Destruction et reconstruction: Pratique du renouvellement urbain dans la métropole chinoise.

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Sizhou Yang

Destruction et reconstruction

Pratique du renouvellement urbain dans la métropole chinoise Pièce en six tableaux

Groupe de suivi Prof. Jacques Lucan, Prof. Dieter Dietz, Marc Schmit


Cet ouvrage est réalisé dans le cadre du travail de l’Énoncé théorique. Semestre 3 du cycle Master de la section d’Architecture, faculté ENAC, EPFL. Graphisme et mise en page: Sizhou Yang Relecture: Marta Mato Sabat et Hélène Payen Contact: http://sizhouyang.ch Première édition janvier 2012. ©Sizhou Yang Tous droits réservés. Toute reproduction, même partielle, sous quelque forme ou sous quelque support que ce soit, est interdite sans l’accord écrit de l’auteur.


A la mémoire de Zhou Jiaxian. Dédié à tous les architectes qui ont encore quelque chose à dire.



Sommaire

Avant-propos Premier tableau: Parc olympique

Tabula rasa pour une Chine nouvelle Second tableau: Qianmen

Le traditionnel et le néo-traditionnel

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Troisième tableau: Shichahai

Méfions-nous des apparences Quatrième tableau: Siheyuan

Régénérer le périmé

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Cinquième tableau: Sanlihe

Du chaos légal au néant urbain

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Sixième tableau: Caochangdi

L’art du village urbain

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Bibliographie

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Avant-propos Depuis une dizaine d’années, la Chine attire l’attention. Une culture millénaire, un zeste d’exotisme et une incroyable croissance économique. Au pays de tous les superlatifs, les villes bercent sous le rythme des marteaux-piqueurs. La rapidité et l’ampleur de l’urbanisation des villes chinoises est sans précédent. Dans un tel contexte, des situations inédites apparaissent. Le début du XIXe siècle est marqué par l’adhésion de la Chine à l’OMC, l’élection de Pékin en tant que ville hôte des Jeux olympiques de 2008 et l’élection de Shanghai en tant que ville organisatrice de l’Exposition universelle. Ces événements majeurs ont amplifié encore plus l’effort de construction dans les villes chinoises, le gouvernement y voyant l’occasion rêvée pour améliorer l’image du pays à travers le monde. Durant ces dix dernières années, la Chine n’a jamais autant construit pour atteindre cet objectif. Des pans entiers de ville ont été détruits et reconstruits. Ce phénomène de destruction a souligné plus que jamais la nécessité de préserver le patrimoine bâti qui ne cesse de disparaître. L’expropriation brutale de populations a souvent été stigmatisée dans nos médias. Ce mécanisme de renouvellement urbain soulève beaucoup d’interrogations. De très nombreux ouvrages se sont intéressé à la question de la ville chinoise et de sa récente métamorphose. Mais bien souvent, ils traitent de grands thèmes généraux, vus d’en haut. Comment décrire et comprendre des villes où tout est différent? En entamant mes recherches, je me suis vite rendu compte que pour pouvoir saisir la complexité de la ville chinoise, il faut s’y impliquer dans la durée. Il ne suffit pas d’y rester quelques mois et rentrer en croyant tout savoir. Cela peut paraître banal, mais c’est important de le souligner. Dans ce travail, il s’agira de plonger directement dans la ville, à l’échelle humaine. Pour comprendre le phénomène de destruction et reconstruction dans la ville chinoise, j’ai choisi de me concentrer sur une métropole, Pékin. La capitale me semble la ville la plus adéquate car elle cumule différents aspects qui sont générateurs de situations très différentes, dont chacune se retrouve dans d’autres villes du pays. Il s’agit de la forte présence d’un patrimoine bâti, de son importance politique, de son influence économique, de sa prédominance culturelle et de l’expérience de l’organisation d’un événement international majeur que sont les Jeux olympiques. En d’autres termes, comprendre Pékin pourrait permettre de comprendre d’autres villes. Nous reviendrons par la suite sur cette hypothèse. La ville de Pékin est composé d’un tissu très hétérogène. L’étudier en entier ne ferait que survoler la problématique du renouvellement urbain. J’ai donc opté pour le choix de six quartiers, de différentes échelles, qui nous permettrait de comprendre un aspect spécifique du renouvellement.


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Arrivé sur place, on se rend vite compte que le gouvernement n’a pas vocation à servir ses gouvernés. Un écran opaque recouvre toutes les informations concernant la planification urbaine. Le bureau des archives n’est pas ouvert au public, seules les entreprises d’Etat y ont accès, et ce seulement pour y consulter les documents des son propre département. L’institut d’urbanisme est encore moins accessible. Ce n’est seulement qu’à travers une connaissance (ou guanxi comme on le dit si souvent en Chine) que j’ai pu rencontré le Directeur Yang qui ne m’a donné qu’une présentation powerpoint sur l’Histoire de l’urbanisme de Pékin. Il paraît que c’est pour limiter les fuites d’information chez les promoteurs immobiliers qui pourrait gonfler encore plus la bulle immobilière. Les bibliothèques de district ne possèdent aucune documentation quant à la planification locale. Ce n’est seulement que dans la bibliothèque de l’Université de Tsinghua où il est possible de trouver certains ouvrages d’intérêt. Cette situation m’a ainsi conduit à effectuer des interviews avec des spécialistes tels que professeurs de Tsinghua, urbaniste consultant, mais aussi avec des habitants des quartiers, des personnes qui y travaillent ou tout simplement qui s’intéresse à la formation de la nouvelle ville. Toute cette investigation sur le terrain m’a orienté vers l’hypothèse d’étudier l’émergence de nouvelles structures urbaines à travers l’interaction entre les différents acteurs qui s’y confrontent. En effet la grande hétérogénéité urbaine de la ville doit se comprendre par rapport à une grande hétérogénéité dans les méthodes décisionnelles. La lecture de l’Œuvre de Lao She a été aussi été très inspirante. Le théâtre en Chine a toujours été un moyen de lancer le débat politique, la voix des auteurs se cachant derrière leurs personnages. Il m’a alors semblé naturel d’employer le même médium pour traduire le phénomène de destruction et reconstruction dans la ville de Pékin. Finalement cette hypothèse de comprendre les villes chinoises à travers l’analyse d’une seule ville a plutôt été un fantasme. Bien sûr, Pékin regroupe des caractéristiques qui sont très représentatifs d’un phénomène plus général dans les villes chinoises, mais les particularités de chacune d’entre elles rend cette hypothèse irréaliste. Ce travail n’a pas l’ambition d’être une étude exhaustive des différentes problématiques de renouvellement urbain qui existent dans la ville chinoise, mais plutôt celle d’offrir au lecteur un premier aperçu qui ne soit pas une description de généralités et d’être en contact direct avec la ville chinoise. Ce n’est qu’à travers la compréhension de spécificités que l’on puisse acquérir les outils pour comprendre le renouvellement urbain en Chine.



PARC OLYMPIQUE


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2001 Outre les complexes sportifs construits pour les Jeux asiatiques, le futur site des Jeux olympiques n’est constitué que d’un tissu rural.

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2002 Quelques premiers travaux d’infrastructures routières débutent.

2003 Les chantiers de démolition des constructions situées sur le futur parc olympique ont commencé. Seuls quelques rares sites tardent encore.


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2005 La phase démolition est finie. Les différentes parcelles du parc olympique commencent à se dessiner. Les gros oeuvres du nid d’oiseau et du cube d’eau ont débuté. Deux routes sont déjà achevées, une intersection avec le cinquième anneau périphérique est en contruction pour le relier aux stades.

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2006 Tous les infrastructures routières prévues sont tous en chantier, certaines sont déjà achevées. Le village olympique et les différents stades sortent de la phase des gros oeuvres.

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2007 Les infrastructures routières sont achevées. La forêt olympique, ses lacs et canaux se finalisent. On devine déjà sa morphologie et la plantation peut commencer. Les travaux des bâtiments entrent en phase finale.

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2008 Tous les stades et le village olympique sont inaugurés et prêts pour les Jeux olympiques d’août. Les routes d’accès sont ouvertes. Certaines parties de la forêt au Nord de la cinquième périphérique n’ont pas encore atteint le niveau de végétation attendu.

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1. Le stade national de Pékin, surnommé le Nid d’oiseau, dans le parc olympique appelé Olympic Green.

Les personnages sont réels. Le récit est fictif, il sera l’outil employé pour mettre en exergue l’équilibre des forces qui génèrent le nouveau tissu urbain de Pékin.

PERSONNAGES Ai Weiwei Le Chauffeur de taxi Herzog et de Meuron Le Journaliste étranger Li Xinggang, architecte et chef de projet chez CAG Liu Qi, maire de Pékin (1999-2002) Sasaki Associates Le Touriste Directeur Yang, urbaniste d’Etat


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Premier tableau PARC OLYMPIQUE ϔਦோय़‫܋‬ჺ

Tabula rasa pour une Chine nouvelle Dans le récent terminal 3 de l’aéroport international de Pékin où l’impeccable propreté donne à chaque passager qui y transite une sensation accueillante, un avion européen vient d’atterrir anonymement. Comme dans la plupart des vols internationaux, les passagers sont principalement des Chinois qui rentrent de voyage d’affaire, de plaisance, qui reviennent rendre visite à leur famille. Une minorité d’étrangers les accompagnent, certains y viennent pour travailler, d’autres pour visiter. Parmi eux, un homme vêtu simplement d’un pullover, d’un jeans et d’une paire de baskets. Le haut plafond, les colonnes élancées aux proportions étranges, la lumière blanche et diffuse du bâtiment n’échappent pas à son oeil expert. Un guide touristique à la main, il passe la douane, rapide et efficace. Sans autre bagage que son sac à dos, il rejoint la colonne de taxis à l’extérieur. Il monte à bord du premier taxi.

LE TOURISTE, presque en criant. Au Nid d’oiseau1! LE CHAUFFEUR DE TAXI. Parfait! Au Nid d’oiseau! C’est la première fois que vous venez à Pékin monsieur? Le taxi s’engage sur la voie express de l’aéroport. LE TOURISTE. Oui! Je suis vraiment très excité! Je suis venu visiter l’architecture de la Chine. Je veux tout voir! De la Cité interdite à la grande muraille, de l’armée de terre cuite aux gratte-ciels de Shanghai et de Hong Kong. Mais je n’ai pas beaucoup de temps, seulement un mois pour tout voir. LE CHAUFFEUR DE TAXI, secouant la tête. Vous êtes arrivé trop tard! Le Pékin d’aujourd’hui n’est plus Pékin... LE TOURISTE. Qu’est-ce que vous racontez! Cela fait à peine quelques années que le Nid d’oiseau et le Cube d’eau ont été construit. La tour CCTV


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2. La tour de l’hôtel Pangu, le Nid d’oiseau et le cube d’eau dans le smog. 2011.

3. Vue sur la zone centrale du site olympique, avec au premier plan le National indoor stadium. 2009.


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aussi, si nous oublions le tragique incendie. Et ce sans compter le nouvel Opéra, les tours de logements Lynked Hybrid. Le Pékin compte aujourd’hui tellement de bâtiments extraordinaires! LE CHAUFFEUR DE TAXI. C’est bien là que réside tout le problème. Pékin est une ville riche en histoire et culture, rien à voir avec cette image fausse que les étrangers se font d’elle. Le véhicule ralentit et s’arrête quelque part le long du quatrième anneau périphérique. Nous voilà arrivés à destination. Le touriste sort du taxi après avoir payé le chauffeur. Le soleil est déjà haut dans le ciel mais invisible. Une épaisse brume empêche la vision. Un peu perdu, il finit finalement par trouver l’entrée au parc olympique, connu communément sous le nom de «Olympic Green». Un accès discret mais bien gardé se présente en face de lui. Il doit passer par un contrôle de sécurité pour y accéder. Dans le parc, les touristes et les vendeurs ambulants qui le peuplent sont peu nombreux par rapport à l’extrême étendue des lieux. Comme ses semblables, il commence à photographier sans relache malgré la faible luminosité. L’eau du canal est stagnante, le stade national vide, le cube d’eau flottant dans le smog paraît presque poussiéreux2. Toutes les routes qui traversent le parc olympique sont coupées de la circulation, laissant un arrière-goût étrange3. Un vieil homme se tenait debout sur l’avenue principale du parc olympique. Il fume paisiblement une cigarette sans vraiment se rendre compte qu’elle est déjà presque totalement consumée. Il semble admirer le stade. Ce n’est visiblement pas sa première fois ici, il n’a pas d’appareil photo sur lui. LE TOURISTE. Excusez-moi de vous interrompre, mais n’êtes-vous pas étonné par cet endroit? Dans les souvenirs que m’ont laissés les reportages, les articles et la télévision, je voyais le site comme la nouvelle place publique de la capitale. Je suis déçu de voir ces infrastructures déserts et cette place sans vie. DIRECTEUR YANG, écrasant sont mégot par terre. Monsieur, ne soyez donc pas aveugle et ignorant comme ces journalistes étrangers qui arrivent chaque jour pour cracher sur l’un des plus grands projets urbain que Pékin n’ait jamais connu. LE TOURISTE. Je n’ai pas voulu... DIRECTEUR YANG. Ne sous-estimez pas ce projet! Il n’est pas le simple résultat d’un concours international. Le schéma directeur de 1956 prévoyait déjà les grosse ligne de l’implantation d’un complexe sportif dans la partie Sud d’Olympic Green, cela n’a été concrétisé qu’en 1990 avec la construction des stades, centres de conférences et hôtels pour la XIe édition des Jeux asiatiques. Le schéma directeur de 2002 a ensuite préparé la première phase du concours international pour la conception d’un masterplan pour l’Olympic Green. Le bureau américain Sasaki Associates a été récompensé pour la qualité avec laquelle ils ont traité le thème de l’axe impérial Nord-Sud, un débat engagé depuis longtemps dans la ville. Ils ont su prendre en compte avec intelligence

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4. Masterplan lauréat de la première phase du concours développé pas Sasaki Associates en 2002. Il met en avant l’axe impérial ainsi que l’imaginaire collectif sur la culture traditionnelle chinoise. Un réseau de lac et canaux épousant la forme du dragon mythologique ainsi que les 5000 ans d’Histoire de l’Empire du Milieu.


