Mémoire - Scénographie des Cultures Urbaines, de l'appropriation à la récupération.

scénographie des

cultures urbaines DE L’APPROPRIATION À LA RÉCUPÉRATION

préambule Le préambule est bien le seul espace de ce mémoire où vous lirez ma pensée la plus brute, ‘‘le premier jet’’ comme on l’appelle et j’ai tenu à écrire ces quelques lignes pour remettre les choses dans leur contexte.

En 2011, je me découvre une passion pour le Hip-Hop et plus particulièrement pour le Rap. Depuis, j’en écoute toute la journée. En 2018, d’après l’application sur laquelle j’écoute ma musique, j’ai passé plus de 83 951 minutes à écouter de la musique et majoritairement du Rap. Petit à petit je me suis mis à écrire et à rapper mes propres textes sous le pseudonyme de Guesh.

En 2013, durant mes années lycée je me découvre une autre passion, celle de la scène. Que ce soit dans le cadre d’une pièce de théâtre ou d’un concert de rock, j’adorais être sur scène, vivre ce moment. J’ai fondé un groupe de rock alternatif avec des amis, et fait du théâtre. Je garde de très beaux souvenirs de ces années là et des gens que j’ai rencontrés.

En 2015, je débute mes études d’architecture avec déjà dans mon sac à dos une passion pour la musique, les arts du spectacle, les sciences et l’architecture. Depuis ma première année j’étais convaincu que je voulais faire de la scénographie et ce de n’importe quelle manière. En fin de troisième année j’ai entrepris de traiter du sujet de ‘‘L’Élégance de la Réflexion Intellectuelle’’ dans le cadre de mon rapport de Licence, sujet qui mêlait Mathématiques, Musique et Architecture.

En entrant en Master 1 et en m’inscrivant au Séminaire de Scénographie, j’étais convaincu d’une seule chose: le Hip-Hop devait faire partie de mon sujet de recherche. Aucune autre possibilité. De fil en aiguille, après quelques recherches et réflexions j’en suis arrivé au sujet et aux questionnements que vous découvrirez dans les pages suivantes. La même année, j’ai publié sur internet mon premier album, composé de 5 titres.

Je considère ce mémoire comme l’aboutissement de mes passions, de toutes mes réflexions et de tout mon travail. J’y ai mis mon cœur, mes nuits et mon âme. ‘‘I want to thank me for believing in me, I want to thank me for doing all this hard work’’ Snoop Dogg à la cérémonie d’inauguration de l’étoile à son nom sur Hollywood Boulevard, 2018

Je vous souhaite une bonne lecture.

Je tiens tout d’abord à remercier, ma directrice de mémoire Mme MAZLOUMAN Mahtab, pour son temps, sa patience, sa compréhension mais surtout pour son intérêt constant face au sujet que j’ai choisi de traiter.

Je remercie également tous les professeurs qui ont croisé mon chemin durant ces cinq années au sein de l’ENSAPLV et pendant mon parcours scolaire plus généralement. J’ai pu m’imprégner de la pédagogie de chacun d’entre eux et c’est ce qui fait l’étudiant que je suis aujourd’hui.

Merci à toutes les personnes qui ont de près ou de loin participé à l’aboutissement de ce travail, en discutant, en partageant et en débattant autour de ce sujet. Merci à eux.

Merci à ma famille, mes parents, mes amis, ma compagne, pour leur soutien constant, inconditionnel et qui ont toujours cru en moi depuis tant d’années.

Sans eux je ne suis rien.

À toi, Mimo.

MÉMOIRE Présenté par: LARGUECHE Youssef Yacine | N° 16972 Janvier 2020 ARTS ET ESPACES MSO803B: Scénographie et architecture: la scénographie, un art du lieu Sous la direction de Mme. Mahtab MAZLOUMAN

Ministère de la Culture École nationale supérieure d’architecture de Paris la Villette 2019/2020

sommaire

Introduction

p.13

I. Naissance d’un mouvement

p.21

A. La source - Les États-Unis

p.22

A.1. Contexte - Le cadre - Les racines - La guerre et la paix

p.22 p.25 p.27 p.29

A.2. Naissance - Le commencement - Le parrain - Concrétisation

p.32 p.35 p.37 p.38

B. L’export - La France - Pays différents, même combat - L’arrivée en France - Des lieux mythiques - Transformer les rues - Radio

II. La rue comme catalyseur - La rue, un berceau - Les dimensions politiques - Des rapports humains

p.40 p.43 p.45 p.46 p.47 p.48 p.50 p.53 p.56 p.58

III. De l’extérieur vers l’intérieur A. L’espace urbain réapproprié - La vie à l’extérieur -Terrain Vague de la Chapelle - La place du Trocadéro

B. Les espaces scéniques adaptés - La vie à l’intérieur - Le Bataclan - Le Bataclan II

p.63 p.65 p.69 p.81 p.95 p.97 p.109

IV. Indépendance et émancipation

p.123 p.127 p.139

Conclusion

p.153

Bibliographie et Iconographie

p.161

- Dans le Club - Rentre dans le Cercle

Introduction

Définition Ensemble des procédés artistiques, sportifs et culturels provenant de l’espace urbain.

Source : www.linternaute.fr

L’expression ‘‘Cultures Urbaines’’ renvoie directement à la culture Hip-Hop. Ce mouvement culturel et artistique, issu des quartiers populaires est un mouvement culturel rassemblant trois principaux pôles: musical (‘‘Le style comme science’’), tout d’abord avec le Dj-ing et plus tard avec le rap; corporel avec le break dance (‘‘Le style comme agression’’) ; et graphique avec le tag, le graff (‘‘Le style comme défi’’).

Elles s’expriment aussi par un langage (le verlan, l’argot), une gestuelle, un style vestimentaire (le street-wear) et par un style de vie particulier. Liées à un mode de vie urbain, les cultures urbaines portent en elles une philosophie complète, avec ses valeurs, ses engagements, ses codes, et ses rythmes.

On parle d’un ‘‘mouvement’’, car à l’instar d’autres mouvements artistiques ou littéraires, le Hip-Hop a créé une réelle révolution chez les jeunes de cette époque et continue d’influencer la jeunesse et le monde jusqu’à aujourd’hui. On utilise par défaut le pluriel pour désigner cette culture particulière car ses limites et sa définition ne sont pas encore bien définies. Les institutions ont encore du mal à accepter ce mouvement et à le reconnaître en tant que tel, car il sort des codes ‘‘classiques’’ de la culture française.

15

Les cultures urbaines sont aujourd’hui, à travers le monde, le mouvement artistique le plus influent. Nous retrouvons leur influence dans de nombreux domaines artistiques et professionnels. Le Rap est la musique la plus écoutée par les jeunes depuis presque une décennie. Une réelle industrie s’est construite autour de ce mouvement.

C’est donc naturellement que durant mon adolescence j’ai commencé à m’intéresser à ce mouvement et à sa musique. Musicien moi-même, j’ai rapidement pu apprécier la profondeur du mouvement, sa richesse, ses valeurs. Le rap constitue aujourd’hui ma principale passion. À mon arrivée à Paris en 2015, je fus totalement plongé dans cette culture et dans son univers. J’ai pu approfondir mes connaissances sur le sujet et découvrir de nouveaux artistes.

Bien qu’étant au fait de l’actualité musicale rap, je n’avais jamais entrepris de découvrir l’histoire de ce mouvement. Pour en apprendre plus, je me suis dit que la meilleure manière était d’écouter la musique créée aux origines de la culture, en France comme en outre-Atlantique. Petit à petit je remarquais que certains sujets revenaient dans les morceaux: l’argent, la misère, les problèmes sociaux et financiers, la famille, l’amour, la haine... mais un sujet en particulier attira mon attention car il apparaissait comme être un point de départ mais aussi de convergence: la rue.

La rue, au travers de la musique, est dépeinte comme l’espace où tout a lieu: des règlements de comptes aux mariages en passant par les soirées. Cet espace se présente comme un lieu important pour les différents acteurs du mouvement et pour leur art. La rue a autant d’importance pour un rappeur qu’un théâtre pour un acteur.

Les différents artistes que j’ai pu écouter et dont j’ai pu apprendre, ont tous parlé de la rue comme un lieu et non pas juste un espace de circulation. Comme si la rue était devenue elle-même un réel lieu avec ses propres caractéristiques. D’un autre côté, bien qu’ils revendiquaient la rue comme leur appartenant, ils ne manquaient pas de préciser aussi qu’ils tentaient d’en sortir par tous les moyens. Cette ambivalence va soulever de nombreux questionnements chez moi dont une question importante: comment continuer de s’approprier la rue et l’espace qu’elle propose alors que la seule envie était de quitter cet endroit ?

Ils n’avaient pas le choix.

16

De là j’ai commencé à étendre cette réflexion sur tous les aspects de cette culture.

J’ai commencé à m’intéresser à la mise en scène des clips de rap, aux messages passés à travers le rap, à l’évolution du rapport à la rue, à l’évolution du mouvement et du style. Cette culture a énormément évolué depuis son arrivée en France, au niveau artistique, économique et même technique. Son ampleur aujourd’hui lui permet de rayonner à un niveau mondial mais aussi de devenir une référence au niveau artistique et même scénographique. À ses débuts la culture urbaine n’avait pas forcément de réels codes scénographiques, elle s’adaptait à ce que son milieu lui proposait, à ce que l’espace urbain lui proposait. C’est une toute nouvelle sorte de scénographie qui vit le jour, celle née de l’appropriation de la rue. Les artistes vont eux-mêmes entreprendre cette réappropriation de l’espace urbain en proposant eux-mêmes leur propre scénographie dans le seul lieu où ils ont accès gratuitement: la rue.

De nos jours, que ce soit lors de concerts de Rap, d’expositions d’art, et d’autres manifestations, la scénographie prend une place très importante dans la conception de ces évènements. Les racines urbaines sont toujours présentes et les artistes n’hésitent pas à nous le rappeler massivement dans leurs clips et chansons.

Le mouvement Hip-Hop est considéré aujourd’hui comme une révolution artistique et idéologique. En effet il a permis à de nombreux artistes de voir le jour mais aussi de guider toute une génération, en donnant des codes, des valeurs, un style, un langage, une route à une jeunesse perdue. Ce mouvement prospère depuis les années 1980 et continue de s’implanter dans différents domaines comme la mode, la musique, l’art... Ce mouvement artistique est l’un des plus importants du XXIe siècle.

17

Dans cette optique, j’ai décidé de travailler sur le mouvement Hip-Hop, sur sa scénographie, ses codes. Le but de cette recherche est de faire un constat de la scénographie des cultures urbaines à leur naissance, d’expliquer le passage de la rue vers l’intérieur et de faire un dernier constat sur la scénographie des cultures urbaines de nos jours. Cet objectif soulève alors une question: De quelles manières les codes scénographiques nés de l’appropriation de l’espace urbain par le mouvement se sont-ils appliqués à l’espace intérieur et quel est l’état des scénographies actuelles du mouvement ?

18

Tout au long de l’histoire du Hip-Hop différents lieux et espaces furent des pointsclés de l’évolution du mouvement. Ces espaces et lieux seront ma base d’analyse pour expliquer mes propos. Cette analyse sera introduite par une partie historique et contextuelle pour d’une part relater les origines du Hip-Hop et d’une autre part expliquer ce rapport à la rue. J’exposerai en détail de quelle manière la scénographie des cultures urbaines s’est mise en place et comment elle a progressivement migré de la rue vers l’intérieur.

Pour cela j’étudierai dans un premier temps les débuts des cultures urbaines par l’analyse des espaces urbains dans lesquels le mouvement a pris ses bases. Précisément deux d’entre eux: Le Terrain Vague de La Chapelle et le Parvis des Droits de l’Homme.

Dans un second temps je mettrai en lumière les éléments et les caractéristiques de la scénographie prenant place dans les premiers intérieurs qui ont abrité les cultures urbaines. Cette mise en lumière permettra de comprendre comment chacun des acteurs s’est adapté à ce changement d’usage mais surtout quels sont réellement les codes scénographiques se réitérant lors des performances des artistes.

Enfin, dans un dernier temps, je me pencherai sur les scénographies actuelles des cultures urbaines et sur la manière dont elles puisent toutes leurs inspirations dans le passé du mouvement.

19

I. Naissance d’un mouvement

A. La Source / Les États-Unis

A.1. Contexte ‘‘ C’étaient les feux de l’abandon. ‘‘1

1. CHANG, Jeff, Can’t Stop Won’t Stop, Editions Allia, Paris, 2017, p.27

Figure 1 : Broken Promises, John Fekner, South Bronx, New York, 1980

Figure 2 : Visite du PrĂŠsident Carter dans le South Bronx en 1977.

24

LE CADRE Après la Seconde Guerre Mondiale, une importante crise sociale frappe les ÉtatsUnis. En effet, les revendications sociales prennent une ampleur sans précédent. Les communautés afro-américaines et latinos sont exclues de la société et subissent violences, discriminations, et racisme de la part de l’état et de la police. Parallèlement la ville de New York entreprend une rénovation de ses quartiers entraînant un départ de la population blanche.

Le quartier du South Bronx est le meilleur exemple de ce phénomène. Les populations blanches s’étant recluses dans les banlieues de New York (Long Island, et New Island), les populations immigrées se sont retrouvées ghettoïsées dans le Bronx.

Ces populations immigrées furent rejetées de la société et de la vie politique. Les plus talentueux en sport étaient insultés à cause de leur couleur de peau, de leurs origines. Le taux de chômage chez les jeunes a atteint les 80% à cette époque avec 2400 dollars de revenu annuel par foyer. Une pauvreté et une précarité extrême frappaient ces quartiers oubliés de l’état et de la vie politique.

Très rapidement les jeunes de quartiers commencent à se regrouper en gangs pour protéger leurs territoires. D’autres mouvements, qui vont gagner le cœur des communautés, comme les Black Panthers, vont voir le jour. Ces organisations vont rapidement prendre beaucoup de crédibilité et deviennent des porte-étendards de la revendication des droits civiques à l’instar de Malcolm X ou encore de Martin Luther King.

Un des plus gros problèmes concernant le South Bronx est sa condition immobilière déplorable. En effet, traversés par un axe routier, les logements se trouvant dans le quartier sont restés dans un état lamentable pendant des années et ont été fuis par les populations blanches. Dans ce cadre, de nombreux logements sont devenus insalubres par manque d’intérêt des promoteurs et deviennent progressivement des squats. De nombreux incendies frappent alors le quartier. Au vu du nombre d’incidents croissants la ville de New York décide de mettre un terme au service des pompiers dans cette zone. C’est le début d’une période difficile.

Entre 1973 et 1977 on dénombre plus de 30 000 incendies dans le South Bronx.

25

Suite à cette déferlante d’incendies, la ville de New York décide de totalement délaisser le quartier du South Bronx et d’arrêter de l’entretenir. Cet ultime affront à la population, s’ajoute à la longue liste des discriminations que subissent les différentes ethnies vivantes sur place.

Le 13 Juillet 1977, pendant plus de 36 heures le quartier est frappé par une coupure de courant. Cette nuit fut synonyme de cauchemar pour les habitants du South Bronx qui ont connu des milliers de cambriolages et de casses. Les différents gangs du quartier se sont permis de piller les commerces et les maisons des habitants.

D’après les témoignages ce pillage fut si intense que les habitants étaient impuissants face aux vols. De plus les pilleurs ne se battaient pas entre eux, comme si cet acte était en fait un acte de récupération des richesses et que tout le monde était en fait dans la même condition. Une sorte de solidarité existait entre les pilleurs.

Ces pillages seront accompagnés de destructions et de dégradations des biens. Les commerces et les logements vont devenir encore plus délabrés qu’ils ne l’étaient précédemment. Le quartier devient aux yeux de la ville de New York et aux yeux du reste du pays, un lieu de non droit et un lieu délaissé de la part de l’état. Certains penseurs vont jusqu’à dire que les politiques préfèrent s’occuper des problèmes internationaux d’autres pays, que ceux de leurs propres villes sur leur propre sol.

Ce problème politique, social, et maintenant économique (la majorité de la population du quartier ne travaillant pas) va devenir une problématique nationale lors de la visite du Président Carter dans le South Bronx en 1977. Cette visite est tout d’abord la première visite effectuée par un officiel de l’état mais en plus marque le début de l’intérêt de l’état pour ces quartiers défavorisés.

