Le Jardin Tropical Moderne - Lecture Architecturale des jardins de Roberto Burle Marx

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Le Jardin Tropical Moderne LECTURE ARCHITECTURALE DES JARDINS DE RO B E RT O B U R L E M A R X

VICTOR HUCHON

Sous la direction de EMMANUELLE SARRAZIN Ã l'ENSA Paris Val de seine



Le Jardin Tropical Moderne LECTURE ARCHITECTURALE DES JARDINS DE RO B E RT O B U R L E M A R X

Sous la direction de EMMANUELLE SARRAZIN à l'ENSA Paris Val de seine VICTOR HUCHON

en Février 2020

Jardin architectural ou promenade dans la peinture : comment interag it l’iner te et le vivant à Rio de Janeiro ?


Heliconia burle-marxii, Margaret Mee, 1964


Remerciements

Ce mémoire de Master est le résultat d'un travail de recherche de quelques années. Sa composition n'aurait put être possible sans le concours de quelques personnes, à qui je souhaiterais témoigner toute ma reconnaissance. Je voudrais avant tout, adresser toute ma gratitude à Madame Emmanuelle Sarrazin, directrice de recherche de ce mémoire pour ces conseils et son soutien. Merci à Jorge Crichyno, paysagiste et enseignant à l’Universidade Federal de Fluminensce à Rio de Janeiro, qui m’a fait découvrir le monde fascinant du paysagiste Roberto Burle Marx. Merci enfin à Olivia Beau et Laurence Rigaud pour leurs corrections, leurs conseils, et leurs attentions infinies.


AVANT-PROPOS 9 CORPUS ARCHITECTURAL & BIBLIOGRAPHIQUE

11

INTRODUCTION 18 I. JARDIN, ANALOGIES AVEC L'A RCHITECTURE LE VOLUME Murs, sols et niveau Formes, volumes et textures Rythme et composition : les outils du jardinier

23 24 24 28 34

LA SURFACE Couleurs et aplats Imbrication programmatique Le savoir botanique et Le "genius loci"

42 42 48 54

LE PLAN Leçons et enseignements du paysage et des paysagistes Courbes, mouvement et liberté Dessin et dessein : La géométrie dans le plan

58 58 66 72

II. "INTERACTIONS"

83

RENCONTRES 84 Gravitation 84 Couronnement 88 Cadrages 98 DIALOGUES 102 La ville Nouvelle, dialogues entre échelles et continents 102 Dialogue culturel, le passée colonial et indigène 108 INTERFÉRENCES 116 L'architecture et la ville enracinée 116 Les multiplicités continues et discrètes 120 Vivant et inerte 124


III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS

129

PROMENADE PICTURALE Une trace sur le tableau : Les desseins du tracé Flânerie à Rio de Janeiro : Récit d'une balade picturale

130 130 138

QUÊTE DE L'ÉTERNEL Permanence de l'instable La désobéissance du promeneur

152 152 156

CONCLUSION 160 BIBLIOGRAPHIE 164 LISTE DES PROJETS REMARQUABLES

167

ANNEXES 169 INTERVIEW DE JORGE CRICHYNO

170

CV MANUSCRIT DE JORGE CRICHYNO

174

HERBIER 176

Héliconia, Margaret Mee, 1964


8


Il y a 2 ans, j’ai eu la chance de partir étudier l’Architecture, l’Urbanisme et le Paysage au sein de l’Universidade Federal de Fluminensce à Rio de Janeiro (Brésil). C’est lors de cet échange universitaire d’une année que j’ai eu la possibilité de voyager au Brésil, et notamment entre Rio de Janeiro, Brasila et São Paulo, source d’une immense inspiration, d’influences et d’une riche culture architecturale moderne. Le paysage urbain très spécifique de ces villes-natures extraordinaires, où se mêlent souvent les éléments de manière très significatives, où "la forêt tropicale pénètre la ville avec ses lianes inextricables, et où la ville forme, elle aussi, une forêt de pierre"1, ont motivé le choix de ce sujet de Mémoire de Recherche.

1 2

ZWEIG, S. (1941). Le Brésil, terre d’avenir. Paris : Éd. de l’Aube. Def. Qui est de Rio de Janeiro

9

La problématique de cette recherche s’est affirmée lors des cours de Jorge Crichyno, paysagiste et enseignant à l’Université, et ancien collaborateur du paysagiste carioca2, Roberto Burle Marx, avec qui il a eu l’occasion de travailler pendant plusieurs années. Son enseignement a permis de soulever des questions fondamentales, concernant ce sujet de Mémoire, mais aussi dans ma manière d’aborder l’Architecture en général. J'ai pu découvrir l’impact du travail de Roberto Burle Marx à l’échelle de la ville, sa manière de construire et déconstruire un projet, et a ouvert la question de l’Architecture, du Paysage, du paysage urbain, et des interactions de ces entités entres elles. Cette recherche intervient donc comme un moyen de se remémorer les souvenirs de voyage et d'enseignement, de faire un retour en arrière, pour comprendre en quoi ces expériences, ces visites, et ces rencontres on nourrit mon imaginaire d'architecte ainsi que ma sensibilité. Grâce à ce mémoire de recherche, cette année à l'étranger trouve une finalité théorique, et conforte ma position sur le lien étroit qu'entretien le paysage, et plus précisément le jardin avec l'architecture.

AVANT-PROPOS

AVANT-PROPOS


10

2

1 Jardins du ministère de l'Éducation et de la Santé (MES), 1938 2 Sitio Roberto Burle Ma 4 Musée d'Art Moderne, 1961-1965

5 Avenida Atlântica, Copacabana, 1970 6 Aterro do


CORPUS CARIOCA

CORPUS ARCHITECTURAL & BIBLIOGRAPHIQUE

1 3

4

rx, Santo Antônio da Bica, 1949-1994 3 Jardin de la résidence Walther Moreira Salles, 1950

o Flamengo, 1961-1965

11

6 5


6

17 Lac de Lagoa

12

Plage de Ipanema

Copacabana

Arpoador

5

Botafogo

13 Plage de Copacabana

14

5

Plage de Botafogo

11

Leme

Plage de Urca

15 Plage de Vermelha OcĂŠan Atlantique

Pain de Sucre 0 100 m

500 m

1 km

12

Plage de Fora


CORPUS CARIOCA

1 - Jardin du Ministère de L’économie et de la Santé, 1938 2 - Jardin du BNDES et du siège Petrobras, 1969 et 1988 3 - Jardin du musée d’Art moderne, 1954 4 - Parc de l’Aterro do Flamengo, 1961 5 - Promenade de Copacabana, 1970 6 - Jardin de l’Institut Moreira Salles, 1951 7 - Jardin de l’Aquarium et la Marina da Gloria, 1976 8 - Jardin et toit terrasse du bâtiment Manchete, 1966 9 - Place largo do Machado, 1954 10 - Place Salgado Filho, Aéroport Santos-Dumont, 1938 11 - Jardin du Restaurant Morro da Viuva, 1955 12 - Place Chaim Weizmann, 1983 13 - Jardin du bâtiment CAEMI, 1984 14 - Place Indio Cuauhtemoque, 1966 15 - Place Almirante Julio de Noronha, 1991 16 - Place largo da Carioca, 1981 17 - Jardin de L’hôpital de Lagoa, 1959 18 - Jardin du Monument aux morts de la 2nde guerre mondiale, 1957

13

Centro

2 12 Flamengo

16

8

9

18

Gloria

4 11

Plage de Flamengo

1 3

7 10 Aéroport de Santos-Dumont

Baie de Guanabara


1 Jardin du Ministère de L’économie

MOTS CLÉS

A RC H I T E C T U R E

et de la Santé, Centro (1938)

Le Corbusier avec Lucio Costa, Oscar Niemeyer, Affonso Eduardo Reidy, Ernani Vasconcellos, Carlos Leão, Jorge Machado Moreira Pilotis, Toit terrasse, socle d’architecture, couronnement, verticalité, Peinture et mosaique, mouvement de l’architecture, manifeste moderne

2 Parc de l’Aterro do Flamengo,

MOTS CLÉS

A RC H I T E C T U R E

Flamengo (1961)

Lota de Macedo Soares, Jorge Machado Moreira, Carlos Werneck de Carvalho, Hélio Mamede

Grande Echelle, Espace publique, tracé des jardin, Circulation piéton et voiture, création de connexion.

3 Jardin du musée d’Art moderne,

MOTS CLÉS

A RC H I T E C T U R E

Gloria (1954)

Affonso Eduardo Reidy

Musée d'art Moderne, Architecture Rationaliste, Structure en béton armée, Rez-de-Chaussée Libre.

4 Promenade de Copacabana,

MOTS CLÉS

A RC H I T E C T U R E

Copacabana (1970)

Bâtiments en Front de mer, et Strada express

Ligne, motif, indigène, jardin de pierre, abscence de topographie, paysage naturel fort,


A RC H I T E C T U R E MOTS CLÉS

Alfredo Willer, Ariel Steele, Joel Ramalho Jr, José Sanchonete, Leonardo Oba, Rubens Sanchonete et Oscar Müller. Topographie, Plante grimpantes, Jardin Interieur, Le dessous habité, Différent référenciels de sol

6 Jardin du siège Petrobras, Centro

MOTS CLÉS

A RC H I T E C T U R E

(1969)

Jose Maria Gandolfi, Luiz Forte Neto, Roberto Gandolfi, Vicente Ferreira de Castro, José Sanchonete, Abrao Anizassad. Jardin Suspendu, Totem végétal, Socle d’architecture, Nature qui rentre dans le bâtiment

7 Jardin de l’Institut Moreira Salles,

MOTS CLÉS

A RC H I T E C T U R E

Gavea (1951) Olavo Redig de Campos, Actuellement musée de la Photographie, IMS.

Maison indivduelle, piscine, ecrin de verdure, Le mur reflet, la passerelle dans les arbres

8 Sitio Roberto Burle Marx, Santo

MOTS CLÉS

A RC H I T E C T U R E

Antônio da Bica (1949-1994) Divers batiments de différentes époques, Atelier, maison personelle, chapelle, pavillion des fêtes, serres, bibliothèque. Topographie, résonance, écosystème, jardin pedagogique, sculpture et pierre, botanique, art de vivre, patrimoine mondial de l’Unesco.

CORPUS MAJEUR

5 Jardin du BNDES, Centro (1988)


BIBLIOGRAPHIE PRÉSENTATION DES CAS D'ÉTUDES

Corbusier, L. (1954). Une petite maison 1923 (1re éd.). Suisse : Birkhäuser Architecture.

Tsiomis, Y. (2006). Conférences de Rio: Le Corbusier au Brésil, 1936. Paris : Flammarion.

Corbusier, L. (1995). Vers une architecture (Trois rappels à MM. Les architectes). Paris : Flammarion.

AVANT-PROPOS INTRODUCTION SOMMAIRE

16

Corbusier, L. (1954). Une petite maison 1923 (1re éd.). Suisse : Birkhäuser Architecture.


CORPUS BIBLIOGRAPHIQUE

Montero, M. I. (2001). Roberto Burle Marx: The Lyrical Landscape. University of California Press.

Costa, L. (2001). Lucio Costa: XXe siècle brésilien, témoin et acteur. Université de Saint-Étienne.

Mindlin, H. E. (1956). Modern Architecture in Brazil. Brésil : Colibris.

17

Cavalcanti, L. (2011). Roberto Burle Marx: La modernité du paysage. Paris : Actar.


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INTRODUCTION

“Le Jardin, c’est la plus petite parcelle du monde, et puis c’est la totalité du monde.” Michel Foucault.

Pitcairnia flammea, Margaret Mee, 1958


INTRODUCTION

F

igure atypique et très influente du paysage moderne brésilien, Roberto Burle Marx est un artiste complet et tout-terrain : savant botaniste, peintre, sculpteur, musicien, paysagiste et peut être même architecte, c’est dans le domaine des jardins urbains qu’il réussi véritablement à transmettre sa vision du monde, en créant une œuvre personnelle et un nouveau langage reconnu internationalement. À la pratique de jardinier paysagiste, il associe la recherche de spécimens botaniques, le respect des écosystèmes et une application des conceptions novatrices de l’architecture moderne, en intégrant l’homme à la nature. Ces jardins sont de véritables laboratoires où il va chercher tout au long de sa vie à créer de nouvelles situations spatiales, de nouveaux écrins de nature, de nouveaux décors urbains qui - encore aujourd’hui - sont le théâtre de la vie humaine.

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Il est communément admis, lorsqu’on évoque les célèbres jardins du paysagiste, d’inscrire ces derniers dans le champ de l’Architecture Moderne brésilienne. Cette association est pertinente dans la mesure où il a longtemps travaillé aux côtés des grands architectes de l’histoire du Brésil : il fut l’élève et ami de Lucio Costa à L'École des Beaux-Arts et d’Architecture de Rio de Janeiro, et a travaillé en collaboration avec lui à plusieurs reprises, ainsi qu’avec d’autres grands représentants de l’architecture brésilienne comme Gregori Warchavchik, Oscar Niemeyer et Affonso Eduardo Reidy. Ses projets paysagers, associés à ceux de ces architectes pour les espaces publics, les palais et les résidences privées, mettaient en œuvre les nouvelles formes et le fonctionnalisme de l’architecture moderne brésilienne. Dans ce contexte il définit le Jardin Tropical Moderne. Ses jardins figurent au cœur de certains des projets les plus marquants de l'histoire de l’architecture moderne du pays, depuis l’ancien bâtiment du Ministère de l’Éducation et de la Santé, à Rio de Janeiro (1938), jusqu’aux constructions de la capitale brésilienne Brasilia (1960-1970). Cette association a néanmoins des limites, lorsqu’on évoque les valeurs du paysagiste, souvent étrangères à celles que


défendait l’architecture moderne, plus institutionnelle. Roberto Burle Marx entretenait un dialogue libre et consensuel avec la diversité de ce champ, et avec un certain nombre de traditions culturelles brésiliennes. Dès lors, la mise en parallèle des différentes interventions du paysagiste que ce soit dans le paysage urbain brésilien, ou associé à des grands ouvrages d’architecture moderne à Rio de Janeiro, soulèvent la redéfinition de ses jardins ambivalents :

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Jardin architectural ou promenade dans la peinture : comment interagit l’inerte et le vivant à Rio de Janeiro ?

Pour répondre à cette question, j’ai axé cette recherche sur trois hypothèses principales pour tenter de démontrer les analogies entre Architecture Moderne et les jardins de Roberto Burle Marx, afin de définir les mesures de leur proximité. Premièrement, il s’agit d’étudier les outils de conception de l’architecte et du paysagiste, ainsi que les dispositifs mis en place lors de la conception de ces différents espaces, pour en rendre possible la comparaison. Le but de cette partie sera de rendre les bases de ces différents projets, dans l’hypothèse d’un socle commun. La déconstruction de cette partie et l’étude de quelques projets de Roberto Burle Marx s’est de ce fait établie selon l’essai "trois rappels à mm. les architectes" de Le Corbusier dans Vers une Architecture. L'analyse débute par le volume, ensuite par la surface et enfin par le plan. Deuxièmement, il s’agit d’interroger la relation du Jardin Tropical Moderne au champ de l’architecture, (par champs nous sous entendons, l’architecte, l’architecture et la ville). Cette partie sera l’occasion de décliner les points de rencontres du Jardin Tropical Moderne avec les cinq points de l'architecture moderne de Le Corbusier ; puis les dialogues théorique, d'échelle et de culture que le jardin révèle ; et les


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Pour cela, j’ai choisi de travailler sur un corpus majoritairement composé de travaux du paysagiste Roberto Burle Marx : les Jardins du ministère de l’Éducation et de la Santé, Rio de Janeiro (1938) ; Sitio Roberto Burle Marx, Santo Antônio da Bica (1949-1994) ; Jardin de la résidence Walther Moreira Salles, Rio de Janeiro (1950) ; Aterro do Flamengo, Rio de Janeiro (1961-1965) ; Jardins du siège de Petrobras, Rio de Janeiro (1969) ; Avenida Atlântica, Copacabana, Rio de Janeiro (1970) et Jardin de la banque BNDES, Rio de Janeiro (1974 et 1985).

INTRODUCTION

interférences entre architecture(s) et jardin. Cela, dans l’hypothèse où l’un fonctionnerait grâce à l’autre. Nous analyserons leurs rayonnements individuels mais également communs, à différentes échelles. Enfin, la dernière partie sera l’occasion d’interroger la pratique du lieu via la question de la promenade architecturale, appliquée au jardin tropical moderne. Nous verrons la dimension picturale de cette promenade en interrogeant les notions de trace et de temps, afin de mettre en avant les similitudes dans la pratique de ces lieux.

Par la mise en relation de ces cas d’études, au regard de ces trois hypothèses de travail, il est question de mettre en avant les interactions entre les jardins de Roberto Burle Marx et leurs environnements, à plusieurs échelles, dans la ville de Rio de Janeiro.

Hippeastrum sp., Margaret Mee, 1961


"LEVOLUME Nos yeux sont faits pour voir les formes sous la lumière.Les formes primaires sont les belles formes parce qu'elles se lisent clairement. Les architectes d'aujourd'hui ne réalisent plus les formes simples. Opérant par le calcul, les ingénieurs pratiquent les formes géométriques, satisfaisant nos yeux par la géométrie et notre esprit par la mathématique; leurs œuvres s'approchent du grand art. LA SURFACE Un. volume est enveloppé par une surface, une surface qui est divisée suivant les directrices et les génératrices du volume, accusant l'individualité de ce volume. Les architectes ont, aujourd'hui, peur de la géométrie des surfaces, Les grands problèmes de la construction moderne seront réalisés sur la géométrie. Assujettis aux strictes obligations d'un programme impératif, les ingénieurs emploient les génératrices et les accusatrices des formes. Ils créent des faits plastiques limpides et impressionnants. LE PLAN Le plan est le générateur. Sans plan, il y a désordre, arbitraire. Le plan porte en lui l'essence de la sensation. Les grands problèmes de demain, dictés par des nécessités collectives, posent à nouveau la question du plan. La vie moderne demande, attend un plan nouveau, pour la maison et pour la ville." Le Corbusier


I. JARDIN, ANALOGIES AVEC L'ARCHITECTURE

23 Rapataceae, Margaret Mee, 1964


MURS, SOLS ET NIVEAU

LE VOLUME

C 24

ette toute première partie va nous permettre de développer l'idée que la construction d'un espace opère de la même manière dans le dessin d'architecture et dans la construction d'un jardin paysager. Il s'agit d'utiliser des dispositifs divers (comme le mur, un cadrage dynamique, un nivellement particulier), pour créer différents types de parcours, d’expériences et d'usages qui vont créer une émotion chez le promeneur du jardin, à la même mesure que dans un bâtiment. Pour cela, on se propose de mettre en lumière le caractère architecturé du Jardin tropical moderne de Roberto Burle Marx, et commencer à souligner la spécificité de son travail à l'heure des grandes évolutions modernistes brésiliennes à l'aube du XXe siècle.