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la structure existante de Pékin et sa culture4. Un autre vieil homme, visiblement intéressé par cette discussion, se rapproche lentement. LIU QI. Ah Directeur Yang! Je ne vous avais pas reconnu tout de suite. Je vois que vous êtes en train de remémorer nos années glorieuses! DIRECTEUR YANG. Secrétaire Liu, quel honneur de vous croiser ici! LIU QI. Voyons cher ami, oublions le protocole. Nous avions la chance d’avoir travaillé avec une équipe formidable. Ces architectes de Sasaki, associés au «Tianjin Huahui architectural design and engineering company» ont parfaitement répondu aux critères que nous avions définis. A travers ce magnifique projet, nous avions participé à la promotion de la protection environnementale, de l’application des nouvelles technologies et de notre culture traditionnelle. DIRECTEUR YANG. Vous avez bien raison Secrétaire Liu. Ce n’est pas étonnant qu’ils aient remporté à nouveau le second concours de 2003, en association au «Tsinghua Planning Corporation», pour la définition de la zone au Sud du Forest Park. LIU QI. Ce parc est une véritable réussite. Le fengshui y est harmonieux. Il est tout à fait en accord avec les lacs artificiels qui font la beauté de notre ville historique. Nous avons même pu y planter des arbres centenaires sauvés du barrage des Trois Gorges. Nous avons vraiment travaillé tous ensemble jusqu’à la fin pour construire une nouvelle page de l’Histoire de la Chine. Je suis persuadé que l’incompréhension que les étrangers ressentent vis-à-vis de notre culture a pu se dissiper à travers la construction de cet ouvrage. DIRECTEUR YANG. Président Liu. Ne restons pas ici, le temps est mauvais aujourd’hui. Allons déjeuner. J’ai demandé à mes collègues de nous réserver une loge dans ce très bon restaurant dont je vous avais parlé. LIU QI. Ah ma fois, je ne dis pas non. Je vous suis. Les deux vieils hommes s’éloignent d’un pas lent. Ils disparaissent peu à peu dans la brume qui se fait plus épaisse. Le touriste semble pensif. Il n’a pas remarqué qu’une petite foule se soit assemblée autour d’un journaliste étranger, en train d’interviewer quelques occidentaux en costume. LE JOURNALISTE ETRANGER. Quelles ont été les expériences que vous avez acquises durant l’élaboration et la construction de ce projet pharaonique? SASAKI ASSOCIATES. Gagner ce concours a été un énorme défi pour notre agence. Travailler sur un projet d’une telle ampleur, non seulement physique mais aussi politique et symbolique, n’a pas été facile. Tout d’abord, il faut savoir que la décision du jury ne décide pas d’un projet lauréat mais plutôt de la définition de l’équipe qui allait concevoir le projet. Le masterplan a été continuellement

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5. Masterplan définitif de 2006. La taille de la tête du dragon a diminué. La queue du dragon s’arrête avant le quatrième anneau périphérique. La colline qui domine le Forest Park a été déplacée à l’intérieur du cinquième anneau périphérique et ne culmine plus qu’à 48 m au lieu de 90 m. Une seconde ligne de bâtiments a été ajoutée à l’Ouest de la zone centrale, notamment pour inclure le Digital Beijing.


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sujet à des modifications5, et ce même durant le chantier jusqu’en 2007. Nous n’avons pas été les seuls à y travailler. Outre nos partenaires de Tianjin Huahui architectural design and engineering company et de Tsinghua Planning Corporation, il y avait aussi les deux agences lauréats du second prix qui ont participé à ce chantier. LE JOURNALISTE ETRANGER. Donc si je comprends bien, vous n’êtes pas les seuls auteurs de ce projet, mais nous devons plutôt voir l’Olympic Green comme l’oeuvre d’un grand collectif auquel vous avez participé. SASAKI ASSOCIATES. Nous avons tout de même été les auteurs des concepts les plus importants. LE JOURNALISTE ETRANGER. La zone centrale du masterplan comprenaient les deux bâtiments les plus emblématiques du site olympique, le Nid d’oiseau et le Cube d’eau. Jacques et Pierre, si vous deviez aujourd’hui faire une rétrospective sur votre travail dans la réalisation du stade national, qu’est-ce vous auriez voulu changer? HERZOG ET DE MEURON. Nous étions bien naïfs. Dès notre première arrivée, nous étions fascinés par la culture chinoise. Toutes ces personnes agées qui font leurs exercices physiques dans les parcs le matin6, nous avions tout de suite voulu reproduire la même atmosphère autour du stade. C’est pourquoi nous avions contacté Uli Sigg pour nous présenter quequ’un qui pourrait nous guider dans la compréhension de la culture locale. Nous avons ainsi connu Ai Weiwei. LE JOURNALISTE ETRANGER. Pourquoi naïfs? HERZOG ET DE MEURON. C’est difficile à expliquer. Durant l’avantprojet, nous avions décidé de doter le stade d’un toit pour protéger les sportifs des intempéries, mais ce que nous n’avions pas réalisé c’est que pour les autorités, le Nid d’oiseau ne peux pas avoir de toit10. Selon eux, rajouter un couvercle sur le nid, c’est le transformer en théière. Caché discrètement derrière les architectes suisses, un jeune homme chinois lève sa voix. LI XINGGANG. Durant ma collaboration avec Jacques et Pierre, j’ai compris qu’il y avait un fossé immense entre la mentalité des architectes suisses et les attentes de la part du Comité d’organisation des Jeux olympiques de Pékin8. Pour le comité, la symbolique primait. La métaphore du Nid d’oiseau était exactement ce que voulaient communiquer les autorités chinoises au monde entier, celle d’une Chine nouvelle qui renaît de ses cendres tel un Phénix mais aussi celle d’un Nid qui allait accueillir tous les sportifs les plus talentueux du monde. Rien ne devait diminuer la force de ce message. LE JOURNALISTE ETRANGER. C’est pouquoi le projet proposé par Jean Nouvel n’a pas été retenu?

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6. Scènes de vie dans le parc du temple du Ciel qui ont inspiré Herzog et de Meuron pour le design des espaces extérieurs autour du stade national, la situation actuelle est bien différente.

7. Recherche formelle pour la conception du stade national.

8. Pierre de Meuron écarté de la cérémonie d’inauguration du chantier du stade national de Pékin.


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LI XINGGANG. Très certainement. Nouvel avait dessiné un stade qui ressemblait à une carapace de tortue, une image très négative pour les Chinois. De plus, il a utilisé le vert. Un chapeau vert, ce sont les maris cocus qui les portent! LE JOURNALISTE ETRANGER. Ainsi, devons nous comprendre que des images symboliques qui nous paraissent, à nous autres occidentaux, de la superstition sont plus importants que le programme, la fonctionnalité et l’esthétisme? AI WEIWEI, criant. Oui!!! Un homme mûr de forte stature, arboré d’une longue barbe guerrière, s’approche à grand pas. HERZOG ET DE MEURON. Weiwei! Quelle belle surprise! Vous êtes finalement sorti de prison. AI WEIWEI. Je n’ai jamais voulu m’associer à ces jeux! Ne vous méprenez pas, j’ai trouvé extrêmement enrichissant de travailler avec vous mais tous nos dirigeants sont des ignards! Ai reprend sa respiration, il semble que sa colère lui ait provoqué une douleur au niveau de son coeur. Ils ne connaissent rien à la construction, et encore moins à la planification urbaine. Ils ne sont seulement capables que de se rattacher à des images et des préjugés. Ils prennent des décisions sans jamais en comprendre les conséquences. C’est ainsi qu’aujourd’hui la construction de la ville a été substituée par la construction d’icônes architecturaux! LE JOURNALISTE ETRANGER. Pourtant vous y avez participé ?!? Votre attitude n’est-elle pas ambigüe? AI WEIWEI. Il est bien facile pour vous autres étrangers de venir nous critiquer. Cessons toute cette hypocrisie! Furieux, il part sans avoir salué personne, mais pas sans avoir exécuté un doigt d’honneur devant le caméscope du journaliste étranger. Le touriste avait assisté sans un mot à toute la scène. Il se dégage de la foule. LE TOURISTE, à part. Quelle étrange scène que voici! Je n’aurais jamais imaginé rencontrer autant de protagonistes. Pékin est une ville bien mystérieuse, bien différente de ce que j’avais imaginé à travers les revues d’architecture. Le touriste se dirige à nouveau vers la route, là où le taxi l’avait laissé. Par chance, le même chauffeur y était toujours parqué, sans doute par manque de clientèle. Il ouvre la portière arrière et s’installe dans la banquette. LE CHAUFFEUR DE TAXI. Comment a été votre visite? Le Nid d’oiseau

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9. Moment de tension entre les architectes suisses et leur homologue chinois. Ils ont du mal à comprendre l’importance des rencontres officielles.

10. «La casquette» du Nid d’oiseau qui le transforme en théière.


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vous a-t-il plu? LE TOURISTE. Je suis tout bouleversé. Je me sens bien stupide avec mes préjugés que j’avais sur votre ville. Je pense prolonger mon séjour ici pour mieux la comprendre. LE CHAUFFEUR DE TAXI, avec un malin sourire au coin de la lèvre. Vous verez. Pékin, la capitale du Nord, est devenue aujourd’hui une ville bien étrange... SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE, le touriste s’avance vers le pupitre et met en marche le rétroprojecteur. Je comprends mieux maintenant. Avant mon séjour à Pékin, je ne connaissais la ville qu’à travers les revues spécialisées et les médias. Comme tous les architectes, j’étais émerveillé par les prouesses techniques et l’orginalité de la conception des infrastructures pour les Jeux olympiques. Mais finalement, malgré leurs discours prométeurs sur l’intégration harmonieuse dans le tissu urbain et dans la tradition culturelle locale, le site olympique s’est imposé et isolé brutalement à la ville. L’immense place publique qui de la zone centrale, le Forest Park embrionnaire et les infrastuctures sportives se sont isolés du reste de Pékin. Leurs concepts ont été trop réducteurs pour pouvoir pousser les Pékinois à s’approprier ce nouvel espace public. Ces discours des architectes cachent peutêtre leur véritable intention, celui de construire des objets exceptionnels sur un nouveau terrain de jeu. Le Comité d’organisation des Jeux olympiques de Pékin n’avait probablement pas l’intention de construire le site olympique pour les habitants de Pékin, mais plutôt comme représentant d’un nouveau nationalisme. Les vingts-jours de cérémonies devaient laisser aux athlètes ainsi qu’aux téléspectateurs du monde entier des souvenirs inoubliables d’une Chine moderne. Ce scénario télévisé avait besoin d’icônes pour marquer les esprits, mais malheureusement ces décors de plateaux ne sont aujourd’hui que difficilement réutilisables.

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QIANMEN


Cadastre du quartier de Qianmen, 2000.

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2001 Chantier pour la construction d’une route principale au Sud de Qianmen.

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2002 Route principale achevée au Sud de Qianmen

2005/01 Premier chantier de démolition pour relier la rue Meishi à la porte Qianmen


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2005/08 Multiplication des travaux de démolition pour connecter la rue Meshi à Qianmen et début des chantier pour la rue Est.

2006 Les chantiers de démolition des deux rues sont quasiment achevés


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2007 Les deux rues sont achevées. Premiers chantiers de démolition pour l’avenue piéton.

2008 L’avenue Qianmen est presque achevée. Elle est ouverte provisoirement au public. Les chantiers se multiplient entre l’avenue et les deux rues.


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2009 L’avenue Qianmen a été inauguré. Les chantiers de construction continuent surtout du côté Est.

2010 Les chantiers de démolition pour la construction de commerces de luxe s’agrandissent.


Le projet Qianmen est toujours en cours de construction. Le quartier délimité par les deux nouvelles rues est majoritairement reconstruit, en effaçant les anciens tissus urbains démolis.


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1. Affiche d’une visualisation 3D du quartier de Qianmen qui cache le chantier en cours, une vision idéalisée de Pékin avant la destruction de ses murailles.

Les personnages sont réels. Le récit est fictif, il sera l’outil employé pour mettre en exergue l’équilibre des forces qui génèrent le nouveau tissu urbain de Pékin.

PERSONNAGES Les Autorités du district de Chongwen Les Autorités centrales Chang Yungho, architecte indépendant L’Expert en protection du patrimoine Ou Ning, membre fondateur de la plateforme Da Zha Lan Project Pan Shiyi, directeur général du groupe SOHO China Tan Zong Bo, Professeur d’urbanisme de Tsinghua Le Touriste Tu Shan, Professeur de l’Académie des Beaux-Arts de Tsinghua


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Second tableau QIAN MEN ఴ૑

Le traditionnel et le néo-traditionnel Nous nous situons dans l’enceinte historique de Pékin. L’action se déroule dans le quartier de Qianmen1 et Da Zha Lan, au Sud de la place Tian’anmen. L’axe central historique le traverse, rythmé du Nord au Sud par le parc olympique, les tours du tambour et des cloches, le parc Jing Shan, la Cité interdite, la place Tian’anmen, la porte Zheng Yang Men, la porte Qian Men, et la porte porte Yong Ding Men. L’avenue Qianmen qui longe cet axe a été transformée en rue piétonne commerçante inaugurée officiellement en 2009, imitant l’aspect traditionnel d’un vieux Pékin. Un touriste semble captivé par la façade d’un magasin de mode. Il range son appareil, après avoir pris une photo.