26

LES RACINES Parallèlement aux évènements du South Bronx et de New York, une certaine idéologie et un style musical commencent tout juste à naître en Jamaïque.

En Jamaïque, un mouvement idéologique commence à prendre forme et à conquérir le cœur de nombreux croyants : le mouvement Rastafari. Prenant ses sources dans la religion judaïque, ce mouvement est en réalité une réelle croyance et religion à part entière. Durant toute cette époque de nombreux Jamaïcains vont rejoindre le mouvement et commencer à suivre les paroles d’Hailé Sélassié, considéré comme un dieu vivant. Cette croissance du mouvement va créer de très grands rassemblements de personnes autour des sounds-systems (équipements audio avec une très grande capacité sonore) et devenir des espaces de danses, partages et débats, créant un nationalisme populaire opposé au nationalisme officiel.

Les politiciens du pays vont même tenter de récupérer ces rassemblements pour gagner en influence et en popularité auprès des populations.

La Jamaïque est aussi le berceau d’un style musical mondialement connu: le reggae. Ce style particulier est un mélange de blues, jazz, funk, rock le tout mélangé à des sonorités africaines. Le rattachement à la culture africaine est un des principaux éléments de ce style musical. Il va se diffuser à travers le monde notamment grâce à un chanteur et à son groupe mythique: Bob Marley and the Wailers. Ces derniers vont exporter leur musique à travers le monde entier et par la même occasion leur état d’esprit et idéologie.

27

Ces deux éléments combinés, le rastafarisme et le reggae, vont donner naissance aux premières braises du Hip-Hop et de sa mentalité. A un niveau musical les sonorités reggae vont rapidement se rapprocher de celle du Hip-Hop et du Rap. Les artistes et chanteurs reggae vont commencer à rapper (To toast à l’époque) sur des instrumentales aux sonorités reggae. Au niveau de l’idéologie et du message passé, nous retrouvons à peu de choses près celui qui est porté par le Hip-Hop, un message d’union, de paix, de solidarité et de vivre ensemble.

Le mouvement reggae et rastafari est considéré comme beaucoup comme le précurseur du mouvement Hip-Hop. Le reggae et le rastafarisme vont servir d’exemple pour le Hip-Hop. Ces deux mouvements vont se construire à partir de ruines et découlant d’un mal être profond et intense. Un des points communs important entre le reggae et le rap par exemple, est la revendication sociale très forte. Cette envie d’améliorer sa vie et ses conditions de vie va porter les deux mouvements. ‘‘ Some are leaves, Some are branches [...] I and I are roots ‘‘ ( ‘‘Certains sont des feuilles, d’autres sont des branches, nous autres sommes les racines’’ ) Ces mots chantés par Bob Marley, dévoilent que déjà à l’époque, les porte-étendards du reggae et du rastafarisme savaient qu’ils seraient les racines de quelque chose de plus grand encore, non seulement du Hip-Hop mais d’une réelle révolution touchant cette fois les classes populaires et le Tiers-Monde.

28

LA GUERRE ET LA PAIX Les gangs continuent de se former dans la ville de New York. Nous pouvons citer pour les plus connus: les Ghettos Brothers, les Black Spades, Les Black Panthers, les Savage Skulls ou encore les Savage Nomads. Ces gangs jonglaient avec la paix et la guerre.

Les règlements de comptes et les violences entre gangs n’ont pas arrêtés de se multiplier et arrivent aux oreilles des officiels de l’état qui commencèrent à voir le problème d’un autre œil et donc à vouloir intervenir. Au vu de cette escalade de la violence les gangs prirent la décision de se réunir pour passer un pacte de paix.

Leurs motivations étaient premièrement d’améliorer les conditions de vie de leur quartier, et dans un second temps limiter l’intervention des ‘‘Blancs’’ dans leur vie quotidienne. Un des points importants de cette réunion était la mise en place de la paix entre les différents groupes et territoires. La paix devait être au cœur de cet accord. Les ‘‘Blancs’’ ne vivant pas leurs vies, ils ne peuvent pas comprendre comment les noirs et latinos du quartier vivent.

Ce pacte de paix est une étape importante pour la vie du Bronx et des quartiers alentours. Cela représente une première tentative d’autogestion de leurs vies et de leurs quartiers, en dépit de la discrimination que les habitants subissent au quotidien. Une ‘‘Famille’’ fut créée, regroupant les différents gangs ayant signés le Traité de Paix, qui a un droit de décision sur toutes les actions des différents groupes. La parole et le débat prirent le dessus sur les règlements de comptes et les guerres. ‘‘ LA PAIX ENTRE TOUS LES GANGS ET UNE UNITÉ PUISSANTE’’ Phrase de conclusion du Traité de Paix

29

Après la guerre vint donc la paix. Tout l’effort qui avait été mis dans la guerre fut maintenant redirigé vers la création. La frustration c’était transformée en créativité.

Petit à petit les différents membres des gangs se tournèrent vers le dessin, la danse, la musique pour s’exprimer. Ces mêmes individus qui auparavant exprimaient leur dégoût et frustration par la violence et l’attaque, s’exprimaient maintenant à travers l’art.

Certains des Ghettos Brothers les plus talentueux se regroupèrent pour enregistrer un album studio. Cet album, bien que ses ventes ne fussent pas explosives, représentait la cristallisation de cet effort de paix car il fut distribué dans les quartiers de New York et fut écouter par tous les gangs. Les Ghettos Brothers investirent rapidement les Block Parties (fêtes de quartiers) du Bronx pour chanter et scander leurs revendications. Ces fêtes de quartier étaient un rendez-vous pour tous les jeunes des quartiers, surtout dans le Bronx. Petit à petit ces fêtes permirent d’effacer les frontières entre gangs, entre quartiers, entre ethnies.

Les jeunes des différents quartiers sont donc maintenant plus intéressés par la confrontation artistique au travers de la danse ou de la musique que par la confrontation par les armes ou la violence. Ces block parties, alimentées grâce au réseau électrique de la ville, avaient un pouvoir de rassemblement sans précédent grâce notamment aux sounds systems et à l’effervescence de ces évènements.

A la fin de l’été 1973, une de ces fêtes prend place et va devenir mythique.

30

Figure 3 : Jeunes dans les ruines du Bronx.

31

A.2. Naissance ‘‘ You are now about to witness the strength of street knowlege. ‘‘1

1. N.W.A. , Straight Outta Compton, Straight Outta Compton, 1988 (‘‘Vous êtes sur le point d’être des témoins de la force du savoir de la rue’’)

Figure 4 : Jeunes breakeurs dansant dans la rue.

Figure 5 : DJ Kool Herc en plein mixage dans les annĂŠes 1980.

34

LE COMMENCEMENT Dès le milieu des années 1960, les premiers graffs apparaissent dans les rues de Philadelphie.

Les premiers graffs étaient simples: le nom du graffeur suivi de son numéro de rue.

En 1968, New York est touché par le phénomène et les premiers graffs apparaissent dans les rames de métro jusqu’à en recouvrir l’extérieur avec des dessins plus complexes. Ces graffs sont portés par un besoin de reconnaissance et de visibilité de la part des graffeurs : ils voulaient montrer au monde leur existence, et comme le dit Jeff Chang dans son livre Can’t Stop, Won’t Stop, les graffeurs disaient ‘‘Je suis là ‘‘ et ‘‘Allez tous vous faire voir’’ à travers un même graff.

Dans une autre optique le graffiti participe aussi à transformer l’esthétique de la ville. Ce sont de véritables œuvres d’art mettant en scène la ville pour rappeler que la rue est un espace appartenant à tous et où l’on peut s’exprimer librement. Dans ces actes ‘‘vandalistes’’ le graff devient une façon de revendiquer ses origines et son existence. Les graffeurs s’opposent aux artistes exposant dans les galeries par leur besoin de liberté et de revendications, ne se reconnaissant pas dans les codes de l’art ‘‘classique’’. D’après Greg Tate (écrivain américain) c’était une ‘‘colonisation inversée’’, une réelle réappropriation de l’espace urbain dans lequel les jeunes se sentent invisibles.

La première célébrité du graff NewYorkais est Taki 183, rendu célèbre grâce à un article du New York Times sur le graffiti en 1971. Nous pouvons aussi citer, Jean-Michel Basquiat, un des premiers graffeurs de New York, qui taguait SAMO (Same Old Shit) couronné d’une couronne sur les murs de New York.

35

Arrivé dans le quartier du Bronx à New York en 1967, un jeune jamaïcain de douze ans, Clive Campbell va devenir un des piliers du Hip-Hop et de sa naissance. Reprenant le concept des sound systems, il se fait rapidement connaître dans le Bronx et dans tout New York grâce à ses interventions dans de nombreuses block parties. Il va se créer une réelle notoriété lors d’une block party en 1973 regroupant les différents gangs de New York, où ses techniques de mixage et ses choix de chansons vont marquer les esprits.

Il est le premier à utiliser deux tourne-disques pour enchaîner les chansons et pour pouvoir répéter à l’infini des passages particuliers des chansons, les breaks, un passage de batterie et de basse. Ce cours passage d’à peine 15 secondes va énormément influencer les mouvements des danseurs de l’époque, devenant de plus en plus acrobatiques. Il est considéré comme l’inventeur de cette technique.

Herc va participer à la transformation des gangs en crews, des bandes de jeunes qui dansaient et faisaient de la musique ensemble. Les block parties et la notoriété de Herc va dépasser les limites du Bronx et l’épidémie va s’étendre à toute la ville. Kool Herc va inviter des représentants de chaque quartier et chaque ethnie à prendre le micro, faire des interventions et chauffer le public. C’est la naissance des MC (Maître de Cérémonie) et des premiers battles (joutes en français) entre b-boys (break-boys). Petit à petit les interventions des MC deviennent rythmées, avec des rimes et une certaine cadence. C’est la naissance du Rap. Herc et sa famille s’installèrent dans un appartement au 1520 Sedgwick Avenue.

Ce dernier féru des houses parties va organiser des soirées dans son appartement qui va devenir un lieu mythique et culte pour la culture Hip-Hop. Peu après Dj Kool Herc, c’est Grand Master Flash et Grand Wizzard Theodore qui vont développer de nouvelles techniques de Dj-ing comme le cutting ou le scratching.

36

LE PARRAIN Kevin Donovan alias Aka Kahyan Aasim alias Afrika Bambaataa, ancien membre du gang des Black Spades, décide, après la mort de son meilleur ami, de lutter contre la misère et la violence des quartiers. Il fonde en 1974, ‘‘The Zulu Nation’’, utilisant la jeunesse et la musique pour faire passer son message de paix et de solidarité. Ce collectif refuse toutes formes de discriminations qu’elles soient raciales, religieuses ou politiques.

L’association reprend l’organisation des gangs et l’utilise pour prôner les arts comme la danse et le graffiti. ‘‘Peace, Love, Unity and having fun ! Knowledge and Truth’’ qui était leur principal slogan, démontre bien l’état d’esprit du collectif: avancer et exceller tous ensemble. Une autre caractéristique du combat de Bam (surnom souvent utilisé) était son intérêt pour la culture africaine et son intégration dans la culture afro-américaine. Ce retour aux racines est pour lui très important car il renoue les liens des afro-américains avec leurs origines. Il voulait redonner aux noirs ce sentiment de fierté d’être ce qu’ils sont et d’arrêter de voir les ‘‘Blancs’’ comme des Dieux. Parmi les trois grandes figures du Hip-Hop, (Dj Kool Herc, Grand Master Flash, Afrika Bambaataa) il est, d’après Jeff Chang, la plus énigmatique. Malgré son exposition quasi constante, il ne révéla jamais sa réelle date de naissance ni son réel nom de naissance.

Afrika Bambaataa donne une autre dimension au mouvement. Ce n’est plus simplement un mouvement artistique et divertissant mais la culture Hip-Hop devient un état d’esprit, une façon de penser et de vivre allant au delà du spectacle. Il avait comme envie d’éduquer ses contemporains et les jeunes des différents quartiers.

Il tentait tout simplement de donner un autre sens à la vie des jeunes des quartiers, différent de celui que les ‘‘Blancs’’ leur ont donné. Il voulait combattre le racisme par le savoir, l’art, la connaissance et non pas par la violence.

Afrika Bambaataa utilisa sa position au sein des Black Spades pour répandre la paix entre les gangs au moment du Traité de Paix. Progressivement chaque culture, chaque style musical et de danse, avait un territoire précis dans New York. La reconquête de l’espace urbain se faisait là grâce à l’art.

37

CONCRÉTISATION En 1979 sort le premier single de Rap : Rappers Delight du SugarHill Gang. Ce groupe formé de MC des différents quartiers de New York va créer le premier tube issu de la culture Hip-Hop et le premier pas dans l’industrie musicale américaine. La chanson est composée des meilleures punchlines (phrases marquantes scandées dans un texte) des MC. Le groupe ouvre les portes pour tous les artistes du genre. Dès 1982 de nombreux classiques du Hip-Hop vont voir le jour : Planet Rock d’Afrika Bambaataa, The Message de Grand Master Flash, It’s like That de Run-DMC et Black Steel in the Hour of Chaos de Public Enemy. Malgré son influence croissante, le hip-hop reste dénigré par les politiciens et les personnalités à cause de son caractère populaire et underground. Le Rap passera de la performance aux studios d’enregistrement, le break danse de l’agression aux chorégraphies mais le graffiti restera vu comme un acte de vandalisme. De nombreux politiques tenteront de récupérer le mouvement Hip-Hop mais étant porté seulement par des jeunes, beaucoup trop impulsif, les différentes tentatives de récupération se solderont par des échecs.

Vers la fin des années 1980, le Hip-Hop va se développer jusqu’à devenir une réelle industrie musicale. Le Rap prendra le dessus en notoriété et permettra d’exporter le mouvement à travers le monde entier. Misant sur une musique plus dure et crue, les acteurs de l’industrie musicale utiliseront le gangsta rap pour s’enrichir. Le Hip-Hop prend alors une connotation plus masculine et urbaine, image qui restera la même jusqu’à aujourd’hui. Certains artistes comme Nas affirmeront que le Hip-Hop est mort, car les valeurs qui le portaient à ses débuts ont disparues pour laisser la place à la culture de l’argent, de la drogue, des armes et des femmes.

Malgré ce virement de bord le Hip-Hop reste une représentation d’une envie d’évolution sociale et de changement de vie. Cette culture porte jusqu’à aujourd’hui les mêmes valeurs de respect, mais surtout d’amélioration de soi. Elle pousse ceux qui veulent s’en sortir à améliorer le monde qui nous entoure en participant à son développement.

38

Figure 6 : Afrika Bambaataa sur scène en 1980.

39

B. L’export - La France

‘‘ Nés sous la même étoile. ‘‘

1. IAM , Nés sous la même étoile, L’école du micro d’argent, 1997

Figure 7 : NTM, Kool Shen et Joey Starr en 1984.

VISUEL

Figure 8 : Jeune graffeur franรงais en 1984.

42

PAYS DIFFÉRENT, MÊME COMBAT Après la Seconde Guerre Mondiale et suite à la Guerre d’Algérie, de nombreuses populations immigrées et françaises se retrouvèrent à la rue. D’immenses bidons villes virent le jour, notamment autour de Nanterre. Ces bidonvilles rassemblaient des populations très pauvres et sans moyens. La qualité de vie était désastreuse. En 1972, le dernier bidonville ferma ses portes, celui de Nanterre. Les HLM construites dans la hâte n’étaient pas d’une grande qualité et les premières dégradations virent le jour quelques années après leurs constructions.

Au début des années 1980, les banlieues françaises commencent à se métamorphoser. Les familles plus aisées commencent à fuir les barres et les tours. Les ‘‘loubars’’ en veste en cuir quittèrent peu à peu les banlieues et le banlieusard ‘‘type’’, d’après Vincent Piolet, devint un jeune ‘‘Beur’’ en jogging Adidas gardant l’entrée de son hall d’immeuble. La drogue commença à gangrener peu à peu la banlieue et les immeubles. Les jeunes perdirent foi en l’ascension sociale pensant être bloqués dans cette situation. Parallèlement, l’état des immeubles se dégrada au cours des années.

