Recherche Agronomique Suisse, numéro 6, juin 2014

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RECHERCHE AGRONOMIQUE SUISSE 2 0 1 4

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N u m é r o

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Agroscope | OFAG | HAFL | AGRIDEA | ETH Zürich | FiBL

J u i n

Production végétale Les céréales à paille hybrides progressent Page 224 Economie agrocole Exploitations laitières: pourquoi la Suisse produit-elle plus cher que la Norvège? Page 248 Liste variétale

Liste recommandée des variétés de ­céréales pour la récolte 2015 Encart


Le blé est la culture mondiale n ­ uméro 1 pour l’alimentation. Il faut au moins 15 ans pour obtenir une nouvelle ­variété de blé. Le n ­ uméro de juin consacre un article au ­sujet des céréales hybrides et contient la Liste recommandée des variétés de céréales pour la récolte 2015. (Photo: Carole Parodi, Agroscope)

Sommaire Juin 2014 | Numéro 6 223 Editorial 224

Impressum Recherche Agronomique Suisse / Agrarforschung Schweiz est une publication des stations de recherche agronomique Agroscope et de leurs partenaires. Cette publication paraît en allemand et en français. Elle s’adresse aux scientifiques, spécialistes de la recherche et de l’industrie, enseignants, organisations de conseil et de vulgarisation, offices cantonaux et fédéraux, praticiens, politiciens et autres personnes intéressées. Editeur Agroscope

Production végétale Les céréales à paille hybrides progressent Andreas Hund, Dario Fossati, Fabio Mascher et Peter Stamp

Production végétale Les cendres de bois: un nouvel engrais 232

pour l’agriculture suisse Alexandra Maltas et Sokrat Sinaj

Partenaires bA groscope (Institut des sciences en production végétale IPV; Institut des sciences en p­ roduction animale IPA; Institut des sciences en denrées alimentaires IDA; Institut des ­s ciences en durabilité agronomique IDU), www.agroscope.ch b Office fédéral de l’agriculture OFAG, Berne, www.ofag.ch b Haute école des sciences agronomiques forestières et alimentaires HAFL, Zollikofen, www.hafl.ch b Centrale de vulgarisation AGRIDEA, Lausanne et Lindau, www.agridea.ch b E cole polytechnique fédérale de Zurich ETH Zürich, Département des Sciences des Systèmes de l'Environnement, www.usys.ethz.ch b Institut de recherche de l'agriculture biologique FiBL, www.fibl.org

Economie agricole Comment optimiser la formation 240

Rédaction Andrea Leuenberger-Minger, Recherche Agronomique Suisse /Agrarforschung Schweiz, Agroscope, Case postale 64, 1725 Posieux, Tél. +41 26 407 72 21, Fax +41 26 407 73 00, e-mail: info@rechercheagronomiquesuisse.ch

Economie agricole Exploitations laitières: pourquoi la Suisse 248

Judith Auer, Recherche Agronomique Suisse / Agrarforschung Schweiz, Agroscope, Case postale 1012, 1260 Nyon 1 e-mail: info@rechercheagronomiquesuisse.ch Team de rédaction Président: Jean-Philippe Mayor (Responsable Corporate Communication Agroscope), Evelyne Fasnacht, Erika Meili et Sibylle Willi (Agroscope), Karin Bovigny-Ackermann (OFAG), Beat Huber-Eicher (HAFL), Esther Weiss (AGRIDEA), Brigitte Dorn (ETH Zürich), Thomas Alföldi (FiBL). Abonnements Tarifs Revue: CHF 61.–*, TVA et frais de port compris (étranger + CHF 20.– frais de port), en ligne: CHF 61.–* * Tarifs réduits voir: www.rechercheagronomiquesuisse.ch Adresse Nicole Boschung, Recherche Agronomique Suisse/Agrarforschung Schweiz, Agroscope, Case postale 64, 1725 Posieux e-mail: info@rechercheagronomiquesuisse.ch, Fax +41 26 407 73 00 Changement d'adresse e-mail: verkauf.zivil@bbl.admin.ch, Fax +41 31 325 50 58 Internet www.rechercheagronomiquesuisse.ch www.agrarforschungschweiz.ch ISSN infos ISSN 1663 – 7917 (imprimé) ISSN 1663 – 7925 (en ligne) Titre: Recherche Agronomique Suisse Titre abrégé: Rech. Agron. Suisse © Copyright Agroscope. Tous droits de reproduction et de traduction réservés. Toute reproduction ou traduction, partielle ou intégrale, doit faire l’objet d’un accord avec la rédaction.

Indexé: Web of Science, CAB Abstracts, AGRIS

c­ ontinue en gestion d’entreprise dans l’agriculture? Florian Sandrini, Bruno Durgiai, Sylvie Aubert et Hansjörg Meier

produit-elle plus cher que la Norvège? Christian Gazzarin, Matthias Kohler et Ola Flaten Environnement Irrigation et changement climatique: 256

une analyse régionale du déficit en eau Jürg Fuhrer et Pierluigi Calanca 264 Portrait 265 Actualités 267 Manifestations Liste variétale Liste recommandée des variétés de Encart

­céréales pour la récolte 2015 Numa Courvoisier et al.


Editorial

Anticiper l’application des ­nouvelles connaissances Chère lectrice, cher lecteur,

Peter Spring, directeur suppléant de la Haute école des sciences ­a gronomiques, forestières et ­a limentaires HAFL

Le marché et la société sont demandeurs de denrées alimentaires de qualité, saines et naturelles, produites efficacement dans le respect de normes écologiques élevées. Ces exigences complexes s’inscrivent dans un environnement dynamique marqué par des impératifs sociaux et politiques en constante évolution et par des conditions de marché fluctuantes, sans oublier la dimension du changement climatique. L’agriculture, et la recherche sur laquelle elle s’appuie, doivent donc faire preuve d’un pouvoir d’innovation et d’une flexibilité accrus. Notre rôle de chercheurs consiste à concevoir, dès aujourd’hui, des solutions sur mesure qui seront nécessaires demain aux exploitations agricoles et à la branche. Département de la Haute école spécialisée bernoise, la HAFL, forte de ses compétences en sciences agronomiques, forestières et alimentaires et de son vaste réseau, couvre toute la chaîne de valeur, des matières premières au produit commercialisable. Cette approche globale est complétée par des évaluations de la durabilité ou des analyses de la consommation. Le lien étroit entre la recherche appliquée et l’enseignement joue par ailleurs un rôle central: les étudiants de bachelor et de master sont impliqués dans les travaux de recherche et, en retour, l’enseignement s’enrichit des connaissances issues de ces travaux. La recherche de la HAFL présente un autre atout. En effet, dans bon nombre de nos projets, nous développons des solutions adaptées à la pratique, en collaboration avec la branche et directement dans les exploitations. Cette méthode est non seulement très efficace, mais garantit également que nous respections à leur juste valeur les spécificités des entreprises et les particularités régionales. Dans le cadre d’un projet du Fonds national suisse (FNS) mené avec plusieurs partenaires, nos experts en recherche porcine montrent par exemple comment il est possible de réduire les impacts négatifs de la production sur l’environnement et de diminuer le recours aux antibiotiques. Un autre projet de recherche intègre toutes les étapes de la chaîne de valeur afin d’optimiser la qualité et les propriétés de transformation du blé bio suisse. Grâce à cette collaboration, certaines entreprises commencent à mettre en œuvre des solutions alors que le projet est encore en cours. Les obstacles sont repérés en amont et levés dans les meilleurs délais. A l’issue du projet, les solutions sont déjà opérationnelles. Cette démarche anticipative est exigée aujourd’hui par le secteur, par la Commission pour la technologie et l’innovation (CTI) et par le FNS, qui souhaitent que l’application commence dès la réalisation du projet. La coopération permet non seulement une exploitation plus efficace des solutions, mais offre également aux chercheurs la possibilité de faire face immédiatement aux nouveaux défis. Le cycle «identification des problèmes, élaboration de solutions et application» est ainsi nettement écourté. Accélérer la mise en œuvre pratique de nouvelles connaissances et de nouvelles technologies est le seul moyen pour nous de relever les nouveaux défis en temps utile.

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P r o d u c t i o n

v é g é t a l e

Les céréales à paille hybrides progressent Andreas Hund1, Dario Fossati2, Fabio Mascher2 et Peter Stamp1 ETH Zurich, Institut des sciences agronomiques, 8092 Zurich, Suisse 2 Agroscope, Institut des sciences en production végétale IPV, 1260 Nyon, Suisse Renseignements: Andreas Hund, e-mail: andreas.hund@usys.ethz.ch

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Figure 1 | Les parents et leur hybride F1.

Les haploïdes doublés pour accélérer la sélection Dans la sélection traditionnelle des céréales autogames (qui s’autofécondent) comme le blé ou l’orge, le développement d’une nouvelle variété commence par le croisement de deux lignées homozygotes. Les hybrides issus du croisement sont en 1re génération (F1) uniformes et hétérozygotes (fig. 1). Lors de la génération suivante (F2), après autofécondation, on observe la ségrégation des caractères parentaux. Dès cette génération, on peut, selon les critères de sélection, commencer à choisir les descendants les plus prometteurs. Ce n’est cependant

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qu’à partir de la 7e génération d’autofécondation que l’on peut considérer les descendants à nouveau comme homozygotes, soit génétiquement homogènes. Pour beaucoup de caractéristiques, ceci rend l’identification des meilleurs individus plus difficile lors des premières générations. L’observation minutieuse au champ, les analyses de laboratoires, les ordinateurs et la statistique sont ici d’une aide précieuse. Une autre voie, qui avait été suivie en Suisse dans le blé, passe par la création d’haploïdes doublés. Même si tout n’est pas si facile, on peut depuis plus de trente ans, grâce aux cultures in


vitro et à partir de cellules germinales issus d’un croisement, régénérer une plante. Celle-ci ne possède cependant qu’un set de chromosomes. A l’aide de la colchicine, une toxine extraite du colchique qui perturbe la division cellulaire au cours de la méiose, le matériel génétique est doublé à nouveau et devient «haploïde-doublé» (HD), ce qui correspond à l’état homozygote. Ainsi, il ne faut qu’une génération au lieu de sept pour obtenir des plantes homozygotes dont les caractéristiques sont immédiatement observables (fig. 2). A ce stade, il faut bien sûr encore éliminer beaucoup de plantes inutiles, qui auraient été éliminées progressivement au cours des années par une sélection traditionnelle. Ce procédé augmente la précision et raccourcit le processus de sélection. Pour le blé, l’ETHZ a participé au développement de ces méthodes qui ont été testées dans les années 80 – 90, en collaboration avec les stations fédérales de recherches agronomiques. Le système fonctionnait bien mais n’était pas parfait, ni même aussi performant que souhaité; il dépendait beaucoup du génotype maternel et, sans une percée plus importante, il était difficile de l’insérer en routine. Pour le maïs, depuis une dizaine d’année, une méthode plus élégante de production d’haploïde, sans passer par la culture in vitro de cellules germinales, a été développée à l’Université de Stuttgart Hohenheim. Grâce à des lignées dites «inductives», l’ovule non fécondé développe un embryon haploïde. Cette méthode est utilisée actuellement par tous les sélectionneurs de maïs à travers le monde. Entre temps, la technologie HD a été développée et adoptée également pour le blé par la plupart des grandes maisons de sélection. Sélection d’hybride chez les autogames Pourquoi la sélection de blé hybride et d’orge s’est-elle développée si tardivement? Cette question a été soulevée car des interrogations apparaissent dans la pratique quant à la disponibilité future de semence de qualité (Stamp 2013). Il a été découvert, il y a plus de 100 ans aux USA, que des lignées de maïs autofécondées puis croisées entre elles produisaient des semences qui donnaient, la première année, des rendements nettement supérieurs à ceux des variétés populations d’origine des lignées. Actuellement dans le monde, on ne cultive presque plus que des maïs hybrides et très peu de maïs population. Jusqu’à présent, la plupart des variétés hybrides sont principalement issues d’espèces partiellement ou complètement allogames. L’avantage des hybrides est partagé entre agriculteurs et sélectionneurs. Les agriculteurs profitent de variétés plus performantes mais, comme la descendance de variétés hybrides n’est pas conforme et est moins performante, les agriculteurs 

Résumé

Les céréales à paille hybrides progressent | Production végétale

Pour les céréales autogames comme le blé et l’orge, le manque de retour sur investissement assombrit les perspectives des variétés traditionnelles. En Europe, après des décennies de statu quo relatif, un renouveau en faveur des hybrides se fait présent. Pour les espèces allogames comme le maïs, le colza ou le seigle, la production d’hybrides, basée sur des systèmes génétiques, a déjà permis une production de semences hybrides bon marché. Un tel système est à présent disponible et efficace pour l'orge, mais pas encore véritablement dans le blé. En règle générale, pour produire des hybrides on croise deux lignées homozygotes, mais l’homozygotie n’est atteinte qu’après sept générations d’autofécondations. Pour beaucoup de céréales, on peut raccourcir ce processus en une étape en régénérant des plantes à partir de cellules germinales haploïdes et en doublant leurs chromosomes. Les plantes «haploïdes doublées» (HD) obtenues sont alors génétiquement identiques à des lignées autofécondées. Dans les espèces autogames, on s’attend à trouver plus difficilement une forte hétérosis (une performance supérieure aux parents), car ces espèces ont déjà une performance qui a été optimisée. Cependant, on observe depuis quelques années un retour de grandes firmes dans la sélection du blé et de l'orge. Pourquoi? Au niveau du G20, une initiative internationale en collaboration avec de grandes entreprises a réapprécié le statut du blé, qui avait été quelque peu négligé ces dernières décennies. Ces entreprises n’investiront à long terme dans la sélection du blé que si les taux de renouvellement de semences sont prévisibles. Pour les petits programmes de sélection, la question se pose de savoir comment s’adapter à cette évolution.

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Production végétale | Les céréales à paille hybrides progressent

Parents homozygotes

Autofécondations traditionnelles F2

0,5

Cu

ltu

F1

an

thè

re

F3

F4

F5

F6

F7

0,25

0,13

0,06

0,03

0,02

d’

res

Technologie haploïdes doublés

Colchicine

0,00 Figure 2 | Comparaison de l’obtention de variétés de blé homozygote par autofécondation en pépinière ou par la création in vitro de plantes haploïdes doublés issues des anthères, la partie mâle des fleurs de blé. Comme les anthères ne possèdent qu’un seul jeu de chromosomes, la régénération in vitro des embryons haploïdes, puis leur traitement à la colchicinie, double les chromosomes et produit des plantes complètement homozygotes (pourcentage hétérozygotie de 0,00) en une étape. En comparaison, les individus autofécondés traditionnellement sont, après six générations, encore hétérozygotes dans un rapport approximatif de 0,02. Le schéma montre l'une des 21 paires de chromosomes homologues du blé.

doivent racheter chaque année de la semence hybride, ce qui assure aux sélectionneurs la possibilité d’investir à long terme. Depuis plus de 20 ans, les variétés hybrides de seigle et de colza rencontrent également du succès. Ainsi, pratiquement 100 % des variétés de maïs, 75 % de seigles et plus de 50 % de colza, toutes des espèces complètement ou partiellement allogames, sont actuellement des variétés hybrides. Pour avoir du succès, la production de semences hybrides doit être suffisamment économique pour rester d’un coût accessible. C’est le cas depuis 100 ans pour la maïs, car la castration mécanique élimine facilement le panicule des plantes utilisées comme femelles. Avec les céréales à paille, c’est plus compliqué. Dans le maïs, en parallèle de la castration mécanique, des systèmes génétiques de «stérilité mâle cytoplasmique (CMS)» ont été développés et, depuis des décennies, permettent une production d’hybrides sûre et bon marché. Il existe aussi de tels systèmes pour le seigle et le tournesol. Tous ces systèmes sont basés sur des gènes défectueux dans la «centrale énergétique» de la cellule, les mitochondries (fig. 3). Ces gènes affectent

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la croissance des grains de pollen de la lignée utilisée comme femelle lors de la production de semence hybride. Ces lignées ne peuvent pas s’autoféconder et doivent être fécondées par le pollen de la lignée utilisée comme mâle. Les plantes qui en résultent portent toutefois les mêmes mitochondries défectueuses, car elles sont héritées de la part femelle. Elles seraient ainsi également «mâles stériles», une catastrophe pour l’agriculteur car sans fécondation, pas de rendement. On a réussi à identifier des gènes dans le génome nucléaire, dits gènes de restauration, qui annulent ce défaut. La lignée parentale pollinisatrice transmet ce gène de restauration et assure ainsi que la semence hybride donnera des plantes complètement fertiles (fig. 4). Depuis quelques années, Syngenta a mis sur pied un tel système pour la production d’orges hybrides, une percée qui a également relancé des espoirs pour le blé. La production d’hybride F1 a toujours soulevé l’intérêt des sélectionneurs en Suisse. Il était envisagé d’utiliser des lignées de blé HD de l’ETHZ et des stations fédérales combinées avec l’emploi de gamétocides (fig. 5), des produits chimiques qui


Les céréales à paille hybrides progressent | Production végétale

mitochondrie

noyau

Rf/rf

N/s

interaction

e m s a l cytop Figure 3 | La stérilité mâle cytoplasmique est causée par un défaut de fonctionnement de gènes mitochondriaux. Par rapport à des cellules ayant un fonctionnement normal (N) cette défaillance conduit à une stérilité (s). Cette stérilité peut, cependant, être annulée par des gènes dominants de restauration (Rf). Comme ils sont contenus dans le noyau, ces gènes peuvent être transmis par le pollen paternel. Au contraire, les ­m itochondries ne sont transmises que par la mère.

empêchent la production de pollen (Schmid et al. 1994). Au sein du programme de sélection du triticale d’Agroscope, qui a malheureusement été arrêté depuis lors, et en collaboration avec DSP, de grands espoirs s’étaient fait jour. Grâce aux lignées courtes de triticale du programme de sélection, des combinaisons très performantes mais de taille raisonnable ont été relativement rapidement découvertes et même inscrites. Toutefois, le gamétocide n’ayant d’autorisation d’utilisation que pour le blé et non pour le triticale, le développement commercial a dû être abandonné. Du point de vue de la sélection, le triticale serait particulièrement adapté à la production hybride. D’une part, le seigle, espèce allogame, voit probablement son génome réprimé lorsqu’il est incorporé sous une forme homozygote dans une espèce «très autogame» comme le triticale; d’autre part, pour la production commerciale, la pollinisation est, par rapport au blé, facilitée par l’abondante production de pollen du triticale. DSP avait également démarré un programme intensif avec des firmes du sud de l’Allemagne. Un système de stérilité mâle transgénique déve-

loppé avec l’Université de Zurich s’est arrêté face à l’opposition croissante aux OGM. Deux gamétocides avaient été homologués provisoirement en France, mais le retrait de l’un d'eux par Monsanto découragea des petites entreprises de sélection de s’engager dans un programme hybride. Pendant ce temps, le deuxième gamétocide efficace, CROISOR®, racheté par Saaten Union, a été non seulement autorisé depuis 2011 par l’UE, mais également déclaré inoffensif. Par cette méthode, de très bonnes variétés de blés hybrides sont disponibles sur le marché. On peut supposer que les principales firmes semencières s’intéressent davantage aux blés hybrides, surtout dans les conditions favorables aux hauts rendements. Le groupe de génétique des plantes fourragères (Professeur Bruno Studer) étudie l’autoincompatibilité, les systèmes CMS et l’induction d’HD pour les graminées fourragères; en Suisse, ces nouvelles compétences pourraient profiter aussi à la graminée «blé». L’exemple du riz hybride montre que l’utilisation de l’hétérosis peut aussi fonctionner pour des espèces autogames. La Chine a fait des efforts considérables 

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(Lignée CMS)