LE TOURISTE, à part. Encore de la fausse brique ? Pourtant le projet de l’avenue Qianmen me semblait prometteur sur le papier : reconstituer l’aspect traditionnel de ce quartier historique. Tout ce que j’ai aperçu n’ont été que Starbucks, H&M, KFC,… L’EXPERT EN PROTECTION DU PATRIMOINE. Tout est bien mort ici. Depuis la Dynastie Ming, en passant par la dynastie Qing, la période nationaliste et maoïste, Qianmen et Dazhalan ont toujours été les quartiers historiques commerçants. Aujourd’hui ce quartier est en agonie. Et vous les touristes, vous ne sentez pas cette puanteur dans l’air? LE TOURISTE. Je la sens bien, mais d’où vient-elle ? L’EXPERT EN PROTECTION DU PATRIMOINE. Tout a commencé il y a de cela plus d’une trentaine d’années, un peu plus à l’Ouest, à la rue Liuli chang. La Ville de Pékin en collaboration avec le Ministère de la Culture voulait reconstituer l’héritage historique de Liuli chang2. Depuis la dynastie


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2. Rue Liuli chang. 2011.

Qianmen Da Zha Lan

3. Plan de protection des monuments historiques et des quartiers culturels de la ville historique de PĂŠkin. 2002.

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Qing, elle regroupait les plus grands marchés d’antiquités : on y trouvait livres, peintures, calligraphies, bronzes de culte, sceaux, etc. Quelle n’était pas ma tristesse lorsque j’ai vu anéantir le tissu urbain et les maisons des Ming et des Qing. L’ancien tissu urbain n’a pas été réhabilité mais démoli, le nouveau Liuli chang était pastiche et imaginaire. Les « travaux de réhabilitation urbaine » ont servi à cacher les structures poteaux-poutres de béton par des bas-reliefs en briques, des bois sculptés, des tuiles vernissées, des peintures colorées, des laques ou des dorures. On avait cherché à protéger le « fengmao* », on a obtenu une reconstitution imaginaire du passé. Les écrivains comme Lu Xun qui fréquentaient le quartier ont déserté Liuli chang pour laisser place aux touristes avides de souvenirs exotiques. Il retire ses lunettes pour essuyer une larme qui grossissait au coin de son œil. Ici à Qianmen, c’est bien pire ! Le récit du vieil homme a attiré une petite foule qui s’est agglutinée autour des deux personnages. Soudain la foule s’éparpille, laissant place à un groupe d’hommes en costume noir LES AUTORITES DU DISTRICT DE CHONGWEN. Voilà bien une attitude passéiste de l’intelligentsia. N’oubliez pas qu’il y avait les Jeux Olympiques de 2008 ! Nous avions la mission de redonner une nouvelle image de la Chine au monde entier. Nous ne pouvions pas nous permettre que de laisser aux visiteurs du monde entier le souvenir d’une civilisation poussiéreuse et décadente, mais une Chine nouvelle moderne avec un renouvellement de son tissu historique en harmonie avec sa culture et les nécessités d’une ville contemporaine. Le projet de Qianmen est notre porte-étendard, celui de la régénération d’une culture continue qui a su se réinventer. L’EXPERT EN PROTECTION DU PATRIMOINE. A peine aviez-vous ouvert l’avenue Qianmen quelques jours en août 2008 que vous l’aviez aussitôt refermé pour continuer les travaux. Cette avenue moderne et traditionnelle comme vous le dîtes, n’était qu’une rue flambant neuve et fantomatique, un somptueux parc thématique destiné à traire les touristes avec du pastiche ! En voilà un exemple de restauration réussie et harmonieuse ! Une toiture incurvée à la chinoise posée sur un bâtiments en béton plaqué brique : la recette de votre néo-traditionalisme . Le touriste est visiblement gêné, non désireux de rester dans une conversation qui risque de se terminer par une arrestation. Alors qu’il tente de se faufiler, un nouveau groupe d’hommes en costume lui barrent le chemin. LES AUTORITES CENTRALES. Préserver l’ « héritage historique » de Qianmen était au cœur du projet. Le nouveau plan de protection de patrimoine historique de septembre 20023 incluait le quartier de Qianmen, Dazhalan4, Liuli chang et le quartier Est de Qianmen. Même si les méthodes employées par les dirigeants du district de Chongwen ont pu être parfois trop littérales, l’important c’est que nous ayons pu maintenir le « fengmao* » du quartier. Ces baraques insalubres que l’on y retrouvait ne peuvent plus remplir les conditions

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4. Rue Da Zha Lan. 2011.

Rue Da Zha Lan en chantier. 2008.

5. Règle sur les hauteurs dans le centre historique


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d’hygiène d’aujourd’hui, leur état de dégradation ne permettait plus aucune possibilité de restauration et de rénovation, nous n’avions pas d’autre choix que de détruire. Nous sommes les premiers à le regretter mais nous ne pouvions plus laisser ce quartier continuer à se transformer en bidonville. Nous n’approuvons pas toujours comment les grandes enseignes séculières que sont Rui Fu Xiang et autres commerçants historiques du quartier se sont toutes transformées l’un après l’autre en boutique souvenir. Ce n’est pas le type de développement que nous recherchions. Nous pensions que notre collaboration avec SOHO China allait être plus aisée. L’élégance que nous recherchions s’est transformée en somptueux. Cet excès de luxe n’a pas été la meilleure solution. Alors que personne ne l’avait remarqué, un homme à lunettes vêtu d’une chemise parfaitement taillée, d’un pantalon de marque et de mocassins impeccables haussa la voix parmi la foule. PAN SHIYI. La tâche n’était pas des plus faciles. Lorsque nous avions acheté les droits du terrain, c’était “la parcelle qui valait de l’or”. Mais les difficultés ont été telles qu’il a fallu modifier et encore modifier le projet. Il y avait tellement de conflits d’intérêt entre le gouvernement du district, le gouvernement central, les organismes de protection du patrimoine historique et les architectes. Et tout ce sans compter cette règle des hauteurs des bâtiments dans la ville historique5 qui nous limitait au maximum le potentiel de rentabilisation de notre investissement. Nous n’avions pas d’autre alternative. LES AUTORITES CENTRALES. Vous aviez réalisé votre introduction en bourse à cette époque. Donner accès aux investisseurs étrangers à votre capital, accès à notre patrimoine historique et culturel national de Qianmen6, ce n’était pas envisageable. Vous vous êtes mis des bâtons dans les roues, vous aviez enfreint les règles de préservation patrimoniale… Profitant de la querelle, le touriste peut enfin se dégager de cette situation. Il rabat sa capuche pour s’effacer au plus vite. Derrière lui, il entend des bruits d’une arrestation musclée. Il pénètre furtivement dans un salon de thé. La salle était bondée, il dut s’asseoir à la table de deux inconnus. Un des deux hommes parlait avec animation, sans doute un peu gris. TAN ZONGBO, après un long soupir. Que veux-tu ? Dès que les autorités s’en mêlent, ça se gâte ! Je n’ai vraiment aucun préjugé contre les gens de la campagne, je les estime beaucoup. Ne me comprends pas mal. Je voudrais juste dire que lorsque nous voyons agir les autorités du district, nous avons l’impression de voir des fonctionnaires de bourgade. Ils ne redoutent rien, ils agissent sans sourciller. Ils n’ont que faire des conséquences! Ce qu’il faut c’est agir vite et grand ! Ils se prennent vraiment pour Haussmann. L’autre reprend de plus bel. TU SHAN, frappotant la table de bois. Je ne sais pas s’ils se prennent pour Haussmann, mais ce qui est certain, c’est qu’ils ne sont pas rentrés les poches

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6. 2011_Avenue Qianmen


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vides. La démolition de ce quartier rapporte gros, les taxes qu’ils ont perçues les ont sûrement bien engraissé. Contrairement aux autorités centrales qui doivent résoudre les problématiques de la transformation urbaine, ceux du district ne font qu’appliquer les directives, parfois de manière très littérale. Ici, ils ont préservé dix ou onze bâtiments historiques. Le reste peut être détruit sans scrupule. A leurs yeux, préservation et modernisation ne peuvent se concilier. Alors si le district ne s’intéresse pas à la préservation, ce n’est pas SOHO qui va faire le travail à leur place. A une autre table, un homme fatigué, sirotant son thé tiède, se retourne. CHANG YUNGHO. Qu’ai-je pu faire? Tellement d’intérêts y étaient entremêlés que les aspects culturels et architecturaux étaient relégués au second plan. J’ai été engagé en tant qu’architecte, après que Wang Shiren, puis le BIAD se soient frottés au projet sans succès. Puis SOHO engagea des architectes américains, coréens puis britanniques. J’y ai survécu, mais pas sans conséquences. J’avais troqué mon costume d’architecte pour celui de médiateurs entre les autorités et le promoteur immobilier. Qu’ai-je pu faire? Hélas pas grand chose. Les deux inconnus sortent du salon thé, jetant un regard de dédain à Chang Yungho. LE TOURISTE, à part. Je commence à comprendre cette puanteur dont parlait le vieil homme. La protection du patrimoine existe sur le papier, mais l’interprétation que l’on en donne est multiple. Personne n’y résiste, ce ne sont pas une poignée de vieux hommes qui changeront la donne. Le compagnon de Chang Yungho, resté muet jusque là, prend la parole. OU NING. Vous voyez bien que l’urbanisation dans la ville chinoise et son développement ne sont pas évidents à comprendre et à gérer. Le cas du quartier de Da Zha Lan nous intéressait pour son développement historique et culturel, pour son degré de pauvreté, pour son organisation sociale, pour son architecture, son humanisme. C’est pourquoi nous avons lancé cette plateforme7 de collaboration qui pousse le débat sur des solutions plus appropriées, à travers le dialogue avec les habitants. En voyant ce qui s’est passé ici, nous avions voulu donner la parole aux principaux intéressés, les habitants eux-mêmes et trouver des solutions plus adaptées aux nécessités les plus urgentes. Tout ce travail s’est conclu par la réalisation d’un film, projeté lors de nombreuses manifestations, notamment à la Biennale de Venise. Notre page web continue à alimenter le débat. LE TOURISTE. Votre participation au débat est courageuse. Une telle démarche indépendante et illégale mérite le respect. Avez-vous réussi à ébranler un peu cet engrenage destructeur qui sévit à Qianmen ? OU NING, chuchotant. Je suis un cinéaste. Mon rôle est d’informer, de montrer les problèmes là où ils se trouvent. Aujourd’hui, il est difficile de critiquer ouvertement le gouvernement, nous sommes démunis face à ce géant. Mais c’est là qu’entrent en jeu les médias. Ce n’est qu’à travers la médiatisation des

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Extraits des films réalisés par Ou Ning, documentaires sur la destruction de la rue Meishi.

7. Page d’accueil de Da Zha Lan Project http://www.dazhalan-project.org/

8. «Becoming Beijing: developer-architect dynamics in socio-political context», A+U Chinese edition, no 28, septembre 2008, p. 8


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problèmes que le gouvernement consent à agir. Des hommes vêtus de costumes entrent brutalement dans le salon de thé. Les conversations disparaissent. Bon nombre de clients prennent la fuite, le touriste fait de même. Il disparaît dans la foule. SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE, le touriste s’avance vers le pupitre et met en marche le rétroprojecteur. Maintenant je comprends mieux. L’architecture, le nouveau tissu urbain de Qianmen n’est pas le fruit de la volonté d’une ou d’un groupe de personnes homogène. Il s’agit du résultat d’un conflit d’intérêts, d’un débat qui a animé des personnes ou des entités antithétiques. Parmi eux, nous retrouvons les architectes, les promoteurs immobiliers, et le gouvernement8. L’exercice de la profession d’architecte en Chine prend une toute autre dimension que celle que nous connaissons en Occident. L’architecte en tant que profession libérale n’a été réintroduite que depuis une vingtaine d’année, elle est encore aujourd’hui principalement dominée par la présence des grands Instituts d’architecture. Le rôle de l’architecte chinois est souvent réduit à celui d’un consultant en design. L’architecte privé (chinois ou étranger) doit collaborer avec les instituts d’Etat afin que ces derniers signent les plans et les valident. Le poids des promoteurs immobiliers dans les sphères décisionnelles s’est fait ressentir dès le début des années 1990, soutenus par le fameux « Enrichissezvous » de Deng Xiaoping. Les architectes ne sont plus que des acteurs passifs qui insèrent les idées des promoteurs dans un processus global de construction. Il ne faut pas oublier la prépondérance du gouvernement. Bien qu’il soit divisé en de nombreuses échelles, composé de divers organes, lorsque le gouvernement intervient c’est pour appliquer un plan plus ou moins précis qui puisse être plus ou moins interprété. L’exemple de la protection du patrimoine historique est très révélateur. La préservation patrimoniale apparut environ en même temps que l’augmentation de la croissance urbaine. Par empressement et commodité, la modernisation de la ville justifie n’importe quel sacrifice. L’avenue Qianmen est un segment qui compose l’axe impérial historique9. Avec les schémas directeurs de 2004, la ville de Pékin décida de valoriser les deux axes orthogonaux de la capitale. La symbolique est claire : les monuments du passé comme la Cité interdite, les tours du Tambour et de la Cloche, et la place Tian’anmen sont reliés au Parc olympique au Nord, et à la nouvelle avenue piétonne de Qianmen au Sud. Le projet de Qianmen est une application littérale de cette idéologie. A l’Ouest, la rue Meishi fut directement connectée à la porte Qianmen, pour permettre au trafic routier de circuler. Mais par souci de symétrie, comme pour souligner encore plus profondément l’axialité du projet, une nouvelle rue à l’Est de l’avenue fut creusée à travers les décombres des hutong. Cette axialité est au cœur de l’urbanisme de la capitale. Le musée de la

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9. Schéma des axes visuels sur les paysages importants. 1992.