La nonchalance de l’état face à la dégradation des conditions de vie dans les banlieues françaises va cristalliser les tensions dans les banlieues. Les banlieusards vont se sentir de plus en plus rejetés de la société et en particulier en banlieue parisienne où le clivage entre Paris intra-muros et extra-muros va se marquer comme rarement auparavant. Les banlieues parisiennes, vont devenir synonymes d’échec social. Passées d’eldorado à déchetterie, les banlieues françaises seront discriminées, d’une part pour les populations qu’elles abritent (Africaines, Noirs et Arabes) et pour leur condition lamentable. La jeunesse évoluant dans ces banlieues va perdre tout espoir et va se détacher de la culture française pour développer peu à peu sa propre identité et appartenance.

Les banlieues françaises se transformèrent rapidement en ghettos où les populations immigrées et marginalisées se concentraient. Cette concentration va créer une sorte d’effervescence sans réel but. Se plongeant dans la délinquance et le chômage les jeunes des banlieues n’avaient pas de réel but. De plus leur milieu de vie, d’une condition déplorable les pousse à rester et envahir la rue. Ils en font leur espace et leur milieu de vie.

43

Dès le début des années 1980, les premières émeutes virent le jour dans les banlieues françaises. Le problème social que représentait la banlieue était devenu une réalité bien ancrée dans les esprits. Les problèmes que rencontrent les populations immigrées vivant en banlieue, discrimination, racisme, chômage, ségrégation, deviennent peu à peu une réalité assumée de tous et qui se reflète même dans la manière de traiter du sujet.

Le point de départ des problématiques que rencontrent ces jeunes est la ségrégation raciale qu’ils rencontrent au quotidien. Avec l’établissement de l’extrême droite française, les populations immigrées se voient refuser des droits et des actions.

Lors des premières démarches de l’état pour améliorer les conditions de vie dans les banlieues, ce sont les familles ‘‘aisées’’ donc blanches qui accédèrent à ces aides en premier et se refugièrent dans des banlieues pavillonnaires laissant les noirs et les arabes dans les tours et les barres.

A cause de la crise économique les populations vivant en banlieue sont frappées par une précarité sans précédent couplée à un fort chômage. Les travailleurs de ces populations se retrouvent à être ouvriers, techniciens de surface, éboueurs, vigiles, agents de sécurité, des postes auxquels ils accèdent par défaut et non par envie.

La ségrégation raciale, le chômage, la précarité, la pauvreté vont créer une jeunesse en rage du système en place et qui ne se reconnait pas dans la société dans laquelle elle évolue. Son identité est celle des banlieues, qui est à mille lieux de l’identité que la France tente d’entretenir. Cette jeunesse va se retrouver confinée dans les banlieues, une sorte de cocotte-minute, où toute l’effervescence, la rage, la créativité et les ambitions de ces jeunes vont être bloquées et prêtes à exploser.

44

L’ARRIVÉE EN FRANCE Le Hip-Hop s’installe d’une manière bien différente en France. Là, où aux Etats-Unis il vint de la rue et dut se battre pour atteindre les médias, en France, le Hip-Hop arriva tout d’abord à travers la télé et la radio avant d’investir la rue.

Dès 1982, l’émission Mégahertz sur TF1, va présenter les premières images du HipHop aux jeunes Français. Avec pour fond musical le titre planétaire ‘‘ The Message ‘‘ de Grand Master Flash, l’émission va dévoiler à la France la culture du rap, du graff et du breakdance. Les jeunes français furent émerveillés de voir cette nouvelle culture ‘‘cool’’. Les danses acrobatiques du breakdance séduisent presque instantanément la jeunesse française qui voit dans cette culture, un renouveau de la musique, de la danse et de l’art en général. De plus tout ce qui vient d’outre-Atlantique est forcément ‘‘cool’’.

Au même moment, Bernard Zékri, un journaliste français, témoin de la naissance du Hip-Hop aux Etats-Unis décide d’organiser un évènement qui va marquer la France et le monde entier: Le New-York City Rap Tour. Cette tournée mondiale va présenter au monde entier l’univers du Hip-Hop à travers, encore une fois, le graff, la danse et la musique. Des personnes comme Afrika Bambaataa, Rock Steady Crew, Grand Mixer DST et Futura 2000 se retrouvent projetées au devant de la scène française.

Les premières fêtes prirent place dans un premier temps au Bataclan, qui sera le refuge des différents acteurs du Hip-Hop pendant quelques temps, et deviendra un lieu mythique car première institution à ouvrir ses portes au Hip-Hop. En 1984, la première émission de l’histoire totalement dédiée au Hip-Hop voit le jour sur TF1, présentée par Sydney (danseur et rappeur, considéré comme l’un des précurseurs du mouvement en France), nommée H.I.P H.O.P. où des artistes américains, pionniers de la culture Hip-hop seront mis en avant. L’émission avait un but pédagogique, elle présentait les techniques de mixage, de danse, de rapper comme une science. Ces ‘‘cours’’ allaient jusqu’à montrer comment il fallait nouer ses lacets ou encore marcher/ se comporter.

Le Bataclan va progressivement devenir un lieu d’entraînement pour les jeunes pratiquant le breakdance ou le rap. Ces sessions vont être encadrées par Dj Chabin, grande figure du Hip-Hop français.

45

DES LIEUX MYTHIQUES En même temps, le quartier des Olympiades se transforme en vivier pour le Hip-Hop français. L’esplanade des Olympiades entourée par ses hautes tours, se transforme en arène pour les danseurs et les rappeurs qui s’en servent pour leurs battles. Ici même un des piliers du Hip-Hop français va s’instaurer et donner naissance à de folles soirées Parisiennes, Dj Chabin. Les organisateurs eurent à déplacer le Bataclan dans la salle de la Grange-aux-belles, place du Colonel Fabien, car la fréquentation était devenue telle que l’espace de base fut dépassé par les évènements. Le Bataclan après son déménagement devint alors un espace spécialement dédié au Hip-Hop et seulement au Hip-Hop. Ayant appris les techniques de mixage auprès de Dj Boris, Dj Chabin commença à organiser ses propres soirées et devint rapidement Dj résident au Stadium Squash.

Sa notoriété et l’effervescence de la place des Olympiades vont atteindre un pic au moment de l’ouverture du premier Mc Donalds à Paris à Olympiades. La place devient alors l’endroit où il fallait se rendre pour danser et rapper. Rapidement et au vu de la fréquentation croissante du Stadium Squash, Chabin dut déménager au Bataclan en 1982, alliance qui deviendra mythique avec le temps.

Paris fut envahie par les banlieues et par le mouvement Hip-Hop. La place du Trocadéro devint elle aussi un lieu de rassemblement de la jeunesse Hip-Hop. Cet espace va permettre aux jeunes danseurs de banlieues de dévoiler leur art au Paris bourgeois et d’affirmer leur existence. Cette place prend tout son sens lorsqu’un jour en 1982 des américains de passage vont faire une démonstration de danse qui mettra en feu la place. Suga Pop (figure emblématique du breakdance aux Etats-Unis) va marquer les esprits notamment ceux de Joey Starr et Kool Shenn, qui formeront plus tard le groupe mythique NTM. En 1983, la salle Paco Rabanne ouvrit ses portes: un immense espace, atelier de fabrication de montgolfières dans le passé, avec deux énormes plateaux de danse et une trentaine de studios, répartis sur 3000 m². Cette salle était une sorte de refuge pour les jeunes de la génération Hip-Hop. Elle servait de salle de répétition mais aussi de dortoir quand le besoin se faisait sentir. Bien plus qu’un simple espace de répétition, la salle Paco Rabanne était devenue un point de convergence pour les jeunes danseurs et rappeurs. Paco Rabanne était en fait celui qui donna son âme et son charme à la salle. Sa générosité envers les jeunes et son attention donnèrent un aspect de refuge à la salle, une maison pour les perdus.

Au 18 Boulevard de La Chapelle, dans le 18ème arrondissement de Paris, un terrain vague va devenir lui aussi un point de rencontres pour tous les amoureux du HipHop. Ce terrain était à l’origine dédié aux graffeurs qui venaient dévoiler leur art et leurs techniques. Progressivement il servit aussi pour les battles de danseurs et de rappeurs. Il deviendra l’un des lieux les plus mythiques du Mouvement et de la culture Hip-Hop en France.

46

TRANSFORMER LES RUES La France vit le graff, à ses débuts, comme une dégradation de biens publics, des souillures qui n’ont pas leur place dans la rue. En 1982 un reportage sur TF1 présenta les graffitis comme tel, montrant pourtant un graffiti de Futura 2000 (grande figure du graff). Ce reportage souleva malgré lui une problématique importante pour les graffeurs français: le graff comme moyen d’expression et de revendication ou le graff comme art. Les graffeurs français étaient encore limités à de simples noms ou images sans réels sens, phénomène compréhensible étant donné l’arrivée tardive du graff en France comparée aux Etats-Unis.

Le problème était que les graffeurs français ne se reconnaissaient pas dans le Mouvement. Leurs tags étaient détachés de toutes intentions revendicatives. Cependant plus les graffitis étaient réprimandés, plus ils se multipliaient, une sorte d’affront au système en place et à ses tentatives de censure. Les graffeurs français n’étaient pas forcément passionnés de graffitis américains, mais ils répondaient à l’art des institutions qui n’avait aucunes contraintes et qui était protégé par l’état. Encore une fois une provocation du système par l’affront direct.

Rapidement les premiers crews (groupes en français) se forment avec certains noms de graffeurs qui vont marquer l’histoire comme Blitz, ou Bando. Ces deux là ont d’ailleurs joué au chat et à la souris pendant quelques années sur les murs de Paris. Recouvrant le travail les uns des autres ils se livrèrent une sorte de guerre artistique à celui qui gardera le plus de visibilité dans la ville. Bando est en quelque sorte le précurseur, Blitz eut l’envie de prouver son niveau et son talent. Blitz sera notamment un des premiers graffeurs à s’attaquer aux rames de métros avec son Crew, Force Alphabétik.

Bien qu’en France le graff n’était pas dès sa naissance rattaché au Hip-Hop, les graffeurs se retrouvèrent à suivre presque tous le même chemin et le même point d’arrivée: Quais de Seine, palissades du Louvre et du Carrousel, palissades de Beaubourg, et enfin terrain vague de la Chapelle. Nous pouvons aussi citer des graffeurs comme Psyckoze ou encore Jay et les BBC, qui vont jouer un rôle crucial dans la représentation et dans l’image du Hip-Hop en France.

Le graff aura différentes motivations (passion du dessin, vandalisme, activisme, motivations esthétiques ou poétiques) mais sera toujours fédérateur d’une même envie, appuyer sa propre existence à travers l’art.

47

RADIO Le Mouvement (nom donné au mouvement Hip-Hop en France), bien qu’il eut de plus en plus d’adeptes, manquait cruellement de public. C’est ici que la radio va jouer un rôle crucial. A l’instar de la télévision, la radio va permettre d’amener la culture Hip-Hop au cœur des foyers et aux oreilles de tous. En 1981, l’état va libérer les ondes et permettre à des radios libres d’émettre leurs émissions sur les ondes des auditeurs français. Deux grandes figures vont prendre place à la radio et transmettre le Mouvement à travers toute la France: Phil Barney et Dee Nasty.

Phil Barney, rappeur à l’origine, va intégrer l’équipe de la radio Carbone 14 en tant que chroniqueur funk. A chaque prise de parole à la suite d’une chanson Phil rappait en français et en anglais pour captiver l’attention de son auditoire. Il partagea sa passion pour la funk avec son public tout en introduisant aux oreilles des jeunes français la technicité du rap. Il commandait directement depuis les Etats-Unis des vinyles pour avoir la playlist musicale la plus à jour possible. Il inspire notamment Dee Nasty.

Dee Nasty, mélomane et passionné de funk depuis son jeune âge découvrit le HipHop aux Etats-Unis à la fin des années 1970, durant un voyage de découverte à San Francisco. Revenu en France il présenta dans son émission sur Radio Arc-EnCiel, la crème de la crème du Hip-Hop américain. Sa notoriété fut telle que lorsqu’il quitta Radio Arc-En-Ciel il rejoignit l’équipe de Carbone 14 et pris la place de Phil Barney, et intégra aussi en parallèle l’équipe de RDH (Radio des Handicapés) où il anima avec Bad Benny la mythique émission Benny Show.

Une radio en particulier va devenir la référence pour la programmation Hip-Hop dès 1982, Radio Nova. Se voulant à la pointe du rap et à la pointe de l’actualité, la radio proposera à Dee Nasty un poste de chroniqueur en 1986. Dès 1987, Radio Nova tente d’ouvrir un label pour promouvoir des rappeurs mais ne fera pas long feu. Il durera tout de même assez longtemps pour laisser le temps à Dee Nasty d’enregistrer un album Deenastyle. Radio Nova perdure jusqu’à aujourd’hui et reste une référence dans le média Rap.

48

Figure 9 : Jeune breakeur franรงais.

49

II. la rue comme catalyseur ‘‘ J’suis l’bitume avec une plume ‘‘1

1. Booba, Le bitume avec une plume, Temps Mort, 2002

Figure 10 : Block Party au terrain vague de La Chapelle, Dee Nasty aux platines.

52

LA RUE, UN BERCEAU Dans un sens la naissance de cette culture n’aurait pas pu être possible autre part que dans l’espace urbain. Le contexte social et politique des populations concernées et porteuses de ce mouvement explique cette observation. Elles n’avaient d’autres choix que de se tourner vers la rue, étant leur espace de vie, d’évolution, d’exposition et de création. Les battles de danse, les graffs, les battles de rap, les block parties n’auraient jamais pu voir le jour autre part que dans l’espace urbain. Cette appropriation de l’espace urbain est à la base du mouvement. Comme une affirmation de soi, l’utilisation de cet espace démontre l’envie d’une mise en scène de la vie.

La ségrégation et la discrimination de ces populations ont, d’une certaine manière, participé au développement et à la naissance de cette culture. Les différents acteurs de cette culture n’ayant pas accès aux espaces de représentation ils utilisent la rue comme espace de représentation, de création mais aussi comme milieu de vie. La culture Hip-Hop est une culture née dans la rue, pour la rue et pour les individus évoluant dans cet espace. Ils voient l’espace urbain non pas comme seulement un espace de circulation ou comme un tiers lieu mais comme le lieu où tout a lieu en ‘‘bousculant les interdits’’. Cet espace s’emplit d’histoires, de références, et de symboles. Ce qui se vérifiera tout au long de l’histoire de cette culture avec l’émergence de certains espaces clés.

Là où les cultures ‘‘traditionnelles’’ ont souvent un espace de création et un espace d’exposition/représentation, les cultures urbaines ont ce besoin d’interagir avec leur environnement qu’il soit lieu de représentation ou de création. La rue et l’espace urbain plus généralement sont donc un lieu à part entière auquel nous pouvons attribuer la fonction que bon nous semble.

C’est cette force et qualité que va utiliser le Hip-Hop dans son établissement. En outre c’est la nature très impulsive de cette culture qui explique un peu plus le lien avec la rue. Chacune des branches du Hip-Hop est en soi une performance. Du rap à la danse en passant par le graff elles reposent toutes sur le moment de l’action. Évidemment certaines choses sont préparées en amont de l’action mais le plus gros du spectacle se fait sur place.

Les artistes issus de cette culture vont donc remettre en question les notions de création et de représentation mais aussi la définition de l’espace scénique et même de l’art en lui même, car au travers de revendications sociales et humaines ils appliquent leurs codes et leurs valeurs à leur art ce qui vient bousculer les codes établis.

53

Hugues Bazin nous dit dans l’article Le mouvement Hip-Hop, des émeutes urbaines aux cultures de la rue que ‘‘Le hip-hop fait de la rue un lieu relationnel, d’apprentissage, d’interactions, de défi, d’émotion, une école, une université populaire. [...] Le hip-hop pratique les lieux. [...] En somme il transforme la ville en espace, c’est à dire en lieux où il se passe quelque chose.’’. Cette notion de transformation de la ville en tant qu’espace est très importante. Elle nous permet alors de comprendre que la ville et l’espace urbain ne sont pas considérés comme des espaces où des activités peuvent se dérouler.

S’approprier l’espace urbain reste jusqu’à aujourd’hui une action assez subversive.

