La Palabre - 2024

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Rédaction et édition

Wallerand Bazin

Elisabeth Darrobers

Djibril Diallo

Jérome Gbewa

Yaëlle Perrin

Conception graphique

Edouardo Hanou

Illustration

Sana Hosseinpour

Zachée Koutiya et le club dessin de Bénin Excellence

Bénin Excellence

Dr Espéran Padonou, Président

Dr Aliou Djialiri, Directeur Exécutif

Raïmi Bassitou Nouatin, Point focal Frédhy-Armel Bocovo, Responsable technique

Marthe Orelle Padonou, Chargée de la communication

Marius Codjo Bligui, Secrétaire

Casterman Sihouto, Chargé de tourisme et loisirs

Fabrice Bleme, Chargé de logistique

Carine Zocli, Chargée de restauration

Venance Ayena, Chargé des internationaux

Intervenants

Marthe Orelle Padonou, Chargée du pôle bibliothèque, Cotonou (FSS)

Camille Kpadonou, Chargé du pôle bibliothèque, Abomey-Calavi

Hermann Etchiha, Chargé du pôle bibliothèque, Godomey

Équipe audiovisuelle

David Analomé

Fiacre Folahan

William Fernando

Ségla S. Ronel Hounsous

Toute notre reconnaissance se porte vers les intervenants qui ont généreusement accepté d’offrir de leur temps pour partager leur expérience et leur expertise :

Dr Firmin Adandédji, Fulbert Adjimèhossou, Edison Adjovi, Esther Leslie Agbo, Aimé Agbomahenan, Rosaline Agossou, Djomion Ahimakin, Mirabelle Akpaki, Dr Lucrèce Anagonou, Rodrigue Atchaoué, Pr Josué Avakoudjo, Pr Paola Barreto, Pr Michel Boko, Dr Romuald Bothon, Noël Chadaré, Habib Dakpogan, Hospice Dassou, Daniel Djankpa,

Dr Salim Djaouga, Dr Aliou Djialiri, Pr Josiane Ezin Houngbé, Dr Pascaline Fassinou, Pr Grégoire Magloire Gansou, Dr Romuald Gbadou, Romuald Gbénou, Dr Junior Goubalan, Cécile Goudou Kpangon, Sanaalsadat Hosseinpour, Marie-Parisius Houéssou, Dr Isaac Houngnigbé, Lylly Houngnihin, Pr Adrien Huannou, Yasmine Jacquet, Pr Dorothée Akoko Kindé Gazard, Dr Elvyre Klikpo, Dassonga Jean-Claude Kouagou,

Artistes

Dr Tokpanou Koudjo, Wilfried Kouélo, Sanata Elisabeth Lahami, Pr François-Joseph Lapointe, Zakiath Latoundji, Dr Wenceslas Mahoussi, Sylvana Moï Virchaux, Maurice Nontondji, Viviane Tibéria Oké, Marcel Padey, Marthe Orelle Padonou, Sinatou Saka, Dr Mahunan Gérard Sossou, Joel Tchogbé, Julien Vianou, Natacha Worou, Colince Yann, Marcel Zoumènou.

Les illustrations ont été réalisées par les apprenants du club dessin de Bénin Excellence sous la supervision avisée d’Edouardo Hanou, Sana Hosseinpour et Zachée Koutiya.

Sana Hosseinpour, diplômée de la faculté des beaux-arts de Téhéran et artiste invitée pour cette édition, a ajouté une touche de lumière aux illustrations et a veillé à l’harmonie entre texte et image.

La couverture de la revue a été réalisée à partir d’une œuvre du biologiste et artiste québécois FrançoisJoseph Lapointe. La photographie est issue de la série des « Microbiomes Selfies » et de la performance « 1000 Handshakes » au cours de laquelle l’artiste a récolté son microbiome après avoir serré la main de mille personnes dans différentes villes autour du monde. Nous le remercions d’en avoir autorisé la reproduction à titre gracieux.

Préface

LÉcole d’Été d’Écriture et de Journalisme (EEEJ), initiée et financée par la Fondation Vallet et mise en œuvre par l’ONG Bénin Excellence, dépasse largement le cadre d’un simple programme de formation. Elle incarne un engagement fort en faveur de l’écriture et du journalisme, deux piliers essentiels pour comprendre, analyser et façonner notre monde.

Cette deuxième édition prend une dimension particulière alors que la Fondation Vallet célèbre son 25ème anniversaire. À cette occasion, la Fondation réaffirme son engagement à promouvoir l’excellence et à répondre aux défis contemporains, notamment dans le domaine de la santé. Cet engagement se traduit par l’implantation à Paris du Centre de Spécialités Médicales Odon Vallet, destiné à promouvoir une médecine d’excellence et à vocation sociale en partenariat avec l’association Union FMC. De plus, la Fondation poursuit ses initiatives en faveur de l’éducation et de la formation des professionnels de la santé, en attribuant des bourses d’études, en créant des bibliothèques spécialisées en sciences de la santé et en assurant la prise en charge médicale des détenus au Bénin.

L’École d’Eté se distingue par la qualité et la richesse de son programme. Ce dernier est conçu pour former des écrivains et journalistes capables de raconter les histoires qui construisent nos sociétés, tout en abordant les défis et les réalités de notre époque. Cette revue est le fruit de ce travail rigoureux, où chaque article et chaque illustration témoigne de l’engagement et du talent des participants.

Le thème de cette année, Panserl’humain,penserdemain, invite les participants à mener une réflexion approfondie sur les enjeux de santé actuels et sur la manière de préparer un avenir meilleur. Ainsi, du 29 juillet au 10 août 2024, 18 jeunes Africains, du Bénin, du Burkina Faso, du Burundi, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Madagascar, du Togo et du Sénégal ont pu bénéficier d’un encadrement rigoureux sur les enjeux de l’écriture sur la santé par le biais du journalisme et de la littérature.

La Fondation tient à exprimer sa profonde gratitude aux éminentes personnalités du monde du journalisme, de la littérature, et aux universitaires qui y ont contribué en tant que formateurs et conférenciers. Leur expertise et leur dévouement ont été essentiels au succès de cette formation.

Nos félicitations vont également aux bénéficiaires pour leur créativité et leur persévérance, aux artistes dessinateurs pour leurs contributions visuelles, ainsi qu’aux organisateurs pour leur travail inlassable qui a permis de faire de ce projet une réussite. L’EEEJ est un espace où les idées se rencontrent et se confrontent, où l’écriture et le journalisme deviennent des outils de connexion entre de jeunes Africains tournés vers un avenir harmonieux.

Espéran Padonou, Président de Bénin Excellence et Directeur de la Fondation Vallet

LE JOURNALISME AUJOURD’HUI

TABLE DES MATIÈRES

p. 6 Quel avenir pour la presse papier ? Par Boubacar Faye. p. 8 Radio, un média à double face ? Par Eudes Bocovo et Jean-Luc Ezin.

LITTÉRATURE ET SANTÉ

p. 10 Entretien avec Aissatou Diao Kane. Par Boubacar Faye.

p. 12 « L’écrit vain nous tue ». Par Cokou Codjo Bligui.

p. 13 « Mon soleil de Kamtchatka ». Par Steven Patiento Accrombessi.

p. 14 La santé dans les nouvelles parutions. Par Lionel Fouda.

LA SANTÉ MENTALE

p. 15 Accès aux soins en milieu carcéral. Par Grâce Aurore Bwitonzi et Mamadou Kane. p. 18 Réinventer la santé mentale en Afrique. Par Odéniatou Bawa.

p. 20 Un tabou à briser. Par Pierrette Lama Hombabé.

p. 22 « Ma psychiatre est ma meilleure amie ». Par Mamadou Kane.

HÉRITAGES ET TRAUMATISMES

p. 24 De l’ombre à la lumière. Par Odéniatou Bawa.

p. 26 La médecine africaine aujourd’hui. Par Edmond Batossi.

p. 28 Thérapie assurée ? Par Jean-Luc Ezin.

p. 30 Frantz Fanon et la santé mentale. Par Ahoua Tchékpélé Djabaté.

À L’HORIZON

p. 32 Couverture Sanitaire Universelle. Par Ornella Sabi et Yasmine Moussé.

p. 34 Robots Chirurgiens. Par Yasmine Moussé.

p. 36 Viviane Oké ou Dr V. Par Maëlle Anato.

p. 38 « Dis-moi qui sont tes microbiome...et je te dirais qui tu es ». Par Hasi Andrianimerina.

p. 39 La santé par l’alimentation. Par Sèdo Gloria C. Padonou.

SOINS ET CARE

p. 40 La vieillesse, un cadeau empoisonné. Par Ardiès Sianou. p. 42 Une lumière au fond du cœur. Par Ornella Sabi. p. 44 Ode au miracle de la vie. Par Farida Sawadogo.

p. 46 Tandem Patient-Soignant. Par Farida Sawadogo.

REMÈDES ARTISTIQUES

p. 48 Le conte de la guérison. Par Steven Patiento Accrombessi. p. 50 L’art visuel pour l’obstétrique. Par Grâce Aurore Bwitonzi.

p. 52 La musicothérapie pour un trouble jugé tabou. Par Eudes Bocovo.

p. 53 « Prière d’un agonisant ». Par Raïmi Bassitou Nouatin.

p. 54 Lylly Houngnihin. Par Frédhy-Armel Bocovo.

p. 56 Dépression post-partum au Bénin. Par Ardiès Sianou.

ÉCOLOGIE POLITIQUE

p. 58 Une écologie africaine ? Par Edmond Batossi.

p. 60 Un « sixième continent ». Par Dô Dao.

p. 64 Déchets urbains. Par Dô Dao.

p. 66 Yacouba Sawadogo. Par Dô Dao.

p. 68 Au-delà de la réduction du temps de travail. Par Dossi Wêsinka Nonfon.

LA JEUNESSE

p. 66 L’addiction aux écrans. Par Pierrette Lama Hombabé. p. 67 « Sonangnon ». Par Dossi Wêsinka Nonfon.

p. 68 Art et littérature pour tous ? Par Dossi Wêsinka Nonfon.

p. 70 Les bibliothèques, piliers de l’accès au savoir. Par Lionel Fouda.

Panser l’humain, penser demain

Dossi Wêsinka Nonfon

Sur les rivages du temps, je contemple l’humain, Chaque cicatrice porte l’écho d’hier, Les plaies ouvertes des jours incertains, Réclament les baumes de nos prières.

Panser l’humain, c’est soigner l’âme, Bercer les peines, apaiser les douleurs, Cueillir les fleurs dans un jardin de larmes, Ressusciter la foi au creux des cœurs.

Penser demain, c’est rêver l’avenir, Dans la clarté d’un espoir naissant, Tracer des routes où l’on pourra sourire, Construire des ponts, pas des murs oppressants.

Nos mains unies pour guérir les blessures, Nos esprits liés pour bâtir le futur, Un monde où l’homme apprend la tendresse, Et où chaque rêve trouve son adresse.

Panser l’humain, c’est redonner des ailes, Aux âmes fatiguées, aux cœurs en déroute, Penser demain, c’est allumer l’étincelle, Qui guidera nos pas sur une nouvelle route.

Dans la douceur de ce chemin partagé, Où l’amour et la paix se tendent la main, Nous trouverons ensemble notre destinée, Panser l’humain, penser demain.

Analyse

Quel avenir pour la presse papier ? Le cas du Sénégal

Le paysage médiatique sénégalais connaît une floraison de journaux de presse écrite, dont la plupart n’existe pourtant qu’en format numérique. Si certains quotidiens tirent leur épingle du jeu, les difficultés économiques et la concurrence du numérique interrogent sur l’avenir de la presse papier.

La presse écrite sénégalaise a d’abord été une presse coloniale. En 1937, l’homme d’affaires français Charles de Breteuil créait Paris-Dakar, le premier journal au Sénégal. Avec l’indépendance de 1960, le journal change de nom et devient Dakar Matin. En 1970, il devient le quotidien national Le Soleil et 23 ans plus tard, le premier quotidien privé fait son apparition, Sud quotidien. En 1997, ce journal sera le premier à se lancer dans l’aventure de l’internet, avec Sud online qui reprend les papiers parus dans la version papier. Il a fallu attendre deux ans, en 1999, pour que le quotidien national Le Soleil, pourtant premier à naître, y accède et devienne le troisième média connecté derrière Walfadjri. Depuis, la question de la mort de la presse papier au Sénégal suscite des débats, accentuée par la présence de la radio et de la télévision. En juillet 2024, une cinquantaine de journaux paraît quotidiennement mais dans les kiosques, seule une quinzaine est disponible. Le reste des parutions n’existe qu’en format numérique.

Des crises

multiformes

Les entreprises de presse écrite au Sénégal traversent beaucoup de crises liées à la conjoncture économique actuelle et à la difficile adaptation de leur modèle économique adossé au numérique et affecté par la baisse progressive des ventes. Les sources de revenus des entreprises de presse papier tournent essentiellement autour de trois axes : les publicités, les ventes de journaux, les conventions avec certaines structures publiques et l’aide à la presse qui, depuis des années, suscite beaucoup de polémiques sur les critères de son attribution. De 1996 à 2014, l’État du Sénégal accorde une aide directe et croissante à la presse, représentant un montant cumulé de 3 milliards 600 millions de francs CFA. Il faut noter que cette aide, bien que conséquente, ne satisfait pas le secteur de la presse dans sa globalité. D’où les redressements fiscaux de Macky Sall en 2013 et 2024, à la suite de ceux accordés en 2011 par son prédécesseur, le président Abdoulaye Wade.

Au Sénégal, les organes de presse privés parviennent difficilement à trouver des partenaires. Le quotidien national capitalise la majeure partie des annonces et des conventions signées avec les structures étatiques. Ce qui laisse peu de marge aux entreprises privées qui sont confrontées à une impression minime de journaux vendus à 100 FCFA l’unité. Si le quotidien national qui imprime entre 5000 à 10 000 exemplaires vend son journal à 200 FCFA l’unité, tel n’est pas le cas pour les journaux privés dont la majeure partie ne vend qu’à 100 FCFA. Abdoulaye Niasse af-

firme que « certains journaux tirent entre 1500 et 2000 exemplaires et le coût de la production est très élevé. Si on répartit les coûts de revient par nombre d’exemplaires, on constate qu’il y a beaucoup de différences ». Le journaliste et formateur en web journalisme considère que les entreprises de presse font face à des charges supérieures à leurs capacités et sont parfois soumises aux effets pervers de la concurrence. Ce qui fait que les journaux qui existent sur les sites internet ont plus de chance de s’en sortir grâce à la publicité en ligne. Au début du mois d’août 2024, le premier quotidien sportif du Sénégal a arrêté de paraître après 21 ans d’existence. Mamadou Ibra Kane, administrateur général de la société Africome qui assurait la publication de ce journal justifie cette suspension par des dettes colossales vis-à-vis de ses fournisseurs. Avec la disparition du quotidien Stades, vingt journalistes et techniciens des médias iront au chômage, selon M. Kane.

La menace du numérique

La disponibilité des journaux au format numérique ne participe pas à la hausse des ventes. Au lieu d’acheter un journal qui coûte au maximum 200 FCFA, beaucoup de citoyens ont accès aux versions numériques des journaux et peuvent lire plusieurs parutions sans bourse délier. Face à cette situation, certains journaux se ruent vers la spécialisation pour affiner leurs angles de traitement, travailler avec un personnel réduit et indépendant et captent facilement des annonceurs. C’est le cas des journaux comme Echo vert qui se spécialise dans l’environnement, le Journal de l’économie orienté sur les questions économiques. D’ailleurs le Docteur Abdou Diaw, journaliste spécialisé sur les questions économiques est « convaincu que l’avenir du journalisme sénégalais réside dans la spécialisation ». Dans un entretien accordé au magazine des étudiants de la 52e promotion du CESTI, le fondateur du magazine Le marché invite les journalistes à se spécialiser sur les domaines qui les intéressent pour approfondir leurs connaissances et produire du contenu de qualité.

Avec Internet, les Sénégalais ont connu la culture de la gratuité dans l’accès à l’information. La presse en ligne qui a commencé à reprendre les articles parus dans les journaux papiers s’est alors heurtée à la contestation des professionnels des médias au courant de l’année 2007. Ces sites internet, pour la plupart, n’étaient pas gérés par des journalistes mais des informaticiens ou profanes du métier qui reprenaient textuellement les articles parus dans les quotidiens sur leurs sites, parfois sans citer de sources.

Après 17 ans, seul Senenews parvient à proposer un abonnement freemium à ses internautes. Les autres sites se sont adaptés à la nouvelle configuration de l’environnement médiatique en proposant un service amélioré avec la création des rédactions et le recrutement des journalistes de terrain. De plus, ils offrent aux lecteurs la possibilité d’interagir sur leurs publications, ce que ne permet pas la presse classique. Docteur Mamadou Ndiaye, directeur du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti) et par ailleurs président du réseau Théophraste affirme à ce propos « Les journaux en ligne offrent aux citoyens des espaces d’expression et d’action à travers la publication de contributions ou de forums de discussions. L’histoire médiatique récente du Sénégal a démontré que les portails pouvaient servir d’instrument de lutte contre la censure. [...] les journaux en ligne offrent aux citoyens la possibilité d’exprimer leurs idées ou positions sur une question politique ».

« Les journaux en ligne offrent aux citoyens des espaces d’expression et d’action à travers

la publication de contributions ou de forums de discussions ».

Docteur Mamadou Ndiaye

L’information crédible, une denrée rare

Toutefois, la majeure partie de ces sites ne se limitent pas uniquement à la presse écrite. D’autres ont élargi leurs domaines d’intervention dans le web TV et/ou le web radio pour proposer des contenus dans divers formats. Seneweb en est une illustration parfaite de média hybride qui intègre tous les supports. Les enjeux sont énormes : rémunération des employés, charges fiscales et entretien des locaux. Ce qui fait que ces médias se tournent vers des contenus incitatifs qui priment sur le factuel. Désormais, nombreux sont les médias qui ne procèdent pas à la vérification des informations mais misent sur la puissance du clic et du partage pour se faire de l’argent.

Les médias sont devenus un terrain fertile de désinformation au même titre que les réseaux sociaux. La vérification n’est plus de rigueur mais l’appât du gain guide les lignes éditoriales pour ceux qui en ont. Cette situation a poussé des journalistes à créer des médias indépendants, entièrement financés par le public où on trouve des contenus factuels.

La Maison des Reporters, si elle n’est pas la seule, est le premier organe de presse indépendant qui ne se soumet pas aux lois de la concurrence et de la publicité. On y trouve du contenu factuel et bien documenté, pouvant être soumis à la vérification. La presse papier sénégalaise traverse des crises multiformes qui sont les fruits de la transformation structurelle de l’économie des médias. Ces changements imposés pour la plupart par le numérique, associés à une situation économique globale chaotique, asphyxient les organes de presse qui peinent à s’adapter. Il urge de tenir de « vraies assises de la presse » pour panser durablement les maux de ce secteur qui reste un pilier de la vitalité démocratique du pays.

Radio, un média à double face ?

Émancipation ou instrumentalisation ?

Médium d’information puissant et parfois redoutable, la radio a été le canal d’information, d’éducation et de divertissement le plus important du XXe siècle. Outil incontournable d’émancipation, elle a la capacité d’atteindre des milliers de personnes en un seul clic.

Laradio, un vecteur d’émancipation

« Qui contrôle l’information, détient le pouvoir ». Cet adage résume le rôle que joue la radio, un médium majeur d’éducation et de sensibilisation qui conserve sa pertinence malgré la montée des médias numériques. La radio maintient une position prééminente grâce à sa capacité à atteindre des populations rurales isolées. En 2023, le rapport de l’Union Africaine des Radiodiffusions faisait état de 80 % d’Africains écoutant régulièrement la radio. Et selon l’Agence Ecofin, 12 millions de personnes, pour la plupart âgées de plus de 15 ans, écoutent la radio chaque jour au moins une heure et demie en Afrique francophone subsaharienne. Cependant, des disparités sont notables entre les pays : si près de 90% des Maliens écoutent la radio quotidiennement, seulement 44% des Burkinabè en sont des auditeurs.

En 2023, le rapport de l’Union Africaine des Radiodiffusions faisait état de 80 % d’Africains écoutant régulièrement la radio.

Au cours des trois dernières décennies, la radio en Afrique a connu une transformation notable. Si dans les années 1990 la majorité des stations étaient contrôlées par les gouvernements, la privatisation de la presse fait exploser les stations privées, atteignant plus de 1 200 antennes en 2023 contre moins de 200 dans les années 1990. Cette expansion s’est accompagnée d’une diversification des formats et des contenus, incluant des radios communautaires, d’information et musicales. La démocratisation des technologies, comme les radios numériques et les applications de streaming, a également contribué à élargir l’audience de la radio. Aujourd’hui, plus de 59% des auditeurs suivent leurs programmes radiophoniques depuis leurs téléphones.

L’importance de la radio a été notable pendant la pandémie de COVID-19. Alors que le virus faisait des ravages, organismes privés et structures étatiques telles que l’UNICEF et le Ministère de la Santé du Bénin à travers la Direction Départementale de la Santé du Borgou au Bénin utilisaient la radio universitaire de Parakou (95.2 MHz) pour sensibiliser les étudiants, les élèves et les populations confinées. Cette dimension éducative est répandue. Par exemple, le

centre Amour & Vie organise des micros-programmes et des émissions pour sensibiliser les jeunes étudiants des universités du Bénin sur les violences sexuelles. « Sur nos routes » est une autre émission du programme national qui éduque les populations au respect du code de conduite routière, notamment à propos des panneaux de signalisation et les comportements à adopter pour éviter les accidents.

La radio, un catalyseur de chaos entre les mauvaises mains

Le pouvoir et l’impact associés à la radio exigent de faire preuve d’éthique, d’impartialité et de bienveillance. Cependant, la radio est parfois détournée de ses fonctions premières pour satisfaire des intérêts tiers. En Afrique, la radio est parfois instrumentalisée à des fins politiques, à l’image de la Radio-Télévision des Mille Collines (RTLM) qui prépare, annonce et encourage le génocide rwandais de 1994. Etienne Nsanzimana, ancien directeur d’une ONG luttant pour la mémoire du génocide, explique dans une interview accordée à Jeune Afrique : « Beaucoup de gens n’ont pas vu venir ce média de la haine qui a désinhibé tout le monde et a été un instrument de mort absolument d’une efficacité sidérante. »

« Beaucoup de gens n’ont pas vu venir ce média de la haine qui a désinhibé tout le monde et a été un instrument de mort absolument d’une efficacité sidérante. »

La RTLM a utilisé des messages déguisés en divertissement pour distiller peu à peu la haine dans la société rwandaise. Par des codes et des appellations spécifiques, la radio a manipulé la population pour orchestrer l’un des crimes les plus odieux de l’histoire. Les séquelles de cette période douloureuse sont encore perceptibles chez les Rwandais aujourd’hui. Cet épisode montre comment la radio, par une manipulation subtile, peut engendrer des situations catastrophiques en orientant son auditoire vers des objectifs destructeurs. Plus récemment, le rapport intitulé « Cameroon: Rampant Atrocities... » d’Amnesty International, basé sur deux visites effectuées entre novembre 2022 et mars 2023, identifie la manipulation médiatique comme un fac-

teur majeur alimentant les conflits, notamment dans les régions anglophones du Cameroun. Ce rapport souligne que la diffusion massive de fausses informations et de campagnes mensongères sur les plateformes numériques exacerbe les antagonismes et approfondit les divisions sociales. La radio d’Ambazonie, par exemple, incite implicitement à la continuation de la guerre civile au Cameroun.

Ces exemples illustrent l’instrumentalisation problématique de la radio. Toutefois, la diversification des stations et leur spécialisation, ainsi que la mise en place d’un suivi rigoureux par les organisations de journalistes et la promotion du journalisme indépendant, pourraient contribuer à réduire et contrôler les contenus médiatiques diffusés.

PALABRE - AOÛT 2024

Les organismes gouvernementaux régulent les fréquences et le contenu audiovisuel, veillant à ce que les normes de diffusion soient respectées. Cette régulation technique permet de garantir la qualité et la diversité des contenus, essentielles pour une expérience artistique enrichissante. La radio, média ancestral, utilise la publicité comme principal moyen de financement, mais explore également d’autres sources, telles que le parrainage, les subventions gouvernementales et les abonnements. Cette diversification des revenus permet aux radios de produire des contenus innovants et de qualité, alliant technique et art pour captiver leur audience.

Pierre Accrombessi

LITTÉRATURE

Entretien avec Aissatou Diao Kane

Boubacar Faye

De patiente à écrivaine, Aissatou Diao Kane a franchi le pas avec sa plume. Atteinte de la thyroïde, un cancer de la gorge, qui lui a coûté quatre années de sa vie, elle signe aujourd’hui son premier roman Raymond Boyard : Endoscopie d’un médecin atypique pour rendre hommage à son médecin traitant. La journaliste de formation a retrouvé la voix et dans cet entretien elle relate comment l’écriture a été sa thérapie durant son traitement et un moyen pour dire « Merci docteur ».

Dequoi avez-vous souffert ces dernières années ?

J’ai eu une maladie de la gorge depuis 2018. Je suis donc allée voir un médecin dans une clinique de la place qui a essayé de me soigner pendant une année mais ma santé ne s’est pas améliorée. Alors j’ai pris rendez-vous avec le docteur Raymond Diouf, spécialiste en ORL et chirurgie cervico-faciale.

En réalité plusieurs signes du cancer étaient là parce que j’avais la gorge enflée et je ne pouvais pas parler. Pour communiquer j’écrivais des messages. J’étais arrivée à un niveau où il me fallait trois jours pour terminer une bouteille de 33cl d’eau.

Après un interrogatoire très poussé et des diagnostics profonds, il ne voulait pas me dire, d’emblée, la maladie dont je souffrais. Il m’a fait savoir que j’avais des problèmes gastriques. Il fallait donc les traiter pour savoir exactement ce qui m’arrivait au niveau de la gorge. Je ne voyais pas la logique dans ce qu’il me disait mais je respectais quand même ses prescriptions ainsi que nos rendez-vous trimestriels. Le docteur ne voulait pas le prononcer explicitement mais j’étais convaincue que c’était le cancer.

Comment avez-vous su que c’était le cancer ?

En suivant mon traitement contre les maladies gastriques je prenais également des médicaments contre les maux de gorge et honnêtement je commençais à sentir de l’amélioration. Il a alors fini par m’avouer que je souffrais du cancer de la thyroïde et que mon traitement ne nécessitait pas une laryngectomie, c’est-à-dire une ablation du larynx.

Que vous a apporté l’écriture dans vos soins alors que vous aviez trouvé le bon médecin ?

Durant ma maladie puisque je ne pouvais pas parler, j’écrivais toujours. J’avais un besoin ardent de me livrer et j’ai traduit en mots mes sentiments les plus profonds. J’ai fait des recherches sur les symptômes que j’avais et je me suis beaucoup renseignée sur les soins disponibles au Sénégal. C’est vrai que la famille a été d’un soutien moral important mais psychologiquement, j’ai tenu bon grâce à l’écriture et les discussions avec le docteur Ibrahima Alla Sory Sylla qui avait remplacé mon docteur, alité pendant quinze mois en raison du Covid. L’écriture m’a fait du bien durant cette période.

Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?

En réalité, je voulais que le docteur m’accorde un entretien pour nos lecteurs du journal l’As quotidien. Durant les deux premières années du traitement, je l’ai observé, j’ai vu ses attitudes et je me suis dit qu’il doit être incompris. Les gens disent qu’il est réservé, qu’il est méchant mais j’ai compris que ce n’était ni l’un ni l’autre. Alors quand il est tombé malade et que je suis restée des mois sans le voir, je me suis dit que si le docteur reprenait ses activités, au lieu d’écrire un papier pour le journal, j’écrirai un livre sur lui pour le remercier. J’ai demandé à son assistant de lui transmettre mon souhait. Il n’était pas d’accord au début mais après six mois de patience et de relance, il a fini par accepter.

Le titre auquel j’ai pensé en premier lieu c’était « Merci Docteur ». Mais lors de nos discussions il ne parlait que de son village natal, Boyard. Je lui ai alors demandé de m’y amener avant de commencer l’écriture. C’est ainsi que Boyard est entré dans le livre.

Que représente Boyard pour le médecin ?

Boyard Ndiodiom est l’essence de la vie du professeur parce que c’est son village natal et il l’aime beaucoup. Il se trouve dans la région de Fatick, au centre-ouest du Sénégal, à plus de 150 kilomètres de la capitale, Dakar. J’ai dit dans le titre Raymond Boyard au lieu de Diouf qui est son nom de famille, parce que le professeur se faisait appeler Raymond Boyard lorsqu’il pratiquait la lutte traditionnelle durant sa formation en médecine, même étant interne des hôpitaux. C’est toute la pertinence du titre du livre Raymond Boyard, endoscopie d’un médecin atypique. En plus d’être un bon médecin il est atypique parce que c’est très rare de voir un médecin qui est censé soigner s’intéresser à la lutte à ce point. Ceci montre également son ancrage à sa culture parce que la lutte fait partie de la tradition sérère, une ethnie du Sénégal.

Dans quel genre littéraire classez-vous ce livre ?

C’est un récit greffé de genre journalistique. Ce livre raconte une histoire réelle. Il est empreint de véracité. Toutes les personnes que j’ai citées me sont chères parce qu’elles m’ont, d’une manière ou d’une autre, aidées à guérir. Et si toutefois je quitte ce monde, tous ceux qui liront cet ouvrage sauront que j’ai vécu des moments difficiles et j’ai été soutenue par le médecin et mes proches.

Ma démarche était purement journalistique. À chaque fois que je devais rencontrer le professeur, je nourrissais un besoin d’information suivant un angle de traitement bien précis. Et après avoir terminé je les classais en fonction des genres journalistiques que j’ai appris. Parmi ceux-ci, le portrait du docteur m’a beaucoup plu. Je l’observais attentivement, l’écoutais religieusement, et je suivais ses explications que je transcrivais à la lettre.

Entre le journalisme et votre maladie, qu’est-ce qui vous a le plus rapproché de l’écriture sur la santé ?

