Extrait "Le théâtre sans fin"

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Dépôt légal : septembre 2013 / isbn 978-2-330-02268-6 / 18 e TTC france

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Xavier Fabre

Le Théâtre sans fin

Le Théâtre sans fin l a t r a n sf o r m a ti o n d u t h é â t r e h ist o r iq u e d e s è t e

L’Impensé, série dirigée par Patrick Bouchain et Claire David, située au carrefour entre le citoyen, l’élu, l’architecte et le chantier, propose une autre façon de penser l’architecture et le paysage. Ces récits exemplaires, racontés par des constructeurs des lieux ou des journalistes concernés par une réalisation, requalifient des espaces délaissés par l’urbanisme, l’industrie ou l’économie, et révèlent le dysfonctionnement ou les blocages de notre société.

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Les théâtres historiques ont-ils encore un avenir, dans le déploiement des nouvelles formes du spectacle vivant ? Quelles peuvent en être les transformations, entre restauration patrimoniale et adaptation aux nouvelles exigences techniques et scénographiques ? Le Théâtre Molière offre un exemple instructif. Construit en 1904 et toujours en usage, il accueille depuis 1993 la scène nationale de Sète et du Bassin de Thau avec plus de deux cents représentations par an. Le renfort de l’outil culturel et l’aménagement de nouveaux espaces de création est conjugué avec une restauration économe et respectueuse des dispositions d’origine. Le parcours parallèle d’une aventure culturelle et d’un chantier complexe témoigne de l’attachement d’une population à l’usage d’un patrimoine vivant et de la force de permanence des formes théâtrales.

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Bal au grand foyer Un programme en débat

La construction du grand théâtre de Sète est vivement discutée, en 1896, au conseil municipal. Beaucoup d’élus considèrent suffisantes les salles du Casino Kursaal et du vieux Théâtre Jeannin. Cependant l’étude d’un premier projet est votée, confiée à l’architecte montpelliérain Adolphe Carlier. La Ville de Montpellier vient d’inaugurer en 1888 son opéra, Sète doit tenir son rang de grand port du Languedoc et de cité industrielle attractive… Honoré Euzet, maire de Sète durant trois mandats, est un radical engagé, il encourage le développement économique de la ville, mais se préoccupe également du bien-être social et culturel des habitants. Le port de Sète se développe considérablement à la fin du xixe siècle et permet une extension importante du centre-ville et la création d’un nouveau quartier, à l’occasion de l’extension d’une darse portuaire. Le nouveau théâtre devient l’argument de valorisation du quartier de la Bourdigue, constitué d’immeubles de rapport et formé d’îlots réguliers de part et d’autre de l’avenue Victor-Hugo, qui reliera le centre-ville à la nouvelle gare. Le premier projet est abandonné au profit de celui de l’architecte municipal, Antoine Gour. On ne connaît pas les causes de ce changement, mais on peut supposer que l’insertion dans le nouveau quartier y joue son rôle et que les difficultés de fondation sur des terrains marécageux gagnés sur la mer contribuent à une reprise en main du chantier. Ci-contre : Le treuil du lustre.

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Même si Antoine Gour reprend, pour partie, les volumes du premier projet, il conçoit une œuvre originale qui respecte les canons de l’architecture néoclassique et fait preuve de nombreuses innovations dans les dispositifs intérieurs. Empreint d’une grande rationalité, le nouveau théâtre municipal rassemble toutes les innovations techniques et scéniques de l’époque. Les innovations constructives du théâtre de Sète – L’étanchéité des fondations : Fondé sous le niveau de la mer, le théâtre met en œuvre des techniques de chapes hydrofuges et de répartition régulière des charges sur un sol sablonneux instable. Les mêmes techniques utilisées pour la construction des digues et quais du port. – La construction en pierre et structure métallique : Les quatre façades sont construites en pierre de grand appareillage, taillées régulièrement pour être parfaitement assemblées et utilisant trois carrières régionales : les calcaires durs de Ruoms en Ardèche pour le soubassement, les calcaires blancs de Nîmes pour la façade principale, les calcaires plus coquillés des Baux-de-Provence pour les élévations. En revanche, toutes les structures de la salle sont métalliques, merveilleusement ouvragées pour répondre à la forme de la salle et de la coupole. Fermes “Polonceau”, à double poinçon renversé, pour les charpentes, couvertes en zinc, matériau rarement utilisé dans le Midi. – Les services scéniques et la taille du plateau : La liberté du terrain permet sans doute de réaliser, pour l’époque, un grand plateau, 12 x 16 mètres, qui fait encore la force de la scène nationale. Deux grandes poches latérales assurent les dégagements de décors et des comédiens. En arrière-scène, se développent sur quatre niveaux les loges et services au plateau, distribués par deux grands escaliers en métal et pierre. Une fosse d’orchestre vient