Cette appropriation est d’une part une manière d’affirmer son existence, de confronter l’ordre établi mais aussi de s’exprimer. Comme nous l’avons dit la rue est lieu de représentation mais aussi d’inspiration. Sa particularité est que la rue permet d’abolir la distance avec le public. La rue est donc un espace de mise en scène très important pour le Hip-Hop car elle représente le dehors, le dehors des espaces privés auxquels l’accès était impossible.

D’après Claire Calogirou, la rue est un ‘‘espace symbolique de la mise en scène des rapports sociaux’’. La rue va donc proposer une très grande diversité d’espaces permettant à toutes les activités de s’y propager avec aise. L’auto-organisation de ces évènements urbains, l’imagination, le renouvellement continuel du regard porté sur l’espace urbain, permet de donner une nouvelle vie à chaque espace investi. L’espace approprié va prendre le temps d’une performance une nouvelle symbolique.

La rue et les espaces urbains prennent donc une nouvelle fonction à chaque intervention. Les jeunes acteurs du mouvement vont remettre en question l’identité d’un espace et d’un lieu.

Dans cette idée de remise en question le Hip-Hop, au travers des graffitis, a permis de donner une nouvelle image de la banlieue en France. Les artistes redécorent leur environnement urbain pour lui porter une nouvelle valeur. Cette dernière est le reflet de l’artiste et de son mode de vie.

54

L’espace urbain avec toutes ses morphologies, formes et possibilités propose une infinité de scénographies possibles aux artistes. Ces derniers, qui connaissent parfaitement leur milieu et l’espace qui les entoure, peuvent alors s’approprier totalement l’espace qui leur est proposé et présenter leur art.

Par exemple, les danseurs de rue vont très souvent créer un cercle autour d’eux, ce qui représentera l’espace de représentation, l’espace scénique, avec le public autour.

Ce cercle aura lui aussi différentes zones: la zone centrale représentant le cœur de scène, les zones périphériques où la majorité de la chorégraphie se déroulera et enfin la ligne la plus proche du public. Ils utiliseront les différents éléments présents à ce moment (murs, public, mobilier urbain, arbres...) pour créer une mise en scène totalement unique en les intégrant dans leurs chorégraphies.

Les ressources des artistes sont d’un côté leurs connaissances de leur art, qu’il maîtrise parfaitement, et ce que l’espace leur propose. Ce minimum de besoins va pousser les artistes à devenir le plus créatif possible. Dans le cas de la danse c’est le corps qui détermine la scénographie et la mise en scène. Dans le cas du graff c’est la taille de l’œuvre: plus une œuvre sera grande plus il faudra du recul pour l’observer. Enfin dans le cas du rap et du Dj-ing, c’est le son, la musique qui va déterminer la scénographie. Cette musique va donner naissance à une ambiance mais aussi à un espace qui a pour seule limite le volume du son en lui même.

La rue va devenir l’espace de tous les possibles. Elle va représenter non seulement cette envie de requalification de l’espace mais aussi la remise en cause des codes non seulement scénographiques mais aussi sociaux. Que ce soit les Block Parties ou les graffitis, chaque action tenue dans l’espace urbain est un acte politique et artistique. Cette appropriation s’étendra hors des limites de la rue pour se faufiler au sein même des habitations, des locaux, des immeubles. Les artistes verront dans leurs lieux de vie, bien que dans des conditions très difficiles parfois, une chance pour s’implanter et vivre pleinement leur art: un placard devenant une cabine d’enregistrement, un local poubelle ou un hall d’immeuble devenant une salle de répétition, ou encore un terrain de basket ou une place publique devenant une salle de concert ou une scène.

55

LES DIMENSIONS POLITIQUES Le Hip-Hop représente un réel tournant dans la lutte des classes et dans la lutte de la cause noire. Cette culture porte en elle une forte revendication des droits civiques et de la reconnaissance des droits de chacun. Cette lutte va être un des points de convergences de toutes les branches de la culture Hip-Hop aux États-Unis aussi bien qu’en France. Le Hip-Hop, ou Mouvement, va représenter une porte de sortie pour tous ces jeunes en quête de buts et de solutions.

La dimension politique de l’art est un aspect important à prendre en compte dans la relation entre la rue et le Hip-Hop. Les artistes portés par un réel besoin de reconnaissance se lancèrent dans la reconquête de l’espace urbain pour d’une manière prouver leur existence et leur place dans la société. Le caractère revendicatif du HipHop se fera ressentir non seulement dans le choix de l’espace qui est la rue, mais aussi dans l’art en lui même, qui bouscule les codes des autres arts institutionnels.

La rue et l’espace urbain en général représentent le lieu de cristallisation des différentes valeurs de cette culture mais aussi comme un espace de communion et d’union. Se crée alors un espace commun basé sur un langage, un mode de vie, des valeurs communes. Les ghettos américains ou français sont donc des espaces propices à la diffusion de cette culture due à la forte mixité de ces quartiers. Faute d’avoir un environnement domestique attractif et inspirant les artistes se tournent donc vers la rue. L’espace collectif devient plus fort que l’espace privé et intime. Là où certains artistes ont besoin de s’isoler pour exprimer leur art, dans le Hip-Hop c’est l’ouverture qui permet la sublimation.

56

Une autre dimension politique de l’art et en particulier des cultures urbaines est l’appropriation de l’espace, de l’espace urbain. Selon les codes de notre société, pour s’approprier un espace public, il faut prononcer des demandes réglementées. Ces étapes furent très tôt institutionnalisées selon des questions de temporalité, de mise en place, de choix, et d’espace. Cependant les cultures urbaines n’ont pas pris la peine de s’informer de ces étapes. D’une part car toute demande formulée à une institution étatique aurait été vaine à cause en partie de la mauvaise connotation de cette culture mais aussi d’autre part car ce type de demandes est en contradiction avec l’essence même de cette culture qui se veut comme une contre culture, qui se veut contre le système en place. À partir des années 2000, on assiste à une gentrification, mais aussi une institutionnalisation des cultures urbaines. Cette évolution passe par la mise en place de festivals, de compétitions, de spectacles, de cours mais surtout par l’arrivée du HipHop dans Paris centre. Dès 1991 on a pu assister à des répétitions de Hip-Hop au sein de Théâtre Contemporain de la Danse et un peu plus tard au Centre National de la Danse. Par exemple en 2006, un évènement appelé ‘‘RUE’’ pris place au Grand Palais. Nom très symbolique car représentant le passage du Hip-Hop de la rue aux institutions, de l’extérieur vers l’intérieur. Cette gentrification est une garantie de pérennité et de consolidation, car Paris deviendra capitale du Hip-Hop. Un des intérêts politiques des cultures urbaines, qu’a par ailleurs très tôt compris l’État Français, est la portée et l’image de cette culture. C’est donc pour cela qu’à partir des années 1990, nous voyons l’apparition de formations, longues et institutionnalisées, qui proposent d’apprendre tous les fondements de cette culture, ses valeurs, son âme et comment la pratiquer. Cependant créer des formations institutionnalisées pour cette culture c’est entrer en opposition avec son caractère autodidacte. Cette tentative est plus considérée comme un échec de récupération de cette culture que comme un réel effort de participation et de considération. Les formations sont faites, conçues et pensées par des acteurs étrangers à cette culture.

De ce fait, et ce jusqu’à aujourd’hui, ces formations ne sont pas prises au sérieux et sont très souvent discréditées par les acteurs du mouvement. On peut par exemple citer ‘‘L’école du Rap’’ appelée ‘‘Artistiquement Riche’’ qui a vu le jour il y a quelques années mais qui n’a jamais été prise au sérieux.

57

DES RAPPORTS HUMAINS Les cultures urbaines ont un rapport au corps très important. En effet les cultures urbaines nécessitent un engagement physique que ce soit de la part du public, immobile qui regarde, ou de la part des artistes. De plus dans certaines performances les artistes sollicitent la participation du public et son engagement, rendant le simple fait d’assister à un spectacle de rue, une réelle expérience.

L’espace de représentation est un espace d’échange entre le spectateur et l’artiste.

Il y a donc un rapport très fort entre le public et son artiste qui selon les conditions de l’espace scénique va permettre différents choix de mise en scène. Ce sont principalement des espaces où les gens et les corps se mélangent: Place du Trocadéro, Place de la Rotonde...

La ville est vue comme un corps, comme une expérience. Il faut expérimenter l’espace. Cette expérimentation casse les concepts d’espace privé et d’espace public.

En investissant l’espace public cela signifie quitter le privé. Les limites du privé et du public s’effacent alors. Nous nous retrouvons dans un espace public mais avec un échange privé. Les rencontres qui se font d’habitude à l’intérieur, n’ont lieu et n’auront lieu qu’à l’extérieur, dans l’espace urbain.

58

La cohabitation de l’espace public questionne aussi l’identité que prend cet espace.

Grâce aux différentes actions artistiques qui prennent place dans l’espace urbain, une identité urbaine se construit. Cette identité a un rôle symbolique mais aussi politique car la perception que l’on a d’une ville ou d’un quartier passe aussi par ce qu’il s’y passe. L’identité urbaine est somme toute un produit, le produit de la vie de cet espace. Chaque individu pratique, participe à cette identité urbaine en utilisant cet espace. L’identité urbaine, qui est dans notre système, planifiée, pensée, contrôlée, en est enrichie voir bafouée par toutes ces appropriations. Elle est plurielle, en mosaïque et est conçue en vivant la ville.

A travers les différentes performances, qu’elles soient graphiques, chorégraphiques ou musicales, la rue devient porteuse de ce patrimoine, musical et historique, porteuse de cette identité et de la mémoire collective. Non seulement la rue devient patrimoine mais aussi les premiers espaces intérieurs qui ont abrité cette culture à ses débuts. Chaque type de lieu a son avantage : les boîtes de nuits furent pratiques pour mettre en avant certains personnages et acteurs devenant des lieux de culture; la rue trouve sa force dans sa visibilité qui est essentielle à cette culture friande d’espace public mais aussi de reconnaissance.

Cet engagement dans l’espace urbain qu’est la rue et de cette manière soulève un questionnement: la question n’est pas que pouvons-nous faire dans cet espace, mais que ne pouvons-nous pas faire ?

Au sein des cultures urbaines, les concepts d’espace privé, d’espace public, d’appropriation, d’usage, d’identité, de participation sont alors remis en question et transcendés. De l’extérieur vers l’intérieur, du public au privé, la culture urbaine s’est frayée un chemin dans nos coutumes et dans la culture commune.

Né dans la rue, le mouvement verra s’ouvrir différentes portes: la commercialisation, la récupération, l’institutionnalisation, l’expansion ou encore la gentrification; mais son essence restera intacte à chacune des étapes de son histoire. L’âme et le cœur de cette culture sont les éléments fédérateurs. Ce sont ces éléments qui font qu’un acteur du mouvement de notre époque a les mêmes convictions et les mêmes ambitions qu’un acteur des années 80.

59

‘‘ Les arts de la rue qui, comme leur nom l’indique, ne se définissent pas par une spécificité disciplinaire mais par un mode et un lieu d’intervention, témoignent notamment de cette évolution : ‘‘l’opposition dedans / dehors [joue] un rôle central dans ce mouvement. C’est à travers elle que va se construire la légitimité de la présence dans la rue de ce mouvement, acteur d’un renouvellement festif et interpellant les lieux classiques de la spectacularité’’1 ‘‘

Loïc Lafargue de Grangeneuve/ Isabelle Kauffmann/Roberta Shapiro, Cultures urbaines, territoire et action publique, Rapport final pour le ministère de la Culture et de la Communication, 2008, p.48 CHAUDOIR Philippe, ‘‘L’émergence comme paradigme du renouvellement des politiques culturelles publiques. Le cas des arts de la rue’’, L’Observatoire, n°22, printemps 2002, p. 9.

1

60

Figure 11 : Terrain vague de La Chapelle.

61

III. De l’extérieur vers l’intérieur

A. L’ESPACE URBAIN RÉAPPROPRIÉ LA VIE À L’EXTÉRIEUR

Les premiers espaces investis par le mouvement sont des espaces extérieurs parfois publics, parfois privés. Du hall d’immeuble au terrain vague, de la place publique aux esplanades de Paris, le Hip-Hop a investi chaque recoin des villes. La rue et l’extérieur en général sont les berceaux du Hip-Hop, sans eux et la liberté qui leur est liée, le Hip-Hop n’aurait pas pu voir le jour.

Avant d’être en intérieur et dans les plus grandes salles de concerts, il était au coin de la rue, au détour d’un immeuble, en bas d’un immeuble, dans les banlieues, au cœur de Paris.

De ce fait, cette analyse commencera par l’analyse de deux espaces extérieurs, considérés comme des endroits mythiques du mouvement, le Terrain Vague de La Chapelle et Le Parvis des Droits de l’Homme. Chaque espace a ses propres caractéristiques qui lui ont permis d’être un espace de choix pour le Hip-Hop. Nous verrons de quelle manière les danseurs, graffeurs, rappeurs et DJ se sont installés dans ces espaces et nous tenterons d’en dégager certains éléments scénographiques.

Ensuite, l’analyse continuera par l’étude des premiers espaces ayant accueilli le HipHop à l’intérieur des bâtiments, Le Bataclan et Le Bataclan II, aussi appelé la Maison des Syndicats. Deux espaces intérieurs avec un gros bagage historique, qui proposent des éléments similaires. Nous mettrons en lumière les caractéristiques mais aussi le mode de fonctionnement des scénographies du Hip-Hop ‘‘intérieur’’.

67

Le Terrain Vague de La Chapelle

Figure 12 : Terrain vague de La Chapelle.

71

LE TERRAIN VAGUE DE LA CHAPELLE 18 Boulevard de La Chapelle, 75018

Le Terrain Vague de La Chapelle était selon Dee Nasty ‘‘La Mecque Du Hip-Hop Européen’’. Ce terrain vague situé Boulevard de La Chapelle, est l’un des espaces urbains les plus mythiques du mouvement en France.

Ce terrain est le résultat d’un projet d’urbanisme avorté durant les années 1980 dans le quartier de la Chapelle. C’est un graffeur, Ash, qui le découvre le premier. Ce petit espace pris en tenailles entre des immeubles de logements est assez grand pour accueillir quelques centaines de personnes, comme en 1986 lorsque le DJ Dee Nasty organisa l’une des premières Block Parties, et en même temps assez discret pour ne pas déranger le voisinage et éveiller les soupçons.

L’espace était donc démuni de toutes constructions en dur, avec un sol en terre battue. Au centre du terrain, un trou de presque 5 mètres, conséquence de travaux qui avaient commencés mais jamais terminés. Se trouvant entouré d’immeubles d’habitations et par des lignes de chemin de fer, il était simplement délimité par des murs séparatifs.

Accessible depuis le Boulevard de La Chapelle en escaladant le mur, l’espace avait aussi un accès plus intime et discret Rue Phillippe-de-Girard, que la police n’a pas tardé à trouver et à s’en servir pour espionner les jeunes qui s’y trouvaient. Au sein du terrain, les habitués ne se connaissaient que par leurs pseudos. C’était avant tout un lieu de discussion et de partage.

L’aventure ne dura que 5 ans, et pourtant elle restera gravée dans l’histoire du mouvement. Ce terrain vague n’était pas un simple terrain vague. En même temps social club, centre aéré et galerie d’art, le terrain représentait tous les espoirs de certains jeunes de l’époque. En contraste total avec son environnement gris et triste, l’espace avait un surplus de magie en lui: des couleurs, de la musique, de la danse, de la vie.

72

Figure 13 : Morphologie du Terrain vague de La Chapelle.

73

Trou de 5 mètres

Principale zone d’activités Entrées du terrain

Place carrelée Figure 14 : Reconstitution du Terrain vague de La Chapelle.

74

Murs de graffs

Différentes activités se déroulaient simultanément lors des rencontres des jeunes artistes. Chaque partie ou zone du terrain avait une activité dédiée et particulière.

Les murs de délimitations du terrain avaient un rôle de galerie d’art pour exposer les différents graffs des artistes. Chaque graffeur pouvait venir exposer son art sur ces murs en recouvrant de précédents graffs donnant lieu à une exposition sans cesse renouvelée. Le terrain changeait constamment de couleur et d’ambiance. Un des graffs les plus connus est le ‘‘Criminal Art’’ visible depuis le métro. Traduit littéralement ‘‘Art criminel’’, il nous donne la connotation protestataire du graff.

