arthropodes herbivores, prédateurs et parasitoïdes. Par ailleurs, ces analyses ne prennent pas en compte un certain nombre de facteurs, comme la variabilité d’application des pratiques Biophyto, les caractéristiques du paysage autour des parcelles (Jacquot et al., 2013) ou encore les interactions entre les groupes trophiques.

Appropriation, apprentissage et transmission


Satisfaction des partenaires et des producteurs Une enquête de satisfaction et d’appropriation a été réalisée avec l’ensemble des partenaires du projet. La grande majorité des partenaires techniques et scientifiques se dit très satisfaite de sa participation. L’enquête montre que le projet a répondu aux principaux objectifs fixés au départ en concertation avec tous les acteurs. Celui-ci fait « évoluer l’agriculture dans le bon sens », les producteurs sont satisfaits des pratiques proposées et ils les ont largement adoptées, au point de les avoir étendues sur les autres parcelles de leurs exploitations : « C’est surtout dans la tête qu’il fallait changer. Quand un agriculteur voit une parcelle avec des herbes hautes, il pense que cela fait sale et mal entretenu. À force de pédagogie, on arrive à modifier nos pratiques et on finit par se rendre compte de l’utilité de l’enherbement pour la faune utile. C’est aussi un gain de temps au niveau du travail : on n’utilise plus de désherbant, plus de produit chimique. On peut laisser les herbes pousser du moment qu’elles n’envahissent pas les manguiers. Deux ou trois débroussaillages par an peuvent suffire. » G. Boyer, agriculteur.

La mise en place d’un partenariat est également l’un des points forts du projet. Certains partenaires regrettent de ne pas avoir eu le temps d’approfondir les recherches, notamment sur les bandes fleuries et les plantes pièges, pour avoir des résultats transférables en fin de projet. La poursuite des suivis pourrait être profitable pour « avoir du recul sur l’impact des pratiques ». Les partenaires ont fait le retour que le projet a accordé une bonne place aux producteurs avec un « fort degré d’implication » et des « échanges réguliers avec les techniciens ». La multiplicité des partenaires a parfois induit des difficultés de communication. Les partenaires estiment que le projet a globalement permis de bien approfondir les connaissances en agroécologie. De façon générale, ils qualifient le projet d’ambitieux, de pluridisciplinaire et de novateur. Ils considèrent que cette expérience est une étape marquante dans l’évolution des pratiques agricoles à la Réunion. Pour sa part, l’ensemble des producteurs est satisfait de la conduite générale du projet. Le suivi est également satisfaisant, car les fréquents passages sur les parcelles n’ont pas perturbé leur travail. Ils ont apprécié les échanges réguliers avec les techniciens. Les agriculteurs disent observer davantage leurs parcelles, et « accepter plus facilement des


pertes » pour éviter de traiter. Huit producteurs sur onze qualifient les pratiques agroécologiques proposées de « très efficaces » pour attirer les auxiliaires. Ils estiment également mieux connaître les insectes qui peuplent leurs vergers. L’enherbement généralisé des parcelles est l’une des pratiques les mieux perçues, puisque l’ensemble des producteurs en est satisfait et que certains l’ont déjà étendu à toutes leurs parcelles. Si sa mise en place a parfois été difficile, les agriculteurs acceptent facilement le supplément de travail lié à son entretien. Ils estiment que l’enherbement est bénéfique pour la biodiversité et pour l’environnement, mais également pour limiter l’érosion, amortir la chute des fruits et, également, pour son aspect esthétique.

Élaboration d’outils collaboratifs pour le transfert La création d’une formation diplômante à l’attention des professionnels (agriculteurs, techniciens et conseillers agricoles) a constitué une action originale et novatrice. Ainsi, un certificat universitaire de qualification professionnelle (CUQP), intitulé « Protection agroécologique des cultures » et délivré par l’université de la Réunion (institut universitaire de technologie de Saint-Pierre) a été construit en partenariat avec le Cirad, la chambre d’Agriculture, l’Armeflhor, la FDGDON et l’Octroi. La formation a été organisée en 2013, 2014 et 2015 et le CUQP a été obtenu par 37 candidats. Des informations régulières sur le projet et ses avancées ont été diffusées par le biais du site Internet www.agriculture-biodiversite-oi.org , site animé par le Cirad dans le cadre du Programme régional de protection des végétaux de l’océan Indien. Une lettre d’information a été envoyée à plus de 500 destinataires pour les tenir informés de l’état d’avancement du projet. Des actions de communication ont été entreprises lors de manifestations agricoles locales, du séminaire ÉcophytoDom en novembre 2013 et du séminaire de restitution du projet Biophyto en octobre 2014.


Divers documents pédagogiques illustrant le projet ont été édités : le guide d’initiation à la protection agroécologique du manguier (Vincenot et al., 2015) ; le support de formation CUQP/PAEC ; les actes du séminaire Biophyto (Deguine et al., 2015b) ; le film (support DVD) Biophyto, retour d’expérience en protection agroécologique du manguier à la Réunion ; huit posters illustrant les différentes étapes du projet[8]. Ces documents constituent des supports de transfert essentiels, pour assurer la diffusion des techniques de protection agroécologique auprès du public agricole de la Réunion et de l’océan Indien.

Contribution à la transition agroécologique La co-conception du projet et le dispositif expérimental Le projet Biophyto a fait l’objet de discussions et de réflexions, pendant plus de deux années avant son démarrage, entre les différents acteurs du projet : partenaires institutionnels et agriculteurs. Cette co-conception a été une condition essentielle à l’appropriation du projet par l’ensemble des acteurs, au choix des objectifs et des indicateurs, ainsi qu’au choix du dispositif expérimental. Le projet Biophyto repose sur un système d’expérimentation mettant au centre du dispositif les agriculteurs. Si les stratégies en rupture avec les pratiques phytosanitaires conventionnelles sont souvent mises en œuvre en station expérimentale, le choix de Biophyto s’est porté sur une mise à l’épreuve de la protection agroécologique des cultures en conditions réelles pendant trois années, selon les recommandations faites précédemment.

La coordination, pivot du partenariat En raison du grand nombre de partenaires impliqués dans le projet, la coordination a été essentielle pour optimiser la synergie de tous les acteurs. Cette coordination a été assurée par un poste à temps plein et elle a consisté à animer et à veiller au bon déroulement du projet dans les délais imposés. Une mission importante a été l’organisation de la collecte des


livrables du projet et d’appuyer les partenaires techniques et scientifiques dans ce but. La coordination a un lien étroit avec le terrain, grâce à des visites régulières, et enregistre des remontées d’information en direct des producteurs. Pour permettre à chacun de travailler dans les meilleures conditions, le coordinateur a un rôle de médiateur pour assurer la cohésion des travaux. Pour permettre un même niveau d’information, des outils classiques de gestion de projet sont utilisés. Cette communication interne est importante pour décloisonner l’information et assurer la transmission des résultats de chaque partenaire. La rigueur doit être maintenue tout au long du projet sur la rédaction et la diffusion de comptes-rendus aux participants. Il est important de capitaliser la construction de la réflexion et de valider chaque étape pour aller de l’avant. En plus des outils classiques, l’animation du projet repose sur un système d’information et un groupe de travail inter-acteurs. Il regroupe les différents acteurs de la filière mangue pour faire un diagnostic partagé de la valorisation économique et commerciale d’une mangue produite en protection agroécologique.

L’approche systémique adoptée dans le projet Biophyto Biophyto a opté pour une expérimentation en parcelles agricoles, mettant au centre les vergers et privilégiant les lieux de dialogue avec les professionnels. Ce système est cohérent avec l’approche systémique et ne repose pas sur des systèmes factoriels d’expérimentation. L’objectif est de construire une nouvelle concertation avec les acteurs du projet et ne plus réfléchir de manière curative — « Je suis face à un problème phytosanitaire et je cherche une solution » — mais de manière préventive — « Comment vais-je travailler dans mon verger pour limiter, voire éviter les problèmes phytosanitaires ? ». L’expérimentation « système de culture » soulève de nombreuses questions méthodologiques. Du fait de la complexité de la conduite de tels dispositifs expérimentaux et de la difficulté à valoriser les résultats obtenus, il est important de faire travailler les différents partenaires en réseau. Ce mode de travail collaboratif permet d’échanger sur les méthodes et compétences nouvelles


nécessaires à la conduite de ce type d’expérimentation. Il permet aussi de partager les résultats et les performances des systèmes de culture dans différents contextes pédoclimatiques et socioéconomiques.

Sur le plan scientifique, la nécessité de connaître la biodiversité fonctionnelle Les études engagées dans Biophyto illustrent la nécessité d’acquérir des connaissances sur la biodiversité fonctionnelle dans les agroécosystèmes considérés, selon les pratiques agroécologiques conduites et dans leur environnement, afin de contribuer à la transition agroécologique. Des catalogues d’arthropodes (araignées, parasitoïdes) et des clés de reconnaissance de certaines familles (Miridés) ont été produits dans le cadre du projet Biophyto (fig. 3.12). Ils sont utilisables par les professionnels et des versions de terrain pour les agriculteurs ont été mises au point.


Figure 3.12. Extrait d’une clé d’identification des Miridés recensés dans les vergers de manguiers.

Sur le plan des pratiques, la pertinence de la lutte biologique par conservation Les retours d’expérience de Biophyto confirment la pertinence des principes présentés dans le chapitre 1. Les résultats présentés ci-dessus montrent que la gestion d’un enherbement abondant et diversifié, ainsi que l’arrêt des traitements herbicides et insecticides dans les vergers de


manguiers à la Réunion, favorisent l’existence des communautés de plantes adventices ; ainsi que des communautés d’arthropodes, herbivores, prédateurs, parasitoïdes, plus abondantes et plus diversifiées que celles observées avec les pratiques conventionnelles. Ces résultats sont en accord avec la méta-analyse de Tuck et al. (2014) qui a montré que, dans les parcelles conduites en agriculture biologique, la richesse spécifique des groupes fonctionnels augmente en moyenne de 30 % (10 % pour les prédateurs). Ces résultats permettent d’asseoir le bien-fondé et la pertinence de la mise en œuvre de la lutte biologique par conservation (incluant l’arrêt des traitements insecticides et herbicides) pour favoriser la biodiversité fonctionnelle dans les vergers de manguiers à la Réunion et, ainsi, favoriser le service écosystémique de régulation biologique qu’elle entend jouer. La protection agroécologique des cultures, qui s’appuie sur la lutte biologique par conservation, ainsi privilégiée, répond donc à l’objectif de favoriser la biodiversité fonctionnelle et, plus globalement, à celui de contribuer à la durabilité écologique des agroécosystèmes. Certains agents pathogènes (oïdium) semblent également mieux régulés dans un tel contexte.

La formation, condition de réussite du transfert Les avancées et les résultats du projet Biophyto ont fait l’objet de diverses actions de formation, d’information et de communication. Différents outils d’aide au transfert ont été conçus et produits, permettant aujourd’hui des actions sur le terrain, de la part des organismes de développement (chambre d’Agriculture, organisations professionnelles), pour le transfert des techniques prodiguées dans Biophyto et pour la promotion de l’agriculture biologique.

Une mesure agroenvironnementale pour inciter le passage à l’agroécologie Une MAE (mesure agroenvironnementale) Biophyto a été mise en place pour inciter les producteurs à s’engager dans la protection agroécologique des cultures. Ils peuvent maintenant bénéficier d’une aide


de 900 €/ha et par an, sur une durée d’engagement de cinq ans. Les vergers doivent alors présenter un enherbement total et un dispositif permanent de bandes fleuries d’une surface minimum de 500 m²/ha de verger (soit 5 %). Cette MAE permettra donc la vulgarisation des pratiques agroécologiques, non seulement dans les vergers de manguiers de l’île, mais aussi dans les autres systèmes à base de productions fruitières (agrumes, papayes, bananes, etc.). 5. Avec la collaboration de C. Ajaguin Soleyen, B. Albon, X. Desmuliers, M. Atiama, S. Gasnier, V. Gazzo, K. Le Roux, E. Lucas, M. Marquier, R. Michellon, M.-L. Moutoussamy, D. Muru, F. Normand, J. Rochat, E. Roux, C. Schmitt, T. Schmitt. 6. Travaux réalisés par : M. Jacquot, D. Muru, F. Chiroleu, B. Derepas, P. Tixier et J.-P. Deguine. Avec la collaboration de : C. Ajaguin Soleyen, M. Atiama, S. Gasnier, J.-C. Ledoux, M.L. Moutoussamy, S. Plessix, J. Poussereau, J. Rochat et J.-C. Streito. 7. Téléchargeable sur http://www.agriculture-biodiversite-oi.org/Biophyto (consulté le 12 août 2015). 8. La plupart de ces productions sont disponibles en ligne sur le site www.agriculture-biodiversiteoi.org/Biophyto (consulté le 12 août 2015).


Chapitre 4 Retours d’expériences et approches génériques de protection agroécologique des cultures : autres exemples Introduction Les exemples réunionnais de la gestion des mouches des Cucurbitacées et des ravageurs du manguier sont emblématiques de la protection agroécologique des cultures telle que définie au chapitre 1, appliquée respectivement à des cultures maraîchères et à une culture fruitière. Nous allons présenter ci-après d’autres expériences sectorielles de gestion agroécologique de bioagresseurs (ravageurs, plantes adventices et agents pathogènes telluriques et aériens) en maraîchage, arboriculture fruitière et autres cultures (culture bananière, riziculture, polyculture), en France métropolitaine, en départements d’outre-mer et en pays tropicaux, ainsi que des approches plus génériques. La figure 4.1 positionne les six cas d’études présentés qui ciblent des pathosystèmes en particulier — ces systèmes dans lesquels des systèmes de culture sont confrontés à des bioagresseurs —, en fonction des traits d’histoire de vie des bioagresseurs considérés (spécificité et capacité de dispersion), des échelles de mise en œuvre des processus de régulation, du sol à la parcelle (et son environnement immédiat) jusqu’au paysage. En effet, à l’instar de l’agroécologie sensu lato, sa déclinaison à la protection des cultures, la PAEC, s’appuie sur deux axes de gestion :


l’incorporation de diversité végétale dans le temps et dans l’espace (gestion des habitats) ; l’amélioration de la santé des sols (matière organique, fonctionnement biologique), au travers de pratiques culturales durables sur le plan écologique et défavorables au développement des bioagresseurs.

Figure 4.1. Positionnement des pathosystèmes présentés dans les six premiers cas d’études du chapitre 4. Le positionnement est effectué en fonction de traits d’histoire de vie des bioagresseurs et des échelles de mise en œuvre des processus de régulation (sol-parcelle-paysage).

Dans les six pathosystèmes, la régulation des bioagresseurs se fait par


différents processus mobilisés via l’intégration de diversité végétale dans les systèmes de culture (Ratnadass et al., 2012), comme cela est présenté sur la figure 4.2.

Figure 4.2. Processus de réduction de l’impact des bioagresseurs via l’introduction de diversité végétale spécifique dans les agroécosystèmes. Adapté de Ratnadass et al., 2012.

Par ailleurs, chacune des sept expériences présentées (y compris celle concernant le réseau Rés0Pest) apporte une plus-value en termes de contributions et d’apports pour la transition agroécologique, selon des « clés » qui seront explicitées dans le chapitre 5. Nous y reviendrons dans la conclusion. Des bénéfices réciproques peuvent être tirés de ces partages, que ce soit en termes de leçons génériques, en particulier à partir des réflexions déjà génériques sur la viticulture et les habitats semi-naturels (HSN), ou de la


pertinence des cas d’étude présentés par rapport aux situations réunionnaises. Cela que l’on raisonne en termes de filières (maraîchères, sous abri en France et tomate en Martinique ; fruitières, pomme en France métropolitaine et mangue au Bénin), de contexte insulaire (surtout Martinique, mais aussi République dominicaine, et dans une moindre mesure Madagascar), de proximité géographique (en l’occurrence, l’exemple malgache dans l’océan Indien), enfin de similitude d’approches, étant donné que les exploitations Gamour et Biophyto devraient pouvoir participer à un Rés0Pest étendu (aux départements d’outre-mer et à l’horticulture).

Autres expériences en maraîchage Pratiques agroécologiques pour la gestion des bioagresseurs telluriques en cultures maraîchères sous abri en France Enjeux de recherche et développement liés à la gestion des bioagresseurs telluriques des cultures maraîchères sous abris froids Les systèmes de culture maraîchers sous abris froids se caractérisent par un niveau élevé d’intensification des cultures (trois à quatre productions par an), qui conduit au développement rapide des problèmes liés aux bioagresseurs telluriques, comme les champignons pathogènes qui se maintiennent plusieurs années dans le sol (Sclerotinia spp., Rhizoctonia solani, Pythium spp.) ou les nématodes. Ces bioagresseurs telluriques sont des cibles difficiles à atteindre et leur contrôle a fait jusqu’alors appel à la désinfection du sol. Si les produits les plus toxiques, comme le bromure de méthyle, ont été retirés du marché, d’autres spécialités chimiques sont encore largement utilisées, dont certaines ont un avenir compromis du fait du durcissement des critères pour le maintien des autorisations de mise sur le marché. De plus, le recours récurrent à des désinfections à spectre large contre les microorganismes pathogènes détruit aussi une partie de la microflore


saprophyte, et les déséquilibres qui en résultent amplifient les problèmes à moyen terme et génèrent une pression croissante sur les cultures (fatigue du sol). À l’inverse, les pratiques améliorantes ont comme objectif principal de contribuer à la maîtrise des bioagresseurs telluriques, et au maintien ou à l’amélioration de la qualité des sols, notamment par la stimulation de la vie microbienne dans le sol. Depuis de nombreuses années, des recherches sont menées sur ces méthodes alternatives de protection des cultures. Dans le cas des cultures légumières, les études ont principalement porté sur des couples « une culture / un bioagresseur » pris séparément, sans approche globale. De plus, les pratiques alternatives ont été en général comparées séparément, et par rapport à un ou plusieurs témoins sous protection chimique. Dans ces conditions, leur efficacité est souvent variable et jugée insuffisante. Il est cependant raisonnable de penser qu’utilisées en associations dans un système de culture, ou de façon prolongée, ces méthodes aux effets cumulés peuvent se révéler efficaces (Bressoud, 2009). Suite à ce constat, plusieurs études ont été conduites dans le cadre du GIS PIClég (Groupement d’intérêt scientifique pour la production intégrée en cultures légumières) sur la combinaison et la complémentarité de ces méthodes, afin de proposer une approche globale qui prenne en compte l’ensemble des problèmes d’une succession culturale, ceci tant dans une optique de prévention (éviter que les populations de bioagresseurs arrivent aux niveaux critiques) que de remédiation à des problèmes déjà existants. La succession des cultures et la gestion des périodes d’interculture sont des points cruciaux dans cette optique d’approche globale des problèmes telluriques. Contextes et approches des études Trois études complémentaires ont été menées à des échelles de travail différentes afin d’acquérir des connaissances sur les processus en jeu, de mesurer les conditions d’efficacité des techniques alternatives en situation de production et afin d’analyser la performance économique des combinaisons de techniques prometteuses pour faciliter leur adoption par


les producteurs. Le projet de recherche Batica (programme Bioagresseurs telluriques et insertion de couverts assainissants) a consisté en l’analyse de l’effet de couverts assainissants sur la maîtrise des épidémies en conditions contrôlées. Ce projet a impliqué principalement l’équipe de pathologie des maladies telluriques des cultures légumières de l’Inra de Rennes. Au démarrage du programme, de nombreux travaux mettaient en évidence les potentialités de techniques d’assainissement par l’insertion de couverts spécifiques sur des pathosystèmes pris individuellement ou associés, mais aussi leurs limites. Ainsi, en conditions naturelles, le principal facteur limitant leur adoption était la variabilité des résultats s’expliquant par la complexité des interactions et des processus mis en œuvre. Les effets directs et indirects de couverts potentiellement assainissants devaient être explorés et analysés de manière rigoureuse pour progresser vers l’utilisation de telles possibilités alternatives à la lutte chimique. Les enjeux scientifiques de ce projet étaient d’analyser, sous les angles biologiques et agronomiques, les effets de l’insertion de couverts assainissants sur la régulation des pathosystèmes. Le projet était focalisé sur un cas d’étude, la carotte et un couvert, la moutarde brune Brassica juncea (fig. 4.3), mais associait modélisation et expérimentation pour que les connaissances acquises aient un caractère de généricité selon les profils de bioagresseurs et selon les situations de production. Les expérimentations ont été conduites en microcosmes et sur des successions culturales accélérées (moutarde brune - carotte) en conditions maîtrisées sous serre.


Figure 4.3. Enfouissement d’un couvert de moutarde sous serre plastique.

Le projet Prabiotel (maîtrise des bio-agresseurs telluriques par la gestion des systèmes de culture : utilisation de pratiques améliorantes en cultures légumières) a permis de réaliser une évaluation, en conditions de production, en stations d’expérimentation et chez des agriculteurs, de l’efficacité, des impacts agronomiques, des marges de manœuvre et des contraintes de techniques alternatives à la lutte chimique contre les bioagresseurs telluriques. Ce programme de recherche-développement porté par le CTIFL (Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes) a mobilisé des équipes de l’Inra, des stations régionales d’expérimentation, des chambres d’Agriculture et des groupements de producteurs. Les objectifs de ce projet étaient de mieux comprendre les mécanismes en jeu dans les pratiques améliorantes en situations de production (couverts d’interculture, solarisation [fig. 4.4], apport de matière organique et diversification des cultures) et de valider l’intérêt de ces pratiques afin de proposer aux producteurs des systèmes de culture


globaux permettant une meilleure maîtrise des bioagresseurs telluriques en limitant le recours aux intrants phytosanitaires.

Figure 4.4. Film plastique mis en place pour la solarisation.

Il a consisté d’une part en un suivi de dispositifs en stations d’expérimentation, afin de caractériser les mécanismes en jeu, et d’autre part, en un suivi de systèmes de culture incluant au moins une pratique améliorante dans les parcelles de producteurs, afin de déterminer la pertinence des pratiques, de suivre l’évolution de la qualité du sol ainsi que l’état sanitaire des cultures et la qualité visuelle des productions. Le croisement des connaissances scientifiques disponibles dans la bibliographie et celles issues de l’expérience empirique des structures de production, recueillies par enquêtes, a permis d’identifier les leviers et les verrous potentiels. Pour faciliter la diffusion et l’adoption des résultats obtenus dans le projet Prabiotel auprès des producteurs, le GIS PIClég a sollicité la chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône pour réaliser une étude économique. Cette étude visait à comparer l’utilisation de méthodes alternatives de lutte contre les bioagresseurs telluriques, par rapport à une conduite répandue sur les exploitations agricoles ; à évaluer les incidences économiques


d’une diminution de l’utilisation des produits de désinfection chimique du sol et des avantages et inconvénients de l’intégration de méthodes alternatives par rapport à l’absence d’intervention contre les maladies et ravageurs du sol. Les comparaisons entre modalités ont été réalisées sur les marges partielles sur coût direct afin de ne chiffrer que les interventions et les investissements qui diffèrent d’une modalité à l’autre. Résultats des études sur les systèmes maraîchers sous abris froids Des résultats préliminaires au projet Batica avaient montré que l’émission de composés volatils émis in vitro lors du broyage de parties aériennes de différentes espèces de Brassicacées était capable d’inhiber la croissance mycélienne de champignons pathogènes des cultures. Cet effet d’inhibition semblait variable selon l’espèce végétale mais également selon la variété utilisée. Dans le projet, l’espèce présentant le plus fort niveau d’inhibition, Brassica juncea, a été utilisée. Les expérimentations conduites en microcosmes avaient pour objectif de caractériser cette variabilité. Elles ont montré une différence nette de toxicité entre des lignées à forte ou à faible teneur en glucosinolates. Ces expérimentations conduites avec deux pathogènes (Pythium sulcatum et Rhizoctonia solani) et un champignon antagoniste (Trichoderma atroviride) ont montré une différence de sensibilité des champignons. La croissance des pathogènes a été plus fortement inhibée en présence de broyat de moutarde que celle de l’antagoniste. L’incorporation de broyat de moutarde va donc agir différemment sur les populations de microorganismes et ainsi modifier les équilibres dans le sol (Montfort et al., 2011). Les essais en serre ont montré qu’après un couvert de moutarde brune cultivé jusqu’en début de floraison puis broyé et enfoui, on observait une réduction nette des symptômes de R. solani, les fontes de semis de carotte, par rapport au sol resté nu pendant l’interculture (fig. 4.5). L’effet est accentué en présence d’un champignon antagoniste dans le sol. Mais la détermination des quantités d’ADN de Rhizoctonia présentes dans le sol (fig. 4.6) montrent que le broyat de moutarde n’a pas d’effet sur la quantité d’inoculum présente. Cet effet se caractérise donc par une réduction nette du potentiel infectieux du rhizoctone, par le broyage et l’enfouissement du


couvert de moutarde brune. Cette réduction du potentiel infectieux est d’autant plus forte que la variété de moutarde utilisée est riche en glucosinolate. Cet effet suppressif est par ailleurs plus faible sur les antagonistes.

Figure 4.5. Expression de la maladie en fonction de la gestion de l’interculture.

Figure 4.6. Quantité d’inoculum en fonction de la gestion de l’interculture.


Le projet Prabiotel (Janvier et Ade, 2013) a permis d’évaluer l’efficacité de la solarisation (pratique assainissante utilisant l’énergie solaire) comme moyen de gestion des bioagresseurs telluriques mais aussi d’évaluer l’importance des conditions de mise en place de cette technique. En effet, pour assurer son efficacité, il est primordial de permettre au démarrage une rapide montée en température du sol préalablement humidifié. Cela limite les zones climatiques où cette technique peut être mobilisée. La solarisation a montré son efficacité vis-à-vis de différents bioagresseurs (nématodes à galles, R. solani, B. cinerea et big vein sur salade, C. coccodes sur aubergine, nématodes à galles sur courgette). Il faut cependant préciser que la solarisation n’est pas sélective. Elle déprécie donc quantitativement aussi bien les nématodes phytoparasites que les non phytoparasites. En cas d’application trop fréquente, elle pourrait remettre en cause la durabilité de la qualité biologique des sols. C’est donc une technique à associer avec d’autres pratiques. Par ailleurs, l’implantation d’un couvert assainissant peut être délicate. Dans toutes les situations testées, les implantations de couverts de printemps ont été réussies. Par contre, les implantations d’automne ont parfois été réalisées en conditions difficiles ne permettant pas alors d’atteindre les objectifs de biomasse suffisants pour assurer l’efficacité de la technique. L’efficacité de ces couverts assainissants a été variable d’une situation à l’autre avec parfois des résultats encourageants. Cette variabilité peut s’expliquer par des connaissances insuffisantes sur leur conduite. Quelles que soient les conditions et l’espèce choisie, il est important de rappeler que l’interculture doit être considérée comme une culture à part entière, nécessitant une conduite adaptée en termes de fertilisation et d’irrigation pour développer une forte biomasse. L’intérêt de cette pratique par rapport à la solarisation est qu’elle peut être mise en œuvre à différentes périodes de l’année sur des créneaux d’ordinaire vides ou sur ceux où la perte de production serait la moins pénalisante. Dans un dispositif, l’introduction de cultures non hôtes des nématodes à galles a permis la diminution des indices de galles sur les cultures. Cependant, la coupure doit être suffisamment longue pour ne pas entraîner


des niveaux de galles trop importants lors de la réapparition de la culture sensible. L’utilisation de plantes non hôtes doit être très finement réfléchie sur l’ensemble de la succession culturale et nécessite de connaître le spectre de bioagresseurs présents dans le sol car une plante non hôte d’un bioagresseur tellurique peut être sensible à d’autres bioagresseurs. Dans les systèmes sous abris en région méditerranéenne du Sud de la France, deux cas types ont été étudiés, le système salade-tomate avec introduction de solarisation et d’amendement organique, et le système salade-melon avec introduction de solarisation, de couvert d’interculture et diversification des cultures. Dans les deux cas, la désinfection chimique coûte plus cher que la solarisation et est soumise aux évolutions des contraintes règlementaires sur les usages phytosanitaires (Trottin et al., 2015). Dans le cas du système salade-tomate, système avec culture d’été longue, pour pouvoir réaliser la solarisation pendant la période estivale la plus chaude, il faut remplacer la culture de tomate par une autre culture courte à plus faible potentiel de chiffre d’affaire (fig. 4.7). Au contraire, la désinfection chimique permet de réaliser une culture de tomate tous les ans. Ainsi, alors que le bilan technique des méthodes alternatives testées dans ce système est confirmé, celui des aspects organisationnels et commerciaux est plus discutable. La mise en place d’alternatives est contraignante. L’utilisation de méthodes alternatives à la désinfection chimique n’est alors envisageable que sur une partie de l’exploitation chaque année.


Figure 4.7. Systèmes de culture construits pour le cas type salade-tomate. Source Laura Brondino, d’après Trottin et al., 2015.

Dans le cas du système salade-melon, l’introduction de méthodes alternatives n’implique pas la modification du calendrier cultural et coûte moins cher qu’un traitement chimique. Dans cette logique de production, l’emploi de méthodes alternatives s’envisage du point de vue économique mais nécessite souvent une organisation du travail (voire des circuits commerciaux) spécifique(s) qu’il faut prévoir à l’échelle de l’exploitation (fig. 4.8).

Figure 4.8. Systèmes de culture construits pour le cas type salade-melon.


Source Laura Brondino, d’après Trottin et al., 2015.

Apports pour la transition agroécologique et recommandations Des méthodes de gestion des bioagresseurs telluriques alternatives à la désinfection chimique peuvent être envisagées dans certains systèmes de production de légumes sous abris. L’utilisation de couverts d’interculture à effet assainissants permet de réduire le potentiel infectieux des sols sans pour autant réduire la quantité d’inoculum présent. Ceci s’explique par l’effet différentiel de la biofumigation sur certains antagonistes et sur les pathogènes. La solarisation permet quant à elle de détruire une partie importante des bioagresseurs du sol lorsqu’elle est pratiquée dans de bonnes conditions. Enfin, l’introduction de cultures non hôtes dans la succession culturale permet de limiter l’impact de certains bioagresseurs comme les nématodes à galles. Par contre, la coupure doit être suffisamment longue pour avoir un effet significatif. Les techniques alternatives présentées ci-dessus sont à mettre en place l’été, parfois sur des périodes assez longues (cas des intercultures) ou précises (cas de la solarisation qui se fait principalement en juillet-août). Elles peuvent donc être intégrées telles quelles dans certains systèmes de culture ayant des cultures d’été au cycle court (succession salade-melon) présentant alors des résultats économiques intéressants. Le choix des pratiques alternatives à la désinfection chimique à mettre en place se fera en fonction du sol, des bioagresseurs telluriques présents et des caractéristiques et contraintes de l’exploitation agricole. Dans le cas des systèmes à cultures d’été plus longues (tomate ou aubergine), leur mise en place peut avoir des conséquences économiques, techniques et sociales pour les exploitations et dans tous les cas, implique une réorganisation qui doit être réfléchie sur tout ou partie de l’exploitation.

Gestion agroécologique du flétrissement bactérien de la tomate en Martinique Enjeux de recherche et de développement


Le flétrissement bactérien est une maladie dévastatrice des cultures maraîchères en zone tropicale. En Martinique, Ralstonia solanacearum (organisme de quarantaine pour l’EPPO, European and Mediterranean Plant Protection Organization), agent du flétrissement bactérien, est le premier bioagresseur des cultures maraîchères (Solanacées, Cucurbitacées) et le premier facteur biotique limitant la production locale de tomate avec des pertes de récolte pouvant aller jusqu’à 100 %. La situation phytosanitaire est aggravée par la dissémination de l’écotype émergent de R. solanacearum (Phyl IIB/seq4NPB), fortement agressif sur tomate et capable de contourner la résistance des variétés commerciales (Wicker et al., 2007). À l’heure actuelle, il n’y a pas de protection phytosanitaire, il s’agit d’un usage orphelin. Les actions de recherche de l’unité de recherche HortSys du Cirad, basée au Campus agroenvironnemental Caraïbe (CAEC) en Martinique ont pour objectif d’une part de développer une méthode de biocontrôle générique et économiquement acceptable, et d’autre part de fiabiliser cette méthode par une meilleure compréhension des mécanismes. Cette méthode innovante devra contribuer à fournir une solution à l’usage orphelin que constitue la protection contre l’agent du flétrissement bactérien en région tropicale et potentiellement en climats plus tempérés vu le caractère invasif du pathogène. La méthode de biocontrôle étudiée repose sur l’introduction de plantes assainissantes en association ou en rotation culturale et sur l’exploration des mécanismes permettant la régulation de la maladie. Les enjeux de recherche et de développement de l’équipe de phytopathologie d’HortSys consistent à exploiter et maîtriser les propriétés d’espèces assainissantes modèles dans un objectif de réduction significative des dégâts liés à ce pathogène. Le choix des variétés ainsi que des modalités d’utilisation (rotation, mulch, enfouissement, association en lien avec les itinéraires techniques de la tomate) sont les paramètres à définir dans cette stratégie de biocontrôle. Démarche et dispositifs d’études du flétrissement bactérien de la tomate Une démarche scientifique a été mise en œuvre au Cirad-CAEC et c’est


dans ce cadre que sont présentés les résultats de différents dispositifs expérimentaux conduits en conditions contrôlées et en conditions réelles (fig. 4.9). Des essais multi-sites d'évaluation agronomique du comportement des espèces testées ont été réalisés en première étape (étape 1) en tenant compte de la variabilité saisonnière et pédoclimatique du territoire. Huit espèces/variétés de plantes assainissantes potentielles ont été retenues pour leurs caractères de rusticité, de compétitivité avec les plantes adventices et de production élevée de biomasse. Elles appartiennent à trois familles : Brassicacées, Astéracées et Fabacées. Ces plantes ont ensuite été évaluées pour leur statut d’hôte vis-à-vis de R. solanacearum et pour leur potentiel assainissant en conditions contrôlées (étape 2, chambre climatique en substrat artificiellement contaminé ; 80 % humidité relative ; 26 °C < température < 30 °C) et semi-contrôlées (étape 3, containers sous serre sur sol naturellement infesté ; 26 °C < température < 35 °C). L’évaluation a été conduite selon deux modalités de densité de plantation (densité classique DS et densité double DD = 2DS).


Figure 4.9. Démarche scientifique mise en œuvre dans le cadre de la gestion agroécologique du flétrissement bactérien de la tomate.

En étape 4, les plantes retenues après les étapes 2 et 3 ont été évaluées en conditions réelles : différentes phases culturales se sont succédé au cours de l’essai conduit chez un agriculteur (fig. 4.10).


Figure 4.10. Méthodologie expérimentale présentant les différentes phases culturales de l’essai en conditions réelles. Date D1 : semis des espèces assainissantes. Date D2 : fin de la phase culturale, les espèces assainissantes sont coupées à la base de la tige, pesées et réparties en mulch à la surface du sol. La phase de mulch dure cinq semaines. Date D3 : fin de la phase de mulch, les plants de tomates sont transplantés et les symptômes du flétrissement bactérien sur tomate sont notés deux fois par semaine, pendant deux mois. PdS : plantes de service.

Ces actions ont été financées par le Cirad (projet ATP Oméga3), l’Union européenne (projets Feder et Feader) et le conseil régional de la Martinique. Résultats des études sur le flétrissement bactérien de la tomate Les essais conduits en chambre climatique ont montré que toutes les plantes de services hébergeaient R. solanacearum à l’état latent et que certaines plantes comme Tagetes erecta étaient capables d’héberger des densités bactériennes élevées. Dans le sol rhizosphérique, les densités bactériennes les plus élevées ont été retrouvées chez T. erecta tandis que les plus faibles ont été observées chez Raphanus sativus ‘Melody’, Tagetes patula et Crotalaria spectabilis. Des variabilités intragénériques et


intraspécifiques ont été observées (Deberdt et al., 2015). Les essais conduits en serre ont montré que les précédents culturaux, C. spectabilis, C. juncea et R. sativus ‘Melody’, sont capables de réduire significativement l’incidence du flétrissement bactérien sur tomate (fig. 4.11) (Fernandes et al., 2012).

Figure 4.11. Incidence du flétrissement bactérien sur la tomate (‘Roma’) après différents précédents culturaux en serre (étape 3) (A) Fabacées ; (B) Brassicacées et Astéracées. Les moyennes correspondant aux barres surmontées d’une même lettre ne sont pas significativement différentes au seuil des 5 % au test HSD de Tukey. D'après Fernandes et al., 2012.

En revanche, les résultats obtenus en chambre climatique et sous serre nous ont conduits à retirer les Tagetes pour la phase d’évaluation en plein champ. Les essais conduits en plein champ chez un agriculteur de la région Nord Caraïbe de l’île ont montré que les précédents culturaux C. spectabilis et C. juncea ont réduit significativement l’incidence du flétrissement bactérien sur tomate de 58 % et 71 %, respectivement, en comparaison au témoin tomate (fig. 4.12). Également, dans ces conditions agropédoclimatiques, Mucuna deeringiana a réduit l’incidence de maladie de 53 %.


Figure 4.12. Incidence du flétrissement bactérien sur la tomate (‘Heatmaster’) après différents précédents culturaux en conditions réelles (saison 2012-2013) (étape 4).

Apports pour la transition agroécologique et recommandations Les travaux présentés contribuent à la transition agroécologique à plusieurs titres : Avant tout en termes de génération et intégration de connaissances, plus particulièrement concernant l’analyse des effets des pratiques agricoles sur les pressions biotiques et sur la biodiversité fonctionnelle du sol ; En termes de choix et adaptation de méthodes, en validant une démarche scientifique d’évaluation des plantes de service en plusieurs étapes, et les dispositifs d’expérimentations au laboratoire, en serre et en plein champ ; Dans une moindre mesure en termes de mise en œuvre et évaluation de pratiques (avec l’expérimentation en plein champ chez un agriculteur).


En effet, les expérimentations ont permis de sélectionner des espèces assainissantes adaptées aux conditions agropédoclimatiques de la Martinique. Leur mode d’action est associé à la combinaison de différents processus : effet biocide sur les populations de R. solanacearum ; effet sur les populations microbiennes non cibles du sol susceptibles d’induire une réduction de la pression bactérienne par des phénomènes complémentaires de compétition d’hyper-parasitisme, d’antibiose et/ou de prédation. Afin de tester l’efficacité de ces plantes de services dans les différentes zones maraîchères de la Martinique, des essais multi-sites seront réalisés dans les futurs projets Rita2. Les plantes de services doivent être des espèces adaptées aux conditions agropédoclimatiques de la zone car, au-delà de leurs propriétés assainissantes intrinsèques, leur efficacité au champ, qui impactera leur possible adoption, dépendra de leur capacité à se développer de manière satisfaisante en conditions réelles. Elles doivent être des espèces rustiques, peu exigeantes en intrants comme en travail et exprimant un niveau élevé de recouvrement du sol et de compétition avec les adventices. En effet, audelà de l’effet assainissant, un contrôle des plantes adventices est nécessaire afin de limiter les risques de ré-infestation par des hôtes alternatifs. Le cycle de culture des plantes de services doit être court (deux à trois mois) afin d’être compatible avec les contraintes des agriculteurs des régions tropicales tout en s’intégrant à leurs pratiques et cycles de cultures. L’espèce pour la crotalaire (C. juncea ou C. spectabilis) mais aussi la variété pour le radis fourrager (R. sativus ‘Melody’ et ‘Karacter ’) sont des critères à prendre en compte dans les programmes de recherche et de diffusion-transfert. Si les plantes de services doivent réduire l’incidence du flétrissement bactérien, elles ne doivent pas en parallèle induire le développement d’autres bioagresseurs tels que les nématodes à galles, seconds bioagresseurs de la tomate en Martinique. Les plantes choisies sont par conséquent des espèces à effet nématicide. Les Fabacées ont été choisies dans la gestion du flétrissement bactérien, au-delà de leurs effets sur la maladie. Elles produisent des quantités de biomasse élevées sans nécessiter d’apport azoté lors de leur mise en place. Cette biomasse enrichie en azote


pourra être utilisée soit en engrais vert enfoui dans le sol, soit en mulch, voire pour certaines espèces en fourrage. Cette biomasse dans tous les cas subira une phase de décomposition ou de digestion et participera ainsi au maintien de la fertilité des sols. C’est d’ailleurs la multifonctionnalité des services rendus par ces espèces qui interpelle les agriculteurs enquêtés et les incite à tester ces plantes dans leurs exploitations.

Autres expériences en arboriculture fruitière Gestion de la strate herbacée pour favoriser la régulation des ravageurs en vergers de pommiers en France[9] Enjeux de recherche et de développement La plupart des vergers français présentent un inter-rang enherbé, pour faciliter le passage des engins agricoles (portance) et limiter les plantes adventices. Ce couvert herbacé est sauf exception permanent, adjacent aux arbres fruitiers et modulable par les pratiques culturales (composition botanique, biomasse). Dans une approche de conservation des auxiliaires pour contrôler les ravageurs, cette biomasse végétale, plus ou moins riche en espèces, offre des ressources florales et/ou constitue une ressource pour divers arthropodes herbivores, eux-mêmes proies ou hôtes d’une gamme de prédateurs et parasitoïdes. Par rapport à un sol nu, les couverts favorisent généralement l’abondance, la diversité des auxiliaires et/ou le contrôle de certains ravageurs du verger (Simon et al., 2010). La composition du couvert herbacé, généralement constitué de graminées associées à d’autres plantes semées ou spontanées, et sa gestion (par ex., fréquence de tonte) sont variables. Selon les vergers, la fauche ou le broyage de l’herbe peuvent être fréquents ou au contraire n’intervenir qu’aux périodes d’intervention manuelle dans le verger (éclaircissage, récolte) pour faciliter le passage. Ceci se traduit par un habitat et des ressources fluctuant plus ou moins dans le temps et dans l’espace, en termes de richesse botanique et d’abondance : par la diminution de biomasse végétale et l’élimination des fleurs, la tonte (fauche ou broyage)


modifie de fait les ressources et/ou les habitats pour de nombreux organismes, tels les arthropodes du verger. Des travaux ont été conduits sur deux sites expérimentaux du Sud-Est de la France (Inra Gotheron, Inra Avignon) dans le but d’analyser l’effet de plusieurs types de gestion du couvert herbacé, préconisés ou pratiqués en verger, sur la communauté du verger et le potentiel de prédation (Simon et al., 2015) et plus précisément d’observer quels sont les effets de l’introduction de ressources florales ou de la modulation de la hauteur du couvert herbacé due à une fréquence de tonte plus ou moins élevée. L’objectif appliqué était d’étudier si l’introduction de bandes fleuries ou les pratiques de fauche peu fréquentes pouvaient être préconisées en vue de favoriser une meilleure régulation naturelle au sein du verger. Dispositifs d’études sur la gestion agroécologique du couvert du sol Le verger support de l’étude, conduit en agriculture biologique sur le site de Gotheron, combine un ensemble de leviers pour maîtriser les bioagresseurs en vue de limiter l’application de pesticides. Une bande de sarrasin, plante hébergeant de nombreux auxiliaires (Simon et al., 2010), « rustique » et à semis mécanisable a été implantée en 2013 et renouvelée en 2014 sur 1,20 m de large au centre de l’inter-rang central du verger qui comporte huit lignes (fig. 4.13). L’analyse a porté sur les effets de cette bande florale sur l’infestation de pucerons et sur la prédation de proies sentinelles (œufs de carpocapse) en fonction de la distance à la bande fleurie en distinguant les rangs adjacents, intermédiaires (situés à un interrang) et éloignés (situés à trois inter-rangs) de la bande fleurie.


Figure 4.13. Leviers mis en œuvre pour gérer les bioagresseurs dans le verger expérimental, Inra Gotheron. La présence de fleurs contraint les périodes de traitement dans le verger et le type de produit utilisé. (1) Variété peu sensible aux maladies (‘Melrose’) ; (2) faible densité de plantation ; (3) conduite centrifuge de l’arbre (verger « aéré ») ; (4) fertilisation organique et irrigation raisonnées ; (5) méthodes de substitution (par ex., kaolin, confusion sexuelle…) incluant (6) le désherbage mécanique ; (7) pesticides sélectifs en fonction d’une (8) évaluation fine du risque de dégâts et (9) bande fleurie de sarrasin pour favoriser les auxiliaires (dont prédateurs de pucerons).

Trois hauteurs d’un couvert herbacé implanté dans l’inter-rang du verger et composé majoritairement de trèfle blanc, fétuque des prés et pissenlit, ont été étudiées (Marliac et al., 2015) au cours du printemps-été 2013 sur le site d’Avignon pour leur effet sur la prédation : haut (pas d’intervention, hauteur de 40 cm dès mai), intermédiaire (tonte tous les 15 jours à une hauteur d’environ 20 cm) et bas (tonte tous les 15 jours à environ 5 cm). Résultats des études conduites sur la gestion agroécologique du couvert du sol Sur le site de Gotheron, la présence de pollinisateurs et de divers auxiliaires (coccinelles, punaises, araignées, Hyménoptères) a été relevée


visuellement au niveau de la bande de sarrasin pendant la période de floraison. Aux printemps 2013 et 2014, les niveaux d’infestation par le puceron cendré Dysaphis plantaginea sont élevés et similaires dans tout le verger. Seule la sévérité de l’infestation par le puceron vert (Aphis spp.) est moindre dans les rangs adjacents et éloignés de la bande fleurie par rapport aux rangs intermédiaires en juillet 2013. Ceci peut être dû à une redistribution des pucerons (immigrant au printemps) et/ou des auxiliaires au sein du verger en lien avec la bande fleurie même si l’importante variabilité de l’infestation et les résultats non significatifs de 2014 ne permettent pas de généraliser. Le taux de prédation, mesuré par l’exposition d’œufs sentinelles (Monteiro et al., 2013), est plus élevé en été et varie fortement au sein de chaque modalité : en juin 2014, la prédation est plus faible dans les rangs adjacents par rapport aux rangs intermédiaires, les rangs éloignés ne se différenciant pas des deux autres. Un différentiel de prédation est donc observé à cette date : la bande fleurie semble agir comme un « puits » du fait de sa forte attractivité pour les auxiliaires et/ou modifier la distribution des auxiliaires au sein du verger. Cette situation n’est toutefois pas observée en août (pas de différence significative). Le taux de prédation des œufs sentinelles exposés dans la frondaison du pommier sur le site d’Avignon augmente fortement en juillet (fig. 4.14). La hauteur du couvert a un effet significatif sur la prédation : en juin, le taux de prédation est plus élevé dans la modalité « haut » que dans la modalité « bas », le couvert intermédiaire ne se différenciant pas des deux autres. En revanche, en juillet, le taux de prédation est le plus élevé dans les modalités « bas » et « intermédiaire » que dans le couvert haut.


Figure 4.14. Taux de prédation (ratio nb d’œufs disparus ou avec trace de prédation / nb d’œufs exposés) d’œufs sentinelles (carpocapse) dans la frondaison du pommier en fonction de la hauteur de l’enherbement. « Haut » : 40 cm à partir de mai. « Intermédiaire » : 20 cm. « Bas » : 5 cm ». Verger expérimental Inra Avignon. Des lettres différentes indiquent des différences significatives entre modalités (test post-hoc comparaisons multiples de Tukey). D’après Marliac et al., 2015.

