AF N°382

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N o 3 8 2 - A F R I Q U E

MAGAZINE - JUILLET 2018

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS

Le Cameroun face aux défis Un dossier spécial de 16 pages

Star SERGE BEYNAUD

Les confessions du nouveau patron du coupé-décalé

Maroc LA RÉVOLUTION VERTE PREND SON TEMPS

Business LES TECHNOLOGIES PEUVENT-ELLES SAUVER L’AFRIQUE ? Avec des interviews exclusives de Maurice Lévy et de Bertin Nahum

Bienvenue en Tunisie ! Les touristes reviennent après des années de méfiance. Enquête.

www.afriquemagazine.com

CÔTE D’IVOIRE

LES GRANDES MANŒUVRES L’élection présidentielle est prévue pour octobre 2020. Dans deux ans… Mais le monde politique est déjà en mode action. Récit.

Le président Alassane Dramane Ouattara.

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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N° 382 - JUILLET 2018

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ÉDITO par Zyad Limam

PRÉSIDENCES

À HAUT RISQUE

C

e n’est pas toujours facile d’être chef d’État en Afrique de l’Ouest. Outre les vicissitudes d’un métier particulièrement complexe, il faut faire avec des processus électoraux vivaces et l’exigence des citoyens électeurs. Les réflexes identitaires, ethniques, certes toujours prégnants, ne sont plus entièrement décisifs. Les opinions se sont émancipées du poids tutélaire, traditionnel du chef. Ce qui compte dorénavant pour les électeurs, c’est la limitation des mandats, l’alternance, le renouvellement et, enfin, des avancées concrètes en termes de développement et de gouvernance. Résultat, le « dégagisme » des sortants est devenu un phénomène politique structurant de la région. Le vieil adage politique africain selon lequel un président sortant – ou son candidat adoubé – ne peut être battu ne tient plus. La défaite est devenue une option, une probabilité. Depuis une décennie, tous les pays d’Afrique de l’Ouest ont ainsi connu l’alternance, à l’exception notable du Togo. Aux origines chronologiques de ce processus, l’arrivée au pouvoir en Guinée d’un opposant historique, Alpha Condé (2008), pour prendre la suite d’une longue lignée de militaires. En 2010, Alassane Ouattara s’imposait face au puissant Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire. On peut revenir à la défaite retentissante d’Abdoulaye Wade face à Macky Sall (25 mars 2012). On peut évoquer la chute de Blaise Compaoré (31 octobre 2014), tenté par un nouveau mandat, démissionné par la rue, malgré une approche légaliste. On peut citer aussi la défaite de Goodluck Jonathan (28 mars 2015) face à Muhammadu Buhari au Nigeria. En 2016, alternance au Ghana avec la victoire de Nana Akufo-Addo. Défaite lourde de symbole aussi pour Lionel Zinsou, candidat du chef de l’État Thomas Boni Yayi (et de la France), face à Patrice Talon au Bénin (mars 2016). Début 2017, Yahya Jammeh, à la tête de la Gambie depuis vingt-deux ans, est balayé AFRIQUE MAGAZINE

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par Adama Barrow, quasi inconnu jusque-là. Récemment, le 26 décembre 2017, au Liberia, Joseph Boakai, héritier apparent d’Ellen Johnson Sirleaf, était battu par George Weah. Et le 31 mars 2018, l’opposant Julius Maada Bio était élu face au candidat du pouvoir en Sierra Leone… La plupart des défaites électorales se sont jouées au second tour, mécanisme favorisant une « alliance des contres ». Celle-ci s’incarne souvent dans un candidat qui n’est pas forcément enthousiasmant. Mais c’est lui qui a le bon timing, il est « the right man at the right time ». À charge pour ce valeureux vainqueur de se construire par la suite une véritable légitimité populaire et de mener un programme qui dépasse les alliances de circonstances, ce qui n’est pas toujours évident. Le sortant battu pourrait être tenté de résister (cf. le cas Jammeh). Mais les temps ont changé, particulièrement en Afrique de l’Ouest. Les résultats des votes sont acceptés, même quand les scores sont serrés (cf. Ghana). Dans la plupart des pays, une vraie culture politique émerge, soutenue par des sociétés civiles et militantes dynamiques, des médias actifs. Le débat est réel. La démocratie s’installe progressivement dans la vie quotidienne, malgré les à-coups toujours possibles. Le peuple existe, comme le montre aussi l’échec fréquent des tentatives de révisions constitutionnelles destinées à faciliter la vie des gouvernants. In fine, personne ne peut réellement tricher avec les urnes. Il vaut mieux une défaite honorable qu’une sortie ignominieuse. Évidemment, le « dégageur » d’hier devient au terme de son mandat le sortant soumis au vote. Prochaine étape importante du cycle démocratique en Afrique de l’Ouest : l’élection présidentielle au Mali, prévue le 29 juillet 2018. Ibrahim Boubacar Keïta, élu le 15 août 2013 (après deux tentatives en 2002 et 2007), se représente. Il fait face à une candidature forte, un rassemblement des oppositions, incarné par Soumaïla Cissé. Et personne ne peut prédire réellement le verdict électoral dans ce pays fragilisé par une longue crise politique, économique et sécuritaire. ■ 3


p. 62

SOMMAIRE

p. 48

JUILLET n°382

ÉDITO Présidences à haut risque par Zyad Limam

ON EN PARLE ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

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par Catherine Faye

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MAROC

La révolution verte prend son temps

Soleil à La Marsa, près de Tunis.

CÔTE D’IVOIRE PRÉSIDENTIELLE 2020 : les grandes

Musique : Moha La Squale, du rap neuf made in France !

par Sophie Rosemont

manœuvres ont commencé

BUSINESS LES TECHNOLOGIES PEUVENT-ELLES SAUVER L’AFRIQUE ? Avec une interview exclusive de Maurice Lévy LE CAMEROUN FACE AUX DÉFIS Un dossier spécial de 16 pages

N° 382 - JUILLET 2018

M 01934 - 382 - F: 4,90 E - RD

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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12 Agenda : Le meilleur de la culture 14 Événement : Le Marrakech du Rire, pour l’amour de l’humour ! par Fouzia Marouf

AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS

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Le Cameroun face aux défis Un dossier spécial de 16 pages

Star

C’EST COMMENT ? Macho toujours par Emmanuelle Pontié

SERGE BEYNAUD

Les confessions du nouveau patron du coupé-décalé

18

Maroc LA RÉVOLUTION VERTE PREND SON TEMPS

Business LES TECHNOLOGIES PEUVENT-ELLES SAUVER L’AFRIQUE ? Avec des interviews exclusives de Maurice Lévy et de Bertin Nahum

Bienvenue en Tunisie !

30 CE QUE J’AI APPRIS Fatoumata Diawara par Astrid Krivian

Les touristes reviennent après des années de méfiance. Enquête.

CÔTE D’IVOIRE

LES GRANDES MANŒUVRES L’élection présidentielle est prévue pour octobre 2020. Dans deux ans… Mais le monde politique est déjà en mode action. Récit.

Le président Alassane Dramane Ouattara.

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

N° 382 - JUILLET 2018

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PHOTOS DE COUVERTURE : MAGHREB : DASHA PETRENKO/ SHUTTERSTOCK AFRIQUE SUBSAHARIENNE : ISSOUF SANOGO/AFP

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PARCOURS Hisham Oumlil par Fouzia Marouf

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La révolution digitale peut-elle sauver l’Afrique ? par Cédric Gouverneur et Zyad Limam

par Jean-Marie Chazeau

Les touristes reviennent après des années de méfiance. Le pays a du charme et du caractère. Mais est-il vraiment prêt à accueillir le plus grand nombre ?

Tourisme : Bienvenue en Tunisie ! par Frida Dahmani

8

Écrans : les jeux de l’amour et du hasard

Côte d’Ivoire, les grandes manœuvres par Zyad Limam

32 40

BIENVENUE EN TUNISIE !

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

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6 Livres : Boualem Sansal, métamorphoses du réel

AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE S MOIS

TEMPS FORTS

Bertin Nahum : « Dans l’innovation, il n’y a pas de demi-mesure » par Catherine Faye

54

Le Plan Maroc vert : le bonheur sera dans les champs… ! par Julie Chaudier

84

Serge Beynaud, le nouveau patron du coupé-décalé ? par Astrid Chacha

90

Femi Kuti : « Je veux vivre ma vie ! » par Astrid Krivian

LE DOCUMENT Noire n’est pas mon métier présenté par Victor Masson

106 VINGT QUESTIONS À... Hervé Samb par Astrid Krivian

p. 84

FRÉDÉRIC STUCIN - SYLVAIN THOMAS/REA - ANANI KOBENAN

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AFRIQUE MAGAZINE

FONDÉ EN 1983 (34e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION

zlimam@afriquemagazine.com

Assisté de Nadia Malouli nmalouli@afriquemagazine.com RÉDACTION

Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION

p. 54

epontie@afriquemagazine.com

Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com

Éléonore Quesnel

DÉCOUVERTE C O M P R E N D R E U N PA Y S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O R G A N I S A T I O N

DÉCOUVERTE

MADE IN AFRICA

CAMEROUN

FACE AUX DÉFIS FINBARR O’REILLY/REUTERS

68 Aller de l’avant 71 Anglophones et francophones : l’atout d’une double culture 72 Résilience : un modèle dynamique contre la crise 74 Infrastructures: cap sur la modernisation 78 Études, emploi… La jeunesse a de l’élan 80 Sport: renouer avec la victoire 82 Face à la terreur islamiste, la fermeté

VIVRE MIEUX

Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF

À quatre mois d’un scrutin présidentiel essentiel, premier bilan d’un mandat de progrès malgré une conjoncture exigeante.

avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

D O S S I E R D I R I G É PA R E M M A N U E L L E P O N T I É - AV E C F R A N Ç O I S B A M B O U

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VENTES

EXPORT Arnaud Desperbasque TÉL.: (33) 5 59223575 France Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL.: (33)156821200

ABONNEMENTS Com&Com/Afrique magazine 18-20, av. Édouard-Herriot - 92350 Le Plessis-Robinson Tél. : (33) 1 40 94 22 22 - Fax : (33) 1 40 94 22 32

afriquemagazine@cometcom.fr

96 Escapades : Tunis l’été, c’est rock ! par Zyad Limam

98 Design : Myriam Maxo, la papesse du pop par Luisa Nannipieri

100 Fashion : Amna Elshandaweely, l’afroégyptienne par Luisa Nannipieri

MAP - FINBARR O’REILLY/REUTERS - FOTOGWAF

Amanda Rougier PHOTO ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Loraine Adam, François Bambou, Jessica Binois, Astrid Chacha, Julie Chaudier, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Cédric Gouverneur, Alexis Hache, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Victor Masson, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.

par François Bambou

COMMUNICATION ET PUBLICITÉ Ensuite/AMC 31, rue Poussin - 75016 Paris Tél.: (33)153844181 – Fax: (33)153844193 GÉRANT Zyad Limam DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE Emmanuelle Pontié regie@afriquemagazine.com CHARGÉE DE MISSION ET DÉVELOPPEMENT Elisabeth Remy AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR

VIVRE MIEUX

102 Diabète : agir pour s’en préserver ! 103 Du poisson et… des œufs pour un cœur plus fort 104 Transpiration excessive : comment limiter les désagréments 105 Eczéma : le vrai et le faux

p. 98 I

sr@afriquemagazine.com arougier@afriquemagazine.com

Cameroun : face aux défis

AFRIQUE MAGAZINE

PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION

382 – JUILLET 2018

31, rue Poussin - 75016 Paris. PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL : Zyad Limam. Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur: Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.

Commission paritaire : 0219 D 85602 Dépôt légal : juin 2018. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique magazine 2018.

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« LE TRAIN D’ERLINGEN, OU LA MÉTAMORPHOSE DE DIEU »,

Boualem Sansal,

Boualem Sansal

Métamorphoses du réel Témoin incisif de la société ALGÉRIENNE, il décrit dans son nouveau roman la mainmise de l’extrémisme religieux dans les zones fragiles de nos sociétés. par Catherine Faye « PRENDS des jumelles et regarde autour de toi, jusqu’au mur d’enceinte, et pose-toi la question : suis-je libre ? Et agis en conséquence. » On entre dans le nouveau roman de Boualem Sansal par ces mots lourds de sens. Grand prix de la Francophonie de l’Académie française (2013) et lanceur d’alerte contre les faux prophètes qui s’approprient la terre et la culture des peuples, Boualem Sansal est un portraitiste acerbe de l’Algérie et du monde arabo-musulman. Dans un billet écrit dans l’hebdomadaire français Marianne, il conseille à Emmanuel Macron, à l’occasion de sa visite en Algérie le 6 décembre dernier, « d’étudier sérieusement » l’histoire de nos deux pays. « En France, l’Algérie, c’est la France. […] Et pour plus de la moitié des Algériens, la France, c’est l’Algérie… Elle possède un passeport français, accumule du bien partout en France, fréquente les meilleurs restos, les 6

meilleures écoles… L’Algérie officielle plutôt que l’Algérie souffrante qui, elle, se contenterait de simples visas. » Et son dernier livre, 2084, la fin du monde (2015), a été censuré dans son pays d’origine à cause de sa position très critique envers le pouvoir en place. Il y confiait ses réflexions sur les vagues migratoires, qui mettent en lumière les tensions dans les pays de l’Union européenne. Son nouveau roman raconte les derniers jours de la vie d’Elisabeth Potier, professeure d’histoire-géographie à la retraite, habitant la Seine-Saint-Denis, victime collatérale de l’attentat islamiste du 13 novembre 2015 à Paris. Lorsqu’elle émerge de son coma, c’est sous une nouvelle identité. Avant de mourir, elle laisse à sa fille Léa un témoignage écrit, que l’histoire d’Ute Von Ebert, dernière héritière d’un puissant empire financier et industriel, vient éclairer. Celle-ci habite à Erlingen, fief cossu de la haute bourgeoisie allemande, et écrit à sa fille Hannah des lettres au ton très libre, souvent sarcastique, dans lesquelles elle raconte l’histoire incroyable d’Erlingen assiégée par un ennemi dont on ignore à peu près tout, excepté d’avoir fait de la soumission à son dieu la loi unique de l’humanité. Dès lors, la population attend impatiemment un train qui doit l’évacuer. Et qui ne vient pas. « Quand avons-nous cessé d’être intelligents ou simplement attentifs ? », écrit Boualem Sansal, dont la carrière d’écrivain commence à l’âge de 50 ans. Ingénieur polytechnicien et docteur en économie, né à Theniet-El-Had en 1949, il décide en effet de sauter le pas en 1999. Gallimard publie son premier roman, Le Serment des barbares, qui rate de peu le Goncourt. Lauréat du Grand Prix RTL-Lire pour son roman Le Village de l’Allemand, il reçoit en 2012 le prix du Roman arabe pour son livre Rue Darwin. Il vit toujours en Algérie, à Boumerdès, près d’Alger, où il fait partie des auteurs les plus controversés, par les autorités et par l’opinion publique. C’est un franc-tireur, critique et décidé. Pour qui les mots ne sont pas vains : « Dans cette vie, rien ne nous est donné gratuitement. La lecture, si elle s’accompagne d’une véritable méditation, est un acte initiatique. » ■ AFRIQUE MAGAZINE

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C. HÉLLIE/GALLIMARD

Gallimard, 256 p., 20 €.


ON EN PARLE livres

nouvelles L’ÉGYPTE SELON NAGUIB MAHFOUZ « TOUT filait vers l’arrière. Les saules, les poteaux télégraphiques défilaient à toute vitesse, et les câbles ondulaient sans fin. » Un conducteur de train fou, un journaliste réputé pour avoir longtemps enquêté dans les « quartiers chauds » ou encore un fumeur impénitent de haschich inculpé de terrorisme… toutes les nouvelles rassemblées dans ce recueil ont été publiées par Mahfouz entre 1962 et 1984. Les seize récits frappent par la maîtrise avec laquelle le

« L’ORGANISATION SECRÈTE ET AUTRES NOUVELLES », Naguib

208 p., 21,80 €.

Prix Nobel de littérature (1988) distille de l’absurde dans la vie quotidienne. Mystères et intrigues, nostalgie et réalisme, cocasserie et extravagance se côtoient dans cette vision d’une Égypte aux multiples facettes. Une galerie de portraits et de situations percutante. ■ C.F.

RETOUR AU VIETNAM

AFRIQUE MAGAZINE

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Peltre, Bleu autour, 232 p., 28 €.

Mahfouz, Actes Sud,

récit « ÉTRANGEMENT, j’avais trouvé la clé de mon existence, l’amour grand et l’amitié inconditionnelle. En temps de guerre. Au milieu de tant de morts, tant de destins brisés. » Vingt ans après Diên Biên Phù, Alexandre, un ancien soldat français, revient au Vietnam sur les traces de la « fille au visage lune » qu’il a follement aimée. Avec ce roman intense, rythmé par les poèmes qu’Alexandre a écrits pendant vingt ans à l’absente, l’auteur camerounais nous embarque dans une histoire d’amour et d’amitié éperdue. Celle aussi d’une quête de vérité. « Dandy de grand chemin »,

« LE VOYAGE EN AFRIQUE DU NORD. IMAGES ET MIRAGES D’UN TOURISME (1880-1931) », Christine

grand format AU TEMPS DES COLONIES UNE ANTHOLOGIE richement illustrée de l’essor du tourisme pendant la période coloniale française. À l’époque où les « indigènes » d’Afrique du Nord étaient pittoresques et conformes aux stéréotypes… L’historienne Christine Peltre, spécialiste de l’orientalisme, fait dialoguer représentations visuelles et textuelles. D’une part, photographies, cartes postales, affiches, prospectus et dépliants, qui datent de la période coloniale en Afrique du Nord, de la conquête de l’Algérie (1830) à son indépendance (1962), en passant par les protectorats en Tunisie et au Maroc. D’autre part, articles, romans, livres d’histoire et de géographie, mémoires et guides contemporains de ces images. En contrepoint de la rhétorique officielle, elle révèle un tourisme où les imageries se disputent aux mirages. ■ C.F.

roman CASABLANCA CONFIDENTIAL « DIÊN BIÊN PHÙ »,

Marc Alexandre Oho Bambe, Plon, Sabine

Wespieser, 232 p., 19 €.

comme il aime à se définir, Marc Alexandre Oho Bambe, dit Capitaine Alexandre, est l’une des grandes voix du slam contemporain. Avec des mots qui claquent, il raconte les deux rencontres déterminantes de son héros : l’inoubliable Maï Lan et Alassane Diop, camarade de régiment sénégalais qui lui sauva la vie. ■ C.F.

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LA BELLE ICHRAK, impertinente aux courbes sublimes, est retrouvée un matin assassinée dans une rue de Casablanca. L’enquête, racontée par Sese, un jeune Congolais récemment arrivé au Maroc, rend palpitante une réalité contemporaine tout à fait désespérante. Celle des magouilles immobilières, de la précarité des migrants, de la corruption de puissants, de la concupiscence

« LA BELLE DE CASA », D

I Koli In JJean Bofane,

P Plon, 2245 pages, 119 €.

masculine. D’une Afrique en marche, qui ne vaut pas mieux que les autres continents. Avec sa vision acérée et un humour mordant, Bofane revient ici avec son talent de conteur, son art du dialogue et des portraits. ■ C.F. 7


Marie Monge filme la passion amoureuse d’un couple qui s’enferme dans une spirale sans retour.

Les jeux de l’amour et du hasard

Coup de poker : un TAHAR RAHIM cabossé est plongé dans l’enfer des cercles de jeu d’un Paris éclairé aux néons. Son personnage est sublimé par le regard de deux femmes, l’héroïne, ELLA, et la réalisatrice, qui signe un premier long-métrage fiévreux.

« JOUEURS » (France) de Marie Monge.

Avec Tahar Rahim, Stacy Martin, Karim Leklou.

CICATRICES et nez cassé : le visage habituellement juvénile de Tahar Rahim accuse le coup, comme pour mieux y laisser lire un passé chahuté, celui de son personnage. Abel est fauché mais beau parleur, et il va se refaire dans les cercles de jeux parisiens. Dans ces lieux méconnus, mais ô combien cinématographiques, il entraîne Ella (Stacy Martin), une sage jeune femme qui assure le service avec charme et beaucoup d’efficacité dans le restaurant de son père. Bientôt, le couple va être aspiré par la spirale du jeu gagnant. Avant la chute, inévitable, et parsemée de mensonges, de renoncements, et de quelques épisodes violents. Mais ce Bonnie and Clyde des tripots renverse un peu les rôles : si c’est lui, baratineur agile et doué, qui semble d’abord mener l’histoire, c’est elle qui apparaît maîtresse de son destin. Ce n’est pas étranger au 8

fait que le film est signé d’une jeune réalisatrice, qui donne aussi sa vision d’un authentique Paris multi-ethnique, celui des quartiers de République et Strasbourg-Saint-Denis. On y mange du maïs dans la rue, on y danse le madison sur un tempo afro, on y marche au milieu d’une circulation chaotique à la lueur des lampadaires, car l’action se déroule essentiellement de nuit. L’image, très soignée, joue à fond la stylisation façon thriller intense et nocturne. Auprès de ce couple fusionnel, quelques seconds rôles parviennent à exister, dont le personnage de Nacim, un peu lunaire, qui vit chez son père garagiste et qui est incarné avec justesse par Karim Leklou, vu aux côtés de… Tahar Rahim dans Un Prophète (2009) de Jacques Audiard, et qu’on reverra très bientôt au cinéma en fils dépressif d’Isabelle Adjani ! ■ AFRIQUE MAGAZINE

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DR

par Jean-Marie Chazeau


ON EN PARLE écrans

action

Huit femmes VOUS avez aimé Danny Ocean (George Clooney) et ses 10, puis 11, puis 12 comparses ? Vous adorerez sa sœur et ses 7 complices ! Huit ans après le casse du siècle à Vegas, apparaît Debbie Ocean : c’est Sandra Bullock, flanquée d’une Cate Blanchett à frange blanche et d’une Rihanna reine des hackers, très convaincante (un joint à la main et bonnet rasta sur la tête, devant ses écrans). Une équipe de choc se constitue pour dérober une rivière de diamants hors de prix lors d’un dîner de gala de bienfaisance à New York. Cette mouture girly n’a rien à envier au premier épisode de la saga : même précision dans l’exécution du plan, même maîtrise de la technologie. Dommage que l’humour décalé soit moins percutant ici, malgré les clins d’œil à la version masculine. ■ J.-M.C. « OCEAN’S 8 » (Etats-Unis) de Garry Ross. Avec Sandra Bullock,

Cate Blanchett, Rihanna.

drame

Une équipe de choc : Sandra Bullock, Sarah Paulson, Rihanna, Cate Blanchett, Awkwafina…

Nahla (Manal Issa) va se confronter à ses peurs et ses désirs.

Lingerie syrienne

DAMAS, 2011. Nahla hésite entre un mariage arrangé qui lui permettrait de partir aux États-Unis, et un désir de liberté et de sensualité que l’arrivée d’une nouvelle voisine pourrait bientôt combler : elle tient secrètement une maison close. Premier film d’une cinéaste syrienne (qui vit à Paris), intimiste et tout en intérieur, ponctué d’images réelles de répression des manifestations de rue syriennes. L’effet de contraste n’est pas totalement convaincant… contrairement à la comédienne franco-libanaise Manal Issa, qui incarne Nahla. Déjà remarquée dans Peur de rien (2015) de Danielle Arbid, elle prouve dans Mon tissu préféré qu’elle a… l’étoffe d’une grande. ■ J.-M.C. « MON TISSU PRÉFÉRÉ » (France-Turquie) de Gaya Jiji.

Avec Manal Issa, Ula Tabari, Saad Lostan.

DVD Le carton d’invitation UN ARABE israélien fait la tournée des familles de Nazareth invitées au mariage de sa fille, pour leur laisser un carton d’invitation. Accompagné de son fils rentré de Rome pour l’occasion, avec qui il a bien du mal à communiquer. Père et fils à l’écran comme à la ville, les deux comédiens forment un duo taiseux, irréconciliable mais touchant. En bonus, un entretien éclairant avec la réalisatrice palestinienne. ■ J.-M.C. « WAJIB, L’INVITATION AU MARIAGE » (Palestine) d’Annemarie Jacir.

BARRY WETCHER - DR - AMMAR ABD RABBO

Avec Mohammad Bakri, Saleh Bakri. DVD Pyramide vidéo, 19,90 €.

PROJET Des nouvelles d’Abderrahmane Sissako CINQ ANS APRÈS Timbuktu, Abderrahmane Sissako va tourner son prochain film en 2019 en Afrique… et en Chine : La Colline parfumée, dont il a imaginé le scénario avec Kessen Tall, qui avait déjà co-écrit Timbuktu. Une « love story », a simplement précisé le cinéaste mauritanien en marge du dernier Festival de Cannes… ■ J.-M.C.

AFRIQUE MAGAZINE

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Moha La Squale

Du rap neuf made in France ! À 23 ans, il se classe numéro 1 des ventes avec un premier album foisonnant, redorant le blason du hip-hop tricolore.

C’EST en 1994 que Mohamed Bellahmed a vu le jour, à Créteil, rafale, semaine après semaine. Car Moha est du genre ultra avant de passer rapidement de l’autre côté du périph. Direction prolifique : d’ailleurs, l’album a plus d’une quarantaine de pistes ! Il y prend la parole en endossant, tout acteur qu’il est, La Banane, ce quartier populaire du XXe arrondissement où il va grandir, au sein d’une fratrie soudée et turbulente, et auprès deux rôles, Bendero et Pankani : « Mes deux doubles me donnent le pouvoir de parler de choses d’une mère non-voyante – le père ayant quitté impossibles à exprimer au quotidien. le foyer, c’est elle qui élève seule les enfants. Ces morceaux, c’est moi mais aussi mes proches, Mais la vie de cité pèse. Dès le collège, mes frères ou mes cousins… c’est toute ma vie. » Mohamed fait des bêtises, à chaque fois Le tout a été bouclé en trois mois. En urgence ? pardonnées par des juges sous le charme « Oh non, je m’étais habitué à sortir un son de son bagout et de sa bonne bouille. toutes les semaines, mes personnages étaient là, À 18 ans, il se retrouve derrière les barreaux. les piliers de l’album. » En résulte des titres qui C’est le déclic. À sa libération, Moha touchent en plein cœur, comme C’était pas intègre le Cours Florent : « Les gens étaient gagné, J’me rappelle Papa, Il le fallait ou encore zen, sans jugement. Tout semblait possible. « BENDERO », 5 juillet 1962, qui évoque le jour sanglant Quand j’ai compris que ce monde existait et Moha La Squale, de l’indépendance d’Algérie : « Je suis français que je pouvais l’avoir, je n’ai plus voulu vivre Elektra France. d’origine algérienne, et il me semblait important autre chose ! » Il déclame du Shakespeare de rendre hommage à mes grands-parents. Ici, ils sont là avec comme des grands textes contemporains, joue dans un courtmoi, sans que je les connaisse. » métrage et travaille comme coursier. C’est à cette époque qu’il Aujourd’hui, fort du succès critique et public de Bendero, commence à rapper sur des instrus qu’il se passe en boucle la Moha La Squale envisage de quitter La Banane pour avoir journée. Naît son premier titre, Midi minuit. Très vite, celui « des petits moments de tranquillité » avec Luna, sa compagne, qui se fait désormais appeler Moha La Squale, biberonné aux qui apparaît à plusieurs reprises sur son album. Il aimerait films de cités des années 90, de Ma 6-T va crack-er à La Haine aussi « trouver l’équilibre entre musique et cinéma ». On ne et, bien sûr, La Squale, impose son nom. Son premier album, doute pas qu’il y parvienne : le talent est de son côté. ■ Bendero, est la suite logique de multiples freestyles postés en 10

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SARAH SCHLUMBERGER

par Sophie Rosemont


ON EN PARLE musique

Ismaïla (à g.) et Sixu Tidiane Touré, demi-frères, sont nés en 1950 à 22 jours d’intervalle.

afro-pop BENIN CITY EMBRASE LE CLUB QUAND la chanteuse Shanaz Dorsett et le poète Joshua Idehen rencontrent le multi-instrumentiste Tom Leaper, ça donne un subtil mélange d’afropop, d’electronica et de dubstep bien senti. Le but : danser, ressentir, oublier le quotidien. Le lieu : Londres, sa grisaille, son rythme fou, sa mixité… et ses clubs ! À la fois engagée et hédoniste, la musique de Benin City offre de nouvelles couleurs au dance-floor. ■ S.R. « LAST NIGHT », Benin City, Moshi Moshi.

world music

TOURÉ KUNDA, TOUJOURS LÀ !

Les frères reviennent en forme, accompagnés d’invités prestigieux. ON A failli attendre, mais voilà enfin que Touré Kunda sort de son silence discographique. Dix ans après Santhiaba, Lambi Golo est fort heureusement un album à la hauteur des espoirs placés en lui. Fidèles à leur savant mélange de musique traditionnelle venue tout droit de leur Casamance natale et de genres aussi divers que le funk, le reggae, le rock ou la salsa, Ismaïla et Sixu Tidiane Touré ont assuré leurs arrières en conviant à la fête quelques noms prestigieux qui viennent se fondre dans le collectif avec l’aisance de vieux briscards : Manu Dibango et son saxophone suave sur Demaro, Carlos Santana et sa guitare virevoltante sur Emma Salsa, leur compatriote sénégalais Seckou Keita et son envoûtante kora ou Paco Séry et ses percussions magiques… Tout sur ce Lambi Golo respire la joie de vivre et l’amour de la musique sans frontières. ■ Alexis Hache « LAMBI GOLO », Touré Kunda, Soulbeats Records.

remix YASMINE HAMDAN, BIS REPETITA APRÈS le succès de Al Jamilat (2017), Yasmine Hamdan fait durer le plaisir en proposant un album de reprises et de remixes où elle a invité le duo français Acid Arab (Café), le Chilien et Berlinois d’adoption Matias Aguayo (Al Jamilat), ou encore Shed, maître ès techno allemande (La Ba’den). Autant de relectures qui apportent une autre dimension à des morceaux à la fois mystérieux et poétiques… ■ S.R. « JAMILAT REPRISE », Yasmine Hamdan, Hamdanistan Records/Crammed Discs.

jazz

AU PARADIS AVEC KAMASI

AUDRAN SARZIER - DR

DEPUIS LA SORTIE de son premier album, The Epic (2015), ce saxophoniste originaire d’Inglewood, quartier chaud de Los Angeles, est l’un des nouveaux maîtres du jazz américain. D’abord parce qu’il manie le saxophone comme personne, se jouant de l’improvisation au même titre que la dimension spirituelle de ses compositions. Ensuite parce que toutes les stars l’aiment et ont travaillé avec lui, de Kendrick Lamar à John Legend en passant par Snoop Dogg. Ayant étudié l’ethnomusicologie à l’UCLA, Kamasi Washington publie aujourd’hui le passionnant Heaven & Earth, écrin longue durée de jazz ultra inventif et néanmoins accessible à tous. ■ S.R. « HEAVEN & EARTH », Kamasi Washington, Young Turks. AFRIQUE MAGAZINE

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grands formats

SUBLIME ET SILENCE

Quarante œuvres du plus chinois des peintres français, Zao Wou-Ki, disparu en 2013, sont à voir à Paris.

art contemporain

Lubaina Himid sort du cadre

Lauréate 2017 du prestigieux Turner Prize et figure du BLACK ARTS MOVEMENT, la Britannique d’origine tanzanienne est exposée pour la première fois en France. AVEC ses personnages à taille humaine comme découpés dans du carton, on entre dans le monde de Lubaina Himid, lauréate en 2017 du prestigieux Turner Prize, comme dans une foule multicolore. À travers son œuvre, l’artiste questionne l’identité de la diaspora africaine et son invisibilité dans le champ social, politique et artistique. Née en 1954 en Tanzanie, d’un père comorien et d’une mère anglaise, installée en Angleterre depuis l’âge de six ans, la plasticienne, commissaire d’exposition et théoricienne, est une figure du Black Arts Movement, particulièrement actif dans les années 1980 en Angleterre. Dans son travail, elle utilise l’art de la réappropriation de la peinture européenne qu’elle combine avec certains aspects de l’histoire de l’Afrique pour questionner le rôle du pouvoir d’évocation de l’image. Telle l’installation Naming the Money : une forêt d’une centaine de figures en contreplaqué peintes représentant les ouvriers, artisans et serviteurs présents dans la peinture occidentale et à qui l’artiste redonne une individualité, une histoire et une dignité. Ce principe de figures peintes dans l’espace, fréquemment utilisé dans les décors de théâtre, permet à Lubaina Himid de sortir la peinture du cadre et d’introduire un rapport physique avec le spectateur. Une expérience insolite. ■ Catherine Faye « LUBAINA HIMID, GIFTS TO KINGS », Musée régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon (Sérignan), jusqu’au 16 septembre. mrac.laregion.fr 12

DR - ZAO WOU-KI

L’installation Naming the Money.

SON PRÉNOM signifie « sans limites ». Zao Wou-Ki (1920-2013) est le peintre de l’insondable. Un art tendu entre deux abîmes. Au croisement de plusieurs mondes. Après Picasso, Matisse et Kandinsky, cet artiste informel est peut-être le plus original de tous. L’élégance et le caractère délicat de sa peinture résiste aux plus grands espaces. On la voit orientale alors qu’elle s’appuie sur des formats qui sont parmi les plus imposants de la peinture occidentale. On la veut occidentale alors qu’au fil du temps les références à la peinture chinoise sont de plus en plus explicites. Né en Chine, il travaille en France depuis la fin des années 1940 jusqu’à sa mort, en 2013. Zao Wou-Ki est un artiste à part. Non seulement par sa trajectoire et son exceptionnelle capacité à s’intégrer dans la société et la culture occidentales, mais aussi par les composantes uniques de son art. L’exposition du Musée d’art moderne de la Ville de Paris est la première grande exposition qui lui est consacrée en France depuis quinze ans. Une sélection de quarante œuvres de très grandes dimensions dont certaines n’ont jamais été exposées. Huiles, encres de Chine… Une traversée des nuances et des apparences. ■ C.F. « ZAO WOU-KI, L’ESPACE EST SILENCE », Musée d’art moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 6 janvier. mam.paris.fr Zao Wou-Ki, 03.12.74, 1974, huile sur toile, 250 x 260 cm.

