NANTES PRIVILEGE 2011

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Après Les pages roses, roman paru en 2008, Teodoro Gilabert poursuit les aventures d’un héros bien particulier : il est amoureux, entre autres, d’une œuvre exposée au Musée des Beaux-Arts de Nantes, La belle Mauve, due au nouveau réaliste Martial Raysse.

TEXTE STÉPHANE HOFFMANN PHOTOGRAPHIES PATRICK GÉRARD

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ans Les Pages roses (qu’on ne saurait trop recommander : le livre est sorti chez Buchet-Chastel et doit entrer dans toute bonne bibliothèque), un jeune homme devient professeur parce qu’il aime les filles et les livres. Deux bonnes raisons. Ce sujet ancien, Teodoro Gilabert le traite sur un mode léger, qui a beaucoup de charme. Son narrateur est d’une nonchalance de feuille morte : il va où le vent le porte. Les citations latines des pages roses de son dictionnaire lui servent de vade-mecum. Au lycée, les filles les plus belles étudient le latin et le grec : il leur emboîte donc le pas jusqu’à l’agrégation. Il n’a pas spécialement la vocation de professeur, mais il apprend à ses dépens que l’étude des lettres conduit illico presto à leur enseignement. À Capri, où on le traîne avec un groupe d’étudiants, le souvenir de Tibère l’intéresse pourtant moins que celui de Bardot et du Mépris, un de ses films préférés. Il poursuit ensuite sa balade dans l’Éducation nationale, au fil de ses affectations, d’Henri-IV (Paris) à Clemenceau (Nantes) en passant par Pablo-Neruda (Aulnay-sous-Bois), où il a été nommé par erreur. Dans La Belle Mauve, paru chez Buchet-Chastel en mars 2010, nous retrouvons le narrateur à Nantes, au lycée Clemenceau, entouré de femmes mystérieuses, dont il tombe amoureux. Nous sommes en 1989. Alors qu’il répare une photocopieuse dans la salle des professeurs, une femme vêtue d’un pantalon de survêtement Adidas fait son entrée, lui parle et s’en va. Qui est-ce ? Il ne le sait pas : il était à genoux, les mains dans l’encre, il n’a vu, de cette apparition, que trois bandes blanches sur un pantalon. Cela lui suffit, pourtant, à tomber raide dingue et à mener pour la retrouver une enquête qui le conduira à Marseille, où se déroulera le troisième volume de la trilogie, que Teodoro Gilabert vient de terminer. 1989, c’est aussi la date de l’entrée, au musée des Beaux-Arts de Nantes, de La Belle Mauve, cette œuvre de Martial Raysse dont le

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narrateur tombe également amoureux. « Lorsque je visite un musée, confie-t-il, j’essaie toujours de trouver l’œuvre avec laquelle j’aimerais partir, celle que je volerais volontiers, que j’installerais chez moi pour en profiter sans limites. » À Nantes, il trouve tout de suite. « Je suis tombé raide dingue amoureux de La Belle Mauve, parfois appelée La France américaine. Une sorte de coup de foudre, rarement ressenti dans un musée. J’ai passé des heures à l’admirer, à tenter de déceler ses secrets, à la photographier en cachette des gardiens qui ne pourraient pas comprendre qu’un amour aussi puissant me contraigne à transgresser les règles élémentaires du savoir-vivre dans l’espace muséal. » Cette œuvre, La Belle Mauve, est une des représentations majeures du mouvement des Nouveaux Réalistes, dont ont fait notamment partie Yves Klein (sur lequel Gilabert prépare un livre) et Arman. Ces Nouveaux Réalistes tentent, explique-t-on au musée, de nouvelles approches du réel en développant des stratégies d’appropriation et de détournement des objets de la société de consommation.

La France américaine, Dite La Belle Mauve 1962 Plumeau collé sur photographie noir et blanc rehaussée de peinture et contrecollée sur isorel monté sur châssis. Photographie noir et blanc, peinture bois et objet. Fonds national d’art contemporain. Dépôt au Musée des Beaux-Arts de Nantes en 1989. Inv. : 88135 / D.989.1.3 Par Martial Raysse, né à Vallauris (Alpes-Maritimes), en 1936.


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