Extrait "Lettres Égyptiennes V" de Michel Dessoudeix

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MICHEL DESSOUDEIX LETTRES ÉGYPTIENNES

La Littérature du Nouvel Empire

LETTRES ÉGYPTIENNES

LA LITTÉRATURE DU NOUVEL EMPIRE

Édition préparée sous la direction d’Aude Gros de Beler

© ACTES SUD, 2025

ISBN : 978-2-330-19944-9

Illustration de couverture : Le dieu Horus, temple de Sethy Ier à Abydos. (© Aude Gros de Beler)

Michel Dessoudeix

LETTRES ÉGYPTIENNES

LA LITTÉRATURE DU NOUVEL EMPIRE

À la mémoire de ma mère, Pierrette.

Toute ma gratitude va à Aude Gros de Beler sans qui cette série des Lettres Égyptiennes n’existerait pas. Je la remercie pour ses conseils judicieux, son professionnalisme et les échanges fructueux que nous avons pu avoir.

Je tiens à exprimer mes plus chaleureux remerciements à Michel Brandt et Mathieu Jean, sans qui cet ouvrage ne serait pas ce qu’il est. Outre leur soutien amical dans cette entreprise, ils ont fournit un travail de relecture aussi méthodique qu’impressionnant. Leurs conseils et leurs remarques ont très largement contribué à améliorer ce livre.

Introduction

La culture d’un peuple reste indissociable de sa langue. Vouloir connaître ce peuple sans s’intéresser à ses textes, c’est se priver d’un atout essentiel : une opinion personnelle. Car c’est bien de cela qu’il est question dans cet ouvrage : se donner les éléments pour une approche personnelle des textes et de leur contenu. Ce n’est que de cette manière que l’amateur d’égyptologie peut accéder directement et en profondeur à la culture et à l’histoire de ce pays, de même qu’il peut se rendre compte du type de sources à la disposition des égyptologues et des historiens pour écrire leurs ouvrages érudits ou grand public. Cela illustre également les difficultés que rencontrent quotidiennement ces scientifiques pour interpréter les sources.

Le cinquième tome de la série est consacré à la littérature égyptienne du Nouvel Empire et représente la suite thématique du tome III, centré sur la littérature du Moyen Empire. Ici encore, nous présentons l’intégralité des œuvres considérées comme les “grands classiques”, à la fois par les anciens Égyptiens et les égyptologues. Nous y avons ajouté une sélection de textes provenant d’une littérature particulière, connue en égyptologie sous le nom de “miscellanées”. Il s’agit de textes issus du monde des scribes et destinés aux scribes eux-mêmes. Nous en présentons seulement quelques échantillons car être exhaustif demanderait un livre dédié et apporterait de nombreuses redites.

Il nous a également semblé intéressant de présenter, à chaque fois que cela était possible, les textes d’après leur original hiératique, accompagné de leur transcription hiéroglyphique – chose complètement inédite en égyptologie. Cela permet au lecteur de considérer l’œuvre dans son ensemble, d’appréhender les difficultés rencontrées par l’épigraphiste pour reconstituer le texte ou bien encore de pouvoir mettre en pratique ses propres connaissances de cette écriture.

Outre quelques encarts d’histoire ou de civilisation, des encarts linguistiques offrent un résumé intégral de la grammaire du néo-égyptien. Des tableaux et des listes fournissent au lecteur les traductions, sans avoir à consulter des grammaires spécialisées. Ce livre ne s’adresse pas qu’aux (futurs) épigraphistes. Les textes restent accessibles à tous ceux qui n’ont pas l’occasion de s’initier à cette langue, puisque chacun est accompagné de sa traduction intégrale, fournissant donc à tous la possibilité de s’imprégner de l’âme d’une époque. La vaste gamme des genres permet d’appréhender l’Égypte du Nouvel Empire sous des angles très variés et souvent peu abordés par les écrits royaux ou privés.

Révélatrice d’un monde en évolution, la littérature du Nouvel Empire introduit des genres et des styles nouveaux. Le premier que nous avons choisi d’aborder dans ce volume est le plus typique de ces changements d’état d’esprit : les mythes. La piété s’étant faite plus personnelle, les scribes s’approprient le domaine mythologique et osent dépeindre un monde divin bien loin du calme auquel on pourrait s’attendre. Jalousie, mesquinerie, trahison, colère et déception semblent être le lot des divinités… Le genre romanesque, présenté à la suite, est lui aussi caractéristique de son époque : l’étranger n’est plus, comme précédemment, une source de chaos. Puis, nous aborderons la littérature sapientiale, où la rigueur continue d’être la colonne vertébrale de la société égyptienne, mais devient également un moyen de dépeindre avec une pointe d’humour

une jeunesse rebelle identique à celles que tous les Anciens déplorent… Nous traiterons ensuite un style nouveau pour la littérature égyptienne : la poésie amoureuse. L’amour étant atemporel, les tirades étonnent par leur modernité. Le genre suivant est également une sorte de nouveauté, non par son existence, mais par son utilisation : la littérature épistolaire, les lettres fictives. Enfin, nous terminerons par la littérature religieuse, qui finira de convaincre le lecteur du changement d’attitude de l’égyptien de Nouvel Empire vis-à-vis de ses dieux.