Comme on a l’habitude de dire chez nous, le journalisme mène à tout. Alors quand j’ai commencé l’écriture il me donnait des ouvrages et je les consultais avant de m’entretenir avec lui. Quand j’ai commencé la rédaction de l’ou-

LA PALABRE - AOÛT 2024

vrage, j’ai découvert en lui un bon enseignant. J’ai écrit le livre mais c’est le savoir du Docteur Raymond Diouf, qui est aussi professeur de Médecine. Par exemple, quand je devais parler de la thyroïde j’apprenais les cours qu’il a préparés pour moi. Il me prenait comme son étudiante. Grâce à lui, j’ai appris des concepts de la médecine et je me documentais sur sa spécialité.

Quel effet a eu ce livre sur votre santé ?

J’ai traduit dans le livre ce que je ressentais tant dans ma maladie que dans le désir de rendre hommage au médecin. Je décris mes peines, mes douleurs mais aussi mon admiration et ma reconnaissance. Au-delà de la compétence du médecin, parler de ce que je sentais m’a permis de tenir bon jusqu’à ma guérison. Alors l’écriture a contribué, en grande partie, à mon bien-être même étant souffrante.

Portrait de Aissatou Diao Kane par Sana Hosseinpour

L’écrit vain nous tue

L’écriture est aussi un métier !

L’écriture, c’est tout un art.

Cet art n’est pratiqué que par des initiés.

L’écriture, c’est tout un bazar.

Un bazar de mots

Qui vole tel un oiseau

Au-dessus des eaux

Pour se coller au dos

Des supports en vue de donner vie.

Après le commencement était l’écriture.

L’écriture était vie.

Mais en même temps l’écrit tue.

Si la fonction de l’écrivain

Est de dévoiler le monde,

Alors son écrit n’est pas vain.

Dans un bon livre, les mots rodent

Et rachètent des âmes en larmes

Abrutis par la mondialisation

Et abasourdis par les alarmes

Des églises en mission.

Devant la Providence, l’écrivain et le médecin

Sont tous deux promus au rang de saints

Car si l’un guérit les maux

Avec ses médicaments ardents,

L’autre en fait pareillement

Mais cette fois-ci, avec ses mots.

Mon soleil de Kamtchatka

Steven Patiento Accrombessi

Renaud pénètre dans la chambre de Lyse avec une de ses salutations habituelles, espérant égayer sa journée avec ses mots familiers.

— Bonjour, mon petit soleil de Kamtchatka !

Il l’appelait ainsi non pas comme si elle était réellement un petit soleil dans le ciel glacé de la péninsule, mais pour la faire sourire, pour faire naître ce rire cristallin qui illuminait son visage et réchauffait son cœur. C’était une sorte de rituel, un jeu tendre entre eux, un fil fragile de lumière dans les sombres recoins de leur quotidien. Mais aujourd’hui, l’atmosphère semblait différente, chargée d’un poids invisible.

— Mon soleil, es-tu là ?

Lyse demeurait immobile, couchée sur le ventre, la tête enfouie dans un amalgame de coussins, comme si elle cherchait à s’évader dans un monde de plumes et de rêves. Elle ne répondit pas, ne bougea pas. Renaud, perplexe, s’approcha un peu plus, insistant encore.

— Lili, s’il te plaît, réponds-moi...

Mais aucun signe, aucun mouvement. Un silence lourd et oppressant envahissait la pièce, faisant écho à l’angoisse grandissante de Renaud. Il recula lentement, son esprit tourbillonnant de questions et d’inquiétudes.

— Lili, retrouve-moi au salon, d’accord ? dit-il d’une voix calme avant de quitter la chambre. Il traversa le couloir sans vraiment prêter attention aux nouveaux tableaux dont Lyse venait d’orner les murs, s’effondrant finalement sur un des fauteuils. Le poids de son épuisement, accumulé au fil des semaines, semblait s’abattre sur lui tout à coup. Il saisit son téléphone, tentant de se distraire en faisant défiler sa conversation avec Lyse sur Messenger. Chaque message était empreint de leur complicité, un rappel douloureux de sa négligence récente.

Son travail, particulièrement accaparant ces derniers temps, l’avait éloigné de Lyse. Médecin spécialiste des questions de santé mentale, Renaud avait été sollicité par le gouvernement dans le cadre d’un projet d’appui aux centres de santé du Gondwana. Sa mission, bien que noble, l’avait englouti dans un bousculade de consultations, de déplacements en taxi, de préparation de fiches et de rédactions de comptes rendus. Chaque jour était un combat contre le temps, chaque nuit une maigre pause de quatre heures de sommeil entre deux marées de responsabilités.

Une semaine plus tôt, Lyse l’avait appelé pour lui parler en urgence, sa voix trahissant une détresse qu’il n’avait pas su entendre. Occupé, il avait promis de l’appeler le soir même, une promesse qui s’était perdue dans le tumulte de ses obligations. Il espérait que Lyse comprendrait, qu’elle lui pardonnerait cette absence. Après tout, elle n’était pas rancunière, et il s’accrochait à cette pensée comme à une bouée.

Pour se faire pardonner, il avait rapporté du Gondwana une surprise, un carton de livres. Lyse adorait les livres ; ils étaient pour elle une fenêtre ouverte sur des mondes meilleurs, un refuge contre la réalité. Renaud espérait que cette attention atténuerait sa colère, qu’elle verrait son geste comme une preuve de son affection malgré ses absences. Dix minutes s’écoulèrent. Renaud, de plus en plus inquiet, décide d’aller lui parler dans sa chambre. Il prit le carton de livres, l’ajusta soigneusement sous son bras et retourna auprès de Lyse. En franchissant à nouveau le seuil de la chambre, une vague d’inquiétude l’envahit. Le désordre inhabituel, l’odeur tiède mais asphyxiante de la pièce, tout semblait indiquer que quelque chose n’allait pas.

— Lyse, tu vas bien ? Lyse ?

Pas de réponse. Renaud s’approcha lentement, son cœur battant la chamade. Il tendit la main, effleura doucement l’épaule de Lyse, espérant un signe, un mouvement, un souffle. Mais rien. La réalité s’abattit sur lui comme un couperet.

Lyse ne respirait plus. Elle était là, figée dans une éternité de silence, emportant avec elle ce petit soleil de Kamtchatka, laissant Renaud seul, écrasé par le poids de ses regrets et le chagrin insondable de la perte.

Lyse est morte.

La santé dans les nouvelles parutions

Une fenêtre sur l’éducation et la prévention

En 2019, l’OMS estime à 40% le nombre de Béninois ayant accès à l’information sanitaire. Le secteur de l’édition béninois, avec peu d’éditeurs spécialisés en sciences, voit certains se dédier aux publications scientifiques et universitaires. Rodrigue Atchaoué, directeur des éditions Savane du Continent, souligne les défis et l’impact de la publication d’ouvrages de santé.

Unlabel qui veut panser

Fondée en 2016, Savanes du Continent est une maison d’édition béninoise primée, avec plus de cent publications, dont quatre sur la santé africaine. Présent dans des salons internationaux et régionaux, son fondateur, Rodrigue Atchaoué, écrivain et universitaire formé à l’université d’Abomey-Calavi, allie l’expérience éditoriale et littéraire à la gestion de sa maison d’édition.

Les thèmes de santé dans les nouvelles parutions

L’approche éditoriale de Rodrigue Atchaoué chez Savanes du Continent révèle une stratégie sélective et engagée dans le domaine de la santé. Les ouvrages récents traitent de thèmes variés et cruciaux tels que le diabète, l’excision, et les pathologies liées à la pollution et à l’eau, des sujets peu fréquents mais traités avec rigueur par des experts désireux de partager leur savoir et de conscientiser le public. Cette démarche, selon Rodrigue, « n’est pas seulement informative mais aussi éducative ». Elle vise à partager des pratiques et attitudes bénéfiques pour une santé proactive. Les auteurs, en abordant des problématiques sanitaires contemporaines ne se contentent pas de diagnostiquer les maux de la société mais proposent également des solutions pratiques.

Approche des auteurs et défis des éditeurs

Les auteurs chez Savanes du Continent adoptent une approche pragmatique, évitant le jargon pour favoriser la compréhension, avec un recours significatif aux illustrations. Rodrigue note que, malgré le manque d’expertise en santé des éditeurs, ils s’assurent de l’exactitude des contenus en consultant des spécialistes, bien que cela puisse être complexe pour des sujets pointus, gardant Internet comme ressource complémentaire.

La sélection des manuscrits

Le processus de sélection des manuscrits dans l’édition est rigoureux, notamment pour les livres sur la santé. L’éditeur évalue la pertinence et l’accessibilité du sujet à travers deux tamis : l’utilité sociale et la clarté du traitement. Cela garantit que les ouvrages publiés répondent à un besoin

réel et sont compréhensibles par le grand public. Cette démarche assure la qualité et la pertinence des ouvrages publiés, renforçant la crédibilité de l’éditeur.

Promotion de la santé et canaux de distribution

Les éditeurs jouent un rôle important dans la promotion de la santé publique. Ils peuvent « faire passer les messages à travers des livres illustrés », en particulier pour les sujets de santé publique. L’éternel problème du pouvoir d’achat des livres en Afrique se pose. Sur cent livres achetés, seuls cinq portent sur la santé, selon le rapport sur le marché du livre en Afrique, publié en 2020 par l’African Publishers Network. Pour contourner ce mur, « les canaux de promotion les plus efficaces pour ces livres incluent les centres de santé et les espaces de sensibilisation, où les auteurs, souvent spécialistes de la santé, peuvent directement engager leur public » nous a confié le Directeur des éditions savoir. En fin de compte, les nouvelles parutions sur la santé sont un outil d’éducation et de prévention, offrant des perspectives et des pratiques pour améliorer la santé et le bien-être. L’éditeur assure la qualité et l’accessibilité, permettant aux ouvrages d’influencer significativement le public. La santé est une thématique essentielle, reflétant et façonnant notre approche collective du bien-être.

Isaac Accrombessi

Accès aux soins en milieu carcéral Le cas du génocide rwandais, 30 ans après

En avril 1994, au Rwanda, un génocide marque la fin du XXème siècle. Trente ans après, les plaies sont refermées mais le traumatisme persiste. Pourtant, la question des soins prodigués aux génocidaires incarcérés représente un défi complexe et controversé.

Àl’origine, la division : Rwanda 1994.

Le génocide arménien. La shoah. Le génocide des Tutsis au Rwanda. De ces trois génocides reconnus par l’ONU, le dernier commémore cette année ses trente ans. Entre le 7 avril et le 15 juillet 1994, près du dixième de la population est exterminé, soit 800 000 Tutsis. Si les forces motrices derrière le génocide sont multiples et contestées, 1994 demeure l’aboutissement d’une frustration accumulée, exacerbée voire instrumentalisée.

Genèse

Dès le XIème siècle, les Tutsis du clan Nyiginya gouvernent un royaume composé d’éleveurs Tutsi, d’agriculteurs Hutus et d’artisans Twa. Une cohabitation hiérarchique mais stable, qui permet au royaume de s’étendre jusqu’en Tanzanie sous le règne du Roi Kigeli IV Rwabugiri à la fin du XIXème siècle. Mais ce dernier va renommer les peuples conquis « hutus », associant ce terme à celui de la sujétion, et installer un système de travail forcé que les Hutus doivent accomplir pour retrouver l’accès aux terres qui leur avaient été confisquées. Perçues comme une nouvelle forme d’esclavage, ces réformes génèrent une frustration exacerbée par l’arrivée des Européens allemands puis belges.

Les nouveaux colons instrumentalisent le sentiment d’infériorité établi par les différences ethniques pour réarranger la structure politique et administrative du Rwanda. L’appartenance ethno-raciale est alors inscrite dans les papiers d’identités belges et les Tutsis deviennent des relais coloniaux, recevant tous les avantages au détriment des Hutus délaissés, traités de « sous-hommes ». Dans les années 1950, ces derniers vont porter la lutte anticoloniale, représentés par le futur président Grégoire Kayibanda et huit autres intellectuels dans le Manifeste des Bahutu de 1957. Dénonçant une « colonisation tutsi », ce manifeste est vu comme le déclenchement de la révolution hutu. À partir de novembre 1959, les Hutus, représentant 83% de la population rwandaise, forcent à l’exil les Tutsis (14%). Connue sous l’appellation de « Toussaint Rwandaise », cette période se poursuit jusqu’en 1962 avec près de 300 000 Tutsis réfugiés dans des pays comme le Burundi, l’Ouganda et le Zaire.

Hutus se lient aux Français. Mais cette alliance ne règle pas les problèmes sociaux et les divergences ne font que se renforcer. Les Tutsis accèdent de moins en moins aux postes de responsabilités. En 1972, un massacre faisant 100 000 victimes Hutus au Burundi (régime aux mains des Tutsis) déclenche des mouvements de révolte au Rwanda. En 1973, Juvénal Habyarimana, Hutu, renverse le Président Kayibanda par un coup d’État. Habyarimana instaure le système de parti unique avec le Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement en 1978. Il met en place des quotas ethniques dans l’administration et l’enseignement pour limiter l’influence des Tutsis.

La goutte d’eau

Profitant des conflits entre Hutus et Tutsis, alliés avec les Belges, un accord militaire est signé entre Habyarimana et François Mitterrand, autorisant le personnel de l’armée française (appelés « coopérants ») à former la gendarmerie rwandaise, mais déclarant « qu’en aucun cas » les coopérants français ne pouvaient « être associés à la préparation et à l’exécution d’opérations de guerre ». Cet accord est pourtant revu en 1992 pour permettre à la France d’apporter son aide complète à la gendarmerie et aux FAR. En 1990, toujours avec Habyarimana, le Rwanda subit une attaque des Tutsis d’Ouganda. « L’Opération Noirot », menée par la France, consiste à aider le gouvernement rwandais à lancer une contre-offensive face aux attaques Tutsis perpétrées au Burundi.

Des tentatives d’apaisement sont mises en place mais rien n’aboutit. Entre le FPR Tutsi et le FAR Hutu, les discussions autour d’un éventuel retour des exilés Tutsis se poursuivent mais sans suite. Les Accords d’Arusha visant à apaiser les tensions sont conclus en juillet 1993 mais ne seront jamais effectifs. Ces accords prévoyaient un gouvernement de transition réintégrant les exilés Tutsis, à partir de décembre 1993. Même si une Assemblée Nationale de transition est mise en place en mars 1994, la mise en œuvre effective des accords est retardée par les partisans du Président. Le 6 avril 1994, l’avion transportant le Président Juvénal Habyarimana et son homologue burundais est abattu, avec deux pilotes français à bord. Les 100 jours qui suivent l’attentat vont embraser le pays : 800 000 morts comptabilisés, souffrance morale et traumatisme : le viol est utilisé comme arme de guerre, contre environ un demi-million de filles et femmes.

Des coupables condamnés

Selon l’organisation Avocat Sans Frontières Belgique et

C’est une première manifestation de la frustration qui habite le territoire alors que l’indépendance est proclamée le 1er juillet 1962. Grégoire Kayibanda, Hutu, devient alors premier président du Rwanda. Avec la volonté de s’opposer aux Tutsis qui s’étaient liés aux Belges, les LA PALABRE - AOÛT 2024

les documents et témoignages déposés à la Cour d’Assise de Bruxelles, les massacres étaient prémédités. La Radio Mille Collines est pointée du doigt pour les messages de haine qu’elle diffuse et le colonel Théodore Bagosora, proche du président, est considéré comme le principal commanditaire de l’attentat qui déclenche le génocide. Il met en place à partir du 7 avril, un gouvernement intérimaire en s’opposant au pouvoir de la Première Ministre de l’époque Aghate Uwilingiyimana. Condamné en 2008 à une peine de 35 ans, mort en prison en 2021. M. Bagosora est resté dans le négationnisme. Il déclare qu’il y a uniquement eu de simples combats interethniques. Il fait allusion à un double génocide. La « théorie du double génocide » affirme l’existence d’un contre-génocide des Hutus, qui n’a pas été constaté par les instances internationales. Elle permettrait de parler de « combats interethniques » afin de renvoyer dos à dos les victimes et les bourreaux.

Les génocidaires et les droits de l’homme

Aurore Bwitonzi

Après le bain de sang, alors que le Rwanda est en plein deuil et que l’ONU a reconnu le génocide, les génocidaires ont disparu. S’engage alors la chasse aux génocidaires. Lorsqu’ils sont attrapés, la justice agit mais en raison du grand nombre de génocidaires et le peu de juridictions compétentes, les procédures traînent et à la fin de 1998, seulement 1274 cas sur à peu près deux millions de dossiers ont été examinés. C’est ainsi que, depuis 2001, se sont installés plus de dix mille tribunaux ad hoc gacaca (à prononcer gatchatcha.) Ces tribunaux locaux sont une grande innovation du droit international et ne sont utilisés que dans des cas spécifiques comme le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.

de pillages et d’atteinte aux biens. Les peines varient allant aux travaux d’intérêt général à l’emprisonnement à vie.

Derrière les barreaux du Centre Correctionnel de Muhanga, 737 génocidaires sont emprisonnés dans le centre correctionnel de Muhanga du Rwanda. 71 sont condamnés à vie. Les autres réintégreront la société, à l’image des 2200 génocidaires détenus dans diverses prisons qui seront libérés en 2024.

Des témoignages démontrent que les remords règnent derrière des barreaux, parfois autant que le déni. Un des génocidaires, Ruzigana, a écopé d’une peine de 25 ans de prison devant une première juridiction et de 30 ans devant une autre. Désespéré, il trouve : « la peine trop lourde pour être faite ». Mais par la suite, avec le temps, « j’ai compris que j’étais plutôt gâté, car par rapport au crime de génocide, je trouvais ma peine bien petite ». D’un autre côté, certains génocidaires continuent de nier leur participation dans ce massacre malgré de nombreux témoignages contre eux et ne reconnaissent pas le génocide comme tel. Pauline Nyiramasuhiko, qui était alors ministre de la Famille et du Progrès des Femmes et qui joua un rôle orchestral pendant le génocide, encourageant massacres, viols et tortures, déclare qu’étant une mère, elle n’aurait jamais pu commettre ce dont on l’accuse et elle se considère comme une victime d’une injustice.

Le peuple élit des magistrats citoyens en charge des procès de génocidaires en plein air, se basant sur les témoignages des victimes, des témoins et des tueurs. Certains accusés confessent leur culpabilité, d’autres nient leur participation dans ce crime. Ainsi, le génocide est jugé in situ, là où les exactions ont été perpétrées. Comme le dit une victime qui a perdu son mari : « Ce procès a un impact parce que même si l’accusé nie son crime, ceux qui l’ont vu commettre l’acte seront là pour témoigner ». Les jugements dépendent du crime de génocide. Il en existe trois catégories. La première concerne tout acte relatif à l’organisation des massacres, viols et actes de tortures. La seconde englobe les meurtres, assassinats et faits de violences et le troisième, les actes

Le directeur du centre correctionnel de Muhanga, Alex Murenzi, explique la vie des génocidaires dans le centre qu’il dirige : « Les génocidaires et les autres détenus cohabitent. Ils ont donc le même traitement et aucune discrimination n’est engagée à leur égard ». Ainsi, comme il est explicitement mentionné dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée en décembre 1948, les détenus ont droit à une vie familiale, à des visites, à la santé, à des pratiques religieuses et dans certains cas, le droit de voter. Les règles, dites « Nelson Mandela », viennent soutenir cette déclaration. La règle vingtquatre établit que « Les détenus doivent bénéficier des soins médicaux nécessaires à leur santé physique et mentale ».

Les répercussions psychologiques du génocide

Sur une période de trois mois, le génocide a fait entre 800 000 et 1 million de victimes selon les chiffres de l’ONU

Fawase Menonkpinzon

Aujourd’hui, les Rwandais peinent à effacer les séquelles qu’a laissé cette guerre, notamment sur leur santé mentale, comme l’explique la journaliste rwandaise Victoria Uwonkunda dans sa lettre ouverte sur BBC Afrique, « Santé Mentale : traumatisme, génocide et ma maladie mentale ». Souffrant du Syndrome de Stress Post Traumatique, elle décrit « des crises de panique qui peuvent survenir à tout moment et qui m’empêchent de respirer. Lorsqu’elles se calment, je suis généralement couverte d’une fine couche de sueur froide, alors que je me bats pour retrouver mon état ‘normal’ ».

Les génocidaires quant à eux se battent avec de doubles démons : les cauchemars des crimes qu’ils ont commis et auxquels ils ont assisté dans leur totalité ainsi que le traumatisme de la prison. Dr Aliou Djialiri, médecin intervenant dans les prisons avec l’association Bénin Excellence dont il est le Directeur Exécutif, connaît bien le centre pénitentiaire de Missérété où sont détenus les génocidaires : « Il y a deux choses qui peuvent tout arrêter dans la vie d’une personne. La mort et la prison. Et ceci confronte la plupart des gens à une dépression et autres troubles psychologiques puisqu’ils perdent tout espoir », a-t-il expliqué. Un suivi psychologique des génocidaires est une nécessité en milieu carcéral, autant pour eux que pour la communauté à laquelle ils seront réintégrés à l’avenir.

Une réintégration préparée à l’avance

Après trente ans, le pays est en phase de reconstruction et les génocidaires qui ont déjà purgé leurs peines doivent être réintégrés. Dans ce cadre, l’ONG Prison Fellowship Rwanda (PFR) a pris des mesures pour assurer une facile réinsertion et permettre aux Hutus et aux Tutsis de se pardonner et de vivre ensemble. 3 000 personnes, victimes comme bourreaux, vivent désormais dans les six villages de réconciliation. Alexandre Guma, directeur de la communication chez PFR, déclare : « Si vous aviez tué des gens et passé un séjour en prison, vous reveniez et trouviez souvent votre maison détruite. Si vous étiez un survivant, votre famille entière était morte, et vous n’aviez nulle part où aller ».

Dans ce sens, le Président Paul Kagamé a fait voter une loi aux débuts des années 2000 qui accorde le pardon présidentiel aux génocidaires qui écrivent et demandent pardon aux familles de leurs victimes. Tharcien Nkundiye, neuf ans de prison, âgé aujourd’hui 74 ans, fait partie des Hutus qui ont été libérés après avoir demandé ouvertement pardon. « J’ai plaidé coupable et demandé pardon aux survivants, dont j’ai tué les membres de la famille, et maintenant nous vivons en paix », affirme-t-il. Actuellement, Tharcien est voisin de celle dont il a tué le mari. Alors qu’elle avait 20 ans, Anastasie a vu son mari mourir. Mais aujourd’hui, elle se fait à l’idée de pardonner ce qui s’est passé et de vivre avec eux à Mbyo, un des villages de réconciliation. « Quand j’ai besoin d’aide, Tharcien est toujours disponible », déclare-t-elle.

Isaac Accrombessi

Réinventer la santé mentale en Afrique

Initiatives et solutions pour un avenir meilleur

Les stigmates associés aux troubles mentaux, combinés à un manque de ressources et d’infrastructures, rendent difficile l’accès aux soins. Cependant, des initiatives innovantes et des solutions émergentes montrent que l’Afrique est prête à réinventer son approche de la santé mentale pour un avenir meilleur.

En Afrique, les troubles mentaux sont souvent sous-diagnostiqués et sous-traités. Les infrastructures de santé mentale sont insuffisantes,et il y a un déficit criant de professionnels qualifiés. « Malgré des besoins immenses, seule une poignée d’établissements, souvent animés par des religieux ou des humanitaires, tente de prendre soin des patients touchés par ces affections dont personne ne veut entendre parler », peut-on lire entre les lignes de Psychiatrie et maladie mentale en Afrique : « l’omerta continue», écrit par le psychiatre retraité Dr Pierre Sans, dans les colonnes de Jeune Afrique. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « il y a moins de deux professionnels de la santé mentale pour 100 000 habitants dans certaines parties du continent ».

« Il y a moins de deux professionnels de la santé mentale pour 100 000 habitants dans certaines parties du continent »

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS)

En Afrique, les troubles mentaux sont souvent perçus à travers le prisme de la superstition et de la spiritualité et la stigmatisation et la marginalisation dissuadent certains de chercher de l’aide. L’attribution de ces affections à des forces surnaturelles, conduit souvent à des pratiques exorcistes et à des rituels pour chasser les esprits. Dans l’univers des esprits surnaturels, un article publié sur le média Sud quotidien du Sénégal, confirme cette croyance et renseigne que « les Sénégalais, à l’image de bon nombre d’Africains, croient aux esprits surnaturels qui semblent envahir leur environnement ». Pour l’auteur, « appartenant aux religions traditionnelles africaines comme c’est le cas avec les ‘rabs’ ou aux religions importées pour parler de l’Islam avec ses ‘djins’, ils sont dans l’imagerie populaire les principaux auteurs des troubles mentaux dont serait victime la majorité des leurs ». Cette perception est renforcée par le manque de compréhension scientifique des maladies mentales, alimentant les croyances selon lesquelles les symptômes de troubles tels que la schizophrénie ou la dépression résultent de comportements anormaux dus à des forces mystiques.

Sensibiliser les communautés et intégrer les pratiques traditionnelles avec des soins médicaux modernes sont des étapes essentielles pour réduire la stigmatisation et améliorer les soins des personnes souffrant de troubles mentaux en Afrique.

Vers une amélioration ?

Aujourd’hui, la perception des maladies psychiques en général et chez les jeunes en particulier est en pleine évolution, devenant de moins en moins taboue et mieux acceptée. De nombreuses voix s’élèvent pour une reconnaissance accrue des maladies mentales par les politiques publiques, et nous assistons à la montée en puissance d’associations de jeunes patients et d’aidants pour des entraides mutuelles.

Une des stratégies les plus prometteuses est l’intégration des services de santé mentale dans les soins de santé primaires. Des pays comme le Rwanda et le Zimbabwe ont commencé à former des travailleurs de la santé primaire pour qu’ils puissent reconnaître et traiter les troubles mentaux de base. « Au cours des vingt dernières années, le gouvernement du Rwanda a déployé des efforts considérables pour décentraliser les soins de santé mentale dans les hôpitaux de référence et de district et les intégrer aux soins de santé primaires (centres de santé) à travers le pays », confirme Interpeace.org dans l’article intitulé « Décentralisation des services de santé mentale et de soutien psychosocial au Rwanda ».

Ces avancées permettent une meilleure compréhension et prise en charge des troubles mentaux, offrant ainsi de nouvelles perspectives pour les jeunes qui en souffrent, et les aidant à surmonter les défis associés à ces affections. La technologie joue également un rôle croissant dans l’amélioration de la santé mentale en Afrique. Des applications mobiles et des plateformes en ligne fournissent des outils d’auto-assistance, des consultations à distance, et des ressources éducatives. FriendnPal, une plateforme nigériane de psychothérapie en ligne, aide les utilisateurs à interagir avec des conseillers et des thérapeutes en plusieurs langues africaines, aidant ainsi à surmonter les barrières géographiques et linguistiques.

Des initiatives communautaires comme le programme Friendship Bench au Zimbabwe forment des bénévoles locaux pour offrir du soutien psychologique sur des bancs publics. Cette approche informelle et accessible aide à normaliser les discussions sur la santé mentale.

L’innovation originale de la Bluemind Foundation, « pro-

pose une solution pour améliorer la santé mentale des femmes en Côte d’Ivoire, à travers la formation d’un réseau de coiffeuses secouristes »

« Appelées à devenir le premier maillon de la chaîne de soins en santé mentale » elles seront formées à travers le programme Heal by Hair « afin de leur permettre d’apprendre à reconnaître les premiers signes de troubles mentaux, ou l’aggravation d’un trouble préexistant, faire preuve d’une écoute active et bienveillante, et ainsi d’être outillées pour adopter un comportement et un langage adaptés et pouvoir orienter leurs clientes en souffrance vers des thérapeutes identifiés ».

La sensibilisation est cruciale pour combattre les stigmates associés aux troubles mentaux. Les campagnes éducatives peuvent aider à changer les perceptions culturelles et encourager les individus à chercher de l’aide. Les écoles, les églises, et les médias jouent un rôle vital dans cette éducation.

Investir dans la formation des professionnels de la santé mentale est essentiel afin d’inciter, d’attirer et de retenir les professionnels dans ce domaine.

Pour une transformation des méthodes de prise en charge, les

gouvernements doivent adopter des politiques claires et allouer des ressources adéquates pour la santé mentale. Cela inclut le financement des infrastructures, des programmes de recherche, et des initiatives communautaires. En associant les croyances traditionnelles avec des traitements modernes, les communautés peuvent bénéficier d’un cadre de soins plus holistique. Par exemple, former des guérisseurs traditionnels aux bases des soins psychiatriques et encourager leur collaboration avec les professionnels de la santé permettraient de combler le fossé entre les pratiques traditionnelles et la médecine moderne. Cette synergie peut renforcer la confiance des patients dans le système de santé et favoriser une prise en charge plus complète et culturellement adaptée des troubles mentaux.

Réinventer la santé mentale en Afrique est un défi complexe mais réalisable. Grâce à des initiatives innovantes, à l’intégration des services de santé mentale dans les soins primaires, à l’utilisation de la technologie, et à une sensibilisation accrue, l’Afrique peut offrir un avenir meilleur à ses citoyens. L’engagement des gouvernements, des communautés, et des professionnels de la santé est essentiel pour surmonter les obstacles et garantir un accès équitable et efficace aux soins de santé mentale.

Albéric Abey

Un tabou à briser Santé mentale en Afrique

Souvent perçue en Afrique comme un sujet tabou, la santé mentale est négligée par de nombreux parents qui, embourbés dans leurs propres luttes quotidiennes, ne savent pas comment aborder une problématique si cruciale.

Arrête ce que tu racontes ; ce sont des problèmes de Blancs. On ne connaît pas ça ici, en Afrique ». Cette phrase, entendue lors d’une conversation matinale entre un père, et sa fille dans un parc au Bénin, met en lumière un enjeu crucial de la santé mentale sur le continent africain. Alors que la jeune femme évoque ses inquiétudes, sa dépression, la réaction de son père illustre une réalité préoccupante : la distance entre les émotions des jeunes et la perception de leurs aînés. Cette dichotomie soulève la question de la compréhension et de l’acceptation de la santé mentale dans un contexte où les stigmates demeurent omniprésents.