Lignée mainteneuse (mâle fertile)

rfrf

rfrf

x s

N 1

Partenaire du croisement (lignée restauratrice)

stérile

rfrf

RfRf s

x

N 2

stérile

Rf rf s Hybride mâle fertile Figure 4 | Le cytoplasme stérile (s) est conservé par la fécondation avec la ­l ignée «mainteneuse». La lignée mainteneuse est identique génétiquement avec la lignée CMS, mais possède un cytoplasme normal (N). 2) Les hybrides fertiles sont produits par le croisement de la lignée CMS avec n’importe quelle lignée autofécondée si elle porte des gènes de restauration (Rf).

dans les années 70 pour mettre sur pied un programme de riz hybride. Une stérilité mâle cytoplasmique a été utilisée. Aujourd’hui, 50 % de la culture du riz en Chine sont basés sur le riz hybride, avec un avantage moyen de 10 à 15 % en rendement (Khush 2013). Ces dernières années, les conditions climatiques ont montré l’importance de la sécurité de rendement, en plus du rendement maximal. Les hybrides ont l’avantage d’avoir, en plus du rendement, une bonne robustesse et une meilleure stabilité de rendement grâce à un meilleur enracinement. Cet enracinement plus précoce et plus profond contribue à une meilleure utilisation de l’azote (Schachschneider 2012). La sélection d’hybride n’est pas un jeu d’enfant, il faut tester des centaines de combinaisons et avoir de bonnes lignées initiales pour identifier un hybride véritablement performant. Pour le maïs et le seigle, l’établissement des bonnes populations parentales a nécessité plusieurs décennies. Pour les céréales autogames comme le blé et l’orge, les gains d’hétérosis sont encore faibles. Nous en sommes encore aux débuts, comme l’a souligné cette année la panne dans la produc-

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tion d’orge hybride en Allemagne, qui a provoqué beaucoup de troubles parmi les agriculteurs. Pour la production d’hybrides, il faut des lignées femelles qui gardent leur fleurs ouvertes pendant une longue période, mais ceci peut favoriser une contamination des semences. Le passage aux hybrides ne viendra que si l’agriculteur est convaincu que le gain apporté par les hybrides peut effectivement, en pratiquant des semis précoces et à faible densité, compenser le prix élevé des semences. Qui sélectionne? Entre le nombre considérable de variétés de blé et d’orge inscrites en Europe et l’intérêt des agriculteurs pour les variétés les plus performantes, la durée de vie des variétés n’est, en général, pas très longue. Ceci semble indiquer une sélection des céréales à paille très dynamique. Toutefois, en 2010, à Bonn, lors d’une conférence des sélectionneurs de langue allemande, il a été affirmé qu’au vu du faible retour des royalties, une place sur deux allait disparaître dans le secteur. Au niveau international, le même souci a conduit les ministres de l’agricul-


Les céréales à paille hybrides progressent | Production végétale

Figure 5 | Production de combinaisons hybride F1 de triticale. Les sacs permettent de vérifier le taux de stérilité obtenu après l’utilisation du gamétocide.

ture du G20 à créer une initiative pour le blé, pour coordonner et améliorer les efforts pour la sélection du blé (http://www.wheatinitiative.org ). À côté des ministères et d’institutions internationales de sélection, des firmes comme KWS (D), Desprez (F), Limagrain (F), Syngenta (CH) ou Monsanto (USA) participent à cette initiative. Si jusqu’en 2000 la plupart des grosses firmes s’étaient retirées ou ne s’intéressaient pas à la sélection du blé, elles ont depuis, à l’exemple de Bayer ou de Monsanto - surtout par l’achat de maisons de sélection - renforcé à nouveau leur engagement. Ainsi, le blé qui avait été quelque peu négligé par la recherche et la sélection en regard de sa place de numéro un dans l’alimentation humaine, devrait retrouver son rang. Ce mouvement a et aura des conséquences pour la diversité des firmes de sélection. Un programme de sélection du blé ne peut pas fonctionner sans continuité. La création de matériel génétique de base intéressant demande beaucoup de temps et il faut toujours de 10 à 15 années entre le croisement et l’obtention d’une variété commerciale. Les firmes internationales qui renouent avec ou commencent la sélec-

tion du blé rachètent des programmes existants comme dernièrement Bayer avec la firme française RAGT par exemple. Dans l’ensemble, cette stratégie de rachat provoque une restructuration massive de la sélection mondiale, au profit de quelques très grands acteurs (Howard 2008). Il est difficile de prédire quel sera l’ impact de ces concentrations sur l’offre des variétés. Comme la compétition entre firmes reste importante, à l’image du maïs, cela peut conduire à une amélioration plus rapide des variétés à l’avantage des producteurs de blé. Pour l’agriculteur, ce n’est pas le nombre de variétés sur les listes variétales qui compte, mais l’accès au progrès génétique s’il est adapté à ses conditions de production. Créer des variétés adaptées au climat, au milieu, aux conditions agro-économiques, au marché, aux besoins des utilisateurs et des consommateurs restera un défi pour les sélectionneurs. Maintenir une diversité des programmes de sélection est nécessaire pour y parvenir. Suivant les objectifs, les différentes voies possibles doivent être explorées et utilisées au mieux, que ce soit  par les variétés traditionnelles ou les hybrides.

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Production végétale | Les céréales à paille hybrides progressent

Conclusions Pour certaines espèces autogames, le maïs ou le seigle, les hybrides sont devenus des évidences. Pour l’orge ou le blé, il faudra probablement encore un peu de temps avant d’obtenir des variétés hybrides productives et robustes aussi convaincantes. Pour les céréales à paille, la qualité et le prix sont cruciaux pour l’adoption des semences hybrides. Des lignées femelles mâles stériles et des lignées mâles restauratrices sont pour cela probablement le meilleur système. Bien qu’il n’existe pas encore de systèmes génétique suffisamment fiable pour le blé, un gamétocide autorisé dans l’UE permet la production de variétés hybrides sur la base d’une stérilité mâle

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induite chimiquement. Ceci explique en partie le retour d’attention pour la sélection du blé de la part de firmes internationales, qui l’avaient négligée, comme l’a déploré la politique. Les variétés hybrides ne convaincront les agriculteurs que si l’achat annuel de semences plus chères est financièrement compensé par un rendement nettement supérieur et plus stable. La caractéristique de la sélection publique suisse est la combinaison d’une excellente qualité boulangère avec un très bon niveau de résistance. Les hybrides peuvent être une des voies pour poursuivre ce défi et s’engager avec succès au niveau national et international dans les nouveaux développements. n


I cereali da paglia ibridi progrediscono Il debole flusso di ritorno degli investimenti nella selezione di varietà tradizionali di cereali autogami, quali il frumento e l’orzo, ne offusca le prospettive per il futuro. Da alcuni decenni, però, si nota in Europa un rinnovo a favore delle varietà ibride. Per le specie allogame come il mais, la colza o la segale, la disponibilità di sistemi genetici ha permesso la produzione di sementi ibridi a buon mercato. Un tale sistema è attualmente disponibile per l’orzo, ma non ancora per il frumento. Per le specie autogame, infatti, è più difficile trovare un effetto evidente dell’eterosi, ossia una prestazione della prole nettamente superiore rispetto a quella dei genitori, perché in queste specie le capacità biologiche sono già ottimizzate. Eppure, si assiste da qualche anno al ritorno delle grandi ditte alla selezione di frumento e orzo. Perché? A livello dei G20, dopo alcuni decenni di disinteressamento, la collaborazione con le grandi ditte di produzione di sementi ha condotto ad una rivalutazione del frumento. Queste ditte investiranno a lungo termine nella selezione solo a condizione che il tasso di rinnovamento delle sementi sia prevedibile. Ciò pone i piccoli programmi di selezione di fronte alla questione di come adattarsi a questa evoluzione.

Summary

Riassunto

Les céréales à paille hybrides progressent | Production végétale

Hybrid cereals are progressing Low return on investment from breeding licenses has made breeding of self-­ fertilizing species like wheat and barley less attractive. However, for some decades, the variety types have been changing in Europe, because cytoplasmic male sterile systems of outcrossing species like maize, rape seed and rye exist for the production of affordable hybrid seeds, which have recently been introduced for barley but not for wheat. To produce hybrid seed, two homozygous lines must be crossed. The development of a pure line takes up to seven inbreeding generations. In many cereals, the process can be shortened biotechnologically by regenerating plants from haploid gametes leading to so-called double haploids (DH), which are genetically identical to complete inbred lines. Varieties of self-fertilizing species, such as barley and wheat, are yield optimized inbred lines by definition; therefore, it requires much more investigation to find combinations with increased hybrid vigor for self-fertilizing than for outcrossing species, which usually show great inbreeding depression. However, big international companies have renewed their interest in hybrid wheat breeding, now that even the G20 have realized that the global crop number 1 for food supply, wheat, has become an orphan crop. For big companies, it would be attractive to ensure long-term investments when farmers change seeds annually due to higher yield consistency and solid financial gains – a win-win option. Smaller breeding programs will have to determine when to join this new movement. Key words: wheat breeding, F1 hybride, CMS, gametozid, doppelhaploide (DH).

Bibliographie ▪▪ Howard P. H., 2009. Visualizing Consolidation in the Global Seed Industry: 1996-2008. Sustainability 1, 1266–1287. ▪▪ Khush G. S., 2013. Strategies for increasing the yield potential of cereals: case of rice as an example. Plant Breeding 132, 433–436. doi:10.1111/ pbr.1991. ▪▪ Schachschneider R., 2012. Weizenzüchtung - Tatsachen und Visionen. ­A ccès: http://media.repro-mayr.de/94/543694.pdf, [18.1.2014].

▪▪ Schmid J. E., Winzeler M., Keller B., Büter B., Stamp P. & Winzeler. H., 1994. Induction and use of double haploids in wheat and spelt breeding programs. In: Prospectives of cereal breeding in Europe (Ed. A. Brönimann, B. Keller et H. Winzeler). Eucarpia Cereal Section, Landquart, ­Switzerland, 41–42. ▪▪ Stamp P., 2013. Beim Ertrag wenig Fortschritt. dlz Agrarmagazin 10, 28–47.

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P r o d u c t i o n

v é g é t a l e

Les cendres de bois: un nouvel engrais pour l’agriculture suisse Alexandra Maltas et Sokrat Sinaj Agroscope, Institut des sciences en production végétale IPV, 1260 Nyon Renseignements: Sokrat Sinaj, e-mail: sokrat.sinaj@agroscope.admin.ch

Les cendres sous foyer de la centrale Enerbois sont humidifiées pour abaisser leur température puis transportées par convoyeur jusqu’à une benne où elles sont stockées jusqu’à leur mise en ­d écharge. (Photo: Maltas, 2013).

Introduction L’utilisation des cendres de bois pour le chaulage des sols et la fertilisation potassique des cultures était autrefois pratique courante, mais elle est aujourd’hui délaissée en Suisse. Les cendres de bois ne figurent pas dans la liste des engrais autorisés par l’ordonnance sur les engrais

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(RS.916.171, 2011) mais une autorisation peut leur être délivrée si elles répondent aux exigences fixées pour les «engrais de recyclage» dans l’annexe 2.6 de l’ORRChim (RS.814.81, 2011). Afin de préserver la qualité des sols et de réduire les risques de transfert de substances indésirables vers la chaine alimentaire, cette annexe définit des teneurs totales maximales à ne pas dépasser pour six éléments traces métalliques (ETM) potentiellement toxiques (Cd, Cu, Hg, Ni, Pb et Zn). Les cendres de bois ne respectent que rarement ces exigences et sont donc généralement mises en décharge, ce qui représente une perte importante d’éléments fertilisants naturels et un coût pour les chaufferies à bois. Or, pour évaluer et prévenir les risques environnementaux, la seule détermination des teneurs totales en ETM n’est pas suffisante, puisque la mobilité, la biodisponibilité et donc la toxicité des ETM dépend avant tout de leur forme chimique (Bruder-Hubscher et al. 2002). D’autre part, c’est la quantité d’ETM épandue à l’hectare qui détermine les risques d’accumulation à long terme d’ETM dans les sols. Les intérêts et risques agro-environnementaux de l’utilisation agricole de ces sous-produits industriels doivent donc être évalués plus précisément. L’équipe de nutrition des plantes d’Agroscope à Changins étudie depuis 2011 les effets agronomiques de l’épandage des cendres sous foyer de la centrale Enerbois. Les objectifs sont (i) la caractérisation de la composition, de la minéralogie et de la forme chimique des macroéléments et des ETM contenus dans les cendres, (ii) l’identification de l’origine de ces ETM et (iii) l’évaluation des effets des cendres sur les propriétés chimiques et biologiques des sols, le rendement et le prélèvement en ETM par les cultures. Le présent article synthétise les résultats d’une étude relative à l’objectif (iii) (Maltas et Sinaj 2013).

Matériel et méthodes Echantillonnage et analyses des cendres La centrale Enerbois (Rueyres, Vaud) est la plus grande centrale de production d’énergie électrique à base de biomasse de Suisse romande. Elle produit de l’énergie à


partir de la combustion des sous-produits (écorces et plaquettes) de la scierie voisine, la scierie Zahnd. Les bois utilisés sont des résineux propres, non traités et prélevés en Suisse occidentale. La centrale produit deux types de cendres: des cendres sous foyer qui sont évacuées par des grilles mobiles et refroidies par de l’eau et des cendres volantes davantage chargées en ETM (Maltas et Sinaj 2013). Lors de l’échantillonnage, les cendres sous foyer représentaient un tiers du total des cendres produites par la centrale. Les cendres analysées ici sont des cendres sous foyer prélevées en mars 2011 aux semaines 10, 11, 12 et 13. Chaque échantillon hebdomadaire était un mélange constitué de cinq à sept prélèvements journaliers d’environ 500 g chacun. Les cendres ont ensuite été séchées à 40 °C et tamisées à 2 mm. Leurs teneurs totales en macroéléments, microéléments et ETM ont été analysées après mise en solution dans les acides fluorhydrique et perchlorique (www.lille.inra.fr/las). Les analyses minéralogiques (diffractions aux rayons X et microscopie électronique à balayage) ont été effectuées par l’INRA de Nancy. La spéciation des macroéléments et ETM a été analysée selon la méthode BCR (Rauret et al. 2000). Essai en serre Un essai en pots a été effectué dans les serres d’Agroscope à Changins. Le tournesol (variété San Lucas) a été choisi pour ses exigences très élevées en K. Il a été semé le 11 mai et récolté à maturité le 19 septembre 2012. Chaque pot contenait 2 kg de sol sec et une plante. L’humidité du sol était maintenue à environ 70% de la capacité au champ avec de l’eau déminéralisée. La température de la serre était régulée entre 20 – 25 °C. Le sol utilisé était un sol argileux (53,8% d’argile et 12,4% de sable) de pH faiblement acide (6,7). Ses teneurs totales en N, P, K et Mg s’élevaient respectivement à 3,4, 0,94, 19,8 et 12,4 g/kg MS. Quatre traitements ont été mis en place: (i) «Témoin» sans apport de cendres et de nutriments chimiques, (ii) «Cendres» avec apport de K sous forme de cendres mais sans apport de nutriments chimiques, (iii) «NPMg-Cendres» avec apports de K sous forme de cendres et de N, P et Mg sous forme d’engrais chimiques et (iv) «NPMg-K» avec apport de N, P, Mg et K sous forme d’engrais chimiques. Chaque traitement a été répété trois fois et randomisé au sein de trois blocs. Les doses de cendres (traitements «Cendres» et «NPMgCendres») et de KCI (traitement «NPMg-K») ont été calculées de manière à satisfaire les besoins en K du tournesol (Sinaj et al. 2009). Les autres nutriments chimiques N, P et Mg ont également été apportés selon Sinaj et al. (2009). Les engrais chimiques et les cendres sous foyer ont été incorporés et mélangés au sol avant le remplissage des pots. Les engrais chimiques utilisés étaient du 

Résumé

Les cendres de bois: un nouvel engrais pour l’agriculture suisse | Production végétale

L’utilisation de cendres de bois en guise d’engrais potassique a été testée sur le tournesol. L’essai s’est déroulé en serre à Changins, avec les cendres sous foyer de la centrale à bois Enerbois (Vaud). Ces cendres présentaient des teneurs élevées en Ca et en K mais contenaient également des éléments traces métalliques, notamment du Cu, du Zn et du Ni. Cet essai a mis en évidence une efficience du K contenu dans ces cendres équivalente à celle du KCl utilisé comme engrais potassique de référence. En conditions limitantes en NPKMg, ces cendres ont eu un effet favorable sur la biomasse du tournesol et l’absorption du K, alors que les quantités de Ni et Zn absorbées ont diminué, vraisemblablement en raison de l’effet négatif du chaulage sur la solubilité de ces éléments. En conditions non limitantes en NPKMg, les mêmes tendances ont été observées sur la biomasse et l’absorption du Ni et Zn. Cet essai a montré que, malgré des teneurs en Ni et Cu supérieures aux seuils actuellement autorisés en Suisse pour l’épandage d’engrais de recyclage, ce sont avant tout les teneurs en K qui limitent la quantité de cendres à épandre.

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Production végétale | Les cendres de bois: un nouvel engrais pour l’agriculture suisse

Tableau 1 | Teneurs totales en macro- et microéléments dans les cendres sous foyer d’Enerbois et dans les cendres de bois selon la littérature. Les valeurs entre parenthèses représentent le coefficient de variation Cendres Enerbois

Littérature1

13,2 (1 %)

9 – 13,5

281,3 (2 %)

109,4 – 317,4

pH-H2O Macroéléments (g/kg MS) Calcium (Ca) Potassium (K)

67,4 (9 %)

24,0 – 41,3

Magnésium (Mg)

16,5 (5 %)

16,0 – 22,5

Phosphore (P)

9,2 (9 %)

5,0 – 14,0

0,07 (27 %)

0,3 – 0,9

Aluminium (Al)

17 300 (7 %)

13 000 – 23 650

Fer (Fe)

12 175 (3 %)

3300 – 19 500

Manganèse (Mn)

7550 (7 %)

3470 – 8160

Azote (N) Microéléments (mg/kg MS)

Bore (B)

147 (12 %)

8 – 135

Chrome (Cr)

123 (17 %)

14 – 86

Vanadium (V)

22 (12 %)

Cobalt (Co)

9 (168 %)

4 – 10

Molybdène (Mo)

1,1 (7 %)

<5 – 114

Demeyer et al. 2001, Hébert et Breton 2008.

1

Tableau 2 | Teneurs en éléments traces métalliques (ETM) maximales autorisées pour les engrais de recyclage, teneurs dans les cendres sous foyer d’Enerbois et selon la littérature. Les valeurs entre parenthèses représentent le coefficient de variation Teneurs maximales ­autorisées1

Cendres Enerbois

Littérature2

mg/kg MS Zinc (Zn)

400

178 (14 %)

700 – 924

Cuivre (Cu)

100

110 (21 %)

74 – 145

Nickel (Ni)

30

52 (7 %)

12 – 47

Plomb (Pb)

120

21 (53 %)

<22 – 130

Cadmium (Cd)

1

<0,6

3 – 21

Mercure (Hg)

1

<0,02

<0,1

Selon l’annexe 2.6, ch. 2.2.1 de l’ORRChim. 2 Demeyer et al. 2001, Hébert et Breton 2008. 1

nitrate d’ammonium (NH4NO3), du triple superphosphate [Ca(H2PO4)2.H2O], du chlorure de magnésium (MgCl2), du chlorure de potassium (KCl) et de la chaux vive (CaO). A la récolte, la matière sèche (MS) totale (racines, feuilles, tiges, grains) a été mesurée et ses teneurs en N, P, K, Mg, Zn, Cu et Ni ont été analysées après une minéralisation par voie sèche et une mise en solution dans l’acide fluorhydrique (www.bordeaux.inra.fr/usrave). Calculs et analyses statistiques Les effets de l’apport de cendres ont été analysés en conditions limitantes (traitements «Témoin» versus «Cendres») et non limitantes en NPMgK (traitements

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Recherche Agronomique Suisse 5 (6): 232–239, 2014

«NPMg-K» versus «NPMg-Cendres») à l’aide du test t de Student et du logiciel R 2.14.1 (R Development Core Team, 2011).