Afin de faciliter sa traduction, chaque texte est accompagné de notes grammaticales ou épigraphiques et, en fin de livre, de son lexique intégral, évitant de fastidieuses recherches dans un dictionnaire. L’étudiant en égyptologie trouvera là un exercice pour mettre en pratique ses compétences en hiéroglyphes et trouvera une analyse grammaticale systématique de chaque phrase, agrémentée de rappels et d’élargissements sur un sujet donné.

Traduire un texte égyptien est avant tout une question de choix entre un français rigoureux et le respect de l’esprit du texte original. Une grande distance temporelle et culturelle nous sépare de l’Égypte ancienne. Certains détails échappent encore à l’égyptologie, ce qui nous empêche de cerner totalement la portée de certaines phrases. C’est pourquoi il nous est apparu nécessaire de rester fidèle au texte, au risque de produire parfois des passages peu inhabituels en français. Ainsi, nous n’avons pas voulu éviter les répétitions si chères à la littérature égyptienne et nous avons gardé les particularités de la langue : ib.w=sn sera traduit par “leurs cœurs”, même si nous sommes bien conscients que la grammaire française exige “leur cœur”.

L’écriture hiératique des textes du Nouvel Empire, et plus particulièrement de l’époque ramesside, est bien moins standardisée que ne l’était celle du Moyen Empire. Elle est sujette à des variations dépendant du moment et du scribe. Certains copistes ont même tenté de faire transparaître les nombreuses modifications linguistiques subies par la langue. La translittération en devient plus complexe et amène à faire des choix. Nous avons fait celui de coller au texte le plus possible, tout en préservant une certaine continuité avec les habitudes du Moyen Empire. Par exemple, le terme nTr, dieu, est parfois écrit ntr avec t : nous avons suivi le scribe lorsque le mot est écrit phonétiquement et conservé la translittération classique de nTr lorsque c’est l’idéogramme qui est employé. Il a paru judicieux de placer visuellement quelques éléments concernant le texte. Pour les étudiants en hiéroglyphes désireux de traduire par eux-mêmes les textes, nous avons indiqué le niveau de difficulté du texte, ce qui permet de faire un choix en fonction de ses connaissances. L’échelle de difficulté est la suivante : ¶¶¶¶ très facile, ¶¶¶ facile, ¶¶ moyen, ¶ difficile et  très difficile. Afin de pouvoir traduire le texte avec toutes les armes nécessaires, nous avons mis en avant quelques points de grammaire à bien connaître pour réaliser l’analyse.

Conscients de la multitude des approches de la langue égyptienne et du fait que chaque professeur possède sa méthode et sa terminologie, nous proposons en fin d’ouvrage un tableau comparatif de ces appellations en fonction des grands ouvrages de référence en matière d’écriture hiéroglyphique concernant le néo-égyptien. Il devient ainsi aisé de suivre les analyses, quelle que soit sa formation initiale.

Les mythes

Les lettrés égyptiens abordent-ils les textes qu’ils composent ou qu’ils lisent en termes de genre ? La réponse ne peut être que positive. Même si la différenciation entre eux n’est pas la même que la nôtre, ou aussi nette et cohérente que l’on aimerait, plusieurs indices vont dans ce sens. Et ceci est d’autant plus vrai au Nouvel Empire.

Selon l’objectif du genre, le style peut grandement varier : enlevé et au vocabulaire riche pour les mythes et les romans ; répétitif pour les Sagesses ou les textes religieux. Lorsque le rythme doit être soutenu dans la narration (romans), les formes verbales sont plus simples et moins diversifiées. Pour les textes plus sérieux (Sagesses, lettres), qui demandent une réflexion et une appropriation du texte, les phrases deviennent plus longues et les constructions plus complexes, car le lecteur peut revenir en arrière, s’y reprendre à plusieurs fois sans casser le rythme narratif. La langue utilisée dépend, elle aussi, du genre du texte : moyen-égyptien pour des textes devant s’ancrer dans le passé (mythe, textes religieux) ; néo-égyptien mixte pour les textes ayant pour but le divertissement de lettrés (romans, mythes dans une moindre mesure) ; enfin, néo-égyptien pour les textes désireux de correspondre à la réalité vécue par le lecteur (lettres, poésie amoureuse).

