Littérature et élevage industriel séminaire / Anne Simon

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Trouble dans l’anthropisation : l’élevage industriel en littérature La zoopoétique, approche littéraire des textes que je suis en train de formaliser, a pour objectif de mettre en valeur la pluralité des moyens stylistiques, linguistiques, narratifs et thématiques que les écrivains mettent en jeu pour restituer la complexité des vivants, et notamment la diversité des comportements, des interactions et des mondes animaux. Cette approche entre en dialogue avec les autres disciplines qui placent les bêtes au centre de leur réflexion, pour cerner ce qui en elles fait débat, fonctionne comme enjeu, comme verrou, comme point aveugle ou comme moteur. Comprendre ce qui se joue dans un autre champ permet en effet d’alimenter une vision rénovée de la littérature, et de cerner quels apports propres les études de lettres peuvent apporter à la question animale. Pour cette séance consacrée aux rapports entre élevage industriel et littérature, je vais croiser anthropisation, humanisation et hominisation autour d’un motif particulièrement contreintuitif voire véritablement contre-productif pour la zoopoétique, puisqu’il nie à la fois le zoôn et le poétique, la vie animée et son expression – qu’il s’agisse de l’expressivité des bêtes ou de l’expressivité littéraire. L’élevage industriel me semble aussi constituer un défi pour la mésologie puisqu’il se caractérise comme un anti-milieu, et par voie de conséquence comme la négation absolue de toute possibilité de déploiement comportemental, si tant est qu’on envisage le comportement comme une ouverture spécifique sur un monde de possibles (et non sur une production de stimuli). Le comportement s’avère une orientation singulière et inventive dans ce champ constamment fluctuant, labile et interactif qu’est un milieu – un milieu arpenté, adressé et questionné. Les écrivains sont dès lors confrontés à une gageure puisque c’est à la fois la pertinence du langage et la possibilité même de la narration qui sont mises à l’épreuve par l’élevage industriel. Pour résumer ma thèse, l’anthropisation négative de l’élevage industriel, hyper machine fondée sur la perversion démesurée de l’itératif, provoque bien un « anacosmisme » au sens où l’entend Augustin Berque : « une disparition du monde, une décomposition de l’écoumène, une discrétisation de tout ce qui existe1 », pour reprendre la formule de Ludovic Duhem. Subséquemment, elle engendre une désanimation des bêtes et des humains – c’est le propre selon Augustin Berque de la machine dans sa version négative, et l’on pourrait ajouter « l’animal » à « l’humain » dans la citation qui suit : L’Appareil […] rapproche l’humain de ses machines, en lui imposant l’itération du même (c’est le principe du moteur à pistons, ou du sériel en général), dans le développement de plus en plus autonome et autoréférentiel de son propre appareillage2. Dans le cas de l’élevage et de l’abattage de masse, l’anthropisation industrielle provoque conjointement une déshumanisation et une entrave fatale à l’hominisation, si tant est qu’on accepte la thèse que l’humain s’est hominisé à travers l’entrelacement avec l’animalité – je renvoie autant à l’Ineinander humain-animal de Merleau-Ponty qu’à la co-évolution proieprédateur-prairie de Paul Shepard, ou à toutes les analyses sur la naissance des langues humaines à partir des paysages sonores animaux (dont Bernie Krause a entrepris le tragique archivage) et des styles existentiels des bêtes. Pour situer l’enjeu de cette littérature du trauma qu’est le récit (nouvelle ou roman) traitant l’enfer de l’élevage industriel, j’aurais aimé me pencher en amont sur deux contrepoints : le contrepoint relatif du récit de chasse, plus encore que le contrepoint absolu des romans de la vie 1

Ludovic Duhem, « Renaturer la culture, reculturer la nature, avec Augustin Berque », séminaire du 20 février 2016, couvent Sainte Marie de la Tourette, sur la machine non mésologique comme « schème itératif » – « itération de mouvement », p. 17 : http://ecoumene.blogspot.fr/2016/11/penser-le-milieu-augustin-berque.html#more 2 Augustin Berque, Histoire de l’habitat idéal. De l’Orient vers l’Occident, éditions du félin, 2010, p. 309.