Résultats et discussion Caractéristiques des cendres sous foyer d’Enerbois Les cendres d’Enerbois présentent un pH très alcalin, qui est à mettre en relation avec leurs teneurs élevées en Ca et Mg (tabl. 1). Le Ca se présente (fig. 1) majoritairement sous forme de carbonate [(calcite: CaCO3)] et d’hydroxyle [portlandite: Ca(OH)2], formes peu réactives qui expliquent l’action moins agressive et plus lente des


Les cendres de bois: un nouvel engrais pour l’agriculture suisse | Production végétale

Portlandite (Ca(OH)2) Calcite (CaCO3) Gypse (CaSO4. 2H2O)

480 440 420

Portlandite Cellule végétale

CaO + H2O Ca(OH)2 Ca(OH)2 + CO2 CaCO3 + H2O CaSO4. 2H2O CaSO4 +2H2O

400 380 360

Mica blanc

340

Intensité (coups /secondes)

320 300 280 260 240 220 200 180 160 140 120 100 80 60 40 20 0

2

10

20

30

40

50

60

2-Thêta (Degrés)

Figure 1 | Minéralogie du calcium.

40

a) P=0,02

Effet des cendres sur la biomasse du tournesol En conditions limitantes en NPMgK («Témoin» versus «Cendres»), l’apport de cendres augmente significativement la production de MS (fig. 2a). La même tendance est observée en conditions non limitantes en NPMgK (fig. 2b). L’effet positif des cendres sur la production a déja été observé sur de nombreuses plantes cultivées: avoine, blé d’hiver, fétuque, épinard, pois, maïs, peuplier et soja (Demeyer et al. 2001). Cet effet peut être imputé à l’effet chaulant des cendres sur ce sol faiblement acide et/ou à l’apport de macro- et microéléments par les cendres.

b) P=0,14

MS totale (g/plante)

30

20

10

0 Témoin

Cendres

NPMg−K

cendres sur le pH des sols comparée à celle de la chaux vive (CaO) (Maltas et Sinaj 2013). Comme attendu, ces cendres sont une source importante de K et dans une moindre mesure de P et Mg (tabl. 1). Elles apportent également un grand nombre de microéléments (en particulier Al, Fe, Mn et B) et d’ETM dont du Zn, Cu, Ni et Pb (tabl. 1 et 2). Ces ETM, qui sont présents dans les sols suisses (Luster et al. 2006) et donc dans les bois, se concentrent dans les cendres lors de la combustion (Hébert et Breton 2008; Maltas et Sinaj 2013). Par ailleurs, les ETM se concentrent davantage dans les cendres volantes que dans les cendres sous foyer (Maltas et Sinaj 2013). La centrale Enerbois sépare ces deux types de cendres alors que les cendres analysées dans la littérature sont généralement un mélange des deux. Ainsi, les cendres Enerbois présentent des teneurs en Zn, Pb et Cd nettement moindres que celles reportées dans la littérature (tabl. 2). Malgré cela, leurs teneurs en Cu et Ni dépassent les seuils fixés dans l’ORRChim, interdisant toute utilisation agricole de ces cendres (tabl. 2).

NPMg−Cendres

Figure 2 | Quantité de matière sèche (MS) totale du tournesol à la récolte en conditions a) limitantes et b) non limitantes en NPMgK. La probabilité du test t et l’erreur standard (barres verticales) sont indiquées.

Absorption des macroéléments par le tournesol En conditions limitantes en NPMgK, l’absorption du K est significativement plus élevée en présence de cendres («Cendres» versus «Témoin», fig. 3a). Ceci montre que les cendres apportent du K facilement assimilable par les plantes. En effet, 36% et 49% du K total contenu dans ces cendres sont solubles respectivement dans l’eau (Maltas et Sinaj 2011) et dans l’acide acétique (fig. 4). Erich (1991) mentionne une efficience du K contenu dans les cendres équivalente à celle des engrais potassiques chimiques. Cet essai confirme ce résultat, puisqu’en conditions non limitantes en NPMgK, les quantités de K absorbé par le tournesol sont comparables, que le K soit apporté sous forme de cendres ou sous forme de KCl (fig. 3b). Par ailleurs, l’apport de cendres tend (P>0,05) à améliorer l’absorption de l’azote (N) et du phosphore (P) par le 

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Production végétale | Les cendres de bois: un nouvel engrais pour l’agriculture suisse

Témoin

a)

Cendres

NPMg-K

b)

Azote 150 *Zinc

Azote 150 Phosphore

100

Zinc

100

50 Cuivre

NPMg-Cendres

Phosphore

50 Magnésium*

0

*Nickel

Cuivre

0

Nickel

Potassium*

Magnésium

Potassium

Calcium

Calcium

Figure 3 | Absorption des minéraux par le tournesol en conditions a) limitantes et b) non limitantes en NPMgK. Les résultats sont exprimés en valeur relative par rapport aux traitements sans cendres (traitements «témoin» et «NPMg-K» respectivement pour la figure a et b). Les astérisques indiquent des différences significatives entre les deux traitements au seuil de 5 % selon le test t.

tournesol en conditions limitantes (fig. 3a) et surtout en conditions non limitantes en NPMgK (fig. 3b). Les cendres sont pratiquement dépourvues de N (tabl. 1). Cet effet bénéfique sur le prélèvement en N est vraisemblablement lié à l’action positive du chaulage sur la minéralisation de la matière organique du sol (Maltas et Sinaj 2013). L’effet positif des cendres sur l’absorption du

P par le tournesol résulterait, quant à lui, d’un double effet sur la teneur du sol en P échangeable [extrait à l’acétate ammonium EDTA (AAE)]: (i) un effet positif du chaulage sur la disponibilité du P dans ce sol légèrement acide (Maltas et Sinaj 2013) et (ii) un effet dû aux quantités significatives de P échangeable apportées par les cendres (fig. 4).

Calcium

Fraction 1

Potassium

Fraction 2

Magnésium

Fraction 3

Phosphore

Résiduelle

Zinc Cuivre Nickel Plomb 0

20

40

60

80

Immédiatement disponible

Solubles et liés aux carbonates

Indisponible

Liés aux oxydes de Fe et Mn

Figure 4 | Spéciation des macroéléments et ETM.

236

teneur 100 (% du total)

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Liés à la matiére organique

Inclus dans le réseau cristallin


Les cendres de bois: un nouvel engrais pour l’agriculture suisse | Production végétale

Tableau 3 | Quantités d’ETM maximales autorisées pour les engrais de recyclage et quantités moyennes occasionnées par l’apport de 25 t MS/ha de compost agricole et par 5 t MS/ha de cendres sous foyer d’Enerbois Quantités apportées (kg/ha en trois ans) Maximales autorisées1

Cendres Enerbois

Compost agricole2

MS3

25 000

5000

25 000

Zn

10

0,89

3,71

Cu

2,5

0,55

1,59

Ni

0,75

0,26

0,37

Pb

3

0,11

1,15

Cd

0,025

<0,002

<0,003

Hg

0,025

nd4

nd4

Déduites de l’annexe 2.6 de l’ORRChim. Selon Kupper et Fuchs (2007), les composts agricoles suisses présentent des teneurs moyennes en Zn, Cu, Ni, Pb et Cd respectivement de 148, 64, 15, 46 et 0,1 mg/kg MS. 3 MS: matière sèche. 4 nd: non déterminé car les teneurs dans les engrais étaient inférieures aux seuils de détection. 1 2

En conditions limitantes en NPMgK, l’absorption du Mg par le tournesol diminue significativement en présence de cendres (fig. 3a), malgré l’apport de Mg par ces dernières. En présence d’amendement calcaire, une baisse de l’absorption du Mg par les plantes est généralement imputée à l’antagonisme entre l’absorption du Ca et du Mg (Marschner 2012, Halvin et al. 2005). Dans cet essai, il n’a pas été constaté d’effet significatif des cendres sur les quantités de Ca absorbé (fig. 3). Un antagonisme avec l’absorption du K semble donc plus plausible. Absorption des ETM par le tournesol En présence de cendres, le tournesol a absorbé moins de Zn et de Ni. Cet effet est significatif en conditions limitantes en NPMgK (fig. 3a), mais ne l'est pas en conditions non limitantes (fig. 3b). Les moindres absorptions de Zn et Ni en présence de cendres peuvent être reliées à la baisse des teneurs dans le sol en Zn et Ni échangeables (extraits à l’AAE) observée lorsque ce sol faiblement acide est chaulé (Maltas et Sinaj 2013). En effet, lorsque le pH du sol augmente, les ETM sont adsorbés sur les oxydes de Fe et Al, ce qui les rend indisponibles pour les cultures (Havlin et al. 2005). Le Zn et le Ni sont très sensibles à cet effet du pH alors que le Cu est peu affecté (Smith 1994). De plus, les cendres sous foyer d’Enerbois apportent de très petites quantités de Zn, Cu, Ni et Pb sous forme immédiatement disponibles (0,2 à 8% du total; fig. 4). Les études d’épandage de cendres aux doses agronomiques menées au Québec ne rapportent également pas de problèmes à court terme dus aux ETM sur la qualité des sols, des cultures, de l’eau souterraine

et la faune (Hébert et Breton 2008). Cependant, la question de leur toxicité sur le long terme demeure, dans la mesure où 73% du Cu, 73% du Zn, 44% du Ni et 5% du Pb contenus dans les cendres étudiées sont présents sous des formes lentement mais potentiellement disponibles en conditions réductrices ou oxydantes (fig. 4). Risques sur le long terme liés aux ETM Seule la définition de quantités maximales d’ETM (kg/ha) apportées au sol permet d’éviter les risques ­d’accumulation à des niveaux toxiques sur le long terme. Pour éviter cela, la quantité maximale d’engrais de recyclage autorisée pour la fumure a été fixée à 25 t MS/ha en trois ans à répartir en une ou plusieurs applications (annexe 2.6, ch 3.2.2 de l’ORRChim). En tenant compte des teneurs maximales autorisées (tabl. 2), cette quantité de MS permet de maintenir les quantités d’ETM sous les seuils mentionnés au tableau 3. Sur la base des teneurs en K des cendres sous foyer d’Enerbois (tabl. 1) et des besoins des grandes cultures en K (Sinaj et al. 2009), la quantité de cendres nécessaire pour fertiliser une culture en K ne devrait pas excéder 5 t MS/ha. Or, avec une dose maximale de cendres de 5 t MS/ha en trois ans, à répartir en une ou plusieurs fois, les quantités d’ETM apportées par les cendres sont bien moindres que (i) les quantités maximales autorisées pour les engrais de recyclage et (ii) les quantités engendrées par un compost agricole classique utilisé à la dose maximale autorisée de 25 t MS/ha en 3 ans (tabl. 3). Ce constat pose la question de la pertinence des teneurs maximales en ETM actuellement utilisées pour les cendres. Une modulation des 

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Production végétale | Les cendres de bois: un nouvel engrais pour l’agriculture suisse

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teneurs maximales en fonction de la quantité de MS épandue permettrait de respecter les quantités d’ETM maximales autorisées tout en permettant la valorisation de nouvelles sources d’engrais naturels telles que les cendres sous foyer. Ces résultats vont dans le sens d’autres études qui mettent en évidence que les cendres de bois utilisées occasionnellement et à des doses agronomiques ne présenteraient pas de risques environnementaux à court et long terme (Demeyer et al. 2001, Hébert et Breton 2008). Demeyer et al. (2001) soulignent que les besoins en amendement ou en K limitent généralement d’euxmêmes la dose de cendres épandues.

Conclusions

Bibliographie ▪▪ Bruder-Hubscher V., Lagarde F., Leroy M. J. F, Coughanowr C. & Enguehard F., 2002. Application of a sequential extraction procedure to study the release of elements from municipal solid waste incineration bottom ash. Analytica Chimica acta 451, 285–295. ▪▪ Demeyer A., Voundi Nkana J. C. & Verloo M. G., 2001. Characteristics of wood ash and influence on soil properties and nutrient uptake: an overview. Bioresource Technology 77, 287–295. ▪▪ Erich M.S., 1991. Agronomic effectiveness of wood ash as a source of phosphorus and potassium. Journal of Environmental Quality 20, 576–581. ▪▪ Halvin J. L., Beaton J. D., Tisdale S. L. & Nelson W. L., 2005. Soil fertility and fertilizers : an introduction to nutrient management. Pearson Prentice Hall. Upper Saddle River, NJ. 515 p. ▪▪ Hébert M. & B. Breton,. 2008. Recyclage agricole des cendres de bois au Québec- Etat de la situation, impacts et bonnes pratiques agroenvironnementales. Agrosolutions . 19, 18–33. ▪▪ Kupper T. & J. Fuchs., 2007. Compost et digestat en Suisse. Connaissance de l’environnement 743. Office fédérale de l’environnement, Berne. 124 p. ▪▪ Luster J., Zimmermann S., Zwicky C. N., Lienermann P. & Blaser P., 2006. Heavy metals in Swiss forest soils: modification of lithogenic and anthropogenic contents by pedogenetic processes, and implications for ecological risk assessment. Geological Society, London, Special Publications 266 , 63–78. ▪▪ Maltas A. & Sinaj S., 2011. Intérêts agronomiques des cendres humides de la centrale Enerbois. Agroscope. 28 p.

▪▪ Maltas A. & Sinaj S., 2013. Effets des cendres de bois de la centrale Enerbois sur les propriétés du sol, le rendement des cultures et la qualité des récoltes. Agroscope. 63 p. ▪▪ Marschner P., 2012. Marschner's mineral nutrition of higher plants. ­A cademic press. 651 p. ▪▪ Sinaj S., Richner W., Flisch R., & Charles R,. 2009. Données de base pour la fumure des grandes cultures et des herbages (DBF-GCH). Revue suisse d'Agriculture 41 (1), 1–98. ▪▪ Smith S. R., 1994. Effect of soil pH on availability to crops of metals in sewage sludgetreated soils. I. Nickel, copper and zinc uptake and toxicity to ryegrass. Environmental Pollution 85 (3), 321–327. ▪▪ Rauret G., Lopez-Sanchez J. F., Sahuquillo A. et al., 2000. Application of a modified BCR sequential extraction (three step) procedure for the determination of extractable trace metal contents in a sewage sludge amended soil reference material (CMR 483), complemented by a threeyear stability study of acetic acid and EDTA extractable metal content. Journal of Environmental Monitoring 2, 228–233. ▪▪ RS.814.81. 2011. Ordonnance sur la réduction des risques liés aux produits chimiques (ORRChim). 18 mai 2005 (état le 1er juillet 2011). ▪▪ RS.814.201. 2011. Ordonnance sur la protection des eaux (OEaux). 28 octobre 1998 (état le 1er août 2011). ▪▪ RS.916.171. 2011. Ordonnance sur les engrais (OEng). 10 janvier 2001 (état le 1er juillet 2011).

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Les résultats de cette étude montrent (i) que les cendres sous foyer de la centrale Enerbois ne semblent pas présenter de risques pour les sols et les cultures et pourraient être utilisées comme engrais potassique sur les sols acides, et (ii) qu’il serait intéressant de poursuivre les recherches en analysant les effets de ces cendres sur des sols neutres et légèrement alcalins ainsi qu’au champ. n

Remerciements

Les auteurs remercient l’entreprise Romande Energie SA pour le co-financement de cette étude et Dr M. P. Turpault, INRA Nancy, pour les analyses minéralogiques.


Le ceneri del legno: un nuovo ­fertilizzante per agricoltura Svizzera Questo articolo riassume i principali risultati di una prova svolta in serra allo scopo di verificare gli effetti delle ceneri provenienti dalla centrale a legno Enerbois e utilizzate come fertilizzante potassico sul girasole. Queste ceneri presentavano elevati tenori in Ca e in K, ma contenevano anche tracce metalliche, in particolare Cu, Zn e Ni. Questa prova ha evidenziato una disponibilità in potassio contenuto nelle ceneri equivalente a quella di KCI utilizzata come fertilizzante potassico di riferimento. In condizioni limitanti in NPKMg queste ceneri hanno ottenuto un effetto favorevole sulla biomassa del girasole e sull’assorbimento di K, mentre le quantità di Ni e Zn assorbite sono diminuite, presumibilmente a causa dell’effetto negativo sulla solubilità della calcinazione di questi elementi. In condizioni senza limitazioni in NPKMg sono state osservate le stesse tendenze sia sulla biomassa, sia sull’assorbimento di Ni e ZN. Questa prova ha mostrato che, malgrado i tenori in Ni e Cu si situino oltre le soglie attualmente autorizzate in Svizzera per lo spargimento di fertilizzanti da riciclaggio, siano soprattutto i tenori in K a limitare la quantità di cenere da spargere.

Summary

Riassunto

Les cendres de bois: un nouvel engrais pour l’agriculture suisse | Production végétale

Wood ashes: a new fertilizer for Swiss agriculture The use of wood ashes as potash fertilizer was tested on sunflower. The greenhouse experiment was conducted in Changins and used wood ashes provided by the wood power station Enerbois (Vaud). These ashes contained high amounts of Ca and K but also trace elements, particularly Cu, Zn and Ni. Results of the trial highlighted an efficiency of K contained in these ashes equivalent to that of KCl used as reference potassic fertilizer. In NPKMglimiting conditions, the wood ashes had a positive effect on the biomass of sunflower and the absorption of K, but they reduced the amount of absorbed Ni and Zn, probably because of the negative effect of liming on the solubility of these elements. In not-NPKMg-limiting conditions, the same trends were observed regarding the biomass and the absorption of Ni and Zn. This trial showed that despite Ni and Cu contents beyond the limits currently approved in Switzerland for recycling fertilizer, it is above all the K levels that limit the amount of ashes to be spread. Key words: wood ashes, potassium, trace element, nutrient solubility, liming, Swiss legislation.

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E c o n o m i e

a g r i c o l e

Comment optimiser la formation continue en gestion d’entreprise dans l’agriculture? Florian Sandrini1, Bruno Durgiai1, Sylvie Aubert 2 et Hansjörg Meier2 Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires HAFL, 3052 Zollikofen, Suisse 2 AGRIDEA, Groupe exploitation, famille, diversification, 8315 Lindau, Suisse Renseignements: Sylvie Aubert, e-mail: sylvie.aubert@agridea.ch

1

Les membres du groupe d’accompagnement discutent des mesures d’optimisation de la formation continue dans le domaine de la gestion d'entreprise.

Introduction La loi sur l’agriculture de 1998 a constitué un tournant historique pour l’agriculture suisse. Depuis cette date, en effet, les paiements directs ne sont plus liés aux quantités et aux produits, mais à des prestations d’intérêt général. Le marché influe sur la compétitivité de l’agri-

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Recherche Agronomique Suisse 5 (6): 240–247, 2014

culture et contribue ainsi à l’évolution structurelle, parallèlement au progrès technique (OFAG 2009). L’agriculture dispose de deux possibilités d’accroître sa compétitivité: l’augmentation des prix à la production et la baisse des coûts de production. L’exploitation, en raison de sa position au sein de la filière de valorisation, peut surtout influer directement sur les coûts de production.