Le suivi de la présence et de l’abondance des prédateurs, au moyen de bande-pièges en carton ondulé placées sur des branches dans le verger, indique que les forficules Forficula auricularia et F. pubescens, prédateurs généralistes, prédominent (96,8 % de l’effectif), suivis par les araignées (3,0 %). L’abondance des araignées n’est pas affectée par la hauteur du couvert, de même que celle de F. auricularia qui présente les mêmes variations saisonnières quelle que soit cette hauteur et qui consomme très probablement d’autres proies (par ex., puceron cendré, Dib et al., 2010). En revanche, l’abondance de F. pubescens est plus élevée en juillet dans la


modalité « haut » par rapport au couvert bas, la modalité « intermédiaire » ne se différenciant pas des deux autres. La hauteur du couvert herbacé affecte ainsi l’abondance et l’activité de prédation de F. pubescens : en juillet, le couvert haut s’accompagne d’effectifs plus élevés mais d’une moindre prédation d’œufs par rapport au couvert bas. Ce résultat peut être expliqué par la présence importante de ressources alternatives dans le couvert herbacé de la modalité « haut » (observation de F. pubescens consommant du pollen de séneçon Senecio spp.) et/ou par un biais de mesure lié à l’attractivité ou la localisation de la proie sentinelle par rapport à une proie naturelle. Apports pour la transition agroécologique et recommandations Ces deux expérimentations illustrent la difficulté de décliner des principes écologiques à l’échelle du verger pour sa protection : si l’augmentation de biomasse végétale, de l’abondance des ressources et/ou de la complexité de l’habitat (par ex., couvert haut) au sein du verger s’accompagne bien d’une plus grande abondance de certains prédateurs (situation généralement décrite dans la littérature), l’activité de prédation, estimée par des proies sentinelles, n’est pas affectée ou peut même l’être négativement. Il est probable que la « dilution » de la proie proposée dans un ensemble de ressources ou, dit autrement, l’alimentation préférentielle des prédateurs dans une zone riche en ressources, plus « rentable » en termes de temps de prospection, peut expliquer les résultats observés. L’efficacité de la prospection selon la strate (arborée, herbacée) et les risques et bénéfices à changer de strate (prédation, temps de déplacement) seraient également à évaluer. Par ailleurs, les effets observés peuvent être variables selon les auxiliaires, même pour des espèces de régime alimentaire proche telles F. auricularia et F. pubescens. Les interactions entre ces deux espèces pour l’exploitation du même type de proies ne sont par ailleurs pas connues. Les mécanismes en jeu sont clairement complexes, en lien avec la biologie, le comportement et la capacité de déplacement des arthropodes, leurs interactions (par ex., compétition, prédation intra-guilde), la proximité physique des strates, la disponibilité en ressources alternatives, les


perturbations liées aux pratiques culturales, les conditions de milieu (microclimat, possibilités d’échapper à la prédation…). Quels leviers peuvent être mobilisés par les agriculteurs pour favoriser la prédation en verger, habitat complexe et multi-strates ? La nature et la hauteur du couvert herbacé — et donc son entretien — affectent certains groupes d’auxiliaires (tous n’ont pas été étudiés ici) et le potentiel de prédation dans le verger. Les connaissances sur les effets, les périodes d’intervention et modalités optimales (par ex., tonte un rang sur deux pratiquée par certains producteurs ; fauche pour « transfert » d’auxiliaires vers la frondaison) nécessitent toutefois d’être investiguées plus largement. Ces travaux soulignent par ailleurs l’intérêt de repenser un ensemble de pratiques et d’aménagements au sein du verger pour fournir des ressources et habitats aux auxiliaires à des périodes clés afin de maximiser le service de régulation des ravageurs.

Gestion agroécologique des mouches des fruits de la mangue au Bénin Enjeux de recherche et de développement Dans les zones soudaniennes ouest-africaines, le renforcement de la filière horticole est susceptible de générer une augmentation substantielle des revenus des producteurs ainsi que la pérennité d’emploi. Parmi les fruits tropicaux, le manguier est un de ceux qui ont le plus grand potentiel dans l’économie rurale de ces zones. En effet, en fin de saison sèche, la mangue y constitue un apport nutritionnel fondamental par sa forte teneur en nutriments et contribue à la sécurité alimentaire en période de soudure. La production de mangues par les ménages dans certaines zones leur permet ainsi de réduire d’un tiers l’achat de vivriers (maïs/sorgho au Bénin, riz en Guinée) (données non publiées). Mais la production fruitière d’Afrique de l’Ouest, particulièrement de mangues, et notamment au Bénin, est victime des pertes considérables infligées par les mouches des fruits (Diptères : Téphritidés), en particulier depuis l’invasion de la région par Bactrocera dorsalis (= invadens). Au


Bénin, les pertes infligées par les deux principales espèces de mouches des fruits B. dorsalis et Ceratitis cosyra, pendant les saisons de production de mangues 2005 et 2006, ont été comprises entre 17 % et 73 % (Vayssières et al., 2009a). En plus des pertes directes, les mouches des fruits sont aussi devenues (du fait du changement climatique) des ravageurs de quarantaine en Europe, dont la présence dans les fruits conduit chaque année à la destruction de plusieurs conteneurs de mangues exportées de l’Afrique de l’Ouest vers l’Europe. Outre l’impact négatif sur la sécurité alimentaire des populations locales, ces barrières à l’importation (qui portent aussi sur les teneurs en résidus de pesticides) affectent ainsi directement les revenus des producteurs. Une lutte efficace et respectueuse de l’environnement contre ces mouches, et particulièrement contre l’espèce à haut potentiel biotique B. dorsalis, est une nécessité pour l’avenir de la filière mangue comme pour d’autres filières fruitières (agrumes, papaye, goyave, etc.) en Afrique de l’Ouest. Aussi, un programme régional ouest-africain de gestion agroécologique des mouches des fruits, centré sur le Bénin, a été mis en place depuis 2008. Celui-ci comprend des composantes de recherche, de lutte, et de formation des planteurs, des agents de la recherche et du développement et des exportateurs. Dispositif et études mises en place dans le cadre du programme régional ouest-africain de gestion agroécologique des mouches des fruits Les différentes composantes du programme régional ouest-africain de gestion agroécologique des mouches des fruits, centré sur le Bénin, se traduisent par la mise en place d’un dispositif de recherche-développement comprenant d’une part le suivi des fluctuations des populations de mouches des fruits dans des vergers-pilotes de manguiers en fonction d’un zonage agroécologique ; et d’autre part, la mise en œuvre d’un paquet technologique de lutte (IPM-Package) incluant des mesures prophylactiques, le traitement par taches avec l’attractif adulticide


biologique GF-120 et la lutte biologique par conservation avec les fourmis tisserandes Oecophylla longinoda dans les vergers. L’étude de l’écologie et du comportement des espèces nuisibles nouvellement introduites est une nécessité si l’on veut optimiser durablement les méthodes de lutte. Nous avons ainsi suivi pendant cinq années consécutives (2005-2009) la fluctuation de populations des Téphritidés, notamment les deux principales espèces nuisibles aux plantations de manguiers, c.-à-d. C. cosyra (espèce indigène d’Afrique) et B. dorsalis (nouvellement introduite de l’Asie en Afrique sub-saharienne en 2003) (Vayssières et al., 2015). Six vergers de manguiers ont été sélectionnés selon la méthode décrite par Vayssières et al. (2009a) dans les six localités à la plus forte production de mangue du département du Borgou (qui représente lui-même 75 % de la superficie totale de manguiers au Bénin). Parmi les six vergers, deux étaient mixtes (comprenant des manguiers et d’autres arbres fruitiers hôtes des mouches des fruits) et quatre étaient homogènes (comprenant exclusivement des manguiers). Les fluctuations des populations de mouches des fruits ont été suivies en utilisant d’une part, des pièges à paraphéromones qui capturent efficacement les mâles de quatre espèces de mouches d’importance économique, et d’autre part, des pièges à attractifs alimentaires dont la plupart capturent les femelles et aussi quelques mâles sexuellement immatures. Cette étude à long terme sur la variabilité saisonnière et la fluctuation des populations de C. cosyra et B. dorsalis est utile pour l’élaboration d’une stratégie de lutte contre ces espèces. Ces résultats peuvent être extrapolés à un niveau régional dans les agroécosystèmes similaires adjacents et dans les zones agroécologiques similaires en Afrique de l’Ouest. Bien que des efforts importants pour appliquer de nombreuses technologies pour le contrôle des mouches des fruits aient été entrepris à travers le monde, quasiment aucune méthode n’a été à elle seule en mesure de garantir un contrôle durable. Il apparaît important d’introduire une combinaison de méthodes efficaces et efficientes, qui soient compatibles entre elles, saines au plan environnemental, et économiquement accessibles pour une large adoption par les producteurs.


Le GF-120 est un mélange d’attractif alimentaire et d’un insecticide à base de Spinosad® (0,24 g . l–1) susceptible d’attirer et de tuer les espèces de mouches des fruits présentes dans la zone d’intervention. La lutte prophylactique (LP) est une méthode de contrôle qui consiste à ramasser et détruire les fruits piqués tombés au sol qui sont les principales sources de populations résiduelles permettant les ré-infestations des vergers. Les fruits infestés sont mis dans un sac plastique noir que l’on place au soleil après l’avoir fermé hermétiquement. Les deux méthodes étant candidates à l’inclusion dans le paquet technologique, nous avons évalué leur efficacité combinée pour quantifier la valeur ajoutée de la LP. En effet, l’efficacité du traitement au GF-120 contre les mouches des fruits a déjà été démontrée (Vayssières et al., 2009b). Deux traitements ont été comparés à savoir d’un côté, la pulvérisation d’appâts GF-120 utilisée seule (GF120) et d’un autre, la pulvérisation d’appâts GF-120 combinée avec la LP dans les vergers (GF120 & LP). Pour comparer les traitements, trois grands vergers ont été sélectionnés dans les trois localités à la plus forte production de mangues du département du Borgou. Chaque verger sélectionné couvrait au moins 13 ha (100 arbres/ha selon un quadrillage régulier de 10 m de côté) et était composé des mêmes cultivars (‘Gouverneur ’, ‘Eldon’, et ‘Kent’ qui représentent plus de 90 % de la production totale) à peu près dans les mêmes proportions. Chaque verger a été divisé en trois parcelles de 4 ha représentant chacune un des trois traitements, à savoir parcelle non traitée (témoin), parcelle traitée avec du GF-120, et parcelle traitée avec du GF120 & LP. Les parcelles ont été séparées par une zone tampon de 0,5 ha. L’utilisation des fourmis tisserandes, considérée comme le plus ancien exemple de lutte biologique au monde avec l’espèce Oecophylla smaragdina en Asie, a fait aussi l’objet de recherches en vue de sa promotion en Afrique avec l’espèce voisine O. longinoda, particulièrement en vergers de manguiers. De récentes recherches au Bénin ont montré que leur abondance dans un verger donné réduisait considérablement les dégâts dus aux mouches des fruits (Van Mele et al., 2007). La gestion et l’utilisation des fourmis tisserandes constituent alors un outil


bien adapté au développement durable des systèmes de cultures pérennes d’Afrique sub-saharienne du fait de leur efficacité, leur disponibilité permanente et leur large distribution. Ainsi une meilleure valorisation de ces agents de contrôle naturel pourrait rendre de grands services aux planteurs. Afin d’optimiser leur utilisation, l’abondance des fourmis doit être suivie. Quatre méthodes sont utilisées à savoir trois méthodes basées sur le nombre de sentiers de fourmis sur les principales branches d’un arbre (branch indices : Peng 1, Peng 2 et Offenberg) et une méthode basée sur le nombre de nids de fourmis par arbre. Nous avons appliqué ces méthodes d’estimation de l’abondance des fourmis tisserandes et pour déterminer la plus facile à utiliser dans les études de recherche développement et les formations participatives des planteurs. Aussi avonsnous essayé d’en confirmer l’efficacité biologique (Wargui et al., 2015) et exploré les mécanismes qui la sous-tendent (Adandonon et al., 2009). Une conditionnalité à la mise en œuvre d’une stratégie de lutte intégrée s’appuyant sur un IPM-package est la disponibilité d’indicateurs technicoéconomiques, tel que le seuil économique de nuisibilité (SEN ou EIL), afin de déclencher au bon moment des techniques efficaces de lutte curative. Une étude conduite au cours du programme régional ouest-africain de gestion agroécologique des mouches des fruits (Vayssières et al., 2009c) a permis de fournir des outils de diagnostic et d’évaluation de la perte de rendement causée par les Téphritidés. Également, elle a permis d’identifier et de mesurer au Bénin les facteurs biologiques et économiques nécessaire à la détermination du SEN à partir de la formule SEN = C / VIDK = nombre de mouches capturées / ha / semaine (où C = coût des traitements phytosanitaires qui sont nécessaires pour faire baisser significativement le niveau des populations des espèces de Téphritidés [Francs CFA / ha] ; V = valeur commerciale d’un kilogramme de mangues en Francs CFA (prix min., prix moyen, prix max.) ; I = pente de la régression linéaire entre le nombre de mouches des fruits capturés / ha / semaine et leurs dégâts ; D = perte de tonnage en fonction des dégâts ; K = efficacité de la mesure de contrôle en pourcentage de réduction des pertes). Résultats des études sur la gestion agroécologique des mouches des fruits


Pendant les cinq années consécutives de surveillance des mouches des fruits, 25 espèces de Téphritidés ont été capturées, y compris 3 espèces du genre Bactrocera, 11 du genre Ceratitis et 11 du genre Dacus, représentant 2 138 150 spécimens provenant de vergers de manguiers. Nous avons observé des différences significatives dans les captures de B. dorsalis entre les années de production haute et celles de production basse de 2005 à 2008, ce qui n’a pas été le cas au niveau des captures de C. cosyra. L’espèce indigène, C. cosyra, a été la plus abondante pendant la saison sèche et a présenté son pic de population début mai, tandis que parmi les espèces exotiques, B. dorsalis a été la plus abondante pendant la saison des pluies et a atteint son pic de population en juin (fig. 4.15). La composition des vergers a eu un effet sur l’abondance de B. dorsalis. Les vergers mixtes (plusieurs plantes hôtes) ont présenté des populations plus importantes et plus étalées dans le temps que les vergers homogènes. Les résultats préliminaires ont souligné le rôle des neuf espèces de planteshôtes sauvages et sept espèces de plantes-hôtes cultivées autour de vergers de manguiers qui ont joué un rôle important dans le maintien de B. dorsalis dans cette zone soudanienne toute l’année. La présence de C. cosyra s’est quant à elle étendue sur neuf mois. Pendant les quatorze premières semaines de l’année, la plupart des mouches (62 %) ont été capturées dans des pièges placés dans les vergers d’anacardiers à proximité des vergers de manguiers, montrant le fort intérêt d’un contrôle de la mouche très tôt dans ces vergers d’anacardiers avant la saison des mangues, de même que le démarrage très tôt en début de saison de la mangue d’une lutte curative dans les vergers de manguiers.


Figure 4.15. Tendance générale des fluctuations de populations de C. cosyra et B. dorsalis dans six vergers de manguiers : moyennes sur une période de cinq ans (2005-2009). D'après Vayssières et al., 2015.

Les résultats ont indiqué que la combinaison GF-120 & LP pouvait ramener une grande population de mouches à un niveau très faible. Le nombre moyen d’adultes capturés par semaine et par piège était très faible dans les vergers traités avec la combinaison GF-120 & LP indiquant que l’assainissement pouvait avoir un impact sur l’émergence des mouches des fruits. Le plus faible taux d’infestation d’une pupe par kilogramme de fruit a été observé dans les parcelles traitées avec la combinaison GF-120 & LP (fig. 4.16). Par rapport à celles non traitées, l’infestation a été réduite de 82 % avec la seule application du GF-120 et de 95 % avec l’application de la combinaison GF120 & LP, tandis que les dégâts ont été réduits d’environ 92 % avec GF-120 & LP comparé à 70 % pour GF-120 seul. Bien que l’application de la combinaison GF-120 & LP réduise de façon importante l’infestation des fruits et l’émergence des mouches, cela n’a pas empêché les fruits d’être infestés. Cette protection incomplète des fruits suggère que d’autres méthodes de lutte devraient être intégrées à l’IPM package pour obtenir un niveau efficace et acceptable de protection. Cependant, ces méthodes doivent être compatibles. Cela n’est pas le cas pour le procédé d’assainissement utilisé dans cette étude qui ne permet pas


aux parasitoïdes d’émerger. À cet égard, au vu de l’importance des parasitoïdes indigènes du genre Fopius telle que mise en évidence au Bénin et de la nécessité de les protéger et d’optimiser leur action, il serait opportun de développer la technique de l’augmentorium, structure ressemblant à une tente fermée dans laquelle sont déposés régulièrement les fruits infestés ramassés au champ. Pourvu d’un filet à la maille adaptée, placé sur le toit, l’augmentorium empêche la ré-infestation des vergers par une nouvelle génération de mouches adultes qui émergent, mais permet aux adultes des parasitoïdes de mouches de s’échapper, contribuant donc ainsi également à la lutte biologique par conservation. Comme nous l’avons vu au chapitre 2, cette méthode a été adaptée et utilisée avec efficacité par le Cirad sur les mouches des Cucurbitacées à la Réunion.

Figure 4.16. Comparaison entre les traitements de l’infestation des mangues par les mouches des fruits. GF-120 correspond à l’application de l’attractif alimentaire adulticide seule ; GF-120 & LP correspond à la combinaison de l’application de GF 120 avec la lutte prophylactique. Les moyennes surmontées d’une même lettre ne sont pas significativement différentes au seuil de 5 % par la méthode de Tukey.

Les branch indices ne produisent pas des scores égaux et ne peuvent être comparés directement (fig. 4.17). L’indice Peng 1 était le plus rapide à


évaluer, mais a montré une limitation des fluctuations saisonnières lorsque l’abondance des fourmis était élevée, car il approchait sa limite supérieure. Les indices Peng 2 et Offenberg n’ont pas atteint leur limite supérieure et ont donc reflété les fluctuations tout au long de la saison. La méthode du nombre de nids a montré une grande fluctuation improbable pour refléter l’abondance de fourmis, mais reflétant plutôt le comportement de variation du nombre de nids influencé par la phénologie des arbres. En conclusion, le comptage de nids n’est pas recommandé, alors que l’indice Peng 1 permet de suivre la dynamique à faible abondance et les indice Peng 2 et Offenberg peuvent être utilisés dans la plupart des situations.

Figure 4.17. Indices moyens (± ET) de fourmis tisserandes par arbre (Peng 1, Peng 2 et Offenberg) d’août 2012 à juillet 2013 sur manguiers. D'après Wargui et al., 2015.

Une corrélation négative a été observée entre l’abondance des fourmis tisserandes sur un arbre et les dégâts occasionnés par les mouches des fruits durant deux saisons (2012 et 2013) de culture de mangue. Cette corrélation est sous-tendue par deux mécanismes que sont : la prédation


des larves (fig. 4.18) et adultes (rarement observée) de mouches des fruits, et l’effet répulsif vis-à-vis des femelles de mouches par des signaux chimiques laissés sur les fruits par les fourmis (Wargui et al., 2015).

Figure 4.18. Prédation exercée par les fourmis tisserandes sur des larves de dernier stade de mouches des fruits.

Apports pour la transition agroécologique et recommandations Les travaux conduits ont permis de confirmer l’efficacité de techniques de piégeage qui permettent de déterminer des zones/périodes à forte infestation vs des zones/périodes à faible infestation (voire indemnes d’infestation), avec des implications pour les exportations (piégeage de détection). Ils ont permis de déterminer l’efficacité de la méthode prophylactique de


récolte sanitaire des fruits piqués tombés au sol. Ces mesures peuvent être améliorées par l’utilisation de sacs plastique noirs pendant la plus grande partie de la saison sèche et dans les zones où il n’y a pas de promotion de la lutte biologique classique par parasitoïdes, et par l’utilisation d’augmentoria au début de la saison des pluies dans les zones sans lutte biologique et toute la saison dans les zones de promotion des parasitoïdes. Le calcul des seuils économiques sert de base au déclenchement d’applications de GF-120. Il faudra cependant développer une stratégie de gestion des éventuelles résistances des mouches au Spinosad®. Concernant la lutte biologique par conservation avec les fourmis tisserandes, les travaux ont permis de déterminer la pertinence des indices Peng 2 et Offenberg pour le suivi participatif (avec les planteurs) des populations de fourmis. Il faudra toutefois s’attacher à trouver des méthodes pour limiter leurs nuisances (morsures) pour les producteurs, qui sont des facteurs limitants majeurs à leur utilisation en Afrique, comparé à l’Asie.

Expériences sur d’autres types de cultures Gestion agroécologique des bioagresseurs du bananier en culture d’exportation en République dominicaine[10] Enjeux de recherche et de développement liés à la gestion non chimique des bioagresseurs du bananier En République dominicaine, la production de banane pour l’exportation revêt une grande importance. Elle occupe une surface de 16 000 ha, concerne 1 800 producteurs et crée plus de 32 000 emplois directs pour une valeur globale de plus de 300 millions de dollars. La majorité de la production du pays est localisée dans la zone de ValverdeMao/Montecristi, qui bénéficie d’un bon ensoleillement et d’un climat relativement sec peu propice aux maladies fongiques (700 mm/an en moyenne). Cette région est irriguée grâce à un barrage et un réseau de


canaux, ce qui permet de subvenir aux besoins hydriques relativement importants du bananier. C’est dans ces conditions particulières que l’agriculture biologique a pu se développer dans ce pays à la fin des années 1990 (près de 60 % de la bananeraie sont aujourd’hui certifiés en agriculture biologique). La République dominicaine a longtemps été le seul opérateur et reste aujourd’hui leader sur le marché de la banane biologique. La conversion à l’agriculture biologique (AB) en République dominicaine s’est tout d’abord réalisée par la substitution d’intrants chimiques par des intrants autorisés dans le cahier des charges de l’AB. La culture biologique de la banane est restée calquée sur un système monocultural et intensif qui avait pour objectif de maintenir le sol libre de toute autre espèce végétale considérée comme entrant en compétition avec le bananier pour les ressources minérales et hydriques, voire comme étant un réservoir pour certains bioagresseurs. Les bioagresseurs des bananiers en AB sont les mêmes que pour la culture conventionnelle, à la différence que le suivi et la détection doivent se faire très précocement pour maintenir un équilibre biologique. La gestion des bioagresseurs dans le cas de l’agriculture biologique dominicaine Les principaux bioagresseurs en République dominicaine sont par ordre d’importance : La maladie des raies noires (MRN, provoquée par le champignon Mycosphaerella fijiensis), qui est principalement contrôlée avec des biofongicides autorisés en AB. L’efficacité de ces produits n’a pas toujours été démontrée et leur évaluation doit faire appel à des méthodes différentes de celles classiquement employées pour les fongicides synthétiques. Lors de périodes humides, cette maladie est mal contrôlée et peut entraîner l’arrêt des exportations (Guillermet et al., 2014) ; Le charançon du bananier (Cosmopolites sordidus), qui est généralement contrôlé au moyen de pièges à pseudotronc et l’emploi


de champignons entomopathogènes (Beauveria bassiana) (Tixier et al., 2010) ; Des nématodes phytophages (Radopholus similis) qui sont principalement contrôlés au travers de la matière organique et de périodes d’inondation du sol ; Certaines espèces de thrips qui provoquent des défauts de présentation des fruits, contre lesquels des applications d’extraits de neem, de piment, de cannelle ou d’ail sont réalisées avec des solutions aqueuses savonneuses. Toutefois, l’efficacité de la lutte contre l’ensemble de ces bioagresseurs reste souvent limitée dans ces systèmes qui ont fortement hérité des défauts des systèmes conventionnels monoculturaux. Un changement de paradigme de production est donc nécessaire. Une expérience d’introduction d’une biodiversité végétale dans les systèmes en AB de République dominicaine Une association de petits producteurs (Banelino) a récemment prôné l’introduction d’une biodiversité végétale fonctionnelle pour améliorer à la fois la fertilité des sols, préserver le milieu et améliorer la qualité de vie de ses producteurs au travers de nouveaux services complémentaires. Ainsi, des couloirs de biodiversité ont été aménagés dans certaines fermes pilotes dans lesquelles le bananier était associé à des espèces fruitières (cacao, agrumes, goyaviers, avocatiers ou manguiers) en instaurant un couloir de 10 m tous les 90 m. Au sol, une plante de couverture (Vigna, Crotalaria, Canavalia, Arachis) a été installée dans ces allées et sous couvert du bananier. La meilleure association testée a été l’association bananier / cacaoyer / Arachis pintoi. Dans ces conditions, plusieurs effets bénéfiques ont été observés : augmentation de la production en dépit de la réduction de la surface cultivée ;


bonne maîtrise des plantes adventices et effet bénéfique sur la présence de la macro- et microfaune utile dans l’agroécosystème, permettant une meilleure régulation des bioagresseurs ; meilleure efficience de l’irrigation liée à une meilleure régulation de la température et de l’humidité du sol par la couverture végétale ; augmentation du taux de matière organique du sol ; meilleure nutrition des bananiers ; diversification des ressources du producteur, notamment par la vente du cacao ; effets complémentaires entre les deux cultures, les pollinisateurs des cacaoyers étant attirés par les bananiers (fig. 4.19).


Figure 4.19. Ruche dans une parcelle d’association bananier/cacaoyer/Arachis pintoi.

Cette expérience empirique nécessite maintenant un meilleur support scientifique pour mieux comprendre certaines relations. S’il a déjà été montré dans d’autres contextes que des plantes de couverture pouvaient modifier les relations trophiques dans l’agroécosystème et favoriser la prédation des œufs de charançon (Mollot et al., 2014), de telles relations permettent-elles une meilleure régulation des thrips en favorisant des prédateurs naturels ? L’augmentation de la vie microbienne du sol peutelle également favoriser la dégradation des feuilles de bananier déposées au sol après les opérations d’effeuillage, accélérant ainsi la diminution de


la sporulation ascosporée de Mycosphaerella fijiensis ? Enfin, la stimulation de l’émission racinaire dans ces systèmes peut-elle également renforcer la tolérance du bananier vis-à-vis des attaques de nématodes ? Une expérience de lutte non chimique contre la maladie des raies noires (MRN) en République dominicaine Ce travail sur la lutte non-chimique contre la MRN constitue un des premiers apports pour renouveler le champ des connaissances pour la gestion des bioagresseurs du bananier dans les systèmes AB. La MRN est la principale maladie qui affecte la culture du bananier d’exportation (de Lapeyre de Bellaire et al., 2010). Cette maladie foliaire est causée par un champignon aérien (Mycosphaerella fijiensis) dont les dégâts se traduisent par de larges plages nécrotiques. Ces dégâts entraînent deux types de dommages (fig. 4.20). Tout d’abord une diminution de l’activité photosynthétique et des pertes de rendement (faible biomasse des fruits, écarts de régimes non exportables, pertes de rendement au cours des cycles successifs).


Figure 4.20. Dégâts et dommages (bleu) provoqués par la MRN sur la culture du bananier.

La MRN provoque également des altérations de la qualité des fruits, notamment parce que les symptômes foliaires sont à l’origine d’un signal qui induit une diminution de la durée de conservation des fruits. La banane est un fruit climactérique et cette durée de conservation, appelée durée de vie verte (DVV), correspond à l’intervalle entre la récolte et l’induction de la maturation des fruits. Les bananes sont commercialisées après un mûrissage artificiel et la DVV doit donc être supérieure au temps entre la récolte et l’arrivée des fruits en mûrisserie (> 20 jours). Ainsi, la lutte contre la MRN conditionne la capacité d’exporter les fruits, les exportateurs n’acceptant généralement pas d’acheter des fruits provenant de bananiers arrivant à la récolte avec moins de quatre à cinq feuilles. Comme la culture pour l’exportation repose sur un petit nombre de cultivars sensibles, la lutte contre la MRN est essentiellement basée sur une lutte chimique plus ou moins intensive et sur laquelle les producteurs ne


transigent généralement pas. En République dominicaine, la MRN a été détectée pour la première fois en 1996 et a progressivement atteint tout le pays. L’emploi anarchique des fongicides a provoqué l’apparition rapide de souches résistantes à la plupart des fongicides systémiques. Aussi, d’importantes pertes de récolte ont été enregistrées à la suite d’épisodes pluvieux ponctuels, illustrant ainsi les limites de cette lutte chimique. La protection intégrée non chimique (PINC) contre la MRN repose sur deux types de pratiques : celles permettant de réguler le cycle épidémique et celles permettant de limiter les dommages sur la culture, notamment en renforçant la tolérance de la plante. Outre le contexte climatique de la République dominicaine (voir plus haut), la fragmentation du territoire constituait aussi un contexte favorable pour la mise en place d’une expérimentation de PINC contre la MRN. En effet, les bananeraies sont en mélange avec des rizières et des prairies d’élevage, ce qui permet de limiter les flux d’inoculum entre parcelles (Guillermet et al., 2014). La principale pratique mobilisée ici est l’élimination des stades nécrotiques, reconnue pour son effet sur le cycle épidémique en raccourcissant la durée de la phase contagieuse des feuilles atteintes (fig. 4.21). Plus particulièrement elle permet de diminuer la quantité d’ascospores produites dans la parcelle car les feuilles nécrosées qui restent sur le bananier en produisent durant plus de trois mois alors que si elles sont découpées et mises au sol, la sporulation diminue rapidement. Cette pratique affecte également la capacité de dispersion de la maladie à grande distance car les ascospores sont dispersées jusqu’à plus de 1 000 m. Si les stades nécrotiques sont régulièrement éliminés, seules sont produites sur la parcelle des conidies qui ont un faible pouvoir de dispersion (quelques mètres au maximum).


Figure 4.21. Bananeraie après effeuillage.

Le renforcement de la tolérance du bananier à la MRN repose tout d’abord sur une conduite agronomique optimale en termes de fertilisation, d’irrigation et de maîtrise du parasitisme tellurique afin de maintenir un rythme d’émission foliaire élevé en phase végétative. Cette émission foliaire élevée permet à la plante de compenser la diminution de la surface foliaire induite par le développement de la maladie et les effeuillages des stades nécrotiques. Elle permet également de maintenir la photosynthèse dans la strate supérieure de la canopée, là où son intensité est maximale. Par ailleurs, l’élimination régulière (hebdomadaire) des stades nécrotiques durant la phase de remplissage des fruits permet de limiter l’effet de la maladie sur la DVV. En effet des expérimentations ont montré que c’est la présence de stades nécrotiques qui altère le potentiel de conservation des fruits et que la diminution de la DVV est proportionnelle à la quantité de stades nécrotiques présents sur le bananier de la floraison à la récolte (Chillet et al., 2013).


Cette stratégie de PINC a été mise en place sur une parcelle de 2 ha dans une exploitation d’une vingtaine d’hectares. Cette parcelle a été divisée en deux parties : une partie témoin que le producteur a traitée toutes les trois semaines sur le premier cycle et qu’il a conduite selon ses propres pratiques ; et une partie qui a été conduite selon les principes indiqués plus haut et qui n’était pas traitée (fig. 4.22).

Figure 4.22. Dispositif expérimental de l’expérimentation de PINC sur bananier. En vert clair, le témoin traité qui a servi de référence. En jaune, la partie expérimentale sur laquelle une zone tampon de 30 m a été délimitée entre la partie traitée et la partie non traitée. Les mesures ont été réalisées sur la partie en marron au centre de la parcelle expérimentale.

Cette expérimentation, conduite sur trois cycles de culture, a permis de


montrer que la stratégie de PINC était tout à fait réaliste dans les conditions de la République dominicaine (tab. 4.1). Des différences notables ont été enregistrées entre la PINC et le témoin en ce qui concerne le nombre de feuilles restantes à la récolte. Toutefois, les effets sur le rendement ont été limités : aucun effet en premier cycle et des pertes de rendement de 11 % en deuxième cycle et de 8 % en troisième cycle. En ce qui concerne le potentiel de conservation, on n’a observé qu’une faible diminution de la DVV sur le dispositif conduit en PINC, et la DVV mesurée a toujours été compatible avec l’exportation des fruits. Cette observation remet en question les critères des exportateurs (nombre de feuilles à la récolte > 4,5) car nous avons ici montré que des fruits ayant moins d’une feuille à la récolte peuvent avoir une DVV compatible avec l’exportation des fruits. Tableau 4.1. Comparaison de la stratégie de protection intégrée non chimique (PINC) avec le témoin traité.

Cycle 1 Cycle 2 Cycle 3

Nombre de feuilles à la récolte

Poids des régimes (kg)

DVV (jours)

Témoin

1,67

19,84

44,42

PINC

0,44

19,68

39,37

Témoin

7,09

26,78

50,85

PINC

5,37

23,04

42,97

Témoin

7,2

28,01

72,84

PINC

3,89

25,63

68,11

Cette comparaison porte sur le nombre de feuilles présentes à la récolte, le poids des régimes à la récolte et la durée de conservation des fruits (DVV).

Perspectives Il s’agit à présent d’expérimenter cette stratégie dans des contextes climatiques plus favorables à la maladie, en zone tropicale humide. Dans de tels contextes où l’impact de la maladie sur le rendement devrait être plus important, il sera vraisemblablement nécessaire d’explorer de


nouvelles pratiques ayant un effet sur le cycle épidémique comme des associations culturales réduisant l’inoculum ou entravant sa dispersion ou l’emploi d’éliciteurs de défenses naturelles.

Gestion agroécologique des insectes telluriques ravageurs du riz pluvial à Madagascar Enjeux de recherche et de développement L’augmentation de la pression foncière sur les zones de bas-fonds des hauts plateaux du centre de Madagascar, a conduit au développement d’une riziculture pluviale sur les collines. Des variétés de riz pluvial adaptées aux conditions climatiques froides des hautes terres ont été développées depuis les années 1980 et sont à présent largement diffusées. Parallèlement, des systèmes de culture avec semis direct sur couverture végétale (SCV) (dits aussi en « agriculture de conservation ») ont été introduits dans le pays pour réduire l’érosion et améliorer la résilience des cultures pluviales aux risques climatiques. Or, les larves et adultes terricoles de certaines espèces de Coléoptères scarabéoïdes causent d’importants dégâts au riz pluvial (Randriamanantsoa et al., 2010), notamment en SCV (Ratnadass et al., 2006). Le traitement insecticide des semences assure une protection efficace contre les dégâts des adultes de certaines espèces au collet, mais pas de ceux des vers blancs aux racines. De toute façon, les coûts économiques, environnementaux et sanitaires de cette technique (avérés ou suspectés) ont justifié des recherches pour s’en affranchir. Dispositifs et méthodologie d’étude de l’effet de systèmes de culture sur les ravageurs telluriques et leur impact sur le riz pluvial Une rotation riz pluvial - soja, conduite à la fois en labour et en SCV depuis 1998-1999, et avec ou sans traitement des semences au Gaucho ® (35 % imidaclopride + 10 % thirame) à 5 g . kg –1 de semences, a été étudiée de 2002 à 2007 sur deux sites des hautes terres du Vakinankaratra


(Andranomanelatra et Ibity) (Ratnadass et al., 2013). Pendant la même période (de 2002 à 2007), une expérimentation de longue durée a été conduite à Andranomanelatra pour comparer six rotations de six ans fondées sur différentes associations culturales, dont l’une en labour et semis direct avec deux niveaux de fumure (R1 : haricot - avoine noire / riz), et une autre uniquement en labour avec un seul niveau de fumure (R2 : maïs + haricot / riz) qui ont fait l’objet d’un suivi entomologique particulier sur quatre répétitions. Les observations ont été effectuées dans chaque parcelle sur une partie où les semences n’étaient jamais traitées, une autre où les semences étaient traitées depuis le début de l’expérimentation (2002) (Gaucho ® à 2,5 g . kg –1 de semences), et en 2006-2007 sur une partie où le traitement de semences a été arrêté en 2006. Sur les deux essais, tous les ans, l’attaque du riz pluvial a été notée au tallage sur tous les traitements sur des placettes de 96 poquets, et le rendement mesuré à la récolte. La première année sur le 1er essai (20022003 ; à t0 + 4 de la rotation), et à la fois la première et la 4e année sur le 2e essai (2002-2003 ; 2006-2007 ; à t0 et t0 + 4 de la rotation respectivement), on a dénombré la macrofaune tellurique. On a par ailleurs effectué des analyses de résidus d’imidaclopride sur des échantillons de sols et de grains de riz prélevés en 2005 à Andranomanelatra dans les parcelles traitées du 1er essai. On a également effectué des analyses de teneurs d’imidaclopride sur des aliquotes des eaux ruisselées durant la 1ère phase de la saison pluvieuse 2006-2007, sur les trois parcelles (répétitions) équipées de lots de contrôle des ruissellements et érosions de 12 m × 1,80 m, d’un dispositif installé en contre-bas de la 2e expérimentation (Douzet et al., 2010). Ces parcelles étaient cultivées en association maïs-haricot (en succession du riz pluvial de 2005-2006), pour chacun des deux modes de gestion du sol (trois ans de labour et trois ans de SCV). Résultats des études conduites sur la gestion agroécologique des insectes telluriques ravageurs du riz pluvial


Sur la rotation du premier essai, on a trouvé, au bout de quatre ans (en 2002-2003), un effet positif du SCV (par rapport au labour) et du traitement de semences, en termes de réduction des attaques de ravageurs et de rendement du riz pluvial, avec un effet positif du SCV, et pas d’effets négatifs du traitement des semences, sur la biodiversité de la faune tellurique (fig. 4.23 et 4.24 ; Ratnadass et al., 2013).

Figure 4.23. Effectifs moyens de la macrofaune du sol par mètre carré observés à l’échantillonnage de février 2003 à Andranomanelatra et Ibity. Valeurs après transformation racine carrée. Les moyennes d’une même couleur surmontées d’une même lettre ne sont pas significativement différentes au seuil de 5 % par la méthode de Newman-Keuls. D’après Ratnadass et al., 2013.


Figure 4.24. Rendements en riz paddy (t/ha) selon le traitement de semences et la gestion du sol, à Andranomanelatra et Ibity, en 2003. Les moyennes surmontées des mêmes lettres ne sont pas significativement différentes au seuil de 5 % par la méthode de Newman-Keuls. D’après Ratnadass et al., 2013.

La seconde expérimentation a encore confirmé des résultats antérieurs sur l’effet du traitement de semences sur les dégâts au riz des insectes ravageurs telluriques, particulièrement Heteronychus spp. En revanche, si avec la seconde rotation (R2 : maïs + haricot / riz, conduite uniquement en labour et au plus faible niveau d’intrant), l’arrêt du traitement de semences après quatre ans ne s’est pas traduit par un « arrière-effet », avec la première rotation (R1 : haricot - avoine noire / riz), ce sont le labour et le plus faible niveau de fertilisation qui ont été les plus suppressifs. Ainsi, au vu de la différence d’attaque entre parcelles non traitées et traitées, le traitement de semences ne se justifiait plus pour la modalité labour - faible fertilisation. Avec les deux niveaux de fertilisation en SCV, un certain « arrière-effet » était observé, mais la différence avec la modalité « traitée », particulièrement au plus faible niveau de fertilisation, continuait à justifier le traitement. Le traitement de semences n’a pas affecté l’abondance de la macrofaune ni


sa diversité. En revanche, les indices de diversité de cette dernière ont diminué significativement après quatre années de culture, sur l’ensemble des systèmes. Les résultats des analyses de grains d’Andranomanelatra n’ont révélé aucun résidu d’imidaclopride détectable au seuil de 0,05 mg . kg –1 sur aucun des échantillons. La teneur du sol en imidaclopride était en moyenne de 0,12 mg . kg –1 en SCV, comparée à 0,03 mg . kg –1 en labour, sans que la différence ne soit toutefois significative. Les quantités d’imidaclopride ruisselées des parcelles en semis direct ont été très faibles (0,17μg . m–²), comparées à celles ruisselées des parcelles labourées (4,61 μg . m–2), la différence étant « marginalement » significative (P = 0,055). Apports pour la transition agroécologique et recommandations Les différences entre les systèmes étudiés dans la première expérimentation et la seconde (effet positif du SCV dans le premier cas, du labour dans le second) sont liées à des différences dans la production de biomasse. Les systèmes les plus performants sont a priori les plus productifs en biomasse, et ceux dont les cultures en rotation/dérobée avec le riz ne sont pas hôtes d’Heteronychus spp., la présence d’une graminée, particulièrement le riz et le maïs, semblant favoriser les attaques. D’après nos résultats sur les teneurs en imidaclopride dans le sol, l’« arrière-effet » relatif observé en SCV dans la 1ère expérimentation, est vraisemblablement dû, plutôt qu’à une rémanence des traitements liée aux résidus dans le sol, à une action accrue des antagonistes des ravageurs sous ce mode de gestion du sol. Ainsi, la modification du milieu induite en SCV (sous réserve qu’il soit producteur de biomasse), sans se traduire forcément par une détoxification au niveau du sol, limiterait les fuites des molécules toxiques dans l’environnement par rapport aux systèmes labourés. Les travaux présentés contribuent à la formation et au transfert de connaissances, par des formations données à des formateurs en SCV, par la production d’un film et d’un guide technique destiné aux producteurs


(Ramanantsoanirina et al., 2015) et, au-delà, par la contribution au montage d’unités d’enseignement dans le cadre de masters, et de MOOC (Massive Open Online Course : cours en ligne ouvert et massif) dans le cadre de l’Université virtuelle d’agroécologie (UVAE)[11]. Ce cas d’étude met ainsi en avant les différentes dimensions de la transition agroécologique : la dimension temporelle, liée à la nécessité d’apprentissage et de maîtrise technique des changements (avec, à cet égard, l’intérêt des dispositifs de type « matrice » pour la formation des producteurs), et au pas de temps nécessaire à l’établissement de nouveaux équilibres vertueux suite à la rupture avec les pratiques conventionnelles (avec, à cet égard, le renseignement des politiques publiques sur la nécessité de mesures d’accompagnement) ; la dimension spatio-temporelle, liée au caractère progressif du processus d’adoption/adaptation par l’ensemble des producteurs d’une région, particulièrement dans ce cas où la mise en SCV d’une parcelle peut augmenter la pression de bioagresseurs sur les parcelles voisines qui ne sont pas menées en SCV (avec, à cet égard, le renseignement des acteurs par l’alimentation du message technique des diffuseurs, en vue de faciliter l’adoption de ces techniques, en termes notamment de processus mis en œuvre et de limites d’application).