L'usage des plans dominants est un dispositif et une logique de construction récurrente dans la pensée des travaux de Roberto Burle Marx. La principale caractéristique qui pourrait regrouper tout ces dispositifs très différents serait la cohérence avec le site naturel. L'ensemble de ces dispositifs va non seulement s'adapter à ce terrain, mais se destinent systématiquement à le mettre en valeur sans en brouiller les spécificités. Selon la topographie par exemple, les plans dominants seront horizontaux, verticaux ou oblique, afin de créer une nouvelle centralité, un rayonnement et/ou une perspective. Pour les jardins citadins, on peut voir apparaître de vaste surface « dallée », ou des murs transformé en jardins verticaux. Parfois, les plans horizontaux sont signifiés par différentes strates arbustives ou par plusieurs plans parallèles disposés à plusieurs niveaux en utilisant des jardinières échelonnées ou des groupes d’arbustes de différentes hauteurs. On comprend alors une volonté de limiter pour créer l'espace, que ce soit planaire ou en élévation, le paysagiste créée un environnement architecturé avec les mêmes intentions et outils que l'architecte. (Cf. Dessin 001)

I.01

LE VOLUME


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

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I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Dessin de structures végétales ROBERTO BURLE MARX 001


26

Roberto Burle-Marx crée une topographie, signifiée par des évènements qui vont composer l’espace et le découper par des plans virtuels. Cela donne lieu à des "colonnades" de palmiers, des rideaux opaques de bambous qui viennent jouer avec limites en se faisant véritable mur, paravent ou fenêtres pour dynamiser l'expérience du promeneur. En dehors des villes, il utilise la topographie déjà existante et utilise les versants des vallées. Ainsi des plans obliques soulignent les parterres de fleurs et apparaissent comme un plan, dans cette composition.

Dessin perspective du jardin du M.E.S ROBERTO BURLE MARX 002


27

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Photo du jardin du M.E.S JONAS ROMO 003


LE VOLUME

ET TEXTURES

28

D

ans un contexte tropical, bien loin des climats européens, les arbres sont gigantesques, leurs troncs couverts de plantes épiphytes telles que les orchidées. On peut voir de grandes feuilles aux formes parfois étranges, marquées par des taches ou des nervures, de toutes les couleurs. Des racines à l’air libre qui s’entrelacent, des lianes qui tombent du ciel, et des inflorescences ici et là. Tout paraît plus grand, plus solide, plus coloré. Les jardins de Roberto Burle Marx sont aussi densément peuplés que ces paysages tropicaux que l’on retrouve dans les forêts aux quatre coins du pays. Il a su capter la forêt tropicale et la mettre à profit dans ce jardin, en traduisant ses qualités comme un véritable matériau de construction. Densités et textures spécifiques aux différentes espèces sont traduites comme les déclinaisons de différents outils qui seront nécessaires, appropriés, appréciés à des endroits variés dont le paysagiste est le seul architecte. Il a ainsi collectionné de nombreuses plantes, aux fleurs, feuilles et couleurs diverses (cf. Photos 004) qu’il a mis en scène sur des structures toujours plus novatrices (pergolas, poteaux, murs, escaliers, en pierre ou en acier) en lien avec les espaces bâtis. Un des thèmes récurrents auquel le paysagiste a du souvent faire face, et qui le rapproche une fois de plus de la dimension constructive, est celui du jardin de ville, ou jardin sur dalle, qui ne permettait pas de grandes libertés conceptuelles dans le dessin. Ces jardins urbains cherchaient la même fluidité et un dynamisme des jeux de profondeur, de hauteurs qu'un jardin classique, à la différence que le cadrage sur le paysage urbain apportait des conceptions nouvelles et jusque là inconnues des cariocas. Dans de nombreux jardins, on peut remarquer que le paysagiste

I.01

FORMES, VOLUMES


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN 29

DOCUMENT PERSO. 004

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Photo de plante au Sitio Burle Marx, Santo Antonio da Bica


30

utilise la matière minérale comme élément de la composition pour signifier la déambulation, pour tracer un chemin pédestre. Il y a toujours un équilibre bien particulier entre la part végétale et le minéral. Ce travail d'équilibre rappelle également celui de l'Architecte moderne, à cette même époque, avec l'avènement du jardin sur le toit-terrasse ainsi que la libération du rez-de-chaussée avec la prolifération des pilotis. Avec ces chemins pavettés très spécifiques (notamment dans la ville de Rio de Janeiro) tout s’entremêlent, chaque élément joue avec l’autre, et si la distinction entre nature et artifice est présente, elle permet également l'appréciation de chacun avec un regard nouveau. On retrouve différentes textures, couleurs, formes et aspects de pierres : Les bas-reliefs en béton armé, des parterres de « pierre portugaises », des murs d’azulejos, des blocs de pierre brute, des compositions de pierre granitique et de marbre, des tas de pierre d’eau polis par les courants, des sculptures ou encore du mobilier urbain, qui font maintenant face et permettent la mise en valeur du contexte naturel environnant. On retrouve par exemple la richesse des textures, matières et volumes dans un projet comme le Rez-deChaussé du bâtiment du BNDES dans le Centro de Rio. (Cf. photos 005) Tous ces éléments font partie de l’éventail du paysagiste que Roberto Burle Marx ne cesse de réinventer dans ces laboratoires verts aujourd'hui appelés jardins. « Des ruisseaux mélodieux les parcours et leurs ondulations ont pris les reflets qui gazouillent dans les gorges des ramures. »1 Au Brésil, et à Rio de Janeiro particulièrement, la chaleur est constante, et l'eau vient à prendre un rôle thermo-régulateur majeur, auquel le paysagiste fait systématiquement appel. L'eau intervient parfois sous ces formes naturelles – rivières, sources et ruisseaux – et si il n’y en a pas, des lacs artificiels, des étangs, des fontaines ou des cascades sont 1

(poème arabe anonyme). Les jardins d’Oualata, dans Le Jardin des caresses


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

31

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Photos de la topographie créer pour le BNDES LEONARDO FINOTTI 005


32

créées. Ainsi, le paysagiste peut également faire appel à toutes les espèces aquatiques pour venir enrichir l'ensemble de sa composition : dans ces eaux se développent une multitude de nouvelles espèces, parties intégrantes de ce laboratoire botanique à ciel ouvert. Ainsi la dimension constructive revient à l'ordre quant à la question de la gestion et de l'évolution de ces plantes, car des mesures doivent permettre le contrôle de la prolifération des plantes aquatiques. De ce fait, Roberto Burle Marx impose des bacs de rétention aux plantes de ces lacs artificiels qui permettront la constante surveillance des espèces présentes. C'est le cas dans la fontaine de l'Institut Moreira Sales, dans le quartier de Gavéa, à Rio de Janeiro où le paysagiste implante un lac artificiel qui va accueillir différentes espèces aquatiques comme des papyrus. Le bac de rétention qu'il place garantit à la fois accessibilité, gestion de la croissance, conservation de sa composition originelle, entretient et esthétique de l'intervention. Il créer un fond à se décor en plaçant un mur courbe recouvert d'azulejos peint qui vient architecturé un peu plus l'espace. (cf. photo 007) La présence de ces plans d'eau permet la mise en tension du paysage avec le reste du jardin, suivant des ambitions similaires à celles de l'architecte japonais Tadao Ando2, dont l'usage mesuré du plan d'eau permet la mise en tension du bâti avec son paysage. Finalement le plan d'eau fonctionne comme un miroir (cf photo 005), permettant la vibration de l’élément architecturé avec son contexte, avec un élément naturel et avec le ciel. On suppose donc que l'effet est tel avec le jardin tropical moderne, quand le plan d'eau vient à faire miroir, il démultiplie les effets de la nature et projette le spectateur plus loin dans son parcours immersif.

2

Ando, T. Jodidio, P. (2017). Tadao Ando au Château La Coste. Actes Sud.


1. Dieu

2. Feu

3. Terre

4. Air

5. Eau

6. Ether

LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

Signification symbolique des formes géométriques DOCUMENT PERSO. 006

33

JONAS ROMO 007

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Photo du lac et du mur d'azulejos du jardin de l'IMS


LES OUTILS DU JARDINIER

L

es outils de composition spatial qu’utilise Roberto Burle Marx sont multiples et diversifiés. On peut tenter d'associer par familles ces outils spécifiques, pour imager son champ d'action. opposition

-

vibration collection

-

contraste

-

courbe

accumulation

- horizon contemplation - déambulation modularité - souplesse cycle - permanence homme - nature surfaces - aplats plans - niveaux formes - volumes matières - gravité rythme - composition fond - figure expansion - réduction

34

verticale

répétition

-

ponctuation

Travailler ces jardins laboratoire induisait malgré tout une méthode, un cycle de pensée récurrent et des mécanismes pour chaque projet. Comme nous avons déjà pu le voir précédemment, le paysagiste s'appropriait en grande partie le caractère du sol naturel, et en traduisait chacune des subtilités pour justifier le dessin final de son jardin. Cependant, la plume de Roberto Burle Marx et la trace de son dessin reste effective et très démonstrative, elle suggère ses mécanismes de travail, associés à des outils et des dispositifs qui reviennent fréquemment

I.01

LE VOLUME

RYTHME ET COMPOSITION :


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

35

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Photo aérienne du Calcadao de Copacabana LEONARDO FINOTTI 008


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au fil des années d'expérience et des jardins. À la lecture des jardins du paysagiste, on ne peut qu'associer ces ouvrages à ses peintures abstraites, elles-mêmes abordant des thématiques liées à la recherche par la couleur, par le rythme, qui font figure d'une composition minutieuse et mesurée. Finalement on peut en venir à penser que Roberto Burle Marx imagine ses jardins comme il compose ses peintures. La différence entre ces deux techniques résiderait uniquement dans le support, la genèse de l’œuvre n'est plus une toile blanche mais le sol naturel brut, empreint d'histoire et de vie, comme un socle organique. Il peint à présent dans l'espace, à la manière du sculpteur. Reprenant ses propres mots, « Le rythme n’est pas la répétition, c’est une question de relation entre une forme et une autre, entre un espace et un autre, une texture, une surface, une couleur et une autre. »3, il figure bien cette notion d'espace associée à une recherche par la couleur, le rythme et les outils cités plus haut. Il s'agit véritablement de composer en vue de créer un équilibre par le mouvement. « On peut utiliser des répétitions, des analogies, des contrastes, des approximations, des distances, des relations entre les volumes, les surfaces et les lignes, de même qu’entre les formes, les couleurs et les textures. »4, ces outils sont variés, et se justifient suivant les caractéristiques des champs sur lesquels ils intervient. Tout était jeu de proportion, un choix mesurer des éléments dominants, en cela il s'agissait d'une composition plastique. L’ombre et la lumière définissent le volume, la structure et la texture. Le musicien des formes. « Si nous nous appuyions sur les lois de la composition (le jeu des volumes, l’établissement de rythme, le contraste et l’harmonie des formes, l’utilisation de couleurs) et comprenons, en même temps, les changements par lesquels passe les plantes au 3 Burle Marx, R. (1987). Arte & paisagem: Conferências escolhidas. Rio de Janeiro : Nobel. Conférence, Le jardin comme forme d'art, 1962, Rio de Janeiro 4 Burle Marx, R. (1987). Arte & paisagem: Conferências escolhidas. Rio de Janeiro : Nobel. Conférence, Le jardin comme forme d'art, 1962, Rio de Janeiro


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

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I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Ondes – Paysage, Recueil : "Calligrammes" GUILLAUME APOLLINAIRE 009


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cours de leur cycle végétatif, si nous tenons compte de leurs mutations et du cycle du jour, de l’aurore au crépuscule en passant par toutes les graduations, et que la nuit nous tirons parti de l’éclairage de la manière la moins conventionnelle et la moins agressive, et si nous considérons en outre les bruits, les murmures de l’eau, du vent dans les cimes des arbres, les parfums qui caractérisent les saisons et, surtout, la ténacité de certaines espèces, en gardant à l’esprit les implications sociologiques, nous aurons assuré, à travers nos efforts, une vie équilibrée et plus juste pour l’homme de notre temps. »5 Rythme. Roberto Burle Marx créait le rythme en tenant compte des cycles de floraison des plantes, du jour et de la nuit, des variations météorologiques, du vent dans les cymes, du bruit de l’eau, des parfums, de l’équilibre entre plein et vide, entre espace de déambulation et espace planté. Par la balade du promeneur le rythme apparaît, par sa vitesse de déplacement, son rythme de respiration, si il monte, si il descend, si il s’arrête, passant de la végétation dense à des espaces ouverts. Il crée la musique des espaces. Il danse en rythme dans le tableau. Répétitions. La répétition permet le jeu d’échelle et de perception. Des Alocasia violet mis côte à côte sur un grand versant de vallée vont créer une vague violette, qui déferle par gravité. La plantation d’arbre ou arbuste en « bouquet » se voit apparentée à une explosion, un feu d’artifice. (cf. dessin 010) Analogie. Différentes espèces aux qualités plastiques proches étaient disposées ensembles pour mettre en évidence la similitude de leurs formes. Contraste. Les surfaces, couleurs et textures contrastées 5 Montero, M. I. (2001). Roberto Burle Marx: The Lyrical Landscape. University of California Press.


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN 39

DOCUMENT PERSO. 010

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Dessin du jardin des ministres sur le toit terrasse


étaient juxtaposés pour exploiter la complémentarité des contraintes. Le contraste attire l'œil, met en valeur, et permet la lecture claire de la composition initiale. C’est grâce à cet outil que le basculement de la peinture au jardin se fait et que l’intention du concepteur reste visible malgré les années et le changement d’échelle. Cela est amplifié selon notre point de vue, dans le jardin, en voiture ou depuis notre balcon du 7ème étage. (cf. photo 011)

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Isolement. Lorsqu’on dit qu’un élément est isolé, unique, dans une composition il a alors beaucoup d’importance. Le rapport numérique s’inverse par l’unicité. 1>42. Un arbre planté seul, renforce son individualité et sa préciosité à côté des masses homogènes voisines. (cf. photo 011) Fond et Figure. Comme un fond sonore ou un fond de cinéma, les motifs interviennent à ce moment-là dans le travail de Burle Marx. Ils provoquent une lecture dynamique, ont un rôle psychédélique voire épileptique par l’opposition de forme et de négatif. (Assemblage de motif) Expansion et réduction. Parfois si l’on supprime un élément d’une trame régulière, l’équilibre apparait. Parfois aussi si l’on multiplie, les curseurs bougent.


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

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I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Photos de contraste végétal au Sitio Burle Marx DOCUMENT PERSO. 011


COULEURS ET APLATS

LA SURFACE

L 42

a couleur est une notion primordiale dans l'association et la mise en relation des surfaces qui compose le Jardin Tropical Moderne de Roberto Burle Marx. La recherche par le travail de la polychromie est une invention et une aubaine pour la modernité. Roberto Burle-marx est animé par les potentiels chromatiques des éléments naturels, dans l’élaboration de ses jardins. Comme nous l'avons vu précédemment, il interprète le jardin comme un espace à composer avec de nombreux outils, qui peuvent s'apparenter à ceux du peintre. Dans un prolongement de cet art, la couleur, les pigments, prennent vie. La végétation tropicale apparaît comme un spectre extrêmement varier comme le retranscrive les peintures de Maria Graham ou de Guillermo Santoma. (Cf 012 et 013). « La plante, comme la couleur, s’enrichit de sens quand elle se trouve en contrepoint d’une autre couleur ou d’une autre plante »6. Encore une fois, il est très clair qu'il pense ses jardins de la même manière qu'une peinture, ou chaque espèce de plante sélectionnée s'offre à lui comme une potentielle palette de couleurs. À la différence de la peinture, ces plantes évoluent, et rendent ses compositions d'autant plus vivantes. La flore va évoluer chromatiquement au gré des saisons. On peut de ce fait parler de couleurs vivantes. Ces gouaches interviennent ainsi dans son processus de conception, et chaque couleur va être traduite par un élément, une texture, une plante ou un langage floral particulier. On remarque qu'il utilisait les couleurs primaires de manière à atteindre, grâce à leurs propriétés universelles, un langage plastique accessible, et 6 Burle Marx, R. (1987). Arte & paisagem: Conferências escolhidas. Rio de Janeiro : Nobel. Conférence, Le jardin comme forme d'art, 1962, Rio de Janeiro

I.02

LA SURFACE


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN 43

Burle-Marx I et II GUILLERMO SANTOMA 013

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

View of the Corcovado Peinture, 1821-1825, MARIA GRAHAM 012


Etude altimétrique et de densité du jardin du M.E.S

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DOCUMENT PERSO. 014

Etude Colorimétrique du jardin du M.E.S DOCUMENT PERSO. 015

Etude Colorimétrique du jardin du M.E.S DOCUMENT PERSO. 016


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

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I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Gouache du Jardin du Toit terrasse du M.E.S ROBERTO BURLE MARX 017


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des jeux de contraste marqué. Cela l'aide ensuite à créer de vastes blocs monochromes, répétant une espèce végétale ou regroupant des espèces semblables. Il utilise parfois la peinture de manière monochromatique pour le dessein des pavements de sol en pierre. Ces couleurs sont cependant une représentation graphique de se que l'esprit de Roberto Burle Marx conçoit. Elles n'ont pas de traduction précise. La gouache rouge ne sera pas matérialisée par une surface de fleurs carmin dans le jardin comme on le remarque dans l'analyse chromatique du jardin du M.E.S. Il s'agit uniquement d'un outil d'expression des contrastes. Ces aplats chromatiques vont définir des zones de densité, de couleur, de hauteur. Cette peinture participe ainsi à la conception du jardin et fait la transition entre un système plan et la constitution de l'espace. Finalement, ces peintures se font surtout les allégories du jardin, et traduisent une ambition plus qu'un plan précis à la manière d'un architecte. Il s'agit là d'une interprétation sensitive de sa pensée, qui malgré son côté imaginaire et poétique, est finalement assez efficace dans la communication de ses ambitions. (cf. gouaches 018)

Gouaches de plusieurs Jardins à Rio et à Brasilia ROBERTO BURLE MARX 018


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

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I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?