Comment optimiser la formation continue en gestion d’entreprise dans l’agriculture? | Economie agricole

Résumé

Il n’y a pas lieu en effet d’attendre une augmentation des prix à la production au cours des prochaines années en raison de l’évolution politique s’accompagnant d’une multiplication des accords de libre-échange et de la réduction de la protection douanière. Les milieux politiques, AGRIDEA et l’Union suisse des paysans (USP) ont reconnu le rôle-clé joué par les coûts de production dans l’exploitation agricole. En collaboration avec l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), ils ont donc fondé le groupe de travail Opticost. Avec d’autres parties prenantes de la branche, celui-ci a analysé, du point de vue de la politique de la formation, l’évolution de la stratégie et des coûts. Il a ainsi constaté que les organisations chargées de la vulgarisation et de la formation avaient pris diverses mesures pour favoriser l’optimisation des coûts et le développement stratégique des exploitations. Malgré tout, le nombre de participants à ces mesures est souvent resté en deçà des attentes. Parallèlement, les analyses de diverses organisations agricoles ont souligné un rapport intrants/ extrants désavantageux et, par conséquent, un potentiel d’économies considérable dans les exploitations. Ajoutons à cela que souvent, les exploitations avec le potentiel d’optimisation le plus élevé ne participaient pas aux formations continues en gestion d’entreprise. (Les termes formation continue et formation sont utilisés de manière large et concernent aussi bien des offres de cours de perfectionnement, la participation à des cercles de travail ou du conseil dit individuel). Le groupe de travail Opticost a donc voulu étudier cette réalité de la formation continue plus en profondeur. Il a élaboré un projet d’étude du processus de participation à une formation continue en gestion d’entreprise et de ses applications, pour en déduire les mesures d’amélioration futures.

Matériel et méthodes Organisation des responsabilités Pour l’élaboration de ce projet, le groupe de travail Opticost a créé une équipe de projet et un groupe d’accompagnement. Ce dernier comptait, outre les membres créateurs, des représentants des organisations suivantes: Agroscope, Forum la Vulg Suisse (FVS) et Conférence des responsables des écoles d’agriculture suisses. L’équipe de projet a été constituée quant à elle de deux représentants d’AGRIDEA ainsi que de la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires (HAFL). Le groupe d’accompagnement a défini l’orientation stratégique du projet. Il a décidé quels projets devaient être étudiés en Suisse et quelles étaient les questions auxquelles il fallait répondre. L’équipe de projet a été

Les coûts de production jouent un rôle-clé dans la compétitivité des exploitations agricoles. Divers acteurs de la vulgarisation et de la formation agricoles ont offert par le passé des formations continues sur le sujet. Toutefois, le nombre de participants est resté en deçà des attentes. Le groupe de travail Opticost a voulu en connaître les raisons et ainsi pouvoir prendre des mesures d’amélioration. Pour ce faire, des entretiens semi­ structurés ont été conduits avec des experts – chefs de projets, vulgarisateurs et participants – qui sont partie prenante dans cinq projets de formation continue de l’agriculture suisse. Le groupe Opticost a par ailleurs analysé, à l’échelon de la vulgarisation, trois projets étrangers de formation continue en gestion d’entreprise (France, Allemagne, Autriche) et un projet suisse extérieur à la branche. Les entretiens avec les experts ont été analysés d’après Meyer (2009) et leur codage théorique d’après Böhm (1994). Les résultats ont montré que l’on peut subdiviser le groupe cible en deux catégories, les uns s’appuyant sur un modèle innovant, les autres sur un modèle réactif. Les personnes du modèle innovant sont venues suivre une formation continue de leur propre chef, tandis que les personnes de l’échantillon réactif y sont venues par nécessité. La composition des groupes de participants à une formation continue a été influencée par la pondération de l’exigence de formation et de l’orientation sur un groupe cible. Pour sensibiliser les participants, la communication directe a donné les meilleurs résultats. À l’avenir, cette sensibilisation devrait être en meilleure adéquation avec le groupe cible et impliquer davantage les organisations agricoles, la vulgarisation, les fiduciaires, etc.

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Facteurs d‘influence

Décideurs

Champ d‘action 1. Définir une stratégie

Famille

2. Initier des coopérations

Formation Recherche

3. Réaliser des investissements Vulgarisation

AGRIDEA Entreprises Organisations Administration

4. Financer des investissements Compétences: de direction techniques sociales personnelles

Associations

5. Acheter des moyens de production 6. Effectuer un controlling 7. Développer l‘exploitation 8. Organiser

Figure 1 | Facteurs d’influence sur les décideurs agricoles. (AGRIDEA 2012)

chargée de l’étude concrète des projets sélectionnés et de répondre aux questions. Par ailleurs, elle a pu choisi les projets étrangers à étudier après avoir consulté le groupe d’accompagnement. Description de la sélection des projets Dans une première analyse dans le contexte du projet Opticost, Meier (2012) avait identifié huit champs d’action liés aux coûts de production, sur lesquels les paysans pouvaient exercer une influence. AGRIDEA en a déduit divers facteurs qui peuvent influer sur les champs d’action avec la participation des agriculteurs (fig. 1). Deux de ces facteurs d’influence identifiés sont la formation et la vulgarisation. Après avoir conduit une discussion d’experts, le groupe d’accompagnement a sélectionné sur cette base les cinq projets à analyser suivants: ••le projet Actif Regional Creatif (ARC) ••le projet Bergmilch de la HAFL ••gestion d’entreprise dans le domaine de l’arboriculture, un projet Interreg IV en Suisse et en Allemagne ••le projet optimisation des coûts de la production laitière conduit par les Producteurs suisses de lait, le FVS, Profilait et AGRIDEA ••le cours calcul des coûts de machines de la Fondation Rurale Interjurassienne. Dans sa sélection, le groupe d’accompagnement a voulu couvrir l’éventail le plus large possible des huit champs d’action et assurer simultanément une répartition géographique équilibrée des projets dans le pays. Une fois les résultats des projets suisses analysés disponibles, l’équipe de projet a choisi, après avoir consulté

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Recherche Agronomique Suisse 5 (6): 240–247, 2014

le groupe d’accompagnement, trois projets étrangers réalisés en France, en Autriche et en Allemagne. Et pour disposer d’un regard sur une autre branche, il a par ailleurs analysé une offre de formation continue dans le domaine de la santé. Analyse des projets Le but des analyses des projets était d’établir de nouveaux faits liés à la participation et au déroulement d’une formation continue. Les phases d’une formation ont été réparties en phase préparatoire, phase de formation et phase postérieure. Pour compléter cette répartition, un domaine qui n’était pas directement imputable à une phase de formation a été créé. L’analyse des projets suisses a reposé sur les documentations de formation ainsi que sur les entretiens semi-structurés avec les chefs de projet et une sélection de vulgarisateurs (responsables de formation) et de participants. Pour les projets étrangers, l’analyse a été limitée aux entretiens semi-structurés avec les vulgarisateurs. En procédant aux analyses des entretiens, l’équipe de projet a suivi le fil rouge proposé par Meyer (2009) pour l’analyse d’entretiens avec des experts. La théorie résultant de cette analyse a été complétée par la procédure du codage théorique selon Böhm (1994). La combinaison de ces deux instruments a permis de travailler sur les points communs des projets et d’en déterminer les différences. Dans le même temps, il a été possible de minimiser les interprétations concurrentes, toujours possibles avec des méthodes d’analyse qualitatives, du fait qu’il n’existe pas  d’interprétation uniforme de textes (Meyer 2009).


Offre

Contenu

Mise en forme

Perspective des participants

Contenu

Formation Mise en œuvre des résultats

Pertinence pour l‘action

Potentiel d’action

Buts de la formation

Buts de l‘exploitation

Chances pour l’exploitation

Structure

Risques pour l‘exploitation

Buts personnels

Traitement du savoir

Connaissances des participants

Information Demande des groupes cibles

Organisations prof.

Organisations DP

Landwirtschaft

Structure

Formation

Famille

Exploitation

Buts de la formation

Importance potentielle

Contenu

Orientation d'organisateur

Information

Recherche

Fondations Wirtschaftspartner

Partenaires

Offices

Exigences de formation

Famille Exploit. Formation Recherche Organisations Marché Vulgarisation Administration Consommateurs Entreprises AGRIDEA Politique

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Figure 2 | Modèle de sensibilisation aux formations continues en gestion d’entreprise dans l’agriculture. Les cellules ­r ectangulaires r­ eprésentent des étapes du processus et les cellules ovales des facteurs d’influence.

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Sensibilisation


Economie agricole | Comment optimiser la formation continue en gestion d’entreprise dans l’agriculture?

Développement du modèle de sensibilisation L’équipe de projet a utilisé les enseignements tirés des interviews et de la documentation des formations pour développer un modèle de sensibilisation. Ce modèle présente, d’une part, le comportement du groupe cible lié à la participation à une formation. Il relève également, d’autre part, les éléments qui devraient renforcer à l’avenir le succès des formations continues en gestion d’entreprise. Pour rendre praticable la procédure décrite dans le modèle, des mesures d’amélioration opérationnelles et stratégiques en ont été déduites.

Résultats et discussion Les résultats de ce travail sont présentés et discutés dans le cadre du modèle de sensibilisation (fig. 2). Perspective des participants Les facteurs déterminants pour la fréquentation d’une formation continue en gestion d’entreprise sont l’exploitation et la famille. Les participants ont comparé les informations reçues de leur environnement et les mesures de sensibilisation avec leurs propres connaissances. En l’occurrence, le type d’information a influencé le traitement cognitif. Les personnes ont été réparties soit dans un groupe avec un modèle innovant, soit dans un groupe avec un modèle réactif. Modèle innovant Les personnes de ce groupe ont traité les informations en lien avec leur environnement et la sensibilisation en se référant à leurs objectifs personnels. Les participants ont reconnu dans ces informations une chance pour le développement futur de leur exploitation. Ils y ont vu un potentiel d’action personnelle et/ou liée à l’exploitation. Indépendamment des informations de sensibilisation reçues jusque-là, elles ont établi des objectifs relatifs au contenu et à la structure (forme) d’une formation. Si ces objectifs correspondaient à une offre, ces personnes se mettaient dans la perspective de participer à une formation continue définie et y prenaient effectivement part. Mais pour que des perspectives de participation puissent être définies, il faut qu’à ce moment précis, les mesures de sensibilisation du groupe cible fournissent des informations sur les objectifs et le type de la formation continue. Modèle réactif Les personnes de ce groupe ont traité les informations concernant leur environnement et la sensibilisation en se référant à leur exploitation et elles ont reconnu l’existence d’un danger. Cela a entraîné chez elles la nécessité d’entreprendre quelque chose. Elles ont formulé les

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objectifs de la formation comme les personnes du groupe avec modèle innovant et ont agi de même pour la suite du processus de participation. Les personnes d’un autre sous-groupe avec modèle réactif ne sont pas parvenues à identifier les signes de danger pour leur exploitation à partir des informations provenant de leur environnement ou de sensibilisation. Ce sont les vulgarisateurs spécialisés dans la production ou les fiduciaires qui ont dû les rendre attentives à l’existence d’un risque pour leur exploitation. Dans certains cas, ces spécialistes les ont orientées directement vers une formation continue; il s’est passé parfois plusieurs années entre la prise de conscience du danger et la participation à une formation. Perspective des organisateurs Divers groupes concernés sont intervenus dans la création d’offres de formation continue. La vulgarisation a cherché à créer une offre pertinente, compte tenu de ses propres besoins (exigences de formation) et dans certains cas de ceux de l’agriculture (demande de groupes cibles). Dans la création de son offre, la vulgarisation a suivi une approche basée sur la pertinence. Elle a donc justifié en quoi une formation continue est pertinente et en a déduit les objectifs, le contenu et la structure. Dans leur approche de l’organisation de formation, les projets étudiés ont évalué différemment l’exigence de formation et l’orientation sur un groupe cible, ce qui a influé sur la composition des participants aux projets. Les offres fortement orientées sur un groupe cible ont attiré principalement les participants en faveur d’un modèle innovant. Facteurs de réussite de la phase préparatoire Les mesures de sensibilisation ont une importance décisive sur la participation à une formation continue. Dans ce contexte, il convient de répondre aux deux questions fondamentales suivantes: 1. Comment sensibiliser le groupe cible le mieux possible? La communication directe entre les représentants des organisations agricoles et les agriculteurs et agricultrices a eu le plus d’effet. Mais ce groupe cible a aussi été touché par les médias écrits. 2. Durant quelle phase les mesures de sensibilisation doivent-elles toucher le groupe cible? Les informations de sensibilisation (articles de journaux, exposés, etc.) doivent toucher le groupe cible quand celui-ci discute du sujet considéré. Il faut donc une large dispersion de l’information. Mais en fonction du groupe cible, ces mesures ne sont pas suffisantes.


Comment optimiser la formation continue en gestion d’entreprise dans l’agriculture? | Economie agricole

Pour la création d’une perspective de participation, le groupe cible doit disposer de suffisamment d’informations de sensibilisation dès le moment où il a formulé pour lui-même les objectifs de cours. Durant cette phase, il est bien possible que le groupe cible recherche activement des offres de formation. Phase de formation Durant la phase de formation, les objectifs, le contenu et la structure de la formation étaient d’une importance cruciale. Pour l’évaluation des objectifs de la formation, la pertinence et l’accessibilité étaient des critères capitaux. Les buts ne pouvaient en effet être atteints que si ces deux facteurs existaient. Pour atteindre une pertinence élevée, il fallait que les objectifs de la séance de formation continue soient en adéquation avec ceux des participants, ce qui fut réalisé en impliquant les participants dans la définition des objectifs durant la phase préparatoire. Pour un déroulement optimal de la formation, il était important que les contenus soient adaptés aux buts et aux participants, ce que certains projets sont parvenus à faire coïncider de façon optimale. La structure de la formation joue un rôle important en matière de lieu de réunion, de salles de cours et d’horaire (Siebert 2003). Dans aucun des projets étudiés cependant, cette structure de la formation n’a constitué le seul motif de participation à la formation. En revanche, l’aménagement de la salle de cours (discussion en têteà-tête vs. discussion de groupe, peur d’être ridiculisé) a pu en retenir certains. En fonction des buts de la formation, le moment de l’offre a joué un rôle important. Les sujets d’actualité liés à l’influence du contexte (effondrement du prix du lait, politique agricole) ne sont restés pertinents que sur une durée limitée. En revanche, les problèmes liés au cycle du développement de l’exploitation (développement stratégique, changement de génération, etc.) sont restés pertinents sans limite de temps. Une offre permanente de formations pour le groupe cité en second est donc absolument nécessaire. Facteurs de réussite de la phase de formation Durant les formations, il s’est agi de faire coïncider les attentes des organisateurs et celles des participants. Plus les formations continues étaient orientées sur les groupes cibles et les participants, mieux elles sont parvenues à faire coïncider les attentes des uns et des autres. Ce qui a augmenté leurs chances de succès. Les formations continues proposant de traiter le même contenu thématique sous diverses formes sont parvenues à toucher plus de participants. L’obstacle représenté par la forme de la formation a ainsi disparu.

Phase postérieure à la formation Au terme d’une phase de formation, il s’est agi de mettre en pratique les connaissances ainsi acquises. Durant cette phase, les participants ont centré la mise en pratique sur l’exploitation et la famille. Quand les formations continues étaient focalisées sur certains secteurs ou instruments particuliers, l’action à l’échelon stratégique était limitée seulement à certains cas. Les mises en œuvre des connaissances acquises lors des formations se limitaient en premier lieu au domaine traité. Ce qui ne les a toutefois pas empêchées d’influer sur la dimension stratégique de l’exploitation. Facteurs de réussite de la phase postérieure La mise en œuvre ciblée de l’acquis d’une formation peut être améliorée quand les participants sont en mesure de faire valoir leurs connaissances par rapport à leurs projets et au contexte. Dans ces circonstances, une phase postérieure réussie peut aussi signifier que rien de ce qui a été appris pendant la formation n’est mis en pratique. Du point de vue des organisateurs, la probabilité de réussite d’une mise en oeuvre peut être augmentée par un conseil facultatif lors de cette phase.

Conclusions Le groupe de projet a tiré des résultats de ses travaux un certain nombre de conclusions à l’échelon stratégique et opérationnel. Ces conclusions doivent servir au transfert des connaissances dans la pratique. Échelon stratégique ••À l’avenir, les mesures de sensibilisation devront être mieux orientées sur le groupe cible. Pour y parvenir, les agents d’influence que sont les vulgarisateurs, les fiduciaires, les organisations agricoles, etc. devront s’impliquer dans cette sensibilisation. Pour qu’ils puissent guider les agriculteurs vers une formation continue offerte par leur organisation ou une autre, il faudra améliorer la mise en réseau des différents services. ••Pour offrir diverses formes de formations à des moments différents et attirer suffisamment de participants, les stages considérés devraient être coordonnés au plan intercantonal. On pourrait ainsi répondre en même temps au besoin marqué d’anonymat du groupe cible. ••Les contenus des formations continues doivent être impérativement orientés sur les attentes du groupe cible, ce à quoi la vulgarisation agricole s’engage en

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Economie agricole | Comment optimiser la formation continue en gestion d’entreprise dans l’agriculture?

premier lieu. Le rôle des divers groupes intéressés doit se limiter à la responsabilité du financement et au travail de sensibilisation. Échelon opérationnel ••Les mesures de sensibilisation doivent être mieux adaptées aux spécificités du groupe cible. Elles doivent présenter leurs informations de manière à permettre au groupe cible d’établir un lien entre un problème et un objectif. ••Selon le groupe cible, il faut définir si les mesures de sensibilisation doivent uniquement offrir l’accès à une formation continue ou si elles doivent aussi constituer une raison (danger pour l’exploitation) de participer à une telle formation. ••Pour que les formations continues répondent aux attentes des divers groupes cibles, il faut proposer divers sujets sous des formes et des durées différentes. ••Même quand l’offre de formation continue est clairement orientée sur un objectif, les participants doivent garder la possibilité de prendre des décisions indépendamment des vulgarisateurs.

Bibliographie ▪▪ AGRIDEA, 2012. Ansätze zur Optimierung der Produktionskosten, 26 p. ▪▪ Böhm A., 1994. Texte verstehen: Konzepte, methoden, Werkzeuge. UVK, Konstanz. ▪▪ Meier H., 2012. Wirkungsschema, AGRIDEA, 1 p. ▪▪ Meyer H. O., 2009. Interview und schriftliche Befragung. Oldenburgverlag, München, Wien.

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••Les organisations de vulgarisation devraient mettre à disposition des participants des moyens adéquats pour un suivi volontaire durant la phase postérieure à la formation. En l’occurrence, il faut veiller à ce que le vulgarisateur qui s’occupe du suivi soit le même que celui qui était présent durant la phase de formation. Ces conclusions ont été discutées au sein du groupe de travail Opticost, même si ce dernier n’a pu exercer aucune influence. Il appartient maintenant aux représentants du groupe de travail de mettre ces enseignements en pratique afin de permettre à long terme une vulgarisation et une formation continue en gestion d’entreprise efficaces et concrètes. Il s’agira notamment de s’attaquer sans attendre aux améliorations proposées au niveau opérationnel. n

▪▪ OFAG, 2009. L’agriculture suisse en mouvement / La nouvelle loi sur l’agriculture / Un bilan dix ans après, Berne, 36 p. ▪▪ Siebert H., 2003. Didaktisches Handeln in der Erwachsenenbildung: Didaktik aus konstruktivistischer Sicht. Luchterhand, München/Unterschleissheim.


Come migliorare la formazione continua nella gestione aziendale nell’agricoltura? I costi di produzione svolgono un ruolo chiave per la concorrenzialità di un’azienda agricola. In passato, diversi istituti di consulenza e formazione nel settore primario hanno proposto corsi di aggiornamento. Il numero di iscritti, tuttavia, si è sempre situato al di sotto delle aspettative. Il gruppo di lavoro Opticost ha voluto risalire alle cause di questo disinteresse, per individuare i possibili correttivi. A questo scopo ha condotto una serie di interviste semistrutturate con diversi esperti (responsabili di progetto, consulenti e partecipanti) a margine di cinque progetti di aggiornamento avviati dall’agricoltura svizzera nel settore della gestione aziendale. Per quanto concerne la consulenza, inoltre, ha analizzato tre progetti analoghi, sempre nel settore agricolo (uno francese, uno tedesco e uno austriaco), e un progetto svizzero, riguardante invece un altro settore. L’analisi delle interviste si è basata su Meyer (2009), mentre la parte teorica si è riferita piuttosto a Böhm (1994). Da questi lavori emerge che, nel gruppo target, è possibile distinguere tra due comportamenti, uno più innovativo e uno più reattivo. Le persone che presentano il primo comportamento hanno partecipato ai corsi di propria iniziativa, mentre le altre vi sono state spinte da necessità legate alla gestione della loro azienda. Nell’assetto degli aggiornamenti, la ponderazione delle esigenze di formazione e l’orientamento in funzione dei gruppi target hanno influito sulla composizione dei partecipanti. Quando si è trattato di sensibilizzare i partecipanti, la comunicazione diretta è il metodo che ha ottenuto i migliori risultati. Questo tipo di approccio, pertanto, andrebbe meglio regolato in funzione dei gruppi target; occorrerà anche coinvolgere maggiormente le associazioni agricole, i consulenti, le fiduciarie attive nel settore e così via.