La première partie de ce livre reprend les cinq plus grands textes rapportant des faits mythologiques ou assimilés. On peut les regrouper en deux sous-ensembles : ceux dont les héros sont les dieux eux-mêmes (Isis et le nom de Râ, La Destruction de l’humanité, La Querelle d’Horus et Seth) puis ceux dont les protagonistes cohabitent avec les divinités (Le Conte des deux frères, Vérité et Mensonge).

Au Nouvel Empire, le genre mythologique se rapproche fortement du genre romanesque. Chacun de ces textes est basé sur le style narratif. La trame se déroule dans un but évident de divertissement : de nombreux rebondissements, des descriptions de sentiments, des alternances de situations tragiques et comiques, des personnages qui expriment leurs sentiments, leurs joies, leurs peines, leur détresse, leur colère… L’auteur pousse le lecteur à s’attacher à tel personnage ou à détester tel autre.

À l’inverse, le genre mythique se distingue du roman en cela qu’il poursuit un objectif évident : instruire le lecteur sur les origines de l’univers tel qu’il a été voulu par les dieux. Le divertissement n’est qu’un prétexte pour motiver le lecteur. Le mythe est là pour expliciter le cosmos tel qu’il est : événements cosmiques, coutumes, lois ou relations humaines doivent trouver une explication assimilable et aisément acceptable pour l’Égyptien de l’Antiquité.

Transcrire, translittérer et traduire un texte

néo-égyptien

La transcription hiéroglyphique d’un texte en hiératique fait l’objet d’un consensus assez large. Chaque signe cursif est remplacé par son équivalent hiéroglyphique exactement à la place qu’il occupe dans l’original, et ce au mépris de la règle du cadrat. Le résultat est alors quelque peu déroutant pour le débutant, habitué aux textes en hiéroglyphes datant du Moyen Empire. De plus, quelques signes n’ont pas vraiment d’équivalent en hiéroglyphes. Les deux plus utilisés sont le signe (Z5 dans la classification Gardiner) ou le point (normalement utilisé dans la versification). Le premier sert d’abréviation aux signes complexes, mais aussi aux unilitères , A, , i, , w, et , t On pourra ainsi trouver pour , iw=tw Le point sert essentiellement à remplir des vides (space filler)

RAPPEL GRAMMATICAL

La translittération, par contre, est loin de faire consensus parmi les égyptologues. Cela est dû, comme en moyen-égyptien, à des différences d’écoles – mais pas uniquement. La graphie utilisée pour cet état de la langue est bien plus conservatrice et systématique, elle n’est sujette qu’à peu d’évolution, presque uniquement des variantes n’ayant pas de conséquence sur la translittération. Ce n’est pas le cas du néo-égyptien qui révèle l’évolution de la langue et des habitudes scribales. Il ne possède pas non plus l’aura sacrée et donc supposée immuable du moyen-égyptien. Au cours de son utilisation, il est assez aisé de constater les évolutions phonétiques et surtout grammaticales subies par la langue. Pour l’égyptologue, il s’agit là de la première difficulté : doit-il adapter sa translittération pour rester au plus près de l’écriture ou doit-il essayer de translittérer de manière à garder un lien avec le moyen-égyptien, sachant qu’il est souvent impossible de connaître exactement l’intention du scribe qui utilise telle ou telle graphie ? Une deuxième difficulté vient des nombreuses variantes contemporaines. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène : plusieurs générations de scribes travaillant au même moment, les scribes plus âgés auront tendance à garder des habitudes plus anciennes ; les différentes écoles traduisent tel phénomène phonétique différemment ; les types de textes (de la pratique ou littéraires) sont également des sources de variations importantes pour un même mot, un même son. Un bon exemple est le verbe Sm, aller. En néo-égyptien, la terminaison féminine de l’infinitif tombe : du moyen-égyptien Sm.t, on passe théoriquement au néo-égyptien Sm. Certains textes continuent d’utiliser la graphie Sm.t, alors que d’autres, contemporains – parfois même dans le même texte –, utilisent Sm. Ce verbe finit par perdre son m final (il sera prononcé shé en copte) : quelques textes utilisent la graphie , Si, d’autres continuent d’employer Sm. Dans cet ouvrage, nous avons généralement opté pour une solution mixte. Toujours pour garder cet exemple, l’infinitif est translittéré tel qu’il est écrit Sm ou Sm.t, sauf s’il existe des variations dans le texte étudié, auquel cas nous rétablissons le .t entre parenthèses, Sm.t ou Sm(.t). Un dernier cas concerne le r final qui s’amuït en yod : il s’agit d’un phénomène que l’on trouve déjà en moyen-égyptien ; nous avons systématiquement conservé une translittération correspondant à la graphie swr et swi ou encore ptr et pti