Approche de la biodiversité à l’échelle de l’agroécosystème Biodiversité fonctionnelle en viticulture et services de régulation naturelle des ravageurs : quels leviers d’action ? Introduction


Il est maintenant démontré que l’intensification des pratiques agricoles a eu de multiples impacts négatifs sur l’environnement, la biodiversité et les services écosystémiques. Il apparaît donc désormais indispensable de développer des agricultures durables et plus respectueuses de l’environnement. Cet enjeu est particulièrement fort dans les systèmes de culture viticoles qui sont relativement intensifs bien qu’ils présentent parfois des niveaux de biodiversité importants. En effet, la phytoprotection sur vigne est particulièrement intensive avec un indice de fréquence de traitement (IFT) moyen (hors herbicide) de 12,5, soit 20 % de la quantité totale de produits de phytoprotection employée en France pour moins de 4 % de la surface agricole utile (Butault et al., 2010). Le défi de l’agriculture en général et de la filière viticole en particulier est donc de mobiliser les leviers et les stratégies innovantes de gestion compatibles avec ces processus écologiques dans une perspective de durabilité, tout en garantissant la qualité et la régularité de la production. L’optimisation des services de régulation naturelle des bioagresseurs apparaît comme une option intéressante pour assurer la mutation des systèmes de production agricoles qu’ils soient pérennes ou annuels. À l’heure actuelle, nous savons que les communautés d’auxiliaires et les services de régulation associés sont déterminés par des processus agissant à des échelles spatiales multiples allant de la plante au paysage (Tscharntke et al., 2012). Parmi les leviers d’action potentiels, le mode de conduite des cultures et leur contexte paysager sont des facteurs majeurs pour l’optimisation de ces services. Nous détaillons ici les modes d’action de ces leviers et comment les mobiliser dans les systèmes viticoles à différentes échelles spatiales pour l’optimisation des services de régulation naturelle des ravageurs. Leviers d’action mobilisables à l’échelle de la parcelle Actuellement, l’implication des acariens Phytoséiidés dans la régulation naturelle des populations d’acariens phytophages est le seul exemple de succès d’une approche de lutte biologique par conservation en viticulture. Cette réelle alternative à l’utilisation des acaricides n’a pu se concrétiser qu’à la suite d’une adaptation des programmes de traitements aux besoins


phytosanitaires locaux. Autrement dit, il s’agit d’une adéquation parfaite entre applications de produits de phytoprotection et risques réels encourus par la vigne, ainsi que d’une meilleure connaissance des effets non intentionnels de ces produits vis-à-vis des organismes auxiliaires. C’est donc bien l’adaptation des pratiques locales qui a permis la mise en place d’une régulation naturelle efficace. Certes, des échanges de Phytoséiidés entre les lisières et la vigne existent (Sentenac et Valot, 1999 ; Tixier et al., 1999) mais le temps nécessaire à l’installation de populations d’intérêt agronomique n’est pas compatible avec la réalisation répétée de traitements phytosanitaires présentant un effet toxique, sauf cas de résistance. La restauration et le maintien de cet équilibre faunistique sont bel et bien conditionnés à l’utilisation, autant que faire se peut, de produits sélectifs. Sous ces conditions, la vigne est la plupart du temps une plante hôte richement peuplée en Typhlodromus pyri Scheuten ou en Kampimodromus aberrans (Oudemans) qui sont deux espèces d’acariens prédateurs. L’adaptation des pratiques locales permet alors de maintenir les populations d’acariens phytophages (Tétranychidés et Ériophyidés) et de thrips à des niveaux faibles, leurs enlevant ainsi leur statut de ravageur. Il est bien connu que le travail du sol et la gestion des couverts végétaux sont des facteurs importants jouant sur l’activité et la diversité de la faune du sol et in fine sur la régulation naturelle des ravageurs (Altieri, 1999 ; Thorbek et Bilde, 2004). On distingue classiquement les effets de perturbation mécanique liés au travail du sol impactant directement les populations et les communautés, des effets indirects liés à des modifications dans la complexité de l’habitat et aux types d’entretien du sol. Le premier cas recouvre l’ensemble des pratiques du travail du sol (par ex., labour, travail superficiel) qui influence la survie, l’émergence ou le maintien des communautés d’insectes auxiliaires dans les parcelles cultivées. Il est généralement admis que le travail du sol entraîne une mortalité directe des arthropodes du sol. Il peut aussi entraîner une migration importante des individus et donc diminuer l’abondance et le réservoir d’espèces locales. Dans des systèmes de culture annuels, Thorbek et Bilde (2004) estiment ainsi que tous les types de travail du sol ou de gestion du couvert entraînent une diminution de l’abondance des


prédateurs allant de 25 à 60 % en fonction des taxons. En vigne, Sharley et al. (2008) ont montré des effets variables du travail du sol (c.-à-d. 15 cm de profondeur) sur l’abondance et la composition de différents groupes d’invertébrés, incluant des prédateurs et des parasitoïdes. Ces auteurs ont notamment montré un effet négatif du travail du sol sur l’abondance des fourmis, des araignées ou encore des forficules piégés au sol et sur l’abondance de Trichogrammatidés et d’autres parasitoïdes dans la canopée. En revanche, ces auteurs ont montré que plusieurs familles de Coléoptères, incluant certains prédateurs, répondent positivement avec des augmentations de leur abondance. L’effet positif ou négatif direct sur la régulation par les ennemis naturels n’est donc pas clairement démontré. Il n’existe pas à l’heure actuelle de travaux s’intéressant aux effets globaux sur les niveaux de prédation ou de parasitisme des principaux ravageurs de la vigne mais au vu des connaissances actuelles dans les systèmes de culture viticoles et de grandes cultures, il semblerait qu’un travail du sol important tende à diminuer l’abondance des ennemis naturels soit par mortalité directe soit par migration. Le maintien d’un couvert végétal au sol ou encore d’une certaine diversité végétale à l’intérieur d’une parcelle de vigne est favorable au maintien et au développement de nombreux ennemis naturels (Genini, 2000). Ainsi, Danne et al. (2010) ont montré que la mise en place de couverts végétaux composés d’espèces indigènes augmentait nettement l’abondance des prédateurs et parasitoïdes dans un vignoble australien. De plus, ces auteurs ont également montré que la présence de ce type de couvert végétal entraînait une meilleure régulation d’une des principales espèces de pyrale s’attaquant à la vigne en Australie (Epiphyas postvittana). Différents auteurs se sont intéressés aux effets des modes de gestion de l’enherbement sur la biodiversité des invertébrés en viticulture. Thomson et Hoffmann (2007) ont ainsi démontré que le mulching augmentait l’abondance des carabes, des Hyménoptères parasitoïdes, des Hémiptères prédateurs, des Diptères parasitoïdes et des araignées, et cela sans augmenter les abondances d’insectes phytophages. Bruggisser et al. (2010) ont comparé la fauche et le mulching et ont ainsi montré que la pratique du mulching augmentait significativement la diversité et l’abondance des araignées et des criquets en systèmes viticoles. Enfin, une méta-analyse (toutes cultures) récente a mis en évidence que


l’augmentation de la diversité végétale intra-parcellaire augmentait significativement l’abondance et la diversité des ennemis naturels et diminuait les populations d’insectes phytophages et leurs dégâts sur la culture (Letourneau et al., 2010). Sur la base de l’ensemble de ces travaux, il apparaît donc que la présence d’un couvert végétal et la mise en place d’une gestion adaptée sont des leviers mobilisables pour l’optimisation de la régulation naturelle en viticulture. Leviers d’action mobilisables dans l’environnement paysager Les bords de champs peuvent rendre un certain nombre de services dans les paysages agricoles, comme la conservation de certaines espèces, la limitation de la dérive des produits de phytoprotection ou encore la régulation naturelle. Il est maintenant bien connu que la présence de ressources en fleurs (semées ou naturelles) dans ces habitats est un point clé pour le maintien local de certaines espèces de parasitoïdes ou de prédateurs (Landis et al., 2000). Des travaux menés dans différents agroécosytèmes ont ainsi montré que la présence de ressource en fleurs et/ou en nectar permettait d’augmenter la fécondité et la longévité des femelles de certaines espèces de parasitoïdes (Lee et Heimpel, 2008) et les taux de parasitisme des insectes phytophages (Lavandero et al., 2005). Plusieurs travaux ont notamment été menés dans les systèmes viticoles. Il a par exemple été montré que la présence de sarrasin dans l’inter-rang permettait d’augmenter significativement l’abondance de certains parasitoïdes ou le taux de parasitisme de différentes tordeuses de la vigne (Simpson et al., 2011). Un corpus de connaissances récentes indique un effet important du contexte paysager sur les communautés d’ennemis naturels, d’insectes phytophages et sur la régulation naturelle dans les agroécosystèmes (Chaplin-Kramer et al., 2011). Ces études ont particulièrement mis en évidence un effet positif de la proportion d’habitats semi-naturels (HSN) sur le niveau de régulation des populations de bioagresseurs. En effet, une large majorité d’espèces d’auxiliaires dépendent d’habitats semi-naturels (bois, haies ou zones herbacées) durant leur cycle de vie (Landis et al., 2000). Quelques études récentes s’intéressent aux effets du paysage sur la


régulation naturelle des bioagresseurs de la vigne. Différentes études ont montré un effet positif de la présence de HSN adjacents sur la colonisation par les prédateurs et leur abondance au sein des parcelles de vigne (Hogg et Daane, 2010). Des études conduites en Australie et en Californie ont montré des effets positifs de la proportion de HSN dans le paysage sur l’abondance et la diversité de différentes espèces d’ennemis naturels, montrant des effets significatifs pour plusieurs familles de parasitoïdes (Hogg et Daane, 2010). L’ensemble de ces connaissances met en évidence les leviers potentiels existants à l’échelle du paysage. Cependant, aucune étude ne se propose encore de mesurer la régulation réelle des populations d’insectes phytophages dans les parcelles de vignes le long de gradients paysagers. De plus, les conséquences fonctionnelles de ces changements dans la structure des communautés d’ennemis naturels sur les taux de prédation restent également encore mal connues. L’avifaune fait actuellement l’objet d’études en viticulture (Bouvier et al., 2012), dans la mesure où les oiseaux sont considérés comme des indicateurs biologiques pour l’évaluation de l’impact environnemental des changements des pratiques agricoles, y compris celui de la simplification de la structure du paysage. De ces travaux, toujours en cours, il ressort que la richesse spécifique et l’abondance de l’avifaune sont corrélées positivement à la proportion de HSN dans l’environnement proche de la parcelle (de l’ordre de 100 m). Le rôle potentiel des oiseaux dans la régulation des ravageurs de la vigne reste à évaluer et fait l’objet de différents travaux. Conclusion Plusieurs leviers opérant à des échelles spatiales et temporelles différentes apparaissent donc mobilisables pour optimiser l’abondance et la diversité des ennemis naturels ainsi que les services de régulations naturelles dans les paysages viticoles. Si la dépendance contextuelle de ces différents leviers reste encore largement à explorer, les connaissances actuelles suggèrent d’importantes marges de manœuvres dans ces systèmes de production consommant beaucoup de produits phytosanitaires. De plus, l’état de l’art actuel indique des manques de connaissance importants


notamment sur les relations entre structure et fonctionnement des communautés d’ennemis naturels ou entre la structure des communautés et les niveaux moyens du service (ainsi que leurs stabilités temporelles). Les nombreux travaux en cours actuellement en France et à l’international permettront d’apporter des éclairages sur ces questions.

Des habitats semi-naturels pour la biodiversité fonctionnelle en France À la recherche de ressources vitales, souvent hors parcelle Neuf auxiliaires zoophages sur dix ont la nécessité de quitter la parcelle cultivée et d’atteindre des HSN, tels que forêts et lisières, haies et alignements d’arbres, friches, jachères, fossés, prairies naturelles et autres simples bords de champs voire lignes de clôtures permanentes, à une période donnée de l’année afin d’accomplir une ou plusieurs phases de leur cycle biologique. Seulement cinq ravageurs sur dix sont dans ce cas. Quant aux pollinisateurs, considérant les deux principaux groupes étudiés que représentent les Apiformes et les Diptères syrphidés, il est bien établi que les premiers ne se reproduisent pas dans les parcelles cultivées (hormis le cas particulier, encore très mal connu, de parcelles en semis direct), et que les seconds ont pour la quasi-totalité des espèces, c.-à-d. autres qu’auxiliaires zoophages, besoin pour leur reproduction d’habitats (semi-)naturels particuliers. Quant aux quelques syrphidés auxiliaires zoophages, ils peuvent par définition se reproduire dans les parcelles cultivées et potentiellement s’y nourrir au stade adulte de ressources florales, mais les HSN restent déterminants car l’offre en ressources trophiques (proies pour les larves, nectar et pollen pour les adultes) y est plus stable qu’en parcelles agricoles et le risque de mortalité par traitements insecticides quasi nul. Ainsi, au-delà de la localisation géographique d’une parcelle sur un planisphère et des pratiques agricoles récentes ou anciennes sur celle-ci et au voisinage, facteurs qui vont influencer le niveau de biodiversité trouvée dans toute parcelle agricole, les HSN représentent des entités paysagères alentour d’importance pour expliquer la biodiversité ordinaire, mais aussi fonctionnelle qu’elle héberge. Ces espaces non cultivés fournissent à ces organismes auxiliaires


des ressources parfois vitales pour leur survie, telles que proies et hôtes alternatifs, pollen, nectar ou encore microclimat plus tamponné qu’au sein de la culture. Les ressources florales que sont le pollen et le nectar peuvent être obligatoires, comme pour les adultes de syrphidés ou de nombreux parasitoïdes (et une offre large et variée permet une bonne adéquation avec les besoins quantitatifs mais aussi qualitatifs des insectes, ce qui augmente leur longévité et leur fécondité) ou bien facultatives pour les arthropodes dits strictement carnivores. Toutefois, il a été montré que même ces derniers voient leur longévité et fécondité, améliorées grâce à ces ressources (Wäckers et al., 2005). Ainsi, les auxiliaires sont amenés à effectuer des allers et retours fréquents entre les parcelles agricoles leur offrant un type de ressource(s) nécessaire(s) à un moment précis de leur cycle, et les HSN alentour, plus stables et plus diversifiés que les cultures. Ces derniers leur offrent une ou plusieurs ressources, soit complémentaires quand ces dernières sont différentes des premières, et l’on parle alors de complémentation, soit supplémentaires quand elles sont de même nature (car les premières étaient en quantité insuffisante dans les parcelles), et l’on parle alors de supplémentation. Le contrôle biologique des ravageurs et la pollinisation plus intenses dans des paysages riches en habitats semi-naturels de qualité Les conséquences de ces déplacements entre habitats cultivés et HSN sont importantes en termes de dépense énergétique et donc de besoins en sucres, de même qu’en termes d’efficacité des services de biocontrôle et de pollinisation, efficacité qui devient dépendante de la composition et de la configuration du paysage. Il est en effet bien démontré aujourd’hui que les paysages agricoles complexes, façonnés par des systèmes de culture peu intensifs, donc plus aptes à offrir des HSN de bonne qualité écologique (c.-à-d. offrant des ressources nombreuses et variées), favorisent non seulement la diversité des communautés d’ennemis naturels zoophages (Veres et al., 2013) et de pollinisateurs (Kennedy et al., 2013), mais favorisent aussi d’une part le contrôle biologique des ravageurs et


l’atténuation de leurs dommages aux cultures (Veres et al., 2013), et d’autre part la pollinisation (Martins et al., 2015). Au vu de ces éléments, il devient logique d’émettre l’hypothèse que ces services seront mieux assurés au sein de parcelles agricoles de petite taille (les HSN environnants étant alors peu éloignés de tout point de chaque parcelle), et au sein ou à proximité d’exploitations agricoles riches en HSN, peu intensives ou biologiques (les HSN environnants étant peu ou pas impactés par les dérives des traitements phytosanitaires). En ce qui concerne ce dernier point, Gosme et al. (2012) ont montré que la présence dans un paysage d’exploitations en agriculture biologique réduisait la pression en pucerons dans les cultures environnantes, qu’elles soient biologiques ou conventionnelles. Quant à la taille des parcelles, Fahrig et al. (2015) ont observé une corrélation négative et systématique entre leur taille moyenne et les niveaux de biodiversité fonctionnelle relevés dans les parcelles en syrphes, abeilles sauvages, carabes et araignées (mais aussi plantes, oiseaux et papillons). Traduits en niveaux d’expression des services de contrôle biologique des ravageurs et de pollinisation, Rusch et al. (2015) ont montré que l’intensité et la stabilité du premier service augmentent avec la richesse du paysage en HSN et avec la longueur et la complexité des successions culturales dans le paysage. La pollinisation des cultures est elle aussi favorisée par les HSN alentour et la complexité paysagère (Martins et al., 2015) mais une influence majeure des pratiques agricoles semble se dessiner par le biais du niveau de richesse floristique qu’elles déterminent au sein des parcelles. Ainsi et de ce fait, les pratiques biologiques s’avèrent plus favorables aux pollinisateurs que les conventionnelles (Kennedy et al., 2013). Plus que le paysage, les caractéristiques des habitats semi-naturels orientent le choix des auxiliaires Dès lors, la question de la composition et de la configuration du paysage aux alentours des parcelles cultivées, notamment en ce qui concerne les HSN, devient centrale. Sarthou et al. (2014) ont démontré que les facteurs environnementaux lato sensu les plus influents sur la structure des communautés d’auxiliaires (Anthocoridés, Carabidés, Chrysopidés, Coccinellidés, Hémérobidés, micro-Hyménoptères parasitoïdes,


Syrphidés) hivernants, étaient les types d’habitats (en l’occurrence les bandes enherbées PAC étaient les plus favorables, et les habitats forestiers les moins favorables) ainsi que les paramètres locaux de gestion (intensité) et de structure des habitats (hauteur de végétation, proportion de monocotylédones/dicotylédones et de sol nu, degré de fermeture du milieu…), de façon spécifique selon les divers taxons étudiés. Les facteurs paysagers proches (à 30 et 60 m) et mi-distants (à 120 et 250 m) de composition en habitats (prairies, terres labourées, forêts, jachères, friches) sont apparus comme jouant quant à eux un rôle respectivement modéré et minime. De plus, au sein d’un même type d’habitat, des différences de composition et de structure du milieu peuvent avoir des effets sur les communautés d’auxiliaires. Ainsi, Rouabah et al. (2015) ont montré que la richesse spécifique des communautés de carabes, notamment des petites espèces, dans les bandes herbeuses en bord de champ, était principalement et positivement liée à la diversité fonctionnelle des plantes. L’hétérogénéité de la végétation et le pourcentage de sol nu se sont révélés quant à eux avoir des effets respectivement négatifs et positifs sur l’activité-densité de ces auxiliaires (notamment sur les grandes espèces de carabes, et légèrement sur les moyennes). Standardiser les protocoles de description des habitats seminaturels et cultivés, pour mieux prédire des services écosystémiques Tous ces résultats démontrent clairement la nécessité d’une description précise des HSN comme des habitats cultivés si l’on veut comprendre d’un point de vue fonctionnel les effets des facteurs environnementaux (hétérogénéité du paysage, pratiques de gestion) sur les auxiliaires (Veres et al., 2013) et donner des conseils avisés de gestion de ces milieux aux agriculteurs. Ces dernières années, différents protocoles de suivi de la biodiversité et de son contexte paysager ont été proposés (par ex., Corine Land Cover, Land Use Cover Area Survey [Lucas], European Biodiversity Observation Network [Ebone], Biodiversity monitoring on organic and low-input farming systems [BioBio], National Inventory of the Landscape of Sweden [Nils]). Le pourcentage des types d’occupation du sol a toujours été l’indicateur le plus utilisé dans les programmes de recherche et de


suivi. Le protocole de suivi proposé par Bunce et al. (2008) dans le cadre d’Ebone, avait quant à lui pour objectif de standardiser les catégories et les protocoles d’inventaire d’habitats (cultivés et semi-naturels) pour permettre des études à plus large échelle (de régionale à européenne) en développant une procédure répétable de suivi des habitats à l’intérieur d’un élément du paysage, par étude cartographique et relevés de terrain. Cette méthode repose sur une classification en General Habitat Categories (GHC) inspirées de la classification des formes de vie végétale de Raunkiaer (1934), à laquelle s’ajoutent des caractéristiques complémentaires concernant l’environnement et la gestion des habitats (Bunce et al., 2011). La méthode a le mérite de s’intéresser également aux HSN linéaires et ponctuels, parfois négligés bien qu’étant particulièrement présents et importants dans les paysages agricoles. En ce qui concerne la relation entre structure paysagère (composition et/ou configuration) et provision de services écosystémiques, relation qu’il est important de considérer pour une évaluation rapide de ces derniers, Geijzendorffer et Roche (2013) ont démontré que les services de provision et de régulation étaient représentés au mieux par les indicateurs issus des programmes de suivi des habitats comme Ebone, Nils et BioBio, les deux premiers étant ceux qui obtiennent généralement les meilleurs scores. La méthode BioBio étant une adaptation du programme Ebone au cas précis de l’étude des exploitations agricoles, elle réalise des scores plus faibles dans l’analyse de Geijzendorffer et Roche (2013) car moins généralisable. Néanmoins, le succès du programme européen BioBio (Herzog et al., 2012) pour la mise au point d’indicateurs de biodiversité fonctionnelle à l’échelle des exploitations agricoles, démontre qu’il est possible d’affiner les indicateurs sur la base d’un des programmes précédents, en l’occurrence Ebone, pour répondre à une question plus spécifique. Quant aux proportions de type d’occupation du sol, cet indicateur montre une corrélation limitée avec la provision de services écosystémiques car il repose sur une trame trop grossière d’éléments du paysage, négligeant les habitats dont ils sont constitués et le type de gestion appliquée.

Approche de la conception et évaluation multicritère de systèmes de culture innovants


Rés0Pest : un réseau expérimental de systèmes de culture sans pesticide en polyculture Afin de réduire la dépendance structurelle des systèmes de culture aux pesticides, les exploitations doivent infléchir leurs trajectoires techniques, soit pas-à-pas, soit avec de fortes ruptures. Afin de disposer de références techniques et d’une plateforme expérimentale accessible à différentes communautés de chercheurs, le réseau Protection intégrée des cultures Inra/Cirad[12] a mis en place en 2012 un réseau expérimental baptisé Rés0Pest avec un fort niveau de rupture vis-à-vis de l’utilisation des pesticides (encadré). Rés0Pest est en effet un réseau expérimental de systèmes de culture « zéro pesticide » en grande culture et en polycultureélevage (fig. 4.26). Il regroupe huit unités expérimentales de l’Inra, un lycée agricole (EPLEFPA Toulouse-Auzeville) et une unité mixte de recherche (UMR 0211 Agronomie).

Rés0Pest : un réseau expérimental fédérateur Le réseau Rés0Pest a été initié et mis en place par le réseau Protection intégrée des cultures Inra-Cirad. Il bénéficie de l’appui méthodologique du réseau mixte technologique Systèmes de culture innovants (www.systemesdecultureinnovants.org ). Une étude de faisabilité financée par le groupement d’intérêt scientifique Grande culture à hautes performances économique et environnementale (www.gchp2e.fr ) avait d’abord été conduite en 2010-2011 pour préciser les objectifs du réseau, fédérer un groupe d’expérimentateurs (Inra et l’établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricole d’Auzeville) prêts à s’investir, et préparer ainsi une réponse collective au premier appel d’offres du réseau Dephy EXPE (2012-2017) du dispositif Écophyto.


Figure 4.25. Localisation des essais systèmes de culture sans pesticide Rés0Pest. En marron, les sites en grande culture et en vert les sites en polyculture-élevage. L’essai SCA0Pest est un essai de système de culture agroforestier sans pesticide avec lequel de nombreux échanges méthodologiques ont lieu.

Pourquoi un réseau expérimental « zéro pesticide » ? Rés0Pest a pour finalité de produire des connaissances mobilisables pour la conception de systèmes de culture innovants minimisant le recours aux pesticides, en combinant des techniques alternatives et en valorisant les régulations biologiques, en grande culture et en polyculture-élevage. Ses


objectifs sont de concevoir et expérimenter des systèmes de culture « zéro pesticide » (fig. 4.25) dans différentes situations de production, d’en évaluer les performances agronomiques, économiques, environnementales et sociales, et d’analyser le fonctionnement de ces agroécosystèmes particuliers, notamment les dynamiques des populations et les régulations biologiques au sein des biocénoses. Un niveau de rupture fort pour aboutir à des systèmes de culture originaux dans une large gamme de situations de production L’objectif de Rés0Pest est de tester des systèmes de culture sans pesticide comportant les principales productions régionales et aboutissant à des niveaux de production satisfaisants pour l’agriculteur. La contrainte forte du « zéro pesticide » conduit à imaginer et à explorer des combinaisons de techniques culturales originales, y compris celles conduisant à des échecs techniques le cas échéant, et à en analyser les causes. En conséquence, Rés0Pest n’a pas vocation à diffuser des systèmes de culture « clés en main » pour les agriculteurs mais, par son positionnement très en rupture, correspond à un outil à destination de la recherche et du développement pour : acquérir des références originales sur des systèmes de culture ayant une contrainte « zéro pesticide » (par ex., dans les bassins de captage) ; évaluer la robustesse des principes de la protection intégrée mobilisés dans la conception de ces systèmes de culture ; étudier les services de régulation biologique qui se mettent en place dans des systèmes de culture sans pesticide ; identifier des verrous techniques lors de l’évaluation ex post des systèmes de culture « zéro pesticide » ; identifier des pistes de recherche sur les différents thèmes présentés ci-dessus.


Une expérimentation système avec des systèmes de culture construits selon les principes de la protection intégrée Chaque expérimentateur responsable d’un site expérimental, sous réserve de satisfaire l’ensemble des contraintes et objectifs communs, gère la conception du système de culture à expérimenter, en adaptant les facteurs tels que les espèces cultivées, les variétés, les dates de semis et les techniques culturales, à la situation de production (type de sol, climat, filières, paysages). La méthode de conception suivie a été celle formalisée dans le guide pratique pour la conception de systèmes de culture plus économes en produits phytosanitaires (guide Stephy, Attoumani-Ronceux et al., 2011). Chaque atelier de conception était constitué entre autres d’un animateur, membre du RMT Systèmes de culture innovants, de responsables expérimentaux apportant les connaissances des pratiques locales, et d’au moins un représentant de l’équipe d’animation pour assurer la cohérence entre les systèmes de culture du réseau. Les systèmes de culture ont été construits en combinant des techniques alternatives éprouvées ou suggérées par la bibliographie et les connaissances actuelles sur les bioagresseurs, en vue de réduire leurs risques de développement, en favorisant notamment la mise en place de régulations biologiques. Ces techniques alternatives ont été combinées à l’échelle de la succession culturale et à l’échelle de chaque culture, le tout intégrant les services écosystémiques rendus par les abords des parcelles (fig. 4.26 et 4.27).


Figure 4.26. Exemple de la succession culturale testÊe sur le site de Bretenière.


Figure 4.27. Vue aérienne du dispositif Rés0Pest du site de Bretenière montrant les quatre parcelles expérimentales et leurs abords (assolement 2013-2014).

Des outils communs pour faciliter les échanges Rés0pest utilise les outils et méthodes du RMT Systèmes de culture innovants auquel il est affilié pour la description des systèmes de culture testés et la synthèse annuelle notamment. Ces outils sont importants car ils permettent une harmonisation qui facilite la remobilisation des résultats expérimentaux et leur transmission. En les utilisant, Rés0Pest participe à leur amélioration par leur mise à l’épreuve. Dans une expérimentation système de culture, le pilotage des systèmes de culture testés se fait à l’aide d’un ensemble de règles de décision qui permettent d’adapter la succession des cultures et la conduite de chaque culture au contexte de l’année, pour atteindre les objectifs assignés aux systèmes de culture. Ces règles de décision sont aussi un outil essentiel à la transmission du système de culture car elles explicitent les objectifs recherchés et les résultats attendus par le pilote du système de culture ainsi que les solutions pour y parvenir. Un premier bilan après trois années d’expérimentation


Le réseau a été initié en 2012 : conception de sept des huit systèmes de culture expérimentés (celui de Grignon ayant été initié en 2008), définition du cahier des charges des dispositifs expérimentaux, choix des parcelles expérimentales et description de leur état initial, implantation des premières cultures. L’équipe d’animation a initié des formations pour les expérimentateurs et favorisé les partages d’expériences aussi bien sur la conduite d’expérimentation « systèmes de culture » que sur le pilotage et la maîtrise technique de nouveaux systèmes de culture. L’utilisation d’outils communs pour définir les observations à réaliser, collecter les données et décrire et analyser les résultats annuels a permis de bien harmoniser le travail réalisé par chacun afin de faciliter les exploitations ultérieures à l’échelle du réseau. L’ancrage régional, recherché par le réseau, se concrétise par l’implication, dans les différentes étapes de l’expérimentation, de conseillers agricoles, d’agriculteurs, d’ingénieurs régionaux d’instituts techniques, de chercheurs, d’enseignants et d’interlocuteurs de structures économiques locales, source importante d’échanges techniques. Des partenariats ont été développés avec plusieurs unités de recherche de l’Inra, ces expérimentations ayant vocation à servir de support à des questions de recherche de disciplines très variées (agroécologie, malherbologie, entomologie, etc.). Rés0Pest entretient également des relations étroites avec l’Institut LaSalle Beauvais qui conduit le projet Dephy EXPE Écophyto Sca0Pest, essai système de culture agroforestier « zéro pesticides ». Comme pour toute expérimentation de type « systèmes de culture », les premières conclusions ne pourront être produites qu’au terme du premier cycle de rotation, soit après cinq à neuf années d’essai selon le site expérimental considéré, afin de pouvoir prendre en compte les effets cumulatifs. Néanmoins, un premier bilan général peut être tiré à l’issue des deux premières campagnes expérimentales. Les résultats obtenus entre régions sont très contrastés avec des réussites mais aussi des échecs en termes de rendement obtenu pour certaines cultures. L’une des tâches importantes des expérimentateurs a consisté à réaliser un diagnostic, pour identifier les


causes des succès ou des échecs, et adapter les règles de décision en conséquence. Le jeune réseau Rés0Pest a permis d’utiliser une méthode participative de conception de systèmes de culture, basée sur des ateliers collectifs et interactifs valorisant des savoirs experts. Le partage d’un cahier des charges commun a permis de mettre à l’épreuve un ensemble de systèmes de culture originaux adaptés à un ensemble de situations de production contrastées (en termes de sols, de climats, de paysages, et/ou de filières). Cette diversité est caractérisée par des protocoles communs de caractérisation des états du milieu, des états de peuplement et de la composante biotique. À terme, le dispositif produira donc des références et des nouvelles connaissances sur le fonctionnement d’agroécosystèmes particuliers puisqu’exempts d’applications de pesticides. Du point de vue de la production de connaissances, les interactions entre systèmes de culture et situations de production seront mieux comprises en termes de dynamiques biotiques, aussi bien pour les bioagresseurs que les auxiliaires. Sur certains sites, la caractérisation des régulations biologiques devrait également permettre de mieux comprendre le fonctionnement d’agroécosystèmes où la composante biotique n’est pas soumise à un ensemble de pesticides (insecticides, fongicides, herbicides, nématicides, molluscicides, rodenticides). Rés0Pest permettra une analyse in situ de la faisabilité de la mise en œuvre des systèmes de culture proposés. Cette mise en œuvre sera systématiquement associée à une évaluation multicritère des performances des systèmes de culture agroécologiques mis en place, non seulement en termes de maîtrise des bioagressions, mais aussi en termes de performances économiques pour l’agriculteur (selon différents scénarios de prix des produits agricoles), sociales (production quantitative et qualitative de biens agricoles pour la société, temps de travail, organisation des chantiers au sein de l’exploitation) et environnementales (efficience énergétique, émission de gaz à effet de serre, préservation de la ressource hydrique et de la biodiversité). Enfin, les différents sites expérimentaux serviront de supports pédagogiques à des sensibilisations ou des formations techniques, qu’elles


soient continues (groupes d’agriculteurs ou de conseillers, via le RMT Systèmes de culture innovants notamment), ou initiales (cas particulier du site de l’EPLEFPA Toulouse-Auzeville). Ainsi, Rés0Pest a-t-il vocation à contribuer à la transition agroécologique d’exploitations agricoles dédiées à la polyculture, associées ou non à des systèmes d’élevage, et ce, aussi bien pour des exploitations en agriculture biologique, que pour des exploitations conventionnelles.

Conclusion Les travaux relevant des cas d’étude présentés dans ce chapitre contribuent chacun à la transition agroécologique à divers titres, comme illustré dans la figure 4.28, selon des « clés » qui seront explicitées dans le chapitre 5.


Figure 4.28. Positionnement des sept cas d’études présentés en fonction des quatre clés de la transition agroécologique. CAM : choisir et adapter les méthodes ; GIC : générer et intégrer les connaissances ; MOEP : mettre en œuvre et évaluer les pratiques ; FTC : se former et transmettre les connaissances.

Ainsi, la contribution du cas d’étude des pratiques agroécologiques pour la gestion des bioagresseurs telluriques en cultures maraîchères sous abri, se fait en termes (fig. 4.28a) : avant tout de génération et d’intégration de connaissances, plus particulièrement concernant l’analyse des effets des pratiques agricoles sur les pressions biotiques et sur la biodiversité


fonctionnelle du sol (Projet Batica) ; également, de mise en œuvre et évaluation de pratiques (Projet Prabiotel et étude économique). Dans le cadre du cas d’étude relatif à la gestion agréocologique du flétrissement bactérien de la tomate en Martinique, cette contribution se fait en termes (fig. 4.28b) : avant tout de génération et d’intégration de connaissances, plus particulièrement concernant l’analyse des effets des pratiques agricoles sur les pressions biotiques et sur la biodiversité fonctionnelle du sol ; également de choix et d’adaptation de méthodes, en validant une démarche scientifique d’évaluation des plantes de service en plusieurs étapes, et les dispositifs d’expérimentations au laboratoire, en serre et en plein champ ; dans une moindre mesure, de mise en œuvre et évaluation de pratiques (avec l’expérimentation en plein champ chez un agriculteur). La gestion de la strate herbacée en vergers de pommiers en France contribue à la transition agroécologique en termes (fig. 4.28c) : de choix et d’adaptation de méthodes pour analyser directement le service rendu (prédation) et expérimenter des systèmes de culture dans leur complexité ; dans une moindre mesure, de mise en œuvre et d’évaluation de pratiques préconisées ou effectivement observées ; et, surtout de génération et d’intégration de connaissances, plus particulièrement concernant l’analyse des effets des pratiques agricoles sur la biodiversité fonctionnelle aérienne et sur les pressions biotiques. Dans le cadre du cas d’étude concernant la gestion agroécologique des mouches en vergers de manguiers au Bénin, cette contribution se fait en termes (fig. 4.28d) : avant tout de génération et intégration de connaissances, plus particulièrement concernant l’analyse des effets des pratiques agricoles sur les pressions biotiques et sur la biodiversité fonctionnelle aérienne ; également de mise en œuvre et évaluation de pratiques (avec le suivi et la conduite d’expérimentations en vergers pilotes avec les producteurs) ; mais aussi de formation et de transfert de connaissances auprès de tous les acteurs de la filière. Pour sa part, le cas d’étude relatif à la gestion agroécologique des bioagresseurs du bananier en République dominicaine, contribue en termes (fig. 4.28e) : avant tout de mise en œuvre et évaluation de pratiques


(agriculture biologique, protection intégrée non chimique) ; également de génération et intégration de connaissances, particulièrement concernant l’analyse des effets bénéfiques de l’introduction d’une diversité végétale dans les systèmes bananiers en AB. Par ailleurs, la contribution du cas d’étude de la gestion agroécologique des insectes telluriques du riz pluvial à Madagascar se fait en termes (fig. 4.28f) : avant tout de génération et intégration de connaissances, plus particulièrement concernant l’analyse des effets des pratiques agricoles sur les pressions biotiques et sur la biodiversité fonctionnelle du sol ; également, en termes de choix et adaptation de méthodes, en validant les dispositifs d’évaluation des impacts des systèmes de culture sur les dégâts des insectes terricoles, notamment avec les différentes modalités de traitement de semences ; enfin, en termes de formation et transfert de connaissances. Enfin, le cas d'étude Rés0Pest contribue en termes (fig. 4.28g) : avant tout de mise en œuvre et évaluation de pratiques ; également en termes de choix et adaptation de méthodes (méthode de conception de systèmes, dispositif d’expérimentation en réseau, collecte des données et analyse des résultats) ; en termes de génération et intégration de connaissances, plus particulièrement concernant l’analyse des effets des pratiques agricoles sur les pressions biotiques et sur la biodiversité fonctionnelle, l’agriculture biologique ; dans une moindre mesure, en termes de formation et de transfert de connaissances (lien avec le RMT Systèmes de culture innovants et cas particulier du site de l’EPLEFPA ToulouseAuzeville). Considérés dans leur ensemble (fig. 4.28h), ces cas d’études recouvrent les quatre dimensions prises en compte. Toutefois, chacun d’eux pris séparément n’en recouvre que deux ou trois (à l’exception du dernier cas d’étude concernant le réseau Rés0Pest, cas particulier dans la mesure où il s’agit précisément d’un réseau). La gamme relativement large de situations de production couverte devrait toutefois permettre de tirer des leçons génériques de cet ensemble d’expériences. À l’instar du dernier cas d’étude (Rés0Pest), les expériences réunionnaises relatées dans cet ouvrage, à savoir celles des projets Gamour et Biophyto,


bien que forcément très « situées », se distinguent donc des autres expériences présentées dans ce chapitre 4 par le fait que chacune d’elles contribue à toutes les quatre clés de la transition agroécologique considérées, comme cela apparaît dans leur représentation graphique dans la figure 4.29. En particulier, la dimension « formation/transfert » relativement négligée dans les cas d’études de ce chapitre, y est bien prise en compte.

Figure 4.29. Positionnement des expériences Gamour et Biophyto en fonction des quatre clés de la transition agroécologique. CAM : choisir et adapter les méthodes ; GIC : générer et intégrer les connaissances ; MOEP : mettre en œuvre et évaluer les pratiques ; FTC : se former et transmettre les connaissances. 9. Merci à S. Maugin (Inra Avignon) pour la fourniture d’œufs de carpocapse, A. Lachaize-Muller (Inra Avignon) pour son aide au verger et au laboratoire et toute l’équipe Système verger agroécologique de l’Inra Gotheron pour entretenir et faire vivre le dispositif BioReco. Ces travaux ont reçu des financements du 7 e plan-programme de l’Union européenne (FP7/2007-2013, grant agreement n° 265865), du programme ANR DynRurABio et du métaprogramme Inra SMaCH pour le financement de la thèse ayant permis l’étude de la hauteur du couvert herbacé. 10. Avec la collaboration de F. Peguero, R. Le Guen et M. Dorel. 11. https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/courses/INTROAGROECOLOGIE (consulté le 12 août 2015). 12. www.inra.fr/reseau-pic .


Chapitre 5 Les clés de la transition agroécologique Introduction Donner les clés de la transition vers la PAEC peut sembler à première vue trop ambitieux, voire irréaliste au regard de la diversité des contextes et des projets. Dans ce chapitre, nous nous sommes attachés à dresser un bilan des différentes expériences présentées dans cet ouvrage en identifiant des éléments communs aux différents projets présentés dans les chapitres précédents. Il ne s’agit pas ici de proposer un vade-mecum avec des solutions prêtes à l’emploi, mais de faire ressortir la généricité de la démarche de mise en œuvre de la PAEC au travers des quatre étapes qui nous semblent essentielles pour assurer les nécessaires transitions vers la PAEC : choisir et adapter les méthodes ; générer et intégrer les connaissances ; mettre en œuvre, évaluer les pratiques ; se former et transmettre les connaissances (fig. 5.1).


Figure 5.1. Les quatre étapes pour construire un projet de transition vers la PAEC.

Les trois premières étapes s’inscrivent dans une séquence logique, les aborder dans cet ordre permet de préserver la cohérence de la démarche. En premier lieu, il s’agit de mettre au point la combinaison d’un ensemble de méthodes articulées de manière à atteindre un niveau de gestion satisfaisant des bioagressions. Pour ce faire, il sera utile de mobiliser des techniques élémentaires (qu’elles soient biologiques, culturales, génétiques, physiques, biochimiques ou chimiques) qui seront intégrées dans des systèmes de culture ad hoc. Il est donc nécessaire d’articuler expérimentation / diagnostic en parcelles agricoles / modélisation pour bâtir des stratégies de gestion agroécologique de la biodiversité. Ensuite, il est nécessaire d’intégrer les connaissances et une section du chapitre sera consacrée à la manière d’y parvenir. Enfin, vient le temps de la mise en œuvre des stratégies de PAEC et de leurs évaluations, dans une boucle de progrès dynamique. La quatrième étape est plus transversale, elle dépend du type de connaissances à transmettre et du profil des acteurs. A priori, il semble logique de placer la formation en début de projet. Cependant l’expérience montre que souvent « le geste précède la pensée » et nombreux sont les projets débutant avec des acteurs qui ont un profil de connaissances de l’agroécologie très hétérogène, voire parfois aucune connaissance dans ce domaine. Certains disposent d’un savoir académique fort mais de peu d’expérience de terrain, d’autres ont une vision empirique de la problématique résultant de plusieurs années de pratiques, mais sans verbalisation. Des changements de postures apparaissent, le sachant entre dans la peau de l’apprenant. Cette partie traitant de la transmission des connaissances a pour but de proposer une réflexion sur la manière d’aborder l’enseignement de l’agroécologie en général, et de la PAEC en particulier, dans les structures dédiées à la formation du monde agricole. Elle montre également comment les acteurs peuvent acquérir des connaissances tout au long de leur parcours professionnel grâce à l’autoformation, à l’outil numérique et aux formations professionnelles. Le mot de la fin est donné aux pouvoirs publics et aux agriculteurs. Situés aux deux extrémités d’un projet de transition vers la PAEC, ces acteurs nous livrent d’une part des pistes sur la manière dont les plans et les


mesures incitatives peuvent accélérer les projets, et d’autre part des témoignages sur leurs trajectoires vers une transition réussie.

Choisir et adapter les méthodes Il s'agit en fait de s'appuyer sur une démarche ordonnée et une méthodologie cohérente : connaître l'éventail des techniques de protection disponibles en PAEC, s'appuyer sur un diagnostic exhaustif, réaliser les expérimentations systèmes et développer les modèles adaptés.

Une vision synoptique des méthodes disponibles pour construire la PAEC La transition agroécologique nécessite la mise en place, sur une large échelle, de la PAEC. Il est donc important de disposer d’éléments de connaissance sur les méthodes disponibles pour maîtriser de manière durable les bioagresseurs des cultures. L’objectif de cette section est de proposer une vision synoptique des méthodes disponibles pour construire et mettre en place des stratégies de PAEC. Dans un premier temps, un ensemble de méthodes élémentaires mobilisables pour la PAEC est présenté. Il s’agit là de dresser un panorama des méthodes de contrôle culturales, biologiques, génétiques, physiques, biochimiques et chimiques (hors pesticides). Toutes ces méthodes ne sont pas à mettre en œuvre simultanément, mais doivent au contraire être choisies, adaptées et intégrées au sein de systèmes de culture cohérents visant à atteindre un ensemble de services écosystémiques. Ces services dépendent des effets des interactions entre les pratiques culturales et la situation de production sur le fonctionnement de l’agroécosystème (fig. 1.2). Il existe trois grandes voies méthodologiques pour analyser le fonctionnement des agroécosystèmes : l’expérimentation système ; le diagnostic d’agroécosystèmes ; et la modélisation. Chacune de ces démarches sera explicitée dans une sous-section spécifique. Il convient néanmoins de signaler que ces éléments méthodologiques sont en interaction forte (fig. 5.2).


Figure 5.2. Sources de connaissances pour la PAEC. En vert, sources de connaissances primaires. En bleu, sources de connaissances secondaires. En violet, modèles conceptuels sous-jacents à l’expérimentation, au diagnostic et au développement de modèles de simulation. Chaque hexagone est potentiellement en interaction avec les autres, y compris ceux non directement en contact.

Le diagnostic des agroécosystèmes permet de générer des connaissances sur les effets des interactions entre systèmes de culture et situations de production. Les agroécosystèmes existants ne sont pas modifiés, mais caractérisés pour être analysés. Au contraire, l’expérimentation système permet de tester une ou plusieurs hypothèse(s) et les effets, à long terme, d’un ensemble de pratiques agricoles mis en place dans une situation de production donnée. La modélisation conceptuelle et le développement de modèles de simulation permettent de contribuer à la conception de stratégies de PAEC et synthétisent les connaissances issues des expérimentations ou des diagnostics (sources de connaissance primaires) et celles disponibles dans la littérature scientifique et technique, ainsi que les expertises de différents acteurs (sources de connaissances secondaires). On remarquera que les méthodes d’expérimentation système, de


diagnostic et de développement de modèles de simulation sont toutes précédées par une représentation conceptuelle, qu’elle soit explicitement formalisée ou pas (hexagone violet de la figure 5.2).

Techniques élémentaires de contrôle des bioagressions La PAEC nécessite de mobiliser une palette de techniques qui peuvent être classées en fonction de leurs modes d’action. À l’échelle de la parcelle, on peut ainsi décomposer les techniques de contrôle élémentaires en techniques biologiques, génétiques, culturales, physiques, chimiques ou biochimiques (d’après Aubertot et al., 2005). Certaines de ces techniques peuvent impacter les populations de bioagresseurs à l’échelle du paysage, soit parce que la technique en elle-même s’applique à un niveau supraparcellaire (cas de l’utilisation de phéromones, ou de la mise en place d’aménagements paysagers, par ex.), soit parce que la capacité de dispersion des bioagresseurs considérés entraîne de facto un impact à l’échelle du paysage (par ex., une variété comportant une résistance spécifique à un pathogène aérien ayant une forte capacité de dispersion peut contribuer à modifier la structure génétique de la population pathogène à l’échelle du paysage considéré). Les trois démarches de réduction de l’utilisation des intrants efficience-substitution-reconception (E-S-R) (Hill et MacRae, 1995) permettent également de typer les méthodes de contrôle élémentaires. La première consiste à augmenter l’efficience des pesticides. Ceci peut être obtenu par des améliorations du matériel d’application, par l’utilisation d’outils d’aide à la décision reposant sur des modèles de simulation pour décider de l’opportunité de traitement, de la date d’application, de la dose, voire du choix de la molécule à appliquer, et par le recours à des techniques relevant de l’agriculture de précision permettant de ne traiter qu’une partie de la parcelle considérée. Bien que cette démarche soit très importante pour réduire l’utilisation des pesticides dans les systèmes de production conventionnels, elle ne sera pas traitée ici au profit des méthodes rentrant dans les démarches de substitution, ou mieux, de reconception. La substitution consiste à remplacer les applications de pesticides par une technique de contrôle biologique, génétique, physique, ou biochimique (utilisation de préparations non létales). Enfin, la reconception consiste à


repenser complètement les systèmes de culture, via le contrôle cultural, de manière à optimiser la prophylaxie contre leurs ennemis. Les différentes familles de technique de contrôle élémentaire se répartissent ainsi parmi les trois niveaux du paradigme E-S-R. Le terme « lutte » sera utilisé pour caractériser les techniques curatives et le terme « contrôle » pour les techniques prophylactiques. Contrôle génétique (niveau S) Le contrôle génétique est un composant important de la PAEC. Il porte essentiellement sur la maîtrise des agents pathogènes, même s’il existe une gamme de sensibilités variétales vis-à-vis des agressions de certains ravageurs et des compétitivités différentes de certains cultivars vis-à-vis des mauvaises herbes. La résistance variétale peut être divisée schématiquement en deux grandes catégories : la résistance quantitative (ou résistance horizontale) qui implique généralement plusieurs loci de caractères quantitatifs (résistance polygénique) ; la résistance spécifique (ou résistance verticale) conférée par un gène unique, en général dominant. Pour ce type de résistance, le concept de relation gène pour gène exprime la relation entre chaque gène de virulence d’un agent pathogène et le gène de résistance correspondant de la plante hôte. Il stipule que la plante ne pourra mettre en branle ses mécanismes de défense que lorsqu’elle possède un gène de résistance correspondant à un gène d’avirulence de l’agent pathogène qui tente de l’infecter. Dans tous les autres cas, l’infection pourra avoir lieu si les conditions environnementales (essentiellement température et humidité) sont favorables. Ce dernier type de résistance est plus facilement manipulable par les sélectionneurs pour obtenir de nouveaux cultivars que les résistances quantitatives. Au-delà des mécanismes de résistance en euxmêmes, d’autres caractéristiques phénotypiques dépendantes du génotype (et des interactions génotype-environnement-conduite) peuvent contribuer indirectement à la maîtrise des pressions biotiques via des caractéristiques architecturales, phénologiques ou physiologiques. L’efficacité de la résistance quantitative est réputée plus durable car elle exerce une pression de sélection moins forte que la résistance spécifique


qui empêche la reproduction des individus avirulents. Certaines résistances peuvent être contournées en quelques années, après une phase de développement et de mise sur le marché qui dure une dizaine d’années en général. Il convient donc de préserver leur efficacité par des stratégies de gestion intégrée de l’avirulence. La PAEC peut ainsi contribuer à préserver l’efficacité des résistances variétales par une limitation de la taille des populations de bioagresseurs via une adaptation du système de culture. L’utilisation de plantes génétiquement modifiées peut également faire partie des techniques de contrôle génétique mobilisées par la PAEC. Lutte et contrôle biologiques (niveaux S et R) Les chapitres 2, 3 et 4 ont largement illustré l’intérêt de ce type de méthode pour réduire la dépendance aux pesticides des agroécosystèmes. La lutte biologique consiste à utiliser des organismes vivants pour prévenir ou réduire les dommages causés par des bioagresseurs. L’agent de lutte (ou auxiliaire) peut être un parasitoïde, un prédateur, un agent pathogène (champignon, bactérie, virus ou protozoaire), ou un concurrent du bioagresseur visé. On distingue habituellement quatre types de lutte biologique : La lutte biologique classique, ou lutte par introduction-acclimatation, qui consiste à introduire une nouvelle espèce dans un environnement afin de contrôler les populations d’un ennemi des cultures ; La lutte biologique augmentative, qui consiste à augmenter la taille des populations d’ennemis naturels, soit par des lâchers massifs (lutte inondative) ou par lâchers en petite quantité (lutte inoculative) ; La lutte biologique par conservation, qui permet de favoriser les effets bénéfiques des espèces indigènes d’ennemis naturels en manipulant l’environnement de manière à favoriser leur développement ; Enfin, la lutte autocide, qui consiste à introduire un grand nombre de


mâles stériles dans une population naturelle. Le développement d’une méthode de lutte biologique contre un bioagresseur nécessite quatre étapes : étudier la biologie du bioagresseur ; étudier la biologie des ennemis naturels du bioagresseur ; mettre au point une technique de production de l’auxiliaire en quantité suffisante (sauf pour la lutte par conservation) ; valider les expérimentations en laboratoire par des tests dans les agroécosystèmes considérés. Lutte et contrôle physiques (niveau S) Les techniques de lutte physique incluent toutes les techniques dont le mode d’action primaire fait intervenir un processus mécanique, thermique, électromagnétique ou acoustique, en vue de maîtriser une pression biotique. L’arrachage à la main des mauvaises herbes est encore très fréquent dans différentes zones de production où le coût de la main-d’œuvre est bon marché. Dans les zones plus favorisées économiquement, le désherbage mécanique est réalisé à l’aide d’outils spécifiques (par ex., herse étrille, houe rotative ou bineuse). Les techniques de désherbage mécanique sont certainement les méthodes de lutte physique curatives les plus répandues de par le monde. Les écrans de protection des cultures sous abris ou les filets de protection contre les ravageurs en arboriculture sont des méthodes mécaniques prophylactiques. L’utilisation des augmentoria telle que décrite au chapitre 2 constitue une méthode de lutte curative contre les mouches des Cucurbitacées puisque les fruits sont déjà infestés lorsqu’ils sont placés sous la tente. Néanmoins, ils constituent également des éléments de contrôle biologique par conservation dans la mesure où ils permettent une


augmentation des populations de parasitoïdes. La lutte thermique consiste à causer des blessures internes aux ennemis des cultures visés (mauvaises herbes, ravageurs, agents pathogènes) par échauffement létal ou par diminution de la température en dessous du point de congélation. Ce mode de lutte nécessite une bonne connaissance des seuils de sensibilité thermique des bioagresseurs, mais également de la culture à protéger si l’opération est effectuée pendant la culture. Le désherbage thermique (eau chaude, flamme, infrarouge) des cultures en rangs a fait l’objet de nombreux travaux méthodologiques dans le cadre de l’agriculture biologique (Aubertot et al., 2005). La lutte électromagnétique repose sur l’utilisation d’un courant ou d’un rayonnement électromagnétique, contre un ou plusieurs ennemi(s) des cultures (ravageurs, mauvaises herbes, agents pathogènes). Des systèmes à base d’électrodes mises en place sur tracteur ont ainsi été mis au point et diffusés sur le marché américain à la fin du siècle dernier pour électrocuter les plantes adventices dans des cultures en rang. Cette technique ne cause pas de dommage aux cultures hôtes et ne laisse pas de résidus, mais reste peu développée actuellement pour des raisons de coût. L’utilisation de filtres optiques sur les parois de serres permet de limiter le développement de certains agents pathogènes en absorbant certaines longueurs d’onde nécessaires à leur développement. De manière plus anecdotique, l’utilisation d’épouvantails anthropomorphes ou d’effaroucheurs avimorphes contre les oiseaux peut être vue comme une technique de contrôle électromagnétique. En effet, c’est le signal lumineux (onde électromagnétique) renvoyé par le dispositif utilisé qui est interprété par les jeunes oiseaux d’espèces peu adaptatives et qui les tient éloignés de la zone protégée. Enfin, on peut citer des techniques acoustiques (effaroucheurs sonores et ultrasonores), qui mobilisent des émetteurs afin d’éloigner oiseaux, rongeurs ou insectes avec plus ou moins d’efficacité. Contrôle biochimique (niveau S)


Cette rubrique ne concerne pas l’utilisation de pesticides de synthèse ou de biopesticides (forme de pesticides basée sur des micro-organismes ou des produits naturels). Elle concerne en revanche l’utilisation de molécules non létales susceptibles de modifier le comportement d’un ou plusieurs éléments de la composante biologique de l’agroécosystème. Ainsi, la confusion sexuelle, utilisée en arboriculture, viticulture et maraîchage est une technique de contrôle des insectes qui consiste à saturer le secteur traité de phéromones synthétiques de manière à désorienter les mâles pour limiter la reproduction. Les techniques de piégeages sélectifs rapportées dans les chapitres 2 et 3 reposent également sur l’utilisation de phéromones pour attirer les insectes nuisibles dans des pièges. En outre, des stimulateurs de défense naturelle des plantes (extraits naturels complexes, molécules naturelles élicitrices, éliciteurs de synthèse et microorganismes non pathogènes) sont développés pour déclencher les mécanismes de défense des plantes de manière préventive à la manière des vaccins. Le mécanisme sous-jacent consiste à ce que la plante cultivée détecte une bioagression ; émette une cascade de molécules d’alerte ; celles-ci conduisant à la mise en place de mécanismes de défense de la plante. L’efficacité de cette technique est variable en fonction des interactions entre le cultivar, les autres éléments du système de culture et la situation de production considérés. Contrôle cultural (niveau R) Chaque élément du système de culture est susceptible de modifier l’état sanitaire des cultures. Il apparaît donc naturel de chercher à utiliser ces effets comme leviers pour contrôler les ennemis des cultures. Le contrôle cultural peut être défini comme une adaptation des éléments du système de culture dont l’objectif premier n’est pas une gestion curative ou prophylactique d’un ou plusieurs stress biotique(s). Implicitement, cette définition implique que les éléments du système de culture concernés par la lutte culturale ne portent ni sur les méthodes de contrôle ni de lutte chimique, biologique classique, augmentative, autocide, génétique (en


termes de résistances variétales utilisées), ou physique (en particulier le désherbage mécanique). Cette méthode de contrôle fait appel à des modifications de la succession des cultures, à l’implantation de couverts intermédiaires ou de cultures associées, à des modifications des dates et des densités de semis, des dates de récolte, de la fertilisation N-P-K, et des amendements (chaulage), de l’irrigation ou du drainage. Le tableau 5.1 présente les principaux éléments de contrôle cultural pouvant être mobilisés pour maîtriser les bioagresseurs. La reconception du paradigme E-S-R (Hill et MacRae, 1995) repose largement sur le contrôle cultural, et intègre également d’autres objectifs que celui de la protection des cultures (objectifs sociaux, environnementaux et économiques). Tableau 5.1. Différentes méthodes de lutte culturale contre quatre grands types d’ennemis des cultures. Éléments de contrôle cultural

Insectes

Plantes adventices

Agents pathogènes

Nématodes

Interaction entre la succession des cultures et le travail du sol

×

×

×

×

Adaptation de la fertilisation de la culture

×

×

×

×

Adaptation de l’irrigation

×

×

×

×

Adaptation du travail du sol

×

×

×

×

Gestion des résidus de cultures

×

×

×

×

Choix des dates de semis et de récolte

×

×

×

×

Adaptation de la densité de semis et/ou de l’écartement entre rangs

×

×

×

Adapté de Bajwa et Kogan, 2004.