Summary

Riassunto

Comment optimiser la formation continue en gestion d’entreprise dans l’agriculture? | Economie agricole

How to optimize agricultural extension for a successful farm management? Production costs play a key role in the competitiveness of agricultural enterprises. In the past, various actors in agricultural consultancy and education offered advanced training, but the number of participants remained below expectations. To investigate the reasons for this low participation and determine measures for improvement, the Opticost working group conducted semi-structured interviews with experts who were project managers, consultants and participants in five economic advanced training projects in Swiss agriculture. The group also interviewed consultants from economic training projects on French, German and Austrian agriculture and from another project outside this sector in Switzerland. The analysis of the expert interviews was carried out according to Meyer (2009), the theoretical coding according to Böhm (1994). The results showed that a distinction could be made in the target group between innovative and reactive participation behaviour patterns. Persons with innovative behaviour patterns participated in the advanced training programmes out of their own initiative, whereas persons with reactive patterns participated out of operational necessity. In the configuration of the training programmes, the importance of educational demands and target groups orientation influenced the composition of the participants. Direct communication showed the best effect in raising the awareness of the participants. Lastly there should be more adaptation to the target group in future, and more agricultural associations, consultants, fiduciaries etc. should be included. Key words: agricultural extension, extension approaches, extension activities, extension strategies.

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E c o n o m i e

a g r i c o l e

Exploitations laitières: pourquoi la Suisse ­produit-elle plus cher que la Norvège? Christian Gazzarin1, Matthias Kohler2 et Ola Flaten3 Agroscope, Institut des sciences en durabilité agronomique IDU, 8356 Ettenhausen, Suisse 2 EPF Zurich, Institut pour les décisions environnementales IED, 8092 Zurich, Suisse 3 Norsk institutt for landbruksøkonomisk forsking (NILF), 0155 Oslo, Norvège Renseignements: Christian Gazzarin, e-mail: christian.gazzarin@agroscope.admin.ch

1

Le coût des aliments pour animaux est nettement plus élevé en Suisse qu’en Norvège – un système de pâture plus avantageux pourrait remédier à la situation. (Photo: Christian Gazzarin, Agroscope)

Le prix inférieur des matériaux de construction, les subventions plus élevées et la place plus réduite accordée aux animaux expliquent le coût inférieur des bâtiments en Norvège. (Photo: Rasmus Lang-Ree, Geno)

Introduction et problématique

difficiles du fait des contraintes naturelles dans les deux pays présentent des similitudes. Malgré tout, les exploitations laitières norvégiennes affichent des coûts de production plus bas que les exploitations suisses comparables, selon les évaluations de l’IFCN (Hemme 2013). Dans le cadre d’un travail de bachelor réalisé à l’EPF Zurich (Kohler 2013) et en collaboration avec Agroscope, une analyse de coûts comparative a été établie afin de rechercher les causes de ces différences de coûts.

Traditionnellement, la Suisse exporte une part importante de sa production laitière. Le lait est toutefois produit à un niveau de coût très élevé. Les évaluations du réseau International Farm Comparison Network (IFCN) montrent que la différence de coûts par rapport aux autres pays européens est plus ou moins constante depuis des années (Hemme 2013; Hemme 2003). L’augmentation du prix des aliments pour animaux dans le monde entier a certes permis un certain rapprochement avec l’étranger, mais en même temps, le franc suisse fort renchérit le coût des produits laitiers suisses à l’exportation. Le niveau de coûts élevé est généralement mis en relation avec le haut niveau des prix et des salaires en Suisse. C’est aussi le cas dans une comparaison d’exploitations avec l’Autriche (Gazzarin et al. 2011). Il est intéressant de comparer la Suisse avec la Norvège – pays également non membre de l’UE et où les prix et les salaires sont élevés. Les structures des exploitations et les conditions de production

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Recherche Agronomique Suisse 5 (6): 248–255, 2014

Comparaison des marchés laitiers suisse et norvégien Avant d’interpréter les différences de coûts, il faut d’abord connaître les conditions cadres des deux pays. La Norvège a, tout comme la Suisse, un système développé de protection de l’agriculture. Toutefois, le prix du lait notamment y est davantage protégé qu’en Suisse. La Norvège a limité la production laitière par un quota laitier. Le tableau 1 montre que la production de lait de vaches et l’effectif de vaches laitières sont nettement plus importants en Suisse. Si l’on compare la quantité de


lait consommée et commercialisée, il apparaît clairement que, par rapport à la Norvège, la Suisse a une surproduction de lait et que, par conséquent, contrairement à la Norvège, elle occupe une position d’exportateur net (TSM 2013; Statistics Norway 2011). Comparaison des conditions-cadres légales Pour soutenir la multifonctionnalité du secteur agricole, la Norvège octroie elle aussi selon l’OCDE un grand nombre de paiements non liés à la production; leur pourcentage par rapport à l’enveloppe totale des subventions est toutefois inférieur à la Suisse (Hemme 2013). Outre les paiements directs, les aides à l’investissement sont également un moyen d’encourager les exploitations. En Suisse, selon l’ordonnance sur les améliorations structurelles (OAS, art. 19), outre les crédits d’investissement, des contributions supplémentaires sont attribuées pour les projets de construction dans les régions de collines et de montagne. En Norvège, ces deux systèmes d’aide à l’investissement sont également connus. En Norvège, les paiements de soutien sont toutefois plus élevés par UGB. Le tableau 2 présente un exemple de calcul avec 50 UGB au centre du pays et 18 UGB en périphérie afin de comparer les aides à l’investissement dans les deux pays (Relevé des coûts de construction Agroscope 2012; Ottesen et al. 2008). En Suisse, suivant la taille de l’exploitation et sa situation, les aides à l’investissement permettent de réaliser des économies de 13 à 19 % sur les coûts de construction. En Norvège, jusqu’à 30 % des coûts de construction sont pris en charge (Loi n° 75, art. 3, al. 3, n° 2). En Suisse, outre les coûts nettement supérieurs des constructions, la part plus faible du soutien étatique creuse la différence par rapport à la Norvège. En Suisse, les investissements dans les bâtiments sont fortement influencés par les dispositions légales (modifications de la Loi sur la protection des animaux). De ce

Résumé

Exploitations laitières: pourquoi la Suisse ­p roduit-elle plus cher que la Norvège? | Economie agricole

La production laitière en Suisse et en Norvège a beaucoup de points communs: des prix et des salaires élevés, des conditions naturelles difficiles et des structures d’exploitation similaires. Une comparaison des coûts à l’aide des données du réseau International Farm Comparison Network (IFCN) montre que les exploitations suisses affichent malgré tout des coûts de production plus élevés. Les différences se situent avant tout dans le domaine des coûts de structure. Les coûts plus élevés des bâtiments peuvent s’expliquer par des prix supérieurs pour les matériaux de construction, des bâtiments plus grands, des subventions inférieures et des transformations plus fréquentes. Les coûts plus élevés des machines et de la main-d’œuvre sont indirectement liés aux prix plus élevés des concentrés et à l’utilisation nettement inférieure de ce type d’aliments dans les exploitations suisses. Pour assurer le même niveau de production laitière, les exploitations suisses ont des dépenses relativement importantes pour la production de concentrés, ce qui se traduit par des coûts supérieurs pour les bâtiments, les machines et la main-d’œuvre. Pour réduire les coûts, limiter la conservation du fourrage au strict nécessaire serait une mesure rapidement efficace.

fait, les bâtiments sont plus modernes et plus grands et entraînent des amortissements plus lourds. Au contraire, en Norvège, les contraintes sont moins strictes dans le domaine de la protection des animaux. Si l’on observe les «dimensions minimales par animal» dans les stabulations entravées (tabl. 3), on constate que les exploitations norvégiennes accordent nettement moins d’espace à leurs animaux que les exploitations suisses. Par conséquent, 

Tableau 1 | Comparaison des principaux chiffres-clés du marché laitier suisse et norvégien. Tous les poids sont indiqués en équivalent lait (1 kg de lait avec 73 g de matière grasse et de protéines, définition de l’OFAG). Suisse

Norvège

[t/a]

2 959 120

1 626 500

[kg/a]

376

327

Production de lait de vaches

[t/a]

4 079 000

1 642 000

Lait de vaches commercialisé1, 2

[t/a]

3 410 000

1 524 000

Nombre

590 000

233 000

Consommation de lait

1,4

Consommation de lait par tête5 1, 2

Vaches laitières1, 3 Production laitière par vache

5

Exploitations de vaches laitières1, 3 Production laitière par exploitation5 Prix du lait1, 2

[kg/a]

6914

7047

Nombre

28 973

10 545

[t/a]

140,8

155,7

[CHF/100kg]

62,06

74,95

Sources: 1 Statistiques laitières de la Suisse 2011, USP. 2Norwegian Agriculture Economics Research Institute 2010. 3Statistics Norway 2011. 4FAO Statistics 2009 . 5Calculs propres.

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Economie agricole | Exploitations laitières: pourquoi la Suisse ­p roduit-elle plus cher que la Norvège?

Tableau 2 | Exemple de calcul des coûts pour deux projets de construction typiques en Suisse et en Norvège (UGB = unité gros bétail) 18 UGB

Coûts (en Fr.)

50 UGB

Suisse

Norvège

Suisse

Coûts de construction par UGB

25 275

19 900

21 520

14 200

Total des coûts de construction

455 000

358 000

1 076 000

710 000

Contributions (y comp. contribution de base)

87 000

107 000

155 0001

145 0001

Coûts de construction effectifs pour l’exploitation

368 000

251 000

921 000

565 000

Coûts de construction effectifs par UGB

20 444

13 944

18 420

11 300

32

39

Avantages en termes de coûts en pourcentage

Norvège

Correspond à la contribution maximale Source: Relevé des coûts de construction Agroscope 2012, OAS art. 19, loi n° 75, art. 3, al.3; Ottesen et al. 2008, calculs et représentation personnels.

1

Tableau 3 | Dimension minimale (en m) des couches par animal dans les stabulations entravées dans les deux pays Largeur Taille de l’animal

Longueur

Description Suisse1

Norvège2

Couche courte

Couche longue

CH

NO

CH

NO

Petite

Hauteur au garrot à partir de 1,2 m (CH), jusqu’à 350 kg (NO)

1

0,9

1,65

1,3

1,8

1,8

Moyenne

Hauteur au garrot à partir de 1,3 m (CH), à partir de 350 kg (NO)

1,1

1

1,85

1,5

2

1,9

Grande

Hauteur au garrot à partir de 1,4 m (CH), plus de 500 kg (NO)

1,2

1,2

1,95

1,7

2,4

2,1

Sources: 1OPAn, annexe 1 2Mattilsynet, 2010; représentation personnelle.

Tableau 4 | Comparaison des prix (taxe à la valeur ajoutée comprise) pour les agents de production et les biens d’investissement ayant un effet sur les coûts réels Facteur de production

Description

Unité

Suisse

Norvège

Teneur en chlorine: 0,10

Fr./m3

Epicéa

192–219

171–207

Fr./m3

100–108

60–70

100 kg

235–330

236–395

Matière azotée: 17 %

Fr./dt

62

53

Situation centrale

Fr./ha

600–800

700

Situation périphérique

Fr./ha

540

220

Matériaux de construction1–9 Béton standard SN EN 206-1 Bois d’œuvre Acier plat S235JR Aliments pour animaux10,11,12 Aliment de production Sol13 Prix du fermage des herbages

Sources: 1betonsor.no 2heidelbergcement.com 3holcim.com 4wvs.ch 5slf.dep.no 6bfs.ch 7ferroflex.ch 8norskstaal.no 9riedo.ch 10beutler-muehle.ch 11slf.dep.no 12finn.no 13 Rapport IFCN 2012

en Norvège, les investissements dans les bâtiments se font plus selon des critères économiques (Flaten 2002), ce qui se traduit par des bâtiments plutôt plus anciens étant donné le changement structurel modéré. Comparaison des prix Les matériaux de construction, notamment le bois, sont nettement plus chers en Suisse qu’en Norvège (tabl. 4). Seul le prix de l’acier de construction est équivalent. La comparaison du prix d’achat des machines montre que les différences sont relativement minimes entre les deux pays. On constate également d’importantes différences de prix pour les aliments concentrés industriels. Les concentrés sont nettement plus chers en Suisse. Pour les prix des fermages, la situation géographique des sur-

250

Recherche Agronomique Suisse 5 (6): 248–255, 2014

faces joue un grand rôle dans les deux pays. Etant donné la situation souvent décentralisée des exploitations norvégiennes, on suppose que les prix des fermages devraient être plus élevés en Suisse en moyenne. Dans l’ensemble, on peut conclure que sur le plan des coûts réels, le prix des matériaux de construction et des concentrés avantagent les exploitations norvégiennes. Données pour le relevé des coûts La comparaison des coûts de production par kilo de lait en Suisse et en Norvège repose sur les données de l’IFCN. A partir d’exploitations types, il est possible de comparer des informations détaillées, tandis que la représentativité est largement assurée (Deblitz 2005). La représentativité se réfère à une certaine structure d’exploitation (taille d’exploitation), un système de production et/ou


Exploitations laitières: pourquoi la Suisse ­p roduit-elle plus cher que la Norvège? | Economie agricole

Tableau 5 | Chiffres-clés des exploitations comparées (rapport IFCN 2012; CH-18 = exploitation suisse avec 18 vaches laitières)

Vaches laitières Surface agricole utile (SAU) Densité d’occupation Lait produit Rendement laitier Consommation de concentrés

CH-18

CH-22

NO-20

Nombre

18

22

20

35

ha

22

23

27

30

Vaches/ha

0,82

0,96

0,74

0,86

t/an

105

141

146

213

kg/vache

5820

6402

7314

6078

kg/vache et jour

1,9

2

7,5

5,2

Stabulation entravée

Stabulation entravée

Stabulation entravée

Stabulation entravée

Mois

5

6

4

5,5

CHF/MOh

28

28

26,2

37,3

Région de montagne

Région des collines

Nord-Østerdalen

Jæren

Système de stabulation Période de pâture Salaire horaire pour les travaux ­effectués par l’agriculteur lui-même

NO-35

Région Sources: Rapport IFCN 2012, représentation personnelle

une certaine région de production. La taille de l’exploitation est généralement choisie à partir du nombre de vaches de manière à représenter la taille d’exploitation la plus répandue (Hemme 2000). Dans le cas de la Norvège et de la Suisse, partant de la structure d’une exploitation individuelle, on utilise les données statistiques (données comptables) d’un groupe d’exploitations correspondant. La typologie s’effectue selon des critères équivalents dans les deux pays. Les données sont traitées, puis intégrées dans le modèle TIPICAL (Technology Impact Policy Impact Calculation Model), de façon à pouvoir établir une analyse des coûts et des prestations comparable pour toutes les exploitations du réseau. Sélection des exploitations Le tableau 5 présente quelques chiffres-clés des exploitations sélectionnées. L’exploitation avec 18 vaches laitières (CH-18) se situe en région de montagne et repose sur les données de 125 exploitations comptables (Mouron et Schmid 2011). L’exploitation avec 22 vaches laitières (CH-22) vient de la région des collines et repose sur les données de 110 exploitations comptables. Les deux exploitations représentent une part significative de la production laitière de la région correspondante. Tandis que les deux exploitations suisses sont essentiellement différenciées selon l’altitude, les critères de distinction des exploitations norvégiennes sont d’ordre géographique. La région moins densément peuplée de Nord-Østerdalen (NO-20) se situe à l’écart et plus au nord. Les conditions sont donc d’autant plus difficiles pour les producteurs laitiers (période de végétation plus courte). Les coûts sont eux aussi plus élevés, mais peuvent en partie être compensés par le niveau plus haut des prix à la production et des paiements directs. Avec 20 vaches sur 27 ha, la densité d’occupation est relativement exten-

sive dans l’exploitation NO-20. Le niveau de production laitière est néanmoins particulièrement haut, ce qui est toutefois typique de la région. L’exploitation NO-20 est cependant plutôt comparable à l’exploitation de la région de montagne suisse (CH-18). L’exploitation NO-35 se situe à Jæren, au bord de la mer, au sud-ouest de la Norvège, et bénéficie d’un climat doux. L’exploitation est près d’une ville, d’où des coûts de production plus bas. Avec ses 35 vaches laitières, elle est légèrement plus grande que la moyenne des exploitations laitières de la région. Grâce à ses atouts climatiques, l’exploitation affiche une densité d’occupation plus élevée. Avec sa stabulation entravée et un niveau de production laitière équivalent, elle est tout à fait comparable à l’exploitation suisse CH-22 de la région de plaine – indépendamment du nombre plus important de vaches. Bien que les deux pays aient un niveau de salaires similaire, des tarifs différents ont été appliqués pour les exploitations. Pour l’exploitation NO-35, notamment du fait de sa position centrale, le tarif choisi de CHF 37,2 est nettement plus élevé que dans les exploitations suisses, pour lesquelles un tarif unitaire de CHF 28.− a été fixé (Gazzarin et Lips 2013). Les exploitations norvégiennes distribuent des quantités de concentrés jusqu’à quatre fois supérieures à celles de la Suisse (tabl. 5). Selon les statistiques nationales, la Suisse distribue 640–710 kg de concentrés par vache laitière et par an (USP 2011). En Norvège, cette valeur dépasse les 2200 kg de concentrés par vache (Tine 2013). Adaptations des données La comparaison des exploitations suisses et des exploitations norvégiennes repose sur une simple juxtaposition des coûts et des recettes des exploitations selon la méthode des coûts complets. L’exploitation NO-35 possède des 

Recherche Agronomique Suisse 5 (6): 248–255, 2014

251


Economie agricole | Exploitations laitières: pourquoi la Suisse ­p roduit-elle plus cher que la Norvège?

CHF/100 kg ECM

200 150 100 50 0 CH-18

NO-20

paiements directs recettes tirées du lait

CH-22

CH-22korr

NO-35

recettes annexes de la production laitière

Figure 1 | Recettes et paiements directs (prestations) par 100 kg de lait corrigé par rapport à sa teneur en énergie (ECM).

avantages structurels par rapport aux deux exploitations suisses, qui se traduisent pas des coûts inférieurs. Pour tenir compte de l'effet structurel, une correction a été apportée consistant à extrapoler l’exploitation CH-22 à 35 vaches (CH-22korr). Des facteurs de correction correspondants ont été déterminés pour les postes de coûts corrélés à la dimension de l’exploitation (p. ex. machines, bâtiments, travail) à l’aide du modèle de calcul des systèmes de production laitière (PARK) (Gazzarin et Schick 2004). Les coûts des machines, des bâtiments, les frais généraux d’exploitation, les coûts de main-d’œuvre et du capital ont par conséquent diminué entre 20 et 30 % par kilo de lait pour l’exploitation «CH-22korr». A noter toutefois que les prestations de cette exploitation n’ont pas été corrigées, dans l’hypothèse que les prestations augmentent proportionnellement à la taille du troupeau, ce qui n’est pas tout à fait vrai dans le cas des paiements directs.