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compléter ce dispositif, sous un proscenium démontable, au-devant du cadre de 11 mètres et du rideau de fer. – L’équipement scénographique 1900 : La technique scénographique est moderne. Trois dessous démontables de rues et fausses rues, cheminées de contrepoids répartis à cour et jardin, laissant des passages de dégagement latéraux pour les feuilles et cadres des décors. Aux cintres, 48 équipes de porteuses contrebalancées se répartissent sur les 12 mètres de cadre au lointain. Depuis les progrès entrepris à l’Opéra Garnier, achevé en 1875, l’équipement scénique s’est industrialisé et répandu dans toutes les salles régionales. – Le système de ventilation : Plus original encore est le système de chauffage et de ventilation de la salle, qui prend l’air depuis une cour anglaise extérieure, et le répartit, propulsé par une grande hélice, tel quel ou réchauffé aux travers de radiateurs à ailettes, dans l’ensemble des plenums du parterre et des balcons, par des grilles implantées sous les fauteuils. En 2011, le ventilateur était toujours en fonction, les mêmes parcours seront empruntés par la nouvelle ventilation. – Les principes de sécurité : Fort heureusement, Antoine Gour semble respecter les règles ancestrales de la sécurité. Quatre escaliers assurent le dégagement sécurisé de la salle, tandis que deux grands escaliers d’honneur distribuent le foyer. Il ne manque que l’ascenseur électrique, inventé en 1880, mais développé sans “liftier”, c’est-à-dire sans conducteur, seulement à partir de 1924… notamment par la société Édoux qui équipait la motorisation des rideaux de fer et des monte-charges de théâtre… – La distribution de la salle et sa jauge : Le Théâtre Molière accueille à son ouverture 1 041 places, dont 150 inconfortables au “paradis” (derniers gradins perchés dans le fond supérieur de la salle) mais de bonne audition. La

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distribution s’étage à partir d’un parterre de 400 places, sur trois galeries, dont la première comporte des loges semi-ouvertes. L’amplitude de la salle et le recul de l’avant-scène procurent une bonne visibilité aux trois quarts des places, les fauteuils latéraux ne conservant qu’une vue partielle du plateau, mais une bonne proximité. C’est le point faible des salles historiques. Mais la forte jauge représente un atout considérable pour initier une large programmation. – Le traitement de l’architecture et des décors : La qualité constructive du théâtre, de conception rationnelle dès l’origine, comme structure et comme fonctionnement, a sans doute permis à l’édifice de nous parvenir intact, sans grande modification, et dans son décor initial pour la majorité de ses espaces publics. Vestibule, foyers, salle et galeries ont conservé leurs stucs, tentures, mobiliers et peintures d’origine, ou presque. Seule l’usure du temps et quelques retouches de peinture ont assombri le décor, qui, une fois restauré, va apparaître dans son éclat initial, joyeux et coloré. Construit pour l’opérette et le théâtre du début xxe, inauguré avec l’opéra de Donizetti La Favorite, la grande salle de Sète va réjouir le public pendant plus d’un siècle. Elle est aussi un faire-valoir puissant pour l’image et la commercialisation du nouveau quartier de la Bourdigue ; on oublie souvent à quel point les investissements culturels participent, depuis fort longtemps, au développement urbain, et à son renouvellement social. C’est là que réside la force du lieu : une vie animée et tumultueuse dans un décor inchangé ; une technique sobre mais résistante aux assauts du temps ; un engouement du public local qui retrouve là l’image de sa Belle Époque. L’aura dont bénéficie un ancien théâtre tient à une histoire longue et riche où s’entremêlent le coût et les difficultés du chantier d’origine, les souvenirs

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Ci-contre : En haut : Danse des restaurateurs pour le vernis du plafond du foyer. En bas : Le grand foyer en fin de restauration.