Mobilisation des techniques de contrôle élémentaires pour la PAEC La PAEC peut ainsi recourir à un ensemble de techniques de contrôle génétique, biologique, physique, biochimique et culturale pour limiter les


dommages occasionnés par les ennemis des cultures, et ce, à différentes échelles de temps et d’espace. Elle s’inscrit clairement au niveau reconception du paradigme E-S-R, mais peut également mobiliser des familles de techniques de contrôle élémentaire relevant du niveau substitution. La PAEC ne consiste pas à cumuler toutes les techniques disponibles pour contribuer à la protection d’une culture donnée, mais à en sélectionner certaines pour les intégrer au mieux dans des systèmes de culture visant un vecteur de performance multiple (en termes de production agricole, tant quantitative que qualitative ; de préservation de l’environnement ; et de marge brute), et ce, dans une situation de production donnée. L’articulation de ces différentes méthodes peut être appréhendée par l’expérimentation de systèmes de culture, le diagnostic en parcelles agricoles et la modélisation.

Diagnostics en parcelles agricoles Un diagnostic agronomique régional, pour quoi faire ? La finalité première d’un diagnostic agronomique régional, c’est d’identifier les facteurs à l’origine d’une variation de performance dans le fonctionnement des agroécosystèmes. Par performance, on entend à la fois la performance productive (rendement, qualité de la production), mais également la performance environnementale. Pour reprendre le langage actuel, il s’agit de la performance en matière de fourniture de services écosystémiques — même si le diagnostic agronomique régional ne se met pas en œuvre de manière aussi facile pour tous les services. Historiquement, c’est pour essayer de comprendre l’origine des variations de rendement d’une culture dans une région que ce type de diagnostic a été mis en place (voir la synthèse de Doré et al., 1997). En effet, quoi de plus frustrant que de constater, à l’échelle d’une petite région, que pour la même culture des rendements très différents sont atteints, sans en connaître la raison ? On sait bien sûr que le résultat final est fonction des caractéristiques du milieu (type de sol, climat moyen), des pratiques agricoles et des interactions entre ces deux ensembles de facteurs. À une échelle macroscopique — la France continentale, par exemple — les effets


des caractéristiques du milieu sont majeurs pour expliquer des différences moyennes entre régions. Mais à l’échelle d’une petite région, où les variations de milieu sont moindres, il demeure chaque année une variabilité de performance très importante (souvent les rendements varient au moins du simple au double d’une parcelle à l’autre), dont on peut légitimement supposer qu’elle dépend de manière importante des pratiques mises en œuvre par les agriculteurs. L’objectif du diagnostic agronomique régional est précisément d’élucider la manière dont les différences de pratiques entre agriculteurs, les différents systèmes de culture, influencent la performance. Pour avoir un sens, un diagnostic agronomique régional doit respecter trois conditions. La première est de se situer à une échelle spatiale telle que l’effet de la variabilité du milieu n’écrase pas l’effet de la variabilité des pratiques. Une petite région de quelques centaines de kilomètres carrés constitue un bon ordre de grandeur. La deuxième condition est que l’objet de l’investigation soit bien ce qui se passe chez les agriculteurs. C’est un élément essentiel à préciser, car l’expérimentation agronomique en station peut se prévaloir du même objectif que celui décrit ci-dessus : comprendre les relations entre pratiques agricoles et performances. Et on pourrait croire qu’il suffit pour cela de tester des systèmes de culture en station. Mais c’est en fait insuffisant, car l’expérimentation en station ne traduit jamais la réalité, très diverse, de ce qui se passe au champ chez les agriculteurs (fig. 5.3). Si on souhaite comprendre les relations entre système de culture et performance dans la pratique agricole, c’est bien ce qui se passe chez les agriculteurs qu’il faut aller observer. La troisième condition est que le diagnostic réalisé doit bien rendre compte de la diversité des systèmes pratiqués chez les agriculteurs. Cela nécessite un échantillonnage suffisamment important et des analyses pluriannuelles pour bien capter les interactions entre pratiques agricoles et climat.


Figure 5.3. Un exemple de parcelle de culture de tomate participant à un diagnostic agronomique. Pour identifier les facteurs de variation de rendement de la tomate à Mayotte, l’élaboration du rendement a été analysée sur un réseau de parcelles paysannes. La parcelle représentée, en culture associée (ombrage cocotier), sur une petite surface, éloignée d’un point d’eau, témoigne de la diversité des conditions de culture, très différentes de celles d’une station expérimentale, qu’un diagnostic agronomique doit prendre en compte. Huat et al. (2013) ont montré qu’à Mayotte un des facteurs déterminants des variations de rendement tenait aux pratiques de taille des plants de tomate, en interaction avec la protection phytosanitaire de la culture.

Mise en œuvre


Fondamentalement, réaliser un diagnostic agronomique régional, c’est réaliser une analyse fonctionnelle du champ cultivé, ou dit autrement de l’agroécosystème, sur un réseau pluriannuel de parcelles agricoles. Qu’entend-on par analyse fonctionnelle ? Il s’agit de comprendre les processus en jeu à l’échelle de chaque parcelle, qui impliquent les pratiques agricoles et ont un impact sur le service écosystémique d’intérêt. Cette analyse repose sur une certaine vision du fonctionnement du champ cultivé, dans laquelle les pratiques agricoles, au cours du temps, modifient les états du milieu, ces états du milieu ayant eux-mêmes des répercussions sur le service étudié. Si on reprend l’exemple classique des diagnostics agronomiques appliqués à la variabilité des rendements, on est dans une démarche d’analyse de l’élaboration du rendement qui tient compte des risques de confusion d’effet liés à l’établissement de relations directes entre pratiques et rendements, et qui cherche à contourner la difficulté en appuyant ces relations sur des observations des états du milieu et du peuplement végétal. La même démarche peut et doit être appliquée si on s’intéresse à d’autres services, comme le service de pollinisation, ou encore celui de stockage de carbone dans les sols. Les performances des systèmes de culture vis-à-vis de ces services sont, comme pour le service de production évalué à travers le rendement, la résultante de processus complexes d’interactions entre pratiques et états du milieu, que seule une analyse fine fondée sur des observations de terrain permet d’éclairer. En amont de cette analyse fonctionnelle, deux choix préparatoires sont à faire. Le premier est relatif au choix du réseau de parcelles, le second aux données à recueillir sur ces parcelles. La construction du réseau est déterminante de la qualité du résultat final du diagnostic. La taille de ce réseau doit être un compromis entre un nombre minimal de parcelles permettant de rendre compte de la variabilité des milieux et des systèmes de culture dans la région étudiée, et un nombre maximal permis par les moyens alloués à l’étude. Le choix des parcelles du réseau doit autant que possible être fondé sur une stratification a priori des milieux (assez facile à faire) et des systèmes de culture (plus difficile, parce qu’au moment du choix des parcelles, on en connaît l’historique, mais on ne sait en revanche pas encore quels choix techniques l’agriculteur va opérer, même s’il peut en donner l’intention). En ce qui concerne le choix des mesures à réaliser,


elles doivent porter sur trois composantes : en premier lieu les pratiques des agriculteurs, qui doivent être finement enregistrées, ensuite la performance d’intérêt, et enfin les états du milieu et du peuplement végétal qui permettent l’analyse fonctionnelle sur les parcelles. Le choix précis des mesures sur ces états est fonction des connaissances agronomiques existantes. Il est important à ce stade de ne pas trop censurer le choix des variables à recueillir : si au moment de traiter les données on est trop peu informé sur le fonctionnement réel du champ en parcelles agricoles, on risque d’aboutir à des conclusions peu fiables, ou de passer à côté d’éléments d’interprétation qui sont en réalité déterminants. En aval du travail de terrain, il s’agit de traiter les données recueillies de manière à pouvoir déboucher sur cette hiérarchisation des facteurs de variation des performances, qui constituent l’objectif final. La démarche générale consiste souvent à mener l’interprétation pas à pas, en remontant, comme dans un diagnostic médical, des « symptômes » aux causes. Ainsi dans un diagnostic sur les causes de variation du rendement, on cherche à voir quelles sont les composantes du rendement qui ont été affectées, puis quels sont les états du milieu et du peuplement qui sont à l’origine des variations des composantes du rendement, puis enfin à cerner les éléments de la conduite des cultures (ou de l’histoire de la parcelle) qui sont à l’origine de ces variations d’états du milieu et du peuplement. Il s’agit d’un travail passionnant, dans lequel on traite simultanément les données de toutes les parcelles, et où l’histoire singulière de chacune des parcelles n’est souvent interprétable que par comparaison avec ce qui s’est passé sur un ensemble de parcelles voisines. Des méthodes statistiques élaborées ont été produites au cours de la dernière décennie pour améliorer cette étape (voir Doré et al., 2008). À l’issue de ce traitement de données, on est en mesure d’identifier quels sont les éléments des systèmes de culture qui ont eu un effet déterminant sur les performances atteintes pour l’année donnée ; l’approche pluriannuelle permet d’affiner ou nuancer les résultats obtenus en tenant compte des interactions avec le climat. En quoi un diagnostic régional peut-il être important pour la PAEC ? Les communautés d’ennemis des cultures sont susceptibles d’altérer


plusieurs services écosystémiques produits par la production végétale : diminution des rendements et altération de la qualité des produits, perturbation de la pollinisation, diminution de la quantité de biomasse produite, etc. Elles sont aussi génératrices de luttes préventives et curatives, mobilisant des méthodes dont certaines sont sources de disservices, comme l’est par exemple l’usage important de produits phytosanitaires. Afin d’améliorer les services rendus par la production végétale, et de diminuer les disservices qui lui sont imputables, il est particulièrement utile de mieux connaître les relations qui existent entre les pratiques agricoles, les communautés d’ennemis des cultures, et les communautés de leurs auxiliaires. À l’échelle régionale, un diagnostic agronomique suivant les modalités exposées ci-dessus peut être d’une grande utilité (voir des exemples dans Delmotte et al., 2011). Il permet en effet d’identifier les effets des pratiques des agriculteurs sur l’ensemble « peuplement végétal cultivé × communautés d’ennemis des cultures × communautés d’auxiliaires », et ainsi d’orienter la recherche et ensuite le conseil agricole vers des changements de pratiques qui modifient les communautés dans un sens favorable aux services visés, et défavorable aux disservices subis. Si les grandes lignes de la démarche restent valides, il est toutefois nécessaire d’adapter certains choix. À titre d’exemple, un soin particulier doit être accordé à la manière de caractériser les communautés d’ennemis des cultures et d’auxiliaires — ce qui va de toutes manières dans le sens d’une plus grande prise en compte de la composante biologique des agroécosystèmes dans toutes les actions de diagnostic agronomique régional contemporaines.

Expérimentations sur les systèmes de culture Comme cela vient d’être souligné, « La PAEC ne consiste pas à cumuler toutes les techniques disponibles pour contribuer à la protection d’une culture donnée, mais à en sélectionner certaines pour les intégrer au mieux dans des systèmes de culture ». Or, cette intégration n’est pas acquise : elle suppose une réflexion approfondie sur la nature des interactions entre techniques, qui fonde la notion de système de culture, et sur les méthodes


de conception et d’évaluation des systèmes. Nous aborderons ici ces deux questions. Les concepts d’itinéraire technique, appliqué à l’échelle d’un cycle de production, et de système de culture, à l’échelle pluriannuelle, désignent l’ensemble des modalités techniques mises en œuvre sur une parcelle ou un ensemble de parcelles traitées de manière identique. En employant ces concepts, les agronomes affirment qu’il est essentiel de s’intéresser à la cohérence qui existe entre les actes techniques qui sont mis en œuvre successivement sur une parcelle agricole (voir la « combinaison logique et ordonnée » de la définition canonique de l’itinéraire technique de Sebillotte, 1974). Cette cohérence a deux origines : les actes techniques mis en œuvre sur une parcelle résultent de décisions fortement liées les unes aux autres. L’agriculteur les raisonne tous dans un cadre unique défini par des objectifs de production, des ressources disponibles (travail, sol, trésorerie) et des savoirs. Le recueil d’informations sur la parcelle, qui permet de tenir compte dans le raisonnement d’un acte technique des effets des actes antérieurs, crée un lien supplémentaire ; les différentes techniques agissent sur les mêmes composantes de l’agroécosystème. Une même technique joue sur plusieurs composantes ; une même composante est influencée (contrôlable) par plusieurs techniques. Du fait de cette absence de relation biunivoque, il existe de fortes interactions entre techniques. Meynard et al. (2001) soulignent que ces deux types de liens doivent être pris en considération pour analyser, évaluer ou améliorer les pratiques agricoles : on ne peut caractériser ou évaluer les effets d’une méthode de protection, indépendamment des autres techniques appliquées à la culture et de la succession des cultures ; on ne peut mettre au point une démarche globale de protection des cultures sans s’intéresser à l’ensemble des techniques, celles qui ont un effet direct sur les bioagresseurs ou auxiliaires, mais aussi celles qui sont indirectement influencées par les premières ou qui en conditionnent l’efficacité. Prenons un exemple : en culture maraîchère, les producteurs en circuits courts sont moins spécialisés que ceux qui ne visent que les circuits longs, ce qui leur facilite


la mobilisation des associations plurispécifiques comme levier pour la santé des plantes. Le choix des espèces à associer est alors réalisé de manière à limiter la vitesse de propagation des épidémies, ou à favoriser les auxiliaires ; mais il doit dépendre aussi de la concordance des cycles de plantation-récolte, de la compatibilité des stratégies d’irrigation et de la demande du marché pour les différentes espèces. La stratégie de protection des plantes est indissociable du reste du système de culture. Le concept de système de culture est défini au niveau de la parcelle, mais l’impératif de prendre en compte la cohérence entre les techniques concerne aussi la gestion spatiale des paysages. Du fait des interactions biologiques et physiques entre parcelles (échanges de spores, de pollen, de graines d’adventices, d’auxiliaires, de coulées érosives), comme des interactions entre acteurs des territoires (gestion de bassins de captage d’eau potable, organisations collectives pour promouvoir un produit de terroir ou protéger la biodiversité), les techniques appliquées sur une parcelle ne sont pas indépendantes de celles appliquées sur une autre : la coordination territoriale des systèmes de culture est un autre niveau de cohérence qui intéresse la PAEC. La conception de systèmes de culture et d’organisations territoriales repose sur la combinaison de plusieurs méthodes (fig. 5.4), qui sont détaillées par ailleurs : un diagnostic agronomique régional permet d’évaluer les performances des systèmes de culture et de hiérarchiser les pratiques qui seront à améliorer ; un travail de conception, qui peut s’appuyer sur l’utilisation de modèles agroécologiques ou sur des ateliers de conception participatifs, précède l’évaluation des systèmes conçus, directement chez des agriculteurs, ou dans des expérimentations systèmes. Nous traitons ci-après de cette dernière méthode.


Figure 5.4. Démarche générale de conception et évaluation de systèmes de culture. D’après Meynard et al., 2001.

Au contraire des expérimentations factorielles classiques, où les techniques élémentaires sont testées pour analyser leurs effets principaux et leurs interactions, les expérimentations système ont pour objectif de tester au champ les capacités de systèmes de culture innovants à atteindre les objectifs en fonction desquels ils ont été mis au point. Ces expérimentations peuvent être conduites sur une année (itinéraire technique) ou plusieurs années (système de culture), dans des stations expérimentales, des réseaux de champs d’agriculteurs, ou des fermes « pilotes ». Les premières expérimentations systèmes (années 1990 et début des années 2000) ont été conduites sur la base de directives générales données aux expérimentateurs (par ex., « n’appliquer qu’un seul fongicide, au lieu de trois en conduite de référence ») qui ne permettaient pas d’assurer la cohérence nécessaire entre les techniques et leur adaptation aux caractéristiques de chaque situation agronomique : l’expérimentation servait plus à tester les compétences de l’expérimentateur qu’un système de culture innovant bien défini. La proposition de Reau et al. (1996) de faire reposer les décisions techniques sur des règles d’action (dites aussi règles de décision) a permis de concilier une flexibilité d’adaptation des techniques avec la diversité des situations agricoles et une formalisation permettant à tous les expérimentateurs d’un réseau (ou au même expérimentateur plusieurs années successives) de prendre des décisions cohérentes. Une règle


d’action est constituée : d’une fonction, qui précise les objectifs de la règle ; d’une solution qui spécifie l’action en fonction du contexte, sous une forme conditionnelle (« Si… alors… ; sinon… ») ; d’un critère d’évaluation pour vérifier a posteriori si les objectifs de la règle ont été atteints (Reau et al., 1996). L’évaluation du système de culture devient celle du jeu de règles d’action. Explicitement formulées, ces règles permettent de reproduire le système dans d’autres temps ou d’autres conditions : elles constituent, après évaluation, le support de la diffusion des acquis de l’expérimentation système. L’évaluation des systèmes testés consiste en premier lieu à vérifier qu’ils atteignent bien leurs objectifs économiques, environnementaux ou sociaux. Classiquement, une liste de critères d’évaluation est établie en début d’expérimentation ; des indicateurs ou des variables mesurées sont identifiés pour chaque critère, et une évaluation multicritère permet de savoir s’il convient — ou non — d’être satisfait du système testé. Pour les critères économiques, une analyse de sensibilité au prix des produits récoltés ou des intrants peut être conduite (Loyce et al., 2012). La mise en place de réseaux multi-locaux d’expérimentations systèmes, dans des parcelles d’agriculteurs, permet d’identifier les conditions dans lesquelles un système de culture donne des résultats satisfaisants ; mais du fait du coût et de la lourdeur de telles expérimentations, qui nécessitent parfois des surfaces importantes pour être réalistes, de tels réseaux restent rares (Loyce et al., 2012). Cette évaluation globale doit s’appuyer sur une évaluation agronomique, qui consiste à vérifier que les principes sur lesquels a été bâti le système sont bien validés. Ainsi Loyce et al. (2008) vérifient le principe de base d’itinéraires techniques du blé relevant de la PAEC : en réduisant la densité de blé et les apports d’azote précoces, et en optant pour des variétés résistantes, on contrôle aussi bien les maladies cryptogamiques et la verse qu’en utilisant, comme on le fait couramment en France, des fongicides et


des régulateurs de croissance. Des traitements expérimentaux supplémentaires, qui ne correspondent pas à des systèmes testés, sont parfois nécessaires pour vérifier certaines hypothèses. Un diagnostic agronomique, réalisé sur les systèmes testés, permet de déterminer les causes d’une performance insuffisante, en termes de rendement, de qualité, de santé des cultures ou de nuisance environnementale. On peut ainsi corriger une règle de décision erronée, et préparer l’extrapolation des systèmes testés, ou de leur principe de construction. Parfois, dans une expérimentation pluriannuelle, l’évaluation annuelle d’un système conduit à conclure que la formulation d’une règle de décision est erronée, incohérente avec les objectifs du système. Faut-il alors laisser la règle inchangée, pour que ce soit le même jeu de règles qui gouverne l’expérimentation sur toute sa durée, ou faut-il la changer, pour améliorer le système en temps réel (Debaeke et al., 2009) ? Cette deuxième option, fondée sur le fait que l’expérimentateur apprend de l’évaluation, comme un agriculteur le ferait, est à la base de la conception pas-à-pas : Meynard (2008, 2012) propose de systématiser l’organisation au sein de l’expérimentation système des boucles d’apprentissage, en faisant évoluer graduellement un système de culture pour qu’il atteigne de mieux en mieux ses objectifs ; de lieu d’évaluation d’un système conçu en amont, l’expérimentation devient un support de la conception même du système. La conception pas-à-pas s’appuie sur une boucle d’amélioration continue : l’évaluation en temps réel indique les critères de performance qui n’atteignent pas un niveau satisfaisant ; un diagnostic agronomique permet d’identifier les fonctions de l’agroécosystème qui sont en cause, et les actes techniques qui doivent évoluer pour améliorer la situation. Sur la base du diagnostic, des évolutions des systèmes de culture sont proposées et mises en œuvre. Au bout d’un temps variable selon la modification concernée, une nouvelle évaluation du système de culture est réalisée, de nouvelles évolutions s’ensuivent… Selon une telle démarche, Lefèvre et al. (2015) conçoivent des systèmes maraîchers originaux, visant à réduire ou à supprimer les pesticides, pour des systèmes de production orientés vers les circuits longs ou courts. La conception pas-à-pas permet aussi de faire face aux situations où il n’est pas possible, faute de connaissances suffisantes, d’écrire certaines


règles de décision au début de l’expérimentation : les actes techniques sont dans un premier temps décidés par le pilote de l’expérimentation, sur la base de son expertise ; ils sont ensuite évalués, ce qui débouche sur un apprentissage, et sur la formalisation progressive de règles de décision. Dans une station expérimentale, l’apprentissage est collectif : le pilote apprend sur les stratégies, tandis que les ouvriers agricoles apprennent sur la mise en œuvre des pratiques ; tous changent leur manière d’observer les cultures et les animaux, en relation avec les critères d’évaluation des systèmes. Les résultats ne se limitent pas à la conception et à l’évaluation de systèmes innovants, mais comprennent aussi des outils et démarches pour favoriser les apprentissages, qui peuvent être ensuite proposés aux agriculteurs. Autant que les systèmes eux-mêmes, le résultat transférable est alors la démarche de conduite du changement, et les outils (indicateurs, outils de diagnostic, bibliothèque d’innovations) qui la sous-tendent (Meynard et al., 2012). Une limite évidente à l’expérimentation système, telle qu’elle vient d’être décrite, pour la PAEC, est qu’elle est généralement réalisée à l’échelle de la parcelle, et, plus rarement (parce c’est plus complexe à gérer) à l’échelle de l’exploitation agricole. Or, l’évolution des connaissances, bien mise en valeur dans cet ouvrage, conduit à accorder de plus en plus d’importance dans la PAEC à la gestion des paysages, à la coordination territoriale des systèmes de culture. À l’échelle du paysage ou du territoire, la modélisation a certainement un rôle majeur à jouer pour aider à construire des stratégies collectives efficaces (par ex., démarche ComMod, Étienne, 2010). Mais on peut imaginer de tester des solutions en vraie grandeur, en adaptant les modalités de réalisation des expérimentations système. D’une part, en plaçant des expérimentations de systèmes de culture dans des paysages variés, de manière à analyser les performances d’un système de culture donné dans différents paysages ; d’autre part, en réalisant des « expérimentations » à l’échelle du paysage, dans le cadre de dynamiques collectives impliquant les acteurs de territoires pilotes.

La modélisation, un outil essentiel pour la mise en œuvre de la PAEC


Les sections précédentes ont montré l’éventail des méthodes élémentaires mobilisables pour la PAEC, et comment générer de nouvelles connaissances à l’aide de démarches expérimentales ou de diagnostics des agroécosystèmes. Une fois ces éléments de connaissance disponibles, comment les articuler pour mettre en place des stratégies de PAEC dans une situation de production donnée ? Qu’est-ce que la modélisation ? Ce terme décrit l’activité consistant à créer une représentation simplifiée de la réalité. On distinguera la modélisation conceptuelle du développement de modèles de simulation. La modélisation conceptuelle consiste à décrire le fonctionnement d’un système sous la forme d’un schéma représentant ses éléments constitutifs en interaction. La figure 1.1. de cet ouvrage est un exemple de représentation simplifiée du fonctionnement d’un agroécosystème. Il s’agit donc d’un modèle conceptuel. Ce type de modèle est extrêmement important car il sous-tend généralement les activités des acteurs concernés par le système modélisé, même s’il n’est pas toujours formalisé. Ainsi chaque agriculteur mobilise-t-il un modèle conceptuel du fonctionnement de son exploitation et des agroécosystèmes qu’il gère, sans le formaliser explicitement, pour prendre ses décisions, qu’elles soient stratégiques ou tactiques. Les chercheurs et les ingénieurs de développement, eux, utilisent des modèles conceptuels du fonctionnement des systèmes qu’ils étudient pour mettre en place des expérimentations, des diagnostics en parcelles agricoles, ou prodiguer des conseils techniques. Il en va de même pour l’activité de développement de modèles de simulation. Au-delà des techniques de modélisation utilisées, c’est véritablement le modèle conceptuel sous-jacent qui constitue la pierre angulaire de la représentation proposée. Il convient donc de le concevoir le mieux possible en fonction : des objectifs du modèle de simulation à concevoir ; des connaissances disponibles ; des données disponibles le cas échéant. Un modèle de simulation (fig. 5.5), lui, permet de prévoir une ou plusieurs variables — dites variables de sortie — décrivant l’état d’un système, en


fonction d’un ensemble de variables — appelées variables d’entrée. La ou les variables de sortie font en fait partie d’un ensemble de variables décrivant l’état du système simulé que l’on appelle variables d’état. Il est constitué d’un formalisme mathématique et d’un jeu de paramètres — valeurs numériques constantes lors des simulations et indépendantes des variables d’entrée.

Figure 5.5. Représentation conceptuelle et générique d’un modèle de simulation.

Les formalismes mathématiques utilisés dans les modèles de simulation sont généralement constitués d’un ensemble d’équations, mais d’autres formalismes sont possibles. Ces équations sont le plus souvent des équations aux différences (pour des modèles à temps discret) ou des équations différentielles (pour des modèles à temps continu). Il existe aussi des modèles formalisés sous la forme de polynômes, de réseaux, des modèles matricielles (liste non exhaustive). Les modèles peuvent être déterministes ou stochastique, statiques ou dynamiques, mécanistes ou purement statistiques, individus centrés ou non, quantitatifs ou qualitatifs, et être spatialement explicites ou non. Ils peuvent porter sur une large gamme d’échelles d’espace et de temps et appréhender un niveau plus ou moins élevé de complexité (en termes de nombre de variables et/ou de processus considérés). Les techniques mobilisées pour le développement des modèles de simulation sont très variées et peuvent être décrites selon un gradient mécanistique (depuis les modèles purement statistiques jusqu’aux modèles purement mécanistes explicitant les processus sousjacents du système représenté). À titre d’exemple, citons le modèle mécaniste certainement le plus célèbre de l’écologie : le modèle proieprédateur de Lotka-Volterra (Begon et al., 1996). Il est constitué de deux équations différentielles non linéaires du premier ordre qui représentent les évolutions de deux populations en interaction, l’une proie, et l’autre prédatrice, à partir de leurs taux respectifs de reproduction et de mortalité (quatre paramètres) et d’un état initial. Pour les approches purement statistiques, différentes familles de méthodes de classification et de


régression peuvent être mises en œuvre : régressions linéaires ou non, arbres de décision (Classification and Regression Trees en anglais), forêts aléatoires, réseaux de neurones (liste non exhaustive). Notons toutefois que, comme les approches mécanistes, les approches statistiques sont également dépendantes du modèle conceptuel sous-jacent considéré, simplement de par le choix des variables explicatives testées ! En quoi l’utilisation de modèles peut-elle être utile à la conception de stratégies de PAEC ? Le chapitre 1 a souligné la complexité du fonctionnement des agroécosystèmes. Cette complexité résulte non seulement du nombre élevé des organismes biologiques considérés et des processus physiques, chimiques et biologiques à prendre en compte, mais aussi du fait qu’il s’agit là de systèmes ouverts (interaction de l’agroécosystème considéré avec le climat et le paysage) sous l’influence d’actions anthropiques (fig. 1.2). L’intérêt de la modélisation pour la PAEC réside dans sa capacité à représenter les effets d’actions anthropiques (pratiques agricoles et/ou mise en place / gestion d’éléments paysagers) sur le fonctionnement de l’agroécosystème considéré. Ainsi, le modèle de simulation peut-il fournir une aide à la décision pour le pilotage d’agroécosystèmes à court ou à long terme en représentant les conséquences de choix techniques. La figure 5.6. représente le parangon du modèle de simulation pouvant être utilisé pour aider au pilotage d’agroécosystèmes.

Figure 5.6. Représentation conceptuelle d’un modèle de simulation pouvant aider au pilotage d’agroécosystèmes (déclinaison de la fig. 5.5).

Il permet de représenter les services écosystémiques rendus par un agroécosystème en fonction de variables décrivant les pratiques agricoles, le pédoclimat et le paysage. Ainsi, dans une situation de production, il sera possible, par simulation, de


tester in silico les performances de différentes stratégies de pilotage d’un agroécosystème donné. Les résultats des simulations ne devront pas être pris pour argent comptant car tous les modèles sont entachés d’erreurs de prédiction. Néanmoins, l’analyse du fonctionnement des agroécosystèmes par simulation permet de gagner beaucoup de temps et de compléter les démarches expérimentales et les diagnostics en parcelles agricoles. Néanmoins, le modèle présenté sur la figure 5.6 n’existe pas encore car toutes les connaissances nécessaires à son développement ne sont pas disponibles, et même si elles l’étaient, l’intégration d’un tel niveau de complexité dans un seul modèle poserait problème. Au lieu d’attendre le développement de ce modèle complet, il est certainement plus utile de considérer différents modèles permettant d’éclairer une partie seulement du fonctionnement des agroécosystèmes. Les modèles utiles pour la PAEC sont ceux qui s’inscrivent dans le schéma conceptuel de la figure 5.6. et qui abordent le service de régulation d’une ou plusieurs bioagressions. Un exemple de modèle pour la PAEC Les résultats présentés dans le chapitre 2 ont permis de proposer la structure d’un modèle qualitatif représentant les effets des éléments de contrôle proposés dans le paquet technique Gamour (fig. 5.7).


Figure 5.7. Structure du modèle de simulation qualitatif Ipsim (Aubertot et Robin, 2013) proposé pour maîtriser les mouches des Cucurbitacées. Adaptation du modèle proposé par Deguine et al., 2015.

Du point de vue formel, il s’agit d’un réseau hiérarchique bayésien déterministe développé à l’aide de la plateforme de modélisation Ipsim (Injury Profile Simulator, simulateur de profils de dégâts ; Aubertot et Robin, 2013) ou du logiciel DEXi (http://kt.ijs.si/MarkoBohanec/dexi.html ), modèle multicritère d’évaluation de la durabilité des systèmes de culture. Ce modèle s’inscrit parfaitement dans le schéma de la figure 5.6 et l’on remarque que le premier niveau du réseau correspond bien aux


facteurs présentés dans la figure (prise en compte des effets des pratiques agricoles, du pédoclimat et des effets du paysage). Le lecteur est invité à se référer au chapitre 2 de cet ouvrage pour la description des différents facteurs intégrés dans ce modèle. Contrairement à la majorité des modèles de simulation, celui-ci ne repose pas sur un formalisme mathématique décrit sous forme d’équations, mais sur la structure hiérarchique présentée sur la figure 5.7 et d’un ensemble de règles d’agrégation des valeurs des attributs pour décrire le comportement du réseau. L’utilisateur dispose d’une interface conviviale lui permettant de décrire un jeu de variables d’entrée sous forme qualitative ou quantitative pour simuler le niveau de contrôle des mouches sur des cultures de Cucurbitacées. L’utilisation de ce modèle permettra de choisir quelles combinaisons de pratiques agricoles et d’aménagement mettre en place pour maîtriser les dégâts des mouches dans une situation de production donnée. Ainsi, la formalisation des résultats présentés au chapitre 2 sous la forme d’un modèle de simulation permettra : d’optimiser les méthodes de contrôle à mettre en œuvre pour maîtriser les mouches sur les Cucurbitacées dans une situation de production donnée ; faciliter l’adaptation du paquet technique Gamour à d’autres territoires dans le monde que l’île de la Réunion, pour peu que le modèle intègre bien les principaux déterminants du système. Conclusion L’intérêt de la modélisation réside en sa capacité d’intégration des connaissances disponibles et dans sa capacité à aider à la prise de décision. En agroécologie, les sources d’information primaires sont l’expérimentation et le diagnostic en parcelles agricoles sensu lato (observation des agroécosystèmes existants). Ces informations primaires sont ensuite transformées en sources d’information secondaires que sont : les publications scientifiques et techniques, les expertises (et tous les acteurs sont concernés !), et les modèles de simulation. Les modèles sont donc des vecteurs de la connaissance et servent de support aux interactions entre différents acteurs. Enfin, il est important de souligner que les modèles contribuent également de manière concrète à la formation initiale et continue des acteurs du monde agricole, notamment via les plateformes d’enseignement à distance, qui permettent parfois aux apprenants de


s’immerger dans des représentations interactives des processus, via des modèles de simulation. La PAEC sera d’autant plus aisée à mettre en place dans les systèmes agricoles que l’on disposera d’outils pour faciliter la mise en œuvre de ses concepts de base à des situations de production spécifiques. La modélisation jouera certainement un rôle de plus en plus important dans ce sens.

Générer et intégrer les connaissances La section précédente a présenté un ensemble de méthodes permettant d’acquérir des connaissances sur la manière de maîtriser les pressions biotiques. Pour concevoir des stratégies de PAEC, il est nécessaire d’intégrer les connaissances sur la biodiversité fonctionnelle et sur l’impact des pratiques agricoles. Pour ce faire, l’AB peut servir d’exemple et de prototype. Compte tenu des processus de dispersion ayant cours au sein de la biocénose, ces connaissances doivent être intégrées, non seulement à l’échelle de la parcelle, mais également à l’échelle du paysage.

Biodiversité fonctionnelle du sol et aérienne Biodiversité et biodiversité fonctionnelle La biodiversité se définit communément comme la diversité des formes du vivant, à quatre niveaux d’organisation hiérarchique emboîtée : les gènes, les espèces/populations, les communautés/écosystèmes et les paysages, ce dernier niveau englobant les trois précédents. Cette description, fondée essentiellement sur une échelle spatiale, se double d’une description selon trois axes : de composition, de structure et de fonction (fig. 5.8). Ce sont les interactions entre les deux premiers axes, aux divers niveaux d’organisation, et entre ceux-ci et les composantes abiotiques de l’environnement, qui déterminent les processus écologiques permettant le fonctionnement et le maintien d’un écosystème, représentés par le


troisième axe.

Figure 5.8. Représentation des niveaux et axes structurant la biodiversité. D’après Noss, 1990.

L’axe fonctionnel est donc, conceptuellement, l’axe « support » des services écosystémiques, que l’on définit comme étant les bienfaits que l’homme tire, directement ou indirectement, du fonctionnement des écosystèmes et des espèces au sein de ces écosystèmes, et qui participent au bien-être humain (Millennium Ecosystem Assessment, 2005 ; Daily et


al., 2009). Toutefois, à tous les niveaux d’organisation, ce même axe fonctionnel est également le « support » de nombreux disservices ou dommages écosystémiques. Même si nouvellement dénommés comme tels, ces derniers sont en réalité bien connus et pris en compte depuis longtemps par les sociétés humaines : exemples des bioagresseurs des cultures ou des prédateurs du bétail. La biodiversité à l’origine des fonctions, puis éventuellement des services comme des dommages écosystémiques, est donc appelée biodiversité fonctionnelle. Moonen et Bárberi (2008) la définissent comme la fraction de la biodiversité totale composée de clusters d’éléments (aux niveaux génétique, spécifique ou de l’habitat) fournissant le même service (agro)écosystémique, qui est déterminée par la diversité intra-cluster. Notons que la dimension négative des dommages doit être ajoutée à cette acception. Dans une perspective de transition agroécologique des systèmes de production agricole, la biodiversité fonctionnelle est par conséquent une composante clé de l’agroécosystème. Elle est en effet à la base des services écosystémiques de type « intrants » (aidant au fonctionnement des agroécosystèmes) et plus précisément de types « intrants - régulation biologique » (contrôle biologique des bioagresseurs, pollinisation, etc.) et « intrants - fourniture de ressources » (stabilité structurale et fertilité du sol, microclimat, etc.) (Le Roux et al., 2008). Cette fraction bénéfique de la biodiversité fonctionnelle des agroécosystèmes est également appelée biodiversité ressource, alors que la fraction nuisible constitue la biodiversité destructrice ; quant aux espèces végétales et animales choisies et respectivement cultivées et élevées par l’agriculteur, elles constituent la biodiversité productive. Dans le domaine des recherches sur la biodiversité fonctionnelle et de sa gestion à des fins appliquées à la santé des cultures, c’est le niveau des espèces/populations qui est le plus classiquement appréhendé et que nous développons ci-après. Sur les quelque 1,75 million d’espèces vivantes décrites, 76 % sont du règne animal (dont seulement 4 % sont des vertébrés et les trois quarts des insectes), 15 % du règne végétal, 5 % du règne fongique et 4 % des protistes, bactéries et virus. Une estimation du nombre d’espèces non décrites fait des insectes et des bactéries les deux groupes les plus importants, de cinq à quelques dizaines de millions d’espèces chacun. Tous


ces organismes, de la microflore aux vertébrés, se répartissent entre les compartiments endogé (dans le sol), épigé (à sa surface) et aérien de l’agroécosystème. Biodiversité fonctionnelle des compartiments endogé et épigé Du fait de son hétérogénéité à différentes échelles, créant par là des niches nombreuses et variées, le sol est le plus grand réservoir de biodiversité sur Terre, notamment par la diversité et l’abondance numérique des bactéries. Il est en effet classiquement admis qu’un seul gramme de sol contient plusieurs milliers de génomes bactériens différents et un milliard de bactéries. Celles-ci, avec les algues unicellulaires, les diatomées et certains champignons, constituent la microflore (1 à 100 µm), microorganismes pour la plupart libres mais certaines espèces sont symbiotiques. Dans cette même classe de taille, la microfaune est constituée des protozoaires, rotifères, tardigrades et nématodes. Ces derniers sont parfois classés dans la mésofaune (100 µm à 2 mm), qui comprend, à l’exception de ces vers ronds, uniquement des microarthropodes, tels les collemboles, acariens, protoures et diploures (hexapodes primitifs), ainsi que les pauropodes et symphyles (petits myriapodes). Enfin, la macrofaune du sol (plus de 2 mm) comprend aussi des insectes, mais aussi des crustacés isopodes terrestres (les cloportes), des mollusques gastéropodes (les escargots et limaces), des araignées et des mammifères comme la taupe. Ces espèces constituent différents groupes fonctionnels : les ingénieurs du sol, les ingénieurs des litières, les ingénieurs biochimistes, les espèces de la rhizosphère, les antagonistes des maladies du sol ainsi que des phytophages et des prédateurs. Les ingénieurs du sol assurent la maintenance de sa structure. Les vers de terre endogés et anéciques, de même que les enchytréides (annélides également), constituent ce groupe fonctionnel car ils modifient les propriétés physico-chimiques du sol par le biais de la bioturbation (formation du complexe argilo-humique par mélange de la matière organique à la terre) et du creusement de galeries ; ils stimulent également


les microorganismes et, décomposant la matière organique, participent aux cycles du carbone et d’autres éléments minéraux (Jeffery et al., 2010). Les ingénieurs des litières, tous représentants de la mésofaune, assurent la fragmentation des résidus des plantes et assurent de ce fait la première étape de leur recyclage. Celui-ci est ensuite essentiellement assuré par la microflore tellurique qui représente le groupe fonctionnel des ingénieurs biochimistes et qui participe au cycle des macroéléments (N, P, S, C, etc.) et des oligo-éléments (Fe, Zn, B, etc.). Ce groupe fonctionnel joue donc un rôle important dans la décomposition de la matière organique (au sein de la détritusphère), l’humification, la structure du sol, la croissance des plantes (au sein de la rhizosphère), mais aussi la détoxification et la bioremédiation (Jeffery et al., 2010). En assurant essentiellement une fonction de régulation de la microflore tellurique, la microfaune (protozoaires, rotifères, certains tardigrades et nématodes) participe au phénomène de « suppressivité » de certains pathogènes du sol, tels les Pseudomonas spp. fluorescents (fig. 1.4), antagonistes de Fusarium spp. pathogènes et de Gaeumannomyces graminis var. tritici (Jeffery et al., 2010). Les espèces phytophages se rencontrent dans de nombreux groupes. Si des tardigrades se nourrissent de mousses et de lichens, de nombreux autres invertébrés sont phytophages de plantes supérieures, donc parfois des cultures : des nématodes (par ex., anguillules), des myriapodes (par ex., blaniules et scutigérelles), des insectes (par ex., larves de taupin, de sitone, de zabre, de chrysomèle du maïs pour les Coléoptères ; chenilles de noctuelles terricoles pour les Lépidoptères ; larves et adultes de courtilières pour les Orthoptères, etc.), des gastéropodes (escargots et limaces, mais à l’exception pour ces dernières d’une espèce endogée, Testacella haliotidea, prédatrice des œufs et juvéniles de vers de terre et d’autres limaces) (fig. 5.9). Enfin, le sol compte, essentiellement dans son compartiment épigé, de nombreux prédateurs auxiliaires des cultures tels les carabes (espèces omnivores et carnivores), les staphylins (espèces prédatrices) et les araignées (essentiellement les lycoses qui chassent leurs proies en courant).


