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“Enquête sur le / notre dehors (Valence-le-Haut)” par Catherine Chevalier

Fontbarlettes est le nom d’un quartier de Valence composé de barres HLM construites au début des années soixante pour accueillir des rapatriés de la guerre d’Algérie et des ouvriers émigrés. Situé sur un plateau venteux au-dessus de la vallée du Rhône (« le troisième plateau »), il est relié en ligne droite au centre de Valence par une route de quelques kilomètres qui traverse les anciens faubourgs de la ville. C’est dans une salle de ce quartier qu’Alejandra Riera a présenté les 4 et 5 mai derniers le film-document 1 « Enquête sur le / notre dehors », forme que prend la recherche qu’elle a menée à Fontbarlettes ces cinq dernières années dans le cadre d’une commande formulée par des habitants du quartier 2. S’opposant à la fois aux représentations misérabilistes de la banlieue de la gauche et à celles, alarmistes et sécuritaires de la droite, elle entend par ce film proposer une « image de pensée collective du lieu que l’on habite ». Les émeutes de 2005 symbolisées par des images de voitures qui brûlent semblent bien lointaines et rien n’a vraiment changé en termes de représentation des banlieues en France qui, dans le registre journa­listique, se trouvent reléguées aux mêmes régimes d’images-clichés : traces de dégradations, jeunes en sweats à capuches, coursespoursuites avec les équipes de la BAC, trafics de drogue dans les cages d’escalier, etc. ou encore à des entretiens où les questions informent toujours le même type de réponse de la part des habitants assignés à des rôles pré-établis. L’un des premiers plans du film, incongru, qui montre une pierre imposante sur un parking, annonce comment nous serons détournés du paysage visuel habituel des banlieues.

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Photogramme du film Enquête sur le / notre dehors (Valence-Le-Haut) d’Alejandra Riera.

Alejandra Riera propose de repenser avec les habitants la séparation instituée entre le centre et la périphérie en travaillant à partir de leurs propres expériences du lieu. Ainsi s’ouvre un autre espace de narrations possibles, où le « dehors » se voit décrit par les habitants mêmes, où ils peuvent parler eux-mêmes de « ce qui reste inobservé ». Mais, comment s’en donner les moyens sans tomber dans les travers didactiques ou dogmatiques des recherches institutionnelles ? Alejandra Riera a travaillé avec un groupe d’habitants du quartier, rencontré grâce à l’association Le MAT. Elle a organisé des projections de films suivies de discussions, les a suivis dans leur vie quotidienne, a accompagné leur participation filmique ou textuelle, a constitué une archive photographique et retranscrit

ŒUVRE

les conversations. Le film-document se construit d’abord ainsi au travers des projections des fims Ici et ailleurs de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville, Les mains négatives de Marguerite Duras, et Chroniques d’un été d’Edgar Morin et Jean Rouch et des réactions qu’ils ont suscitées dans le groupe. Comment faire pour que les habitants rencontrés s’approprient ces films, qui tous traitent de la relation entre vie quotidienne et conscience politique ? Comment retrouver le « monde des usages, langues, savoirs, odeurs, théories, angoisses, conspirations, rêves… » 3, le monde des affects et des sensations que formulerait une image de pensée collective du lieu ? Les habitants ont, à leur tour, filmé, pris la parole, analysé les films, raconté leur propre histoire et celle de leur quartier. On comprend que la caméra a circulé lorsqu’on voit de dos une des participantes, Amel Osman, et ses deux enfants qui regardent le film Ici et ailleurs assis dans un canapé. La scène a été filmée grâce à une caméra fixe qu’Amel a installée dans le salon. En voix off, on entend les voix de Godard et Miéville, et la voix d’Amel qui lit un texte de sa main. Elle y parle des images qui doivent laisser place à la parole alors que le film confronte un groupe de révolutionnaires palestiniens avant la guerre de Six Jours à une famille parisienne devant son téléviseur dans les années soixantedix, et analyse les stratégies cinématographiques de la propagande. Le film suit aussi la trame des quatre éléments : l’eau, la terre, le feu, l’air qu’Alejandra Riera a proposés comme autre piste de réflexion car « il faut s’appuyer là où ça bouge, à ces éléments qu’on n’a pas choisis, à ces éléments qui ramènent ailleurs. » 4 L’eau relie

“Enquête sur le / notre dehors…” PAR Catherine Chevalier


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