LA SURFACE

PROGRAMMATIQUE

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L

ota de Macedo Soares, femme architecte très influente dans le développement urbanistique de la ville de Rio de Janeiro, fût mandatée dans les années 1960 pour encadrer l’équipe en charge de concevoir le futur parc de Flamengo. Un mois après sa nomination, Lota informait le gouverneur que l’Aterro do Flamengo serait " la dernière zone du centre-ville qui permettra à son gouvernement de faire un projet d’une grande utilité publique mais également d'une très grande beauté." Selon elle, " la zone sera conçu avec un soin particulier pour préserver son paysage privilégié et la brise marine " de la baie. Visionnaire, elle prédit : « Un simple couloir de voitures, qui pourrait se transformer en une immense zone boisée et éventuellement devenir un symbole pour la ville de Rio de Janeiro »7. Pour Lota, il ne s'agissait donc pas seulement de créer un parc conventionnel, avec des fontaines, des bancs et des terrains de jeux. Dans son idée le Parc devait remplir la tâche implicite de contribuer à l'amélioration de la qualité de vie, de contenir l'offensive de la spéculation immobilière et de permettre la réconciliation des citoyens avec leur ville, ainsi que le rayonnement de celle-ci, à l'échelle du pays mais aussi à l'échelle du monde. La complexité de la zone d'implantation du parc tient du fait qu'il s'agissait du seul lien direct entre le sud et le centre de Rio. Le parc vient donc se positionner en longueur à la translation entre deux bouts constituant de la ville et mal desservis. Le grand défi fut donc de concevoir un parc qui viendrait encadrer un « circuit » automobile nouveau et dense entre le sud et le centre, permettant le désenclavement, sans perdre son identité de jardin public "carioca". (cf. plan 019). 7 De Oliveira, A. R. (2006). Parque do Flamengo: instrumento de planificação e resistência. www.vitruvius.com.br/revistas/read/ arquitextos/07.079/288

I.02

IMBRICATION


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN 49

Bleu : Voies automobiles Vert : Voies piétonnes DOCUMENT PERSO. 019

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Étude Programmatique de l'Aterro do Flamengo


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En ce qui concerne l'aménagement du parc en lui-même, certaines problématiques urbaines supposées par la complexité du site ont joué un rôle décisif dans l'organisation fonctionnelle du jardin. En plus de s'adapter à l'aménagement préliminaire du remblai et des routes, le projet du parc devait intégrer d'importants équipements urbains moderne déjà réalisés séparément tels que l'aéroport Santos Dumont (1944), le Musée d'Art Moderne d'Affonso Eduardo Reidy (1956) et le Monument aux Places (1956). Il s'agissait donc d'étudier l'activité du site afin de mieux répondre aux besoins programmatiques et aux diverses demandes des usagers et des cariocas. Le schéma de l'organisation fonctionnelle de ce parc, après une étude spécifique, semble conçu en succession de trois branches programmatiques constituantes (cf. plan 020) : La première est située entre les limites bâties de la ville et les voies rapides, où se trouvaient les parkings, les cours de tennis et les terrains de jeux. Les parkings ont été placés sur cette voie, entre autres pour encourager les utilisateurs à marcher et utiliser les multiples ponts et chemin dessinés par Roberto Burle Marx (cf. traits sur le plan). La deuxième piste est constituée par les voies rapides et les jardins centraux conçus avec une perspective profonde pour être vus à partir des voitures et à grande vitesse (cf. rouge sur le plan). La troisième bande, qui borde la baie, prend en charge les équipements de loisirs, la plage, et les activités associées. Le point majeur dans cette figuration réside dans la manière dont ces différentes branches communiquent entre elles : des passerelles et des passages souterrains ont été créés afin de permettre à la fois une translation entre les niveaux, et entre les différents espaces caractéristiques d'activité, de contemplation et de déambulation. En ce qui concerne l'utilisation de la végétation, plutôt que la simple exécution d'un projet, le projet de l’Aterro do Flamengo montre la grande rigueur et le maître expérimenté qu’est Roberto Burle Marx : sa grande connaissance des plantes aura également été d’une grande importance pour le développement de ce parc dans ces conditions


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

02

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Rouge : Voies automobiles Pointillés : Voies souterraines Continus : Passerelles DOCUMENT PERSO. 020

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Étude des obstacles physiques de l'Aterro do Flamengo


climatiques défavorables (vents, sel de mer) et édaphiques (sol composé de boue salée).

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A ce jour, le Parc est classé au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 2012, dans l'ensemble « Rio de Janeiro, paysages cariocas entre la montagne et la mer »8, comme réponse au travail précis et démesuré des paysagistes cariocas de l'époque. Ce travail n'a pas seulement conféré un parc immense comme une nouvelle centralité pour la ville, il a fourni un lieu de vie, qui participe non seulement à fournir l'identité culturelle déjà très forte des cariocas, mais il s'est aussi inscrit dans les traditions (organisation de nombreux évènement majeur tel que le Carnaval par exemple, cf. 023), et participe au rayonnement international de cette ville prodigieuse.

8 Le bien consiste en un paysage urbain exceptionnel comprenant les éléments naturels qui ont régi et inspiré le développement de la ville, partant des sommets montagneux du parc national de Tijuca pour descendre vers la mer. Site internet de l'UNESCO - http://whc.unesco.org/fr/list/1100

Photo Aérienne de l'Aterro do Flamengo en 1953 MARCEL GAUTHEROT 021


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

LAYLA MOTTA 023

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Photo Aérienne d'un bloco du Carnaval de Rio en 2018

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Vue depuis la voie automobile sur le pain de sucre LEONARDO FINOTTI 022


LA SURFACE

ET LE "GENIUS LOCI"

P 54

our chaque projet la règle d'or de Roberto Burle Marx est de savoir se renouveler, ne pas appliquer une recette précise mais plutôt de composer avec la précision d'un lieu particulier. Prenons cette fois l'exemple du jardin de sa vie, le Sitio Roberto Burle Marx. Ce jardin a la très grande particularité qu'il a été établi en un lieu offrant des possibilités d'acclimatation pour chacune des espèces autochtones de la flore brésilienne, c'est un laboratoire où chaque fleur est un véritable cas d'étude. "J’ai horreur de la formule, j’aime les principes mais je déteste la formule. C’est à cause de ça que pour moi c’est très important de découvrir des formes, découvrir des rythmes, et je cherche continuellement à découvrir de nouveau principe pour chaque projet, qui seront une réponse aux caractères du lieu " 9 Le Sitio a donc été choisi, puis aménagé, de manière à offrir un couvert suffisamment dense pour des plantes tels que les philodendrons, dont plus de 400 espèces y ont été installées, ainsi qu'une prodigieuse association d'une multitude d'espèces de fleurs, de plantes et arbres divers, qui y retrouvent leurs conditions d'existences (et ce, malgré leurs fortes différences et les termes de cohabitation de chacune d'entre elles). Roberto Burle Marx pense donc des zones sur l'ensemble de son site, afin de convenir à ces associations de plantes réfléchit dans un objectif majeur de pérennité et de coexistence saine. Il pense par exemple une zone humide, pour la flore des régions de l'Amazonie, et de Bahia où là célèbre Victoria Regia et diverses espèces de nymphéas trouvèrent un milieu de subsistance adéquat (cf. zone 4 du plan et photos 024). Il crée également 9 Une journée avec Roberto Burle Marx : Peintre Sculpteur Paysagiste. (1992). [Conférence vidéo]. à l'Ecole Nationale Supérieur de Paysage de Versailles

I.02

LE SAVOIR BOTANIQUE


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN 55

Photos Analogiques des écosystèmes du sitio Burle Marx DOCUMENTS PERSO. 024

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Peinture, Embocadura do rio Cachoeira, 1820 JOHANN MORITZ RUGENDAS 025


une serre gigantesque (zone 6 sur le plan) dans laquelle il collectionne tout au long de sa vie les plantes qu'il ramène de ses excursions et qu'il utilise par la suite dans ses projets. Ainsi, le jardin du Sitio est dessiné non pas en fonction d'une recherche de formes mais selon la logique des climats et de la géologie propre aux différentes régions du Brésil. C'est une réponse à ses besoins de laboratoire botanique personnel, mais également aux qualités du site qui y sont très diverses. Il dispose le secteur des Musacées et des plantes d’Amazonie à la proximité du lac et au point

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le plus bas pour être protégée du vent. A l'inverse il fait construire sa maison (zone 12) sur le plateau le plus ensoleillé, exposé plein sud. Il peut ainsi y accoler les plantes qui ont le plus besoin de soleil. C'est ainsi que Burle Marx met en évidence sa conviction que le motif moderne par excellence n'est pas comme la réduction de la nature à l'artifice, mais plutôt la reconnaissance des organisations complexes qui réunissent les plantes dans des écosystèmes extrêmement élaborés. Il s'en inspire en essayant de capter le génie du lieu ou Genius Loci dont parlait Alexander Pope en 173110. Il ne fait pas de doute que Roberto Burle Marx était capable de se nourrir de cet Esprit du lieu. Il savait faire ressortir le caractère de chaque site tout en rehaussant la qualité intrinsèque du paysage. Chaque paysage est empreint d’une signification pour celui qui le regarde. Roberto Burle Marx captait ces signes subliminaux et les organisait pour transmettre un message visant à éveiller un état d’âme. Il parvenait à créer un sentiment d’unité entre le jardin et ces alentours.

10 Alexander Pope a fait du genius loci un principe important du jardinage et de l'aménagement paysager. Il a fondé l'une des idées les plus acceptées de l'architecture du paysage, qui veut que l'aménagement paysager soit toujours conçu en fonction de l'endroit.


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

1 - Entrée 2 - Secteur des musacées 3 - Secteur des plante d’amazonie 4 - Lac 5 - Pepinière de bromeliacées (Jardin Margaret Mee) 6 - Serre et pépinière 7 - Serre des Orchidées 8 - Propagateur de semis 9 - Jardin d’Agave 10 - Jardin de Cactus 11 - Jardin de Broméliacées 12 - Résidence 13 - Jardin de plantes de roche et grimpante 14 - Pavillion de la Fête 15 - Atelier

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14

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3

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1

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Plan du Sitio Burle Marx DOCUMENT PERSO. 026

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

2

1 - Entr 2 - Sect cées 3 - Sect d’amaz 4 - Lac 5 - Pepi liacées ret Mee 6 - Serr 7 - Serr 8 - Prop semis 9 - Jard 10 - Jar 11 - Jar liacées 12 - Ré 13 - Jar de roch


LEÇONS ET ENSEIGNEMENTS DU

LE PLAN

PAYSAGE ET DES PAYSAGISTES

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L

I.03

LE PLAN

es jardins de Roberto Burle Marx sont raisonnés et calculés, mais paraissent naturels et harmonieux au-delà de leur très rigoureuse organisation formelle. Une relation intime avec la nature lui permet de donner naissance à des espaces d’aspect sauvage, et ce grâce à l'interdépendance des matériaux, des formes, et des couleurs. Roberto Burle Marx crée ses jardins en voulant passer inaperçu. Mais à l'image d'André Le Nôtre, et ses jardins français centenaires, il est très facile de reconnaître les jardins de Roberto Burle Marx. Le jardin français est ordonné, géométrique, ses formes s’opposent à la nature. André Le Nôtre dessinait ses jardins comme le peintre qu'il était, en cherchant à démontrer le goût artistique du roi Louis XIV, ainsi que son style intellectuel et savant, allant jusqu'à l'utilisation du nombre d'or et des règles de composition de la mythologie. À l'inverse, le jardin anglais cherche à reproduire la nature en dissimulant tout artifice humain. On a souvent associé les premiers jardins de Roberto Burle Marx aux jardins anglais, du fait de leurs affinités formelles. Dans les deux cas, on remarque une tension par le rapprochement de divers éléments créant la surprise et la découverte. On peut le remarquer sur le plan du Ministère de l'Économie et de la Santé (cf. plan 028). Les courbes sinueuses viennent se rapprocher pour créer un espace uniquement pour déambuler ou à l'inverse s'écartent pour laisser la liberté au promeneur de s’asseoir ou de profiter d'une vue plus ouverte. Le tracé sinueux du promeneur s'apparente aux méandres du fleuve Amazone, où l'eau se fraye un chemin au gré des obstacles. (cf photo 027)

Photo Aérienne des méandres d'Amazonie NASA 027


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN 59 I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Plan masse du ministère de l'éducation et de la santé DOCUMENT PERSO. 028


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L’utilisation des couleurs et des textures des feuilles pour obtenir un effet d'intensité et de contraste permanent est un exemple de sophistication, qui induit à cette comparaison. Comme dans les jardins arabes, où les éléments sont disposés pour le plaisir des sens, les jardins de Roberto Burle Marx, se visitent avec la vue, l’ouïe et l'odorat, mais également avec la mémoire, suscitant une résonance émotionnelle très personnelle chez le promeneur. Ils ont également en commun l'importance de l'eau, qui joue un rôle fondamental autant par la création d'ambiance apaisante, la régulation climatique et les reflets successifs du paysage et du ciel. Mais pendant que les jardins arabes poursuivent une fin mystique, le jardin de Roberto Burle Marx cherche une signification éthique voir écologique : pour éviter la destruction de la nature, il veut créer un ordre où la beauté remplirait d'autres fonctions, au-delà du simple plaisir. Il pensait ses jardins selon un ordre intérieur qui leur étaient propres, bien différents de la nature redoutable et toute-puissante. En ce sens, son œuvre se rapproche de celle classique et ordonnée d'André Le Nôtre. L'une et l'autre mettent l'accent sur la structure propre du jardin, bien que Roberto Burle Marx se détache de l'axe central, de la symétrie, des arbres taillés ou des labyrinthes. La véritable différence entre les deux réside dans le rôle donné au lieu. « Le Nôtre préfère recréer le site en fonction du jardin plutôt que d'adapter le jardin aux lignes indiquées par le site »11 Les compositions de Roberto Burle Marx tissent également quelques affinités avec les jardins chinois et japonais. On remarque qu'il utilise à de nombreuses reprises le principe de pas japonais comme dans le jardin aquatique du Palacio Itamarati (à Brasilia, cf. photo 029). Mais également par la recherche de l'économie de moyens, et le profit 11

J. Benoist-Méchin,(1975). L’homme et ses jardins, Paris : Albin Michel, p.189


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

Photo du jardin aquatique intérieur du Palacio Itamarati à Brasilia DOCUMENT PERSO. 029

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DOCUMENT PERSO. 030

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Photo analogique de la Fontaine de la résidence du Sitio Burle Marx


maximum qu'il tire de la texture des minéraux, des formes sculpturales des pierres, des fleurs et des troncs. La résonance des éléments, très explicite dans les jardins japonais (cf. photo du jardin de pierre, Kyoto 031) est primordiale dans la conception du jardin de Roberto Burle Marx et ce travail passe par le dessin de lignes sinueuses, à l'image d'ondes sonores qui rebondissent sur les éléments. « Les courbes représentent l’esprit sans chaines, plein de

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mystère et de beauté. (…) Les lignes droites représentent l’autocratie, dont la plupart des jardins européens sont l’expression. (…) Les lignes droites sont copiées de l’architecte et n’appartienne pas au paysage. Elles n’ont aucun rapport avec la nature, dont l’aménagement paysagé fait partie et en dehors duquel l’art c’est développé. Le paysage doit suivre les lignes de l’arbre, à la croissance libre, et avec ces milliers de courbes. »12 En ne recourant à un "paysagisme du passé" qu’avec parcimonie, notamment en rejetant les parterres de dahlias, les sculptures monumentales, les perspectives classiques, l’élagage artistique ou les allées de figures mythologiques, Roberto Burle Marx semble utiliser un langage qu'on pourrait qualifier de moderne et abstrait, afin d’articuler des traditions d’origines diverses. L’importation de styles européens se montrait particulièrement inappropriée en matière de paysagisme, car les plantes importées ne s’adaptaient pas au climat brésilien. Un double mouvement fut alors nécessaire : rompre avec les modèles rigides en grande partie issus de l’École des Beaux-Arts, et diminuer, voire supprimer, les espèces exogènes. Ce travail avait été quelque peu entreprit avant Roberto Burle Marx dans la ville de Rio de Janeiro. Jean VI de Portugal, fonde en 1808 le Jardin Botanique de Rio de Janeiro. C'est le premier jardin de la ville 12 Montero, M. I. (2001). Roberto Burle Marx:The Lyrical Landscape. University of California Press.


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN 63

DOCUMENT PERSO. 031

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Photos analogiques du jardin zen de Ryoan-ji à Kyoto


qui se compose principalement de la flore brésilienne. On remarque cependant à la vue du plan, les axes et perspectives emprunté au style européen de l'époque (Cf. plan 032).

64

Quelques années plus tard, un paysagiste français, Auguste Glaziou, arrive au Brésil en 1858, à l'invitation de l'empereur Dom Pedro II, avec pour mission de coordonner la Direction des parcs et jardins de la Maison Impériale à Rio de Janeiro. C'est ainsi qu'il commence à sillonner les forêts du pays, pour recueillir les plantes endogènes et encore méconnues. Roberto Burle Marx poursuivra ce travail de recherche et d'exploration tout au long de sa vie. C'est ensuite dans les jardins de Paul Villon qu'on commence à voir apparaître des courbes au Brésil (Cf. plan 033). Là est l'amorce du travail de Burle Marx, qui à une autre époque - où la modernité est l'enjeu - tirera leçon de tous ces enseignements et inventera le Jardin Tropical Moderne. Avec le jardin Tropical Moderne, Roberto Burle Marx redonne les lettres de noblesse aux plantes natives de son pays. Il échappe au piège chauviniste grâce à sa sophistication intellectuelle, à son attachement pour l’universalisme, favorisé par l’abstraction, et aux perspectives de son œuvre, élargies par les expéditions de recherche botanique qu’il menait dans les régions tropicales et subtropicales du monde entier.


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

Plan du Jardin Botanique de Rio de Janeiro CIDADE DE RIO DE JANEIRO 032

65 I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Paul Villon, plan du Parque da Cidade, 1895 MUSEU ABILLIO BARETTO 033


LE PLAN

ET LIBERTÉ

“En regardant par-delà la baie de Guanabara les formes baroques des montagnes de l'État de Rio, j’ai reproduit au sol des formes analogues.” 13

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C

ette nature tropicale, à la croissance qui semble infinie, ce paysage à la fois en perpétuel mouvement, mais également installé depuis des dizaines d’années, est le fondement absolu de l'architecture moderne et de la culture brésilienne. Cette nature forge à la fois l’identité culturelle du pays, mais aussi son architecture qui en découle directement, inspirée par le geste organique et les courbes naturelles de cette puissance issue de la terre. Chez Roberto Burle Marx littéralement ou chez Oscar Niemeyer métaphoriquement, on retrouve la même volonté d'inventer et de proposer une réponse au rationalisme du "vieux modèle" de l’architecture moderne : ils comprennent la forme comme un organisme vivant, et viennent ajouter à ce modèle la notion de temporalité, d'instabilité et un flux continu d'énergie matérielle. « Ce qui est extraordinaire, c’est que le baroque et le rococo ce soit si admirablement adapté au paysage brésilien. Le Brésil est si baroque qu’on a l’impression que ce style est né ici. »14 L’Aterro do Flamengo et la promenade de Copacabana sont deux exemples majeurs de l'œuvre de Roberto Burle Marx : l'un est inerte, l’autre est vivant, mais tous deux offrent le spectacle de plusieurs formes de mouvements différentes, comme un laboratoire de la promenade. Ces deux projets révèlent également une dimension psychédélique, ils ouvrent 13 Burle Marx, R. Dans William Howard Adams, (1991). Roberto Burle Marx : The Unatural Art of the Garden, New York, Museum of Modern Art, p.28 14 Montero, M. I. (2001). Roberto Burle Marx:The Lyrical Landscape. University of California Press.

