Extrait "Les Chapieux, géographie d'un secret"

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Céline Clanet, diplômée de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, mène depuis plusieurs années un travail personnel sur le territoire arctique européen continental. Dans la même collection, elle a publié Du torrent au courant, des barrages et des hommes en Savoie (2011). Bruno Berthier est maître de conférences de l’université de Savoie, spécialisé dans l’histoire de la pensée politique, du droit et des institutions, mais aussi dans ce qui touche au patrimoine alpin. Aux éditions Actes Sud, il a contribué à l’ouvrage Nice et Savoie, un regard contemporain (2010).

Les Chapieux, géographie d’un secret

Les Chapieux sont, sur l’abrupte face méridionale du mont Blanc, un site de haute altitude inaccessible en hiver en raison des risques d’avalanche. Alors que, pendant des siècles, seuls les alpagistes et les militaires s’y sont aventurés, les premiers pour produire leurs fromages (aujourd’hui le beaufort), les seconds pour s’y affronter dans une zone réputée frontière, dès la fin du xixe siècle cette contrée d’accès difficile est popularisée par les pionniers de l’alpinisme. Mandatée par la Fondation Facim, la photographe Céline Clanet a suivi vers ces altitudes tous ceux qu’appelle le lieu : les paysans et leurs bêtes  ; les chasseurs qui traquent les gibiers de montagne  ; les grimpeurs et les skieurs en quête de l’espace éblouissant des sommets. De son côté, Bruno Berthier s’attache à restituer l’histoire de cette haute vallée dont paradoxalement le premier cadastre alpin de l’histoire a enregistré au début du xviiie siècle un plan réputé fidèle. À travers images et textes s’ébauche le portrait d’un de ces lieux que leur isolement et leur beauté intraitable placent au premier rang des fantasmagories humaines.

Les Chapieux, géographie d’un secret

FONDATION FACIM | ACTES SUD

Photographies de Céline Clanet textes de Bruno Berthier préface d’Hervé Gaymard

35 e ttc France | Dépôt légal : avril 2014 | isbn : 978-2-330-03073-5 | www.actes-sud.fr

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Les toponymes révélateurs de la trame agropastorale ancestrale du terroir des Chapieux L’abergement (montagnette, 1 550 m ; quartier de montagnettes, 1 930 m). Très fréquent en Savoie, le toponyme fait directement référence à un contrat foncier médiéval (“une tenure” en abergement ou albergement) accordé à perpétuité à un paysan plus ou moins libre, l’abergataire ou albergataire, en vue du défrichement, moyennant un prix comptant (l’entrage ou introge) et une redevance annuelle souvent exprimée en nature (le cens ou cense). Cette racine germanique (composée de hari, “armée”, et de bergon, “abriter” : haribergon/heribergon, avec le sens de “loger une armée, camper”) a également donné les vocables romans haberge/habert/ habert habert/ hesbergage (“héberger”) et albergaria/arbergaria/arbergeria (“auberge”). Le PLan de L’a air (groupe de chalets d’alpage, dont certains en ruine, 1 671 m). Très probablement le replat de l’ l’Ar Ar ou de l’ l’Arp Arp, soit la forme essentiellement savoyarde dérivée du terme franco-provençal générique alp (“pâturage de montagne”) par phénomène phonétique de rhotacisme, consistant à transformer en r la consonne l. Le Plan de l’Air signifie par conséquent le “replat sur l’alpage”. Crêt bauDin (groupe de chalets d’alpage, 1 535 m). Outre l’arête rocheuse, le crêt désigne aussi très souvent une croupe herbeuse relativement modeste ou encore, comme ici, la moraine délimitant un vallon le long d’un versant de montagne. Le patronyme Baudin, fréquent en Tarentaise, relève de la forme médiévale baud (“joyeux, gai, lascif”), elle-même issue du germanique balda (“audacieux, fort”) : le Crêt Baudin est donc “l’alpage constitué d’une moraine herbeuse exploitée par la famille Baudin”. beaupré d’en Bas (groupe de chalets d’alpage en ruine, 2 000 m). En l’espèce, de manière littérale, il convient de comprendre “le bel alpage situé au niveau inférieur du vallon ou du plateau”. Cf. Plan de Beaupré. beaupré d’en Haut (groupe de chalets d’alpage en ruine, 2 100 m). Littéralement “le bel alpage situé au niveau supérieur du vallon ou du plateau”. Cf. Plan de Beaupré. ChaLets de bellaval (quartier de montagne, avec écuries longues, 2 110 m). Littéralement le “beau vallon”, le riche vallon herbeux, l’un des quartiers de l’alpage où l’herbe s’avère la plus abondante. bellegarDe (ruines de chalets d’alpage, 2 056 m). Toponyme fréquent sur l’alpe, formé de l’association du mot d’origine latine bella (“belle”) et