L’article « Grosse déprime » donnait quelques manifestations de la dépression ; « une humeur triste, une perte d’intérêt pour toute activité et une baisse de l’énergie ». Elle se manifeste également par une diminution de l’estime de soi, l’apparition des idées noires, des troubles du sommeil, et un manque d’appétit. Dans cette même veine, l’article, « Dossier dépression : En parler, le premier pas vers la guérison publiée » sur le site, EvoluPharm soulignait, quant à lui, que « parler de ses problèmes est le premier pas vers la guérison ». Les spécialistes estiment que partager ses préoccupations avec un proche peut suffire à améliorer un état dépressif dans 60 à 70 % des cas. Mais comment en discuter dans un environnement qui minimise souvent la véracité de la santé mentale ?

Selon l’OMS, « face à des luttes quotidiennes pour la survie, il n’est pas surprenant que les parents considèrent la santé mentale comme un luxe dont ils ne peuvent se permettre de discuter. »

Les réticences sociales à aborder ces sujets sont bien réelles. Dans de nombreuses régions d’Afrique, la santé mentale est encore entourée d’un voile de mécompréhension et de stigmatisation. Il est fréquent d’entendre des discours qui minimisent l’importance des troubles mentaux, assimilés à des signes de faiblesse personnelle ou à des épreuves dues à un mauvais comportement. La société dans son ensemble, influencée par des croyances traditionnelles et des tabous, joue un rôle dans la perception de la santé mentale en Afrique.

« Au Kenya, comme un peu partout en Afrique, la dépres-

sion et les troubles mentaux sont mal compris, stigmatisés et étouffés par les familles. » Ces propos d’un chroniqueur du Monde sont tirés d’une tribune publiée dans le quotidien « The Standard ». L’article, « L’Afrique doit regarder la dépression dans les yeux », publié sur le site AlloDocteurs, dément la perception populairement africaine selon laquelle la dépression serait une maladie occidentale.

Les statistiques présentent près de 30 millions de personnes vivant avec un trouble dépressif sur le continent dont près de 2 millions en Algérie et plus de 7 millions au Nigeria. L’une des remarques lors des recherches est aussi que la plupart des études ou des sites qui traitent de ce sujet sont occidentaux. Ce qui montre soit un désintérêt, soit une vraie méconnaissance profonde du sujet.

Nous avons interrogé Mme Josiane Ezin Houngbé, ethnopsychiatre, qui souligne que l’une des raisons expliquant ce désintérêt criard pour la santé mentale en Afrique serait que les parents ne sont pas suffisamment informés sur le sujet. Ce manque d’information rend difficile la reconnaissance des signes avant-coureurs chez les enfants. Les parents ne sont ni informés, ni outillés pour en discuter. Lors d’un entretien poignant, un parent qui a perdu sa fille suite à une longue période de dépression, s’est exprimé sous le pseudonyme de Monsieur Hezou.

« Elle se plaignait tout le temps de ci ou de ça. Je n’y ai jamais vraiment prêté attention, absorbé par mon travail. Jusqu’au jour où, en entrant dans sa chambre, je l’ai trouvée sans vie, un flacon de médicaments à la main. Ce jour-là, j’ai perdu ma petite fille »

Il raconte, la voix tremblante, les larmes perlant sur ses joues. Le regret l’envahit, et il ajoute, la gorge nouée : « Si seulement j’avais eu des connaissances sur ce sujet, j’aurais sûrement remarqué les signes avant-coureurs. » Une étude du Journal of African Psychology révèle que 40 % des enfants souffrant de troubles mentaux en Afrique ne reçoivent pas le soutien nécessaire de leur famille, souvent en raison d’un manque de sensibilisation. Cela crée un cercle vicieux où les parents, par manque d’informa-

tion, ne peuvent aider leurs enfants qui, de leur côté, se sentent isolés, incompris et abandonnés. Il faut aussi noter qu’au-delà du manque d’information sur le sujet, les défis économiques et sociaux auxquels de nombreuses familles font face laissent peu de place à la communication sur des thèmes aussi délicats que la santé mentale. Selon l’OMS, « face à des luttes quotidiennes pour la survie, il n’est pas surprenant que les parents considèrent la santé mentale comme un luxe dont ils ne peuvent se permettre de discuter ».

Lylly Houngnihin, Directrice du Laboratorio des Arts Contemporains, affirme qu’en Afrique, vu notre passé traumatique lié à l’esclavage, les Africains étaient devenus plus forts et plus coriaces. Elle pousse à réfléchir à la dimension psychologique de ce passé traumatique qui expliquerait également pourquoi en Afrique, on se perçoit comme fort et qu’on n’imagine pas que l’on pourrait avoir des problèmes psychologiques, comme la dépression. Cela fait partie des raisons qui poussent à dire que les maladies mentales sont « des problèmes de Blancs », considérant ces derniers comme faibles ou plus vulnérables.

à établir un dialogue, à sensibiliser et à éduquer sur l’importance de la santé mentale en Afrique. Cela contribuerait significativement à démystifier les problèmes de la santé mentale. Les parents méritent d’être soutenus dans leur compréhension des maladies mentales, tout autant que les enfants. Ainsi, la santé mentale ne sera plus considérée comme accessoire, mais comme une composante essentielle du bien-être général de la société.

Cela dit, à la question de savoir si nous devrions vraiment blâmer nos parents pour leur silence et leur désintérêt face au sujet de la santé mentale, il faut prendre de la distance. Car, ayant grandi dans un contexte différent du nôtre où la question de la santé mentale était presque inexistante, leur perception de la question diffère, tout naturellement. L’heure n’est donc pas au jugement.

Il serait sans doute plus constructif de chercher

Confidences

« Ma psychiatre est ma meilleure amie »

Le réveil fut douloureux. La chambre sombre. Mon cerveau, noir d’idées. Tout est flou. Ma tête va exploser. Mes derniers souvenirs tardent à se mettre en place. Ses yeux écarquillés, me fixant, tout en étant assis en face de moi, sur ce lit, comme si je revenais d’entre les morts. Je n’hésitais pas à lui demander.

– Coumba Ndiaye, qu’est-ce que tu fais ici ?

Qu’est-ce que je fais ici ? Ne devrais-je pas aller à l’école ? Avant que je ne comprenne la raison de ma présence et de la sienne inhabituelle sur mon lit, elle s’exclamait. – Gogo Hadja, il s’est réveillé !

Je me disais dans ma tête : « mais qu’est-ce qu’elle raconte ? »

Ma grand-mère fait irruption dans la chambre et prononce ces mots : « Al hamdoulillahi rabbil alamine » (Gloire au Seigneur de l’Humanité). Elle me serre dans ses bras. Aussi fortement que je me voyais facilement revenu à mes 5 ans. J’en ai 13 ans de plus. Mais je viens de perdre trois mois de ma vie ... Grand-mère me raconte tout ce qui s’est passé. Mes larmes coulent sans arrêt. Elle me raconte que j’ai perdu la mémoire du mois de décembre 2016 au mois de février 2017.

Je ne me souvenais de personne. J’étais dans un monde parallèle. J’étais totalement inconscient. Tout le monde était étranger. Mes parents, les membres de ma famille, mes amis les plus proches. Personne ne pouvait s’approcher de moi. Je souffrais de neuropaludisme et d’épilepsie en même temps. Neuropaludisme. Je n’en ai jamais entendu parler de ma vie avant cet épisode. Jamais. L’épilepsie ne m’était pas étrangère. Le karma peut-être. Puisque ma première crise est survenue une semaine après m’être amusé à taquiner mon petit frère qui en souffre.

Des maladies qui s’attaquent au cerveau. Pour le moins connu, en l’occurrence le neuropaludisme, le taux de mortalité est de 20% pour les adultes et de 15% chez les enfants. Sa prise en charge pose problème en Afrique subsaharienne. Ceci rend le taux de létalité plus élevé. Selon l’Institut Pasteur, « le neuropaludisme se manifeste par une forte fièvre, des convulsions suivies d’un coma ». Pour l’épilepsie : « c’est une maladie chronique caractérisée par un dérèglement soudain et transitoire de l’activité électrique du cerveau ».

Élève de Terminale, 18 ans, avec des projets plein la tête, un plan de vie bien tracé avant tout ça, je voyais mon monde s’effondrer sur ces mots de mamie. Moi, rester trois mois sans étudier pendant que mes amis avançaient pas à pas vers le Bac. Sur le coup, je voyais la barque s’éloigner de moi. Je sais qu’il serait difficile de les rattraper. J’ai sommeil. J’ai mal à la tête. Je veux dormir.

Les jours qui ont suivi « mon retour » n’ont pas été des plus faciles. Je ressemble à une feuille volante. À tout moment, je peux me perdre dans la nature. Pire, je me fragilise de plus en plus. Chaque jour qui se lève, je m’assombris. Ma vie ne ressemble pas à grand-chose. La routine me ronge. Mais je ne peux rien dire. Je souris devant les gens mais je pleure à l’intérieur. Tout le monde est heureux que je sois revenu. Mais je suis malheureux parce qu’une partie de moi s’en est allée. J’ai raté énormément de cours. Le seul grain de bonheur est le fait que mes camarades de classe aient pris le soin de recopier pour moi toutes les leçons ratées.

Un jour du mois de mars, je peux tranquillement et sûrement retourner à l’école. Même le soleil, sous la complicité de ses rayons, me sourit. Même le vent, assisté par sa brise, me câline. La rosée, je n’en parle même pas, elle se laisse caresser par mes pas sans réel danger. Cette tenue, ce chemin, ces camarades, cette ambiance, cet environnement m’avaient manqué. Je suis à nouveau élève. Tellement de questions occupent mon esprit. Mes camarades de classe ne s’empêchent pas de crier lorsqu’ils m’aperçoivent.

– Heeee Kane est de retour !

L’air surpris et le regard stupéfait des élèves se situant au niveau du couloir des classes de Terminale S2, me montrent leur étonnement. Je n’en ferai pas des tonnes avec mon cerveau. Allons rejoindre la bande. Salutations, étreintes, tapes par-ci, blagues par-là, tout est chaleureux à cette heure. Comme à l’accoutumée, à l’heure de la récréation, nous sortons acheter du pain. La cour de l’école est bondée de monde. Près de 4200 élèves se retrouvent dans ce lycée tous les jours. Je fais partie de ceux qui sont connus par un bon nombre d’entre eux. Je ne tarde pas à en avoir la confirmation.

– Les filles, vous étiez au courant que le gars qui présente les matches de Génie en Herbe est fou maintenant. Tout le monde en parle à l’école. C’est tellement triste. Apparemment, il va arrêter les études.

Oui, c’est bien de moi dont elles parlent. Alors qu’on retournait en classe, ce groupe de jeunes filles certainement en Seconde parle de moi, comme par hasard, en étant à ma hauteur, à notre hauteur, mes camarades et moi. Mamadou Cissé Seck ne se fait pas prier pour mettre deux, trois mots à leur encontre.

Moi, pas du tout. Elle vient de m’ouvrir les yeux sur beaucoup de choses. Depuis mon « retour », c’est la première fois que j’entends ce mot associé à ma maladie. Dans ma tête, tout s’explique. En fait, j’étais « fou ». Cette phrase me hante. Je viens de comprendre la raison. Je me mettais dans la peau de ces mots. J’en fais miens. C’est vrai que je souffre d’une maladie mentale. Mais cela signifie-t-il que je suis fou ?

La notion de folie demeure bien peu comprise dans nos contrées africaines. La stigmatisation est facilement de mise lorsqu’une personne ne nous ressemble pas. La maladie mentale est inconnue. Non, elle est méconnue. Le malade mental est rejeté lorsqu’il est mis à nu. D’où la raison de sa peur à en parler. Pourtant, il est juste malade. Du cerveau, certes, mais il est juste malade. Il est humain. Il a surtout besoin d’une main rassurante pour s’assurer d’être toujours le bienvenu. Car, oui, le malade mental peut se sentir étranger dans son propre univers. D’où ses nombreuses évasions à un stade élevé de son mal-être. Les comprimés ne font pas tout. Le soutien de l’entourage doit primer.

Les séances avec Docteur Coundoul étaient toutes bizarres pour moi. Tout était nouveau. Parler de moi à quelqu’un d’autre. Je ne pouvais l’imaginer. Ce n’était pas mon habitude. J’ai toujours gardé pour moi, ce que je vivais où ressentais. À plus forte raison, voir un psychiatre ou un psychologue. Déjà que ce n’était pas notre culture. On a toujours l’impression que ça n’arrive qu’aux autres, que ce n’est pas fait que pour les autres. Cette fois-ci, c’est à mon tour. Ces séances vont se multiplier. Les crises aussi puisque je ne respectais pas mes prises de médicaments.

Je détestais en prendre. Pas de Bac en 2017. Bac en 2018 mais rechute la même année donc pas d’université l’année suivante. Retour sur les bancs en 2019-2020 et je me dis

plus d’arrêt désormais. Je faisais de mon mieux pour suivre au mieux. Parce que je ne voulais plus être stoppé dans mon évolution académique ou professionnelle. Même si je me sens mieux. Même si je supporte mieux, des moments de rechute ne manquent pas. Des moments où on me rappelle que je suis malade ne manquent pas. Le monde professionnel ne pardonne pas. Comme lorsque je fais une crise à mon lieu de travail en décembre 2023 et que mon Directeur m’informe sur mon lit d’hôpital, à travers un message vocal qu’il ne veut et ne peut plus continuer la collaboration juste parce que je suis malade.

Mon dernier rendez-vous chez ma psychiatre remonte d’il y a moins de deux mois. La thérapie ne me prend plus de haut. Plus besoin de m’y amener. J’y vais seul. C’est devenu une routine. Aucune honte, aucune gêne désormais. Je m’y suis fait. Mieux, j’accepte. Je ne pleure plus et je ne crie plus en 2024. J’écris. J’en parle avec le cœur léger. Je lui raconte tout. Elle occupe la position de grande sœur que je n’ai pas eue. Une relation de confiance s’est installée avec elle.

Dire que je suis fou ne me hante plus. Au contraire, je vis avec.

Stanislas Agbla
LA PALABRE - AOÛT 2024

De l’ombre à la lumière

Héritage des traumatismes et guérison

De la traite des esclaves à la colonisation, en passant par la ségrégation, le racisme systémique et les conflits internes, l’histoire des peuples noirs est marquée par des siècles de souffrance et de lutte. Ces atrocités ont causé des traumatismes qui se transmettent de génération en génération. Comment alors, en tant que communautés et individus, pouvons-nous transformer ces ombres en lumière et trouver un chemin vers la guérison ?

Le passé traumatique résume des expériences de douleurs et de souffrances extrêmes subies par un groupe d’individus à un moment donné de l’histoire. Ces expériences, pour ce qui est de celles des peuples noirs, incluent l’esclavage, la colonisation, les génocides, les guerres et diverses formes de discrimination et de marginalisation.

L’héritage des traumatismes

L’héritage du passé traumatique constitue une réalité omniprésente dans la vie de nombreux individus et communautés à travers le monde. Celui des peuples noirs est complexe, enraciné dans des siècles de violence, de déshumanisation et d’oppression. La traite des esclaves qui a duré plus de 400 ans a arraché quinze millions de personnes de leur terre natale, les soumettant à des conditions inhumaines et à une vie de servitude. Les séquelles de cette période se manifestent encore aujourd’hui sous forme de racisme institutionnel, d’inégalités économiques et de discriminations sociales. La colonisation qui est venue après l’esclavage a aussi renforcé ces traumatismes, imposant des systèmes de gouvernance étrangère qui ont souvent ignoré, voire détruit, les structures sociales, culturelles et économiques locales. La décolonisation qui a fait son entrée pour tenter de changer l’état des choses, n’a pas totalement effacé les impacts de ces siècles de domination, laissant des nations lutter pour reconstruire leur identité et leur souveraineté.

La transmission intergénérationnelle

Les effets de ces traumatismes se transmettant de génération en génération, influencent les comportements, les mentalités et les opportunités des descendants. L’épigénétique, qui étudie les changements dans l’activité des gènes, suggère une transmission génétique des traumatisme.

« Les traumatismes peuvent laisser des empreintes biologiques qui influencent les réponses au stress et la santé mentale des générations suivantes »

Des études ont montré que les descendants de victimes de traumatismes historiques portent souvent des traces biologiques de ces souffrances, un phénomène connu sous le nom de « mémoire transgénérationnelle ». Celle-ci se manifeste par des problèmes de santé mentale, une faible

estime de soi, des difficultés économiques et un sentiment de désespoir collectif.

Par ailleurs, les récits familiaux, les comportements et les attitudes des victimes jouent un rôle crucial dans la perpétuation de ces traumatismes. Les manières et les raisons pour lesquelles l’histoire est racontée jouent un rôle non négligeable dans les comportements des individus. En faisant connaissance avec ces histoires, certaines personnes s’enferment dans leur monde, coincées entre l’histoire, les souvenirs du passé et les ressentiments revanchards. Leurs haines grandissent, leurs mépris s’accentuent, et le traumatisme s’enracine au plus profond d’eux-mêmes. Toutefois, cette mémoire n’est pas seulement un fardeau, mais peut aussi être une source de résilience et de force, alimentant des mouvements de justice sociale et des initiatives de reconquête culturelle.

Voie de guérison

La guérison des mémoires traumatiques est un processus complexe qui nécessite une approche particulière, combinant la reconnaissance des injustices passées, la réparation des torts et la réconciliation.

Il est crucial de reconnaître dans un premier temps les traumatismes historiques et de les intégrer dans l’éducation publique. Ceci passe par la mise en place de programmes scolaires qui incluent l’histoire des peuples noirs. La commémoration d’événements tragiques permettra également de sensibiliser les nouvelles générations en promouvant une compréhension plus profonde des causes lointaines des inégalités actuelles. Aussi, enseigner l’histoire des peuples noirs dans toute sa complexité et sa richesse permet de déconstruire les stéréotypes et de promouvoir une compréhension plus profonde des dynamiques historiques et contemporaines. Les jeunes générations, armées de cette connaissance, peuvent ainsi devenir des agents de changement, porteurs d’une vision renouvelée de justice et de dignité.

Ensuite, la justice sociale. Voilà un pilier fondamental de ce processus de guérison qui peut inclure des réformes politiques ainsi que des initiatives visant à promouvoir l’équité et l’égalité. Le président Patrice Talon, président du Bénin depuis 2016, a entrepris plusieurs initiatives pour renforcer la justice sociale et les relations historiques entre la France et le Bénin. L’un des gestes les plus significatifs du Président dans ce domaine concerne la restitution des biens culturels et des trésors royaux pillés pendant la colonisation. En 2018, après des années de demandes, le président français Emmanuel Macron a annoncé l’engage-

ment de la France à restituer 26 œuvres d’art au Bénin, prises par les troupes françaises lors du pillage du palais d’Abomey en 1892. Ce geste fait partie d’une démarche plus large de restitution d’art africain dans les collections françaises. La même année, le rapport de Sarr-Savoy préconisait la restitution de milliers d’objets d’art africains détenus dans les musées français, soulignant la nécessité de justice historique. C’est donc pourquoi en novembre 2021, les 26 œuvres, comprenant trônes, statues et autels, ont été officiellement restituées au Bénin. Cet acte a été perçu comme un geste symbolique de réconciliation et de reconnaissance des torts passés.

Ensuite, le réaménagement de « la route de l’esclavagisé », située à Ouidah. Il s’agit d’une initiative ambitieuse qui vise à honorer le passé douloureux de la traite négrière tout en stimulant le développement économique, touristique et culturel du Bénin. En rénovant les sites historiques et en promouvant le tourisme culturel, ce projet joue un rôle crucial dans la préservation de la mémoire et la promotion de la réconciliation ainsi que la compréhension interculturelle. Toutefois, la réalisation de ces objectifs nécessite des efforts soutenus, une gestion efficace et un engagement communautaire pour aboutir à des résultats.

Aussi, le dialogue intercommunautaire et la réconciliation sont-ils des étapes vitales pour surmonter les divisions créées par les traumatismes entre victimes (peuples noirs) et bourreaux. Des initiatives de vérité et de réconciliation, inspirées par des modèles tels que ceux de l’Afrique du Sud post-apartheid, peuvent aider à créer des espaces de compréhension mutuelle et de guérison collective.

fisantes, le modèle sud-africain reste un exemple puissant de tentative de guérison collective après des décennies de ségrégation et de violence. Dans ce contexte postapartheid, il faut le reconnaître, le modèle Ubuntu a joué un rôle crucial dans les efforts de réconciliation. Ce modèle est une philosophie africaine profondément enracinée dans l’idée de l’humanité partagée et de l’interconnexion entre les individus. Le mot « Ubuntu » provient des langues bantoues et peut être traduit par : « je suis parce que nous sommes ». Elle promeut des valeurs telles que la solidarité, le respect, la dignité et la coopération, insistant sur le fait que le bien-être de chacun est lié au bien-être de tous. En pratique, Ubuntu encourage les individus à agir avec bonté, à contribuer au bien-être de la communauté et à reconnaître leur interdépendance avec les autres.

Ainsi, un dialogue ouvert avec la France pour aborder des questions de justice sociale, de développement économique et de sécurité régionale serait idéal. Le but, établir une relation plus équilibrée et mutuellement bénéfique entre les deux parties, en tenant compte des réalités historiques et des aspirations contemporaines. Des rencontres régulières entre les acteurs vont renforcer la coopération sur divers fronts, y compris la sécurité régionale et le développement économique. Le chemin de guérison des mémoires traumatiques des peuples noirs est ardu, mais il est essentiel pour construire un avenir plus équitable et harmonieux.

En Afrique du Sud, après la fin de l’apartheid en 1994, le gouvernement a mis en place la Commission Vérité et Réconciliation (CVR). Elle avait pour objectif d’exposer les violations des droits de l’homme commises pendant le régime ségrégationniste et de promouvoir la réconciliation nationale. Des enquêtes menées par James Gibson, montre que « la CVR a participé à la réconciliation en Afrique du Sud dans la mesure où elle a rapproché les points de vue des Blancs et des Noirs sur le passé ». Elle aurait en quelque sorte forgé une mémoire collective commune sur l’apartheid. La CVR a permis aux victimes de raconter leur vécu et aux auteurs d’actes violents de confesser leurs crimes en échange d’une amnistie, à condition de dire toute la vérité. Ce processus a contribué à établir un récit officiel des abus passés et à créer un environnement où le pardon et la guérison étaient possibles. Bien que critiqué pour sa justice incomplète et ses réparations parfois insuf-

En passant de l’ombre à la lumière, en transformant la douleur en force, les communautés peuvent trouver des voies de résilience et de renaissance. La reconnaissance de l’héritage des traumatismes et la mise en place de processus de guérison intégrative sont des étapes indispensables pour honorer le passé tout en construisant un avenir de dignité et de justice.

Cependant, malgré les appels répétés à l’action, de nombreux gouvernements et institutions continuent de manquer de volonté politique et les ressources dédiées à la mise en œuvre de ces processus font défaut. Les politiques de réparation et de réconciliation restent souvent symboliques et insuffisantes, tandis que les inégalités structurelles persistent. Aussi, les efforts de guérison sont trop souvent freinés par des intérêts politiques et économiques qui résistent au changement, laissant les blessures historiques ouvertes et entravant la véritable réconciliation et la construction d’un avenir réellement inclusif et juste.

David Tossou

HÉRITAGES ET TRAUMATISMES

La médecine africaine aujourd’hui Le défaut de démocratisation de la pharmacopée

La pharmacopée africaine est riche et son efficacité, avérée. Cependant, en dépit de son utilité, elle reste la chasse gardée de quelques tradipraticiens. Ce défaut de vulgarisation qui, au fond, constitue un moyen précieux pour la protection d’un savoir ancestral est vecteur d’une faiblesse de grande envergure.

Àl’échelle mondiale, environ 80% des populations des pays en développement ont recours, selon les estimations de l’Organisation Mondiale de la Santé, à la phytothérapie. Entendez le traitement des maladies à base des feuilles (OOAS, 2018). En Afrique, cet intérêt pour la médecine traditionnelle est d’autant plus prépondérant qu’il varie entre 60% en Ouganda et en République Unie de Tanzanie, 70% au Ghana et au Rwanda, 80% au Bénin et 90% au Burundi et en Ethiopie (OOAS 2020). Les recettes de la pharmacopée africaine sont composées d’une multitude d’ingrédients qui demeurent tabous pour la communauté scientifique. Cette situation freine considérablement sa valorisation, sa promotion et son aptitude à s’imposer dans la pharmacologie conventionnelle mondiale.

Entre désaffection et abandon

Comme le soulignait le philosophe béninois Paulin Hountondji, « personne ne nie aujourd’hui qu’il existe, dans cultures orales, des corpus de connaissances parfois très élaborés, fidèlement transmis d’une génération à l’autre ».

«

Personne ne nie aujourd’hui qu’il existe, dans cultures orales, des corpus de connais- sances parfois très élaborés, fidèlement transmis d’une génération à l’autre. »

Paulin Hountondji

Cependant, au fil des ans, un constat persiste : l’inimitié très profonde de certains intellectuels africains vis-à-vis de la médecine autochtone. Cette aversion s’expliquerait par plusieurs facteurs. D’une part, une hostilité prononcée envers tout ce qui relève de l’endogénéité, fait sous-tendu par l’enseignement calqué sur le système colonial euro-centrique. Cette « logique de l’extraversion », c’està-dire ce raisonnement tournée vers l’extérieur, se manifeste, selon Paulin Hountondji, par cette attitude qu’ont certains chercheurs africains à n’orienter leur recherche que vers des réalités autres que les leurs et à ne recourir à la médecine africaine que de manière occasionnelle et spontanée, lorsque la médecine moderne montre ses limites et pire, sans jamais interroger les mécanismes par lesquels ces savoir-faire ancestraux fonctionnent là où la science moderne a échoué. Le fait que les travaux de cer-

tains scientifiques africains soient tributaires des sources extérieures et qu’ils soient publiés, lus et mieux connus à l’étranger qu’au pays soutient cette extraversion.

De même, on constate que dans certains hôpitaux, les médecins s’opposent encore catégoriquement à l’utilisation de la médecine africaine. Or, l’extraversion est la mère de la marginalisation. C’est ainsi que la pharmacopée africaine est reléguée au second rang par l’intellectuel africain, et dans une mesure restreinte, les scientifiques africains, comme étant « de simples survivances, des curiosités intellectuelles et technologiques » (Paulin Hontondji).

En effet, avec la modernité, les savoirs africains, la pharmacopée africaine en occurrence, devient, aux yeux de certains scientifiques africains, archaïque, voire dépassée et ne mérite plus qu’on y accorde des études sérieuses face à une médecine moderne galopante. D’autre part, l’introduction des religions révélées a développé en Afrique précoloniale la propagande de la diabolisation du caractère magico-médical de la médecine africaine. Avec ce délaissement, la pharmacopée africaine, même au contact de la médecine moderne, peine à opérer une symbiose afin de s’imposer dans l’arsenal scientifique mondial. Malgré la reconnaissance de son importance par l’OMS à travers la Déclaration d’Alma-Ata de 1978 et la recommandation faite aux Etats membres d’officialiser une législation spécifique dans le but de sa promotion, la pharmacopée africaine reste le secret de quelques tradipraticiens.

Le secret dans la pharmacopée africaine : source d’immobilisme

Repliée sur elle-même, cette science n’est pratiquée que par un groupuscule d’hommes et de femmes : ce sont les tradipraticiens. Cette réserve intellectuelle s’est révélée aujourd’hui comme un obstacle de taille à l’avenir de ces corpus de connaissances.

En effet, l’idée de conciliation de la médecine moderne et de la pharmacopée africaine est de plus en plus agitée par des chercheurs. Toutefois, cet acte qui aurait été bénéfique à tous, se heurte à un enfermement de la médecine traditionnelle qui, comme depuis toujours, invoque le caractère sacré et secret de ce savoir. La médecine occidentale dans une posture démocratique, s’ouvre au débat et à la pratique générale, de son côté, la médecine africaine opte pour l’initiation et la conservation du secret. La discussion jusqu’aujourd’hui est au point mort et la collaboration hypothéquée à cause des divergences d’approches des deux savoirs. Ce handicap s’explique par la méconnaissance de la médecine africaine par les professionnels de la santé.

Une étude réalisée en 2019 à Ouagadougou, au Burkina Faso, rapporte que sur 47 médecins interrogés, seulement 07 ont une bonne connaissance de la médecine traditionnelle. De plus, une majorité signale l’absence totale d’un enseignement de la médecine africaine dans leur programme de formation. Conséquence, ceux-ci la perçoivent comme « un produit à risques » et s’abstiennent de la recommander à leurs patients.

Le psychiatre Gualbert Réné Ahhyi soulignait, par exemple, qu’il est particulièrement difficile aujourd’hui d’être à la fois spécialiste de la psychiatrie occidentale et de celle traditionnelle. Le psychiatre formé à l’occidentale, estimet-il, refuse la confrontation qui peut l’ébranler, ou semer quelques doutes dans ses idées. Certains restent, cependant, optimistes sur la question. Selon Dr Simone de Souza, « on peut parfaitement concilier la médecine traditionnelle avec la médecine moderne ». Un travail d’études sérieuses, d’analyses, de classification et de théorisation est alors prépondérant pour opérer le rapprochement. Autrement dit, il serait bénéfique de mettre en place une méthode pour tester, traiter, écarter ou valider les recettes médicinales et ce, d’une manière critique, comme l’exige la méthode scientifique. Le philosophe Paulin Hountondji fait savoir que c’est à ce « pari pour la rationalité » que l’urgence invite. Mais, c’est un pari qui n’est point gagné d’avance, puisqu’il passerait par une levée des barrières difficile à opérer.

Le secret dans la pharmacopée africaine : pour la sécurité d’un savoir ancestral

Les secrets de la médecine traditionnelle, estime Dr. Simone de Souza, ne sont transmis qu’à « l’enfant sérieux. » Pour en avoir accès, il faut l’apprendre, la mériter et en être surtout digne. Ce qui passe, essentiellement, par un enseignement. Il faut « assister aux préparations, cueillir, calciner et piler les ingrédients, apprendre à composer les mélanges ». Les secrets apparaissent alors comme un moyen pour sécuriser les savoirs, héritage de tout un peuple, afin de les mettre à l’abri des esprits malveillants.