Résultats

40

80

35

70

30

60

CHF/100 kg ECM

CHF/100 kg ECM

Coûts et prestations Les résultats sont basés sur les relevés de 2011. Toutes les valeurs ont été converties en francs suisses (CHF) par 100 kg ECM (energy corrected milk). Les figures 2–6 pré-

25 20 15 10 5 0

50 40 30 20 10

NO-35 Inséminations Paiements directs généraux (y compris achat d’animaux) Production d’aliments pour animaux Vétérinaire/médicaments Achat d’aliments pour animaux

CH-18

NO-20

CH-22

CH-22korr

Figure 2 | Coûts spécifiques par 100 kg de lait corrigé par rapport à sa teneur en énergie (ECM).

252

sentent les prestations, les coûts spécifiques, les coûts réels de structure, les coûts d’opportunité (coûts de structure propres) et les bénéfices/pertes. Pour l’interprétation des résultats CH-18 est comparé à NO-20 et CH-22korr à NO-35. Si l’on considère les prestations des exploitations (fig. 2), on constate que les exploitations suisses ont certes des recettes plus basses pour le lait, mais que grâce à des recettes légèrement plus élevées pour le bétail d’abattage et des paiements directs nettement supérieurs, elles génèrent des revenus plus importants que les exploitations norvégiennes. La structure des coûts spécifiques varie considérablement entre les deux exploitations les plus petites (fig. 3). Tandis que l’exploitation suisse dépense nettement moins que l’exploitation norvégienne pour l’achat d’aliments (concentrés notamment) et pour leur production (additifs comme les engrais, les semences), les frais de vétérinaire et de médicaments de l’exploitation norvégienne et notamment les coûts spécifiques généraux (y comp. achat d’animaux) sont nettement plus bas – ce qui se traduit par un avantage d’environ 10 % de l’exploitation norvégienne en termes de coûts spécifiques. Dans la comparaison entre CH-22korr et NO-35, le rapport est similaire, si ce n’est que l’achat d’aliments pour animaux est presque identique dans les deux exploitations. Ici aussi, les principales différences se situent sur le plan des coûts spécifiques généraux. Ils ne peuvent toutefois pas être analysés de manière plus approfondie par manque d’information. Dans l’ensemble, les coûts spécifiques de l’exploitation norvégienne NO-35 sont inférieurs de près de 25 %. Des différences particulièrement nettes se dessinent sur le plan des coûts de structure réels (fig. 4) et propres (fig. 5). Les différences de coûts des machines et des bâtiments sont frappantes et sont encore un peu plus marquées dans les petites exploitations. Les différences entre les coûts de main-d’œuvre sont également très prononcées, notamment dans les deux petites exploitations.

Recherche Agronomique Suisse 5 (6): 248–255, 2014

0

CH-18

Autres coûts Assurance

NO-20

CH-22

CH-22korr

NO-35

Intérêts des dettes Coûts de main-d’œuvre réels Coûts d’énergie Machines Bâtiments

Figure 3 | Coûts de structure réels par 100 kg de lait corrigé par rapport à sa teneur en énergie (ECM).


100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0

250 CHF/100 kg ECM

CHF/100 kg ECM

Exploitations laitières: pourquoi la Suisse ­p roduit-elle plus cher que la Norvège? | Economie agricole

200 150 100 50 0

CH-18 NO-20 CH-22 CH-22korr NO-35 Taux d’intérêt Salaire calculé Coûts du terrain

CH-18

NO-20 Prestations

CH-22

CH-22korr

NO-35

Total des coûts

Figure 4 | Coûts de structure propres par 100 kg de lait corrigé par rapport à sa teneur en énergie (ECM).

Figure 5 | Total des prestations et coûts par 100 kg de lait corrigé par rapport à sa teneur en énergie (ECM).

Le tableau 6 compare le temps de travail nécessaire à la productivité. Les coûts de main-d’œuvre plus élevés en dépit d’un salaire horaire plus bas dans l’exploitation CH22korr (par rapport à NO-35) sont dus à une productivité plus faible. Avec 29 kg ECM par heure de travail employée, CH-18 affiche une productivité inférieure de 40 % par rapport à NO-20. Dans l’exploitation CH-22korr, la productivité est toujours inférieure de 20 % à celle de NO-35. Le seul avantage des exploitations suisses en termes de coûts est d’importance mineure et concerne le coût du capital (taux d’intérêt et intérêts des dettes). Il est lié au taux d’intérêt plus favorable en Suisse. Les autres postes présentent des différences minimes et ne seront pas analysés de manière plus approfondie. Les deux exploitations norvégiennes peuvent couvrir leurs coûts à l’aide des recettes de production et des paiements directs, tandis que l’exploitation suisse de montagne et l’exploitation suisse des collines affichent des pertes plus ou moins marquées (tabl. 6). Seule l’exploitation des collines extrapolée à 35 vaches (CH22korr) parvient également à couvrir ses coûts de revient.

tion, il ne faut pas oublier que la petite exploitation suisse de montagne, du fait d’un rendement laitier nettement inférieur par vache, produit environ un quart de lait en moins que l’exploitation comparable NO-20 (tabl. 5). Par conséquent, il faut retenir qu’une grande partie des importantes différences de coûts entre les petites exploitations (CH-18 et NO-20) peut être expliquée par la plus forte production laitière de NO-20. Les coûts supérieurs pour l’achat d’aliments pour animaux (en dépit du prix inférieur des concentrés) et pour les auxiliaires (engrais) confirment l’intensité de production plus élevée de NO-20, qui arrive donc ainsi à réduire considérablement ses coûts de structure et à compenser largement les coûts supplémentaires. Toutefois, toutes les différences ne sont pas dues exclusivement à des questions de structure. C’est aussi ce que montre CH22korr, qui affiche des coûts plus élevés que NO-35 en dépit de la correction.

Discussion Différences dues aux structures La taille de l’exploitation a une influence capitale sur les coûts par unité de production. Tandis que l’effet de structure a pu être écarté pour CH-22 grâce à une correc-

Différences dues au prix Les prix des matériaux de construction et des concentrés sont très différents. Les coûts de construction plus élevés pour les bâtiments ne s’expliquent qu’en partie par les prix élevés des matériaux de construction en Suisse. Les bâtiments sans doute plus modernes et surtout plus grands pour répondre aux exigences légales associés à des aides à l’investissement plus limitées entraînent en fin de 

Tableau 6 | Charge et productivité du travail (CH-22korr: exploitation suisse avec 22 vaches extrapolée à 35 vaches) Travail

Unité

CH-18

CH-22

Heures de main-d’œuvre famille

h/an

3009

Heures de main-d’œuvre externe

h/an

643

Charge de travail totale

h/an

3652

3473

Productivité du travail

kg ECM/h

29

41

CH-22korr

NO-20

NO-35

2830

2635

2240

643

383

680

3882*

3018

2920

58*

48

73

Charge de travail

*Valeur intrapolée à 35 vaches basée sur le calcul du modèle PARK Source: rapport IFCN 2012, représentation personnelle

Recherche Agronomique Suisse 5 (6): 248–255, 2014

253


Economie agricole | Exploitations laitières: pourquoi la Suisse ­p roduit-elle plus cher que la Norvège?

compte des investissements effectifs dans les bâtiments qui sont de 47 à 63 % plus élevés en Suisse qu’en Norvège, déduction faite des subventions. Les prix d’achat des machines sont équivalents dans les deux pays. La part de tracteurs neufs dans l’ensemble du parc de machines (OFS 2013; ASMA 2013) est plus élevée en Suisse avec 2 % contre 1,5 % en Norvège (Kohler 2013), ce qui indique un parc de machines plus jeune et des amortissements élevés. Enfin, les différences de coûts s’expliquent aussi sans doute par les coûts variables (entretien, réparation, carburants, travaux effectués pour des tiers), qui laissent supposer des différences dans l’utilisation des machines. Etonnamment, l’exploitation CH-22korr affiche des coûts de main-d’œuvre plus élevés que NO-35, bien que cette dernière verse des salaires horaires nettement plus élevés (CHF 37,3). L’écart doit venir d’une charge de travail plus élevée, resp. d’un système de production différent. Différences dues au système Les différences en termes de structure et de prix entre les deux pays n’expliquent pas suffisamment les différences de coûts des bâtiments, des machines et de la maind’œuvre. Pour les coûts de machines, on peut se demander si le parc de machines et leur emploi sont plus étendus en Suisse qu’en Norvège. Considère le système d’affourragement des deux pays, on a tendance à répondre à cette question par l’affirmative. Comme elles emploient moins de concentrés, les exploitations suisses doivent produire non seulement davantage de fourrage grossier, mais aussi du fourrage de première qualité pour atteindre des rendements laitiers équivalents. Un tel résultat ne peut être obtenu qu’en augmentant considérablement la fréquence de coupe. Ceci implique des exigences plus élevées par rapport à la puissance et à l’état technique des machines, mais aussi des coûts variables nettement supérieurs. Les coûts de carburant ne sont pas les seuls touchés, les coûts des entreprises de travaux agricoles le sont aussi. Les différences de coûts de main-d’œuvre peuvent aussi en partie être expliquées par le système d’affourragement. Certes, la taille de l’exploitation ou plutôt le volume de production est le principal facteur qui influe sur la productivité. Mais, une utilisation accrue des auxiliaires, notamment des concentrés, augmente également la productivité. Les charges élevées de la production de fourrage grossier entraînent non seulement une augmentation des coûts de machines, mais nécessitent également une augmentation du temps de travail. Par conséquent, les exploitations norvégiennes bénéficient du bas prix des concentrés, qui n’affectent pas démesu-

254

Recherche Agronomique Suisse 5 (6): 248–255, 2014

rément leurs coûts spécifiques, mais conduisent à des coûts de structure plus bas. L’effet d’une conservation coûteuse du fourrage grossier sur les coûts de machines et de main-d’œuvre a déjà été mentionné dans la comparaison avec les exploitations autrichiennes (Gazzarin et al. 2011). Les coûts des bâtiments sont aussi touchés, car il faut prévoir des stocks plus vastes pour le fourrage de base.

Conclusions La Norvège et la Suisse affichent un niveau de prix et de salaires relativement équivalent. Des différences de prix importantes ont été relevées pour les matériaux de construction et les concentrés. Les différences de prix ne sont toutefois pas suffisantes pour expliquer les différences de coûts, ce qui laisse supposer des causes inhérentes au système. Il faut citer les exigences plus strictes de la protection des animaux qui conduisent à des investissements plus lourds. Il convient aussi de signaler le prix élevé des concentrés en Suisse qui contribuent à favoriser un système d’affouragement à base de fourrage grossier. Ce choix entraîne de son côté des coûts de structure nettement supérieurs dans le domaine des machines, de la main-d’œuvre et des bâtiments.Les coûts plus élevés dans les exploitations suisses sont compensés par un pourcentage considérable de paiements directs, qui ne suffisent toutefois pas à couvrir les coûts de revient. En revanche, les exploitations norvégiennes peuvent couvrir leurs coûts grâce à un prix du lait plus élevé. La Suisse étant un exportateur net, sa marge de manœuvre est faible pour augmenter les prix. La part moindre des concentrés pourrait éventuellement disposer les consommateurs à payer plus, dans la mesure où ils auraient été informés efficacement au préalable. Sur le plan des coûts, les producteurs doivent s’efforcer de réduire le plus possible les charges de la production de fourrage grossier, en limitant la conservation au minimum et en augmentant la part de fourrage frais (pâture/récolte de l’herbe). n


Produttori di latte: perché produrre in Svizzera costa di più che in Norvegia? Per quanto riguarda la produzione di latte, Svizzera e Norvegia hanno molto in comune: prezzi e salari elevati, condizioni naturali avverse e strutture di produzione analoghe. Un confronto dei costi basato sui dati dell'International Farm Comparison Network (IFCN) mostra che, nonostante le analogie, le aziende svizzere presentano costi di produzione più elevati. L'analisi delle voci di spesa ha portato alla luce varie differenze, in particolare in termini di costi delle strutture. Tale discrepanza può essere imputata ai prezzi più alti dei materiali da costruzione, ai volumi più ampi degli edifici, ai sostegni finanziari inferiori e alle ristrutturazioni più frequenti. I costi più elevati dei macchinari e del lavoro sono correlati in maniera indiretta con i prezzi più alti del foraggio concentrato che, di conseguenza, viene impiegato in misura significativamente inferiore dalle aziende svizzere. Garantire un'elevata qualità del latte pesa ulteriormente sulle spalle delle aziende svizzere, che devono produrre foraggio secco, con conseguente aumento dei costi per manodopera, macchinari e strutture. Per quanto concerne le misure di contenimento dei costi, la conservazione delle quantità di foraggio strettamente necessarie sortirà molto presto i suoi effetti.

Bibliographie ▪▪ Agroscope, 2012. Statistique des frais de construction 2012. Accès: http://www.agroscope.admin.ch/tierhaltung/06683/06935/index. html?lang=fr [05.08.2013]. ▪▪ ASMA, 2013. Statistique des mises en circulation. Association suisse de la machine agricole, Berne. Accès: http://www.slv-asma.ch/fr/statistiques/ [16.6.2013]. ▪▪ Deblitz C., 2005. The International farm comparison network (IFCN) − bridging the gap between farmers, science and policy. Accès: http:// www.macaulay.ac.uk/elpen/work2/cdsab.html [05.08.2013]. ▪▪ Eurostat, 2011. Niveau des salaires. Accès: http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/labour_market/earnings/database [17.06.2013] ▪▪ Flaten O., 2002. Alternative rates of structural change in Norwegian dairy farming: impacts on costs of production and rural employment. ­J ournal of Rural Studies 18 (4), 429−441. ▪▪ Gazzarin C. & Schick M., 2004. Systèmes de production laitière en région de plaine – Comparaison de la rentabilité et de la charge de travail. ­R apport FAT 608. Agroscope, Ettenhausen. ▪▪ Gazzarin C., Brand R., Albisser G., Wettstein N. & Kirner L., 2011. Production laitière dans les exploitations de montagne et de collines en Suisse et en ­A utriche – Comparaison de coûts. Rapport ART 749. Agroscope, Ettenhausen. ▪▪ Gazzarin C. & Lips M., 2013. Calcul et données de base des coûts-machines. Agroscope, Ettenhausen. Accès: http://www.agroscope.admin.ch/ betriebswirtschaft/06822/06823/index.html?lang=fr [19.03.2014].

Summary

Riassunto

Exploitations laitières: pourquoi la Suisse ­p roduit-elle plus cher que la Norvège? | Economie agricole

Dairy farms: why does Switzerland spend more on production than Norway? Dairy production in Switzerland and Norway has a lot in common: a high price- and wage environment, difficult natural conditions and similar farm structures. A cost comparison using data from the International Farm Comparison Network (IFCN) shows that Swiss farms have higher production costs, however. Analysis of the cost positions pinpoints the differences mainly in the structural costs sphere. Higher construction costs can be explained by higher building material prices, greater building volumes, lower benefit payments and more-frequent building alterations. Higher machinery and labour costs are indirectly associated with the higher concentrate prices and the markedly lower use of concentrates on Swiss farms. To ensure similarly high milk yields, Swiss farms spend a comparatively high amount on roughage production, leading to higher labour, machinery and building costs. As far as cost-reduction efforts are concerned, forage conservation, i.e. limiting forage use to essential levels, is most likely to produce an impact. Key words: dairy, farm comparison, production systems, production costs, price comparison, Norwegian dairy farm, Swiss dairy farm.

▪▪ Hemme T., 2000. Ein Konzept zur international vergleichenden Analyse von Politik- und Technikfolgen in der Landwirtschaft. Bundesforschungsanstalt für Landwirtschaft, Braunschweig. ▪▪ Hemme T. (éd.), 2003. IFCN Dairy Report 2003, IFCN Dairy Network, IFCN Dairy Research Center, Kiel. ▪▪ Hemme T. (éd.), 2013. IFCN Dairy Report 2013, IFCN Dairy Network, IFCN Dairy Research Center, Kiel. ▪▪ Kohler M., 2013. Produktionskosten auf Milchproduktionsbetrieben in der Schweiz und Norwegen. Thèse de Bachelor à l'Institut pour les décisions environnementales, EPF Zurich. ▪▪ Mouron P. & Schmid D., 2012. Rapport de base 2011. Agroscope, Ettenhausen. ▪▪ OFS, 2013. Parc des véhicules agricoles. Accès: http://www.bfs.admin. ch/bfs/portal/fr/index/themen/11/03/blank/02/01/01.html [13.06.2013]. ▪▪ Ottesen B., Jakobsen A. & Finnes O.A., 2008. Sluttrapport − FLIS SOM LIGGEUNDERLAG FOR MELKEKU. Accès: http://www.landbrukstjenesten. no/cms/index.php?option=com_docman&task=doc_ download&gid=177&&Itemid=82 [19.03.2014]. ▪▪ USP, 2011. Renforcement de l’approvisionnement en aliments concentrés d’origine suisse. Union suisse des paysans, Brugg. Accès: http://www. sbv-usp.ch/fileadmin/user_upload/bauernverband/Taetigkeit/Dossiers/ Futtermittel/Bericht_AG_Futtermittel_publiziert_f.pdf [19.03.2014]. ▪▪ Tine Rådgiving, 2013. Statistikksamling 2012. Tine Rådgiving, Ås. ▪▪ TSM Treuhand GmbH, 2013. Milchstatistik der Schweiz. Zugang: http:// www.milchstatistik.ch [16.6.2013].

Recherche Agronomique Suisse 5 (6): 248–255, 2014

255


E n v i r o n n e m e n t

Irrigation et changement climatique: une analyse régionale du déficit en eau Jürg Fuhrer et Pierluigi Calanca Agroscope, Institut des sciences en durabilité agronomique IDU, 8046 Zurich, Suisse Renseignements: Jürg Fuhrer, e-mail: juerg.fuhrer@agroscope.admin.ch

Pompage mobile dans un canal de la vallée de la Broye pour l’irrigation. (Photo: Jürg Fuhrer, Agroscope)

Introduction Le recensement de l’Office fédéral de la statistique indique qu’en 2010, près de 36 000 ha de surface agricole utile (SAU) ont été irrigués (OFS 2012). Cela correspond à 3,4 % de la SAU totale. La plupart des exploitations ont utilisé de l’eau en provenance des torrents, des rivières et des lacs (46 %), ou de la nappe phréatique (37 %). Mais la surface «nécessitant de l’irrigation» est nettement plus vaste. Des simulations réalisées pour l’ensemble de la Suisse indiquent que 26 % de la SAU totale nécessiterait «potentiellement» de l’irrigation, ce qui signifie que sur cette surface, l’irrigation a un effet positif sur le rendement en moyenne une fois tous les

256

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trois ans (Fuhrer et Jasper 2009). Ne sont effectivement arrosées que les cultures pour lesquelles la dépense vaut la peine, par exemple les pommes de terre, les betteraves sucrières, le maïs ou les cultures spéciales. Dans les prochaines décennies, de nombreux agriculteurs pourraient être confrontés à un besoin croissant en irrigation pour assurer le rendement et la qualité de leur récolte. Les projections climatiques pour les années 2050 environ prévoient une augmentation du CO2 atmosphérique jusqu’à 530 ppm (scénario d’émission A1B), un accroissement des températures de 3–4 °C en moyenne et une réduction des précipitations de 5–20 % en été (CH2011 2011). Parallèlement, le débit de nombreux cours d’eau faiblira lui aussi considérablement en été


(OFEV 2012). Pour éviter les conflits que pourrait engendrer une pénurie d’eau, il faut donc trouver de nouvelles solutions et stratégies pour l’utilisation de l’eau, notamment dans les régions où le rapport entre l’offre et la demande devient critique sous l’effet du changement climatique. L’étude présentée ici avait pour objectif de modéliser ce rapport pour les bassins versants suisses de taille moyenne dans les conditions climatiques actuelles, afin d’identifier, au moyen d’une analyse de déficit, les régions particulièrement touchées. Pour ces régions, le changement a également été calculé dans l’hypothèse de deux scénarios climatiques pour 2050.