du mot d’origine germanique vardô (“garder”, que l’on retrouve dans le toponyme dérivé de Bellevarde par exemple) : en l’espèce, littéralement, “l’éminence adaptée à la surveillance des troupeaux”. CRÊt bettex (important quartier de montagne, avec écuries longues, 1 500 m). Si le crêt désigne une croupe herbeuse ou la moraine latérale d’un vallon, le Bété dérive du franco-provençal betai (“boue, fange, bourbier ou flaque d’eau”) ou betaire (“endroit bourbeux, fondrière à proximité des chalets”). L’appellation Crêt Bettex fait ainsi référence à une croupe herbeuse au sol humide, voire boueux. Les blettières (chalet d’alpage isolé, 1 784 m). Lieu où prolifère la blèta, herbe piquante des hauts pâturages (la fétuque durette) : les Blaittières ou Blettey sont donc généralement des terrains inégaux où cette graminée difficile à faucher pousse par grosses touffes. RefuGe de La CRoiX du bonhomme (refuge, 2 433 m). L’Homme ou le Bonhomme (comme le patronyme “Antoine” et son diminutif “Tougne”, leurs synonymes dans cette acception) désignent un homme de pierre, un cairn, un rocher en évidence sur une crête, par exemple, et permettant d’indiquer le passage ou le chemin à suivre dans des lieux très fréquentés. En l’occurrence, ce sont les rochers du Bon Homme et de la Bonne Femme qui, ainsi désignés par les autochtones parce qu’ils se situent à proximité du col éponyme, guident depuis des siècles les voyageurs effectuant l’ascension depuis Les Contamines-Montjoie et Notre-Dame de la Gorge à travers le Plan des Dames, en direction des Chapieux. bonneval (quartier d’ancien habitat permanent ; maisons villageoises, 1 050 m). Très courant en Savoie, ce toponyme est issu du rapprochement du mot latin vallis (“vallée, vallon”) avec le terme dialectal bona (“bonne”) : Bonneval signifie littéralement “la bonne vallée”, propice à l’installation humaine. bonneval-les-bains (piscine à l’abandon, ruines de l’ancien hôtel des thermes, 1 068 m). Cf. Bonneval, Bellaval. Lieu-dit se référant à l’emplacement des anciens thermes, à peu de distance du village de Bonneval. La source des eaux thermales de Bonneval est exploitée dès le début de l’ère chrétienne. Après de longs siècles d’oubli consécutif à l’effondrement de la puissance romaine, un établissement de “bains” est à nouveau installé

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sur les lieux dans la première moitié du xixe siècle. Malgré de nombreux aménagements, la Seconde Guerre mondiale vient sonner le glas de cette exploitation au moment où le propriétaire de la source s’est lancé dans des travaux de modernisation du site. Au début du xxie siècle, le projet industriel d’embouteillage de l’eau de Bonneval relance sous une autre forme la valorisation de la source. Le borgeail (montagnette isolée, 1 165 m). L’appellatif représente un diminutif du mot latin burgus (le “bourg”) abondant en Savoie. Dérivé des diminutifs latins en borgellus/borgittus, le Borgeail (comme la Bourgeat) désigne par conséquent un petit bourg ou plutôt un quartier attenant à un village plus important (dans le sens imagé du faubourg urbain). Le bouillu de La vaCheRie (chalets d’alpage, dont certains en ruine, 2 083 m). Le terme dialectal bouillu évoquant une étable rudimentaire pour le bétail, sur les plus hauts pâturages, le Bouillu de la Vacherie désigne donc de manière redondante “l’étable de l’alpage à vaches”. Cf. Vacherie. Le bouillu des LanChettes (ruines de chalets d’alpage, 2 087 m). Cf. Bouillu et Lanchettes. L’homme-Cairn (sommet herbeux herbeux, 2 570 m). Issu de la souche indoeuropéenne kar (“dur” et par extension “pierre, caillou”), le cairn est un amas artificiel de pierres disposées par l’homme pour marquer un sommet ou pour baliser un cheminement dans une zone d’éboulis, par exemple. Dans les Alpes, les nombreux cairns disséminés dans le paysage sont souvent désignés par un attribut anthropomorphique et, pour cette raison, qualifiés d’“hommes cairns” ou d’“hommes de pierre”. Cf. Bonhomme et Creux de l’Homme. Le Céry (quartier d’ancien habitat permanent ; maisons villageoises, 1 095 m). Le toponyme actuel, manifestement produit par la déformation orthographique d’un appellatif dialectal ancestral, résiste à l’examen. Doiton reconnaître en l’espèce un lieu de défrichement médiéval, dont le nom proviendrait alors par aphérèse de l’essert essert (issu du bas latin sarire, “sarcler”, et du latin exare, “enlever à la houe, creuser”), si répandu en Savoie ? Peut-il s’agir, dans le même esprit, d’une clairière forestière défrichée en “cerne” ou “cercle” par référence aux termes patois cergna/cergny cergny tirés du bas latin circinus (“cercle, compas”) ? Faut-il voir ici une agglomération