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sauvage, finalement pas si nombreux que cela, qui nous présente des bêtes, ou des hommes et des bêtes, évoluant en totale liberté dans des milieux ouverts et connectés, et qui serait peut-être plutôt le propre des romans d’Amérique du Nord (qui fantasment ou exorcisent aussi par là l’époque précédent l’extermination des humains autochtones, le massacre de la faune et la transformation de la Wilderness en paysage agricole ou industriel). Penchons-nous succinctement sur le récit de chasse, qui me semble déployer une chôra, alors même que le récit portant sur l’élevage industriel enferme dans un topos, via « une opération de limitation qui coupe le lien existentiel entre la chose et le lieu3 ». Le récit de chasse s’engendre, comme les Mille et Une Nuits, du récit d’une mort en instance, où chaque épisode raconté vient en quelque sorte créer une précaire et éphémère couche de survie : il traite donc principalement, comme le récit « agro-alimentaire », de l’imminence de la mort. Il n’en reste pas moins que les récits de chasse, par les moments de répit dans la traque dont l’issue reste en droit indécise, par, bien souvent, la fascination du chasseur pour la nature ou pour sa proie (ce n’est pas toujours le cas, et Pergaud comme Genevoix s’avèrent de très grands romanciers de la bêtise et de la cruauté humaines) sont aussi souvent de très grands récits de vie, une vie dont la singularité est perçue par le lecteur de façon d’autant plus intense que les moments de grâce ont une fonction contrastante avec les moments de terreur. Ce sont aussi des récits de la relation : relation à un monde partagé et dépliant des significations potentiellement communes pour les hommes comme pour les bêtes, relation entre le chasseur et sa proie (qui peut être humaine, chez Chamoiseau ou Genevoix). Enfin, ce sont des récits, et c’est là l’un des propres du genre romanesque, où foisonnent, avec ces bêtes mouvantes, aux vies déployées ou interrompues, des amorces d’histoires possibles. Ces ébauches de romans dans le roman sont évidemment interdites dans le roman traitant de l’élevage industriel, où le début comme la fin sont déjà « écrits » : « Dès que c’est conçu, c’est mort4 », explique un personnage dans 180 jours d’Isabelle Sorente. Ce type de roman se situe donc aux antipodes du récit de chasse, pour une raison simple : la fuite n’y est pas permise, et ce qui constitue selon moi un très grand moteur psychique du romanesque comme de la vie, à savoir l’intégration dans un milieu autorisant l’élan, le détour, le hourvari, le chemin de traverse, le galop, la stase, la déambulation, la promenade, le parcours ou la fuite se trouve d’emblée caler. Puisque machine il y a, disons que le lecteur se trouve confronté à une panne vitale et une panne romanesque dès la première ligne5. En effet, par ce qu’il est fondamentalement – un empêchement du comportement et de la digression, une transformation du milieu en environnement claustrant et solitaire ou conflictuel, un de ces objets architecturaux occidentaux « sans lien ontologique avec leur entourage6 » –, l’élevage industriel arrête et clôt le roman tout comme la vie des bêtes, au moment même où ils débutent. Nous y voilà, j’ai un peu reculé, comme le bœuf enfermé dans le boyau qui le mène à la mort, dans le récent film de Maud Alpi, Gorge Cœur Ventre… La question de l’élevage industriel, via une focalisation sur les abattoirs, a interpellé très tôt les écrivains. Dès le milieu du XIXe siècle et bien avant le grand déportement des années 1950 qui a consisté à marginaliser les abattoirs hors des cités, et à cacher ou neutraliser les élevages hors sol, l’objectalisation du vivant et le déni de souffrance qui ont accompagné l’industrialisation des moyens de production agricole ont engendré un trouble politique et métaphysique ainsi que des prises de position affirmées chez de nombreux écrivains. C’est tout d’abord l’abattoir qui a, à partir du XIXe siècle, a constitué pour le récit un passage à la limite des possibilités du verbe : s’y faisait visible le mouvement de masse de bêtes réunies pour un 3

Ludovic Duhem, op. cit., p. 6. Isabelle Sorente, 180 jours, Paris, JC Lattès, 2013, p. 23. 5 Sur cette question, voir l’atelier de recherche dirigé par Nathalie Solomon, « “Le coup de la panne” : ratés et dysfonctionnements textuels », Université Via Domitia-Perpignan, 2016-2017, et le colloque sur ce sujet en 2018. 6 Augustin Berque, Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains [1987], Paris, Belin, 2010, p. 34-35. 4

