NANTES PRIVILEGE (2012)

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les Nantais partis ailleurs

Ivan Rioufol Une plume à l’écoute des gens, une réflexion sans complaisance qui en irrite certains, en ravit d’autres, Ivan Rioufol est éditorialiste au Figaro. Cet empêcheur de penser en rond se réclame de la province et déclare devoir beaucoup à Nantes.

Vous sentez-vous aujourd’hui comme un provincial à Paris ? Absolument. Je suis resté un provincial à Paris, comme beaucoup. J’ai besoin, très régulièrement, de retourner en province. Je n’ai pas coupé mes liens avec Nantes, ma femme est nantaise, ma famille aussi. Dès que je le peux, je retourne à Nantes ou je m’y arrête en allant dans ma maison à l’île d’Yeu. J’ai mes pèlerinages. Je vais à Talensac, j’achète des fromages de chèvre chez Gérard Tesson, des langoustines vivantes chez Barbrel, je bois un verre de muscadet au Café nantais, je vais place Viarme faire les brocantes. Mais, parti en 1984, le Nantes que j’ai connu n’est plus celui d’aujourd’hui, j’ai donc perdu quelques repères… Quelles images sont indissociables de Nantes ? D’abord, la douceur de vivre. Des rapports humains très agréables, une ville de contrastes que j’aimais bien, ouvrière, bourgeoise et aristocratique, et, en même temps, tout s’y mélange bien. Une ville avec des aspérités, riche, littéraire, créatrice, pour moi intéressante. À l’époque, elle était un peu aussi la belle endormie, ce qui en faisait une ville trop tranquille. Il fallait donc que je m’en aille. Quel regard portez-vous sur votre passé nantais ? Je garde de cette période à Presse Océan une heureuse nostalgie. J’avais débuté en faisant les chiens écrasés, les tournées des commissariats, les pompiers deux fois par jour. Cette école du terrain m’a insufflé l’intérêt pour la vie des gens. Pour comprendre comment ils vivent par rapport à ce que l’on peut dire d’eux, écrire sur eux. Une leçon que j’applique encore aujourd’hui dans mes bloc-notes…

« Je dois à Nantes un goût pour la proximité intellectuelle avec les gens et leur bon sens, une distance vis-à-vis des pouvoirs, une vision critique du parisianisme »

C’est la leçon retenue à Nantes ? Les Français sont les meilleurs experts de ce qu’ils vivent. Il faut davantage les écouter au lieu de n’entendre que les élites. La grande crise que l’on vit aujourd’hui est celle de la confiance d’un peuple qui ne se reconnaît plus dans les discours médiatiques de la vie du monde parisien.

Qu’est-ce qui vous a incité à quitter Nantes au début des années 80, après des études à Saint-Stanislas, à la fac de droit à La Jonnelière, alors que vous étiez à Presse Océan ? J’ai mis du temps avant de partir. Après des études de droit qui me destinaient plutôt à être avocat (ndlr – son père le fut, son frère l’est encore), je me suis mis dans le journalisme et suis entré à Presse Océan. Je m’y sentais tellement bien que je n’avais plus du tout envie d’en partir. J’y suis resté huit ans, de 1976 à 1984. J’ai bien eu une velléité de quitter Nantes en 1982-83, mais je ne connaissais personne à Paris. Aimant beaucoup cette ville, l’ambiance au journal étant assez sympathique, j’ai eu beaucoup de mal à couper les ponts. En même temps, il fallait sauter le pas…

Vous êtes en quelque sorte redevable de Nantes ? Je dois à Presse Océan d’avoir appris mon métier, sur le tas. Je dois à Nantes un goût pour la province, pour la proximité intellectuelle avec les gens et leur bon sens, une distance vis-à-vis des pouvoirs, une vision critique du parisianisme quand il se résume à son esbroufe, ses impostures, ses fausses valeurs, ses intrigants, ses ambitieux sans scrupules. Je vérifie souvent ce que Mme de Sévigné écrivait à sa fille, Mme de Grignan, restée en province : « Vous dites que vous avez peur des beaux esprits. Hélas ! Si vous saviez qu’ils sont petits de près. Prenez garde que l’éloignement ne vous grossisse les objets : c’est un effet assez ordinaire. »

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