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ON EN PARLE agenda Simone Fattal, au premier plan : Stele (1 - 5). Au fond : Passers by.

exposition

LE MUSÉE YSL CULTIVE SON JARDIN

photographie

CRI DU CAIRE

Laura El-Tantawy montre sa quête À Marrakech, « Garden of MEMORY » identitaire sur fond fait converser trois artistes du XXe siècle. de RÉVOLUTION APRÈS « Le Maroc de Jacques de Majorelle » puis « Les robes sculptures égyptienne. de Noureddine Amir », créateur emblématique basé dans la Cité ocre, le Musée Yves Saint Laurent présente « Garden of Memory », une exposition autour du souvenir et de l’engagement, pensée comme un dialogue entre trois artistes, le poète Etel Adnan (Liban), la peintre Simone Fattal (Syrie) et le dramaturge Robert Wilson (États-Unis). L’accent est mis sur les histoires des uns et des autres, leur art, lié au Maroc comme au Liban, à la France. Etel Adnan et Simone Fattal ont partagé leur vie entre Beyrouth, Sausalito (Californie) et Paris. Ils ont, de plus, participé activement à la vie artistique au Maroc dans les années 1970 et 1980. Au-delà de la valeur symbolique, les traces du passé imbriquées sous la forme de compositions apparaissent comme des associations d’idées. Un événement inédit offrant un spectacle intrigant. ■ Fouzia Marouf « GARDEN OF MEMORY », musée Yves Saint Laurent Marrakech et Fondation Jardin Majorelle, jusqu’au 16 septembre. museeyslmarrakech.com

sport

DL - LAURA EL-TANTAWY

L’ALGÉRIE FAIT SES JEUX LES JEUX AFRICAINS DE LA JEUNESSE (JAJ) et la manifestation culturelle Dar Dzaïr tomberont en même temps cette année, en Algérie. La compétition sportive, qui a lieu tous les quatre ans, réunira pour sa 3e édition près de 3 000 athlètes de 14 à 18 ans, venus de 54 pays. Ils s’affronteront dans 31 disciplines, dont 5 seront qualificatives pour les Jeux olympiques de la Jeunesse de Buenos Aires en octobre. La 4e édition de Dar Dzaïr, intitulée « L’Algérie accueille l’Afrique », verra défiler au complexe olympique d’Alger des représentants des pays participant aux JAJ-2018. Samia Benmaghsoula, du Ministère de la Jeunesse et des Sports, explique : « Les Jeux africains de la jeunesse constituent un patrimoine culturel du continent africain et une opportunité également pour les jeunes et les dirigeants du continent de démontrer leur talent et échanger leurs expériences. » Une occasion pour l’Algérie de faire sa place dans le dialogue culturel panafricain, et d’accroître ses liens avec ses voisins du sud. ■ Victor Masson « JEUX AFRICAINS DE LA JEUNESSE »,

Alger, du 18 au 28 juillet. AFRIQUE MAGAZINE

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DANS L’OMBRE des pyramides il y a des enfants, des femmes et des hommes. L’espoir, la peur, la déception, la joie. Il y a une foule survoltée, une histoire trois fois millénaire, une révolution en marche. La série photographique In the Shadow of the Pyramids, pour laquelle Laura El-Tantawy a reçu le Prix Roger Pic 2018, est un récit à la première personne. Prises entre 2005 et 2014 au Caire, notamment au moment de la Révolution égyptienne du 25 janvier 2011, ses images explorent la mémoire et l’identité. Avec passion. « Le récit parallèle de ma quête d’identité et, plus largement, de ce qui est devenu la lutte d’un pays entier pour son identité, s’est construit de façon fortuite. J’ai trouvé des reflets de moi-même dans le chaos autour de moi. Je me photographiais autant que je photographiais mon propre pays. » Photographe, écrivaine et cinéaste expérimentale, Laura El-Tantawy est née en Angleterre, de parents égyptiens. Elle a suivi des études en Arabie saoudite, en Égypte et a été diplômée aux États-Unis. Ce travail photographique marque un retour aux sources. Sans concession. ■ C.F. « LAURA EL-TANTAWY, IN THE SHADOW OF THE PYRAMIDS », Scam (Paris),

jusqu’au 26 octobre. intheshadowofthepyramids.com 13


ON EN PARLE événement

Jamel entouré de son équipe de choc : Mamane, Amatou, Ronsia… dans le cadre féérique du Palais El Badiî.

Pour l’amour de l’humour !

Le 8e Marrakech du Rire a encore créé la surprise dans la Cité ocre fin juin. Retour sur les temps forts de ce festival qui a réuni 4 000 spectateurs et lancé de jeunes poulains avec le Gala Afrika. NUIT ÉTOILÉE au Théâtre royal le 20 juin dernier. Les festivaliers ont massivement investi les gradins de ce bel amphithéâtre : Marrakchis, Français, Londoniens, Canadiens, fidèles au Marrakech du Rire (MDR) et très impatients de découvrir le premier one-man-show de cette riche édition. D’Jal fait son entrée sur scène après cinq ans d’absence en annonçant d’emblée la couleur de ce stand-up en darija (dialecte marocain) et en français. Switchant avec aisance d’une langue à l’autre, l’humoriste franco-marocain fait rire aux larmes, tenant en haleine l’auditoire pendant 14

près d’une heure et demie. « C’était une première, je devais m’adapter au public local et français qui me suit ici. Je voulais être généreux avec eux et Jamel qui m’a donné ma chance », nous confie-t-il. Autre temps fort, Abdelkader Secteur, seconde tête d’affiche, qui enflamme le public le 21 juin sur cette scène : « C’est mon humoriste favori, il est très fin. J’avais hâte de le revoir au Maroc », avoue Meryam, cadre casablancaise. Disséquant avec acuité son quotidien d’immigré en France, Secteur garde sa place de chouchou auprès des Marocains. AFRIQUE MAGAZINE

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SVEN ETCHEVERRY

par Fouzia Marouf, envoyée spéciale


L’incroyable Jeff Panacloc parrainé par Élie Semoun et Jamel, qui a mené le show face à 4 000 personnes le 24 juin.

SVEN ETCHEVERRY (3) - INGRID MARESKI

Lauréat du prix RFI Talents du rire, célèbre pour ses imitations de Jamel, le talentueux Ronsia, surnommé « Ronsia Jamel ».

Amou Tati, qui brosse avec audace ses portraits de femmes.

Le bel Ahmed Sylla, entre classe, humour et finesse, toujours hilarant.

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ON EN PARLE événement Marcus, humoriste camerounais, a été « séduit par la beauté du palais El Badiî ».▼

Joël,l tchatcheur, h h qui représente présente les couleurs de la Côte d’Ivoire.

Le même soir, se tenait au Colisée, e, l’avantpremière du nouveau Disney, Les Indestructibles estructibles 2, projeté le lendemain en darija à des enfants nfants issus d’associations et d’écoles. Propice à l’émergence émergence de nouveaux talents sur le continent, cette édition a consacré une scène dévolue à l’humour made in Africa : onze nze artistes natifs du Cameroun, de Côte d’Ivoire, du Sénégal gal et du Gabon, présentés par le célèbre Mamane, originaire ginaire du Niger, chroniqueur grinçant sur RFI [voir AM M no 381]. STANDING OVATION POUR MALIK BENTALHA Célèbre pour ses imitations de Jamel, mel, Ronsia a soufflé un vent de fraîcheur lors du Gala Afrika sur la magnifique scène D’Jal, plein air du Palais El Badiî. « J’ai adoréé ce public ! Je impressionnant suis bouleversé d’être là, Jamel est mon on idole », nous avec un show avoue ce jeune humoriste congolais. Amou Tati, francoen darija ivoirienne pêchue, a rendu hommage e aux femmes fortes et en français.. – « mes héroïnes », nous dit-elle. 16

Samedi 24 2 juin, Ahmed Sylla nous : « C’est un dit son attachement att généreux renforcé par le festival g quelle plus belle Gala Afrika, Afr que celle du MDR pour scène q mettre en lumière ces talents ! » Élie Se Semoun, autre fer de lance, constate « le succès du de l’humour. MDR, Mecque M Le public pub marocain s’est éduqué francophone ». à la culture cult scènes du gala « Jamel et ses Les scèn amis » ont on été marquées par deux standing ovations pour Malik standi Bentalha, plus mordant que Benta jamais. Cofondateur du jama festival, Karim Debbouze, festiv frère de Jamel, rappelle le soutien soutie de Michaëlle Jean, secrétaire générale à la secré Francophonie, car « le MDR Fran offre une forte teneur francophone. On a relevé le défi du 2e Gala Afrika suite au succès de l’an passé ! », conclut-il. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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SVEN ETCHEVERRY - RENAUD CORLOUER

Le meneur, Malik Bentalha, Ben star du gala « Jamel eet ses amis ».


MESSAGE

Un grand Congo, uni, libre, émergent et puissant

La vision de Francis Mvemba pour la RDC

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onstruire ensemble une paix durable, tout en s’appuyant sur la charte des Nations unies de 1945 ! Nous voulons être les garants d’une paix oubliée depuis les deux dernières décennies et nous rétablirons les mécanismes et les fonctions régaliennes de l’État. Construisons la paix avec une armée disciplinée, professionnelle et très bien équipée. Nous avons la responsabilité immense de préserver nos concitoyens des pages sombres de notre histoire et les rébellions particulièrement meurtrières. Les enfants-soldats, les femmes violées porteront les stigmates de cette violence pendant des décennies. Il faut mettre fin à ces déplacements de masse qui ressemblent à des épurations ethniques. Mettre fin aux zones de non-droit, et aux pillages organisés. Les Congolais sont réfugiés dans leur propre pays, éparpillés dans divers camps de fortune où l’on dénombre plus de 3 millions de déplacés sans compter bien évidemment ceux qui croupissent dans des camps en Ouganda, au Rwanda et au Burundi, délaissés et vivant dans le désespoir. Tout cela doit cesser… ! Par la volonté et la force des lois, nous allons renverser la vapeur et redorer notre blason. La République démocratique du Congo (RDC) redeviendra ce qu’elle a été, une grande nation au cœur du continent. Femme, jeunesse, emploi : les clés du changement L’histoire nous révèle que la femme congolaise à l’époque du Congo avec un « K » occupait déjà une place privilégiée chez les Bakuba. De Kimpa Mvita en 1668 à la reine mère Ngokady. La femme congolaise saura relever le défi du XXIe siècle, un siècle qui donnera sa chance à l’Afrique subsaharienne, plus particulièrement à la RDC, carrefour de tous les enjeux. La femme congolaise écrira une nouvelle page de l’histoire de la RDC, non avec des larmes et du sang, mais avec des lettres de noblesse. Elle porte aujourd’hui l’espoir d’une nation en mutation avec un passé douloureux, mais avec un horizon meilleur. Les femmes constituent 70 % de la force agricole du continent et produisent 90 % de l’ensemble des denrées alimentaires. Elles sont un levier puissant de croissance économique des pays africains. Mais il faut aller plus loin, et notamment encourager l’accession des femmes à tous les leviers de gestion du pouvoir politique dans notre pays. C’est une femme qui occupera une place de choix dans la mise en place de notre programme de redressement national. C’est une femme qui m’accompagnera dans mon action en s’installant à la primature. Chose qui n’a jamais été faite, depuis l’avènement de l’indépendance en 1960. La RDC est constituée d’une jeunesse volontariste et ambitieuse, et c’est une chance. Redonner espoir à la jeunesse congolaise est un vrai challenge, qui mettra mon gouvernement à l’épreuve. La jeunesse est au cœur de la réussite de la nation. Afin d’éviter l’hémorragie, où on voit tant d’entre eux aller mourir dans des eaux internationales, nous avons des propositions et des alternatives, pour lutter contre ces mensonges chimé-

Notre devise : Mupepe Yasika, Maboko pembe et Tobanga Nzambe... « Un nouveau vent, Les mains propres, La crainte de Dieu »

Francis Mvemba Je le dis avec conviction et assurance. Moi, Francis Mvemba, je suis candidat à la prochaine élection présidentielle en République démocratique du Congo pour qu’ensemble nous rebâtissions, pierre par pierre, une nation unie, forte et prospère. Je construirai la paix, agirai pour les droits des Congolais, et je mettrai la femme congolaise au cœur de l’échiquier national. Et je voudrais que la jeunesse congolaise devienne notre priorité et qu’elle retrouve l’espoir et sa fierté. Je favoriserai la croissance économique dans une grande transparence en utilisant les meilleurs standards avec des objectifs communs de partage des richesses. Je contribuerai à ce que chaque Congolais soit fier et heureux de vivre en paix retrouvée dans son pays. La patrie demeurera notre moteur et que vive la République démocratique du Congo. riques. Les 100 premiers jours d’exercice à la présidence de la République marqueront la rupture avec le passé. Nous avons les moyens de nos ambitions en tablant sur une politique réaliste et courageuse. Le point central de nos actions, sera l’enseignement. Oui, l’enseignement, avec la mise en place d’un enseignement gratuit, dès la maternelle, jusqu’aux humanités, afin de lutter contre l’analphabétisme. Celui qui excellera dans ses études, aura de facto, une bourse d’études octroyée par l’État. Des centres de formations qualifiantes et diplômantes verront le jour avec un apport important de nos partenaires occidentaux qui sont prêts à nous accompagner dans ce chantier ambitieux. En chef d’entreprise averti, je ferai de l’emploi non seulement, l’une de mes priorités, mais, une obligation de résultat, en mettant en place un revenu minimum moyen, un salaire interprofessionnel garanti. Cette exigence, cette promesse sera inscrite dans le nouveau Code du travail qui mettra le salarié au cœur de l’activité. L’objectif est aussi de créer un climat des affaires qui incitera les amis de la RDC à venir s’installer. Nous avons un immense potentiel et il faut rassurer ces investisseurs. À la clé, plus de 600 000 emplois peuvent être créés dans un court délai. Et à moyen terme, nous tablerons sur des opportunités d’emplois qui dépasseront l’objectif de 1,5 million de nouveaux postes. Et lorsque l’on sait qu’un salaire fait vivre une famille de 7 personnes, on voit le début d’une période de grande croissance pour notre pays.


PARCOURS par Fouzia Marouf

Hisham Oumlil 18

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SES COSTUMES SUR-MESURE séduisent acteurs, diplomates et marchands d’art. Installé à New York, ce tailleur pour hommes natif de Casablanca lance aujourd’hui sa griffe féminine, Lot 151.

RINZE VAN BRUG - RON CONTARSY

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este bleu azur épousant ses moindres mouvements, buste et regard droits, moustache fine, Hisham Oumlil promène sa silhouette élégante tel Rhett Butler, dandy sudiste du film culte Autant en emporte le vent. Natif de Casablanca où il est né en 1972, il débarque aux États-Unis à 21 ans, avec le rêve de se tailler une place sur la scène de la mode. Résultat des courses ? Cet autodidacte qui a fait ses classes au sein de prestigieuses enseignes new-yorkaises, est passé maître dans l’art du costume de star en moins d’une décennie en créant sa marque en 2005, « Oumil », signifiant « lumière blanche » en berbère. Avec un associé de renom, Rocco Ciccarelli, le tailleur et styliste marocain créé d’emblée une ligne qui s’affranchit des codes classiques tout en sublimant le corps de l’homme en phase avec l’époque : « J’ai toujours été sensible à l’esthétique mais ado, je n’aurais jamais imaginé faire carrière dans la mode. À Casablanca, on rêvait beaucoup, coupés des circuits de la création internationale. Ce milieu artistique était uniquement réservé aux élites alors qu’aujourd’hui, les flux d’information se déversent partout dans le monde », confie-t-il. Puriste et architecte, il travaille la silhouette de ses clients au corps : « Après trois essayages, la pièce est parfaite. » Hisham Oumlil est de la lignée de ceux qui inventent la mode. Sa maison, devenue la référence en matière de costume sur-mesure, a depuis conquis une clientèle haut de gamme, qui s’échange l’adresse de son atelier de Brooklyn : Oliver Stone, les acteurs Ed Westwick (Gossip Girl) ou Jon Hamm (Mad Men), des diplomates, marchands d’art… Fin stratège, manager averti et observateur à l’affût de l’air du temps, Hisham Oumlil fait ses premières armes sur le terrain. Après l’obtention de son bac, sportif de haut niveau en natation dont il a conservé une allure d’athlète, il obtient une bourse d’étude qui lui ouvre les portes de l’Amérique. Fortement marqué par la scène rock des eighties, Freddie Mercury, Led Zeppelin, Depeche Mode, toujours passionné de mode, il décroche un stage dans une maison de couture à San Francisco en 1994, enchaîne avec un poste pour la marque californienne St. John Knits en 1996, puis intègre deux ans plus tard la chaîne américaine Saks Fifth Avenue. « Cela m’a permis de me frotter à la réalité du métier et d’étudier l’histoire du textile, la photographie noir et blanc, la peinture et plus largement l’art. Toucheà-tout, j’ai commencé à développer un style particulier. L’éducation est indispensable mais la curiosité et l’ouverture sur le monde le sont tout autant. Je n’ai jamais été un étudiant passif », se souvient-il. Il se réjouit d’ailleurs d’avoir participé récemment à un programme initié à Columbia sur les thèmes de la culture et la société : « La mode ne se réduit pas à une série de vêtements, c’est une expression artistique, politique, sociale. Les créateurs sont des citoyens qui participent activement à un projet commun », souligne-t-il. Sa personnalité séduit les maisons de couture les plus légendaires comme Versace et Hermès, qu’il intègre également à New York, ayant un autre atout : la culture francophone. Il gravit les échelons au fil des saisons et des créations, se tient aux avant-postes. La consécration arrive en 2003, quand il devient directeur du sur-mesure chez l’Italien Loro Piana. Suit une prise de risques avec la création de sa première marque, « Oumlil » : «Je devais relever ce défi, exprimer ma vision. » Défricheur de styles qui racontent une nouvelle histoire tous les six mois, il aime Lanvin sous Alber Elbaz, adore l’art de Rei Kawakubo, fondatrice de la marque Comme des Garçons, et l’esprit indépendant du créateur Rick Owens. Cet été, il lance en ligne « Lot 151 », nouvelle griffe féminine, sportswear et cuir afin d’entamer un dialogue avec les femmes en leur offrant un « ready-made à porter », un service couture autour du confort. Une nouvelle promesse tenue pour le bonheur des dames. ■

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En véritable « architecte », il travaille les créations directement sur ses clients : « Au bout de trois essayages, la pièce est parfaite. »

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C’EST COMMENT ? par Emmanuelle Pontié

MACHO TOUJOURS

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’est l’éternel dilemme… Courtoisie et galanterie pour certaines, infantilisation et machisme pour d’autres… En période de Coupe du monde de foot, le débat, récurrent, s’invite à l’ordre du jour chez mes copines. L’exemple criard : deux hommes discutent du dernier match. Vous l’avez vu aussi, et donnez votre avis. Faites le test : aucun des deux ne vous calcule, ni même ne vous regarde. Vous n’existez pas. Pire, si vous insistez, l’un des deux se retourne avec un sourire gentil, bienveillant, condescendant. Sans commentaire. Les hommes bien élevés sont toujours courtois dans la forme. On ouvre la porte, on vous laisse passer devant, on vous fait un compliment. Pourquoi pas. Aucune n’est vraiment contre. Mais sur le fond, c’est une autre histoire. Pas évident d’imposer une idée, par exemple. D’ailleurs, quand vous en avez une, il n’est pas rare que quelques jours plus tard, le type à qui vous l’avez donnée, et qui n’a pas réagi plus que ça sur le moment, vous interpelle avec un « Tiens, j’ai eu une idée », et vous resserve la vôtre sans aucune vergogne. Insupportable, non ? Y a rien à faire, quand une femme parle, donne une info, l’homme doute. Il vérifie ailleurs avant de la croire. Et croira plus un mec qui n’y connaît rien, que vous-même qui êtes bien plus spécialisée. C’est comme ça, c’est atavique. Les exemples sont légion, tout le temps, chez le commerçant, chez le médecin, au volant, partout, on vous parle différemment qu’à un homme. Et les filles, la plupart du temps, surentraînées à laisser faire, font mine de n’avoir rien vu. Pour avoir la paix. Car évidemment, si l’une d’entre elles s’insurge, on doit supporter le retour du sourire condescendant du mâle qui signifie : « La pauvre, elle est un peu hystérique. » Sous tous les cieux, chacune d’entre nous connaît ça par cœur. C’est ce que l’on pourrait appeler un gentil petit machisme au quotidien. Toléré, supporté, assimilé. Certaines acceptent AFRIQUE MAGAZINE

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Y a rien à faire, quand une femme parle, donne une info, l’homme doute. Il vérifie ailleurs avant de la croire.

d’être un peu prises pour des débiles, car elles profitent par ailleurs, et justement, de leur position de « débiles » pour obtenir d’autres choses, comme être ménagées, chouchoutées, protégées, cadeautées. Et c’est vrai, être considérées comme plus fragiles, ça peut être bien pratique parfois. Et si, au passage, ça flatte l’ego surdimensionné d’un monsieur, tant mieux pour lui finalement. Une fille m’a dit un jour : « Laisse faire ! Au contraire, plus le type est fier et heureux, plus il sera gentil, attentionné, et tu auras une paix royale. » Futée, la copine. Mais bon, tout ça, c’est bien gentil. Faudrait quand même que ça évolue un peu, non ? Parce qu’à ce rythme, c’est pas gagné. Alors, en ce mois de juillet, où le train-train quotidien change grâce aux jours de vacances que chacun (et surtout chacune) s’apprête à prendre, essayez de faire évoluer les codes ? Au village, sur la plage, dans l’avion… Si, si, ça va marcher ! ■ 21


Alassane Dramane Ouattara au congrès extraordinaire du RDR le 5 mai 2018, à Abidjan.

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COVER STORY

CÔTE D’IVOIRE

L’élection présidentielle est prévue pour octobre 2020. Dans deux ans… Mais le monde politique est déjà en mode action.

LES GRANDES MANŒUVRES par Zyad Limam

SIA KAMBOU/AFP

C

ette élection ! Ce fameux scrutin présidentiel de 2020 ! En Côte d’Ivoire, et même dans la sous-région, tout le monde en parle, matin, midi et soir. Du politologue de salon plus ou moins expérimenté au cadre informé, en passant par les candidats putatifs et les patrons du business. Du paysan de la « boucle du cacao » à cet « Ivoirien nouveau », incarnation de ces élites urbaines plus jeunes, plus connectées. Tous élaborent schémas, scénarios, décryptent les petites phrases des uns et des autres, les annonces et les sous-entendus. Dans les salons, les restaurants branchés de Marcory ou de Cocody, la politique est au centre du menu. On appelle les amis, ceux qui vivent à l’étranger et qui sont supposés, peut-être, avoir une part de recul : AFRIQUE MAGAZINE

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« Et vous, vous en pensez quoi ? Comment tout cela va-t-il se passer ? » 2020, ce n’est pas maintenant, c’est même dans un peu plus de deux ans, au mois d’octobre, mais le sujet s’est imposé au centre du monde ivoirien. Depuis 2011 et l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara, beaucoup a été accompli. Deux décades de recul et de stagnation (1990-2010) ont été inversées. La croissance durable est de retour. Le pays se transforme et se construit. Le discours sur l’émergence, certes optimiste, n’est pas non plus un simple argument de communication. On peut aller au-delà des clivages politiques naturels et se dire que la Côte d’Ivoire se transforme. La stabilité et la paix sont de retour. Il n’y a pas si longtemps, le pays était coupé en deux, en quasi-guerre civile. Huit ans sont passés. La question de l’unité ne fait plus vraiment débat, 23


COVER STORY CÔTE D’IVOIRE : LES GRANDES MANŒUVRES

Il faudra donc mener un scrutin transparent. 2020 se présente finalement comme un moment historique dans la construction démocratique du pays. même si les régionalismes et les mécanismes de politiques ethniques restent toujours vivaces. On espère bien que son parent soit élu, que sa région ou son village soit au cœur de l’équation. Mais les dures leçons de l’histoire ont transformé les Ivoiriens. Ils sont rationnels, pragmatiques. Ils savent que l’unité est le seul chemin raisonnable d’avenir. Certains se voient président, y pensent depuis des années. Certains rêvent de revanche historique. C’est classique, propre à la vie politique de chaque pays. ADO a voulu à la fois renforcer, stabiliser la République et décentraliser les centres de pouvoirs. C’est le sens de la réforme constitutionnelle de 2016. Un poste de vice-président a été créé, assurant la continuité de la puissance publique. Un Sénat a été installé à Yamoussoukro. Le fameux article 35, symbole de l’exclusion et des dérives de l’ivoirité, a été aboli, jeté – on l’espère – aux oubliettes de l’histoire. Reste cette anxiété palpable par une grande partie des Ivoiriens. Il y a de l’inquiétude dans l’air. La compétition politique reste source de crainte. Trop d’ambitions, trop d’appétits personnels, trop de divisions encore et de blessures qui ne sont finalement pas si lointaines. Les drames du conflit des années 2000 sont toujours présents dans les esprits. La violence de la crise post-électorale de 2011 aussi. Des chars, des soldats et des miliciens sillonnaient les rues d’Abidjan, et on tirait à l’arme lourde sur le palais de Laurent Gbagbo, alors que le président élu Alassane Ouattara était encerclé à l’Hôtel du golf… À ces tourments de l’histoire proche s’ajoutent ceux de l’actualité politique et du présent. Les désaccords de plus en plus nets entre le parti présidentiel, les proches d’ADO et le PDCI du président Henri Konan Bédié font craindre un affrontement 24

électoral de poids lourds. Entre les deux pôles de la future ex-majorité, les projets sont bien trop différents et les ambitions frontalement contradictoires. Le président veut faire naître le grand parti unifié des Houphouëtiste, le RHDP, qui porterait une candidature unique pour 2020. Candidature forcément proche d’ADO et du RDR. De l’autre, il y a la vision d’Henri Konan Bédié et du PDCI, bien décidés dorénavant à échapper au parti unifié, bien décidés à présenter leur propre candidat. Entre les deux formations, entre les deux équipes, entre les deux hommes, on sent tout le poids du passé, des blessures, des comptes non soldés… De toute évidence, c’est la fin des arrangements, la fin des jeux de rôle, et la scène politique s’est franchement éclaircie. Chacun ira aux élections en défendant son drapeau, et ce n’est peut-être pas plus mal. Et puis, les temps ont changé. L’exigence démocratique est réelle, en particulier en Afrique de l’Ouest (voir édito p. 3). En 2020, l’élection sera une élection. Personne ne pourra contourner le système. Personne ne gagnera sans convaincre les citoyens qu’il incarne une promesse de progrès AFRIQUE MAGAZINE

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Le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly dans son bureau de la Primature.

et de stabilité. Il faudra y aller. Pour la Côte d’Ivoire, l’enjeu est immense. Il y aura certainement une compétition. Il faudra donc mener une élection transparente, acceptée. 2020 se présente finalement comme une grande étape, un moment historique dans la construction démocratique du pays.

SEIBOU TRAORÉ POUR AM

Alassane Ouattara a les cartes en mains L’interview du président accordée courant juin à nos confrères de Jeune Afrique aura fait couler beaucoup d’encre. Dans cet entretien, celui-ci n’excluait pas de rester au pouvoir : « La nouvelle Constitution m’autorise à faire deux mandats à partir de 2020. Je ne prendrai ma décision définitive qu’à ce moment-là, en fonction de la situation de la Côte d’Ivoire. La stabilité et la paix passent avant tout, y compris avant mes principes. » Décryptage. Le principe ? C’est ce qu’il a toujours dit. Sa volonté de ne pas se représenter, de favoriser une passation. D’être dans le mouvement de l’histoire, de sortir par le haut au AFRIQUE MAGAZINE

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terme d’une présidence exigeante. Il a d’autres projets dans la vie. Peut-être s’est-il exprimé un « peu trop tôt », pour reprendre l’analyse de l’un de ses proches. En parlant avec le cœur, le président a libéré de l’espace pour les ambitions, ouvrant de facto la séquence « Succession ». Et pour être efficace, le pouvoir a besoin de s’inscrire dans une durée indéterminée… Il fallait donc poser les limites et les lignes rouges. Une nouvelle candidature serait une évidence si la « paix » et la « stabilité » du pays étaient en jeu. On imagine que si l’héritage des années ADO était menacé, si le thème identitaire devait revenir en force, une candidature de combat serait inévitable. On imagine enfin que, dorénavant, une candidature d’Henri Konan Bédié entraînerait de facto celle d’Alassane Ouattara. La déclaration permet aussi au président d’asseoir son autorité, de se ménager des espaces, y compris vis-à-vis de ses propres troupes, de reprendre la main, l’initiative sur le calendrier politique. D’une manière ou d’une autre au centre du jeu, à la tête du pays, président exécutif au sommet de l’État, soucieux de réussir, de contrôler l’agenda, de fixer son propre 25


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cap. Il a des moyens, des alliés, des amis de par le monde. Sur le fond, il est probablement décidé à maintenir son scénario d’une succession maîtrisée, à imprimer sa marque sur l’après, sur la suite. 2020, d’une manière ou d’une autre, c’est son choix. Mais en politique, deux ans, c’est long. Il se laisse donc de la marge. L’objectif sera certainement de prendre la grande décision le plus tard possible. Reste aussi qu’une élection présidentielle se prépare, se finance, s’organise. Et si le PR devait passer le flambeau, adouber et propulser son successeur, organiser un nouveau « ticket », président, vice-président, le timing deviendrait plus serré.

Une équipe soudée et le successeur La conjoncture difficile des derniers mois (avec la baisse en particulier des prix du cacao) s’améliore. Le pays bénéficie de la confiance des bailleurs et des investisseurs internationaux. Les mutineries qui ont marqué l’année 2017 semblent avoir été « gérées » au mieux. Bref, le calcul de ceux qui parieraient sur une supposée « fragilité de l’intérieur » serait franchement hasardeux. L’équipe présidentielle est motivée, soudée. Autour d’ADO, trois personnages clés forment la garde rapprochée et cohabitent sans trop de difficultés pour « faire tourner la machine » : Amadou Gon Coulibaly, Premier ministre, Hamed Bakayoko, ministre de la Défense, et le petit frère d’Alassane, Téné Birahima Ouattara, ministre des Affaires présidentielles (et argentier du palais). Le gouvernement, lui, est bien en place, même si l’on parle beaucoup à Abidjan d’un remaniement pour mener la dernière phase du mandat. Il est dirigé par un Premier ministre soucieux de réussir cette mission précise. À l’équipe des proches s’ajoutent les « PDCI ADO-compatibles », qui permettent d’ouvrir le champ : le vice-président Daniel Kablan Duncan, le secrétaire général de la présidence Patrick Achi, le ministre Thierry Tanoh, le président du Sénat Jeannot Ahoussou-Kouadio… Dans cette configuration où les choses paraissent bien en ordre, se pose évidemment et avec acuité la question du successeur possible du président. La transformation constitutionnelle et surtout la nomination, début 2017, du fidèle d’entre les fidèles, Amadou Gon Coulibaly, comme Premier ministre, ont lancé la séquence. AGC, c’est le numéro deux, l’homme du président, sans états d’âme et avec une forte conviction. Un fils politique et spirituel, qui a mis ses pas dans ceux d’ADO. Qui a été comme adopté. Amadou Gon Coulibaly, enfant d’une grande famille de Korogho, a été de tous les combats, dès 1990, puis avec la création du RDR, et lors de la longue route vers le palais du Plateau. Il fut la tour de contrôle du premier mandat, tout-puissant secrétaire général de la présidence, ministre d’État. Depuis janvier 2017, il est Premier ministre. Un poste exposé, au front. Tout ce chemin ressemble fort à un parcours, 26

La vie politique est ce qu’elle est. Au sein de la mouvance présidentielle, certains voudraient proposer leur statut d’héritier alternatif possible. à une initiation vers le plus haut poste. AGC lui, reste prudent, réservé, soucieux des choix d’ADO, et cherche avant tout à remplir sa mission. Il sait aussi qu’en politique, le timing est essentiel, que le choix définitif sera fonction des circonstances, des évolutions, des rapports de force. Alors, pour le moment, il bosse dur, menant un rythme d’enfer au gouvernement, cherchant à débloquer les dossiers, à faire bouger la lourde machine de l’État. La vie politique est ce qu’elle est, les hommes sont ce qu’ils sont, et au sein du RDR, de la mouvance présidentielle, certains voudraient proposer leur statut d’héritier alternatif possible. Avec plus ou moins de prudence. C’est le chef qui décidera. Et dans ce business, il y a beaucoup d’appelés et un seul élu…

Le pari du parti unifié Le président l’a fait savoir. Le parti unifié verra le jour. Ce n’est plus qu’une question de mois. C’est plus qu’un projet, et c’est pour l’avenir proche. Le RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix) adviendra avec ou sans le PDCI, et plutôt sans si l’on en croit les positions récentes de la formation d’Henri Konan Bédié, renvoyant à l’après-2020 la discussion sur la question… Le RHDP, comme son nom l’indique, rassemblera plus large, au-delà du RDR et des fidèles. L’idée, sur un plan idéal, serait de reconfigurer l’échiquier politique autour de nouveaux paradigmes. Le RHDP serait le parti de l’unité et aussi celui des compétences. Ce serait une grande formation nationale qui couperait à travers les stratégies d’appareils, les fidélités régionales au bénéfice du développement. Un parti qui serait une sorte de maison commune pour ceux qui veulent avant tout, et au-delà de leurs différences, priviAFRIQUE MAGAZINE

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ADO et HKB à l’inauguration du pont Henri-Konan-Bédié, à Abidjan, en décembre 2014. Une autre époque.

Le président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro et le ministre de la Défense Hamed Bakayoko au congrès du RDR le 5 mai 2018, à Abidjan. légier le progrès, la croissance, la bonne gouvernance. Sur le plan politique, évidemment, on peut simplifier la démarche. Le RHDP, c’est le parti des cadres qui acceptent l’autorité et le leadership d’ADO, qui s’inscriront dans ces choix pour 2020. Ceux qui ne veulent pas resteront dehors, hors du pouvoir. Pour les « ADO-compatibles » du PDCI, ceux qui sont à ses côtés au gouvernement, au palais, dans les institutions, la problématique du choix va vite, très vite se poser.

THIERRY GOUEGNON/REUTERS - SIA KAMBOU/AFP

Henri Konan Bédié, Guillaume, et les autres… HKB, 84 ans, ancien chef de l’État débarqué par un coup d’État assez improvisé en 1999, cultive son image de grand frère, de sphinx à la parole rare mais qui porte. Son image de président honoris causa, qu’il doit largement à Alassane Ouattara, qui n’a pas ménagé les marques d’attention. HKB a de la mémoire, la dent dure aussi, disent certains. Il cherche certainement à prendre sa revanche sur l’histoire. Il ne veut pas rester comme l’héritier désigné d’Houphouët, qui a perdu le pouvoir et n’a pas su le rendre aux siens. 2020, c’est l’année du PDCI. 2020, c’est leur tour. Il s’appuie sur un supposé accord d’alternance vigoureusement contesté par le RDR. Quoi qu’il en soit, les cadres et la base estiment que le moment est venu. AFRIQUE MAGAZINE

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Pas de nouveau renoncement. Pas de fusion, pas d’accord. Pas de parti unifié avant les élections. Le bureau politique du parti l’a résumé clairement. Il y aura fort probablement un candidat PDCI au scrutin. Reste à savoir qui pourrait porter les couleurs du parti. HKB n’a guère adoubé de fils spirituel et politique. Pas trop le genre du chef. Il laisse planer les doutes. Peut-être pourrait-il être tenté lui-même ? Après tout, quelle plus belle victoire sur l’histoire, sur la vie, que de revenir au palais présidentiel du Plateau ? Bien sûr, rien ne prouve que les plus ou moins jeunes loups de la formation soient d’accord. Rien ne prouve que ceux qui rongent leur frein depuis des années acceptent le retour du « Vieux ». Peut-être aussi que la Côte d’Ivoire a changé. Le pays est démographiquement jeune. Et puis aussi, même si les troupes répondent présent, il faudra des moyens, des postes pour mener campagne. En sortant très clairement de l’alliance avec le RDR, le PDCI et ses notables prennent un risque certain d’appauvrissement… Dans cette configuration des ambitions, le FPI de Laurent Gbagbo reste un mystère. Le parti n’a plus vraiment de leader, il est divisé, entre légitimistes et réalistes. Certains attendent le très improbable retour du « patron », tel le messie. Malgré cette vacance de leadership fort, l’électorat n’a certainement pas disparu. Dans un schéma à deux tours, personne ne sait trop comment « l’ouest » apporterait ses voix. Il y a bien un plan, ou un fantasme de plan, dans les états-majors. Le rêve d’une grande alliance « TSA » – « tout sauf Alassane » – ou son candidat désigné. Une alliance où les nombres s’additionneraient automatiquement, et où les accords pourraient se nouer malgré les détestations et les conflits du passé. Ce n’est pas exclu. Mais ce schéma serait aussi porteur d’une mobilisation accrue des troupes du RDR et des partisans du président TSI – tout sauf ce qui est perçu comme retour de l’ivoirité… Et Guillaume alors ? Que peut et que veut Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale ? On sait que la réforme constitutionnelle, le remaniement gouvernemental de début 2017 et la perte de son titre de dauphin l’ont profondément blessé. On connaît son talent, son ambition, son impatience peut-être aussi. Il cherche à maintenir un équilibre. À n’être ni à l’intérieur du pouvoir, ni à l’extérieur. Tout en étant tout de même vice-président du parti, du RDR. Tout en rappelant à quel point il a été essentiel dans l’histoire récente du pays, dans l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara. La position n’est pas forcément confortable, et il faudra sortir un jour du statu quo, de l’ambivalence. Et comme le souligne un proche du palais, reste à déterminer le poids politique réel de Guillaume Soro. Les cadres et les élus dont il dispose. L’épisode des mutineries de début 2017 n’aura pas été positif, accentuant la grande méfiance d’une partie des Ivoiriens vis-à-vis d’un homme perçu avant tout comme un « rebelle », comme un « aventurier ». 28

Le mystère de l’électorat En évoquant les rapports de force politiques, on sent bien une tentation largement partagée dans les États-majors de revenir aux bons vieux schémas électoraux. Compter sur ses troupes, mobiliser les bases ethnico-régionales. Les concepts d’hier reviennent comme les quatre points cardinaux : le sud, le nord, l’ouest, l’est… Les identités se réaffirment : « Nous, au nord, nous avons le nombre », « Les Dioulas ont tout pris », « Voilà, il est l’heure pour les Baoulés de reprendre leur place historique, à la tête du pays », « Ah, oui, et les gens de l’ouest, ils pèsent lourd quand même, ils pourraient devenir faiseurs de rois »… Ces lectures ne sont pas fausses, elles imprègnent le terroir politique, mais ne prennent pas en compte toutes les évolutions du pays. La stabilité et la croissance des années ADO ont bousculé une fabrique identitaire et sociale longtemps figée. Les Ivoiriens, dans leur très grande majorité, quels que soient leurs backgrounds ethniques, culturels, veulent passer à autre chose. Par réalisme, par pragmatisme, par sens des priorités, les Ivoiriens veulent vivre ensemble. Ils savent que l’unité offre une perspective et que les autres chemins peuvent mener au chaos. Sur le terrain, dans la réalité, les choses évoluent. Les frontières intérieures s’effacent. Les gens bougent. Les grandes villes, Abidjan en particulier, mais aussi Bouaké, Gagnoa ou encore San-Pedro sont des lieux de brassage et de mixité. Le pays est encore très jeune, la poussée démographique forte. Les trois quarts des habitants ont moins de 35 ans. La très AFRIQUE MAGAZINE

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Abidjan, capitale économique : maintenir la croissance et investir dans le social.

grande majorité des Ivoiriens d’aujourd’hui n’ont pas connu Houphouët, beaucoup n’étaient que des enfants au moment de la fin du Gbagboïsme et de la crise électorale de 2010. Une classe moyenne, urbaine, connectée, ouverte sur le monde, émerge progressivement avec la volonté de peser sur les décisions politiques. Une société civile se crée en s’appuyant sur les réseaux sociaux. « L’électeur nouveau » est certainement attaché à ses origines, à « son village personnel », mais on devine sans difficultés ses véritables motivations : de l’éducation, de la formation, du travail, un logement accessible, plus de justice sociale, de la gouvernance, des opportunités… Faire en sorte que ce nouveau miracle ivoirien soit accessible au plus grand nombre.