Parce que la connaissance est une arme. Mohamed Karim, phytothérapeute togolais soutient qu’il n’y a pas en Afrique des mesures qui protègent un chercheur en médecine traditionnelle et le fruit de ses recherches, et que c’est pour cela qu’ils ont peur d’exposer leurs secrets de traitement. Une réglementation étatique du secteur serait donc sans doute utile pour mettre les tradipraticiens en confiance. David Dosseh, enseignant chercheur à l’Université de Lomé, souligne que c’est le prix à payer pour « que la médecine traditionnelle africaine enclenche son développement. » Cela créerait un cadre favorable pour que les professionnels des deux types de médecines se retrouvent pour bâtir un pont permettant à chaque médecine de bénéficier du soutien de l’autre. Cette discussion est prépondérante. Gaston Bachelard le disait si bien, « deux hommes, s’ils veulent s’entendre, ont dû d’abord se contredire ».

Bienvenu Sognon

Thérapie assurée ?

Le vodun dans la médecine traditionnelle béninoise

Le Bénin détient une médecine traditionnelle unique. Contrairement à certains pays d’Afrique, la force de cette médecine traditionnelle, réside dans le vodun, un ensemble de divinités à multiples facettes qui réussit là où la médecine moderne échoue.

Marguerite a 60 ans. La quarantaine environ, c’est une personnalité publique influente. Depuis près de sept ans, elle a traîné une maladie non identifiée par la médecine moderne. Elle confesse : « J’ai traîné cette maladie pendant au moins sept ans. J’ai fait plusieurs analyses qui ne révèlent rien du tout. Mais au final, un proche m’a conseillé un tradipraticien. J’ai hésité un moment, mais j’ai dû essayer et contre toute attente, après deux semaines, j’ai commencé à obtenir une guérison progressive. Je n’y croyais pas du tout ».

Cette histoire nous plonge au cœur de la médecine traditionnelle béninoise. Une médecine très puissante qui détient un pouvoir hors-pair, parce qu’elle bénéficie particulièrement de la force surnaturelle du vodun. Il révèle des recettes pour le traitement de certaines maladies, dites incurables par la médecine moderne. D’ailleurs, Dossou Yovo Arsène, tradipraticien béninois et prêtre du Fa, déclare que « c’est grâce à l’oracle que je cherche les feuilles pour pouvoir guérir. Les gens vont faire de la radiographie à l’hôpital et ne voient rien. Quand ils viennent chez moi, je fais la consultation par l’intermédiaire d’un chapelet divinatoire appelé Akplè ». Le Professeur Antoine Coovi Padanou explique dans un entretien accordé à Médiaforce Afrique : « les vraies recettes sont issues des couvents. Le secret de toute feuille pour la guérison de n’importe quelle maladie, vient du couvent. »

Mais au Bénin, depuis plusieurs décennies, le vodun est toujours diabolisé et associé aux forces du mal. C’est suite à ce constat que Kougla Bessanh, adepte de cette pratique à Ouidah, explique à Jeune Afrique: « le vodun n’a rien de négatif. Il n’apporte que du bien, comme Jésus-Christ aux chrétiens. » Loin de tous ces préjugés et clichés qui lui sont collés et qui se démystifient au fil des ans, le vodun compte une centaine de divinités qui incarnent le rôle de guérisseurs et bienfaiteurs dans la médecine traditionnelle béninoise.

« Le vodun n’a rien de négatif. Il n’apporte que du bien, comme Jésus-Christ aux chrétiens. »
Kougla Bessanh

Le Professeur Titulaire de sociologie, Dodji Amouzouvi magnifiant le vodun, parlera de la « déité de la richesse, du bonheur et de tout ». Le Docteur Tokpanou Koudjo, médecin infectiologue et sociologue, soutient que le traitement de la stérilité apparaît très délicat pour la médecine moderne. Or certaines divinités sont invoquées pour traiter certaines pathologies qui échappent à la médecine moderne. Il estime que les causes de ces pathologies peuvent être nombreuses aussi bien sur le plan organique, somatique, spirituel que mental, psychologique et bien d’autres. »

Dans une vidéo explicative publiée sur sa chaîne youtube, le Professeur David Koffi Aza, prêtre du Fa et membre du comité des rites voduns du Bénin, révèle que « le Sakpata s’occupe de la fertilité, de la reproduction, tant humaine que végétale. » Pour lui, la divinité Sakpata, se trouve au centre de notre vie, s’occupe de la santé de l’homme et de tout ce qui a trait à son bien-être. Si une jeune fille ou une jeune femme, ajoute-t-il, « avorte des grossesses de jumeaux, il peut arriver que ces jumeaux, sur le plan spirituel, l’empêchent de tomber enceinte par la suite. Pour traiter cette absence de conception, même les plus grands gynécologues du monde ne pourront rien y faire. Il faut procéder à des purifications pour régler cette situation. »

C’est le cas de dame Cécile (prénom d’emprunt), la trentaine environ, presque rongée à l’idée d’être stérile à cause d’avortements répétés. Après avoir consulté plusieurs hôpitaux et les grands gynécologues, elle n’a pas eu d’autres choix que de s’en remettre aux traditionalistes, où elle trouve une solution. Elle déclare : « J’avais perdu tout espoir. On m’a traité de tous les noms. Grâce à la force de la divinité Sakpata, j’ai finalement eu un bébé au moment où, je m’y attendais le moins. Il m’a fallu faire quelques rituels recommandés par le dignitaire qui m’a traité avant de concevoir. »

Comme dame Cécile, Dossi, est également déclarée stérile. Mais au lieu de s’en remettre à la divinité Sakpata, elle préfère avoir satisfaction chez la divinité Dan Mami Wata qui a un contrôle sur la fécondité, la beauté et la richesse, selon les adeptes. Elle se rend chez un traditionnaliste grâce à qui elle a pu concevoir et accoucher suite à des traitements à base de potion de plantes et l’invocation de cette divinité.

« Le recours aux divinités pour le traitement des maladies remonte à l’Antiquité », explique Tédougbé A. Aimé Agbomahenan, professeur certifié des sciences naturelles et consultant en médecine traditionnelle. Mais, cette vieille

pratique est encore d’actualité au Bénin pour le bonheur des populations. Beaucoup de dignitaires de cultes voduns maîtrisent avec précision les maladies que les associations de plantes, d’écorces et d’autres ingrédients peuvent guérir.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), plus de 80% de la population béninoise se réfère à la médecine traditionnelle pour trouver satisfaction à certains problèmes de santé. Ainsi, les populations se tournent souvent vers ces personnes qui comprennent et parlent le langage des divinités, des plantes, de la nature et des animaux parce que comme l’on peut le constater dans ces différents cas, les potentialités de la médecine traditionnelle béninoise sont multiples. Le chercheur botaniste docteur Gbèwonmédéa Hospice Dassou, responsable du Jardin botanique et zoologique de l’Université d’Abomey-Calavi, explique que l’apport des divinités dans le traitement des maladies au Bénin, imprime une touche particulière à la médecine traditionnelle du pays à cause de son efficacité et de son originalité. Les tradipraticiens béninois sont imbus de connaissances ancestrales héritées des ancêtres. Globalement, tous les experts interrogés sur la question s’accordent sur le principe et ces connaissances pourront être

bénéfiques pour le bonheur des populations puisque des pays ont compris très-tôt l’enjeu de la conciliation médecine traditionnelle et moderne dans le traitement des personnes souffrantes et l’ont adapté officiellement.

En Bolivie par exemple, la médecine traditionnelle fait partie intégrante de la médecine moderne. Les tradipraticiens et les médecins modernes collaborent pour traiter les maladies. Un reportage de France 24 s’est intéressé à cette pratique pour montrer les merveilles de ce brassage tradi-moderne dans le pays. Cette collaboration entre ces deux médecines a même fait usage d’une loi mise en vigueur, a expliqué l’un des tradipraticiens rencontrés. Dans ce reportage l’un des tradi-praticiens rencontrés a révélé que cette collaboration est rendue officielle par une loi mise en vigueur. Selon les tradi-praticiens béninois, emboiter les pas de la Bolivie serait l’idéal pour valoriser les multiples facettes du vodun, notamment ses apports dans la médecine traditionnelle béninoise.

Achille Martial Nouchet

HÉRITAGES ET TRAUMATISMES

Commentaire

Frantz Fanon et la santé mentale : Répercussions dans le contexte postcolonial

« L’Afrique pourrait-elle un jour guérir de tous ces traumatismes ? » se demande la psychiatre Josiane Ezin Houngbe. Pour Fanon, la réponse se trouve nécessairement dans le développement autonome et la libération des chaînes coloniales et néocoloniales par la révolte.

Traumatisme post-colonial ?

Environ 10 à 20 % des adolescents dans le monde sont confrontés à des problèmes de santé mentale, selon l’Organisation Mondiale de la Santé. Avec 23 cas de suicide par an, souvent liés à la dépression, la Côte d’Ivoire est un des pays africains les plus affecté par cette crise, accentuée par le stress post-traumatique des conflits armés et la crise post-électorale de 2010-2011. L’œuvre de Fanon est éclairante pour comprendre l’impact durable des violences coloniales d’hier et d’aujourd’hui.

Figure clef de la psychiatrie décoloniale, les travaux du martiniquais Frantz Fanon ont profondément influencé la compréhension de la santé mentale dans les sociétés postcoloniales. Dans ses deux œuvres majeures, Peau noire, masques blancs (1952) et Les Damnés de la Terre (1961), Fanon s’attaque à l’aliénation mentale et la déshumanisation des colonisés sous un régime colonial. Il explique comment ce passé douloureux a imposé une identité aliénée aux colonisés, les forçant à vivre dans un état permanent de dissonance cognitive et psychologique.

La question de la santé mentale est ainsi au centre des préoccupations du Martiniquais qui avance que la domination culturelle et politique peut développer des sentiments d’infériorité. Ayant travaillé en Algérie pendant la guerre d’indépendance, il a pu constater les impacts mentaux de l’oppression coloniale et de la violence. Il parle ainsi de « traumatisme collectif », subi par des peuples à la suite de violence, de domination et de soumission. Selon Joël Tchogbe, rattaché au Civic Academy for Africa’s Future, cette violence « a laissé des coups durs dans la mémoire individuelle et collective ». Ces « vestiges sombres et lugubres » se retrouvent dans de nombreux pays africains, en particulier la Côte d’Ivoire.

Désintoxication par la révolte ?

Colonie française jusqu’à son indépendance en 1960, la Côte d’Ivoire subit les séquelles des politiques de domination et de division instaurées par les colons. Pour Fanon, la révolte est essentielle pour s’affranchir des traumatismes, à l’image de la révolte des Abbeys de 1906 à 1916, et ne serait tarder à prendre le reste du monde, avec la guerre d’Algérie de 1954 à 1962.

Fanon voyait en ses combats contre les dominateurs une façon de se départir de l’aliénation et de l’intoxication. Mais celles-ci perdurent, comme si le colonialisme n’avait

pas tout à fait fini de hanter les générations actuelles. Pour Fanon, « la violence qui a présidé à la naissance de la société coloniale se perpétue sous différentes formes dans la société postcoloniale […] Elle imprègne les structures sociales, créant des traumatismes durables ». Comment se défaire des traumatismes ? Les mouvements de contestation postcoloniale peuvent également jouer un rôle positif dans la santé mentale en favorisant une guérison collective vers un sentiment d’auto-détermination qui aide à surmonter les traumatismes passés.

Le réveil : réappropriation et contestation

Mais ne pouvons-nous pas lire les récents bouleversements comme des attaques au legs colonial ? Le Sénégal, ancienne capitale de l’Afrique Occidentale française, a été secoué par des vagues de contestations socio-politiques. Au cœur des revendications : la rupture des relations inégalitaires entre le pays et l’ancienne puissance coloniale. Ainsi, des milliers de jeunes, reprochant aux gouvernants en place une proximité avec la France et une mainmise de cette dernière sur l’économie du pays, s’en sont pris aux intérêts français à travers des actes de vandalismes, de destructions et d’incendies des entreprises françaises basées dans le pays. « France dégage », prône le mouvement Front pour une Révolution Anti-impérialiste Populaire et Panafricaine (FRAPP).

On peut dire que le peuple sénégalais s’engage dans une réappropriation de son destin en rompant avec l’idée que le pays ne saurait se départir de la France. Ce processus de déconstruction mentale, transmis de génération en génération, est important pour surmonter les traumatismes hérités du passé colonial. Comme l’a souligné Fanon, « la domination culturelle et politique peut développer des sentiments d’infériorité [...] et créer des traumatismes profonds et durables ».

Mais le capital se réduit-il à une nationalité ? Si les exportations françaises vers le Mali ont baissé de 16% depuis 2018, les troupes armées du groupe Wagner soutenu par la Russie ont doublé. Et si les exportations françaises vers le Burkina Faso ont chuté de 15% depuis 2018, soit 60 millions d’euros, les investissements chinois ont atteint 1 milliard de dollars en 2022. Le néocolonialisme français se voit donc remplacé par d’autres, chinois ou russe, qui s’appuient sur un levier sécuritaire, des intérêts économiques bien ciblés et l’influence médiatique.

Le système de dépendance instauré par la France dans ses anciennes colonies devrait rendre les Africains prudents envers la Russie. Sous des apparences bienveillantes, le Kremlin avance son projet panafricain, qui ressemble davantage à une nouvelle forme d’ingérence dans les affaires africaines.

Vers une psychiatrie culturelle

Si le colonialisme perdure donc, tout en se muant, les séquelles en termes de maladie mentale persistent aussi. Le continent africain souffre toutefois d’une grave pénurie de professionnels de la santé mentale selon l’OMS, avec 0,9 travailleur de la santé mentale pour 100 000 habitants. Le Bénin ne compte que 14 psychiatres pour 10 millions d’habitants, tandis que la Côte d’Ivoire, pour une population de plus de 29 millions d’habitants, dispose de moins de 100 spécialistes en santé mentale, psychiatres, infirmiers et sages-femmes en psychiatrie. LA

Christina Goh, Ambassadrice pour la santé mentale du Programme National de Santé Mentale (PNSM) de Côte d’Ivoire, explique : « Le génie de Fanon a été de montrer au monde qu’il y avait une autre manière de pratiquer la psychiatrie autre que la perceptive coloniale, en prenant en compte des données issues des cultures non-occidentales. Mais il n’a pas vu le développement d’une psychiatrie qui s’est développée en Côte d’Ivoire avec une approche locale et des experts ivoiriens. Sur le terrain, je prends pour exemple le projet CAMPPSY initié par le Programme National de Santé Mentale. Ce projet pilote, en cours de développement, collabore avec des camps de prière et des leaders religieux, car ils sont les recours spontanés de la population et ce fait a précédé la colonisation et lui a subsisté ».

Cette affirmation souligne l’intégration des initiatives locales dans les stratégies nationales de santé mentale et la collaboration entre différents acteurs pour améliorer l’accès et l’efficacité des soins. Le psychiatre martiniquais l’a évoqué « la psychiatrie ne peut se limiter à une approche clinique ; elle doit s’inscrire dans une lutte plus large pour la libération du sujet colonisé ».

Que ce soit la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Mali ou le Burkina Faso, tous marqués par une histoire coloniale douloureuse, la psychiatrie reste pertinente dans leurs quêtes respectives pour se libérer des vestiges coloniaux et bâtir des sociétés autonomes et résilientes.

Les révoltes historiques, les luttes contemporaines et l’adaptation des approches en santé mentale révèlent une quête ardente pour dépasser les traumatismes hérités et construire des sociétés autonomes et résilientes. Comme l’a souligné Fanon dans Peau noire, masques blancs (1952) « la réhabilitation psychologique du colonisé nécessite une prise de conscience de sa propre valeur et une redécouverte de son identité culturelle et historique ».

À mesure que l’Afrique navigue entre héritages coloniaux et nouvelles influences globales, il est important de soutenir des initiatives qui créent une véritable autonomie, tout en restant vigilant face aux nouvelles formes de dépendance qui pourraient émerger. La route est encore longue, mais la résistance et les innovations continuent de dessiner un avenir potentiellement libérateur.

Couverture sanitaire universelle Défis et perspectives au Bénin

La Couverture Sanitaire Universelle depuis les années 2000 reste une aubaine pour le développement du Bénin. Néanmoins, plusieurs enjeux et défis entravent sa mise en œuvre.

Offrir un soin de santé de qualité, moins coûteux et accessible à tous, c’est l’ambition première de la couverture sanitaire universelle (CSU). Elle vise à éliminer les obstacles financiers et géographiques empêchant l’accès aux services de santé. Malheureusement y parvenir n’est pas aisé.

Difficile mise en œuvre de la CSU

L’Accord d’Abuja de 2001 qui cherche à « Construire l’avenir de la santé en Afrique » fixe une valeur de 15% au moins pour le budget alloué au secteur de la santé. Pourtant au Bénin, seulement 5,09% du budget général constituait la part de la santé en 2020 selon la note budgétaire sensible au genre.

Si l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande un seuil minimal de 2,3 personnels de santé pour 1000 habitants, le Bénin en compte un ratio de 0,3 soit moins d’un sixième de ce qui est recommandé (Annuaire Statistique Bénin 2019). La formation continue des professionnels de santé n’est pas garantie alors que qualité des soins et CSU marchent de pair.

« Si l’OMS recommande un seuil minimal de 2,3 personnels de santé pour 1000 habitants, le Bénin en compte un ratio de 0,3 ».

Annuaire Statistique Bénin 2019

Il serait donc envisageable de promouvoir plus de formations continues pour les professionnels déjà en service comme recommandé par la Direction Générale de la Formation Professionnelle Continue et des Stages. Les infrastructures sont souvent obsolètes et les perspectives de rénovation semblent lointaines. Un audit aurait permis d’écarter les appareils hors service des centres et d’acquérir de nou-

veaux matériels disponibles à tous les niveaux de la pyramide sanitaire.

Une volonté politique affichée

Avec l’introduction en 2018 du projet ARCH (Assurance pour le Renforcement du Capital Humain), le gouvernement béninois a manifesté une volonté d’améliorer l’accès aux soins de santé pour tous. Avec la phase pilote dudit projet, Venant Quenum, coordonnateur de l’Unité de Gestion, affirme que : « Plus de 2251 personnes ont déjà bénéficié d’une prise en charge sanitaire complète par rapport au contenu du panier de soins dans les sept communes pilotes ».

Dans cet élan, le gouvernement béninois a adopté, le 21 juin 2023, le décret portant modalité de mise en œuvre de l’assurance maladie obligatoire en République du Bénin incitant les entreprises à prendre en charge leurs employés à travers la souscription à une assurance maladie. Aussi, le gouvernement a investi dans la construction du Centre Hospitalier International de Calavi. Ce centre de haut standing doté d’équipements de pointe permettra la prise en charge des citoyens béninois. Mais est-ce qu’un citoyen ordinaire percevant un Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti de 52000 FCFA pourra y avoir accès ? Rien n’est moins certain.

Perspectives

Pour atteindre l’objectif de développement durable 3 potant sur « bonne santé et bien-être », l’OMS à travers le rapport de suivi de la couverture sanitaire universelle dans la région africaine de 2022, appelle à réorienter les politiques vers des soins de santé centrés sur la personne. Cette politique vise à offrir un cadre réglementaire d’éducation amenant les patients à disposer de formation et de l’appui nécessaire pour prendre des décisions à participer à leurs propres soins. Par exemple, être conscient de l’importance de l’hygiène et vouloir se faire dépister pour une maladie devrait être le premier réflexe.

« Renforcer la résilience des populations pour atteindre les objectifs de la couverture sanitaire »

Dr Matshidiso Moeti, Directrice au Bureau régional de l’OMS pour l’Afrique

Depuis 1948, l’OMS a associé cet aspect à la prévention primaire où les réglementations jouent un rôle clé pour empêcher la survenue de maladies. Déjà malgré la gratuité de certains soins, comme les antirétroviraux, certaines populations séropositives ne s’en procurent pas. Dr Matshidiso Moeti, Directrice au Bureau régional de l’OMS pour l’Afrique propose alors de « renforcer la résilience des populations pour atteindre les objectifs de la couverture sanitaire » en ce sens que les citoyens comprennent l’importance de la CSU, l’analysent et l’acceptent.

C’est dans ce but que s’inscrivent les séances de sensibilisations de structure comme la Commission Nationale de Lutte contre le SIDA, la Tuberculose et le Paludisme. L’imposition de mesures sans leur consentement pourrait être perçue comme une violation des droits de l’homme. Le docteur invite à opter pour une stabilisation technique et administrative du système de santé d’une part, ainsi que des mesures contre l’augmentation des dépenses de santé d’autre part et donc via la création des mutualistes de santé.

Le chemin vers la couverture sanitaire universelle au Bénin semble être tortueux et la destination finale lointaine. Avec une volonté politique renforcée et des réformes stratégiques, le rêve d’un système de santé équitable et accessible pour tous peut devenir réalité.

Chance Dohouin

Analyse

Robots chirurgiens

L’intelligence artificielle au service de la santé

Basée sur une démarche diagnostique avec un recueil d’informations, l’examen clinique et l’émission d’hypothèses confirmées par des examens complémentaires, la médecine, dans son procédé, est fondée sur l’interaction soignant-soigné. Mais, aujourd’hui, avec le développement de l’intelligence artificielle, de plus en plus de médecins s’interrogent sur l’aspect humain de la santé face à des évolutions que l’on pensait issues de romans de science-fiction.

L’intelligence artificielle, miracle pour la médecine moderne ?

L’intelligence artificielle voit le jour dans les années 1950. L’objectif, créer des machines capables de simuler l’intelligence humaine. Les premiers algorithmes informatisés d’aide au diagnostic sont déployés. Pendant que les chirurgiens pilotent des robots, les anesthésistes expérimentent la réalité virtuelle sur l’anxiété des patients. La téléconsultation gagne du terrain et le numérique accélère la privatisation du système de santé. Il doit être clairement admis que la « médecine du futur » avec les avancées technologiques sera une médecine de précision. « L’intelligence artificielle en médecine est un outil puissant qui, lorsqu’il est utilisé correctement, peut offrir des traitements plus rapides, plus précis et plus personnalisés, tout en améliorant l’accès aux soins de qualité. » estime Atul Gawande, chirurgien américain, professeur de médecine et rédacteur pour le New Yorker

Aide à la décision

« En santé, l’intelligence artificielle est principalement utilisée comme une aide à la décision », indique Jean Charlet, chargé de mission de recherche à l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris. Et c’est dans l’imagerie médicale qu’elle fonctionne le mieux. En radiologie, les logiciels utilisant le deep learning sont capables de diagnostiquer un mélanome, un cancer ou une fracture.

Algorithme prédictif

L’intelligence artificielle est aussi capable de réaliser des prédictions : c’est ce que l’on appelle la « médecine prédictive ». Elle analyse certains indicateurs pour alerter la population ou anticiper une épidémie. Aussi, elle peut prédire l’évolution d’une maladie chez un patient précis ou évaluer le risque chez un autre d’en développer une. Sur ce dernier point, l’effet d’une telle annonce sur la santé mentale d’un patient est à craindre. Les conséquences d’une telle décision sur la vie professionnelle du patient ou son avenir financier, dans l’obtention d’une assurance santé ou d’un prêt immobilier reste un problème majeur.

Robots Chirurgiens !

À Barcelone, une équipe chirurgicale a réalisé la première greffe du poumon sans ouvrir complètement la poitrine du malade, en manipulant seulement un robot équipé de quatre bras. Pouvons-nous envisager, dans dix ou quinze ans, une opération menée par un chirurgien-robot auto-

nome? Cette possibilité n’est pas exclue. Des chercheurs de Stanford ont entraîné une intelligence artificielle à reconnaître les instruments chirurgicaux quand d’autres sont capables de modéliser notre anatomie. En parallèle, d’autres utilisations de cette technologie peuvent être citées, comme des prothèses intelligentes qui alertent sur leur niveau d’usure ou des robots compagnons pour les personnes âgées ou fragiles. L’intelligence artificielle est également utilisée en traitement automatique des langues. Notamment, sur les dossiers des patients des hôpitaux, dans un but d’identification et d’information. Réel problème pour la relation soignant-soigné qui, préalablement pour le recueil d’informations, se basait sur une communication interactive entre le médecin et son patient.

L’humain au cœur de la santé

Malgré toutes ses capacités, rappelons que cette IA n’est intelligente que par son nom. Elle ne sait pas encore tenir compte des contenus implicites, ne peut pas évaluer des situations et peut commettre beaucoup d’erreurs. D’ailleurs, en mars 2023 plus d’un millier d’experts dont Elon Musk, réclamait une pause de six mois dans le développement de l’IA pour réfléchir sur son impact éthique et sociétal sur l’humanité. Certes, l’IA va modifier certains métiers et entraîner des conséquences organisationnelles qu’il va falloir anticiper, mais il convient surtout de garder une distance critique avec ces technologies. L’humain reste et restera au cœur du système médical.

Docteure Nathalie Saad partage cette inquiétude : « Plusieurs aspects demeurent flous actuellement : comment est traitée l’information entrée dans le système? À qui appartient cette information? Où est-elle conservée? Or, avec l’IA, c’est beaucoup moins clair. Il est donc plus difficile de s’assurer qu’on a bien suivi les règles, qu’on respecte la confidentialité des données. » Les questions de vie privée, de maîtrise et de protection des données personnelles, de biais algorithmiques dus au traitement de données de mauvaise qualité prennent une nouvelle dimension ; de même que les notions d’analyse prédictive, de responsabilité associée à des décisions qui seraient prises par des machines auto-apprenantes, et de loyauté des plateformes de services en ligne.

Ceci met en avant quatre enjeux et mutations majeurs : les limites d’une démarche de production du savoir qui rompt avec les méthodes traditionnelles de la recherche biomédicale, la transformation du paysage même de la recherche

LA PALABRE - AOÛT 2024

et son influence sur les orientations qu’elle va prendre, les implications éthiques de la collecte massive de données sur le consentement des personnes et la question des finalités mêmes de cette collecte.

Quel avenir pour la relation médecin – IA ?

Pour le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) de France, il est évident qu’aucun robot ne pourra réagir aux phrases prononcées si souvent par les patients : « j’hésite », « j’ai peur », « aidez-moi » et parfois même : « que feriez-vous si j’étais votre mère, votre père, votre sœur, votre frère, votre fils ou votre fille ? ».

C’est pourquoi le conseil affirme que la médecine comportera toujours une part essentielle de relations humaines, quelle que soit la spécialité, et ne pourra jamais s’en remettre aveuglément à une « prise de décision » d’algorithmes dénués de nuances, de compassions et d’empathies. Il est donc essentiel que le développement et les recours à ces technologies ne puissent pas avoir pour mission de remplacer la décision médicale partagée avec le patient, qui reste singulière.

Le médecin reste le plus habilité à porter un diagnostic et doit être en mesure de comprendre le pourquoi et le comment des décisions affichées et de les contourner si besoin. Concevoir des systèmes dont le fonctionnement est transparent, explicité et traçable, reste fondamental.

Aussi performants soient-ils, les algorithmes restent incapables de traiter une masse infinie de données et de saisir certains aspects des patients. Ils ne sont pas que des nombres, des données médicales ou un diagnostic à poser. Ils sont autant d’être distincts, avec leurs émotions et leur parcours. Et cette dimension émotionnelle reste inaccessible à la machine.

Une médecine plus humaine grâce à l’IA, est-ce pour demain ? Docteure Nathalie Saad demeure optimiste, mais prudente : « Je pense que c’est ce à quoi on devrait aspirer; toutefois, il faudra un peu de temps pour trouver ce juste équilibre permettant de tirer les avantages de l’IA et d’obtenir une plus-value au chevet du patient. Si l’on atteint cet objectif, on aura fait bon usage de l’IA en santé.

Chance Dohouin

Viviane Oké ou Dr V. La guerrière qui démystifie le langage médical

Elle manie autant le stéthoscope que l’art de la mobilisation sociale. Première femme présidente de l’Association des étudiants en médecine de Cotonou depuis 2022, Viviane Oké a tout d’une femme plurielle. Retours sur les pas de l’amazone des temps modernes.

Entre sa fonction de médecin généraliste, son application ELLES et ses actions connexes en faveur de la cause féminine et de la santé publique, Viviane avoue avoir trouvé la mission qui est sienne. Aujourd’hui, bien qu’elle soit sur le chemin de la réalisation personnelle et de la révélation professionnelle, son parcours et ses exploits peuvent inspirer autant des femmes que des hommes.

Prix de Leadership féminin du DSI Awards en 2023, Viviane Oké est doctorante en médecine et membre de la Communauté Women In Tech (WIT) mis en place par le projet DigiBoost de l’agence belge Enabel au Bénin.

Modèle palpable de leadership féminin, la disciple d’Hippocrate a su diriger une équipe constituée de jeunes Béninois afin d’allier santé et technologie. Ils ont donné corps au projet ELLES, une véritable solution numérique conçue pour les femmes et les filles soucieuses de prendre en main leur santé sexuelle et reproductive.

Pour la petite histoire, ELLES est née après un cas d’urgence à l’hôpital où une jeune fille en pleine hémorragie suite à un avortement clandestin a dû se faire retirer son utérus afin d’avoir la vie sauve. « Pour moi c’était terrible. Cette fille aurait pu mourir. Parce qu’elle n’a pas eu les bonnes informations de santé, elle ne pourra pas connaître la joie de l’enfantement, et ce, pas par choix » a confié la docteure.