10. Maquette de l’axe impérial, musée de la planification urbaine de la ville de Pékin. Zoom sur la place Tian’anmen et Qianmen.

Du Nord au Sud: Parc olympique / Tours du tambour et des cloches / Cité interdite / Place Tian’anmen / Qianmen


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planification urbaine10 m’avait paru sans intérêt, tout n’était que poudre aux yeux pour promouvoir l’urbanisme d’une capitale moderne. Seule m’intéressait l’immense maquette de la ville et une maquette conceptuelle, qui, encore une fois, était là pour nous rappeler l’axe historique.

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SHICHAHAI

Vue aĂŠrienne sur les tours du Tambour et de la Cloche. 1989.


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Dynastie JIN (1115 - 1234)

Dynastie YUAN (1271 - 1368)


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Dynastie MING (1368 - 1644)

Dynastie QING (1644 - 1912)

Pékin a été bâti en relation directe avec l’eau. Ses lacs, cours d’eau et canaux ont été maintes fois remaniés par l’homme. La réussite du plan de la capitale réside sans doute dans la relation intime entre la régularité de la structure urbaine et le poétique de ses lacs artificiels.


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Monuments historiques Siheyuan historiques Zone de protection en transformation Zone de construction contrôlée Eau Périmètre de protection

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Périmètre de plannification

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400

Périmètre de protection 2002

Logement Hôpital

Gouvernement Ecole Parking

Centre sportif Administration Monument historique Education supérieure Commerce Religion Services

Chantier Divertissement Equipement public Autre Tourisme

Hangar Espaces verts

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Eau

Usages et fonctions 2002

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200

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Bon

Moyen

Espaces verts

Eau

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Mauvais

0

100

200

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Etat et qualité des constructions 2002 1. Monument historique au niveau national/municipal/district 5. En inadéquation avec le fengmao du périmètre

2. Construction traditionnelle et moderne à valeur historique et culturelle Espaces verts

3. Construction traditionnelle en concordance avec le fengmao du périmètre Eau

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Valeur culturelle des constructions 2002

4. Construction moderne en concordance avec le fengmao du périmètre

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Xihai

RĂŠsidence de Song Qingling

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Tour de la Cloche

Houhai

Tour du Tambour

Palais du Prince Gong

Qianhai


1. Vue sur Shichahai depuis la tour du Tambour. En arrière-plan se trouvent le parc de JingShan et la pagode de Beihai. 2011.

Les personnages sont réels. Le récit est fictif, il sera l’outil employé pour mettre en exergue l’équilibre des forces qui génèrent le nouveau tissu urbain de Pékin.

PERSONNAGES L’Expert en protection du patrimoine La Jeune fille Le Jeune homme Pan Shiyi, directeur général du groupe SOHO China Le Touriste Le Serveur Le Vieux Pékinois Directeur Yang, urbaniste d’Etat


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Troisième tableau SHICHAHAI ൐ೲ‫ݡ‬

Méfions-nous des apparences Nous nous retrouvons à Shichahai1, un des plus vieux quartiers résidentiels de Pékin, situé à environ deux kilomètres et demi de la Cité interdite. Le ciel est dégagé. Les flâneurs sont nombreux le long des berges des lacs. Nous devinons que nous nous trouvons dans un des plus beaux quartiers de Pékin. Les tricycles pousse-pousse chargés de touristes se faufilent dans les hutongs. Les barques accompagnent les jeunes amoureux dans leurs nouvelles romances. Les magasins de souvenirs se remplissent de clients et les tables libres dans les restaurants se font rares. Le touriste descend d’un taxi à la porte Sud de Shichahai. En quelques pas il atteint Qianhai, le lac du Sud. Heureux de parvenir enfin un endroit paisible de Pékin, il passe outre le Starbucks pour rejoindre les terrasses. Il s’installe à une table pour se retrouver les pieds dans l’eau.

LE TOURISTE. Pourrais-je avoir la carte s’il vous plaît? LE SERVEUR. La voici Monsieur. LE TOURISTE. De l’anglais, voilà qui est bien pratique. Part contre les prix... LE SERVEUR. Vous savez, nous sommes dans une zone touristiques. Nos clients sont principalement des étrangers et des cols blancs. LE TOURISTE. J’aurais du m’en douter. Il est difficile de ne pas apprécier une telle vue. Un vieillard modestement vêtu passe devant la terrasse. Chargé de deux sacs plastiques bien remplis, il avance péniblement avec l’aide de sa canne. Je voudrait un cappuccino s’il vous plaît. Dans un grand vacarme, le vieillard se fracasse à l’extrémité de la terrasse. Il semble que le serveur l’ait bousculé, renversant son plateau de cocktails par terre dans la foulée. LE SERVEUR. Espèce de vieil abruti! Tu ne peux pas regarder où tu vas?


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2. Scènes de vie dans les hutongs au début des années 1990. 3. Hutong au pied de la Tour de la Cloche. 2008.


Troisième tableau

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Regarde tous les verres que tu as cassés! LE VIEUX PEKINOIS. Ouïe mon dos! Silence. Jeune homme, ne soyez pas sans coeur et aidez-moi plutôt à me relever. Oh non! Les oeufs! Ils sont tous cassés... LE SERVEUR. On s’en fout pas mal de tes oeufs! Il va falloir que tu me rembourses ces verres de cristal, ils coûtent un fortune. LE VIEUX PEKINOIS. Ma vieille compagne et moi vivons d’une modeste retraite, soyez indulgent... Le touriste se précipite au secours du vieil homme. Il l’aide à se relever. LE TOURISTE, donnant quelques billets au serveur. Prenez ça et n’en parlons plus. Au vieil homme. Où vivez-vous? Je vais vous raccompagner. LE VIEUX PEKINOIS. Merci mon petit. C’est gentil. Soupir. Le quartier n’est plus ce qu’il était. Parmi tous ces gens, j’ai l’impression d’être un intrus. Aïe! Doucement, doucement...mon dos. Le touriste s’éloigne avec le vieillard. La quartier2 a bien changé depuis mon arrivée à Pékin. Ma femme et moi, nous nous sommes installés dans le quartier dans les années cinquante. L’usine dans laquelle nous travaillions n’avait pas construit de logement et on nous a attribué une aile d’un siheyuan*. Nous étions quatre familles à vivre dans la même cour. Nous vivions modestement, sans beaucoup d’intimité, mais nous nous entreaidions avec nos voisins. Aujourd’hui on ne jure plus que par le pognon! LE TOURISTE. J’ai l’impression que vous me parlez d’un autre monde. Le Pékin que j’ai connu ces dernières semaines est loin de ce que vous avez décrit. LE VIEUX PEKINOIS. Au début des années 1990, beaucoup de siheyuan ont été vendus à des privés. Le quartier a vite été devenu la cible des promoteurs immobiliers. Les grandes enseignes s’y sont mutipliées mais les petits commerces de quartiers ont peu à peu disparu. Auparavant, je n’avais qu’à marcher cinq minutes pour aller faire les courses, aujourd’hui je dois marcher une demi-heure pour atteindre le supermarché. Ils arrivent au seuil d’une vieille porte à la peinture rouge délavée et craquelée. Nous y sommes. Merci jeune homme. Venez prendre un thé à la maison! LE TOURISTE. Non. Je crois que je dois aller vérifier quelque chose de mes propres yeux. Je n’ai pas beaucoup de temps. Il ne l’avait pas remarqué à l’aller. La maison du vieillard se trouve dans un vieux hutong3. Aucun pavage le recouvre, mais seulement un vieux goudron craquelé., rien à voir avec les promenades des berges. Sur le même hutong, nous apercevons des toilettes publiques d’où se dégage une odeur nauséabonde. Une femme sort d’une cour

*Siheyuan: Maison traditionnelle à cour


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4. AmĂŠnagements le long des lacs et des rues principales. 2008.

5. Houhai. 2011.


Troisième tableau

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pour y entrer précipitamment. Les habitants n’auraient-ils pas de toilettes chez soi? Alors que le touriste était perdu dans ses pensées, il n’a pas remarqué l’arrivée des deux hommes au tournant du hutong. Une voix familère surgit derrière le touriste. DIRECTEUR YANG. Vous avez l’œil vif pour un étranger. Ce genre de condition de vie précaire n’est plus acceptable dans une métropole contemporaine. Cela fait vingt ans que nous tentons d’assainir le quartier. Les constructions informelles illégales ont détruits les cours. La seule solution est de les démolir et reconstruire à nouveau. Bien sûr, nous faisons extrêmement attention à ne pas modifier le fengmao* de Shichahai. A ses côté, Pan Shiyi faisant mille courbettes. PAN SHIYI, vêtu d’un costume de marque. Directeur Yang, le renouvellement exemplaire de ce quartier est très certainement le plus réussi de toute la ville historique. Le tissu urbain a été entièrement conservé, et ce tout en maintenant une croissance régulière du Produit Intérieur Brut. Vous avez réussi à régénérer la culture locale, développer le tourisme par la restauration des sites touristiques majeurs et améliorer les conditions sanitaires. Les trois hommes rejoignent les rives du lac. DIRECTEUR YANG. Je suis vraiment fier des promenades4 et des espaces verts le long des trois lacs5. Vous voyez comment les jeunes couples et les familles y viennent flâner les jours ensoleillés. LE JEUNE HOMME. Excusez-moi messieurs, vous pourriez nous prendre en photo? Le directeur Yang et Pan Shiyi font mine de ne pas avoir entendu. Le touriste au contraire, en profite pour fuire cette conversion. LE TOURISTE. Volontiers. Attention, ne bougez plus! Voilà. LE JEUNE HOMME, à la jeune fille. Regarde comme tu es jolie dessus. La jeune fille rougit. LA JEUNE FILLE. Arrête, il y a du monde. LE TOURISTE. Vous formez un joli couple. Vous venez souvent dans le coin? LA JEUNE FILLE. Non. Aujourd’hui, il a enfin réussi à obtenir un jour de congé et nous en profitons un peu ensemble. LE JEUNE HOMME. C’est pas facile de se parquer ici. Tellement de voitures encombrent les hutongs étroits. Ca faisait longtemps qu’elle me demandait de

*Fengmao: Physionomie stylistique


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6. A la tombée de la nuit, les bars branchés s’alignent les uns derrières les autres le long de Qianhai. Les touristes sont friands des souvenirs et autres produits artisanaux que les stands proposent. 2011.

7. Zone détruite au pied de la Tour du Tambour depuis 2006. Passé de main en main entre les promoteurs, ce terrain est un exemple de spéculation immobilière dans le quartier. 2011.

8. Reconstruction d’un complexe touristique dans un style traditionnel. La structure béton remplace la traditionnelle charpente en bois. 2011.


Troisième tableau

l’emmener se promener ici, mais mon travail est vraiment trop stressant, et les congés tellement rares. Un petit tour sur la barque nous a coûté 250 yuans par personne! Ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre une telle gâterie. Aujourd’hui, nous avons mangé pour 400 yuans, et puis j’ai pu lui offrir plein de cadeaux. Tout est cher ici, je suis fier de pouvoir nous offrir tout ça. En venant ici, nous avons vraiment l’impression d’appatenir à l’élite. Mais bon, comme on dit, l’amour n’a pas de prix! LA JEUNE FILLE. Arrête! Je t’ai déjà dit mille fois qu’il ne faut pas dire à n’importe qui que nous avons de l’argent, qui sait ce qui peut nous arriver. Merci Monsieur, bonne journée. Le jeune couple s’éloigne la main dans la main. Leurs rires retentissent encore dans nos oreilles. Au bord du lac, un vieil homme fume sa cigarette tout en admirant le paysage. L’EXPERT EN PROTECTION DU PATRIMOINE. Quelle insouciance la jeunesse. Et quelle ignorance! En une dizaine d’années, la destination des poètes en quête d’inspiration s’est métamorphosée en attraction de hordes de touristes avides de découvrir la nouvelle vie bohémienne de la capitale6. Se retourne vers le touriste. Ce quartier fait partie des derniers hutongs encore préservés à Pékin. Mais à quoi sert la peau si la chair n’y est plus? Les autorités n’ont que le terme de «fengmao» dans la bouche. Ils ont détruit des siheyuan pour les reconstruire à l’identique, les poutres de bois ont laissé place aux structures béton8. Mais au moins, le fengmao est maintenu! Ahah! Quelle blague! Lorsque les habitants ont été expropriés, les siheyuans et les hutongs ont été vidés de leur essence même7. Les petits vieux qui jouent aux échec ne peuvent plus s’asseoir sur leurs tabourets, les voitures des touristes ne leur laissent plus la place. Les commerces de proximité ont laissé place aux bars. Car aujourd’hui, ce sont bien les bars qui se sont appropriés les lacs avec leurs lanternes rouges et leurs terrasses. En secouant la tête. Le plan de protection de 2002 était censé arrêter la destruction massive des quartiers de hutongs, mais il ne fait que de délimiter des zones à protéger sans engager aucun plan concret. Soupir. Ici à Shichahai, nous nous trouvons dans un des quartiers les mieux préservés du vieux Pékin, mais son âme n’y est plus. Il se lève de son banc et s’éloigne doucement, laissant échapper de temps en temps de longs soupirs. SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE, le touriste s’avance vers le pupitre et met en marche le rétroprojecteur. Je comprends mieux maintenant. A Pékin je n’avais jamais vraiment donné d’importance au terme de fengmao, mais sa compréhension se révèle capitale. Saviez-vous que «fengmao» signifie «physionomie et allure ainsi que style, caractère, trait distinctif dans l’apparence des choses»? Zhang Liang le résume

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9. Conditions de vie au début des années 1990 dans les maisons à cour (siheyuan).