I.03

COURBES, MOUVEMENT


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN 67

DOCUMENT PERSO. 034

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Croquis du Calรงadao de Copacabana comme tableau humain


sur un monde de mirages et d’hallucinations du fait de cette recherche dans la déambulation, dans la volumétrie et les couleurs. Parcourir ces jardins équivaut donc à “abandonner le monde carré de l’orthogonalité et de la science newtonienne, pour plonger dans le monde excentrique du continuum espace-temps d'Albert Einstein”15. Les jardins du paysagiste semble se compose d’une multitude de points de référence univers et des topologies complexes et réfléchies. C’est dans cette composition de plans réel et virtuels que se dessine ce potentiel de mouvement et

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d'instabilité évoqué plus haut. Il se libère en partie du courant moderne par cette libération du temps à l’intérieur de l’espace statique. On peut encore une fois faire référence à son travail en peinture, où les formes amibiennes expriment très bien cet environnement de vitalité. Paul Virilio, urbaniste et philosophe de la modernité, a un jour appelé la notion de « fonction oblique », qui, selon ses propres termes, « trouve ses origines dans les concepts de déséquilibre et d'instabilité motrice »16. Selon ses essais, les surfaces évoquées, inclinées ou en courbes, tirent parti de la gravité pour générer du mouvement. Alors on comprend par extension le rapport à l’eau que Roberto Burle Marx mettait beaucoup d’application à créer dans le travail de ses jardins extraordinaires. On comprend ainsi que l'utilisation de l'eau permet également de créer un dialogue implicite entre la forme du "contenant", et l'instabilité du "contenu". Pour mettre en évidence ce dispositif et ces rapports dialectiques, j'ai représenté le "monde" de formes qu'utilise le paysagiste pour ces bassins, fontaine et miroir d'eau.

Une journée avec Roberto Burle Marx : Peintre Sculpteur Paysagiste. (1992). [Conférence vidéo]. à l'Ecole Nationale Supérieur de Paysage de Versailles 15

16 Parent, C. (2004). La Fonction Oblique: l’Architecture de Claude Parent et Paul Virilio 1963-1969 (AA documents). France : AA Publications.


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN 69

DOCUMENT PERSO. 035

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Collage de vues en plan des plans d'eau de plusieurs projet


« Certains dessins de jardins et de parc paraissent être empruntés à Arp ou à Miro : une décoration « organique », qui insiste sur les courbes libres, qui affaiblit la géométrie des tracés régulateurs la dureté des profils architecturaux. »17

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On peut donc mettre en résonance ce lexique de forme et les recherches des peintres et sculpteurs de l'art abstrait comme Jean Arp, Henri Matisse ou Georges Braque.

17 Zévi, B. (1957). Architettura paesagistica Brasiliana di Roberto Burle Marx. Rome : Galeria nationale di arte moderna


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

039

038

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037

Configuration, 1951 JEAN HANS ARP 039 Form, 1951 JEAN HANS ARP 040 Papier Découpés, 1953 HENRI MATISSE 041

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Croquis-collage des lignes de Burle Marx DOCUMENT PERSO. 036/037/ 038


LE PLAN

GÉOMÉTRIE DANS LE PLAN

E

n observant les plantes, en les dessinant, Roberto Burle Marx a compris les beautés profondes de la nature, et les mécanismes qui la régissent. Dans ces mécanismes on comprend la vie de chaque être vivant, leurs apparences formelles, leurs géométries, et leurs interactions.

72

"Les jardins zoologiques montrent la réalité de la nature, l’existence d'un lien si intime entre certaines plantes et certains animaux, (...) Ainsi le bec d'un colibri est fait de telle façon qu'il a l'air d'un instrument spécialement élaboré pour recueillir le nectar de la fleur d'une Broméliacée ou d'une Héliconie."18 L'éveil de sa sensibilité de paysagiste lui est apparu lors de ces dessins d'étudiant en art, dans la serre tropical du Jardin Botanique de Dahlem à Berlin19. C'est ainsi qu'il a étudié les formes naturelles du pétale à la racine, en les dessinant à l’encre de Chine. Observer une fleur, une toile d'araignée, un cristal, révèle un univers physique qui obéit à des lois mathématiques. Burle Marx ne voulait pas créer des jardinstableau comme une métaphore de la nature, des espaces abstraits qui saisissent et expriment le lyrisme dans le paysage. Il ne considérait pas les formes naturelles et les formes géométriques comme opposées. Une interaction avait lieu entre son œuvre de paysagiste, et ses dessins : ses toiles permettaient de créer ses jardins comme un art plastique et ses jardins ouvraient la voie à une nouvelle expressivité dans sa peinture, l'enrichissant et la transformant.

18 Montero, M. I. (2001). Roberto Burle Marx:The Lyrical Landscape. University of California Press. 19 Ibid.

I.03

DESSIN ET DESSEIN : LA


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

Paysages d'amazonie, 1974 Peinture à l'encre de chine ROBERTO BURLE MARX 042

73

Pithecolobium tortum, 1964 Peinture à l'encre de chine ROBERTO BURLE MARX 043

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Praça Euclides da Cunha, 1935 Peinture à l'encre de chine ROBERTO BURLE MARX 044


« Il y a des analogies éclairantes. Une cuillère et la spathe, ce sac qui enveloppe l’inflorescence d’un arum ; l'hameçon peut être Lépine d'un palmier, d’un Desmonchus par exemple, le palmier grimpant qui va à la pèche des troncs, des branches, des lianes pour pouvoir monter »20

74

Un regard rapide sur les plans et peintures de Roberto Burle Marx pourrait laisser penser que ses dessins sont issus d'une impulsion, d'un geste. Mais une lecture plus approfondie laisse apparaître une profonde rigueur géométrique (cf. document 047). Il utilise d'abord les formes organiques, puis il commençe à introduire la géométrie dans ces compositions. Malgré les différentes époques et styles, le rejet de la symétrie et la recherche perpétuelle de nouvelles façons de composer un jardin n’auront jamais quittés l’esprit de Burle Marx. « L'asymétrie libère l'esprit »,21 disait-il. Il remarqua que la géométrie pouvait transmettre le monde réel de l'émotion. Au fil du temps, différents processus de conception se succèdent, parfois nourri par la qualification programmatique des espaces, à d’autre moment par la superposition d'une trame orthogonale. Ces différents processus se sont développés au fil des projets pour aboutir à une période de grande maturité où il fit éclater toutes les combinaisons formelles. Ces dernières compositions paysagères sont éclectiques, il utilise la répétition du motif pour suggérer l'infini et créer un rapport d'échelle entre l'homme et la ville, comparable à la trame de Superstudio22. Il place un système formel à côté d'un autre sans transition, combinant des traits contradictoires créant une poétique expressive pour produire un sentiment de dislocation qui confère à l’espace une qualité transcendante. 20 Montero, M. I. (2001). Roberto Burle Marx:The Lyrical Landscape. University of California Press. 21 Ibid. 22 Superstudio, agence d'architecture fondée en 1966 à Florence.


LE VOLUME LA SURFACE LE PLAN

Redessin du Motif de Ipanema DOCUMENT PERSO. 045

75

Décomposition géométrique du motif DOCUMENT PERSO. 047

I. LE JARDIN COMME UNE ARCHITECTURE ?

Redessin du Motif de Copacabana DOCUMENT PERSO. 046





Plan du terre plein central du Calรงadao de Copacabanna ROBERTO BURLE MARX 048


01

80

Photo des pierre qui compose le motif LAYLA MOTTA 049

03

Photo LAYLA MOTTA 050


Photo du motif de Copacabana LAYLA MOTTA 052

01

03

Tronรงon de photos de la promenade de Copacabanna DOCUMENT PERSO. 051


Echinopsis ancistrophora, Margaret Mee, 1964


II. "INTERACTIONS"

83


GRAVITATION

RENCONTRES

P

armi les cinq points fondamentaux de l'architecture moderne du Corbusier 23, au moins trois de ces points ont un lien direct avec la question du paysage, largement absorbée par les architectes brésiliens et permettant également une articulation harmonieuse entre l'architecture et la nature.

84

En premier lieu, la notion de rez-de-chaussée libre, rendue possible par l'utilisation de pilotis, augmente le volume architectural du rez-de-chaussée. Il permet une adaptation complète aux conditions topographiques de la terre et générant, grâce à ce procédé technique, des espaces libres de coexistence, de vie et de repos dans les zones couvertes sous le bâtiment. Ainsi, la possibilité de circulation sous le bâtiment est construite, sans interruption du mouvement continu de l'ambiance. « (...) des pilotis plongeant dans les déclivités supporteraient la maison pure, créeraient gratuitement des espaces utilisables, permettraient la plantation d'arbres et l’établissement de pelouses et remplaceraient un paysage de pierre mélancolique et moyenâgeux par des étendues de verdures continues du milieu desquels surgiraient les seuls prismes des maisons. Quelle grâce, quel bienfait et quelle économie ! » 24 23 Les cinq points de la nouvelle architecture sont : le plan libre (une structure indépendante qui permet la libre position des murs, n’ayant plus de rôle structurel); la façade libre (résulte également de l'indépendance de la structure, permettant une grande liberté pour les ouvertures vers l’extérieur); les pilotis (système de piliers qui élèvent le bâtiment du sol, permettant la circulation en dessous); la toiture terrasse jardin (transformation des toits habitables en terrasses, contrairement aux toits inclinés des bâtiments traditionnels) et les fenêtres en longueur (conséquence de l'indépendance structurelle, ce sont des ouvertures longitudinales, qui permettent un éclairage plus uniforme et une vue panoramique sur l'extérieur). Publié en 1926 dans le magazine L'Esprit Nouveau. 24 Le Corbusier, L. C. (1960). Précisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme (1re éd.). Paris : Editions Vincent Fréal Et Cie. p. 60, Les techniques

II.01

RENCONTRES


naturel. En conséquence, la conception du bâtiment commence à englober la conception du territoire et le paysage. Le jardin avant rejoint le jardin arrière, devenant un, il y a gain d'espace, l'interaction avec le vert et le sentiment de bien-être. En incorporant le paysage, l'architecture l'assimile à sa structure, générant une nouvelle entité spatiale.

II. "INTÉRACTIONS"

sont l’assiette même du lyrisme, conférence 25 Les constructions pilotées pouvaient être transposées n'importe où et cette mobilité a été annoncée par Le Corbusier lors de ses conférences.

85

Ainsi, un grand changement dans la relation entre l'architecture et la nature est opéré : le second n'est plus soumis à la première, mais ils interagissent avec respect, permettant de nouveaux dialogues entre les prismes puristes possibles et les paysages environnants. La spatialité moderne exige une nouvelle échelle d'appréhension, et donc de nouvelles déterminations en territoire naturel. De nouveaux paysages ne sont plus conçus comme un pur flou pour la forme architecturale, mais comme une possibilité d’expérience de l’environnement plus large. Ainsi apparaît la nécessité de donner au dessin du territoire une nouvelle vision, une force expressive, en permettant quelques approches de cette problématique avec l’art moderne en ce qui concerne les tensions de la surface visuelle. Il fallait donner forme au nouveau monde, accorder de la valeur aux espaces, permettre à la nature un nouveau dessin de la conscience, la rendant intelligible dans ses déterminations. Cette articulation définirait

RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES

Les Pilotis sont caractérisés comme des éléments de transition entre l'objet architectural et le sol libéré pour la libre circulation, laissant le sol vierge et le paysage intact. Ils garantissent l'intégrité formelle de l'architecture puriste superposée, aux caractéristiques particulières de chaque terrain25, accentuant la maîtrise de la construction sur les environs, sur cet environnement idéal. Les architectes brésiliens, ainsi que l'architecte paysagiste Roberto Burle Marx, assimilent dans leur travail une caractéristique d'intégration entre objet construit et environnement


des relations harmonieuses des individus avec de nouvelles configurations de l’environnement. « Au-devant des grandes façades limpides nous transplanterons de beaux arbres cet hiver, quelques beaux arbres dont l’arabesque enrichira la composition et dont la présence, plus nous étudions l'architecture et l'urbanisme, nous apparaîtra bienvenue. (...) Arbre, chose merveilleuse et aimé des hommes. » 26

86

Comme le montre les photos ci-contre, les pilotis viennent soulever le bâtiment pour laisser passer les regards, le paysage et le promeneur. Ils créés un espace abrité (cf. 055), signifie l'entrée et viennent se confondre avec les troncs d'arbres (cf. 054).

26 Le Corbusier, L. C. (1960). Précisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme (1re éd.). Paris : Editions Vincent Fréal Et Cie. p. 60, Les techniques sont l’assiette même du lyrisme, conférence


RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES

Photos du Rez-de-Chaussé du M.E.S DOCUMENT PERSO. 053

87

Poteaux qui se confondent aux troncs LAURENT BEAUDOIN 054

N.C. 055

II. "INTÉRACTIONS"

Fondation Suisse, Cité Universitaire, Paris, France. Le Corbusier.


RENCONTRES

U 88

n de ces célèbres points de architecture moderne, directement lié à celui abordé précédemment, est l'utilisation de la terrasse par jardin, la cinquième façade corbuséenne ou le toit-terrasse, « plein de fleurs, de lierres, de thuyas, de lauriers de Chine, d’okubas, de fusains, de lilas, d’arbres fruitiers. »27 Il ne s'agit pas seulement d'un espace ouvert, à remplir sans discernement : il va au-delà de la simple ambition fonctionnelle pour permettre à l'homme une existence saine, à travers l'utilisation d'espaces ensoleillés et hygiéniques. Selon Le Corbusier, « le type de ces jardins en l'air me paraît la formule moderne de prise d’air pratique, à portée immédiate du centre de la vie. »28 C'était une terrasse accessible, qui pouvait être plantée, un espace de vie et de contemplation qui offrait une expérience intense de la nature en favorisant une relation avec le ciel et le soleil, où l'on pouvait côtoyer la canopée des arbres environnants, flottant au-dessus de la ligne d'horizon, évoquant le calme et la réflexion. « Le béton armé atteint le toit-terrasse et, avec une couverture de quinze ou vingt centimètres de terrain, au plafond du jardin. L'herbe donne de l'ombre et les racines comprimées forment un feutre isolant épais. Isolant froid et isolant de chaleur. C'est-àdire, un produit isothermal libre qui n'a pas besoin de n'importe quel entretien. (...) Le jardin sur le toit a sa propre vie ; grâce au soleil, aux pluies, aux vents et aux oiseaux porteurs de graines. »29 27 Le Corbusier, L. C. (1960). Précisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme (1re éd.). Paris : Editions Vincent Fréal Et Cie. p. 45, Les techniques sont l’assiette même du lyrisme, conférence 28 Le Corbusier, L. C. (1960). Précisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme (1re éd.). Paris : Editions Vincent Fréal Et Cie. p. 99, Une cellule à l’échelle humaine, conférence 29 Corbusier, L. (1954). Une petite maison 1923. Suisse : Birkhäuser p. 24.

II.01

COURONNEMENT


LEONARDO FINOTTI 056

RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES

Photo aérienne Condomínio São Luiz (1984)⁣ Marcelo Fragelli + Burle Marx⁣

89 II. "INTÉRACTIONS"





Photo du toit terrasse du Palacio Itamarati, Brasilia DOCUMENT PERSO. 057


Au Brésil, la terrasse végétalisée est un moyen d'introduire la nature dans la construction. Elle génère la possibilité d'insérer une nature esthétisée et humanisée à l'intérieur ou au-dessus de l'architecture, et permet de créer un plan avec un traitement paysager parallèle au sol, où l'architecture est implantée. De cette façon, la terrasse du jardin est également considérée comme une extension du bâtiment, une partie de sa structure, formant avec elle un ensemble inséparable composé de nature humanisée (environnement et terrasse) et d'architecture.

94

"Quant au jardin sur le toit du ministère, il a poussé si haut maintenant qu’en en regardant l’immeuble depuis le sol, on a l’impression mystérieuse d'une jungle qui s’étire de façon fantastique vers le ciel et attire des nuages de pluie jusqu’au deux cheminées bleues entourant les puits d'ascenseur et les citernes d'eau de ce qui reste le plus beau gratte-ciel de Rio." 30 Le projet du ministère de l'Éducation et de la Santé (1936) a été conçu pour permettre au bâtiment de d'offrir trois couches de paysages qui se chevauchent (conçues par Burle Marx, cf. 059) : la première couche, la plus haute, sur la terrasse sur le toit du bloc principal ; la seconde, quelques mètres plus bas, la terrasse sur l'aile des expositions (cf. photo 058) ; et la troisième et dernière couche, au rez-de-chaussée, où les plates-bandes s'étendent autour du bâtiment. C'est comme si le paysage suspendu des terrasses du jardin débordait sur les limites physiques et atteignait l'ensemble du terrain. De ce mouvement découle une conjonction de perceptions provenant de chemins horizontaux et verticaux : la vision du marcheur au rez-de-chaussée qui découvre la richesse visuelle des plans qui se 30 VINCENT, C. (1947). "The modern garden in Brazil" dans : Architectural Review, p. 172. Cité par FRASER, V. "Le Corbusier cannibalisé, Les jardins du MES" Dans : Cavalcanti, L. (2011). Roberto Burle Marx: La modernité du paysage. Paris : Actar., p. 238


RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES

Dessin d'imbrication des jardin dans le projet du M.E.S DOCUMENT PERSO. 059

95 II. "INTÉRACTIONS"

Photo du M.E.S LEONARDO FINOTTI 058


96

construisent autour de lui (Cf. 3 du croquis 059); la contemplation de ceux qui se trouvent aux étages supérieurs vers le terrain (Cf. 2 du croquis 059), ou encore la contemplation de la terrasse (Cf. 1 du croquis 059), en plein air, d’où on peut construire des relations entre les jardins, l’architecture et le paysage environnant, et enfin le paysage lointain, très prégnant à Rio de Janeiro. Il convient de préciser qu'avant la conception de ce projet, Roberto Burle Marx a déjà projeté un jardin sur la toiture terrasse de l'Institut de Réassurance du Brésil (IRB), le projet de Marcelo et Milton Roberto, en 1939. Comme nous l'avons déjà vu, le concept de terrasse-jardin recommandé par Le Corbusier définit le toit comme un lieu où vous pourrez contempler l'architecture et le paysage. Dans le projet de l’IRB (Cf. Dessin 060), On retrouve une expansion de ce concept - qui sera plus tard perfectionnée pour le ministère de l'Éducation et de la Santé par l'inclusion d'événements plastiques, d’art et de loisirs dans l'espace. Il ajoute à cela l’expérimentation de la végétation indigène luxuriante et l'établissement d’une correspondance définitive entre le bâtiment, le jardin et le paysage : « Un " jardin de promenade " en miniature, flottant au-dessus de l’horizon. Au complet avec son étang et ses pas japonais, ses bouquets de Papyrus duveteux contrastant avec des massifs de plantes rouge sang et le vert clair de l’herbe aux bisons, ce « fragment de terre » a probablement atteint un effet surréaliste sur la toile de fond du Rio moderne et de la baie, reflétant les montagnes de Niterói au loin. » 31