« Pour moi c’était terrible. Cette fille aurait pu mourir. Parce qu’elle n’a pas eu les bonnes informations de santé, elle ne pourra pas connaître la joie de l’enfantement, et ce, pas par choix »

Lancée en novembre 2022, cette application mobile a servi à des milliers de jeunes femmes en Afrique et dans le monde. « Depuis sa mise en ligne en 2022, la version Android de l’application mobile a déjà été téléchargée plus d’un millier de fois. La jeune pousse revendique plus de 2 000 utilisateurs dans plus d’une vingtaine de pays africains avec une prédominance des sous-régions d’Afrique centrale et de l’Ouest » a indiqué We are tech Africa en

février 2024. Par ailleurs, elle est membre de l’Association des Blogueurs du Bénin (AB-Bénin), un univers de blogging qui regroupe des acteurs passionnés de la communication libre et de la sensibilisation numérique.

« Depuis sa mise en ligne en 2022, la version Android de l’application mobile a déjà été téléchargée plus d’un millier de fois ».

We are tech Africa

Viviane Oké ou Dr V comme on aime bien l’appeler est une fervente défenseuse des droits à l’information juste, à une meilleure santé sexuelle et reproductive. En jeune activiste elle s’est investie auprès de plusieurs institutions nationales et internationales telles que l’ONG Fondation Durable, Plan international, UNICEF.

Qui se cache derrière cette armure de femme impactante ?

Originaire de la charmante cité lacustre de Ganvié, Durojaiye Viviane Tiberia Oké vit le jour le 13 octobre 2000 à Cotonou au Bénin. De sa plus tendre enfance à l’adolescence, son souhait était d’embrasser la carrière de magistrate ou d’ingénieure en énergies renouvelables.

Contrairement à ses parents et à son entourage qui étaient persuadés que la blouse blanche lui irait à ravir, la jeune Viviane ne percevait pas le challenge quotidien offert par la filière médecine. C’est finalement au détour d’une discussion avec des professionnels de santé qui lui ont fait cas des problèmes du système sanitaire au Bénin que la graine a germé en elle.

Dès lors, sa passion pour la santé publique s’est embrasée. Après l’obtention de son premier baccalauréat scientifique à l’âge de 13 ans, la future Dr V a poursuivi ses études supérieures au sein de la Faculté des Sciences de la Santé (FSS) de Cotonou. Svelte, de taille moyenne, cheveux dorés coupés courts, teint éclatant et bronzant sous les rayons du soleil, Viviane sait mettre de la gaieté sur les visages qu’elle rencontre. Ses petits yeux noirs légèrement bridés et sa denture ne manquent pas d’attirer le regard lorsqu’elle offre son sourire. Au-delà de la résilience et de la fierté que certains lui connaissent, la guerrière en blouse

Portrait

« Mon ambition pour ELLES est d’atteindre les 10 000 utilisatrices et de l’étendre au-delà du Bénin ». LA PALABRE - AOÛT 2024

immaculée est également une personne aimable, compatissante et sensible à la douleur des autres. Ce sont d’ailleurs ces qualités humaines qui l’ont motivée à mener à bien la start-up numérique ELLES en faveur des femmes.

En ce qui concerne ses attentes futures pour l’application. « Mon ambition pour ELLES est d’atteindre les 10 000 utilisatrices et de l’étendre au-delà du Bénin » a-t-elle avancé.

Durojaiye Viviane Tiberia Oké, à l’instar d’autres médecins de son rang, ne manque pas d’avoir des activités ou passetemps. En bonne native de la Venise d’Afrique, elle a un faible pour les visites touristiques et surtout la musique qui, en l’espace d’un live musical, lui fait oublier cette vie pleine de challenges dont elle a rêvé des années plus tôt.

Portrait de Viviane Oké par Sana Hosseinpour
« Dis-moi qui sont tes microbiomes... ... et je te dirai qui tu es »
Le microbiome

dans

la science forensique

En 1896, la police de Scotland Yard de Londres introduit l’étude des empreintes digitales à des fins d’identification dans les enquêtes policières. Près d’un siècle plus tard, en 1985, les empreintes génétiques prennent le relais. Aujourd’hui, les empreintes bactériennes, à travers l’étude des microbiomes, pourraient rejoindre ces méthodes mais des défis éthiques et juridiques en matière de vie privée et de consentement se posent.

Notre corps est habité par des choses minuscules, voire microscopiques, appelées micro-organismes, comme les bactéries, les virus, les eucaryotes, et les champignons unicellulaires. L’ensemble de ces micro-organismes qui vivent dans un même endroit constitue le microbiote. C’est cet environnement, cette niche et les microbiotes qui la constituent, qu’on nomme microbiome. Les microbiotes sont partout : sur nous, en nous, mais également autour de nous.

Des bactéries à potentiel

Chez l’être humain, les microbiomes se développent dès la naissance. La méthode d’accouchement, l’hygiène et les soins prodigués en bas âge vont définir ceux d’un bébé. En grandissant, le mode de vie, l’alimentation, l’environnement et les antibiotiques pris par l’individu vont les influencer. Ils sont donc propres à chacun.

Leur spécificité, unique pour chaque individu, et leur omniprésence, font d’eux des éléments intéressants pouvant servir à la police scientifique. Puisqu’ils persistent sur une période plus prolongée, ils peuvent fournir des informations contextuelles. Et cette durée permet de connaître les interactions d’un individu dans un environnement, ce qui servira de source, souvent utile dans les reconstitutions d’un événement, du crime dans notre cas. Les microbiomes ont la capacité de nous raconter l’histoire du crime ainsi que du suspect, jusqu’à pouvoir déterminer l’heure du décès, dans le cas d’un meurtre, là où l’identification digitale et l’identification génétique ne donnent que l’identité du suspect.

Mais des défis s’imposent

L’être humain possède plus de cellules bactériennes que de cellules humaines, ce qui remet quand-même en cause notre conception de l’identité. Cela nous renvoie directement à la notion du consentement, car même si les bactéries sont laissées par un individu quelque part, ce n’est pas pour autant qu’on va pouvoir s’en servir comme pièce pour nos enquêtes. Il est donc important d’établir les conditions nécessaires qui autorisent l’accès à ces microbiomes, sachant que ces derniers ont la possibilité de révéler des informations dont la personne concernée n’a même pas connaissance.

Mais le fait que ce soit un outil scientifique peut aussi être problématique. Le grand public, en entendant le mot scientifique, en retiendra tout de suite le côté technique et précis de la méthode or jusqu’ici, on ne sait pas encore très bien comment traiter ces données dans les meilleures conditions, depuis leur collecte, jusqu’à l’interprétation. Le risque des faux positifs, où les empreintes correspondent à celui d’un individu innocent dû à des erreurs de manipulation, de contamination ou d’interprétation des résultats, n’est pas nulle.

Malgré le potentiel de la technologie, l’utilisation des microbiomes à des fins d’identification n’est donc pas encore mise en place. Tout cela laisse penser que dans quelques années, il se peut que l’empreinte bactérienne soit utilisée au même rang que l’empreinte digitale et l’empreinte génétique. Néanmoins, des scientifiques, experts dans diverses disciplines confondues, dans le cadre du projet de recherche Quand les bactéries font la loi, ont choisi l’approche prudentielle et travaillent sur le sujet en soulevant toutes les préoccupations afin d’établir le cadre nécessaire pour bien accueillir cette pratique dans le futur.

Josué Koussahoue

La santé par l’alimentation Conseils d’une agro-nutritionniste et diététiste

Notre pays regorge de richesses naturelles : fruits, légumes, céréales, légumineuses, viandes, poissons ; qui, lorsqu’elles sont transformées adéquatement et consommées de manière équilibrée, peuvent nous apporter tous les nutriments nécessaires à notre bien-être. Pourtant, de nombreux défis persistent : malnutrition carentielle, double fardeau nutritionnel, maladies chroniques...

De façon plus détaillée, la malnutrition, sous sa forme carence en micronutriments, endommage parfois irrévocablement la santé physique et mentale de l’être humain et ce depuis la conception jusqu’aux cheveux blancs. Ceci peut s’illustrer par une malformation fœtale due à une carence en folate et un faible poids à la naissance issu d’une déficience en fer pendant la grossesse chez la mère ; un affaiblissement du système immunitaire pendant l’enfance dû au manque de vitamine A et de zinc ; un arrêt de la croissance à l’adolescence ; des complications prénatales et une transmission intergénérationnelle des carences pendant la grossesse ; une productivité physique et cognitive réduite à l’âge adulte et une augmentation de la morbidité des personnes âgées.

Cette situation freine la croissance économique et perpétue la pauvreté, par le jeu de trois facteurs que sont les pertes directes de productivité liées aux décès infantiles et maternels, aux handicaps physiques et aux expositions croissantes aux infections ; les pertes indirectes comme la réduction des capacités intellectuelles ou l’inaptitude à la scolarisation et autres ralentissements ; et enfin, les pertes résultant de l’augmentation des coûts des soins de santé.

Pourquoi une telle situation ?

Plusieurs niveaux de causes régissent une telle situation. Ce sont les causes profondes, les causes sous-jacentes et les causes immédiates.

Les causes immédiates sont les facteurs les plus directement liés aux habitudes quotidiennes et qui sont susceptibles d’être impactés plus facilement par l’individu, même partiellement.

Il s’agit entre autres d’une alimentation inadéquate, en quantité et en qualité. L’alimentation inadéquate s’identifie par une alimentation monotone, pauvre en micronutriments et ou ayant une faible biodisponibilité en micronutriments tels que les vitamines A, B6, B9, Fer, Zinc etc...).

Les besoins physiologiques varient en fonction de l’état de l’individu, certains étant plus exigeant que d’autre, en cas de grossesse ou de maladie par exemple.

Les causes immédiates sont aussi des maladies infectieuses (diarrhée, parasitose intestinale, paludisme, intoxication alimentaire) associées au manque d’hygiène causant les problèmes de malabsorption ou d’excrétions abondantes des micronutriments ingérés.

Enfin, les causes profondes et sous-jacentes peuvent engendrer de pareilles situations. Ces causes peuvent être de divers ordres : environnemental (l’accès physique, changement climatique), politique (les fluctuations des prix, la défaillance des soins de santés), économique (le faible pouvoir d’achat), psycho-sociale (les habitudes et préférences alimentaires, la sédentarisation, la malbouffe, le faible niveau d’éducation), entre autres.

Comment agir pour un avenir meilleur ?

Un des principaux moyens disponibles pour agir sur la nutrition est l’éducation. Dès le plus jeune âge, il est essentiel d’apprendre aux enfants les bases d’une alimentation équilibrée. Comment combiner les aliments entre eux (les céréales, racines et tubercules ; les viandes, volailles, poissons ; les légumineuses, les légumes, les fruits, les œufs, les produits laitiers etc) pour en faire des repas équilibrés ? Comment adopter les bonnes pratiques d’hygiène face aux aliments ? Les écoles, les adultes, les nutritionnistes, les médias et les communautés ont un rôle clé à jouer.

Quelques conseils pratiques :

• Privilégier les fruits et légumes de saison, et autres aliments de saison et les consommer le plus complet et frais possible, chaque jour.

• Consommer les aliments locaux : céréales locales (maïs, sorgho, mil, fonio, riz etc.) completes c’est-àdire sans enlever la peau.

• Intégrer les légumineuses (par exemple niébé appelé couramment haricot) dans vos repas.

• Limiter votre consommation de viande et de produits ultra-transformés (fast-food, crèmes, biscuits, conserves alimentaire, produits manufacturés).

• Réduire la consommation de sucre ajouté, de sel et d’huile.

• Boire beaucoup d’eau, et des infusions.

• Faire de l’activité physique régulièrement.

• Cuisiner sainement, et mangez ce que vous cuisinez.

• Appliquer les bonnes pratiques d’hygiène au quotidien.

• Passer l’information autour de vous.

• Se rapprocher des nutritionnistes pour une meilleure éducation nutritionnelle de la famille au quotidien.

• Soutenir l’agriculture durable en favorisant les pratiques agricoles respectueuses de l’environnement.

La vieillesse, un cadeau empoisonné Le souvenir de ma grand-mère

Daussi loin que je me souvienne, j’ai toujours vécu avec elle. Elle m’avait accueillie à ma naissance dans ce monde en me disant « Tu es Fifamè, artisane de paix ». Et elle était la seule à m’appeler par ce prénom doux, porteur de positivité et de quiétude. Elle m’avait lavée, bercée, raconté des histoires à la lueur jaune vacillante d’une lanterne ou d’un lampion selon les jours. Elle m’avait rassurée contre les monstres imaginaires qui me hantaient quand, la nuit, je prenais encore l’obscurité comme une menace. Certains jours, sa voix s’élevait, fredonnant plaisamment et pas toujours mélodieusement de nombreux chants du terroir pour faire passer un message ou tout simplement par nostalgie de sa jeunesse. D’autres jours, elle nous relatait avec entrain des légendes, des interdits, nous récitait des comptines dans notre langue maternelle ou nous flattait avec notre panégyrique clanique. J’aimais surtout l’entendre me raconter des histoires et me parler des réalités d’une époque où je n’étais pas encore née. J’appréciais qu’elle me parle de ses nombreux tatouages, de cette période où les femmes se teintaient la gencive en noir pour avoir un sourire plus éclatant et où des cauris et fils blancs ornaient encore les chevilles des femmes sans susciter la moindre stigmatisation.

Mémé, comme on l’appelait affectueusement, était une petite boule d’énergie, toujours active. Elle voulait tout faire elle-même et se sentait gênée à chaque fois qu’elle devait nous attribuer une tâche, aussi minime soit-elle.

À cette époque, la dynamique de notre relation était toute simple : j’étais l’enfant et elle, l’adulte. Comme j’aurais aimé que les choses restent ainsi pour toujours !

Au fil des ans, de légers changements s’étaient progressivement installés. Mémé, autrefois, dynamique et active le devenait de moins en moins. Ses jambes se faisaient capricieuses, refusant de coopérer à certaines occasions. Elle se plaignait fréquemment de fatigue, de douleurs musculaires, de courbatures. La vieillesse gagnait du terrain et de nombreux maux avec elle. En quelques années, elle était passée d’une canne d’appui à une canne anglaise puis à un déambulateur pour finir complètement alitée.

Ma grand-mère était arrivée à un point où elle avait besoin d’une assistance continuelle pour tous les gestes du quotidien. Boire. Manger. Prendre une douche. S’asseoir. Changer de côté.

L’inactivité, la dépendance complète et la sédentarité l’avaient rendue amère. Elle avait perdu sa joie de vivre et semblait avoir reçu un gros coup dans son estime personnelle. Il y avait de ces jours où au détour d’une conversation, elle fondait en larmes. « Fifamè, vois-tu

ces pieds ? Je marchais sur des kilomètres en portant mes articles de vannerie sur la tête. Et aujourd’hui…» Pour la rassurer, je lui disais qu’elle les avait bien dérangés et que maintenant, ils avaient besoin de repos. Tout comme elle qui avait passé sa vie à prendre soin des siens et qui, aujourd’hui, devait nous laisser prendre soin d’elle en retour.

Les fois où elle nous murmurait des excuses d’une voix brisée et dans une posture coupable étaient légions. Elle était convaincue d’être un poids pour la famille. Mais nos mots ne semblaient la rassurer que momentanément. Elle était frustrée d’avoir recours à autrui pour chaque besoin à n’importe quel moment de la journée comme de la nuit. Elle, auparavant, si autonome, si dynamique !

Quelquefois, il m’arrivait de la surprendre l’air soucieux, le regard accroché au vide. J’essayais de faire causette. Elle me relatait tous ces moments où encore bébé, je réveil-

lais mes parents et elle, au beau milieu de la nuit avec un concert assourdissant. Ces fois où elle devait se montrer créative pour que j’accepte de m’alimenter. Nous tirions un plaisir mutuel de ces discussions-là. Cela lui permettait d’oublier un tant soit peu les rhumatismes qui la torturaient continuellement. Elle aimait assouvir ma curiosité, voyager dans le temps à travers sa mémoire et m’emmener avec elle. Cette méthode n’a malheureusement pas marché longtemps. Pourquoi ?

Nous n’étions pas au bout de désagréables surprises. Un jour, elle nous a posé une question que, de prime abord, nous n’avions pas prise au sérieux.

« Ai-je mangé aujourd’hui ? Ah oui ? Quoi ? Je ne m’en rappelle plus ».

« Ai-je mangé aujourd’hui ? Ah oui ? Quoi ?
Je ne m’en rappelle plus ».

Des questions et des remarques similaires devenaient de plus en plus régulières. Elles étaient passées de quelques jours à quelques heures puis, parfois, à quelques minutes d’intervalle en un laps de temps. Mémé disait « Bonne nuit » alors qu’on était le matin. « On ne s’est pas vu aujourd’hui » alors qu’on lui avait tenu compagnie toute la journée. « Ai-je pris mes médicaments ? Je ne sais plus ». Elle était fréquemment désorientée. Elle faisait fi de la nécessité de se nourrir, de boire. Il fallait, soit la convaincre ou la contraindre. Et la première formule n’aboutissait que très rarement. Personne ne l’avait vu venir. Et ce fut le plus déchirant.

charme, ni la clarté de son teint couleur miel ni la plus importante partie de sa mémoire. Elle reconnaissait chacun de nous. Elle avait conservé ses plus précieux souvenirs de jeune femme, de mère, d’épouse, de grand-mère. Pourtant, la maladie lui a bien arraché le contrôle sur quelque chose de précieux : sa mémoire à court terme. Avec sa santé défaillante, cette réalité semble avoir été, pour elle, le déclencheur de la résignation. Rhumatismes, dégénérescence de la vue, troubles auditifs, santé fragile puis amnésie des faits récents. Le coup de grâce ! La vieillesse avait tout l’air d’un cadeau empoisonné.

Elle était fortement entourée mais semblait si seule. Devenue très peu loquace, elle avait commencé à s’enfermer dans un mutisme dont il était difficile de l’extraire. Fini les histoires, fini les conversations instructives ou légères. Elle ne voulait plus se lever ni s’asseoir. Ou peut-être n’y arrivait-elle juste plus. Clouée de peur de voir ses jambes se dérober sous elle ! Pour éviter tout risque, elle préférait garder le lit toute la journée. Quiconque essayait de la faire bouger se faisait rembarrer. D’ailleurs, presque chaque léger mouvement lui arrachait des gémissements de douleur.

Nous avions dû nous organiser pour qu’à aucun moment elle ne reste seule, qu’elle ait toujours quelqu’un à proximité pour veiller sur elle, la soutenir et l’aider à suivre à la lettre, les recommandations des soignants. On essayait de la rassurer comme on pouvait, d’être forts pour elle. Mais quand on lui tournait le dos, qu’est-ce qu’on en souffrait ! Sa fragilité était la nôtre. Son mal-être nous brisait.

Le temps n’a jamais réussi à ternir sa beauté, ni son LA PALABRE - AOÛT 2024

La veille de ses 90 ans, j’ai pris conscience. J’étais toujours l’enfant. Elle, l’adulte. Pourtant, la dynamique de notre relation avait beaucoup changé en quelques années. La roue avait tourné et les rôles s’étaient inversés. Combien j’aurais aimé qu’on n’en arrive pas là ! J’étais profondément meurtrie de la voir peinée sans pouvoir rien y faire. J’en ai souffert et à y repenser, j’en souffre toujours. Mais je n’étais pas la seule à en pâtir ; cette situation pesait sur toute la famille. On se serrait les coudes mais au fond, on était tous ébranlés. Je ravalais mes émotions et à défaut de pouvoir m’exprimer, je me brisais intérieurement. Je me surprenais parfois à culpabiliser de sourire à une blague ou de me détendre alors qu’elle souffrait. Je dois avouer que je n’ai pas toujours su poser les bons actes. Je n’ai pas toujours été assez patiente. Il y a eu des moments d’incompréhensions, de doutes, de peur, de colère, de crises de larmes.

Sana Hosseinpour

Il y avait des jours où la vie nous insufflait un peu d’espoir avant de nous l’arracher brusquement le jour suivant. C’est justement durant l’une de ces journées qu’ont pris fin nos dix-neuf ans de vie commune. En un souffle. 121 jours plus tard, les émotions persistent. Je pense souvent à elle et je me réconforte en me disant qu’elle n’est désormais plus prisonnière d’un corps et donc, libérée de toute douleur. Cependant, parfois, même cette pensée ne suffit pas à apaiser mon cœur. Alors, dans ces instants de tourmente, je transforme mes maux en mots, espérant ainsi alléger le poids de mon esprit.

Une lumière au fond du cœur La famille Azonmagnon : de la joie à l’hécatombe

La mort est un phénomène inéluctable pour tout individu. Sans qu’on y soit vraiment préparé, elle nous arrache nos êtres les plus chers. Mon meilleur ami y est passé. Toutefois, avec certaines précautions, certaines morts peuvent être évitées ou repoussées.

Le meilleur ami est la personne avec laquelle on partage un fort lien. Dès mon premier jour à l’école maternelle, j’ai rencontré le mien. Ce jour-là, il m’avait promis de veiller sur moi comme le ferait un gendarme, métier qu’il rêvait d’exercer. Nous avons nourri cette amitié au fil des ans et avions de nombreux projets communs mais la drépanocytose en a décidé autrement. Son nom était Lumière Azonmagnon.

Il tenait son nom de ses parents qui, après une grandiose célébration de leur union à l’église, reçurent la bénédiction divine à travers la naissance de quatre enfants en l’espace de six ans. Mais successivement, et de la même manière, le couple perdit les deux premiers enfants puis le troisième. Des soupçons d’attaques mystiques de la famille proche et des voisins du quartier s’installèrent et renforcèrent leur présence dans presque toutes les églises de la place pour faire les prières de combat et de délivrance. Jamais, les deux n’ont songé à faire un bilan de santé afin de vérifier les causes de la maladie qui tuait leurs enfants malgré les symptômes de la drépanocytose. Le choc provoqué par la perte des trois enfants ou la peur d’être éploré de nouveau n’a pas émoussé leur élan de procréation.

Le 2 janvier 2000, tout juste pour l’entrée dans un nouvel millénaire, Monsieur et Madame Azonmagnon accueillirent leur quatrième fils, très mignon et en bonne santé apparente. Il fut nommé « Lumière » parce que sa naissance apparaissait comme une lumière dans leur vie décimée par la perte des précédents fruits de leur mariage.

Dès l’âge de deux ans, Lumière commença à faire des infections à répétition. Il passait plus de temps à la clinique du quartier qu’avec ses parents, jusqu’au jour où la clinique ne put plus gérer son anémie persistante pour un si jeune âge. Il fut alors envoyé au centre hospitalo-universitaire de référence de la ville. Au service d’hématologie, après quelques perfusions d’antalgiques, l’interne demanda rapidement une électrophorèse quantitative et qualitative de l’hémoglobine, à destination des parents de l’enfant malade. Il insista sur l’urgence de cet examen, au regard des symptômes du jeune Lumière, qui semblait s’éteindre. Les parents se regardèrent, un sentiment de déjà-vu traversant leurs pensées. Dans leur échange de regards se jouait une conversation silencieuse et intense...

Deux jours plus tard, les résultats sortirent ; le médecin invita le couple dans son bureau pour l’interprétation : – Si je vous ai fait venir aujourd’hui, c’est pour m’entre-

tenir avec vous au sujet de la santé de votre fils. Lumière. Un petit silence régna dans le bureau puis le médecin le brisa de nouveau : – Mais ne vous inquiétez pas, nous sommes là pour vous aider à y faire face. Votre enfant a ce que nous appelons la drépanocytose. Il est drépanocytaire de génotype SS. C’est une maladie génétique, donc héréditaire. Elle se manifeste par des globules rouges falciformes. De manière simple, les globules rouges, qui donnent la couleur rouge au sang, sont normalement ronds. Mais dans cette maladie, leur forme devient falciforme, semblable à de petites faucilles. Cela fait que ces globules éclatent et meurent avant les cent vingt jours qui constituent leur durée de vie normale, et peuvent également bloquer la circulation du sang au niveau des articulations, par exemple.

Le médecin fut interrompu par les sanglots de la maman. Et au père de répondre:

– Merci Docteur pour tout. Nous avons découvert cette maladie il y a seulement cinq ans, quand nous avons perdu Espoir, le frère de Lumière. On nous a dit qu’il était aussi SS et que nous étions chacun AS. Ils nous ont expliqué que nous avions une chance sur quatre d’avoir un enfant SS. Pourquoi le destin s’acharne-t-il sur notre famille ? Où sont donc ces trois chances sur quatre d’avoir un enfant sain, de passer nos journées et nos nuits en paix comme tout parent normal ? Qu’avons-nous fait au bon Dieu pour mériter ce triste sort ?

Il baissa la tête pendant que la mère se mit à pleurer de plus belle. Et il reprit :

– Lumière va-t-il mourir ?

Le médecin, très expérimenté et habitué à ces cas, leur répondit :

– Seulement si rien n’est fait. Il n’existe certes pas encore de traitement curatif pour cette maladie, mais avec un bon suivi ici en hématologie, vous pourrez contribuer à améliorer la qualité de vie de Lumière. Nous avons des patients drépanocytaires bien suivis qui vivent longtemps. Le suivi consiste en une consultation par trimestre quand tout va bien, et une consultation en urgence dès qu’il fait une crise. Vous devez bien le protéger du froid et le maintenir loin du stress et de tout facteur qui l’expose à une crise.

– Et nous, Docteur, et notre drépanocytose ? s’enquit la mère.

– Vous êtes AS, donc vous n’êtes pas drépanocytaire. Vous êtes juste des porteurs sains qui se sont malheureusement mis ensemble. Est drépanocytaire une personne qui a la présence du gène S avec absence totale du gène A, c’est-àdire SS comme Lumière, SC ou S bêta-thalassémie. Si l’un de vous était AA, il n’y aurait eu aucun souci madame. Plu-

sieurs familles sont concernées par la drépanocytose, et le plus haut taux mondial est en Afrique. Le meilleur moyen pour éradiquer cette maladie est de s’assurer de la compatibilité dans un couple avant tout engagement.

– Quand nous avons perdu Espoir, j’étais très dévastée et je voulais partir me reconstruire, mais je n’aurais pas pu supporter les regards de la société. Maintenant, je pense qu’il est trop tard.

« Quand nous avons perdu Espoir, j’étais très dévastée et je voulais partir me reconstruire, mais je n’aurais pas pu supporter les regards de la société ». LA PALABRE - AOÛT 2024

Le médecin reçut un coup de fil puis leur dit :

– Aujourd’hui, il ne s’agit pas de regrets. Les faits sont déjà là. Il faut que nous soyons tous courageux afin que Lumière puisse briller.

Ils répondirent qu’ils feraient de leur mieux. Lumière grandit et devint un jeune homme audacieux, intelligent et fort. Très vite, il fut informé de sa maladie et décida d’y faire face. Il essaya de vivre le moment présent et, avec ses parents, ne manqua jamais aucun rendez-vous.

Mais lorsque vint la période de la puberté, avec les hormones, tout changea. Il recommença à passer plus de temps dans sa salle n°3, lit n°1, du service d’hématologie. Puis une nuit, après avoir publié un message d’encouragement à ses amis sur les réseaux sociaux, il perdit la vie. Je vis défiler ses photos sur les réseaux sociaux, et je refusais d’y croire. Je l’appelai, mais il ne décrocha jamais. J’ai dû me résoudre à accepter la nouvelle. Une profonde tristesse envahit mon âme, et mon cœur fut brisé. Mes yeux ne cessèrent de verser des larmes, et la vie me dégouta. J’étais en colère contre cette maladie. Puis je réalisais que j’éprouvais pour lui plus qu’une simple amitié : je l’aimais et il ne le saura jamais !

La famille organisa rapidement son deuil et ce soir-là, sa mère fit un discours émouvant où elle raconta tout le parcours du combattant et termina par une sensibilisation sur la drépanocytose à toutes les personnes présentes. Amour oui mais électrophorèse d’abord !

La même année, le couple Azonmagnon rendit l’âme suite à des crises de maladie cardio-vasculaire.

Chance Dohouin

Confidences

Ode au miracle de la vie Un accouchement particulier

Ce soir-là était noir de nuit, la grande lune avait décidé de se dérober à la vue de ses contemplateurs, emportant avec elle, dans sa cachette, sa couronne de constellation. Peut-être avait-elle pressenti la joyeuse douleur de Sali. Cette douleur douloureuse qui lui mordait l’âme et lui annonçait qu’il était temps. Temps de donner vie, temps d’être mère.

Son périple de neuf mois tirait vers sa fin. Elle sentait les premières contractions. Faibles au début, elles partaient et venaient comme de petites vagues.

Comme à son habitude, elle invoqua sa mère : « M’maaa !!! ». Elle, douce étoile de son existence, l’aida à se préparer avec tendresse. Elle prit le sac, minutieusement garni d’espoirs et de petits trésors pour l’hôpital. Le voyage en voiture devint une épopée, où chaque cahot, chaque courbe amplifiait la symphonie de ses contractions.

Depuis qu’elle avait découvert sa grossesse, elle naviguait entre la joie immense d’attendre un enfant et la peur constante de ne pas être à la hauteur, amplifiée par les défis supplémentaires que son handicap pouvait présenter. Son hémiplégie et son fauteuil roulant avaient mis en emphase sa grossesse.

Dans la rue, au quotidien, elle percevait les regards furtifs et curieux, parfois même désapprobateurs. Chaque regard semblait l’effleurer, la juger. Sa grossesse, au lieu d’être un éclat de bonheur, devenait une scène exposée. Chaque personne qu’elle croisait semblait s’interroger sur son état, comme si elle portait un mystère inavoué. Elle pouvait lire les questionnements sur les lèvres indiscrètes. « Oh ! Voyez-la ! ». « Comment ose-t-elle, en fauteuil roulant, embrasser la maternité ? ». « N’a-t-elle pas pitié de sa condition ? »

Cette nuit-là encore, même dans un moment si solennel, elle essuyait à nouveau les critiques de la vindicte populaire. Même l’agent de santé la jugeait encore. Déjà vulnérable, ces regards ne faisaient qu’accentuer ce sentiment. Pourtant, ce soir-là, dans la cour de cette maternité, chaque tour de roue de son fauteuil était chargé de sentiments mêlés : l’excitation de porter la vie, la nervosité face à l’inconnu, et une pointe d’appréhension.

Le fuyard égrainait furtivement son chapelet, Sali sentait l’empressement de son bébé à venir au monde. Il semblait vouloir hâter ce rendez-vous inédit avec sa génitrice.