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moment crucial, celui de leur mise à mort, acmé digne d’être littérarisée – qu’elle soit envisagée comme un non-sens ou une épiphanie. Progressivement cependant, avec la relégation des abattoirs dans les non-lieux des « filières viande », c’est l’élevage industriel dans son ensemble qui est devenu un motif important de la littérature des XXe-XXIe siècles, que ce soit en Europe ou dans les aires anglo-saxonnes et nord-américaines (on trouve peu de récits de ce type dans les aires asiatiques, à part Le Bâteau-Usine du japonais Takiji Kobayashi, paru en 1929, et quelques autres). Mon propos suivra cette évolution historique. Remontons un peu le temps, et voyons comment naît ce qu’on pourrait appeler des récits hyperboliques, des récits qui mettent en scène l’hypermodernité selon Bernard Stiegler7… Le topos littéraire de la visite à l’abattoir (1830-1950) Dès 1838, Théophile Gautier, dans un article intitulé « Montfaucon8 », qui retrace « une excursion ultra-pittoresque et romantique », s’attarde sur des scènes d’équarrissage de chevaux d’autant plus insupportables qu’elles sont esthétisées, non sans ironie : la peau était déjà presque à moitié écorchée, et la chair luisait au soleil sous sa moiteur sanglante. On peut rien imaginer de plus splendide en fait de couleur : c’étaient des tons nacrés, rosés, laqueux, violets, bleu de ciel, vert-pomme, argentés comme le plus beau et le plus riche coquillage exotique9. Cependant, le propos de la plupart des écrivains qui se penchent à l’époque sur la mise en récit de la souffrance mécanisée et rendue anonyme des bêtes est plus explicite. Il s’agit d’affirmer une conviction dans la lignée des lois de protection animale nées dans la seconde moitié du XXIe siècle, avec notamment l’interdiction de maltraiter une bête en public (loi Grammont de 185010) : cette conviction est celle qu’un homme qui maltraite une bête en refusant de la considérer comme un vivant sensible risque de faire de même avec un autre homme. C’est donc, à travers l’abattage de masse et la dénaturation inouïe des animaux, l’humanité même de l’homme qui est en jeu, un homme qui, devenant « complice » malgré lui, peut être contaminé11 par Chicago, j’y reviendrai. Léon Tolstoï dans Plaisirs cruels (1895) affirme que la production de viande arrime l’humain au péché de voracité et de cruauté – la dimension christique de la mise à mort, assimilée à un sacrifice, est une des raisons du végétarisme de l’auteur. Upton Sinclair dans La Jungle (1906), Alfred Döblin dans Berlin Alexanderplatz (1929), Georges Duhamel relient très clairement la violence infligée aux bêtes à une aberration politico-sociale

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Bernard Stiegler, De la misère symbolique. 1. L’époque hyperindustrielle, Paris, Galilée, 2004. Cf. Ludovic Duhem, op. cit., p. 29 : « Contrairement à l’idée commune, l’époque actuelle n’est pas celle de la « postmodernité » mais celle de l’« hypermodernité » (pour parler à la manière de Stiegler), dans la mesure où les caractéristiques de la modernité sont en effet devenues hyperboliques à mesure que cette « conception du monde » s’est étendue à toute la planète sous la forme d’ensembles industriels réticulaires, entraînant des chaînes anaboliques dont les effets remettent aujourd’hui en question non seulement le modèle économique de développement capitaliste, mais la survie même de l’humanité sur Terre. » 8 Théophile Gautier, « Voyage hors barrières », I. Monfaucon [La Presse, 1938], in Caprices et Zigzags, Paris, Victor Magen éditeur, 1856. 9 Ibid., p. 334. 10 « Seront punis d’une amende de cinq à quinze francs, et pourront l’être d’un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques ». Cette loi, qui protégeait avant tout la sensibilité humaine, est abrogée en 1959, et remplacée par un décret qui ne mentionne plus l’exigence de publicité. 11 Georges Duhamel, « Royaume de la mort », Scènes de la vie future [1930], 30 bois originaux de Guy Dollian, Paris, Arthème Fayard & Cie éditeurs, 1934, p. 68.