Dernière étape avant la traduction, il convient d’établir l’analyse grammaticale du verbe. Les différents traducteurs convergent bien plus facilement qu’en moyen-égyptien. En effet, les formes verbales sont en plus petit nombre et ont des morphologies moins ambiguës. Cependant, les appellations peuvent différer grandement d’un auteur à l’autre, on trouvera à cet effet un tableau récapitulatif en fin d’ouvrage. La description grammaticale du néo-égyptien est souvent basée sur les stades ultérieurs de la langue (démotique et copte). On rencontre, de ce fait, des appellations assez surprenantes : présent I alors qu’il n’existe pas de Présent II ; ou encore Futur III, sans que le néo-égyptien ne connaisse de Futur I ou II. Afin de conserver une continuité dans les différents tomes de la série Lettres Égyptiennes, nous avons gardé les descriptions du moyen-égyptien. Ainsi le Futur III est simplement nommé Futur et le Présent I, dont le prédicat est constitué de Hr + infinitif, continue d’être appelé Progressif. Il nous a semblé que cela permettait à la fois un passage plus facile d’un état à l’autre et que cela simplifiait grandement l’analyse pour la personne s’engageant dans l’apprentissage du néo-égyptien.

LETTRES ÉGYPTIENNES V

Dans la très prolixe littérature égyptologique, il existe un clivage entre les ouvrages de civilisation et les ouvrages de hiéroglyphes. Si l’on utilise les textes pour argumenter un fait, ils sont toujours présentés en traduction, très souvent partielle, mais jamais dans leur version originale. Or un peuple est indissociable de sa langue. Vouloir connaître cette civilisation sans s’intéresser à ses textes, c’est se priver d’un atout essentiel : l’opinion personnelle. Car c’est bien de cela qu’il est question dans cet ouvrage : fournir les éléments nécessaires à une approche personnelle des textes et de leur contenu, pour ne pas être dépendant de la traduction d’un tiers. C’est l’unique façon, pour l’amateur, d’accéder directement et profondément à la culture et à l’histoire de l’Égypte ancienne. Ainsi est née cette collection de “Lettres égyptiennes”, qui propose de découvrir la civilisation pharaonique à travers sa littérature.

Dans ce cinquième volet sont traduits et analysés tous les textes fondateurs de la littérature du Nouvel Empire : mythes, romans, Sagesses et Instructions, littérature poétique, épistolaire et religieuse, textes de propagande royale…

Chaque texte est donné en hiéroglyphique et/ou en hiératique, le plus souvent sous sa forme originale, en intégralité, sans sélection arbitraire. Afin de faciliter sa traduction, il est accompagné de sa translittération, de notes grammaticales ou épigraphiques et d’un lexique intégral du vocabulaire usité. L’étudiant en épigraphie égyptienne trouvera là un exercice destiné à mettre en pratique ses compétences en hiéroglyphes et disposera d’une analyse grammaticale systématique des phrases, agrémentée de rappels et d’élargissements sur un sujet donné.

De surcroît, cet ouvrage étant bien plus qu’un livre d’exercices, chaque texte est suivi de sa traduction intégrale – fait suffisamment rare pour être signalé – et accompagné, lorsque cela s’y prête, d’encarts thématiques, destinés à éclairer différents aspects de civilisation abordés par le texte en question.

Ainsi, cet ouvrage, qui s’adresse aux universitaires, aux étudiants, aux passionnés ou aux amateurs de l’Égypte ancienne, est à la fois un livre d’histoire, un livre d’exercices épigraphiques, une grammaire, un lexique hiéroglyphique, un livre de découverte de la civilisation pharaonique…

Scientifique de formation, ingénieur diplômé de l’Institut national polytechnique de Toulouse, agrégé de sciences physiques et docteur en chimie, Michel Dessoudeix étudie l’Égypte ancienne depuis plus de trente ans et se consacre désormais complètement à l’égyptologie. Il est l’auteur de Chronique de l’Égypte ancienne (Actes Sud, 2008) et de la série “Lettres égyptiennes” (Actes Sud, 2010-2025).

DÉP. LÉG. : février 2025

ISBN : 978-2-330-19944-9

36 € TTC France www.actes-sud.fr

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