Fontaine Mallet, mémoire d'un quartier

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Fontaine Mallet

MeMoire d i un quartier i

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a Villepinte, Seine Saint denis


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Sur cette résidence qui fête les 40 ans de sa construction, des travaux lourds ont été initiés à partir de 2008, année de signature de la convention ANRU avec la collectivité et les partenaires. La démolition et reconstruction de 260 logements, la rénovation et la remise à neuf des abords de presque 300 logements, signent un changement durable de la résidence. Dès le début du projet, plus de 50 % d’entre vous, habitants de Fontaine Mallet, vous êtes exprimés au travers d’une enquête lancée avant de commencer les travaux. Vous nous avez fait part notamment de votre insatisfaction concernant la sécurité au sein de la résidence et l’ancienneté des immeubles. Lors du démarrage du processus de relogement, les trois quarts des ménages concernés ont souhaité rester à Villepinte, plus d’un tiers à Fontaine Mallet. Nos équipes ont ensuite rencontré les personnes une à une, pour recueillir leurs vœux. Finalement, environ un tiers des ménages relogés habiteront probablement le quartier à

la fin des relogements, et environ 80% seront restés dans la commune. Nous vous avons ensuite interrogé sur le projet de résidentialisation, en lien avec la collectivité. Vous avez alors majoritairement opté pour des aménagements favorisant le végétal sans négliger la sécurité de votre résidence. Parallèlement, un groupe d’habitants relais s’est mobilisé dans la durée, pour travailler avec nous sur différentes thématiques pendant la définition des programmes de travaux, puis durant leur réalisation. Ce groupe fut également associé à la préparation de quelques unes des lettres d’information publiées au fil des travaux, ainsi qu’au guide Bien vivre dans ma résidence. Différentes réunions, forums d’information, permanences d’accueil, événements festifs sont venus ponctuer l’avancement de cet important projet, en partenariat avec la municipalité. Aujourd’hui les bâtiments réhabilités offrent un tout nouveau visage. Après d’importants chantiers souvent longs

et difficiles, la résidence Fontaine Mallet peut vivre une nouvelle jeunesse. Par ailleurs, deux nouvelles résidences EFIDIS sont sorties de terre sur le quartier, les résidences Gauguin et Charles de Gaulle. Elles seront prochainement suivies par deux autres, parallèlement aux derniers aménagements et équipements publics programmés. Vos témoignages, recueillis dans ce livret, nous disent à quel point vous êtes attachés à votre quartier et combien le fait de se sentir bien dans son cadre de vie est fondamental. Ce projet ambitieux de rénovation d’un quartier, malgré ses contraintes et ses moments difficiles, a pu voir le jour grâce aux habitants, aux équipes d’EFIDIS, aux équipes de la municipalité, à l’ensemble des partenaires dont l’ANRU. Qu’il me soit donné ici de les remercier tous. Marie-Claude Touitou, Directrice régionale EFIDIS

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J’ai fait une recherche, un petit reportage : J’ai appris qu’il y a des extra-terrestres au loin ! Il n’y a pas que le 93 ! Il y a des extra-terrestres et ils parlent à cette heure-ci... Ils communiquent entre eux et ils ont le projet de venir communiquer avec le 93 ! Et vive la tainefon ! fontaine, tainefon ! 9-3 ! 9-3 !

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Arrivée de Liliane

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J’ai signé mon contrat de location un an après la naissance de mon deuxième fils. Je vivais en caravane dans un garage où habitait ma mère et j’ai eu droit à mon appartement, j’étais toute fière toute contente ! Quand je l’ai vu, c’était un F4 ! Hou, moi qui étais habituée aux tout petits logements ! Mais jamais je vais réussir à meubler tout ça moi !

Ca a été ma première inquiétude. On a posé des meubles de guingois et hop, chacun son carton. J’ai attendu d’accoucher de ma fille puis j’y suis entrée le 1er novembre 1971. Ça fait beaucoup... Beaucoup d’amour et beaucoup de soucis, beaucoup d’émotions... J’avais 25 ans... J’en ai 65, vous voyez un petit peu. On n’avait qu’un matelas ! Vraiment c’était presque le camping. Mais c’était grandiose... Je me suis fait amie avec les voisins, enfin les voisines, on avait à peu près toutes le même âge, alors on allait boire le café les unes chez les autres, il y avait une bonne ambiance !

Arrivée de Monsieur Chih Mes parents se sont installés à la Fontaine Mallet un mois d’avril, en 75. C’était tout récent, c’était tout propre, c’était aéré, il y avait beaucoup d’espace... Nous on découvrait, il y avait de la verdure un peu partout, il y avait de grandes portes vitrées... Il y avait une assez bonne qualité de vie, je dis assez bonne parce que quand je me remets en mémoire les années 65 quand nous sommes arrivés à Villepinte, on habitait au bout d’un petit champ, il n’y avait pas de commodités...


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Arrivée de Zakia

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Ma mère, quand elle est arrivée ici, c’était le luxe ! Il y avait une salle de bains, il y avait l’eau courante, il y avait l’électricité... Mes parents habitaient dans des petits baraquements à Sevran qui étaient de vrais taudis, là-bas elle n’avait pas tout ça... J’ai vécu à Fontaine Mallet depuis février 72, j’avais 3 mois, j’étais la 8e des enfants, c’était un très grand appartement, un F5, ma mère habite toujours là. La tour du milieu était encore en fin de construction, et tout ce qui était la mosquée, là où il y a les pavillons en face de chez nous, ce n’était que des champs, des champs de maïs... Après, ça a commencé à se construire.


Arrivée de Naïma Je suis née en 65 et je suis arrivée en 72 à la Fontaine-Mallet, avec mes parents, au bâtiment Savoie 4. On était dans les premiers, on était très peu, donc on se connaissait tous, on était tous amis parce qu’on arrivait tous en même temps. J’avais sept ans quand je suis arrivée et j’y suis restée pratiquement tout le temps. Je me suis mariée en 86, je suis partie en 88 - partie sans être partie, parce que j’étais tout le temps chez mes parents. Toute ma famille est à la Fontaine Mallet : mes oncles, mes tantes…

Arrivée d’Olivier Je suis arrivé en 76 à la Fontaine Mallet, moi j’habitais en face de chez Jackson, au Touraine, 7e étage ! C’est mon père qui a entraîné la première équipe de jeunes que personne ne voulait entraîner au départ. J’ai tout vu se construire ici. J’ai encore une photo, il y avait juste un feu rouge au carrefour, il y avait des champs de maïs en face, à la place des écoles.