Dans cette alcôve sacrée, où devait se produire le miracle de la vie, les murs, d’un blanc apaisant, semblait murmurer des secrets anciens, des histoires de vie et de renaissance qui résonnent à travers le temps. La lumière, douce

et diffuse, caresse chaque recoin, créant une ambiance de sérénité et de recueillement.

Résignée, profondément inspirée et décidée à se concentrer sur l’essentiel : emmener son bébé au monde peu lui importe. Les instants suivants ont été un flou de douleur et de détermination. Chaque contraction la rapprochait un peu plus de ce moment magique.

Dans ce moment si unique, M’maaa, présence silencieuse, rassurance décontenancée, se tenait là. L’amour et l’inquiétude se mêlaient dans ses yeux. Elle vit le lit d’accouchement, inadapté au corps unique de sa fille, et un pincement au cœur la traversa. Encore une fois, le système sanitaire avait oublié de considérer la singularité du handicap de son enfant. L’horloge, implacable, tournait, et le temps de l’accouchement approchait.

Le temps pressait, l’accouchement était imminent. Déconcertée, M’maaa, d’un geste empressé, dénoua le pagne qu’elle portait autour de sa taille. Avec la grâce d’un rituel ancien, elle l’étala délicatement sur le sol de la salle d’accouchement, créant un espace sacré pour accueillir la vie. Les plis du tissu, témoins muets de tant d’histoires et de traditions, s’étendaient comme une offrande. Dans ce geste simple et poignant, M’maaa insufflait à la pièce une chaleur, une humanité, que le métal froid du lit d’hôpital ne pouvait offrir. Elle préparait, à sa manière, un nid douillet pour le miracle à venir, enveloppant l’instant de douceur et de sérénité. Ainsi, au cœur de l’urgence, un pagne devint le berceau de l’espoir.

Toute penaude, Awa observait sans mot dire. Elle étala son corps disgracieux et malformé sur cette couchette de fortune sur laquelle, elle devait donner la vie.

Enfin, le miracle pouvait éclore !

Elle poussa, poussa et poussa encore. Et enfin elle poussa pour la dernière fois de toutes ses forces, sentant chaque fibre de son être se concentrer sur cette tâche. La douleur était intense, presque insupportable, mais l’espoir et l’excitation la portaient. Et puis, soudain, elle entendit enfin le premier cri de son bébé. C’était un cri perçant, rempli de vie.

À cet instant, toute la douleur, la peur et les doutes se sont évaporés. Une vague de bonheur et un soulagement l’envahi. Les larmes ont coulé, mais cette fois, c’étaient des larmes de joie. Placé contre sa poitrine, peau contre peau, âme contre âme, les deux cœurs battaient à l’unisson. Sentant sa chaleur et en entendant son souffle, elle sut que tout en valait la peine.

Achille Martial Nouchet

Analyse

Tandem Patient-Soignant Personnes handicapées et marginalisées

L’Organisation Mondiale de la Santé estime aujourd’hui que 1,3 milliard de personnes, soit 16% de la population mondiale, sont atteintes d’un handicap. Pour ces personnes, la relation soignant-patient prend une dimension supplémentaire, influençant non seulement leur santé physique mais aussi leur bien-être émotionnel et social.

Les personnes vivant avec un handicap ont souvent été marginalisées et sous-estimées dans les systèmes de santé. Au Burkina Faso, cette tranche de patients représente 1,2% de la population totale du pays. Malgré les progrès enregistrés en matière de développement humain, ces personnes rencontrent beaucoup de difficultés dans leurs interactions quotidiennes avec les agents de santé. Notamment des incompréhensions, des frustrations, et une non prise en compte de leurs besoins.

Des cas de discrimination font légions. Le témoignage de Judith (nom d’emprunt) avait sidéré les participants à la conférence sur les Droits en Santé Sexuelle et Reproductive (DSSR) des personnes vivant avec un handicap tenue en avril 2024 par l’Association des Femmes handicapées battantes du Burkina (AFHBB). Relatant son expérience difficile avec des agents de santé dans le cadre de sa consultation prénatale, elle décrit les propos désavouant d’une sage-femme : « Je suis allée pour une consultation prénatale. Quand l’agent de santé m’a vue dans mon fauteuil roulant, elle m’a dit : ma sœur, ce que tu portes ne t’as pas suffi (faisant allusion à son handicap moteur), tu es allée prendre une grossesse encore ! ». Des propos qui selon elle, l’avaient beaucoup affectée.

Selon Docteur Pascaline Fassinou, médecin généraliste, les raisons de cette relation difficile entre les soignants et les patients vivant avec un handicap se situeraient à trois niveaux : l’absence de valeurs morales intrinsèques du soignant, un environnement sanitaire délétère et un système sanitaire défaillant.

Une absence de valeurs

Les valeurs morales inhérentes au métier de soignant qui impliquent entre autres le consentement libre et éclairé, la confidentialité sont des principes sûrs pour un bon tandem patient-soignant. Un manquement à ces règles nuirait les rapports entre les deux. D’autres de ces valeurs telles que le respect, l’empathie et l’écoute active permettent d’établir une relation de confiance avec les patients handicapés qui peuvent déjà se sentir vulnérables face au système de soins. De ce fait, l’insensibilité chez les soignants peut mener à une connexion difficile entre les deux parties, conduisant à des insatisfactions.

Un environnement sanitaire délétère

L’environnement sanitaire ne favorise pas souvent un contact facile avec les agents de santé. Au Burkina Faso, le ratio agent de santé-population est de 1 médecin pour 1000 personnes (rapport annuel de performance santé

2019) contre 2,3 médecins pour 1000 personnes préconisé par l’OMS.

Selon les dires de Dr Pascaline Fassinou, « les agents de santé travaillent dans un environnement surchargé avec le strict minimum des équipements et encore leur demander d’être accueillant, ce n’est pas simple ». D’après elle, dans un environnement où les agents de santé sont sous pression constante et exercent avec le strict minimum des kits de premiers soins, il devient donc presque difficile pour eux d’assurer un bon rapport avec les patients. Cette situation rend donc difficile l’attention et la prise en compte des besoins spécifiques des patients.

tures inadaptées, de formation incomplète et de bureaucratie lourde. Ces conditions peuvent exacer- ber les difficultés rencontrées par les personnes vivant avec un handicap et contribuer à leur marginalisation en rendant le système

Nous pourrions en déduire qu’une défaillance du système sanitaire présente de nombreux défis pour les rapports entre soignants et patients, notamment en termes de ressources insuffisantes, de personnel surchargé, d’infrastrucde santé moins inclusif.

Un accès aux soins entravé

Pour les personnes en situation de handicap, des obstcles tels que les barrières linguistiques (pour les sourds), les difficultés cognitives, ou la méconnaissance des besoins spécifiques par les soignants peuvent entraîner des quiproquos et des soins inappropriés. Au nombre de ces facteurs, il faut ajouter les préjugés des soignants. Les attitudes négatives ou condescendantes des soignants peuvent affecter la pose d’un diagnostic objectif et rendre les soins prodigués moins adaptés aux besoins spécifiques du patient.

Une étude menée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) révèle que 32% des professionnels de santé ont des attitudes biaisées envers les personnes vivant avec un handicap, ce qui affecte leur approche et leur engagement. En sus, l’incompétence de certains agents de santé sur leur prise en charge pourrait détériorer les relations déjà difficiles. Étant des cas spécifiques et une couche vulnérable, ces personnes ont des besoins spécifiques qui exigent des professionnels de santé une prise en charge qualifiée.

M. Kara, vivant avec un handicap moteur, témoigne de la méconnaissance des leurs besoins en ces termes : « un jour, je suis allé chercher un certificat médical pour complément de dossier. Le médecin n’avait pas de compétences pour évaluer mon handicap. Il a été sincère avec moi et m’a suggéré de marcher pour qu’il m’observe afin de pouvoir me délivrer le certificat. Ce qui soulève le problème de formation de ces acteurs sur le handicap ». Selon une étude, seulement 35,71% des personnes handicapées jugent que leur prise en charge est satisfaisante.

Une amélioration du tandem soignant-patient

Toutefois, l’amélioration des rapports soignant-patient est essentielle pour garantir une qualité de soins pour les personnes vivant avec un handicap, surmonter les défis actuels et devenir inclusif.

Il est donc crucial de former les soignants sur les besoins spécifiques de cette catégorie de patients, mettant l’accent sur la communication efficace, l’empathie et la compréhension des préjugés.

M. Kara (Personne vivant avec un handicap moteur) propose d’intégrer une Unité d’Enseignement (UE) sur le handicap dans la formation des agents de santé de tout niveau. « Cette UE prendra en compte tous les types de handicap pour outiller les acteurs de la santé au niveau politique (décideurs), au niveau administratif (planificateurs) et au niveau exécutant (soignants) ».

Les infrastructures de santé doivent être rendues accessibles à tous. Cela inclut des rampes, des ascenseurs, des équipements de communication adaptés, et des politiques organisationnelles inclusives. Il faut ajouter à ces pistes de solution que la considération d’une potentielle collaboration avec des organisations de personnes handicapées (OPH) pourrait aussi aider à identifier les points d’achoppement dans les rapports qui impliquent « soignant » et « patient en situation de handicap » et permettre de codévelopper des solutions adaptées.

La qualité des soins repose fondamentalement sur la synergie entre soignant et patient. Des textes législatifs et réglementaires en faveur des personnes en situation de handicap en matière de santé existent, cependant les mesures d’applications font défaut. Un partenariat, basé sur la confiance, le respect et une communication fluide, est crucial pour offrir des soins adaptés et efficaces. Face à de tels défis, la question de l’humanisme dans le système sanitaire pourrait être posée. Dans une ère en perpétuel développement et colonisée par l’intelligence artificielle, on pourrait s’interroger sur la prise en compte des couches vulnérables dans le domaine sanitaire par cet outil.

Junior Amoussou

REMÈDES ARTISTIQUES

Le conte de la guérison Le conte théâtralisé en milieu hospitalier

La santé mentale est fondamentale dans le milieu hospitalier où les maux et le contact permanent avec les malades créent un mal-être autant chez les soignants, chez les gardes malades que chez les soignés. Le conte théâtralisé s’érige en une puissante thérapie pour les acteurs de ce milieu de soins.

Quel meilleur endroit que l’hôpital pour offrir la quiétude aux malades ? Mais si ce lieu des soins peut multiplier le nombre de personnes stressées, alors l’hôpital n’en a vraiment que faire de la charité. La pression des soignants face aux divers cas de maladie et la peur d’une moindre erreur fatale constituent un lourd conflit intérieur pour les acteurs de ce milieu. Cela engendre inévitablement le stress qui n’est pas sans répercussions notoires.

Pour Esther Leslie Agbo, spécialiste en santé mentale, directrice de l’ONG Femme & Vie, promotrice du forum Zen mental, artiste chanteuse et communicatrice santé « Le personnel soignant est souvent stressé face à la délicatesse de certains cas de maladie. On est stressés pour plusieurs raisons, on est inquiets pour les patients. Cela conduit vite au burnout. Et là, c’est grave pour tout l’entourage du médecin ». Elle ajoute que les patients aussi stressent par peur qu’il ne leur arrive le mal.

Mais qu’est-ce qu’en effet le stress ? L’organisation mondiale de la santé le définit comme l’ensemble des réactions physiques et émotionnelles qu’une personne éprouve lorsqu’elle est confrontée à des exigences de la vie quotidienne qui dépassent ses capacités d’adaptation. Une longue exposition au stress engendre des maladies mentales et le burnout, selon une étude du Center for Disease Control. Selon le American Medical Association, 50% des travailleurs de la santé ont signalé des niveaux élevés de burnout pendant la pandémie du Covid-19, ce qui démontre la fragilité émotionnelle des médecins face aux situations délicates.

Face à ces défis, le conte théâtralisé peut être une solution thérapeutique importante. Cette forme artistique allie narration et performance théâtrale pour offrir une approche holistique. L’éditeur de La médiation thérapeutique par les contes de Chouvier Bernard, paru en 2015 affirme en présentation dudit livre que « le conte est une médiation thérapeutique efficiente ».

Le terme « conte théâtralisé » désigne une forme artistique hybride née en Afrique et qui combine le conte africain traditionnel avec les techniques de performance du théâtre. Cette synthèse crée une expérience immersive où l’histoire est non seulement racontée, mais aussi jouée avec des expressions, des décors, parfois de la musique et des effets sonores impliquant davantage l’auditoire que par une seule lecture publique.

Les contes africains ont généralement la propension à communiquer des valeurs. Dans l’Afrique traditionnelle et encore dans quelques contrées aujourd’hui, les contes se disent aux enfants lors des veillées de contes, autour du feu. Ces récits présentent des héros ou des personnages qui font preuve d’ingéniosité, de grande sagesse ou d’intelligence et aussi de courage et de bravoure. Les enfants pouvaient alors apprendre des valeurs civiques et sociales à ces occasions, et s’approprier le courage et l’abnégation du héros de ces récits.

En thérapie, cette immersion dans une histoire offre une distraction positive permettant de réduire temporairement le stress et l’anxiété comme le souligne Jean-Louis Kedagni, comédien conteur et directeur de l’Association des Jeunes pour le Développement de la Culture (AJEDEC) : « Quand les gens regardent un conte théâtralisé, ils s’immergent dans le récit, se concentrent sur les acteurs et s’identifient même aux personnages fictifs. Dans le conte de l’enfant qui avait perdu sa mère et qui est maltraitée par une marâtre, et qui, en fin du conte, trouve le bonheur, le spectateur s’identifie incontestablement, en écoutant le récit, à cet enfant. Il s’approprie son courage, découvre un peu d’espoir et continue à se battre. Et si on prend le conte d’un homme avare qui ne voulait rien partager et qui a fini par être victime de son défaut, celui qui est stressé et qui regarde ce conte joué ne peut que rire ».

« Quand les gens regardent un conte théâtralisé, ils s’immergent dans le récit, se concentrent sur les acteurs et s’identifient même aux personnages fictifs ».

Jean-Louis Kedagni

Jean Louis Kedagni accentue la transformation par l’identification émotionnelle que vivent les sujets regardant un spectacle de conte théâtralisé.

Cette identification émotionnelle permet, ajoute-t-il, une catharsis, aidant les patients à libérer des émotions refoulées et à mieux gérer leur stress.

En ce sens, en 2017, une étude du Public Library of Science (PLOS) dirigée par Patricia K. Palmer a montré que les enfants hospitalisés participant régulièrement à des ateliers de contes théâtralisés présentaient une réduction significative des symptômes de stress et d’anxiété.

Par ailleurs, bien que les patients ne participent pas activement à la prestation, l’expérience partagée avec d’autres patients et le personnel soignant peut créer un sentiment de communauté et de soutien, réduisant ainsi le sentiment d’isolement. Questionnée sur la pertinence d’une prestation divertissante dans les milieux hospitaliers, Leslie Agbo se prononce : « Je peux conseiller le conte théâtralisé comme une aide thérapeutique dans les hôpitaux. Je pense que ce sera un moyen pour aider beaucoup de personnes. Je n’ai pas encore vu ce genre d’initiative dans mon pays, mais personnellement j’utilise de l’art à la maternité, je mets de la musique pour les femmes qui veulent accoucher et cela les détend ».

Les hôpitaux pourraient alors adopter cette méthode pour aider les jeunes patients à mieux gérer le stress lié à l’hospitalisation. Une étude réalisée par Keyla Vargas-Román et ses collègues de l’Université de Grenade a révélé que les thérapies par les interventions artistiques, réduisent la douleur postopératoire, améliorent le comportement et

l’attitude des enfants, et diminuent l’anxiété pendant le séjour à l’hôpital.

Alors que les défis en matière de santé mentale et d’éducation se multiplient, le conte théâtralisé offre une voie innovante et prometteuse. Pour cela, il est judicieux de soutenir et de promouvoir des initiatives qui intègrent pleinement cette forme d’art dans nos institutions. Cette démarche, combinée aux programmes de développement personnel constitue un pansement pour l’humanité, une pensée pour demain.

Junior
Amoussou

L’art visuel pour l’obstétrique Sculpter un meilleur avenir

L’obstétrique est une branche de la médecine qui prend en charge la grossesse, l’accouchement et les suites de couches. Associer les arts visuels aux pratiques obstétriques pourrait s’avérer fructueux pour venir à bout des risques et complications de l’obstétrique. REMÈDES

L’obstétrique a été introduite en Afrique comme une discipline médicale pendant la période coloniale. Bien avant, elle était attribuée à des sage-femmes traditionnelles qui n’étaient définies que par leur âge mûr et leur expérience en la matière. Cette pratique était pourtant risquée car en cas de complications, la vie de la mère et celle de l’enfant étaient en péril.

Avant Internet, le sujet de la santé sexuelle et reproductive étant tabou, les peuls de la Guinée avaient su trouver un moyen de communication qui permettait d’informer les jeunes filles de ce qui les attendaient par rapport à la grossesse. Ces femmes peules avaient instauré une danse dont les mouvements démontraient le processus d’accouchement et de suites de couches. Ainsi, par la danse, elles pouvaient mettre des mots sur le tabou et transmettre un savoir par des gestes et des mouvements quand la voix ne pouvait être usée.

Le Bénin face à la réduction de la mortalité maternelle et néonatale

Aujourd’hui, les accouchements médicaux sont de plus en plus d’usage mais ils exposent les mères aux violences obstétricales en l’absence de protocole de communication entre la mère et le personnel médical et de prévention face aux gestes qu’elle va subir pendant la grossesse et l’accouchement.

Le taux de mortalité est tout aussi alarmant. De 2006 à 2016, le Bénin enregistrait environ 1500 décès maternels et 12000 décès de nouveau-nés chaque année. C’est dans l’optique de l’amélioration de la santé des mères et des nouveau-nés que de 2018 jusqu’en 2022, l’État béninois a mis en place un plan opérationnel de réduction de la mortalité maternelle et néonatale avec une prévision d’un budget de treize milliards FCFA sur cinq ans pour sa mise en œuvre. Pourtant en décembre 2023, la mortalité maternelle et néonatale demeurait un enjeu majeur et aujourd’hui les accouchements à domicile assistés par des sage-femmes traditionnelles continuent à être pratiqués par les villageoises qui vivent loin des hôpitaux, ont de faibles moyens et il est clair qu’une sensibilisation est nécessaire, tant à l’égard des femmes et des jeunes filles capables de procréer que

pour le personnel médical et la communauté, potentielle actrice de changement.

Esther Leslie Agbo et François-Joseph Lapointe sont deux artistes qui ont su marier l’art au métier et ont pu obtenir des résultats plus ou moins satisfaisants.

Passionnés par l’art et poussés par un désir de sensibilisation au changement des pratiques obstétriques dans leur communauté, leurs initiatives portent leurs fruits.

Cotonou, l’art au service de la mère et de l’enfant « L’art peut réduire le décès maternel », selon les mots d’Esther Leslie Agbo, sage-femme à CNHU-HKM. Fondatrice et directrice de l’ONG Femme et Vie et membre de l’ONG Femme d’impact, Esther Leslie Agbo sensibilise à la santé sexuelle et reproductive à travers des vidéos, des sketchs et des chansons.

Naissance par voie naturelle, François-Joseph Lapointe

Ses oeuvres artistiques traitent des sujets de contamination et de transmission du VIH-SIDA, de sensibilisation à la consultation médicale pendant grossesse, de l’allaitement et autres sujets qui, malgré l’évolution d’expression et de collecte d’information sur la santé sexuelle et reproductive avec Internet, restent tabous dans les communautés béninoises.

Elle utilise la musique pour aider les mères à se relaxer lors des contractions. L’idée lui est venue après avoir remarqué combien les femmes enceintes agonisaient en attendant d’accoucher sans aucune consolation. Elle a donc décidé que la musique tournerait en boucle dans la salle de maternité et selon elle, la méthode est pratique et les résultats sont satisfaisants.

Elle a aussi ouvert un centre gymnastique gratuit pour les femmes enceintes afin de les aider avec des exercices physiques, le tout dans une ambiance musicale pour faciliter l’accouchement par voie basse et réduire les complications. Trois femmes sur quatre qu’elle a suivies depuis l’ouverture de ce centre ont eu un accouchement exempt de complications et par voie basse. Ainsi, elle déclare que l’art contribue à la réduction des décès maternels.

Quand la biologie rencontre l’art « L’art permet de toucher le public même quand celui-ci ne se sentait pas concerné auparavant », selon François-Joseph Lapointe. Chercheur, biostaticien, professeur à l’université de Montréal des sciences de biologie et artiste engagé, François-Joseph Lapointe mêle sa pratique académique et artistique.

En 2020, il a lancé, sous le programme Chaire Maternité, un concours de recherche et création destiné à parler et dénoncer les violences obstétricales. Pendant quatre ans, quatre artistes se sont plongées dans des recherches, collectant des témoignages de nombreuses femmes pour créer une exposition de photos, de dessins, de mots et de mouvements à la Galerie de l’Université de Montréal. L’exposition fut appelée « Les engendrements ».

Pour expliquer le microbiome et la transmission de bactéries de la mère à l’enfant, il a reproduit, dans les trois couleurs mariales, le bleu, l’or et le rouge, l’évolution de la communauté microbienne du lait maternel. Le tout était inscrit dans un imposant retable en bois faisant appel au sacré et au répertoire iconographique de la peinture de la Renaissance italienne. L’exposition « Monstra te esse Matrem » était accompagnée d’une pièce musicale en latin en louange aux espèces de bactéries contenues dans le lait. Aujourd’hui, son initiative a alerté le gouvernement de Montréal sur les violences obstétricales et une recherche nationale à cet égard réunissant 200 chercheurs, dont il fait partie, a été lancée afin de déterminer les cas de violences obstétricales et leur optique. L’université de Montréal a, pour sa part, décidé de l’ouverture d’un cours d’art dans la faculté de médecine afin de faire comprendre aux professionnels de la santé l’importance de l’art dans leur domaine.

L’art qui réussit là où tout a échoué

En 2006, Nancy Padian, chercheuse en médecine au Women’s Global Health Imperative a fait une étude sur les résultats obtenus dans la lutte contre le sida organisée en Afrique du Sud, dans la ville du Cap, et a remarqué que la trentaine de campagnes engagées ont échoué. Un examen plus approfondi a mis en évidence une communication privée de trames narratives inspirantes et reposant sur des supports désuets et sans intérêt (panneaux d’affichage, dépliants, etc.) qui étaient utilisés pour la sensibilisation. En 2016, s’inspirant de cet échec, la Banque Mondiale a décidé d’inclure l’art visuel cinématographique dans son prochain atelier et a remarqué une réduction de 57% des maladies sexuellement transmissibles chez les femmes au Nigéria après la diffusion de la série télévisée MTV Shuga (SexandtheCityàl’africaine). Un résultat inouï qui a mené à l’intégration systématique des pratiques artistiques dans leurs campagnes.

L’art, l’apprentissage par observation

Ayant pour objet de mettre l’humain face à la réalité ellemême, l’art par son double rôle de divertissement et d’éducation est le meilleur moyen pour sensibiliser à la transformation des pratiques obstétriques. D’ailleurs, comme le sous-entend la théorie de l’apprentissage social (« social learning theory ») formulée par Albert Bandura en 1971, « on apprend non seulement à partir de notre propre comportement, mais aussi à travers l’observation et la modélisation du comportement des autres » et l’art offre des figures d’inspiration autant par le récit (musique, lecture...) que par la mise en scène (théâtre, cinéma...).

Les arts visuels, introduits comme un outil de sensibilisation et d’information, se révèlent être un moyen d’apprentissage qui peut servir à un changement de pratiques obstétriques que ce soit pour les soins nécessaires pour une évolution fluide de la grossesse, un accouchement exempt de complications et les soins postnataux.

Naissance par césarienne, François-Joseph Lapointe

REMÈDES ARTISTIQUES

La musicothérapie pour un trouble jugé tabou Au service des personnes atteintes d’autisme

L’autisme est une pathologie méconnue voire même dénigrée dans la société béninoise affectant son traitement et son accompagnement. Toutefois, il existe des pistes de solutions durables à l’instar de la musicothérapie pour soulager les patients.

Les amateurs de la musique diront qu’elle est thérapeutique. Peu d’entre eux y verraient un moyen d’apaiser des troubles liés à l’autisme, un trouble envahissant du développement qui est caractérisé par des difficultés dans la communication et l’interaction sociale réciproque, des comportements avec des gestes répétitifs et des intérêts restreints. La musique peut-elle y jouer un rôle ?

Un moyen d’améliorer l’état de l’enfant autiste

La musicothérapie est l’utilisation de la mélodie, du rythme, du chant et de l’harmonie pour l’amélioration du bien-être physique, émotionnel et social d’un individu.

De manière générale, les caractéristiques de l’autisme ne permettent pas l’intégration des personnes qui en souffrent dans la société. Wilfried Kouelo, musicothérapeute, affirme « qu’il y a diverses approches pouvant aider à améliorer les compétences et la qualité de vie de l’enfant autiste. Au nombre d’entre elles : les interventions comportementales et éducatives, les thérapies du langage et de la communication, les thérapies occupationnelles et comportementales, les approches médicales, le support social et éducatif ». Il appuie sa déclaration par l’exemple d’un jeune garçon âgé de 6 ans qui au bout de plusieurs exercices est parvenu pour la première fois à appeler son père « papa ». De plus, dans un rapport scientifique d’avril 2024 intitulé Bénéfices de la musique pour les personnes ayant des troubles du spectre de l’autisme, les chercheurs Bruno Gepner et Stéphane Scotto Di Rinaldi soulignent « la musicothérapie traite et améliore les troubles primaires des enfants et adultes atteints de troubles du spectre de l’autisme (TSA), c’est-à-dire leurs difficultés de communication et d’interaction sociales, ainsi que des troubles secondaires (stress, anxiété, troubles de l’humeur, comportements inappropriés) ». Autant de mentions qui confirment l’amélioration de l’autisme grâce à la musicothérapie.

Une approche personnalisée à chaque patient

La réussite de la musicothérapie dans le traitement de l’autisme est spécifique à chaque patient. Pour Kouelo, une manière de travailler avec un enfant autiste est chronologiquement la suivante : « évaluation des besoins individuels, développement de la communication, amélioration des compétences sociales, gestion des comportements et des émotions, développement cognitif et sensoriel, renforcement de la motricité fine et globale, utilisation de supports visuels, collaboration et implication familiale ». Il insiste sur l’adaptation et la personnalisation comme étant le moyen de maximiser les bénéfices de l’accompagnement pour chaque enfant. Le traitement des enfants autistes est souvent multidimensionnel c’està-dire plusieurs professionnels accompagnent le musicothérapeute en fonction du besoin de ces derniers. Il ajoute comme stratégies et techniques couramment utilisées : les interventions comportementales et éducatives, les thérapies du langage et de la communication, les thérapies occupationnelles et comportementales.

Un accompagnement inclusif

Les objectifs de la musicothérapie sont assez clairs. Qu’il s’agisse d’améliorer la communication, faciliter l’expression émotionnelle, stimuler les capacités cognitives, encourager la socialisation, promouvoir la relaxation et réduire le stress, différentes méthodes et techniques sont mises en place. Pour Diana Djohoungla, spécialiste en enseignement spécialisé pour les enfants à besoin particulier notamment ceux atteints d’autisme, « l’implication des parents est très importante pour la réussite de l’accompagnement de l’enfant autiste ». Ce n’est pas que l’affaire du musicothérapeute. À Kouelo de renchérir sur les techniques à suivre : il leur faut « collaborer étroitement avec les professionnels, soutenir les enfants à la maison, participer aux formations et éducations, gérer les comportements, soutenir émotionnellement, suivre les progrès ». C’est au prix de la volonté et de l’engagement de toutes les parties que l’enfant autiste parviendra à améliorer sa condition.

Edouardo Hanou

Prière d’un agonisant

Raïmi Bassitou Nouatin

Ôoh mon enfant. Toi, ma chair et mon sang.

Aujourd’hui, c’est le jour où, de ton monde je suis partant.

Je voyagerai dans quelques instants et cela me fait la peine en y pensant.

Mais, que puis-je faire si c’est le sort de tous les êtres vivants?

C’est pénible mais écoute-moi religieusement, mon enfant.

Que ma parole soit la lanterne avec laquelle tu marches

Celle-là même qui éclaire tes démarches.

Tu représentes en vérité tout pour ta mère, il faut que tu le saches.

Obéis-lui afin de vivre longtemps comme un patriarche.

Mon enfant, sois humaniste dans la société

Aide et secours comme tu peux, toute personne se trouvant dans la nécessité.

Fonde ton existence sur la modestie et l’humilité

Car, dans la vie, tout est vanité.

Toute chose est vouée à la finitude, voilà la pure vérité

Éloigne-toi des vices et sois une personne honnête et vertueuse.

Respecte les prescriptions divines et aie une existence pieuse.

Persévère dans le travail pour te créer une fin radieuse

Faisant ainsi de ta vie une aventure heureuse, si non même merveilleuse

Évite les mauvaises fréquentations

Elles freineront ton évolution

Elles sont un véritable poison qui détruit la réputation.

Allie-toi à des personnes modèles et favorables à ton ascension.

Car à celle-ci, elles apporteront une véritable contribution.

En cela j’ai foi et conviction.

Et quand tu rencontres des difficultés et des contrariétés bats-toi et sois courageux,

Ensuite tu pourras recourir à Dieu

Car, le Très-Haut n’aime pas les malheureux

Qui, passifs, formulent des voeux.

« Vitché ! », « Ômônmi », n’oublie jamais d’où tu viens,

Car si tu portes mon nom, ce n’est pour rien

Rappelle-toi de la bravoure et de la persévérance qui caractérisent les tiens

Ceux-là qu’on envie et dont on ne dit que du bien.

Avec eux alors, garde toujours ce lien.

Rappelle-toi de moi.

Et sache que ta réussite est si importante pour moi, qu’elle me donne des émois.

Mon enfant, je t’ai tracé un chemin droit

Rempli, certes, de lois

Je ne souhaite te voir choir

Allez! Lève-toi !

Lève ton bras droit

Regarde-moi

Jure-moi.