Méthodes Simulations avec le modèle hydrologique WaSim-EPF Les besoins en eau ont été calculés avec le modèle hydrologique de bilan d’eau et de débit WaSiM-ETH (www. wasim.ch). Ce modèle permet une simulation détaillée dans le temps et dans l’espace de tous les cours d’eau hydrologiquement importants. Le calcul du besoin en eau correspond à une simulation de l’irrigation gérée selon les besoins, dans laquelle ceux-ci sont déterminés à partir de la réduction de l’évapotranspiration réelle (ET) par rapport à l’évapotranspiration potentielle (ETP). De plus, le rapport ET/ETP est également calculé à partir de l’humidité moyenne du sol à la profondeur d’enracinement. Comme lors des études antérieures (Fuhrer et Jasper 2009; Fuhrer 2010), une réduction de l’ET réelle de 20 % liée à l’humidité du sol a été fixée comme point de départ de l’irrigation (ET/ETP = 0,80). Le début du stress dû à la sécheresse est déterminé par un seuil de la tension de l’eau du sol spécifique à la végétation. Ce seuil a été fixé de manière homogène à 350 hPa (valeur pF: 2,54) pour tous les modes d’exploitation considérés (Fuhrer et Jasper 2009). La quantité d’eau à apporter se calcule en faisant la différence entre l’humidité du sol pondérée par la profondeur racinaire à la valeur cible (ET/ETP = 1) et la valeur réelle. Contrairement aux études de Fuhrer (2012), les pertes en eau d’irrigation ont été prises en compte en appliquant aux quantités calculées un taux d’efficience d’irrigation de 70 %. Mise en place du modèle Comme pour les études de Fuhrer et Jasper (2009) et de Fuhrer (2010), une première étape a consisté à établir des modèles pour les bassins versants de la Thur, l’Emme, la Broye, le Rhône, le Tessin et le Dischmabach. Pour identifier les surfaces (grandes cultures, herbages et cultures fruitières), on a recouru aux données de la Statistique de la superficie 2004/09 (état: août 2011) et, pour les zones qui n’avaient pas encore été enregistrées,

Résumé

Irrigation et changement climatique: une analyse régionale du déficit en eau | Environnement

Avec le changement climatique, le besoin en eau des cultures agricoles a tendance à augmenter et il est de plus en plus souvent nécessaire d’irriguer. Parallèlement, l’eau se fait de plus en plus rare, car en été, les niveaux d’eau de plusieurs bassins versants du Plateau baissent. Afin d’identifier les régions qui présentent un risque élevé de pénurie en eau, on a calculé, à l’aide d’un modèle hydrologique, le rapport entre le besoin potentiel en irrigation et l’eau disponible (débit des cours d’eau) pour 39 bassins versants de 1981 à 2010. Les résultats montrent que les années extrêmes comme 2003, l’eau est déjà insuffisante dans certaines régions aujourd’hui. Avec le changement climatique, cette situation s’aggravera et conduira de plus en plus à des pénuries, comme l’indiquent les simulations réalisées pour les régions étudiées à partir de deux scénarios climatiques pour la période de 2036 à 2065. Dans les bassins versants de Glatt-Töss, de la Birse ou de Broye-Mentue, la fréquence des années avec pénurie d’eau augmentera considérablement en cas d’un important changement climatique. Dans ces régions, il est indispensable de prendre des mesures pour adapter la gestion de l’eau, de manière à protéger les cours d’eau tout en tenant compte des attentes de l’agriculture.

à la Statistique de la superficie 1992/97 (OFS 2001). Dans cette dernière statistique, les surfaces de terres assolées doivent être déterminées par déduction (Fuhrer et Jasper 2009). C’est pourquoi on parle de «terres assolées potentiellement exploitables», dont la localisation et l’étendue peuvent différer des surfaces effectivement utilisées pour les grandes cultures. Les calculs ont été effectués sous forme de simulations continues journalières, à la résolution de 500 m × 500 m, sans paramètres spécifiques aux différents types de cultures, c’est-à-dire avec des paramètres moyens du développement phénologique des grandes cultures, des herbages et des cultures fruitières. Pour les herbages, on a défini trois coupes par période de croissance, les dates variant selon l’altitude. L’étalonnage et la vérification du modèle ont été effectués sur la base de débits mesurés (Fuhrer et Jasper 2009). Pour la mise à l’échelle des apports d’eau spécifiques aux régions par rapport à la SAU totale, une deuxième étape consiste à appliquer la méthode de régres- 

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Environnement | Irrigation et changement climatique: une analyse régionale du déficit en eau

Tableau 1 | Pourcentage de surface agricole utile (SAU) dans les «hotspots» sélectionnés Thur

Emme

Glatt-Töss

Birse

BroyeMentue

(km2)

1758

939

862

911

755

(%)

57

52

42

42

67

Région Surface totale Pourcentage de SAU Grandes cultures

(ha)

36 100

17 800

18 400

10 500

35 000

Herbages

(ha)

60 300

30 500

16 200

27 000

14 900

Cultures fruitières

(ha)

4200

800

1200

700

700

sion multiple décrite par Fuhrer (2010). Celle-ci prend en compte le fait que le besoin en eau dépend du climat, de la topographie et des propriétés du sol.

(a)

3,5 3,0 2,5 2,0

ETHZ

1,5 1,0 0,5 0,0

SMHI Janv. Fév. Mars Avr. Mai Juin Juil. Août Sept. Oct. Nov. Déc.

1,15

Estimation de l’offre L’eau disponible pour l’irrigation dans les cours d’eau ouverts a été estimée à partir des débits observés (données: http://www.bafu.admin.ch). En outre, on a déterminé le cumul des débits mensuels des stations limnimétriques de chaque région. On a également utilisé, ce qui est nouveau, un débit résiduel prescrit par la loi, qui désigne le débit qui est atteint ou dépassé dans 95 % des cas (Q347; OFEFP 2000). Le calcul de Q347 repose sur une série de valeurs journalières qui s’étend sur 30 ans. Pour la période de projection 2036–2065, les valeurs Q347 ont été déterminées à partir des séries de débits simulées pour les zones les plus exposées («hotspots»). Données et scénarios climatiques Pour le climat de référence, la période 1981–2010 a été choisie, qui représente la période de référence actuelle dans la modélisation climatique (CH2011 2011). Les projections pour la période 2036–2065 sont basées sur le scénario d’émissions A1B (Nakicenovic et Swart 2000). Le

(b) Variation des précipitations (rel.)

4,0

Variation de la radiation globale (rel.)

Variation de la température (°C)

Bassins versants Les bassins versants individuels ont été délimités sur la base de séries de données sur les surfaces: le modèle numérique de terrain RIMINI (swisstopo 2004) a servi à déterminer les zones de drainage de stations limnimétriques sélectionnées. Ces données ont été complétées par les «géodonnées sur la subdivision de la Suisse en bassins versants» (OFEV 2011). Les chiffres ont été collectés à un niveau d’agrégation de 1000 km². Au total, 39 régions ont été délimitées avec des surfaces comprises entre 526 et 1722 km² et un pourcentage de SAU compris entre 6 % et 66 %. Les bassins qui affichaient des besoins élevés par rapport à l’eau disponible dans les conditions climatiques actuelles, présentaient une proportion significative de SAU (42–67 %) et réunissaient les trois catégories d’exploitation (grandes cultures, herbages et cultures fruitières), ont été soumis à des calculs et analyses approfondis («hotspots», zones les plus exposées; tabl. 1). Deux de ces bassins (Emme et Birse) ont été repris intégralement de la cartographie initiale. Les trois autres bassins (Thur, vallée de la Glatt-vallée de la Töss et Broye-Mentue) ont par exemple connu une extension de leur superficie. L’embouchure de la Thur et celle de la

Töss ont également été incluses. Dans le cas de la BroyeMentue, on a également pris en compte la zone où la Broye rejoint les lacs de Morat et de Neuchâtel. Un étalonnage et une vérification spécifiques du modèle ont été effectués pour ces régions. Ensuite, les besoins et la disponibilité en eau ont été calculés pour les conditions climatiques à venir (2036–2065).

1,10 1,05 1,00 0,95 0,90 0,85 0,80

Janv. Fév. Mars Avr. Mai Juin Juil. Août Sept. Oct. Nov. Déc.

1,2

(c)

1,1 1,0 0,9 0,8 0,7 0,6 0,5 Janv. Fév. Mars Avr. Mai Juin Juil. Août Sept. Oct. Nov. Déc.

Figure 1 | Moyennes mensuelles des variations attendues en termes de température (a), de précipitations (b) et de radiation globale (c). Les valeurs représentées sont les moyennes des cinq régions les plus exposées («hotspots») pour la période 2036–2065 sur la base des deux scénarios climatiques EPFZ (bleu) et SMHI (rouge).

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Irrigation et changement climatique: une analyse régionale du déficit en eau | Environnement

Besoins vs. disponibilité en eau (%) <1 1–2 2–5 5–10 10–15 15–25

> 25

Figure 2 | Répartition régionale du rapport entre les besoins en irrigation et l’eau disponible (débit) pour les mois d’été (juin–août) durant la période 1981–2010 (avec numérotation des régions).

projet européen ENSEMBLES (van der Linden et Mitchell 2009) a utilisé plus de 30 combinaisons différentes de modèles, c’est-à-dire des chaînes de modèles composées d’un modèle climatique global (GCM) couplé à un modèle climatique régional (RCM) (http://ensemblesrt3.dmi.dk; Christensen et al. 2010). Les projections climatiques de deux de ces chaînes de modèles ont été utilisées pour servir de limite supérieure et de limite inférieure aux évolutions climatiques possibles: EPFZ-CLM (désigné ci-après par EPFZ) et SMHIRCA-BCM (désigné ci-après par SMHI). Les scénarios étaient disponibles à la résolution de 25 km sous forme d’écart mensuel moyen par rapport à la référence (valeurs Delta) pour la température, les précipitations et la radiation (fig. 1). Dans le scénario EPFZ, les mois d’été sont nettement plus chauds et pauvres en précipitations. Dans le scénario SMHI, les tendances sont similaires, mais nettement moins prononcées. La hausse de température la plus élevée avec EPFZ a été calculée pour le mois de d’août, avec SMHI pour le mois de décembre. La température moyenne saisonnière augmente d’environ 2,6 °C avec EPFZ et d’environ 1,2 °C avec SMHI. En moyenne, dans tous les «hotspots», le recul des précipitations est de 22 % (juin-août). Par rapport à ce chiffre, la baisse des précipitations estivales dans le scénario SMHI est nettement moins marquée (–8 %). Dans le scénario SMHI, les variations saisonnières sont plus importantes en dehors de la période estivale. Sur l’ensemble de l’année, le scénario SMHI prévoit une légère hausse des précipitations (+4 %), tandis que le scénario EPFZ table sur une baisse moyenne de 8 %. Pour l’évapo-

ration, il faut non seulement tenir compte de la température, mais aussi de l’augmentation de la radiation pendant les mois d’été, avec un maximum de 10 % en juillet (EPFZ).

Résultats Besoins et disponibilité en eau – période de référence En moyenne sur les années 1981–2010, les besoins potentiels pendant la période estivale critique de juin à août, représentent moins de 1 % et au maximum 16 % de l’eau disponible dans la plupart des bassins versants (BroyeMentue). Les régions où les valeurs dépassent 1 % apparaissent nettement sur la figure 2. En 2003, qui a été une année extrême, la situation était différente; des valeurs de plus de 100 % ont été atteintes dans plusieurs régions (fig. 3). A partir du classement établi en 2003, les régions où le risque de pénurie d’eau est particulièrement élevé sont faciles à identifier. La figure 4 indique la localisation des régions avec des valeurs élevées. Les régions où les besoins potentiels représentent entre 30 et 60 % de l’eau disponible sont notamment la région de Glatt-Töss, les zones d’affluence des lacs de Neuchâtel et de Bienne (Orbe-Areuse-SeyonSuze) et la région du Doubs. La comparaison entre les besoins et la disponibilité en eau suppose toutefois que chaque surface agricole puisse être irriguée par l’eau des fleuves, ce qui n’est quasiment pas envisageable en pratique (longs trajets de transport, etc.), et que l’on  n’utilise pas l’eau de la nappe phréatique.

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Environnement | Irrigation et changement climatique: une analyse régionale du déficit en eau

800 700

Besoins/disponibilité en eau (%)

600 500 400 300 200 100 0 31 37 20 39 32 34 19 18 30 22 29 10 33 36 11 25 13 21 3 35 38 14 1 28 17 8 7 24 16 27 15 12 2 4 5 9 23 26 6 Région Figure 3 | Classement du rapport entre les besoins et la disponibilité en eau dans les différents bassins versants durant l’année de sécheresse 2003. Carte: localisation des bassins versants délimités et stations limnimétriques correspondantes (cercles).

Besoins et disponibilité en eau – 2050 Pour cette analyse de déficit, il faut savoir que l’occurrence d’une situation de crise dans les années extrêmes ne dépend pas uniquement de la hausse de l’évaporation, mais aussi beaucoup du régime d’écoulement. Comme certains mois l’eau disponible (= débit) chute à 0, on a considéré ici la différence entre l’eau disponible et les besoins en eau (= déficit). Si cette différence devient

négative, cela signifie que compte tenu de Q347, les besoins en irrigation ne peuvent plus être couverts par des prélèvements dans les cours d’eau. Dans la majorité des 30 années considérées (valeur médiane), ce n’est le cas dans aucune région, ni dans les scénarios de simulation SMHI (fig. 5). Certaines années critiques apparaissent pendant la période de référence dans les régions de la Birse et de Broye-Mentue et reflètent la situation

Besoins vs. disponibilité en eau (%) <1 1–2 2–5 5–10 10–15 15–25

> 25

Figure 4 | Répartition régionale du rapport entre les besoins en irrigation et l’eau ­ isponible (débit) en été (juin–août) de l’année 2003 (avec numérotation des régions). d

260

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Irrigation et changement climatique: une analyse régionale du déficit en eau | Environnement

Eau disponible-besoins en eau (millions de m 3)

600 Référence, 1981 – 2010

500

SMHI, 2036 – 2065 400

EPFZ, 2036 – 2065

300 200 100 0 -100 -200 Thur

Emme

Glatt-Töss

Birse

BroyeMentue

Figure 5 | Différence entre l’eau disponible et les besoins en eau dans les «hotspots» pour la période de référence, dans l’hypothèse du scénario modéré (SMHI) et du scénario extrême (EPFZ). Sont représentés les médianes, les quantiles 25/75-% (box), les quantiles 5/95-% (whiskers) et les valeurs extrêmes (points). Les valeurs situées sur le fond coloré indiquent une pénurie en eau.

de 2003. Avec le scénario «extrême» (EPFZ), le nombre de dépassements augmente nettement, surtout dans les deux régions mentionnées plus haut. Si l’on considère la fréquence (%) des années lors desquelles la différence est négative, cela permet de quantifier le risque régional de pénurie en eau. Dans le scénario EPFZ, ce risque s’accroît considérablement, p. ex. d’env. 7 % à 83 % dans la région de la Birse. Dans le scénario SMHI, il n’y a pas - ou peu – d’augmentation.

Discussion Au total, le besoin en eau pour l’irrigation dans l’agriculture suisse est modeste. Les estimations sont de 144 millions de m3 par an (Weber et Schild 2007) respectivement 150 millions de m3 (Fuhrer 2010). A titre de comparaison: en 2012, la quantité totale d’eau fournie par les réseaux publics était de 935 millions de m3 (http://www.svgw.ch) tandis que le débit total du pays s’élève en moyenne à 53 km3 par an (Blanc et Schädler 2013). Malgré cette offre apparemment excédentaire en eau, il se produit

périodiquement des pénuries au niveau régional, qui vont de pair avec des interdictions de prélèvement limitées dans le temps. Ces situations pourraient se multiplier avec le changement climatique. L‘étude présentée ici a essayé, à l’aide d’une analyse de déficit, d’identifier les régions particulièrement touchées. Pour ce faire, on a comparé les besoins potentiels en irrigation à la disponibilité en eau utilisable. Pour une question d’accès aux données, on a simplifié et considéré que l’eau disponible correspondait au débit d’eau des cours d’eau (sans prise en compte des lacs ou des réservoirs d’eau souterraine). On n’a pas non plus pris en compte de restriction dans l’accès aux sources. Compte tenu du débit résiduel (Q347), la quantité d’eau utilisable est inférieure aux données de Fuhrer (2012). Quant aux besoins, ils sont supérieurs du fait d’un taux d’efficacité de l’irrigation de 70 % seulement. L’évaluation des simulations montre que les années de sécheresse, telles que 2003, les régions comme BroyeMentue, Glatt-Töss et Birse pourraient avoir des difficultés à répondre aux besoins en eau de l’agriculture. Avec 

Tableau 2 | Fréquence (%) des années lors desquelles le besoin en eau est régionalement supérieur à l’eau disponible sur les 30 ans considérés Scénario

Thur

Emme

Glatt-Töss

Birse

Broye-Mentue 26,7

Référence (1981–2010)

3,3

3,3

6,7

6,7

SMHI (2036–2065)

3,3

10

6,7

33,3

26,7

EPFZ (2036–2065)

10

36,7

53,3

83,3

83,3

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Environnement | Irrigation et changement climatique: une analyse régionale du déficit en eau

le changement climatique, le risque de connaître de telles situations augmente et concerne également d’autres régions où l’exploitation agricole est intensive. Les scénarios climatiques indiquent un déficit moyen des précipitations en été, qui, en cas d’augmentation de l’évaporation potentielle, se traduirait par une augmentation des besoins en irrigation supplémentaire, malgré une baisse simultanée du débit des cours d’eau. Dans les cas extrêmes (scénario EPFZ), la pénurie en eau se produira dans 10 % (Thur) jusqu’à 80 % des années (Birse, Broye-Mentue) d’ici le milieu du siècle. Les régions les plus touchées par la chute du débit des cours d’eau en été sont les régions ayant un régime d’écoulement jurassien ou un régime d’écoulement type Plateau (OFEV 2012; Blanc et Schädler 2013). Rappelons qu’il s’agit-là d’estimations d’un besoin potentiel en irrigation. Des estimations plus précises du besoin réel en irrigation impliqueraient l’utilisation de données spécifiques aux cultures et devraient se limiter aux cultures méritant d’être irriguées. En outre, il existe des incertitudes quant aux données sur les propriétés du sol utilisées dans l’ensemble de la Suisse et également quant aux scénarios climatiques. La distribution des précipitations n’a pas non plus été prise en compte, notamment la hausse indiquée par les scénarios de la durée des phases de sécheresse (jours consécutifs sans précipita-

Bibliographie ▪▪ Blanc P. & Schädler B., 2013. L’eau en Suisse – un aperçu. Commission d’hydrologie suisse, Berne. 28 p. ▪▪ CH2011, 2011. Swiss Climate Change Scenarios CH2011. Editeur: C2SM, MeteoSwiss, ETH, NCCR Climate, et OcCC, Zurich. 88 p. Accès: http:// www.bafu.admin.ch/publikationen/publikation/00402/index. html?lang=de [03.03.14]. ▪▪ Fuhrer J. & Jasper K., 2009. Bewässerungsbedürftigkeit von Acker- und Grasland im heutigen Klima. AgrarForschung 16, 396–401. ▪▪ Fuhrer J., 2010. Estimation des besoins en irrigation pour l’agriculture suisse. Station de recherche Agroscope Reckenholz-Tänikon ART, 26 p. ­A ccès: http://www.agroscope.admin.ch/publikationen/einzelpublikation/ index.html?lang=de&aid=26436&pid=26884&vmode=fancy [03.03.14]. ▪▪ Fuhrer J. 2012. Besoins en eau d'irrigation et ressources disponibles dans les conditions climatiques actuelles et futures. Station de recherche Agroscope Reckenholz-Tänikon ART, 46 p. Accès: http://www.agroscope. admin.ch/publikationen/einzelpublikation/index.html?lang=en&aid=296 99&pid=29493 [03.03.14]. ▪▪ Fuhrer J., Tendall D., Klein T., Lehmann N. & Holzkämper A., 2013. Water demand in Swiss Agriculture – Sustainable Adaptive Options for Land and Water Management to Mitigate Impacts of Climate Change. ARTSchriftenreihe 19, 56 p. ▪▪ Nakicenovic N. & Swart R., 2000. IPCC Special Report on Emission Scenarios, Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge University Press, Cambridge, UK. 570 p. ▪▪ Nash J.E. & Sutcliffe J.V., 1970. River flow forecasting through conceptual models. Part I. A discussion of principles. Journal of Hydrology 10, 282–290.