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Arrivée de Monsieur Carpentier On est rentrés en septembre 73, j’y suis resté jusqu’en avril 77. Dans l’immeuble Poitou, on était les premiers, on inaugurait l’immeuble. Les appartements étaient très bien, mais je ne sais pas comment ça a vieilli. On est restés dans le quartier, on a gardé des liens au niveau de l’école.


Arrivée de Madame Pouchin

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J’habite Villepinte depuis 1955, à côté de la Fontaine. Quand j’étais enfant, avant que cette cité n’existe, c’était un champ de pommes de terre. Tous les enfants, on se retrouvait pour aller glaner les pommes de terre. Une année le paysan avait tiré en l’air pour nous faire peur ! Mais quelques minutes après nous sommes tous revenus... J’ai vu tous les immeubles se construire.

Arrivée de Farid Je suis arrivé en 72 à la Fontaine Mallet. Quand je suis arrivé au bâtiment Auvergne, le Poitou n’était pas construit — il y avait énormément de bâtiments pas encore construits. C’était bien parce que c’était les parents d’ici qui construisaient les bâtiments, énormément de parents qui habitaient ici et qui travaillaient dans le BTP.

Arrivée de Madame Passagez Je suis arrivée en 1985, j’avais trois enfants, la 4e est née ici.

Arrivée de Monsieur««Toulouse»« Je suis arrivé en 79, je ne suis pas d’ici, je suis de Toulouse moi. J’étais avec mes parents dans une ferme, on était sept en tout.


Arrivée de Monsieur Joao Catanas Le premier homme qui est entré à Fontaine Mallet c’est moi, en 71 ! Mais quand je suis arrivé ici il n’y avait rien du tout ! Il y avait seulement le bâtiment Bretagne, après ils ont commencé à faire les autres. Quand je suis arrivé il n’y avait que des champs de maïs, de blé, des pommes de terre, tout ça ! Avant je vivais à Aubervilliers du côté du canal, dans les bidonvilles. Là-bas c’était dur, mais on connaissait tout le monde, il y avait du respect : on laissait la porte ouverte, on n’avait pas de clé, mais personne ne touchait rien. Après je suis venu ici et j’y suis jusqu’à maintenant. J’ai vécu 43 ans dans le premier bâtiment qu’ils ont fait tomber, maintenant je suis là-bas par derrière. Ici j’ai encore un ami que je connais depuis 60 ans ! On a tout fait ensemble : le Portugal, l’Espagne, Aubervilliers... Et quand je me suis installé ici, il a suivi derrière ! Ça c’est des vrais copains, des vrais amis !

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Arrivée de Madame Dutreuil Ça fait quarante ans au premier juillet que je suis là. Je suis arrivée le 1er juillet 1971. Dans le bâtiment, j’étais la première. Une chose est sûre je suis du 93 : je suis née au Raincy. Après j’ai été habiter à Pavillons-sous-bois, ensuite Bobigny, quatre ans à Paris puis je suis revenue à Villepinte et depuis je suis ici. On a été les premiers à choisir et je n’ai jamais bougé, j’ai eu mes trois gosses, tout, ici. Tout ça là, jusqu’à la grille, jusqu’au bout là-bas, il n’y avait pas de route, ce n’était que de la Fontaine Mallet, ce n’était que de l’herbe, il y avait des montagnes, on avait des arbres partout, c’était la Fontaine Mallet.

Arrivée de Madame Aous, Zohra Je suis entrée en France en 1978, je vivais à Paris, et je suis arrivée ici en 1985. On se baladait c’était la campagne. Puis on a trouvé un Shopi, qui est en face du café, un bureau de tabac, une librairie, et une boulangerie, c’est tout. Avant on était mélangés, dans chaque bâtiment on trouvait des familles de policiers, des gendarmes, des instituteurs, ceux qui travaillent à la poste… A l’école les enfants étaient mélangés : il y avait des Portugais, il y avait des Espagnols, il y avait des Français il y avait des arabes il y avait des noirs... Mais on ne regardait pas d’où est-ce que tu étais, qu’est-ce que tu faisais, on était tous bien. On était bien.

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Arrivée de madame Tomé Je suis une des premières locataires à Fontaine Mallet, il y a 41 ans ! Savez-vous que ici et là où on était là où c’est détruit, c’était des champs de maïs ! Et je me souviens avec mon mari on se disait tous les deux : Oh tu te rends compte ce qu’on fait ? Bien sûr on fait rien de mal mais si quelqu’un de la police arrive on va se faire appeler Sidonie les bas bleus ! Alors on était dans les champs de maïs, on avait pas le droit, on pique-niquait !

Arrivée de Pascal Bonturi Fontaine Mallet c’était un super quartier quand on est arrivés, pour autant que je me souvienne. J’étais tout petit. Ce que je retiens ce sont les écriteaux ‘‘ Interdit de marcher sur les pelouses ‘’, aujourd’hui on ne voit plus ça ! On trouvait toutes les cultures, on avait un peu tout. Au début elle était un peu grise, bleutée. Il n’y avait que des champs autour. Tout ce qu’il y a là, là où on est, c’était des champs. Champs de maïs, champs de blé, avec des lacs naturels qui se sont créés à force de creuser.

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Madame Tomé Il n’y avait que des champs : maïs, pommes de terres...

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Il y avait beaucoup de trembles, des arbres dont les petites feuilles tremblent quand il y a du vent, (c’est pour ça que la ville de Tremblay s’appelle Tremblay), et il y avait des pins. Essentiellement des pins, des trembles, un saule pleureur, il y avait beaucoup beaucoup d’arbres.

Liliane

Il y avait de la verdure un peu partout... La ville de Villepinte était un vaste champ !

Monsieur Chih

Madame Dutreuil Il n’y avait aucun bâtiment, le collège n’existait pas, tout ça n’existait pas, ici ce n’était que des champs, c’est pour ça que ça s’appelle la Fontaine Mallet. Il y a des rivières souterraines qui passent en dessous, nous on est sur une rivière souterraine ici.