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humaine – en des scènes n’épargnant au lecteur aucun détail sanglant, aucun coup mal porté, aucune terreur. On fabriquait de la pepsine avec les estomacs de porcs, de l’albumine avec leur sang, des cordes de violon avec leur boyaux puants. Quand il ne restait plus rien à tirer de ces matières animales, on les mettait dans un réservoir, et on en extrayait d’abord le suif et la graisse avant d’en faire des engrais12. Dans La Jungle, Jurgis, un futur ouvrier, s’émerveille de la vision des abattoirs de Chicago, tandis que d’autres personnages « plus terre à terre », dont fait partie le narrateur omniscient, mais aussi peut-être Jurgis lui-même, s’interrogent sur cette « plainte déchirante de l’univers », sur l’absence d’un « dieu des pourceaux pour qui chaque porc aurait une personnalité propre, précieuse, pour qui ces cris et ces tourments auraient un sens13 ». Jurgis, le visiteur de la « machine à tuer14 », sera à son tour pris dans une chaîne de travail qui le laminera socialement. Significativement, le livre conduisit le Président Theodore Roosevelt à prendre des mesures destinées à l’amélioration sanitaire de la viande15, non à l’amélioration du sort des bêtes ou des ouvriers, au grand dam du romancier de La Jungle (qui a cru à l’élevage intensif comme moyen de sauver les hommes de l’esclavage agricole 16 : on sait aujourd’hui ce qu’il en vaut de raisonnement). Chez Sinclair comme chez Döblin, le lieu du crime démesuré constitue l’aboutissement logique d’une vie d’errance, de déréliction sociales, de mise à nu de nations à bout d’elles-mêmes. Dans une optique semblable, les abattoirs décrits par Duhamel en 1930, situés eux aussi au centre de son essai, valent comme parabole pour des États-Unis assimilés à une « omnipotente porcocratie 17 » surconsommatrice. Ce chapitre intitulé « Royaume de la mort », qui stigmatise « le sanctuaire de l’humanité carnivore18 », d’une humanité donc malade d’elle-même, ce chapitre pose plusieurs questions qu’on retrouvera dans l’ensemble des œuvres que j’aborde. L’essayiste note que son récit « est en travers de sa gorge depuis près d’un an déjà » et qu’il lui faut s’en « délivrer » et tenter de « tout arracher », sans savoir « par où le saisir », précision qui m’importe parce qu’elle met d’emblée en jeu la question de la manière : comment rendre dicible une souffrance d’autant plus inouïe qu’elle touche d’autres espèces et qu’elle s’avère doublement innommable ? Comment traduire en mots, sans être soupçonné de sensiblerie ou d’antihumanisme, « le cri, le cri des bêtes19 » qui revient comme un leitmotiv dans l’ensemble des essais et romans que j’ai pu lire ? Comment enfin guérir de la mécanisation de la mort, de la contamination de Chicago, « maladie grave » qui constituera dorénavant pour « toute joie » un « arrière-goût » auquel Duhamel n’était pas préparé20 ? « L’abattoir, ça vous change un homme21 », murmurera le protagoniste de L’Étourdissement de Joël Egloff, publié en 2005, formulant le même constat que Tristan Egolf dans Le Seigneur des porcheries22 publié en 1998, dont l’anti-héros sera littéralement, corporellement, cassé par un accident du travail. Après-guerre, en 1953, Pierre Gascar, dans la nouvelle « La vie écarlate », narre le passage en France de l’abattage artisanal à l’abattage industriel, en décrivant autant des mises à mort 12

Upton Sinclair, La Jungle [1906], trad. par Anne Jayez et Gérard Dallez, Paris, Librairie Générale Française, « Le Livre de poche », 2003, p. 64. 13 Ibid., p. 56-57 pour l’ensemble des citations. 14 Ibid., p. 57. 15 Adoption en 1906 de la loi sur l’inspection des viandes (Meat Inspection Act) et de la loi sur la qualité des aliments et des médicaments (Pure Food and Drug Act), et création du Bureau de chimie (rebaptisé en 1930 Food and Drug Administration) du Département de l’Agriculture des États-Unis. 16 Je renvoie à la fin de son roman, p. 520 sq. 17 Georges Duhamel, op. cit., p. 63. 18 Ibid. p. 60-61. Ibid. pour les citations qui suivent. 19 Ibid., p. 64. 20 Ibid., p. 68-69. 21 Joël Egloff, L’Étourdissement, Paris, Buchet Chastel, 2005, p. 9. 22 Lord of the Barnyard: Killing the Fatted Calf and Arming the Aware in the Cornbelt.

