ARTH 387

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RESEARCH PAPER

YOUR NAME: CALLIGARO VICTORIA YOUR ID: 9721274 (International Student Winter term only)



Après réinterprétation de mes recherches préliminaires, j’ai décidé de m’orienter grâce aux travaux de Tobie Kerridge & Nikki Stott sur ces notions d’hybr-identités pour employer un néologisme. Comme je l’avais souligné auparavant le couple d’artiste nous questionne plus directement sur une marchandisation de portions de corps, de parcelle d’individus.

En mettant à disposition par le biais de leur site web

(http://www.biojewellery.com/) des fragments de corps humain, en l’occurrence de la moelle osseuse, greffés sur des matières inertes objectales, les artistes nous mettent devant le fait accompli. Que doit-on faire de ces objets ? Comment considérer la trace humaine, empreinte cellulaire et la matière organique singulière qu’ils portent ? Ces objets évoquent pêle-mêle, des notions de bioéthique, de rapport au public, de perception d’autrui, de rapport au corps ausculté, objectivisé, exposé, fragmenté. Car où commence l’objet et où commence un corps dans ce lieu

hybride qu’est ce bijou. J’emploie le mot lieu à dessein, car il s’agit bien là d’une situation, d’un contexte où a lieu une rencontre, un mariage plus qu’un alliage entre le biologique humain et l’objet. Dans la façon dont il communique sur son projet, le couple d’artiste ne nous montre rien de ses expérimentations. Le regardeur est amené devant un objet presque produit ex nihilo. Aucune trace de technologies approximatives, aucune empreinte de balbutiements biochimique, l’objet est clos, sans généalogie. En réalité, il fait appel à sa conception en justement la cachant. Le spectateur est invité à ce poser toutes ces questions : comment a-t-il été produit ? Qui sont ses créateurs ? etc. Mais les réponses restent évasives et les


artistes font valoir leur droit au silence comme les alchimistes autrefois, ou d’autres artistes contemporains, je pense à l’œuvre Shibboleth de Doris Salcedo qui n’est pas en rapport avec nos nouvelles technologies mais où la démarche de cacher le procédé mis en place pour produire l’œuvre est gardé secret. Il n’y a donc guère trace de tâtonnement. Le caractère empirique que peut avoir la recherche aussi bien en matière de design, qu’en matière scientifique de cette œuvre n’est pas visible. Nous pouvons dès lors nous demander pourquoi. En recherchant sur cette manière de ne pas dévoiler ses secrets de fabrications, nous tombons soit dans l’ingénierie militaire, soit dans la recherche en chimie à des fins scientifiques obscures soit, à des procédés cosmétiques. Et c’est peutêtre là que ces artistes se situent, à la marge entre toutes ces catégories. Certes ils nous disent quels matériaux ils ont employés, mais font silence sur les expérimentations infructueuses, les essais approximatifs. L’objet est donc un hybride qui aurait donc une autonomie en tant qu’objet et donc plus clairement identifiable dans notre environnement. C’est un objet, qui peut être qualifié de bijou, et qui donc en appelle à tout un système de marchandise, de commercialisation qui lui est coextensif. Là, en plus de venir nous interpeller sur cette habitude dans le champs de l’art contemporain de montrer la genèse et l’acte de création d’une œuvre, Kerridge et Stott nous convoque des notions de marchandisation, non seulement de l’œuvre d’art mais aussi celle de fragment de corps humains. Bien sûr ce travail pose des questions de bioéthiques fondamentales dans ce champs d’investigation contemporain que sont ces nouvelles bio-technologies (ici l’Art Tissulaire notamment), mais le couple d’artistes se tourne aussi résolument vers le Design qui est souvent et peut-être à tort, considéré comme le parent pauvre de la pratique artistique.


Ici le visiteur est confronté à un hybride, ni vraiment vivant ni vraiment inerte. Un objet qui contient des cellules humaines qui ont épousé la forme de l’objet matriciel. Certes les artistes font en clin d’œil un rappel aux premiers objets confectionnés par l’homme qui ont été élevés au rang d’œuvres d’art, bien plus loin que de l’utilisation triviale dont ils pouvaient relevés (je penses aux couteaux d’os, aux aiguilles d’arrêtes de poissons etc.). Ce n’est pas sans une ironie très contemporaine, que les géniteurs de cette forme hybride nous expose un objet qui relevant de la même matérialité est désormais dans notre culture confisqué par l’ornement, par le gadget très haute technologie. En regardant à travers le prisme du Design, depuis lequel nous pouvons aussi considérer cette œuvre comme tant d’autres qui relèvent à chaque fois des avant-gardes, nous percevons encore d’autres aspects de cette Biojewellery. Le texte de Dunne Anthony et Raby Fiona (2) nous expose par ailleurs bien comment, avec des exemples à foison d’autres artistes, une œuvre d’art vient renégocier, rediscuter des frontières acquises dans l’opinion, mais aussi dans le champ de la pratique artistique. J’attache aussi une certaine importance à tirer ce type d’œuvres vers le terme d’ avant-garde, car n’étant pas directement phagocytées par le terme d’Art. Dans l’ « état » d’avant-garde − comme il y aurait un état gazeux, liquide et solide d’une matière − d’une œuvre, elle reste encore ouverte à des interprétations qui ne relèveraient pas uniquement du champs de l’Art. C’est une temporalité où l’on s’autorise, même si le milieu d’où l’on commente cette œuvre s’éloigne de l’Art, à l’interpréter, à la théoriser à l’aune des pratiques qui déterminent notre champ. C’est ce qui peut là encore caractériser cette œuvre, une plasticité esthétique et scientifique. Une malléabilité formelle et théorique donc. Intrinsèquement la matière moelle osseuse va recouvrir la forme générée à la genèse de l’œuvre. Une forme