NABIL ZORKOT

La clé, c’est l’économie ! On parle beaucoup politique en Côte d’Ivoire. C’est important, mais comme le disait le « petit » candidat Bill Clinton faisant face au grand président sortant Georges Herbert Bush, auréolé d’une importante victoire dans le Golfe : « It’s the economy, stupid. » C’est l’économie qui compte ! En Côte d’Ivoire, la croissance durable est de retour. Le pays a repris sa place de leader régional et le discours sur l’émergence n’est pas qu’un argument de communication. Si l’on prend un taux de croissance moyen de 8 % à 10 % par an depuis 2011-2012, on peut estimer que la richesse nationale globale du pays a plus que doublé. C’est impressionnant. Ça se voit sur le terrain, en particulier avec les grands projets d’infrastructures. Les invesAFRIQUE MAGAZINE

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tisseurs se bousculent. Les capitaux aussi. La Côte d’Ivoire bénéficie de la confiance du monde extérieur. Elle est la locomotive de l’Afrique de l’Ouest, et Abidjan s’impose comme une grande porte d’entrée vers le continent. Mais il reste tant de choses à faire, en particulier dans la lutte contre la pauvreté, les pauvretés, le sous-développement, les effets pervers (comme on l’a vu lors des dernières inondations). La répartition a mal suivi. Les revenus modestes n’accompagnent pas la courbe de la croissance. Les classes moyennes, à peine renaissantes, se sentent fragilisées. Enfin, les paramètres sociaux (indice de pauvreté) restent toujours faibles par rapport au dynamisme de l’économie. Les effets de l’attractivité ne sont pas tous positifs (prix, coût de la vie…). Les progrès génèrent plus de demandes, d’exigences de la part de citoyens mieux informés. Toutes les difficultés et les contraintes de l’émergence sont là. Maintenir encore et toujours de la croissance, des taux élevés, en favorisant l’entrepreneuriat, la transformation, les services, l’exportation. Et investir parallèlement massivement dans le social, une meilleure redistribution des richesses et des revenus. Faire en sorte que le progrès vienne vers les petits salaires, qu’il sorte aussi d’Abidjan. Que la croissance vienne toucher les zones rurales et les zones périurbaines, « les quartiers » des grandes villes. C’est l’objectif que s’est fixé l’équipe du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly. Faire entrer « l’autre » Côte d’Ivoire dans l’émergence. Tout est lié. La démocratie ne peut exister qu’avec le développement économique. Mais l’émergence ne peut fonctionner que si les citoyens ont confiance dans leurs pouvoirs publics. ■ 29


CE QUE J’AI APPRIS propos recueillis par Astrid Krivian

Fatoumata Diawara Chanteuse et comédienne malienne née

en Côte d’Ivoire, elle vient de sortir un deuxième album* dans lequel elle raconte la vie, l’amour et le pouvoir. Spirituelle, libre-penseuse et engagée, celle qui a toujours vécu comme elle l’entendait, tout en restant attachée aux traditions, envisage son art comme une thérapie.

❯ Enfant, je savais déjà ce que je voulais, je disais « non » aux adultes. Ils ne l’acceptaient pas. Je souffrais et culpabilisais d’être rebelle, différente, croyant que c’était de ma faute. Il n’y a pas d’école pour exprimer ta différence. Si tu t’en sors, tant mieux, sinon, ça peut te détruire. J’ai dû bousculer les codes et les traditions de ma famille. J’ai refusé un mariage arrangé. Plus tard, je me suis enfuie à l’étranger avec la compagnie de théâtre de rue Royal de Luxe. ❯ J’ai perdu ma sœur quand j’étais petite. Ça m’a beaucoup perturbée, je dansais jusqu’à en tomber en transe. Ma mère a essayé de me faire arrêter, mais c’était ma manière d’exprimer ma douleur. J’avais des nodules sur mes cordes vocales, je n’arrivais pas à parler. Mes parents m’ont alors envoyée chez ma tante et mon oncle au Mali. ❯ Je suis pour toute forme de spiritualité. Tous les lieux spirituels m’appellent, car Dieu y est. J’exécute aussi des pratiques animistes, j’aime ça et je ne veux pas le cacher. Le Mali est un pays musulman mais aussi animiste, même si c’est tabou. Les djinns, les anges me guident, je suis davantage amie avec eux qu’avec les êtres humains. Eux, ne mentent pas. ❯ Incarner le rôle de la sorcière Karaba [dans la pièce Kirikou et Karaba adaptée du film de Michel Ocelot sorti en 1998] sur scène m’a soignée. Au fil de la création, j’ai réalisé que l’épine que l’on sortait du dos de la sorcière à la fin de la pièce était la mienne. J’avais une idée très naïve de ce personnage, mais j’ai compris que c’était une femme battue, violée, incomprise, rejetée, qui n’a pas trouvé sa place parmi les humains. Dans sa solitude, elle s’est créé son monde de démons… Ce rôle m’a aidée à trouver la douceur, la paix. Ce n’est jamais acquis, on doit apprendre à vivre avec son passé, c’est un combat quotidien. Il faut toujours garder la lumière près de soi, et la spiritualité peut aider. ❯ Suite au coup d’État au Mali en 2012, j’ai réuni des artistes de toutes les régions du pays autour de ma chanson Mali Ko, pour éveiller les consciences, et dire que notre diversité est une force. On n’avait alors pas de président, les gens commençaient à s’entre-tuer… Il fallait que nous les musiciens, nous nous donnions la main. J’utilise la musique comme une thérapie, et j’ai la chance de venir d’un pays où elle est très respectée, elle est un héritage des ancêtres. Les chanteurs sont plus écoutés que les politiques. Le réalisateur Abderrahmane Sissako a été bluffé par la force de cette chanson. Il m’a alors donné le rôle d’une chanteuse qui continue la musique malgré la pression des djihadistes dans son film Timbuktu. ❯ À travers ma musique, je m’adresse à la jeunesse pour ouvrir des débats : comment s’adapter à la modernité tout en gardant le positif de nos traditions, qui ont beaucoup à nous apprendre ? Ma façon de chanter, de me coiffer, de me vêtir sur scène, est très influencée par les anciens. La nouvelle génération ne m’inspire pas… Quand je regarde les Américaines à la télé, je m’ennuie ! Aujourd’hui, dans la musique, tout est technique, alors que dans le passé, c’était l’émotion d’abord, et c’est ce que je cherche. ■ *Fenfo, 3e Bureau/Wagram Music, dans les bacs.

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AIDA MULUNEH

« On doit apprendre à vivre avec son passé, c’est un combat quotidien. » AFRIQUE MAGAZINE

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TOURISME

BIENVENUE EN TUNISIE !

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Révolution, attentats, sécurité… le tourisme a connu des années sombres. Mais cet été, les visiteurs sont de retour en nombre, prêts à découvrir un pays particulier, sous le soleil et avec du caractère. Reste à savoir si les infrastructures et les services arriveront à absorber la demande.

NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE.COM

par Frida Dahmani

8 millions de vacanciers sont attendus en 2018. Un véritable record.

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TOURISME BIENVENUE EN TUNISIE !

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ur l’avenue Habib Bourguiba, les cafetiers sont tout sourire : « Les gazelles sont de retour », lance un marchand de jasmin, en se référant aux jeunes Espagnoles attablées en terrasse. Pour les attirer, il leur raconte les premières heures de la révolution sur cette grande artère de Tunis en 2011 et assure que le jasmin la symbolise ; c’est le jackpot, il vend 10 bouquets et a assuré sa journée. Pas besoin de se référer aux chiffres pour avoir une preuve de la relance du tourisme : les vacanciers sont bel et bien revenus, les bus d’excursions sillonnent la ville, et les souks sont devenus une véritable tour de Babel où l’on finit toujours par se comprendre. Un signe qui ne trompe pas et confirme que « 2018 est l’année de la vraie reprise », comme l’avait annoncé la ministre du Tourisme, Selma Elloumi Rekik, qui attend pas moins de 8 millions de visiteurs. Un record. De quoi réjouir les opérateurs du tourisme, qui avaient subi de plein fouet tout d’abord l’impact de la révolution en 2011, puis celui des attentats terroristes du musée du Bardo et de la station balnéaire de Port El-Kantaoui en 2015. Avec, à la clé, la perte de 100 000 emplois pour un secteur qui en offre 500 000. Dans cette période hors norme, les ministres précédents, Mehdi Houas et Amel Karboul, avaient tenté de sauver les meubles, de parer au plus pressé et de mettre à profit un moment contre-performant pour faire un état des lieux.

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Pour les professionnels, le millésime s’annonce rare ; rien que sur les cinq premiers mois de l’année, ils ont réalisé 32 % de plus. C’est mieux qu’en 2014, année de référence qui avait engrangé près de 3,6 milliards de dinars et 7 millions de visiteurs. Un prévisionnel qui rassure le secteur, mais également une bouffée d’oxygène pour l’État qui va étoffer son matelas de devises ; au 23 juin 2018, il ne dispose que de 71 jours de réserve pour les paiements de sa balance commerciale extérieure. Une conjoncture d’autant plus fragile que, depuis un an, les exportations ont dû compter avec l’augmentation de tous les intrants et la perte de 21 % de la valeur du dinar face à l’euro. Mais cette situation profite au tourisme : « Et hop, deux paires de babouches au lieu d’une ! Avec la dévaluation du dinar, les prix pratiqués paraissent dérisoires aux visiteurs étrangers », indique un vendeur de produits d’artisanat. L’embellie annoncée fait du bien au moral, mais pour les professionnels, les hôteliers et les agences de voyages, la situation reste difficile : travaillant avec des marges faibles pour être attractifs, ils ne voient pas forcément leurs bénéfices augmenter quand leurs recettes sont en hausse. Ils ressentent également les effets d’une inflation qui caracole à 7,7 % et sont soumis à des taxations en hausse. Autre conséquence de l’augmentation du coût de la vie : la majoration des frais de gestion, des services et des salaires, que la plupart des intervenants du secteur tentent de contrôler en ayant largement recours à des saisonniers. Pour s’en sortir, ils misent sur le AFRIQUE MAGAZINE

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EMERIC FOHLEN/HANS LUCAS

Contrastes tunisiens : à Sousse et Hammamet, les beach parties font le plein des amateurs de fiesta…


ADEL/XINHUA/REA

… pendant qu’ailleurs, les adeptes d’un tourisme « halal » se prennent en photo devant l’entrée de la médina de Tunis. nombre, compriment leurs prix et comptent sur la dévaluation du dinar pour rendre la destination attractive ; pour le même montant qu’un voyage en Europe, les vacanciers peuvent ainsi s’offrir un séjour plus long dans des établissements de classe supérieure, avec le soleil et la mer en prime. Mais le risque est que l’affluence estivale influe sur la qualité des services proposés. De nombreux établissements particulièrement endettés sont longtemps restés fermés. Leur remise en marche représente un coût, tandis que certaines infrastructures, dont la moyenne d’âge est de 30 ans, ont subi un coup de vieux, sans avoir aujourd’hui les moyens de s’offrir un réel rafraîchissement. Depuis plusieurs saisons, ces problèmes sont récurrents dans le secteur du tourisme tunisien. Tout comme les risques de surbooking, dus à la forte affluence prévue en juillet et en août. Ce qui ne rassure pas sur la disponibilité de l’accueil, certains établissements de Djerba, Sousse et Hammamet affichant déjà complet pour le mois d’août. Pour 2018, le défi est de séduire une nouvelle clientèle, notamment les 900 000 visiteurs russes prévus sur l’année, et de fidéliser ceux pour qui la Tunisie est un lieu de vacances incontournable. C’est le cas de la clientèle algérienne, qui n’a pas fait défection sur les sept dernières années malgré un climat sécuritaire tendu, et qui surtout consomme sans regarder à la dépense, contrairement aux Européens, plus frileux sur leur budget. Friande de Sousse et de Hammamet, elle est également essentielle à la région de Tabarka, principal AFRIQUE MAGAZINE

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Le défi est de séduire une nouvelle clientèle, notamment les 900 000 visiteurs russes prévus sur l’année.

point d’entrée sur le territoire tunisien pour les voyageurs qui se déplacent en famille et en voiture. Chouchoutée jusque-là, acceptera-t-elle d’être prise dans un flux qui induit une qualité de services moindre ? Mais ceux qui risquent le plus de pâtir de l’embellie du tourisme sont les Tunisiens. Entre les difficultés d’accès aux hôtels, les tarifs prohibitifs et le manque d’égards, ils font l’objet de discriminations diverses. Pourtant, ils ont été une manne quand, pendant sept ans, le tourisme a été au creux de la vague. Le tourisme intérieur a sauvé la haute saison, mais a également contribué à faire découvrir les régions. Ainsi, le 35


TOURISME BIENVENUE EN TUNISIE !

Les Algériens, ailleurs mais chez eux

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Tabarka, dans le Nord-Ouest, Khmiss est satisfait : sa gargote ne désemplit pas depuis la fin de ramadan. « Les Algériens sont revenus, les affaires ont repris, la saison sera bonne », claironne-t-il. Cette petite ville somnolente à la frontière tuniso-algérienne est le point de passage de ces vacanciers qui arrivent en famille pour sillonner le littoral tunisien, avec une préférence pour Sousse et Hammamet. « Cette année, nous découvrirons aussi Kélibia », projette Hamid, en quête d’une villégiature abordable et offrant des loisirs pour tous. La ministre du Tourisme, Selma Elloumi, sait « compter sur la clientèle algérienne » : « Ils étaient 2,5 millions en 2017 et seront 3 millions durant la haute saison 2018. » Depuis 2011, malgré la menace terroriste et les difficultés du tourisme, les Algériens ont toujours été fidèles à leurs habitudes. « Le pays est voisin, partage une langue commune et propose un dépaysement sans nécessiter de visa », indique Hamid, qui revient pour le cinquième été consécutif, mais souhaite que des tarifs spéciaux leur soient accordés. « Les prix sont moins chers pour ceux qui viennent d’Europe. La partie tunisienne doit revoir sa stratégie commerciale à l’égard de son voisin et allié de toujours. Pourquoi ne pas accorder aux Algériens des avantages ou encore les aligner sur ceux du tourisme local ? », se demande Amar Khelifati, gérant de l’agence de voyages Plein Soleil à Alger. Néanmoins, les Algériens ne sont pas des touristes classiques en Tunisie : ils sont d’abord consommateurs et fans de loisirs, se consacrent au shopping, profitent des soldes, font leurs courses pour la rentrée scolaire, se fournissent dans les supermarchés et assistent à des spectacles. Ils sont moins attirés par l’artisanat local, mais profitent de l’atmosphère de liberté. Des rapports sociaux plus conviviaux et un mode de vie plus spontané leur donnent la sensation de vivre sans les tabous de la société algérienne, un peu comme avant la décennie noire. « Ici, ils sont attirés par la liberté. Il n’y a jamais de regards réprobateurs. Un homme algérien peut siroter une bière tranquillement, et sa femme se baigner en maillot ou porter un décolleté sans heurter quiconque », avance Aymen, serveur à Gammarth. En Tunisie, les Algériens sont ailleurs, mais chez eux. ■ F.D.

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festival SiccaJazz, au Kef, ou celui de Rouhaniyet, à Nefta, proposant de la musique soufie et mystique, sont si courus par les Tunisiens que les places s’arrachent longtemps à l’avance. Ils sont devenus prescripteurs et entraînent dans leur sillage des étrangers curieux de ces manifestations méconnues des circuits touristiques. Désormais, il se passe toute l’année quelque chose, quelque part. Mais l’été reste néanmoins une saison particulière, une période où les Tunisiens de tous milieux se mettent en pause : « C’est ma manière de retourner en enfance, de retrouver un état de bien-être. Dès qu’il fait chaud, comme sous l’effet d’un vieil atavisme, je n’ai que la lumière, les baignades et la fête en tête », confie un avocat réputé pour son sérieux. La majorité des Tunisiens pensent pareil. Sous l’effet de la démocratisation des loisirs et de la liberté qui s’installe dans le pays, voiles, shorts, jebbas et bikinis cohabitent sur les plages, dans les cafés et les spectacles. Malgré la cohue, les beaux gosses de la plage s’essayent à draguer les filles qui font leurs coquettes. Un été toujours exceptionnel, même par temps de crise.

LE RETOUR DES TOUR-OPÉRATEURS Mais la Tunisie a connu des situations similaires par le passé, sans grandes conséquences sur son attractivité. Au contraire, c’est comme si le nombre attirait le nombre. Cependant, les sept dernières années de vaches maigres n’ont pas permis aux opérateurs d’investir. Rares sont ceux qui l’ont fait en choisissant de cibler une clientèle haut de gamme, comme l’hôtel La Badira à Hammamet ou le Four Seasons en banlieue de Tunis. Pour l’heure, l’enjeu est que le secteur du tourisme puisse faire au mieux avec ce qu’il a et retrouve une vitesse de croisière. Son tort est sans doute de ne pas oser et d’utiliser d’anciens circuits qui marchent, mais qui ne le satisfont pas ; notamment, le recours aux tour-opérateurs (TO), qui pressurisent les prix, mais garantissent un gros contingent de lits occupés. Dans ce regain pour la Tunisie, difficile de contrôler les marchés émetteurs ou d’avoir une quelconque influence sur eux, les TO décidant de privilégier certaines destinations. Néanmoins, des campagnes de communication orchestrées par le ministère du Tourisme ont permis de renouer avec les marchés européens traditionnels, avec une hausse des entrées de 45 % pour les Français et 42,4 % pour les Allemands. Elles ont aussi permis de prospecter de nouveaux marchés, comme le Japon et la Russie, en partenariat le plus souvent avec des TO turcs. Les campagnes promotionnelles classiques, le retour des tour-opérateurs et des croisiéristes et la situation de stabilité politique ont contribué à cette embellie. Le plus a été la mise à profit de la Coupe du monde de football en Russie pour médiatiser de façon soutenue la participation de la Tunisie. Cette visibilité donnée au pays a été possible grâce AFRIQUE MAGAZINE

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La compagnie aérienne nationale, exsangue, « profite » des longues négociations tuniso-européennses sur l’ouverture du ciel.

notamment à un affichage dans les rues de Moscou ; l’équipe n’a pas brillé, mais les supporteurs tunisiens, avec leur joie de vivre et leur enthousiasme, ont été autant d’ambassadeurs aux couleurs du pays. Sans compter leur fougue sympathique qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux.

Résultat : l’optimisme est au rendez-vous. « Mes chiffres sont très bons pour 2018. Le retour des tour-opérateurs anglais après trois années d’absence était inattendu », souligne Zohra Driss, propriétaire de la chaîne Marhaba, dont l’un des hôtels à Sousse a été attaqué en juillet 2015. En effet, 2018 ne se profilerait pas comme une année record sans les levées d’interdiction de voyage à leurs ressortissants de certains pays, comme la Grande-Bretagne. Les ministères du Tourisme et de l’Intérieur ont travaillé à rassurer les partenaires étrangers en présentant leur nouvelle stratégie sécuritaire, avec notamment des contrôles et des interconnexions entre les services de renseignement, et en instaurant de nouvelles normes de sécurité aux établissements et dans les zones touristiques, dont la généralisation de la mise en place de portiques de contrôle. Cela n’empêchera pas les pointes d’énervements, les infrastructures telles que les routes et les aéroports restant sous-dimensionnées au regard du flux constant de la haute saison. Il est question d’un nouvel aéroport pour Tunis, puisque celui de Tunis-Carthage suffoque, les points de contrôle étant des goulots d’étranglement. Sur les autoroutes

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ouvoir approcher une clientèle différente qui apprécie de voyager à la carte pour un coût raisonnable reste tributaire de la ratification de l’accord de l’Open sky entre la Tunisie et l’Union européenne (UE). Depuis la fin des négociations, en décembre 2017, c’est le statu quo. Pourtant, l’ouverture du ciel tunisien générerait 2,7 % de croissance du PIB du tourisme et 800 000 passagers de plus sur cinq ans selon l’UE. Mais la partie tunisienne peine à intégrer l’Open sky. En cause, l’inévitable perte de la compagnie aérienne nationale Tunisair de sa position de quasi-monopole à un moment où elle est en grande difficulté. Une remise en question serait pourtant salutaire, puisque la société, malgré un service moyen et des retards conséquents, pratique des tarifs prohibitifs : 500 euros l’aller-retour Paris-Tunis en août 2018. Entre tourisme et Tunisair, l’État doit choisir, et surtout accepter de revoir à la baisse les ambitions d’une compagnie qui n’en a pas les moyens. ■ F.D.

NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE.COM

UNE NOUVELLE STRATÉGIE SÉCURITAIRE

Open sky ou Tunisair, l’État doit choisir

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TOURISME BIENVENUE EN TUNISIE !

10 CHEMINS DE TRAVERSE POUR L’ÉTÉ Bien sûr, il y a la plage de l’hôtel. Mais voici quelques idées pour vivre la Tunisie autrement.

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TRADITIONNELLES, les soirées aux festivals de Carthage et de Hammamet. INÉVITABLE, le bomboloni (un beignet) croqué à Sidi Bou Saïd.

BRANCHÉS, les concept-stores de Tunis et de la banlieue nord, qui présentent le must de l’artisanat, de la mode et du design.

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DÉJANTÉES, les journées de beach bars de Sousse, de Hammamet ou de Gammarth. Presque rien à envier à Ibiza...

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ORIGINALE, la virée en bateau vers la crique sauvage de Robinson, tout au bout du cap Bon.

Le Festival international de Carthage.

L’archipel des Kerkennah.

FAMILIAL, le séjour à Chebba à 60 km au nord de Sfax : plages préservées et poisson frais garanti. POPULAIRE, la baignade à côté des paillotes de Sidi Ali El Mekki, près de Bizerte.

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INSOLITE, l’archipel des Kerkennah, entre calme absolu, pêche aux poulpes et expo photos. EXCEPTIONNEL, le coucher de soleil ou lever de lune à Douiret, en pays berbère.

INCROYABLE, la région des Mogods (nord-est) où l’églantier embaume dans le maquis qui dévale vers un rivage intact. ■ F.D.

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moins pimpante de la Tunisie. N’empêche que le pays tient ses promesses de ciel bleu, de sable blond et de mer turquoise, étant une destination de farniente essentiellement balnéaire. Mais il suffirait d’un grain de sable pour que la saison dérape.

DES TOURISMES DE NICHE 2018, une année test pour la pérennité, surtout pour fidéliser une clientèle européenne, les nouveaux marchés étant encore fragiles. Elle sera aussi essentielle pour vivifier un secteur qui doit faire la distinction entre tourisme et hébergement. Dans les faits, le tourisme cherche toujours à se définir et par conséquent à se diversifier, et mise comme dans les années 1970 sur le balnéaire, qui marque l’âge d’or du AFRIQUE MAGAZINE

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DR - BLOG CULTURE PATRIMOINE - DANIELLE VILLASANA/REDUX/REA

et aux péages, il faut aussi s’armer de patience et prévoir de longues attentes, d’autant que les chantiers d’aménagement en cours sont sources de ralentissements. Autre point noir, le laisser-aller ambiant, qui impacte l’environnement : en dehors des parcours les plus fréquentés qui, taillés au cordeau, ont des allures de carte postale, la collecte des déchets n’est pas toujours assurée par les services de voiries, qui sont sous-équipés et sans moyens. « À Sidi Bou Saïd, sous l’effet de l’affluence, difficile de conserver les ruelles propres », dénonce un agent qui n’a qu’une brouette à sa disposition, tandis qu’à Sousse ou à Tunis, la municipalité peine à collecter les rebuts des chantiers de construction. Cette accumulation de problèmes ainsi que les mauvaises habitudes des citoyens renvoient une image

La forteresse de Douiret.


DR - MOHSEN BEN CHEIKH

Le Four Seasons de Tunis, dernier né de l’offre luxe.

tourisme tunisien. Mais les temps étaient autres, et la clientèle réclamait ce type de produit ; aujourd’hui, elle est devenue plus exigeante. Pourtant, d’autres niches ont été identifiées, notamment le tourisme culturel, les séjours de thalassothérapie ou encore le tourisme écologique, mais elles peinent à prendre. Les tourismes de santé et de soins se maintiennent, eux, mais relèvent d’un autre type de clientèle. Nouveau venu, le tourisme « halal » : il choque certains Tunisiens, qui y voient une forme de prosélytisme idéologique, mais en séduit d’autres puisqu’il s’adresse aux familles : « Comme certains veulent déjeuner avec un verre de vin, et c’est leur droit, je souhaite me relaxer dans un espace conforme à mes principes. Je profiterai de mes enfants dans un environnement décent et aménagé pour cela », explique Talel qui a réservé une semaine à Chott Meriem en juillet. Avec une clientèle conservatrice acquise, ce tourisme n’a aucune difficulté à s’implanter, et vise aussi les marchés arabes, turcs et malais. Néanmoins, le produit « Tunisie » demeure flou, faute de véritable positionnement et d’une profonde refonte. Une situation provisoire, puisque le nouveau bureau de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH) est particulièrement actif en matière de réforme et de mise à niveau, et a également comme objectif la numérisation du produit touristique. « Les loisirs en Tunisie coûtent cher », note Khaled Fakhfakh, président de la FTH, pour expliquer, entre autres, une offre de divertissements irrégulière sur l’année, en raison des mises de fonds nécessaires mais aussi du manque d’espaces dédiés. Pourtant, depuis la chute de l’ancien régime en 2011, les énergies se sont libérées, l’expression artistique est pléthorique, les lieux de rencontre abondent, et l’espace public est sorti de sa léthargie. Une sorte de mouvement perpétuel dont les Tunisiens sont les principaux acteurs. Le pays vit des temps nouveaux, parfois de manière chaotique, mais toujours vivante, presque rock’n’roll. On y parle de démocratie, de liberté, d’égalité sans tabous, et cette expérience, malgré les avis rabat-joie de certains, est en ce moment unique au monde. Sa révolution a suscité des sympathies, et depuis, son parcours reste remarquable, malgré une crise économique sévère. Sans avoir perdu de son charme, avec un enthousiasme et une fragilité en plus, cette nouvelle Tunisie paraît terriblement attachante car elle a conservé ses dimensions humaines. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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Situé en pleine médina, le Dar El Jeld, boutique-hôtel au cœur d’une maison restaurée.

Le privé investit dans le haut de gamme

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aisons d’hôtes, rues aménagées dans la médina, hôtels cinq étoiles en bord de mer… Les investisseurs vont à contrecourant, misent sur des structures à taille humaine, y croient, et ça marche. La rue Dar El Jeld, entre restaurant étoilé, hôtel de charme, galerie de peinture et atelier d’artisanat haut de gamme, est un parcours tout en raffinement qui doit à l’investissement privé, dont celui de la famille Abdelkefi qui s’implique dans la préservation de la médina de Tunis. Les précurseurs, comme les promoteurs de l’hôtel The Residence Tunis sur les côtes de Carthage, cartonnent et font le plein parce qu’ils offrent, dans Tunis, un service et un cadre exceptionnels. « En réalité, nous ne sommes associés à aucune stratégie », déplore Sabri Oueslati, président d’Edhiafa, association tunisienne des maisons d’hôtes créée en 2011, et promoteur de Dar Sabri à Nabeul. Ce tourisme alternatif qui propose des hébergements sur tout le territoire est très prisé par les Tunisiens, mais peine à trouver ses marques auprès d’une clientèle étrangère, faute de l’ouverture du ciel. « Nous misons sur les week-ends ; le reste de la semaine et en été, les visiteurs sont rares au Kef », précise la propriétaire de la maison d’hôtes Dar Boumakhlouf. Ce n’est pas le cas des unités hôtelières de luxe : le Four Seasons, la plus grande unité en Méditerranée au label de la chaîne, et le Mövenpick Hotel Gammarth Tunis font dans le luxe et misent sur une qualité de service irréprochable ainsi qu’un cadre intemporel extrêmement raffiné. Dans ces espaces de charme, le client devient un hôte privilégié, dont les exigences sont satisfaites. Une formule qui fidélise une clientèle prête à payer pour l’exception. ■ F.D.

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TECHNOLOGIE

LA RÉVOLUTION

DIGITALE PEUT-ELLE PEUT ELLE SAUVER

L’AFRIQUE Q ? Un peu partout, des ENTREPRENEURS développent des applications novatrices. Mais pour générer un véritable saut qualitatif, il manque des écosystèmes dédiés, au service du dynamisme et de l’innovation. par Cédric Gouverneur

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liou Badara Niang est arrivé du Sénégal en France il y a dix ans, après son bac, dans le but de poursuivre ses études. Le jeune homme s’est alors retrouvé face à un souci : « Comment envoyer des colis au pays, entre les prix exorbitants des transporteurs et les délais démesurés de la Poste ? », raconte-t-il à Afrique Magazine. Aliou se rend à l’aéroport Charles-de-Gaulle, afin de dénicher un compatriote charitable pour embarquer son colis dans ses bagages : « Je me suis rendu compte que tous les Africains vivant en France faisaient ça ! Étant ingénieur en informatique, je me suis demandé pourquoi ne pas développer une plate-forme dédiée à cette activité, en apportant formalisme et sécurité. » Et c’est ainsi qu’en 2015 a vu le jour la start-up Colis GP… « Aujourd’hui, nous avons 90 000 utilisateurs, avec des points relais en Afrique pour rendre le service accessible à ceux qui sont rétifs aux technologies. Ces points relais nous permettent de toucher une commission. » Et d’enfin pouvoir vivre de cette activité. Car pour monter sa boîte, Aliou a dû se débrouiller tout seul : « J’y travaillais le soir et le week-end, en dehors de mes heures de bureau à la BNP. Tout était autofinancé. Je n’ai reçu aucune aide », précise-t-il, déplorant « le manque de structures d’accompagnement, d’aides financières et d’investisseurs qui croient en la jeunesse africaine ». Comme Aliou, des centaines de AFRIQUE MAGAZINE

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ZYAD LIMAM

La 3e édition de VivaTech à Paris a vu la mise en place d’AfricaTech. Une centaine de start-up africaines étaient de la partie.

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TECHNOLOGIE LA RÉVOLUTION DIGITALE PEUT-ELLE SAUVER L’AFRIQUE ?

TROIS QUESTIONS À… OMAR CISSÉ, COFONDATEUR D’INTOUCH ET DE TERANGA CAPITAL Omar Cissé, 41 ans, ingénieur diplômé de l’école polytechnique de Dakar, a lancé en 2014 la start-up InTouch, une plate-forme qui rend interopérables les solutions de paiements sur mobile.

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Comment vous est venue l’idée d’InTouch ? Omar Cissé : Rien qu’à Dakar, environ 20 000 points de vente proposent des transferts d’argent, des crédits pour téléphone, des services bancaires de paiement sur mobile. Or, ces solutions ne sont pas interopérables ! Chaque acteur vient avec son propre téléphone, avec des solutions différentes selon les opérateurs, divers mots de passe… Nous avons donc tout intégré sur une plate-forme unique : avec InTouch, les commerçants ont affaire à une seule plate-forme, avec une hotline d’assistance disponible 24/7. Total a cru dans notre solution et l’a acceptée dans ses stations-service, avant d’entrer au capital. Nous avons 6 000 clients au Sénégal, 600 en Côte d’Ivoire, 600 au Mali, 200 au Cameroun, et nous serons présents au total dans huit pays à la fin de l’année. Quel soutien avez-vous reçu lors du lancement de votre entreprise, désormais florissante ? Aucun ! Nous avons démarré avec quatre ingénieurs, nous avons travaillé sur fonds propres, avec les moyens du bord. Et aujourd’hui, nous employons près de 200 personnes… Nous avons ainsi participé au lancement de Teranga Capital : un fonds d’investissement positionné sur le fameux missing middle, ces entreprises trop grosses pour bénéficier du microcrédit mais trop petites pour les banques. Teranga Capital investit dans les PME, de 75 000 à 450 000 euros. L’idée est de donner un coup de pouce au démarrage, puis de sortir du capital au bout de cinq ans. Quels sont les principaux défis que doivent affronter les jeunes entrepreneurs sur le continent ? L’environnement, en particulier fiscal, n’est pas incitatif. Ensuite, les partenaires externes veulent accompagner des sociétés bien gérées. Il faut donc renforcer les structures d’accompagnement des entreprises dans leur phase d’apprentissage, les accompagner dans la gestion, et créer un régime fiscal plus incitatif. Il y a beaucoup de discussions entre le patronat et les gouvernements, mais ce qui touche aux recettes de l’État reste bien évidemment sensible. ■ Propos recueillis par C. G.