31 Dorothée IMBERT, " Parterres en l'air : Roberto Burle Marx et le toitjardin moderne" Dans : Cavalcanti, L. (2011). Roberto Burle Marx: La modernité du paysage. Paris : Actar., p. 238


RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES

Dessin de la terrasse de l'IRB à Rio de Janeiro ROBERTO BURLE MARX 060

97

Dessin de la terrasse de l'IRB à Rio de Janeiro ROBERTO BURLE MARX 061

II. "INTÉRACTIONS"


RENCONTRES

98

D

ans cette recherche qui met en comparaison le travail de Roberto Burle Marx suivant la théorie de l’architecture moderne, il convient naturellement de mentionner la question des ouvertures du bâtiment vers le paysage lointain. La façade, libérée structurellement par les 5 grands points de l’architecture moderne de Le Corbusier, permet une nouvelle expansion des travées et un nouveau calcul des cadrages vers l’extérieur. Les grands espaces continus, formés par ces panneaux de verre, se penchent alors sur le paysage comme des miradors contemplatifs, un cadrage capturant, encadrant et rehaussant le point de vue sur l’environnement alentour. Les limites entre l’intérieur et l’extérieur se dissolvent alors, il y a un jaillissement de l’architecture vers le paysage à même mesure que le paysage envahi l’environnement domestique, renforçant ce tout nouveau sentiment de continuité entre intérieur et extérieur. La façade est un plan au-delà duquel s’ouvre un espace imaginaire qui apporte la lumière et la vue de l’environnement, où l’espace naturel extérieur est cadré. Le point de vue est unique par sa position au regard du paysage, on ne peut trouver de cadrage identique, on peut alors intégrer la notion de cadrage dynamique, du fait de la nécessité du mouvement associé à cette forme de contemplation. La fenêtre est un tableau mouvant où le paysage vie. On peut associer cette recherche de dynamisme induite par les cadrages au travail de Roberto Burle Marx et sa consciencieuse planification du parcours, par le biais de certains dispositifs comme les murs végétaux, l'insertion et les imbrications de niveaux et de différentes zones programmatiques. L'utilisation de patios donne également la possibilité d’ouvrir l'intérieur des maisons sans perdre le sens de l'intimité de l'environnement

II.01

CADRAGES


« La maison moderne est extraordinairement sensible au monde extérieur ; elle participe non seulement au paysage, mais aussi au climat, aux accidents majeurs, et même aux variations atmosphériques. (...) La révolution architecturale n’est donc pas

RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES

domestique. De plus, ces éléments peuvent être transformés en espaces sans contemplation, permettant l'informalité, la légèreté et l'ouverture rendues possibles par le climat brésilien, transmettant d’une manière différente l’équilibre entre l'homme et la nature. On comprend ainsi des ambitions communes à l’architecte moderne et le grand paysagiste brésilien : bien que Roberto Burle Marx tente de s’écarter par certains points de la rigueur moderne, certains principes fondamentaux les unissent dans leurs recherches.

99

Appropriation du paysage à Rio, Croquis LE CORBUSIER 062

II. "INTÉRACTIONS"

Maison sans propriétaire 3, 1930 LUCIO COSTA 063


100

purement extérieure. Au contraire. Elle se dirige vers l’extérieur et vers l’intérieur du bâtiment, où elle nous permet pour la première fois d’avoir une conscience physique de l’inverse de l’espace, de son existence physique. »32 La solution de brise-soleil est également un point qui peut permettre un rapprochement entre les deux artistes. Il s’agit d’une ressource qui atteint une forte expressivité, en transformant la surface étendue du bâtiment en un plan activé par la lumière. Pour le MES, le brise-soleil est un élément, coulé en béton, qui permet une étanchéité partielle de la construction (cf. photos 064), en rappelant les moucharabiehs des constructions coloniales minières. De l’extérieur, l’effet du rendu acquiert une valeur de surface et d’étanchéité ; de l’intérieur, il diffuse la luminosité extérieure dans une luminosité contrôlée et intime, amenant la nature dans le bâtiment de manière subtile, et en effectuant une transition en douceur avec la ville. Enfin, également associé aux cinq points de l’architecture moderne, le concept de promenade architecturale permet de valoriser le parcours comme une stratégie conceptuelle pour apprécier cette relation entre architecture et nature. C'est une façon de commander à la fois l'architecture intérieur et extérieur, en travaillant consciemment des variations du parcours. Par ce procédé, on oblige le visiteur à avoir une expérience de l’objet selon différentes positions et points de vue, en changeant constamment la relation entre l’objet et le visiteur, en permettant aussi une extension de la perception de l’aménité paysagère et du bâtiment. Le Corbusier lui-même révèle l’origine du concept de Promenade :

32 PEDROSA, M. (1981) Des peintures murales de Portinari aux espaces de brasilia. Sao Paulo: Perspective, Debates Collection n.170, p. 253


II. "INTÉRACTIONS"

Photos des brise-soleil du M.E.S DOCUMENTS PERSO. 064

Le Corbusier. Jeanneret. Œuvre Complète 1929-1934, p. 24

101

33

RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES

« L’architecture arabe nous donne un enseignement précieux. Elle s’apprécie à la marche, avec le pied ; c’est en marchant, en se déplaçant que l’on voit se développer les ordonnances de l’architecture. C’est un principe contraire à l’architecture baroque qui es conçue sur le papier, autour d’un point fixe théorique. Je préfère l’enseignement de l’architecture arabe. »33


LA VILLE NOUVELLE, DIALOGUES

DIALOGUES

ENTRE ÉCHELLES ET CONTINENTS

102

C

omme nous l'avons déjà abordé précédemment, d'après l'expérience du paysage Carioca, Le Corbusier rebâtit son idéal urbain, presque de la même manière que Roberto Burle Marx. Les solutions recommandées pour la ville idéale du futur34 - comme la Cité Radieuse - avec la concentration de grands bâtiments avec de grands blocs isolés comme des unités autonomes permettant la libération de grandes superficies de terrain, la préservation de grandes étendues de zone boisée, avec la garantie d'une vue dégager, en plus de la présence de soleil, d'air et de vert pour tous, a commencé à démontrer un souci avec la question du Paysage. Dans ce cas, l'isolement fournirait un grand espace vert ininterrompu, permettant une plus grande intimité avec la nature, dans un effort pour trouver les conditions naturelles perdues dans la “ville machiniste”. " Je conserve l’herbe et les troupeaux, les arbres séculaires et toutes les échappées ravissantes du paysage. (...) Tout y participe : les troupeaux, les herbes, les fleurettes du premier plan, que l’on foule du pied et que l’on caresse de l’œil, le lac, les Alpes, le ciel... et les divines proportions." 35 Pour lui, la ville est insérée au milieu du vert, comme un grand parc, donnant continuité et cohérence à une appropriation du sol, permettant à l'habitant la santé et l'hygiène, fournis par l'extérieur :

34 Le Corbusier et l'avant-garde moderniste européenne s'étaient engagés depuis les années 1920 à imaginer un nouveau projet pour la ville du XXe siècle. 35 Le Corbusier, L. C. (1960). Précisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme (1re éd.). Paris : Editions Vincent Fréal Et Cie. p. 50, Les techniques sont l’assiette même du lyrisme, conférence

II.02

DIALOGUES


RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES 103

Bâtiment du Secrétariat, Palais des Nations, Genève,1922, Croquis LE CORBUSIER 065

II. "INTÉRACTIONS"

Relation entre bâtiments et espaces libres, Croquis LE CORBUSIER 066


"La ville moderne sera couverte d'arbres. C'est une nécessité pour le poumon, c'est une tendresse à l’égard de nos cœurs, c'est le condiment même de la grande plastique géométrique introduit dans l'architecture contemporaine par le fer et le béton armé." 36

104

La présence de la nature dans les espaces urbains permet la réconciliation de l'être humain avec l'environnement naturel. La ville transformée en « mer d'arbres », parsemée de « pures formes prismatiques de cristaux majestueux »37, est comme il imagine le Plan Voisin pour Paris de 1925. Comme si une base abstraite verte était structurée par une architecture rationnelle, et ponctuée d'arbres. La végétation pour Le Corbusier assume le caractère de médiateur entre l'échelle humaine des habitants de la ville et la grande échelle architecturale, des blocs monumentaux. De plus, la végétation offre abri et bien-être : « l'arbre semble être cet élément essentiel de notre confort qui offre à la ville quelque chose comme une caresse, une gentillesse délicate, au milieu de nos œuvres autoritaires. » 38 On peut dire que Le Corbusier a mis l'accent sur la puissance évocatrice du paysage dans ses projets, mais n'a pas développé un projet de jardin. Il s'inquiète de la présence de la nature dans le paysage urbain, mais n'élabore pas de projets paysagers. Pour lui, le sol doit être libre, et recouvert d'une pelouse large et flexible qui permet la circulation et accueil les fonctions éducatives et les loisirs ; c'est une abstraction géométrique, une homogénéité verte, qui servirait de contrepoint pour les bâtiments - le grand travail humain - et permettrait l'utilisation démocratique des espaces libres.39 La question du vert et du paysage 36 Le Corbusier, L. C. (1960). Précisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme (1re éd.). Paris : Editions Vincent Fréal Et Cie. p. 154, « Un homme = une cellule, des cellules = la ville », conférence 37 ibid. 38 Le Corbusier, L.C. (1947) Urbanisme. Flammarion, 2011 p.223 39 ibid.


RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES

pour Le Corbusier est plus liée au concept classique d'harmonie avec la nature qu'au geste d'humanisation de cette nature. Pour lui, le paysage est envisagé, encadré et exploré, mais n'établit pas avec l’architecture une relation d'égalité. Il reste dans une attitude statique : l'attitude rationnelle sur l’intellectualisation du paysage finit par rendre celuici uniforme, et viens créer une distance avec l'observateur. En effet, l’attitude de ne pas qualifier le paysage et donc le « vide » qui entoure

105

Vue sur le MASP de Lina Bo Bardi DOCUMENT PERSO. 067

II. "INTÉRACTIONS"

Le pouvoir des arbres en ville, ombre et verdure LAYLA MOTTA 068


106

le projet crée une dichotomie avec « le plein »40. Le Corbusier entend faire « respirer la ville » par une pelouse continue, ponctuée d’arbres, mais sans le concevoir réellement il le rend intouchable, déshumanisé, et difficilement appropriable. Il est tout de même important de souligner la différence de climat entre l'Europe et l’Amérique du Sud. Le climat européen offre moins de temps à l'année pour profiter pleinement des espaces paysagers. Cela pourrait expliquer la posture uniquement contemplative sur le paysage, que développe Le Corbusier. Sur cette question de la qualification de l'espace paysager, Roberto Burle Marx joue un rôle fondamental car il réalise une révolution dans la conception de l'espace-jardin permettant la matérialisation d'une procédure de construction de paysages par un ordre et, par conséquent, le développement d'un langage nécessaire à la création d'un projet. En imposant le dessin à la nature - par l’intermédiaire du projet 41 – il construit une dimension esthétique. Contrairement à l'homogénéité verte de Le Corbusier où les pelouses, les chemins et les arbres se conforment à l'espace d'où émerge l’architecture. La préférence de Roberto Burle-Marx pour les compositions colorées et luxuriantes qui embrassent les bâtiments se démarque. Par ce geste, le paysage extrapole le concept d'une scène agréable sur laquelle l'architecture se libère, devenant véritablement un lieu où de nouvelles relations peuvent s'établir entre l'espace et l'homme. Ainsi, l'artiste projette un milieu, construit une dimension plus complète du paysage. En outre, il utilise dans son répertoire des espèces jamais utilisées dans l'art de l'aménagement paysager illustrant ce contrôle et cette connaissance dans la manipulation de la matière naturelle : à partir du respect de l’emplacement et des particularités de chacunes, Roberto Burle-Marx crée une relation entre 40 Le Corbusier, L.C. (1947) Urbanisme. Flammarion, 2011 41 "Le projet est le dessin, le trait qui traduit les données empiriques en données intellectuelles" c’est le "caractère intentionnel comme affirmation claire de la dimension culturelles" dans ARGAN, G. C. (1992). Art moderne. Des Lumières aux mouvements contemporains. Sao Paulo : Companhia das Letras, p. 25


Dans ce cas, la végétation tropicale est une allié puissante du paysagiste pour atteindre ses objectifs. En effet, Il est important de rappeler une nouvelle fois que la flore et le climat tropical, sont très différent de ce que l'on peut rencontrer en Europe. C'est en cela que Roberto Burle Marx a eu la chance d'explorer autant l'espace architectural paysagé, et comprendre aussi ces notions de conceptions. Par la richesse du sol et du climat brésilien, il a pu se démarquer de l'approche plus contemplative du "jardin européen moderne", et définir un pan du jardin moderne.

II. "INTÉRACTIONS"

Flamengo Park, vue depuis le jardin de l'aquarium, 1969 ROBERTO BURLE MARX 069

107

Ainsi, il voit les plantes non pas comme des éléments simples utilisés pour remplir les formes de leurs plates-bandes, mais comme des parties intégrantes d'un tout, et le fait par un processus intégré qui rend la complexité de la végétation tropicale lisible.

RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES

les processus de composition et les effets produits par la végétation, en recherchant une opération non seulement esthétique, mais géographique et botanique, en tenant compte du climat, de l’eau, du sol, du relief, et surtout de la flore.


DIALOGUES

PASSÉE COLONIAL ET INDIGÈNE

108

L

es définitions des compositions paysagères de Roberto Burle Marx étaient basées sur sa vaste connaissance de la flore brésilienne. À cette fin, il a fait des excursions dans l'intérieur du pays, en collectant, analysant et collectionnant de nouvelles espèces, comme le voyage des naturalistes étrangers du XIXe siècle42 dans des missions scientifiques. La grande différence entre eux, comme l'a dit Abillio Guerra, est dans le but de ces voyages : alors que les expéditions d'étrangers ont été financées par les gouvernements métropolitains afin que l'on puisse avoir une connaissance spécifique du potentiel économique du pays, dans le cas de Roberto Burle Marx, les voyages ont représenté la première partie de son travail, une recherche d'espèces avec un potentiel paysager qui plus tard seraient introduits dans ces projets. Le contact avec les paysages, avec les coutumes et les couleurs de chaque région a permis de dévoiler des réalités inconnues dans le pays, devenant une source permanente d'idées et apportant des références constantes à l'environnement habité. « C'est par l'observation que nous en arrivons à comprendre la raison d'être de beaucoup de choses, le sens de l'existence de certains êtres et la beauté qui y existe. Je tiens à insister sur le fait que la nature est un tout symphonique, dans lequel les éléments sont tous liés intimement - taille, forme, couleur, parfum, mouvement, ... » 43

42

Auguste François Marie Glaziou, Louis-Antoine de Bougainville, ...

43 GUERRA, A. (2016). Architecture and Nature. Brésil : Latin America: Thoughts. Lucio Costa, GregoriWarchavchik et Roberto Burle Marx : synthèse entre architecture et nature tropicale

II.02

DIALOGUE CULTUREL, LE


architecture et nature tropicale 45 MOTTA, F. (1983). Roberto Burle Marx et la nouvelle vision du paysage. Sao Paulo : Nobel, p. 5

II. "INTÉRACTIONS"

GUERRA, A. (2016). Architecture and Nature. Brésil : Latin America: Thoughts. Lucio Costa, GregoriWarchavchik et Roberto Burle Marx : synthèse entre 44

109

Cette posture d'investigation vis-à-vis de la nature, peut d'abord sembler un simple geste de recherche et de connaissance de la flore comme matière première de ses œuvres, mais cette façon de se placer face aux découvertes a un sens plus large : Roberto Burle Marx crée des moyens pour l'ensemble de la population de participer à cet approfondissement de la connaissance de la flore, ce qui en fait le paysage quotidien. Finalement, il propose à la manière d'un musée, d'ouvrir les esprits et d'éveiller la curiosité envers son pays dont il est fier. En retirant une plante de son habitat naturel et en l'insérant dans une réalité urbaine humanisée qu’est le jardin public, Roberto Burle Marx œuvre pour la retirer de l'anonymat et la rapprocher des habitants45. Le jardin devient alors une ressource éducative à travers l'art et la beauté, dans la construction d'une autre nature : la nature humanisée, imprégnée de culture. Pour cette raison, nous pouvons dire que Roberto Burle Marx crée non un croisement entre la culture et la nature, la rationalité et la sensibilité, mais aussi entre la tradition et la modernité. Il maintient néanmoins d’une part la rationalité et l'universalité abstraite basées sur Le Corbusier et le cubisme et, d'autre part, souligne la spécificité du

RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES

C'est comme si, à travers le processus d'observation, il construisait une sorte de répertoire de possibilités, la synthèse de ce qu'il trouvait le plus intéressant dans les expéditions, la collecte et la réorganisation de ces éléments dans son travail. Les spécimens botaniques ont été recueillis au Sitio Santo Antônio da Bica, à partir de 1949, où il a collecté la plupart des plantes ornementales brésiliennes ainsi que des espèces rares des tropiques. Dans les années 1980, la totalité de l'ensemble atteignait 3 500 espèces, dont des spécimens typiques du Brésil et des tropiques.44


paysage tropical et l'unicité des racines de la culture brésilienne46 au sein de la culture universelle.

110

« Nous respectons la leçon de Le Corbusier. (...) Nous voulons cela, oui, l'application rigoureuse de la technique moderne et la satisfaction précise des exigences locales, tout sauf guidées et contrôlées, dans l'ensemble et en détail, par le désir constant de faire du travail de l'art plastique dans le sens le plus pur de l'expression. Cette rupture de rigidité, ce mouvement ordonné, qui va d'un bout à l'autre toute la composition a même quelque chose de baroque - dans le bon sens du terme - qui est très important pour nous, parce qu'il représente en quelque sorte un lien avec l'esprit traditionnel de l'architecture portugaise-brésilienne." 47 Selon Henrique Mindlin, l'architecture brésilienne avait « l'ancienne tradition populaire maintenue vivante par les maîtres d'œuvres qui reflétait une attitude spirituelle, conduit à une conscience de soi par les idées lancées par Le Corbusier ».48 Lucio Costa comprend que l'expérience accumulée du passé colonial doit être prise comme une référence, comme point de départ, mis à jour, cependant, selon les principes architecturaux modernes et principalement adapté au lieu spécifique de l'implantation. On remarque également que le thème de l'intégration entre l'architecture et le paysage imprègne les écrits de Lucio Costa sur l'urbanisme, basés sur l'intime, l'introversion et la recherche d'un paysage bucolique et désordonné. Selon l'architecte, un sens lyrique est attribué au paysage indigène,

46 Roberto Burle Marx a toujours gardé contact avec les racines populaires de l'art brésilien. C’est ce que l'on peut voir dans ses collections privées au Sitío (Cf photo 071). 47 MINDLIN, H. (1999). Modern Architecture in Brazil, Rio de Janeiro, Aéroplano, p.30 48 Ibid. p.30


RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES 111

DOCUMENT PERSO. 070

II. "INTÉRACTIONS"

Collection de poterie Indigène au Sitio Burle Marx


comme une « chose légitime de la terre »49, contrairement à l'aspect plus plastique et abstrait de Le Corbusier, où le paysage de Rio de Janeiro s'est présenté comme un synthétique profil des lignes sinueuses.