du vivant et des formes intrinsèques au design qui désormais sont interdépendantes dans cette œuvre. Une fois de plus nous sommes amenés à nous demander quel est le statut de cette œuvre ? Où commence le vivant et où finit l’objet ? Qu’arrive-t-il si cet objet, cette création de Design, est amenée à être dupliquée ? Comment considérer les bribes du corps qui la composent ? Comment le caractère personnel, individuel se rattachant au corps ainsi impliqué, s’exprime dans cette œuvre ? Le texte de Inat Zurr, et plus spécifiquement son introduction et la partie intitulée «

Semi-Living Entities », peut nous aider dans ce questionnement à

défricher certains cheminements de pensées. L’ hybride créé est justement là pour soulever ces questions. Comme tous les plasticiens de ce nouveau domaine, l’acte même de faire exister ces objets, sur un no man’s land entre Art et avancées techno-scientifiques, nous faire prendre conscience de certaines dérives ou bond technologiques, soulève des questions sensibles quant aux modes de lecture de ces œuvres (scientifique, contemplatif, politique, religieux, social etc.), mais surtout nous montre dans quel contexte ces objets seront amenés à voir le jour dans notre société. Ici, on n’y échappe pas, c’est le système de marchandisation. Cette œuvre cristallise aussi une néo-régression sur l’aspect de la marchandisation du corps humain et plus précisément celui de la femme véhiculé par l’aspect « bijou » de l’œuvre. On a affaire avec un produit issu d’une haute technologie qui n’a ni de nom autre que son brand-

name, ni de figure quant à son donnateur de tissu organique. Une bribe d’un corps inconnu que l’on porte au poignet comme signe de préciosité technologique comme pourrait le définir Roland Barthes (4).


Cette œuvre fait apparaître en transparence plusieurs notions, dont celles du caractère personnel et intime d’un corps, et de l’autre une objectivisation aux limites de la commercialisation. Ce n’est plus une relation classique, triangulaire entre l’œuvre, l’artiste et le regardeur comme je l’ai déjà avancé dans mes recherches préliminaires, mais bien une relation à quatre où vient se greffer un individu inconnu sur le mode du fragment avec cette présence par la matière organique qui compose l’oeuvre. Oron Catts , l’auteur de Biomediale (5) dans la partie « Fragments of the collective Known as the Body Can be Sustained Alive Separately » nous explique bien comment l’aspect fragmentaire de la notion d’un corps peut le rendre anonyme et utilisable.

encore nous sommes amenés à relire cette œuvre en la contextualisant dans un cadre commercial. Ce système marchand qui de façon inhérente à son fonctionnement problématise les idées de propriété (ici d’un corps).

Ce qui peut être frappant dans cette œuvre et surtout avec les outils mis en place par les artistes, c’est l’efficacité du dispositif. Une efficacité redoutable, qui là encore emprunte aux langages séduisants de la publicité, de la commercialisation de l’objet. Les photographies qui exposent l’œuvre sont propre, voire même mise en scène.

Cette œuvre n’est pas seulement à la pointe de la technologie tissulaire, elle est aussi sur une crête. Cette crête, jonction précaire mettant à mal notre équilibre entre ce qui relève de l’art, du design, de la recherche scientifique (ici précisons : médicale). Aiguisée mais à double tranchant elle veut se jouer des codes qui sont à l’origine même de sa création (recherche technologique et fins commerciales). Nous sommes donc amenés à considérer


jusqu’au mode même de lecture de cette œuvre cet objet tangible, avant-courrier envisageable et réaliste

(1) Kerridge T. and Stott N., 2006. On their Biojewellery Project in association with the Royal College of Art. Internet. Accessible à l’adresse : http://www.biojewellery.com/; consulté en Février 2010 http://www.biojewellery.com/ http://www.materialbeliefs.com/biojewellery/project6.html http://www.architectradure.com/wordpress/wpcontent/uploads/2008/05/group.jpg

(2) Dunne, Anthony et Raby, Fiona, 2005. TOWARDS A CRITICAL DESIGN: Consuming Monsters: Big, Perfect, Infectious. dans Le Design Aujourd'hui, Centre Pompidou, France 2005 (essai ed. Centre George Pompidou, Paris, 2005). Internet. Accessible à l’adresse : http://www.dunneandraby.co.uk/content/bydandr/42/0 ; consulté en Février 2010.

(3) Ionat Zurr. “Complicating Notions of life – Semi-Living Entities.” In BioMediale: Contemporary Society and Genomic Culture. Edited by


Dmitry Bulatov. Kaliningrad, Russia: The National Center for Contemporary Arts, 2004., pp. 402-411.

(4) Barthes Roland, ‘’Mythologies’’ (5) Oron Catts. “Fragments of Designed Life – The Wet Palette of Tissue Engineering.” In BioMediale: Contemporary Society and Genomic Culture. Edited by Dmitry Bulatov. Kaliningrad, Russia: The National Center for Contemporary Arts, 2004. pp., 412-421.


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