Figure 5.9. Représentation schématique des groupes fonctionnels des compartiments aériens et du sol, et de leurs interactions dans un agroécosystème. La tomate a été considérée comme exemple de culture. Les autres ressources végétales sont constituées de couvertures végétales, bandes fleuries, bandes enherbées, etc. Les flèches bleues indiquent les relations trophiques entre les groupes fonctionnels et leurs ressources. La double flèche grise résume l’ensemble des interactions entre les deux compartiments. Les flèches rouges indiquent le processus de transformation des détritus végétaux en matière organique et en éléments (macro- et oligo-éléments). Les « herbivores » sont considérés ici comme les « phytophages ».

Biodiversité fonctionnelle du compartiment aérien


Dans le compartiment aérien, sans prendre en compte les oiseaux et les mammifères, les espèces appartiennent en grande majorité à la macrofaune. On peut distinguer trois principaux groupes fonctionnels d’auxiliaires des cultures : les pollinisateurs et les ennemis naturels parasitoïdes d’une part et prédateurs d’autre part. À l’échelle mondiale, les animaux pollinisateurs permettent la reproduction de 88 % des plantes sauvages et de 70 % des espèces cultivées. Ainsi, 35 % du volume de la production des cultures proviennent de plantes qui dépendent de leur service (Klein et al., 2007). En outre, plus des deux tiers des plantes cultivées voient leur rendement amélioré par une pollinisation entomophile de qualité (Klein et al., 2007). Chez les insectes, l’espèce emblématique de la pollinisation est l’abeille domestique (Apis mellifera), mais de nombreuses autres espèces d’insectes assurent ce service (abeilles sauvages, Diptères syrphidés, Lépidoptères…) et il a été montré que les pollinisateurs sauvages sont deux fois plus efficaces (à nombre de visites égal) que l’abeille domestique pour polliniser les plantes cultivées, mais que les efficiences respectives des premiers et de cette dernière sont complémentaires et non substitutives. Les insectes parasitoïdes effectuent leur cycle de développement aux dépens d’un autre arthropode. Les femelles pondent sur ou à l’intérieur du corps de l’hôte. Après éclosion, la larve se nourrit de son hôte. À la différence des parasites, les parasitoïdes entraînent obligatoirement la mort de leur hôte, notamment lors du passage à l’état adulte. Les insectes parasitoïdes des nuisibles sont donc des auxiliaires importants des cultures. Les adultes sont, pour la plupart, floricoles et s’alimentent de nectar et de pollen. Les parasitoïdes sont essentiellement représentés par des micro-guêpes (Hyménoptères), mais d’autres groupes ont également ce mode de vie, comme des espèces de staphylins (Coléoptères) et les tachinaires (Diptères). Un exemple d’utilisation de parasitoïdes est le lâcher de Trichogramma brassicae (Hyménoptère), parasitoïde de la pyrale du maïs (Ostrinia nubilalis) dont les œufs sont tués (par la larve du trichogramme) avant l’émergence des chenilles. Les prédateurs capturent et dévorent leurs proies ; parmi les plus connus, on trouve des coccinelles, des syrphes et des acariens (ces trois groupes


possèdent aussi des espèces non prédatrices), les chrysopes et les araignées. Les coccinelles zoophages et les araignées sont presque uniquement prédatrices, une alimentation partiellement à base de pollen leur est toutefois bénéfique. Par ailleurs, les syrphes et les chrysopes ont des modes de vie plus complexes. En effet, leurs larves sont prédatrices de petits arthropodes et les adultes se nourrissent de nectar et de pollen. Pour ces auxiliaires, la présence de ressources en fleurs dans les abords des cultures permet donc le maintien de leurs populations, ce qui est un principe de base de la lutte biologique par conservation (Landis et al., 2000). Le compartiment aérien comporte lui aussi des phytophages. Comme ceux présents dans le sol, les arthropodes phytophages aériens se nourrissent de plantes, et seules les espèces s’alimentant de plantes cultivées sont qualifiées de nuisibles. Il en existe de nombreuses et l’on peut citer les insectes piqueurs-suceurs qui s’alimentent de la sève des plantes, tels les cochenilles, pucerons et autres cicadelles. Certaines d’entre elles sont vectrices de virus et de phytoplasmes. Citons aussi les insectes frugivores comme les mouches des fruits (Diptère : Téphritidé) ou le carpocapse (Lépidoptère : Tortricidé). Pour leur part, les phytophages non nuisibles s’alimentent de plantes adventices et constituent des proies/hôtes alternatifs pour les prédateurs/parasitoïdes. Ils permettent ainsi le maintien des populations de ces auxiliaires dans les cultures. Biodiversité fonctionnelle et régulation des arthropodes ravageurs Comme le souligne la définition de la biodiversité par Noss (1990), la fonction assurée par un groupe fonctionnel d’auxiliaires dépend de sa composition et de sa structure, ces dernières dépendant à leur tour de l’agroécosystème et du paysage dans lesquels le groupe fonctionnel évolue. Dans le cadre de la protection agroécologique des cultures, le niveau d’expression des services de régulation délivrés par les auxiliaires prédateurs et parasitoïdes est déterminé par ces patrons de diversité. À l’échelle du paysage, il existe une corrélation positive entre son hétérogénéité (c.-à-d. diversité de composition et de configuration) et la


richesse et l’abondance des ennemis naturels. Veres et al. (2013) démontrent à partir d’une analyse bibliographique de 72 études indépendantes, que cette hétérogénéité paysagère, due à une plus grande proportion d’habitats semi-naturels, est positivement corrélée à l’intensité du contrôle biologique des ravageurs dans les parcelles et à une baisse de pression de ces derniers. Aux échelles inférieures, il a été démontré, par méta-analyse de 552 expérimentations, que la diversification spatiotemporelle des espèces cultivées, de l’échelle de l’exploitation agricole à celle de la parcelle, était positivement corrélée à une plus grande diversité spécifique d’ennemis naturels, à une moindre abondance des ravageurs et à une réduction des dégâts causés par ces derniers (Letourneau et al., 2011). À l’échelle de l’agroécosystème, les pratiques culturales ont également des effets sur les communautés, dont celles des prédateurs et parasitoïdes. La majorité des études ont comparé les effets des pratiques de l’agriculture « conventionnelle », à celles de l’agriculture biologique au sein de laquelle l’usage des produits biocides est limité et en pratique quasiment nul en grandes cultures. Dans les parcelles conduites en agriculture biologique, la richesse spécifique des groupes fonctionnels augmente en moyenne de 30 % (10 % pour les prédateurs). À l’échelle des espèces et des populations, il est important de connaître les effets des types de diversité (spécifique, fonctionnelle) des communautés d’ennemis naturels sur leurs proies et hôtes ravageurs des cultures. Ainsi, plusieurs travaux ont récemment montré que le contrôle biologique des ravageurs augmente avec la diversité spécifique des ennemis naturels, mais que cette relation positive est dépendante de la complémentarité entre les espèces auxiliaires, donc de l’identité fonctionnelle de ces dernières. C’est la taille moyenne d’une communauté de carabes et notamment la présence d’espèces de grande taille qui explique au mieux le niveau de prédation exercée sur une gamme de proies offertes ; la diversité de taille en elle-même n’a pas d’influence, du fait d’une absence de partition des ressources selon la taille. Dans la nature, cette relation se nourrit en plus de multiples interactions entre guildes, et notamment des effets de la prédation intra-guilde. Ainsi, cette relation positive entre taille des carabes et niveau de prédation sur pucerons des céréales, ne s’observerait, en


parcelle agricole, que si la taille moyenne d’autres prédateurs de la guilde, en l’occurrence des araignées, est similaire à celle des carabes. Si ces derniers ont une taille moyenne supérieure à celle des araignées, la prédation intra-guilde s’exercerait sur ces dernières, et le niveau de prédation sur les pucerons diminue, par perte de prédateurs et par satiété des carabes. Inversement, une araignée de grande taille peut devenir prédatrice d’une larve de carabe de taille inférieure (obs. pers.). Ces divers travaux et observations démontrent donc qu’au-delà de la seule diversité fonctionnelle des communautés d’auxiliaires, qui peut toutefois être plus explicative de leurs effets sur les communautés de ravageurs que l’approche purement taxonomique informant sur la seule diversité spécifique (et même si la distance taxonomique est prise en compte), il est nécessaire de prendre en considération certains traits fonctionnels (ici la taille mais aussi les spécificités alimentaires) pour une meilleure compréhension des mécanismes des relations entre diversité des auxiliaires et fonctions/services de régulation délivrés.

Analyse des effets des pratiques agricoles sur les stress biotiques Une partie de la biodiversité (agents pathogènes, plantes adventices et ravageurs) est susceptible d’entraîner des pertes qualitatives et quantitatives qui peuvent être élevées. Les relations entre dynamiques de population de bioagresseurs et les pertes de récolte engendrées ne sont pas linéaires et dépendent de la situation de production. Une situation de production est définie par l’ensemble des caractéristiques physiques, chimiques, biologiques d’une parcelle, en dehors du (des) peuplement(s) cultivé(s) et de son environnement ; ainsi que par les déterminants socioéconomiques susceptibles d’influencer les décisions de l’agriculteur. Dans cette définition, « l’environnement de la parcelle » fait référence au climat et aux éléments du territoire susceptibles d’interagir avec la parcelle considérée (autres parcelles, bordures, haies, forêts...) via des flux biotiques ou abiotiques (Aubertot et Robin, 2013). Pour limiter le développement des ennemis des cultures, les dommages associés et les pertes économiques en découlant, les agriculteurs peuvent faire appel aux différentes méthodes de contrôle décrites plus haut. Ces méthodes peuvent


se combiner dans le cadre de la PAEC. L’intégration dont il est question ici est d’abord celle des pratiques agricoles qui ont un effet prophylactique sur les bioagresseurs (contrôle cultural) mais aussi sur les méthodes curatives. Malheureusement, les dimensions horizontales (gestion de plusieurs populations de bioagresseurs) et verticales (combinaison de méthodes) de la protection des cultures ne sont que trop peu étudiées par la recherche agronomique. De plus, il existe peu de références sur la mise en cohérence de l’ensemble de ces leviers dans le cadre des pratiques culturales mobilisés par les agriculteurs. Mettre en œuvre les principes évoqués précédemment nécessite de reconsidérer les échelles spatiotemporelles et de changer de logique. Contrairement à la lutte chimique, centrée sur une prise de décision à un instant donné au sein de l’itinéraire technique, la gestion agroécologique des stress biotiques se raisonne à plus long terme, à l’échelle du système de culture. Les objectifs de réduction de l’utilisation des pesticides doivent donc se situer à une échelle pluriannuelle. De même, du point de vue spatial, la gestion durable des bioagresseurs doit dépasser le niveau de la parcelle pour embrasser un territoire bien plus large, pertinent pour la gestion des problèmes locaux allant d’îlots de parcelles, à l’aire de production, compte tenu de la capacité de dispersion d’un ensemble de particules biotiques. Des pratiques culturales en interaction au sein de l’agroécosystème Il apparaît donc nécessaire de mobiliser et de combiner tous les leviers des pratiques agricoles dans le cadre de la gestion agroécologique des cultures : utilisation de variétés résistantes ou tolérantes (contrôle génétique) ; adaptation des pratiques dont le but premier n’est pas la protection des cultures, telles que le choix de la succession des cultures, du travail du sol, de la fertilisation (contrôle cultural) ; utilisation d’organismes auxiliaires (lutte biologique) ; ou interventions mécaniques, thermiques, électromagnétiques ou acoustiques (contrôle/lutte physiques). La mise en œuvre de la gestion agroécologique des cultures est confrontée à des difficultés techniques et agronomiques qui freinent son développement : la prise en compte de l’impact sur les bioagresseurs de la combinaison des différentes pratiques culturales et de leurs interactions au sein d’un itinéraire technique ou d’un système de culture est difficile non


seulement à cause de la multiplicité des bioagresseurs à considérer, mais également à cause de la multiplicité des interactions à considérer entre système de culture, communautés de bioagresseurs, milieu et peuplement(s) végétal(aux) cultivé(s). De plus, le peu d’études réalisées sur les effets du contrôle cultural ne concerne, en général, qu’un seul bioagresseur majeur (approche monospécifique). Ceci n’est pas satisfaisant car les agriculteurs doivent gérer des profils de dégâts (approches plurispécifiques : maladies cryptogamiques, plantes adventices et ravageurs). Or, la mise en œuvre de tout acte technique peut affecter l’ensemble de la biocénose et donc l’ensemble du profil de dégâts de la culture. Adapter les pratiques culturales pour diminuer les stress biotiques. Les risques de bioagression d’une culture dépendent de trois déterminants principaux : les pratiques agricoles, le pédoclimat et l’environnement de la parcelle. La notion d’endocyclisme permet de caractériser la plus ou moins forte dépendance aux effets de l’historique de la parcelle sur un stress biotique donné. L’adjectif « endocyclique » qualifie un organisme dont le développement s’effectue principalement au sein d’une parcelle et dépend fortement de l’endoinoculum présent sur cette parcelle. Le niveau d’endocyclisme d’un bioagresseur dépend donc directement du niveau de persistance de l’endoinoculum primaire sensu lato et de sa capacité de dispersion. Les bioagresseurs à niveau de persistance élevé et faible capacité de dispersion sont fortement endocycliques. Les bioagresseurs ayant un faible niveau de persistance sont faiblement endocycliques, indépendamment de leur capacité de dispersion. Les bioagresseurs avec un haut niveau de persistance et un haut niveau de dispersion sont modérément endocycliques. L’inoculum produit par un bioagresseur endocyclique pendant un cycle cultural se conserve et constitue au fil des années un stock d’inoculum. Les bioagresseurs endocycliques dépendent donc fortement de l’histoire de la parcelle. La catégorisation des bioagresseurs en deux groupes (fortement/moyennement endocyclique et faiblement endocyclique) permet d’identifier rapidement l’échelle spatiale à considérer en priorité pour leur gestion : l’échelle de la parcelle ou celle du paysage (Aubertot et Robin, 2013).


Les méthodes de gestion alternative des bioagresseurs visent à mettre en œuvre un ensemble de moyens qui jouent sur différentes étapes du cycle des bioagresseurs et de la culture et concourent ainsi à limiter l’incidence des ennemis, leur développement et la contamination des cultures. On entend ici par « méthode alternative » toute méthode autre que l’utilisation de pesticides. En amont, des méthodes peuvent être mobilisées pour agir sur le stock initial de bioagresseurs et limiter le développement de populations qui sont sources de contamination des cultures. Au cours du cycle de développement de la culture, les méthodes utilisables peuvent reposer sur des stratégies d’évitement qui visent à éviter la concomitance entre la phase de pollution — c.-à-d. apparition du bioagresseur dans la (les) culture(s) considérée(s) — et la période de sensibilité de la culture. On peut également faire appel à des stratégies d’atténuation, qui ont pour objectif de minimiser les dégâts lorsque la culture et le bioagresseur sont en contact. Enfin, les solutions de rattrapage permettent de limiter les dégâts lorsque les leviers précédents n’ont pas été suffisamment efficaces (fig. 5.10).


Figure 5.10. Positionnement des différents leviers de gestion. D’après Attoumani-Ronceux et al., 2011.

Les méthodes d’action sur le stock initial de bioagresseurs affectent les populations de bioagresseurs via une réduction de l’endoinoculum primaire. Le terme inoculum fait référence à tout organe du parasite capable de contaminer un hôte. L’inoculum primaire permet le développement du bioagresseur ; l’endoinoculum, au contraire de l’alloinoculum, provient du même espace que celui où l’épidémie est observée. Ces organes peuvent notamment être des graines, des spores, du mycélium, des œufs, des larves. Les méthodes affectant le stock initial d’inoculum reposent sur l’interaction entre le travail du sol (qui inclut la gestion des résidus et des repousses) et la succession des cultures et éventuellement la lutte biologique. Par exemple, le labour affecte la répartition verticale des sources potentielles d’inoculum et impacte la biologie des bioagresseurs endocycliques comme le piétin-échaudage (Gaueumannomyces graminis var. tritici) ou les fusarioses du blé, le phoma du colza ou du tournesol, les graines de brome, vulpin, ray-grass, gaillet, les taupins (Agriotes sp.) sur pomme de terre (liste non exhaustive !). De même, la gestion des repousses par des opérations de travail du sol influence la survie estivale de la rouille brune. La stratégie d’évitement est le principal levier pour esquiver la coexistence entre la période sensible de la culture et la phase de pollution du bioagresseur. Elle repose sur le raisonnement de la date de semis, à associer à un choix judicieux d’une variété ad hoc. Ainsi, un semis plus précoce du colza peut permettre dans certains cas de réduire les contaminations du phoma. De plus, une durée de végétation importante contribue à donner aux bioagresseurs plus de temps pour se développer et accomplir un plus grand nombre de cycles. Ainsi, un semis plus tardif de blé d’hiver permet de limiter cette possibilité pour certaines maladies comme la rouille brune, la septoriose, les piétins. Retarder les semis de céréales à paille défavorise également les attaques des insectes à l’automne, comme les pucerons vecteurs de la JNO (jaunisse nanisante de l’orge) et permet d’esquiver la flore automnale qui pourra être détruite par un travail du sol.


L’atténuation en culture agit via une modification de l’état du peuplement : il s’agit de placer la culture dans la situation la plus favorable et le bioagresseur dans la situation la plus défavorable à son développement et à sa dissémination, en jouant sur le choix des variétés ou des associations d’espèces, les dates et densités de semis, la fertilisation, l’irrigation ou d’une manière plus générale, tout acte technique susceptible de modifier les états de peuplement (Attoumani-Ronceux et al., 2011). Ainsi, les cultures avec une forte disponibilité en azote ont généralement une plus grande sensibilité à un grand nombre de bioagresseurs (par croissance accrue des surfaces foliaires, modification du microclimat (Palti, 1981), comme par exemple pour l’oïdium ou les rouilles du blé, les pucerons (Myzus persicae sur de nombreux hôtes). Des variétés résistantes ou tolérantes constituent aujourd’hui un levier majeur pour limiter les dégâts et dommages causés par de nombreux agents pathogènes, comme le piétin-verse du blé, le phomopsis du tournesol ou la tavelure du pommier. Des solutions de rattrapage peuvent être mobilisées si tous les leviers préventifs n’ont pas été suffisants, comme la lutte chimique raisonnée avec un choix réfléchi des substances actives les moins à risque pour la biodiversité et la santé humaine, la lutte biologique (si disponible) avec par exemple l’utilisation des trichogrammes contre la pyrale du maïs ou la lutte mécanique contre les adventices. À ce jour, la lutte chimique reste le fer de lance de la gestion de la santé des plantes. Pour réduire l’utilisation des pesticides, c’est véritablement le niveau de la reconception du cadre E-S-R qui permettra la réduction de la dépendance structurelle des agroécosystèmes aux pesticides.

L’agriculture biologique comme prototype pour le développement de la PAEC L’AB prototype d’une protection agroécologique des cultures Le prototype est un premier exemplaire, un modèle non définitif de ce que pourra être le produit ou l’objet final, conçu dans un souci d’améliorer les modèles existants jugés insatisfaisants.


L’agriculture biologique (AB) a émergé en Europe dans la première moitié du xxe siècle en réaction à la modernisation de l’agriculture et à son éloignement des processus naturels. La spécialisation excessive des productions et l’artificialisation se sont accompagnées d’une utilisation croissante d’engrais et de pesticides issus de l’industrie chimique quand les fondateurs et les pionniers défendaient une agriculture alternative basée sur la régulation écologique et l’autonomie. L’AB, par ses principes et les contraintes imposées par son cahier des charges, a davantage recours aux processus naturels de régulation, par exemple la rusticité des variétés cultivées, l’allongement des rotations, les associations d’espèces, les engrais verts, les couverts végétaux ou la lutte biologique par conservation, faute de « béquille » chimique. Si des substituts existent aujourd’hui dans la gamme des biopesticides, ceux-ci se révèlent souvent utilisés en combinaison avec d’autres méthodes de lutte, notamment du fait de leur moindre efficacité. Ce faisant, l’AB élargit les frontières de son système par des combinaisons, non seulement dans le temps, mais aussi dans l’espace, à l’échelle des agroécosystèmes. En ce sens, elle peut être vue comme un prototype d’une protection agroécologique, un « laboratoire » et parfois une « référence » pour l’ensemble des agricultures (Bellon et Penvern, 2014). Capacité à générer des connaissances de l’AB L’AB a largement démontré sa capacité à générer des connaissances, en particulier la recherche d’alternatives aux intrants chimiques de synthèse. L’innovation occupe alors une place centrale, avec ses variantes : par retrait (abandon de produits chimiques de synthèse), incrémentale ou radicale (reconception du système de production et redéfinition de son rapport à l’environnement). Longtemps marginalisés par les institutions, les agriculteurs se sont souvent autosaisis de leurs problèmes et ont eux-mêmes produit les connaissances pour résoudre ces difficultés. Ils ont ainsi construit des savoirs locaux et testé ou développé des innovations grâce à


l’expérimentation. L’expérimentation est d’autant plus nécessaire que les agriculteurs en AB mobilisent des connaissances sur les régulations complexes des agroécosystèmes, et qu’il n’existe pas ou peu de recette générique en réponse à la diversité des milieux. En même temps qu’une standardisation des schémas de production et qu’une artificialisation des processus, la transmission des connaissances et des savoirs a longtemps été vue selon un modèle « descendant », linéaire, où les agriculteurs étaient considérés comme des « applicateurs » de nouvelles techniques conçues par les acteurs de la recherche agronomique. Or, la diversité des situations (des régions, des territoires, des systèmes, des pratiques, des trajectoires, des hommes…) rend illusoire l’idée d’une solution technique générique applicable partout et par tous. Les connaissances à produire en AB sont donc très dépendantes des contextes propres à chaque exploitation. En réponse à quoi, de nombreuses initiatives multi-acteurs se sont développées pour une production participative et décentralisée de connaissances appropriées et adaptées à chaque situation. Capacité à intégrer des connaissances de l’AB L’AB est aussi en capacité d’intégrer des connaissances issues de recherches plus génériques comme l’illustre toujours aujourd’hui la position de l’Inra sur l’intérêt des recherches pouvant « intéresser l’AB » (Inra, 2013). En protection des cultures, l’Inra fait le choix dans les années 1990 de travailler sur l’agriculture intégrée, alors considérée comme un modèle intermédiaire entre AB et agriculture conventionnelle. Les recherches entreprises débouchent sur la mise au point de techniques alternatives et la connaissance de nouveaux systèmes de culture qui pourront à terme servir aussi aux agriculteurs pratiquant l’AB. Encore faut-il que ces derniers puissent réellement valoriser les résultats de la recherche traditionnelle pas toujours adaptés à leur mode de production. L’AB est donc aussi le fruit d’innovations issues ou traduites d’autres formes d’agriculture. En premier lieu, les savoirs traditionnels, qu’elle a peut-être davantage préservés, sans ignorer les technologies plus récentes


(par ex., outils pour le travail du sol, filets Alt’Carpo en arboriculture, agriculture de précision). L’AB sait aussi se saisir des techniques et concepts compatibles avec ses principes et son cahier des charges comme l’agriculture de conservation, l’agroforesterie. Enfin, la nécessaire approche globale de la protection des cultures en AB (Deguine et Penvern, 2014) suppose d’intégrer une diversité de connaissances tant les dimensions et les disciplines à mobiliser sont multiples. L’AB est originale par sa capacité à intégrer ces connaissances issues de disciplines multiples (par ex., génétique, agronomie, écologie et sciences de gestion) en un ensemble cohérent, éprouvé par la pratique et performant. En ce sens, l’AB est un prototype pour expérimenter, évaluer et promouvoir la protection agroécologique des cultures. Contribution à la transition agroécologique En tant que prototype, l’étude de la conversion en agriculture biologique renseigne sur le changement de paradigme que pourrait représenter l’adoption à plus ou moins grande échelle d’une protection agroécologique des cultures, permet d’aborder les voies de développement de l’AB et les changements induits par le passage d’une « niche » à un modèle plus généralisé (Bellon et Penvern, 2014). L’AB est elle-même en transition, en constante évolution et révèle des capacités d’adaptation. Les transitions vers l’AB peuvent se faire selon des schémas très différents : soit comme une suite logique à une trajectoire, avec un « saut » dans les pratiques assez faible au moment de la conversion ; soit de but en blanc depuis un système intensif en changeant complètement de système technique parce que les maladies, les ravageurs et les plantes adventices ne sont plus maîtrisés. Ces changements de pratiques peuvent par ailleurs se faire sur des pas de temps beaucoup plus longs que la période de conversion. À une autre échelle, la diversité de modèles d’AB, tout en coexistant, permettent également une progression de l’ensemble du secteur, voire de


l’agriculture dans son ensemble, si l’AB est source d’innovations pour les autres formes d’agriculture. D’un point de vue dynamique, elle peut aussi être une étape, même si la majorité des cas étudiés à ce jour la situe en dernière position sur les trajectoires des producteurs (Bellon et Lamine, 2009). L’AB prototype et modèle Le dynamisme et la capacité à créer, moissonner et intégrer de nouvelles connaissances de l’AB déterminent sa capacité à évoluer et à maintenir son statut de prototype. L’AB offre l’opportunité de changer, plus ou moins radicalement, d’approche en recherchant des solutions au niveau du fonctionnement global, élargissant les frontières du système de culture ou d’élevage, au système agroalimentaire « du champ à l’assiette ». Par sa mise en pratique, elle stimule l’innovation et apporte des éléments de réponse à plusieurs enjeux de l’agriculture de demain : préservation de la biodiversité, changement climatique, qualité des aliments et de l’eau, autonomie et souveraineté alimentaire... Son appropriation par les nouveaux entrants ou l’évolution des agriculteurs déjà convertis impliquent de dépasser le seul contenu restrictif d’un cahier des charges, vu comme une liste d’intrants éligibles ou comme le renoncement aux produits chimiques de synthèse. Alors que des systèmes relativement spécialisés se développent, en particulier en horticulture et en grande culture, ils s’éloignent du modèle canonique d’association polyculture-élevage. Ainsi, comment réintroduire de « l’organique » dans ces systèmes spécialisés ? Quels aménagements permettent d’être moins tributaires d’intrants externes, aussi « biologiques » soient-ils ? Une approche globale et prospective semble fondamentale pour appréhender les systèmes dans leur complexité, en traitant de façon conjointe production et transformation, culture et élevage, protection et production, afin de lever de façon originale des verrous techniques.

Écologie du paysage, domaine de rapprochement agronomie/écologie


L’échelle du paysage apparaît comme le niveau pertinent pour mettre en œuvre des stratégies de protection agroécologique des cultures. D’une part, les processus écologiques à la base de régulations biologiques se déploient sur une large gamme d’échelles spatiales dont celle du paysage. D’autre part, le paysage est un niveau d’organisation privilégié pour analyser les interactions entre activités agricoles et processus écologiques. Enfin, il est une échelle opérationnelle pour concevoir et gérer avec les acteurs du territoire des organisations paysagères pour une gestion durable des bioagresseurs. L’écologie du paysage est une discipline qui a émergé dans les années 1980 (Forman et Godron, 1986) et qui a pour objectif la compréhension du rôle des activités humaines sur la structuration et la dynamique des patrons spatiaux des paysages, et la compréhension des relations entre les patrons spatiaux des paysages et les flux et processus écologiques. Le paysage des écologues existe indépendamment de la perception et est défini comme un niveau d’organisation des systèmes écologiques supérieur à l’écosystème dont la dynamique est gouvernée pour partie par les activités humaines. Les patrons spatiaux d’un paysage sont quantifiés par des métriques variées dont deux sont particulièrement liées au maintien des organismes dans le paysage : la connectivité qui décrit le degré de continuité spatiale d’un type d’occupation du sol à travers le paysage, et l’hétérogénéité qui décrit le degré de complexité de l’agencement spatial du paysage, à la fois en termes de structure et de composition. Les hypothèses concernant les effets du paysage sur la distribution des organismes s’appuient sur plusieurs concepts relatifs au fonctionnement des populations sur un espace hétérogène. Dans les années 1990, la théorie des métapopulations (Levins, 1969) permet d’analyser les conditions du maintien d’espèces dont l’habitat est spatialement discontinu ; ce maintien dépend d’une dynamique d’extinctions et de recolonisations successives de taches d’habitat du paysage ; ces taches sont reliées fonctionnellement entre elles par des flux d’individus qui permettent la recolonisation de taches laissées vides suite à une extinction. Les concepts de supplémentation et de complémentation offrent quant à eux un cadre d’étude pour les organismes qui utilisent des ressources localisées dans


plusieurs habitats pendant leur cycle de vie. Les recherches menées en milieu agricole montrent que les patrons spatiaux du paysage affectent le maintien de nombreuses espèces des agroécosystèmes (Tscharnke et al., 2012). Globalement, le maintien de la biodiversité des espaces agricoles est tributaire du maintien d’une hétérogénéité spatiale et temporelle des paysages à différentes échelles : paysage, îlots de champs, champ. De même, les processus écologiques à la base de régulations biologiques dépendent de ces différentes échelles ; ils sont tributaires de la gestion parcellaire mais également de la manière dont cette gestion s’organise dans les paysages (Massol et Petit, 2013). L’effet paysage se surimpose donc généralement à un effet local ; le paysage peut accentuer, atténuer ou moduler de façon différenciée les effets de la gestion locale parcellaire sur les organismes et sur les processus écologiques. On doit ainsi s’orienter vers une gestion multiéchelles des régulations biologiques dans les paysages agricoles, approche qui nécessite d’adopter une vision plus intégrée de l’agronomie et de l’écologie, notamment dans la description des patrons spatiaux affectant les processus écologiques. La façon dont est représenté le paysage a fortement évolué en écologie du paysage. Les premières études sur les métapopulations le représentaient de façon binaire, avec des taches d’habitat (éléments semi-naturels) noyées dans une matrice hostile (espaces cultivés). Elle s’est progressivement orientée vers une vision de l’espace en mosaïque continue de parcelles et d’espaces interstitiels dont l’arrangement varie dans l’espace et dans le temps, au rythme des successions culturales et des activités agricoles. Les patrons spatiaux sont quantifiés en termes d’hétérogénéité spatiale et temporelle et traduits en hétérogénéité fonctionnelle, c’est-à-dire telle qu’elle est perçue par les organismes auxquels on s’intéresse (Fahrig et al., 2015). Rendre compte de l’hétérogénéité spatio-temporelle perçue par les bioagresseurs et leurs ennemis naturels n’est pas aisé. La littérature en écologie du paysage décrit souvent les agroécosystèmes en termes d’agriculture biologique vs agriculture conventionnelle mais cette simplification peut se révéler insuffisante, voire trompeuse. D’une part, il


est souvent nécessaire de différencier les types de cultures, voire les variétés d’une même culture, pour rendre compte de la qualité des habitats occupés par un ravageur ou un agent pathogène (Veres et al., 2013). D’autre part, les pratiques agricoles mises en œuvre au sein d’un même système de production sont très variables. Cette diversité des itinéraires techniques génère une hétérogénéité cachée invisible à l’œil nu qui pourtant est souvent le facteur déterminant de la qualité de l’habitat des espèces. Rendre compte de la distribution spatiale des pratiques agricoles dans le paysage l’année n mais aussi de cette distribution les années précédentes augmente souvent notre capacité à expliquer la distribution des organismes d’intérêt agronomique dans l’espace agricole. L’étude écologique des régulations biologiques dans la mosaïque agricole va ainsi nécessiter d’intégrer des concepts et méthodes issus de l’agronomie. Cette intégration se doit d’ailleurs d’aller au-delà de la simple description spatialisée des pratiques agricoles dans le paysage. Les arrangements spatio-temporels de pratiques ne sont en effet pas aléatoires mais clairement liés aux contraintes des exploitations agricoles et du milieu. Il apparaît donc nécessaire d’en appréhender les déterminants pour à terme concevoir des arrangements spatiaux à plus-value écologique qui soient réalistes et viables. Les travaux d’agronomie du paysage qui analysent les déterminants de l’organisation spatiale des pratiques dans le paysage (voir Benoit et al., 2012) sont particulièrement pertinents pour relier les activités agricoles aux processus écologiques par l’intermédiaire des patrons spatiaux du paysage. Ils permettent notamment de modéliser la dynamique de paysages réels sous l’effet de règles de décision des agriculteurs quant à la conduite de leur exploitation et de caractériser les patrons spatiaux qui émergent de ces décisions. Un déploiement plus significatif des approches spatiales en agronomie et de l’interdisciplinarité entre agronomie et écologie permettrait à terme l’application de ce type d’outil à la conception de paysages autorisant une gestion durable des bioagresseurs. Cette orientation renforcerait significativement la contribution de ces deux disciplines au développement territorial. Renforcer les régulations biologiques dans un paysage passe en effet par une intégration de la gestion agroécologique dans l’aménagement et le développement d’un territoire. Prendre en compte le territoire permet de


poser les questions de l’insertion de l’agriculture dans un contexte plus large, notamment des interactions entre les différents systèmes de production, de la gestion des espaces non cultivés et des interfaces, des relations entre les professionnels agricoles et les autres acteurs du territoire (Duru et al., 2014). Par rapport à la question de la protection agroécologique des cultures, le défi est important car il s’agit de mener simultanément des innovations agroécologiques favorisant le contrôle biologique des bioagresseurs et des innovations socioéconomiques et institutionnelles favorisant de nouveaux modes de coordination et d’apprentissage entre acteurs dans les filières et les territoires (Duru et al., 2015). La mise en place de la gestion agroécologique des territoires requiert un accompagnement des acteurs, notamment la mise à disposition d’outils de diagnostics écologiques, agricoles et socioéconomiques, et l’élaboration de scénarios pour explorer l’impact des changements de pratiques agricoles à l’échelle des territoires (Gascuel-Odoux et Magda, 2015). Ces outils de modélisation ont le potentiel de faciliter les concertations entre acteurs pour la construction de projets de territoire et la mise en œuvre de gestion collective. Pour conclure, le paysage est un niveau englobant où s’expriment de nombreuses interactions entre activités humaines et processus écologiques ; un renforcement des approches interdisciplinaires et spatialisées à cette échelle devrait significativement aider à la conception et mise en œuvre d’une protection agroécologique des cultures dans nos territoires.

Mettre en œuvre et évaluer les pratiques Les dispositifs expérimentaux et la co-conception La co-conception de systèmes de culture oblige à penser, agir et évaluer de manière systémique. Cela remet en question les modes classiques d’expérimentation, dits factoriels, où les effets d’un (ou quelques) facteur(s) sont évalués indépendamment des autres, et a conduit à l’apparition d’un nouveau mode d’expérimentation dit système permettant d’évaluer simultanément et de manière intégrée de nouveaux systèmes de


culture (ou d’élevage). Or, si les méthodes pour mettre en œuvre des dispositifs factoriels sont bien documentées (Dagnelie, 2012), et ce depuis de nombreuses années, celles concernant les expérimentations systèmes sont encore en évolution, voire en phase de mise au point et leurs liens aux activités de co-conception des systèmes peu explicités. Ce sont ces liens que nous allons tenter de clarifier ici. Considérant que la conception est indissociable de l’évaluation, les indicateurs d’évaluation des performances du système choisis dépendront de la diversité des acteurs impliqués dans le processus de co-conception, d’une part, mais aussi des objectifs poursuivis, d’autre part. Les expérimentations systèmes doivent alors permettre de mesurer ces indicateurs et de considérer les effets directs comme indirects des innovations techniques mobilisées. Mais surtout elles permettent de considérer des objectifs contradictoires (produire plus sans intrant chimique) par une évaluation multicritère des performances du système (Bruchon et al., 2015). Ces expérimentations systèmes permettent aussi de raisonner à des pas de temps différents comme le court terme pour le pilotage et le moyen ou long terme pour les impacts du système sur l’environnement mais aussi à des échelles d’étude différentes, et particulièrement à celles du système de culture et de l’exploitation. Ces expérimentations systèmes peuvent être mises en œuvre aussi bien dans des processus de reconception de type « réglé » qui conduit à des innovations incrémentales (amélioration pas-à-pas du système existant pour s’adapter à de nouveaux objectifs) (Le Bellec et al., 2012) que de type « de novo » pour lequel une forte rupture avec les systèmes existants est affichée. Enfin, les expérimentations systèmes n’ont pas nécessairement besoin d’un système témoin, puisque l’objectif est d’évaluer les performances de systèmes nouveaux au regard des objectifs qui ont conduit à leur co-conception. Ce sont donc ces objectifs qui servent de témoin virtuel. Pourquoi et comment mettre en œuvre une expérimentation système dans le cadre de la co-conception ? Qu’une expérimentation visant à évaluer les propriétés de l’objet


nouvellement conçu (ou co-conçu) soit nécessaire ne soulève guère d’objections. Le type d’expérimentation à mettre en place (et ses objectifs) ne va cependant pas de soi. La co-conception passe par plusieurs étapes (Tchamitchian et Le Gal, 2014). La première est l’établissement d’un cadre de contraintes partagé avec l’ensemble des acteurs impliqués dans la reconception du système et la détermination des objectifs d’amélioration du système de culture. Intervient ensuite l’itération de deux étapes : la construction de prototypes et leur évaluation au regard de ces objectifs. Durant ces itérations, des indicateurs permettant de mesurer plus ou moins précisément les propriétés des prototypes apparaissent et font l’objet d’un accord entre les participants à la co-conception. L’expérimentation intervient enfin, quand l’évaluation des propriétés du ou des prototypes semble satisfaisante. La formalisation des prototypes de système de culture fait appel bien sûr à la définition du système de culture (« ensemble des modalités techniques mises en œuvre sur des parcelles traitées de manière identique » ; Sebillotte, 1974), mais aussi à la notion de règle de décision, qui permettent d’adapter les choix techniques en fonction de l’état de la culture et des évènements climatiques. Dès lors que les prototypes co-construits sont définis à partir de règles de décision plutôt que par des modalités techniques précises, leur évaluation expérimentale dans un dispositif factoriel qui compare des variantes de techniques élémentaires n’est pas possible. De plus, outre la vérification de la cohérence et de l’applicabilité des règles de décision, l’évaluation expérimentale de ces systèmes a pour objectif la vérification de leur capacité à remplir les objectifs qui ont préludé à leur conception. L’expérimentation système est née de ces contraintes et permet une évaluation globale des systèmes. Sa construction s’appuie en partie sur les objectifs et les indicateurs déjà mobilisés dans la co-conception des prototypes. En effet, outre la mise en œuvre des prototypes eux-mêmes, elle doit permettre d’évaluer si ces prototypes atteignent réellement les objectifs fixés, en offrant la possibilité de mesurer les indicateurs qui traduisent ces objectifs. Par exemple, des prototypes construits pour permettre une réduction importante de l’usage des produits phytosanitaires, en favorisant les régulations naturelles, tout en maintenant la même qualité de production, devront pouvoir être évalués non seulement par leur consommation en produits phytosanitaires (IFT, par


ex.), mais aussi sur la réalité de ces régulations (mesures de prédation, de parasitisme…) et sur leurs effets sur la culture (importance des dégâts dus aux ravageurs). Mais l’expérimentation système permet une évaluation plus large de ces prototypes, y compris sur des aspects qui n’auront pas pu être explorés lors de la co-conception. Les dimensions économiques, organisation du travail, sensibilité ou robustesse aux aléas et les effets sur l’environnement sont souvent plus efficacement et correctement appréciées durant l’expérimentation que sur l’objet virtuel qu’est le prototype. L’expérimentation système met donc à l’épreuve des prototypes de systèmes de culture. Sa conception est l’occasion de penser et de réaliser le lien entre les objectifs que doivent remplir les systèmes testés et les grandeurs effectivement mesurables au champ qui deviendront, directement ou après transformation, les indicateurs de ces objectifs. L’utilisation de modèles peut s’avérer utile pour compléter ce panorama ou évaluer des propriétés qui ne peuvent directement se mesurer. Sa conduite oblige à préciser les prototypes jusqu’à une opérationnalité complète, prolongeant donc les étapes de co-conception, en particulier en ce qui concerne les règles de décisions. En effet, il est souvent difficile de prévoir toutes les situations nécessitant une action et les différents états possibles du système à prendre en compte pour décider des modalités des opérations techniques. On peut donc considérer que l’expérimentation système est intimement liée à la (co-)conception en ce qu’elle la prolonge. Il apparaît alors tout à fait légitime de prolonger le rôle des différents acteurs de la co-conception dans l’expérimentation système, de sa conception à sa mise en œuvre. Pourquoi et comment impliquer les producteurs dans les dispositifs expérimentaux « système » ? L’approche système n’est pas une exclusivité des expérimentateurs, l’agriculteur lui-même est totalement dans cette logique, ce qui rend plus facile son implication dans la conception et le suivi des expérimentations systèmes. À titre d’exemple, nous détaillerons deux types de dispositifs expérimentaux contrastés lesquels impliquent plus ou moins les


producteurs. Ces dispositifs ont été mis en œuvre sur les systèmes de culture agrumicoles guadeloupéens et réunionnais (tab. 5.2) : un dispositif expérimental en station avec des prototypes de systèmes de culture mis au point avec des méthodes de co-conception (Dephi) ; un dispositif coconstruit avec les acteurs, testé avec eux et chez eux par des démarches purement participatives (Agrum’Aide). Tableau 5.2. Principaux objectifs et caractéristiques de deux dispositifs expérimentaux systèmes en agrumiculture. Projet Dephi

Projet Agrum’Aide

Localisation

Guadeloupe

Réunion

Période d’étude

2005-2010

2014-2018

Objectifs principaux

Réduire l’utilisation des herbicides

Réduire l’utilisation des pesticides

Type de dispositif

Expérimentation système en station expérimentale

Expérimentation système en réseau de producteurs

Nombre de prototypes

6 (dont 1 témoin)

2 (dont 1 témoin)

Dispositif statistique

5 blocs, 5 répétitions, parcelle élémentaire de 3 arbres (105 m²)

2 blocs, pas de répétition (× 6 producteurs), chaque bloc divisé en 10 parcelles élémentaire de 4 arbres (140 à 196 m²)

Implication des acteurs

Co-conception des prototypes et du jeu de règles de décision pour le pilotage 5 producteurs, 2 techniciens et 2 chercheurs ont été impliqués au sein d’un groupe de travail, tous réfléchissant ensemble aux prototypes

Co-conception du prototype testé par le producteur et du jeu de règles de décision pour son pilotage 6 producteurs, 2 techniciens et 3 chercheurs impliqués au sein d’un groupe de travail dans un premier temps Dans un second temps, chaque producteur réfléchissant à son propre prototype avec les techniciens et chercheurs

Principaux leviers utilisés

Gestion de l’enherbement par des plantes de service

Gestion des habitats avec ou sans introduction de plantes de service


Compétition plantes de service/adventices (barrière physique, allélopathie…)

Lutte biologique par conservation des habitats

Contrôle des bioagresseurs

Mesures directes (1 arbre par parcelle élémentaire)

Mesures directes (méthode d’échantillonnage stratifiée adaptée : 1 arbre sur 4 tiré au hasard à chaque suivi) et indirectes (indicateur basé sur les traits fonctionnels)

Évaluation des performances du système

Évaluation multicritère basée sur un jeu d’indicateurs choisi par les parties prenantes (grille d’indicateurs)

Évaluation multicritère basée sur un outil d’évaluation agrégeant des indicateurs choisi par les parties prenantes (outil d’aide à la décision)

Principaux résultats obtenus ou attendus

Diminution des herbicides entre 50 et 75 % (selon les producteurs) tout en préservant les performances (agronomique, environnementale et socioéconomique) du système (Le Bellec et al., 2012)

Diminution des pesticides de 50 % au moins tout en préservant les performances (agronomique, environnementale et socioéconomique) du système

Processus mobilisés

L’expérimentation menée dans le cadre du projet Dephi a mis en œuvre un dispositif statistique similaire à celui d’une expérimentation de type factoriel avec cependant des objectifs d’évaluation globale. Cinq prototypes co-conçus ont été comparés à un prototype témoin calé sur les pratiques courantes des producteurs. Les règles de décision et les indicateurs d’évaluation des performances ont été co-construits avec les parties prenantes du projet (Le Bellec et al., 2012). Il en a résulté la validation de deux prototypes ; lesquels ont été ensuite testés par des producteurs sur leur exploitation. L’expérimentation actuellement menée dans le cadre du projet Agrum’Aide met quant à elle en œuvre un dispositif statistique différent car il met les producteurs au centre du dispositif ; l’expérimentation est également basée sur une approche système. Chez chaque producteur sont comparés deux prototypes, un est co-conçu et adapté à sa situation, le second est un témoin calé sur ses pratiques courantes. Il en résulte une multiplicité de prototypes testés dans le réseau producteurs. Sans opposer ces deux dispositifs expérimentaux, nous pouvons cependant


en évaluer les avantages et les inconvénients. Globalement, le dispositif Dephi a permis de capitaliser un grand nombre de connaissances sur les plantes de service mais il n’a pas abouti à un système de culture innovant finalisé (dans le sens approprié par les producteurs). Le dispositif Agrum’Aide est en cours mais il vise une appropriation directe par les producteurs. Les méthodes et postures d’accompagnement sont similaires. Seules les échelles d’étude (parcelles sur station / parcelles sur exploitation) et le fait que les producteurs gèrent eux-mêmes leur prototype, sur leur propre parcelle, diffèrent entre les deux projets. Ceci en fait, nous semble-t-il, des facteurs déterminants de l’appropriation future des innovations. Si la question du traitement statistique des répétitions ne pose pas de problèmes dans le cadre d’une expérimentation de type factoriel, compte tenu de l’abondante littérature sur le sujet, il n’en va pas de même pour les expérimentations systèmes, surtout si l’expérimentation se passe chez un producteur. Dans le cadre du projet Dephi, le dispositif a pu compter des répétitions car la station expérimentale le permettait (espace, maind’œuvre, budget…) ; pour le projet Agrum’Aide cela semblait peu réaliste d’imposer un tel dispositif aux producteurs. Un dispositif avec répétition permet de valider ou d’invalider statistiquement les performances des prototypes mais ces dispositifs sont lourds, souvent compliqués et donc difficilement supportable par un producteur. Ces dispositifs expérimentaux avec répétitions sont plutôt à réserver à des expérimentations où il est nécessaire de tester des hypothèses pour expliquer des processus… avant de s’inviter chez le producteur avec des dispositifs plus légers. De plus, la validation de prototypes sur station expérimentale ne présage pas de leur adoption ultérieure par le producteur car ces prototypes n’ont pas été testés dans les conditions réelles d’une exploitation. Par contre, tout ou partie d’un prototype validé sur station devient un très bon objet intermédiaire (c.-à-d. les plantes de service…) pouvant être testé, dans un second temps, chez le producteur. Cet objet intermédiaire peut même devenir le catalyseur de la reconception d’un système : le producteur s’approprie cet objet et crée son propre prototype. Il pourra alors le tester, l’adapter à ses contraintes et le valider. Dans le cadre de la co-conception de système de culture, le dispositif


expérimental idéal n’existe probablement pas. Nos deux exemples l’illustrent mais montrent également leur complémentarité. Si sur stations expérimentales tout peut être testé, par contre, lorsqu’il s’agit d’expérimenter avec et chez les producteurs, l’objectif premier à viser doit être celui de l’appropriation de l’innovation. Pour cela, le prototype doit être testé, modifié et validé chez ce producteur, ce qui rend le dispositif expérimental compliqué (les pratiques du témoin peuvent par exemple progressivement se rapprocher de celles du prototype innovant). En effet, un producteur qui n’aurait pas les moyens d’action sur le prototype coconstruit, comme par exemple corriger les règles de décision afin d’atteindre les performances escomptées, rejettera sans autre forme de procès l’innovation et, pire, sera totalement démotivé et réfractaire à tout autre initiative. Finalement, tout est question de posture mais aussi de formalisation des objectifs d’amélioration assignés au processus de reconception du système.