La Fontaine Mallet, en 72, et jusque dans les années 80, c’était une résidence très propre, très calme.

— Et il y avait une petite rivière qui passait par ici, oui

A la base c’était sensé être une résidence, au fil du temps c’est devenu une cité.

— C’était de l’eau propre, hein ! De l’eau de source !

Joao et son ami

— C’est possible qu’il y ait eu une rivière hein !

Farid

Naïma

Gwendoline

Moi au début j’étais fière de marquer ‘’Résidence’’ sur mes courriers, après au fil des années et des dégradations je ne le mettais plus ! J’ai vite tombé l’appellation résidence !

Madame Passagez


On avait de quoi faire dehors, il y avait de l’herbe partout, il y avait des jeux, les gosses pouvaient jouer dehors partout... On avait une espèce de muret qui était haut comme ça, le soir, on s’asseyait làdessus, on discutait, vraiment c’était impeccable. On allait dehors, on se mettait sur l’herbe…

Madame Dutreuil 23


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À cette époque-là a été construit le COSOM, le gymnase où on a fait pas mal de compétitions sportives. Avec à l'époque une grande baie vitrée qui donnait sur la cité, qui permettait aussi aux autres habitants de voir ce qui se passait dans le gymnase. Là maintenant, je crois que le mur est borgne, c'est peut-être un peu dommage. Fontaine Mallet a une réputation épouvantable à Villepinte, la cité telle qu’on en parle, mais nous en tant que frontaliers de la cité, on n’a jamais eu de soucis, de problèmes de proximité. C’était un quartier tranquille, finalement, parce que je n’ai pas d’anecdotes, bonnes ou mauvaises...

Monsieur Carpentier

Madame Dutreuil Les hommes se retrouvaient pour jouer aux boules. C’était autre chose, on se voyait plus, on s’appelait par la fenêtre... C’était l’époque où les pères étaient au café et puis nous au collège ou à l'école, et les mères... à la maison. C'était ça avant.

Rosa

Nora

Les souvenirs, il y en a des bons, il y en a des mauvais... Mais je ne suis pas mécontente, j’aime bien. 25

Je préférais nos bâtiments gris, avant. Zakia

On jouait à la pétanque ici, aux dominos, aux cartes… Il y avait une salle ouverte de l’autre côté, une autre là-bas, et le samedi dimanche, il y avait la danse !

Au début elle était un peu grise, bleutée. C’était une chic cité en fait.

Avant c’était bien, il y avait du monde, et tout...

C’était une famille, c’était une famille. Le quartier c’était une grande famille, c’était ça.

Joao

Youssour

Pascal

Mehdi


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Madame Pouchin

Ce qui m’a fait le plus drôle, c’est de me retrouver institutrice sur cette école. Pendant les récréations je me disais : ‘’ Dire qu’avant je glanais les pommes de terre et mantenant je me retrouve à éduquer les enfants ! ‘’ Le groupe scolaire a été construit en 71, et je suis arrivée comme institutrice à la rentrée scolaire de 73. J’y suis restée jusqu’en 2006. Les deux dernières années j’ai assuré le poste de directrice. Autant vous dire que j’y ai passé presque toute ma carrière ! Je me suis investi sur cette école, j’ai eu le sentiment d’avoir quelque chose à faire. J’aurais pu partir, mais non, c’était Villepinte et Fontaine Mallet. Au fil des années des liens d’amitié se sont tissés avec les familles, c’est devenu ma famille. On est passés en zep à un moment donné, et dans mon esprit c’était :

‘’ Tous capables ! ‘’ . Moi j’ai été en échec scolaire, donc je me suis toujours dit qu’il fallait donner le plus et le meilleur. Ce n’est pas parce qu’on était sur une cité qu’il fallait rabaisser le niveau, au contraire. Il y a toujours eu un travail d’équipe en avance. L’école a ouvert à 4 classes, puis 6, 8, 10... A l’époque c’était 40 enfants par classe ! C’était difficile mais mélangé : il y avait la zone pavillonnaire, puis ceux qui habitents les Merisiers ou les 4 tours qui venaient là. Il y a eu une période où on a fait une soirée dansante au profit de la coopérative à l’école. On l’a fait pendant dix ans, ça devenait une fête de quartier. En tant qu’élue, j’ai célébré des mariages de mes anciens élèves, ça c’est émouvant.

Christelle Moi j'ai connu la maternelle Fontaine Mallet, la primaire... Aujourd’hui elle s'appelle Lucie Aubrac mais pour moi ça restera toujours Fontaine Mallet, parce que je l'ai connue comme ça ! Moi j'étais à l'école avec des personnes dont les enfants étaient à l'école avec les miens, il y a des continuités... Certains sont partis, revenus...

Rosa

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Liliane

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Dans les années 70, 80, je faisais des boums et j’invitais les enfants, c’était le bon temps ! Une fois je me suis retrouvée avec quarante enfants à la maison ! — Est-ce que vous avez gardé vos 45 tours ? — Oh, je n’en ai plus beaucoup : Nana Mouskouri : L’amour en héritage, Pétula Clarck : C’est l’amour, Johnny Halliday : Pour ceux qui s’aiment… Bill Haley... Adriano Celentano... Il était jeune à l’époque ! Patrick Hernandez, Bananarama...

Il y avait beaucoup de fêtes, on se réunissait, on discutait, il y avait beaucoup de choses qui se passaient ! Il y avait quand même des petits bals comme on faisait dans le temps, on faisait beaucoup de petites fêtes comme ça.

Madame Dutreuil

On avait des kermesses qui se faisaient au milieu de la cité.

Zakia


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Madame Dutreuil Qu’est-ce qu’on a eu comme boutique, ici ? Comment s’appelait la boulangère, déjà ?

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On avait une épicerie ambulante, une estafette... Il s’appelait Monsieur Dambrune, il passait le midi. On faisait la queue, comme dans le temps. Et quand on a eu le Franprix, alors là on était contents. C’était en 73.

Liliane

Le Franprix c’était toute une ambiance, comme c’était à l’époque dans les magasins, où on faisait crédit. Où on pouvait rentrer le caddie. On prenait le caddie plein et hop, on allait à la maison avec... Et où les gens ont travaillé : moi j’ai travaillé là-bas, d’autres personnes de Fontaine Mallet y ont travaillé. C'était très familial, ça c'était une règle générale à l'époque. Le magasin, c'était un lien entre les familles. Alors ça a été Franprix, après le Corsaire, ensuite Shoppy... Il y avait beaucoup plus de vie autour. Et puis après c'était tout et n'importe quoi... À la fin plus personne n'y allait vraiment.

