JOURNÉE DE NOCES CHEZ LES CROMAGNONS
Wajdi Mouawad
nouvelle édition
LEMÉAC /
ACTES SUD – PAPIERS
Éditorial : Claire David
La photographie de couverture représente Layal Ghossain, dans le rôle de Nelly. © Simon Gosselin
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© LEMÉAC ÉDITEUR, 2025
ISBN 978-2-7609-1348-6
© ACTES SUD, 2025 pour la France, la Suisse, la Belgique, le Luxembourg et les DROM-COM
ISBN 978-2-330-20281-1
JOURNÉE DE NOCES CHEZ LES
CROMAGNONS
Wajdi Mouawad
nouvelle édition
LEMÉAC /
Pour Shelly Tepperman, pour Paul Lefebvre.
… je voudrais que nous nous désarmions. Parce que moi, je porte l’unique arme que je possède. D’autres ont camouflé les armes qu’ils ont.
Thomas Sankara, président du Burkina Faso, assassiné le 15 octobre 1987
Dans le combat contre le monde, seconde le monde.
Franz Kafka, Les aphorismes de Zürau
CESSEZ-LE-FEU
Ironie d’écrire la préface d’une pièce de théâtre datant d’une trentaine d’années le jour où un accord de cessez-le-feu a été signé entre Israël et le Hezbollah. Ironie mélancolique eu égard au travail de correction des épreuves envoyé par l’éditeur, donnant le sentiment que le temps s’est décrépi, rétréci, ridé comme une peau usée, comme une relique en état de décomposition. Trente années plus tard et c’est le même hoquet de la même histoire, avec à chaque “hic” plus de cadavres, plus d’injustices, d’humiliations, de violations et de haine. En ce jour donc d’une paix sanglante, qui coïncide avec la reprise des répétitions, je me trouve en compagnie des comédiens libanais avec lesquels j’ai mis en scène cette nouvelle mouture de Journée de noces chez les Cromagnons, dans sa traduction libanaise ; et à quelques heures de l’entrée en vigueur de ce cessez-le-feu, la violence des bombardements israéliens à Beyrouth a pris des proportions infernales. Répétant ce spectacle dont l’histoire se déroule sous les bombes, il devenait étouffant d’entendre les portables des comédiens sonner, transmetteurs des voix des proches et amis beyrouthins paniqués sous les obus et les effondrements. Frayeur et terreur qui rendaient impossible la moindre parole de réconfort. “Voulez-vous qu’on mette fin à la répétition ?” ai-je voulu demander, symptôme de la banale culpabilité de l’exilé, du planqué à l’ombre. Mais le filage a repris et, passant de la fiction au réel et du réel à la fiction, tout se mêlant et s’entremêlant, j’ai eu le sentiment que c’est de cet emmêlement qu’il fut toujours question. De texte en texte et de spectacle en spectacle, il s’agissait pour moi de dénoncer l’avenir avant qu’il ne survienne puis, une fois celui-ci survenu, cessant d’être le futur et devenant l’insupportable présent, de faire du théâtre un réel fictif et une fiction réelle – comme Nelly ne sachant plus si elle dort ou si elle rêve, qu’on ne sache plus si on imagine ou si on subit.
J’ignore comment cette préface sera lue dans une trentaine d’années, mais il est à craindre que ces mêmes violences, si elles ne sont pas enfin dépassées, se reproduisent, héritières de celles
qui se sont déchaînées le 7 octobre 2023. À ceux qui liront cette préface dans un monde qui, espérons-le, sera alors plus proche de la clémence que ne l’est le nôtre, je voudrais témoigner du vertige de vivre des années qui pénètrent, toujours plus profondément, dans l’obscurité du sens. Avouer notre incapacité à répondre aux additions des douleurs, à leur amoncellement de plus en plus rapide. Si opposer à cette vitesse une attention au détail peut servir à sauver quelque humanité, alors écrire, peindre, enseigner, informer trouve encore du sens. À la violence macroscopique opposer toujours l’attention microscopique. Éviter l’illusion de l’impuissance. Se souvenir de la profondeur infinie de chaque existence. Contre la vitesse de l’amoncellement, résister grâce à la millième décimale d’un nombre irrationnel. S’acharner à se souvenir d’un prénom. Quand les faillites des principes d’humanité se démantèlent les unes après les autres, à l’heure où les crises climatiques se multiplient, rendant futile l’acte de créer, penser aux trente-trois mille ans qui nous séparent des peintures rupestres de la grotte Chauvet. Et écrire à notre tour les massacres des inconnus sur les cavernes de notre époque, livres, réseaux, écrans, pour dire qu’au milieu des brutalités, il y a eu des gens qui ont continué à espérer par le récit. Car dans l’interstice des murs les plus épais, il y a toujours la possibilité pour les plus petits des insectes de se faufiler encore. Ainsi, dans l’épaisseur de l’Histoire, se rappeler que nous ne savons jamais qui nous sauvons en écrivant, comme nous ne savons pas par l’écriture de qui nous sommes sauvés.
Wajdi Mouawad Madrid, le mardi 26 novembre 2024
Alors que les explosions se rapprochent et que les balles fusent, une famille se prépare à fêter les noces de sa fille. On égorge avec des ciseaux un mouton récalcitrant, on épluche des patates pourries, on tente de réveiller la promise narcoleptique. Comme on le ferait pour Godot, on attend sans l’attendre l’arrivée du riche fiancé imaginaire, et peut-être aussi celle de la paix inespérée ou de la fin libératrice.
Parmi les toutes premières pièces de Wajdi Mouawad, Journée de noces chez les Cromagnons pose déjà les fondements de son œuvre : le cycle des violences guerrières et domestiques, la distance irréconciliable entre les parents et les enfants, le legs d’une douleur et d’une colère dont la sublimation onirique est la seule issue possible – en quelque sorte le tragique théâtre de toujours…
Comédien, metteur en scène, directeur de La Colline – théâtre national, Wajdi Mouawad est aussi l’auteur de nombreuses pièces, dont le quatuor Le Sang des promesses (Littoral, Incendies, Forêts, Ciels), et du roman Anima . Traduite dans plusieurs langues, son œuvre a été saluée par maintes récompenses.
LEMÉAC
ISBN 978-2-7609-1348-6
14,50 € TTC FRANCE
ISBN 978-2-330-20281-1