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animales qu’une mise à mort sociologique, avec, pour un boucher en perte de repères, une chute dans une folie sanglante : « cette idée rendait fou mon patron23 ». Quant à Joël Egloff, il centre L’Étourdissement sur deux « tueurs » en perdition, étourdis comme les bêtes avant leur égorgement, vivant dans un monde constitué de scènes désarticulées, de lieux démondanisés. Si les bêtes sont quasiment absentes de son récit, c’est non pour les effacer, mais pour marquer leur effacement24. Symptomatiquement, le protagoniste rêve à la fin du roman qu’il est placé sur la chaîne d’abattage, à l’instar de ce qui arrive « réellement », dans l’espace de la fiction, au protagoniste un peu benêt de « Cochon » (1960) de Roald Dahl. Passage à la limite de ce motif, dans « Les porcs » de Sylvain Tesson, l’éleveur hanté par le remords et l’effroi non seulement se pend, mais, en réparation, donne son corps à dépecer aux bêtes sauvages : « Ensemble, nous rétablirons l’équilibre. À chaque coup de bec, je m’acquitterai de ma dette25 ». L’objectalisation des bêtes touche donc par ricochet l’humain, et je vous renvoie à l’émission Journal Breton d’Irène Léraud, sur France Culture en 2016, qui a mis en relief cette connexion de la souffrance à vif entre bêtes et hommes, avec les témoignages des éleveurs des usines Cooperl à Lamballe en 2015. Les vivants (hommes et bêtes) sont transformés en machines ou en stock – le corps animal notamment est fantasmé comme étant incapable d’improvisation, sans même parler de souffrance physique ou psychique. L’animal hors-sol, hors-archè (pour reprendre un terme cher à Husserl) devient l’Appareil, plus qu’il n’en est possédé : « L’Appareil appareille » dirait Augustin Berque… Si certains auteurs conservent une focalisation externe, celle-ci n’en est pas moins engagée, par la systématique accordée au déroulement de la « visite » qui rend compte objectivement, étape par étape, du caractère implacable et massif de la mise à mort ; par la précision du détail qui permet à l’inverse de singulariser telle ou telle bête, telle ou telle brisure ; par le retour enfin sur le ressenti horrifié du témoin (l’écrivain chez Tolstoï et Duhamel) : Le couteau ressorti, l’agneau retardait son sang pendant quelques secondes et, la main posée sur son flanc, je le sentais tout tremblant à l’intérieur, exactement comme moi lorsque je me retenais de pleurer, raidi par l’effet d’une rétention sans espoir qui jetait chaque seconde de la vie dans une silencieuse panique26. Très tôt donc, l’empathie s’exprime par une sortie de la stricte posture externe, comme par exemple chez Döblin qui utilise des traits de description axiologique et affectifs (« Mais que fait cet homme avec le petit veau adorable27 ? »), des incursions en régime dialogique à sens unique (« Maintenant les palpitations s’apaisent. Maintenant tu es tranquille28 »), des conjectures (« la bête ne bouge pas, cède, cède avec une facilité singulière, comme si elle était d’accord et donnait désormais son assentiment, après qu’elle a tout vu et sait29 »). On retrouve ces procédés chez d’autres écrivains, dans la mesure où ils permettent non seulement d’inscrire humains et animaux dans une communauté de destin30, mais de pénétrer le monde intérieur des bêtes pour témoigner de leur ressenti. Autant dire qu’elles sont transformées en sujets, sinon de leur monde extérieur puisqu’il est anéanti (on verra que la cage n’est pas un monde), du moins, quand même, a minima, et là on sort de Uexküll, en sujets d’une intimité. 23

Pierre Gascar, « La vie écarlate », Les Bêtes [1953], Paris, Gallimard, « L’Imaginaire », 1978, p. 60. Joël Egloff, L’Étourdissement, Paris, Buchet Chastel, 2005. 25 Sylvain Tesson, « Les porcs », Une vie à coucher dehors, Paris, Gallimard, 2009, p. 46. 26 Pierre Gascar, op. cit., p. 43. 27 Alfred Döblin, Berlin Alexanderplatz. Histoire de Franz Biberkopf [1929], trad. par Olivier Le Lay, Paris, Gallimard, « Folio », 2009, p. 199. 28 Ibid., p. 191. 29 Ibid., p. 192. 30 Voir Anne Simon, « Hommes et bêtes à vif : trouble dans la domestication et littérature contemporaine », in Arnaud François et Frédéric Worms dir., Le Moment du vivant, Paris, PUF, 2016, p. 415-434. 24

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Cette immolation massive non sacrificielle est souvent mise en parallèle, parfois non sans gêne de la part des auteurs, avec certains événements historiques humains – sujet qui nous ferait sortir du cadre du séminaire et que je développe dans un chapitre du livre que je suis en train d’écrire sur l’élevage industriel en littérature. Brièvement, établir (et non « subir 31 ») systématiquement cette comparaison, en utilisant guerre, esclavage32 ou génocide sans en cerner les particularités structurelles, historiques et culturelles, renvoie à des impensés désastreux. La comparaison assimilatrice, en désingularisant les vécus, dessert en outre les victimes, animales comme humaines. De l’anonymat agroalimentaire à la singularité des victimes Le récit de fiction a précisément pour charge de restaurer des existences « en première personne33 ». Depuis une vingtaine d’années, c’est désormais non plus seulement l’abattoir mais l’élevage en tant que tel qui est devenu un topos (au sens littéraire de lieu commun axiologiquement non orienté) de la littérature contemporaine. L’évolution n’est pas simplement thématique : elle vient signaler une évolution historique du témoignage fictionnel, qui sort de la perspective anthropocentrée de la visite à l’abattoir où la dénonciation de la tuerie animale mécanisée était systématiquement cautionnée par la dénonciation de la marginalisation sociale ou celle de l’extermination de certains humains. Désormais, l’animal peut être envisagé comme victime à part entière possédant des caractéristiques qui font de lui une sorte de comble, où l’anthropisation se confond avec mécanisation : passivité imposée, cercles fonctionnels34 et oikoï spécifiques bafoués, inaptitude forcée à la transmission, silence dédoublé (silence des bêtes, qui n’ont pas notre langage articulé, et silence des victimes), non-sens impossible à distancier. Bref, l’entrave et le hors-sol, en transformant un milieu en un « lieu » où la survie est imposée (nourrissage et insémination de force, surmédicalisation, etc.), interdisent la co-transformation de l’animal et des choses analysée par Augustin Berque : Les choses du milieu ne sont pas des objets substantiels, subsistant dans l’identité de leur en-soi ; elles sont toujours en train de se faire dans leur interaction avec le sujet. Réciproquement, le sujet aussi est toujours en train de se faire dans son interaction avec les choses ; autrement dit, dans son couplage avec le milieu qui est le sien35. Rappelons en outre avec Jordi Pigem que « ce qui guide les organismes n’est pas la survie, c’est l’autoréalisation36 »… Aujourd’hui, l’inflation tout comme le changement de perspective des nouvelles et des romans sont frappants : à la visite réaliste de l’abattoir se substitue une vision de l’intérieur de l’élevage, qu’elle émane des travailleurs ou, comme l’avait déjà fait Döblin, des bêtes. Je n’en citerai que quelques-uns en France : La Part animale de Yves Bichet, en 1994 (qui a donné lieu 31