Rosa

Il y avait un commerce qui a pris plusieurs enseignes. La dernière supérette a fermé il y a cinq six ans, il faudrait vérifier, et depuis il n’y a plus rien. Là il y avait un parking, et il y a eu une tentative, vers 73, 77, d’en d’implanter un marché. Mais ça n’a pas fonctionné très très longtemps, et les locaux ont été transformés en conservatoire de musique. Ma fille a suivi des cours là et passé des bons moments.

M. Carpentier


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Il y avait le marchand de glaces... Ah, Monsieur Pons, avec un camion jaune... Un petit bonhomme très gentil, âgé ! Toujours une petite casquette, des cheveux blancs. Je me souviens. C’était de famille, il venait d’Italie apparemment. On appréciait parce qu’on n’avait pas souvent des glaces à l’époque. Nos parents n’avaient pas les moyens… Dès que ma mère nous donnait un franc, on avait la glace, et si on rajoutait 20 centimes, on avait en supplément de la chantilly... Il n’y en avait pas souvent de la chantilly ! Mais même quand j’achetais le cornet vide, j’étais contente.

Zakia

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Monsieur Pons, c’était deux frères jumeaux. Et quand on avait un franc ou deux, on achetait notre glace. Tu te rappelles, c’était un Renault trafic. Il ouvrait la vitre, et hop, il nous servait les glaces.

Mehdi

Liliane Tous les gosses, quand ils entendaient la musique du marchand de glaces, tout de suite ils venaient. Mais c’était comme ça avant. C’était comme ça.


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Nordine

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Il y avait des petites montagnes, quand on était jeunes on bâtissait des petites cabanes... On n’avait pas besoin d’argent, on n’avait besoin de rien ! Deux pommes de terre, du maïs et on faisait nos affaires.

On ramassait tout ce qu’on trouvait, et on faisait des cabanes làdedans ! Un jour on a pris des maïs dans un champ près d’Attac, et on a fait un petit feu pour les faire griller.

Il y avait la marre aux têtards dans le champ... On allait ramasser les têtards. On prenait des bouteilles vides, dans la mare on prenait tous les têtards et on les mettait dedans. Après on les rejetait dans l’eau.

Zakia

Et puis on allait voler le maïs ! Que Dieu nous pardonne !

Mehdi On faisait partie de la bande des champs, nous ! Tout à côté du Cosom, il y avait un champ. Tout gamins on jouait là. Et puis après il y a eu le trou du diable où il y avait la poudrière de l’époque de la seconde guerre mondiale. C’était Charlie Ingalls, la petite maison dans la prairie, c’était le top !


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Tu te souviens les radeaux ? Ils ont commencé à construire, il y avait de la flotte sur les fondations... On prenait de gros morceaux de polystyrène, l’eau coulait, et on se poussait, on se mouillait... Avant, dans les halls, il y avait un tout petit radiateur. On se mettait en slip et on mettait le froc dessus ! C’est infaisable aujourd’hui ! Il fallait que ça soit sec avant qu’on rentre, sinon la mère nous tuait ! On avait les pantalons pleins de terre en bas.

Mehdi

Farid Tu te rappelles les égouts, Mohamed ? Les égouts étaient reliés, chaque cave avait un égout, on passait d’une cave à l’autre, on jouait le rôle des égoutiers, on se retrouvait de l’autre côté là-bas, près du commissariat...

Nordine On avait une bande qui s’appelait les Crapulax, on faisait des chasses à l’homme : on devait se cacher dans tous les bâtiments, c’était en été, et les autres devaient les trouver dans toute la cité. On avait tous ces jeux-là.


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Nordine C’était par bâtiment. Même quand on jouait au foot, il y avait le terrain de foot au milieu là, on jouait les Savoie contre les Béarn, on faisait des tournois, les Savoie contre les Bourgogne, etc. 40

Nora Et à l’époque on faisait beaucoup de matchs de foot avec les garçons. On était très en complicité avec eux, il n’y avait pas de filles garçons, on était un mélange, on était une famille : on était frères et sœurs, cousins cousines…

On jouait au foot là, les cages c’étaient les halls.... Mais on jouait à peine cinq minutes et après le voisin sortait : ‘’ Allez jouer là-bas ! ‘’ On a cassé des carreaux aussi sans le faire exprès, on a joué un peu à tout…

Nora


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Nora A la place du parking là, il y avait une colline. Une colline verte. Et quand il neigeait, on prenait les couvercles de la poubelle, on s’asseyait dessus et vvvhhhoum ! — On faisait des trous par terre, on jouait aux billes, tu te rappelles ?

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— Moi je me souviens qu’on a beaucoup joué en dessous de chez toi, et en dessous de chez moi aussi, enfin entre les deux. On jouait au base-ball et on jouait beaucoup à Un, deux, trois, soleil, la balle au prisonnier, le facteur… — On prenait des capsules de bière, tout ce qu’on trouvait, parce que ça faisait un bruit dès qu’on tapait, on innovait à chaque fois…

Zakia et Madame Esaad

Avant il y avait un milieu de la cité, maintenant il n’y a plus de milieu, parce que les seuls milieux, ils en ont fait des parkings. Donc il y avait un milieu où on pouvait se rencontrer, c’était justement là qu’on jouait au foot, c’était nos terrains de jeux… Nos parents achetaient des bouteilles de limonade en verre, et on avait le droit de les consigner. On prenait un sac plastique, on ramassait toutes les bouteilles qu’on pouvait. On cherchait le maximum de bouteilles, quitte à faire les poubelles, on les rendait et on avait de l’argent. Ça c’est un souvenir qui me reste.