10. Qianhai de nuit. 2011.


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à «physionomie stylistique». L’usage du terme de fengmao est récurrent dans les discours officiels et révèle l’attitude des autorités face à la protection du patrimoine. Lorsque les apparences sont maintenues, la mission est réussie! Shichahai était durant la dernière dynastie le quartier de la noblesse, des courtisans et des riches marchands. La situation a basculé avec l’avènement du communisme. Les grandes résidences ont été confisquées. Les plus importantes ont été occupées par les fonctions publiques et l’administration. Le reste a été distribué aux familles dont les danwei* ne fournissaient pas de logement. Avec la réforme économique, les restrictions d’usage ont été levées et de nombreuses maisons ont regagné leur statut de propriété privée. Le premier bar à ouvrir a été le No Name Bar en 2001. La tendance n’a fait que se poursuivre jusqu’à aujourd’hui. Pour le touriste non-averti, Shichahai reste un quartier incontournable au charme indéniable. Mais les derniers habitants du quartier vous parleront de sa gentrification. Les familles modestes qui partageaient avec leurs voisins les cours de leur maison9 ont déserté le quartier, relogés en périphéries, laissant place aux restaurants, bars et magasins de souvenirs10. Les derniers survivants ne profitent pas des améliorations sanitaires et leurs conditions de vie continuent à se dégrader, et ce sous le regard impassible des autorités. Les promoteurs sont probablement les grands gagnants de l’histoire, ils ont réussi à acquérir des terrains très prisés au meilleur prix, sous la bienveillance des officiels. Les siheyuan historiques ont été progressivement démolis pour être reconstruits sous le même fengmao.

*Danwei: Unité de travail


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SIHEYUAN


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La maison à cour carrée est encore relativement bien reconnaissable. Les éléments de couleur sont les constructions informelles qui ont été construites pas les habitants.


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Plan de masse et de l’appartement de Jérémie Descamps avec l’agrandissement conçu par Archiplein architectes.

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1. Cour intérieure d’un Siheyuan dans le district de Dongcheng, en zone protégée. 2011.

Les personnages sont réels. Le récit est fictif, il sera l’outil employé pour mettre en exergue l’équilibre des forces qui génèrent le nouveau tissu urbain de Pékin.

PERSONNAGES Les Autorités de district L’Expert en protection du patrimoine Jérémie Descamps, urbaniste français La Propriétaire Le Touriste Les Voisins


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Quatrième tableau SIHEYUAN ව‫ލ‬ᄄ

Régénérer le périmé Noyé dans ses pensées, le touriste s’est perdu dans les hutongs. Il arrive sans s’en rendre compte dans le district de Dongcheng, la partie Est de la ville historique. Les rues sont moins animées et semblent plus authentiques. Nous sommes déjà loin des principaux sites touristiques. Les murs qui longent les hutongs donnent une impression générale de délabrement. Les machines de climatisation suspendues à l’extérieur, des avant-toits en plastiques improvisés en guise d’entrée, des bâches tendues par des empilements de brique recouvrant les perforations des toitures, tout cela participe au décor. Il pousse doucement une porte métallique entrebaillée, intrigué de découvrir ce que cachent ces murs. Personne ne semble l’avoir remarqué. Il emprunte un passage étroit. Au tournant, il atteint une petite cour entourée de baraques qui s’entassent et d’une aile d’un siheyuan qu’on n’identifie plus2. Une lampe semble éclairer timidement l’intérieur. Un homme occidental se tient à l’intérieur et ouvre la fenêtre.

JEREMIE DESCAMPS. Puis-je vous aidé? Vous vous êtes perdu? LE TOURISTE. Excusez-moi, comme la porte était ouverte, je me suis introduis par curiosité. Je me demandais à quoi ressemble l’intérieur de ces vieux siheyuan. JEREMIE DESCAMPS. Entrez seulement. Je ne sais pas si nous pouvons encore appeler cet endroit un siheyuan. J’y ai établi mon bureau, ça me permet de me situer au cœur des problématiques sur lesquelles je travaille. LE TOURISTE. Et vous êtes... Ils entrent à l’intérieur de l’agence. Quatre postes de travail sont installés dans une ambiance éclectique. Estampes, calligraphie et plans historiques tapissent les murs tandis que sur une table basse chinoise est posé un copieux plateau de croissants et pains au chocolat, autour de quelques tasses de café. Nous comprenons facilement à à travers la décoration le goût du propriétaire pour le rétro. JEREMIE DESCAMPS. Je ne me suis pas présenté, je suis urbaniste consultant. Cela fait une dizaine d’années que je me suis installé ici à Pékin. Si cela ne vous dérange pas, je préfère que nous nous tutoyons.


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2. Cour de l’agence Sinapolis, dans un Siheyuan de Dongcheng. La structure d’origine n’est plus identifiable. 2011.

3. Processus de dégradation des Siheyuan à travers la multiplication des constructions informelles.

4. Photos fournies par l’Institut d’urbanisme et de la planification de Pékin, pour démontrer l’insalubriété des Siheyuan et la nécessité de démolition.


Quatrième tableau

LE TOURISTE. Pas de problème, je préfère aussi. Cela fait déjà presque trois semaines que je suis ici à Pékin. Je commence à réaliser les problématiques autour de la reconstruction de la ville. J’ai beaucoup entendu parlé des hutong et des siheyuan. J’imagine que tout le monde ici possède plus ou moins une mémoire collective de la vie dans ces espaces, mais je n’y comprends pas grand chose. JEREMIE DESCAMPS. Lorsque l’on parle de siheyuan avec les pékinois, cela évoque surtout d’un mode de vie, révolu pour ceux qui habitent dans les appartements modernes. Tu dois comprendre que les siheyuan ont servi à loger les classes les plus modestes. Les familles qui y vivent partagent avec leurs voisins la vie autour d’une cour. Les disputes, les pleurs, les moments t’intimité, les naissances, les marriages, les décès, tout se sait, tout se partage grâce à la minceur des murs. Les toilettes matinales se font dans les toilettes publiques dans les hutongs, la cuisine dans la cour. On se lave les cheveux assis sur un tabouret à l’extèrieur. Non. Finalement le siheyuan, plus qu’un mode de vie, représente un niveau de vie, une classe sociale. Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire... LE TOURISTE. Pourtant durant mes visites, j’ai été tellement séduit par la cour de la résidence de Mei Lanfang et celles du mémorial de Wen Tianxiang. C’est vraiment incroyable cette sensation de quiétude à l’intérieur de ces cours, loin de l’animation des rues, en plein cœur de Pékin. JEREMIE DESCAMPS. Tu as entièrement raison. N’oublies pas que les siheyuan sont à l’origine les résidences de la noblesse. Mais ils ont été nationalisés par le gouvernement communiste. Ils se sont installés dans les plus grands, et le reste a été redistribué à la population. Les vagues massives de migrations vers la capitale ont très vite surchargé les maisons à cours. Chacun a essayé comme il pouvait d’amplifier ses mètres carré. La densité de construction y a très vite augmenté à cause de ces constructions informelles. L’Etat ne semble s’être jamais préoccupé de ce problème. Selon eux, aujourd’hui les quartiers de siheyuan sont «périmés3», et la seule solution pour les assainir est de les démolir4. Mais ne parlons plus dans le vide. Il est encore tôt, mes employés ne sont pas encore arrivés. Viens, je t’emmène visiter ma maison. Tu verras, tu comprendras mieux. Ils franchissent à nouveau la porte métallique pour se retrouver dans les hutongs. Malgré le mauvais état de la rue, la vie y semble très active. L’étroitesse des ruelles rendent la circulation diffcile aux voitures. Nous voyons surtout des piétons et des cyclistes. Ils traversent une grande route, sans une de celles qui ont rasé les hutongs pour désengorger le traffic. Ils parviennent à une autre ruelle. Quelques barres de logement des années 1980 dominent les toitures traditionnelles. Sur la droite, Jérémie Descamps pousse une grande porte rouge laquée à double battant. Ils doivent zigzaguer une bonne centaine de mètres le long de ce qui semblent être un labyrinthe de chemins privés pour atteindre le seuil de la maison de Jérémie. Nous y voici. LE TOURISTE, intrigué par la toiture bleue plastique5 d’une baraque voisine.

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5. Défauts de construction et l’emploi des tôles de PVC en toiture. 2011. 6. Entrée et arrière-cour de la maison de Jérémie Descamps. 2011.

7. Cour carrée principale de la maison de Jérémie Descamps, partagée avec ses voisins. 2011.


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Qu’est-ce que c’est que ce matériau? Je n’ai encore jamais rien vu de pareil. JEREMIE DESCAMPS. Ah! C’est une spécialité ici! Tu verras, en t’amusant sur Google Earth, tu trouveras partout dans la ville ces toitures bleues. C’est un type de tôle en PVC, tu ne trouves pas moins cher! Dès qu’il s’agit d’investir dans la construction, c’est la tendance à l’investissement minimal. Tu sais, les habitants ne comprennent pas que les réparations d’un mauvais ouvrage coûtent plus cher qu’une construction de qualité. LE TOURISTE. Et ce mur qui enrobe l’arbre5? Le mur va sûrement craquer dans un ou deux ans non? JEREMIE DESCAMPS. Les habitants sont bien souvent ignorants en matière de construction. Ils ne bénéficient d’aucune aide ou conseil de la part des autorités. Ce n’est alors pas étonnant que les constructeurs fassent n’importe quoi. D’ailleurs, toutes ces constructions sont informelles et illégales. Nous entendons le grincement d’une porte qui s’ouvre. S’en suivent des bruits de pas. L’EXPERT EN PROTECTION DU PATRIMOINE. Quel désastre n’estce pas? Nous nous trouvons dans une des zones identifiées comment étant protégée par le plan de protection de la ville historique de 2002. Les autorités se sont arrêté à simplement délimité un périmètre. Aucune action concrête n’a été réellement entreprise. JEREMIE DESCAMPS, acquiesçant. Vous avez raison. Je vis dans ce quartier depuis dix ans, et je n’ai pas l’impression que nos conditions de vie se soient améliérées depuis. Ils entrent à l’intérieur de la cour principale7.Une vieille dame, habillée d’un vieux pull brun et aidée de sa canne sort de sa maison, visiblement attirée par la conversation. LA PROPRIETAIRE. C’est vous Jérémie? Vous avez encore invité du monde aujourd’hui! JEREMIE DESCAMPS. Messieurs, je vous présente la propriétaire de ma maison. A la propriétaire. Je vais leur expliqué comment nous avons décidé en commun la construction du studio. LA PROPRIETAIRE. C’est une bonne histoire à raconter! Rires. Et dire qu’au départ, je pensais que c’était une folie de construire ce machin bizarre. Je m’y suis faite. J’irais même jusqu’à dire que ça me plaît aujourd’hui! Elle rit de plus bel. JEREMIE DESCAMPS. Vous êtiez difficile à raisonner. Vous vouliez construire vous-même le nouvel annexe. Après de nombreuses négociations, ma femme et moi-même avons finalement réussi à vous convaincre. En construisant ce studio8 d’à peine quinze mètres carrés, nous avons véritablement réussi à redéfinir la cour carrée. A part. Et aussi à baisser notre loyer! Elle nous aurait

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7. Cour carrée principale de la maison de Jérémie Descamps, partagée avec ses voisins. 2011.