Évaluation multicritère Les principes de l’évaluation multicritère L’agriculture doit répondre à de multiples enjeux et s’inscrire dans une dynamique de développement durable. Les systèmes de culture répondant à ces nouveaux enjeux ne doivent donc plus uniquement être évalués à travers leur productivité ou leurs résultats économiques. L’évaluation devient donc multicritère, en incluant notamment des critères environnementaux ou sociaux. Différents outils et méthodes ont ainsi été développés ces dernières décennies pour faciliter la mise en œuvre de l’évaluation multicritère dans un contexte territorial donné ou une exploitation agricole. L’évaluation peut être réalisée soit a priori sur des systèmes prototypes, soit a posteriori sur des systèmes existants déjà mis en œuvre. Les deux postures d’évaluation peuvent être utilisées simultanément pour comparer des systèmes actuels à des systèmes alternatifs. Les utilisations de l’évaluation multicritère


L’évaluation multicritère est intégrée dans différentes activités de recherche, développement et formation en vue de faire évoluer les pratiques agricoles vers plus de durabilité. Elle est mobilisée aussi bien par des chercheurs, des conseillers agricoles, des agriculteurs, des enseignants ou des décideurs publics. Elle est utilisée dans le cadre de l’expérimentation système de culture. Avant la mise en place de l’expérimentation, elle permet tout d’abord d’aider à sélectionner les systèmes de culture les plus prometteurs à tester au champ, parmi les systèmes de culture candidats issus du travail de conception. Elle est ensuite utilisée pour évaluer les systèmes mis en œuvre sur plusieurs années pour vérifier que les objectifs assignés aux systèmes ont effectivement été atteints. Enfin, la durabilité globale du système est évaluée pour analyser les effets des systèmes de culture sur l’ensemble des composantes de la durabilité et identifier d’éventuels effets non-intentionnels à corriger et adapter le système de culture si besoin. Les résultats de ces évaluations serviront ensuite d’éléments pour communiquer sur l’expérimentation, et faciliter l’appropriation et l’adaptation du système testé. Dans le cadre d’activités de conseil et d’accompagnement du changement de pratiques dans une transition agroécologique, l’évaluation multicritère permet de réaliser le diagnostic du système actuel d’un agriculteur pour identifier ses points forts et ses points faibles. Ce diagnostic sert ensuite de support de discussion pour envisager des modifications à apporter au système actuel et accompagner l’agriculteur dans un processus de conception pas-à-pas. Enfin, l’évaluation multicritère est essentielle pour l’aide à la décision publique. Une meilleure connaissance des performances des systèmes de culture permet d’identifier les systèmes les plus appropriés à certains enjeux territoriaux et de discuter des conditions favorables à leur adoption (incitations financières en cas de moindres performances économiques, par ex.). Les étapes de mise en œuvre d’une évaluation multicritère


La mise au point du modèle d’évaluation consiste à identifier tous les critères nécessaires et suffisants, puis à les organiser sous une forme qui reflète la hiérarchie des préoccupations identifiées. L’ensemble des critères retenus, avec leurs relations de complémentarité et ou de dépendance mutuelles, forment le modèle d’évaluation. Pour justifier l’investissement nécessaire à sa mise au point, le modèle doit avoir un caractère suffisamment générique, c’est-à-dire être réutilisable ou constituer un point de départ pour d’autres projets d’évaluation. Le modèle d’évaluation est construit en quatre étapes : Définir les enjeux, les objectifs, le système étudié et le public cible, c.-à-d. que le contexte de l’évaluation, le but, les objectifs et les utilisateurs vont guider le choix des critères d’évaluation et des indicateurs ; Proposer des critères, des principes auxquels on se réfèrera pour juger et apprécier ; Choisir et définir des indicateurs en tenant compte de leur pertinence, de leur capacité à permettre l’analyse de relations de cause à effets, de leur facilité à être renseignés en fonction du temps, des moyens et des compétences disponibles, de leur facilité de compréhension et d’utilisation par le public cible. Pour suivre une production, il existe plusieurs types d’indicateurs :

des indicateurs d’état qui décrivent à un instant t l’état du système et pour la catégorie desquels il faut donc préciser à quel moment on le mesure, les indicateurs d’impact (ou évaluation), qui permettent d’estimer le critère étudié et de voir quelles sont les performances du système par rapport à ce critère (par ex., par rapport au critère « impact sur les eaux de surface », les indicateurs d’évaluation pourront être « risque de ruissellement » et « toxicité/écotoxicité des produits utilisés »),


les indicateurs de pilotage qui sont l’ensemble des règles de décision qui vont aboutir à la mise en œuvre ou non d’une pratique ; Évaluer, ce qui signifie juger, poser des appréciations à l’aide d’un qualificatif ordinal du type « faible, moyen, élevé » ou « défavorable, favorable, très favorable ». Or, de nombreux indicateurs reposent sur des critères quantitatifs. Une partie du travail de paramétrage préparatoire à l’utilisation du modèle consiste à déterminer les valeurs seuils qui permettent de porter les jugements de valeur à partir des critères quantitatifs. Une bonne connaissance de la variabilité des critères dans le contexte d’étude et des marges de progrès possibles facilite le choix des valeurs seuils. Ces valeurs seuils peuvent être définies sur la base de connaissances scientifiques ou de règlementations et correspondre à une évaluation dans l’absolu, ou être définies à partir des performances connues d’autres systèmes ; on évalue alors en relatif. Dans beaucoup de cas, les acteurs ont besoin à un moment ou un autre de la démarche d’évaluation, d’un indicateur agrégé pour fournir une information synthétique qui conclut, ou pour comparer, sélectionner des actions, des systèmes. La pondération des indicateurs constitue une étape importante du processus de paramétrage. Des discussions intenses sont à prévoir à ce stade pour tenir compte de la diversité des points de vue et aboutir à un consensus sur la conduite à tenir (agrégative vs non agrégative) (tab. 5.3). Tableau 5.3. Exemple illustrant les notions d’enjeux, critères et indicateurs issu du projet RefAB, visant l’acquisition de références régionalisées coordonnée au niveau national. Enjeu, système évalué

Caractériser

Public cible

Choix des critères évalués

Dimensions économiques, sociales et

Critère

La préservation de la biodiversité est

Indicateur

Interprétation

Surfaces

Avec un fort pourcentage de SET/SAU, soit l’exploitation est dans un cadre naturel propice à la


et analyser les systèmes agricoles (biologiques)

Agriculteurs, conseillers

environnementales via 5 propriétés fondamentales en AB : résilience, autonomie, diversité, équité et écologie

mesurée par exemple par le critère de l’importance des infrastructures agroécologiques

équivalentes topographiques (SET) / surface agricole utile (SAU)

biodiversité, soit l’agriculteur a mis en place des infrastructures pour améliorer la biodiversité globale de l’environnement de son exploitation

RefAB : référentiel au service du développement de l’agriculture biologique. D’après Fourrié et al., 2013.

Typologie de méthodes et outils pour l’évaluation multicritère et exemples Cette typologie (tab. 5.4) ne vise pas l’exhaustivité. Un choix a été fait dans la multitude des méthodes et outils disponibles en France (Fleury, 2011 ; Bockstaller, 2013), pour illustrer au mieux la diversité des méthodes et approches en termes d’objectifs, d’échelles, de composantes étudiées, de données utilisées, d’usages et d’utilisateurs. Tableau 5.4. Typologie et exemples de méthodes pour l’évaluation multicritère. Type

Méthodes d’évaluation de la durabilité

Méthodes

Dimensions étudiées

Facilité d’utilisation

Échelle

Utilisateurs

Arbre

Transmissibilité, viabilité, vivabilité, reproductibilité

Indicateurs simples, présentation claire

Exploitation

Agriculteurs, conseillers, animateurs

Dexipm/Masc

Environnementale, économique et sociale

Permet la construction collective

Système de culture

Chercheurs, conseillers

Eden

Environnementale, économique et sociale

Conviviale

Exploitation filière des intrants

Chercheurs, conseillers

Idea

Environnementale, économique et sociale

Relie indicateurs et objectifs

Exploitation

Enseignants, étudiants, animateurs,


agriculteurs

Méthodes centrées sur la dimension environnementale à l’échelle de la parcelle ou de l’exploitation

RefAB

Environnementale, économique et sociale, Résilience, autonomie, diversité, équité et écologie

Approche globale, analyse du système

RAD

Environnementale, économique et sociale

Exploitation

Chercheurs, conseillers, enseignants, animateurs

Permet un suivi de l’évolution

Exploitation

Chercheurs, conseillers, enseignants, animateurs

DAEG

Eau, air, sol, biodiversité, déchets, énergie, bruit, paysage

Références intégrées, logiciel en ligne

Parcelle

Conseillers

Dialecte

Eau, biodiversité, sol, consommation de ressources non renouvelables, indicateurs globaux d’analyse du système

Saisie en ligne

Parcelle et exploitation

Agriculteurs, conseillers, animateurs

Dialogue

Eau, biodiversité, sol, consommation de ressources non renouvelables, déchets, indicateurs globaux d’analyse système

1 journée de collecte infos

Parcelle et exploitation

Agriculteurs, conseillers,

Diage

Environnementale

Besoin d’une personne formée

Exploitation

Conseillers, agriculteurs

Indigo

Spécialisé productions végétales, toutes composantes de l’environnement (peu biodiversité)

Données de sol nécessaires

Parcelle

Chercheurs, conseillers, agriculteurs

Norme internationale

Du berceau

Émissions de GES, nitrates, phosphore, métaux lourds,

Chercheurs,


ACV

ISO 14040 à 14043

jusqu’à la tombe

Salca

Émissions de GES, nitrates, phosphore, métaux lourds, utilisation d’énergies non renouvelables, biodiversité, sol

Données de sol nécessaires, logiciel ACV

Parcelle à la filière de production

Agriculteurs, conseillers,

Liste OTPA

Boîte à outils dans laquelle piocher

Méthode de suivi plus que méthode d’évaluation

Territoire

Conseillers, animateurs

Méthodes centrées sur la dimension environnementale à l’échelle d’un produit, filière

Méthodes à l’échelle du territoire

utilisation d’énergies non renouvelables, biodiversité, sol

conseillers

D’après Bockstaller et al., 2013 ; Fleury et al., 2011.

L’évaluation multicritère peut donc jouer un rôle important dans la mise en place de stratégies de protection agroécologique des cultures, pour acquérir des références sur des systèmes de production, conseiller et accompagner le changement, faire des simulations de changement de pratiques, suivre les pratiques agricoles, réaliser un management environnemental ou vérifier la conformité vis-à-vis de la réglementation. Pour cela, il semble nécessaire de choisir une méthode simple, transparente et facile d’utilisation, en fonction de ses objectifs, enjeux et du public avec lequel on va travailler (Bockstaller et al., 2013). La plateforme Plage (www.plage-evaluation.fr/ ) peut offrir une aide interactive au choix sur la base de ses besoins, sur les préalables à l’évaluation (finalités, enjeux, échelles, etc.), puis dans un second temps sur des critères plus précis de faisabilité notamment.

Les outils de la médiation : un appui à la mise en œuvre de la PAEC Avec l’évolution et la complexification des territoires, la crise de nombreuses institutions fait que certains lieux traditionnels de dialogue ont perdu de leur importance et avec eux les personnes qui exerçaient les


fonctions de médiation (Barret, 2012). On observe une perte de savoirfaire pour mettre en œuvre des démarches collectives et les réponses standardisées proposées sont peu opérantes. Ce contexte questionne les pratiques des acteurs du monde agricole en la matière. Les chercheurs ne sont plus seulement des experts mais accompagnent désormais l’action. Les agents agricoles souvent devenus animateurs, manquent d’outils et de formation pour conduire le dialogue. Enfin, se pose la question de la place des producteurs dans ce dialogue. Les projets abordant la transition agroécologique remettent au centre de l’action les relations et le rôle de ces différents acteurs. Cette section propose quelques clés de réflexion issues de différentes expériences d’actions collectives. Le processus de dialogue entre les acteurs est important car il est source d’innovation, de recherche de solution et de transfert. La posture des acteurs qui animent ces projets multipartenaires doit être questionnée pour proposer des pistes de renforcement de leurs compétences. Même si ce sont souvent des techniciens et conseillers des organismes de développement agricole qui sont concernés, l’évolution des approches fait que de plus en plus d’acteurs du monde agricole sont confrontés à l’animation de processus collectifs. Ce ne sont pas des démarches clés en main ou des recettes à vulgariser, mais des approches exigeantes, et parfois déstabilisantes conduisant à repenser sa façon d’agir. Repenser les métiers du développement agricole

Le processus de dialogue avec les agriculteurs comme source d’innovation et d’appropriation

La transition agroécologique remet en question les pratiques des acteurs agricoles et s’ajoute aux critiques sur le modèle de développement agricole. Les relations entre les porteurs d’un discours scientifique et technique (chercheur, technicien, agent de développement) et les praticiens (agriculteurs) sont remises en cause. La posture qui a longtemps été adoptée pour la vulgarisation et le développement entraîne une dissymétrie


dans la relation entre les acteurs agricoles et les agriculteurs. Cette dissymétrie est fondée sur une détention du savoir légitime et les écarts des positions sociales (Darré, 2006). Ces critiques ont conduit à reconsidérer les collectifs de producteurs non plus comme de simples cibles de l’action de développement mais comme une ressource cognitive et sociale en tant que telle pour la production de connaissances (Compagnone et al., 2009). Ce changement de vision est confirmé par les travaux en sociologie de l’innovation. Cette discipline s’intéresse à diverses innovations, techniques ou organisationnelles, et constate que ce n’est pas la qualité intrinsèque de l’innovation qui fait qu’elle va ou non s’imposer, mais le processus sur lequel elle s’appuie et en particulier la consolidation et l’élargissement du réseau qui la porte. C’est donc le processus de dialogue et de concertation qui est important. Même si une grande partie des acteurs agricoles s’accordent sur ce constat et les orientations à prendre, force est de constater que derrière les discours et les bonnes intentions, il est encore rare de voir aboutir des formes de coopérations réelles entre acteurs du développement agricole (en particulier les agriculteurs) (Darré, 2006). Il est donc primordial de s’intéresser aux dispositifs capables de permettre à un ensemble d’acteurs de coordonner leurs démarches et de produire des connaissances ad hoc nécessaires à la conduite de l’action (Compagnone et al., 2009). Les retours d’expériences montrent le manque d’accompagnement et de formation des acteurs sur ce type de démarche. Les animateurs manquent en particulier d’outils pour animer le dialogue, la recherche de solutions et la résolution des situations conflictuelles.

Des expériences qui offrent un cadre conceptuel et méthodologique pour conduire ces processus

Le Groupe d’expérimentation et de recherche pour le développement agricole localisé a travaillé sur la démarche de recherche coactive de solutions avec des groupes de producteurs (Darré, 2006). Cette démarche consiste en un processus de production et de transformation des connaissances par les agriculteurs, pour construire une approche du


développement agricole fondée sur une relation « symétrique » entre techniciens et agriculteurs, entre le monde de la science et le monde de la pratique. Il s’agit de mobiliser de façon dynamique l’expérience, les savoirs et les normes locales et ainsi de redessiner le rôle de l’animateur et ses responsabilités. L’agent ne doit plus uniquement proposer des solutions en se substituant au travail de groupe comme sa culture professionnelle et son statut social l’incitent trop souvent à le faire. Il s’agit au contraire de développer sa sensibilité personnelle et une démarche de travail qui vise à conduire le processus de recherche sans se substituer aux praticiens. La démarche propose de redonner une autre place aux fonctions d’information et de conviction de l’agent dans sa relation avec l’agriculteur en adjoignant une troisième fonction : l’aide. Il s’agit ici d’apporter une aide aux agriculteurs dans la formulation et la résolution de leurs problèmes. Cela demande un positionnement et une méthode. Cette expérience, parmi d’autres, plaide pour repenser les activités des agents agricoles. Ces derniers assument aujourd’hui des fonctions d’intermédiaires pour mettre en cohérence le travail des producteurs agricoles avec des politiques et des connaissances scientifiques et techniques. De ce point de vue, leur mission peut être comparée à celles des personnes travaillant à l’interface des questions territoriales, agriculturales et l’environnementales (Compagnone et al., 2009). Dans ces fonctions, la place aux processus de dialogue est importante et demande le recours à des outils issus du dialogue territorial (Barret, 2012) qui se différencient du débat public et visent à la construction d’un diagnostic et de pistes d’actions. La vision claire que ce type de démarche offre sur la conduite de dispositifs collectifs peut inspirer les acteurs agricoles. La conduite de la démarche collective

Identifier les acteurs

La constitution du partenariat est une phase très délicate qui doit répondre à plusieurs contraintes : bien identifier les parties prenantes, constituer une organisation efficace, être clair dans les rôles de chacun et surtout réussir


à faire prendre conscience à chacun que seul le travail en groupe aura une valeur ajoutée. Il est important d’identifier les différentes catégories d’acteurs qui interviennent dans la démarche (financeurs, experts, agent de développement, chercheurs, agriculteurs, conseillers, expérimentateurs). Pour l’animateur, il s’agit de bien différencier les enjeux et objectifs collectifs, de ceux propres à chaque partenaire. Des entretiens préalables avec chacun permettent d’identifier les logiques d’acteurs en s’appuyant sur des grilles d’analyse. Le transfert s’anticipe déjà à cette phase et les différents acteurs doivent participer au processus de construction des connaissances étant donné leur caractère très polymorphe et parfois leur dimension locale. Enfin, la participation des agriculteurs sera en partie déterminée par la posture des acteurs du projet.

Formuler la problématique

La formulation de la problématique reflète l’origine de la démarche. Parfois, elle résulte du travail d’un groupe de producteurs plus ou moins constitué, d’autres fois elle émerge du monde de la recherche et du développement avec une tentative d’y intégrer des producteurs. Selon le cas, la réponse que le projet apportera aux problèmes locaux ne sera pas la même. L’idéal serait que dans les deux cas, la problématique soit formalisée par l’ensemble des acteurs. Certaines problématiques ou formulations amènent forcément à des impasses tandis que d’autres permettent d’agir et de sortir des routines de pensée. C’est le rôle de l’animateur d’aider sur le plan méthodologique à poser la problématique de manière à rendre possible l’action (Darré, 2006). Il est important aussi de rendre tangible l’évolution du questionnement pour suivre et capitaliser le chemin de la question puis celui de la résolution.

Élaborer le dispositif


Une fois les contraintes et les objectifs définis, le groupe a besoin d’être encadré et nécessite l’utilisation d’outils d’aide à la décision pour alimenter et appuyer la réflexion. Il est très important d’avoir une bonne vision des processus du projet avec notamment l’identification des personnes décisionnaires, la définition de chacune des phases participatives, le calendrier. La valorisation des nouvelles connaissances générées par le projet et les moyens associés se définissent également à cette étape. Dans cette démarche de capitalisation, il ne faut pas oublier que la création de connaissances se fait tout au long du projet et que les nouveaux savoirs ne sont pas toujours de même nature. Souvent d’ordre scientifique et technique, les connaissances peuvent être également d’ordre organisationnel. Elles permettent de formaliser les modalités de l’action collective, les conditions de mises en œuvre des actions ou la résolution des conflits qui peuvent apparaître. Le rôle de l’animateur est de créer les différents espaces de dialogues et de les faire vivre. Il existe de nombreux outils pour animer les instances de dialogue, que ce soit pour chercher des solutions, identifier les plus adaptées, faire émerger des idées, les organiser, favoriser l’expression, organiser le débat, s’organiser et décider ensemble, passer à l’action, traduire, évaluer, corriger, synthétiser, transmettre. La littérature est très riche à ce sujet. Se documenter est essentiel ainsi que se former à la gestion des situations difficiles (attitudes négatives, sabotage, hors sujet, altercations, désaccord, et conflits).


Rechercher les solutions

Des concepts et outils ont été développés pour permettre une réelle participation des agriculteurs avec la recherche coactive de solutions. Ce n’est pas une méthode mais une forme de relation entre les acteurs qui est proposée. Son intégration peut être incompatible avec un format de projet de recherche et développement. Cependant, l’importation de notions et de réflexions dans les processus de projet est bénéfique pour instaurer un dialogue effectif. Contrairement à la démarche pédagogique qui a pour but la reconstruction à l’identique des connaissances par les apprenants, l’intervenant apporte ici son concours à la production d’une connaissance dont il n’a pas la clé. Les partenaires se mettent d’accord sur ce qu’ils vont faire ensemble, c’est une recherche, autrement dit le point d’arrivée n’est pas connu (Darré, 2006). Dans ces processus d’action collective, les actions « pilotes » sont importantes en parallèle des autres activités pour prouver que le projet est capable de produire assez vite des résultats. Elles alimentent la suite de la réflexion collective, que ce soit pour mieux concevoir les modes d’action futurs ou pour mieux connaître la problématique abordée (effet rechercheaction), et renforcent les liens entre les acteurs du dialogue. Compétences et fonctions de l’animateur, difficultés et exigences de la fonction Une question qui fait débat est celle de l’expertise de l’animateur dans la problématique. Un animateur-expert n’est-il pas un obstacle à la neutralité ? Est-il possible d’animer un dialogue dans un domaine spécialisé sans avoir une bonne culture du sujet ? Questions qui vont déterminer la conduite du projet et la possibilité du travail de groupe. L’idéal se situe certainement entre les deux : un animateur qui dispose d’une connaissance suffisante pour comprendre l’essentiel de ce qui se dit et favoriser en conséquence la compréhension mutuelle, mais qui est


capable de prendre du recul par rapport à sa propre perception, voire de faire preuve d’une certaine naïveté dans ses questionnements, afin que puisse émerger l’inattendu, l’essentiel (Barret, 2012). Même si l’animateur est partie prenante du projet (souvent conseiller, agent de développement ou technicien), il doit avoir une posture neutre et pouvoir jouer le rôle de médiateur. Il a un rôle de facilitateur pour permettre le dialogue entre les parties et veille au respect de tous les intérêts. La posture de neutralité est importante. Elle permet de résister aux pressions externes et de dépasser ses propres convictions ou ses préférences personnelles. L’animateur est ainsi au service du groupe et gagne sa légitimité dans l’animation du collectif. Il contribue à l’établissement d’une atmosphère de tolérance, de compréhension et de reconnaissance mutuelle. Cela passe par des règles mais surtout une manière d’être et de conduire le dialogue. Il est important de ne pas être dans le jugement pour obtenir et garder la confiance de tous les partenaires (Barret, 2012). La compréhension de cette posture par l’institution employeuse de l’agent est indispensable dans ce type de démarche. La fonction de l’animateur du projet collectif est primordiale. Ce travail consciencieux d’orchestration demande un savoir-faire et des outils dans la gestion de projet, mais aussi dans la relation avec les différents acteurs et la prise en compte de leur sensibilité tout au long de la démarche. Souvent par manque de formation, les compétences de l’animateur sont principalement liées à ses qualités personnelles et à son expérience. Certaines conditions sont nécessaires pour qu’il puisse assurer son rôle correctement, notamment la nécessité de suivre une formation préalable s’il n’a jamais animé de projet collectif. Dans le cas de la recherche coactive, l’appui de personnes expérimentées permet un accompagnement tout au long du processus (Darré, 2006). L’animateur doit se former sur la méthodologie et les outils mais aussi sur le savoir-être via des ateliers adaptés. Par exemple, le théâtre d’improvisation permet aux praticiens un travail d’écoute et de compréhension obligatoires pour le travail en équipe, renforce les capacités dans la gestion des situations imprévues et apporte une expérience qui éclaire les mécanismes de la cohésion et de la dynamique de groupe. Favoriser et préserver le dialogue donne une


chance à un réseau d’acteurs de se créer et de perdurer dans le temps. Cette liberté du droit à parler et à être entendu est l’élément clé de l’intelligence collective, de la maîtrise collective des situations et des changements (Darré, 2006).

Le suivi des trajectoires Le sociologue est souvent interpellé pour identifier des déterminants de l’adoption de pratiques techniques nouvelles, ou les freins à cette adoption. Or, cette question doit souvent être reformulée et recadrée, lorsque l’on traite de transition agroécologique, comme dans les cas de conversion vers l’agriculture biologique ou de mise en place de stratégies de protection intégrée des cultures qui seront pris comme exemples ici. En effet, cette transition englobe un ensemble de changements qui portent sur une diversité de techniques devant être combinées, mais aussi sur l’organisation du travail (lorsque par exemple il faut faire davantage d’observations), sur le rapport aux problèmes phytosanitaires (accepter certaines attaques ou dégâts mineurs), parfois également sur les pratiques de mise en marché (lors d’une conversion vers l’AB ou pour s’affranchir des critères imposés par certains opérateurs de l’aval), enfin, sur la représentation globale que l’agriculteur a de son métier et de son travail. C’est donc cet ensemble d’aspects interdépendants qu’il s’agit de prendre en compte. Des motivations aux trajectoires : enseignements du cas de la conversion à l’AB Si la conversion à l’AB, dans sa définition administrative et technique, dure deux ou trois années selon les productions, la transition s’amorce souvent bien avant le début de la conversion au sens administratif, et une fois en AB, la transition se poursuit. Nos enquêtes en maraîchage et arboriculture ont permis d’identifier trois types de trajectoires : des conversions progressives, souvent précédées d’un engagement pendant plusieurs années dans la réduction, voire la suppression de certains intrants chimiques ou encore dans des essais en AB ; des conversions


directes sans apprentissage antérieur ; et enfin, des conversions directes mais préparées, qui ont été précédées d’une formation ou d’essais sur une partie de l’exploitation (Lamine et al., 2009). Il y a de fortes interactions entre les types de changement mis en œuvre et vécus avec la transition vers et en AB, qu’ils relèvent des techniques, des pratiques de mise en marché, de l’organisation du travail, des formes d’apprentissage ou des liens à divers réseaux. Ces enquêtes montrent aussi l’intrication et l’évolutivité des motivations : tandis que l’on oppose classiquement dans les travaux centrés sur l’étude des motivations, les deux pôles du militantisme et du marché, la motivation économique se combine de fait avec d’autres motivations, liées par exemple à la santé, à l’environnement, au goût de la technique. Ces motivations peuvent aussi évoluer dans le temps : un agriculteur peut partir de raisons pragmatiques mais adhérer progressivement aux dimensions éthiques de l’AB. Enfin, les motivations à elles seules ne conduisent pas à une décision de changement, celle-ci découle d’un ensemble de facteurs ou de conditions (capitaux, structure de l’exploitation, entourage familial, professionnel, techniques, débouchés etc.). Le contexte de légitimation de l’AB au moment où les agriculteurs commencent à s’y intéresser est aussi déterminant. En outre, les trajectoires de transition vers l’AB ou en AB (après même la conversion) ne sont pas linéaires : chez des maraîchers ayant fait le choix d’une forte diversification, certains choisissent de rester sur un système de production et de commercialisation diversifié et visant une forte valorisation de leurs produits (circuits courts, débouchés rémunérateurs) dans une stratégie d’optimisation, mais d’autres, souvent en augmentant leurs surfaces, s’orientent progressivement vers une rationalisation de leur production pour fournir des volumes plus importants, à des circuits plus divers pouvant inclure des circuits longs (Lamine, 2012) (fig. 5.11).


Figure 5.11. Exemples de stratégies différentes conduisant à des trajectoires très contrastées.

Le cas de la protection intégrée des cultures : processus d’accommodation des propositions techniques et processus d’apprentissage Dans le cas de la protection intégrée en grandes cultures, on observe des transitions progressives et plutôt robustes ; et des transitions plus réversibles, en partie liées au contexte de prix des céréales. La protection intégrée englobant un ensemble de techniques et de principes, les agriculteurs, plutôt que de l’adopter ou non, s’accommodent différemment de cette innovation « globale » : certains l’adoptent de manière assez large, et en général assez pérenne (appropriation) ; d’autres adoptent seulement une partie des propositions, en général de manière réversible (arrangement) ; d’autres, enfin, recomposent les propositions avec d’autres innovations, provenant de leur propre expérience, de celle d’autres agriculteurs ou encore d’autres sources (percolation). En arboriculture, la progressivité des changements est d’autant plus forte qu’il s’agit de plantes pérennes à cycle long : un autre pas de temps est nécessaire, pour jouer sur le levier variétal notamment. Dans les pratiques de protection des cultures, cette progressivité se traduit par des schémas, assez divers, d’adoptions partielles et successives de différentes techniques alternatives. Ces schémas dépendent à la fois des ressources auxquelles ont accès les arboriculteurs (disponibilité des techniques, coût, conseil formel ou informel, etc.) et de leurs modes d’insertion dans le marché.


De manière plus générale, nos enquêtes montrent que le paradoxe lié au fait que les processus d’adoption des innovations sont en général incrémentaux, alors que la protection intégrée repose en principe sur l’idée d’une redéfinition coordonnée des techniques, n’est pas forcément un problème pour les agriculteurs, qui peuvent se situer dans un paradigme de reconception et opérer des changements pas à pas (Ricci et al., 2011). Les points clés de la transition

Le rapport aux risques

Passer à une démarche de protection agroécologique des cultures, c’est d’abord redéfinir son rapport aux risques liés aux ravageurs, aux « mauvaises herbes » et aux maladies. Nos enquêtes montrent qu’on identifie pour le rapport aux risques un continuum de positions entre deux pôles fortement contrastés : d’un côté, une stratégie d’assurance qui consiste à se couvrir de manière systématique, de l’autre, une stratégie préventive de vigilance fondée sur la combinaison de méthodes agronomiques et en général sur une observation plus fréquente des parcelles, qui caractérise bien sûr les plus engagés dans des trajectoires d’écologisation. En renonçant à la stratégie d’assurance, les agriculteurs opèrent un recadrage du risque : ils ne considèrent plus que le risque lié aux ennemis des cultures puisse être couvert par les produits chimiques, mais qu’il est diminué par un ensemble de pratiques culturales qu’ils doivent mettre en œuvre de manière coordonnée. L’observation prend alors toute son importance — « se poser plus de questions », « aller voir plus souvent ses parcelles », « être près de ses tomates », « avoir le sens de l’arbre ». Ces deux figures de l’assurance et de la vigilance correspondent ainsi à deux visions contrastées de la maîtrise du risque. Les agriculteurs plus « conventionnels » incarnent une maîtrise qui est associée au suivi de préconisations et donc à la délégation des décisions. En effet, leurs décisions de traitement sont d’une certaine manière déléguées à un calendrier de traitement, ou à un technicien en général lié à la fourniture d’intrants… Et ceci bien que la plupart des agriculteurs revendiquent une


autonomie de décision : ce sont toujours les autres qui ont un « technicien qui fait leur ferme ». Ceux qui sont plus engagés dans une protection agroécologique des cultures incarnent plutôt une maîtrise qui suppose une implication plus forte, s’appuie sur la souplesse, l’observation, une hiérarchisation différente des risques et l’acceptation de prendre des risques calculés, tous éléments relevant de la posture de vigilance. Pourtant, « tirer » sur les traitements ou « faire l’impasse », comme disent les agriculteurs, est difficile lorsque tout le monde traite autour, et lorsque le conseiller a conseillé lui aussi de traiter. Le rapport au risque, plus qu’une aversion individuelle, est bien inscrit dans un réseau d’interactions avec les pairs et l’environnement social. C’est là que l’appartenance à un groupe prend toute son importance, pour donner confiance dans ses choix.

Transformation de l’excellence professionnelle

Il en va de même sur la conception du métier et de l’excellence professionnelle. Adopter des pratiques agroécologiques, c’est aussi dans certains cas remettre en question le modèle de référence professionnel. Ainsi nos enquêtes sur les céréaliculteurs ont montré combien les symboles de l’excellence professionnelle s’opposaient point à point entre agriculteurs engagés dans une protection agroécologique des cultures et agriculteurs conventionnels. D’un côté, le rendement, la propreté et la régularité ; de l’autre, l’acceptation d’un rendement inférieur au profit d’une marge satisfaisante (voire supérieure), d’un certain « salissement » et d’irrégularités d’aspect des champs (Lamine, 2011). Sur la question de l’enherbement, il est souvent question d’un seuil jugé acceptable, qui est tout à la fois fonction des conséquences possibles d’un trop fort enherbement en termes de rendement et d’effets à long terme, et du regard des autres ou de son propre regard. En outre, que ce soit au sujet de la performance productive, de l’aspect des cultures ou de l’enherbement, les agriculteurs qui s’orientent vers une protection agroécologique des cultures doivent pouvoir « tenir » jusqu’à ce que leurs choix fassent in fine leurs preuves, en fin de cycle, en fin d’année ou même au bout de plusieurs années, ce qui nécessite un recadrage temporel dans leur propre regard sur leur activité.


En ce sens, l’appartenance à un groupe est souvent décisive dans la légitimation des changements — également parce que, par contraste avec l’AB, l’écologisation des pratiques ne se traduit pas en termes de qualité perceptible par les consommateurs. Concrètement, la participation à un tel groupe permet aux agriculteurs de définir clairement les pratiques qu’ils menaient déjà au sein de leur exploitation, de se situer les uns par rapport aux autres et de profiter de l’expérience des autres. Ce groupe leur fournit des repères et leur offre la possibilité de construire collectivement de nouvelles normes techniques. Plus concrètement et immédiatement, il leur permet d’échanger sur leurs problèmes techniques, voire leurs « impasses », en élaborant ensemble des solutions. Ils renforcent collectivement la légitimité technique de leurs choix et de leurs changements de pratiques grâce aux outils et aux pratiques qu’ils testent et mettent en œuvre en même temps. Le groupe offre aussi l’avantage de limiter leurs doutes et de conforter mutuellement leurs décisions. Les agriculteurs se permettent certaines pratiques plus « risquées », parce qu’ils ne sont pas seuls à le faire, que d’autres les ont peut-être déjà précédés avec succès, et enfin par souci de cohérence interne au groupe. Certains jugent important de faire également partie de collectifs professionnels plus « classiques », cette multi-appartenance leur permettant de concilier innovation et légitimité professionnelle. Pour d’autres, la légitimation passe par le soutien de leur entourage non agricole (consommateurs, voisins, autres acteurs du territoire), parfois bien sûr aussi par un dispositif de soutien aux changements de pratiques (tels que les mesures agroenvironnementales).

Tenir compte des multiples interdépendances dans lesquelles sont pris les agriculteurs

Ces travaux sur les trajectoires d’agriculteurs montrent combien les changements de pratiques sont limités par les fortes interdépendances, en particulier économiques, dans lesquelles sont « pris » les agriculteurs : par exemple, les céréaliculteurs ne peuvent construire les rotations de cultures « idéales » parce que les structures d’aval ne valorisent pas certaines cultures pourtant d’un grand intérêt agronomique, de même que les


arboriculteurs ne peuvent prendre le risque de se tourner vers certaines variétés de fruits résistantes et donc moins dépendantes de l’utilisation de fongicides, parce que les supermarchés n’en veulent pas. Des analyses socio-historiques permettent de montrer comment s’est progressivement mise en place, à partir des années 1960, la logique d’intensification (Ricci et al., 2011), du fait de la convergence des trajectoires des différents maillons du système sociotechnique : au niveau des agriculteurs, les stratégies d’exploitation et les pratiques techniques ; au niveau de l’amont des filières, les innovations en matière de protection chimique et l’innovation variétale ; au niveau de l’aval des filières, les stratégies des opérateurs de l’agroalimentaire (mouvements de concentration, codification des exigences de qualité à l’aval) ; enfin les politiques publiques (évolution des dispositifs, politiques de recherche et d’expérimentation). Ces convergences créent des effets de « verrouillage » et de « dépendance au chemin », c’est-à-dire à la voie « dominante », tandis que les voies alternatives, qui émergent pourtant, sont marginalisées. Cependant, la légitimation récente de l’agroécologie en France (depuis 2012 avec le programme « Produisons autrement »), dans une définition à dessein très englobante, changera peut-être la donne, si des leviers de transition sont réellement actionnés et articulés aux différents niveaux du système sociotechnique. Conclusion : une approche par la résilience des exploitations Les transitions vers l’agroécologie, loin d’être linéaires, s’inscrivent dans des trajectoires qui combinent changements de pratiques techniques certes, mais aussi des rapports aux risques, au métier et à l’excellence professionnelle, et ces trajectoires elles-mêmes s’inscrivent dans un ensemble d’interdépendances dont il faut aussi tenir compte (fig. 5.12). Pour aborder la robustesse et la pérennité des transitions agroécologiques, des concepts empruntés aux théories de la résilience peuvent ici être éclairants : la notion de perturbations, qui peuvent être soudaines (chocs) et sur le plus long terme (stress) (fig. 5.12, en haut) ; ensuite les notions d’adaptabilité et de transformabilité, que l’on peut lire dans les stratégies d’adaptation, lesquelles peuvent relever de choix techniques,


commerciaux, de diversification des activités ou d’optimisation des ressources (fig. 5.12, au milieu). Enfin, à ces stratégies peuvent être reliés des facteurs de résilience (fig. 5.12, en bas) qui sont pour certains objectivables (par ex., structure de l’exploitation, en termes de foncier, de matériel ou de main-d’œuvre, ou réseaux) et pour d’autres, peu objectivables (comme la capacité d’innovation, à gérer l’incertitude ou encore à combiner des formes de savoir et d’apprentissage).

Figure 5.12. Déterminants des trajectoires des exploitations.

Se former et transmettre les connaissances Enseigner la PAEC L’agroécologie, nouveau cadre de la protection des cultures


Après être apparue dans la sphère scientifique en 1928 sous la forme d’un néologisme, l’agroécologie a dû, comme exposé dans le chapitre 1, attendre les années 1980 pour sortir d’une certaine confidentialité, et la fin des années 2000 pour devenir une discipline scientifique à part entière, partagée par de nombreuses communautés scientifiques et techniques. Cette évolution reconfigure complètement le rôle des agriculteurs, qui ne font plus simplement « pousser des plantes », mais pilotent désormais des systèmes vivants complexes, avec comme finalité — entre autres — la production agricole (Doré, 2011). Cela reconfigure également les démarches pédagogiques dans l’enseignement agricole et l’enseignement supérieur. Les nouveaux acteurs de la PAEC, sur le terrain comme dans les sphères décisionnelles et accompagnatrices de l’agriculture, sont de mieux en mieux formés aux cadres conceptuels et applicatifs de l’agroécologie. Il reste cependant quelques verrous à lever afin d’arriver à un enseignement plus performant dans ce domaine et ainsi faire évoluer la protection des cultures vers un nouveau paradigme, celui de la prévention des bioagresseurs via l’atteinte d’équilibres biologiques et écologiques complexes. Lever les verrous scientifiques et sociotechniques : vers la pédagogie participative Plusieurs verrous scientifiques et sociotechniques subsistent et freinent la diffusion des pratiques agroécologiques en général et dans le domaine de la PAEC en particulier, verrous que ses didacticiens et pédagogues doivent lever ou contourner quand ils le peuvent : la diversité des acceptions de l’agroécologie due au caractère polysémique de ce terme qui relève autant de la dimension scientifique (multitude de disciplines, y compris pour le seul domaine de la PAEC) que d’un mouvement social et de pratiques biotechniques (Wezel et al., 2009) ; l’incomplétude des connaissances sur les processus écologiques sous-jacents des fonctions menant aux services de régulation des bioagresseurs, qui aboutit à une nécessaire gestion de l’incertitude


dans les prises de décision ; la nécessité de pratiques « situées » pour s’adapter à la diversité des acteurs et des conditions pédoclimatiques locales, et pour appréhender les processus à diverses échelles spatiales et temporelles (Klerkx et al., 2012) ; la nécessité, en amont, d’une recherche « système » participative pour déchiffrer la complexité des processus multifactoriels et dépendants du contexte. Une voie prometteuse pour lever ces verrous semble bien être la pédagogie participative et par projets afin de profiter de l’hybridation des savoirs scientifique et pratique. Importance de l’approche disciplinaire pour l’acquisition des bases Dans les référentiels scolaires, l’agroécologie est souvent cloisonnée dans le cours d’agronomie. Or, l’agroécologie est une science complexe, qui demande des notions d’écologie, d’agronomie, de biologie, de chimie, de sociologie, de mathématiques… Ainsi, il ne suffit pas de « verdir » nos formations, il faut continuer à enseigner les sciences et surtout apprendre à s’en servir. L’approche disciplinaire est indispensable afin d’acquérir les bases : on n’apprend pas une langue sans connaître le sens des mots. En revanche, nous pouvons faire évoluer l’apprentissage de ces différentes disciplines afin de les mettre en cohérence avec leur usage ultérieur. En effet, en PAEC, ce sont les processus biologiques qui sont mis en avant, et non plus les intrants extérieurs au système. Depuis des décennies, le modèle de protection des cultures, majoritairement basé sur la chimie, se suffisait de la seule reconnaissance des bioagresseurs, complétée dans le meilleur des cas par des éléments de nuisibilité et de dynamique épidémique. Nous passons désormais à une protection des cultures basée sur la bioécologie complexe des bioagresseurs et de leurs nombreux ennemis naturels, s’étendant du monde des microorganismes jusqu’à celui des vertébrés. Les éléments de diagnose et de bioécologie à acquérir sont de ce fait infiniment plus nombreux et les compétences scientifiques et techniques associées pour leur étude également. De même, certains outils


que mobilise la PAEC requièrent d’autres connaissances de base, tant pour les enseignants que pour les apprenants. Par exemple, la valorisation des services agroécosystémiques requiert des connaissances précises sur les liens et dynamiques entre organismes et fonctions écologiques, ainsi que sur les essences végétales locales qui sont à la base des chaînes trophiques et sur les phénomènes de régulation biologique mis en jeu. Quant au sol, son fonctionnement biologique devient la pierre angulaire du bon développement des plantes. La connaissance taxonomique et bioécologique des organismes impliqués mais également celle des processus abiotiques et biotiques touchant aux cycles des nutriments, sont donc requises pour étudier et comprendre ce fonctionnement. Ainsi, la PAEC demande une approche disciplinaire étendue et nécessaire pour l’acquisition des bases, bases qui seront ensuite valorisées dans une démarche inter- puis transdisciplinaire. Importance des études de cas avec les acteurs de terrain : de la pluridisciplinarité vers la transdisciplinarité En tant que science fondamentale et science de terrain, l’agroécologie réunit des acteurs d’horizons très variés : agriculteurs, chercheurs, techniciens, enseignants… Le pédagogue doit donc trouver sa place au sein de projets collectifs, et s’insérer dans un réseau territorial enseignement/recherche/développement local/production. En effet, la thématique de la santé des cultures invite à se pencher sur la dimension partiellement collective de sa gestion agroécologique, car il ne s’agit plus de gérer les bioagresseurs (pour certains d’entre eux tout au moins) à l’échelle d’une parcelle et à court terme mais bien à l’échelle du paysage et à long terme. En comparaison d’une stratégie uniquement chimique, la complexité systémique des processus de régulation biologique, la dimension spatio-temporelle parfois large de leur mise en place, et l’incertitude y compris économique des bénéfices retirés à court terme, pourraient inciter chaque partie prenante, notamment les agriculteurs, à agir dans son propre intérêt. La référence au dilemme du prisonnier de Tucker (qui caractérise une situation où deux joueurs auraient intérêt à coopérer, mais où, en l’absence de communication entre eux, chacun


choisit de trahir l’autre si le jeu n’est joué qu’une fois) peut alors être utilisée par le pédagogue pour illustrer l’intérêt que deux ou plusieurs parties ont à communiquer pour agir dans le sens de l’intérêt réciproque et commun. Mieux vaut coopérer sur la question de la promotion à diverses échelles et à plus ou moins long terme des processus écologiques soustendant les régulations biologiques de bioagresseurs, plutôt que d’agir individuellement à leur encontre par une stratégie chimique dont le bénéfice, individuel, n’est assuré que sur le court terme. Ainsi, l’enseignement se doit de transmettre des valeurs de coopération, entre les agriculteurs et avec les autres entités du territoire, afin de générer l’émergence d’une vision sous divers angles d’une problématique donnée. De même, il semble pertinent de rapprocher l’enseignement supérieur de l’enseignement technique afin de définir les objets d’enseignement et les situations de formation. Dans ce cadre, les enseignants-chercheurs du supérieur sont probablement les mieux à même d’assurer une interface entre le monde de la recherche et celui de l’enseignement technique. Ce rapprochement pourrait permettre également un échange fructueux sur les valeurs portées dans un enseignement agricole moderne (par ex., relation de l’homme à la nature, responsabilité dans la qualité des produits, rôle social de l’agriculture), ou sur les compétences transversales nécessaires aujourd’hui dans le monde agricole (par ex., communication, travail en groupe). Dans la conduite d’une pédagogie par projets et études de cas, la posture scientifique et intellectuelle adoptée revêt toute son importance : alors qu’en première approche, le travail commun mettra en exergue le caractère pluridisciplinaire (au sens de la juxtaposition des disciplines) des projets, une approche plus approfondie permettra dans un deuxième temps un décloisonnement des disciplines et donc des échanges entre elles (interdisciplinarité). Dans un troisième temps, elle amènera idéalement à une complexité dépassant les cadres disciplinaires et impliquera le renforcement ou l’acquisition de compétences transversales aux disciplines associées (transdisciplinarité), (mieux) partagées par les divers acteurs des projets (fig. 5.13).


Figure 5.13. Projets et approches disciplinaires : implication sur les interactions entre disciplines et sur l’intégration et l’hybridation des connaissances dans les projets.