Promets-moi, avant de me dire au revoir,

Que mon fils s’appliquera dans ses devoirs.

REMÈDES ARTISTIQUES

Portrait

Lylly Houngnihin Noudéou sonne l’hallali

Riant gaiement, les yeux et le coeur sincères, l’estomac repu d’un bon plat d’igname pilée, la dame s’apprête à glisser dans la retraite du boa qui digère un repas. Attention ! Il ne faut rien lui demander car doucement une louange intérieure doit monter : Noudéou sonne l’hallali.

Silence aux colocataires dans sa tête ! Le moment est solennel. Elle en a besoin comme d’une prescription pour se décharger un tant soit peu de son obsession pour les archives coloniales et le fuji rokpokpo (style musical des années 70 au Nigéria). Alors qu’elle se fait habituellement un doux devoir de répondre à l’invitation de cet art de « faire le malin », Lylly s’en garde à cet instant précis. Pas moyen que cette capricorne se meuve comme King Sunny Adé ou d’autres ancêtres de l’Afrobeat.

La raison est simple. Quand ses papilles gustatives savourent le « agou » (igname pilée) avec la sauce arachide, tout son être se connecte à ses ancêtres et leur rend hommage. Elle médite sur les razzias qui les avaient fait fuir. Elle se sent vivante, célèbre la vie et est reconnaissante. Pour être plus exact, elle a appris à célébrer la vie. En vérité, la grande timide se remet encore de plusieurs blessures dont le lointain divorce de ses parents, son malêtre intérieur et la perte récente de son frère-complice.

Tout de même, tout est clair dans sa tête aujourd’hui : elle est Savaloise pur-sang depuis six générations. À qui veut l’entendre, elle se plaît à le dire. Sûrement que pour elle, Bénin aurait pu être appelé Savalou. Parce qu’elle sait qui elle est, il lui est facile d’aller vers l’autre. Avec Lylly, chaque rencontre est unique.

En effet, « On ne se baigne jamais deux fois dans un même fleuve » avait dit Héraclite. Aurait-il rencontré Lylly dans une autre vie ? La réponse reste entre deux mondes. L’au-delà où le premier a basculé depuis des millénaires et ce monde où Noudéou Noélie dite Lylly est venue depuis plusieurs décennies. L’entre-deux connaît Lylly et Lylly connaît l’entredeux. C’est son quotidien et le résumé de sa vie. Elle est une contradiction vivante. Elle s’en nourrit et s’y épanouit.

C’est un baobab solitaire qui se prend pour un colibri.

C’est un baobab solitaire qui se prend pour un colibri. Toujours à marcher sur une ligne frontière, entre le jour et la nuit, la lumière et l’obscurité, le yin et le yang, presque joueuse et amusée mais sans jamais céder une once de cohérence. Risque-t-elle de se brûler ? Lylly, une tête fêlée ? Diriez-vous qu’elle est rebelle !?

Pour vous faire un avis, ne comptez pas sur elle. Il y a longtemps qu’elle a compris que toutes les explications ne sont pas à donner, que toutes les batailles ne sont pas à mener. Choisissant parfois la solitude, le stylo devient son meilleur ami. Avec lui, elle noircit des pages et des carnets qui pèsent lourd dans son sac de voyage ! Abstenez-vous de mettre le nez dans son bureau si vous êtes maniaque de l’ordre.

S’il n’y a qu’une vingtaine de pays d’Afrique que ses pieds n’ont pas foulés, son esprit aventurier s’enthousiasme déjà pour Zanzibar ! Pas parce que ses paysages ravissants la font rêver ! Plutôt parce que ce territoire résonne de multiples rencontres et brassages. Originaire du Sud-Bénin et née dans le Nord-Bénin, le métissage culturel a été très tôt, son berceau. Serait-ce de ce départ que lui vient sa fascination pour les carrefours ?

« Le monde sera métis ou ne sera pas ». Léopold Sédar Senghor.

« Le monde sera métis ou ne sera pas », dit-elle souvent en citant Léopold Sédar Senghor. Ce qui est certain, c’est que les racines de cette écolière du temps de la révolution sont profondément ancrées dans la terre du Vodoun. Quand elle n’y est pas, tout de sa terre natale manque à celle qui assume être râleuse.

Sur ce, cette détentrice d’un baccalauréat scientifique peut être crue et crue; elle a zéro compétence en hypocrisie. De ce fait, son penchant pour les lunettes de soleil n’est pas anodin. Cachant les miroirs de son âme, elle ne fait que ménager son entourage d’une franchise trop nette et parfois dérangeante. Inapte au sport de dissimulation, elle compense bien en persévérance.

Directrice exécutive du Laboratorio Arts Contemporains, elle sait faire à petit budget sans tricher sur la qualité en misant sur un dense réseau et en construisant le collectif. Pour confidence, se mettre entre elle et son objectif n’est pas une bonne idée. Vite, elle peut se transformer en grizzli. Cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas de retenue.

Lorsqu’il lui plaît d’être la « Gentle lady » de Queen Salawa Abèni, elle ne se sape, ni ne porte des vêtements :

Ironie de la vie, c’est la naissance de son fils, être du sexe opposé, qui va la réconcilier à elle-même. Enfin ! Dans le cœur de « Witi-witi », le soleil brille depuis qu’elle a fait la paix avec son teint et son être complet. Elle s’est relevée et apprend à dompter la bête de colère en elle. Convaincue que l’humain est au cœur de tout, Lylly la psy(chologue) avance avec assurance, tendant la main et offrant de précieuses paroles aux autres.

ce sont la sape et les vêtements qui la portent. Sa référence !? Les années 40. Chacune de ses sorties est pour elle un projet et doit faire l’effet d’une apparition. Ce n’est là qu’une des raisons pour lesquelles elle magnifie l’être suprême de l’avoir faite Femme. Cependant, cette appropriation jalouse de sa féminité n’était qu’incompréhension et inconfort profonds pour Noélie, les trente premières années de son existence terrestre. Magicienne, elle aurait pu faire disparaitre toute la population humaine porteuse d’un troisième pied. LA PALABRE - AOÛT 2024

Portrait de Lylly Houngnihin par Sana Hosseinpour

REMÈDES ARTISTIQUES

Dépression post-partum au Bénin Briser le mur du silence

La dépression post-partum affecte de nombreuses femmes au Bénin. Pourtant, ce trouble reste sous-diagnostiqué en raison du manque d’information, de formation et de certains obstacles socio-culturels, laissant ces femmes souffrir dans le silence.

Après une césarienne compliquée lors de l’accouchment de son deuxième enfant, Dame Sèssi, mère de deux enfants, a subi une dépression postnatale qui a duré de nombreuses semaines. « Je n’avais pas très envie d’être en contact avec mon bébé et de le tenir comme j’avais fait pour mon aîné. Mon sommeil était agité. Je mangeais à peine et je n’avais pas la spontanéité de l’allaiter convenablement ».

Des symptômes sous-estimés

Bouleversements hormonaux, évènements de vie stressants, antécédents d’épisodes dépressifs personnels ou familiaux, complications pendant la grossesse et/ou l’accouchement. Voici une liste non exhaustive des facteurs de risques pouvant expliquer l’apparition de ce trouble psychique obstétrical. Aussi appelée dépression post-natale, elle se traduit par « des symptômes similaires à ceux du baby blues mais plus intenses et durables tels qu’une tristesse profonde, une perte d’intérêt pour les activités quotidiennes, des troubles du sommeil, une perte d’appétit, une fatigue extrême et parfois des pensées suicidaires », explique Leslie Agbo, sage-femme spécialiste en santé mentale et présidente de l’ONG Femme et Vie.

Si la prévalence de cette pathologie au plan mondial est évaluée entre environ 10 et 15 % (Samuel M Shovers et al., 2021), les statistiques précises de cette pathologie à l’échelle nationale ne sauraient être qu’approximatives selon Éric Gansa, psychologue. « Nous sommes dans un contexte où certaines maladies ne sont pas encore très reconnues dans la société. De façon générale au Bénin, on n’évalue pas trop ces choses », a-t-il affirmé.

abord, a fait fi du diagnostic de son médecin traitant alors qu’elle consultait pour un malaise.

« J’avais estimé que ma souffrance n’avait rien à voir avec une dépression. J’ai donc traité le problème ayant motivé la consultation et je suis rentrée. Mais plus les jours passaient, plus je m’enlisais », a rapporté la mère de deux enfants.

Elle a pu compter sur le soutien de ses proches qui avaient

réussi à faire le lien entre son état et la césarienne, la première maternité s’étant déroulée sans problèmes majeurs.

Néanmoins, quelques précisions sont disponibles dans la commune de Natitingou au nord-ouest du Bénin. 18,1% des femmes accueillies entre janvier et juillet 2023 dans le service de gynécologie obstétrique de l’Hôpital de Zone de Natitingou souffrent de dépression postnatale (Atagbai I.N.E. et al. 2023). Ce mal reste pourtant encore méconnu par une grande partie de la population béninoise, particulièrement par la majorité de la gent féminine. Une telle ignorance exacerbe la souffrance des femmes atteintes qui, à défaut d’une connaissance de leur mal, restent parfois dans le déni. Tel fut le cas de Dame Sèssi qui, de prime

« J’avais estimé que ma souffrance n’avait rien à voir avec une dépression. J’ai donc traité le problème ayant motivé la consultation et je suis rentrée. Mais plus les jours passaient, plus je m’enlisais »

We are tech Africa

Malheureusement, toutes les femmes dans ce cas qui résident au Bénin ne bénéficient pas d’une telle chance. Leslie Agbo souligne que l’entourage des mères atteintes exerce une certaine pression pour « les ramener à l’ordre et leur faire assumer leur responsabilité ». Dans un pays où, à l’instar de beaucoup d’autres nations africaines, la santé mentale demeure un sujet tabou, les mères souffrant de dépression postnatale sont souvent confrontées à l’incompréhension, au jugement négatif, à la banalisation de leurs sentiments, à la stigmatisation pour finir prisonnières d’une spirale infernale.

Cette stigmatisation est encore plus présente et vive quand on considère la symbolique de la maternité en Afrique comme le démontre une étude menée dans deux capitales africaines, Lomé et Dakar : « avoir des enfants est un objectif incontestable et la maternité implique des devoirs : notamment celui d’assurer les soins aux enfants et les conditions éducatives de leur réussite sociale ». (Adjamagbao et al., 2006)

Quid des professionnels de la santé au Bénin ?

Parmi les trois sage-femmes interviewées, une seule affirme avoir bénéficié d’un module de cours sur la dépression postnatale pendant sa formation. Céline, sage-femme d’État au Bénin depuis une vingtaine d’années, travaille dans un centre de santé où la dépression post-partum n’est pas abordée. Selon elle, les sage-femmes de ces centres ne sont pas formées à ce sujet.

Lolyta Etchisse, quant à elle, admet également un manque de cours académiques spécifiques sur la dépression postnatale dans les écoles de formation pour sage-femmes. « Chez la nouvelle accouchée, notre travail en tant que sage-femmes se limite généralement à surveiller les constantes biologiques, l’état de conscience et les réflexes. La dépression post-partum n’est pas généralement mentionnée en consultation prénatale et postnatale. De plus, la difficulté permanente de ressources humaines insuffisantes dans nos formations sanitaires ne permet pas toujours de travailler comme il se doit », précise-t-elle.

En effet, le problème est accentué par le manque de personnel soignant dans les hôpitaux. « L’article, L’information scientifique », dénombre treize psychiatres pour plus de dix millions d’habitants au Bénin. Le nombre de sagefemmes est estimé à environ trois pour 10 000 femmes en âge de procréer selon les informations diffusées par UNFPA Bénin en 2021. Le manque de sage-femmes formées et de psychiatres limite non seulement les possibilités d’intervention et de soutien approprié pour les mères souffrant de dépression postnatale, mais compromet également la qualité globale des soins prodigués. Les soignants se retrouvent souvent à devoir gérer un nombre élevé de patients, ce qui implique qu’ils ne peuvent accorder aux parturientes suffisamment de temps, d’attention et par ricochet un suivi personnel suffisant.

Vers une meilleure prise en charge

Conformément aux recommandations de l’OMS pour le suivi après l’accouchement, « à chaque contact postnatal, les mères doivent être interrogées sur leur état émotionnel, le soutien familial et social dont elles bénéficient et les

stratégies utilisées pour faire face aux difficultés de la vie quotidienne. Il convient d’encourager toutes les femmes, leurs partenaires et leurs familles à informer les professionnels de la santé de tout changement d’humeur, d’état émotionnel et de comportement inhabituel ou anormal. »

De ce fait, l’amélioration de la situation au Bénin passe par l’information et la formation. Le psychologue Éric Gansa estime qu’une collaboration conjointe entre la population et le personnel soignant est nécessaire pour une meilleure prise en charge des mères souffrant de dépression du post-partum. « Les professionnels de la santé ne peuvent pas, à eux seuls, résoudre le problème. Plus les gens sont informés, plus la réaction sera spontanée. La prise en charge commencera dès la maison et la population pourra servir de veille », a-t-il affirmé.

En effet, les campagnes de sensibilisation et l’éducation communautaire peuvent aider à déconstruire les préjugés, changer les perceptions, mettre un terme à la stigmatisation et encourager les femmes à chercher de l’aide sans crainte de jugement. Les sage-femmes en qualité de premières intervenantes dans la santé maternelle en contact avec les femmes pendant et après l’accouchement doivent être éduquées à la reconnaissance de la dépression post-partum dès l’école de formation. Éric Gansa confie que des formations sont organisées de temps à autre pour les professionnels de la santé bien qu’elles ne couvrent pas tous les soignants des secteurs publics et privés. « Au-delà de tout ça, il faudrait que chaque professionnel de santé apprenne en autodidacte. Il ne faut pas attendre que l’information vienne à soi mais aller à sa recherche », a-t-il ajouté.

« Les professionnels de la san- té ne peuvent pas, à eux seuls, résoudre le problème. Plus les gens sont informés, plus la réaction sera spontanée. La prise en charge commencera dès la maison et la population pourra servir de veille ».

Éric Gansa

Ainsi, les programmes de formation sont essentiels mais doivent être accompagnés d’un renforcement des ressources humaines dans les hôpitaux et centres de santé du Bénin ainsi qu’une mise en place de programmes de soutien psychologique adaptés aux besoins des mères souffrant de dépression post-partum.

ÉCOLOGIE POLITIQUE

Critique

Une écologie africaine ?

Sur La Communauté terrestre d’Achille Mbembe

Le devenir du vivant sera la question déterminante du XXIe siècle. À l’aune d’une crise écologique, le philosophe Achille Mbembe cherche à y répondre en questionnant la vie sur Terre en temps d’urgence.

Dans le dernier volet d’une trilogie entamée en 2016 avec Politiques de l’inimitié (2016) et poursuivie avec Brutalisme (2020), le philosophe camerounais Achille Mbembe tente de définir une écologie politique africaine. Professeur d’Histoire et de Sciences politiques, Achille Mbembe s’intéresse à la Terre, notre dernière utopie, et à travers elle, au devenir de toutes les entités cosmogoniques. L’essai La Communauté terrestre, paru à La Découverte en 2023, a pour ambition « de proposer, à partir de l’Afrique, une saisie intelligible des principales forces de transformation du vivant à l’âge de la planétarisation ». Il s’inscrit dans la longue liste des philosophes qui partent des déboires de l’humanisme occidental pour en appeler à une nouvelle humanité « planétaire » (Paul Gilroy), à une poétique de la Terre et à un monde fait de la chair de Tous (Édouard Glissant) au sein duquel chaque sujet humain pourrait de nouveau être porteur de sa parole, de son nom, de ses actes et de son désir.

De la communauté terrestre à l’assemblée des vivants

Que faut-il entendre par communauté terrestre ? Mbembe n’est pas le premier à inviter l’humanité à une symbiose avec les autres entités naturelles appelées à « à vivre désormais exposées les unes aux autres. » Déjà dans la deuxième moitié du XXe siècle, Michel Serres avertissait du danger pour la vie sur Terre que porte l’humanisme occidental et plaidait pour un décentrement de l’humain. Serres préconisait à cet effet, un contrat naturel par lequel l’Homme et la Nature deviennent « deux partenaires à situation équivalentes et à des droits égaux ». Achille Mbembe s’intéresse néanmoins à la Terre et à toutes les entités animées et inanimées, visibles et invisibles : prise isolément, chacune des entités de la Terre est périssable, putrescible, passible de cessation de vie, mais ensemble, elles forment « des assemblages dynamiques » qui démultiplient la force de la Terre et renforcent sa capacité à durer. Ainsi, « toutes sont sujettes à mutation et la survie des unes dépend de celle de toutes les autres. Elles forment une trame ».

La survie de la Terre dépend donc de plusieurs facteurs dont principalement la cohabitation des « personnes naturelles » et des « personnes humaines ». Ce qui implique la cessation de ce que Serres appelle « la guerre subjective » et la théorisation d’un moyen permettant de perpétuer la vie sur Terre. Chez les Africains anciens, l’interrogation concernant les devenirs de la Terre ou les destins de la technique a souvent pris la forme d’une longue méditation

sur la thématique de la graine, des semailles et de la germination. Par ces trois procédés, l’Afrique contribue non seulement à la sauvegarde de certaines entités naturelles, mais surtout à leur perpétuation. Ainsi, très tôt, les Africains ont opéré une transition entre deux mondes pour « redonner vie à ce qui est menacé par le trépas ».

La communauté terrestre apparait d’abord comme une remise en cause de l’anthropocentrisme hégémonique, peu inclusif, et incompatible avec ce que l’auteur appelle « l’assemblée des vivants » qui implique l’effacement complet de toute forme de suprématie et de toute discrimination dans la communauté terrestre – condition sine qua non pour une politique écologique générale.

L’écologie générale dans La Communauté terrestre

Le concept désigne chez Mbembe, l’idée selon laquelle l’homme n’est pas le seul être du monde dont la présence compte. Il devient un simple cohabitant parmi les autres entités naturelles dont la survie du monde et de toute création dépend tout autant. Autrement dit, il n’y a que dans une relation d’interdépendance que l’homme pourra réparer, entretenir et sauvegarder la vie sur Terre. En concevant l’homme comme un simple passant sur Terre, Achille Mbembe donnait raison à Antoine de Saint Exupéry : « nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants ».

« L’univers dans lequel les êtres étaient en résonance ». Achille

Mbembe

Dans les savoirs ancestraux africains, estime Achille Mbembe, l’humanité ne se pensait pas en propriétaire et maîtresse régnant sur la Terre. Comme le montrent de nombreux contes, il n’existait pas de hiérarchie entre les différentes formes de vie puisque chacune est dépositaire d’une intelligence spécifique. Et c’est à cet « univers dans lequel les êtres étaient en résonance » que le philosophe nous invite à retourner. La Terre estime-t-il, est un composé de refuges, d’habitats dédiés à chaque étant de la création pris individuellement et à la multitude des étants dans leur ensemble. En d’autres mots, la Terre est la seule entité qui fait place à tous, à toutes et à tout sans distinction. Mieux, en accueillant l’Homme et autres entités, elle pourvoie à leurs besoins, à leur survie. La conséquence directe, est que sans elle, point de vie. La Terre pourrait lui survivre, mais l’homme disparaitrait.

Technologie et limites de la raison humaine

Dans sa vision pour une écologie plus inclusive, Mbembe a jeté un regard critique sur la numérisation du monde. Dans ce procès de la technologie, il a commencé par opérer une démarcation, une distinction entre la technologie à l’ère de la machinisation et celle du temps contemporain, à l’âge de la digitalisation. Pour lui, les hommes fabriquent des machines pour soumettre, exploiter et détruire le monde en s’autodétruisant. Parce que « chercher la vérité à tout prix et par tous les moyens, surtout par la technique et la mécanisation de la nature, c’est s’exposer à créer un monde désenchanté » comme le souligne Pierre Hadot. L’invention de la bombe atomique est aujourd’hui un point du non-retour.

L’âge de la digitalisation, quant à lui, met à rude épreuve la raison humaine. Le fameux « juge infaillible » a atteint ses limites. Aujourd’hui, « elle est de plus en plus souvent remplacée ou mobilisée par la rationalité instrumentale, lorsqu’elle n’est pas réduite à un traitement mécanique ou algorithmique de l’information ». Explicitement, elle a cessé d’être l’apanage des humains. C’est

LA PALABRE - AOÛT 2024

ce qui fait dire à Mbembe que le cerveau n’est plus le sanctuaire de la raison. Faut-il s’inquiéter que désormais l’homme partage sa raison avec d’autres agents, en occurrence des machines ?

Une chose est certaine : désormais, la raison n’est plus cette faculté distinguant les humains des machines. Le risque de l’effacement du sujet humain devient prégnant aujourd’hui puisque d’aucuns ne se prêtent plus à l’exercice cognitif et préfèrent se tourner « vers d’autres facultés ou d’autres modes d’expression et de cognition » jugés plus sophistiqués.

Mbembe appelle à une révision des outils qui s’inventent afin de les adapter à des visions politiques plus écologistes. La Communauté terrestre, aussi ambitieuse qu’elle soit, ne peut advenir qu’à condition de devenir la préoccupation de tous pour tout. Pour aboutir à un Tout planétaire, Mbembe s’engage dans une critique renouvelée de la différence, de la séparation et de la ségrégation entre les hommes entre eux et vis-à-vis des autres entités naturelles. Une question persiste tout de même et tend à conclure à l’irréalisme de la communauté terrestre : comment concrétiser la planétarisation quand la technologique galopante renforce chaque jour la prédation idéologique, politique, économique et sociale ?

Stanislas Agbla
Reportage

Un « sixième continent » Un musée contre la pollution de l’eau

À vingt kilomètres de Ouagadougou, le musée de l’eau se dresse comme une sentinelle de la sensibilisation. Fondé en 2005 par Alassane Samoura, ce musée lutte contre la pollution de l’eau.

En franchissant les portes du musée de l’eau, le silence apaisant des lieux nous accueille, au rythme de la danse gracieuse de la pompe éolienne, une des 2500 pièces muséales. Ce musée n’est pas seulement un lieu d’exposition, c’est une expérience sensorielle complète qui vise à sensibiliser le public à la lutte contre la pollution de l’eau.

Une installation saisissante attire le regard : un cours d’eau artificiel jonché de sachets plastiques y figure. « C’est le sixième continent », explique Alassane Samoura, sociologue de formation et fondateur du tout premier musée de l’eau en Afrique. Une installation qui dénoncer la pollution de l’eau liée aux activités humaines. Une approche pédagogique permettant aux visiteurs de prendre conscience de l’ampleur de la pollution. « Quand on va à la pêche aujourd’hui, au Burkina, on revient avec plus de sachets plastiques que de poissons », disait l’ex-président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, souvent cité par Alassane Samoura pour illustrer cette réalité de la pollution des eaux.

Une minute pour polluer, cent ans pour dépolluer

Alassane Samoura est convaincu d’une chose : quand on pollue l’eau, on détruit soi-même sa propre vie en la consommant : « Au musée de l’eau, nous disons qu’il n’y a pas de petits déchets, il n’y a pas de petites pollutions parce qu’il faut 100 ans pour dépolluer une minute de pollution ».

Il urge de mettre en lumière l’impact de la pollution sur le milieu aquatique, les poissons, les plantes, et même sur les humains qui consomment cette eau. Car, souligne-t-il, les gens qui consomment cette eau sont des potentielles victimes de maladies dermatologiques

et cancéreuses.

C’est pourquoi, au-delà de la sensibilisation, le musée s’investit activement dans le plaidoyer. « Si une usine pollue les cours d’eau avec des huiles usées, nous intervenons et organisons des actions citoyennes, comme des conférences de presse, pour dénoncer cette situation. », nous confie-il. Pour mieux lutter contre la pollution, le musée de l’eau collabore avec l’association locale Napombeoro, spécialisée en agriculture biologique. Ce partenariat se concrétise par la culture de produits bio sur le site du musée de l’eau.

Cela permet d’expliquer aux visiteurs l’importance de l’eau potable pour l’agriculture, tout en soulignant que la pollution de l’eau constitue une véritable menace pour la santé publique.

Lampedusa, l’île aux « déchets humains »

Une autre exposition attire l’attention des visiteurs : « Lampedusa », petite île méditerranéenne tristement célèbre comme point de chute de nombreux jeunes Africains en quête d’un avenir meilleur en Europe. Alassane Samoura souligne que beaucoup périssent en route. Comme l’espace « sixième continent » qui dénonce la pollution de l’eau, l’exposition « Lampedusa » critique la mauvaise gouvernance poussant ces jeunes à risquer leur vie. Samoura affirme : « Non à la migration des jeunes Africains sur les côtes maritimes ». L’eau devient ainsi un vecteur de dénonciation, mêlant humanisme et écologie.

Le musée de l’eau est bien plus qu’un simple lieu d’exposition. C’est un acteur clé dans la lutte contre la pollution de l’eau, un lieu de réflexion et d’action, où chaque visiteur est invité à prendre conscience de son rôle dans la préservation de cette ressource vitale.

Edouardo Hanou

Déchets urbains Du poison dans nos eaux

Comme de nombreuses villes africaines, Ouagadougou est confrontée à une urbanisation galopante, entrainant une production massive des déchets. Ces déchets, au-delà de leur encombrement dans des sites de décharges, représentent une menace sérieuse pour la qualité des eaux souterraines. LA

700 000 tonnes. C’est la quantité d’ordures produites en 2020 par la capitale du Burkina Faso Ouagadougou. Bien qu’inférieure à Lagos ou Abidjan, où s’accumulent près d’un million de tonnes, l’augmentation est vertigineuse. Le Programme des Nations unies pour l’environnement recensait 250 000 tonnes depuis les années 2000 pour la ville de Ouagadougou.

Abdoul-Azize Barry, dans sa thèse sur la contamination des eaux souterraines au voisinage des décharges d’ordures en milieu fracturé et urbain, explique les causes du problème : une urbanisation rapide et la gestion inadéquate des déchets.

Majoritairement remplies de déchets plastiques non dégradables, les décharges d’ordures fonctionnent comme des bioréacteurs où des processus fermentaires intenses produisent des lixiviats (liquides issus de déchets) riches en matière organiques, azotés et métalliques. Ces lixiviats percolent alors jusque dans les nappes et contaminent les eaux souterraines, posant de graves risques sanitaires et environnementaux.

Pollution de l’eau, agir maintenant

Selon une étude menée au Bangladesh en 2021, la consommation de plantes et de poissons cultivés près des décharges est cancérigène, en raison de la présence de métaux lourds, tels que le nickel, le plomb ou le caldium, entrainant des problèmes d’ingestion. L’étude précise également que les lixiviats peuvent contenir des substances toxiques, mutagènes et génotoxiques entraînant des maladies gastro-intestinales, des troubles neurologiques, des cancers ou les retards de croissance chez les enfants de moins de cinq ans.

Pour prévenir la pollution de l’eau, AtlasScientific propose, entre autres, la réduction des déchets plastiques, l’utilisation de toilettes économes en eau et l’agriculture verte. Mais les causes du problème, précise une étude réalisée dans le nord de l’Angleterre, sont bien plus difficiles : effluents mal traités des stations d’épuration surexploitées, fuites d’égouts vieillissants, décharges illégales non réglementées. Ainsi, note le Programme Solidarité Eau (PS‐Eau), le manque de financement et de volonté politique pour investir dans des infrastructures d’assainissement adéquates rend difficile la protection des ressources en eau, contribuant ainsi à la persistance du problème de contamination des eaux souterraines.

Politique de l’eau, quand la réalité déçoit

En 2008, la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, a élaboré une politique des ressources en eau pour créer une sous-région sans frontières c’est-à-dire une collaboration régionale pour une gestion commune, assurant l’accès à l’eau, l’équité sociale et la préservation de l’environnement.

Malheureusement, la réalité sur le terrain est marquée par des inégalités d’accès à cette ressource vitale pour les populations. En raison de l’instabilité politique dans la sous-région, de la dépendance à l’aide internationale, ainsi que du manque de moyens, de ressources et de capacités techniques, la politique de la CEDEAO n’a pratiquement pas progressé sur le terrain.

Dans les zones rurales, l’accès à l’eau potable est souvent limité, obligeant les populations à parcourir de longues distances pour s’approvisionner. En 2021, 48 % de population rurale burkinabè avait accès à l’eau potable, selon le gouvernement. Mais la situation est moins reluisante dans d’autres pays de la sous-région où en 2020 seulement 22 % au Nigeria et 36% au Niger des populations rurales avaient accès à l’eau salubre.

Innover pour satisfaire

Face au défi d’accès à l’eau potable, il est urgent d’explorer des solutions innovantes. Le dessalement des eaux de mer, comme l’a entrepris l’Algérie est une option viable,

ÉCOLOGIE POLITIQUE

mais chère, pour les pays côtiers : l’Algérie disposant actuellement de 14 stations de dessalement opérationnelles qui devraient couvrir 42 % des besoins en eau potable de la population d’ici 2024. Au coût économique et énergétique de cette solution s’ajoute l’enjeu géographique pour les pays enclavés comme le Burkina. Ce dernier devrait se tourner vers la réutilisation des eaux usées à des fins potables, comme pratiquée en Namibie. À Windhoek, la capitale, environ 30 % des eaux usées sont recyclées en eau potable en moins de dix heures, grâce à des procédés chimiques, physiques et biologiques avancés.

Pour une gestion durable des ressources en eau, le PSEau recommande la sensibilisation des communautés aux bonnes pratiques d’hygiène et la conservation de l’eau, tout en construisant des infrastructures pour fournir de l’eau en grande quantité. Il préconise, également, la délocalisation des décharges d’ordures loin des sources d’eau et des zones habitées pour minimiser les risques de contamination. En définitive, il ressort que la mauvaise gestion des déchets urbains menace gravement les eaux souterraines, nécessitant des mesures urgentes pour protéger la santé publique et l’environnement.