La place carrelée servait de terrain de jeux aux danseurs. Vestige d’un ancien bâtiment, ce seul espace ‘‘aménagé’’ du terrain était parfait pour les danseurs à la recherche d’un endroit plat et lisse pour laisser parler leur corps. Le reste du terrain étant de la terre battue les danseurs avaient du mal à effectuer leurs pas acrobatiques.

Le long des murs les DJ prenaient place et lançaient leur platines et leurs musiques.

Ils se positionnaient très proches des murs et plus précisément le long des murs mitoyens avec les rails menant vers la Gare de l’Est et avec le Boulevard de La Chapelle pour détourner des lignes électriques. Les DJ étant les acteurs avec le plus de contraintes matérielles ils devaient donc être à l’abri des regards mais aussi proche d’une source d’électricité. Naturellement c’était autour des DJ que les MC, les rappeurs, se regroupaient pour participer à des battles ou pour performer.

Chaque secteur avait donc certaines caractéristiques favorables pour chaque aspect des cultures urbaines. En outre, autour de chaque ‘‘performeur’’ s’agglutinait des gens venus regarder les performances des artistes ou leurs fresques.

75

A l’instar d’une foule attirée par un commerçant dans un marché et qui entoure son stand, les personnes venues assister aux performances des artistes se mettent naturellement en cercle autour des artistes pour regarder. Ce phénomène apparaît souvent lors d’événements non planifiés, impulsifs et sauvages. C’est un réflexe.

On retrouve donc dans ce terrain trois cas de mise en place des spectateurs.

Le premier concerne les graffs. Les fresques murales ne peuvent être appréciées que dans une seule et unique direction, de face. De ce fait les spectateurs restaient en ligne devant les graffs et certains montaient sur les murs peints pour se prendre en photo. Comme dans un musée, les gens faisaient le tour du terrain pour voir et apprécier les différents graffs. Des parcours se dessinaient selon l’entrée que l’on empruntait pour accéder au terrain. Au fur et à mesure du temps les graffs faisaient partie du paysage du terrain et les habitués n’y faisaient plus attention et s’asseyaient devant les graffs.

Le deuxième concerne les danseurs et les rappeurs. Leurs performances pouvant être vues dans toutes les directions, les spectateurs se positionnaient absolument partout où ils le pouvaient: sur les murs, en face, derrière, sur les côtés, voir même dans d’autres immeubles voisins. Cet attroupement est dû à l’absence de séparations entre le public et l’artiste ou plutôt de limites physiques bien définies. En effet sans limites physiques ou au moins psychologiques les spectateurs prennent leurs places comme bon leur semble et de toutes les manières possibles. Là où, dans d’autres formes d’arts du spectacle, cela aurait pu poser problème sur des questions de distance ou de rapport au spectateur, dans les cultures urbaines c’est ce qui créait le charme de ces événements.

La seule vraie limite que les spectateurs n’osent pas dépasser est celle du sol carrelé. Ce carrelage symbolise la scène des danseurs et donc naturellement les spectateurs évitent de franchir cette ligne.

Le troisième concerne les DJ. En effet dans le cas des DJ on obtient une sorte de mélange entre les deux premiers cas. Étant installés le long des murs les spectateurs se disposent en demi-cercle autour du DJ, ne dépassant jamais la limite des platines et du matériel du DJ. Les spectateurs n’osant jamais passer derrière le DJ on obtient donc un arc de cercle en face du DJ. On retrouve cette mise en place avec d’autres styles musicaux, la techno notamment.

76

Figure 15 : Reconstitution en collage habitĂŠ du Terrain vague de La Chapelle.

77

Figure 16 : Danseurs sur la place carrelĂŠe du Terrain vague de La Chapelle.

78

La scénographie mise en place dans ce terrain n’est donc pas basée sur des codes ou des principes de mise en scène ou de scénographie mais bien sur ‘‘l’humeur’’ du spectateur. Le public est roi. Il décide de où il s’installe, à quelle distance, comment il s’installe et ce qu’il veut regarder. Nous comprenons que cette ‘‘humeur’’ est en fait un agissement naturel face à un événement voyant le jour devant nos yeux que nous pourrions qualifier d’enfantin. Plus jeunes nous nous mettions en cercle pour écouter le professeur parler.

Le public arrive pour regarder, écouter une performance ou voir une fresque et en l’absence de règles, il fait comme bon lui semble. L’absence de règles est en fait à la base même du mouvement. Comme dit plus tôt les cultures urbaines ont depuis leurs naissances, eu cette dimension de remise en question des règles. Cette dimension est poussée si loin que l’on ne se pose plus la question de savoir si nous devons imposer des règles ou pas.

Dans cet espace cloisonné et bien défini, de nouvelles règles voient le jour et prennent forme, celles de l’absence de règles. Elles permettent de créer une réelle connexion entre le public et l’artiste mais aussi d’impliquer le public dans la performance ou le graff, par ses sens dans un premier temps, le toucher, l’ouï, l’odeur, le son, et dans un second temps par cette connexion qui se crée, ce passage du public à l’intime.

Nous entrons dans le monde de l’artiste, nous vivons ce qu’il vit. Nous assistons à son art dans les mêmes conditions dans lesquelles l’artiste crée. Toute l’expérience en est changée.

Par exemple, au Louvre, si nous pouvions toucher ou s’approcher de très près de la Joconde, notre expérience ne serait pas la même, nos souvenirs de la Joconde non plus.

Un clivage important se dessine alors entre les cultures urbaines et les arts institutionnalisés: l’expérience. Dans les cultures urbaines nous expérimentons l’art dans son état le plus brut, dans les exactes mêmes conditions que lors de sa création, contrairement aux arts dits ‘‘classiques’’ qui eux mettent en scène des expositions ou des spectacles pour présenter leur création. Nous n’expérimenterons jamais les conditions dans lesquelles telle pièce ou tel tableau furent pensés et créés.

79

Le parvis des droits de l’homme

Figure 17 : Tour Eiffel vue depuis le Parvis des Droits de l’Homme.

83

LE PARVIS DES DROITS DE L’HOMME L’esplanade du Trocadéro, Palais Chaillot, 75016

Une des places les plus connues au monde, terrain de jeu des B-Boys, lieu touristique au rayonnement international, l’esplanade du Trocadéro offre un cadre sans pareil avec une vue centrée et imprenable sur la Tour Eiffel.

Elle fut créée en même temps que le Palais Chaillot dans les années 1930, à l’emplacement exact de la salle de concert de l’ancien palais du Trocadéro. De part et d’autres de la place nous retrouvons au total 8 statues représentant des allégories.

Le parvis est un hommage direct à la journée du 10 décembre 1948, jour où la Déclaration universelle des droits de l’Homme fut adoptée.

C’est donc dans ce contexte que les danseurs, et rappeurs prirent place pour montrer leur art.

Le choix impulsif des acteurs du mouvement devient un choix pertinent et logique.

Le Parvis des Droits de l’Homme devient rapidement dans les années 1980 le point de rencontre de nombreux jeunes, venus échanger les dernières techniques de danses ou les dernières tendances. Pour certains le parvis fut le commencement d’une grande aventure comme pour Solo, breakeur, qui sera recruté par Sidney un jour où il s’entraînait sur le parvis.

C’est donc dans cette arène que les danseurs prirent leurs marques.

84

Figure 18 : Morphologie du Parvis des Droits de l’Homme.

85

Figure 19 : Contexte entourant le Parvis des Droits de l’Homme.

86

CITÉ DE L’ARCHITECTURE ET DU PATRIMOINE Fondée en 2007.

PALAIS DE CHAILLOT

Construit entre 1935 et 1937.

CHAMP-DE-MARS Créé en 1908.

STATUES DU PARVIS DES DROITS DE L’HOMME

La Jeunesse Alexandre Descatoire

Flore Marcel Gimond

Le matin Pryas

La Campagne Paul Cornet

Les fruits Félix Desruelles

Le Printemps Paul Niclausse

Les Jardins Robert Couturier

Les oiseaux Louis Brasseur

MUSÉE NATIONAL DE LA MARINE Ouvert en 1752.

STATUE DE BENJAMIN FRANKLIN Créée en 1898.

MUSÉE DE L’HOMME Fondé en 1937.

87

Scène (Parvis)

Direction des performances

Figure 20: Reconstitution du Parvis des Droits de l’Homme.

88

Direction des vues

Entrées

Contrairement au Terrain Vague de La Chapelle, la totalité du parvis peut être utilisée pour les performances des artistes. En effet, là où dans le terrain vague chaque zone du terrain avait un certain programme ou activité, ici sur le parvis, l’entièreté de l’espace peut-être utilisée pour la performance des artistes.

Le parvis propose deux entrées, l’une au nord en venant depuis la place du Trocadéro et l’autre au sud en venant du Champ-de-Mars. Les acteurs du mouvement étaient essentiellement des danseurs. C’est en effet l’activité qui demande le moins de matériel mais aussi qui s’adapte le plus facilement à l’espace. Le sol minéral, plat et lisse du parvis était une aubaine pour les danseurs. A partir de l’arrivée des artistes, n’importe quelle zone du parvis pouvait servir de scène aux danseurs.

L’aspect le plus intéressant de cette appropriation n’est peut être pas la manière dont elle s’est mise en place mais plus dans son sens, son impact, sa symbolique.

Historiquement ce parvis a été témoin de nombreux événements majeurs: la signature de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme au Palais Chaillot en 1948, les rassemblements de masse au Champ-de-Mars, l’exposition universelle de 1889, sans compter les innombrables manifestations à caractère politique. Ces différentes revendications politiques, qui sont par ailleurs issues de différents pays du globe, ont marqué au fur et à mesure du temps ce parvis.

En outre, le contexte dans lequel existe cette place est aussi très important et empli d’histoire. Autour de la place on retrouve des éléments avec un fort rayonnement: le Palais Chaillot, la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, le Musée National de la Marine, le Musée de l’Homme, la Statue de Benjamin Franklin, le Champs de Mars, et enfin la Tour Eiffel. Il porte en lui le passé et l’histoire de tous ces éléments l’entourant. Étant en leur centre les éléments gravitent autour du parvis et lui donnent son importance.

S’approprier un espace tel que celui-ci implique donc de s’approprier aussi son histoire et son poids. La réquisition d’un espace du parvis implique aussi une portée politique et artistique. En effet lorsque un danseur vient danser sur ce parvis, inconsciemment, l’artiste va mettre aussi en jeu l’importance et la symbolique du parvis.

Danser dans la rue était pour les acteurs du mouvement un moyen d’appuyer leur existence, une sorte de besoin de reconnaissance mais aussi pour défier le système en place, le remettre en question. De ce fait venir pratiquer son art et de cette manière sur le Parvis des Droits de l’Homme renvoie à des notions de combats sociaux, de revendications, de soulèvement, de mouvement.

89

Au sein du parvis du Trocadéro, les spectateurs prennent naturellement place en cercle autour des artistes. Dans certains cas les danseurs demandent à ce que les spectateurs ne dépassent pas une certaine limite marquée soit par des effets personnels comme une casquette, une paire de baskets ou par une simple désignation d’une ligne au sol.

Une particularité des performances qui prennent place au sein du parvis est la direction des spectacles. En effet les danseurs ne font jamais face à la Tour Eiffel, ils donnent constamment dos à la Tour Eiffel. Se tenir dos à la Tour Eiffel donne l’impression que la Tour Eiffel leur appartient. Dans le cas contraire, c’est à dire si les danseurs faisaient face à la Tour Eiffel les spectateurs auraient l’impression de défis envers la Tour Eiffel. De plus, entouré par les deux ailes du Palais Chaillot, le parvis forme une arène. Cette forme particulière renvoie à des notions de combats, de batailles, d’affrontements, des notions à la base du break-danse et du Hip-Hop. Tout fait sens.

Plusieurs groupes de danseurs pouvaient prendre place en même temps au sein du parvis. On assistait donc à des contacts entre groupes de spectateurs. On obtient alors un phénomène intéressant. Les spectateurs venus assister à un spectacle A peuvent soudain dériver vers un spectacle B, et inversement. Cela crée beaucoup plus de partage avec le public car son nombre peut augmenter au fur et à mesure du spectacle. Ce phénomène est d’autant plus intéressant si nous commençons à imaginer des parcours pour les spectateurs. Ils peuvent se balader librement d’une performance à une autre, comme dans un musée.

On retrouve donc trois cas de figures au sein du parvis.

Le premier est celui du cercle. Tout comme au sein du Terrain Vague les spectateurs s’installent naturellement en cercle autour des danseurs. C’est une mise en place simple et efficace, sans règles, très impulsive.

Le deuxième est celui du carré ou rectangle. C’est le cas où les danseurs décident de poser une limite entre eux et les spectateurs pour pouvoir danser en toute liberté et sécurité. Ils marquent les limites de la scène la plupart du temps par des effets personnels comme des casquettes ou un simple pull. Cette démarcation est très importante car elle est imposée par l’artiste pour éviter de blesser un spectateur lors du spectacle.

Le troisième est celui du contact. Lorsque les spectateurs de deux spectacles différents entre en contact cela permet un plus grand partage avec le public qui peut se permettre de s’intéresser à plusieurs artistes à la fois et d’avoir un parcours au sein du parvis.

90

Figure 21 : Reconstitution en collage habitÊ du Parvis des Droits de l’Homme.

91

Figure 22 : Danseurs sur le Parvis des Droits de l’Homme en 1995.

92

Malgré le caractère urbain et public de ce parvis, son appropriation et son utilisation sont différentes de celles du Terrain Vague de La Chapelle. Le contexte, l’histoire, la propriété mais aussi l’état du parvis jouent beaucoup dans cette différence d’appropriation. La mise en place des spectateurs est très proche de celle qui a lieu dans le Terrain Vague.

La première différence est le contact qui se crée entre les différents cercles de spectateurs comme expliqué précédemment. Ce contact est très important car il dénote d’une plus grande aisance dans l’appropriation de l’espace, aisance qui apparaît comme paradoxale lorsque l’on remet le parvis dans son contexte. Ce paradoxe pourrait s’expliquer par la symbolique de cette appropriation. Danser sur le Parvis des Droits de l’Homme n’a pas la même portée que danser dans le Terrain Vague de la Chapelle. Le but ici est de se montrer, de s’imposer. Une certaine fierté en ressort.

C’est cette fierté qui fait la différence et qui donne des ailes aux artistes.

Plus un besoin de reconnaissance est fort, plus l’action qui en découle apporte de la fierté.

La deuxième différence réside aussi dans le fait que les graffeurs et tagueurs n’avaient malheureusement pas leur place au Trocadéro. Non pas par manque de talent, mais par manque de support. Naturellement les artistes évitèrent, à quelques exceptions près, de graffer le parvis ou les murs d’enceinte par respect pour le lieu car cela n’avait pas de sens de graffer les statues du parvis ou les murs d’enceinte.

Un des premiers but du graff est de donner une nouvelle couleur, une nouvelle vie à la ville. Dans l’exemple du Terrain Vague de la Chapelle, les graffs étaient des œuvres d’art là pour embellir l’espace de vie, mais quelle en serait l’intérêt dans un espace déjà empli d’art et d’histoire ? Sans aborder les raisons délictuelles que graffer un monument historique impliquent, on peut mieux comprendre pourquoi les graffs étaient absents du parvis.

L’intérêt de ce parvis face au Terrain Vague est sa plus grande visibilité et exposition, mais aussi les relations qu’il crée par la proximité des performances.

Pouvoir partager tout en existant.

93

B. Les espaces scéniques adaptés La vie à l’intérieur

LE bataclan

Figure 23 : Faรงade du Bataclan.

99

LE BATACLAN 50 Boulevard Voltaire, 75011

Salle de spectacle parisienne inaugurée en 1865 et édifiée par l’architecte Charles Duval, le Bataclan est classé comme monument historique depuis 1991. Il aura une histoire mouvementée depuis son inauguration à nos jours: refuge pendant la guerre de 1870; salle de concert jusqu’à son rachat en 1926 où elle devient salle de cinéma et de théâtre en 1932; victime d’un incendie en 1933 et partiellement détruit en 1950; ferme les portes de la salle de cinéma en 1969; de nouveau salle de concert en 1972 jusqu’en 1983 où la salle retrouve enfin sa vocation originelle, une salle de spectacles.