Zakia

Mehdi Nous on prenait les vélos, on se donnait rendez-vous le samedi matin, on allait à Jablines. On prenait les vélos à une vingtaine ! On les fabriquait nous-mêmes, il y avait Armando qui était balèze en mécanique... On récupérait une fourche là, une roue ici, là-bas, et on partait le matin à 7h pour Jablines toute la journée. Il y avait un grand bac à sable avec un toboggan, c’était l’époque où on a fait les 400 coups... Il y avait un tourniquet, il n’y en a plus beaucoup maintenant, des tourniquets…

Zakia


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Nora

Des souvenirs, il y en a plein ! Ce qui nous a marqué ? La police ! Trop de police ! Mais ça aussi ça reste dans les souvenirs, la police... Des souvenirs, des souvenirs, il y en a plein, plein…

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Quand on avait pas cours on était dans les halls, à l’époque on faisait beaucoup ça, il n’y avait pas de salle ni tout ça. Pour nous, la Fontaine Mallet ce n’était pas ce côté-là, c’était l’autre côté. Certains préféraient ce côté-là, d’autres l’autre côté, on restait dans nos limites.

Rosa

Après c’était les conneries, on faisait des petites bêtises…

Nordine Aux Savoies, on avait nos jeux à nous : on avait un copain qui s’appelait Gassama, tous les ans il organisait les Jeux Olympiques. Il nous faisait faire une espèce de concours, il y avait un trajet à faire, des courses... Et on gagnait des images. Les samedis et dimanches on se retrouvait en bas du bâtiment, et on allait chercher du travail au marché. Déballer, remballer, c’était 25 francs. On achetait des gâteaux, ou on allait aux après-midi dansantes. Et tous les étés on travaillait pour aller en vacances ensemble. Un été on a été tous travailler chez Citroën.

En août 87, j’avais 17 ans, il y a eu un casting ici pour le film Pause Café. On a été six à être retenus, on a tourné une après-midi on a reçu 250 francs ! C’était énorme ! — Et quand vous avez grandi ? — Quand on grandit, on commence à connaître les filles ! Il faut savoir qu’on n’allait pas avec les sœurs des copains, c’était une barrière. Quand on sortait c’était avec les filles de l’extérieur. On avait les boums, des après-midi dansantes à 25 francs. C’était un DJ qui habitait ici, un grand de chez nous qui organisait ces après-midi dansantes... Là il y avait des filles de tous les quartiers, et il y avait des rencontres, évidemment.


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Liliane et Madame Dos Santos — Mon mari venait d’Italie... — Le mien était portugais. Je suis né ici, j’ai grandi ici, j’ai vécu ici, j’ai tout fait ici !

Youssour 48

J’ai 21 ans, j’habite à Villepinte City plage ! Je suis né ici, j’ai grandi ici, j’ai tout fait ici, jusqu’à l’âge de trente ans.

Nordine

Avant, mes parents habitaient en bidonville. Zakia Une chose est sûre, je suis du 93 : je suis née au Raincy.

Madame Dutreuil

Chez nous, on est bretons !

Madame Tomé

J’habite à la Fontaine Mallet depuis sept ans, je crois.

Un enfant

Mes plus proches voisins étaient maliens.

M. Chih

On trouvait toutes les cultures, on avait un peu tout.

Pascal


Lassana

J’habite ici depuis que je suis né, depuis toujours !

M. Toulouse

— Je ne suis pas d’ici, je suis de Toulouse moi !

Cheikh

J’ai 21 ans, j’habite à la Fontaine Mallet depuis toute mon enfance

— Ben moi je suis du Portugal, et pourtant je suis d’ici !

Joao

Mes parents étaient espagnols.

Rosa 49

Avant j’étais à Aubervilliers.

Joao

Nous on vient de Bejaia, dans les montagnes....

M. Chih

J’ai douze ans, j’habite ici depuis douze ans, j’y suis né quoi...

Papus


Farid

— Qu’est-ce que tu aimes dans ce quartier ? — Ce quartier ? Eh bien j’ai grandi ici, j’ai vécu ici... Ça fait 39 ans quoi ! J’aime les gens, j’aime la mentalité des quartiers. Parce qu’on nous parle toujours de la mentalité des quartiers en négatif ! Non, moi je trouve que le quartier de la Fontaine Mallet, c’est joyeux.

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— Madame Tomé ? C’est moi ! C’est Liliane ! Madame Scott ! — Ah bon ? — C’est moi, madame Scott ! — Madame Scott ? — Oui ! Vous pouvez m’ouvrir s’il vous plaît ? — Oui, je prends la clé ! — D’accord. — Une seconde hein, parce que je ne sais pas où je l’ai mise. — Pas de problème ! — J’arrive. (...) — Les jeunes, ils vous en ont fait voir, hein? — Oh oui ! Mais je ne me laissais pas faire ! Je leur ai dit de ces choses... incroyables ! Et maintenant quand ils me voient ils s’arrêtent : Montez, madame Tomé ! — Vous voyez qu’ils vous aiment bien quand même ! Oh oui ! Et ils m’ont répondu : On

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Liliane et Madame Tomé aimait vous faire rager ! Et comme ça marchait bien, alors on y allait… Mais maintenant ils se sont excusés ! Ah oui ! Il y en a même beaucoup ! Des fois ils font marche arrière, ils reviennent. Et quand ils peuvent m’emmener faire les courses, ils m’emmènent.


Mehdi et son frère C’était une petite mémé qui habitait Fontaine Mallet, et à l’époque le quartier était mal aimé. Il y avait la toxicomanie, tout ça… Et quand le 607 passait en direction de la gare, l’un de nous prenait son sac et on la montait, on l’asseyait... Les gens

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étaient bloqués ! Ils voyaient quoi ? C’est des voleurs… Elle, elle était... pas protégée, mais respectée. Ah, c’était le top. Il y avait madame Jacques aussi, qui vendait les bonbons. Elle vendait des bonbons chez elle pour éviter que les gamins traversent la route et se fassent écraser... C’est vrai que la rue était dangereuse pour les mômes, et tout le monde allait chez elle.

Madame Margueritte, à l’époque elle devait avoir 70 ans, si ce n’est pas plus. Elle est décédée à plus de 90 ans, et cette dame-là, on aimait bien aller faire ses courses, parce qu’elle nous donnait un petit bonbon, elle nous racontait des histoires. Donc je veux rendre un grand hommage à ces deux grandes dames : Madame Margueritte et Madame Jacques. On ne les oubliera jamais. Et ça aujourd’hui, qui c’est qui le referait ?