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d’enfant d’un premier spectacle, un passage sur “les planches”, l’image fastueuse des dorures du foyer, un concert de Georges Brassens dans sa ville, voire la fierté d’une façade jamais franchie… Et chacun rêve d’un grand bal au foyer… On comprend, dès lors, les motivations de Thau agglo et de son président, pour entretenir ce bâtiment et renforcer les capacités d’accueil de la scène nationale. Le lieu est porté par son public et le président aime le théâtre. Cependant, tout investissement public dans la culture n’est pas forcément facile à faire admettre. Les contradictions sont nombreuses pour détourner la décision d’un tel projet. On peut imaginer déjà les récriminations : “C’est toujours les mêmes qui vont aux spectacles…”, “Ça va coûter cher !”, “Pour le Patrimoine oui, mais ne changer rien d’autre…”. Le président de Thau agglo et son équipe prendront le temps de répondre une à une à toutes ces questions, long et difficile travail du politique pour marquer une direction et dégager un consensus. – Pour 160 représentations par an le théâtre attire un public de plus de 60 000 per­ sonnes, bien plus qu’un stade de football qui accueille 20 matchs durant la saison. – Le théâtre attire un public au-delà de l’agglomération et sert son image comme pôle de développement culturel et économique majeur de la région. – Pour un coût de 16 millions tout compris, l’agglomération retrouve un équipement théâtral dont la construction à neuf aurait coûté le triple. – Le travail de diffusion culturelle effectué par la scène nationale concerne plusieurs salles des différentes communes de l’agglomération.

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– La sauvegarde d’un patrimoine majeur est le premier argument retenu par les élus et l’État, c’est aussi le plus évident, compte tenu de la qualité de l’édifice. Mais d’abord la direction de l’agglomération procède, en 2006, sous la conduite de son directeur général adjoint Jean-Louis Arquillière, à une étude préalable, définie avec l’aide de la drac, et confiée à une équipe de maîtrise d’œuvre et d’experts techniques. Cette équipe rassemble autour de Laurent Dufoix, architecte du Patrimoine, Yvan Peytavin, architecte scénographe pour la programmation de l’équipement de la cage de scène, Georges Rouch, acousticien, Gérard Recalde, ingénieur structure, Patrice Durand, ingénieur fluides pour la rénovation des équipements techniques, Marc Cusy, économiste. Elle travaille à partir des attentes techniques et fonctionnelles de la scène nationale et des exigences de restauration d’un édifice inscrit. Des diagnostics spécifiques viennent compléter cette analyse concernant le respect des normes de sécurité, les résistances des structures scéniques, les réseaux électriques, confiés pour partie au bureau de contrôle Apave. Cette étude préalable, extrêmement complète, a le grand mérite de préciser les enjeux et le programme de rénovation du théâtre. Elle apporte à la maîtrise d’ouvrage une appréciation détaillée sur les travaux à entreprendre et offre une base de réflexion pour les différents partenaires potentiels de l’opération. Thau agglo mais également les services de l’État et des collectivités locales peuvent mesurer les financements et les phasages à mettre en œuvre. Deux difficultés ressortent ainsi de l’analyse, livrée en 2007 : le coût des travaux est très important, estimé à près de 20 millions d’euros, et les enjeux de restauration y représentent une part déterminante.

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Une discussion s’engage entre l’agglomération, propriétaire du lieu, et les ser­vices de l’État, impliqués à double titre, dans l’appui apporté à la scène nationale et dans le suivi d’un édifice inscrit. Dans cette discussion, la direction du théâtre s’implique fortement pour éviter de perdre la rénovation indispensable d’un outil culturel au profit d’une restauration essentiellement patrimoniale. Ce débat apparaît à chaque rénovation d’un théâtre historique, il est d’autant plus délicat que les financements s’amenuisent, il est d’autant plus brûlant que deux directions du ministère de la Culture se croisent sur un même lieu. Le théâtre comme édifice patrimonial et le théâtre comme spectacle vivant. Le rôle des services de Conservation est de défendre l’entretien et le maintien d’un patrimoine matériel, avec l’appui d’une approche archéologique qui interroge l’état originel. Le rôle de la Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles est de soutenir la diffusion et la création artistique, et de veiller au service public auquel répond une scène nationale. Heureusement “le courant passe” à la drac du Languedoc-Roussillon, la conservatrice régionale Delphine Christophe et le conseiller pour le théâtre et la danse François Duval apportent une réponse concertée à la sauvegarde du lieu et de son activité. Ce n’est pas toujours le cas, et la tension entre création et conservation traverse toutes les strates de la société française. Une approche de la culture considérée comme un héritage, plus que comme une création, est ancrée dans notre esprit national comme dans nos institutions. Nous avons toujours une difficulté à associer les deux dans une conception dynamique. Pour le Théâtre Molière le dialogue heureusement prévaut, et le président de Thau agglo, tranche clairement. Un concours de Maîtrise d’œuvre est lancé