voisine ou sœur du quartier de Bonneval, sur l’autre rive du torrent ? En l’occurrence, une séri, issue du mot dialectal sèreu (“sœur”) forgé sur le latin soror ? Mais d’autres hypothèses peuvent aussi être avancées : celle d’une variante savoyarde de sex/cé (“rocher, pierre isolée”) par exemple, ou encore celle d’une contraction du patronyme Seriacus, lui-même issu du nom gentilice romain Serius (“sérieux”). La Chail (alpage de pente et d’altitude, à l’amont de barres rocheuses). Les nombreux toponymes en Chal/ Chal Chail/ Chail Chailles évoquent des terrains pierreux, difficiles à cultiver ou à exploiter. Ils découlent du terme caliavum (latin vulgaire) formé sur la racine indo-européenne kar (“dur” et par extension “pierre”). Le Chantel (“quartier” d’ancien habitat permanent, maisons villageoises, 1 100 m ; chalet d’alpage et écurie longue transformés en gîte d’étape, 1 800 m). Dérivé du mot patois shanté/ shanté tsanté, de la famille lexicale de “chant” (arête), qui permet de désigner tous les petits accidents de terrain (crête de talweg, talus, petite dépression, etc.) qui modèlent le paysage de l’alpage. Les Chapieux (important quartier de montagne, avec écuries longues, dont certaines en ruine, chapelle, centre de vacances, camping, hôtel-refuge de la Nova, 1 550 m). Du patois savoyard chapi/chapis (hérité du bas latin chapil, “cabane”), le terme désigne à l’origine une grange, une remise, un hangar ou un abri sommaire. Les Chapieux représentent donc sur le plan étymologique une petite agglomération de “mauvaises” cabanes. Il est à remarquer que les lieux sont dénommés au singulier (le Chapiu) jusqu’à une date avancée du xixe siècle. La chapelle des Chapieux est dédiée à saint Jacques le Majeur. Les Chapieux deRRiÈRe (chalet d’alpage isolé, 1 850 m). Cf. Les Chapieux ; la préposition derrière signifie “à l’arrière de” ou “à l’amont de” : l’alpage des Chapieux Derrière est donc “l’alpage situé à l’arrière, au-dessus du village des Chapieux proprement dit”. Le Charvet (chalets d’alpage, 2 083 m). L’appellatif savoyard chalve/ charve (“chauve”) s’applique à tous les lieux dénudés (sommet ou alpage dépourvus de végétation). Les Chavonnes (groupe de chalets d’alpage, dont certains en ruine, 1 671 m). Le toponyme s’avère difficile à expliciter avec certitude. Il peut

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Les Chapieux, géographie d’un secret

Les Chapieux sont, sur l’abrupte face méridionale du mont Blanc, un site de haute altitude inaccessible en hiver en raison des risques d’avalanche. Alors que, pendant des siècles, seuls les alpagistes et les militaires s’y sont aventurés, les premiers pour produire leurs fromages (aujourd’hui le beaufort), les seconds pour s’y affronter dans une zone réputée frontière, dès la fin du xixe siècle cette contrée d’accès difficile est popularisée par les pionniers de l’alpinisme. Mandatée par la Fondation Facim, la photographe Céline Clanet a suivi vers ces altitudes tous ceux qu’appelle le lieu : les paysans et leurs bêtes  ; les chasseurs qui traquent les gibiers de montagne  ; les grimpeurs et les skieurs en quête de l’espace éblouissant des sommets. De son côté, Bruno Berthier s’attache à restituer l’histoire de cette haute vallée dont paradoxalement le premier cadastre alpin de l’histoire a enregistré au début du xviiie siècle un plan réputé fidèle. À travers images et textes s’ébauche le portrait d’un de ces lieux que leur isolement et leur beauté intraitable placent au premier rang des fantasmagories humaines.

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