AUDIENCE N°3

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coran, lis-le et ça ira mieux… ». Nous avons été sonnés en lisant ce message qu’on espérait n’avoir jamais à recevoir. Sur le moment nous avons eu le courage, je ne sais pas comment, d’entretenir une conversation avec le messager. Faute de preuve, nous sommes bien obligés d’accepter la nouvelle, pour tenir debout. Nous avons aussi décidé, à défaut de corps et de certificat de décès, de faire une cérémonie d’au revoir à notre fils fin janvier, pour être en paix. Quel adolescent votre fils était-il ? C’était un enfant sans problèmes, qui avait fait de bonnes études. Il était sportif, musicien, dans une famille soudée, avec des valeurs. Il nourrissait des questionnements liés à sa jeunesse, sur l’existence, le sens de la vie, avec, sans doute, une forme de naïveté, un grand idéalisme. Il aimait la vie. Il était timide, peureux bien que volontaire, en compétition notamment, et très sensible aussi. Il avait un profil plutôt altruiste, humanitaire, voire alter mondialiste. On aurait pu le retrouver dans d’autres « combats », comme aux côtés de l’Abbé Pierre. Mais c’est le combat en Syrie, qui a priori ne le concernait pas, qui l’a interpellé, happé et condamné à mort. Il aurait pu rejoindre les rebelles pour défendre la veuve et l’orphelin, mais c’est l’État islamique qui l’a cueilli. Nous n’avons jamais su ce que Quentin faisait à part apprendre la religion. Mais nous savons que tous les garçons sont voués à s’entraîner militairement voire combattre, car on leur dit qu’ils sont attaqués dans leur foi et doivent se défendre. Comme le disait Quentin : « Vous me manquez, je vous manque, c’est dur mais c’est un sacrifice que Dieu demande… ».

n jour de septembre 2014, votre plus jeune fils Quentin décide de rejoindre la Syrie. Il n’en reviendra jamais…

Nous n’avons rien su de son départ. N’étant pas tenu au courant par la police, nous avons mené notre enquête personnelle. Nous remontons petit à petit le fil et constatons l’évidence d’une filière qui a opéré à Sevran et aux alentours. Ce qui nous met le plus en colère, c’est de voir que tout s’est fait grâce à un ami dont Quentin ne s’est pas méfié, si tant est que l’on puisse encore appeler « ami » quelqu’un qui vous envoie à la case mort. Nous nous efforçons depuis le début de bien distinguer son chemin de conversion, pour des raisons qui lui appartiennent, de sa radicalisation. Il a croisé les mauvaises personnes au mauvais endroit, au mauvais moment. Et ces personnes qui lui ont menti et monté la tête n’étaient pas sur internet. Internet a simplement justifié les thèses de ces bourreaux de recruteurs, plus fanatiques que religieux. Cela a contribué à l’isoler, le faire culpabiliser, à voir les autres comme des ennemis, et, enfin, à lui donner l’envie de partir car sa place en tant que « bon » musulman n’était plus ici, en France.

A posteriori, vous sentez-vous coupable ? Coupables de quoi ? Nous avons tout fait pour qu’il ne reste pas dans l’intégrisme et revienne une fois parti. C’est malheureusement des propos que nous entendons parfois, tellement faciles. Forcément des parents déficients disent certains. Les gens ont peur et se défoulent. Nous sommes « parents de », les gens ont peur du terrorisme, et c’est humain. Juger n’est pas signe d’intelligence, il faut essayer de comprendre. Il n’est pas question de se rajouter un poids en plus de celui d’avoir perdu l’un de ses enfants sans lui avoir dit au revoir. Notre fils était aimé, aimant. Il a eu une bonne éducation. Les recruteurs sont des prédateurs qu’il faut empêcher de nuire. Ce sont eux les coupables ! Nous avons tout tenté pour le sortir de son piège, sans

Survient cette terrible nouvelle, le 14 janvier 2016… Nous avons appris le décès de Quentin par un inconnu, sur WhatsApp, avec une phrase choc : « l’état bâtit sur le sang des martyres ». Il faut savoir que l’État islamique tient des registres avec le nom des jeunes et des parents à prévenir en cas de décès. Nous ne connaissons ni le lieu, ni la date, ni les circonstances exactes de son décès. Cet inconnu n’était qu’un messager qui nous a dit de nous réjouir, « il est bien au paradis des oiseaux verts », et de ne pas pleurer car « le seul que l’on peut pleurer c’est le prophète qu’on ne suit pas. La réponse est dans le

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