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tions significatives) en été et finalement la possibilité que les plantes exploitent plus efficacement l’eau avec la hausse de la concentration en CO2. Les résultats ne doivent donc pas être considérés comme des valeurs absolues, mais plutôt servir de base pour une considération des risques différenciée au niveau régional.

Conclusions En dépit des limites méthodologiques, les résultats ont permis d’acquérir de nouvelles connaissances, qui pourront être utiles à la discussion des mesures possibles dans le domaine de la gestion de l’eau et surtout des exigences de l’agriculture. Pour éviter les situations de conflits et pour préserver les cours d’eau, il est urgent de prendre des mesures préventives dans les régions à risques. Parmi ces mesures, on compte l’adaptation du mode d’exploitation (notamment sélection des cultures, des variétés et du site, travail du sol, etc.) (Fuhrer et al. 2013) ou de l’infrastructure (conduites d’alimentation) en irrigant davantage avec de l’eau puisée dans les grands réservoirs (lacs, grands fleuves). n

Remerciements

Les modèles de calcul ont été réalisés avec l’appui de Karsten Jasper et le soutien financier de l’Office fédéral de l’agriculture.

▪▪ OFEFP, 2000. Débits résiduels convenables – Comment peuvent-ils être déterminés? Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage, Berne. 139 p. ▪▪ OFEV, 2011. EZGG-CH – Géodonnées sur la subdivision de la Suisse en bassins versants. Documentation du produit. Office fédéral de l‘environnement, Berne. 27 p. ▪▪ OFEV, 2012. Impacts des changements climatiques sur les eaux et les ressources en eau. Rapport de synthèse du projet «Changement climatique et hydrologie en Suisse» (CCHydro). Connaissance de l’environnement no. 1217. Office fédéral de l‘environnement, Berne. 76 p. ▪▪ OFS, 2001. Utilisation du sol: hier et aujourd‘hui: Statistique suisse de la superficie. Office fédéral de la statistique, Neuchâtel. 32 p. Accès: http:// www.bfs.admin.ch/bfs/portal/de/index/news/publikationen. html?publicationID=796 [03.03.14]. ▪▪ OFS, 2012. Recensement des exploitations agricoles 2010 – Enquête complémentaire. Communiqué de presse. Office fédéral de la statistique, Neuchâtel. Accès: http://www.news.admin.ch/message/index. html?lang=de&msg-id=44014 [03.03.13]. ▪▪ Swisstopo, 2004. RIMINI – Das preisgünstige digitale Höhenmodell der ganzen Schweiz. Office fédéral de topographie, Wabern. ▪▪ van der Linden P. & Mitchell J. F. B. (eds.), 2009. ENSEMBLES: Climate Change and its Impacts: Summary of research and results from the ENSEMBLES project. Met Office Hadley Centre, FitzRoy Road, Exeter EX1 3PB, UK. 160 p. ▪▪ Weber M. & Schild A., 2007. Etat de l’irrigation en Suisse. Bilan de l’enquête 2006. Office fédéral de l‘agriculture, Berne. p. 17 ss.


Esigenza d’irrigazione e disponibilità di risorse idriche in presenza di cambiamenti climatici: un'analisi dei deficit a livello regionale Con i cambiamenti climatici, il fabbisogno idrico delle colture tenderà ad aumentare, accrescendo l’esigenza d’irrigazione. Allo stesso tempo la disponibilità di risorse idriche diminuirà, poiché in estate il livello d'acqua in molti bacini idrografici dell'altopiano è destinato a calare. Al fine di identificare le regioni a maggior rischio di penuria d'acqua, è stato calcolato con l'aiuto di un modello idrologico il rapporto fra il fabbisogno irriguo potenziale e la disponibilità di risorse (deflusso regionale) per 39 bacini idrografici, nel periodo compreso fra il 1981 e il 2010. I risultati rivelano che in anni estremi come il 2003 le risorse idriche di alcune regioni sono già oggi insufficienti. Il cambiamento climatico non farà che aggravare questa situazione, riducendo ulteriormente la disponibilità d'acqua, come mostrano simulazioni effettuate sulla base di due scenari climatici validi per il periodo 2036–2065. Nei bacini idrografici dei fiumi Glatt-Töss, Birs o Broye-Mentue la frequenza di anni caratterizzati da penuria d'acqua aumenterà notevolmente in presenza di un cambiamento climatico marcato. In queste regioni è pertanto necessario adottare misure volte a un utilizzo oculato delle risorse idriche, al fine di tutelare i corsi d’acqua e soddisfare le esigenze dell'agricoltura.

Summary

Riassunto

Irrigation et changement climatique: une analyse régionale du déficit en eau | Environnement

Irrigation requirement and available water supply under changing climatic conditions: a regional deficit analysis As the climate changes, the water requirement of agricultural crops tends to increase. This leads to a higher irrigation requirement. At the same time, water availability falls, since water levels in many catchment areas of the Swiss Central Plateau decline in the summer. In order to identify areas with an increased risk of water shortage, a hydrological model was used to calculate the ratio of the potential irrigation requirement to the available supply (regional outflow) for 39 catchment areas during the period 1981–2010. The results show that in years with extreme climatic events such as 2003, the available supply in individual regions is already insufficient. Climate change causes this situation to intensify, leading in many cases to water shortages, as shown by modelling for selected areas based on two climate scenarios for the period 2036–2065. In the catchment areas of Glatt-Töss, Birs and Broye-Mentue, the frequency of water-shortage years rises many times in the event of dramatic climate change. In these areas, there is a demand for measures for appropriate water management which take account of the protection of waters as well as the demands of agriculture. Key words: agriculture, climate change, irrigation, water availability.

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P o r t r a i t

Sokrat Sinaj, agronome sans frontières Chaque ingénieur agronome a un parcours unique… Celui de Sokrat Sinaj, responsable du projet «nutrition des plantes» d’Agroscope depuis 2007, devenu une référence internationale dans son domaine, est atypique à plus d’un titre. Né dans l’Albanie communiste des années 50, fils d’ingénieur agronome, le choix de cette discipline lui a été dicté par son intérêt personnel, mais aussi par l’espoir de pouvoir sortir de ce pays fermé. Mais encore fallait-il figurer parmi les meilleurs! Un défi à la mesure de Sokrat Sinaj, porté dès son enfance par la fierté de ses parents et qui a toujours visé haut. Sokrat Sinaj a grandi dans un village du sud de l’Albanie, au contact de la nature. Son père était chef d’une coopérative agricole étatique de type kolkhoze. «C’est tout naturellement que j’ai voulu faire les mêmes études que lui. Je voyais l’agronomie comme une solution pour nourrir le monde, mais aussi comme une science qui survolait les frontières et n’était pas mêlée à la politique. Pendant mon adolescence, on pouvait capter la TV italienne et comprendre qu’ailleurs, les jeunes voyageaient, alors que chez nous sortir du pays était interdit. Dans les familles bien placées, on étudiait le droit, la médecine ou l’économie pour gravir les échelons de la société; mais en fait c’est l’agronomie, considérée comme la science du peuple, qui m’a permis d’obtenir une bourse pour la France». Pourquoi la France? Parce que Enver Hoxha, le dictateur de l’époque, avait lui-même étudié en France... et décidé que chaque année, une poignée d’Albanais (une trentaine, toutes sciences confondues), pourraient y poursuivre leurs études. En 1988, le jeune agronome quitte ainsi un poste de collaborateur scientifique à l’Institut d’étude des sols de Tirana et s’envole pour la France. Il apprend le français sur le tas et obtient son Master en sciences agronomiques à l’Ecole nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires de Nancy. S’ensuit un doctorat en sciences agronomiques en 1993, toujours à Nancy, à l’Institut national polytechnique de Lorraine. En 1994, son superviseur de thèse, Emmanuel Frossard, obtient un poste de professeur à l’ETHZ et lui demande de faire partie de son équipe. Les deux hommes travailleront ensemble douze ans au Département d’agronomie et des sciences alimentaires, Sokrat Sinaj dirigeant une équipe de recherche et occupant le poste de «senior scientist» pour la Chaire de nutrition des végétaux. Durant ses dernières années à l’ETHZ, le chercheur partage son temps entre la Suisse et l’Albanie, où il a été

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nommé par le Parlement albanais à la tête du Comité pour la restitution et la compensation de la propriété rurale. Son temps à l’ETHZ arrivant à son terme, Sokrat Sinaj et sa famille désirent s’installer en Suisse romande, en terre francophone. Un poste de collaborateur scientifique s’ouvre à Agroscope – un nouvel emploi qui lui apporte de grandes satisfactions: la possibilité de former la relève, ce qui lui tient à cœur, et l’assurance de faire avancer les connaissances dans son domaine. Un de ses projets de recherche – utiliser les cendres de bois comme nouvelle source d’éléments fertilisants pour l’agriculture – offre des perspectives très prometteuses et fait l’objet d’un article dans ce numéro (lire en p 232). Le parcours professionnel de Sokrat Sinaj est riche et long, et cette présentation n’en dévoile que quelques facettes. Retenons sa philosophie de vie, la fierté et l’ambition reçues de son père aujourd’hui reportées sur ses deux fils adultes, une quête permanente de l’excellence. «Si la Suisse nous a permis de venir, alors nous devons nous investir encore plus, exceller davantage que les autres. Sinon, pourquoi aurait-elle besoin de nous?» conclut-il. Sibylle Willi, Recherche Agronomique Suisse


A c t u a l i t é s

Nouvelles publications

Synthese NutriScope 2011 – 2013

Agroscope Science Nr. 1 | März 2014

Synthese NutriScope 2011 – 2013 Technisch-wissenschaftliche Informationen Autoren Pascale Mühlemann Ueli Bütikofer

Agroscope Science N° 1 / mars 2014 (disponible uniquement en allemand) Au cours des années 2011–2013, les travaux du programme de recherche NutriScope ont porté essentiellement sur le lait et les produits laitiers, la viande et les produits carnés, de même que les denrées alimentaires d’origine végétale. La nutrigénomique, la nutrigénétique et la nutriépigénétique ainsi que la sécurité alimentaire, la qualité des aliments, le sel, l’analyse sensorielle, la recherche sur la consommation et les écobilans des denrées alimentaires représentaient d’autres domaines de recherche. La deuxième synthèse présentée ici résume les ­travaux effectués au cours des années 2011-2013 dans le cadre du programme de recherche d’Agroscope NutriScope dans le domaine de l’alimentation (www. nutriscope.ch). Une première synthèse a été publiée en mars 2011 sur les travaux réalisés entre 2008-2010 dans le cadre de NutriScope. Les principaux résultats des travaux réalisés et publiés dans le cadre de NutriScope entre 2011 et 2013 dans le domaine de l’alimentation sont résumés ciaprès. Pascale Mühlemann et Ueli Bütikofer, Agroscope Agroscope Science paraît seulement sous forme électronique. La publication peut être téléchargée dans le format PDF sur www.agroscope.ch > Publications

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Actualités

Communiqués de presse

www.agroscope.admin.ch/medienmitteilungen www.agroscope.admin.ch/communiques 29.04.2014 Légère baisse des gaz à effet de serre émis par l’agriculture suisse L’agriculture est une importante source de gaz à effet de serre en Suisse. Les émissions de méthane issues de la détention des animaux de rente et du stockage des engrais de ferme pèsent particulièrement lourd dans la balance. Le protoxyde d’azote issu des engrais participe lui aussi largement aux émissions qui ont un impact sur le climat. En 2012, l’agriculture a émis environ 9 % de gaz à effet de serre en moins par rapport à 1990.

25.04.2014 Mais où est passée la sclérotiniose du colza? La sclérotiniose du colza, une maladie due au champignon Sclerotinia sclerotiorum, a causé durant des années des pertes de récolte très importantes en Suisse. Toutefois, le suivi effectué par Agroscope montre que, depuis presque 20 ans, cette maladie a disparu du territoire

AGRAR FORSCHUNG SCHWEIZ RECHERCHE AGRONOMIQUE SUISSE Recherche Agronomique Suisse/ Agrarforschung Schweiz est une publication des stations de recherche agronomique Agroscope et de leurs partenaires. Les partenaires sont l’Office fédéral de l’agriculture OFAG, la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires HAFL, AGRIDEA Lausanne & Lindau, l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich ETH Zürich, Département des Sciences des Systèmes de l’Environnement et l'institut de recherche de l'agriculture biologique FiBL. Agroscope est l’éditeur. Cette publication paraît en allemand et en français. Elle s’adresse aux scientifiques, spécialistes de la recherche et de l’industrie, enseignants, organisations de conseil et de vulgarisation, offices cantonaux et fédéraux, praticiens, politiciens et autres personnes intéressées.

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national. Selon les récentes analyses effectuées par Agroscope, ce phénomène est sans doute lié aux modifications du climat.

15.04.2014 Essai de modélisation sur la biodiversité dans le sol: grande importance des petits organismes Une poignée de sol arable contient des milliards de bactéries, plusieurs centaines de filaments mycéliens et une multitude d‘acariens, de nématodes, de vers de terre et d‘arthropodes. Agroscope et l’Université de Zurich ont étudié leur influence sur différentes fonctions écosystémiques à l’aide de modèles d’écosystèmes contrôlés. Les résultats publiés dans le magazine scientifique, «Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA» montrent que la quantité et la diversité des organismes du sol ont un impact sur des fonctions essentielles des écosystèmes.

Informations actuelles de la recherche pour le conseil et la pratique : Recherche Agronomique Suisse paraît 10 fois par année et informe sur les avancées en production végétale, production animale, économie agraire, techniques agricoles, denrées alimentaires, environnement et société. Recherche Agronomique Suisse est également disponible on-line sous www.rechercheagronomiquesuisse.ch Commandez un numéro gratuit! Nom / Société Prénom Rue/N° Code postal / Ville Profession E-Mail Date Signature Talon réponse à envoyer à : Rédaction Recherche Agronomique Suisse, Agroscope Liebefeld-Posieux ALP-Haras, Case postale 64, 1725 Posieux, Tél. +41 26 407 72 21, Fax +41 26 407 73 00, e-mail: info@rechercheagronomiquesuisse.ch www.rechercheagronomiquesuisse.ch

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Actualités

Liens internet

Manifestations

La Wheat Initiative

Juin 2014

www.wheatinitiative.org Cette plateforme est une source d’information au sujet de la Wheat Initiative et un forum pour la communauté internationale des scientifiques actifs dans la recherche sur le blé. Le site permet d’accéder à des banques de données sur le blé, à des forums de discussion et aux dernières publications sur le sujet.

27.6.2014 Journée nationale à l’occasion de l’Année internationale de l’agriculture familiale SAB, Groupement suisse pour les régions de montagne Institut agricole de Grangeneuve, Posieux (FR) Juillet 2014 06. – 10.07.2014 AgEng 2014 Zurich International Conference of Agricultural Engineering Agroscope, ETH Zürich Zurich

V Doa rnssc hl ea up r o c h a i n n u m é r o

Août 2014

Juillet–Août 2014 / Numéro 7–8

09.08.2014 Geschmackserlebnis Kartoffelvielfalt in Marani ProSpecieRara et Agroscope (IPV, IDU) Schaugarten Maran, Arosa/GR

Depuis plus de 200 ans, le trèfle violet (Trifolium pratense L.) joue un rôle important dans nos prairies. Depuis, l’éventail des variétés proposées s’est considérablement élargi. De 2011 à 2013, Agroscope a conduit des essais variétaux avec 30 nouvelles obtentions et 24 variétés de trèfle violet déjà recommandées, et constaté de nets ­progrès dans la sélection. (Photo: ­Gabriela Brändle, Agroscope).

••Examen variétal du trèfle violet: les progrès sont nets, Daniel Suter et al., Agroscope ••Suppression des adventices par les couverts végétaux: différents facteurs analysés, Frédéric Tschuy et al., Agroscope ••Traitements à la streptomycine dans les vergers de pommiers et résistances, Fiona Walsh et al., National University of Ireland, Agroscope, Zürcher Hochschule für Angewandte Wissenschaften ZAHW et Argonne National Laboratory, USA

14.08.2014 Ostschweizer AGFF-Tagung 2014 Agroscope INH, AGFF, Landw. Zentrum SG, Profi-Lait Moorhof, 9464 Rüthi SG 28.08.2014 AGFF-Waldhoftagung INT, INH, AGFF, Inforama, HAFL, Profi-Lait Inforama Langenthal 30.  – 31.08.2014 Journées portes ouvertes: Toucher la recherche Agroscope Conthey re 20 Septembre 2014 11.09.2014 37. Informationstagung Agrarökonomie Agroscope Agroscope INH, 8365 Ettenhausen

••Essais variétaux et culturaux sur du pavot d’hiver, Jürg Hiltbrunner et al., Agroscope ••Râtelier pour chevaux avec dispositif temporisé d’accès au foin, Sabrina Briefer et al., Agroscope, Haras national Suisse ••La préservation de la diversité génétique des animaux de rente en Suisse, Maurice Tschopp et al., OFAG

Informationen: Informations: www.agroscope.admin.ch/veranstaltungen www.agroscope.admin.ch/manifestations

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Samstag, 9. August 2014

Geschmackserlebnis Kartoffelvielfalt in Maran Schaugarten Maran / Golf- & Sporthotel Hof Maran / Institut für Nachhaltigkeitswissenschaften INH

Auf 1800 m ü.M. gedeihen im Schaugarten Maran oberhalb Arosa mehr als 150 Kartoffelsorten. Auf Führungen von Fachexperten von Agroscope und ProSpecieRara erfahren Sie mehr zu den Raritäten der Kartoffelsammlung und des Alpengartens. Programm Degustation verschiedener Kartoffelsorten-Chips (ab 11.30 h) Führungen durch Kartoffel- und Alpengarten (11.30−15.30 h) Sensorik-Workshops Kartoffeln (14−15 Uhr & 15.30−16.30 h) 5-gängiges Diner mit seltenen Kartoffelsorten (ab 17.30 h) Anmeldeschluss: 5. 8. 2014 (nur für Workshops und Diner nötig)

Detailprogramm und Anmeldung www.prospecierara.ch > News & mehr > Veranstaltungen Veranstalter: ProSpecieRara und Agroscope Auskunft Theo Ballmer, theodor.ballmer@agroscope.admin.ch Philipp Holzherr, philipp.holzherr@prospecierara.ch Kosten Führungen: gratis, Workshop: Fr. 40.−, Diner: Fr. 65.–

Union suisse des paysannes et des femmes rurales |Slow Food CH |Agroscope |Alimentarium |Haute école spécialisée bernoise; Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires |HES-SO Valais |Grangeneuve |Société suisse pour l’hygiène des denrées alimentaires SSHDA |Association Suisse des Diététicien-ne-s diplômé-e-es ES/HES |Association suisse des ingénieurs agronomes et des ingénieurs en technologie alimentaire ASIAT |Strickhof – Vom Feld aufs Teller |Swiss Food Research |World Food System Center |Zürcher Hochschule für angewandte Wissenschaften ZHAW |Emmentaler Switzerland |Fromarte |Proviande |Union suisse des paysans | Association suisse des AOP-IGP |Switzerland Cheese Marketing AG |Office fédéral de l’agriculture OFAG |Unité fédérale pour la filière alimentaire UFAL


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