Très éclectique dans ses programmations, elle va devenir dans le monde du HipHop, une salle mythique emplie d’histoire et dont le passage est une étape obligatoire dans la carrière d’un rappeur. En effet, elle est un des premiers espaces intérieurs qui accepta d’accueillir la culture Hip-Hop en son sein.

En 1982, DJ Chabin organise des après-midi danse et musique au Bataclan appelés les Bata. Les plus grands danseurs (Joce, Snoopsy, Kiki, Jésus) se retrouvaient pour danser toute l’après-midi. Tous les styles avaient leur place: Jazz, Funk, Hip-Hop, Rock ... Petit à petit les créneaux du Hip-Hop prirent de plus en plus de temps. C’est en 1983, après un voyage à New York, que DJ Chabin décide de consacrer toute l’après-midi au Hip-Hop. Les après-midi eurent un énorme succès. Une effervescence et une réelle énergie se dégageaient de cette salle. Tout le monde dansait.

Il n’y avait pas de groupe, ou de cercle restreint. Tout le monde dansait ensemble.

Les plus grands foulèrent le sol de la salle. On peut notamment citer Joey Starr ou encore Kool Shen, qui forment le duo NTM. Petit à petit DJ Chabin laissa le micro à des rappeurs pour mettre l’ambiance. Les événements ont pris tellement d’ampleur que des clans ont commencé à se former, que la police a dû intervenir à chaque évènement et que les voisins commencèrent à se plaindre. En Septembre 1983, Stéphane Mouangué, l’organisateur des fêtes, dut prendre la décision de déménager le Bata au 33 Rue Grange-Aux-Belles, dans la ‘‘Maison des Syndicats’’.

100

Figure 24 : Vue intÊrieure de la salle du Bataclan depuis la scène.

101

Espace des danseurs et rayonnement

EntrĂŠe

Figure 25 : Reconstitution de la salle du Bataclan.

102

Espace du DJ Scène

Assises

Lorsqu’en 1982 DJ Chabin décide de lancer les après-midi Hip-Hop, il ne pensait pas que ces événements aurait un tel succès.

L’importance de cette décision n’était pas si évidente à l’époque mais quelques décennies plus tard on peut facilement comprendre et interpréter l’impact de cet événement. Les danseurs et DJ qui avaient du mal à trouver un endroit adéquat à leur activités, recevaient enfin un espace non seulement accueillant mais aussi parfait pour les danseurs. Le Bataclan fort de tout son passé et de son histoire devient alors un lieu d’expérimentation pour les danseurs qui, une fois à l’intérieur, peuvent laisser tout leur art s’exprimer.

On comprend alors que le fait d’accepter la venue du Hip-Hop dans un intérieur est un acte lourd de sens. En effet, cet accueil du mouvement au sein du Bataclan signifie aussi donner la chance à tous ces jeunes de travailler sur leur art et de leur donner une reconnaissance dont ils sont à la recherche. Le mouvement prend donc en ampleur mais aussi en légitimité. Dès le moment où les premières après-midi prirent place, le mouvement prit alors de la crédibilité face à ses détracteurs qu’ils soient d’ordre institutionnels ou judiciaires. Les policiers qui ‘‘ chassaient ‘‘ les danseurs, les graffeurs et les rappeurs dans la rue, ont tout d’un coup perdu le pouvoir et la pression qu’ils avaient sur les jeunes. Devenue légale, la pratique de cet art devenait de plus en plus reconnue et appréciée.

C’est en faisant un pas envers un mouvement que l’on en découvre son essence.

Le Hip-Hop qui avait une mauvaise image jusqu’à ce moment, venait de gagner sa légitimité d’exister. Danser au sein du Bataclan a un impact culturel mais aussi historique. D’une part, le Bataclan rentre dans l’histoire du mouvement et s’imprègne de l’âme du Hip-Hop et d’une autre part, le mouvement en lui même évolue et prend de l’ampleur.

103

Un des éléments qui changea la donne dans la salle du Bataclan est la présence d’une estrade. Cette estrade qui est la scène, le lieu de représentation n’était pour l’instant pas apparue dans les différentes rencontres des danseurs et des DJ. Tout le monde s’exprimait au même niveau.

Lorsque les DJ et les danseurs durent s’installer et la musique étant l’élément central de la danse Hip-Hop, car sans elle pas de rythmes ni de tempo, c’est donc naturellement sur l’estrade que le DJ prit place. Les danseurs profitèrent quant à eux de la grandeur de la salle, dont les sièges peuvent être retirés.

Chacun avait trouvé ce dont il avait besoin: les DJ, un espace assez grand pour placer tout leur matériel, une source d’énergie assez accessible et surtout une certaine distance avec les danseurs dont les pas de danses peuvent être très acrobatiques certaines fois et qui représentent un potentiel danger pour le matériel; les danseurs eux, une grande salle avec un sol lisse et à l’abri de la police, permettant aux danseurs de danser n’importe où dans la salle et ce qui rendait l’expérience inédite.

La nouvelle position du DJ renforça son pouvoir de décision. Il décidait déjà du rythme et des chansons qui passaient mais là, grâce à cette différence de niveau, le DJ devenait l’organisateur et le décideur de l’événement. DJ Chabin, étant l’organisateur des événements, avait alors une position de chef d’équipe en quelque sorte. Cette position là lui permit après quelques temps de commencer à inviter des rappeurs pour entretenir l’effervescence de la salle.

On passait de l’extérieur où les B-Boys dansaient là où ils le pouvaient, à un espace intérieur contenant toute cette énergie dégagée des performances. En pénétrant dans la salle on est directement frappé par la tension qui y règne. Tout le monde danse partout, les acrobaties prennent bien plus d’importance, les pas de danse aussi. L’expérience devient alors unique et aurait été totalement différente dans un espace extérieur. On peut voir la sueur du danseur, sentir le courant d’air créé par un coup de pied acrobatique, entendre le grincement du caoutchouc des chaussures sur le sol.

104

Figure 26 : Reconstitution en coupe/collage habitĂŠ de la salle du Bataclan.

105

Figure 27 : Vue intĂŠrieure de la salle du Bataclan depuis les gradins.

106

Le Bataclan a été un des éléments fondateurs du mouvement Hip-Hop tel que nous le connaissons aujourd’hui. En effet étant l’un des premiers espaces intérieurs à avoir ouvert ses portes au Hip-Hop, le mouvement s’est imprégné des événements qui se sont déroulés en son sein.

Le premier, qui me semble majeur, est l’arrivée de la scène, de l’estrade. Cet élément a permis d’imposer une hiérarchie entre les danseurs et le DJ et de poser une distance entre les jeunes en mouvement et le DJ immobile. Il obtient un rôle de régisseur.

Le deuxième est la salle en elle même. L’espace contenant tous ces danseurs en frénésie s’emplit d’une importante énergie. Cette énergie va elle influer sur l’expérience de ces jeunes. Le Hip-Hop prend alors une autre dimension.

L’espace intérieur va influer sur l’expérience du spectateur. D’une part par la distance mise entre le DJ et les danseurs donnant alors une hiérarchie visible et d’autre part par la salle qui devient une cocotte minute et qui déborde d’énergie.

107

Le bataclan II

Figure 28 : Faรงade de la Maison des Syndicats.

111

LE BATACLAN II 33 rue Grange-aux-Belles, 75010

Au début du XXe siècle la ‘‘Maison des Syndicats’’ s’installe dans un immeuble au 33 rue Grange-Aux-Belles dans le 10ème arrondissement de Paris. Cet immeuble était dès 1907 le lieu d’activités de la Confédération Générale du Travail. Servant de lieu de rassemblements pacifistes durant la Grande Guerre, différents acteurs de différents mouvements politiques comme les anarchistes, les socialistes ou encore les communistes y organiseront des réunions, des congrès, des événements.

En 1924, une fusillade a lieu au sein de la grande salle due à des désaccords et des conflits au sein des groupes socialistes qui utilisaient la salle. Cette fusillade était une prise de contrôle de la salle de la Grange-Aux-Belles qui représentait à ce moment là un élément de pouvoir pour les socialistes. Durant les années trente la salle est le lieu de rassemblement des socialistes, jusqu’en 1939 où elle est mise sous séquestre.

En 1983, elle sera récupérée par DJ Chabin pour y organiser les après-midi du Bata II. Progressivement les danseurs, DJ, et rappeurs investirent la grande salle pour laisser parler leur art. Renommé le Bata 2 ou Bataclan 2, les après-midi continuèrent d’attirer de plus en plus de personnes et de jeunes chaque après-midi. Le succès de la deuxième version dépasse celui du premier Bata. Près de 2000 personnes se retrouvaient pour danser tous les week-ends. Le Bataclan II avait selon les habitués ‘‘des faux airs de Roxy, la légendaire boîte New Yorkaise.’’

L’ambiance était bien plus électrique qu’au Bataclan. L’estrade qui surplombe la salle servait à DJ Chabin pour poser ses platines, et lancer la musique. La salle quant à elle était le territoire des danseurs. Au moment du déménagement quelque chose changea totalement. Les après-midi devinrent totalement et à cent pour cent Hip-Hop, les autres styles comme la Funk, un peu marginaux restèrent au Bataclan et investirent d’autres lieux. Le Hip-Hop prit enfin sa place et son hégémonie. ‘‘ ‘‘[...] Quand je suis arrivé là-dedans, je me suis pris une claque ! Le son, la danse, le feeling, tout ça, c’était une autre dimension. [...]’’ ‘‘

112

Figure 29 : Vue intĂŠrieure de la salle de la Maison des Syndicats.

113

Espace des danseurs et rayonnement

EntrĂŠe

Espace du DJ Scène

Figure 30 : Reconstitution de la salle de la Maison des Syndicats.

114

Assises

Comme nous l’avons vu, entre le Terrain Vague de La Chapelle et le Parvis des Droits de l’Homme, le contexte d’un espace, bien que non revendiqué initialement, joue un rôle très important dans l’interprétation que nous pouvons faire des actions qui s’y déroulent. Etant précédemment un lieu de rencontre des socialistes français, la Maison des Syndicats s’est imprégnée d’une âme revendicatrice de droits sociaux.

Ce fort aspect politique et revendicateur trouvera écho dans les valeurs des jeunes issus de la culture Hip-Hop. Ce passé politique vient donner une dimension plus profonde aux actes des DJ et des danseurs. Le DJ devient l’orateur socialiste qui prend la parole pour clamer un long discours sur la lutte contre le système capitaliste. Les danseurs eux sont les ouvriers qui écoutant ce discours deviennent fous de rage et se lancent contre ce système en place pour le faire tomber.

Tout le combat de ces jeunes prend une ampleur nouvelle au sein de cette salle.

Leurs revendications deviennent alors comparables à celle des socialistes du vingtième siècle. Le plus intéressant dans ce phénomène est la non-connaissance du contexte lors de l’appropriation de cet espace. Le destin les aurait presque menés vers cet espace empli de sens et d’histoire. Cette innocence ne fait que renforcer l’idée que leurs revendications et aspirations étaient authentiques. En effet si la démarche était calculée et prévue elle aurait pu perdre en authenticité.

115

La logique s’appliquant à la Maison des Syndicats est très proche de celle là qui a pris place au Bataclan. Comme dit précédemment, l’estrade joue un rôle très important dans la scénographie dans un espace intérieur. Elle vient apporter une hiérarchie, de l’ordre au milieu du chaos qui règne dans la salle.

La salle propose une très haute estrade et une grande salle. L’estrade comme la scène du Bataclan va jouer un rôle de mise en distance entre les danseurs et le DJ qui devient alors encore une fois ‘‘chef’’ de l’événement. L’estrade bien plus haute que la scène du Bataclan vient renforcer cette distance et cette hiérarchie. D’après les témoignages récoltés pour l’écriture du livre ‘‘Regarde ta jeunesse dans les yeux’’, le Bataclan II avait des airs de Roxy, boîte de nuit New-Yorkaise. Les après-midi du Bata II eurent beaucoup plus de succès que le Bata I, grâce à l’image qui se créa autour de ces après-midi. On comprend que l’estrade devienne un élément important d’une scénographie Hip-Hop . Elle permet de donner les rennes au DJ et laisse toute la place nécessaire aux danseurs pour s’exprimer.

Le succès de ces après-midi nous confirme que le mouvement ne manquait pas d’énergie mais d’une manière de canaliser cette dite énergie. La salle de spectacle était une bonne alternative pour canaliser cette effervescence. Finalement il ne manquait qu’un élément déterminant à la mise en place des premières règles de la scénographie du mouvement Hip-Hop et ce fût l’estrade. Cet élément si simple en apparence a permis de faire évoluer la mise en place de ces jeunes d’une manière intéressante, en acceptant de léguer une part de pouvoir au DJ.

116

Figure 31 : Reconstitution en coupe/collage de la salle de la Maison des Syndicats.

117

Figure 32 : Vue intĂŠrieure de la salle de la Maison des Syndicats.

118

La Maison des Syndicats représente, dans l’histoire du mouvement, la confirmation et la concrétisation des après-midi Hip-Hop du Bata. Lors du déménagement du Bata du Bataclan vers la Maison des Syndicats, l’avenir des après-midi était incertain au départ. Cependant l’histoire fût différente. A partir du déménagement les après-midi du Bata prirent une nouvelle dimension réunissant près de 2000 personnes à chaque événement.

Les jeunes venus simplement assister aux acrobaties des danseurs, ne se concentrent plus que sur les danseurs, là où auparavant leur attention était partagée entre les figures des danseurs et les manipulations du DJ sur les platines. Le DJ perdant l’attention des spectateurs, il put se concentrer totalement sur sa musique et sur ses instruments.

Le contexte de la salle vient renforcer des revendications profondes. Le besoin d’ascension sociale qui portaient les socialistes venus se retrouver dans cette salle pour nourrir leur cœur révolutionnaire, est intrinsèquement le même que celui qui porte ces jeunes danseurs et artistes.

119

Du Terrain Vague à la Maison des Syndicats le mouvement s’est adapté à ce que son environnement lui proposait.

Né dans la rue et à l’extérieur, le Hip-Hop a du se frayer un chemin dans la ville pour se trouver des espaces d’expression. Ces espaces d’expression furent dans un premier temps des espaces extérieurs appropriés par le mouvement. Deux espaces furent des espaces clefs pour le développement du Hip-Hop: le Terrain Vague de La Chapelle et le Parvis des Droits de l’Homme.

Au sein de ces deux espaces, l’un public l’autre privé, très différents dans leur morphologie, des scénographies très proches prirent place. Les différents acteurs arrivant dans ces espaces utilisèrent leur espace d’une manière innocente. Les DJ se retrouvèrent les long des murs du Terrain Vague devant les tags des graffeurs.

C’est lorsque nous nous intéressons aux danseurs que les similarités apparaissent.

Que ce soit dans le Terrain Vague ou sur le Parvis, les danseurs demandaient à leur public de se mettre en cercle, ou en carré autour d’eux. La forme que prenait la foule n’était pas l’élément important à relever, mais la mise en place d’une distance entre le spectateur et le danseur.

Lors de l’arrivée de ces jeunes dans la salle du Bataclan et du Bataclan II, une nouvelle logique vit le jour. Le DJ n’était désormais plus avec les danseurs mais sur une estrade, loin des danseurs et de la frénésie de leur danse. Propulsé en haut de cette estrade, le DJ a obtenu un rôle d’organisateur, qu’il avait certes auparavant (les événements organisé par Dee Nasty au Terrain Vague) mais qui s’est concrétisé ici par un élément spatial. Les danseurs eux, restèrent dans leur mise en place en cercle.

Les premiers codes scénographiques du Hip-Hop peuvent alors être mis en lumière: une mise en place en cercle, innocente, chaotique, qui impose un fort rapport à son public; ces cercles interagissent entre eux et mêlent les spectateurs; le DJ à l’écart des danseurs, sur une estrade lui donnant les rennes de la soirée.

Le passage de l’extérieur vers l’intérieur est l’acte qui changea la donne pour le mouvement car l’expérience que l’on pouvait en faire prit une nouvelle dimension à partir de ce moment précis. Toute l’énergie et l’implication des danseurs et DJ étaient confinées au sein d’un même espace. Ce confinement et la canalisation de cette énergie permirent de proposer une nouvelle expérience aux spectateurs qui passèrent d’un simple coup d’œil sur le Parvis des Droits de l’Homme à un réel intérêt pour ce mouvement artistique et idéologique.