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jeunes Africains ont créé leur propre start-up, sous le signe de la débrouillardise : très souvent, ces entrepreneurs ont trouvé l’idée géniale permettant de résoudre un problème concret, auquel eux-mêmes étaient confrontés. « On parle de problem solving companies », explique Haweya Mohamed, directrice générale d’Afrobytes, hub digital dédié à la tech africaine. « La jeunesse n’attend rien des pouvoirs publics, alors elle se prend en main, résout un problème et le transforme en business. » Ces solutions concrètes peuvent se résumer en un maîtremot : le « leap frog », le saut de grenouille, qui permettrait d’aller beaucoup plus vite en termes de développement, pour griller les étapes. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) peuvent en effet pallier les carences des États et des grands groupes privés en matière d’infrastructures, alors même que s’accroissent les besoins, du fait de l’explosion démographique et du consumérisme de la classe moyenne émergente. Ainsi, Colis GP résout un besoin – l’acheminement postal –, auquel les États africains répondent mal. L’énergie solaire et éolienne, en plein essor, se substitue au réseau électrique câblé défaillant : M-Kopa Solar a permis à plus de 140 000 foyers d’accéder à l’électricité en Afrique de l’Est. Des microsociétés de recyclage valorisent les déchets qui s’accumulent, faute d’éboueurs. Les drones regardent de haut le réseau routier et ses nids-de-poule. Au Rwanda, ils livrent les cliniques rurales en médicaments et en poches de sang. Le premier « drone-port » au monde devrait d’ailleurs ouvrir au Pays des mille collines en 2019. Et l’une des premières villes au monde à utiliser des robots afin de régler le trafic routier est Kinshasa ! Car l’Afrique, dans ces domaines, est « en avance ». Paradoxalement, son déficit en infrastructures accélère son passage à la quatrième révolution industrielle, baptisée « 4IR » ou « industrie 4.0 » : drones, robots, imprimante 3D… Le téléphone mobile – qui depuis les années 2000 s’est substitué au réseau téléphonique filaire, mort-né – sert de socle à toute une gamme de services, palliant ainsi les lacunes d’autres réseaux. Au Cameroun, GiftedMom propose aux futures mères des conseils par SMS, afin de lutter contre la mortalité infantile. Mais le plus bel exemple de réussite reste M-Pesa, au Kenya : en 2007, l’opérateur mobile Safaricom a eu l’idée de proposer des services bancaires sur téléphone mobile. Grâce à M-Pesa (pesa signifiant « argent » en swahili), les citadins peuvent enfin transférer de l’argent à leurs parents vivant en zones rurales, mal équipées en agences bancaires. M-Pesa permet désormais de régler ses factures, d’accéder au microcrédit. La plate-forme revendique 30 millions de clients, dont 18 au Kenya, et va proposer ses services en Europe de l’Est. Deux tiers des comptes bancaires enregistrés sur mobile sont africains. En mars 2017, à l’occasion du dixième anniversaire de la plus célèbre des start-up du continent, Safaricom estimait que M-Pesa avait permis de créer environ 860 000 emplois AFRIQUE MAGAZINE

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Des solutions qui se résument en un maître-mot : le « LEAP FROG », le saut de grenouille.

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(dont 100 000 agents M-Pesa quadrillant le pays). Pourtant, les banques kenyanes avaient fait du lobbying pour couler ce service qui leur faisait concurrence. Il faut dire que l’opérateur mobile est soutenu par l’État kenyan, son actionnaire à 35 %… Un atout de poids, dont sont dépourvues la quasitotalité des start-up. MISSING MIDDLE Car malgré ces success-stories, les entrepreneurs africains peinent encore à trouver des financements. De façon révélatrice, le salon Afrobytes, qui réunissait les 7 et 8 juin derniers les acteurs de la tech africaine afin notamment de leur faire rencontrer des investisseurs, se tenait à Paris, et non à Abidjan ou à Lagos : « Les investisseurs sont pour l’instant tous étrangers, explique Haweya Mohamed. Il est plus simple de réunir de grandes entreprises européennes à Paris. Les innovateurs africains manquent de business angels, notamment au moment critique de l’amorçage », c’est-à-dire lors de la mise en place de leur start-up, lorsqu’ils ont des rêves plein les yeux, mais les poches vides… « L’écosystème pour soutenir les entrepreneurs doit être renforcé », estime Velani Mboweni. Fils et petit-fils d’entrepreneur, ce Sud-Africain âgé de 25 ans, cofondateur de l’application de covoiturage Lüla, pointe du doigt le fameux missing middle (en français, « mésofinance »), qui empêche les PME africaines de trouver des financements : en substance, les banques ne prêtent qu’aux riches, et le microcrédit ne sert AFRIQUE MAGAZINE

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La start-up kenyane M-Kopa Solar a permis à 140 000 foyers d’accéder à l’électricité.

qu’aux TPE… « L’aversion pour le risque et le manque de confiance nuisent aux engagements significatifs envers les innovateurs, indique Velani Mboweni. Dans la plupart des cas, étant donné la nature monopolistique de l’économie sud-africaine, c’est rare qu’une start-up démarre sans relations ni capital social. » L’entourage des entrepreneurs ne les appuie que rarement : « Quand un jeune étudie, estime Mamba Souaré, de l’incubateur sénégalais spécialisé dans l’économie sociale et solidaire MakeSense, la famille s’attend à un rapide retour sur investissement, c’est-à-dire qu’il trouve rapidement du travail afin d’aider la cellule familiale : fonctionnaire, employé de banque, ou encore salarié dans le tourisme… Mais les trois premières années de son activité, un entrepreneur parvient rarement à se rémunérer ! » Pour une réussite aux allures de conte de fées, combien de galères, d’ailes brisées ? « Sur 100 entrepreneurs, 70 échouent au bout de trois ans », évalue-t-il. « L’écosystème africain n’est pas encore favorable aux start-up », analyse Mamba Souaré, qui pointe également la responsabilité de « l’inadéquation des compétences enseignées par rapport aux demandes du marché : l’enseignement supérieur n’a pas changé depuis des décennies, il ne forme pas des créateurs d’emploi, ce n’est pas favorable à l’entrepreneuriat ». Un constat confirmé à l’échelle du continent : si l’Afrique compte environ 1 650 institutions d’enseignement supérieur, seulement quatre figurent dans le classement des 500 universités les plus cotées – une en Égypte, trois en Afrique du Sud. Le ralentissement économique de la fin des années 1970, les programmes d’ajustement culturel des années 1990 et la subséquente fuite 43


TECHNOLOGIE LA RÉVOLUTION DIGITALE PEUT-ELLE SAUVER L’AFRIQUE ?

des cerveaux ont « durement affecté les performances » de l’enseignement supérieur du continent, résume l’universitaire ghanéen Jonathan Chuks Mba, directeur de la recherche et de la planification académique de l’Association des universités africaines (AUA), dans une tribune publiée en mai 2017 par le Partenariat mondial pour l’éducation (GPE) : « La plupart des pays africains sont confrontés à une pénurie de ressources humaines et de capacités dans les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques. Le modèle actuel de production des compétences en Afrique ne correspond pas aux besoins du marché du travail et du développement », tranchet-il. Malgré ces facteurs handicapants, l’écosystème est en train de s’affirmer en faveur des start-up. Selon une étude réalisée par le fonds de capital-risque Partech Ventures, 124 start-up technologiques africaines ont levé l’an dernier 467 millions d’euros, soit 53 % de plus qu’en 2016 et… 14 fois plus qu’en 2012 ! Partech Ventures vient de lancer un fonds de 100 millions d’euros en soutien aux start-up africaines. Au salon VivaTech de mai dernier, Emmanuel Macron a annoncé un financement de 65 millions d’euros pour le concours d’innovation numérique Digital Africa, lancé par l’Agence française de développement : « L’AFD va déployer un instrument spécifique destiné à combler les failles d’accompagnement par des petits tickets, qui sont ceux dont ces start-up ont besoin, de 30 000 à 50 000 euros », avait alors déclaré le président français, confirmant sa volonté, affirmée lors de son discours de Ouagadougou de novembre 2017, d’aider les start-up et les PME africaines. Doté par l’AFD, l’incubateur Bond’innov, à Bondy, près de Paris, porte depuis 2016 Afric’innov, « un pôle d’activité et de renforcement des capacités des incubateurs africains ou travaillant avec l’Afrique », nous explique sa directrice, Ninon Duval-Farré. « Début juin, à Ouagadougou, nous étions réunis avec La Fabrique et une vingtaine d’autres incubateurs, africains, afin de travailler ensemble à l’accompagnement des projets. » Au printemps, Afric’innov a attribué ses tout premiers prêts d’honneur à des start-up africaines, sélectionnées par les incubateurs partenaires pour le sérieux

de leur projet : « Des prêts quasiment gratuits, sans caution, de 10 000 à 30 000 euros. » Afric’innov va également lancer cet automne « une plate-forme numérique répertoriant les incubateurs du continent ». Au Nigeria, l’entrepreneur Tomi Davies a lancé en 2015 l’African Business Angel Network (ABAN) pour convaincre les grandes fortunes, qui placent leurs billes dans l’immobilier – une valeur sûre et tranquille –, à oser miser sur les start-up. De grands groupes européens s’intéressent aussi aux jeunes entrepreneurs de la tech. Depuis 2011, Orange a soutenu la création de plusieurs incubateurs africains (CTIC Dakar au Sénégal, CIPMEN au Niger, CREATEAM au Mali…). Au salon VivaTech, EDF a lancé sa 2e édition de EDF Pulse Africa, offrant des bourses aux plus prometteurs. Et au Kenya, dans la Silicon Savannah, les grands groupes américains, comme Microsoft, IBM, Facebook et Google, soutiennent les start-up de l’Afrique de l’Est. Un mécénat non désintéressé, puisque pour une multinationale, un réseau solide de PME en Afrique, c’est autant de partenaires potentiels… DAVID CONTRE GOLIATH Un autre obstacle attend néanmoins les jeunes entrepreneurs : les carences de l’État de droit. Respect des contrats et des brevets, droits de propriété, règlement des litiges… Beaucoup de pays du continent se situent tout en bas du classement Doing Business, établi chaque année par la Banque mondiale. Le premier, le Rwanda, est 41e. Même la puissante Afrique du Sud n’est que 82e, derrière le Maroc, qui est 69e. Fondateur de e-Doley Finance, Ernest Tewelyo Akendengué, 38 ans et lauréat 2015 du prix StartUp Afrique, vient de saisir la justice contre la banque gabonaise BGFIBank, à Libreville, et devant le tribunal de commerce de Paris : « Ma société e-Doley Finance, la banque mobile de Libreville, et BGFIBank, la plus grande banque commerciale du Gabon, exploitaient conjointement depuis 2013 un mécanisme de paiement et de transfert d’argent mobile : e-Doley Cash by BGFIBank. » C’est un succès, et ce service est récompensé par le Grand prix de l’excellence du président de la République. En février 2015, un changement intervient à la direction de BGFIBank : « La nouvelle direction me propose de racheter mes solutions. Et un matin, à Libreville, j’ai la surprise de voir partout des publicités pour BGFIMobile… » Le jeune entrepreneur accuse désormais BGFIBank d’exploiter ses solutions sans autorisation, et demande des dizaines de milliards de CFA de dédommagement : « Heureusement, j’avais déposé les brevets de mes solutions. Il est très facile pour une grande entreprise de léser une start-up. C’est David contre Goliath. Sauf que, rappelez-vous, David finit par l’emporter… » ■

La plupart des pays sont confrontés à une pénurie de ressources humaines dans les TECHNOLOGIES. 44

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MAURICE LÉVY

« Les start-up africaines méritent notre admiration » propos recueillis par Zyad Limam

BLONDET ELIOT/ABACA

MAURICE LÉVY, président du conseil de surveillance de Publicis Groupe (et président du directoire du groupe entre 1987 et 2017), le géant français de la publicité et de la communication, est aussi le fondateur du salon VivaTech, dont la 3e édition s’est tenue du 24 au 26 mai à Paris. Une manifestation d’ampleur mondiale dédiée aux nouvelles technologies. Cette année, VivaTech a laissé une large place à l’Afrique, avec la présence d’une centaine de jeunes entreprises dans divers domaines : finance, énergie, santé… Interview dans ses bureaux au-dessus des Champs-Élysées.

AM : Les observateurs ont été surpris du succès de cette 3e édition de VivaTech. Et ils ont aussi été assez épatés de retrouver à Paris la crème de la crème de la puissance tech mondiale, en particulier américaine. Tous les grands étaient là. Maurice Lévy : Pour ne rien vous cacher, moi aussi, j’ai été agréablement surpris. C’était impressionnant. Nous avons beaucoup, beaucoup travaillé sur cette édition. J’ai puisé dans un « réservoir » relationnel que je cultive depuis plus de vingt ans. Ce sont des gens que j’ai connus à des époques où ils n’étaient pas encore tous des grands patrons. Certains ont accepté de venir parce que j’ai un peu insisté, j’ai râlé, j’ai demandé. Certains ont bougé leurs agendas, d’autres ont annulé des conseils d’administration pour venir. C’est vraiment impressionnant. Et puis, fait très important, Emmanuel Macron, le président de la République, a engagé une discussion autour de la « Tech for Good », la technologie au service du bien. Toutes ces personnalités sont AFRIQUE MAGAZINE

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impliquées dans ce lien entre les savoirs, les compétences, les technologies, l’intelligence artificielle et la contribution sociale, le bien commun. La Tech for Good et le vrai « business » sont-ils réellement compatibles ? Évidemment ! Il y a d’ailleurs cette expression américaine : « Doing good is good business. » Faire du bien, c’est faire du bon business. Les gens y sont sensibles. Permettez-moi deux exemples, un ancien et un récent. L’ancien, c’est Nike. Il y a quelques années, on découvre que des enfants travaillent dans les usines délocalisées de l’équipementier américain. Il y a des publications partout, les gens protestent, les chiffres de Nike s’effondrent. Les réseaux sociaux existent déjà. C’est une traînée de poudre. Nike reconnaît les faits, bouleverse son approche et impose aux usines en Asie qu’elles n’emploient plus d’enfants. Deux actions ont été faites : on a sanctionné quand cela a été découvert, puis Nike a corrigé (« doing good ») et Nike est reparti (« good business »). Deuxième exemple, un peu plus récent : les incidents chez Starbucks. Le dernier en date concerne le comportement raciste d’employés envers deux hommes noirs, qui attendaient un ami tranquillement attablés. Les employés ont eu peur – c’est un délit de faciès –, ils ont appelé la police. Résultat : le grand patron de Starbucks décide de fermer durant un après-midi les 8 000 points de vente américains, pour que ses salariés reçoivent une formation sur les discriminations raciales. Ce qu’il y a de très intéressant, c’est que cette même entreprise, 45


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quelques années auparavant, après avoir connu une épopée formidable, a vu ses chiffres fléchir. Son fondateur, Howard Schultz, est alors revenu aux commandes. C’est le moment où l’ouragan Katrina a ravagé La Nouvelle-Orléans et la Louisiane. Howard Schultz a invité les employés volontaires à prendre sur leur temps de travail, aux dépens économiques de l’entreprise donc, pour aider les sinistrés avec lui. Plus de 1 000 personnes ont participé. L’entreprise s’est remobilisée, et tout le monde a été très fier de dire : « Voilà qui nous sommes, nous sommes des gens bien. » Donc doing good make good business. VivaTech devient peu à peu une référence du monde digital, à la même échelle que le Consumer Electronic Show (CES), à Las Vegas – peut-être avec un contenu différent, une part importante étant accordée à la réflexion sur les évolutions du marché. Cette édition a d’ailleurs laissé une large place à l’Afrique, avec AfricaTech. Pourtant, le continent n’est pas un acteur majeur du monde digital. Qu’est-ce qui vous a amené sur ce chemin ? C’est clairement ma décision. L’Afrique est entrée à VivaTech dès l’année dernière. Je voulais faire quelque chose de plus fort. Il se trouve que le groupe Publicis a une présence non négligeable en Afrique, plutôt en Afrique anglophone d’ailleurs. Nous suivons ce qui se passe au Ghana, au Nigeria, au Rwanda, en Afrique du Sud… Et puis, cela fait des années que je m’intéresse au développement des paiements mobiles, du portefeuille électronique, de l’évolution des entreprises de télécoms. On a vu que l’Afrique francophone n’était pas à l’écart de ces évolutions. On a donc voulu une forte présence africaine. J’ai à moitié réussi. Pourquoi ? Quel était votre objectif ? Mon objectif – ambitieux – était de 500 start-up. J’ai réussi à en amener un peu plus de 100. Le processus a été plus complexe que prévu. Les déplacements pour ces entreprises toutes neuves sont chers, coûteux, il faut des sponsors, on avait besoin d’entreprises importantes qui parrainent. On a aussi été confronté à la question des visas, à la difficulté de les obtenir. On a eu de beaux pavillons nationaux, visibles, comme celui du Maroc. Et comme vous le savez, je suis né au Maroc !

La présence de Paul Kagame, le président rwandais, a été largement commentée, compte tenu des relations pour le moins complexes avec la France… J’ai rencontré Paul Kagame à Davos l’an dernier, et je lui avais dit : « Il faut venir à Paris, à VivaTech, parce que le Rwanda est en avance en matière de start-up. » Il m’avait répondu : « Never! » J’insiste : « C’est formidable ce que vous faites. Venez ! » Il me répond : « Never! » De retour à Davos en janvier 2018, nous dînons ensemble, je le prends à part, et je le lui redemande. Et là, sa réponse a été : « Maybe. » Le Landerneau parisien dit que vous l’avez pratiquement emmené chez le président Emmanuel Macron… Je connais l’histoire, et j’ai beaucoup travaillé avec lui pour surmonter cela, mais ce sont les diplomates qui ont fait tout le travail. Et puis, Emmanuel Macron l’a invité, Paul Kagame est venu, c’est tout. Pour revenir à VivaTech, alors demi-échec ou demi-réussite ? Il y a eu plus de 100 start-up africaines à Paris. Qui aurait pu l’imaginer ? Il y a toutes les raisons d’être content. Mais je considère qu’on peut faire plus, et j’espère qu’on va faire plus. J’espère qu’on va y parvenir l’année prochaine. Je pense que c’est très important de donner la parole à l’Afrique dans ce domaine. De contribuer au changement d’image du continent. De sortir des clichés de la corruption, de la pauvreté, des pouvoirs politiques inamovibles ou incompétents. Il y a aussi toute une nouvelle génération intelligente, émergente, créative. La tech africaine est pour l’heure, très « pratique ». Il y a des innovations simples, astucieuses, efficaces, qui peuvent changer la vie quotidienne. Les télécoms, les paiements, l’eau, l’énergie naturelle… Il faut aider ces créateurs, les mettre en avant. Quels sont les besoins essentiels de ces start-up, comment peuvent-elles croître plus vite ? Plus que le financement – bien que nécessaire –, ces entreprises ont besoin d’un écosystème général qui les aide, les soutienne. Les efforts en Afrique sont comparativement beaucoup plus importants que ceux qu’une start-up européenne devra faire, compte tenu du gap de l’écosystème. C’est pour cela que j’ai de l’admiration pour elles. Nous, en France, nous sommes largement soutenus, et encore, nous ne sommes pas au niveau des Américains concernant la recherche, les financements, les collaborations avec les laboratoires des universités… En Afrique, nous sommes au tout, tout début de la courbe, avec un environnement du savoir à peine existant. Ce qui est intéressant, ce sont les liens entre certaines de ces start-up et les institutions prestigieuses françaises, comme les laboratoires de Polytechnique, d’Orsay, de Normale Sup. Des choses se mettent en route et vont produire

« Le plus important, c’est de sortir de l’approche en SILOS, centralisée, et d’aller vers le travail en réseaux. » 46

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JACQUES WITT/SIPA

Emmanuel Macron et Paul Kagame se sont rencontrés à l’Élysée en mai, aux côtés de Pierre Louette (à g.), PDG du groupe Les Échos-Le Parisien, coorganisateur du salon VivaTech, et Maurice Lévy. des effets. Le plus important, c’est de sortir de l’approche en silos, centralisée, hiérarchisée, qui bloque les échanges et la communication, et d’aller vers le travail en réseaux. Croyez-vous à cette théorie – que l’on a beaucoup entendue sur les forums de VivaTech – du bond qualitatif, le « leap frog », qui permettrait à l’Afrique de passer les étapes grâce à la technologie ? Oui, j’y crois, et d’ailleurs, cela ne concerne pas que l’Afrique. Regardez le gap technologique que l’Europe connaît par rapport aux États-Unis. Ce différentiel peut être absorbé d’un coup, à la prochaine rupture numérique, si nous ne sommes pas idiots, si nous sommes créatifs. Par exemple, Thierry Breton, le PDG d’Atos, est en train de développer un ordinateur quantique, un supercalculateur. S’il réussissait à le faire, à rendre cela opérationnel… On a la rupture. Aujourd’hui, il n’y en a que deux ou trois en développement dans le monde. Si l’on réussissait, cela changerait la donne pour la France de manière gigantesque, historique. Pour l’Afrique, est-ce que vous avez senti ce potentiel global ? Je n’ai pas encore trouvé une innovation révolutionnaire. C’est normal, nous-mêmes en France, malgré nos capacités, nous n’en avons pas en ce moment. On y travaille. Je vous ai parlé de l’ordinateur quantique. J’ai aussi vu une start-up attachée à Normale Sup qui fait un excellent travail sur la possibilité de dialoguer uniquement par le regard. La force de l’Afrique, son génie, réside plutôt dans la simplicité. Je l’ai constatée à travers plusieurs applications. Or, dans un monde qui se complexifie, ce qui est simple est d’une grande qualité. Les Américains, qui ont horreur de la sophistication, disent souvent : « Make it stupid, make it simple. » Quand vous avez cette capacité à simplifier, à répondre à des besoins, vous pouvez « leap froger ». La Tunisie comme le Maroc étaient des pays de sous-traitance, et passer de la sous-traitance à l’innoAFRIQUE MAGAZINE

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vation est remarquable. Tout d’un coup, des choses se passent, c’est formidable. Quand vous en êtes là, vous pouvez créer une culture, et cette culture crée un mouvement pour tout le pays. Vous êtes un homme de communication, vous n’avez jamais été tenté de travailler avec l’Afrique ? J’ai beaucoup regardé, et je me suis souvent retenu. À l’époque, c’était très compliqué, je ne vais pas citer de pays ou de noms. Le prix à payer était élevé, il fallait financer tel ou tel projet, telle ou telle campagne politique. Et avec beaucoup d’intermédiaires, assez gourmands… L’autre problème était plus éthique : en tant que publicitaire, je ne me voyais pas faire des campagnes pour vendre des produits chers à des populations qui n’avaient pas les moyens de les acheter ou pour qui ce n’était pas une priorité, et de créer ainsi de la frustration. Est-ce que l’Afrique contemporaine a besoin de communication ? Évidemment, tous les pays en ont besoin. La publicité est un élément très intéressant de la vie sociale et culturelle. La communication, c’est aussi une forme d’éducation à la compétition, à la concurrence, au marché. La publicité permet aussi l’essor de médias indépendants. Un seul annonceur peut avoir du poids. Une collectivité d’annonceurs ne sera jamais assez homogène pour influencer un média. Pour conclure, les médias sont-ils menacés par la digitalisation massive ? Le digital n’est qu’un outil, un support, comme le papier. La plate-forme n’est qu’une plate-forme. La vérité, aujourd’hui comme hier, c’est que le contenu est roi – « content is king ». Ceux qui seront capables de fournir un contenu adapté seront toujours là. En France, si vous regardez des projets comme Mediapart ou Explicite, vous voyez qu’il y a des médias digitaux qui se créent et se développent avec toute la rigueur d’un véritable organe de presse dans le domaine de l’information grand public. ■ 47


LES GENS

Bertin Nahum « Dans l’innovation, il n’y a pas de demi-mesure » À 48 ans, le Franco-Béninois n’a pas fini de bousculer le secteur de la robotique médicale. Visionnaire, persistant, combatif, c’est aussi un entrepreneur hors pair. Rencontre et interview à Paris avec celui que le métier compare souvent à Steve Jobs ou à Mark Zuckerberg. propos recueillis par Catherine Faye


AMANDA ROUGIER POUR AM

L’ingénieur à Paris, en juin 2018.


LES GENS BERTIN NAHUM : « DANS L’INNOVATION, IL N’Y A PAS DE DEMI-MESURE »

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n parcours hors norme. Et une persévérance à toute épreuve. Bertin Nahum, né à Dakar de parents originaires du Bénin, est ce qu’on appelle un visionnaire. Propulsé sur le devant de la scène internationale en septembre 2012 lorsqu’il est classé quatrième entrepreneur hightech le plus révolutionnaire du monde par la revue canadienne Discovery Series, il n’est spécialisé ni dans les réseaux sociaux, ni dans l’informatique, contrairement aux autres lauréats, mais dans l’assistance robotique à la neurochirurgie. Médiatique fondateur de Medtech, racheté en 2016 par l’américain Zimmer Biomet, leader incontesté pour la fabrication de dispositifs médicaux, cet ingénieur chevronné crée dans la foulée Quantum Surgical, start-up montpelliéraine, au sein du parc d’activités Eurêka, pôle tertiaire de premier plan. Toujours dans le même secteur : la fabrication de matériel médicochirurgical. Son objectif ? Continuer à explorer le potentiel de la robotique chirurgicale mini-invasive, à même de fiabiliser les actes des praticiens et en apportant précision et répétabilité. Avec conviction, l’entrepreneur franco-béninois va toujours au bout de ses intuitions. C’est un bâtisseur. Qui a le sens des réalités et du bonheur. Avec Quantum Surgical, il explore le domaine du traitement du cancer, notamment du foie. Un challenge pour cet homme d’affaires qui n’en est pas à son coup d’essai. Avec Medtech, il a déjà créé BRIGIT™, dédié à la chirurgie du genou, puis ROSA™, un robot à guidage laser qui assiste les praticiens pour les opérations du cerveau et de la colonne vertébrale. Décoré des insignes de Chevalier de la Légion d’honneur en 2013, il n’en fait pas étalage. Et mène sa vie en véritable artisan de son destin. Avec un mental de boxeur pour affronter ses défis. ■

AM : Le monde médical et la santé ont-ils toujours été une priorité pour vous ? Bertin Nahum : C’est à la fin de mon cursus à l’INSA (Institut national des sciences appliquées) de Lyon, lors d’un projet de fin d’études en collaboration avec l’hôpital de neuro-cardiologique, que l’immersion dans le milieu médical a été une révélation. Nous devions développer un logiciel d’intelligence artificielle pour faire le diagnostic automatique de lésions crâniennes. Jusque-là, mes choix se faisaient plutôt par défaut. Dès lors, pouvoir contribuer à soigner les gens a donné du sens à mon diplôme d’ingénieur en génie électrique et électronique. Et j’ai voulu consacrer mes compétences et mes connaissances aux technologies dédiées à la santé. Orphelin à 14 ans, vous êtes confié à la DDASS. Votre enfance a-t-elle été déterminante dans votre parcours ? Avant ma naissance, mes parents ont quitté le Bénin pour 50

« Si on ne prend pas de risques, on ne peut pas se développer. J’étais prêt à perdre, mais je m’en serais toujours voulu de ne pas avoir tenté l’aventure. »

Dakar dans l’espoir d’une vie meilleure. C’est là que je suis né. Puis j’ai grandi à Lyon où nous avons déménagé. Mon père, comptable de formation, y a ouvert une épicerie avec ma mère pour m’élever avec mes frères et mes sœurs. J’ai perdu ma mère à l’âge de 9 ans, mon père à 14 ans, mais je n’ai pas le recul nécessaire pour savoir ce qu’aurait été ma vie si j’avais vécu différemment. Si c’était un facteur de réussite de traverser ce genre de difficultés, cela se saurait. Et ce n’est pas la réalité statistique. Néanmoins, je suis dépositaire d’une force familiale. Nous étions huit enfants et nous sommes toujours restés très soudés. Mon moteur, c’est la conviction. Je vais toujours au bout de mes projets. Au bout de ma vision. Même si je ne suis pas certain d’avoir raison, je ne lâche pas. Comment s’est amorcée votre trajectoire ? J’ai commencé par repérer toutes les offres d’emploi dans le secteur de la santé et j’ai été recruté dans une start-up pour y faire de la recherche et du développement. Une fois sur le terrain, j’ai installé les machines, formé les équipes. Puis j’ai changé de société. D’expérience en expérience, j’ai assisté à des centaines d’opérations chirurgicales au bloc, dans différentes spécialités. Là, c’était du concret. On voit travailler les infirmières, les chirurgiens, les anesthésistes, les brancardiers, on voit pourquoi ça ne fonctionne pas, les limites, les difficultés, ce que le matériel apporte ou non. J’ai commencé à en tirer AFRIQUE MAGAZINE

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SYLVAIN THOMAS/REA

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ROSA™ Brain (robotized stereotactic assistant), développé en 2007, permet d’atteindre, au millimètre près, la zone du cerveau à opérer. 51


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un certain nombre d’enseignements. Un jour, dans la dernière société où j’ai travaillé en tant que salarié, j’ai fait part de mon point de vue : « Compte tenu de tout ce que j’ai vu, je pense qu’il faudrait développer une machine avec telle et telle fonctionnalité, car cela correspond aux besoins. » Cette petite PME toulousaine dont l’activité principale était l’instrumentation en aéronautique avait développé une activité de robotique médicale. Ils avaient tout en interne pour faire des prototypes, des projets spéciaux. Les moyens, la volonté, tout y était. Mais les choses ne se sont pas passées comme je le pensais. Vous étiez donc déjà convaincu par le développement de la robotique médicale ? Bien sûr, mais l’innovation, d’une manière générale, est une activité risquée. Il faut se lancer à fond ; il n’y a pas de demi-mesure. Le problème des gens dont ce n’est pas l’activité principale, c’est qu’ils bricolent. Si on ne prend pas de risques, on ne peut pas se développer. Je suis donc allé voir mon supérieur qui m’a dit : « On a le temps. » Je lui ai répondu : « Ce n’est pas… un jour, c’est maintenant. » Et j’ai compris que la seule façon de faire, c’était de le faire tout seul. J’ai donc donné ma démission. On ne peut aborder le risque qu’après avoir mesuré le risque que l’on prend. J’ai décidé de vendre ma voiture, alors que je venais d’avoir un premier enfant, et je me suis dit qu’au pire, j’aurais perdu quelques économies et qu’il suffirait de repartir à zéro. J’étais prêt à perdre, mais je m’en serais toujours voulu de ne pas avoir tenté l’aventure. Vous prenez donc le risque de créer Medtech sans filet ? Nous sommes en 2001 et je me lance dans ce projet de création d’entreprise, à Nîmes d’abord puis à Montpellier, avec un capital de 50 000 euros. En 2002, je me présente à un concours national au ministère de la Recherche pour les créateurs de start-up. Lauréat, je me vois octroyer une somme de 200 000 euros. De quoi créer Medtech, avec une petite équipe de trois personnes, dont certains sont toujours à mes côtés aujourd’hui, et développer. Le souci étant que notre activité est friande en ressources financières. Pour créer des machines, il faut acheter du hardware, des composants. Heureusement, nous avons le soutien des collectivités régionales et départementales, et nous nous inscrivons à tous les concours imaginables, pour obtenir des subventions. Ce qui nous permet d’avancer sur le robot BRIGIT™ (bone resection instrument guidance by intelligent tool). Mais il y a une catégorie que j’ai du mal à convaincre, toujours aujourd’hui d’ailleurs, ce sont les investisseurs. Nous raclons les fonds de tiroirs et cela commence à devenir difficile. En 2004, le prototype est prêt, mais nous n’avons pas les moyens de le lancer commercialement et de le vendre, car cela coûte très cher. Heureusement, l’Américain Zimmer, leader mondial de la chirurgie orthopédique, nous a repérés et propose d’acheter Medtech. Ce que je refuse, tout en lui proposant de lui vendre le brevet de BRIGIT™, 52

«Ce qui est clair, c’est que je ne travaille ni pour l’argent ni pour les honneurs ou les titres. Cela ne m’intéresse pas. Ce qui compte, c’est ce qui me fait vibrer. » pour miser aussitôt l’argent sur le développement de ROSA™ Brain (robotized stereotactic assistant). Encore un nom féminin pour adoucir l’image des instruments, l’humaniser auprès des équipes soignantes… Développé en 2007 avec les équipes du neurochirurgien Alim Louis Benabid, du CHU de Grenoble, une pointure scientifique mondiale, le robot convainc rapidement une nouvelle génération de neurologues. L’opération dure moins longtemps et les risques sont considérablement réduits. C’est une sorte de GPS. Grâce à cette machine, l’opérateur peut atteindre avec précision, au millimètre près, une zone du cerveau et, au lieu d’effectuer l’opération à main levée, c’est le bras du robot qui agit. Cela peut s’avérer très utile pour poser une électrode ou réaliser la ponction d’une tumeur. En 2010, vous décidez de partir à la conquête des États-Unis… Le marché américain était tellement stratégique que j’ai décidé d’y aller moi-même, avec mon épouse et mes deux fils. Je me suis d’abord installé à Montréal pensant trouver un bon distributeur, puis à New York, premier marché mondial, où je démarche les hôpitaux directement. Et ça marche. Fin 2012, Medtech commence à avoir de la visibilité, mon classement par le magazine Discovery Series [qui l’a nommé 4e entrepreneur high-tech le plus révolutionnaire du monde, NDLR] fait couler de l’encre et je me dis qu’on a fait nos preuves. Il faut accélérer, donc investir. On est un peu comme des agriculteurs, c’est-à-dire que plus on est capable de semer, d’investir, et plus AFRIQUE MAGAZINE

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JEAN-CLAUDE ROCA

la récolte sera bonne. Si on ne sème rien du tout, il n’y a rien à récolter. Je rentre donc en France et me concentre sur mon troisième « bébé », ROSA™ Spine. Homologué depuis 2014 en Europe et janvier 2016 aux États-Unis, le robot est encore plus sophistiqué que ROSA™ Brain car, contrairement au crâne fixé pendant toute l’intervention, la colonne vertébrale, elle, bouge avec la respiration du malade et les mouvements du praticien. Entrée en Bourse en 2013, Medtech privilégie la croissance plutôt que la rentabilité à court terme. Notre chiffre d’affaires, dont les États-Unis représentent plus des trois quarts, double chaque année, ainsi que les effectifs. On commence à vendre en Chine, au Moyen-Orient, en Europe. En 2015, notre chiffre d’affaires est de 6,5 millions d’euros, avec 65 collaborateurs à Montpellier et à New York. Je décide de faire entrer la société au Nasdaq. Un fonds américano-hongkongais entre au même moment dans l’affaire, avec 15 millions de dollars. Mais au printemps 2016, Zimmer, qui a fusionné avec Biomet propose d’acheter la société, avec une vraie stratégie de développement. Je réalise que si j’entre au Nasdaq, je lèverais des fonds, mais je serais dilué au profit de fonds étrangers. J’accepte. Depuis, ils ont doublé les effectifs, projettent d’embaucher 80 personnes d’ici la fin de l’année, avec 6 000 m2 de bureaux, et veulent faire de Montpellier leur centre de recherche pour les applications de chirurgie. Vous venez donc de créer Quantum Surgical. Quel est votre état d’esprit aujourd’hui ? Ce qui est clair, c’est que je ne travaille ni pour l’argent ni pour les honneurs ou les titres. Cela ne m’intéresse pas. Ce qui compte, c’est ce qui me fait vibrer. Mes associés historiques m’ont suivi et nous avons créé Quantum en 2017 en nous lançant dans le secteur de la chirurgie abdominale, en particulier le cancer du foie. On compte 8 000 nouveaux patients par an en France, et 800 000 dans le monde dont 50 % en Chine. C’est le 6e cancer le plus répandu au monde et le 2e le plus mortel. La solution innovante que nous proposerons viendra comme une alternative aux traitements actuels : l’oncologie médicale (chimiothérapie), la radiothérapie et la chirurgie sur l’organe atteint. L’outil ne se résumera pas à un robot mais proposera une plate-forme numérique dotée d’un logiciel d’aide à la décision et de réalité virtuelle. Nous sommes en train de mettre au point les différentes étapes, de recruter. Nous devrions être une cinquantaine de personnes avant la fin de l’année, toujours à Montpellier. Mon objectif est de créer une ETI (entreprise de taille intermédiaire). Un leader. C’est ma constante : toujours aller plus loin. Franchir un nouveau cap. Ce qui fait la richesse de cette aventure, c’est tout ce que nous faisons au quotidien. Ce qui nous marque, ce sont souvent des détails, des instants. Tout ce qui peut paraître anecdotique, mais qui fait la différence. Le secret du bonheur, c’est de vivre au jour le jour. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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DAVID SANTIAGO GARCIA/AURORA PHOTOS//PLAIN PICTURE

C’est une stratégie particulièrement ambitieuse, annoncée en 2008. Objectif : la transformation et la modernisation de l’agriculture et du monde rural. Depuis, L’AUGMENTATION de la production est considérée comme une grande réussite, mais les performances restent fragiles. La surexploitation des nappes phréatiques, le manque de débouchés et la faible appropriation par les agriculteurs des programmes publics interrogent sur la validité de certains choix faits il y a dix ans. par Julie Chaudier

Avant, le Maroc importait du blé en provenance de l’Europe, que les agriculteurs ne pouvaient concurrencer. Le pays a alors relevé ses droits de douane. AFRIQUE MAGAZINE

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ÉCONOMIE LE PLAN MAROC VERT : LE BONHEUR SERA DANS LES CHAMPS… !