Importance de l’hybridation du savoir pratique et du savoir scientifique L’agroécologie ne se pratique pas seulement en laboratoire ou en station expérimentale, elle est une science de terrain qui puise sa cohérence dans la mise en relation harmonieuse de multiples composantes de divers systèmes, à des fins de production agricole durable. Ces relations de complémentarité, de synergie mais aussi d’antagonisme entre entités et systèmes, ne vont pas de soi. Elles nécessitent une orchestration minutieuse sur la base d’une partition dictée par une approche holistique et transdisciplinaire des objectifs poursuivis et des processus en jeu. Il est donc indispensable d’hybrider le savoir pratique et le savoir scientifique, à la fois dans les relations chercheurs/paysans, car les uns ont besoin des


autres, mais aussi dans l’enseignement en laissant une place à la pratique et en valorisant les connaissances et savoir-faire des acteurs de terrain. Ainsi, la collaboration pédagogique avec divers acteurs de terrain facilite les échanges entre apprenants et praticiens, et permet de capitaliser les retours d’expérience. Cette collaboration à bénéfices réciproques peut passer par la mise en place de champs-écoles, de suivis d’expériences chez des agriculteurs, de projets d’étude/reconception de systèmes de production en situation réelle (fig. 5.14). Cette coopération et cette valorisation des savoirs entre les acteurs, passe avant tout par la confiance et donc par la compréhension mutuelle, qu’il faut souvent rétablir entre agriculteurs, chercheurs, techniciens et enseignants. La mise en place des Rita (réseaux d’innovation et de transfert agricole) dans les DOM en est un exemple qui fait ses preuves. Il s’agit de redessiner les interrelations entre tous ces acteurs, d’oublier la hiérarchie descendante qui a pu être mise en place en proposant un modèle plus circulaire, d’échange et de co-construction du savoir comme le font actuellement les démarches dites participatives et de médiation. Ces nouveaux dispositifs pédagogiques, conçus pour et ouverts à une diversité d’apprenants (élèves, étudiants, enseignants, chercheurs), permettront certainement de mieux former les futurs acteurs d’un accompagnement efficace de la transition agroécologique de la protection des cultures. Ils les aideront à extraire d’une multiplicité de cas particuliers, les incontournables traits communs des nombreux processus biophysiques et sociotechniques, leur dessinant un profil plus générique que souvent décrit.



Figure 5.14. L’enseignement de la PAEC aux étudiants du DUT Génie biologique option Génie de l’environnement. Cet enseignement porte sur l’illustration des principes de la PAEC lors d’une sortie dans un verger de manguier (projet Biophyto, à g.) ; la participation aux travaux de mise en place d’une couverture végétale dans un verger de manguier (projet Biophyto, à dr.).

Finalement, qu’est-ce qu’enseigner l’agroécologie ? L’approche agroécologique est donc initialement pluridisciplinaire, devient interdisciplinaire puis tend à devenir transdisciplinaire (fig. 5.13). En cela, elle requiert une transversalité entre les disciplines et un changement d’échelle d’observation. Or, dans l’enseignement actuel, du lycée à l’école d’ingénieur, nous observons encore en règle générale un cloisonnement des matières enseignées. L’exemple le plus frappant est la séparation des cours entre productions animales et végétales. Une première tentative de décloisonnement peut être la mise en place d’un projet transversal comme fil conducteur dans toutes les matières et pour une même classe. Sur un thème donné, il serait possible de mettre en place des expérimentations agronomiques, d’analyser leurs processus bioécologiques et physico-chimiques, de réaliser des études de texte en français et d’acquérir le vocabulaire associé en langues étrangères, d’utiliser des cas concrets en mathématiques ou statistiques, d’appréhender les aspects historiques et socioéconomiques des acteurs en jeu… L’exemple des expérimentations scientifiques, mises en place par des organismes de recherche ou instituts techniques sur les terrains des lycées agricoles ou chez des producteurs peuvent être un premier pas concret vers une telle approche et permettre en outre aux apprenants de tisser les premiers liens de leur réseau. Ces aspects de transversalité sont parfois évoqués dans les référentiels, mais leur mise en œuvre se heurte fréquemment à un manque de communication ainsi qu’à un manque de temps de concertation au sein des équipes pédagogiques. En effet, avant de former les apprenants, il est nécessaire que les enseignants soient euxmêmes imprégnés et convaincus du bien-fondé de cette démarche transdisciplinaire et qu’ils puissent disposer du temps nécessaire à sa mise en œuvre. Favoriser la dynamique entre les enseignants, l’exploitation agricole de l’établissement et les centres techniques ou de recherche, peut passer par la création d’un poste de « transfert » au sein de l’établissement.


L’exemple d’un tiers temps ingénieur créé au lycée agricole de Saint-Paul à la Réunion a ainsi montré son efficacité. La démarche pédagogique en PAEC doit également s’appuyer sur un réseau d’exploitations partenaires afin d’illustrer les enseignements par des visites, l’analyse des exploitations agricoles et la rencontre d’agriculteurs convaincus, compétents et en relation de confiance avec les enseignants (fig. 5.14). Enfin, enseigner l’agroécologie et la PAEC doit se faire dans un environnement de travail cohérent. L’éducation passe en partie par l’alimentation, et la majorité de nos apprenants se restaurent dans nos établissements. L’alimentation proposée n’est globalement pas en phase avec les messages que nous essayons de transmettre dans nos enseignements. Si l’on se base sur le Projet agroécologique pour la France, il s’agirait de manger bio et local, ce qui n’est majoritairement pas le cas. De même, nous invitons les établissements à réfléchir au choix d’aménagements et d’ornementations des établissements avec le recours aux essences locales, endémiques et fruitières. En résumé, enseigner l’agroécologie, c’est enseigner les sciences, mais aussi la transdisciplinarité, l’autonomie, la coopération, la confiance, l’expérimentation et l’observation. Cette dernière compétence est particulièrement importante dans la mesure où l’agroécologie tente de limiter au strict minimum les intrants extérieurs à l’agroécosystème et de maximiser les processus agroécosystémiques et les phénomènes de régulation biologique. Les acteurs sont dès lors confrontés à une grande expression de l’environnement, dont la variabilité était jusque-là masquée. Ainsi, l’enseignement de la PAEC doit notamment permettre d’acquérir des capacités de diagnostic et de conception, individuelles et collectives, ainsi que le développement d’un esprit critique indispensable à une époque où les moyens de communication, notamment via Internet, permettent la promotion très rapide de recettes dont la pertinence doit pouvoir être évaluée par les acteurs qu’elles visent.

Se former autrement : développement de l’autoformation et de l’outil numérique


Vers un accompagnement numérique de la transition agroécologique La mise en œuvre de l’agroécologie en général et de la PAEC en particulier, dont les techniques peuvent être qualifiées d’intensives en connaissances sur les processus écologiques, implique que chacun puisse acquérir ces connaissances ainsi que les concepts et méthodes afférents. Face à la diversité du public concerné, composé d’étudiants, d’agriculteurs, de conseillers, d’enseignants ou de chercheurs, la formation numérique apparaît comme un média permettant d’atteindre cette multitude d’apprenants. La formation de ces acteurs, pour aborder la transition agroécologique, se réalise non seulement à travers leur implication dans des démarches participatives de production et de validation des connaissances, mais aussi en communiquant sur les travaux de recherche et développement de la manière la plus large, accessible et démocratique possible (Levidow et al., 2014). Depuis au moins les années 1970, le mouvement De campesino a campesino organise ainsi par exemple une diffusion horizontale des savoirs techniques agroécologiques en Amérique latine. Ce type de soutien aux démarches bottom-up favorise l’expression sur Internet d’une diversité de visions de l’agroécologie. Il en résulte un fourmillement de définitions, témoins de la diversité des points de vue, parmi lesquelles il n’est pas évident de s’y retrouver de prime abord. On ressent alors le besoin de clarifier les significations du terme. Ce constat est également valable pour les pratiques citées comme relevant de la PAEC, telles que la lutte biologique (LB), au sens large (fig. 5.15).


Figure 5.15. Exemple de représentation pédagogique de la lutte biologique selon les échelles spatio-temporelles et le cadre de conception E-S-R (efficience-substitutionreconception).

Développer la formation numérique en agroécologie ne doit pas viser un inventaire exhaustif des points de vue ou des techniques relatives à l’agroécologie, ce qui pourrait être une forte tentation liée au recours au multimédia. Il s’agit au contraire de construire des ressources à caractère pédagogique, visant non seulement l’acquisition de connaissances, mais aussi permettant à chaque apprenant d’acquérir l’autonomie pour analyser la diversité des savoirs auxquels il est confronté et ainsi développer sa réflexion et son sens critique, tout en sachant les transposer dans de nouveaux contextes. Enseignement numérique et agroécologie Comment trouver un contenu de qualité dans l’espace numérique ? Les dispositifs actuels de formation à distance sur Internet demeurent


relativement insuffisants et peu visibles. Une recherche à l’aide des motsclés agroecology et e-learning (23 mars 2015) renvoie à http://organicedunet.eu/en , portail multilingue de ressources pédagogiques dans le domaine de l’agroécologie et financé par la Commission européenne, proposant des textes ou diaporamas, mais pas d’enseignements à distance en elle-même. Le portail français Pépites (ensemble de ressources pédagogiques numériques sur l’agroécologie et l’agriculture de conservation) est en cours de mise en ligne. Avec les mêmes mots-clés, ou leur équivalent français « agroécologie » et « enseignement numérique », nous sommes dirigés sur les sites de l’Université virtuelle d’agroécologie et du tout premier MOOC (Massive Open Online Course, cours en ligne ouvert et massif) mondial sur l’agroécologie, développé par les membres du consortium Agreenium, témoin de la dynamique de la France dans ce domaine ; il s’est déroulé en septembre 2015, et la présentation du cas d’étude Gamour via des extraits du module virtuel Ibar (voir plus loin) en a fait partie. Un module spécifique sur la protection agroécologique des cultures est en cours de construction au sein de l’Université virtuelle d’agroécologie et pourra compléter la lecture du présent ouvrage (www.gascon.inra.fr , module Gascon, Gestion agroécologique de la santé des cultures et des organismes nuisibles). Les rares autres enseignements numériques décrits (États-Unis, pays scandinaves) ne sont pas accessibles gratuitement à distance. Les trois contenus numériques dont nous donnons un aperçu ci-dessous sont un début de réponse à ce besoin d’auto-formation des différents acteurs du monde agricole et de la recherche, mais aussi de réponse à la demande de supports innovants d’apprentissage de la part des étudiants de l’enseignement supérieur. L’Université virtuelle d’agroécologie (UVAE) et son module introductif L’accroissement des connaissances et des compétences nécessaires à la transition agroécologique passe notamment par la formation continue des personnes en poste. Partant de ce constat, un consortium d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche agronomiques (Inra, Cirad,


Irstea, Université de Lorraine dans sa composante Ensaia, Institut national polytechnique de Toulouse dans sa composante Ensat, AgroParisTech, SupAgro Montpellier, Agrocampus Ouest et AgroSup Dijon) a lancé en 2011 le projet de l’UVAE. Son objectif principal est d’accroître le niveau de réflexion, les compétences et connaissances en agroécologie des personnels des établissements porteurs du projet, en se fondant sur l’intégration de concepts et méthodes de l’écologie et de l’agronomie. Parmi les nombreuses acceptions courantes de l’agroécologie, l’UVAE se concentre essentiellement sur la dimension scientifique de l’agroécologie intégrant les sciences sociales et économiques, pour autant qu’elles soient en lien avec l’écologisation de l’agriculture. Elle s’adresse ainsi à un public francophone composé de chercheurs et enseignants-chercheurs mais aussi de doctorants et d’étudiants de niveau master ou ingénieur. Les ressources pédagogiques en cours de développement dans l’UVAE sont structurées en trois grands ensembles (fig. 5.16). Le premier aide à l’appropriation de concepts, méthodes et théories de différentes disciplines nécessaires à l’agroécologie. Le deuxième ensemble permet l’acquisition de connaissances sur le fonctionnement des agroécosystèmes, telles que le fonctionnement de peuplements cultivés plurispécifiques ou la dynamique spatiale des organismes dans la mosaïque paysagère. Le troisième et dernier ensemble, tourné vers l’ingénierie agroécologique, montre comment l’intégration des connaissances concourt à la mise en œuvre de leviers précis et permet d’atteindre des services identifiés, comme la PAEC, et à la conception et au pilotage multicritère de systèmes, comme l’agriculture de conservation. En puisant dans ces trois ensembles de modules, chaque apprenant peut construire son propre parcours de formation selon ses besoins. En introduction à ces contenus, le module intitulé « Qu’est-ce que l’agroécologie » est un exemple de réalisation de l’UVAE[13]. De la même manière que le concept de protection intégrée des cultures (integrated pest management) a connu de nombreuses définitions, avec une évolution de la signification du terme, le concept d’agroécologie est sujet à de multiples variations en fonction des échelles considérées, de la place relative donnée


aux connaissances scientifiques et aux techniques, et enfin du lien avec les dimensions politique et éthique. Le module introductif à l’UVAE a donc pour but de permettre aux apprenants de mieux s’y retrouver dans la diversité de ce qui est aujourd’hui appelé agroécologie, sans chercher à la définir ni à la normer, mais en facilitant le rapport des apprenants à cette diversité. Ce module initial est composé de quatre étapes. La première permet à l’apprenant de se familiariser avec le positionnement de l’agroécologie dans des dimensions agricoles, scientifiques et sociales. Elle est fondée sur la consultation d’un ensemble de ressources interactives balayant la diversité des acceptions du terme. L’étape 2 approfondit différentes visions de l’agroécologie, sur la base d’interviews, de conférences et d’articles où des personnalités expliquent leur point de vue sur l’agroécologie. Il est proposé à l’apprenant de compléter une grille d’analyse après la consultation de chaque point de vue. Cette grille permet de faire ressortir les similitudes et les divergences entre les différentes approches présentées. L’étape 3 permet de cerner plus précisément dans quel sens l’UVAE traitera l’agroécologie. Elle est fondée sur un exemple de travail de recherche mêlant des dimensions biotechniques et sociales et présenté de manière croisée par un chercheur et un agriculteur impliqué. Enfin, l’étape 4 du module présente brièvement la structuration en trois grands blocs des futurs autres modules de l’UVAE.


Figure 5.16. Université virtuelle d’agroécologie : organisation schématique et positionnement des ressources.

Le module est conçu pour être suivi en autonomie par l’apprenant, sur une durée de 20 à 30 heures. En lui fournissant des clés d’analyse, il doit permettre l’acquisition d’un esprit critique applicable aux multiples discours sur l’agroécologie, et l’élaboration d’une position personnelle sur le mouvement — scientifique, agricole, sociétal — qu’elle représente. Son principal inconvénient est la très faible interaction formateur-formé. C’est pour cette raison que des formations mixtes associant de l’autoformation et des séances en présentiel sont mises en place afin de permettre aux apprenants d’échanger entre eux, de confronter leurs


positions individuelles, et donc de favoriser des apprentissages collectifs. Module Ibar : espèces invasives, lutte biologique, gestion agroécologique à la Réunion Hébergé par la plateforme d’apprentissage en ligne Moodle[14] au Muséum national d’histoire naturelle, le module d’enseignement virtuel libre Ibar [15] se décline en trois grains pédagogiques d’une dizaine d’heures chacun, et est proposé via l’UVAE et l’UVED (Université virtuelle d’environnement et de développement durable) (fig. 5.17). Ces trois grains peuvent être consultés, soit seuls, soit dans les séquences 1.2.3, 1.2 ou 2.3. Ils sont destinés à des étudiants de niveau licence 3 à master 2, ils sont transférables aux enseignants, et peuvent également être suivis par un public plus large, de nombreuses pages pouvant être vues de manière indépendante. Le point de départ de cet enseignement numérique fut le projet Gamour, auquel nous avons choisi d’ajouter, en amont, deux grains d’intérêt pour sa conceptualisation : espèces invasives et lutte biologique. « Espèces invasives : insectes et milieu insulaire » (grain 1) repose sur divers articles scientifiques replaçant les invasions biologiques dans un contexte changeant, de la mondialisation des transports aux habitats dégradés. Après quelques définitions, l’apprenant aborde l’action de l’homme sur les taux d’introductions d’espèces en milieu insulaire, ainsi que différentes caractéristiques permettant à une espèce de devenir (ou non) établie, puis invasive. Les spécificités du milieu insulaire, plus vulnérable face aux invasions biologiques, sont décrites. Après les effets et coûts de certains insectes invasifs, la perception de ces espèces invasives est abordée ; ses aspects scientifiques tout d’abord (rôle de la dégradation des habitats dans les effets attribués aux espèces invasives), puis sociétaux (perception du « méchant envahisseur »), sont présentés. « Lutte biologique, introduction – Acclimatation d’insectes auxiliaires » (grain 2) aborde des cas de LB contre des insectes invasifs en milieu insulaire (notamment à la Réunion). Après un bref historique de la LB, qui se développe comme une alternative à l’utilisation des pesticides, les


insectes prédateurs et parasitoïdes utilisés sont décrits. La question de l’utilisation possible de parasitoïdes est abordée pour six différents insectes invasifs déjà vus (grain 1). Deux cas d’étude sont détaillés dans le contexte de l’île de la Réunion : l’aleurode Bemisia tabaci et la mouche des fruits Dacus ciliatus. Un rappel du grain 1, sur l’introductionétablissement d’espèces exotiques, permet de découvrir ou revoir cette étape importante. Les taux d’acclimatation des parasitoïdes ou prédateurs introduits en territoire non-natif sont discutés, et des exemples de succès et échecs de lutte biologique sont illustrés. Des techniques d’insectes dits « stériles » ou « incompatibles » sont présentées. Enfin, la perception sociétale de la LB est abordée. « Gestion agroécologique des mouches des légumes à la Réunion » (grain 3) présente le cas d’étude du projet Gamour. C’est sans aucun doute le grain le plus vivant du module Ibar. Tout d’abord, est présenté le contexte : la Réunion, la culture des Cucurbitacées, les mouches des fruits. Suite à l’application de cette nouvelle méthode de gestion agroécologique, l’apprenant prend connaissance des résultats, de la perception des agriculteurs, et enfin des perspectives.


Figure 5.17. Les trois chapitres (grains pédagogiques) indépendants du module virtuel Ibar. Espèces Invasives : insectes et milieu insulaire. Lutte biologique, introduction – Acclimatation d’insectes auxiliaires. Gestion agroécologique des mouches des légumes à la Réunion. Le contenu de chaque grain mobilise, chez l’apprenant : l’acquisition des connaissances (vidéos, contenu écrit), l’interactivité (quiz, exerciseurs, personnages, mascottes), l’analyse (figures d’article, exerciseurs) et la conceptualisation (schémas, modèles).

Herbea, outil d’aide à la réflexion sur la lutte biologique par conservation 90 % des espèces d’auxiliaires et 50 % des insectes nuisibles ont besoin d’un environnement non cultivé à au moins un stade de leur développement, pour hiverner, estiver voire se nourrir. La surface, le type et la composition des infrastructures agroécologiques à proximité des cultures vont être déterminants dans l’efficacité de la régulation


biologique. Les agriculteurs sont demandeurs pour accéder directement à l’information qui leur permette d’adapter la conduite de leur exploitation. Ainsi, sur la base de ces constats, et compte tenu du potentiel de connaissances disponibles dans les publications scientifiques, ouvrages et autres brochures techniques, la mise en place d’un outil destiné à promouvoir les végétaux et notamment la flore sauvage et les infrastructures agroécologiques auprès des praticiens est apparue comme une évidence. Ce projet, porté par Solagro depuis 2006 et soutenu par le ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, l’office national de l’Eau et des Milieux aquatiques et le plan Écophyto depuis 2013, s’est concrétisé par le site Internet Herbea (Habitats à entretenir pour la régulation biologique dans les exploitations agricoles)[16]. S’inscrivant dans les principes de l’agroécologie et ceux de la production intégrée, tels que définis par l’Organisation internationale de lutte biologique, Herbea a la volonté de participer à la transition agroécologique, en valorisant notamment les synergies entre agriculture et biodiversité (approche du Land sharing). Herbea a pour principal objectif de promouvoir la lutte biologique par conservation auprès des acteurs de terrain, agriculteurs et conseillers, et des apprenants et leurs élèves, parce qu’elle peut constituer un levier majeur à la réduction de l’usage des traitements phytosanitaires en agriculture. Le site est donc en accès libre, gratuit et contributif, pour partager et mutualiser, diffuser les connaissances disponibles afin de sensibiliser les praticiens à cette pratique et contribuer à l’accélération de son déploiement. L’information et la formation, au cœur des préoccupations d’Herbea, ont conduit à proposer trois types de contenus : un outil interactif, des fiches d’informations et un espace de contribution (fig. 5.18).


Figure 5.18. Herbea : objectifs, structuration du site Internet avec trois types de supports proposés (cadres roses) et interactions multitrophiques prises en compte.

L’outil interactif a été conçu pour aider l’utilisateur (par ex., l’agriculteur) à identifier les plantes hôtes favorables aux ennemis naturels des ravageurs de ses cultures et celles reconnues comme répulsives des ravageurs sélectionnés, ainsi que les principales infrastructures agroécologiques susceptibles de les abriter. Dans ce but, l’utilisateur peut sélectionner pour une zone biogéographique donnée, la culture qui l’intéresse, les trois ravageurs principaux, les ennemis naturels de ces ravageurs, pour obtenir cette information. L’influence des pratiques agricoles sur ce système est également intégrée, sachant que les pratiques peuvent influer sur les populations de ravageurs, d’ennemis naturels ou encore de plantes hôtes.


Des fiches d’information sont également proposées pour définir les principales caractéristiques de chacun des protagonistes du système étudié, montrer l’ensemble des interactions au sein de l’agroécosystème (fig. 5.18), illustrer et sensibiliser par des photos présentées dans des galeries et proposer des documents et références pour aller plus loin. Les personnes souhaitant mutualiser leurs connaissances peuvent devenir contributrices pour alimenter la base de données en photos, nouvelles fiches, ou relire et modifier des fiches existantes en attente de validation et publication. L’originalité réside dans les interactions multitrophiques qui ont été intégrées à l’outil. Chaque interaction est décrite selon deux critères : la force de la relation qui sert à hiérarchiser et à trier par ordre d’importance (par ex., les ravageurs sont triés en fonction de leur impact sur le rendement ou sur la qualité, comme la teneur en huile) et le degré de confiance dans la relation qui donne une indication sur la fiabilité de l’information pour l’utilisateur via la mise en place d’une grille d’évaluation de l’information introduite. Herbea est un outil d’aide à la réflexion, un support à la discussion, et en tant que tel il doit contribuer à illustrer et alimenter une discussion autour de la mise en place de la lutte biologique par conservation à l’échelle de l’exploitation quant aux aménagements des abords de parcelles et à la modification des pratiques. Il ne s’agit pas de donner des solutions clés en main. La prise en compte du contexte paysager, de la rotation pour les cultures annuelles, et l’intégration d’un retour des expériences du terrain font partie des évolutions programmées pour Herbea (V2). Conclusion et perspectives En se fondant sur une multiplicité de connaissances, profanes et issues de la recherche, et en les organisant, les ressources numériques qui ont été présentées ci-dessus capitalisent et mettent à disposition une information destinée à être diffusée à des fins d’enseignement mais aussi à des fins de développement. À la fois en amont et en aval de ce processus de construction de ressources numériques pédagogiques, son évaluation par


des pairs, nécessaire à sa validation, contribue fortement à la qualité de ces ressources en comparaison par exemple à des pages Internet n’ayant pas été construites avec cette exigence. Ces ressources numériques, élaborées à des fins d’enseignement ou de développement, ont ainsi une valeur ajoutée notable face à un contenu quelconque sur Internet n’ayant pas été construit avec cet objectif, et sont plus adaptées à sa mise à disposition auprès d’un large public que ne le sont des publications scientifiques. Les ressources pédagogiques de l’UVAE, du module Ibar ou du site Herbea ne délivrent pas seulement des connaissances, mais aident les apprenants à acquérir des compétences pour analyser des situations complexes. Ainsi, la grille d’analyse sur laquelle travaillent les apprenants pour situer la diversité des approches de l’agroécologie peut être réutilisée pour analyser tout nouveau discours sur l’agroécologie. Concernant l’outil Herbea, la représentation des relations permet de saisir la complexité du fonctionnement de l’agroécosystème à travers des réseaux d’interactions multitrophiques, à travers les interrelations entre les plantes, insectes auxiliaires et ravageurs, le tout en interaction avec les pratiques et le paysage. Les apprenants deviennent ainsi capables de réfléchir à la PAEC en mobilisant diverses sources d’inspiration (revues techniques, personnes ressources, forums de discussion, etc.). Malgré ses intérêts, l’autoformation à distance ne saurait à elle seule se substituer à des formations avec plus de présentiel, du fait d’une interaction apprenant-formateur et apprenant-apprenant très faible. En effet, dans un projet de transition vers la PAEC, l’enjeu de l’appropriation de connaissances réside dans les flux croisés de connaissances, rendus possibles par le décloisonnement des disciplines mais également dans les allers-retours, des périodes de réflexion, de maturation du projet, de la pratique et du partage d’expériences (rencontres de bout de champs, ateliers présentiels…) au sein d’un public cible mais également en mélangeant les publics (regards croisés) pour entretenir la boucle de progrès, vrai moteur d’évolution en agroécologie (notion de trajectoire). À l’approche transdisciplinaire, transversale et intégrée de l’agroécologie, a pu être associé un transfert de connaissances ou une acquisition de compétences, tout aussi transdisciplinaire, pour lesquels l’outil numérique


est un atout (démarche collaborative, cas d’études, etc.). Les trois exemples présentés (UVAE, Ibar et Herbea), certes précurseurs, n’ont toutefois pas été jusqu’au bout de la co-construction des savoirs et de l’interactivité. La multidisciplinarité et le caractère évolutif de l’approche agroécologique vont favoriser l’émergence de projets collaboratifs d’enseignement numérique dans ce domaine, via des plateformes permettant les échanges entre étudiants, entre enseignants et bien entendu entre étudiants et enseignants. Pour exemple, cette co-construction des savoirs fait partie intégrante du projet Parmi (www.supagro.fr/parmi ), initié en 2014 et qui vise à construire une offre de formation numérique en agroécologie fondée sur une forte interdisciplinarité. Le contenu numérique, loin de remplacer les enseignants et formateurs, est un outil que ces derniers pourront créer, partager, évaluer et s’approprier. Enfin, travailler en partenariat et en collaboration, dans des projets de formation numérique où le travail à distance est privilégié, permettra de relayer une vision intégrée issue d’un continuum, entre la recherche, le développement et la formation.

La valorisation et le transfert par la formation professionnelle : exemple du CUQP PAEC La valorisation et le transfert de projet peuvent revêtir différentes formes mais les objectifs sont toujours les mêmes : transmettre les connaissances acquises et garantir leur application. Leur mise en œuvre demande cependant à être reconsidérée dans les projets de transition vers la PAEC, car les connaissances produites sont parfois de formes très variées et leurs dimensions peu appropriées aux systèmes de valorisation et de transmission classiques. Lorsqu’on évoque des produits de valorisation, on évoque généralement des productions matérielles (fiches pratiques, support multimédia, guide…), mais les produits à valoriser et à transférer sont également immatériels : un réseau, une nouvelle approche, un constat à partager, une démarche méthodologique, etc. Ainsi, réussir la valorisation et le transfert d’un projet de PAEC, c’est également maintenir actifs les flux croisés de connaissances qui se sont développés entre les différents membres du projet, en les élargissant à l’ensemble du monde agricole sur le territoire ciblé. Généralement, ce sont souvent les acteurs


du développement agricole qui prennent la responsabilité de valoriser et de transférer les résultats, car c’est leur mandat et ils sont à l’interface entre la recherche et le terrain, ils ont un rôle de relais et possèdent un réseau riche de nombreux contacts (Cresson et Gloanec, 2015). Cependant, pour une plus grande efficacité, ce sont tous les partenaires du projet qui doivent s’impliquer dans ce processus. C’est dans cette optique qu’une nouvelle forme de valorisation et de transfert a été imaginée à la Réunion, sous la forme d’un module de formation professionnelle : le certificat universitaire de qualification professionnelle en protection agroécologique des cultures (CUQP PAEC). Outre la transmission de connaissances et de méthodes, son objectif est d’être le noyau d’un réseau, un lieu d’échanges et de maturation de projets où se rencontrent des publics variés, aux bagages divers et aux objectifs parfois différents. Définition et objectifs Développé initialement dans le cadre du volet « formation » du projet Biophyto, le CUQP PAEC est la première formation diplômante en France destinée aux professionnels du monde agricole permettant l’acquisition de compétences dans le domaine novateur de l’agroécologie. Le format et l’organisation de ce certificat sont le fruit d’un travail collaboratif réalisé par une équipe pluridisciplinaire et multipartenaire constituée des principaux acteurs qui ont œuvré dans les différents projets de PAEC que la Réunion a connus au cours des dernières années comme Gamour ou Biophyto. L’objectif de cette formation est d’accompagner les professionnels du monde agricole qui souhaitent changer de modèle de production en adoptant les principes de la protection agroécologique des cultures. Pour l’agriculteur ou le technicien agricole, cette transition nécessite de repenser la façon de gérer les populations de ravageurs et la préservation des insectes utiles. Ceci implique un changement dans son rapport à la technique et notamment apprendre à laisser faire les processus écologiques. Cela passe également par l’acquisition de connaissances nouvelles. À la fin de la formation, le concept d’agroécologie doit être compris et les pratiques doivent pouvoir être reproduites par les stagiaires. Le public est sélectionné pour représenter la diversité des opinions sur l’évolution des modèles agricoles. Cette diversité est une des


plus grandes richesses de cette formation car les moments d’échanges et de débats ont une place importante. Ainsi les questions de l’évolution de la protection des cultures, de l’agroécologie et de sa mise en œuvre sont débattues. Les producteurs viennent d’horizons variés : agriculture biologique, agriculture raisonnée, agriculture conventionnelle, cultures sous abri, productions fruitières, maraîchères et cannières, voire élevage avec fréquemment pour certains agriculteurs un panachage de ces différentes productions. Cette diversité d’origine permet aux participants de se situer dans les différents référentiels qui existent et de s’enrichir au contact des diverses expériences. Structure et fonctionnement L’équipe pédagogique du CUQP PAEC est constituée de chercheurs, d’enseignants-chercheurs, d’ingénieurs et de techniciens issus des principaux domaines concernés par cette thématique (chambre d’agriculture de la Réunion, Cirad, FDGDON, Armeflhor, Institut régional de la qualité de la Réunion ou Irqua, IUT). Le programme pédagogique, réparti sur quatre unités d’enseignement, alterne les phases théoriques et pratiques sur cinq jours de formation (fig. 5.19). Le contenu est initialement disciplinaire et progressif afin de fournir aux stagiaires les connaissances (écologie, entomologie, agronomie…) nécessaires à l’appropriation des pratiques de la PAEC en partant des concepts vers une application transdisciplinaire. L’apprentissage de la PAEC s’appuie sur les retours d’expériences et les résultats des projets mis en œuvre à la Réunion. Des visites de terrain permettent une confrontation des concepts avec la réalité et sont l’occasion d’échanges avec les agriculteurs qui mettent en pratique la PAEC au quotidien. L’attribution du CUQP est conditionnée par la réussite à deux évaluations (écrite et orale). À la fin de la session une séance est dédiée au bilan de la formation, en présence de l’ensemble de l’équipe pédagogique. C’est l’occasion pour chacun de prendre la parole, de formuler de vive voix son ressenti, ses doutes et ses convictions. Des points techniques sont abordés et des conseils personnalisés sont prodigués par les formateurs mais également par les stagiaires eux-mêmes. Ces échanges entre professionnels préfigurent les liens qui se tisseront dans le réseau de la PAEC réunionnaise. Avant de se


séparer, les stagiaires remplissent individuellement et anonymement un questionnaire d’évaluation de la formation dont les résultats permettront au conseil de perfectionnement d’améliorer les points critiques. À ce jour, trois sessions de formation ont été organisées pendant les années universitaires 2012-2013, 2013-2014, 2014-2015, diplômant 37 apprenants, pour la plupart agriculteurs ou techniciens agricoles. Les enquêtes réalisées à l’issue de la formation montrent des taux de satisfaction très élevés et les différents commentaires des stagiaires sont très positifs : « Aujourd’hui, notre agriculture est en mutation, on est en train de changer un bon nombre de nos pratiques culturales pour cultiver mieux que ce soit pour l’écosystème ou les consommateurs. Aujourd’hui, cette formation nous permet de faire un bilan pour savoir où on en est, où on va aller et comment on va le faire. C’est le plus important de tous mes diplômes car il reconnaît ce que je veux vraiment faire, il est à l’image de mon métier. » J.-C. de Cambiaire, agriculteur et docteur en biologie moléculaire.

Le CUQP PAEC est destiné à être reconduit sur le territoire réunionnais jusqu’à satisfaction des demandes et prochainement étendu à la région Sud-Ouest de l’océan Indien afin de répondre aux préoccupations des partenaires régionaux.


Figure 5.19. Structure et fonctionnement du CUQP PAEC.

En résumé, le CUQP PAEC est un outil de transfert, car il permet de donner une qualification opérationnelle reconnue dans la mise en œuvre de pratiques agroécologiques et de développer les compétences associées aux nouvelles orientations que prend l’agriculture moderne. Cette formation professionnelle est également un outil de diffusion et de valorisation. Elle permet de porter le message au cœur du monde professionnel grâce au dialogue qui se met en place durant les sessions et qui perdure au sein du réseau qui en découle. L’agroécologie est un domaine qui se construit socialement et scientifiquement. Les connaissances étant toujours en évolution, l’engagement du formateur est sous-jacent et celui de l’apprenant également. De ce fait, ce dernier devient un précieux auxiliaire pour participer à l’essaimage des principes de l’agroécologie auprès de ses pairs, sur le territoire. Le certificat de qualification professionnelle, par son caractère modulable, est un outil de formation performant et adapté aux questions actuelles de


protection agroécologique des cultures. Son format peut être adapté à tous les contextes et décliné à d’autres thèmes que la protection des cultures. C’est donc un outil particulièrement adapté aux exigences de transfert et de valorisation dans le domaine de l’agroécologie.

Stratégies publiques concertées de soutien et de promotion à l’agroécologie : l’approche globale de la Réunion L’adoption en France le 13 octobre 2014 de la loi d’avenir pour l’Agriculture, l’Alimentation et la Forêt affirme désormais que l’agriculture française et les secteurs agroalimentaires et forestiers doivent relever le défi de la compétitivité pour conserver une place de premier plan au niveau international et contribuer au développement productif de la France. Cette recherche de compétitivité passe par le défi de la transition écologique, le projet agroécologique pour la France ayant pour objectif de placer la double performance économique et environnementale au cœur de pratiques agricoles innovantes. Sur le plan législatif, l’agroécologie a été définie comme l’ensemble des pratiques privilégiant l’autonomie des exploitations agricoles et l’amélioration de leur compétitivité en maintenant ou en augmentant la rentabilité économique, en améliorant la valeur ajoutée des productions et en réduisant la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytosanitaires et de médicaments vétérinaires, en particulier les antibiotiques. À la Réunion, l’agriculture constitue un enjeu majeur de développement tant du point de vue économique qu’environnemental et social. Confrontée à la réalité d’un territoire insulaire aux forts enjeux environnementaux et à la réalité des marchés économiques, l’agriculture réunionnaise doit faire évoluer son modèle de production pour améliorer ces trois performances. Aussi, le défi de la transition agroécologique vers des systèmes de production agricoles plus durables, désormais législatif, constitue pour l’île un atout d’intérêt et d’avenir. Mais il est évident que cela prendra nécessairement du temps, d’où l’importance d’un accompagnement fort


des politiques publiques, de la mise en valeur des réseaux de compétences existants et du rassemblement de tous les acteurs déjà engagés pour avancer ensemble, jouer collectif, surtout convaincre, former et faire « tache d’huile »…

Une démarche volontaire inscrite dans le Plan réunionnais de l’agriculture et de l’agroalimentaire durables 20142020 Le Plan réunionnais de l’agriculture et de l’agroalimentaire durables (PRAAD) est le projet agricole commun porté par les filières agricoles de la Réunion et soutenu par les pouvoirs publics pour la période 2014-2020. À travers six objectifs (fig. 5.20), le PRAAD affirme la promotion d’une agriculture compétitive dans une dynamique agroécologique combinant productivité et gestion durable des ressources.

Figure 5.20. Développer l’agroécologie, un des six objectifs du PRAAD.

Ceci passe par une meilleure prise en compte des atouts et des savoir-faire dans le domaine de la recherche et de l’innovation, par une contribution


plus importante de l’agriculture aux énergies renouvelables, de manière directe (compost, valorisation de la bagasse, méthanisation, valorisation des nouveaux gisements verts énergétiques) ou indirecte (complémentarité agriculture / production d’énergie photovoltaïque sous la forme de panneaux solaires installés sur des bâtiments, serres), par le renforcement des synergies entre les différentes filières, par l’exportation d’un savoirfaire agricole et agroalimentaire à l’international, afin de répondre à une volonté de spécialisation intelligente des territoires. Le PRAAD préconise par ailleurs le développement par la formation initiale et continue de l’agroécologie et s’inscrit ainsi dans le projet national de mise en cohérence des actions de professionnalisation des acteurs et des objectifs du plan « enseigner à produire autrement ».

Une réponse aux enjeux et une démarche de transition écologique à la Réunion L’agriculture à la Réunion représente près de la moitié de la production agricole des DOM. L’agriculture réunionnaise propose ainsi une grande variété de productions végétales et animales qui permet de couvrir plus des trois quarts de la consommation locale en produits frais en fruits et légumes, la moitié dans les filières porcines ou volailles (dont quasiment 100 % en frais), et 100 % pour la demande en œufs. La « ferme réunionnaise » représente un chiffre d’affaires de près de 390 millions d’euros en 2015. L’île s’est donnée des objectifs ambitieux d’autosuffisance alimentaire et d’emplois ; avec l’augmentation de sa production locale de 40 000 t en dix ans pour la filière fruits et légumes et une augmentation de 10 points de parts de marchés, soit plus de 50 % en volume, pour les filières carnée et laitière dans le cadre du programme Défi (Développement des élevages et des filières interprofessionnelles). Par ailleurs, sur un territoire à la superficie contrainte, cette agriculture doit tenir compte de la présence du parc national de la Réunion et de la Réserve naturelle marine, avec comme enjeu de pouvoir concilier activité économique, préserver l’environnement et assurer un développement


territorial pérenne, tout en accompagnant la croissance démographique attendue. C’est un projet ambitieux, qui passe ainsi par le développement nécessaire de la bioéconomie circulaire, par une meilleure valorisation de l’ensemble de la chaîne, avec comme exemple une meilleure gestion et mise en valeur des coproduits et des sous-produits de la production agricole (fertilisation organique, produits énergétiques, voire chimie verte). La Réunion bénéficie d’atouts importants pour réussir la transition agroécologique. Cependant, elle se trouve confrontée naturellement à des freins pour sa mise en œuvre (tab. 5.5). L’accompagnement par les réseaux d’innovation et de transfert agricole (Rita), une politique de formation et des mesures incitatives permettent de valoriser les atouts et de lever les verrous. Une expérience est maintenant acquise chez les acteurs de l’agriculture réunionnaise, à travers le déroulement de projets d’innovation et de partenariat en protection agroécologique des cultures, comme Gamour et Biophyto. Ces projets ont été novateurs et pédagogiques, les acteurs ayant pu s’approprier eux-mêmes l’approche agroécologique et la mettre en pratique. Tableau 5.5. Principaux atouts et freins à la transition agroécologique à la Réunion. Atouts

Freins

Territoire reconnu parmi les 10 hot spots de biodiversité mondiaux Atout de la recherche française en milieu tropical pour les grands projets de valorisation durable des agroécosystèmes Ressources scientifiques et techniques remarquables, de niveau international (Cirad, université de la Réunion) Plateaux techniques d’expérimentation et de transfert mettant en œuvre des méthodes adaptées et innovantes (Armeflhor, eRcane) Existence d’outils privés au service des filières agricoles (par ex., SA Coccinelle) pour la production locale d’agents de lutte biologique des cultures Organisation forte des professionnels grâce à l’Arifel (Association réunionnaise interprofessionnelle des fruits et légumes) et l’Arop-FL (Association réunionnaise des

Pression sanitaire forte due aux conditions environnementales très favorisantes pour la dissémination de nouveaux bioagresseurs Spécificités liées à l’éloignement et difficultés de la mise en œuvre des dispositions réglementaires (UE et État) en Outre-mer Territoire qui a connu et connaît encore des impasses techniques dans le domaine de la lutte phytosanitaire chimique Territoire ouvert sous pression économique forte Augmentation des importations en réponse à la croissance démographique et pression importante sur les prix liée au faible pouvoir d’achat des ménages


organisations de producteurs en fruits et légumes) Existence d’un réseau de 172 exploitations qualifiées en agriculture raisonnée et qualifiées au niveau 2 sur le plan de la certification Haute valeur environnementale Existence de projets pionniers et reconnus en PAEC : Gamour et Biophyto

Ressources génétiques (semences plants) très insuffisantes et freinées par la disponibilité du foncier Lutte très complexe et difficile à mettre en œuvre du fait de la topographie pénalisante

Une démarche accompagnée par les réseaux d’innovation et de transfert agricole Les Rita, créés en 2011 à l’initiative du ministère de l’Agriculture, sont des réseaux tissés entre les acteurs majeurs du développement agricole intervenant dans les DOM, au service des professionnels dans une réponse collective (chacun intervenant dans son cœur de métier et de façon complémentaire). Ils ont pour objet général de permettre le développement socioéconomique des filières de productions locales. À la Réunion, trois réseaux ont été mis en place dans les domaines de la canne, des cultures maraîchères fruitières et horticoles et des filières animales. Une démarche horizontale Chacun de ces réseaux est animé par un représentant d’institut technique se trouvant à l’interface de la recherche et du développement. Aucune structure n’a de rôle prédominant sur l’autre. L’ensemble constitue un collectif, dans lequel les compétences et rôles qui en découlent ont été définis préalablement, chacun intervenant dans son cœur de métier de manière coopérative. Une démarche système L’enjeu étant d’appréhender toutes les facettes d’une problématique technique, des groupes techniques opérationnels ont été activés au sein du Rita, ils sont composés de chercheurs, d’expérimentateurs, de techniciens


et d’agriculteurs qui réfléchissent collégialement. Dans le cadre de la thématique agroécologique, différents groupes thématiques sont en place à la Réunion (fig. 5.21).

Figure 5.21. Groupes thématiques du Rita Réunion Fruits et légumes.

Une démarche cohérente avec les politiques publiques Cette démarche se veut innovante, structurante, volontaire et exemplaire en matière d’optimisation des fonds publics et professionnels, pour répondre aux besoins d’innovation et de transfert au profit des professionnels et des filières des secteurs agricoles et agroalimentaires ultra marins. Ainsi, les objectifs affichés pour les Rita réunionnais sont multiples : forcer le lien entre pratiques agricoles et science au service d’un projet commun innovant et volontaire, co-concerté, tenant compte de la logique des marchés et du temps économique ; promouvoir le transfert des résultats de l’innovation via les réseaux de référence d’exploitations agricoles pilotes et via la formation initiale, continue et professionnelle (Vivea et Fafsea) ;


s’assurer de l’acceptabilité des résultats et de leur traduction dans les itinéraires technico-économiques ; renforcer les démarches de coopération au sein des filières et entre les filières. C’est à travers, cette organisation « filtre » que sont conduits actuellement les projets Écophyto, Écoantibio, « Produire plus et mieux » et Ambition Bio, permettant ainsi une approche originale de conduite collective d’un même projet, embrassant à la fois les domaines de l’expérimentation, du développement, de la vulgarisation et de la formation. De l’innovation au transfert : l’UMT SPAT En 2014, quatre partenaires de la réglementation, de la recherche, de l’expérimentation et de la formation (Cirad, Armeflhor, Anses, FDGDON) se sont associés au sein d’une unité mixte technologique « Santé végétale et production agroécologique en milieu tropical », pour mettre en commun leurs moyens et leurs activités, afin de donner une plus-value et une meilleure cohérence pour passer du stade de l’innovation au stade du transfert aux professionnels. Cette UMT a donc vocation, dans la mouvance des Rita, à répondre mieux et plus vite aux demandes des professionnels dans une démarche agroécologique. Elle est structurée en plusieurs axes et actions, débouchant sur la conception de systèmes de culture agroécologiques (fig. 5.22).


Figure 5.22. Organisation de l’unité mixte technologique « Santé végétale et production agroécologique en milieu tropical ».

L’agroécologie et le Programme régional de formation de l’enseignement agricole de la Réunion Dans la réussite du PRAAD, et plus largement du projet agroécologique pour la France, l’enseignement agricole a un rôle primordial à jouer en tant que dispositif de formation des acteurs du monde agricole. L’enseignement agricole réunionnais, avec son réseau d’établissements agricoles publics et privés répartis sur toute l’île, participe au transfert des innovations vers les actuels et futurs professionnels agricoles en partenariat avec les acteurs de la recherche et du développement. Les référentiels des diplômes font désormais largement référence à l’agroécologie. Pour être au plus près des réalités réunionnaises, sont


proposés des formations courtes ou des modules d’initiative locale qui peuvent être co-construits avec les acteurs agricoles et dans lesquels ces derniers participent activement sous la forme d’interventions ou de visites. Les deux exploitations des établissements agricoles sont mobilisées dans la transition agroécologique : elles sont engagées dans la réduction de l’utilisation des intrants, dans la valorisation des résidus organiques, dans le développement de l’apiculture et de l’agriculture biologique, ainsi que dans la préservation et la valorisation de la biodiversité. En participant à de nombreux projets de recherche-développement (Gamour, Biophyto, Écophyto, etc.), ce sont des laboratoires d’innovations et d’expérimentations. Leur valorisation pédagogique est un enjeu fort pour la diffusion des nouvelles pratiques : ce sont des supports d’activités (travaux pratiques, travaux dirigés, mini-stages, chantiers) qui mettent les apprenants en contact étroit avec l’acquisition de nouveaux savoirs. L’organisation des journées de démonstration, d’information et d’échanges « Produire autrement » en 2013 et 2015, en partenariat avec les acteurs agricoles ont permis notamment d’élargir le public touché et de créer encore plus de lien entre acteurs. Au niveau régional, le programme « Enseigner à produire autrement » a été co-construit entre l’enseignement et les acteurs agricoles pour définir cette mobilisation des établissements agricoles dans la transition agroécologique. Feuille de route pour 2014-2018, ce programme propose un plan d’actions basé sur des liens renforcés entre pédagogie, exploitation agricole et monde professionnel pour atteindre des objectifs techniques ambitieux sur ces exploitations-vitrines et diffuser les innovations agroécologiques aux futurs et actuels acteurs agricoles. Le programme régional « enseigner à produire autrement » fait d’ailleurs l’objet d’un groupe thématique des Rita afin de s’assurer d’un lien concret entre formation et recherche-développement, permettant de conduire des stratégies de communication plus efficaces de solutions agroécologiques auprès de l’ensemble des acteurs professionnels ou futurs professionnels.

Des mesures incitatives pour la transition vers l’agroécologie


Les pouvoirs publics incitent à des pratiques agricoles innovantes et respectueuses de l’environnement. Les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et mesures Agriculture biologique sont des éléments du dispositif prévu pour intégrer les préoccupations environnementales à la politique agricole commune. Elles visent à encourager les agriculteurs à protéger et à valoriser l’environnement, en les rémunérant pour la prestation de services environnementaux. Les agriculteurs s’engagent, pour une période minimale de cinq ans, à adopter des techniques agricoles respectueuses de l’environnement allant au-delà des obligations légales. En échange, ils perçoivent une aide financière qui compense les coûts supplémentaires et les pertes de revenus résultant de l’adoption de ces pratiques. Dans le programme de développement rural de la Réunion 2015-2020, une MAEC Biophyto est proposée en prolongement du projet Biophyto, les mesures Agriculture biologique sont nettement revalorisées pour soutenir le développement de cette filière. Les pratiques Gamour et Biophyto développent d’ailleurs des pratiques compatibles avec le cahier des charges AB.