Quoi d’autre ? Le petit commissariat ! Qui était petit le commissariat, pour une cité comme la nôtre. On nous mettait pas à 15 dans la cage, parce que tu pouvais en mettre que trois quatre là-dedans. On s’est fait arrêter deux trois fois parce qu’il y en avait toujours un qui avait fait le malin et c’était tout le monde qu’on embarquait. Et le commissariat était tout petit je me rappelle, c’était pas le commissariat qu‘on a là, le bunker. C’était une toute petite baraque comme ça, à deux trois étages. Ils en ont fait des logements, il y a des gens qui habitent dedans maintenant. Il y a des noms qui restent gravés dans les mémoires comme Monsieur Estrella, Monsieur Camus, les commissaires, c’est des noms qui restent dans la tête ! Je dis ça parce que j’ai pas été un voyou

mais quand on faisait les cons, on se faisait attraper, on se souvient d’eux quoi. Sinon le seul vrai lieu de réunion c’était le café…

Pascal

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Madame Dutreuil

On avait un petit café juste à côté, qui appartenait à Monsieur Lepren, qu’on appelait Mimile.

— Il y avait Monsieur Mimile... C’était une figure dans Villepinte... — Ah oui, il était bien Monsieur Mimile. Il était professeur de judo...

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Liliane et Madame Dos Santos

Olivier Heureusement qu’il y avait ce café-là ! Ça a toujours existé, c’était le centre. Monsieur Mimile avec sa femme.

Madame Dutreuil Je me rappelle il y avait le café, tu pouvais passer, il y avait des tables dehors, c’était vraiment vivace. Moi j’allais jouer au loto avec sa femme ! On rentrait là-dedans, c’était ouvrier, vraiment c’était agréable. Et ça nous servait pour le téléphone, parce qu‘à l’époque il n’y avait pas le portable, et il n’y avait pas les cabines téléphoniques !

Liliane

Mehdi À l’époque Monsieur Mimile, il faisait des feux d’artifice. Tout le monde venait. Pour le 14 juillet les feux d’artifice, c’était ici, c’était pas ailleurs. ! Nous les gosses, on n’avait pas le droit d’entrer dans le café, il nous sortait le baby-foot sur le trottoir, c’était cool, c’était bien ! C’était pas notre papa, mais bon c’était un ancien. Tout le monde le connaissait, tout le monde se réunissait ici, pas que les maghrébins, tout le monde, c’était mélangé, c’était une famille quoi. Une famille, ça démonte tout.


Mehdi C’était quelqu’un d’organisé pour le quartier. Il se déguisait, il arrivait en carriole avec des chevaux, il distribuait des bonbons aux enfants, des oranges, et ça, ça a marqué tous les gens du quartier. Monsieur Mimile, quand il est parti d’ici, il a tenu une boucherie vers le clos Montceleux. Et puis maintenant il est parti à la campagne, il doit être âgé !

Madame Dutreuil

Pascal

75 ans passés, il vit encore ce monsieur. Tellement que c’est loin, je me disais il ne doit plus être de ce monde, et finalement il est encore là le gars, je crois qu’il a un petit château en Normandie...

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— À la Fontaine Mallet, on rigole, on fait tout ! Surtout avec les voisins ! On est sœurs et frères, les choses que je n’ai pas, je demande à ma voisine, pareil ! Ma voisine ! On voudrait toujours rester à côté. Voilà ! Parce que si une a un problème, toc toc toc ! Y a quoi ? Y a ça ça ça ça ça. Ça calme ! Même si nous tous on a des familles, ce sont les voisins qui sont notre famille ! On voudrait rester ensemble. Parce que 21 ans, 22 ans… Comme ça le matin toc toc toc ! On boit le café. On mange ensemble. Madame Kassi ! Viens ! Assiedstoi ! On boit un verre de thé ! — Le voisin… c’est la priorité. Au fond, on cherche la maison mais on cherche le voisin en premier. S’il y a quelque chose que je n’ai pas, je viens je prends. Elle

aussi, c’est pareil. Elle n’a pas, elle vient à la maison. Ma maison, c’est sa maison. — Tranquille ! Si tu as trouvé un bon voisin, c’est comme si tu as trouvé une fleur ouverte. Mais si tu as trouvé un mauvais voisin, c’est une fleur qui est fermée !

Madame Doukouré et Madame Kassi


Madame Passagez Ma voisine, je l’adore. Elle est très très gentille. Elle est arrivée pas longtemps après moi d’ailleurs. On se connaît depuis plus de vingt ans. Pour moi c’est ma tata, je suis sa tata, il n’y a pas de problème ! On s’entend très très très bien.

M. Carpentier — Le souvenir que j'ai c'est cette création d'une amicale des locataires pour surveiller les dépenses des charges et autres. On s'était retrouvés, on avait rendez-vous dans une toute petite salle, pensant que ça allait largement suffire... Et on a été obligés de faire ça sur la pelouse tellement les gens avaient adhéré à l'association... J'avais pris la présidence suite à la démission du président et en 77 lorsque je suis parti l'association vivait toujours, elle existait quoi.

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J’ai même des voisins qui sont venus tambouriner à ma porte, il était minuit passé, parce que le petit avait une forte fièvre, qu’il fallait l’amener à l’hôpital Robert Ballanger, on ne se posait même pas la question. On était en pyjama, on partait comme ça ! Un voisin, surtout sur une longue période devient un membre de la famille. Je vois ça comme ça. Alors quand c’était le ramadan, quand on faisait à manger, on commençait d’abord à donner au voisin. Au-dessus de chez nous, nous avions une famille de Maliens, quand ils faisaient leurs plats traditionnels ils nous faisaient goûter aussi. C’était quelque chose de formidable. On venait, ils venaient, ma femme allait chez eux, on frappait pour du sel ou quoi que ce soit, on avait du sel, on avait de l’huile… Pour nous c’était naturel.

C’est une chose que je ne vais pas retrouver si je déménage ailleurs. Ou alors j’aurais honte de le faire. Cette ambiance-là, je l’apprécie, je ne suis pas le seul d’ailleurs. Voilà, c’est quelque chose de formidable… c’est une valeur.