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e 10 juin 2018, à Rabat, Aziz Akhannouch, ministre marocain de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et forêts, et Audu Ogbeh, ministre nigérian de l’Agriculture et du Développement rural ont signé devant le roi Mohammed VI et le président nigérian Muhammadu Buhari, alors en visite au Maroc, une convention de coopération dans le domaine de la formation professionnelle agricole et de l’encadrement technique. Derrière cette formulation obscure se cache la promotion active par le royaume de son Plan Maroc vert (PMV) comme modèle de développement agricole auprès des pays d’Afrique de l’Ouest. Lancé en 2008 par Aziz Akhannouch – déjà ministre de l’Agriculture et par ailleurs PDG de Akwa Group et deuxième fortune du pays –, le Plan Maroc vert prévoit d’investir dans l’agriculture près de 147 milliards de dirhams en dix à quinze ans. Il subventionne l’irrigation, l’amélioration génétique, la mécanisation, la plantation fruitière, la transformation et l’agrégation. L’objectif est simple : augmenter et intensifier durablement la production agricole pour multiplier par deux le PIB agricole et, parallèlement, lutter contre la pauvreté dans les campagnes. Contrairement à ce à quoi l’on pouvait s’attendre et à l’objectif premier de certains plans agricoles du même type mis en place dans les pays émergents, l’objectif du Maroc n’a donc jamais été d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Alors que le monde connaissait en 2007 et 2008 une véritable crise avec l’augmentation soudaine des prix des denrées alimentaires sur les marchés internationaux, le royaume a choisi de conserver toute sa confiance dans le commerce mondial. Le Plan Maroc vert, développé par le cabinet de conseil américain McKinsey, a ainsi misé sur les exportations pour compenser le déficit de la balance commerciale agricole : elles devraient être multipliées par 5,5 d’ici 2020. PRODUIRE PLUS, MAIS POUR QUEL MARCHÉ ? Dix ans plus tard, « l’hypothèse de base du Plan Maroc vert – l’exportation – ne s’est pas vérifiée », constate Mostafa Errahj, enseignant-chercheur à l’École nationale d’agriculture de Meknès. Les exportations agricoles n’ont augmenté que de 40 % entre 2008 et 2016, alors que dans le même temps les nouveaux périmètres mis en culture déversaient leur production sur le marché. Le PIB agricole a ainsi augmenté de 44 % en 2008 et 2016. Une augmentation importante, mais de moitié inférieure à l’objectif poursuivi à l’horizon 2018-2023. Ce constat se retrouve à des degrés divers dans chacune des

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Lancé en 2008, le programme prévoit d’investir près de 147 milliards de dirhams en dix à quinze ans. grandes filières ciblées par le PMV. Le volume de la production d’agrumes doit s’accroître de 230 %, mais n’a augmenté que de 84 % en 2016. La production d’olives n’a même pas été multipliée par deux, alors qu’elle doit l’être par quatre. Les éleveurs ont produit 2,5 milliards de litres de lait, contre un objectif de 5 milliards en 2020. Deux secteurs font toutefois exception : les céréales, première culture du pays, et la viande rouge. La production de céréales a ainsi atteint, en 2016-2017, à la faveur des pluies, une production de 96 millions de quintaux, dépassant largement l’objectif de 76 millions. En 2016, la production de viande rouge a également atteint 550 000 tonnes, pour un objectif fixé à 560 000. Dans un contexte de forte augmentation des productions, « nous nous retrouvons en situation de surproduction, en particulier pour les fruits », s’inquiète Mostafa Errahj. En cause, la qualité des produits, qui n’atteint pas les standards des marchés internationaux. « Il arrive, en dehors des cultures qui sont parfaitement maîtrisées, comme les agrumes et la tomate, que le calendrier des traitements chimiques ne soit pas respecté. Ces traitements sont faits trop près de la cueillette, et les résidus sont supérieurs aux normes de nos marchés d’exportation européen et américain », explique le chercheur. Les normes d’accès aux marchés étrangers sont très strictes, et si le trop de résidus chimiques peut empêcher l’exportation, la moindre maladie peut avoir les mêmes conséquences. Lors de la campagne 20162017, les fameuses clémentines de Berkane ont ainsi pourri sur les arbres, parce que les États-Unis, où elles devaient être exportées, y avaient détecté des larves de mouche méditerranéenne, considérée comme une menace pour leurs vergers. AFRIQUE MAGAZINE

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Le président nigérian Muhammadu Buhari et le roi Mohammed VI ont signé à Rabat, le 10 juin dernier, une convention de coopération, en particulier dans le domaine agricole.

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Dès lors, tous ces fruits se retrouvent sur le marché local où la concurrence, là aussi, est rude. « Lorsque je travaillais pour la Banque mondiale, sur l’agriculture, nous avions monté un grand projet de développement du blé dans la plaine de Meknès-Fès. Et nous ne parvenions à rien, parce qu’au même moment, le Maroc importait du blé subventionné en provenance de l’Europe, que les agriculteurs ne pouvaient concurrencer. Le pays a alors relevé ses droits de douane, et dès lors, le projet s’est mis à fonctionner », se rappelait en 2015 Nicolas Imboden, cofondateur de l’ONG IDEAS et ancien ambassadeur chargé de la coopération économique entre la Suisse et les pays en développement. Depuis, le Maroc protège activement sa production céréalière, mais n’a cessé, dans les autres filières, de s’ouvrir aux importations étrangères. L’accord agricole qu’il a signé en 2012 avec l’Union européenne accorde l’accès au marché marocain, sans droit de douane, à 70 % des importations agricoles en provenance de l’UE d’ici 2022. Si, en 2009, au lendemain du lancement du PMV, le royaume parvenait à dégager un excédent commercial agricole de 356 millions d’euros dans ses échanges avec l’Union européenne, un déficit de 67 millions d’euros l’avait déjà remplacé en 2014. Au total, les importations agricoles ont été multipliées par plus de deux, par rapport à la période antérieure à la crise alimentaire mondiale de 2008. En dépit de ces difficultés, la direction du Plan Maroc vert continue de pousser l’augmentation de la production et sa diversification. Dans le cadre du pilier II, destiné à la toute petite agriculture vivrière, l’administration locale du ministère de l’Agriculture a invité les agriculteurs à confier, pendant deux ans, leur parcelle à un entrepreneur chargé

COMBIEN DE MILLIARDS POUR LE PLAN ? Objectifs : - entre 145 et 170 milliards de dirhams d’investissement prévus entre 2008 et 2020 (ou 2023, selon les documents) - 90 milliards de besoins de financement auprès des bailleurs étrangers en 2016 afin de boucler le Plan PILIER I : AGRICULTURE MODERNE PRODUCTIVISTE - 24 milliards de subventions aux investissements via le Fonds de développement agricole jusqu’en 2017 - effet levier des subventions : 1 dirham de subvention génère au moins 2,4 dirhams d’investissement privé - au moins 57,6 milliards d’investissement privé PILIER II : AGRICULTURE VIVRIÈRE - 3,1 milliards d’interventions directes de l’État dans de petits projets achevés en 2017 via l’Agence pour le développement agricole - 18 milliards engagés

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de la plantation des jeunes arbres, de la fertilisation, de l’irrigation et du gardiennage. « Dans les faits, ces projets ne sont pas durables, parce que la population qui doit en bénéficier ne se les approprie pas vraiment. J’ai ainsi vu un agriculteur qui avait déjà relâché ses bêtes dans son nouveau verger », témoigne Mohamed El Amrani, enseignantchercheur à l’École nationale d’agriculture de Meknès. Le conseil agricole, essentiel dans ce contexte, n’a pas été oublié par le PMV, mais n’est pas prioritaire. L’Office national du conseil agricole a été fondé en 2013, cinq ans après le lancement du Plan, dans le but de mettre en œuvre une stratégie nationale conçue trois ans plus tôt. « On pourrait […] voir les projets de plantation comme un moyen de développer et renforcer des organisations professionnelles agricoles locales, qui pourront devenir plus autonomes […]. L’arboriculture est actuellement rentable, mais peut-être que demain, les agriculteurs familiaux du pilier II auront à développer d’autres productions ou à améliorer la productivité des plantations ou la commercialisation des fruits pour maintenir leurs exploitations », conseille Nicolas Faysse, ancien enseignant-chercheur à l’École nationale d’agriculture de Meknès, et ses collègues dans leur article « Des hommes et des arbres : relation entre acteurs dans les projets du pilier II du Plan Maroc vert ». Pour lui, le développement des capacités individuelles et collectives des agriculteurs est crucial pour assurer un développement pérenne de l’agriculture. DE LA NÉCESSITÉ DE PÉRENNISER L’ACTION PUBLIQUE Le pilier I du PMV, dédié à la « grande » agriculture productiviste, présente également des difficultés à pérenniser les contrats d’agrégation. Leur objectif est d’intégrer l’amont et l’aval des différents secteurs de l’agriculture en poussant les agriculteurs – moyennant des subventions – à signer des contrats d’exclusivité avec un industriel. Celui-ci vend les intrants chimiques, fournit un conseil agricole aux agriculteurs et s’engage à acheter toute leur production. En échange, ces derniers s’engagent à suivre ses conseils, acheter ses intrants et à lui vendre toute leur production. Dans les faits, l’agrégateur n’est pas toujours livré par l’agrégé, qui préfère, dans un marché ouvert, vendre au plus offrant plutôt que de se retrouver attaché à un seul gros client, qui se trouve également être son fournisseur. Ainsi, « les agriculteurs avaient-ils tendance, jusqu’ici, à signer des contrats pour bénéficier des subventions et ne les renouvelaient pas ensuite. Il est même arrivé qu’ils ne respectent pas le contrat et ne livrent jamais l’agrégateur, car un acheteur s’était présenté sur le marché avec un meilleur prix », explique Khawla Hdidi, ingénieure agronome. Pour que ces contrats durent, il faut que les partenaires perçoivent pleinement leur intérêt dans l’affaire. Selon Khawla Hdidi, les gains de rendement des agriculteurs sont tels qu’ils ont un net AFRIQUE MAGAZINE

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Les produits qui ne sont pas exportés se retrouvent sur le marché local, où la concurrence est rude. intérêt à renouveler le contrat, mais ils sont méfiants et ce n’est « qu’au bout de trois ou quatre années que l’on parvient à établir des relations de confiance qui permettent à l’agrégation de porter ses fruits. » Au niveau du ministère de l’Agriculture, une prise de conscience de la nécessité de pérenniser l’action publique se fait progressivement. Déjà, en 2016, la loi sur l’agrégation a été amendée : « Les subventions sont désormais lissées dans le temps, voire conditionnées au respect du contrat d’agrégation, pour assurer sa pérennité », souligne Khawla Hdidi. « Je ressens une nette inflexion de la politique agricole, depuis peu. Alors qu’au début, on pouvait parler d’intensification à outrance, le PMV commence à subventionner des expériences d’agroécologie en bio et en semis direct, reconnaît avec satisfaction Mostafa Errahj. De nombreux colloques et l’évolution des textes AFRIQUE MAGAZINE

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Dans le contexte actuel, le royaume est en situation de surproduction, en particulier pour les fruits. de lois prouvent cette nouvelle sensibilité. » En parallèle, les pouvoirs publics essaient également de saisir le monde rural comme un tout, un ensemble fragile dont on ne peut pas isoler l’agriculture pour la subventionner selon le même barème que l’agriculture productiviste. Le ministère de l’Agriculture a ainsi créé une direction de développement de l’espace rural et des zones de montagne et adopté une stratégie dédiée en juillet 2015. Quant à l’eau, sans laquelle rien n’est possible, le gouvernement ne semble toujours pas prêt à prioriser la préservation de la ressource sur la productivité agricole (voir article ci-dessous) et tente le compromis. Aujourd’hui, « c’est là que la force publique doit s’exercer, estime Mohamed Errahj. Les cartes de vocation des sols ne doivent pas seulement servir à déterminer où l’on peut cultiver, mais également où l’on n’a pas le droit de le faire ». ■ 59


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La redoutable bataille de l’eau Le manque de pluie représente le premier frein au développement agricole. Pour s’en libérer, le pays finance massivement l’irrigation en goutte à goutte, quitte à vider les nappes phréatiques.

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l y a urgence : le Maroc passera en dessous du seuil du stress hydrique entre 2020 et 2030, car les précipitations devraient se réduire encore de 10 à 20 % par rapport au siècle passé, entraînant une baisse de 7,6 % à 40 % des ressources en eau disponibles d’ici la fin du siècle. Pour faire face au problème, le Maroc tente un grand écart : augmenter ses ressources en eau, sans freiner son développement agricole. Le 5 juin, le roi a donné « ses hautes instructions » pour la construction, « dans les plus brefs délais », de nouveaux barrages, « tout en veillant à la poursuite du programme d’économie d’eau dans le domaine agricole ». Il s’agit de l’irrigation localisée : l’alpha et l’oméga de la politique de l’eau du Plan Maroc vert. Ce programme prévoit de lui consacrer 37 milliards de dirhams, avec l’installation de 588 000 hectares en goutte à goutte. En 2016, 379 000 hectares avaient déjà été mis en place, et 22 milliards de dirhams avaient été exclusivement

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dédiés à la gestion de l’eau. Contrairement au discours officiel, le véritable objectif, cependant, n’est pas de faire des économies d’eau, mais d’atténuer la contrainte hydrique considérée comme le principal facteur limitant l’amélioration de la productivité agricole. « À Taounate, par exemple, où il pleut environ 400 à 500 mm/an, les agriculteurs cultivaient des fèves et des pois chiches. Puis, le goutte à goutte a été installé dans le cadre du PMV, et les agriculteurs se sont logiquement mis à faire du maraîchage, qui consomme plus d’eau et est plus rémunérateur. On en a fait ainsi une zone qui doit avoir de l’eau tout le temps, or aujourd’hui, avec la réduction du niveau des barrages, on ne peut plus l’assurer », explique Abdeljalil Derj, agroéconomiste, consultant et spécialiste de la planification de l’eau. Un choix assumé en interne : « Aujourd’hui, on encourage l’adoption du goutte à goutte pour augmenter la productivité, l’économie d’eau viendra après », a ainsi reconnu en 2014 un responsable au ministère de l’Agriculture et de la AFRIQUE MAGAZINE

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La vallée du Drâa est fortement touchée par la sécheresse.

C. BOISSEAUX-CHICAC/LA VIE/REA

Pêche maritime devant Maya Benouniche, Marcel Kuper et Ali Hammani, chercheurs au département Eau, environnement et infrastructures de l’Institut agronomique et vétérinaire de Rabat, comme ils le révèlent dans leur article « Mener le goutte à goutte à l’économie d’eau : ambition réaliste ou poursuite d’une chimère ?» ÊTRE MOINS DÉPENDANT DE LA PLUIE Tous les garde-fous prévus au départ pour préserver les ressources en eau ont ainsi été contournés. Les agences de bassin ne refusent quasiment jamais leur autorisation aux forages de nouveaux puits. Pire, aucune des nouvelles installations en goutte à goutte ne dispose de compteurs d’eau. Dans un tel contexte, l’État, au nom de l’économie d’eau, se retrouve à subventionner la culture de la pastèque en plein désert. « J’ai commencé avec cinq hectares de culture maraîchère et de pastèques pour compléter mon activité touristique parce que, pour une aussi petite superficie, l’État prend en charge la totalité des investissements pour l’irrigation en goutte à goutte. Du forage à la pompe, en passant par le bassin de rétention : il s’occupe de tout ! On n’a qu’à garder ses mains dans les poches ! » se réjouissait à l’automne dernier Mohamed, habitant de Zagora. Quelques mois plus tôt, les résidents de cette ville située à l’extrême nord-ouest du Sahara manifestaient pourtant contre la faiblesse et la mauvaise qualité de l’eau potable distribuée par le réseau public. « Il y a deux ans, j’ai recensé 2 000 hectares de AFRIQUE MAGAZINE

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cultures de pastèque, or chaque hectare consomme 6 000 m3 d’eau par an, soit une consommation totale de 12 millions de mètres cubes : c’est un cinquième de toutes les ressources en eaux superficielles du bassin du moyen Drâa », s’alarme Aziz Bentaleb, géographe au Centre des études historiques et environnementales, à Rabat. En moins d’une dizaine d’années, les exportations marocaines de pastèques ont logiquement explosé. En 2013, elles atteignaient 100 millions de tonnes par an, contre seulement 10 millions sept ans plus tôt. En misant ainsi aveuglément sur l’irrigation, le PMV a au moins permis, pour un temps, de rendre l’économie marocaine moins dépendante de la pluie. Aujourd’hui, « Maroc vert a permis à l’agriculture d’exprimer pleinement le potentiel des bonnes années et de limiter l’impact des mauvaises années grâce à l’amélioration et la diversification de la valeur ajoutée agricole, qui réduit l’impact sur l’économie nationale dans son ensemble » souligne le ministère de l’Agriculture en mai 2016. Il venait de constater que, lors de la dernière campagne agricole, la valeur ajoutée agricole n’avait baissé que de 7,3 %, alors que la production céréalière s’était effondrée de 70 % à cause de la sécheresse. « Quand, dans les années 1990, la croissance économique variait entre 8 ou 10 % à son meilleur et de -5 à -10 % pendant les pires années (de sécheresse), elle ne varie plus aujourd’hui qu’entre 4 et 5 %, et 1 et 2 % aujourd’hui », souligne Najib Akesbi, enseignant-chercheur à l’Institut agronomique et vétérinaire de Rabat. ■ J.C. 61


LE DOCUMENT présenté par Victor Masson

Cantonnées à des rôles clichés, soit prostituée, soit dealeuse, confrontées aux remarques sexistes, parfois retirées de l’affiche pour ne pas «heurter» le spectateur… Dans Noire n’est pas mon métier, recueil coup de poing, 15 comédiennes dénoncent, à l’initiative d’Aïssa Maïga, les préjugés d’un business qui reste «tout en blanc ». I 62 AFRIQUE MAGAZINE

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Cinéma Pour en finir avec le racisme ordinaire


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ombattre la sous et la mauvaise représentation de la femme noire au cinéma et à la télévision : telle est l’ambition de cet édifiant recueil de témoignages né sous l’impulsion de l’actrice Aïssa Maïga, qui s’est entourée de 15 consœurs. Leurs récits s’accordent tous sur un point : on ne choisit pas une actrice noire par hasard… Le plus souvent, cette décision

FRÉDÉRIC STUCIN

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justifiée par d’autres raisons que le simple talent de la comédienne, déplorent Maïga et ses collègues. En effet, le cinéma a du mal à se défaire des clichés de l’ancien monde, faisant rimer identité noire avec criminalité et hypersexualité. S’inscrire dans la continuité de cette représentation erronée, c’est contribuer à maintenir une image péjorative de la communauté noire dans l’imaginaire collectif français, dénoncent les 16 comédiennes. Noire n’est pas mon métier offre une analyse post-coloniale et féministe du monde du cinéma, au lendemain de l’affaire Weinstein. Et devrait inciter à faire changer les mentalités. ■ De gauche à droite : Marie-Philomène Nga, Assa Sylla, France Zobda, Maïmouna Gueye, Firmine Richard, Karidja Touré, Aïssa Maïga, Sabine Pakora, Rachel Khan, Mata Gabin, Sara Martins, Nadège Beausson-Diagne et Sonia Rolland.

Noire n’est pas mon métier é collectif, 128 p., éditions du Seuil (2018).


Extraits

LE DOCUMENT

NADÈGE BEAUSSON-DIAGNE « Vous allez bien ensemble avec le bamboula »

Pour que les choses changent, c’est à nous de parler, d’éduquer, d’écrire, d’être unies et unis. Aujourd’hui, nous savons que nous représentons un poids économique, nous avons un public. Il faut que les réalisateurs, les scénaristes, les producteurs, les décideurs de chaînes réalisent que notre métier doit être un miroir de notre société. Ceux qui ne se voient que rarement à la télévision, au cinéma ou au théâtre ne demandent qu’à exister dans le silence assourdissant de notre belle société métissée. Autrement, comment nos enfants pourront-ils se construire s’ils ne se voient nulle part ?

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MAÏMOUNA GUEYE Bambi Qui a tué Bambi ??? Pan ! Pan ! Bambi alias moi, anciennement biche sensible et flageolante dans son labyrinthe de lumière. Bambi, piquée au vif lors d’un virage, s’évanouissant vers un barrage planté par des géants sans pitié. Je cumule les questions pendant que j’agonise… Je vois défiler les porcs qui ont voulu souiller mon identité et qui certainement se reconnaissent aujourd’hui tremblants. Je trouve cela plus jouissif de ne pas les nommer… Tremble et enferme ton groin dans ton peignoir que tu as ouvert dans ta chambre d’hôtel alors que moi j’espérais juste ouvrir les pages de ma pièce. Je venais pour lire des mots, je n’avais pourtant pas indiqué que j’étais « chroniqueuse du sexe ». Heureusement, mon amoureux m’attendait en bas. Eh bien oui, monsieur, j’ai un amoureux qui avait trouvé louche que je me rende à ce rendez-vous professionnel en ce lieu ; en terrain miné, disait-il.

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Étais-je naïve ? Insensée ?? Je dirais non ! J’avais juste affaire à une gent bien particulière aux procédés bien rodés. Des bouchers obsessionnels qui sévissent et qui écorchent ton être pour se sentir beaux et forts… Voilà tout… Plus ils se jouent des autres, plus ils abusent, plus ils rient. Dans l’enfer de cette chambre d’hôtel, je tressaillis ; ma main tremblait à l’idée de dompter cet animal avec une gifle, mais je me ravisai, sortis et claquai la porte. Je laissai mon porc la queue en tire-bouchon derrière son oreille et moi ma pièce contre mes bras. Mais c’est moi qui avais honte, un comble ! J’ai perdu le goût d’écrire pendant un temps comme si je dénigrais mes mots autant que mon être le fut. Aujourd’hui, je me suis pardonné d’avoir été imprudente. Je suis désolée de vous informer que je ne suis pas un sujet d’obsessions sexuelles fantasmagoriques. Je ne suis pas à dévorer, je suis juste une comédienne noire désireuse de faire son métier. Souffrez que cela puisse exister.

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RACHEL KHAN « Sans entendre aucun bruit » J’aimerais dire à Gilles Jacob, le président du Festival de Cannes, pour le rassurer, que si je ne suis pas en bas des marches ce n’est pas à cause de mon retard, qu’au contraire en tant que Noire j’étais très à l’heure, mais que d’autres sont deux siècles à la bourre. Mais je ne suis pas une balance et j’utilise peu Twitter. Sur la Croisette, je marche encore au côté de la projection que je renvoie : la Noire. Comme une ombre inqualifiable qui écrase mon travail d’actrice circonscrit à des rôles tristement attendus. Je suis illégitime à être une autre que cela. La puissance de toute comédienne réside pourtant dans la possibilité de s’affranchir des contraintes sociales, économiques et autres pour vivre son personnage pleinement sur le plateau. Ici, les rôles que l’on me propose, rôles dits AFRIQUE MAGAZINE

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« de Noires », ne font pas rêver. Au contraire, ils sont pires que la réalité, montrent l’illégitimité voire l’illégalité, nourrissent les névroses discriminatoires au lieu d’incarner ce monde post-Obama. Ça se passe ici en France « sans entendre aucun bruit ». Parce que Noire, je devrais devenir infidèle à mes sens, passer le balai avec un accent en offrant mon cul, qui a le rythme dans la peau, à tous les passants au moment où le héros du film court dans la rue. Nous sommes en 2018 et si je fais le bilan de tout ce qui a pu m’être proposé, seuls 10 % des rôles que j’ai joués m’ont permis d’exprimer mon travail hors des clichés délétères. « Sans entendre aucun bruit », avec ma couleur de peau, je ne corresponds pas à ce qu’il faut raconter.

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AÏSSA MAÏGA « Expulsée » Il y a plus de dix ans, je décroche le premier rôle d’une comédie romantique. Il n’était pas prévu que le personnage de ce film soit noir, mais mon agent de l’époque avait suggéré au casting et au réalisateur de me rencontrer et obtenu gain de cause. Je suis choisie, un miracle. Ou plutôt une succession de conditions favorables, les étoiles qui s’alignent, le réalisateur qui se bat contre son producteur pour que je sois son héroïne, et me voici propulsée actrice principale dans une romance aux côtés d’un célèbre acteur français. Lui blanc, moi noire, français et parisiens tous les deux, nous formons un couple. Un couple comme il en existe des tas dans la vie. Le tournage se passe bien. Je suis heureuse. J’ai bien fait de ne pas désespérer. Je suis passionnée par mon métier, je peux déplacer des montagnes. Tonton Alpha avait raison. Puis arrive le temps de la promotion. Les affiches de comédies romantiques françaises sont pour ainsi dire toutes les mêmes : Elle et Lui. Ou : Lui et Elle. Ou bien : Elle et Lui et leurs amis. Ou encore : AFRIQUE MAGAZINE

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Lui et Elle et leurs amis. Et plus récemment : Elle et Elle et leurs amis. Entre romance et humour, l’affiche est toujours une variation sur le même thème autour des deux protagonistes. Quand je découvre l’affiche de mon film, je vois que je n’y apparais pas. Mon partenaire, unique héros d’une histoire d’amour devenue taboue, règne, glorieusement placardé, seul avec lui-même. Je ne m’éterniserai pas : les exemples de ce type sont trop nombreux. Ce qui blesse, ce sont ces multitudes de remarques déplacées, ces refus répétés, cette myriade de clichés, incessants, plaqués, et l’idée qui se répand insidieusement, absorbée par chaque pore de la peau, chaque cellule, chaque neurone. Je. N’ai. Pas. Ma. Place. Dans. Ce. Pays. Dans. Leurs. Histoires. Dans. Leur. Imaginaire. Car. Je. Suis. Noire. Cette fois-là, c’est on ne peut plus évident. Je suis enragée. Révoltée. Je trouve que l’on ne peut décidément pas me demander d’ingurgiter les principes humanistes de l’antiracisme, les pensées du siècle dit des Lumières, les textes du théâtre classique français, liberté-égalité-fraternité et me demander de supporter sans broncher le goût âcre d’une subtile mais réelle relégation raciale. Je suis expulsée de l’affiche, je me vois devenir invisible, et en plus je suis sommée de rester docile, pire, reconnaissante. Sur le moment, il m’est implicitement demandé de ne pas penser que le producteur et le distributeur ont choisi d’écarter, de gommer l’actrice principale de l’affiche du film en raison de la couleur de sa peau. Il m’est implicitement demandé de ne pas prendre cet effacement de façon personnelle et de regarder avec recul la machine marketing se mettre en marche sans en prendre ombrage : l’acteur principal est célèbre, moi pas. Certes, l’actrice blonde qui était en lice pour le rôle au moment du casting aurait sans aucun doute été sur l’affiche elle aussi, à ses côtés. Mais dans mon cas, le public, à qui l’on peut faire endosser toutes les peurs, ne serait pas prêt.

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LE DOCUMENT

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SARA MARTINS « Ces limites que les autres ont tracées pour moi » C’est fou comme une présence noire au théâtre doit obligatoirement « avoir » ou « donner du sens ». Je me suis vu refuser le rôle de Lady Macbeth parce que, ce personnage étant l’incarnation du mal, il ne peut être interprété par une femme noire sans risquer de rendre la pièce manichéenne, voire raciste. L’enfer est pavé de bonnes intentions… Au cinéma ou à la télévision, ironiquement, on ne m’a pas tant refusé des rôles parce que j’étais noire, mais parce que je ne l’étais pas assez. Les rares fois où on recherche une femme noire, c’est pour raconter une migration tragique, la précarité ou la banlieue délinquante. Pour tous les autres rôles, s’il n’est pas spécifié par le scénariste qu’il s’agit d’une femme noire, les directeurs de casting qui penseront à nous sont très peu nombreux. Pour un rôle de médecin, par exemple, on n’est pas appelées. Cela dit, mon amie blonde de 1,80 m elle non plus n’est jamais approchée pour ce genre de rôles, qui semblent être réservés aux hommes mûrs, barbus et grisonnants… L’Inconscient Collectif a créé des archétypes qu’il est difficile de contourner. Les films d’époque aussi nous sont interdits, parce que, encore une fois, l’Inconscient Collectif ne peut se représenter une présence noire sur le territoire français avant les années 1980. À moins que ce ne soit une prostituée. C’est le seul genre de rôle où être noire est recommandé ! Même en figuration, vous remarquerez, si la scène se passe dans une boîte de striptease ou un bordel, vous verrez toujours passer des silhouettes noires… parce que l’Inconscient

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Collectif (toujours lui) est persuadé que la femme noire est hyper-sexuée, lubrique et ludique, libre sexuellement. Le corps de la femme noire est un éternel fantasme. À moi donc tous les rôles de maîtresses, coups d’un soir, voisines tentatrices, go-go danseuses, charmeuses de serpents et dompteuses de fauves… Dans les didascalies, d’ailleurs, les personnages qu’on me propose seront souvent qualifiés de « féline », « au port de gazelle » et « démarche de panthère». Comme me l’avait fait remarquer un directeur de casting un jour : « En tant que femme noire, dans ce métier, il faut être soit Whoopi Goldberg (drôle, au physique de faire-valoir), soit Halle Berry (mais la Halle Berry d’Opération Espadon, qui sort de l’eau ruisselante, en deux-pièces, pas celle, oscarisée, d’À l’ombre de la haine). »

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SABINE PAKORA « L’imaginaire colonial » À l’écran, j’ai la sensation d’avoir du mal à exister en dehors d’un imaginaire occidental qui me stigmatise ou me récupère. On me ramène à travers mes personnages à un autre territoire, à une autre histoire, une autre époque, dans lesquels je ne me retrouve pas. Je suis allée à de nombreux castings où on me demandait de prendre un accent africain, de tchiper, de porter des boubous souvent, même quand il n’y avait pas d’indication de cette nature dans le scénario. Si j’étais d’origine italienne, me ferait-on constamment interpréter des personnages en roulant les r avec un accent italien surfait ? Finalement, pour moi qui n’ai pas vécu en Afrique ni auprès de ma famille, jouer ces rôles revient à une vraie performance de comédienne ! Mais personne ne s’en rend compte, comme si c’était là tout ce qu’il y a de plus naturel. ■

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DÉCOUVERTE C O M P R E N D R E U N PA Y S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O R G A N I S A T I O N

CAMEROUN

FINBARR O’REILLY/REUTERS

FACE AUX DÉFIS À quatre mois d’un scrutin présidentiel essentiel, premier bilan d’un mandat de progrès malgré une conjoncture exigeante.

D O S S I E R D I R I G É PA R E M M A N U E L L E P O N T I É - AV E C F R A N Ç O I S B A M B O U


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Aller de l’avant !

as de répit pour le président Paul Biya depuis sa réélection en 2011 pour un nouveau septennat. Premier challenge de taille : la guerre imposée au pays par Boko Haram, la secte terroriste basée dans l’État du Borno au Nigeria, qui opère sur le territoire camerounais à travers razzia dans les villages, attentats, enlèvements de coopérants et religieux étrangers, attaques de postes militaires isolés. L’objectif du groupe, parmi les premiers à faire allégeance à Daesh, est clair : sanctuariser un espace sur le territoire camerounais pour y établir son califat, et préserver ainsi ses corridors d’approvisionnement. Paul Biya fut ferme, dès le début : 68

« Le problème Boko Haram a cessé d’être uniquement un problème nigérian, il est devenu un problème régional, sinon continental. On va le poursuivre et on vaincra cette chose terroriste parce que les inconvénients sont nombreux. C’est un groupe qui éloigne les missionnaires, les entrepreneurs, les investisseurs , appauvrit le pays et veut faire revenir les populations du Nigeria au Moyen Âge. On ne peut pas accepter cela. » Les pays amis et la communauté internationale se sont mobilisés pour organiser l’acquisition sans tarder d’équipements militaires adaptés. Sur le plan régional, une force multinationale mixte a été mise en place. Et l’entrée en scène du Tchad à la mi-janvier 2015 aux côtés du Cameroun AFRIQUE MAGAZINE

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Yaoundé, la capitale politique, qui abrite la plupart des institutions les plus importantes.

Le septennat aura été marqué par des défis sécuritaires et économiques. Le pays, pourtant, a su consolider ses acquis, tout en travaillant activement sur l’avenir.

JEAN-PIERRE KEPSEU POUR AM

par François Bambou

aura été décisive, affaiblissant la capacité de nuisance de Boko Haram en lui reprenant plusieurs positions stratégiques. Ce déploiement réussi des forces armées camerounaises, particulièrement coûteux, dans un contexte de crise économique naissante, était un sacré pari. Car en pleine chute des cours des matières premières, les finances publiques étaient durement affectées. En quelques mois, les réserves de change des pays de la Cemac, placées dans un pot commun, sont passées de l’équivalent de 11 mois de dépenses d’importation à seulement 2 mois. Si le Cameroun, grâce à son économie plus diversifiée, a su faire face, les autres pays de la sous-région, exportant essentiellement AFRIQUE MAGAZINE

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du pétrole, ont connu de graves difficultés, certains d’entre eux ayant frôlé la cessation de paiement. À l’invitation de Paul Biya, les chefs d’État de la sous-région se sont réunis à Yaoundé le 23 décembre 2016 en présence de la directrice du Fonds monétaire international, Christine Lagarde. Face à ses pairs, Paul Biya tient alors le langage de la vérité : « Pendant une longue période, notre sous-région a joui d’une stabilité macro-économique appréciable : une croissance forte, une inflation faible et des réserves de change abondantes ont été sa caractéristique. La situation a aujourd’hui changé. Les cours de nos matières premières, dont le pétrole, ont connu une chute brutale. Associée à d’autres chocs exogènes 69


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davantage pris en compte et le manifestent par des grèves et des marches. Les avocats anglophones veulent disposer de la version anglaise des actes uniformes OHADA sur le droit des affaires, et n’acceptent plus, entre autres, que le code civil francophone soit appliqué dans les juridictions de leurs régions. Dès le 8 novembre 2016, le Premier ministre Philémon Yang a mis en place une instance de dialogue « chargée d’examiner et de proposer des solutions aux préoccupations soulevées par les syndicats des enseignants », et parallèlement, le ministre de la Justice engage des discussions avec les avocats. Alors que le gouvernement accède à une partie des demandes et parvient à des consensus sur d’autres questions, la situation dégénère subitement. À Yaoundé, ces tentatives de déstabilisation sont jugées purement opportunistes, à quelques mois du scrutin présidentiel prévu en octobre prochain. Le président Paul Biya fait rapidement un inventaire des actes posés par ces groupuscules désormais armés : « Nous avons tous été témoins de la gravité des débordements qui en ont résulté. Les symboles de la République ont été profanés. L’éducation de nos enfants a été prise en otage, par des pyromanes criminels qui n’ont pas hésité à incendier des écoles et à attaquer des élèves. Les activités économiques et sociales ont été perturbées par des mots d’ordre irresponsables, imposés aux populations par Christine Lagarde, directrice générale du FMI, en visite officielle le 7 janvier 2016 la menace, l’intimidation et au Palais de l’unité à Yaoundé, a renouvelé le soutien de l’institution. la violence. Des attentats à la bombe ont été perpétrés. Plusieurs de nos compatriotes dans une logique d’ajustement structurel, en négociant ont perdu la vie dans les violences orchestrées par les un accord avec le FMI. L’occasion aussi pour les dirigeants sécessionnistes. Des membres de nos forces de défense régionaux de renouveler leur engagement commun, qui et de sécurité ont été assassinés de sang-froid. » consiste à améliorer le climat des affaires et à promouvoir Le chef de l’État, parallèlement aux opérations de la diversification de leurs économies. En sauvant la soussécurisation menées par les forces de l’ordre, a mis en place région de la cessation de paiement, le Cameroun se mettait une Commission pour le bilinguisme et le multiculturalisme, lui-même à l’abri d’une crise de plus grande ampleur. dirigée par l’ancien Premier ministre, Peter Mafany Musonge, lui-même anglophone originaire du Sud-Ouest. Fin mai, cette résoudre les crises commission chargée de formuler les meilleures propositions Après la lutte contre Boko Haram, et la gestion de la pour le vivre ensemble et la paix a entamé une série de chute des prix des matières premières, le Cameroun doit consultations populaires dans les deux régions où des troubles relever un nouveau défi. Fin 2016, avocats anglophones, sont observés. Une tournée dont les conclusions étaient puis enseignants des régions du Sud-Ouest et du Nordvivement attendues, fin juin, pour aider à l’apaisement. ■ Ouest souhaitent que leurs particularismes soient 70

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(terrorisme, nombreuses manifestations d’insécurité), cette crise a profondément contribué à fragiliser nos économies. Leur croissance a reculé, l’inflation a repris et nos réserves de change ont substantiellement baissé. Cette situation, si elle venait à perdurer, pourrait mettre en péril les fondements de notre sous-région et de notre communauté économique et monétaire. Nous devons donc agir, et vite ; nous devons agir ensemble. Les projections actuelles, nous le savons, n’indiquent pas un retournement favorable, à brève échéance, des marchés internationaux de matières premières. La présente concertation nous donne donc l’occasion d’esquisser une réponse commune face à un environnement économique international incertain. » Paul Biya a ainsi obtenu de chaque pays qu’il entre


Anglophones et francophones: l’atout d’une double culture

Malgré l’instabilité qui règne encore dans une partie du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les Camerounais continuent de vivre ensemble, en paix, en binôme, sur l’ensemble du territoire.