112

En raison de cette vision, Lucio Costa cherche la « participation des arbres et de la masse végétale elle-même comme compléments naturels » . Cette posture est éloignée de la façon dont Roberto Burle Marx cherche à intervenir dans le paysage. En assumant un geste constructif, il propose que le projet moderne s'étende à travers le paysage à travers la construction active d'un environnement approprié. De ce geste se dégagent à la fois des formes rigoureuses et des formes libres, fonctionnels et abstraites, qui se propagent à travers l'environnement, entrelacent les formes de l'architecture produisant un ensemble articulé et un paysage transformé où l'homme et la nature se rencontrent à nouveau. En ce sens, l'architecture brésilienne moderne est sensible et incisive sur le paysage tropical. Ce dialogue est manipulé par le paysagiste à travers l'utilisation d'un langage compatible avec son temps, générant des jardins qui ne sont pas passifs, mais participent à la compréhension de l'architecture insérée dans un contexte bien défini. Le jardin est configuré comme un lieu où l'architecture s'étend à travers des éléments qui le relient au paysage. Cette action permet l'établissement de la relation et l'approximation entre l'homme et la nature.

49 Herbert, J. L., & Costa, L. (2001). Lucio Costa : XXe siècle brésilien, témoin et acteur. Publications de l’Université de Saint-Étienne. « Considérations sur l'art contemporain des années 40 ». p.117


RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES II. "INTÉRACTIONS"

Vila Monlevade, 1934 LUCIO COSTA 072

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Sculpture de câbles, Copacabana, 1955 ROBERTO BURLE MARX 071


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Motifs issu du langage des indigène brésilien PIERRE DÉLÉAGE 073


RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES 115 II. "INTÉRACTIONS"

Dessins de l'Avenida Atlantica, Copacabana, 1970 ROBERTO BURLE MARX 074


L'ARCHITECTURE ET LA

INTERFÉRENCES

VILLE ENRACINÉE

L

'espace public est une donnée importante dans l’appréhension de la ville et la définition de son identité. Il va participer à l'appropriation de la ville par ces habitants et développer un sentiment d'appartenance. En cela, Roberto Burle Marx a joué un rôle majeur à Rio de Janeiro. Il a créé une identité visuelle forte qui vient définir l'identité culturelle de la ville.

116

"Si vous me demandez ce qui me fait le plus plaisir, ma réponse est que c'est lorsque le jardin est public, car il a un sens beaucoup plus large. Je préfère que mon travail soit pour le bonheur et la satisfaction du plus grand nombre possible."50 On remarque l'importance que Roberto Burle Marx porte pour l'espace libre et ouvert dans la ville. Cet espace ouvert en ville, renforce le lien entre les bâtiments, et cherche à interférer avec les limites perceptibles dans le tissus urbain. Le rez-de-chaussé libre sur pilotis va dans ce sens également. On peut ainsi rappeler la différence entre le jardin - espace paysagé aménagé et entretenu par un jardinier - et le parc - étendue de terrain entretenue et parquée. On devine donc l'importance de l’absence de limite périphérique dans un jardin urbain, sous entendue par Roberto Burle Marx. Si l'on s'intéresse au Jardin de L'Aterro do Flamengo, les limites ne sont ni physiques ni visuelles, mais ordonnées par l'imbrication des programmes et de la topographie (cf. document ci-contre). Toute ces notions développer dans les œuvres de Burle Marx viennent participer à la continuité urbaine de la ville de Rio de Janeiro.

50 Une journée avec Roberto Burle Marx : Peintre Sculpteur Paysagiste. (1992). [Conférence vidéo]. à l'Ecole Nationale Supérieur de Paysage de Versailles

II.03

INTERFÉRENCES


RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES

Passerelles de l'atterro de Flamengo DOCUMENT PERSO. 075

117

DOCUMENT PERSO. 076

II. "INTÉRACTIONS"

Redessin des dispositif de limite du "ha ha" Anglais


« Une forme d’innocence consisterait à croire, en cette fin de siècle, que le développement urbain et bâti puisse être envisagé, puis contrôlé d’une façon raisonnable.Trop de visions d’architectes ont mordu la poussière pour qu’on puisse rêver à de nouvelles additions, à cette armée chimérique... Le bâti, le plein, est désormais incontrôlable, livré tous azimut à des forces politiques, financières, culturelles, qui le plongent dans une transformation perpétuelle. On ne peut pas en dire de même du vide ; il est peut-être le dernier sujet où les certitudes sont encore plausibles »51

118

Comme le souligne Rem Koolhaas dans cette dernière citation, le vide en ville a un rôle important à jouer et le Jardin Tropical Moderne tient vient répondre à ces exigences. La ville de Rio de Janeiro a fait la part belle au " vide" avec un grand nombre de jardins, places, parc et forêts. À plus petite échelle, c'est aussi l'enracinement de l'architecture qui fait la force du Jardin Tropical Moderne. L’architecture moderne notamment au Brésil, cherche a être une œuvre d’art totale. Elle recherche une intégration entre la structure du bâti et l’apparence visuelle. Une justification entre l’organisation des espaces intérieurs, extérieurs et le tracé urbain. Dans cette volonté là, le jardin viens se fondre, ou au moins se rapproche du bâtiment ; parfois la structure volumétrique de l'édifice sert de logique à l’organisation des jardins, par les terrassements qu'il va offrir ou l'implantation qu'il propose. Le jardins vient glisser sous l'architecture, ou fait socle en venant étendre l'espace architecturé au rez-de-chaussé de la parcelle. La préoccupation concernant la limite apparaît une nouvelle fois à l'échelle architecturale : frontières nettes ou transition graduelle, il s'agit d'une problématique récurrente, tant en architecture, qu'en paysagisme. Ainsi, « le jardin est 51 Guiheux, A. (1994). La Ville, art et architecture en Europe, 1870-1993. Paris : Centre Georges Pompidou.


52 Actar.

Cavalcanti, L. (2011). Roberto Burle Marx: La modernité du paysage. Paris :

RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES

une transition entre l'architecture et le paysage ».52 Roberto Burle Marx propose un nouveau genre de lieu qui en appelle à des éléments de ces deux mondes, les unifiant par un processus de synthèse innovant.

119 II. "INTÉRACTIONS"

La passerelle de l'Aterro do Flamengo LAYLA MOTTA 077


INTERFÉRENCES

CONTINUES ET DISCRÈTES

O 120

n est en droit de se poser la question de la posture du Jardin Tropical Moderne de Roberto Burle Marx vis-à-vis de l'architecture moderne. Car comme le dit Bruno Zévi, on pourrait interpréter derrière son dessein une attitude corrective de l'architecture. " Certains dessins de jardins (...) insistent sur les courbes libres, qui affaiblissent la géométrie des tracés régulateurs et la dureté des profils architecturaux. Une forme de compensation psychologique, particulièrement évidente dans le célèbre ministère de l’Éducation et de la Santé, à Rio, dessiné en 1936 sous l’orientation de Le Corbusier. L’intervention de Burle Marx se développe ici dans deux directions : soit il dispose une végétation luxuriante contre l’angle ou le mur d’un édifice, soit il casse la régularité rectangulaire d’une terrasse avec un dessin ondulant multicolore. Il s’agit de peinture dans le plein sens du terme, réaliser avec des plantes, composées suivant des masses chromatiquement compactes : les architectures s’adaptent, elles se lient au terrain, brisent sa géométrie. Le résultat est habituellement excellent, toujours intéressant et génial, mais laisse perplexe, précisément parce qu’il se base sur un processus « correctif » de l’architecture. "53 Certes, une opposition formelle est parfois mise en œuvre. Mais si l'on s'intéresse à la philosophie de Bergson sur les Multiplicités 54 , celle-ci ne deviennent non pas opposées mais interdépendante. 53 Zévi, B. (1957). Architettura paesagistica Brasiliana di Roberto Burle Marx. Rome : Galeria nationale di arte moderna 54 Ruby, C. (2013). Bergson. Essai sur les données immédiates de la conscience. Chapitre II. Paris : ELLIPSES.

II.03

LES MULTIPLICITÉS


RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES 121

ROBERTO BURLE MARX 078

II. "INTÉRACTIONS"

Plan à la gouache du jardin du Musée d'art Moderne, 1954


122

Il définit les multiplicités continues comme des multiplicités qui ne peuvent pas être divisées en plusieurs éléments. Il s'agit d'un tout formés d'éléments différents. Il définit également un autre type de multiplicité : les multiplicités d’unités discrètes, des éléments bien distincts qui forment un tout, mais contrairement aux précédentes, sont entièrement divisibles. Selon le philosophe français, les multiplicités continues sont formées par diverses forces temporelles hétérogènes. Dès lors, on ne peut s'empêcher de faire l'analogie avec le Jardin Tropical Moderne. Il poursuit son développement et affirme qu'en soustrayant "une force" de ces multiplicités de force, elle altérerait la forme même du tout, elle modifierait sa qualité, et non pas sa quantité. Dès lors, si on s'intéresse aux multiplicités d'unités discrètes, qui elles sont divisibles, le parallèle est possible avec l'architecture moderne. Sa dimension modulaire, de préfabrication, a une prédilection pour un système unitaire, dans lequel la soustraction ou l'addition d'un élément modifie la quantité, mais non la qualité de l'ensemble. Selon Bergson, ces multiplicités discrètes possèdent des qualités particulières que l'architecture moderne a largement intégrées tel que la divisibilité, la différenciation quantitative, la succession, la juxtaposition, l'organisation objective et l'espace. Les "multiplicités continues" qui sont incarnées par le jardin de Roberto Burle Marx, ont d'autres qualités telles que l'indivisibilité, la discrimination qualitative, la simultanéité, la fusion, l'organisation subjective et la durée. Ces deux logiques formelles vont ainsi interférer et non pas se corriger. La première - le rationalisme de l'architecture moderne - qui reste insensible à la marche du temps ; la seconde - les paysages de Burle Marx - qui se modélisent selon une géométrie fluide, qui évolue dans le temps, et qui ne pourrait être réduite à une unité inférieure au tout.


RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES

Photo du plan d'eau du MAM de Alfonso Reidy LÉONARDO FINOTTI 079

123 II. "INTÉRACTIONS"

Photo Aérienne du MAM, 1954 MARCEL GAUTHEROT 080


INTERFÉRENCES

124

L

'architecture organique est un courant architecturale qui s'intéresse à l'harmonie entre l'habitat humain et le monde « naturel , faisant du bâtiment une composition unifiée et intriquée à son environnement. Le concept d'architecture organique fut développé par Frank Lloyd Wright (1865-1959) qui considérait qu'un projet naissait de la rencontre des nécessités des gens et de l'esprit du lieu, à la manière d'un organisme vivant 55. Il faisait souvent l'analogie entre un projet et une graine qui va éclore et se développer au long du processus architectural. Sa conviction était que les bâtiments influençaient profondément les personnes qui y vivent, et pour cette raison, l'architecte avait donc la capacité de modeler les hommes. Le théoricien David Pearson proposa un ensemble de règles pour dessiner une architecture organique, la charte de Gaïa : « Laissons l'architecture : - Être inspirée par la nature et être durable, bonne pour la santé, protectrice et diverse. - Dépliée, comme un organisme se déplierait depuis l'intérieur d'une graine. - Exister à l'instant présent et renaissant toujours et encore. - Suivre le mouvement et rester flexible et adaptable. - Satisfaire des besoins sociaux, physiques et spirituels. - Se développer à partir du site et être unique. - Célébrer l'esprit de la jeunesse, du jeu et de la surprise. - Exprimer le rythme de la musique et la puissance de la danse. »56 Cette philosophie architecturale entre en écho avec le travail de Roberto Burle Marx et questionne la dimension vivante de l'architecture et du jardin. De prime abord, on parle d'architecture inerte, car celleci est immobile. En architecture, lorsque le bâtiment est livré, il est « 55 Pearson, D. (2001). David Pearson. New Organic Architecture. the Breaking Wave. Amsterdam, Pays-Bas : Adfo Books. 56 Ibid.

II.03

VIVANT ET INERTE


RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES 125

II. "INTÉRACTIONS"

Chemin de pierre entre les herbes LEONARDO FINOTTI 081


adulte », le projet est achevé. L’une des attentions qu’on doit lui porter au cours du temps est de veiller à ce qu’il ne tombe pas en ruine. A l'inverse, en paysage, lorsque le chantier est terminé, il commence son cycle de vie. Le paysagiste confie donc ce projet naissant à un tier, chargé de l'entretenir: c'est là qu'intervient le jardinier. Il y a ici une notion d’échelle temporelle nouvelle, qui impose de nouvelles considérations que le bâtiment d'architecture ne prend alors pas en compte.

126

« Les paysagistes sont plus portés que les architectes à prendre en compte la longue durée de la ville, leur travail sur la matière vivante faisant même de leur intervention par essence l’initialisation d’un processus plutôt que l’achèvement d’un projet »57 Il semble intéressant de remarquer que tout les jardins ne subissent pas les mêmes problématiques. En effet, les jardins à la française sont appelés jardins architecturaux, du fait de la régularité rigoureuse de leur entretient (avec la taille des végétaux par exemple), ils deviennent donc immobiles, inertes à la manière d'une construction architecturale. À l'inverse lorsque le jardin fait corps avec l'architecture, il joue le rôle de "prothèse" vivante et va donner un second souffle à l'architecture, en évoluant au fil des années et des saisons. C'est ce qu'on pourrait appeler le Modernisme Sauvage, comme si la nature définissait un nouveau registre d'architecture, pourtant par définition inerte et stable. La nature prend le dessus et rend corps à la ruine, par un apport organique, imprévisible et éphémère. Par ailleurs, la lumière fait vivre l'architecture et la rend mouvante.

57 DESVIGNE, Michel. (1999). “Le paysage, nature intermédiaire” in AMC, le Moniteur architecture, n°101, p. 60-68


RENCONTRES DIALOGUES INTERFÉRENCES 127

Croquis d’opposition entre vivant et inerte DOCUMENT PERSO. 083

II. "INTÉRACTIONS"

Croquis d’opposition entre vivant et inerte DOCUMENT PERSO. 082


Aechmea nudicaulis, Margaret Mee, 1958

III. PROMENA

« L’architecture est jugée par les yeux qui voient, par la tête qui tourne, par les jambes qui marchent. L’architecture n’est pas un phénomène synchronique, mais successif, fait de spectacles s’ajoutant les uns aux autres et se suivant dans le temps et l’espace, comme d’ailleurs le fait la musique » Le Corbusier.(1983). Le Modulor. L’Architecture d’Aujourd’hui.


ADE À TRAVERS LE TEMPS

129


130

UNE TRACE SUR LE TABLEAU : LES DESSEINS DU TRACÉ

PROMENADE PICTURALE

Cette ultime partie vient à la conclusion d’une recherche qui nous a déjà mené vers plusieurs hypothèses. La première place le jardin tropical moderne en analogie avec l'architecture par l'espace qu'il crée, les surfaces qui le compose et le plan conceptuel qui le régit. Puis nous avons énoncé les interactions que le jardin de Roberto Burle Marx avait avec l'architecture moderne sur le plan théorique, culturel et spatiale. Il s’agit maintenant de mettre en avant la part de l’imprévisible, calculé dans la conception et l’usage du jardin tropical moderne. Cette partie de la recherche s'intéresse plus particulièrement à l’expérience du jardin par le biais du parcours, de la marche et de la trace. La trace, en peinture comme l’outil de communication de l’artiste avec le monde, suite d’empreintes, de marques, laissées volontairement ou non par le passage d’un geste. Lorsque le marcheur foule la terre, sa trace laisse apparaître le sillon de sa promenade révélant son origine et suggérant sa direction. C’est de cette trace dont il est ici question, ainsi que de ce que nous nommerons le geste, sous-entendu le parcours du marcheur, pour nous permettre de remonter aux desseins du jardin moderne. L’idée que je cherche à mettre en valeur est que le cheminement quotidien contribue à former l’image générale d’un environnement, et que la pratique d’un lieu en désigne majoritairement l’essence. Le parcours ne nous permet pas seulement de nous déplacer d’un lieu à un autre, mais contribue à nous donner une vision plus large de l’ensemble (références à de plus grandes échelles). De la même manière que le geste du peintre, nous considérerons le geste du marcheur comme potentiel révélateur de la pensée du jardin : en analysant les parcours au travers des différents dispositifs, il s’agit là de mettre en avant et replacer les grands principes de Roberto Burle Marx

III.01

LA PROMENADE PICTURALE LA QUÊTE DE L'ÉTERNEL

PROMENADE PICTURALE


PROMENADE PICTURALE QUÊTE DE L'ÉTERNEL

Les traces montagneuses qui entoure le Sitio Burle Marx

DOCUMENT PERSO. 084

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III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS


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: déambulation et contemplation, ou les échanges entre mouvements et regards. L’analyse de la trace de la promenade du Sitio de Roberto Burles Marx nous révèle plusieurs éléments : D’une part, force est de constater l’ampleur physique de la promenade qu’a construit Roberto Burle Marx avec ce travail ambitieux, qui traverse collines naturelles et artificielles, différentes séquences marquées par un travail rigoureux dans la composition des espèces de plantes (densités, hauteurs, couleurs, compositions), ainsi que le traitement des chemins et des différentes interventions et variations architecturales, rappelant la notion de séquence visuelle (approche d’analyse de la perception visuelle des espaces, sur laquelle nous reviendrons plus tard dans ce mémoire de recherche). D’autre part, on observe que ce cheminement n’est pas continu, et suppose l’existence de parcours secondaires sur le site. Différentes embouchures permettent la dérive du marcheur qui possède de ce fait la liberté de s’approprier l’ensemble du site. Roberto Burle Marx semblait conscient de l’existence de ces diverses possibilités, et tente de contrôler de ce fait ce qu’il appelait “la bifurcation de la perception, toujours en mouvement entre le spécifique et le général” qu’il plaçait “entre une branche de délicate orchidées à longues tiges et un panorama soudainement révélé sur la vallée en contrebas”58. Il semble clair que la rigueur du paysagiste tient compte de l’insolence du marcheur : en lui rendant la possibilité de s’approprier sa promenade par le choix de plusieurs séquences, il décline les différentes teintes d’un univers malgré tout unique (cf. Multipilictés continues) Les parcours caractéristiques des jardins participent à l’appréhension de la totalité de celui-ci même, et révèle de ce fait les qualités fondamentales de son paysage. William Howard Adams, Roberto Burle Marx :The Unnnatural Art of the Garden, New York, Museum of Modern Art, 1991, p.6 58


PROMENADE PICTURALE QUÊTE DE L'ÉTERNEL

Schéma de la trace du Sitio Burle Marx DOCUMENT PERSO. 085

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III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS


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Schéma de la trace du Sitio Burle Marx Elements Architecturaux (route ou bâtiments) DOCUMENT PERSO. 086


135 III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS

Schéma de la trace du Sitio Burle Marx Elements Naturels DOCUMENT PERSO. 087


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Tapisserie du Sitio Burle Marx ROBERTO BURLE MARX 088


137 III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS

Perspective de l'atterro do Flamengo ROBERTO BURLE MARX 089


FLÂNERIE À RIO DE JANEIRO : RÉCIT D'UNE BALADE PICTURALE

PROMENADE PICTURALE

J

’aimerais revenir sur la part personnelle que le marcheur emmène avec lui dans sa marche et qui participe à sa perception du lieu, de l’ordre de l’appropriation dans ce cas présent. L’ensemble de ce travail de recherche né de mon contact avec ces jardins fabuleux, aussi j’aimerais ici en faire l’extrait afin d’illustrer les propos évoqués précédemment.