M. Chih


Madame Aous On est ici, on n’a pas de famille. Alors c’est les amis la famille. Et comme les amis sont partis, on est restés comme des orphelins. Un voisin, c’est plus que la famille. S’il m’arrive quelque chose, ce n’est pas la famille qui va venir de l’Algérie, ce sont mes voisins d’à côté ! Moi je respecte mes voisins. Ma famille, elle est loin. Je respecte ma famille, mais les voisins en premier. C’est très très important pour nous, pour nos enfants, pour tout. Parce que nos enfants aussi n’ont pas de famille ici. Il y a le papa, la maman, c’est la famille oui, mais en dehors de la maison, c’est les voisins. Moi je ne vais pas dire ma famille est en Algérie, je suis algérienne... Moi je m’en fous de tout ça. Moi mes amis c’est mes voisins, et ma famille c’est mes voisins.

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Nora, Fatou et Myriam Eh, Fatou, donne-moi du mafé ! Ouais, vas-y ! Et après, le jour de l’Aïd : Eh Nora, donne-moi des gâteaux arabes ! Il y a plein de petits trucs comme ça. Modi il est où ? Modi, va m’acheter du pain ! Là, plus les jours passent, plus t’as faim : il n’y a plus personne pour acheter ton pain ! 60


Pascal Les amis... Quelques-uns sont restés, d’autres sont partis.... Entre nous, les anciens, on essaie de se rappeler, parce que la mémoire reste vive si tu restes longtemps au même endroit. Si tu restes quinze ans dans un endroit et que tu t’en vas, tu oublies, parce que tu engranges autre chose. Là, on est sans cesse en train de se remémorer, on entretient cette mémoire malgré nous...

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62.


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Sylvain Mazeau, je suis en charge du projet de rénovation urbaine de la Fontaine Mallet. Sophie Jasse, responsable du développement social urbain pour Efidis.

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SM : Les tours centrales, Touraine, Bretagne, ont été démolies en premier et ont réellement créé ce sentiment d’«‘’aérer le quartier’’, je dirais. Là effectivement le quartier reste pour l’instant pas finalisé parce qu’on attend les nouvelles constructions.

SM : le quartier Fontaine Mallet a été dessiné sous la forme des grands ensemble, c’est-à-dire voirie en général encerclant le quartier, beaucoup d’espaces publics difficiles à gérer entre les bâtiments et sans fonctionnalité, voilà on avait essentiellement de l’habitat, très peu de commerces.

SJ : Toutes les constructions, enfin reconstructions, ne seront pas faites sur Fontaine Mallet.

SJ : Il y a l’absence de traversantes, enfin tout ce qui fait qu’on a un peu un quartier qui fonctionne en vase clos. C’est surtout ça l’idée du projet, c’est de pouvoir rayonner et le rattacher au reste de la ville.

SM : Il nous semblait difficile d’intervenir sur ce quartier sans le dédensifier pour le rapprocher de formes architecturales proches du pavillonnaire. Avant la rénovation l’image était plutôt négative, même vue par les autres quartiers, Fon-

taine Mallet c’était vraiment la cité où il y a une bonne ambiance, cet aspect familial mais où... on n’a pas vraiment envie d’aller. Donc l’idée c’est qu’à terme, — quand je dis à terme, c’est dans 5, 10 ans — cette vie de quartier attire aussi d’autres personnes dans le quartier, pour venir sur l’équipement, sur les commerces… SJ : Oui, en tous cas de créer une autre identité. On a un quartier fortement impacté par les démolitions. Alors comment ça va être reçu par les habitants, c’est un peu tôt pour le ressentir.


PLAN DU PROJET

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— Moi les travaux, je les ai bien aimés, ça nous arrangeait, ils ont tout refait. Ils ont refait les toilettes, la salle de bains, la cuisine … — Toi t’as bien aimé parce que t’as pas déménagé, mais moi j’ai déménagé ! C’était une galère !

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— Si, moi aussi ça m’a dérangé, parce qu’il y a plein de copains qui ont déménagé loin, parce qu’avant on s’amusait bien avec eux. Ils ont enlevé le parc, on faisait plein de jeux là-bas, ils ont tout enlevé. — Ça nous a séparés, et ça nous a enlevé plein d’activités. Comme le parc là-bas. Ils auraient pu au moins en mettre un autre. Presque tout le monde se réunissait là-bas.

— Moi j’habitais là-bas au Savoie 4. Nous, on a été les derniers à être relogés, à Pasteur. Mais la plupart de la Fontaine Mallet, ils nous ont mis aux Merisiers.

Papus et son ami

Dans les appartements, ils ont enlevé l’électricité, les tuyaux pour le gaz, les portes ont été remplacées... Et puis ils ont fait les peintures de la cuisine, dans la salle d’eau... Voilà pour l’intérieur...

Madame Passagez


Sur toute la longueur il y avait les quatre halls Savoie qu’ils ont abattus, ça fait un dégagement, on a une plus belle vue. Les travaux ça va dans le bon sens, le seul bémol ce sont les loggias qu’ils ont supprimées. Ca c’est une erreur. Quand à l’extérieur, on ne peut pas dire grand-chose parce que rien n’est fini.

Madame Passagez et Gwendoline

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D’abord il y a le visuel, le fait qu'ils entourent les immeubles, c’est quelque chose que j'ai du mal à accepter. Mais... A-t-on le choix ? On nous dit tellement qu'on est en insécurité qu'on fait tout pour être en sécurité, et cela n'empêche pas l'insécurité... Les problèmes ne sont pas résolus. Est-ce que c'est la bonne solution de mettre des barrières partout ? Mais ça ce n’est pas propre à Villepinte, FontaineMallet est à l'image de ce qui se passe ailleurs, et même partout... Disons que pour nous, le fait d’avoir l’immeuble entouré, ce n’est plus la Fontaine Mallet. Avant on pouvait circuler d’un bâtiment à l’autre, alors que là c’est plus retreint, maintenant c’est clôturé.

Rosa


M. Carpentier

Ils ont mis des grilles, c’est ce qu’on appelle la résidentialisation, il y a beaucoup d’ensembles comme ça, c’est vrai que ça donne un autre aspect...

Avant il n’y avait pas de grilles, on entrait de ce côté-là et on rentrait chez nous directement.

On a des grilles, des grillages, je ne sais pas... Je ne crois pas que c’était ça qu’il fallait.

Madame Aous

— Les grilles, c’est sécurisé ! Mais si on donne deux coups de pied fort sur la porte, ça s’ouvre ! — Et des fois on appelle, mais l’interphone ne fonctionne pas, alors on reste en bas, comme des c... ! — Moi je suis pour la planète, pas pour la décoration.