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pour réaliser les travaux d’urgence de mise en sécurité, de restauration des intérieurs et de rénovation des équipements techniques. Un canevas de travaux en deux phases est avancé, donnant la priorité au patrimoine et à la sécurité, pour 5 millions d’euros, et dans un deuxième temps la rénovation scénique et fonctionnelle pour également 5 millions. Le président de Thau agglo s’explique ainsi sur cette démarche : Choix culturel, choix patrimonial : L’argument patrimonial parle à tous, la sécurité aussi, et l’on veut éviter une fermeture du théâtre. L’activité culturelle peut attendre car elle a démontré sa capacité d’adaptation. L’équilibre matériel et temporel entre les deux sera l’œuvre du projet et des architectes. Le rôle de la culture dans l’agglomération : De constitution récente, les agglo­ mérations doivent donner les signes de leur cohérence et cohésion. La présence active d’une scène nationale fait “agglomération”, dans la mesure où elle rassemble le public de toutes les communes du bassin de Thau et en valorise l’offre culturelle. Ainsi, elle justifie le soutien d’une politique de décentralisa­­tion, qui rayonne au-delà de la ville-centre. L’agglomération privilégiera l’édifice comme investissement et patrimoine. La place de la scène nationale : Les travaux de rénovation vont rendre plus visible et plus active la présence de la scène nationale dans un édifice historique ; dans les rapports avec le département et la région, cette affirmation de la vocation culturelle de l’agglomération renforce son autonomie. Un programme est donc défini à partir des exigences de mise aux normes techniques et de sécurité, des attentes fortes de restauration, et des demandes d’adaptation de l’équipement scénique, avec un ordre de priorité qui laisse transparaître les diagnostics et les avis préalables, sans vraiment pouvoir trancher sur une stratégie de rénovation.

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Fort de ces orientations, un concours d’architecture sélectionne quatre équi­ pes qui présenteront une note d’intention et une approche méthodologique. Ces équipes doivent regrouper toutes les compétences nécessaires à l’étude du projet, architectes du patrimoine, ingénieurs, scénographes, acousticiens, économistes… et faire une offre de prix pour les études et le suivi de chantier. Sont retenus l’agence Fabre/Speller architectes, et l’équipe BauA, architectes associés, avec sp2i bureau d’étude technique, bmi ingénieurs spécialisés en structures anciennes, la société Scène scénographes, Fédérico Cruz-Barney acousticien pour l’étude de la diffusion sonore, et le bureau Virtz pour l’économie des décors historiques. Un programme négocié La proposition architecturale retenue, dans les intentions de la démarche méthodologique, se distingue par quatre approches originales : – Gagner du temps. Le phasage énoncé dans le programme pose un problème de cohérence technique et de coût. De plus, il faut limiter le temps d’interruption de l’activité. La mise en œuvre conjointe des travaux d’adaptation scénique et des travaux de restauration historique est proposée. Parce que les deux sont totalement imbriqués et parce que l’on ne saurait penser la restauration sans envisager de ses conséquences sur le jeu théâtral. – Dégager de nouveaux espaces. On ne peut plus limiter la présence d’un théâtre à celle d’un magnifique “garage”. La recherche de fonctionnalités nouvelles est vitale pour la Scène nationale en termes de salle de répétition, espaces complémentaires pour les

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comédiens et l’administration, et la création d’une salle de rencontre gagnée dans les dessous du parterre. – Rechercher la cohérence culturelle et architecturale. Il est indispensable d’étudier la scène et la salle comme un seul et même espace, et de ne pas considérer d’un côté du cadre une salle historique immuable et de l’autre une cage de scène où tout sera changé. L’approche historique peut conduire à une compréhension ouverte et négo­­ciée de la restauration pour prendre en compte les impératifs d’un fonctionnement scénique contemporain, et réciproquement pour préserver la force patrimoniale d’un théâtre classique. – Maintenir l’objectif financier. Seule une vision globale de l’opération permet de maintenir le budget. Rénover l’ensemble du théâtre pour 12 millions d’euros, en coût travaux, implique des choix et des équilibres financiers difficiles entre les objectifs de sécurité, de restauration historique, de fonctionnement et de scénographie. Se tenir au plus près des dispositions existantes, et intervenir, comme en acupuncture, par touches limitées et ciblées, s’avère efficace. Dans toutes ces approches, le programme devient un canevas à défendre et à négocier auprès de toutes les instances qui concourent à la définition de l’ouvrage. Restaurer un théâtre historique constitue, pour les architectes comme pour la maîtrise d’ouvrage, un parcours du combattant extrêmement complexe. Il faut s’armer de convictions fortes et comprendre “à bras-le-corps”, les enjeux d’une scène nationale et du jeu théâtral et les enjeux d’une restauration sensible d’un patrimoine fragile.