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A l'image de Le Corbusier dans son livre "La petite maison" je souhaiterais rendre compte de mon expérience du paysage dans le jardin de l'Institut Moreira Sales et vous présenter les différentes étapes de mon parcours pictural qui vient faire lien entre le plan et la réalité de l'espacejardin.


PROMENADE PICTURALE QUÊTE DE L'ÉTERNEL

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III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS

Extraits du livre "la petite maison" LE CORBUSIER 090


Premier arrêt : Jardin d'entrée

140

La réception est grandiose. Les fleurs de « l'éponge-dorée » en touffes jaunes, les gigantesques jaqueiras, les pyramides des jambeiros et la jasmin-mangue de fleurs roses montrent clairement que la maison, construite en 1951 pour abriter la famille de Walther Moreira Salles, n'est pas isolée de la nature qui couvre les pentes en tome. Une nature qui n'a rien d'inhospitalier. Au contraire, il accueille et embrasse ceux qui arrivent avec de grandes branches, des odeurs, des couleurs et la fraîcheur de l'ombre des cœurs.

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3

Plan à la gouache du jardin de l'IMS. ROBERTO BURLE MARX 091


Le parterre central a été conçu comme un cadre. Formes arrondis, textures, couleurs contraste et communiqué et crée comme une peinture harmonieuse. Au moment du projet, l'herbe-poil-d’ours sombre a donné la couleur de fond, entrecoupée de plates-bandes avec différentes espèces de ventre-de-grenouille, avec des feuilles rayées et peintes en vert, blanc et pourpre. Une image que le chemin étroit envahit. Le visiteur fait partie du scénario.

3

La nature n'est jamais statique. Les plantes poussent, trouve les chemins de la lumière et créent de nouvelles ombres, meurent, hébergent les oiseaux, … Burle Marx a profité d'éléments qui faisaient déjà partie du site comme les Jaqueiras 4 et les pousses de Bambou 5 qu'il a pris de l'autre côté du ruisseau proche de la maison et qu’il a réutiliser pour son jardin. On remarque que l’allégorie du ruisseau constitue le jardin en tant que tel. En effet, le chemin et comme un cours d’eau qui ruisselle, s’écarte, rétrécie, coupe la nature. En deux mais n’empêche pas celle-ci de se développer.

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La famille Moreira Salles a contribué à la vie quotidienne du jardin. C’est suivant leurs volonté que Burle-Marx a disposé des Jambeiros, qui produisent aujourd'hui une profusion de fleurs de magentas et de fruits rosés, qui ravissent les oiseaux et les marmosets et à l’automne, ces brindilles de fleurs d’un rose vifs tombent et tapisse le dessous de l’arbre créant une ambiance très particulière. Ce Jambeiro qui s'élève exactement en face de la porte de la maison marque l’entrée et créer un seuil sous ça canopée.

7

Au fil des ans, les arbres ont grandi et l'ombre a avancé sur les plantes. Certains n'ont pas pu résister, comme l'herbe à ours qui couvrait une grande partie du terrain et descendait la pente jusqu'au porte d'entrée. Lorsque le jardin a été rénové pour abriter l'Institut Moreira Salles, même adapté à l'ombre, cette herbe ne poussait plus sur la pente, aujourd'hui couverte par les rafales vertes et blanches du Jiboia. Le changement d'ombre et d'humidité a également permis la croissance des broméliacées en touffe à gauche de ceux sur le banc d’azulejos.

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Comme si vous marchiez sur la passerelle en pierres d'un château médiéval, le visiteur passe à travers les feuilles en forme de flèche avec des côtes blanches dessinées - c'est le xantossoma « qui est une plante caractéristique de l'œuvre de Burle Marx, qui n'existe qu'au Sítio », dit Haruyoshi Ono.

III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS

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Le banc d’Azulejos devant la porte de la maison, à côté du mur qui mène à la rue, est une première invitation à la contemplation. Sous l’immense Pêcher-d’Inde, le temps s'arrête et cède la place aux couleurs et textures qui composent le lit de fleur autour de la sculpture d'Amilcar de Castro.

PROMENADE PICTURALE QUÊTE DE L'ÉTERNEL

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La cour intérieure de la maison est plus intime. Ce sont des plantes de différentes tailles - petite, moyennes, hautes - mais toutes avec des feuilles pointues, qui ressemblent parfois à des cheveux, parfois à des feux d'artifice silencieux. La coexistence des résidents avec ce jardin était constante, la cour intérieure accompagnait le couloir de la circulation, où se trouve maintenant la réception de l'Institut, ainsi que le couloir qui menait aux chambres, de l'autre côté, chaque fois que les lamelles verticales n'étaient pas fermées pour préserver l'intimité. 1 Au milieu de la cour, maintenant occupée par la fontaine avec la sculpture de dragon, le sol en mosaïques portugaises dessine des formes arrondies concentrique - une rose et l’autre blanche. Par la suite les propriétaires ont décidé de rénover le patio intérieur et ont remplacé ces mosaïques portugaises par des blocs de granit.

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2 Le feuillage semble être les cheveux des pattes-d'éléphant, les feuilles hérissées des draconas de madagascar et les touffes inférieures avec de longues pointes dentelées, de la Pandanos-Serrinha forment une véritable fête forestière. Toutes contrastes les unes avec les autres. Au milieu du vert des nombreuses feuilles, les broméliacées rouges flottent comme de petites explosions. Chacune d'entre elles forme des tiges à la pointe, dont une autre broméliacée est née, créant de véritables mobiles naturels. Autour des troncs, on retrouve des feuilles de dentelle-Portugaise. Sur le sol, à même la terre, des étoiles-aplati qui sont aussi des broméliacées.

PROMENADE PICTURALE QUÊTE DE L'ÉTERNEL

2

Deuxième arrêt : Jardin intérieur

3 Un regard attentif sur les troncs d'arbres révèle une pléthore d’orchidées et de broméliacées, qui fleurissent alternativement, créant toujours différentes couleurs et formes à chaque moment de l'année. Certains d'entre eux ont été attachés aux plantes lors de l'inauguration de l'Institut, ce qui permet de se rendre compte de leur durée de vie. C'est un jardin qui se recré constamment. III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS


Troisième arrêt : La piscine

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Un passage couvert relie l'entrée à ce qui était l'aile privée de la maison. Les ondulations de béton semblent parler aux cascades de feuilles et de broméliacées de la cour intérieure et avec les colonnes blanches qui soutiennent la marquise du pavillon blanc. Lorsque vous allez en dessous, le sentiment d'intimité est immédiatement remplacé par l'étonnement en face de l’arbre Macaranga à gauche, et des trois bâtons-de-mulâtre (Pau-Mulatos), plus loin, qui s'élèvent comme des sentinelles et attirent votre regard vers le ciel. BurleMarx a voulu ramener dans le jardin la pierre et la fôret du « Mata Atlantica » des « Morro » environnants. La pierre est également utilisée par Redig, sur des murs comme celui qui encadre l’arbre Macaranga.

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2 Autour de la piscine, Burle Marx créer un décor pour le lieu ou les résidents pourront être en famille et entre amis. Des couches de couleurs, de volumes et feuilles s’agitent au gré du vent. Les plantes forment des volumes à différentes hauteurs, en tenant compte des formes naturelles des plantes " Roberto détestait les plantes mises en haie ", racompte Haruyoshi Ono.

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3 Il est difficile de résister à la tentation de toucher le tronc plat du bâtons-de-mulâtre (Pau-Mulatos), avec son aspect bronze. Pour Isabela Ono, du bureau de Burle-Marx, la présence des arbres imposants dans ce jardin a quelque chose de révolutionnaire. " Roberto a rapporté ces bâtons-de-mulâtre (Pau-Mulatos) et l’arbre d’açai d'une excurssion en Amazonie et a ainsi installé un petit morceau de la jungle dans la maison d'un ambassadeur", commente-t-elle. Ils étaient de jeunes arbres à l'époque, ce qui n'enlève pas l'audace du voyage. Aujourd’hui ils dialoguent avec les colonnes qui soutiennent la couverture du passage et rompent avec l'environnement par un élément vertical, ressource typique de Burle-Marx. En plus d'inviter à le toucher, les troncs guident les yeux du visiteur vers l’arbre Tasse (Copa), qui entre Juin et Juillet est couvert de fleurs blanchâtres, comme si il portait un duvet blanc.

PROMENADE PICTURALE QUÊTE DE L'ÉTERNEL

3

1 Chaque une des énormes feuilles en forme de cœur du Macaranga peuvent couvrir le buste d'une personne, mais en 2009 l’arbre a commencé à languir - par un processus naturel de vieillissement, selon les experts qui gardent le jardin - et devrait être remplacé.

4 Un Bois-Brésil (Pau-Brasil) a été ajouté lorsque la maison était déjà occupée par l'Institut, en l'honneur de son propriétaire d'origine. De la famille du Bananier, on le reconnait par ces feuilles, la présence d’étoiles blanches et de banane rouge 5. L’arbre de baies d'açai 6, au bord de la piscine, attire généralement les toucans. Fleurs rouge, jaunes, bleues, oranges, violettes, roses - beaucoup d'entre elles attirent les colibris - toutes donne le ton pour des moments de repos au soleil. III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS

5 L’Imbaúba n'est, quant-à-lui pas dans le projet initial de Burle-Marx. Il était déjà là, dans la forêt qui commence de l'autre côté du ruisseau, et a été gardé là où il était.


146

2 1


Au bord de la piscine, un coin spécial mérite contemplation. C'est le miroir d'eau devant le mur courbé conçu par Burle Marx lui-même sur le thème des « blanchisseuse 01 » et des poissons. Il a été exécuté en 1949 par l'atelier Osirarte, société créée pour produire les azulejos conçues par Cândido Portinari pour le ministère de l'Éducation et de la Santé à Rio de Janeiro. 1

Le bassin, où nagent les carpes et les tortues, a été conçu pour abriter un jardin aquatique, avec des Murerés et des Nymphea à quatre couleurs - rose, rose foncé, blanc et bleu - flottant à différents endroits. Sur les rives, on retrouve des Papyrus, des Lances-deSaint-George (lanças-de-são-jorge) et des Lis jaunes.

2

L'atmosphère de fraîcheur et de tranquillité du jardin aquatique est unique. Des jets d'eau jaillissent du mur courbe, c’est l'endroit idéal pour se détendre, et ce n’est pas par hasard si l’espace qui fait face au miroir d'eau était la salle à manger de la résidence. Privilégié pour les réceptions, l’écoulement de l’eau aide à cacher le bruit de la zone de service qui se trouve derrière le mur d’azulejos. Aujourd'hui, c'est là que le café de l'Institut est installé.

PROMENADE PICTURALE QUÊTE DE L'ÉTERNEL

4

Quatrième arrêt : Lac et mur mosaïque

147 III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS


01

3

148

2

1


1

Après le pavillon de la piscine, un chemin à gauche mène au nouveau bâtiment qui abrite la réserve technique musicale et la nouvelle galerie. En allant de l'avant, un petit pont sur le ruisseau mène à un autre monde. Une pause pour regarder le flot du ruisseau, puis le visiteur se retrouve entouré par la fraîcheur de l'ombre, typique du « Mata Atlantica ». Au milieu de la végétation ombragée à l’aspect sauvage, on trouve des plantes uniques, comme le Gingembre-Magnifique, sur la pente entre le cinéma et le ruisseau.

2

L'autre côté ne faisait pas partie du projet original. La forêt qui couvrait la pente a été progressivement occupée en fonction des besoins - par exemple, pour accueillir de nouvelles constructions de l'Institut Moreira Salles, comme la Réserve Technique Photographique. On peut y voir le Bambuzal, d'où Burle Marx a enlevé des semis pour les transférer dans le jardin de l’entrée.

PROMENADE PICTURALE QUÊTE DE L'ÉTERNEL

5

Cinquième arrêt : le ruisseau et ces environs

149 III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS


150

1


Depuis le balcon couvert qui abritait de nombreuses réceptions formelles, le visiteur voit la manifestation maximale de la nature transformée en jardin : le jardin 01 géométrique. Comme une réinterprétation du jardin français, aux lignes rigides et « contre-nature ». Ce type de jardin contenu, dans lequel les plantes ont été autorisés à afficher leurs couleurs, mais pas leurs développements naturels, n'est pas typique de Burle Marx. « Il s’agit d’une des premières incursions du paysagiste dans ce concept, répété à quelques reprises - mais jamais dans le cadre d'un jardin entier », dit Haruyoshi Ono. 1 Le Sec-de-Buxinhos (sebe de buxinhos) doit être taillé plus ou moins à la hauteur du genou pour former le contour du cadre, sans obstruer la vue du feuillage coloré de la Mie (Miolo). Il y a des feuilles tachées de vert, violet et rose, des touffes avec des feuilles pointues avec un visage vert et l'autre pourpre, brun-orange, vert-laitue, Brunâtre. Le résultat est une partie de couleur contenue par le cadre. L’allégorie d’une peinture vivante ou les invités peuvent apprécier la nature comme une œuvre d'art.

PROMENADE PICTURALE QUÊTE DE L'ÉTERNEL

6

Sixième arrêt : Jardin géométrique

151 III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS


PERMANENCE DE L'INSTABLE

QUÊTE DE L'ÉTERNEL

Parler des paysages imaginaires & souvenirs “ Ce changement d’échelle n’est peut-être pas seulement spatial, mais aussi temporel. L’abstraction des aplats de couleurs, les formes sinueuses et la qualité sculpturale de la végétation renvoient toutes à des lieux et à des paysages lointains, comme au paysage de l’imaginaire.“ 59

152

“ Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme” 60 L’attitude réside dans la manière dont le paysagiste a incorporé des fragments architecturaux en provenance d’autres époques et d’autres lieux dans un grand nombre de ses projets (et en particulier dans sa propriété à Barra de Guaratiba, dans l’État de Rio de Janeiro, le sítio Santo Antonio da Bica, désormais Roberto Burle Marx). Ce procédé, surtout si on l’appréhende en relation avec son expérience de collectionneur de plantes et d’objets d’art, peut nous permettre de comprendre les contours singuliers de son originalité, qui n’est pas seulement ancrée dans les formes innovatrices de son jardin tropical moderne, mais également dans la manière dont il est parvenu à articuler des formes abstraites et rationnelles avec la culture et la nature brésilienne. Bien qu’étant un grand innovateur, il contestait les jugements portés à son travail lorsqu’ils en soulignaient surtout l’originalité : « mon œuvre reflète la modernité, la période à laquelle elle est créée, mais elle

59 Cavalcanti, L. (2011). Roberto Burle Marx: La modernité du paysage. Paris : Actar., p. 238 60 Lavoisier, Antoine (1884). Traité élémentaire de chimie. Pays-Bas : Van Haren Publishing.

III.02

QUÊTE DE L'ÉTERNEL


LEONARDO FINOTTI 092

PROMENADE PICTURALE QUÊTE DE L'ÉTERNEL

Photo d'un mur de pierres recyclées de façades détruite du centre ville de Rio

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Serres du Sitio Burle Marx, ou l'on retrouve la collection de Roberto Burle Marx LEONARDO FINOTTI 093

III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS

Photo de l'atelier, avec la façade en pierre issu de la destruction de bâtiment en pierre de Rio LEONARDO FINOTTI 094


ne perd jamais de vue les raisons même de la tradition historique. »61 ‘Modernisme Sauvage’

154

Dans la suite logique de cette réflexion sur la quête de l’éternel, je suis naturellement venu à m’interroger sur l'interaction de l’architecture et du jardin avec les effets du temps. Si l’aspect inerte et éternel de l’Architecture et la nature organique et éphémère du jardin sont à présent évidentes, il demeure que leur association vient à supposer un nouveau genre de composition face aux effets du temps. La participation de l’aspect évolutif du jardin, donnée toujours calculée par son dessinateur (cf. partie I), influe la perception de l’ensemble à travers le temps : On peut hypothétiquement parler de Modernisme sauvage quand le jardin vient à octroyer son caractère vivant à la perméabilité de l’Architecture. Finalement bâtiment et jardin viennent à faire un : symbole indéfectible de la culture brésilienne à travers les âges, qui ne cesse pourtant de se teinter différemment au grès des saisons, des années, des propriétaires, jardiniers, visiteurs… Finalement, on pourrait penser qu'à la manière d'un Land Artiste, le but de l'art de Roberto Burle Marx est de rendre immortel l'éphémère. La nature devient l'outil de l'artiste, le jardin devient un musée à ciel ouvert, voire un véritable laboratoire. Roberto Burle Marx joue du caractère éphémère de cette nature, à la recherche de l'immortalité par les fractionnements qu'il induit et qui font, là tout son génie. Son œuvre n'a, comme les œuvres du Landart, aucune valeur marchande, vouée à quelques élites, mais elle est une véritable expérience liée au monde réel, liée au sol. Il y a quelques mois, en octobre dernier, 25 ans après le décès de Roberto Burle Marx, la totalité des palmiers de l'Aterro de Flamengo qu'il a pensé dans son dessin et planté, ont fleuri. Il s'agissait de l'unique floraison de la vie de ces palmiers bientôt centenaires, imprévisible, 61

Burle Marx, R. (1954). Notion de composition Burle Marx.


PROMENADE PICTURALE QUÊTE DE L'ÉTERNEL

et pourtant calculée par le savant paysagiste, qui a offert au monde un spectacle éphémère dont la beauté tenait de son caractère exceptionnel.