Trois collégiennes J’aime bien l’idée de l’interphone : on ne connaît pas, on n’ouvre pas ! C’est comme les nouvelles portes : On se sent plus en sécurité.

Gwendoline

Il y a des caméras quand tu passes ça sonne, ça fait tututututu, et après tout le monde te voit.

Un enfant 69


On a déménagé à Pasteur, on habite en face du collège. Ça va, comme je suis en vélo, des fois je viens. Pas tout le temps, mais quand j’ai envie. Comme ça je reste avec eux. Je ne peux pas changer. Je ne suis pas un traître !

Papus et son ami

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C’est un peu dommage quand même! Ils ont détruit les bâtiments, on a perdu nos potes... Nous on s’en fout des bâtiments, c’est juste nos potes ! Moi je préfère rester ici. Je connais tout le monde ici, franchement je n’ai pas du tout envie de déménager.

Mamadou

— J’habite là, avant c’était le Bourgogne 3, maintenant c’est devenu le hall C. Il a été rénové, donc moi je ne suis pas touchée par le relogement. Ils ont prétexté une route, mais elle ne passe pas sur ces bâtiments, donc ils auraient pu être rénovés aussi. — Ici au Béarn3, il ne reste que trois familles, parce qu’ils vont détruire le bâtiment, et voilà ! C’est triste... Moi, ça me fait mal au cœur. Ça fait 25 ans que j’habite ici, ça y est ! Je déménage, je vais être déboussolée !

Nora et Myriam 70

Ceux qui sont partis, pour nous c’est triste. J’ai une amie qui habitait au 5e, elle est venue nous dire au revoir, elle pleurait. Elle pleurait. Et son fils jusqu’à présent, il ne veut pas suivre les parents. Je lui dis : Abdelkader, tu ne vas pas chez toi ? Il me dit : si si, je rentre le soir... Mais là il est vraiment attaché à la Fontaine Mallet, la journée il reste ici...

Madame Aous


Avant ce n’était pas comme ça : chaque bâtiment avait deux entrées. Je suis d’accord avec eux parce que s’ils poursuivent quelqu’un, il ne pourra plus sortir de l’autre côté. Mais les jeux pour les enfants, c’est comme des cages à lapins. Si une maman veut sortir son bébé, il n’y a rien.

Madame Aous

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Mon adresse hall A Villepinte, 93420. Excusez-moi mais depuis que je suis là ça fait la quatrième fois qu’on me change d’adresse.

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Ici c’était l’Auvergne, maintenant il n’a plus de nom. L’adresse c’est 5 rue Auguste Rodin, mais je ne sais pas s’ils vont lui donner un nom. On attend qu’ils finissent, on verra après. Ca a été 3 allée Toulouse Lautrec, aussi. J’habite le hall G, ils ont changé les noms des bâtiments suite aux travaux. Avant c’était le Bourgogne. Ca fait quatre fois qu’ils reviennent pour murer le Poitou mais les jeunes enlèvent les parpaings ! Ils se réunissaient là, ils ne sont pas contents...

Les messieurs du banc


Madame Dos Santos

Je ne sais pas si on va avoir des bancs après, mais là il n’y a plus de bancs pour s’asseoir ! Quand les parents sont avec les enfants, ils sont obligés de rester debout ! Ce n’est pas une solution ! Vous savez s’ils vont remettre des bancs, vous? Et il n’y a plus de banc ! On ne peut plus s’asseoir tranquillement comme on le faisait, il n’y a plus de poubelles non plus, parce qu'on a peur qu'on y mette le feu.

Rosa

Ils ont enlevé tous les bancs ! Il y en avait plusieurs ! Le seul qui reste, celui-ci, c’est les ouvriers d’à côté qui nous l’ont mis là.

Les messieurs du banc 73


Ils ont détruit six bâtiments : les quatre Savoies, le Bourgogne... Ils en ont refait mais c’est pas un bâtiment c’est une résidence. C’est pas le même genre, c’est comme un palace, comme l’Élysée.

Un enfant

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Ils font en sorte que ça redevienne la ‘’Résidence Fontaine Mallet’’, le nom qui lui est dû. Une résidence, c’est plus standing, une cité ça fait peur.

Gwendoline

C’est Fontaine Mallet, ou c’est Fontaine Malade ? C’est une blague, on est gentil à Fontaine Mallet !

Madame Aous


La réhabilitation, c’est Hollywood !

Fatima

On n’est plus à la Fontaine Mallet, on est à Dallas ! Las Vegas ! New York ! Ca va faire chic !

Madame Aous 75


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Radio.Graphie est une jeune association, née du désir de produire, de diffuser et de réaliser des créations sonores et graphiques. Ses fondatrices et leurs collaborateurs sont attachés à restituer la parole des hommes et femmes sur leur quotidien, afin qu’elle puisse s’inscrire dans la vie sociale et politique. Nous tenons à élaborer, soutenir ou participer à des projets visant cet objectif. Maïssoun Zeineddine, anthropologue/réalisatrice sonore, joue ici de sa double casquette afin d’appréhender le monde et d'en laisser une trace vive en un support accessible : recueillir la parole, les propos, les colères, les émotions, la mémoire et les redonner à entendre à tout un chacun. Anne Leïla Ollivier travaille les champs du dessin, de l’illustration, de l’écriture, et a collaboré à plusieurs projets s’intéressant à la restitution de la parole de celles et ceux que l’on entend peu, par l’écrit, l’affiche, le dessin, ou encore le théâtre. Merci aux habitants de la Fontaine Mallet qui ont bien voulu nous donner de leur temps et nous ont reçues avec générosité. Merci pour sa participation à ce projet à Yacine Amarouchene, auteur-compositeur. Ouvrage édité par la Mairie de Villepinte et réalisé par l’Association Radio.graphie (radio.graphie.free.fr) Textes tirés d’interviews réalisées en octobre et novembre 2011 à la Fontaine Mallet par A. L. Ollivier et M. Zeineddine Illustrations et maquette : Anne-Leïla Ollivier / Prise de son et conception CD : Maïssoun Zeineddine Achevé d’imprimer en juin 2012 sur les presses de l’imprimerie Barbou Impression Tirage : 1000 exemplaires

Ce livre-cd vous est offert par la ville de Villepinte



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