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L’impératif du diagnostic Les réponses apportées au programme contredisent celui-ci sur plusieurs points, mais elles sont, ici, entendues par la maîtrise d’ouvrage. Il apparaît clairement qu’il est dangereux de scinder le projet en deux phases, l’une de restauration patrimoniale, l’autre de mise aux normes techniques et scéniques. Car, dans un théâtre, tout marche ensemble et la sécurité, l’acoustique, la fonctionnalité théâtrale, les réseaux scéniques ne peuvent pas être séparés en deux. Il est également évident que le programme se limitait à rechercher des espaces supplémentaires de loges et de bureaux, mais ne pouvait envisager l’aménagement d’espaces insoupçonnés dans les dessous, les fondations du parterre, les combles et les latéraux de scène, dès lors que le seul maintien en l’état était évoqué. Or le fonctionnement théâtral a besoin de plus en plus de place, pour le jeu, les réserves et la technique. Enfin, les diagnostics intégrés aux programmes ne vont jamais assez loin dans l’analyse du bâti, parce que ce n’est ni dans leurs moyens, ni dans leurs attributions en termes de responsabilité ; il s’agit, d’abord, de définir un choix de fonctionnement, un niveau de restauration et en conséquence, un budget. Seul le projet réel interroge vraiment l’existant. Ainsi, beaucoup d’aspects restent soit ignorés, soit effleurés. Un deuxième diagnostic approfondi, complété de sondages et de relevés, doit immanquablement être effectué avant tout avant-projet. On peut dire que le Théâtre Molière a présenté, de ce point de vue, une continuité d’obstacles qui ont pu être, à peu près, déjoués à temps. On pourrait en dresser une liste à la Prévert, mais, habitués des rénovations de théâtre historique, on reconnaîtra que cette liste est courante pour bien des opérations de construction… nous en présentons une cartographie générique sous forme de jeu de l’oie !

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Ci-contre : En haut : Le théâtre italien accueillant un concert de rock. En bas : La prise d’air frais et le grand ventilateur de la salle.

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Rénovation d’un théâtre historique : jeu de l’oie 1. Les règles d’urbanisme : hauteur, prospect, stationnement... Heureusement, des dérogations s’appliquent aux bâtiments publics. 2. Les données historiques : partir d’un bon relevé, comprendre les mises en œuvre, connaître les matériaux... nécessitent de nombreux sondages. 3. L’avant projet précise le fonctionnement et les grandes options architecturales, jusque là tout va bien, si le programme rentre dans les volumes. 4. Fouilles archéologiques : coût, délais, modification de projet par chance de découvertes... Mais c’est toujours passionnant ! 5. Zone inondable : très délicat, ne rien changer, surtout quand on est au bord du fleuve ou de la mer... Se munir de bassin de retenue. 6. Zone sismique : un théâtre représente souvent un grand vide avec des portées et des charges importantes sur les fondations, renforcez la structure ! 7. Sécurité incendie : souvent en contradiction avec les principes de restauration, s’armer de patience et des bons conseils des pompiers. 8. Eau, gaz, électricité... Les concessionnaires se font désirer... Vérifier les capacités d’alimentation et de puissance dans les situations d’urgence. 9. Accessibilité des personnes handicapées : songer à accueillir, servir, déplacer, installer en salle, signaler, protéger les spectateurs et le personnel. 10. Permis de construire : la simplification administrative a permis de tout compliquer, s’armer de patience et de force de conviction. 11. Loi sur le bruit : effectuer les relevés de niveaux de bruit ambiant, prendre toutes les mesures pour ne pas gêner les voisins et ni être dérangé par eux. 12. Conception environnementale : très demandée mais difficilement justifiable pour un édifice d’usage temporaire, très fréquenté sur deux ou trois heures. 13. Projet : mettre tout en cohérence, architecture, structure, technique, restauration, réglementation et estimation... quand un détail peut tout modifier. 14. Appel d’offre : choisir les entreprises à partir des offre les mieux-disantes, insister sur mieux-disantes, ne veut pas dire les moins chères. 15. Chantier : une bataille contre le temps et pour la qualité, mais qui se joue à plusieurs, avec toujours de belles rencontres ! 16. Faillite d’une entreprise... Mais aussi changement d’encadrement, ou encore modification de la maîtrise d’ouvrage et d’usage ; s’attendre à tout. 17. Commission de sécurité : tout doit marcher, de l’alarme au déclenchement du désenfumage. Et toujours un débat sur la hauteur des garde-corps. 18. Finitions à reprendre... Gentiment appelé “lever de réserves” qui retardent souvent le lever de rideau. Compter deux mois minimum.

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