121

IV. indĂŠpendance et ĂŠmancipation

De sa naissance à sa concrétisation et jusqu’à son explosion de nos jours le mouvement Hip-Hop a énormément évolué en développant au sein même du mouvement de nouveaux sous-mouvements et styles et de nouveaux codes. Depuis la rue, la scénographie du Hip-Hop a évolué, se retrouvant aujourd’hui sur les plus grandes scènes françaises comme Bercy, le Zenith, le Bataclan ... Cependant sa scénographie reste basée sur les mêmes codes que la scénographie de ses débuts.

Le mouvement Hip-Hop reste très attaché à ses racines et à ses origines, que ce soit à un niveau artistique ou bien idéologique. Le mouvement Hip-Hop a su se renouveller tout en gardant cette part d’authenticité du départ. Aujourd’hui de nombreux événements, rencontres, concerts et spectacles gravitant autour du mouvement voient le jour continuellement et chacun de ces événements dévoile des caractéristiques intéressantes.

Pour illustrer l’état actuel de la scénographie du mouvement, nous allons porter notre attention sur deux émissions nées au coeur du mouvement Hip-Hop: ‘‘Dans Le Club’’ produit par la radio Mouv’ et Arte, et ‘‘Rentre Dans Le Cercle’’ produit par le rappeur Sofiane Zermani.

125

dans le club

Figure 33 : Concert de Hamza pour Dans Le Club.

129

DANS LE CLUB La Station, 29 Avenue de la Porte d’Aubervilliers, 75018

‘‘Dans Le Club’’ est une émission née d’une collaboration entre la radio Mouv’ et la chaîne de télévision Arte, et dont la première édition prit place le 28 Mars 2018. Le concept est de proposer aux spectateurs une série de concerts événements réunissant un ou plusieurs rappeurs, dans une salle choisie au préalable. L’idée ici est de proposer un concept applicable à différents espaces et qui en sont justement indépendants.

Quatre fois dans l’année l’événement prendra place à La Station, ancienne friche industrielle transformée en boîte de nuit et espaces artistiques. Chaque soirée sera filmée, enregistrée puis enfin publiée sur le site de Arte Concert.

La scène Rap francophone est aujourd’hui une industrie à part entière. Elle ne cesse d’évoluer de jour en jour et le rythme de cette évolution ne cesse de s’accélérer.

Dans Le Club est né. L’événement s’adresse aux fans de Rap pour leur proposer des événements suivant de près l’actualité du genre mais en mêlant aussi des artistes renommés du genre. Mêler l’histoire et l’actualité.

Depuis sa naissance l’événement a eu lieu déjà 5 fois rassemblant les étoiles montantes du mouvement comme les pionniers du Rap Français. Quelques éditions prirent place à la Gaîté Lyrique mais le principal espace est celui de La Station à Aubervilliers.

130

Figure 34 : Logo de l’émission.

131

Scène et rayonnement Figure 35 : Reconstitution de l’émission.

132

Entrée

Zones techniques (Caméras, DJ)

‘‘Dans Le Club’’ fut développée courant 2018 afin d’aboutir à une série d’événements/ émissions disponibles sur internet. Le concept est simple: des invités, rappeurs et DJ, venus donner un concert au sein d’une petite salle avec un public restreint. Le but est de faire découvrir les nouvelles étoiles montantes du Rap Français, de remettre au devant de la scène les pionniers du Rap et de nourrir une culture de plus en plus grandissante.

L’essentiel des émissions Dans Le Club furent tournées à La Station, endroit exceptionnel, regorgeant de talents, d’énergie et d’ambitions, ce qui pourrait nous rappeler certains jeunes danseurs des années 1980 qui dansaient dans un Terrain Vague perdu à la Chapelle. Nous comprenons la relation qui vient se créer à ce moment là. Choisir cet espace comme lieu de représentation est un acte lourd de sens. Les organisateurs par cet acte, soutiennent la réappropriation de cet espace pour lui donner un nouveau but.

Comme dit précédemment, le mouvement reste jusqu’à aujourd’hui très attaché à ses racines. De ce fait le choix de cet espace devient logique. Les acteurs du mouvement Hip-Hop ont toujours soutenu toutes formes d’engagement, de revendications et d’ambitions d’évolution sociale. Le projet de La Station représente bien toutes ces ambitions.

133

Une fois dans la salle de La Station dédiée à l’émission les organisateurs ont décidé d’appliquer des principes connus du Hip-Hop: une petite estrade a peine plus haute qu’une marche au centre d’une pièce; le DJ sur un côté de la salle; et le public debout autour de l’estrade. Une mise en place claire et directe.

Cette mise en place n’est pas anodine. Comme nous l’avons vu, les codes scénographiques du Hip-Hop sont basés sur deux principes fondamentaux: l’estrade posant une distance entre l’artiste et les spectateurs; la mise en place en cercle créant une proximité entre l’artiste et le spectateur. Nous avions observé ces deux phénomènes appliqués aux DJ et aux danseurs mais le principe reste identique lorsqu’il est appliqué à des rappeurs.

Les rappeurs étant l’attraction principale de cet événement, le DJ se retrouve dans l’ombre. La lumière mise sur les rappeurs nous a permis de souligner l’utilisation des principes fondamentaux de la scénographie du Hip-Hop, cités plus haut. Les fortes similitudes entre la scénographie d’une jeune émission et la scénographie des rassemblements des années 1980, ne font que nous confirmer la source d’inspiration de la production de cet événement.

Cette disposition claire, rencontre un franc succès chez les fans du genre qui trouvent dans ce genre d’événement une intimité inexistante lors des concerts de grandes envergures de ces mêmes artistes. De plus elle réveille, chez les fans plus âgés, de vieux souvenirs.

134

Figure 36 : Concerts de (de haut en bas) Slimka et Di-meh, Jazzy Bazz, 13 Block et Oxmo Puccino.

135

Figure 37 : Concert de Youssoupha.

136

En parallèle du développement des autres événements de grandes ampleurs qui ont lieu régulièrement le long de l’année comme les festivals, les concerts, les galas... de nouveaux événements plus intimistes voient le jour de plus en plus, et ce quelque soit le genre musical concerné.

Cet apport d’intimité, perdu au fil du temps par le développement des événements de masse, a manqué à bon nombre d’auditeurs à la recherche d’une expérience et d’une relation différente avec leur artiste. Cette recherche d’intimité est renforcé par l’explosion des réseaux sociaux qui ont considérablement réduit la distance entre les auditeurs et les artistes. Cette question de rapprochement entre les artistes et les spectateurs fut résolue avec l’arrivée de ces événements au public restreint et sélectionné. Par sélectionnés j’entends dire que les participants de ce genre d‘événement sont souvent des fans assidus, qui connaissent le genre sur le bout des doigts.

Pour le cas de ‘‘Dans Le Club’’, on part du point de départ d’événements intimistes et on vient y ajouter des éléments de scénographie issus des cultures urbaines: l’estrade et le cercle. Rien de mieux pour des fans en recherche de contact avec leur artiste et de connexions.

Connaissant le sérieux et la légitimité d’acteurs comme Arte et la radio Mouv’, nous comprenons la portée d’un tel événement. Non seulement Arte vient s’inscrire au sein de ce mouvement et veut en devenir un acteur, mais sa démarche est appuyée par la participation de la radio Mouv’, référence médiatique du mouvement.

Son succès est aussi dû à la création d’un nouveau format au sein du mouvement bien plus parlant que des festivals au yeux des fans de Rap. Allier les éléments scénographiques du début du mouvement à des techniques actuelles de mise en scène et nous obtenons un cocktail explosif et qui fonctionne.

137

Rentre dans le cercle

Figure 38 : Premier épisode de l’émission avec au centre de l’image, le rappeur Sofiane.

141

RENTRE DANS LE CERCLE Lieux différents pour chaque épisode

‘‘Rentre Dans Le Cercle’’ est une émission avec un principe simple: faire découvrir les différents aspects et métiers du monde du Rap. Différents rappeurs sont invités à faire un freestyle (cour texte de Rap sans thème ni construction précise) à tour de rôle. Les performances des rappeurs sont entrecoupées d’entretiens avec des professionnels du genre comme des journalistes, des producteurs, des beatmakers (compositeurs), ou encore des directeurs artistiques. Totalement produites et présentées par le rappeur Sofiane, l’émission est publiée sur le site internet Youtube et sur la chaîne de média Daymolition.

Cette émission fût publiée pour la première fois le 8 Septembre 2017, et s’en est suivi une vingtaine d’épisodes divisés entre 2 saisons.

L’émission se déroule comme tel: au démarrage Sofiane présente briévement les différents invités et le DJ de l’émission; les rappeurs sont alors en cercle et tour à tour, lorsque Sofiane les présente, chacun d’entre eux prend alors place au centre du cercle et fait son freestyle; tous les deux ou trois freestyles, Sofiane donne la parole à des professionnels du métier. Chaque deux épisodes sont tournés dans un lieu différent: parking, hangar, salle de basketball, un ring de boxe, dans une propriété au caractère médiéval et même au Théâtre du Gymnase.

142

Figure 39 : Logo de l’émission.

143

Figure 40 : Collage fait à partir des images de différentes émissions.

144

‘‘Rentre Dans Le Cercle’’ est une émission qui change de lieu de tournage tous les deux épisodes. Nous pouvons avant tout souligner la diversité de ces espaces: intérieurs, extérieurs, privés, publics, désaffectés, en usage... Nous allons d’un parking, à une entrée de domaine médiéval en passant par un ring de boxe. Cette mixité nous permet de mettre en lumière un point important: l’adaptabilité de l’événement et de sa scénographie, qui arrive à s’intégrer parfaitement à tous ces espaces.

Demandant peu de moyens techniques, ‘‘Rentre Dans Le Cercle’’ n’a besoin d’installer techniquement que le DJ, les cameramans et le ‘‘coin’’ interview pour les entretiens. Il est donc possible pour l’équipe de production d’installer le tournage de l’émission là où bon leur semble.

Cette capacité à s’adapter est d’une part issu du peu de moyens requis mais aussi de la façon dont est pensé l’émission. Le nom de ‘‘Rentre Dans Le Cercle’’ vient de l’acte que fait le rappeur de rentrer littéralement dans le cercle que forment les autres artistes autour de lui, rentrer sur scène en d’autres termes. Cette disposition est tirée directement des débuts du mouvement lors des premiers battles où les rappeurs ou danseurs se mettaient en rond et ‘‘combattaient’’ au sein de cette arène.

Utiliser ce code scénographique du cercle est une très bonne idée car c’est elle qui crée justement l’adaptabilité de l’émission. La scène est créée par les artistes eux mêmes, nullement besoin d’en mettre une nouvelle en place à chaque déplacement.

Cela donne une dimension intemporelle et inconditionnelle à cet événement. Il aurait pu avoir lieu aujourd’hui ou bien il y a 40 ans, ici ou là-bas, l’âme en aurait été la même.

145

Pouvoir se permettre de tourner les émissions dans n’importe quel lieu est une force sur un plan technique mais aussi sur le plan culturel. Cette adaptabilité va permettre d’apporter différents sens à l’appropriation de l’espace.

Pour illustrer mes propos, voici différents exemples d’espaces réappropriés dans le cadre de cette émission. Malheureusement, n’ayant pas pu rencontrer une personne en charge de l’émission et en l’absence de quelconque information, nous ne pouvons replacer ces différents lieux dans leur contexte.

Saison 1 - Épisode 1 Le premier épisode de l’émission prend place au sein d’un parking qui semble être à l’arrière d’un entrepôt industriel. Ici le cercle est formé par des voitures, des motos, les rappeurs et la table du DJ. Ce choix n’est pas anodin. Débuter par un espace sans attache, une sorte de non lieu, permet de mieux percevoir la perspective de possibilités qu’offre un tel concept. Pour donner un ton plus grave à la situation, des tonneaux enflammés ont été disposés de part et d’autres de l’angle de la caméra.

Saison 2 - Épisode 3 Nous nous retrouvons sur un ring de box. Le cercle est comme à son habitude formé par les artistes et le DJ. Le ring de box nous renvoie directement à l’affrontement des artistes au travers des battles. Que ce soit les danseurs et les rappeurs, les deux domaines ont été très fortement marqués par l’arrivée des battles. C’est donc un acte réfléchi que de s’installer sur un ring de box, et de ramener cette dimension d’affrontement entre les artistes, cet esprit de compétition.

Saison 2 - Épisode 5 Aucune information sur le lieu n’est donné. On se retrouve devant ce qui semble être l’entrée d’un domaine médiéval, on voit une grande porte en bois, des murs en pierre, des engrenages rouillés. Cet espace procure le sentiment que le spectacle auquel nous assistons est intemporel et qu’il aurait très bien pu avoir lieu au Moyen-Âge.

Cela nous renvoie aussi aux joutes équestres et aux tournois qui avaient lieu au Moyen-Âge.

Saison 2 - Épisode 7 Nous nous retrouvons au sein du Théâtre du Gymnase Marie-Bell, non pas dans la salle du spectacle mais quelque part dans le théâtre. Ici, comme d’habitude tout le monde est en cercle au sein d’une pièce au décor classique. Le message qui est retransmis ici est un message de culture. La culture est faite pour tous et aucun stigmate ou cliché ne devrait interféré lors de la transmission de cette culture. Le Hip-Hop a autant de valeur qu’un art dit ‘‘classique’’.

146

Figure 41 : Images des émissions citées ci-contre, dans le même ordre.

147

En récupérant la mise en place en cercle issue des battles et des performances de rue des années 1980 et 1990, la production de l’émission va d’une part participer à la pérennité de ce genre de mise en place, impulsive et innocente, et d’une autre part pouvoir s’adapter à toute sorte d’espaces et de lieux. Grâce à ces événements qui paraissent à première vue sauvages et chaotiques, l’émission ‘‘Rentre Dans Le Cercle’’ va donner une très grande visibilité à de jeunes artistes en usant de codes scénographiques anciens parlant plus à des fans âgés.

Cette émission fut un grand succès auprès du public qui la considère aujourd’hui comme un classique du genre. Les professionnels du métier qui y ont vu une nouvelle manière de promouvoir leur art et leur métier. L’utilisation de la mise en place en cercle est à mon avis la clef de ce succès car la simplicité de la scénographie, de la programmation et de l’émission en elle même ont permis aux jeunes comme aux plus âgés de se retrouver dans les performances des artistes et de créer l’engouement autour de cette dite émission.

148

Figure 42 : Épisode 7, avec, de gauche à droite, Sofiane et Sadek.

149

De nos jours, de nombreux nouveaux concepts d’émissions ou d’événements voient le jour. Ils basent leur proposition sur des éléments historiques du genre. Les deux émissions choisies ici sont des exemples très parlants et qui illustrent cette idée très bien. ‘‘Dans Le Club’’ et ‘‘Rentre Dans Le Cercle’’ sont des émissions qui innovent dans le monde du divertissement autour du Hip-Hop. Comme nous l’avons vu en première partie d’analyse, certains éléments de scénographies et de mises en scène ont pu être identifiés au fil du temps comme la mise en place en cercle et l’estrade. Ces éléments font parties des facteurs influents sur la pérennité du genre Hip-Hop. Ce sont ce genre d’éléments qui ont permis au Hip-Hop de vivre dans un espace intérieur. L’ayant bien compris les producteurs de notre époque jouent avec les codes scénographiques des battles et des rencontres des années 1980 pour donner une nouvelle dynamique à leurs événements.

La réelle force de ces événements/émissions est leur capacité à s’adapter à l’espace qui leur est proposé. Cette adaptabilité devient, à notre époque, une force car elle permet de déplacer le concept là où on le souhaite et de jouer avec l’espace. Cette adaptabilité est possible grâce à la réappropriation des codes scénographiques du début du mouvement. De plus, cette capacité à s’adapter aux espaces permet d’atteindre un plus large public en diversifiant les espaces et le contexte.

151

conclusion

Le mouvement a connu diverses évolutions durant toute son histoire vieille maintenant de plus de quarante ans. A travers toute cette période sa scénographie a elle aussi évoluée.

Né dans la rue et pour la rue, le Hip-Hop s’est tout d’abord développé à l’extérieur, dans l’espace urbain. Dans les banlieues, les premiers danseurs, graffeurs, DJ et rappeurs se sont réappropriés leur espace en lui donnant de nouvelles définitions.