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LEONARDO FINOTTI 095

III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS

Photo de l'unique floraison des palmiers de l'Aterro do Flamengo


QUÊTE DE L'ÉTERNEL

DU PROMENEUR

La notion de bifurcation, soulevée et portée par Roberto Burle Marx dans ces écrits, a orienté ma recherche vers les multiples significations qu’elle suggère. Rapidement, les écrits de Michel de Certeau ont été invoqués afin de faire référence et souligner les caractères personnel et subjectif de la marche qui nous intéressent ici. Comme évoqué précédemment, le cheminement permet la traversée d’un lieu rendue possible par une forme d’introspection très caractéristique : Dans L’invention du quotidien, son texte « L’art de faire », traite avec beaucoup d'éloquence la question de la créativité quotidiennes à travers l’opération de ce qu’il appelle des usagers. Cette notion vient à prendre une dimension fondamentale dans le cadre de cette partie. Sa réflexion contrarie fondamentalement la raison technicienne qui suppose une parfaite organisation des espaces et du marcheur, assignant à chacun sa place, son rôle, comme « des produits à consommer ». Ici le chemin est tracé pour une marche à suivre. Dans sa démonstration il met en opposition l’usager du consommateur, que la société utilise pour désigner l’homme. Le philosophe décrit l’homme ordinaire comme un insolent qui se soustrait en silence à cette officieuse conformation. Il invente le quotidien grâce à ce qu’il appelle les arts de faire, tactique d’usage pour détourner les dogmes de l’architecture. Par la pratique du lieu, la marche, assimilables à des « ruses », l’homme s’approprie son espace à sa façon en laissant entrer sa profondeur personnelle, son histoire, son quotidien. Michel de Certeau souligne que les diverses sciences sociales possèdent la capacité d’étudier les traditions, les langues, les symboles, l’art, ce qui constitue une culture, mais qu’il manque encore un outil permettant l’examen de l’appropriation de cette culture par l’homme ordinaire.

III.02

LA PROMENADE PICTURALE LA QUÊTE DE L'ÉTERNEL 156

LA DÉSOBÉISSANCE


PROMENADE PICTURALE QUÊTE DE L'ÉTERNEL

157

III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS

Photo d'une promenade dans Rio de Janeiro LAYLA MOTTA 096


Finalement, sa démarche cherche à souligner la créativité culturelle des gens ordinaires, par une assimilation du soit dans la marche. 62 Alors dans le cas du jardin de Roberto Burle Marx, il n’y a pas un seul chemin à suivre comme une assignation obligatoire pour comprendre le site, mais plusieurs, conscient que la multiplicité de leurs dessins signeraient plus de liberté dans la déambulation et la compréhension du marcheur. Ainsi “les créations de Roberto Burle-Marx n’ont ni perspective générale embrassant l’ensemble, ni cadrage contraignant à une vision unique et

158

déterminée.”63, il n’y a pas un chemin pour comprendre l'ensemble, mais un ensemble composé de multiplicités continues nécessaires à l'appréhension de ses terres.

62

CERTEAU, Michel de. (1990). L’invention du quotidien : 1. Arts de faire. Ed.

Gallimard, coll. Folio essais n°146, p.416 63 Montero, M. I. (2001). Roberto Burle Marx:The Lyrical Landscape. University of California Press. p.35


PROMENADE PICTURALE QUÊTE DE L'ÉTERNEL

159

JONAS ROMO 097

III. PROMENADE À TRAVERS LE TEMPS

Photo de la porte de l'atelier de Roberto Burle Marx au Sitio.


CONCLUSION

160

Jardin architectural ou promenade dans la peinture : comment interag it l’iner te et le vivant à Rio de Janeiro ?

Heliconia, Margaret Mee, 1964


CONCLUSION

Ces recherches sur le Jardin Tropical Moderne ont permis d’apporter des éléments de réponses aux questionnements sur les différentes interactions que ce nouveau genre de jardin institue avec l'Architecture Moderne. Ces éléments ont à la fois permis de comprendre l'impact majeur du travail de Roberto Burle Marx au Brésil, et dans ce cas précis à Rio de Janeiro, mais également de préciser la mesure de ces interactions effectives entre deux types d’interventions, distinctes par définitions. Si le paysagisme s’attache à la planification des parcs et jardins et la représentation picturale du paysage, l’architecture, quant à elle, structure au sens large du terme le dessin et la construction du bâtiment. Roberto Burle Marx a su créer un paysage à la fois urbain et tropical, à même mesure qu’un langage international moderne des jardins, à partir de la valorisation esthétique d’une flore brésilienne pour la révéler au monde, en appelant à la fois des notions d’Architecture et de Paysage.

(Partie 2) Une fois le cadrage sur le jardin Tropical Moderne en ces qualités propres établi, je me suis intéressé aux interactions entre ce jardin tropical moderne d’un nouveau genre, de l’ordre de l’organique et de l'éphémère, et l’Architecture du bâti, inerte et éternel. Ces interactions entendaient les dialogues, les rencontres, les interdépendances, les interférences, et les concomitances entre les deux entités. Par la mise

161

L’idéalité formelle du jardin ne saurait être sans l’intervention de l’architecture dans la manière d’en concevoir les espaces. En effet, nombreux sont les outils que l’architecte et le paysagiste ont en commun. Dès la genèse du projet, la considération du sol, les dispositifs pour créer, partitionner et animer les espaces ainsi que certaines ambitions fondamentales autour de la lumière, de la couleur et les différents cadrages dynamiques, rapprochent plus que jamais le paysagiste de l’architecte. Les imbrications programmatiques apparaissent également comme une analogie évidente avec l’architecture (accès, attractivité du lieu, zones de déambulation et espaces de contemplation).


en relation des profils de Roberto Burle Marx et Le Corbusier, qui ont à plusieurs reprises, travaillé ensemble, il a été établi de l’importance du rez-de-chaussée pour faire vivre et vibrer paysage et architecture. L’imbrication des 5 points de l’architecture moderne appliquée au travail de Roberto Burle Marx a permis de mettre en lumière non seulement des similitudes, mais des ambitions communes. C’est également par la volonté d’enraciner l’architecture dans la ville que le rôle de lien citadin du Jardin Tropical Moderne est apparu. Puis nous avons vu la notion

162

de Modernisme sauvage, face aux qualités du rapport au temps : là ou le jardin se développe dans le temps, l’architecture mise en relation à ce dernier vient à prendre un tout nouveau caractère, il demeure une composition entre gravité de l’architecture et du végétal. Enfin, la pratique du jardin tropical moderne, au delà de s’apparenter à la marche et à la théorie du parcours en Architecture, donne un nouveau regard. L’expérience du jardin permet une appréhension nouvelle du bâti qui y est enraciné, mais aussi du territoire tout entier. Roberto Burle Marx faisait de la valorisation du sol à plusieurs échelles une ambition permanente : à la fois laboratoire mais aussi lieu de mise en relation des différentes composantes de la ville, à l’intersection entre architecture et nature pour mener à bien le développement urbain et paysager de la ville de Rio de Janeiro, ainsi que le rayonnement de son pays. Si le botaniste a besoin de nommer et cataloguer une plante, le paysagiste lui est à la recherche d’un véritable lien, différent et beaucoup plus complet, entre l’homme et sa terre. Le Jardin doit être l’occasion d’une expérience qui manifeste que son objet ne se réduit pas seulement à ce qu’en décrit le savoir botaniste, finalement rigoureux et scientifique. La plante en effet, par son appartenance au sol, possède sa propre histoire plus ou moins transformée par les hommes, et engage le promeneur des jardins dans une expérience où se mêlent les savoirs, la mémoire et toutes les déterminations historiques qui forment notre sensibilité. C’est


CONCLUSION

à partir de cette réalité complexe que travaille le paysagiste, c’est elle qu’il met en scène et définit une esthétique de l’écologie.

163

Rapataceae, Margaret Mee, 1964


BIBLIOGRAPHIE

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CONFÉRENCES Une journée avec Roberto Burle Marx : Peintre Sculpteur Paysagiste. (1992). [Conférence vidéo]. à l'Ecole Nationale Supérieur de Paysage de Versailles

DOCUMENTS PERSONNELS Jorge Chrichyno, Interview d’un enseignant de paysagisme et ancien Paysagiste au Brésil (UFF, Rio de Janeiro), Collaborateur de Roberto Burle-Marx, Juillet 2018, enregistrement audio.


LISTE DES PROJETS REMARQUABLES Maison Schwartz, Copacabana, Rio de Janeiro (1932) Parcs et jardins à Recife (1935-1937) Jardins du ministère de l'Éducation et de la Santé, Rio de Janeiro (1938) Place Senador Salgado Filho, Rio de Janeiro (1938) Site du lac de Pampulha, Belo Horizonte (1942)

ormodes buccinator amazonicum, Margaret Mee, 1964

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Jardins et accès principal de l'immeuble Prudência, Sâo Paulo (1944-1948) Jardin de la résidence Odette Monteiro, Corrêas (1948) Sitio Roberto Burle Marx, Santo Antônio da Bica (1949-1994) Jardin de la résidence Walther Moreira Salles, Rio de Janeiro (1950) Jardin de la résidence Olivo Gomes, Sâo José dos Campos (1951) Parc Ibirapuera, Sào Paulo (1953) Jardin de la résidence Cavanellas, Petrôpolis (1954) Parque del Este, Caracas, Venezuela (1956) Jardin de la résidence Francisco Pignatari (Parc Burle Marx), Sâo Paulo (1956) Espace public au cœur de la Superquadra 308, Brasilia (années 1960) Aterro do Flamengo, Rio de Janeiro (1961-1965) Patios du palais de l'Unesco, Paris (1963-1965) Jardins du palais Itamaraty, Brasilia (1965) Jardins du siège de Petrobras, Rio de Janeiro (1969) Avenida Atlântica, Copacabana, Rio de Janeiro (1970) Jardin triangulaire du ministère des Armées, Brasilia (1970) Jardin du ministère de la Justice, Brasilia (1970) Jardin de la banque BNDES, Rio de Janeiro (1974 et 1985) Jardin de la résidence Clemente Gomes, Fazenda Vargem Grande, Areias (1979) Largo da Carioca, Rio de Janeiro (1981) Banque Safra, rua Bela Cintra/rua da Consolaçào, Sào Paulo (1982) Interventions sur le siège de la banque Safra, avenida Paulista, Sâo Paulo (1983) Aménagement paysager du Biscayne Boulevard, Miami (1988) Terrasse au Centre Pompidou, Paris (1989) Aménagement paysager de la place Rosa Luxemburg, Berlin (1993)


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ANNEXES

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BIBLIOGRAPHIE PRÉSENTATION DES CAS D'ÉTUDES 170 AVANT-PROPOS INTRODUCTION SOMMAIRE

INTERVIEW DE JORGE CRICHYNO

Universiade Federal Fluminense – Tenue le 20 Juin 2018 de 15h00 à 15h42. Première partie : Jorge Crichyno Victor Huchon : "Parlé moi de vous, votre formation, votre parcours professionnel et votre situation d’enseignant." Jorge Crichyno : « J’aimais dessiner, j’ai donc commencé par des études d’art et j’ai ainsi suivi des cours sur les beaux-arts au Parque Lage (Rio de Janeiro, Brasil), puis j’ai continué en faisant des études d’architecture et de paysage. J’ai fait quelques stages dans des ateliers d’architecture et d’urbanisme, mais je voulais continuer les études. J’ai donc pris des cours au Jardim Botanico (Rio de Janeiro, Brasil) puis je suis allé en "école de jardinage"1. C’est à ce moment que j’ai su que j’étais au bon endroit. J’ai ensuite eu la chance d’avoir une amie commune avec Roberto Burle-Marx. Elle m’a donc permis de travailler dans son atelier pendant douze années. » (Voir Curriculum Vitae dans les pages suivantes) V. H. : "Quel est votre avis sur la pratique du paysage, le rapport entre paysagiste et architecte, l’importance du paysage, l’enseignement du paysage au brésil, vos expériences professionnelles avant l’enseignement." J. C. : « Je crée l’enseignement Projeto de Paisagismo l’Universidade Federal Fluminense à Niteroi (Brésil). Au brésil, l’enseignement du paysage à l'université est chose courante en architecture et Burle-Marx y est pour beaucoup. Je pense que nous avons une végétation si riche et si propre à notre pays, que c’est un devoir d’enseigner le paysage en architecture afin de sensibiliser les étudiants à cette cause. Nous sommes le pays avec la biodiversité la plus riche et cela nous oblige à nous intéresser au paysagisme. C’est dans cette motivation militante que j’ai voulu me tourner vers l’enseignement après plusieurs années de bons et loyaux services dans l’atelier de Roberto Burle-Marx. »

Seconde partie : Burle-Marx V. H. : " Quel était votre travail dans l’atelier de Burle-Marx, les leçons apprises lors de ces années chez Burle-Marx. 1 sic.


ANNEXES

J.C. : "Pour son 1er Projet, il est invité par Lucio Costa. Il a enseigné à L’Universidade Federal do Rio de Janeiro durant 3 ans en 1935. Sa famille viens de Recife (Brésil), il y vivra un moment de sa vie et deviendra directeur paysagiste de la ville et il fera de nombreux projets. Puis il déménage à Rio de Janeiro, car il est mandaté pour participer à la conception du Ministerio da Educação aussi connu sous le nom de Edifício Gustavo Capanema à Rio de Janeiro (Brésil). Il fera équipe avec Lucio Costa, Carlos Leão, Oscar Niemeyer, Affonso Eduardo Reidy et Le Corbusier. Cependant, il critique le modernisme sur certains aspects, il se dit « Brésilien ! ». Sa vision se fonde sur un dialogue avec la culture et la nature locales, tout en se développant de manière très originale." V. H. : "Comment était sa Philosophie, la personne; quel était son rapport au paysage, son rapport à l’architecture, et sa sensibilité à l’écologie et l'importance de la nature dans la ville."

V. H. : "Sa façon de travailler, la mise en œuvre, sa capacité à travailler à des échelles urbaine et humaine, ses méthodes de création, la répartition des tâches en phase de projet, la construction des jardins, le suivis des chantiers, ses œuvres, les plus marquantes pour vous, …" J.C. : "Il fait des excursions comme faisait Glazio. Il constitue une équipe de botanistes, paysagistes, scientifiques, … et part en Amazonie avec des camions. Il veut étudier les plantes natives de son pays qui ne sont pas très bien référencé. Il se lance dans un travail fastidieux et classe les plantes qui l’intéressent. Il les ramène avec ses camions pour pouvoirs les utiliser dans ces projets ou au Sitio. J’ai pu participer à une excursion en 1985 en Amazonie pendant 2 mois. (CNPQ - Conseil national de développement scientifique et technologique)"

171

J.C. : "Il étudie la musique en Allemagne. Sa mère lui transmet l’amour des plantes. Il emploie un cheminement de l’Art vers le Paysage. Il est créatif de manière très intuitive, il cherche à comprendre le paysage par et avec le jardin. Il cherche à connaître et à découvrir les plantes et les arbres. Il éprouve de l’amour et de l’affection pour les plantes. Au point que lors de la création de la route Rio de Janeiro - São Paulo, il essaye de récupérer tous les arbres et plantes déracinées suite aux travaux. Lorsqu’il comprend la cause écologique, il achète en 1949 le Sitio Burle Marx à Barra Guaratiba, Rio de Janeiro (Brasil). Il y cultive des plantes, il croise et créer des espèces. Il œuvre pour la Biodiversité. À l’image des jardins botanique qui l’ont fasciné tout au long de sa vie il a une vision autre que la beauté."


J.C. : "L’escritorio de Burle-Marx était fréquenté par plein d’étrangers, de professionnels ou étudiants qu’ils logeaient. Il travaillait avec tout corps de métier. Vers la fin de sa vie, il travaillera sur beaucoup de projet à l’étranger. Il ne cessera de travailler, jusqu’à son dernier jour. Mais il aura su profiter de la vie jusqu'à la dernière goutte." J.C. : "Trois caractéristiques pourraient le définir : - Il pense le paysagisme comme l’art. (il aime travailler pour le peuple, …) - La préservation et la valorisation des plantes brésiliennes. - L’éducation, au sens large. Tout savoir est bon à prendre. L’inspiration se nourrit de tout."

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J.C. : "Il est un homme multi-face à la fois designer, comédien, décorateur et sculpteur de figurine pour le théâtre ou le carnaval, cuisinier, artiste peintre, dessinateur, … Il était destiné à faire de grandes choses, en tant que paysagiste ou non. Il était déterminé et investit dans tout ce qu’il faisait." J.C. : « Il dit que l’on apprend à être paysagiste en comprenant le processus de formation d’un paysage. Il faut de la discipline. Un projet est le fruit d’une équipe et chaque projet est un apprentissage. Il savait valoriser le travail de chacun de ces collaborateurs tout en les motivants à se dépasser, à proposer de nouvelles choses en créant une réelle cohésion au sein des équipes. » J.C. : "Chaque jardin est pensé pour lier l’homme et la nature. Il veut que ce binôme homme/nature soit en symbiose. Il structure chaque projet avec l’architecture qui l’encadre et crée des relations et des rapports particuliers. Il organise ces jardins et ces parcs de manière pragmatique. Par exemple, le parc de Caracas et organisé par type de plante." J.C. : "La reconnaissance internationale acquise par le paysagiste en tant qu’inventeur du jardin tropical moderne l’a placé dans une position de premier plan. Nombre de ses projets ont été réalisés sur invitation, sans passer par des concours. Cette posture unique, cet espace totalement ouvert à ses propositions paysagères, qui auraient pu l’amener à ne pas tenir compte de l’environnement et à parier sur des formes inusitées, ont permis à son talent de développer une œuvre hautement significative, en termes poétiques et culturels." J.C. : "Son atelier s’occupe de la conceptualisation de l’exécution et de l’entretien (souvent) de ces projets. C’est l’illustration de sa personnalité « jusqu’au-boutiste », de l’attention et du soin qu’il porte à chacun de ces projets. Sa personnalité charismatique et autoritaire ne faisait que confirmer sa place indiscutable : il était « le » paysagiste moderne brésilien."


ARTE - JARDIM - CREATIVIDAD

ANNEXES

V. H. : " Pour finir, auriez-vous trois mots pour définir l’œuvre de Burle-Marx ?"

ART - JARDIN - CRÉATIVITÉ

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Bromelia anticantha, Margaret Mee, 1964


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CV MANUSCRIT DE JORGE CRICHYNO


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HERBIER

Toutes ces planches sont issus du livre Flora Brasiliensis, oeuvre de l'allemand Carl Friedrich Philipp von Maritus, produite entre 1840 et 1906.


ANNEXES

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178

Toutes ces planches sont issus du livre Flora Brasiliensis, oeuvre de l'allemand Carl Friedrich Philipp von Maritus, produite entre 1840 et 1906.


ANNEXES

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2019-2020

VICTOR HUCHON ENSAPVS

@CHICHADOUBLERAISIN

Le Jardin Tropical Moderne

MEMOIRE

LECTURE ARCHITECTURALE DES JARDINS DE RO B E RT O B U R L E M A R X


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