Alain Ogouvide

Yacouba Sawadogo L’homme qui arrêta le désert

“Figure de proue de la grande muraille verte, l’agriculteur burkinabé Yacouba Sawadogo a oeuvré toute sa vie à arrêter la progression du désert au Sahel”

Yacouba Sawadogo était un homme robuste, avec une stature qui imposait le respect. Ses mains, calleuses et marquées par des années de travail acharné racontaient l’histoire de son combat contre le désert. Son visage, creusé par le soleil et le vent, reflétait une détermination inébranlable. Ses yeux, d’un noir profond brillaient d’une sagesse acquise au fil des décennies passées à observer et comprendre la nature.

Du zaï pour reverdir Sawadogo, dont le nom signifie « faiseur de nuages » en langue locale mooré a été témoin direct des ravages causés par la désertification. Dans les années 1980, alors que des vents chauds venus du désert provoquaient une sécheresse dévastatrice, il a décidé de rester à Gourga et de lutter contre l’avancée du désert. Il a réhabilité et amélioré la technique du zaï, une méthode traditionnelle consistant à creuser des trous pendant la saison sèche, les remplir de fumier, puis y planter des arbres. Cette technique, combinée à son intuition de planter à la fin de la saison sèche plutôt qu’au début de la saison des pluies a permis à sa forêt de croître rapidement et de manière durable.

sances avec des agriculteurs du Burkina Faso, du Niger, du Mali et du Sénégal leur permettant de régénérer leurs terres et de renforcer leur productivité. Ses actions ont démontré qu’un individu peut, à lui seul, changer le cours d’un désastre écologique et influencer positivement la vie de milliers de personnes.

Les prouesses de Yacouba Sawadogo ont été reconnues sur la scène internationale. En 2018, il a reçu le prix Nobel alternatif, à Stockholm en Suède, de la part de Right Livelihood Award Foundation. En 2020, les Nations unies l’ont honoré comme « Champion de la Terre » ; une haute distinction environnementale. En 2024, son nom a été retenu par l’Académie des Sotigui pour figurer sur la Rue des étoiles à Ouagadougou dans la catégorie Sciences et savoir.

L’immortel Sawadogo

Sawadogo, dont le nom signifie « faiseur de nuages » en langue locale mooré a été témoin direct des ravages causés par la désertification. LA PALABRE - AOÛT 2024

Grâce à ses efforts, Yacouba Sawadogo a réussi à planter 40 hectares d’arbres là où plus rien ne poussait. Sa forêt, devenue une véritable oasis abrite aujourd’hui plus de 90 espèces différentes et un riche biotope animal et végétal. Elle a créé un microclimat propice à l’agriculture locale permettant aux villageois de revenir et de prospérer.

Agronome des savanes sur le toit du monde

Yacouba Sawadogo n’était pas seulement un agriculteur, mais aussi un formateur et un mentor. Il a partagé ses connais-

À sa mort, le 3 décembre 2023, à l’âge de 77 ans, Yacouba Sawadogo a laissé derrière lui un héritage inestimable. Pour Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo, porte-parole du l’actuel gouvernement burkinabè « le combat de Sawadogo est une source d’inspiration pour les générations présentes et futures, rappelant à chacun sa responsabilité dans la préservation de l’environnement ». Damien Deville, géographe franco-burkinabé et auteur de L’Homme qui arrêta le désert, a déclaré « À l’heure où tu as fermé définitivement les yeux, tu es devenu une mémoire pour tout un pays, mais aussi une archive pour l’humanité entière ».

Comme le disait Yacouba Sawadogo « si tu apprends que tu vas mourir demain, fais tout pour planter un arbre aujourd’hui, car tu laisseras ainsi une richesse inestimable à ta postérité ». Que son histoire continue d’inspirer et de guider ceux qui luttent pour un avenir plus vert et plus durable !

Portrait de Yacouba Sawadogo par Zachée Koutiya

Au-delà de la réduction du temps de travail Les

40 heures et la santé mentale au Bénin

Pourquoi la question de la réduction du temps de travail doit-elle être précédée d’un respect rigoureux des 40 heures légales et d’une attention accrue à la santé mentale des travailleurs béninois ?

Au Bénin, la question du temps de travail est souvent reléguée au second plan face à des enjeux plus pressants tels que le respect des normes de travail et la santé mentale des travailleurs. Bien que la durée légale de travail soit de 40 heures par semaine, de nombreux écarts persistent, avec des travailleurs fréquemment soumis à des horaires atypiques incluant des heures supplémentaires non rémunérées, du travail de nuit, et des week-ends. Alors que les débats sur la réduction du temps de travail prennent de l’ampleur dans les pays occidentaux, les préoccupations majeures au Bénin portent sur le respect de ces 40 heures légales, la rémunération équitable des heures supplémentaires, et la gestion des problèmes de santé mentale qui découlent de ces conditions difficiles.

Impact sur la santé mentale : une préoccupation croissante

L’absence d’études locales spécifiques sur l’impact des horaires réduits n’empêche pas de reconnaître les effets négatifs des longues heures de travail sur la santé mentale. Selon Michel Vézina, spécialiste de la santé mentale au travail, les problèmes de santé mentale liés au travail sont en constante augmentation, représentant une cause majeure de morbidité non seulement dans les pays développés, mais aussi dans les pays en développement .

Le Dr Mahunan Gérard Sossou, Médecin épidémiologiste et Médecin du travail, souligne que « les longues heures de travail au Bénin présentent plusieurs risques spécifiques pour la sécurité et la santé des travailleurs. La fatigue physique et mentale qui en découle réduit la vigilance, augmente le risque d’accidents, et peut entraîner des troubles musculosquelettiques, des maladies cardiovasculaires, et des troubles digestifs ». Il ajoute que les horaires atypiques perturbent l’horloge biologique des travailleurs, exacerbant ainsi les risques de troubles du sommeil, d’anxiété et de dépression.

« Les longues heures de travail au Bénin présentent plusieurs risques spécifiques pour la sécurité et la santé des travailleurs. »

Dr Mahunan Gérard Sossou

Les pratiques de sécurité et de santé au travail (SST) au Bénin, comme dans de nombreux autres pays, sont souvent inadéquates. L’absence de ressources suffisantes et la formation limitée des travailleurs à la reconnaissance des risques compliquent la prévention des maladies professionnelles et aggravent les risques pour la santé mentale et physique des travailleurs.

Réduction du temps de travail et respect des normes existantes

Romuald Gbénou, magistrat spécialiste du droit du travail, met en avant l’importance de réglementer le télétravail au Bénin. Selon lui, « le télétravail pourrait offrir aux travailleurs un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle tout en réduisant le stress lié aux déplacements et aux conditions de travail sur site. Cependant, sans cadre légal approprié, le télétravail reste sous-exploité ». Il souligne que cette option pourrait constituer une piste de réflexion prometteuse pour améliorer les conditions de travail dans le pays, en particulier dans les secteurs où les déplacements et les conditions de travail sur site exacerbent les problèmes de santé mentale et physique.

« Le non-respect de ces aspects légaux crée une insécurité économique pour les travailleurs et amplifie les problèmes de santé mentale »

Magistrat Gbénou

Le Magistrat Gbénou souligne également qu’avant même d’envisager une réduction du temps de travail, il est crucial de s’assurer que les heures supplémentaires sont correctement enregistrées et rémunérées. « Le non-respect de ces aspects légaux crée une insécurité économique pour les travailleurs et amplifie les problèmes de santé mentale », avertit-il. Ce manque de reconnaissance et de compensation des heures supplémentaires constitue un obstacle majeur à l’amélioration des conditions de travail. Assurer la rémunération équitable des heures supplémentaires est non seulement une question de justice économique, mais aussi une nécessité pour prévenir le stress et l’épuisement des travailleurs, qui sont souvent obligés de dépasser les heures légales sans compensation adéquate

Santé mentale au travail : approches et solutions

L’approche psychodynamique du travail, qui s’intéresse aux processus psychiques mobilisés par les individus face aux réalités de leur travail, offre une perspective essentielle pour comprendre comment l’organisation du travail peut influencer la santé mentale des travailleurs. Cette approche analyse la manière dont les objectifs personnels, organisationnels et collectifs interagissent, révélant les stratégies défensives que les travailleurs mettent en place pour se protéger de la souffrance mentale. En comprenant ces dynamiques, il devient possible de créer des environnements de travail qui soutiennent la santé mentale plutôt que de la compromettre.

Yasmine Jacquet, professionnelle en santé et sécurité au travail, propose plusieurs stratégies pour améliorer les pratiques de sécurité et de santé au travail au Bénin. Elle insiste sur l’importance d’une évaluation rigoureuse des risques. Selon elle, « il est crucial de réaliser des évaluations régulières des risques pour identifier les dangers spécifiques liés aux différentes tâches et environnements de travail ».

« Il est crucial de réaliser des évaluations régulières des risques pour identifier les dangers spécifiques liés aux différentes tâches et environnements de travail ».

Yasmine Jacquet

Ces évaluations permettent d’élaborer des plans de gestion des risques qui peuvent inclure la réduction du temps de travail comme une composante clé pour améliorer les conditions de travail.

En outre, Jacquet recommande la mise en place de programmes de formation continue pour sensibiliser tant les travailleurs que les employeurs aux bienfaits potentiels de la réduction du temps de travail sur la santé et la sécurité au travail. Ces programmes devraient également couvrir l’amélioration des conditions de travail par le biais d’ajustements ergonomiques et la fourniture adéquate d’équipements de protection individuelle.

Elle souligne que « l’amélioration des conditions de travail passe aussi par ces ajustements qui peuvent réduire les risques physiques et contribuer à une meilleure santé mentale des travailleurs ».

Par conséquent, une approche globale qui inclut la prise en compte des facteurs psychodynamiques ainsi que l’amélioration des pratiques de SST peut jouer un rôle crucial dans la promotion du bien-être des travailleurs au Bénin. Avant de discuter de la réduction du temps de travail, il est impératif de s’assurer que les 40 heures légales soient respectées, que les heures supplémentaires soient rémunérées équitablement, et que des mesures robustes de SST soient mises en place. L’amélioration des conditions de travail, combinée à une prise en charge sérieuse des problématiques de santé mentale, pourrait non seulement améliorer le bien-être des travailleurs, mais aussi augmenter la productivité. Ce n’est qu’à travers une approche globale et inclusive que le Bénin pourra relever les défis auxquels ses travailleurs sont confrontés.

LA PALABRE - AOÛT 2024

Analyse

L’addiction aux écrans Mythe ou réalité ?

L’explosion du marché des médias et des télécommunications en Afrique devrait atteindre 82 milliards de dollars d’ici 2029, selon Mordor Intelligence. Si aujourd’hui, l’utilité d’Internet n’est plus à démontrer, la dépendance qu’on remarque chez les Africains suscite de profondes réflexions et mérite qu’on s’y intéresse.

Àl’aube d’une révolution numérique fulgurante, les jeunes Africains se retrouvent pris au piège entre l’attrait irrésistible des écrans et les dangers d’une dépendance grandissante. Plusieurs études le prouvent. Celle publiée sur le site Cairn montrait qu’en 2022, la prévalence mondiale de l’addiction à Internet était de 14,2 % contre 6 % entre 1996 et 2012. En Afrique, cette prévalence était estimée à 40,3 % en 2022. Selon la même source, l’addiction à Internet se manifeste par l’incapacité répétée à réduire ou à arrêter son utilisation. Cela pourrait être lié à des troubles de la vie quotidienne sur les plans physique, social et psychologique.

Un constat alarmant

Au cours d’une enquête sur le sujet à l’Université de Lomé, trente jeunes étudiants de l’Institut des sciences de l’information de la communication et des arts questionnés ont tous affirmé qu’il était impossible pour eux de passer une heure sans se connecter sur le net.

Justine Naka, étudiante en journalisme à Lomé, déclare « En toute franchise, je ne peux plus me passer de mon smartphone. Pratiquement au réveil, c’est la première chose que je touche ». Voa Afrique révèle à travers une publication signée par Seydina Aba Gueye que le même constat est fait au Sénégal. Selon, l’étude réalisée, Aminata Ndiaye une mère de famille interviewée, dit avoir remarqué une addiction aux écrans chez deux neveux dont elle a la garde. « Des enfants qui même à l’école sont pressés de rentrer pour pouvoir activer le jeu et pouvoir interagir avec leurs amis en ligne. La maison est toujours remplie de personnes mais les enfants sont devenus d’une certaine manière socialement coupés », se désole-t-elle. Ces témoignages mettent en lumière une tendance alarmante : l’addiction aux écrans qui affecte particulièrement la jeunesse africaine.

La jeunesse africaine et la dépendance à Internet : ignorance ou banalisation des risques ?

Selon une méta-analyse menée par E. A. Zewde et ses collègues sur la dépendance à internet chez les étudiants africains une prévalence globale de 34,54 % a été observée. Si des études ont été réalisées dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, tels que le Ghana, le Nigeria et la Côte d’Ivoire pour mesurer spécifiquement l’addiction à Internet chez les jeunes, d’autres sont encore à la traîne. Le Bénin et d’autres États africains se trouvent également dans cette situation. Cela soulève une problématique cruciale liée au manque de documentation sur le sujet, que les politiques, les gouvernements et les ONG doivent aborder avec une attention particulière afin de remédier à cette lacune.

Vers une prise de conscience collective

Dans le contexte africain, où l’utilisation des téléphones mobiles explose, il convient d’être vigilant face aux effets d’une telle dépendance. Il est essentiel d’éduquer les jeunes et leurs familles sur l’usage responsable de ces technologies afin d’en maximiser les bénéfices tout en préservant le bien-être physique et psychologique des usagers.

Il est également important, comme le soulignait Mme Elvyre Klipko, professeure de psychiatrie au CNHU HKM de Cotonou, que les parents mettent des restrictions à leurs enfants en limitant leurs heures passées sur les écrans, en coupant le Wi-Fi ou en retirant simplement le téléphone. Les recommandations pour atténuer cette dépendance incluent également la reconnaissance des signes d’addiction et le soutien mutuel entre amis et famille. Dans les cas les plus sévères, des thérapies spécifiquement adaptées, comme la thérapie comportementale cognitive et la thérapie familiale, peuvent être nécessaires pour rétablir un équilibre.

Junior Amoussou

Sonangnon

Nonfon Dossi Wêsinka

Un soir de 7 mars, une étoile me guida, Vers un visage innocent sous les cieux voilés, Il était environ 22h, l’église derrière moi, Mais à ce carrefour, l’aube du 8 mars m’attendait.

Un visage enfantin, plein d’espoir et de peine, M’approcha doucement, réclamant de quoi manger, Sonangnon, ton nom résonne comme un poème, Un chant d’espoir dans la nuit étoilée.

Panser l’humain, c’est soigner l’âme meurtrie, Bercer les peines, apaiser les douleurs, Mais face à toi, Sonangnon, je me sentis si petit, Comment alléger le fardeau de tes peurs ?

Ces nuits passées à mendier dans les rues, Avec tes compagnons, tous enfants de la même destinée, Vous êtes des étoiles perdues, des cœurs déçus, Des âmes en quête d’un avenir plus éclairé.

Abandonnés, orphelins, déscolarisés, Vos vies semblent prises dans un filet incertain, Mais au fond de vos yeux, j’ai vu briller, Une force, une flamme, un espoir pour demain.

Panser l’humain, c’est t’offrir une nouvelle chance, Penser demain, c’est te bâtir un avenir radieux, Et toi, Sonangnon, garde cette confiance, Car tu n’es plus qu’un simple enfant, tu es précieux.

Impudicité, débauche, délinquance, drogue, Autant de pièges qui guettent tes pas, Mais en toi, Sonangnon, je vois un cœur qui vogue, Vers des rivages de paix, loin des faux combats.

Je veux prêter ma voix pour défendre ta cause, Panser tes blessures, te guider vers la lumière, Que chaque jour t’apporte une nouvelle rose, Garde espoir, Sonangnon, garde ton sourire sincère.

Penser demain, c’est te voir sourire à nouveau, Un sourire qui illumine, qui réchauffe, qui console, Garde espoir, Sonangnon, car tu es fort et beau, Un trésor caché, un diamant, une parole.

À toi, petite âme, qui brave les tempêtes, Garde espoir, Sonangnon, ne perds jamais ta lumière, Les jours meilleurs viendront, ils seront ta fête, Sonangnon : panser l’humain, penser demain, pour toi, pour cette terre entière.

Analyse

Art et littérature pour tous ? Un refuge pour les enfants des rues

Face à des réalités difficiles, les enfants des rues au Bénin peuvent trouver dans l’art et la littérature des moyens de s’exprimer et de se reconstruire. Cette enquête explore les initiatives locales qui transforment leur quotidien et leur avenir.

Le Bénin fait face à des défis significatifs en matière de protection et de bien-être des enfants, surtout les plus vulnérables qui n’ont pour logement que la rue et qui sont confrontés à la violence, l’exploitation et la négligence. Ces enfants, souvent privés de soutien familial, trouvent refuge dans les rues des grandes villes, où ils survivent grâce à la mendicité et à de petits travaux informels. L’UNICEF estime que le nombre d’enfants en situation de rue est en constante augmentation, en raison de facteurs économiques, sociaux et politiques complexes. Cependant, des initiatives portées par l’UNICEF, l’association Graine de paix, la Fondation Zinsou et la Bibliothèque Bénin Excellence utilisent l’art et la littérature pour leur apporter un soutien essentiel.

L’importance de l’art dans l’expression créative Wilfried Kouelo, éducateur spécialisé et musicologue, souligne que la musicothérapie est cruciale pour les enfants de la rue. « La musicothérapie aide à traiter les traumatismes en offrant un espace sûr pour exprimer leurs émotions. Par exemple, des séances de percussions et de chant permettent de réduire l’anxiété et de renforcer l’estime de soi. Les enfants participent activement à la création musicale, ce qui stimule leur créativité et leur offre une forme d’expression artistique souvent inaccessible autrement ».

La Fondation Zinsou organise régulièrement des ateliers d’art pour les enfants. Ces ateliers, animés par des artistes locaux, permettent aux enfants de s’exprimer à travers la peinture, la sculpture et le dessin. Les résultats montrent une amélioration notable de leur estime de soi et de leur capacité à travailler en groupe. « Ces activités leur permettent de découvrir des talents cachés et de développer leur potentiel créatif », explique une responsable de la fondation.

La Bibliothèque Bénin Excellence à Godomey offre des ateliers créatifs où les enfants peuvent participer à des activités telles que le bricolage et le dessin. Larissa Padonou, animatrice à la bibliothèque, explique : « nos activités sont conçues pour stimuler l’imagination des enfants et leur offrir un espace où ils peuvent explorer leur créativité sans jugement ».

Rôle de la littérature dans le développement cognitif Docteur Bothon, pédiatre, explique que la pratique de l’art joue un rôle crucial dans le bien-être des enfants en stimulant la production des hormones du bonheur. Ces hor-

mones comprennent la sérotonine, la dopamine, l’endorphine et l’ocytocine, toutes essentielles pour le bien-être mental et émotionnel. La pratique régulière de l’art aide à équilibrer le système émotionnel des enfants, réduisant le cortisol, l’hormone du stress, et augmentant les niveaux des hormones du bonheur.

Il insiste également sur le rôle crucial de la littérature dans le développement cognitif des enfants. « La lecture de livres adaptés aide les enfants à développer leur résilience en leur fournissant des modèles positifs et valorisants. Elle améliore également leurs compétences linguistiques et leur capacité de concentration. Il est crucial d’éviter les lectures violentes et de privilégier des livres apaisants et instructifs ».

Le réseau de bibliothèque de Bénin Excellence organise des séances de lecture guidée hebdomadaires. À Godomey, la responsable Larissa Padonou explique : « Nous choisissons des textes adaptés à l’âge des enfants et les encourageons à poser des questions et à discuter des histoires. Cela non seulement enrichit leur vocabulaire, mais améliore aussi leur compréhension et leur réflexion critique ». Les clubs de lecture et des ateliers collectifs hébergés par les bibliothèques favorisent la socialisation. « Nos séances de lecture et de discussion permettent aux enfants de partager leurs idées et de développer des amitiés. D’après Larissa Padonou, ces activités créent « un sentiment de communauté et d’inclusion ». En collaborant avec des écoles et des organisations locales, la bibliothèque s’assure que même les enfants les plus vulnérables ont accès à des ressources éducatives de qualité.

L’association Graine de Paix, implantée au Bénin depuis 2019, fait appel, elle aussi, à la littérature pour promouvoir l’inclusion et le développement cognitif des enfants. Les ateliers de lecture et d’écriture offerts par l’association permettent aux enfants de développer leurs compétences de compréhension, de communication, d’expression orale et écrite avec cohérence et clarté. « Ces activités leur donnent les outils nécessaires pour réussir académiquement et socialement, » déclare un représentant de l’association.

« Ces activités leur donnent les outils nécessaires pour réussir académiquement et socialement. »

Yasmine Jacquet

Renforcement des liens sociaux par l’art et la littérature

Les programmes artistiques de Graine de Paix encouragent les enfants à travailler ensemble, renforçant ainsi les liens sociaux. « Les projets collaboratifs, comme la création de murales communautaires, permettent aux enfants de développer des compétences sociales et de renforcer leur sentiment d’appartenance », explique un membre de l’association.

Défis et perspectives

Malgré les succès observés, plusieurs défis persistent. Le financement des programmes reste une préoccupation majeure, tout comme l’accès limité aux ressources pour certains enfants. Les organisations doivent également faire face à des perceptions culturelles qui peuvent limiter la participation des enfants à ces activités collectives.

« La musique joue un rôle crucial dans l’intégration sociale des enfants de la rue en créant des liens entre eux et la communauté. Des projets musicaux, tels que les chorales communautaires et les ateliers de musique, favorisent l’inclusion sociale en créant des liens entre les enfants et la communauté, » explique Wilfried Kouelo.

Dans le cas particulier des enfants victimes d’agressions sexuelles, Docteure Viviane Oke, spécialiste des DSSR, met en lumière l’impact thérapeutique de l’art et de la littérature. « Les victimes d’agressions sexuelles sont souvent sujettes à des troubles de la santé mentale et peuvent se refermer sur elles-mêmes. À travers l’art et la littérature, elles peuvent libérer leurs sentiments et entamer un processus de guérison. Les ateliers littéraires et la musicothérapie sont des méthodes efficaces pour les aider à surmonter leurs traumatismes ».

Cependant, les initiatives en cours ouvrent une voie prometteuse. En combinant les efforts de divers acteurs, il est possible de créer un environnement où chaque enfant, quel que soit son contexte social, peut accéder à des opportunités de développement et d’épanouissement personnel.

Ainsi, l’art et la littérature offrent des moyens puissants pour améliorer le bien-être des enfants en situation de rue au Bénin. Grâce à des initiatives innovantes et des programmes bien conçus, ces enfants trouvent des espaces d’expression et de croissance personnelle souvent inaccessibles dans le cadre familial. Il est essentiel de continuer à soutenir et à étendre ces efforts pour garantir à chaque enfant la chance de réaliser son potentiel et de contribuer positivement à la société.

Miguel Delgados

Analyse

Les bibliothèques, piliers de l’accès au savoir Un réseau de connaissances pour un

avenir meilleur

Au cœur du Bénin, une révolution silencieuse prend forme dans les couloirs des bibliothèques de Bénin Excellence. Ces sanctuaires du savoir se dressent comme des bastions de l’éducation dans un pays où l’accès aux ressources éducatives reste un défi. Immersion dans l’univers de ces bibliothèques pour évaluer leur impact sur la diffusion du savoir et l’émancipation éducative.

Le contexte éducatif au Bénin et les bibliothèques

Au Bénin, en 2022, le taux d’alphabétisation était de 47% selon l’Unesco, en progression mais en deçà des standards internationaux. Les bibliothèques jouent un rôle crucial en offrant un espace d’apprentissage et de découverte. Avant 2019, sept grandes bibliothèques étaient réparties dans le pays. La politique coloniale a imposé des langues étrangères et un système éducatif inadéquat.

Bénin Excellence et ses bibliothèques

La Fondation Vallet, présente au Bénin depuis plus de 20 ans, a établi un réseau de 11 bibliothèques à travers le pays, en collaboration avec des partenaires locaux et internationaux. Ces bibliothèques, équipées de livres et de technologies modernes, offrent une variété de services, notamment le prêt de livres, la consultation de documents, l’apprentissage des langues étrangères et des acti-

Mais aujourd’hui, il y a une prise de conscience en faveur de la vulgarisation des savoirs, de la préservation des langues locales, et de l’intégration des nouvelles technologies. À cet effet, la Fondation Vallet et l’association Bénin Excellence soutiennent l’accès à la connaissance et à la culture à travers son réseau de bibliothèques.

vités culturelles. En 2023, plus de 4 millions de visiteurs ont fréquenté les bibliothèques de Bénin Excellence, un chiffre qui dépasse celui de la Bibliothèque nationale de France (1,5 million de visiteurs) et de la British Library (1,4 million de visiteurs). Ce résultat est d’autant plus impressionnant que la population du Bénin est nettement inférieure à celle de la France et du Royaume-Uni. Avec environ 13,71 millions d’habitants, le Bénin compte moins d’un cinquième de la population de la France (67,94 mil-

lions) et du Royaume-Uni (67, 979 millions d’habitants). De plus, seulement 47,9% de la population béninoise vit en milieu urbain, contre 83,9% en France et 83% en Angleterre. Tous ces chiffres soulignent l’impact significatif de Bénin Excellence sur l’éducation nationale. Malgré les contraintes démographiques et géographiques du pays, Bénin Excellence parvient à attirer un large public et à promouvoir l’accès à la connaissance et à la culture.

Impact des bibliothèques sur l’éducation

Bénin Excellence est une organisation qui se distingue par son rôle de catalyseur de réussite pour de nombreux étudiants, enseignants et chercheurs. En offrant un espace de recherche et de documentation de qualité, elle permet à ses usagers d’atteindre leurs objectifs académiques et professionnels. Les responsables des lieux sont aussi des usagers de longue date. Raïmi Nouatin, attaché d’affaires administratives et culturelles, et Jérome Gbewa, doctorant en lettre modernes à l’université d’Abomey-Calavi et responsable du club de lecture de Godomey, ont tous deux arpenté assidûment les rayons des bibliothèques avant de participer à leur animation. Leurs parcours démontrent à suffisance l’impact des contenus proposés aux étudiants. Ils ont respectivement émergé dans les études de droit et lettres modernes françaises. Tous deux ont accepté partager leur expérience très enrichissante avec les Bibliothèques Bénin Excellence.

Pour Raïmi, la découverte de la bibliothèque s’est faite en 2019, alors qu’il étudiait parallèlement le droit et l’administration culturelle dans deux écoles distinctes. Il s’y rendait pour consulter et emprunter des documents juridiques, notamment un livre de couleur rouge intitulé Réussir le droit de Saïd Dam, qui a contribué à sa compréhension de la méthodologie de rédaction juridique et à réussir brillamment ses études. En second plan, sa fréquentation de la bibliothèque visait à améliorer son niveau d’anglais avec le Pr. Ali jusqu’à l’obtention d’un niveau A2, puis C1 et C2. Aujourd’hui, cela lui permet d’interagir avec ses interlocuteurs d’expression anglaise, dans ses activités professionnelles. Jérome, quant à lui, a découvert les bibliothèques de Calavi et Godomey, en 2021, lors de la rédaction de son mémoire de master. « Grâce à Bénin Excellence, j’ai pu accéder à des documents sur l’écriture journalistique et autres sujets pertinents, qui ont grandement facilité mes recherches. Je dormais presque à la bibliothèque ! ». La proximité de la bibliothèque avec son domicile a également été un atout

« Grâce à Bénin Excellence, j’ai pu accéder à des documents sur l’écriture journalistique et autres sujets pertinents, qui ont grandement facilité mes recherches. Je dormais presque à la bibliothèque ! »

Jérome

pour lui. Actuellement, il prépare sa thèse et continue à utiliser les ressources de la bibliothèque.

Dans la bibliothèque de Calavi, le responsable en chef Camille Kpadonou confie que les usuels en menuiserie et mécanique ont transformé les vies de nombreuses personnes non scolarisées, encadrées par des associations béninoises. Bénin Excellence soutient l’éducation jusqu’en milieu carcéral. En 2019, deux mineurs incarcérés ont obtenu leur baccalauréat grâce à des cours financés par l’ONG. À Porto-Novo, un détenu a réussi au BEPC et a été embauché dans une des bibliothèques malgré un casier judiciaire loin d’être exemplaire. Les bibliothèques en milieu carcéral ont enregistré 1 500 consultations par mois et 14 423 consultations au total en 2021, selon un rapport d’activités de l’association.

Au sein des bibliothèques Bénin Excellence, des laboratoires de langues offrent des cours d’anglais, d’allemand, d’espagnol et des langues locales. Deux étudiants, Degbe Abraham et Adagboto Ezéchiel, ont suivi un an de cours intensifs d’allemand et ont bénéficié d’un voyage en Allemagne financé par la Fondation Vallet. Par ailleurs, Bénin Excellence octroie des bourses d’excellence aux bacheliers méritants pour étudier en France dans des grandes écoles, principalement dans les filières scientifiques.

1 500 consultations par mois et 14 423 consultations au total en 2021

Rapport d’activités de l’association Bénin Excellence.

Défis et perspectives

Les bibliothèques Bénin Excellence collaborent avec des institutions pour offrir des services et des programmes variés. Depuis 2021, le Programme des Nations Unies pour le Développement à travers son Laboratoire d’Accélération des résultats de développement (AccLab) participe à l’organisation de l’école d’été sur l’intelligence artificielle, programme d’un mois réunissant une centaine d’étudiants d’Afrique francophone.

Malgré les succès de Bénin Excellence, des défis persistent, notamment un manque d’éducation à la culture du livre pour les usagers comme l’a affirmé Mme Orelle Padonou, responsable de la bibliothèque FSS. Comme ses collègues, elle signale que certains lecteurs utilisent les bibliothèques pour s’isoler plutôt que pour faire des recherches. « Peu d’usagers savent exactement ce qu’ils cherchent dans nos rayons ». À cela s’ajoute, il y a des problèmes de manipulation des livres, des retards dans les emprunts et même des cas de vols. Pour résoudre ces problèmes, l’intégration des technologies numériques et l’innovation pédagogique pourraient être une solution. À long terme, la création d’un réseau de bibliothèques sera un atout majeur pour l’éducation au Bénin et en Afrique.

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