VICTOR ZEBAZE

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aoundé, quartier Obili, non loin de la plus grande et ancienne université du pays. C’est ici qu’une forte communauté de ressortissants de la région anglophone du Nord-Ouest s’est établie depuis des décennies. Beaucoup sont devenus de hauts fonctionnaires, et d’autres se sont établis comme hommes d’affaires prospères. Ces populations totalement intégrées vivent en parfaite intelligence avec les autres communautés. Mirabel, jeune femme anglophone, tient un salon de soins esthétiques très couru. Son français fluide est teinté de ce bel accent hérité de la langue anglaise dans laquelle elle a fait ses études. Sa clientèle est en grande majorité composée de dames francophones. C’est avec gravité qu’elle déplore l’escalade de la crise anglophone, avec ses violences de part et d’autre, la destruction de biens publics, les morts parmi les populations et les assassinats de militaires et de gendarmes : « C’est très gênant parce que nous sommes un seul peuple. Ce sont les colons qui nous ont divisés à un moment de l’histoire pour leur propre intérêt. Nous sommes ridicules de nous entre-tuer ainsi. Je pense que c’est une richesse pour nous d’avoir hérité de cette double culture. Elle doit nous souder et non nous diviser. Mes deux enfants sont nés à Yaoundé et ne connaissent même pas mon village. Ils vont à l’école ici. » Scénario semblable à Mile 1 Junction à Bamenda, la capitale de la région

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Yaoundé, 1er octobre 2017. Le RDPC organise une marche en faveur de l’unité. anglophone du Nord-Ouest. C’est dans ce quartier à l’entrée de la ville qu’est installée une forte communauté francophone, essentiellement constituée d’hommes d’affaires et de commerçants. Parfaitement intégrés, y compris à travers des mariages mixtes, ils vivent aussi dans la douleur de la haine intercommunautaire que tente de promouvoir une minorité de Camerounais, souvent installés à l’étranger. des enfants bilingues À Yaoundé, Douala ou Bafoussam, les écoles anglophones, souvent fondées par des hommes d’affaires avisés, sont essentiellement fréquentées par des enfants de francophones. Boniface, banquier, n’est pas peu fier d’avoir orienté toute sa progéniture vers le sous-système anglophone : « L’anglais est une langue planétaire pour les affaires. En choisissant ces écoles, j’ai permis à mes enfants de travailler n’importe où dans le monde. De

plus, puisque nous parlons français à la maison, ils sont parfaitement bilingues, ce qui est pour eux un atout indéniable », explique-t-il. Néanmoins, depuis la montée en puissance de la crise, le profond malaise dans la gestion du double héritage culturel de la colonisation a été mis au grand jour. Les visites effectuées par la Commission pour le bilinguisme et le multiculturalisme ont montré que même si les populations anglophones, dans leur immense majorité, préfèrent la revendication pacifique, ils n’ont pas moins de récriminations à porter au gouvernement. Notamment en ce qui concerne la préservation de leur héritage culturel britannique dans le système scolaire et judiciaire, ainsi qu’une meilleure concrétisation du bilinguisme dans le quotidien de l’administration. Des revendications qui, depuis plus d’un an, ont connu un début de résolution avec la création de filières spécialisées dans le Common Law britannique. ■ F.B. 71


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Résilience: un modèle dynamique contre la crise Grâce à son économie diversifiée et à sa population industrieuse, le Cameroun a tenu bon face à la chute des matières premières et aux coûts de la lutte contre Boko Haram.

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’ai félicité les autorités camerounaises pour la résilience dont fait preuve l’économie camerounaise dans une conjoncture pourtant éprouvante. Le double choc lié au repli persistant des cours du pétrole et aux attentats terroristes dans l’Extrême-Nord représente en effet un redoutable défi. Pour le relever, les autorités ont entrepris d’adopter de vigoureuses mesures pour assurer la stabilité macroéconomique et promouvoir une croissance forte et inclusive. Le FMI apporte déjà un soutien important au Cameroun en termes d’assistance technique et de conseil pour aider le pays à relever ces défis et se tient prêt à l’appuyer davantage en cas de besoin. » Ainsi parlait Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international, à l’occasion d’une visite au Cameroun en 2016. Elle s’étonnait alors de la capacité du Cameroun à faire face à la crise, alors que les autres pays de la sous-région sont quasiment en banqueroute. Abondant dans le même sens, le président Paul Biya estime que son pays a donné la preuve de la solidité de ses fondamentaux économiques : « Dans cet environnement international défavorable, notre économie a su résister. Elle a maintenu ses prévisions de croissance à 6 %, avec une inflation limitée à un peu moins de 3 %. Ni les dépenses supplémentaires occasionnées par l’effort de guerre

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contre le terrorisme, ni même les perturbations de l’activité économique dans les zones attaquées n’ont pu nous empêcher d’atteindre nos objectifs. » Sur les ressorts de cette résilience enviée, les spécialistes sont unanimes. C’est grâce à la diversité de ses sources de croissance que le Cameroun a pu résister, mieux que les autres États. Pour le ministre des Finances LouisPaul Motaze, cette performance s’explique essentiellement par la richesse du tissu économique camerounais et la culture industrieuse de ses populations. Comme l’expliquent les dirigeants de la Chambre de commerce, l’économie du Cameroun est la plus diversifiée d’Afrique centrale. À travers le pays, on compte des activités variées, dans les secteurs forestier et agricole, les hydrocarbures, l’industrie autour des boissons, huileries, savonneries, minoteries, aluminium, ciment, métallurgie, transformation du bois, etc. Même si le secteur primaire reste la principale source de croissance, au-delà des activités extractives et sylvicoles qui représentent une rente pour l’État, le secteur agro-pastoral s’est considérablement développé sur plusieurs plans, avec non seulement une autosuffisance alimentaire, mais

aussi plusieurs cultures de rente comme celle du cacao, du café, du coton, de la banane, ou encore de l’hévéa et de l’huile de palme, dont l’apport à la balance commerciale ou à la composition du PIB est considérable. L’agriculture seule, qui emploie près de 70 % de la population active, contribue pour 42 % à la formation du PIB national. De plus, avec 22 millions d’hectares de forêts, le Cameroun possède le deuxième plus grand poumon vert d’Afrique après la République démocratique du Congo. Et les exploitations forestières respectant les normes internationales sont également une source non négligeable de croissance. « Le secteur industriel se positionne au fil des années comme le véritable levier de la croissance. L’agro-industrie est en plein essor et présente encore de nombreux chantiers inexplorés. D’autres industries de transformation comme la production d’aluminium, de cotonnades, et le raffinage du pétrole sont en expansion », explique un cadre de la Société nationale d’investissement, l’entité publique qui gère le portefeuille de l’État dans les entreprises. Selon une note d’analyse de la Banque africaine de développement, en 2017, le secteur primaire a bénéficié du dynamisme de l’agriculture vivrière avec la reprise

L’exploitation de plusieurs grands projets a permis de soutenir la demande intérieure.

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Certaines filières vouées à l’exportation, comme le cacao, ont connu une hausse.

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progressive des échanges avec les pays voisins (Nigeria, RCA et Tchad) qui les avaient interrompus à la suite des crises sécuritaires aux frontières. Dans la sylviculture, la relance de la demande en Chine et en provenance des partenaires de l’Union européenne a aussi permis un regain d’activité. De même, la pêche, notamment fluviale, connaît une hausse grâce à la valorisation des réserves d’eau du barrage de Lom-Pangar. L’agriculture industrielle d’exportation a connu une évolution en demi-teinte, marquée par la hausse de certaines productions (coton, cacao) mais également par la baisse de production du caoutchouc et du café. aller encore plus loin En revanche, l’exploitation progressive de plusieurs grands projets d’infrastructures tels que le port de Kribi, les entrées autoroutières de Douala ainsi que le pont sur le Wouri, ou encore l’intensification des travaux de construction de stades, voiries et hôtels pour la Coupe d’Afrique des Nations 2019, ainsi que la mise en œuvre du Plan d’urgence triennal pour l’accélération de la croissance, ont permis de soutenir la demande intérieure. AFRIQUE MAGAZINE

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Pour le ministre des finances, Louis-Paul Motaze, il importe d’aller encore plus loin. « Il est nécessaire de renforcer cette diversité économique en produisant plus et mieux, mais aussi en transformant tout ou une partie de notre production localement. Il s’agit donc désormais, expliquet-il, d’encourager et de soutenir les entreprises de transformation, quelle que soit leur taille, car c’est la direction que le chef de l’État nous indique, lorsqu’il demande au Cameroun d’aller vers l’industrialisation. Ne l’oublions pas, quand on parle de pays émergent, il s’agit d’un pays industrialisé.» Ces dernières années, le gouvernement a pris plusieurs initiatives visant à fluidifier le climat des affaires, opérant quelque 140 réformes menées sur six ans, avec à la clé une loi particulièrement généreuse sur les incitations à l’investissement. Cette dernière donne de nombreux avantages administratifs et fiscaux aux entreprises qui réalisent des

investissements générateurs d’emplois. Depuis le début de sa mise en œuvre en 2014, environ 150 agréments ont déjà été accordés pour un montant total d’investissement projeté de 3 424,6 milliards de francs CFA, et 56 565 postes à créer au profit des Camerounais. À ce jour, ces prévisions sont réalisées à hauteur de 30 %. Pour les structures de plus petite taille, l’exonération de patente (taxe professionnelle) pour les deux premières années d’exercice ainsi que la création de guichets uniques de formalités des entreprises donne un bol d’oxygène aux jeunes entrepreneurs. La mise en place effective de l’Agence de promotion des petites et moyennes entreprises (APME) ainsi que de la Banque camerounaise des PME vient conforter cet élan. Mieux, le gouvernement a décidé d’aider directement certaines entreprises dans des filières stratégiques en leur apportant des fonds pour la mise à niveau de leur technologie, afin de renforcer la capacité d’emprunt auprès des banques. ■ F.B.

« Nous devons tout faire pour pouvoir transformer localement une partie de nos productions. »

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Le barrage d’Édéa, dans l’Est, est la plus vieille centrale hydroélectrique du Cameroun.

Infrastructures: cap sur la modernisation Développement de la façade maritime, transport, eau, énergie… Le programme d’équipements a connu un nouvel élan grâce à une stratégie de long terme mis en place par l’État.

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assée la crise économique des années 19902000, le président Paul Biya, dans le cadre de la modernisation du pays, a décidé de donner un coup d’accélérateur sur le plan des infrastructures. Pour y arriver, un document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE) a été élaboré et mis en œuvre en 2010 pour une période de 10 ans. Selon Louis-Paul Motaze, ministre de l’Économie au moment de l’élaboration de la stratégie de développement devant conduire le Cameroun à l’émergence à horizon

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2035, « le DSCE avait pour première ambition de changer de paradigme par rapport au Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP) en mettant une emphase sur les projets structurants dans le but de mettre en route une masse critique de grands projets. À la différence du DSRP, le DSCE met l’accent sur la création de la richesse durable et inclusive, de nature à améliorer structurellement notre économie, en offrant de meilleures conditions pour un véritable essor des investissements privés et relever le niveau de vie des populations. » Il explique ainsi lors d’un AFRIQUE MAGAZINE

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entretien avec la presse locale qu’il se dégage « un bilan positif et prometteur » de la mise en œuvre du DSCE. Au nombre des bons points, le ministre souligne l’amélioration de la façade maritime du Cameroun par la mise en service d’une seconde place portuaire à Kribi, avec l’un des meilleurs tirants d’eau du Golfe de Guinée. En matière de transport, le pays a bitumé environ 2 000 km de routes (nationales, départementales et urbaines) et réalisé un deuxième pont sur le Wouri ainsi que les entrées Est et Ouest de la ville de Douala selon un profil autoroutier qui fluidifie le transit dans la capitale économique. D’autre part, environ 750 MW de nouvelles capacités de production d’énergie électrique ont été installées à travers le pays. Les problèmes des réseaux de transport et de distribution dont la vétusté ne permet pas d’amener toute cette énergie productible vers les ménages et les industries sont en cours de règlement. S’agissant du développement du numérique, le gouvernement a fait poser 6 500 km de câble de fibre optique tout le long du périmètre du Cameroun, et 2 400 km dans l’hinterland. Enfin, pour les logements sociaux, les travaux sont achevés dans les camps SIC d’Olembé, Nkozoa et Biteng pour AFRIQUE MAGAZINE

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1 300 logements, tandis qu’à Douala, 1 200 logements ont été construits. Pour le ministre Motaze, ces réalisations ont eu un impact décisif sur la vie socio-économique des populations : « Il faut dire que les infrastructures de transport que nous avons réalisées permettent d’offrir de meilleures voies de communication à nos populations et à nos entreprises. En effet, plus de zones rurales sont désenclavées et reliées aux zones urbaines, facilitant ainsi l’écoulement des produits agricoles. Sur certains axes qui se parcouraient en une journée de voyage, l’on peut désormais faire le trajet en 2 heures et arriver à destination en toute quiétude. On note un regain de dynamisme au sein des populations qui étaient découragées du fait de la quasi-impossibilité d’écouler leurs productions agricoles. Celles-ci peuvent désormais écouler leurs marchandises sur un marché plus vaste, du moment que plusieurs routes ouvrent sur les pays voisins. Nos populations urbaines ont pu noter la réduction des délestages et l’amélioration de la qualité de l’énergie qui leur est fournie. De même, grâce aux programmes d’électrification, le taux d’accès à l’électricité des populations des zones rurales s’est amélioré. Le gouvernement est en train de réhabiliter l’ensemble du réseau de transport haute tension à partir des postes de production jusqu’aux principales villes du pays. Les réseaux de distribution moyenne et basse tension sont également en train de connaître un renouvellement général dans les grandes villes. Par ailleurs, la réalisation de grands projets hydroélectriques a notamment permis le développement florissant d’activités socioéconomiques connexes telles la pêche, l’élevage et le petit commerce général ». un plan d’urgence triennal Ayant constaté des lenteurs dans la construction de certaines infrastructures majeures du fait de la maturation insuffisante de certains grands projets, Paul Biya a lancé depuis 2015 un programme intermédiaire pour accélérer la mise en œuvre des projets structurants. Baptisé Plan d’urgence triennal pour l’accélération de la croissance (PLANUT), cette opération financée à 1 000 milliards de francs CFA concerne, explique Louis-Paul Motaze, sept principaux domaines, dont la santé (construction des hôpitaux de référence dans les chefs-lieux des 8 régions – Bafoussam, Bamenda, Bertoua, Buea, Ebolowa, Garoua, Ngaoundéré et Maroua – et réhabilitation des plateaux techniques des hôpitaux généraux de Yaoundé et de Douala, ainsi que le CHU de Yaoundé), l’énergie, l’élevage (mise en place d’un programme spécial de distribution de semences, d’engrais et d’équipements agricoles, pastoraux et halieutiques en fonction des zones écologiques), les infrastructures routières (construction dans chaque région 75


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de deux axes routiers majeurs susceptibles de désenclaver les zones de production), la sécurité dans les grandes villes (construction des postes supplémentaires de gendarmerie et de police à Yaoundé et Douala), le développement urbain (construction de 100 logements sociaux dans chaque cheflieu de région) et l’eau (construction d’adduction d’eau dans 30 villes secondaires et/ou forage de 100 puits par région). Au-delà des grands projets structurants, le gouvernement consacre une part croissante du budget aux investissements publics pour la construction d’écoles, dispensaires, routes rurales et autres équipements sociaux collectifs. Ayant constaté des retards dans le décaissement de ces crédits, retards dus aux lenteurs dans l’attribution et l’exécution des marchés, une nouvelle stratégie a été adoptée pour plus d’efficacité. L’objectif de cette stratégie mise en œuvre depuis 2016 est de « contribuer à régler le problème de la sous-consommation des crédits tout en

veillant à la qualité de la dépense publique ». Au nombre des innovations, un ensemble de réformes ont été conduites, grâce à un renforcement du processus de préparation du BIP avec un accent mis sur la maturation des projets, complété par la mise en place dans les 10 régions d’un dispositif d’accompagnement des projets qui rencontrent des problèmes de maturité, ainsi que des anticipations qui permettent que l’exécution du budget de l’État démarre dès le 1er janvier de chaque année, après les conférences de programmation des marchés publics. Cette réforme du budget d’investissement public prévoit également un accompagnement permanent de toutes les parties prenantes à l’exécution du BIP dans le but d’identifier et de lever les contraintes qui pourraient constituer des entraves à la bonne exécution des projets ainsi que le renforcement du rôle des autorités administratives locales qui président chaque mois des rencontres avec tous les acteurs. ■ F.B.

Trois réalisations majeures PORT DE KRIBI, LE PLUS PROMETTEUR DE LA SOUS-RÉGION Le 2 mars 2018, le port en eau profonde de Kribi (PAK) accueillait le plus grand bateau de l’histoire du transport maritime du Cameroun. Marquant du même coup la mise en exploitation officielle de cet ouvrage flambant neuf qui offre, avec ses 16 mètres de profondeur, le plus grand tirant d’eau de la région. Le port de Kribi est capable d’accueillir des navires pouvant atteindre 400 mètres de long et transporter quelque 100 000 tonnes de produits. Le PAK est aussi constitué d’un chenal de 200 mètres de large, de 600 mètres de zone d’évitage, de 1 150 mètres de digue, de 615 mètres de quai, de 276 mètres de terminal polyvalent et de 394 mètres de terminal à conteneurs. Avec ces capacités, le port de Kribi a vocation à être complémentaire de celui de Douala, venant pallier les insuffisances de ce dernier, limité jusqu’ici aux navires de 15 000 tonnes et de 6 à 7 mètres de tirant d’eau. Pour les autorités Camerounaises, la construction de ce port marque le début d’une ère nouvelle dans le développement économique du Cameroun, celle des grands projets structurants, intégrateurs et générateurs de croissance, d’emplois et de richesse. Cette plate-forme portuaire va permettre d’accélérer le développement économique, par la création d’industries, le développement urbain, le développement des infrastructures de transports portuaires, routières et ferroviaires, ainsi que des infrastructures énergétiques, de 76

communication et de télécommunications. Le Cameroun va accélérer son industrialisation par la mise en exploitation de ses nombreuses ressources naturelles, telles que le fer et la bauxite, dont les opérations d’importation et d’exportation nécessitent des navires de très grande taille. Lors du lancement des travaux en octobre 2011, Paul Biya se réjouissait à l’avance des retombées attendues de la construction de ce port : « Ce petit paradis touristique va devenir l’une des grandes ouvertures sur le Golfe de Guinée, pour nous-mêmes mais aussi pour les pays frères que sont le Tchad, la République centrafricaine, le nord de la Guinée équatoriale, le Gabon, le Congo et la République démocratique du Congo. Kribi, vous le savez, est déjà le point d’aboutissement du pipeline Tchad-Cameroun, fleuron de notre coopération avec le pays frère du Nord. Kribi sera demain le grand port en eau profonde de cette partie de notre littoral. C’est de là que nous exporterons nos minerais – fer, cobalt, aluminium, hydrocarbures etc. –, mais aussi les productions agricoles de notre arrière-pays. C’est autour du futur port que se regrouperont nos industries de transformation qui s’approvisionneront en énergie auprès de la centrale à gaz en construction. C’est encore vers Kribi que convergeront les voies ferrées qui transporteront nos minerais, bruts ou transformés », annonçait le chef de l’État. Sur le site de Mboro, localité située à 30 km au sud de la zone urbaine de la célèbre cité balnéaire, le port général, dont la construction est achevée, comprend plusieurs AFRIQUE MAGAZINE

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terminaux, dont un polyvalent et un dédié aux conteneurs. Ce terminal à conteneurs opéré par le consortium francochinois Bolloré-CHEC-CMA CGM suite à un appel d’offres, va être agrandi au cours des travaux de la seconde phase, de sorte à doubler sa capacité, qui est actuellement de 1,5 million de tonnes par an, en construisant 350 mètres de nouveaux quais et en installant de nouveaux équipements de manutention.

Le port en eaux profondes de Kribi.

WOURI, UN SECOND PONT POUR PLUS DE COMPÉTITIVITÉ Fin octobre 2017, les populations de Douala, notamment celles qui traversent quotidiennement le pont qui relie Bonabéri au reste de la ville, vivaient un grand moment : le deuxième pont sur le Wouri, en construction depuis trois ans, était enfin ouvert à la circulation. Une aubaine pour les populations, même si elles devront attendre, pour en tirer tous les bénéfices, l’achèvement des différentes voies de raccordement sur les deux rives. Cet ouvrage soulagera le premier, construit en 1954, et depuis longtemps en surcapacité. « Le pont actuel n’étant plus en mesure d’absorber le trafic en constante augmentation, dans de bonnes conditions, il était devenu urgent d’en construire un deuxième. Il permettra de fluidifier les échanges entre la capitale économique et les régions situées à l’ouest du Wouri. Lorsqu’on sait que 80 % des produits alimentaires destinés à Douala traversent le Wouri d’ouest en est, on perçoit la nécessité d’assurer ce transit, sans compter les échanges d’autres marchandises, dans les deux sens, naturellement », indiquait le président Paul Biya, le 14 novembre 2013 lors du lancement des travaux de construction. Toujours selon le chef de l’État, « complété par l’aménagement des entrées est et ouest de Douala, le second pont permet de rendre la circulation plus fluide et de renforcer la compétitivité des entreprises, particulièrement celles qui sont situées dans la zone industrielle».

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HABITAT SOCIAL OBJECTIF : LOGEMENTS POUR TOUS Afin de résorber le déficit de l’habitat évalué à un million d’unités, le gouvernement a activé le programme gouvernemental de construction de 10 000 logements sociaux et d’aménagement de 50 000 parcelles constructibles. Près de 4 500 de ces logements sont déjà disponibles ou sur le point de l’être. Selon Jean-Claude Mbwentchou, le ministre de l’Habitat et du Développement urbain : « Nous pensons qu’avec le démarrage imminent de plusieurs projets portés notamment par des firmes privées internationales et nationales avec lesquelles des conventions ou des protocoles AFRIQUE MAGAZINE

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Le deuxième pont sur le Wouri permettra de fluidifier le trafic.

Logements sociaux MbangaBakoko à Douala, construits par le chinois Sheyang. sont d’ores et déjà signés ou en voie de conclusion, l’offre de logements par la filière formelle va connaître un accroissement fulgurant dans les dix prochaines années. » Dans le cadre du Plan d’urgence pour l’accélération de la croissance, les cotations de 100 logements sociaux ont été lancées dans chacune des capitales régionales et d’autres projets sont en cours dans les villes industrielles, universitaires et chefs-lieux de département. Des partenaires étrangers tels que la firme italienne Pizzarotti ont signé avec l’État pour la construction de 10 000 logements dans la banlieue sud de Yaoundé, à Mbankomo, tandis que l’entreprise chinoise Sheyang est à pied d’œuvre pour l’édification de 3 200 logements sociaux à Yaoundé et Douala. Pour abaisser les coûts dans la plupart de ces projets, l’État prend en charge l’acquisition des sites, les études, les aménagements des voiries et le raccordement des réseaux des concessionnaires. ■ F.B. 77


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Études, emploi… La jeunesse a de l’élan ! Lancé en 2016, le Plan triennal qui lui est dédié, doté de 102 milliards de francs CFA, devrait concerner 1,5 million de bénéficiaires, et aider à leur insertion socioprofessionnelle.

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e 8 mai 2018, Éric Kom Tchuinteu, un jeune de Bertoua, la capitale régionale de l’Est, est plutôt fier. Il reçoit des mains du ministre de la Jeunesse, Mounouna Foutsou, un don d’équipement pour lancer son projet d’élevage de poulets de chair. Dans cette seule région, ce sont quelque 220 millions de francs CFA en matériel de production divers qui ont été distribués aux jeunes dans le cadre du Plan triennal spécial jeunes. Ce projet lancé en février 2016 par le chef de l’État et doté d’un financement de 102 milliards de francs CFA devrait concerner 1,5 million de jeunes avec trois composantes : le réarmement moral et civique des jeunes, leur insertion socioprofessionnelle ainsi que la construction/réhabilitation et l’équipement des Centres multifonctionnels de promotion des jeunes (CMPJ) à travers le pays. le top départ d’une vaste opération Pour le ministre Mounouna Foutsou, « cette cérémonie n’est que le top départ d’une vaste opération, car les financements de ce jour concernent uniquement les guichets du Fonds national d’insertion des jeunes (FONIJ) du ministère de la Jeunesse. Les bénéficiaires restants ont été référés à d’autres guichets de financement logés dans les départements ministériels partenaires ».

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Pour cette première phase, 2 150 jeunes vont bénéficier de dons de l’État à hauteur de 3,317 milliards de francs CFA afin de financer leurs projets dans les domaines de l’économie numérique (832 projets pour un montant de plus de 411 millions), l’agriculture (771 projets pour un coût de plus de 1,6 milliard), l’industrie et l’artisanat (544 projets pour un montant de 1,276 milliard) et l’innovation, où trois projets ont été sélectionnés pour un peu plus de 20 millions de francs CFA. Ces 2 150 projets de la première phase vont générer environ 22 000 emplois directs. « Bientôt, nous nous rendrons dans d’autres régions pour la même cause. Vous aurez remarqué que j’insiste sur l’expression “première cuvée” ! C’est pour dire que les autres projets dont les business plans sont en consolidation au Fonds national d’insertion des jeunes seront soumis aux comités de crédits au fur et à mesure. À cela, il faut ajouter l’inscription de plus de 535 650 jeunes à la plateforme de l’Observatoire national de la jeunesse au 31 mars 2018, dont 1 774 issus de la diaspora. Par ailleurs, les statistiques de l’Observatoire font état de plus de 5 000 jeunes référencés à diverses structures d’accompagnement pour

leur financement », explique le ministre Mounouna Foutsou. À la manœuvre pour la matérialisation de cette opération, l’Observatoire national de la jeunesse a pour mission d’organiser la rencontre entre les demandes des jeunes en matière de formation civique, d’insertion sociale et de promotion économique et les offres proposées par les programmes gouvernementaux et non-gouvernementaux. L’instrument financier de l’opération étant le Fonds national d’insertion des jeunes, qui a vocation à créer une synergie d’actions avec des programmes et structures dédiés à l’emploi. « À cet effet, il constitue le bras financier de l’ensemble du dispositif d’appui à l’insertion socioéconomique des jeunes qu’il devra contribuer à professionnaliser afin d’accroître son impact sur la réduction du chômage. Il a pour mission de promouvoir l’intégration des jeunes dans les circuits de production par le biais du financement de leurs projets productifs et de la subvention des organisations qui les préparent et les accompagnent à l’autoemploi et à l’entrepreneuriat », explique un des responsables du programme. La cible du FONIJ est principalement constituée de jeunes non scolarisés ou déscolarisés, diplômés ou non, porteurs de projets productifs valorisant les innovations, en individuel ou en

La montée en régime du schéma d’urgence ne remet pas en cause les programmes déjà en cours.

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VICTOR ZEBAZE

Quelque 22 000 emplois directs vont être générés grâce à des dons de l’État.

groupe, âgés de 15 à 35 ans (36,6 % de la population, selon les résultats du dernier recensement). Comme l’explique Mounouna Foutsou, la montée en régime du plan d’urgence ne remet pas en cause les programmes déjà en cours au bénéfice de la jeunesse. Le Programme d’appui à la jeunesse rurale et urbaine (PAJER-U)/ PIFMAS, le Programme d’aide au retour et à l’insertion des jeunes de la diaspora (PARI-JEDI), le Programme national de volontariat (PNV), le Fonds national d’insertion des jeunes (FONIJ), le Programme d’éducation populaire, civique et d’intégration nationale (PEPCIN) ou encore l’Agence du service civique continuent à être implémentés. « Il s’agit, dans le cadre du PTSJeunes, de les renforcer et de les mettre en cohérence. Ce renforcement signifie élargir leurs possibilités d’intervention en les dotant de plus de AFRIQUE MAGAZINE

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ressources pour atteindre davantage de jeunes et pouvoir mieux les mobiliser, les orienter, les installer et les accompagner. Leur mise en cohérence se traduit également par leur spécialisation sur des activités précises de manière à les rendre complémentaires et ainsi, plus pertinents et plus efficaces », explique le ministre Mounouna Foutsou. pour un retour réussi Pour les jeunes Camerounais vivant à étranger et qui souhaitent prendre part au développement socioéconomique du pays par un retour réussi, le gouvernement a mis en place le Projet d’aide au retour et à l’insertion des jeunes de la diaspora (PARI-JEDI). Selon un responsable du ministère de la Jeunesse, l’insertion des jeunes de la diaspora dans le cadre de ce programme constitue un ensemble d’éléments qui doivent favoriser la

participation des jeunes Camerounais de l’extérieur au développement du pays, tout en leur garantissant des possibilités réelles d’emploi salarié ou d’auto-emploi au Cameroun et en préservant leur enracinement culturel, conformément aux orientations des États généraux de l’éducation. « Dans le cadre du PARI-JEDI, le retour des jeunes de la diaspora est considéré comme le processus par lequel les jeunes Camerounais résidents à l’extérieur entreprennent de revenir au Cameroun de façon physique ou tout simplement de façon virtuelle. Le retour physique concerne ceux des jeunes qui désirent effectivement, après un séjour à l’extérieur, rentrer dans leur pays, soit pour s’insérer à travers des emplois salariés, soit pour créer des unités de production ou pour investir par la création des entreprises de production des biens et services », explique ce cadre. ■ F.B. 79


DÉCOUVERTE/Cameroun

Sport: renouer avec la victoire Après une période d’éclipse, le Cameroun remonte sur les podiums et retrouve le goût des trophées, toutes disciplines confondues. En attendant la grande fête de la CAN 2019.

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arder le cap sur les victoires. C’est le mot d’ordre en vigueur dans les milieux sportifs camerounais, depuis que le pays a renoué avec la victoire dans la plupart des disciplines sportives. Rien qu’en 2017, la nation a engrangé, selon le décompte officiel, et à travers tournois et championnats divers, pas moins de 142 médailles en or, 97 en argent, 142 en bronze. Des exploits réalisés à travers pistes, stades, tatamis et rings, aux Championnats africains, aux Championnats mondiaux, aux Jeux islamiques ou encore aux Jeux de la Francophonie. Chaque sortie de Lions ou de Lionnes en compétition est toujours un grand moment dans la vie locale. À l’exemple des Lionnes indomptables du volley-ball, victorieuses du Kenya en finale du championnat d’Afrique Dames de volleyball 2017 qui s’est joué au palais polyvalent des sports de Yaoundé. Ou encore des Lions indomptables du football, vainqueurs de la coupe d’Afrique des Nations en 2017. Pour le ministre des Sports et de l’Éducation physique, Pierre Ismaël Bidoung Mkpatt, ces nouveaux lauriers sont une invitation à aller de l’avant : « Si les résultats obtenus sont remarquables, la très haute hiérarchie et le public sportif seront plus exigeants et plus attentifs aux prestations de nos athlètes et sur notre système d’organisation, à l’occasion des prochains rendez-vous sportifs. Nous devons travailler plus que par le passé en vue de remettre les milieux sportifs en confiance, en alerte, en situation de travail permanent pour tendre vers l’excellence… » Paul

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Biya, pour sa part, ne cesse de prôner à chaque occasion l’ardeur au travail, qui précède la gloire : « Ce qui fait votre force, c’est bien sûr votre incroyable talent. Mais c’est aussi et surtout votre ardeur au travail, votre courage, votre solidarité, votre esprit d’équipe, votre unité et votre amour pour votre pays », disait-il aux Lionnes indomptables du football, vice-championnes d’Afrique. faire vibrer la fibre patriote Une exposition qui vaut pour de nombreux autres compatriotes de Samuel Eto’o qui, dans des sports individuels, se sont hissés au sommet mondial de leur art : c’est le cas de Carlos Takam, qui est passé à un cheveu du titre mondial des poids lourds de la boxe professionnelle devant 80 000 personnes au Millenium Stadium de Cardiff, ou encore de Francis Ngannou, vice-champion mondial Ultimate Fighting Championship, en MMA (arts martiaux mixtes), depuis décembre 2017. Pour Pierre Ismaël Bidoung Mkpatt, tous ces lauriers aident aussi au renforcement du sentiment national : « Les victoires sportives concourent à faire vibrer la fibre patriotique des citoyens et à renforcer l’adhésion populaire à l’idéal commun qui est celui d’un Cameroun qui gagne. C’est pour cela que le chef de l’État n’a jamais cessé de citer les sportifs camerounais lors de leurs

exploits, comme des modèles de foi, d’abnégation, de détermination, de solidarité et d’homogénéité. Le sport est donc dans notre pays, un vecteur de consolidation de l’unité et un catalyseur de l’intégration nationale. C’est dans cette optique que l’attribution de l’organisation de la CAN 2019, après la CAN féminine Cameroun 2016, est considérée comme une victoire diplomatique et sportive. » Notamment parce que le gouvernement a lancé un vaste programme d’infrastructures pour tenir le cahier de charges de la CAF (confédération africaine de football). Vingt-quatre pays, et autant de nationalités de supporters seront présents au Cameroun en juillet 2019. « L’organisation de ces deux grandes compétitions par le Cameroun participe de la politique de promotion des potentialités des jeunes de notre pays. Elle contribue également à améliorer le rayonnement et l’image de marque du Cameroun tant à l’intérieur qu’au-delà de nos frontières », se réjouit M. Bidoung Mkpatt. L’optimisme des autorités camerounaises se fonde sur l’organisation réussie de la CAN féminine 2016 qui leur ont valu les félicitations des instances internationales telles que la confédération africaine de football. « Avec la Coupe d’Afrique des Nations de football féminin qui vient de s’achever, le Cameroun a remporté une autre belle victoire, celle de l’organisation. La fête a en effet été

32 sites de compétition et d’entraînement devront être opérationnels pour la grande fête du football.

