Fouilles archéologiques place d'Arras

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SIX SIÈCLES D’HISTOIRE SOUS LES PAVÉS DE LA PLACE DES HÉROS


Textes rédigés par Mathieu Béghin et Alain Jacques du Service Archéologique de la Ville d’Arras et Victoria Bray, étudiante en Master Gestion du Patrimoine culturel à l’Université d’Artois

Crédits Iconographiques : Sauf mention contraire, crédits : Ville d’Arras, Service Archéologique

Couverture : La Place des Héros et son beffroi durant l’opération archéologique en 2011 2


L’intervention archéologique menée en 2011 a permis de remettre en cause des idées faussement véhiculées depuis le XIXe et d’éclairer l’évolution d’un secteur crucial qui demeurait jusqu’alors dans l’ombre. Les résultats de cette opération sont aujourd’hui visibles par un marquage au sol établi par la ville d’Arras à l’emplacement des édifices mis au jour. En 2018, la Communauté Urbaine d’Arras inaugure une borne de réalité augmentée de la société Timescope permettant aux utilisateurs de revivre dans l’ambiance du Petit marché en 1518.

La ville d’Arras possède un patrimoine archéologique remarquable qui tient à sa longue histoire de capitale régionale. Créé en 1977, le Service Archéologique de la Ville d’Arras a mené de nombreuses opérations d’archéologie préventive comme programmée, couvrant une période chronologique allant de la protohistoire à la Première Guerre mondiale. Les chantiers menés ces dernières années ont permis d’enrichir la connaissance du passé de la ville. Habilité par le Ministère de la Culture, ses activités de terrain, de recherche et de patrimonialisation se réorientent depuis 2018 vers les périphéries des villes antique, médiévale et moderne d’Arras.

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LA FOUILLE DE LA PLACE DES HÉROS À ARRAS : UNE OUVERTURE SUR LE PASSÉ C’est en 2011, à l’occasion d’une rénovation du pavement, que le Service Archéologique Municipal d’Arras met au jour des vestiges sous la Place des Héros, anciennement appelée le Petit marché.

Fouille des aubettes

Sous les pavés sont apparus une voirie (ancienne rue des Rôtisseurs) sortant de l’enclos de l’abbaye Saint-Vaast et remonterait au Xe siècle, ainsi que différents bâtiments présents entre les XIIe et XVIIIe siècles : la pyramide et la chapelle de la Sainte Chandelle qui commémorent la guérison miraculeuse de la populationinfectéeparlemaldes ardents (ergotisme), des cellules commerciales (aubettes) appartenant aux comtes d’Artois et la Maison Rouge où était rendue la justice du comte. En réunissant les sphères économique, religieuse et administrative, ce lieu, qui apparait vers le Xe ou XIe siècle, est considéré comme la vitrine de la ville au Moyen Âge et à l’Époque moderne.

Fouille des aubettes et de la Sainte Chandelle

Rue des Rôtisseurs

Schéma des différentes structures mises au jour 4

Conciergerie 1639-1791

Pyramide 1200-1791

Rotonde 1648-1791

Chapelle 1420-1640

Aubettes XIIIe / 1525

Maison Rouge 1430-1757


UN ESPACE RELIGIEUX ET COMMERCIAL (XIIIe -MI XIVe SIÈCLE) En 1105, l’Arrageois est frappé d’une épidémie d’ergotisme, une intoxication liée à la consommation de seigle et provoquant des symptômes convulsifs et gangréneux. La tradition raconte que la Vierge apparaît en rêve à deux ménestrels ennemis pour leur offrir un cierge dont la cire permet la guérison des malades. Pour commémorer ce miracle, la confrérie des Ardents est créée et fait ériger une pyramide de 30 m de haut sur le Petit marché, entre 1200 et 1215, pour accueillir le reliquaire abritant le cierge miraculeux. Attestée depuis le XIIIe siècle, les aubettes sont de petites cellules commerciales d’environ 2m2 chacune. Réalisées en bois, elles sont couvertes de tuiles, dotées d’un plancher équipé d’un coffre, ouvrant sur un espace de rangement, et reposent sur une fondation maçonnée en brique. Les lieux sont occupés par des changeurs d’argent, jusqu’à 21 au XIVe siècle, dont la présence atteste du rayonnement économique d’Arras en Occident au Moyen Âge.

