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Remous sur la civelle de Loire Vi n c e n t Va r r o n
La pêche à la civelle, une tradition ancrée dans l’estuaire de la Loire, a fait la fortune de ses pêcheurs jusqu’à la récente raréfaction des stocks, due à la surpêche et aux aménagements lourds de cette zone. D’importants programmes sont aujourd’hui lancés pour permettre le retour des anguilles.
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es anguilles ont longtemps entretenu les légendes. Elles seraient nées dans les entrailles de la terre selon le philosophe Aristote. C’est à partir de 1896 que deux savants italiens, Grassi et Calandruccio, percent une partie de leur mystère en découvrant une larve leptocéphale, la forme larvaire de la civelle et de l’anguille. Johannes Schmidt, océanographe danois, poursuit les recherches en explorant l’Atlantique pendant vingt ans à la recherche du lieu de ponte de l’anguille. En 1922, il dévoile au grand jour le cycle vital du poisson. Alevin de l’anguille
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européenne (Anguilla anguilla), la civelle apparaît d’abord sous la forme d’une larve leptocéphale. Cette dernière naît de la reproduction des anguilles argentées (anguilles d’avalaison) qui ont migré de l’Europe jusqu’en mer des Sargasses (au large des côtes de Floride). La larve est ensuite portée par les courants marins, pendant une à trois années, jusqu’à se transformer en civelle à l’approche du talus continental des côtes situées entre la Mauritanie et le cercle polaire arctique. L’alevin remonte ensuite les fleuves pour coloniser les bassins versants où il se
transforme en anguille jaune. Cette dernière se sédentarise de cinq à vingt ans selon les latitudes et le sexe. Le cycle s’achève lorsqu’elle se mue en anguille argentée, migratrice et reproductrice. Dans la ville de Nantes, au xixe siècle, les civelles abondent tant il est coutume d’en apercevoir aux becs des robinets des fontaines publiques… Lorsqu’ils ne se sont pas trompés de chemin, ces similis de vermicelle d’environ sept centimètres arpentent le fleuve en cordons de plusieurs centaines de mètres parfois. Cela explique une certaine facilité pour les capturer. Dans l’estuaire de la Loire, entre Thouaré-surLoire et Saint-Nazaire, tout au long de la première moitié de xxe siècle, cette espèce attire des pêcheurs de tout poil. Quand, pendant l’hiver, les autres espèces se raréfient, elle nourrit à bon prix la population ligérienne dans les campagnes. De plus en plus appréciée après la Seconde Guerre mondiale, la civelle va être commercialisée dans les circuits locaux puis nationaux. Le développement de son exportation en Espagne, dans les années 1970, multiplie sa valeur par trente ! Vingt ans plus tard, le marché asiatique fait à nouveau flamber les prix : la civelle se vend au prix du caviar. L’alevin d’anguille fait vivre des milliers de Français et se voit propulsé au premier plan des espèces commerciales artisanales. La France en est le principal producteur, à hauteur de 80 % et le bassin de la Loire, comprenant les côtiers vendéens et la Sèvre