8. Ampliation réalisée par Archiplein architectes pour Jérémie Descamps. Photos et dessins fournis par Archiplein.

9. Zone de protection dans laquelle le siheyuan se situe. 2002.


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demandé 8000 yuans de loyer après la construction de l’annexe. Aujourd’hui nous ne payons que 5000 yuans, mais nous avons assumé tous les frais de construction. Cela nous a coûté au total 60 000 yuans. LA PROPRIETAIRE. Qu’est-ce que vous marmonnez? JEREMIE DESCAMPS. C’est votre oreille qui vous joue des tours! L’étape la plus éprouvante et difficile a probablement été la discussion avec les voisins. Le studio est posé entre la travée horizontale de notre propriétaire et la travée verticale. La travée verticale appartenait aux voisins. Il a aussi fallu demander l’accord des autres voisins de la cour. L’EXPERT EN PROTECTION DU PATRIMOINE. Vous voyez comment ça fonctionne. Tout se décide entre les différents voisins d’une cour, l’Etat est totalement absent de la discussion. Officiellement, il est interdit d’altérer les constructions des zones protégées. Mais en pratique, c’est bien différent. Les autorités savent très bien que les habitants construisent chacun dans son coin. Sans aucun appui, ni aucune régulation, il est alors inévitable que les constructions historiques se recouvrent d’une couche de bâti qui les rendent méconnaissables. JEREMIE DESCAMPS. C’est un cercle vicieux. Il y a un véritable abandon de la part des pouvoirs publics. Pour avoir des salles de bains privées à l’intérieur, nous avions dû nous connecté nous-même au réseau des égoûts. Vous imaginez l’ampleur des travaux? Silence. Conscient de s’être trop emballé. Finalement ce projet fait partie de mes recherches sur la ville de Pékin. J’essaie de trouver une manière de régénérer la qualité des siheyuan tout en préservant la forte densité. C’est vraiment primordial car nous touchons ici au cœur de la problématique de la destruction et de l’expropriation. En effet, les populations modestes qui logent dans les siheyuan ne sont pas capables financièrement de se loger ailleurs durant le chantier de la reconstruction. Il faut absolument permettre à ces habitants d’y habiter durant le chantier. Avec les architectes de l’agence Archiplein, nous avions alors decidé d’adopter ici une stratégie de microintervention. Ce petit studio permet de requalifier la cour, tout en améliorant les conditions de vie de manière significative. Tout ça avec un budget minimal. LA PROPRIETAIRE. Et depuis, Jérémie invite les habitants pour visiter ce studio. Pour les convaincre qu’il suffit de peu pour améliorer notre confort. Mais les gens restent encore réticents à l’idée d’investir dans quelque chose qui risque d’être détruit du jour au lendemain. LE TOURISTE, surpris. Mais ne sommes nous pas dans une zone protégée9? L’EXPERT EN PROTECTION DU PATRIMOINE. Ne soyez pas trop naïf mon jeune ami. Si un promoteur réussit à convaincre les autorités (Certains possèdent des arguments très convaincants, si vous voyez ce que je veux dire.), aucun plan de protection ne pourrait les arrêter. JEREMIE DESCAMPS. Mais même si la construction ne sert que pour quelques années, cela en vaut la peine! J’ai mis moins de deux ans à amortir

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10. La course aux mètres carrés. Les voisins ont rénové une barraque et ékargi d’un mètre une barraque. 2011.

11. Siheyuan dans le district de Dongcheng. 2011.


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mon investissement, je vous laisse faire le calcul de ce que j’ai économisé ces dix dernières années... Un boucan incroyable coupe nette à la conversation. Nous entendons un groupe d’hommes frapper violemment à la porte. LES AUTORITES DU DISTRICT DE DONGCHENG. Ouvrez! Ouvrez! Nous venons faire des relevés pour le nouveau cadastre! JEREMIE DESCAMPS. J’avais oublié qu’ils sont actuellement en train de mettre à jour le cadastre de la ville. LA PROPRIETAIRE. Certains disent que le quartier va être démoli prochainement. C’est pour ça qu’il font des relevés, pour déterminer les compensations de destruction et d’expropriation. L’EXPERT EN PROTECTION DU PATRIMOINE. Cela explique pourquoi il y a autant de nouvelles constructions dans chaque cour. Plus il y a de mètres carré, plus les compensations sont élevées. JEREMIE DESCAMPS. Nos voisins ont profité de pousser leur mur de plus d’un mètre vers l’extèrieur, sous le prétexte de travaux pour refaire leur toiture10. Lorsque je leur en parle, ils ne le reconnaissent pas. Ce n’est pas ça qui va aider à sauvegarder les siheyuan11! LES AUTORITES DU DISTRICT DE DONGCHENG. Allons. Finissons en avec ces commérages! Il y a du travail sur la planche. Chacun rentre chez soi. Nous n’avons même pas eu le temps de voir disparaître l’expert en protection du patrimoine. Le touriste salue rapidement ses hôtes pour disparaître à son tour dans les méandres des hutongs. SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE, le touriste s’avance vers le pupitre et met en marche le rétroprojecteur. Maintenant j’ai enfin compris la dimension socio-culturelle des siheyuan. Depuis l’extérieur, il est facile de reconnaître leur qualité en terme d’espace et de valeur patrimoniale. Mais lorsque l’on y a vécu toute sa vie, lorsque les générations d’une famille ont souffert des mauvaises conditions de vie des siheyuan, il est beaucoup plus diffcile de le reconnaître. D’un autre côté, la culture chinoise a toujours célébré la nouveauté. Lorsqu’une nouvelle année arrive, il faut nettoyer la maison de fond en comble. Même si on à peine de quoi se nourrir, toute la famille doit porter des habits neufs le jour du nouvel an et manger copieusement. Pourquoi vivre dans des vieilles maisons à cour lorsque l’on peut choisir les appartements modernes? N’oublions pas que, malgré de rares mécènes éclairés, la plupart des locataires sont originaires de la classe ouvrière ou des migrants venus de la campagne. Sortir de ce précieux bidonville est indubitablement synonyme d’ascension sociale. Les propriétaires des siheyuan sont quant à eux conscients de leurs valeurs,

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12. Mémorial de Wen Tianxiang (dessus) et résidence de Mei Lanfang (dessous), exemples de Siheyuan rénovés. 2011.

13. Perspective d’un Siheyuan type dans son état original.


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mais face à l’incertitude des démolitions qui se sont accrues depuis la dernière décennie du XXe siècle, la peur de devenir une maison clou* est omniprésente. On a pris alors l’habitude de plus investir dans le confort, même si l’attente de la destruction pourrait durer des dizaines d’années. C’est véritablement ce sentiment de doute au quotidien qui pousse à la construction de taudis, et par conséquence à la dégradation des siheyuan. En visitant les différents musées12 qui se cachent dans les hutong de la ville historique, je ne peux pas m’empêcher de me demander: Comment remettre en valeur le patrimoine architectural des siheyuan tout en améliorant les conditions de vie des habitants?

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2002 Le quartier de logements soviétiques pour les fonctionnaires a été construit durant le début des années 1950, lors de la première vague de construction de Pékin sous le gouvernement communiste.

2005 Début du chantier pour la construction du nouveau complexe administratif.


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2006 Complexe administratif achevĂŠ.

2010 Chantier pour la reconstruction d’une barre de logement. Le seul de tout le quartier.


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1. Cour dans le quartier de logements collectifs de Sanlihe. 2011.

Les personnages sont réels. Le récit est fictif, il sera l’outil employé pour mettre en exergue l’équilibre des forces qui génèrent le nouveau tissu urbain de Pékin.

PERSONNAGES Les Autorités du district de Xicheng. Le Touriste Wang Yufen, épouse de Zhou Jiaxian Directeur Yang, urbaniste d’Etat Zhou Jiaxian, propriétaire


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Cinquième tableau SANLIHE ೟ৡ‫ޑ‬

Du chaos légal au néant urbain Arrivé sur la place Tian’anmen, le touriste découvre une place publique dominée par le Palais de l’Assemblée populaire à l’Ouest et le Musée national de Chine à l’Est. L’imposant portrait de Mao suspendu au milieu de la Porte de la paix céleste domine le centre de la ville historique. Nous avons étrangement une sensation de déjà-vu. Le touriste semble intimidé par la foule de touristes, les soldats aux pas cadencés et les vendeurs ambulants qui vendent des petits drapeaux rouges par dizaines. Il réalise qu’il lui reste encore un pan de la ville à découvrir. Il décide de prendre le métro et monte à bord d’un wagon de la ligne 1. A la sortie de la bouche de métro de Muxidi, il traverse l’écran formé par des barres qui longent l’avenue Chang An. Nous découvrons un quartier d’une toute autre échelle. Les rues sont bordées d’une dense végétation. Nous avons de la peine à apercevoir le ciel. Le longs des rues se dressent des barres de logements vétustes. Ils sont construits en briques mais encadrés par une armature béton à l’extérieur. Les rues sont animées. Des collégiens se chamaillent autour de leurs téléphones portables. Les stands de maraîchers, les tricycles chargés de petits pains fourrés, les réparateurs de vélo sont autants d’obstacles qui entravent la difficile circulation des voitures. Le touriste tourne à gauche et pénètre à l’intérieur des cours1. Les espaces semblent abandonnés. Entre les buissons sans entretien se cachent des carcassent frigidaires. Nous apercevons même une cuvette de toilette jonchée sur de la mauvaise herbe. Une vieille dame seule dans la cour qui arrose un petit arbre attire son attention.

LE TOURISTE. Bonjour madame, vous habitez ici? WANG YUFEN, surprise. Bien sûr, cela fait bien une cinquantaine d’années que je vis dans ce quartier. Elle remarque le regard curieux du touriste sur l’arbuste. C’est un cadeau de mon voisin, je descends tous les jours pour l’entretenir. Regardez comme il est robuste! LE TOURISTE. Pourquoi cette cour est-elle tant désolée2? WANG YUFEN. Jeune homme, vous devez vous demander pourquoi je m’efforce à entretenir un jardin qui ressemble de plus en plus à une déchetterie.


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2. Espaces extĂŠrieurs dans le quartier de logements collectifs de Sanlihe. 2011.

3. Espaces extĂŠrieurs dans le quartier de logements collectifs de Sanlihe. 1991.


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Le jour où je m’arrêterais de m’en occuper, ce jardin serait alors vraiment abandonné. Je ne peux pas l’accepter. LE TOURISTE. Mais ça a toujours été ainsi? WANG YUFEN. Ca se voit que vous n’êtes pas du coin. Montez donc avec moi prendre un thé à la maison. Les murs ont des oreilles. La vieille dame se dirige agilement vers l’entrée d’un immeuble de briques dont la façade semble avoir été récemment peinte. Le touriste la suit. Ils entrent dans un minuscule vestibule et gravissent un sombre escalier4. La même impression d’abandon règne dans l’immeuble. Les murs sales sont imprimés de numéros de téléphones, probablement de la publicité. Même les contremarches en sont munies. Ils parviennent finalement devant une porte métallique au quatrième étage. Elle ouvre ensuite une seconde porte que la porte métallique protégeait. Tous les appartements de l’immeuble possèdent une seconde porte pour se protéger des cambriolages. Le quartier n’est plus sûr, il y a beaucoup d’ouvriers migrants qui s’y sont installés. Le contraste entre l’intérieur et l’extérieur est frappant. Malgré la montagne de cartons entassés dans le vestibule, l’appartement est lumineux et propre5. Une fine odeur de peinture semble imprégner l’air, probablement un résidu d’une récente rénovation. LE TOURISTE. Vous avez un très bel appartement. WANG YUFEN. Merci. Installons-nous dans le séjour. Mon mari et moi, nous avons beaucoup de chance d’être encore ici. LE TOURISTE. Vous me semblez en bonne forme, il vous reste sûrement encore de belles longues années devant vous. WANG YUFEN. Vous vous méprenez. Je voulais dire que cet appartement a failli être détruit. Avec l’âge je ne suis plus aussi certaine de ma mémoire mais si je ne me trompe pas, nous avions reçu les premiers préavis de destruction en 2003, ou peut-être bien 2004. Ca n’a pas trop d’importance. Vous avez entendu parlé des Jeux olympiques? LE TOURISTE. Tout à fait madame! J’ai visité le Nid d’oiseau il n’y a pas très longtemps. WANG YUFEN. Je vois. Silence. Et bien, en préparation pour les Jeux de 2008, les bâtiments les plus vétustes de la ville devaient être démolis. Ce quartier en faisait partie. Ah! Mais j’oublie. Le thé. Restez ici monsieur. Je vais le préparer. LE TOURISTE, à part. Mais quelle drôle de dame. Nous entendons un bruit de serrure. Quelqu’un vient d’entrer.

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4. Couloirs et escaliers de l’immeuble du vieux couple. 2011.

5. Séjour de l’appartement du vieux couple. 2011.


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WANG YUFEN. Jiaxian! Nous avons un invité! Il est dans le séjour. Un vieil homme aux cheveux blancs se tient au seuil du séjour. Le touriste est charmé par son sourire bienveillant. ZHOU JIAXIAN. Bonjour Monsieur. Qu’est-ce qui vous amène ici? LE TOURISTE. Je me demandais comment ce quartier de logements collectifs pouvait être tant délabré et puis j’ai croisé par hasard votre épouse dans la cour. ZHOU JIAXIAN. Par où commencer? Cela fait des années entières que nous nous battons contre la destruction de ces logements... Non, il faut remonter à beaucoup plus loin pour comprendre notre situation. Mon épouse et moimême sommes originaires du Sud dans le Jiangsu. Nous sommes arrivés à Pékin au début des années 1950, alors que nous étions encore en train de bâtir la Chine nouvelle. La municipalité venait de construire en 1954 le complexe administratif de Sanlihe. Je ne sais pas si vous avez vu ces grands bâtiments de briques grises à la toiture verte. Les fonctionnaires qui y travaillaient ont été logés dans ce quartier, le Troisième quartier de Sanlihe. J’avais intégré à l’époque le Second Ministère de l’industrie et des machines, le ministère de l’industrie nucléaire. WANG YUFEN, arrivant de la cuisine avec la théière et trois tasses. Je m’en rappelle comme si c’était hier! Nous habitions cette petite maison avec nos trois enfants. Ces logements collectif n’étaient pas encore construits. Nous avions ensuite déménagé au numéro vingt-huit. C’était un petit deux pièces. Nous avions notre propre cuisine mais partagions les toilettes avec tout l’étage6. ZHOU JIAXIAN, sirotant son thé. Ce n’est finalement qu’en 1980 que nous avions déménagé ici. Nous étions si contents! WANG YUFEN, les yeux noyés d’émotion. Il y avait de quoi! L’immeuble venait d’être construit. Tout le monde l’appelait la Tour des jalousies7! Rires. Il faisait deux étages de plus que les autres et était le seul à avoir des toilettes privées dans chaque appartement. Un vrai luxe! Sans s’en rendre compte, elle a pris la main de son époux qui souriait également. ZHOU JIAXIAN. Lorsque nous avions reçu le préavis de destruction, ce n’étaient pas seulement nos souvenirs et nos amis qui nous empêchaient d’accepter cette nouvelle. Même si les bâtiments étaient vieux, nous sommes aujourd’hui très bien situés. La valeur foncière y est considérable. Nous savions tous que les compensations financières allaient être inférieures à la valeur réelle de notre bien. Lors des négociations avec les promoteurs, ils nous proposaient aussi de nous reloger dans les futurs immeubles. Mais c’était toujours la même rengaine. Contre notre trois pièces et demi, nous allions troquer pour un deux pièce et demi. Il reprend une gorgée de thé.