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JEAN-PIIERRE KEPSEU

Quinze ans après, les Lions ont retrouvé leur trône en battant l’Égypte à la finale de la Coupe d’Afrique des Nations, à Libreville (Gabon) le 2 février 2017. belle et riche en couleurs. Nos hôtes ont pu apprécier la richesse et la diversité culturelle de notre pays, la qualité de nos infrastructures sportives, la chaleur de l’accueil de nos populations », déclarait Paul Biya. Un vaste programme d’infrastructures est en cours pour doter le pays des commodités devant garantir un déroulement sans heurts de la plus grande compétition sportive africaine : stades en construction ou en rénovation, hôtels ou voiries en cours AFRIQUE MAGAZINE

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de remise à neuf. Au total, 32 stades de compétition ou d’entraînement devront être opérationnels le jour dit, et une vingtaine l’est déjà. Les infrastructures connexes (hôtelières, hospitalières, routières, aéroportuaires, etc.) sont en cours d’optimisation pour répondre au cahier des charges de la CAF. Le gouvernement a engagé les opérateurs du secteur des télécommunications à élever leurs standards de performance, afin de faciliter la retransmission par les dizaines de télévisions et les

centaines de journalistes attendus. Pour continuer à engranger des victoires dans tous les domaines, il est indispensable, assure le ministre Bidoung Mkpatt, de travailler dans un esprit de concorde : « L’heure n’est donc plus aux polémiques, aux affrontements et autres tensions qui démobilisent les énergies. […]. La quête de médailles impose dès à présent que vous puissiez faire prévaloir l’esprit de conciliation, d’apaisement, de synergie », recommande le ministre. ■ F.B. 81


DÉCOUVERTE/Cameroun

Face à la terreur islamiste, la fermeté Grâce aux actions des forces de défense et de sécurité, la capacité de nuisance des groupes terroristes à l’Extrême-Nord, est aujourd’hui très affaiblie.

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a terreur a manifestement changé de camp dans l’Extrême-Nord Cameroun où la secte nigériane Boko Haram semait quotidiennement la désolation et la mort. Grâce à la lutte intense menée par les forces camerounaises appuyées au dernier moment par les troupes tchadiennes et celles de la Force multinationale mixte, sa capacité de nuisance a été considérablement amoindrie et le groupe terroriste en est réduit à perpétrer des attentats sporadiques, dont la plupart sont déjoués. De fait, devenu aphone, Abubakar Shekau, le sinistre chef de la secte islamiste basée dans l’État de Borno au nord-est du Nigeria et qui étend ses méfaits dans tous les pays voisins du lac Tchad (Cameroun, Niger, Tchad), a disparu des écrans, alors qu’il plastronnait dans des vidéos diffusées sur Internet, où il martelait avec arrogance son intention d’établir son califat sur cette partie du Cameroun. Pour Raoul Sumo Tayo, historien et chercheur en défense et sécurité au Centre d’études stratégiques et des innovations de Yaoundé,

« IL FAUT ÉRADIQUER BOKO HARAM »

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e président Paul Biya, lors du Sommet extraordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement du conseil de paix et de sécurité de l’Afrique centrale, le 16 février 2015, a déclaré : «Qu’il me soit permis de repréciser qu’il ne s’agit aucunement d’une “croisade” contre l’islam ou d’un épisode d’une quelconque “guerre des civilisations”. La réalité est simple. Il y a d’un côté, le nôtre, les tenants d’une société moderne et tolérante, garantissant l’exercice des droits de l’homme, dont ceux de religion, ainsi que la démocratie représentative. De l’autre côté […], du côté de Boko Haram et des mouvements qui lui ressemblent, il y a les partisans d’une société obscurantiste et tyrannique, sans considération aucune de la dignité humaine. Vous en conviendrez avec moi, il y a une totale incompatibilité entre ces deux modèles de société. Et partant de là, une totale impossibilité de compromis. Il nous faut donc mettre un terme aux actions et agissements des mouvements terroristes. Il nous faut éradiquer Boko Haram. » ■

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les actions des forces de défense et de sécurité ont d’abord permis de couper les voies de ravitaillement en munitions et carburant, qui approvisionnaient la secte depuis la Libye et le Soudan. De plus, la coopération des populations, les réseaux de renseignement de la police et surtout l’exploitation judicieuse de certaines grosses prises de la secte islamiste par les services de sécurité et les forces de défense, ont permis de dénicher plusieurs caches d’armes de Boko Haram sur le territoire camerounais et de démanteler leurs réseaux dormants. « De nombreux dirigeants de la secte islamiste ont soit été interpellés, soit liquidés à la suite de combats parfois très meurtriers. Le déséquilibre capacitaire qui en a découlé contraint la secte à revenir à l’asymétrie classique, avec notamment l’utilisation d’engins explosifs improvisés et le recours aux attentats suicides », explique Raoul Sumo Tayo. Paul Biya lui-même a eu à saluer cette implication des différentes composantes de la nation dans la lutte contre le terrorisme, à l’occasion de son message de vœux à la nation le 31 décembre 2015 : « Face aux atrocités de Boko Haram, les forces vives de la nation se sont mobilisées pour dire, avec fermeté, NON au terrorisme. Mieux encore, elles participent à l’effort de guerre, par leurs contributions financières ou matérielles. Cette grande mobilisation des uns et des autres a donné une résonance particulière à notre stratégie de défense populaire. Armée et Nation font bloc pour préserver notre territoire et notre souveraineté. » Aujourd’hui, même s’ils infiltrent des villages pour tenter de poser les bombes, les hommes de Boko Haram sont surtout devenus des cibles, traquées par les membres des comités de vigilance, et gardés à l’œil par l’armée, qui possède un dispositif de surveillance satellitaire et ainsi que des drones fournis par les États-Unis. ■ F.B.

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LES GENS

SERGE

BEYNAUD

LE NOUVEAU PATRON DU COUPÉ-DÉCALÉ? Un énième hit avec Babatchai, des rivalités, des polémiques, du business… Rien n’arrête l’enfant de Yopougon devenu SUPERSTAR du « boucan » d’Abidjan. Également à la tête de son propre label et d’une fondation, il s’apprête à fêter ses 10 ans de carrière. Rencontre sur les bords de la lagune. propos recueillis par Astrid Chacha à Abidjan


ANANI KOBENAN

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aut-il encore présenter cette figure emblématique du coupé-décalé ? En gentleman toujours chic arborant lunettes de soleil dorées et cigare en main, le maître de la frime à l’abidjanaise n’en finit pas de faire parler de lui et de glaner les récompenses. En avril 2018, il a remporté le Trophée Argent YouTube. En 2017, le ministre de la Culture lui a décerné le Prix national d’excellence, il a été fait Chevalier de l’ordre du mérite culturel, nommé « meilleur artiste masculin » aux Awards du CoupéDécalé, mais aussi « meilleur artiste africain francophone » aux MTV Africa Music Awards en 2016… Ainsi, le musicien est à l’unanimité le plus redoutable adversaire de scène de DJ Arafat, le roi controversé du coupé-décalé. Au lycée municipal d’Attécoubé (Abidjan), il fut bon élève et se rêvait basketteur, à l’image de son idole, l’Américain Allen Iverson. Il aurait pu embrasser une carrière de haut cadre dans l’administration mais très vite, sa scolarité s’est effacée derrière sa passion pour la musique. Souhaitant devenir arrangeur, il se heurte au refus de nombreux studios d’enregistrement, devient brièvement DJ puis opte pour la chanson. Son premier opus, Koumanlébé, en 2009, le révèle au grand public. Aujourd’hui, il cartonne avec son nouveau tube, Babatchai. À 30 ans, Gnolou Guy Serge Beynaud, le timide enfant natif du quartier populaire Yopougon Cité Bicici à Abidjan, est devenu une superstar. L’artiste porte plusieurs casquettes : auteur, compositeur, arrangeur, producteur. Il a monté son label, Star Factory Music, et créé une fondation, pour aider les jeunes Ivoiriens en difficulté. Sur le continent et au-delà, des foules dansent à ses sonorités afropop, électro, world music. Mais actuellement, le monde du coupé-décalé est secoué par une tempête. Une « guerre » fait rage sur les réseaux sociaux, avec une floraison de vidéos relayant les accusations que se lancent les monstres sacrés de la jet-set des « boucantiers » (artistes de coupé-décalé). La condamnation en justice de DJ Arafat, son éternel rival, à une année de prison ferme et une amende de 20 millions de francs CFA de dommages et intérêts pour coups et blessures volontaires et acte de cybercriminalité, en mai 2018, par le tribunal d’Abidjan Plateau, défraie la chronique. Lui-même cité dans le scandale des voitures non dédouanées qui secoue la Côte d’Ivoire depuis sa révélation le 21 mai 2018 (aux côtés d’autres personnalités politique, des affaires ou du monde de l’art), Beynaud a déclenché une fâcheuse polémique avec son commentaire au sujet


LES GENS SERGE BEYNAUD, LE NOUVEAU PATRON DU COUPÉ-DÉCALÉ ?

AM : Vous paraissez toujours jeune, le stress ne vous touche-t-il pas ? Serge Beynaud : Ah, ça commence fort ! D’abord, je vous remercie de votre compliment. La vérité est que j’essaye d’avoir une vie saine, de me reposer et de faire attention à ce que je mange. Notre métier est compliqué et très stressant, il est facile de perdre pied. J’essaye de garder la tête froide et lorsque je ressens un peu de stress, je me pose la question suivante : « Est-ce que stresser va m’aider ? ». Quel est le secret du « babatchai » [personnalité très respectée] que vous êtes devenu, pour rester au top dans le cœur des mélomanes à travers plusieurs continents depuis 2009 ? Je crois que ce que je vis et ce que je suis devenu se résume en deux idées : je ne me considère pas arrivé au top, il y a encore beaucoup de travail à fournir et j’écoute mes fans, je fais de la musique pour essayer de les toucher. Combien de disques au total avez-vous vendu à ce jour ? La plateforme de vidéos YouTube vous a offert un Trophée Argent, à quoi cette distinction correspond-elle ? Tous albums confondus, je vous avoue que je ne sais pas. Il faudrait que je regarde dans les archives (rires). J’ai sorti quatre albums, une centaine de titres. Le trophée YouTube correspond à 100 000 abonnés mais nous l’avons reçu un peu en retard car nous sommes à plus de 350 000 aujourd’hui. Le piratage musical n’est pas encore banni sous les tropiques. Cela vous préoccupe-t-il ? Quelle est votre solution ? En parlez-vous avec vos collègues artistes stars ? C’est un sujet épineux qui nous concerne tous. Je pense que les pirates n’ont pas conscience qu’ils volent et font du mal aux artistes en vendant des œuvres qui ne leur appartiennent pas. Cependant ils essayent, ils se battent pour gagner leur pain. Je pense qu’il faudrait travailler avec eux en leur Avec son grand rival de toujours, Ange fournissant des disques originaux. Didier Houon Tout le monde serait gagnant, l’artiste, alias DJ Arafat, qui ne serait plus lésé, le pirate, qui les relations restent offrirait un produit légal, et le consomcompliquées… mateur, qui aurait entre ses mains un objet de qualité. 86

Vous auriez créé un réseau spécial en ligne où vous livreriez les petits secrets de votre vie de star, mais ce réseau ne serait réservé qu’aux abonnés. Racontez-nous un peu… Il semble que vous jouez très bien au billard. Quels sont vos autres loisirs ? Habitez-vous un quartier huppé de Paris ? Roulez-vous en grosses cylindrées à Paris, à Abidjan ? Effectivement, ce réseau est piloté par Star News, une compagnie assez récente. Il suffit de s’abonner et vous recevez tous les jours des vidéos inédites. C’est vrai pour le billard, mais malheureusement rien d’autre, le temps ne me le permet pas. Je vis à Abidjan, j’ai une voiture de classe moyenne. Il est de notoriété publique que vous participez à des campagnes pour soutenir les diabétiques, les orphelins…Parlons-en ! Je pense que lorsque l’on bénéficie d’un statut comme le mien, d’une place spéciale dans les médias, il faut l’utiliser pour mettre en lumière les maux de notre société. Certaines personnes n’ont pas les mêmes chances que moi, j’essaye du mieux que je peux d’aider. J’ai d’ailleurs lancé officiellement la Fondation Serge Beynaud le 4 mai 2018. Notre objectif est de former les jeunes Ivoiriens ayant des difficultés sociales afin qu’ils trouvent leur place, un métier et deviennent acteurs à part entière de la société. À quoi vos fans doivent-ils s’attendre sur votre prochain album ? Je travaille dessus. Ce sera un album plus… mature, plus expérimental, plus osé. Quels sont les genres musicaux qui influencent votre coupé-décalé ? Honnêtement, la musique dans son ensemble me séduit. Si le son est bon, il est bon, les mélodies aident à réfléchir, peu importe le style. Votre musique va-t-elle conquérir davantage les États-Unis ? Vous visiez les Antilles… J’ai déjà fait plusieurs tournées aux USA. La prochaine est prévue en 2019. Les Antilles oui, ce sont des territoires où j’ai

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de l’acte de bravoure du désormais célèbre jeune immigré malien Mamoudou Gassama, qui a sauvé un enfant suspendu dans le vide au balcon du 4e étage d’un immeuble parisien, en mai 2018. « Le véritable héros, pour moi, c’est ce mec-là », a-t-il déclaré en désignant le voisin du jeune garçon, qui a participé au sauvetage. « Il a maintenu l’enfant pour laisser l’autre terminer le bara [le travail, NDLR]. » C’est dans cette atmosphère que l’artiste évoque son quotidien, ses projets, ses prochaines tournées. Interview exclusive.

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ANANI KOBENAN

« Si le son est bon, il est bon, les mélodies aident à réfléchir, peu importe le style. »

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LES GENS SERGE BEYNAUD, LE NOUVEAU PATRON DU COUPÉ-DÉCALÉ ?

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confondus. Même si nous sommes spécialisés dans les musiques urbaines. Vous pouvez régulièrement voir les nouveaux projets de Mike Alabi, Ramses & Salvador, etc. Quelles relations entretenez-vous avec d’autres stars du continent comme la Gabonaise Patience Dabany, Youssou N’Dour, Yemi Alade ou autres ? Êtes-vous réclamé par certaines stars pour des featurings ? Dans l’ensemble, j’entretiens plutôt des relations cordiales. Certains sont des amis comme Yemi Alade, qui vient régulièrement me rendre visite chez moi. J’ai beaucoup de respect pour mes aînés mais je ne les côtoie malheureusement pas. Pour les featurings, oui, j’en ai fait un avec Flavour ou Yemi Alade [tous deux nigérians, NDLR]. Il y en a d’autres en cours, mais nous n’en parlons pas pour le moment.

Sur son compte Instagram (@sergebeynaud_ officiel), il partage son quotidien : en maître du « boucan » (à g.), en studio (ci-dessous)…

… aux côtés de sa muse Priya Jacinta Gnolou, qu’il a épousée fin 2016 (ci-dessus) ou seul, il a toujours la classe !

GUY GNOLOU (2) - GAETAN HYNAUX (2)

déjà beaucoup de fans. Je reçois un certain nombre de messages mais je n’ai pas encore eu la chance d’y aller. Ce serait un grand plaisir d’y faire une tournée. Au milieu tous ces genres musicaux africains à la mode en ce moment, l’afrobeat par exemple, qui a emballé les rappers Black M, MHD ou Maître Gims, comment voyez-vous l’avenir du coupé-décalé ? Le coupé-décalé, comme tout style de musique, évolue, s’adapte. Il continuera à vivre et à se développer. Pourquoi ne retrouve-t-on pas de sonorités de musique traditionnelle de Côte d’Ivoire dans votre musique, qui pourrait paraître finalement trop moderniste ? Voulez-vous lancer votre propre genre ? Si vous ne les avez pas retrouvées, alors j’ai bien fait mon travail ! Les sonorités sont complètement intégrées à ma musique. Essayez de prêter une oreille attentive et vous reconnaîtrez plusieurs rythmes traditionnels. La musique de mon pays m’inspire beaucoup, c’est ma culture, elle vit en moi. Pour vous, qu’est-ce qu’une carrière musicale réussie ? Comment vous voyez-vous dans cinquante ans ? Ça, c’est une vraie question. Je ne pense pas qu’il y ait un schéma de réussite. Ce n’est pas la longévité, c’est plutôt l’impact que l’œuvre peut avoir dans le cœur des fans. Dans cinquante ans… j’aurai 80 ans ! J’espère que je serai à la retraire en train de couler des jours heureux (rires). Quelles sont les différences selon vous entre le show-biz européen et le show-biz africain ? La structuration et la solidarité. En effet, les fans européens ont un accès beaucoup plus facile aux nouvelles technologies comme le streaming ou le téléchargement légal. Cela suppose d’avoir une carte de crédit et un forfait Internet conséquent. Nous devons réfléchir à un système plus adapté chez nous, car la majorité n’a pas accès à ces outils. Peut-être en discutant avec les opérateurs téléphoniques… La solidarité est importante, surtout entre artistes. Si l’un s’élève, c’est tout le mouvement qui en bénéficie. Comment se porte Star Factory Music, le label que vous avez créé en 2014 ? Le principe est-il de produire des talents ivoiriens exclusivement coupé-décalé ou d’autres genres également ? En a-t-il déjà lancés ? Le label se porte très bien. Nous travaillons à l’éclosion et la structuration de nouveaux talents, tous styles de musique

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Vous vous êtes marié à Abidjan en décembre 2016, civilement et traditionnellement, avec Priya Jacinta Gnolou. Votre vie a-t-elle changé ? Vous apparaissez dans votre nouveau clip Babatchai en boubou bazin africain, comme les pères de famille en Afrique aiment en porter, et même votre célèbre danseuse Zota a opté pour un boubou plutôt qu’une tenue sexy. Est-ce le mariage qui entraîne tout ça ? Jacinta est une femme brillante qui a fait des études poussées en Europe. C’est une personne assez discrète qui aime la chaleur de sa maison plutôt que le feu des projecteurs. Pour ce qui est du changement de vie, en effet, le mariage est une étape importante dans la vie d’un homme. On grandit, on avance, on évolue ! Ma femme est mon premier soutien, elle est une source d’inspiration. Elle est titulaire d’un doctorat en sociologie et directrice dans une société à Abidjan. Le clip de Babatchai est une bonne image de mon état d’esprit actuel. Vous représentez non seulement la Côte d’Ivoire mais aussi toute l’Afrique. Du fait de votre influence, pressentez-vous que vous aurez un rôle particulier à jouer sur le continent africain ? Ou en Côte d’Ivoire ? Honnêtement, c’est un peu difficile de s’en rendre compte. C’est une responsabilité lourde à porter. Cependant, j’essaye de faire au mieux pour utiliser cette influence à bon escient. C’est une des raisons qui m’a poussé à monter la Fondation Serge Beynaud. On en parle, on en reparle : qu’en est-il de vos relations avec DJ Arafat ? Sont-elles meilleures ? Dégradées ? Ce sont surtout les gens qui en parlent. Qu’est-ce que vous inspire sa condamnation à 12 mois de prison ? Je pense que l’ingérence n’a jamais rien donné de positif. Je laisse la justice faire son travail. Il y a un an, vous écriviez sur Facebook ces mots : « Macron a gagné, Le Pen a perdu, ok, mais dans tout ça là ooh, Koudou [Laurent Gbagbo, NDLR] sort quand ? » Vous annoncez-vous en politique ? Pensez-vous que la Côte d’Ivoire ne s’en sort pas politiquement ? Ce message était plutôt une façon comique de dire aux gens que nous parlons et commentons beaucoup les événements de l’étranger sans nous préoccuper plus que cela de ce qui se passe dans notre pays. Mais ne voyez là aucune vocation et aucun jugement sur notre politique. Je suis artiste, je laisse les politiciens faire leur travail.

Dans une de vos chansons, Bakamboue, vous dites : « Africains venez on va danser, que tu sois du nord ou du sud, on a besoin d’amour pour l’Afrique, c’est la famille, je suis ivoirien, tu es gabonais, je suis malien, tu es mon frère. » Seriez-vous en campagne contre certaines idées qui vous déplairaient ? Je pense surtout que l’Afrique doit être unie, doit penser « une », doit rêver « une ». Est-ce vrai que vous comptez célébrer l’année prochaine vos 10 ans de carrière ? Et où serait-ce ? C’est le cas. 10 ans déjà… De septembre à juin, je vais donner 10 concerts dans 10 pays afin de fêter cette nouvelle étape de ma carrière. Le programme sera dévoilé à la rentrée scolaire, mais nous commencerons par la Côte d’Ivoire. Vous avez été cité par la douane ivoirienne dans le scandale des voitures non dédouanées. Que s’est-il passé pour que vous soyez impliqué ? Avez-vous été piégé ? Avez-vous pu régulariser votre véhicule ? Dans cette affaire, il faut comprendre qu’il y a des coupables, des complices et des victimes. Malheureusement j’ai été victime. Quoi qu’il en soit j’ai commencé les démarches afin de régulariser ma situation. Considérons que c’est déjà fait. Dans la foulée des réactions sur l’acte de sauvetage de Mamoudou Gassama, vous avez déclaré que le vrai héros était plutôt le voisin qui a tenu l’enfant. Les internautes ont, pour la plupart, condamné vos propos. Les maintenez-vous ? Tous les jours, des actes exceptionnels sont réalisés par des gens hors normes que l’on qualifie de héros. Dans le cas de Mamoudou, je salue son geste, son courage, car ce qu’il a fait est exceptionnel. Cependant, il y a une récupération politique un peu gênante de cet acte de bravoure. Je ne pense pas que Mamoudou ait souhaité le vivre ainsi. La chose positive est que cela lui ait permis de changer de vie [il sera naturalisé français, NDLR]. Il a mérité cela. Le fait de parler de l’autre personne est une manière pour moi de dénoncer ce tapage médiatique, de montrer aux gens qu’il faut regarder dans toutes les directions. Et il faut reconnaître que ce voisin a été essentiel dans le sauvetage de cet enfant. Dans nos sociétés il faut des héros, des icônes. Mamoudou a le profil parfait pour donner espoir en Afrique, montrer aux Européens que des immigrés aussi sont citoyens. Cela dit, Mamoudou a sauvé une vie au péril de la sienne et c’est ce qu’il faut retenir. ■

« Dans nos sociétés, il faut des héros. Mamoudou Gassama a le profil pour donner espoir en Afrique. »

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Album Accelerate, Star Factory Music, dans les bacs.

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INTERVIEW

FEMI KUTI « JE VEUX VIVRE MA VIE ! » 90

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INTERVIEW

Le saxophoniste et chanteur nigérian, fils de FELA KUTI, revient aux affaires avec One People One World, e un 10 album qui perpétue la tradition de l’afrobeat, dans une veine militante et porteuse d’espoir. Tout en ayant digéré ses influences, notamment un héritage familial parfois pesant… propos recueillis par Astrid Krivian

L OPTIMUS DAMMY

e prince nigérian de l’afrobeat a plus de 40 ans de carrière, mais chaque nouvel album demeure pour lui un défi de se mesurer aux « forces supérieures » qui le poussent à créer, à cette haute exigence qu’il a envers la musique, à cette nécessité vitale de renouveler son art. Ce saxophoniste et chanteur (mais aussi pianiste, trompettiste), qui n’écoute plus de musique depuis 2000 pour se préserver des influences, est le digne héritier de son père Fela Anikulapo Kuti : créateur de l’afrobeat, mélange de musique traditionnelle yoruba, de high-life ghanéen, de funk et de jazz, qui dénonçait les abus de pouvoir, l’oligarchie, les injustices au Nigeria. Accompagné de son groupe The Positive Force, le fils aîné du Black President perpétue depuis ses débuts cette veine militante. Sa musique dansante et jubilatoire est une arme de résistance pour se soulever contre les profondes inégalités sociales de son pays. Dans son 10e album One People One World, il se révolte contre la corruption des gouvernants, leur égoïsme et leur indifférence à l’égard de la souffrance du peuple et du sous-développement, les militaires au pouvoir soutenus par l’Occident (comme il le chantait sur sa chanson Demo Crazy en 2008), le pillage des richesses par les dirigeants et les multinationales… Malgré tous ces fléaux, ce père de neuf enfants se doit d’être optimiste et prône un message d’espoir envers la jeunesse, dès la chanson d’ouverture Africa will be great again, ainsi qu’un appel à la paix et à l’unité, comme en témoigne le titre du disque. ■

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INTERVIEW FEMI KUTI : « JE VEUX VIVRE MA VIE ! »

AM : One People One World est votre dixième album. Comment faites-vous évoluer votre musique ? Abordez-vous chaque nouveau disque comme un défi ? Femi Kuti : Bien sûr, c’est un challenge constant, et il le faut ! Ce serait très mauvais et décevant de stagner, d’être monotone, de se répéter. Je suis constamment en recherche de nouveauté, de quelque chose qui me donne la motivation pour l’interpréter en live ensuite. Mes créations doivent toujours acquérir plus de profondeur, de sens, sinon ça m’ennuie et me fatigue très vite. Je travaille beaucoup pour devenir meilleur, mais ce n’est jamais suffisant ! Je suis en quête de perfection, que l’on n’atteint jamais mais qui doit rester un but. Le moment où tu te dis que tu y es, que tout est accompli, c’est probablement la fin, le temps de la retraite… Je joue de la musique au minimum six heures chaque jour. Et les jours où je ne peux pas pratiquer, ouh !… Que c’est triste, ça m’inspire la mort. Comment définiriez-vous votre musique, enracinée dans l’afrobeat mais nourrie de nombreuses influences ? Je dirais que c’est de l’afrobeat à ma façon. Bien sûr, en tant que fils de Fela, j’ai beaucoup appris auprès de lui. Le jazz m’a énormément influencé aussi. Et j’aime le funk… Mais, depuis maintenant 18 ans, je n’écoute plus de musique. Parce que je ne veux plus être influencé. Je veux trouver la musique en moi. J’ai suffisamment de connaissances. Quand j’écoute mon album, je ne veux pas constater, comme je le faisais avant, « ça me vient de mon père, ça de Miles Davis… ». Je cherche quelque chose de plus précieux à mes yeux, je me concentre pour trouver de nouvelles idées, des formes inédites, en quête de moi-même finalement. À chaque album, je m’éloigne un peu plus de mes débuts et je construis mon espace, mon propre langage dans ce chaos. Je ne veux pas imiter mon père, ce serait trop facile. Je connais l’histoire derrière chacun de ses albums, je me souviens de tout, alors pourquoi devrais-je faire comme lui ? ! Je veux vivre ma vie, avec mon propre dessein. Quand j’ai commencé ma carrière, je me suis dit : je ne peux pas être Charlie Parker ni Fela Kuti, mais je peux être Femi Kuti. Ça m’a donné le courage de continuer, et je me suis trouvé. Écouter du jazz m’a apporté les réponses à toutes ces questions existentielles, identitaires, compliquées. Si Made, mon fils aîné, qui est aussi musicien, me copiait, je lui demanderais : « Hé ! C’est quoi ton problème ?» Mes enfants doivent exister par et pour eux-mêmes, ils ont leur personnalité, leur singularité, et ne doivent pas rester dans l’ombre de Femi Kuti ou Fela Kuti. Ils ont déjà assez hérité de mon caractère comme ça ! L’afrobeat peut-il exister sans un message politique et social contestataire, auquel il est associé dès sa création par votre père Fela Kuti ? Je le pense. Mon célèbre hit Beng Beng Beng n’était pas politique, Best to live on the good side, sur mon nouvel album, 92

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« Quand j’ai commencé ma carrière, je me suis dit : je ne peux pas être Charlie Parker ni Fela Kuti, mais je peux être Femi Kuti. »

non plus, mais il y a une conscience sociale. Disons que sur un morceau c’est possible, mais il serait difficile de ne pas avoir une conscience politique et sociale sur tout un album. Toutefois, parler de politique devient de plus en plus ennuyant pour moi. Je serai toujours très conscient et engagé, et ça peut passer par le social, l’amour qui sait, sans forcément le politique. En grandissant, mes enfants bouleversent ma perception des choses, sur de nombreux sujets. Lentement mais sûrement, ils influencent beaucoup ma créativité, ma musique, mon mode de vie, de manière positive. Quand ils me disent « Papa je t’aime », ils me tuent ! Quand ils me serrent dans leurs bras, je pleure. C’est un sentiment très spécial, inexplicable. Leur tendresse calme mes frustrations, mes colères, ils sentent quand je ne suis pas heureux et me réconfortent. La réalité d’être père est vraiment différente de l’idée que l’on s’en fait. Et quand tu le deviens, tu n’es jamais prêt, car tes enfants sont toujours imprévisibles. Dans la chanson Africa will be great again, où vous dites que l’inflation et l’austérité servent à dissimuler la corruption des politiques au Nigeria, vous cultivez néanmoins l’espoir… Si mes enfants me demandent : « Y a-t-il de l’espoir pour l’Afrique ? », en tant que père, je ne peux pas leur dire non. Et nous avons tous le devoir d’améliorer les choses, du mieux que l’on peut. Il faut toujours qu’il y ait de l’espoir ! On se lève chaque matin pour se battre pour un jour meilleur, pas pour perdre la foi. Donc oui, l’Afrique sera de nouveau grande un jour. Quand ? Probablement pas de mon vivant. Mais si je ne donne pas d’espoir à la jeunesse, on n’a plus qu’à se suicider ! Aussi je m’adresse à eux en leur chantant : Don’t be tired, be inspired. AFRIQUE MAGAZINE

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ANDREW ESIEBO/PANOS-REA - DAVID CORIO/REDFARMS

La chanson Dem don come again est-elle inspirée par le terrorisme actuel ? Oui. De ces gens qui se servent de la religion pour créer des conflits. Dans l’histoire, c’est ce que l’Europe a fait, quand le christianisme était le prétexte pour le pouvoir royal de faire ce qu’il voulait, au nom de Jésus, en brandissant la croix. Et ils causaient des guerres partout, en Europe, en Afrique… Que ce soit l’islam, le christianisme… la religion est toujours une excuse pour exploiter l’esprit des gens. De faire des massacres au nom de Dieu. Mais si Dieu est amour, pourquoi tout ce sang ? Comment expliquez-vous l’existence de la secte terroriste Boko Haram au Nigeria ? Beaucoup d’informations nous parviennent à ce sujet, mais où se situe la vérité ? Je ne le sais pas. Déjà, cet État de Borno où s’est formé Boko Haram, au nord-est du Nigeria, possède de nombreuses ressources minières. Les pouvoirs financiers utilisent Boko Haram comme excuse pour voler ces richesses (« exploiter » est un mot poli, « voler » est le mot juste). Et puis, si le gouvernement du Nigeria voulait vraiment régler ce AFRIQUE MAGAZINE

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Femi Kuti, entouré de ses talentueuses danseusesmusiciennes, qui l’accompagnent toujours sur scène. Le chanteur, saxophoniste, chef d’orchestre et homme politique nigérian Fela Anikulapo Kuti (1938-1997) à Londres, en 1983.