Le « royaume de la mort scientifique » qu’est l’abattoir à grande échelle évoque au médecin qui exerça pendant les quatre ans de la Grande Guerre une « comparaison épouvantable » mais « qu’on est bien obligé de subir » entre les animaux « pompés, aspirés » et les soldats « dans les boyaux d’un champ de bataille » (Georges Duhamel, op. cit., p. 61). 32 Dans Défaite des maîtres et possesseurs (Paris, Seuil, 2016), Vincent Message imagine un élevage industriel d’humains destinés à l’alimentation des extra-terrestres dominants. 33 Florence Burgat, Une autre existence. La condition animale, Paris, Albin Michel, 2012, p. 320 sqq. 34 Jakob von Uexküll, Milieu animal et milieu humain, traduit de l’allemand et annoté par Charles Martin-Fréville, Paris, Payot et Rivages, p. 40. 35 Augustin Berque, « Mésologie et sciences de la matière, de la vie, de l’esprit », journée d’étude La mésologie et les sciences : interactions critiques, EHESS, jeudi 24 novembre 2016. 36 Voir Jordi Pigem, Inteligencia vital. Una visiόn postmaterialista de la vida y la conciencia, Barcelone, Kairόs, 2016, 4e de couverture. Cit. et trad. par Augustin Berque, in « La subjectité du vivant ».

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à un film) ; L’Étourdissement de Joël Egloff, en 2005 (qui a donné lieu à une pièce de théâtre); « Les porcs », dans Une vie à coucher dehors de Sylvain Tesson en 2009 ; Que font les rennes après Noël ? d’Olivia Rosenthal en 2010 ; Comme une bête de Joy Sorman en 2012 ; Défaite des maîtres et possesseurs de Vincent Message et Règne animal de Fabrice Del Amo en 2016 ; et 180 jours d’Isabelle Sorente en 2013, qui est le roman sur lequel je m’appuierai pour terminer par une évocation précise des moyens mis en œuvre pour rendre compte de l’anthropisation désaxée de l’élevage industriel37, qui anéantit la notion même d’« espèce compagne38 » déployée par Donna Haraway. La zoopoétique se développe en réfractant les relations complexes entre hommes et bêtes engendrées par la domestication et la zootechnie, phénomènes centraux pour l’hominisation comme pour l’humanisation39. Or, la littérature agroalimentaire prend acte d’un grand retournement, dans la mesure où elle met en exergue l’aporie d’une « domestication » qui proscrit toute relation – entre bêtes autant qu’entres hommes et bêtes, qui ne peuvent plus former ces « communautés mixtes » mises en valeur par Arne Naess, Mary Midgley, Jocelyne Porcher ou Vinciane Despret40. En outre, elle inverse littéralement les valeurs vitales, celles des bêtes autant que celles des hommes devenant, on l’a vu avec Duhamel, malades de leur humanité. La spécificité d’un récit de fiction est qu’il permet d’incarner en individualisant, de contextualiser le gigantisme de l’horreur qui finit par la rendre abstraite et inimaginable, bref de rendre visible ce qui a été conçu pour être invisible. L’invention romanesque se nourrit de l’empathie et de la capacité humaine à la sortie de soi (même relative) tout autant que de l’indétermination des possibles et de l’ouverture vers l’inconnu, exactement comme le fait l’animal inventant sa vie41. Sur ce plan, le « cercle maudit42 » agroalimentaire atteint clairement le langage poétique, qui, pour réattribuer une mémoire à ceux qui en ont été soustraits, doit faire avec des vies qui sont précisément tout, sauf des vies vivables – sauf des vies romançables. Comment raconter ce qui est à la fois déjà écrit – du début (l’insémination) à la fin (l’abattage) –, répétitif et psychiquement éprouvant à imaginer ? Isabelle Sorente, dans 180 jours, doit fonder son récit sur des unités implacablement aristotéliciennes ou raciniennes : l’unité de temps (« 110 kilos = 180 jours = produit fini43 ») ; l’unité d’action (engraisser et se reproduire) ; l’unité de lieu (une cage qui rétrécit au fur et à mesure que les animaux grossissent). Cette cage se révèle le contraire absolu de l’habitat et de la trajection selon Augustin Berque, et « le contraire absolu du