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6. Espaces extérieurs dans le quartier de logements collectifs de Sanlihe. 1991.

Toilettes communes. 2011.

7. La «Tour des jalousies». 2011.

Plan typique d’un logement collectif de Pékin de la fin des années 1950. Il y a quatre appartements par étages (deux de 2 pièces et deux de 1 pièce).


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WANG YUFEN. Nous ne pouvions pas rester les bras croisés! Il ne faut pas oublier que tous les habitants du quartier étaient des fonctionnaires. Certains parmi nos voisins sont hauts placés. Nous aussi d’ailleurs. Mon époux est l’exdirecteur de l’Entreprise sur les recherches isotopes. ZHOU JIAXIAN. Nous nous sommes souvent réunis avec les voisins pour trouver une stratégie. La particularité de notre quartier réside dans sa multiplicité. Je m’explique. Les immeubles du Troisième quartier de Sanlihe appartiennent à plusieurs administrations ou entreprises d’Etat8. Il y a les Premier et Second Ministères de l’industrie et des machines, le Ministère des Finances, l’Académie chinoise des sciences, le Bureau d’Etat de topographie et de cartographie, et finalement le plus important, la Commission pour la planification d’Etat. Les lois sur l’expropriation des immeubles urbains concernent les projets de destruction entrepris par une seule entité. Mais lorsqu’il y en a plusieurs comme ici, cela devient illégal. WANG YUFEN. Nous savons tous que les terrains appartiennent à l’Etat en Chine, mais cela se complique lorsque différents organes de l’Etat entrent en conflit. Nous en avons profité pour stopper la destruction du quartier. Malheureusement, face à l’Etat, nous ne sommes jamais sûrs de l’issue du combat. La plupart ont déménagé, achetant des appartements en périphérie. Nous avons choisi d’y rester et de nous battre. Nous avons même entrepris des travaux de rénovation il n’y a pas longtemps, je crois que nos voisins doivent nour prendre pour des fous. Le vieil homme se lève. ZHOU JIAXIAN. Il fait encore jour. Nous devrions en profitez pour vous faire visiter un peu. LE TOURISTE. Bien volontiers. Ils arrivent à nouveau dans la cour. WANG YUFEN. Plus personne ne s’occupe aujourd’hui des cours et des jardins. Je me souviens de ces beaux massifs de fleurs qui nous illuminaient durant le printemps. LE TOURISTE. C’est vrai que ce quartier pourrait être vraiment agréable à vivre. Il est bien situé, proche des commerces, ombragé par une riche végétation durant l’été. ZHOU JIAXIAN. Et il possède une valeur historique! Je ne comprends pas pourquoi personne n’a jamais considéré les logements collectifs soviétiques en tant que patrimoine. Regardez ces structures de béton sur les façades des immeubles. Ils ont été ajoutés après le terrible tremblement de terre de Tangshan en 1976. Ce sont des témoins de notre Histoire. Ils parviennent au Nord du quartier. S’y érige une imposante barre de logements de seize étages dont le chantier est presque achevé 9. Le touriste reconnaît le directeur

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8. Façade du complexe administrattif de Sanlihe.

Complexe administratif de Sanlihe, reconnaissable par sa grande toiture verte «à la chinoise». Il a été dessiné suivant les conseils d’experts soviétiques. En 1952 débutèrent les débats sur la construction des complexes des administrations des organes gouvernementaux. Deux solutions se distinguèrent. La première prévoiyait d’installer le gouvernement central au cœur de la ville historique et s’éparpillers les autres ministères à l’extérieur. La seconde solution, celle de Liang Sicheng, était de regrouper tous les organes officiels à l’extérieur de la ville historique, à l’emplacement de l’actuel complexe administratif de Sanlihe.

9. Nouvelle barre de logement construite en 2010 en contraste avec les logements collectifs soviétiques. 2011.


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Yang, avec un casque jaune sur la tête. Une douzaine d’hommes l’accompagnent dans l’inspection du chantier. DIRECTEUR YANG. Vous avez fait un bon travail! Si seulement ce quartier se transformait de la sorte. Ce n’est plus acceptable qu’à un quart d’heure à pied de notre magnifique Musée de la Capitale, l’on puisse encore trouver de telles taudis! LES AUTORITES DU DISTRICT DE XICHENG. Ce vieux quartier de logements soviétiques tombe en ruine. Les bâtiments que nous avons repeints semblent encore acceptables mais le reste ne ressemble plus à rien. Nous devrions tout raser, mais les propriétaires de ces logements ne sont pas n’importe qui et surtout ils ont beaucoup de Guanxi*. DIRECTEUR YANG. Oublions cela. Ils finiront bien par craquer un jour. Le groupe d’hommes entrent à l’intérieur de l’immeuble en chantier. Le vieux couple ne semble pas avoir vu, ni entendu la conversation des officiels. Le touriste en est rassuré, il ne voudrait pas qu’ils se fâchent et fassent un malaise, encore moins que les autorités ne s’en prennent à eux. ZHOU JIAXIAN. C’est ça qu’ils veulent construire! Vous voyez la différence. Si ce quartier se transforme de la sorte, ça en sera fini de notre vie de quartier. Sanlihe se transformera comme ces nouveaux quartiers de promoteurs où les gens s’entassent comme dans des poulaillers. Si tous les appartements étaient rénovés comme le nôtre, en y apportant un minimum de confort, ce quartier pourrait renaître de ses cendres. LE TOURISTE, regardant sa montre. Mince! Je n’ai pas vu l’heure passer. Je dois encore retourner à l’hôtel faire ma valise. Mon vol de retour est pour demain. J’espère sincèrement que vous arriverez à sauver Sanlihe de la destruction. Au revoir! Le touriste fait signe à un taxi de s’arrêter. Alors qu’il monte dans le véhicule, la vieille dame retient la porte pour lui souffler quelques derniers mots. WANG YUFEN. Sur votre route vers l’aéroport, demandez donc au taxi de faire un détour vers Caochangdi. Le taxi démarre. Le touriste se retourne pour voir s’éloigner la silhouette de ce vieux couple à travers le pare-brise. SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE, le touriste s’avance vers le pupitre et met en marche le rétroprojecteur. Je comprends mieux aujourd’hui. Je ne réalisais pas encore à quel point, le contexte juridique d’un pays pouvais influer sur le développement urbain. Nous avons tous une notion plus ou moins profonde de la propriété en Chine. L’instauration du communisme en Chine a été marqué par l’abolition quasi-

*Guanxi: Relations en chinois. Ce terme est très couramment employé.


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10. Quartier de logements collectifs de Jiuxianqiao au Sud du 798 Art District. Il a été construit pour loger les ouvriers du Quatrième Ministère de l’industrie et des machines (industrie militaire). Même si les propriétaires sont beaucoup plus modestes que ceux de Sanlihe, le quartier possède des espaces publics bien entretenus qui bénéficient de quelques équipements urbains. Le quartier n’est pas sous la menace d’une éventuelle destruction.


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totale de la propriété privé. Mais depuis la réforme économique initiée par Deng Xiaoping, la propriété privée a été réintroduite. Aujourd’hui de manière générale, tous les terrains appartiennent à l’Etat. Il est possible de louer le terrain pour une durée qui peut atteindre 70 ans au maximum selon la fonction de la construction. Mais les bâtiments construits sur les terrains d’Etat jouissent du statut de propriété privée. Pourtant ce n’est finalement qu’en 2007 que la loi sur la propriété a été introduite. Auparavant, la propriété privée ne possédait pas vraiment de fondement. Lorsque le flou règne sur la propriété privée, il n’est pas étonnant que l’expropriation soit une autre inconstance. Ce n’est que récemment que le droit des expropriés ait commencé à être protégé. Généralement, lorsqu’il s’agit de l’expropriation d’immeubles urbains, l’expropriant doit solliciter un permis de démolir comme condition préalable auprès du gouvernement de district. Il s’agit souvent de promoteurs immobiliers auxquels l’Etat concède le droit d’usage sur les terrains expropriés. L’aspect qui touche principalement les habitants est sans doute la question de l’indemnisation. Après la multiplication des cas de maisons clous*, la Constitution chinoise de 2004 protège le droit des expropriés à percevoir une compensation. L’exproprié doit bénéficier d’une compensation financière ou d’un relogement. Cependant ce sont souvent les montants des indemnisations ou les conditions du relogement qui sont sujets à conflits. L’actuelle bulle immobilière rend le relogement encore plus difficile aux expropriés. Les vagues de construction sous l’époque maoïste ont créé de nombreux quartiers de logements collectifs en dehors de la ville historique. Alors qu’ils étaient en pleine campagne, ils sont aujourd’hui placés au cœur de la ville. Les autorités ignorent le potentiel de ces quartiers densément peuplés qui bénéficient d’un cadre de vie agréable proche de toutes commodités. Il en faut peu pour requalifier ces quartiers vieillissants et leur redonner une nouvelle jeunesse10. Ce n’est pas en détruisant les logements du centre pour reconstruire des bureaux et du commerce que la ville réussira à désengorger le traffic routier et résoudre le problème de la pollution.

*Maison clou: Une maison que le propriétaire refuse de céder ou de quitter en dépit de son inclusion dans un projet immobilier conditionné par la libération de la totalité des terrains alentour.



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2001/01 Le village Caochangdi, coincé entre une voie ferrée à l’Est et l’autoroute de l’aéroport au Nord-Ouest, possède encore sa configurationd’origine, composée de maisons traditionnelles rurales à cour. Seul existait l’atelier de Ai Weiwei, puis le China Art Architves & Warehouse construit en 2000. 0

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2002/09 Chantier du 5e anneau périphérique et de son intersection avec la voie express de l’aéroport.

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2004/11 Fin de la construction du 5e anneau périphérique et de son intersection. Multiplication des chantiers au coeur du village de Caochangdi.


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2005/01 Construction des cours no 104 (Gallerie Urs Meile) et 105. Construction d’une nouvelle fabrique au Sud de Caochangdi. Les chantiers s’exportent à l’Est de la voie ferrée.

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2006/02 Les cours 104 et 105 sont achevées. Le succès de la transformation du village urbain attire de nouveaux artistes et c’est le début de la construction des 17 studios pour artistes. Fin des travaux d’une nouvelle route au Nord du village.


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2007/04 Des petits chantiers se multiplient dans le village historique. DÊbut des travaux de la Red Brick Art Galleries au centre, ainsi que de la gallerie Three Shadows au Nord du village. Inauguration d’une route au Sud du village. 0

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2008/05 Les chantiers continuent dans le village qui commence Ă atteindre la saturation.


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2009/06 Les parcelles sont quasiment toutes occupĂŠes. Quelques chantiers pour densifier le tissu existant.

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2010/09 Le village atteint sont ĂŠtat de saturation actuel.





1. Une des rues principales qui traversent Caochangdi. Elle marque une nette séparation entre le village d’origine et le nouveau village de galeries et d’ateliers d’artistes (bâtiment à gauche: Red Brick Art Galleries)

Les personnages sont réels. Le récit est fictif, il sera l’outil employé pour mettre en exergue l’équilibre des forces qui génèrent le nouveau tissu urbain de Pékin.

PERSONNAGES Ai weiwei Aric Chen, curateur et correspondant Meg Maggio, galleriste directrice du Pékin Fine Arts Les Autorités locales Le Chauffeur de taxi Jérémie Descamps, urbaniste installé à Pékin depuis une dizaine d’années Les Ouvriers migrants Le Touriste Xiaoliu, constructeur surnommé XL


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Sixième tableau CAOCHANGDI ҫӍ‫׀‬

L’art du village urbain Aprés avoir emprunté la voie express de l’aéroport, le taxi biffurque vers une petite sortie juste après avoir croisé le cinquième anneau périphérique. On aperçoit un village caché derrière une rangée d’arbres récemment plantés. Caochangdi est ce qu’on appelle aujourd’hui un village urbain, un village rural rattrapé par l’étalement urbain. Il possède la particularité d’avoir été investi par des artistes et galleristes depuis la fin des années 1990, un mouvement initié par Ai Weiwei par la construction de son studio de travail. Le taxi se gare dans une ruelle animée et délabrée, parsemée de débris de chantier1. Depuis les bouis-bouis s’entendent des discussions animées.