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INTERVIEW FEMI KUTI : « JE VEUX VIVRE MA VIE ! »

problème, ce ne serait pas difficile ! Les Nigérians sont plus de 190 millions. Ils ne peuvent pas affronter quelques milliers de terroristes ? Que fait l’armée nigériane ? Et où ces terroristes se procurent-ils les armes ? Nous en sommes là, de nouveau : beaucoup de nos hommes politiques sont impliqués, responsables. Et regardons l’histoire. Le nord du Nigeria a toujours été une zone très pauvre. Ça relève du sens commun pour un gouvernement d’y construire des infrastructures, comme des hôpitaux de qualité, des écoles qui dispensent une éducation, afin que les habitants puissent bénéficier des richesses de leur région, et ne soient pas tentés de rejoindre Boko Haram… Sinon, les problèmes ne feront qu’empirer, à l’infini. À deux reprises, je suis allé à Maiduguri, la capitale de l’État de Borno, les gens y meurent de faim. Des femmes souffrant de malnutrition allaitent des bébés malnutris… Aujourd’hui, le Nigeria a tant de millionnaires dans son gouvernement, on va me dire qu’ils ne peuvent pas nourrir ces gens mourants ? Donc c’est évident, l’existence de Boko Haram en arrange certains. Ce sont des questions que l’on peut légitimement se poser, et auxquelles je ne trouve pas de réponses. S’ils voulaient vraiment résoudre le problème, fournir des conditions de vie acceptables pour ses habitants, ce serait facile, le Nigeria a tellement d’argent et de ressources ! Mais tant de Nigérians ont depuis des décennies volé le peuple. Il y a du pétrole, que font-ils avec ? Ils s’enrichissent, et oppriment leur propre peuple avec. Mais ce pétrole appartient à tous, et il devrait permettre de construire de bonnes écoles, des hôpitaux, fournir de l’électricité… Et tout le monde aurait les moyens de vivre décemment. Mais tout ce qu’ils savent faire et veulent faire, c’est la corruption, l’égoïsme, et toutes ces choses négatives. Voilà pourquoi on en est là aujourd’hui. Qu’espérez-vous apporter aux gens à travers votre musique ? Je souhaiterais qu’elle les rende heureux, les inspire au changement, et les aide à voir au-delà du matériel, du capitalisme. J’espère aussi que l’on dépasse le racisme, et que l’on soit, comme dit le titre de l’album, One People One World. Sur scène, je représente l’Afrique, car j’y vis, je parle de sa douleur. Mais j’évoque la douleur globale. Regardez Haïti. Aujourd’hui, personne n’en parle plus, mais les gens souffrent, ils n’ont pas de ressources minières, il n’y a pas d’économie, donc ils sont oubliés. Ça ne coûterait rien à ces soi-disant puissances mondiales, ces « super nations », aux banques, et à l’ONU de mobiliser des moyens pour reconstruire Haïti ! L’ONU est un système qui ne fonctionne pas, car il est supposé être l’exemple à suivre pour les pays. Pourquoi le monde ne va-t-il pas dans cette direction ? Parce que certains veulent juste monopoliser le pouvoir, les richesses, et opprimer les autres afin d’être sûrs qu’ils resteront toujours les rois et les reines du monde. Donc on est toujours des esclaves. Ils sont arrogants, se croient supérieurs aux autres. Ils savent très bien comment duper, tromper 94

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« Je me suis emparé de la trompette parce que j’étais très en colère, et je l’ai abordée comme une arme. »

les gens. Ils savent aussi très bien ce qu’ils devraient faire pour rendre leur peuple heureux, qu’il n’y ait plus d’injustices, de pauvreté. Alors pourquoi ne le font-ils pas ? ! Pourquoi selon vous y a-t-il cette crise migratoire en Europe actuellement ? Ce sont encore des mensonges que l’on diffuse au sujet de cette crise des migrants. Mais qui l’a provoquée ? Pourquoi ne se disent-ils pas la vérité à eux-mêmes ? Qui a commencé la guerre en Irak, en Afghanistan ? Ont-ils oublié l’histoire ? Pourquoi avoir bombardé Saddam Hussein ? À l’époque, tout le monde avait prévenu George W. Bush et Tony Blair qu’il n’y avait pas d’arme nucléaire en Irak. Mais ils y sont allés quand même. Et personne n’a pu les arrêter, parce que ce sont des nations dominatrices, qui peuvent faire tout ce qu’elles veulent. Si un pays africain avait agi ainsi, il aurait été arrêté, traîné en justice et mis en prison. Alors pourquoi avoir envahi l’Irak ? Qu’en est-il de tous ces enfants tués ? Et aujourd’hui, l’Europe et les États-Unis se donnent toutes les excuses, et estiment que la crise des migrants n’est pas leur problème ! Pourtant, c’est bien le leur ! Tous ces gens qui marchent de si longues distances depuis la Syrie, l’Afghanistan, ça montre bien leur niveau de désespoir, leur besoin d’aide… Et qu’en est-il des atrocités que ces États ont causé dans le monde entier ? De ce que les États-Unis font en Afrique et dans le monde, à interférer et manipuler tous les gouvernements ? Tout ça pour leur propre profit, pour la bonne santé de leur pays, ils créent du désastre dans un autre, ils le pillent… Est-ce juste ? Et ce sont eux qui brandissent la justice, et nous parlent de démocratie ! Comment vous situez-vous par rapport à l’héritage de votre père ? Est-ce parfois pesant ? Non, ce n’est pas un poids. On dirait que les gens veulent me compliquer la vie, que je sois embarrassé de ça. Ils continuent à AFRIQUE MAGAZINE

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me comparer… J’aime mon père, je le respecte, et j’ai eu aussi une mère adorable, que personne ne connaît et dont personne ne parle. Il n’y a pas que mon père ! Ma mère m’a toujours appris à aimer mon père, à ne pas avoir d’amertume vis-à-vis de lui, peu importe ce qu’il faisait. J’ai donc grandi en le respectant. Quand il était jeune, il a étudié à la meilleure école de musique de l’époque, en Angleterre, son père lui a donné toutes les chances pour qu’il reçoive la meilleure éducation. Ce que mon père a refusé de me donner. Je ne sais pas lire ni écrire la musique, donc je dois travailler dix fois plus que les autres musiciens pour composer, et maintenir ma dextérité de jeu avec mes instruments. Je me suis assuré que mon fils aîné ait le meilleur enseignement [il étudie au Trinity College en Angleterre, la même école que Fela, NDLR]. Quand il joue, c’est tellement beau ! Alors quelle excuse mon père pouvait-il me donner, quand je lui demandais de m’apprendre ? ! Les gens disaient que j’avais tort de lui demander, que je ne me comportais pas comme un enfant devrait… Mais savent-ils ce que c’est d’être le fils de Fela ? C’est là encore la bêtise humaine. Question simple, que personne ni même mon père ne m’a jamais posée : comment ai-je obtenu du succès ? C’est grâce à toute la somme de travail, de douleur, de supplice de mon esprit pour créer de la musique, pour devenir ce que je suis. Ça ne mérite pas de l’estime ? Avec Yeni, ma sœur aînée, j’ai rouvert le Shrine en son honneur [club de musique créé dans la banlieue de Lagos par son père en 1970, et qui fut brûlé, NDLR], c’est un don pour lui. Je lui rends grâce dans tout ce que je fais. Alors je ne comprends pas quand on me parle d’héritage, parce que les gens ne savent rien. Personne ne se soucie de mes blessures. Après ma mort, ils causeront sûrement des problèmes à mes enfants, à les comparer, les stresser… Vous comprenez, il ne me viendrait pas à l’idée de vous poser la même question, même si votre père était le président de la France. Car on ne sait jamais comment une personne vit intimement sa relation à ses parents. Vous jouez de la trompette, du saxophone, du piano… Votre approche de la musique diffère-t-elle selon les instruments ? Oui. Chaque instrument a un usage bien précis. Dès l’enfance, avec la vie que mon père menait, et toute cette tristesse, cette solitude que nous traversions, la peur que nous ressentions en étant sa famille, nous étions obligés de trouver AFRIQUE MAGAZINE

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des réponses aux choses. Quand nous sommes partis vivre avec ma mère, nous ressentions sa douleur… Tout ça m’a façonné, dans ma vie, dans ma manière de prendre des décisions, de créer de la musique. Alors, je suis toujours en quête de solutions. Quand je joue de la trompette, c’est pour une raison, même si je ne sais pas pourquoi, je joue, et je cherche la réponse. Je me suis emparé de cet instrument parce que j’étais très en colère. Et je pensais que le seul moyen d’être heureux, c’était d’être encore plus en colère ! C’était DISCOGRAPHIE une époque où je perdais de l’argent, en Europe et au Nige✔ One People ria. J’avais rouvert Le Shrine One World (2018) pour faire le bonheur des gens, ✔ No Place for et la presse racontait que je devemy Dream (2013) nais fou. J’étais entouré de toute ✔ Africa for Africa cette négativité. Puis ma mère (2010) est décédée, et ma femme m’a ✔ Day by Day (2008) quitté… Qu’allait-il m’arriver de ✔ Africa Shrine (2004) plus encore ? ! Alors j’ai abordé ✔ Shoki Shoki (1998) la trompette comme une arme. Mais, à ma grande surprise, elle m’a apaisé. Elle m’a rendu meilleur. Grâce à elle, j’ai trouvé la félicité. Quant au saxophone, c’est un instrument très romantique pour moi. Le piano, l’orgue, je les vois comme un courant sous-jacent. Car la musique vient si soudainement à toi, j’avais besoin d’un élément qui amène les gens à la ressentir dans son essence, sa profondeur. Vous dites que ce sont des forces supérieures qui vous poussent à créer. La musique est-elle une forme de spiritualité pour vous ? Bien sûr. J’ai tout le temps de la musique dans ma tête. D’où vient-elle ? Je ne sais pas. Et parfois je suis stupéfait : comment ai-je fait ça ? Je me dis toujours : c’est moi mais ce n’est pas moi. J’aime cette force supérieure et je me mets à sa disposition. Même si c’est chaotique, souvent tourmenté, d’assembler tous ces éléments disparates, et que ça me met dans un état de tristesse tant mentale que physique, le résultat final est si beau que l’on veut recommencer. Parfois ça m’effraie d’avoir à traverser de nouveau ce chemin, le processus de création peut être très angoissant, ton esprit est malheureux d’une certaine façon. Alors quand c’est trop intense, je fais une pause, je joue au jeu vidéo FIFA avec mes enfants. Et quand je sens que cette force m’appelle de nouveau, je lui demande « S’il te plaît, pas maintenant, je ne suis pas prêt à y retourner ! » (Rires). ■ One People One World, Femi Kuti, Knitting Factory / Partisan (PIAS), dans les bacs.

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Médina, mosquées anciennes et tours modernes (comme le siège de l’ex-RCD, au fond, au centre) se côtoient.

destination

TUNIS L’ÉTÉ, C’EST ROCK !

C’est la ville des contrastes les plus éclatants, où tout se télescope : médina historique et architecture audacieuse, traditions et jeunesse, ruines romaines et clubs branchés. Dépaysement garanti. ÉVIDEMMENT, la plupart des touristes sont attirés par du monde. La visite permet de se rappeler avec émotion les plages d’Hammamet, de Sousse ou de Djerba. Et la de l’attaque terroriste du 18 mars 2015. Les amateurs perspective de passer un moment estival dans la capitale d’architecture pourront passer devant le célèbre hôtel Africa, tunisienne pourrait sembler franchement audacieuse : ou redécouvrir le Sheraton (ex-Hilton) sur les hauteurs du chaleur, densité, embouteillages… Pourtant, Tunis a du Belvédère (le parc en perdition écologique de la capitale), caractère et de la séduction. C’est ici que bat le cœur politique, carte postale des années 60 et construit comme celui de social, intellectuel, artistique d’un pays en Rome et de Téhéran. Ou l’incroyable Hôtel du LES BONNES révolution démocratique permanente depuis lac, joli délire seventies, promis depuis des années ADRESSES 2011. C’est une capitale où tout se mêle, les à la destruction. Ce détour permet alors le coup ✔ Les hôtels Residence et styles architecturaux, l’Orient et l’Occident, la Four Seasons à Gammarth d’œil sur la tour de l’ancien siège du parti RCD jeunesse et les traditions, les robes sexy et les (dissous) et la monumentale Cité de la culture, ✔ Un déjeuner au Golfe hijabs. Tunis est « rock ». Tunis bouge. Et il y a témoignages des visions grandiloquentes à La Marsa largement de quoi découvrir et se perdre. Des du Benalisme finissant. Tout voyage à Tunis ✔ Une nuit dans la dernière quartiers Haussmanno-Art déco-coloniaux du suppose évidemment d’en sortir et de partir à la boîte à la mode centre-ville (ah, le fameux théâtre municipal), découverte de la banlieue nord, de la Goulette ✔ Un thé au Café des nattes symbole de la France conquérante, jusqu’au aux collines de Gammarth, en passant par Sidi à Sidi Bou Saïd cœur d’une médina vivante et historique. Ici Bou Saïd, le village indémodable, puis Carthage, se cachent de belles maisons restaurées et l’âme du peuple ses ruines romaines magnifiques et son palais présidentiel industrieux de la capitale. À quelques kilomètres, le musée conçu par Habib Bourguiba. C’est sur cette côte, pas si loin de du Bardo, témoigne d’une histoire deux fois millénaire. la ville, que l’on se prélasse sur les plages, que l’on déguste les On y trouve l’une des plus belles collections de mosaïques bons petits plats, que l’on festoie tard dans la nuit. ■ 96

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SHUTTERSTOCK

par Zyad Limam


MADE IN AFRICA escapades Ci-contre : Byumba, au nord du pays. À 150 km à l’est, le parc de l’Akagera abrite des gorilles « dos argentés », qui font l’objet d’un programme de conservation.

business

ETHIOPIAN, TOUJOURS PLUS LOIN

Des projets à foison : l’année 2018 s’avère intense pour la PREMIÈRE COMPAGNIE du continent.

tourisme

Rwanda : mission séduction

QUE DES BONNES nouvelles ces derniers temps pour Ethiopian Airlines, qui a largement devancé Kenya Airways et SA Airways en termes de bénéfices, en 2017. Désormais première compagnie du continent, elle propose une série de nouvelles routes très intéressantes. Depuis début mai, elle relie trois fois par semaine Addis-Abeba, Abidjan et New York. Un mois plus tard, elle a inauguré son premier vol vers Genève et, ce mois-ci, elle prolonge sa route vers Bangkok jusqu’à Jakarta. Elle prévoit aussi de lancer à l’automne une nouvelle liaison avec Moscou, après 27 ans d’absence dans la capitale russe. Pour soutenir sa croissance, la compagnie négocie actuellement des accords Dévoilé en début d’année de partenariat pour la création de nouvelles 2017, le routes dans cinq pays (Mozambique, Tchad, plan « Vision Djibouti, Guinée équatoriale et Guinée) et 2025 » du prévoit de porter le nombre de ses appareils transporteur à 150, d’ici 2025. L’Éthiopie a également éthiopien confirmé que la compagnie d’État est poursuit son cours. désormais ouverte aux capitaux privés. ■ L.N.

DR SHUTTERSTOCK - DR

Petit bijou au cœur de la région des GRANDS LACS, le pays cherche à changer son image et devenir the place to be pour les touristes. LE PAYS des mille collines, nouvelle destination touristique de choix ? Attirer les voyageurs est une priorité de Kigali, qui mise sur sa nature luxuriante, sur les safaris et le lac Kivu, encore largement méconnu, pour se faire connaître à l’étranger. Le parc de l’Akagera, les gorilles, les volcans, les oiseaux les plus divers, les plantations de café… Tout, dans ce petit pays, est à portée de main. Le Rwanda a fait des efforts considérables pour améliorer la qualité et la sécurité des routes ces dernières années. Internet est disponible presque partout et les structures hôtelières, notamment de luxe, se multiplient. Kigali n’épargne aucun effort pour se défaire de l’image de « pays du génocide » jusqu’à signer, pour un montant estimé à 40 millions de dollars, un accord avec le club de foot anglais Arsenal. Les joueurs afficheront le logo « Visit Rwanda » sur la manche du maillot pendant trois ans. L’expédient, déjà employé entre autres par le Tchad ou l’Azerbaïdjan, n’a pas manqué de créer la polémique, mais le gouvernement balaie les critiques. « L’objectif, a déclaré le ministre d’État aux Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, est de générer 800 millions de dollars dans le secteur du tourisme en 2024. » ■ Luisa Nannipieri

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Entourée de ses créations les plus emblématiques : les oursons DD TeDDybear.

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La papesse du pop Avec ses objets ludiques, la conceptrice MYRIAM MAXO entend bien conquérir le monde.

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Ci-dessus : Corosol House, veilleuse à énergie solaire à monter soi-même. Ci-contre : la Solarbox d’Oniriq, qui apportera Internet partout grâce aux rayons du soleil.

intégré) au Sénégal, pensés pour des familles qui vivent hors réseau mais ne renoncent pas à se connecter ou à utiliser des produits high-tech. L’édition limitée de la Solarbox signée Maxo, avec la petite veilleuse Corosol House à énergie solaire, a contribué au succès de la récente campagne de crowdfunding. Elle est décorée d’un motif original, inspiré du tissu bazin, « afin de créer une «bulle d’énergie» à l’intérieur de chaque foyer, chaleureuse et invitant au partage. ■ L.N. myriammaxo.com AFRIQUE MAGAZINE

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ELLE est mondialement connue pour ses doudous recouverts de wax, les oursons DD, qui ont conquis même Beyoncé. Née à Paris de parents guadeloupéens, Myriam Maxo s’est inspirée de ses voyages aux quatre coins du monde mais surtout de l’Afrique et des motifs du pagne, un véritable langage tissé, pour réaliser ses peluches design. Un objet classique qui devient contemporain, « connecté au cœur des gens », et qui incarne son ambition à transcender les frontières. Chaque TeDDybear est une pièce unique, numérotée et assortie d’un certificat d’authenticité. Mais toutes les créations hybrides de cette architecte d’intérieur pétillante et dynamique se situent entre design et art. Et elles s’organisent autour de trois énergies fondamentales : l’énergie chromatique, graphique et urbaine. Fidèle à son credo (« je ne veux pas juste réaliser des objets, je veux réunir les gens »), elle vient de s’associer à la start-up Oniriq. Une entreprise qui produit des kits solaires intelligents (avec hotspot wi-fi


MADE IN AFRICA carrefours insolites La voûte de la mosquée de Dandaji, en briques de latérite, qui a remporté le prix de la Fondation Lafarge-Holcim.

architecture

L’esprit Mariam Kamara

Le continent est moderne et ses lieux de vie doivent l’être tout autant : tel est le CREDO de cette Nigérienne à la sensibilité écologique, dont le style a charmé le grand David Adjaye. MARIAM KAMARA ne se considère pas simplement comme une architecte, mais surtout comme une activiste. Partagée entre le Niger, où elle est née il y a 39 ans, et les États-Unis, où elle a fait ses études en informatique et architecture, elle s’engage pour un renouveau identitaire, artistique et architectural qui prenne en compte la modernité du continent. Après ses études, en 2013, Mariam part travailler au Niger. Elle y ouvre deux ans plus tard son cabinet, Atelier Masomi (« le début », en langue hausa), basé à Niamey. Une structure qui a fait de l’emploi innovant des techniques et matériaux locaux sa spécialité. Cet esprit est aussi à l’origine du collectif international united4design, dont elle fait partie, et qui a remporté le prix de la Fondation Lafarge Holcim 2018

pour les bâtiments durables, avec un projet de rénovation de l’ancienne mosquée du village nigérien de Dandaji. Le projet transforme le lieu en ruine en pôle social et religieux, réinterprétant en clé moderne la structure traditionnelle, qui s’adapte à de nouveaux usages. Les locaux sont impliqués dans la construction et le choix des matériaux veille à ne pas surexploiter les ressources naturelles du village, comme le bois, remplacé par du métal. Son travail a attiré l’attention de David Adjaye, avec qui elle collabore dans le cadre du projet Rolex Mentor and Protégé. Les deux architectes ont dévoilé, lors de la 16e Biennale de Venise, leur intention de créer un nouveau centre culturel à Niamey, pensé pour réponde aux besoins de la population. ■ L.N.

LE LIEU : LE BURGER AFRO (LILLE) Le burger, quand il est frais et de qualité, c’est un délice. Quand il sort de la cuisine lilloise de Tonton Freddy et Tonton LE PLAT PHARE ? Gaudrey, il devient un ovni métis surprenant. Les deux frères Le burger noir Wakanda aux origines camerounaises ont fait le pari d’ajouter au avec sa sauce mbongo tjobi. sandwich traditionnel de la sauce de tomates épicée, yassa ou POUR QUI ? encore mafé, et de le servir accompagné de frites de bananes Les burgeristas aventureux. plantain. Un mélange atypique qui est la clé de leur succès fulgurant. Pour l’instant, le petit resto n’ouvre qu’un jour par semaine. Dates à découvrir sur burgerafro.fr. ■ L.N. QU’EST-CE ?

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Un restaurant éphémère.

20, rue Détournée, 59000 Lille AFRIQUE MAGAZINE

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La styliste, qui pose vêtue d’une de ses réalisations, utilise des tissus de divers pays du continent.

Amna Elshandaweely,

créatrice

l’afroégyptienne

Activiste, futuriste mais attachée à l’histoire et aux traditions, cette designer milite pour la RÉAPPROPRIATION des identités. par Luisa Nannipieri AVEC SES CRÉATIONS aux couleurs vibrantes, influencées à la fois par les codes du streetwear et par les traditions tribales, la styliste égyptienne Amna Elshandaweely aborde depuis toujours la question de l’identité. Que disent de nous nos choix vestimentaires ? Peuvent-ils afficher nos convictions, nos idées, nos préférences, nos origines ? À entendre cette jeune designer de 25 ans, la réponse à ces questions est le cœur du métier, parce que : « La mode se doit de représenter ce que nous sommes. » Née à Alexandrie mais fière d’assumer son héritage d’Haute-Égyptienne (sa tribu vient d’une région proche de la Nubie), Amna a étudié l’anglais et le chinois à l’université d’Ain Shams au Caire, avant de suivre sa passion pour la mode et d’obtenir le diplôme de l’Italian Fashion Academy de Giza. Son procès créatif démarre toujours sur 100

le terrain : elle se rend dans une ville ou un village pour observer les gens, la façon dont ils s’approprient la mode pour créer leur style personnel, et s’imbiber de cette atmosphère particulière. Ensuite, elle se sert de tissus africains, locaux mais pas seulement, pour restituer dans ses créations les sensations originales qu’elle a ressenties dans la rue. Sa toute première collection, Road to Fayoum, sortie au printemps 2015, s’inspire de l’art islamique khayameya propre à cette ville historique aux portes du Caire, tout en proposant des silhouettes modernes et unisexes. Elle a été suivie, à l’automne, par Road to Nairobi, créée après un voyage au Kenya. Entièrement réalisés à partir de coton égyptien et de tissus aux couleurs vibrantes importés directement depuis le Kenya, l’Érythrée et le Nigeria, ces AFRIQUE MAGAZINE

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MADE IN AFRICA fashion La Forest skirt (Road to Nairobi) est un best-seller !

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La collection The City of the Amazigh (ci-dessus) est dédiée aux femmes berbères de Siwa, à la frontière entre Libye et Égypte. habits invitent à réfléchir aux liens entre l’Égypte et les autres pays d’Afrique, que la designer estime largement effacés, sinon rejetés, dans le subconscient collectif de son pays. Ses mannequins sont nubiens ou africains. Une première pour l’Égypte. Le succès retentissant la pousse jusqu’au plateau télé de l’émission « Project Runway Middle East », récompensant un designer du monde arabe, diffusée sur MBC en 2016, en tant que représentante du pays des pyramides. La même année, elle sort sa collection The City of the Amazigh, dédiée aux femmes berbères de la ville de Siwa, une oasis à la frontière entre l’Égypte et la Libye. Réputées dans le monde entier pour la qualité de leurs broderies, dont personne ne connaît les secrets, elles peuvent passer jusqu’à dix ans à coudre leurs robes de mariées, enrichies avec des coquillages et des boutons coloriés. Pourtant, elles ne sortent presque jamais dans la rue. Comme si elle voulait les inviter à s’ouvrir au monde, Amna Elshandaweely a revisité des vêtements traditionnels, galabeyas ou abayas, les réinterprétant à l’aide d’autres traditions tribales. La robe Queen of Sinaï, par exemple, associe une longue et vaporeuse jupe noire à un bustier fait main par les femmes d’une tribu égyptienne qui vit à El-Arich, dans le Sinaï. Changement de décor pour ses dernières lignes, Cairo Punk et Once on a Wall, qui s’attachent cette fois-ci à la culture de rue de la capitale, celle incarnée par le festival Afropunk, et au monde du graffiti et de l’expression sauvage de la parole. Avec ses pulls et ses vestes oversize, faites avec AFRIQUE MAGAZINE

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des tissus wax bariolés panafricains, la première se veut le reflet de la crise d’identité de la jeunesse cairote. La deuxième relève en revanche plus de la performance artistique que de la mode au sens propre et a vu le jour grâce à la collaboration de graffeurs originaires de différents pays africains. Avec leurs rituels et leurs codes, en mouvement perpétuel d’un coin à l’autre de la ville, les jeunes d’Afrique forment leurs propres tribus et dégagent une identité forte à travers leur garde-robe. Un vrai régal pour une styliste comme Amna, toujours en cherche de nouvelles inspirations. ■ Instagram : @amnaelshandaweely.

La ligne Once on a Wall a vu le jour grâce à la collaboration de graffeurs de divers horizons. 101


Diabète

Une alimentation déséquilibrée peut favoriser sa survenue.

Agir pour s’en préserver ! On parle d’une véritable épidémie… Cette maladie est en constante augmentation partout dans le monde. Pourtant, il est possible de la prévenir. En modifiant nos habitudes de vie.

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d’uriner fréquentes, une perte de poids, sont des signes qui doivent alerter (mais qui ne se manifestent qu’au bout d’une longue évolution). Or, faute d’être pris en charge, un diabète n’est pas anodin : l’excès de sucre dans le sang abîme la paroi des vaisseaux, avec un impact sur divers organes… On est exposé à des accidents cardiovasculaires, à des problèmes rénaux, à un risque de cécité.

Priorité à la « bonne » alimentation Le diabète est dû à une prédisposition génétique : avoir un parent touché doit rendre encore plus vigilant. Et il est favorisé par des facteurs environnementaux : alimentation déséquilibrée, surpoids, sédentarité, sur lesquels on peut agir. Donc d’abord, on garde un œil sur la balance car quand on prend trop de poids, l’insuline devient AFRIQUE MAGAZINE

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LE DIABÈTE de type 2, qui survient à l’âge adulte, est une maladie souvent mal cernée. Par conséquent, elle n’inquiète pas tant que cela, et l’on ne connaît pas bien les moyens de prévention. Cette affection se caractérise par une glycémie (taux de sucre sanguin) trop élevée, à partir de 1,26 g/l. À quoi est-ce dû ? Normalement, l’insuline, hormone sécrétée par le pancréas, « pompe » le sucre dans le sang pour qu’il soit distribué aux cellules et organes. Mais un jour, il arrive que cette insuline agisse moins efficacement, ou que le pancréas n’en produise plus assez. La maladie s’installe presque sans symptôme, durant de longues années… Faute d’analyse de sang, le diagnostic est souvent trop tardif, et le diabète a eu le temps de provoquer des dégâts. Une soif répétée, des envies


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pages dirigées par Danielle Ben Yahmed avec Annick Beaucousin et Julie Gilles

moins efficace. L’idéal est de ne pas se laisser gagner par les kilos superflus. Mais s’ils sont déjà installés, on ne baisse pas les bras : même une perte de poids de 5 à 10 % est bénéfique sur le taux de sucre dans le sang. Côté alimentation, on veille aux graisses : parce qu’elles sont responsables de surpoids ; et aussi parce que plus on mange gras, plus on empêche l’insuline de travailler normalement. Le conseil : on essaye de réduire sa ration de graisses d’environ un tiers (on en consomme souvent deux fois trop). Et on adopte une alimentation de type méditerranéenne : poisson, huile d’olive, légumes verts et secs, et moins de viandes, charcuteries, fromages et beurre, et aliments industriels. Pour ce qui est du pain et des féculents, pas besoin de se restreindre : ils sont indispensables comme « carburant » de l’organisme, et conseillés à chaque repas. Mais on privilégie le pain complet, aux céréales, de seigle plutôt que le blanc, le riz complet ou semi-complet… Riches en fibres – à cet égard, les légumes secs sont excellents –, ils sont plus favorables à l’équilibre de la glycémie. Et on évite riz et pâtes « à cuisson rapide » : ils la font monter davantage. Que penser du sucre ? Il n’y a pas d’interdit car il n’est pas cause directe de diabète. Mais la consommation doit être raisonnable. On peut déguster un dessert (pas trop gras) de temps à autre, mais à la fin d’un repas. Les fruits ne sont pas néfastes sur la glycémie : en manger un en dessert, c’est parfait, et aucun n’est à supprimer. On évite en revanche les sodas et autres boissons sucrées.

Et il faut bouger aussi L’activité physique est capitale. Elle aide à garder un poids normal, ou à perdre un petit excès. Mais surtout, elle permet une meilleure efficacité de l’insuline, donc de baisser le taux de sucre dans le sang. De plus, les muscles en activité consomment du sucre. La marche d’un bon pas – 30 min par jour ou au moins trois fois par semaine – a un effet bénéfique. Comme toute autre activité : vélo, natation… L’essentiel est de ne pas abandonner. Une vaste étude a démontré que des personnes à risque qui pratiquaient 30 min par jour d’activité physique, et avaient réussi à perdre de 5 % à 7 % de leur poids, diminuaient de 58 % leur risque de devenir diabétique ! Enfin, il faut faire des contrôles sanguins réguliers, dès 35-40 ans, au rythme précisé par le médecin selon son profil. Quand on risque de devenir diabétique (avec une glycémie entre 1,10g/l et 1,25g/l), adopter les mesures précédentes peut permettre un retour en arrière : autrement dit, annuler le risque de voir la maladie s’installer. Et si le diabète est déjà installé, elles font partie du traitement. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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DU POISSON ET… DES ŒUFS POUR UN CŒUR PLUS FORT

Des données récentes pour la santé cardiovasculaire. DES SCIENTIFIQUES américains ont analysé des études réalisées pendant dix ans. Résultat : manger du poisson au moins deux fois par semaine protège bien des maladies cardiovasculaires. Les recommandations : on privilégie ceux qui sont gras, riches en oméga 3, une fois par semaine : sardine, saumon, maquereau, hareng, rouget, anchois. Pour le deuxième menu de la semaine, on opte pour des poissons un peu moins riches en graisses : dorade, flétan, truite, bar, turbot, brochet. Pour les personnes aimant en consommer davantage, pas de souci, mais avec des poissons maigres : par exemple lieu noir, cabillaud, merlan, sole, raie, merlu, lotte… De leur côté, des chercheurs chinois ayant suivi plus de 400 000 personnes pendant huit ans, ont constaté que celles qui mangeaient un œuf par jour (par rapport à celles qui n’en mangeaient pas), avaient moins de risque cardiovasculaire, et notamment d’accident vasculaire cérébral. Voilà qui réhabilite cet aliment très nutritif, mais parfois évité car riche en cholestérol. ■ 103


Des injections de toxines botuliques peuvent être envisagées.

TRANSPIRATION EXCESSIVE : COMMENT LIMITER LES DÉSAGRÉMENTS

Quand la température grimpe, ce problème peut devenir une véritable gêne. TRANSPIRER, c’est naturel, et même indispensable pour réguler la température du corps. Mais nous ne sommes pas égaux face à ce phénomène physiologique. Chez certaines personnes, il prend des proportions excessives, notamment avec la chaleur et lors d’efforts physiques, même peu intenses. Si, comme la plupart du temps, cet excès de transpiration est localisé aux aisselles, mains et/ou pieds, il est sans cause médicale connue. S’il est généralisé et récent, il peut en revanche être dû à certaines affections ou à la prise de médicaments. Avant tout, face à ce problème, il faut se laver autant que possible

pour éliminer les bactéries à l’origine de mauvaises odeurs. Pour atténuer la quantité de sueur, on recourt à des antitranspirants (ne pas confondre avec les déodorants), qui agissent en obstruant les canaux d’évacuation. Beaucoup de ces produits contiennent de l’aluminium, actif faisant parfois l’objet de réticences car un temps suspecté de risque de cancer, mais aucun lien concluant n’a été prouvé. Autre option, la pierre d’alun ayant le même mode d’action : naturelle ou de synthèse, elle contient en général moins d’aluminium. Côté phytothérapie, on essaie la sauge, très efficace : on réduit ses feuilles en poudre, on y ajoute l’équivalent d’un tiers de talc, on mélange et on applique. Pour les pieds, pour la journée, mettre du talc sur la voûte plantaire ou dans ses chaussures permet d’être « plus au sec ». Et il est conseillé de ne pas porter la même paire de chaussures deux jours de suite, pour la laisser s’aérer.

Les solutions médicales L’ionophorèse peut être préconisée pour les mains et les pieds. Cette technique consiste à les plonger dans un bac d’eau où circule un courant électrique. C’est indolore, et l’électricité bloque peu à peu l’activité des glandes sudoripares. Ce traitement marche souvent bien. Mais au début, il faut faire plusieurs séances par semaine, avant de les espacer pour conserver le résultat. En pratique, on se fait conseiller par un dermatologue ou un kinésithérapeute ; après quoi, il est possible d’acquérir un appareil pour se traiter à la maison. Pour les aisselles, des injections de toxine botulique peuvent être proposées par les dermatologues : le produit bloque le fonctionnement des glandes sudoripares. On ne transpire plus, l’effet dure en général six à sept ou huit mois. En dernier recours, pour une transpiration très invalidante des aisselles, une intervention chirurgicale est possible, avec un effet définitif, mais au prix d’une cicatrice. Plus simple : essayez l'homéopathie. ■

Des clés pour un meilleur sommeil

Manger simplement mieux

Médicaments qui assomment, remèdes à l’action douteuse, on oublie ! La science a fait de grands progrès en matière de troubles du sommeil. Identifier leurs caractéristiques permet souvent de les régler. Cet ouvrage présente les nouvelles techniques thérapeutiques non médicamenteuses à l’efficacité prouvée. Dormir sans médocs ni tisanes, par les Drs Philippe Beaulieu et Olivier Pallanca , éd. Marabout, 19,90 euros.

On trouve dans ce livre toutes les informations sur les composants des « superaliments » (grenade, avocat, baies de goji et d’açaï, gingembre, a noix de coco…) et leurs effets bénéfiques n ssur la santé ; des interviews d’experts ; des astuces pratiques et plus de 40 recettes d vvégétaliennes. Pour tous ceux qui veulent utiliser les cadeaux de la nature que sont u lles superaliments, pour se faire du bien ! JJe suis healthy !, par Margot @BienDansMonSlip, éd. First, 14,95 euros. @

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À LIRE


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Eczéma : le vrai et le faux Pas la peine de se priver de piscine, si on prend soin de se doucher ensuite.

Les bons réflexes ne sont pas toujours ceux qu’on croit pour cette affection fréquente de la peau. SÉCHERESSE cutanée, démangeaisons… L’eczéma est une inflammation de la peau survenant chez des personnes ayant une prédisposition génétique. Il s’agit d’une réaction excessive du système immunitaire : fragile et anormalement perméable, la peau répond à diverses agressions. On fait le point.

Le soleil fait du bien.

VRAI

Il a tendance à soulager l’inflammation, avec une peau moins sèche, moins rouge. Toutefois, on applique une crème solaire d’indice élevé pour éviter l’agression du coup de soleil. Et l’hydratation de la peau reste essentielle : elle doit être quotidienne.

Avec les rayons UV, il faut stopper tout traitement.

FAUX

Si des plaques surviennent, la crème corticoïde s’impose : il est primordial de traiter l’inflammation lors d’une poussée sous peine d’aggravation ou de surinfection. AFRIQUE MAGAZINE

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La crème permet aussi de restaurer la barrière cutanée. On applique alors le traitement corticoïde seulement le soir après la douche, ce jusqu’à ce que la peau revienne à son état naturel.

La chaleur et la sueur favorisent les démangeaisons.

VRAI

Mais ce n’est pas une raison pour rester enfermés. On évite les heures les plus chaudes, on porte des vêtements amples en coton ou en lin, ce qui limite la transpiration. Pour calmer rapidement des démangeaisons, on prend une douche courte et fraîche. Ou on utilise ces astuces « froides » conseillées par l’Association française de l’eczéma : un galet ou une cuillère réfrigérés, de l’eau en bombe (mise au frais aussi), une poche ou un pack de glace. On peut même mettre son tee-shirt au réfrigérateur.

Mieux vaut limiter les baignades en mer ou piscine.

FAUX

L’eau salée de la mer fait du bien. Mais la baignade doit être suivie d’une douche à l’eau douce (au besoin avec des bouteilles d’eau), et d’un séchage soigneux. Seule situation où on évite : en cas de poussée, car l’eau risque de provoquer des sensations de brûlures au niveau des plaques. La piscine ne pose pas de problème, mais là encore, on se douche ensuite.

Mieux vaut arrêter le sport.

FAUX

Beaucoup de personnes le font quand il fait chaud à cause des démangeaisons causées par la transpiration. Une erreur, car le sport permet de se sentir bien, d’évacuer le stress. Les conseils : on peut choisir une activité moins intense, porter des tissus anti-transpiration ; on boit beaucoup d’eau, avant, pendant et après l’exercice ; on hydrate sa peau avant et après aussi, sans oublier une douche rapide et pas trop chaude une fois l’activité terminée. ■ 105


LES 20 QUESTIONS propos recueillis par Astrid Krivian

15. La dernière rencontre qui vous a marqué ? La magnifique actrice Lupita Nyong’o. D’une simplicité et d’une générosité impressionnantes.

1. Votre objet fétiche ? Je n’en ai pas, je fais confiance au destin. 2. Votre voyage favori ? L’île d’Ouvéa, en NouvelleCalédonie. Paradisiaque ! 3. Le dernier voyage que vous avez fait ? Le Japon, pour ma tournée. Magnifique pays, profondément spirituel, très riche culturellement.

5. Un morceau de musique ? Zimbabwe de Bob Marley. Un titre engagé qui me plonge dans les souvenirs de cet âge insouciant. 6. Un livre sur une île déserte ? Un bon roman de sciencefiction, pour avoir la tête dans les étoiles ! 7. Un film inoubliable ? Alien, le huitième passager de Ridley Scott. On était tous terrifiés, un vrai chefd’œuvre ! 8. Votre mot favori ? Compromis. Personne ne détient la vérité, relative selon les situations. 9. Prodigue ou économe ? Prodigue, parce qu’il faut vivre chaque minute de sa vie comme la dernière. 106

Hervé Samb

Les habitués des clubs de jazz de Paris à New York connaissent bien ce talentueux guitariste, qui a joué avec les plus grands musiciens africains. Dans son dernier album*, le natif de Dakar donne un coup de frais au sabar, ce style typiquement sénégalais, au cœur de l’identité wolof. Réussi !

10. De jour ou de nuit ? De jour. J’adore les matins, le calme avant la tempête citadine. Idéal pour travailler ma guitare avant que le téléphone commence à sonner ! 11. Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ? Coup de fil ! Rien ne remplace la parole, le son et la mélodie de la voix qui transmettent des émotions.

12. Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Je cours souvent pour me changer les idées. 13. Votre extravagance favorite ? La scène. Le seul lieu où je suis extravagant sans aucun complexe. 14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Militaire, car mon grandpère l’était. Il m’avait même offert la tenue.

17. Votre plus beau souvenir ? Mon premier concert, à 11 ans, avec mon groupe Force 5 à Dakar devant mes parents. J’y ai gagné leur soutien, indispensable pour devenir l’artiste que je suis aujourd’hui. 18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? J’ai beaucoup bourlingué. Là, j’ai besoin de retourner aux sources, vivre au Sénégal parmi les miens. 19. Votre plus belle déclaration d’amour ? La première fois que j’ai pris mon enfant dans mes bras. On est témoin de la naissance de cet amour pur et éternel. 20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? Un artiste qui a apporté sa contribution à l’élévation de l’humanité. ■ * Teranga, Cristal Records.

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4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? Une guitare ! J’ai la chance d’avoir ma passion pour métier.

16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Une bonne série, qui peut m’obliger à faire quelques nuits blanches !


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