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Isabelle Sorente, 180 jours, Paris, Éditions Jean-Claude Lattès, 2013. Donna Haraway, « Jeux de ficelles avec les espèces compagnes : rester avec le trouble », Les animaux : deux ou trois choses que nous savons d’eux, Vinciane Despret et Raphaël Larrère dir., Paris, Hermann, p. 23-59. 39 Sur cette différenciation, voir Anne Simon, « Hommes et bêtes à vif : trouble dans la domestication et littérature contemporaine », in Arnaud François et Frédéric Worms dir., Le Moment du vivant, , Paris, PUF, 2016, p. 415-434. 40 Voir la partie « La communauté des animaux et des êtres humains », in Philosophie animale. Différence, responsabilité et communauté, textes réunis par H.-S. Afeissa et J.-B. Jeangène Vilmer, trad. par H.-S. Afeissa, Paris, Vrin, 2010, p. 272. 41 Voir Anne Simon, « Une arche d’études et de bêtes » et « La zoopoétique, une approche émergente : le cas du roman », in André Benhaïm et Anne Simon dir., Revue des Sciences humaines, « Zoopoétique : les animaux en littérature de langue française », à paraître en décembre 2017. 42 « Jamais mieux qu’au terme des quatre derniers siècles de son histoire l’homme occidental ne put-il comprendre qu’en s’arrogeant le droit de séparer radicalement l’humanité de l’animalité, en accordant à l’une tout ce qu’il refusait à l’autre, il ouvrait un cercle maudit, et que la même frontière, constamment reculée, servirait à écarter des hommes d’autres hommes, et à revendiquer au profit de minorités toujours plus restreintes le privilège d’un humanisme corrompu aussitôt né pour avoir emprunté à l’amour-propre son principe et sa notion » (Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Deux, Paris, Plon, 1973, p. 53). 43 Isabelle Sorente, op. cit., p. 56. 38

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territoire44 » selon Jean-Christophe Bailly, aire plastique de la fuite et du refuge : on est loin aussi de l’alliance indissociable entre « le-sentir et le se-mouvoir » d’Erwin Straus… Au niveau structurel de l’espace-temps narratif, la fin fermée sur la toute-puissance de « l’Outil » (l’abattoir à la chaîne) ne vient pas clore une histoire, mais mécaniquement découler d’une non-intrigue à la temporalité sisyphéenne, se déroulant dans le présent pur, répétitif et interchangeable de la soumission. La naissance, la grossesse ou l’allaitement ne désignent plus des périodes de la vie, mais des relations entre animaux per/verties au sens le plus fort du terme, puisqu’elles sont désormais des étapes mécaniques, comme si l’Appareil était littéralement incorporé45, d’un programme d’insémination indéfinie visant à produire du cadavre et du gras (« La viande n’avait pas droit à l’amour, elle se reproduisait sans jamais baiser46 »). Quant au non-lieu qu’est l’élevage, il n’est symboliquement pas répertorié : « la porcherie ne figurait pas dans la mémoire du GPS, ni le lieu-dit La Source, où personne n’habitait plus. Sauf les porcs47 ». Comment représenter ce qui s’avère de l’ordre du non-lieu ? Le roman peut servir justement de lieu paradoxal pour ce qui n’en a plus, devenir une sorte de chôra symbolique, ce qui est mieux que rien. La romancière sort dès lors régulièrement son lecteur de ce tragique absurde, beckettien, sans intensité autre que la durée exponentielle de la souffrance en introduisant des grains de sable dans la mécanique implacable menant vers « l’Outil48 » : infanticide altruiste, rêves ou pleurs de pourceaux, baptêmes des bêtes, attaque d’un verrat contre un humain orientent vers les observations de la zootechnicienne Jocelyne Porcher, qui montre comment les animaux tentent, au plus ténu de leurs possibilités, par des micro-actions, d’échapper à l’enfer de la répétition49. Jean-Baptiste del Amo imagine de son côté l’invraisemblable : la fuite d’un verrat hors de l’élevage, sa survie loin des hommes – le passage, final, en italiques, qui possède la structure du rêve, nous sort du roman de la claustration infernale pour créer l’amorce d’un autre roman possible, apaisé, mais que l’on sent purement onirique50. Pour conclure, les auteurs cherchent donc à rendre à l’invention son pouvoir paradoxal d’attestation et de véridicité en retraçant le fonctionnement véritable de l’Appareil à produire de la viande : une itération de l’itératif, qui sera encore plus évidente quand, comme en Chine, on construira des usines où seront clonées un million de vaches, toutes souffrantes singulièrement dans leurs corps semblables 51 . Pour ne pas oublier les bêtes, toutes les bêtes, dans cette élaboration mémorielle qui se souvient de ce qu’elle n’a pas vécu en imaginant la non-vie de l’autre, il convient paradoxalement de réduire la voilure : il s’agit de donner à lire un petit nombre d’expériences singularisées d’êtres que l’écrivain dote d’un nom, d’une biographie, d’une histoire, d’affects ou de tempéraments différents. Ce qui n’empêche pas les auteurs, comme dans le cas du motif de l’abattoir, d’évoquer les souffrances psychiques et sociales des 44