LE TOURISTE, pensif. Mon estomac commence à gargouiller. Dîtes-moi, vous ne connaitriez pas un restaurant2 correct ici? LE CHAUFFEUR DE TAXI, indiquant un restaurant de quartier au coin de la rue quasiment plein. Celui-ci est honnête, vous y trouverez une soupe et deux plats pour une vingtaine de yuans. A l’intérieur se chamaillent une trentaines d’hommes encore poussiéreux, probablement tout droit sortis d’un chantier. Le touriste se pose discrètement à une table libre à l’entrée, en compagnie du chauffeur. LES OUVRIERS MIGRANTS, gueulant. XL! XL! Raconte nous encore une fois comment tu es devenu millionnaire! XIAOLIU. Arrêtez de m’appeler XL! J’suis pas grand, alors arrêtez de m’appeler comme ça! Vous ne dîtes que des sottises. J’suis loin d’être un millionaire. Il cache difficilement un sourire de satisfaction au coin de sa bouche. J’suis comme vous les gars! J’viens de la province, d’un village perdu dans la province de Anhui. J’suis arrivé à Pékin en 2002. J’avais pas de hukou* alors j’me suis installé ici à Caochangdi. Il se trouve que les artistes à cette époque, ils avaient besoin de main d’oeuvre pour construire leurs sculptures et installations.

*Hukou: Permis de résidence. L’Etat chinois utilise le Hukou comme moyen de contrôle des flux migratoires.


2. Terrasse des restaurants de Caochangdi un soir d’été. 2011.

3. Red Brick Art Galleries. 2008.


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J’avais sept, huit hommes qui m’aidaient. On travaillait dur, comme aujourd’hui d’ailleurs. C’est comm’ça les gars qu’on gagne not’pain, c’est en travaillant dur. Une bonne journée de travail, ça dure douze heures! Si on travaille pas comm’ça, on arrivera jamais à envoyer de l’argent à notre famille. LE TOURISTE, intrigué. Pour qui avez-vous travaillé? XIAOLIU, surpris mais décontracté. Vous n’êtes pas du coin vous. J’ai travaillé pour Ai Weiwei. Vous savez, il a été le premier artiste à venir travailler dans le village. C’est lui qui nous a apporté du boulot. Pas vrai les gars? Approbation générale. LE CHAUFFEUR DE TAXI, rigolant. Il ne conduit pas, il paraît qu’il a choisi de s’installer ici pour la présence de nous autres conducteurs de taxi. Même si nous sommes loin du centre, nous sommes proches du 798 Art District et de l’aéroport. Pratique pour ces collectionneurs étrangers qui viennent ici de temps à autre. Le boucan reprit de plus bel, les bouteilles de bières vides s’amoncèlent dans les caisses. Xiaoliu et ses employés ont vite fait d’oublier l’intrus. Le touriste finit son bol et sort du restaurant. Il se promène dans les ruelles étroites du village sans vraiment savoir où aller. Un bâtiment imposant de briques rouges et structure béton attire sa curiosité. Depuis l’entrée, il aperçoit un couple branché s’entretenir autour d’une coupe de champagne. ARIC CHEN. Ai Weiwei a réussi son pari! En 2000, il n’y avait que son studio et le China Art Archives and Warehouse, une gallerie tenue par ses amis. Ils sont restés quelques années sans que rien ne se passe. Puis tout d’un coup, les galleries3 ont inondés le village à partir de 2005. MEG MAGGIO. Nous le croyions tous fou à l’époque. Caochangdi à l’époque, c’était la campagne! Et pourtant, j’y ai emménagé en 2008 dans les studios dessinés par Monsieur Ai, ces beaux bâtiments de briques grises inspirés des constructions traditionnelles des hutongs pékinois. ARIC CHEN. Je crois que la construction en 2004 de l’imposant Musée du Film Chinois5 par les autorités n’est pas innocente dans cette affaire. Cela a sûrement fini par convaincre les galleries encore réticents. MEG MAGGIO. Personnellement ce qui a fini par me convaincre, c’est l’installation du gaz, des réseaux d’égoûts. Nous avions finalement les conditions sanitaires pour y travailler correctement. ARIC CHEN. Je me suis toujours demandé pourquoi la construction du 5e anneau périphérique n’a pas entrainé la destruction de Caochangdi4. Si tu regardes bien la forme de l’intersection avec la voie express de l’aréroport, elle est très asymétrique. C’est comme si que tout avait été fait pour protéger le village. Mais pourquoi? à l’époque, il n’y avait que des paysans, des ouvriers migrants et

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3e anneau

4e anneau

5e anneau

4. Intersections des anneaux périphériques avec la voie express de l’aéroport.

5. Musée du Film Chinois

2001

6. Transformation de la structure urbaine de Caochangdi

2010


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Ai Weiwei. Pour les intersections avec les 3e et 4e anneaux périphériques, ils se sont pas donné cette peine. MEG MAGGIO. J’ai bien peur que cela nous dépasse. Il peut y avoir des raisons économiques sous couvert de pot-de-vin tout comme il pourrait s’agir d’une décision politique. En tout cas, il ne faut pas oublier la relation ambigüe que les autorités entretiennent avec le monde de l’Art. Le secteur culturel a eu une croissance explosive avec le développement de nos voisins du 798 Art District. C’est le secteur qui rapporte le plus. Mais à leurs yeux, les artistes sont dangereux. L’émergence de quartiers artistiques comme 798 Art District ou Caochangdi Village sous la tutelle des autorités culturelles du district, c’est définitivement une manière pour eux de nous surveiller de près... Le touriste s’éloigne du bâtiment de briques rouges et longe les ruelles sinueuses du village. Malgré la mauvaise qualité des constructions, la plupart des édifices semblent récents. Dans le sens contraire s’approche un homme qui se démarque de la foule par sa grande taille. Son appareil photo mitraille sans cesse. LE TOURISTE, à part. Serait-ce un autre touriste? Le touriste reconnaît le visage de Jérémie Descamps et s’approche d’un pas ferme pour le saluer. JEREMIE DESCAMPS. Quelle heureuse surprise de vous retrouver ici! Je vois que votre obsession vous a amené dans ce village urbain. Vous devez probablement avoir déjà remarqué ce qui s’y est déroulé. La structure du village a été dilapidée. Les autorités du ditrict ont appliqué à la lettre et de manière brutale le schéma directeur de 2004. Ils ont été incapables de comprendre les qualités du tissu rural, et ont détruit en deux, trois ans toute la structure originale6 dans le but de gagner quelques étages supplémentaires. Il aurait été pourtant l’occasion de révéler le caractère du village, mais le béton a tout écrasé. Des bruits de pas s’approchent rapidement des deux hommes. Au coin d’une ruelle surgissent un groupe d’hommes sérieux. LES AUTORITES DU DISTRICT DE CHAOYANG. Encore des étrangers qui critiquent sans fondement. Le village de Coachangdi était un malheureux village de paysans peu productif. Il était rattrappé par l’urbanisation et il fallait trouver une solution pour l’intégrer dans le contexte urbain d’aujourd’hui. Le schéma directeur de 2004 stipulait clairement la nécessité de résoudre les conflits entre les territoires urbains et ruraux. Nous avions adopté une stratégie de développement durable qui a garanti la préservation du village et de ses ruelles tout en injectant un secteur inédit, celui de l’art. Par sa position stratégique entre le 798 Art District et l’aéroport, le village pouvait entièrement satisfaire les besoins des galleries internationales, par sa visibilité et son accessibilité... AI WEIWEI, surgissant d’un atelier avec sa barbe imposante. Qu’ils sont gras ces vautours! Vous vous attribuez toute la gloire. Assez de cette langue de bois! Personne ne croyais au potentiel de ce village. Lorsque je suis rentré des EtatsUnis en 1993, les autorités étaient en train d’évacuer le quartier artistique de

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7. Le gouvernement attribue à Caochangdi l’appellation de zone artisitique. Transformation du village.

9. Cour extérieure de Three Shadows Photography Center, conçu par Fake Design. 2008.


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Yuanmingyuan. La trop grande proximité du milieu artisitque avec le quartier universitaire vous dérangeait, cela faisait parti des mesures restrictives qui résultent directement du 4 juin*! LES AUTORITES DU DISTRICT DE CHAOYANG, haussant la voix. Attention à ce que vous dîtes! Ne dîtes rien que nous regretterions tous! AI WEIWEI, impassible. Je devais alors trouver un lieu de travail. Je ne pouvais pas travailler chez mes parents, dans ce siheyuan du quartier de Gulou. Il me fallait un lieu où le transport n’est pas un problème, je ne conduis jamais. C’est alors que j’ai trouvé ce village de paysans, d’entrepreneurs et de chauffeurs de taxi. J’y ai bâti mon studio et le CAAW. Et puis aujourd’hui, nous voyons tous le résultat. Ce n’est pas quelques pancartes et slogans officiels7 qui ont attiré les galleriste mais bien la qualité des premiers projets9 que j’ai conçu avec mon bureau Fake Design8. LES AUTORITES DU DISTRICT DE CHAOYANG. Comme toujours Monsieur Ai, vous êtes bien prétentieux. Sans les améliorations infrastructurelles que nous avons apporté à ce village, je doute que vos galleristes soient venus. AI WEIWEI. Ne pensez-vous pas que ce soit plutôt le réseau artistique que j’ai réussi à créer dans ce village qui a permis de les attirer? Mais non! Suis-je bête, c’est le béton craquelé des nouvelles baraques et le goudron lisse des nouvelles rues qui les ont attirés du monde entier! LES AUTORITES DU DISTRICT DE CHAOYANG. Je crois que vous feriez bien de venir faire un tour en notre compagnie Monsieur Ai. Deux hommes aux visages sérieux se détachent du groupe pour aller aggriper les deux bras de Ai Weiwei. Il demeure impassible et ne se défend pas. Le groupe d’hommes se referme doucement sur lui. On ne distingue déjà plus sa silhouette imposante. Le cortège disparaît peu à peu dans les méandres des rues de Coachangdi, laissant à nouveau seuls le touriste et Jérémie Descamps. JEREMIE DESCAMPS. A peine qu’il en sort, il y retourne déjà. Je ferai bien d’aller surveiller les blogs... Le touriste se retrouve alors complètement seul. Il continue vers la rue où le taxi l’avait liassé. Il est temps de prendre un taxi s’il ne veut pas rater son vol de retour. SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE, le touriste s’avance vers le pupitre et met en marche le rétroprojecteur. Maintenant que je suis de retour, je comprends mieux. Le village de Caochangdi a connu un premier développement très caractèristique des villages urbains en Chine. Etant à l’origine un village agricole isolé, il était formé de logements de faible hauteur. C’est probablement la construction des nouveaux axes routiers qui ont initié sa mutation. La construction dans un premier lieu de la voie express de l’aéroport, puis de l’intersection avec la cinquième périphérique lui ont donné une grande importance géographique. Cependant, contrairement

*4 juin: Le 4 juin 1989 a été la date de la répression des manifestation de Tian’anmen, lors du Printemps de Pékin.


10. Schéma extrait de l’article «New Village=Village in City», in Urban China, Work in progress, p.48-49.


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aux autres villages urbains, Caochangdi n’a pas attendu de se faire rattrapper par l’urbanisation pour se densifier. L’arrivée des ateliers d’artistes et des galleries a donné une centralité au village de Caochangdi. Le secteur de l’art a entrainé l’apparition de nouvelles demandes et toute une économie nouvelle s’est mise en place. Les autorités ont commencé à prendre conscience du potentiel du marché de l’art et ont appuyé l’essor de Caochangdi par la suite. Le brassage social y est important. Les populations flottantes côtoient les amateurs, les artistes et les galleristes. Les populations flottantes sont les populations sans hukou ou permis de résidence. Vivant dans l’illégalité, il s’agit souvent de migrants originaires de la campagne. Ne bénéficiant pas de prestations sociales, ils vivent dans des taudis moyennant un minimum de loyer. Le cas de Caochangdi est intéressant dans la mesure où les galleries et les artistes fournissent du travail à ces populations. Les ouvriers migrants ont ainsi l’opportunité d’obtenir un travail à proximité de son logement. Bien que les logements ruraux d’origine aient quasiment tous disparus, le développement du village de Caochangdi ne s’est pas réalisé sans ses habitants. Les galleries et les ateliers se sont principalement construits en-dehors du noyau d’origine, sans destruction ni expropriation d’envergure. Le tissu urbain a ainsi été relativement bien préservé. Cette approche est mise en péril par les politiques de construction d’infrastructures routiers de la part de l’Etat. Mais Caochangdi a été plus ou moins protégé, étant coincé entre les voies express et les chemins de fer. Evidemment, les nouveaux immeubles du centre du village sont sans grand intérêt. Par contre le dynamisme urbain que connaît le village est incontestable. J’espère que ce périple à travers ces six situations a permis de vous éclairer sur le phénomène de destruction et reconstruction, de comprendre les enjeux du renouvellement urbain de cette dernière décennie dans la ville de Pékin. Y a-t-il des questions? UN AUDITEUR. Votre conférence m’a permis de réaliser jusqu’à quel point le contexte de la ville chinoise est différent. J’ai l’impression que la manière de concevoir la ville varie vraiment au cas par cas. Nous avons pu voir à travers les exemples que vous avez analysés que la planification est sujette à interprétation de la part des autorités qui l’appliquent, mais aussi de la part des autres acteurs qui peuvent être très influents. Tout ceci pour vous demander: est-ce que votre étude de la ville chinoise, et plus particulièrement de la ville de Pékin, vous a permis de développer une méthode? J’ai l’impression que personne ne parvient encore à trouver des solutions dans une ville chinoise qui se transforme aussi vite. L’ARCHITECTE. Dans des situations telles que le parc olympique où le débat est dominé par un objectif détaché des enjeux urbains, le résultat peut être désastreux. Ne vous méprenez pas, en aucun cas je n’ai voulu faire une critique d’un système. Au contraire, j’ai essayer de faire ressortir à travers ces différentes situations un mécanisme qui engendre la nouvelle ville chinoise.

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Merci Ă tous ceux qui ont rendu possible la rĂŠdaction de cet ouvrage, qui renferme enthousiasme, passions et tristesse.


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