Conclusion À la Réunion, le parti a été pris de mettre l’agroécologie au centre des préoccupations du projet agricole de demain. Ainsi, au-delà des actions nombreuses et concrètes de terrain dans les domaines de la recherche, de l’expérimentation, du transfert/développement, de la formation et plus globalement des divers projets des filières agricoles concernées, c’est une véritable organisation qui se met en place afin d’atteindre l’objectif. Cette approche globale est originale : elle concerne à la fois l’affirmation d’une orientation stratégique forte et affirmée dans le cadre du PRAAD 2014/2020 validé par les politiques et les organismes concernés, et la mise en place d’une gouvernance à travers les Rita pour s’assurer de la pleine et entière complémentarité des compétences existantes. Cette approche intègre également l’assurance d’un accompagnement du financement public dans le cadre d’une ingénierie financière au service du projet global et permise à l’occasion notamment de la révision du Programme de développement rural 2014-2020. En effet, un soutien financier conséquent


à l’encadrement technique, à la recherche/expérimentation, au transfert des projets, à la formation et à la modernisation des exploitations agricoles a été accordé pour cette période. Ces dispositifs financiers, reposant sur des règles d’accès et d’éligibilité, via par exemple des appels à projets ou des appels d’offre, ont été conçus pour permettre un effet de levier, tout en permettant d’assurer un pilotage opérationnel global du projet réunionnais. Par ailleurs, les fonds du Programme d’orientation spécifique à l’éloignement et à l’insularité (Poséi), au travers du soutien financier au réseau des fermes de références, viendront compléter utilement le projet de cadrage envisagé en mettant en œuvre un suivi d’indicateurs technico-économiques permettant de s’assurer de l’appropriation des techniques agroécologiques et de mesurer les impacts sur le revenu des exploitations

Les clés de la transition agroécologique : paroles d’agriculteurs L’agroécologie vue par un paysan en Vendée Présentation de l’exploitation Le groupement agricole d’exploitation en commun Ursule démontre que les principes de l’agroécologie peuvent être mis en œuvre de manière concrète et efficace de façon à assurer la viabilité économique d’exploitations agricoles tout en préservant l’environnement. J’ai développé cette exploitation avec trois associés : Sébastien et Marie Schwab, Sylvain Vergnaud. Nous travaillons avec quatre salariés et apprentis, qui gèrent l’exploitation dont la production est en totalité certifiée Agriculture biologique. Il s’agit d’une exploitation de polyculture-élevage valorisant 270 ha de terres arables. Une surface de 160 ha est consacrée à la culture de céréales ou pseudo-céréales (blé, triticale, orge, avoine, épeautre, maïs, sorgho grain et ensilage, sarrasin), d’oléagineux (tournesol, colza, cameline), protéagineux (pois protéagineux, féveroles), légumineuses fourragères et autres (lupin bleu ou blanc, vesce, sorgho fourrager, pois fourrager, navettes, radis). La


plupart de ces espèces sont cultivées en mélange. Les 110 ha restants sont des prairies plurispécifiques fauchées (luzerne, dactyle, trèfle violet, raygrass hybride, lotier) ou des prairies pâturées (fétuque des prés, dactyle, trèfle blanc, ray-grass anglais, lotier). Par ailleurs, l’exploitation comporte 100 vaches laitières et 640 m2 de poulailler. Au début des années 1990, l’assolement de l’exploitation ne comportait que trois espèces : blé, maïs et orge. Nous avons tout d’abord commencé à supprimer les insecticides et à diviser par trois les autres intrants (en décidant d’appliquer un traitement phytosanitaire uniquement en cas d’observation de dégâts, et en mettant en place un premier virage agronomique en remplaçant la fertilisation par les engrais de synthèse par les lisiers et fumiers produits par l’exploitation). En 1997, l’ensemble de l’exploitation passe en AB. Pour permettre cette transition, tous les pesticides sont supprimés, 17 km de haies sont plantés et les cultures sont diversifiées en insérant des protéagineux, oléagineux et légumineuses (pois, lupins, féveroles, tournesol), et des mélanges blé-triticale-pois. Audelà de cette diversification spécifique, la taille des parcelles est diminuée et les différentes cultures sont réparties sur l’ensemble de la sole. Il est important de souligner que la répartition spatiale des cultures est aussi importante que la succession des cultures compte tenu de la dispersion de certains ennemis des cultures. Les légumineuses et graminées fourragères sont introduites en mélange (luzerne, trèfle violet, dactyle, ray-grass hybride). Elles entrent systématiquement dans les rotations (3 ans sur 1012 ans). Elles sont réparties dans les différents blocs structurant la sole de l’exploitation. Par ailleurs, c’est à cette époque qu’un essai en agroforesterie est mis en place sur une surface de 2 ha. Les protéagineux en culture pure déçoivent. Seuls la féverole et le pois en culture pure sont conservés, mais ce dernier est systématiquement attaqué par des bruches. Les rendements sont très hétérogènes mais la recherche d’autonomie, voire d’excédents de protéines, est conservée. Après les déboires des années 2003-2005 (les prix des produits agricoles étaient particulièrement bas et des accidents climatiques ont été rencontrés dans cette période), nous augmentons encore la biodiversité cultivée, par l’intégration de protéagineux en mélanges (féveroles-blé, pois-orge) et de nouvelles cultures (colza et sorgho). L’année 2009 marque l’arrivée des jeunes sur l’exploitation, et nous introduisons le lupin en mélange (lupin bleu et


blanc avec blé ou avoine) et la cameline. La plantation de haies est poursuivie, les cultures associées prennent de plus en plus de place dans l’assolement, notamment avec des semis décalés (lupin d’hiver - blé d’hiver ; blé de printemps - cameline ; tournesol-sarrazin). Ces différentes évolutions conduisent, à partir de l’année 2000, à la disparition de la mosaïque des céréales et du piétin-échaudage, ainsi qu’à la maîtrise des limaces. À partir de 2003, grâce aux infrastructures paysagères mises en place quelques années plus tôt, les populations de coccinelles sont suffisamment importantes (comptages de 10 à 15 coccinelles au m² en 2003 sur des parcelles de céréales) sur l’exploitation pour maîtriser les attaques de pucerons. Dans les mélanges pois-orge, on n’observe plus de grains bruchés. À partir de 2005, la productivité globale des cultures augmente de 2 à 4 % par an. PAEC contre les ravageurs

Biodiversité maximale, cultivée ou non

Nous avons intégré un maximum d’espèces différentes dans la succession des cultures pour éviter le retour trop fréquent des mêmes familles d’espèce. Les traitements molluscicides ont été supprimés (sauf occasionnellement sur colza) car ces produits anti-limaces détruisent les carabes qui se nourrissent d’œufs de limace. Les habitats des carabes sont les espaces interstitiels de l’exploitation (haies ou bande enherbée). Comme leur capacité de dispersion est limitée, la taille des parcelles de l’exploitation est limitée à 6-8 ha, qui sont entourées de haies. La répartition spatiale des cultures est encore plus importante que la rotation des cultures. En effet, pour avoir des coccinelles, il faut non seulement favoriser leurs habitats, mais aussi disposer d’une quantité suffisante de pucerons pour qu’elles puissent se nourrir par prédation. La meilleure stratégie consiste à créer un « parcours gastronomique pour coccinelles ». Les coccinelles passent l’hiver dans des vesces, luzernes ou haies, puis à la reprise de végétation, se nourrissent des pucerons qui sont


dans les cultures. Elles passent d’abord dans les féveroles et pois, puis dans les triticales, orge et blé. Elles passent ensuite sur les tournesols, et enfin sur les maïs et sorghos. Elles reviennent ensuite dans les prairies. Il est donc important d’avoir un maximum de cultures différentes dans une même sole et partager les grandes parcelles en plusieurs unités culturales (6-8 ha, par ex.), et intégrer de la prairie dans la sole de manière à générer des mosaïques spatio-temporelles variées. L’implantation de cultures associées permet de déstabiliser les prédateurs. Par exemple, les bruches pondent habituellement dans les cultures de pois ou de féverole. Dans un mélange orge-pois, les bruches ont des difficultés à détecter le pois car l’orge est plus haute. Depuis que nous utilisons cette technique, nous n’avons plus de pois bruchés sur l’exploitation.

Maladies et mauvaises herbes

La baisse significative de la fertilisation azotée des cultures de l’exploitation les a rendues moins sensibles aux maladies. Les associations de variétés, voire d’espèces, créent un effet barrière contre les maladies de feuillage : des génotypes différents avec des profils de résistance différents diminueront la transmission des maladies. Les rotations longues et la grande diversité des espèces cultivée font disparaître les maladies d’origine tellurique (mozaïques, piétin-échaudage) Au-delà de leur complémentarité pour l’alimentation des animaux, les cultures associées présentent l’avantage d’être des cultures étouffantes. La végétation plus dense empêche les plantes adventices de s’installer. Le travail du sol doit éviter les retournements profonds. Des travaux superficiels (8-10 cm) et des labours légers (moins de 13 cm) sont privilégiés pour favoriser la vie du sol et l’alimentation des plantes. La gestion des inter-cultures permet de réduire les stocks semenciers des plantes adventices, via des déchaumages, et en gérant les déplacements verticaux des semences par les labours. Il est important de faire varier les périodes d’implantation en alternant les cultures d’hiver et de printemps, pour éviter de sélectionner certaines plantes adventices. De plus, certaines cultures ont un effet direct sur la maîtrise d’une espèce adventice. Ainsi, la


luzerne, dont l’action est renforcée par les fauches successives de certaines prairies, permet de réduire les populations de chardon à rhizome via des exsudats racinaires (processus allélopathiques). Fertilité des sols Les systèmes de culture intègrent un maximum de légumineuses, y compris dans les prairies. Les légumineuses captent l’azote de l’air pour leurs besoins propres, mais aussi pour les cultures qui leur sont associées : céréales, ou graminées pour les prairies. Le choix des couverts végétaux mis en place est aussi un bon levier pour augmenter la fertilité des sols. Par leurs actions racinaires (notamment via la libération d’exsudats acides attaquant la roche mère et ses fragments dans les sols peu profonds), ils peuvent rendre assimilables pour la culture suivante des éléments minéraux qui n’étaient pas bio-disponibles, car adsorbés sur les particules de sol. Par exemple, les crucifères comme le colza ou la moutarde rendent le phosphore assimilable pour la culture suivante pendant un laps de temps donné (le temps de sa complexation dans le sol suite à la minéralisation primaire de la culture intermédiaire). La polycultureélevage est évidemment un bon système de production pour assurer une fertilité des sols satisfaisante par les amendements organiques issus des déjections animales. Agroforesterie En 1997, nous avons planté des peupliers sur environ 2 ha de la sole. La densité de plantation est de 120 arbres/ha, c’est-à-dire à peu près la moitié de la densité des peupleraies classiques avec l’objectif d’associer ces arbres à de la prairie pendant les deux premiers tiers de leur vie qui est comprise entre 25 et 28 ans. Actuellement, les peupliers sont très développés. La couverture est totale au niveau du houppier. Dans cette configuration, on pourrait craindre que la production d’herbe diminue. Non seulement elle est maintenue, mais pendant la période estivale, il y a plus d’herbe que dans la prairie voisine. La température est inférieure de 7 à 8 °C sous les arbres. L’herbe pousse plus longtemps, avec les


conséquences favorables associées pour le troupeau. Nous pouvons donc suggérer aux futurs éleveurs de planter des arbres à côté de la stabule. Ceux-ci constitueront en plus un abri tempéré pour les animaux lors des canicules. Nous allons encore étendre l’application cette technique agroforestière pour une partie des prairies permanentes de l’exploitation. Rôle de la prairie La prairie, à base de grande légumineuse, joue un rôle très important dans différents processus. Elle est essentielle dans une agroécologie performante sans intrants chimiques. En tête d’assolement, elle « remet les pendules à l’heure » en restructurant le sol (la luzerne est un formidable décompacteur). La prairie apporte de l’humus, enrichit le sol en azote, fait disparaître un certain nombre d’adventices. Pour la production végétale de notre exploitation, nous implantons une luzerne dactyle pendant trois ans après sept ou huit ans de culture. Pour la partie élevage, proche des bâtiments, la part de la prairie est plus importante : de quatre à sept ans de prairie pour trois à quatre années de cultures. Polyculture-élevage, aspects économiques Au niveau économique, la polyculture-élevage apporte des garanties de rentabilité de l’exploitation. En plus de la valorisation du fumier pour les cultures végétales, l’élevage permet de valoriser les prairies, les couverts végétaux et une partie des végétaux produits sur l’exploitation. La complémentarité polyculture-élevage est l’une des clés de notre réussite agroécologique. Énergie Les graines de tournesol sont pressées directement à la ferme. L’huile obtenue était initialement utilisée pour alimenter les tracteurs de l’exploitation : un tracteur a ainsi fonctionné pendant deux ans en étant uniquement alimenté à l’huile de tournesol. Depuis, nous avons développé


la production d’huile alimentaire. De ce fait, l’huile produite sur l’exploitation est valorisée dans le circuit alimentaire. Nos fumiers sont méthanisés, ils produisent donc de l’électricité. Un projet d’installation d’une éolienne citoyenne est en cours. Nous investirons à hauteur de notre consommation d’électricité. Le plus important dans notre stratégie de gestion de l’énergie est de privilégier les économies d’énergie en faisant pâturer les vaches plutôt que de faucher les prairies ; ou en implantant des espèces de plantes qui restructurent le sol à la place de coûteux passages d’outils de travail du sol. Retour d’expérience et conseils pour un exploitant agricole souhaitant s’engager dans une démarche agroécologique Pour notre part, la motivation première de notre démarche a été de développer une agriculture de qualité pour ceux qui la mettent en œuvre, pour les consommateurs finaux et pour l’environnement. Notre démarche est favorable à notre santé physique (activité physique et non manipulation de pesticides) et mentale (cohérence entre nos actions et nos valeurs). Audelà des retours économiques satisfaisants, notre forme d’agriculture nous apporte une qualité de vie appréciable. Nous sommes satisfaits du travail réalisé et la beauté du paysage géré profite à tous (c’est réellement appréciable de travailler dans un tel cadre). Lorsque l’on souhaite s’engager dans une démarche agroécologique, il est important d’être curieux et d’échanger avec d’autres agriculteurs, d’autres conseillers pour enrichir sa propre expertise. Il faut accepter de repenser entièrement son système de production. Il est également important de garder à l’esprit qu’il n’y a pas de recettes prêtes à l’emploi, mais des idées à saisir et à adapter dans sa propre exploitation. Nous sommes partis du principe que la nature était bien faite et qu’il fallait préserver les auxiliaires (arrêt de l’utilisation des insecticides dès 1989). On apprend à marcher en marchant. Pour cela, intégrer un groupe est très motivant pour avancer. C’est grâce aux groupes Civam (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) et Bio que nous avons façonné notre exploitation. Au passage, notons que nous attendons de la part de la recherche plus de résultats mobilisables par les approches systémiques


afin de nous aider à mieux gérer nos agroécosystèmes qui sont des systèmes complexes. En résumé, et pour conclure, s’inscrire dans une démarche agroécologique, c’est valoriser tout ce que la nature nous offre, sans mettre en péril la capacité qu’auront les générations futures de le faire à leur tour.

L’agroécologie appliquée dans un jeune verger tropical Provenant du milieu de la recherche scientifique, attaché particulièrement au domaine de la génomique, ma reconversion à l’agriculture n’a pas été faite sans l’intégration d’une vision unique du matériel vivant avec lequel je travaille aujourd’hui. Cette vision a malgré tout été confrontée au modèle de l’agriculture conventionnelle proposé — voire imposé — au cours des premières années de mon installation. Apportant de meilleures garanties sur le plan financier à mon exploitation — il faut le rappeler une entreprise comme une autre —, je l’ai appliquée dès mes débuts en 2010. Ainsi, ce sont mes premières expériences de terrain qui ont remis en perspective les limites de ce modèle : reposant sur l’intensification et la lutte chimique, il n’offre aucune pérennité possible. Chronologiquement, c’est avant la plantation de mon verger que j’ai été sensibilisé à la protection agroécologique des cultures. Cette nouvelle approche, je la tiens d’une poignée d’experts ayant mis en place une formation universitaire spécifiquement dédiée à la protection agroécologique des cultures (CUQP). Ces nouvelles connaissances constituent, à mes yeux, un outil bien plus important que tous les diplômes que j’ai pu obtenir auparavant. J’ai ainsi eu l’occasion de les appliquer à la conduite d’un verger de manguiers âgé d’une quinzaine d’années dans le cadre du projet Biophyto. Rapidement confronté à une prolifération de la cochenille Icerya seychellarum, c’est l’arrêt des interventions chimiques qui a permis un retour des auxiliaires tels que les chrysopes mais surtout de la coccinelle Rodolia chermesina son prédateur spécifique. L’observation régulière des populations de chacun des protagonistes a permis de mettre en évidence que la population de Rodolia chermesina augmentait, mais simplement moins rapidement à cause du fort impact du


parasitisme de la micro-guêpe Homalotylus eytelweinii. Cette expérience de terrain a été le révélateur définitif du modèle d’agriculture que j’applique aujourd’hui. C’est plus tard, ralenti par les lourdeurs administratives, que j’ai pu mettre en place mon verger tropical. Les contraintes règlementaires m’ont également imposé la plantation de mes manguiers et passiflores sous forme de blocs distincts, un facteur réduisant mécaniquement la biodiversité de mes parcelles. Ainsi, je me suis d’abord appliqué à briser l’aspect monocultural de mes 5 ha de manguiers en appliquant deux stratégies : introduire des sections d’agrumes dans chacun des quatre andains séparant mes manguiers, et installer, en intercalaire, des papayers, citrouilles et passiflores le temps de la croissance des arbres (fig. 5.23). La première incidence positive a été la création et l’entretien d’un couvert végétal important et rapidement mis en place. En effet, mon exploitation agricole étant localisée en zone très sèche, les systèmes d’irrigation nécessaires sont plus facilement amortis financièrement si le végétal est productif. Un avantage additionnel a été la réduction de mes interventions phytosanitaires, pour arriver aujourd’hui à ne quasiment plus en faire car les équilibres parasites/auxiliaires se rétablissent à chaque fois plus rapidement. D’abord peu diversifié, cet enherbement bénéficie constamment de nouveaux apports naturels, mais également de l’introduction de nouvelles espèces comme le thym arbustif. Cette plante a la propriété de fleurir tout le long de l’année et était destiné à l’origine à servir de complément de nourrissement pour mes ruches. Aujourd’hui, c’est en collectant les expériences d’observations de mes voisins que je choisis de nouvelles espèces adaptées aux contraintes climatiques, mais également celles qui semblent avoir le meilleur impact sur le maintien d’auxiliaires.



Figure 5.23. Parcelles et cultures intercalaires. a) Exemple de papayers intercalaires (à gauche) ; b) Plan parcellaire (ci-dessous).

Les limites de ce mode cultural trouvent malheureusement leur origine dans la coopération assez pauvre avec un certain nombre de mes voisins. En effet, à plusieurs reprises dans le cas de mes cultures de Cucurbitacées, j’ai été confronté à des invasions de mouches des légumes impossibles à juguler malgré l’application des techniques de prophylaxie et de piégeage. Leur scepticisme et ancrage dans des pratiques inefficaces restent les obstacles qu’il reste à franchir. Ces derniers ne le seront que lorsque l’information disponible pourra être transmise et appliquée, à l’image de ce qui a été fait dans certaines régions de mon île dans le cadre du programme Gamour. Pour en revenir à mes productions de fruits, celles-ci se sont progressivement améliorées en quantité et qualité, parallèlement à l’observation d’une augmentation de la faune présente. Ainsi, en observant


quotidiennement mes cultures, je me suis aperçu que lors d’une attaque de parasites, le retour à l’équilibre se faisait plus rapidement grâce à l’intervention des auxiliaires souvent déjà présents dans le champ. Par la suite, j’ai pu développer des techniques qui font appel au contrôle de l’humidité de la parcelle — étant dans une région sèche, mais irriguée — régulant la présence/absence de certains insectes. Tout ceci me permet aujourd’hui de m’affranchir de l’utilisation d’une lutte chimique et ouvre la voie à une conversion vers l’agriculture biologique pour les papayers, passiflores et agrumes. Pour les manguiers, la voie a été ouverte par les premiers résultats du programme Biophyto et, j’en suis convaincu, fonctionnera grâce à l’adaptation de modèles déjà appliqués ailleurs. Aujourd’hui, la vision de mon métier ne cesse d’évoluer. Tout d’abord, j’accorde un intérêt de plus en plus marqué à la vie de mon sol qui représente non seulement le support, mais également le garde-manger de mes plantes. Elles y trouvent aussi d’innombrables organismes avec lesquels échanger, ce qui les rend plus fortes et résistantes. Motivé, à mes débuts, par la protection de la vie de mon sol, fatigué par des décennies de maraîchage intensif, j’ai d’abord arrêté d’utiliser des herbicides et des fongicides, avant maintenant d’introduire des microorganismes. Ce sont des partenaires indispensables à la bonne santé des végétaux que j’ai apportés dans mes parcelles (par ex., la bactérie Bacillus amyloliquifaciens). Ma passion ne s’arrêtant pas là, je plante actuellement un autre verger composé d’avocatiers, agrumes, kakis, litchis et autres arbres fruitiers. Cette fois-ci, affranchi des règlementations imposées dans le cadre d’une installation aidée, j’ai le privilège de pouvoir appliquer les stratégies qui me semblent les meilleures. C’est ainsi que cette plantation, axée sur plus de diversité des espèces productives, sera organisée sous forme d’une grande mosaïque imitant au mieux un milieu naturel. Avec ce modèle, nous avons la possibilité de réduire le couvert végétal pour la récolte d’une culture tout en conservant des refuges à proximité. Cela me permet également de distribuer les espèces en fonction de la topographie qui conditionne les quantités d’eau présentes, cette parcelle étant localisée dans une région très humide. En effet, le litchi, qui se satisfera d’être les pieds dans l’eau en permanence, laissera sa place à l’avocatier localisé alors en


hauteur, afin d’éviter des développements d’attaques fongiques. En résumé, mon expérience montre que chaque culture dans un milieu spécifique nécessite une approche unique qui repose à la fois sur un schéma global proposé par des techniques éprouvées de protection agroécologique, mais également sur l’expérience combinée de l’agriculteur et des centres de recherches agricoles partenaires.

Conclusion Réussir un projet de transition vers la PAEC, c’est réussir l’implication de plusieurs partenaires dans un projet transdisciplinaire. C’est utiliser et optimiser les compétences de tous et que chacun puisse en retirer les bénéfices individuels escomptés (mises en place de systèmes de culture triplement performants, valorisations académiques, transferts techniques, démarches pédagogiques…) compatibles avec le but ultime du projet : mettre en place des stratégies de PAEC pour faire face aux nouveaux enjeux de l’agriculture du xxie siècle (fig. 5.24).


Figure 5.24. Réussir la transition vers la PAEC : un objectif commun et des bénéfices individuels.

Pour atteindre ces objectifs, les partenaires doivent réfléchir ensemble le projet et construire des actions cohérentes inspirées des quatre étapes que nous venons de décrire. Concernant le choix et l’adaptation des méthodes, les différentes expériences ont montré qu’il ne pouvait s’agir de mobiliser un ensemble de recettes prêtes à l’emploi, mais qu’au contraire, l’expertise de l’agriculteur et de ses conseillers était au cœur de la conception de stratégies cohérentes visant un ensemble de performances. Différentes méthodes de contrôle des bioagressions sont mobilisables et il s’agit à présent d’en faciliter la mise à disposition du plus grand nombre et de proposer des méthodes de conception de stratégies de PAEC réellement intégrées, à l’instar des guides de conception proposés par exemple par


Attoumani-Ronceux et al. (2011). Au-delà du monde agricole, la PAEC doit également initier un renouvellement méthodologique fort des démarches de diagnostic, d’expérimentation et de modélisation mobilisés par les acteurs de la recherche et du développement. Par exemple, les modèles de culture doivent s’enrichir d’une meilleure représentation des stress biotiques dans leur ensemble. Les protocoles expérimentaux mis en place dans les diagnostics ou les expérimentations systèmes doivent désormais mieux caractériser la composante biotique des agroécosystèmes, via un plus grand nombre de mesures ou d’observations, ou via la caractérisation d’un vecteur de bio-indicateurs pertinents. Concernant la composante biotique des agroécosystèmes, pour des raisons de faisabilité, il sera certainement nécessaire de revoir l’équilibre entre la précision des données recueillies et leur caractère plus ou moins exhaustif. Autrement dit, des appréciations qualitatives d’un plus grand nombre de variables pourraient certainement contribuer à une meilleure connaissance du fonctionnement des agroécosystèmes. Il en va de même pour la modélisation qui devra embrasser des niveaux de complexité plus élevés, et pour laquelle de nouvelles méthodes devront être développées. Globalement, l’expérience montre que le flux des connaissances ne doit pas se tarir tout au long d’un projet de transition vers la PAEC. Depuis la formation initiale des acteurs, en passant par la formation continue et l’autoformation, jusqu’aux outils de transfert du projet, les connaissances doivent se croiser et les savoirs s’hybrider, par le biais de nombreuses et diverses actions pédagogiques où les acteurs deviennent tour à tour formateurs et apprenants. Alimenter le flux de connaissance apparaît ainsi comme une action transversale et diffuse, qui doit être pensée en amont du projet pour garantir son développement et son implémentation dans le monde agricole. À travers deux témoignages, nous avons pu mesurer la capacité d’adaptation et d’innovation des agriculteurs et leur volonté de produire autrement. À l’écoute du terrain et des politiques publics, les acteurs de la recherche, du développement et de la formation agricole doivent répondre en fédérant leurs compétences dans des projets transversaux s’inscrivant dans la dynamique d’appui à la transition agroécologique imprimée par


les dispositifs mis en place au niveau régional et national. 13. https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/courses/INTROAGROECOLOGIE août 2015). 14. https://moodle.org (consulté le 12 août 2015). 15. http://edu.mnhn.fr/course/view.php?id=178 (consulté le 12 août 2015). 16. www.herbea.org .

(consulté le 12


La PAEC, la ligne de conduite de la protection des cultures pour l’avenir Dix ans se sont écoulés depuis qu’a été avancée l’hypothèse d’un aménagement de la protection des cultures sur des bases agroécologiques (Ferron et Deguine, 2005a et b) et que l’on a présenté l’intérêt et la fiabilité de cet aménagement en grande culture, sur la base des données offertes par l’évolution des pratiques en culture cotonnière (Deguine et al., 2008a). Aujourd’hui, le présent ouvrage propose les clés d’une véritable transition agroécologique à partir des résultats d’expériences participatives en milieu horticole, réputé pour être également un fort consommateur de pesticides. Toutefois, si l’ouvrage cible essentiellement de tels systèmes de cultures, il vise à présenter un cadre méthodologique et une démarche générique, dont les bases peuvent s’appliquer à d’autres agroécosystèmes. Il en est de même à propos des bioagresseurs évoqués ici : le plus souvent, il s’agit d’insectes ravageurs, mais l’objectif est d’étendre le raisonnement aux plantes adventices et aux agents pathogènes. Les principes et concepts de l’agroécologie et de la PAEC, ainsi que l’évolution de la protection des cultures au cours des dernières décennies, ont été présentés et mis en regard des enjeux actuels de l’agriculture et de la gestion de la biodiversité dans les agroécosystèmes. Ces principes, traduits dans les pratiques, ont été confrontés aux réalités du terrain, dans le cadre de projets de recherche et développement conduits à la Réunion, ou d’autres expériences significatives en France et à l’étranger. Les résultats, encourageants, montrent la nécessité et la pertinence de l’inflexion des pratiques, parfois en rupture avec les précédentes. Le temps est ainsi venu de véritablement prendre en considération des critères de décision nouveaux, répondant aux enjeux de plus en plus prégnants (écologie, environnement, santé), sans occulter les enjeux socioéconomiques bien sûr. Il est désormais admis de discuter, voire d’accepter, la possibilité, dans certaines situations, de productions


moindres (qui n’entraînent pas nécessairement pour autant des baisses de rentabilité pour les producteurs). À partir de ces expériences en milieu producteur, plusieurs clés de la transition agroécologique sont dégagées. On doit d’abord retenir que quatre domaines d’activités sont à prendre en considération en priorité pour réussir une telle transition : recherche-expérimentation, enseignement-formation, conseil-transfert, incitation-soutien public. À la Réunion, les projets Gamour et Biophyto ont véritablement amorcé une dynamique agroécologique nouvelle, ayant comme résultats une adhésion générale des producteurs aux principes et techniques de la protection agroécologique des cultures et une évolution dans leurs mentalités et pratiques. L’importance du changement d’échelles a été mise en lumière : il est en effet nécessaire de concevoir des expériences en vraie grandeur, sur plusieurs lieux et sur plusieurs années. Les agriculteurs doivent être placés au centre des dispositifs. Il faut aussi souligner les difficultés représentées par la période de transition « à passer », entre la phase « conventionnelle » et la phase « agroécologique » : en effet, entre la protection agrochimique et la protection agroécologique, s’écoule une période, dont la durée n’est pas connue à l’avance, nécessaire et requise, qui doit permettre aux équilibres bioécologiques de se constituer ou se reconstituer. Pour prendre en compte les risques potentiels pour les agriculteurs, il est pertinent d’accompagner financièrement ceux-ci, dans de telles circonstances, par des mesures d’incitation et de soutien. La PAEC se trouve donc à la croisée de plusieurs concepts ou domaines de recherche et de gestion : l’agroécologie, pouvant être considérée à la fois comme une discipline scientifique à part entière (recouvrant des études intégratives relevant de l’agronomie, de l’écologie, de la sociologie et de l’économie, conduites à différents niveaux d’échelles) et un mode de gestion des agroécosystèmes ; la protection intégrée des cultures, qui a conjugué les efforts des chercheurs et praticiens depuis plus de 50 ans mais qui montre aujourd’hui ses limites ;


la gestion de la biodiversité dans les agroécosystèmes, s’inspirant aussi bien pour la recherche que pour la gestion, de la biologie de conservation dans les écosystèmes naturels. Cette conjonction incite aujourd’hui à constater que la PAEC est un nouveau paradigme, c’est-à-dire un nouveau raisonnement adopté par les différents acteurs, chercheurs et praticiens. Celle-ci permet, en prenant comme objectif affiché la durabilité écologique des agroécosystèmes, de concilier aussi les enjeux socioéconomiques, environnementaux et sanitaires. Si le concept de protection intégrée des cultures (PIC) a vu le jour au milieu du xxe siècle, il a connu depuis de nombreuses définitions et de nombreuses évolutions, qui sont à l’origine de maintes sources de confusions et d’interprétations diverses. Il en ressort une multitude de façons de concevoir l’Integrated Pest Management des Anglo-saxons et la protection intégrée des cultures des francophones, comme une multitude de modalités d’application sur le terrain. À l’origine, son objectif était d’harmoniser les techniques de la lutte chimique et de la lutte biologique. Force est de reconnaître, plusieurs décennies plus tard, que cet objectif n’est pas atteint dans la majorité des situations. Ceci a même entraîné l’apparition de formulations détournées, telles que true IPM / false IPM, voire ironiques : integrated pesticide management, improved pesticide management... Sur le terrain, on constate que les pratiques de protection intégrée des cultures reposent encore le plus souvent sur une base agrochimique, qui reste, dans l’esprit de beaucoup, la garantie d’une production minimale et d’une rentabilité assurée. Pourtant on enregistre, çà et là, des limites de l’efficacité de ce concept. De plus, son application peut être incompatible avec la mise en œuvre de pratiques visant à optimiser le fonctionnement écologique d’un système de culture, à favoriser les interactions entre les communautés animales et végétales dans un même agroécosystème. On peut certes citer des définitions de la PIC se rapprochant de celle, unique, de la PAEC qui est précisée dans cet ouvrage. Il existe en effet des similitudes entre les deux, au point qu’il serait possible de considérer la PAEC comme une forme évolutive de la PIC. Cependant il y a aussi des


différences importantes entre elles, la principale résidant dans le fait que la PAEC s’efforce d’apporter des réponses méthodologiques aux orientations données par la PIC, qui ont très souvent pêché par un défaut d’investissement écologique, en dépit des évolutions continuelles qu’elle connaît. La PAEC propose en effet de passer du concept de protection des cultures à celui de gestion des populations animales et végétales d’un même agroécosystème, ce qui implique une vision spatio-temporelle systémique, impliquant l’adoption d’un nouveau vocabulaire écologique pour que le signal soit clairement perçu. La gestion des interactions établies au sein des communautés animales et végétales considérées est placée au centre de la stratégie PAEC, dans le but d’exploiter au mieux les multiples services rendus par leur biodiversité. La prévention du risque phytosanitaire reste l’objectif majeur, impliquant en particulier des mesures prophylactiques, la révision des systèmes de culture et la mise en œuvre des principes de la lutte biologique par conservation. Aussi peut-on souligner le fait que si la PIC est une combinaison de techniques, la PAEC est une démarche qui se réfère à une acceptation scientifique de l’agroécologie (Gliessman, 1997), faisant appel à des connaissances fines en biologie, écologie et à l’intégration de ces connaissances (prise en compte à différentes échelles spatio-temporelles de la biodiversité fonctionnelle, du fonctionnement écologique des agroécosystèmes, etc.). L’enjeu de la PAEC est de passer dans l’opérationnalité, de la déclinaison de principes de l’agroécologie à la protection des cultures, à une démarche méthodique et ordonnée sur le terrain. La voie est ouverte mais le chemin est long. Quantifier l’incidence de la lutte biologique par conservation, asseoir la crédibilité de l’agriculture biologique, identifier les goulots d’étranglement (diversité des systèmes de production et des situations pédoclimatiques, spécificité des bioagresseurs, inertie de certaines habitudes agricoles, etc.), agir sur les leviers d’action (approches, acquisition et intégration des connaissances, conception de systèmes de culture, formation, information, etc.) : autant de défis pour assurer la transition agroécologique dans les mots et dans les actes. Le mode de rédaction et de présentation de cet ouvrage s’efforce de traduire le fil conducteur d’une remarquable collaboration de la part de


56 contributeurs, d’horizons géographiques différents et appartenant à de multiples institutions françaises (et quelques-unes étrangères) aux mandats différents et complémentaires : organismes d’enseignement, instituts techniques, organismes de développement agricole, organisations non gouvernementales, services publics de l’agriculture, organismes de recherche, écoles d’agronomie, lycées agricoles, universités… Tous ces auteurs, et en particulier des agriculteurs, se sont associés pour proposer aux lecteurs, praticiens et étudiants, un support d’information et de formation, éclairant le carrefour où se sont donnés rendez-vous l’agroécologie, la protection des cultures et la gestion de la biodiversité. À ce titre, le nombre et la diversité de ces contributions traduisent bien le besoin d’un consensus actualisé et attendu sur le sujet de la protection agroécologique des cultures, de la part de la communauté scientifique et technique agricole. Nous espérons avoir significativement contribué à cet objectif.


Sigles et acronymes AB : agriculture biologique Armeflhor : Association réunionnaise pour la modernisation de l’économie fruitière, légumière et horticole Arop-FL : Association réunionnaise des organisations professionnelles agricoles de fruits et légumes Batica (programme) : Bioagresseurs telluriques et insertion de couverts assainissants Casdar : Compte d’affectation spéciale pour le développement agricole et rural Cirad : Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement CUQP : certificat universitaire de qualification professionnelle DVV : durée de vie verte EPLEFPA : Établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricole FAO : Food and Agriculture Organization (of the United Nations) Farre (réseau) : Forum des agriculteurs responsables et respectueux de l’environnement FDGDON : Fédération départementale des groupements de défense contre les organismes nuisibles de la Réunion GAB : Groupement d’agriculture biologique de la Réunion


Gamour (projet) : Gestion agroécologique des mouches des légumes à la Réunion GIS PIClég : Groupement d’intérêt scientifique pour la production intégrée en cultures légumières Herbea : Habitats à entretenir pour la régulation biologique dans les exploitations agricoles HSN : habitats semi-naturels Inra : Institut national de la recherche agronomique IPM : Integrated Pest Management IUT : Institut universitaire de technologie LB : lutte biologique LP : lutte prophylactique MAE : mesure agroenvironnementale MAEC : mesure agroenvironnementale et climatique MRN : maladie des raies noires Octroi : Organisme certificateur Tropique Réunion océan Indien OILB : Organisation internationale de lutte biologique PAC : politique agricole commune PAEC : protection agroécologique des cultures PFI : protection fruitière intégrée PIC : protection intégrée des cultures


PINC : protection intégrée non chimique PRAAD : Plan réunionnais de l’agriculture et de l’agroalimentaire durables Rita : réseau d’innovation et de transfert agricole RMT : réseau mixte technologique SCV : semis direct sur couverture végétale UMR : unité mixte de recherche UVAE : Université virtuelle d’agroécologie


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Liste des auteurs Aubertot Jean-Noël, Inra, UMR 1248 Agir, BP 52627, 31326 Castanet-Tolosan Cedex Becker Nathalie, Muséum national d’histoire naturelle, Sorbonne Universités, Institut de systématique, évolution, biodiversité, ISYEB - UMR 7205 CNRS/MNHN/UPMC/EPHE, 57 rue Cuvier, CP 32, 75005 Paris Boiffin Jean, Inra, centre d’Angers-Nantes, 42 rue Georges-Morel, BP 60057, 49071 Beaucouzé Cedex Bravin Aurélie, Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, Service formation et développement, parc de la Providence, 97400 Saint-Denis, La Réunion de Cambiaire Jean-Charles, 4 rue des Tangors, 97437 Sainte-Anne, La Réunion Capowiez Yvan, Inra, UR Plantes et systèmes de culture horticoles, Centre de recherche Paca, Domaine Saint-Paul, site Agroparc, 228 route de l’Aérodrome, CS 40509, 84914 Avignon Cedex 9 Cellier Vincent, Inra, centre de Dijon, Réseau Protection intégrée des cultures Inra/Cirad, UE 115 domaine expérimental d’Époisses, 21110 Bretenière Chabert Ariane, Inra/INP, centre de recherche Inra Toulouse, UMR 1248 Agir, chemin de Borde-Rouge, BP 52627, 31326 Castanet-Tolosan Cedex Colnenne-David Caroline,


Inra, UMR Agronomie, BP 1, 78850 Thiverval-Grignon Cresson Céline, ITAB, 149 rue de Bercy, 75012 Paris Deberdt Péninna, Cirad, UPR Hortsys, Petit-Morne, BP 214, 97285 Lamentin Cedex 2, Martinique Deguine Jean-Philippe, Cirad, Pôle de protection des plantes, UMR PVBMT, 7 chemin de l’Irat, 97410 Saint-Pierre, La Réunion Deytieux Violaine, Inra, UE 115, domaine expérimental d’Époisses, 21110 Bretenière Doré Thierry, AgroParisTech, Département SIAFEE, 16 rue Claude Bernard, 75231 Paris Cedex 05 Faloya Vincent, Inra, UMR IGEPP, domaine de la Motte, BP 35327, 35653 Le Rheu Cedex Fernandes Paula, Cirad, UPR HortSys, BP 214, 97285 Lamentin Cedex 2, Martinique Ferron Pierre, 25 boulevard Jean-Behra, 06100 Nice Gandini Gustavo, Banelino, Bananos Ecológicos de la Línea Noroeste, Departamento Agricultura Orgánica, Biodiversidad y Medio Ambiente, Avenida Miguel Crespo sn, Mao, République dominicaine Gardarin Antoine, AgroParisTech, UMR Inra/AgroParisTech Agronomie, avenue LucienBrétignières, BP 01, 78850 Thiverval-Grignon Gibert Caroline,


Solagro, 75 voie du TOEC, CS 27608, 31076 Toulouse Cedex 3 Gloanec Caroline, 101 chemin Concession, 97432 Ravine des cabris, La Réunion Graindorge Rachel, Armeflhor, 1 chemin de l’Irfa, 97410 Saint-Pierre, La Réunion Guillermet Claire, Cirad, UR GECO/CAEC, BP 214, 97285 Lamentin Cedex 2, Martinique Insa Guillaume, Armeflhor, 1 chemin de l’Irfa, 97410 Saint-Pierre, La Réunion Jacquot Maxime, Cirad, Pôle de protection des plantes, UMR PVBMT, 7 chemin de l’Irat, 97410 Saint-Pierre, La Réunion Jarne Philippe, CNRS, UMR 5175 CEFE/CNRS, université de Montpellier - EPHE, 1919 route de Mende, 34293 Montpellier Cedex 5 Jeannequin Benoît, Inra, domaine du Mas Blanc, 66200 Alenya Jeuffrault Éric, Cirad, DGDRD Direction régionale Réunion-Mayotte, station de La Bretagne, 40 chemin de Grand-Canal CS 12014, 97743 Saint-Denis Cedex 9, La Réunion de Lapeyre de Bellaire Luc, Cirad, Persyst - UPR GECO TA B-26 / PS4, boulevard de la Lironde, 34398 Montpellier Cedex 5 Lamine Claire, Inra, UR Écodéveloppement, Agroparc, 28 route de l’Aérodrome, CS40509, 84914 Avignon Cedex 9 Laurent Philippe,


Université de La Réunion, IUT département Génie biologique, 40 avenue de Soweto, BP 373, 97455 Saint-Pierre Cedex, La Réunion Lauri Pierre-Éric, Inra, UMR System, 2 place Pierre-Viala, Bâtiment 27, 34060 Montpellier Le Bellec Fabrice, Cirad, UPR Hortsys, station de Bassin-Plat, BP 180, 97455 Saint-Pierre Cedex, La Réunion Le Jeanne Lucie, Saint-Paul Cedex

EPLEFPA de Saint-Paul, 165 route de Mafate, 97864

Lescourret Françoise, Inra, UR Plantes et systèmes de culture horticoles, Centre de recherche Paca, Domaine Saint-Paul, site Agroparc, 228 route de l’Aérodrome, CS 40509, 84914 Avignon Cedex 9 Lucas Philippe, Armeflhor, 1 chemin de l’Irfa, 97410 Saint-Pierre, La Réunion Malézieux Éric, Cirad, UPR Hortsys, bâtiment C - TA B-103/C, campus international de Baillarguet, 34398 Montpellier Cedex 5 Marliac Gaëlle, Inra, UR Plantes et systèmes de culture horticoles, centre de recherche Paca, domaine Saint-Paul, site Agroparc, 228 route de l’Aérodrome, CS 40509, 84914 Avignon Cedex 9 Meynard Jean-Marc, Inra, UMR Sciences pour l’action et le développement, Bâtiment EGER, campus de Grignon, 78850 Thiverval-Grignon Morineau Jacques, GAEC Ursule, Puysault, Saint-Mars des prés, 85110 Chantonnay Nurbel Toulassi,


Armeflhor, 1 chemin de l’Irfa, 97410 Saint-Pierre, La Réunion Penvern Servane, Inra, UR Plantes et systèmes de culture horticoles, centre de recherche Paca, domaine Saint-Paul, site Agroparc, 228 route de l’Aérodrome, CS 40509, 84914 Avignon Cedex 9 Petit Sandrine, Inra, UMR 1347 Agroécologie, 17 rue Sully, BP 86510, 21065 Dijon Cedex Randriamanantsoa Richard, FOFIFA, station régionale de recherches, BP 230, 110 Antsirabe, Madagascar Ratnadass Alain, Cirad, UPR Hortsys, station de Bassin-Plat, BP 180, 97455 Saint-Pierre Cedex, La Réunion Reteau Alexandre, 5 rue de la Chaumière, 40100 Dax Robin Marie-Hélène, Université Toulouse, INPT EI Purpan, UMR Agir, 75 voie du TOEC, BP 57611, 31076 Toulouse Cedex 3 Rusch Adrien, Inra, UMR 1065 Santé et agroécologie du vignoble, centre de recherche Bordeaux-Aquitaine, 71 rue Édouard-Bourlaux, 33882 Villenave-d’Ornon Sarthou Jean-Pierre, INP-ENSAT, UMR Inra/INP 1248 Agir, chemin de Borde-Rouge, BP 52627, 31326 Castanet-Tolosan Cedex Sentenac Gilles, IFV, 6 rue du 16e Chasseurs, 21200 Beaune Simon Sylvaine,


Inra, unité expérimentale de recherches intégrées Gotheron, 460 domaine de Gotheron, 26320 Saint-Marcel-lès-Valence Sinzogan Antonio, Université Abomey Calavi, faculté des sciences agronomiques, BP 526 Cotonou, Bénin Tchamitchian Marc, Inra, UR Écodéveloppement, Agroparc, 28 route de l’Aérodrome, CS40509, 84914 Avignon Cedex 9 Thiéry Denis, Inra, UMR 1065 Santé et agroécologie du vignoble, centre de recherche Bordeaux-Aquitaine, 71 rue Édouard-Bourlaux, 33882 Villenave-d’Ornon Vayssières Jean-François, Cirad, IITA Biological Control Center for Africa 08, BP 0932, tri postal Cotonou, Bénin Vincenot Didier, Chambre d’agriculture de la Réunion, 1 chemin de l’Irat, Ligne paradis, 97410 Saint-Pierre, La Réunion


Crédits photographiques Cédric Ajaguin Soleyen (fig. 1.7, au centre ; fig. 2.10), Jean Chevaldonné (fig. 4.27), Jean-Philippe Deguine (fig. 1.7, à dr. ; figs 2.3, 2.4, 2.8, 2.9, 2.11, 2.13, 2.14, 3.3, 3.8), Brice Derepas (fig. 5.14), Thierry Doré (fig. 5.4), Antoine Franck (figs 2.2, 3.1), Gustavo Gandini (fig. 4.19), Claire Guillermet (fig. 4.22), B. Hanssens (fig. 1.4.), Benoît Jeannequin (figs 4.3, 4.4), Luc de Lapeyre de Bellaire (figs 4.20, 4.21), José Martin (fig. 2.13), Marie Rousse (figs 2.1, 2.7, 2.15, 3.6, 3.7), Pascal Rousse (fig. 1.7, à g.), Christian Sanchis (3.4), Sylvaine Simon (fig. 4.13), UMR Agir Toulouse (fig. 1.3), Jean-François Vayssières (fig. 4.18).



Table des matières Couverture Protection agroécologique des cultures Avant-propos Préambule Préface Remerciements Introduction Chapitre 1 - Décliner les principes de l’agroécologie à la protection des cultures Chapitre 2 - Application en cultures maraîchères : l’expérience Gamour Chapitre 3 - Application en cultures fruitières : l’expérience Biophyto Chapitre 4 - Retours d’expériences et approches génériques de protection agroécologique des cultures : autres exemples Chapitre 5 - Les clés de la transition agroécologique La PAEC, la ligne de conduite de la protection des cultures pour l’avenir Sigles et acronymes Bibliographie Liste des auteurs Crédits photographiques


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