Jean-Christophe Bailly / Gilles Aillaud, Le Visible est le caché, Paris, Gallimard – Musée de la Chasse et de la Nature, Le Promeneur, 2009, p. 16. 45 Cf. Ludovic Duhem, « Cet anacosmisme se produit à mesure que l’Appareil devient autonome par l’automatisation croissante des machines et autoréférentiel à mesure que le système industriel s’impose sur toute la planète », op. cit., p. 17. 46 Isabelle Sorente, op. cit., p. 148. 47 Ibid., p. 53. 48 Isabelle Sorente, op. cit., p. 460. 49 Jocelyne Porcher, « Une sociologie des animaux au travail », in Vinciane Despret et Raphaël Larrère (dir.), Les animaux : deux ou trois choses que nous savons d’eux, Paris, Hermann, p. 101-114. 50 Jean-Baptiste Del Amo, Règne animal, Paris, Gallimard, 2016, p. 414-419. 51 Marie-Josée Cougard, « En Chine, une usine géante va cloner des chiens, des chevaux et des vaches », Les Échos, 25 novembre 2015 : http://www.lesechos.fr/24/11/2015/lesechos.fr/021505466226_en-chine--une-usine-geante-va-clonerdes-chiens--des-chevaux-et-des-vaches.htm#TFrTJflKmXzXuipY.99

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employés soumis à l’épreuve du travail sur le vif52, tout comme le caractère « métaphysique », apocalyptique voire acosmique de la démesure industrielle : la bête « a profondément perdu connaissance, nous sommes entrés dans la métaphysique, la théologie, mon enfant, tu ne marches plus sur cette terre, nous foulons désormais les nuages53 ». On l’aura compris, l’élevage et l’abattoir industriels fonctionnent à l’inverse de la machine selon Simondon, puisque c’est une machine qui vient malmener le milieu54 : le « ciel immolé55 » de Duhamel se fait zone polluée invivable chez Egloff, Déluge et fin du monde chez Roland Buti56, folie pour un boucher adorateur d’une viande esthétisée chez Joy Sorman57. Tout se passe comme si, en renonçant à la domestication (entée, au moins dans l’idéal, sur une demeure partagée, sur un écoumène ouvert) au profit de la mécanisation (reléguée dans un non-lieu à tous les sens du terme), l’humain sortait de l’hominisation avant même d’être entré dans le processus d’humanisation, cette fois au sens où Romain Gary employait ce terme : un humain corrélé à des valeurs constituant le socle de sa relation au vivant et à la technique. Anne Simon (Centre de recherches sur les arts et le langage, CNRS/EHESS)

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Cet aspect finit même par prendre le pas sur le sort des bêtes dans certains livres : voir Takiji Kobayashi, Le Bâteau-usine [1929], traduit du japonais par Evelyne Lesigne-Audoly, Paris, Éd. Allia, 2010 et Tristan Egolf, Le seigneur des porcheries, traduit de l’anglais (États-Unis) par Rémy Lambrechts, Paris, Gallimard, 1998. 53 Alfred Döblin, op. cit., p. 190. 54 « Si l’on suit précisément la logique de la mécanologie simondonienne, il est tout simplement contradictoire qu’une machine produise des effets négatifs sur le milieu naturel alors qu’il constitue la condition sine qua non de son fonctionnement. La concrétisation est le processus d’intégration de plus en plus fine et synergique du milieu naturel et cette intégration ne peut être une altération sans menacer directement le fonctionnement et donc l’existence de la machine. La concrétisation n’est pas seulement une synergie interne par convergence plurifonctionnelle mais aussi une synergie externe par interaction réciproque de l’individu technique et du milieu associé. Car il s’agit bien d’une association et non pas d’une juxtaposition de la machine et du milieu ; il y a une relation d’interdépendance entre les deux mondes et non pas un rapport d’exploitation du monde naturel par le monde technique » (Ludovic Duhem, op. cit., p. 26). 55 Georges Duhamel, op. cit., p. 64. 56 Roland Buti, Le milieu de l’horizon, Genève, Éditions Zoé, 2013. 57 Joy Sorman, Comme une bête, Paris, Gallimard, 2012.

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