Jetons de compte mis au jour durant l’opération

Modélisation 3D de l’intérieur d’une aubette

Modélisation 3D de l’extérieur d’une aubette

Modélisation 3D de la Sainte Chandelle et des aubettes au XIIIe siècle 5


LE TEMPS DES MODERNISATIONS (XVe SIÈCLE) En 1420, le riche bourgeois et maïeur (maire) de la ville, Jean Sacquespée, fait agrandir la pyramide de la Sainte Chandelle en y ajoutant une chapelle dont la composition n’est renseignée que par l’archéologie. Avec des fondations larges de 5,80 m et longues de 3,20 m, cette extension, maçonnée en pierres calcaires et recouverte de tuiles, adopte une forme rectangulaire dont le côté orienté vers l’est présente une abside semicirculaire. Les murs sont percés de fenêtres à remplage, typiques de l’architecture gothique, et présentent des traces de peinture utilisant des pigments jaunes, rouges et bleus. Cet agrandissement nécessite la démolition de quatre aubettes avec l’accord du comte d’Artois.

Schéma des fondations de la pyramide et de la Chapelle

Modélisation 3D de la Sainte Chandelle et de son extension au XVe siècle

Pyramide de 1200

Extension de 1420

Éléments de remplage mis au jour durant l’opération 6


Devenus comtes d’Artois depuis 1384, les ducs de Valois-Bourgogne décident de reconstruire le bâtiment où ils rendent la justice à Arras. Jugeant le lieu trop petit et pas assez prestigieux, le duc Philippe le Bon ordonne une édification qui soit le reflet de la puissance et du rayonnement du pouvoir Bourguignon. Une large documentation nous donne une idée précise de son aspect. En dehors de l’archéologie, il existe ainsi des comptes liés à la construction, a son aménagement et a son entretien, ainsi que de nombreuses représentations. Entre 1430 et 1435, une construction de forme carré, de 10 m de côté et de 14 m de haut, est érigée à l’angle du Petit marché et de la rue de la Taillerie. La Chapelle de la Sainte Chandelle avec vue d’une procession. (© Musée des Beaux-Arts d’Arras)

Modélisation 3D de la Maison Rouge XVe siècle Vue aérienne des fondations de la Maison Rouge

Schéma des fondations de la Maison Rouge mis au jour

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Le rez-de-chaussée se présente sous la forme d’un passage voûté dans l’axe de la rue des Rôtisseurs et accueille une cellule commerciale. Le premier étage, réservé aux affaires administratives et judiciaires, est composé d’un tribunal, d’un bureau, d’une tour-prison et d’une tour-bretèche d’où sont criées les décisions administratives à la population. Le deuxième étage sert quant à lui de lieu de stockage. Le prestige voulu par le duc se manifeste à travers les matériaux utilisés : la pierre calcaire, le grès et surtout la brique dont l’emploi donne à ce bâtiment le nom de Maison Rouge. Les riches décors sculptés dans la pierre, les vitraux peints aux armes des comtes d’Artois, les gouttières dorées et la toiture recouverte d’ardoises contribuent aussi au faste de l’édifice. Celui-ci incarne également la modernité en disposant d’un urinoir public sur sa face sud.