Le hall d’un immeuble devenait une scène pour des battles de danse, le mur d’une barre devenait une galerie à ciel ouvert où les graffeurs donnaient de nouvelles couleurs à leurs villes. Une fois arrivé à Paris, au cœur de la ville, le mouvement s’infiltra partout où il le pouvait. Comme nous l’avons vu, aussi bien dans un terrain vague oublié du dix-huitième arrondissement de Paris que sur le Parvis des Droits de l’Homme, le Hip-Hop trouva sa place.

Les acteurs du mouvement, avec innocence et dans le chaos, ont adopté certains codes de mise en scène et de scénographie qui perdurèrent dans le temps. Rapidement, lors des rencontres des danseurs et des rappeurs le public se plaça en cercle ou en rectangle autour des artistes, une distance qui marque la séparation entre l’artiste et le public mais qui est à l’opposé des scénographies dites ‘‘classiques’’ des arts institutionnalisés. La proximité quand même présente entre l’artiste et le public va être déterminante pour l’expérience de l’usager. Cette expérience est au cœur de la scénographie du Hip-Hop. Etant à l’extérieur le mouvement n’évoluait plus, ou plutôt, gardait la même image négative de mouvement issu des banlieues, de mouvement barbare. Il fallut attendre le déplacement du mouvement à l’intérieur des bâtiments pour qu’une vraie évolution voit le jour. De plus, le mouvement manquait d’organisation et de cadre, ce qui jouait en sa défaveur quant à son évolution.

154

Le Bataclan fut un des premiers espaces intérieurs à accueillir le Hip-Hop. Cet accueil va engendrer l’expansion du mouvement. En effet, à partir de ce moment là, de plus en plus de personnes firent le pas vers le mouvement pour le découvrir.

Des après-midi furent organisées, où les danseurs se retrouvèrent pour danser tous ensemble au sein de la même salle. Le DJ placé à l’écart et en hauteur par rapport aux danseurs, prit rapidement le rôle d’organisateur et de décideur des événements.

Il était au centre des décisions mais à l’écart de l’attention, attention qui se tourna aussitôt totalement vers les danseurs et rappeurs.

Le même scénario se déroula lors du déménagement vers le Bata II ou lorsque d’autres espaces acceptèrent le mouvement en leur sein, comme le club Globo, une des premières boites de nuit parisiennes à organiser des soirées 100% Hip-Hop. Le passage de l’extérieur à l’intérieur est ce qui va permettre au Hip-Hop d’exploser un peu plus tard dans la société française. Ce changement de cadre a permis d’une part de procurer une organisation, une rigueur, et un cadre dont manquait cruellement le mouvement qui avait des évolutions chaotiques jusque là.

155

La réappropriation des espaces urbains et ensuite des espaces intérieurs, permit au mouvement de développer ses propres codes scénographiques, simples en apparence, mais d’une grande efficacité. Ces dits codes scénographiques sont à la base issus de comportements naturels, que nous expérimentons tous lorsque nous rencontrons des artistes de rue.

Ces mêmes codes, perdurèrent à travers le temps pour arriver jusqu’à nous. Il était donc logique et même intelligent de réutiliser ces codes lors de la conception de nos événements. Certes, le Hip-Hop a tellement pris en ampleur que nous le retrouvons aujourd’hui dans les plus grandes salles de spectacles et de concerts avec des scénographies ‘‘classiques’’. Cependant une partie des acteurs du mouvement essaye de réinventer les événements et rencontres Hip-Hop en réutilisant précisément les codes issus du mouvement, nés dans le mouvement.

Comme nous l’avons vu à travers différents exemples ce genre d’événements, nouvelle génération, rencontre un franc succès chez les jeunes et même chez les plus âgés. De plus, leur intérêt est reconnu non seulement auprès du public qui apprécie de plus en plus ce genre de rendez-vous presque intimes, mais aussi auprès des professionnels du métier et du genre qui reconnaissent et saluent l’intelligence des concepts et des initiatives.

156

Le Hip-Hop est un des mouvements artistiques qui a le plus marqué son époque.

Aujourd’hui, le Rap (et le Hip-Hop plus généralement) est la première musique écoutée à travers le monde et c’est aussi le cas en France. La France représente le deuxième marché de consommation de Rap au monde après les États-Unis. Cette hégémonie ne semble pas diminuer ou avoir une quelconque faiblesse car plus le temps passe plus elle s’impose. Son développement et celui de sa scénographie dans le futur restent aujourd’hui des mystères mais nous pouvons être certain qu’il tend à perdurer et à réinventer ses codes sans cesse.

Quelle serait la prochaine étape pour le Hip-Hop ? Après être passé de l’extérieur à l’intérieur, de l’intérieur aux plus grandes salles de spectacles, aux plus grandes salles aux nouvelles façons de penser l’espace et la scénographie, quelle serait la nouvelle évolution du mouvement ? De quelle manière ses codes pourraient-ils évoluer et s’enrichir ? De nombreuses questions qui me rendent impatient face à l’avenir du mouvement.

Le mouvement a réussi à créer ses propres codes scénographiques, à les adapter aux espaces qui lui étaient proposés mais surtout de s’adapter à toutes les époques par lesquelles il est passé. Des années 1980 à aujourd’hui ses acteurs ont su le modeler pour qu’il soit en adéquation avec son époque et son temps.

157

BIBLIOGRAPHIE Livres: - BLONDEAU, Thomas / HANAK, Fred, Combat Rap, 25 ans de Hip-Hop / Entretiens, Le Castor Astral, Bordeaux, 2007 - BLONDEAU, Thomas / HANAK, Fred, Combat Rap II, 20 ans de rap français / Entretiens, Le Castor Astral, Bordeaux, 2008 - BLONDEAU, Thomas, Hip-Hop, Une Histoire Française, Tana éditions, Paris, 2016 - BOUDET, Marc / RAMIER, Jay One / OMORI, Yoshi, Mouvement, Du terrain vague au dance floor, 1984-1989, Le mot et le reste, Paris, 2017 - CHANG, Jeff, Can’t Stop Won’t Stop, Editions Allia, Paris, 2017 - LAFARGUE DE GRANGENEUVE, Loïc, Politique du hip-hop : Action publique et cultures urbaines, Presses Universitaires du Mirail, 2008 - PIOLET, Vincent, Regarde ta jeunesse dans les yeux - Naissance du Hip-Hop français 1980-1990, Le mot et le reste, Lettonie, 2017 Sites internet: - AILANE, S.A. La performativité du Hip-Hop dans l’espace urbain : l’exemple de Fortalezza, consulté sur http://www.influxus.eu/article1041.html - BOSQUE, A.B., (2015), 10 lieux cultes du Hip-Hop parisien des années 80, consulté sur https://www.thebackpackerz.com/10-lieux-cultes-du-hip-hop-parisien-desannées-80/ - CALOGIROU, C. C., Jeunes, espace public, appropriation de l’espace public, consulté sur http://www.influxus.eu/article1039.html - CALOGIROU, C. C., Patrimonialiser les cultures urbaines, consulté sur http://www. influxus.eu/article1057.html - CLIQUE, (2017, 19 Janvier), Le Hip-Hop en France : naissance et évolution en 7 photos, avec Thomas Blondeau, consulté sur http://www.clique.tv/la-naissancedu-hip-hip-francais-en-sept-photos/ - HAMMOU, K.H. (2010, 14 Juillet), 1986, Terrain vague de la Chapelle, consulté sur https://surunsonrap.hypotheses.org/1436 - LAURENCE, (2012, 18 Décembre), Une culture urbaine – Le Hip-hop, consulté sur https://www.lafabriquedulieu.com/une-culture-urbaine-le-hip-hop/ - ZONES SUBVERSIVES (2015, 10 octobre), Une histoire de la culture hip hop, consulté sur http://www.zones-subversives.com/2015/09/une-histoire-de-laculture-hip-hop.html

161

Articles / Essais / Rapports: - AVENTIN, Catherine, Les espaces publics urbains à l’épreuve des actions artistiques. Sciences de l’ingénieur [physics]. Université de Nantes, 2005. Français. tel00397603 - BAUTÈS, Nicolas / GUIU, Claire, Cheminements autour de l’identité urbaine. M. Gérardot. La France en ville, Atlande, pp.119-126, 2010, Clef concours, Géographie des territoires. hal-00523340 - BAZIN, Hugues, Graffiti hip-hop, enjeu d’un art dans l’espace public in Médias et Contre-cultures, L’Harmattan, 2018, pp. 201-212 - BAZIN, Hugues, [1995], Le mouvement hip-hop, des émeutes urbaines aux cultures de la rue, in Revue Politis n°10, pp.43-46 - BLOCH, Jérôme, Petit parcours des cultures urbaines, http://jeromebloch. fr/2018/04/22/petit-parcours-des-cultures-urbaines/, 2018 - BRAUSCH, Géraldine, Réflexions sur l’appropriation de l’espace, Quand le street art et le rapport à la ville deviennent des enjeux du secteur socio-culturel, Collection Culture en mouvement, 2014 - BRUNAUX, Hélène, (2007), Danser dans l’espace public - Des processus de spatialisation au cœur des usages de l’espace, ouvrage collectif codirigé par Guénola Capron et Nadine Haschar-Noé, L’espace public urbain: de l’objet aux processus de construction, Presses Universitaires du Mirail, Collection Villes et Territoires, chap.6, pp 101-115.

- CALOGIROU, Claire, Art, art populaire, cultures urbaines, Diversité, n°148, Mars 2007 - CALOGIROU, Claire, Réflexions autour des Cultures urbaines, Journal des anthropologues [En ligne], 102-103 | 2005, mis en ligne le 18 novembre 2010, consulté le 12 octobre 2018. URL : http://journals.openedition.org/jda/1414 ; DOI : 10.4000/ jda.1414 - LAFARGUE DE GRANGENEUVE, Loïc/ KAUFFMANN, Isabelle / SHAPIRO, Roberta, Cultures urbaines, territoire et action publique, Rapport final pour le ministère de la Culture et de la Communication, 2008 - RIFFAUD, Thomas, Travailler l’espace public : Les artisans des sports de rue, de la danse in-situ et du street-art à Montpellier. Sociologie. Université du Littoral Côte d’Opale, 2017. Français. NNT: 2017DUNK0456. tel-01647920 Table ronde: - URBN Point Culture, Le Hip-Hop comme réappropriation de l’espace urbain, 2018

162

ICONOGRAPHIE Figure 1 : Broken Promises, John Fekner, South Bronx, New York, 1980 http://newyorkretrospective.com/broken-promises-bronx/ Figure 2 : Visite du Président Carter dans le South Bronx en 1977 (Teresa Zabala/The New York Times) Figure 3 : Jeunes dans les ruines du Bronx. (Henry Chalfant) Figure 4 : Jeunes breakeurs dansant dans la rue. (Henry Chalfant) Figure 5 : DJ Kool Herc en plein mixage dans les années 1980. http://mooc.politechnicart.net/sample/tag/dj-kool-herc/ Figure 6 : Afrika Bambaataa sur scène en 1980. (David Corio/Michael Ochs Archives/Getty Images) Figure 7 : NTM, Kool Shen et Joey Starr en 1984. (Yoshi Omori / Mouvement) Figure 8 : Jeune graffeur français en 1984 (Mat Jacob / Tendance Floue) Figure 9 : Jeune breakeur français. (Yoshi Omori / Mouvement) Figure 10 : Block Party au terrain vague de La Chapelle, Dee Nasty aux platines. (Enrique/Aktuel Force) Figure 11 : Terrain vague de La Chapelle. (Enrique/Aktuel Force) Figure 12 : Terrain vague de La Chapelle. (Yoshi Omori / Mouvement) Figure 13 : Morphologie du Terrain vague de La Chapelle. (Image personnelle et image de Claude Abron) Figure 14 : Reconstitution du Terrain vague de La Chapelle. (Image personnelle, de Claude Abron, de Yoshi Omori, et d’une vidéo disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=jkIj-_Ek-eU&feature=emb_title) Figure 15 : Reconstitution en collage habité du Terrain vague de La Chapelle. (Image originale de Yoshi Omori) Figure 16 : Danseurs sur la place carrelée du Terrain vague de La Chapelle. (Yoshi Omori) Figure 17 : Tour Eiffel vue depuis le Parvis des Droits de l’Homme. (Shutterstock) Figure 18 : Morphologie du Parvis des Droits de l’Homme. (Image personnelle) Figure 19 : Contexte entourant le Parvis des Droits de l’Homme. (Image personnelle, et photos des statues provenant du site : http://www.nella-buscot.com/jardins_paris_trocadero_esplanade.php) Figure 20: Reconstitution du Parvis des Droits de l’Homme. (Image personnelle) Figure 21 : Reconstitution en collage habité du Parvis des Droits de l’Homme. (Image originale de Jean-Pierre Dalbéra) Figure 22 : Danseurs sur le Parvis des Droits de l’Homme en 1995. (Image provenant d’une vidéo disponible ici : https://footage.framepool.com/fr/shot/848051575-breakdance-danse-trocaderoesplanade-enlever-vetement-urban-culture) Figure 23 : Façade du Bataclan. (Denis Allard.REA) Figure 24 : Vue intérieure de la salle du Bataclan depuis la scène. (Image provenant du site : https://www.rollingstone.fr/le-bataclan-salle-de-concert-devenue-enfer/) Figure 25 : Reconstitution de la salle du Bataclan. (Image personnelle) Figure 26 : Reconstitution en coupe/collage habité de la salle du Bataclan. (Image personnelle) Figure 27 : Vue intérieure de la salle du Bataclan depuis les gradins. (Image provenant du site : https://www.abcsalles.com/lieu/bataclan) Figure 28 : Façade de la Maison des Syndicats. (Image provenant du site : http://aful-cgt.org/album_grande_maison_cgt.php) Figure 29 : Vue intérieure de la salle de la Maison des Syndicats. (Image provenant du site : https://anrpaprika.hypotheses.org/1340) Figure 30 : Reconstitution de la salle de la Maison des Syndicats. (Image personnelle) Figure 31 : Reconstitution en coupe/collage de la salle de la Maison des Syndicats. (Image personnelle) Figure 32 : Vue intérieure de la salle de la Maison des Syndicats. (Image provenant du site : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53030393b.item) Figure 33 : Concert de Hamza pour Dans Le Club. (Image provenant d’une vidéo disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=OF-WV5HMnbE&t=83s Figure 34 : Logo de l’émission. (Image provenant du site : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-015945/dans-le-club/ 163

Figure 35 : Reconstitution de l’émission. (Image personnelle) Figure 36 : Concerts de (de haut en bas) Slimka et Di-meh, Jazzy Bazz, 13 Block et Oxmo Puccino.

(Images provenant des vidéos disponible ici, dans le même ordre : https://www.youtube.com/watch?v=OitN5-JGbE0&t https://www.youtube.com/watch?v=btCvl4VY6UQ&t https://www.youtube.com/watch?v=mT6u4cE7yZY https://www.youtube.com/watch?v=TUgOOf-6k2w&t) Figure 37 : Concert de Youssoupha. (Image provenant d’une vidéo disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=-n6bio-hf7c&t) Figure 38 : Premier épisode de l’émission avec au centre de l’image, le rappeur Sofiane.

(Image provenant d’une vidéo disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=WLZteFl9f9Y&t) Figure 39 : Logo de l’émission. (Wikipédia) Figure 40 : Collage fait à partir des images de différentes émissions.

(Images provenant des vidéos disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=WLZteFl9f9Y&t https://www.youtube.com/watch?v=DLs-DEx_N1c&t https://www.youtube.com/watch?v=D5SoKKWFVK8&t https://www.youtube.com/watch?v=scH8ss_5ZrU&t https://www.youtube.com/watch?v=ST3UkwQ57N0&t) Figure 41 : Images des émissions citées ci-contre, dans le même ordre.

(Images provenant des vidéos disponible ici, dans le même ordre : https://www.youtube.com/watch?v=WLZteFl9f9Y&t https://www.youtube.com/watch?v=htbjbpvGM88&t https://www.youtube.com/watch?v=CNbGwJJ1djA&t https://www.youtube.com/watch?v=ST3UkwQ57N0&t) Figure 42 : Épisode 7, avec, de gauche à droite, Sofiane et Sadek.

(Image provenant d’une vidéo disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=3dc0QGQ0KjA&t)

164

165