Modélisation 3D des bâtiments de Petit Marché vue depuis la rue de La Housse (©Timescope)

Modélisation 3D du passage voûté vue depuis l’angle de la rue de la Taillerie

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La relance de l’activité drapière dans les années 1420 contribue au remplacement des changeurs par des merciers parmi les locataires des aubettes. La composition du mobilier archéologique retrouvé pour cette phase d’occupation atteste de ce changement déjà connu par les textes de l’époque. Aux poids monétaires, éléments de balances, jetons et autres monnaies retrouvés succède une grande quantité d’éléments de mercerie (épingles, dés à coudre, boucles de ceintures, plombs de drapiers, etc).

Poids monétaire

Des fragments d’ardoises gravées de noms comptent aussi parmi les découvertes. Il pourrait s’agir d’étiquettes servant à marquer les marchandises ou de tablettes « bloc-notes » utilisées par les marchands.

Fragment d’ardoise gravée

Épingles mises au jour dans les aubettes

Jeton de compte en laiton Plomb de drapier certifiant l’origine et la qualité du drap

Boucle de ceinture et son ardillon

Dé à coudre en bronze

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UN DÉCLIN MONUMENTAL AMORCÉ (XVIe–XVIIIe SIÈCLE) Les guerres et les épidémies nuisant au commerce, les aubettes sont délaissées par les merciers au profit de rôtisseurs à la fin du XVe siècle, mais cela amène une gêne olfactive et un risque d’incendie dénoncés par le voisinage. L’abandon et le délabrement progressifs de ces cellules commerciales, qui servent alors de dépotoir et de lieu d’aisance pour la population, ainsi que de point de rencontre pour les prostituées, incitent les échevins (conseillers municipaux) à en demander la destruction. Contre le versement d’une compensation financière annuelle et la prise en charge du coût de la démolition, le comte d’Artois autorise leur démantèlement en 1525. Dès cette date, l’échevinage peut ainsi rendre sa splendeur au Petit marché en libérant de l’espace. En 1639, un petit pavillon d’une superficie d’environ 12m2 au sol est annexé à la pyramide de la Sainte Chandelle. Tourné vers l’hôtel-de-ville, qui est lui-même édifié entre 1504 et 1506, le bâtiment sert de conciergerie à la Sainte Chandelle.

Schéma des fondations de la Sainte Chandelle en 1639

Modélisation 3D de la Sainte Chandelle en 1639

Conciergerie de 1639

Pyramide de 1200

Extension de 1420

Document mentionnant l’autorisation de destruction des aubettes 10


Fidèle au comte d’Artois, dont le représentant est le roi d’Espagne depuis le XVIe siècle, Arras est une place-forte très disputée entre royaume de France et Pays-Bas espagnol au début du XVIIe siècle. Le siège d’Arras par l’armée française en 1640, qui donne lieu au rattachement définitif de la ville au royaume de France, s’accompagne de bombardements qui détruisent la chapelle du XVe siècle. En tant que propriétaire du sol de la ville, l’abbaye Saint-Vaast en autorise la reconstruction dans des dimensions plus imposantes. Le nouvel oratoire prend la forme d’une rotonde d’un diamètre de 9 m pour une hauteur de 20 m. Le lieu ne recevant plus que la Maison Rouge et les édifices de la Sainte Chandelle, les commerçants du marché hebdomadaire bénéficient de plus de place pour pratiquer leurs activités. Cet espace est augmenté dès 1757 par la destruction de la maison de justice pour cause de vétusté après le transfert des officiers du comte vers Cour-le-Comte (actuel établissement Saint-Joseph), puis en 1791 par le démantèlement de la Sainte Chandelle dont l’état de délabrement avancé représente un risque d’effondrement. Le paysage de l’actuelle Place des Héros semble donc se fixer dès la fin du XVIIIe siècle.

Schéma des fondations de la Sainte Chandelle en 1648

Modélisation 3D de la Sainte Chandelle en 1648

Conciergerie de 1639

Pyramide de 1200

Rotonde de 1648

Extension de 1420

Démolition de la Sainte Chandelle (© Archives Municipales) 11


Service Archéologique de la Ville d’Arras

22 rue Paul Doumer Mail : archeologie@ville-arras.fr


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