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COUPS DE BARRE CHRONIQUES JUDICIAIRES de Tony POULAIN Préface de Jacques PRADEL

Procès Amiens

Verdict Escroquerie

Somme Prétoire Justice Magistrats Aisne Prison

Détention

stupéfiants

Oise

Meurtre

COUPS DE BARRE CHRONIQUES JUDICIAIRES de Tony POULAIN

PRÉFACE

" Le fait divers c'est l'absurde qui s'installe dans l'intelligence, pour la gouverner avec une épouvantable logique "

© Elodie Grégoire pour RTL

Charles Baudelaire

F

ort de l’expérience qui est la sienne, Tony Poulain aurait pu prendre la plume pour nous infliger une littérature de thèse, d’analyse ou de prospective sur l’état de la justice et la manière dont elle se rend aujourd’hui.

Mais cet exceptionnel témoin du fonctionnement judiciaire sait bien qu’aucun essai, aussi prestigieux fût-il, ne peut remplacer la force de l’anecdote, le récit quotidien des histoires banales qui sont la matière première de tous les tribunaux, de la cour d’assises aux audiences de comparution immédiate, qu’on appelait autrefois le « tribunal des flagrant délits ».

Le mystère du passage à l’acte, la palette des passions humaines, jalousie, colère, vengeance, appât du gain ou du pouvoir, alcool, drogue, sexe, constituent depuis la nuit des temps les ingrédients du cocktail souvent mortel responsable des petites comme des grandes affaires criminelles…

Comme lui, je préfère les « coups de barre », qui, d’une histoire à l’autre, nous invitent à ressentir une ambiance, le parfum d’une époque, qui expliquent sans excuser - ces scénarios du malheur qui emportent les gens ordinaires dans des situations extraordinaires.

Ces histoires ne se veulent pas morales. Elles n’ont pas valeur d’exemple, ni de message à délivrer. Elles témoignent simplement de l’extrême diversité des situations qui surgissent parfois dans nos vies, un peu comme des tremblements de terre, conséquences du choc des plaques tectoniques invisibles, et qui anéantissent en quelques secondes le paysage familier de vies « sans histoires » !

Je vous invite à découvrir ces affaires qui, pour la plupart, n’ont pas fait la Une de l’actualité judiciaire. Elles permettent de comprendre pourquoi les blessures de la vie ont, parfois, tant de mal à cicatriser.

Jacques PRADEL

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SOMMAIRE 08

Avant-propos

Chapitre 1 : PRINTEMPS 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35

Un compte en Suisse Nothing Toulouse Profil haut Pas besoin d'aller loin Le petit homme et le juge consciencieux Au pays de Candy Crush Lost in translation Cinq frères Soudain, La Rochefoucauld Le coup du maquereau Il voulait voir la mer Ils sont comme nous "Chez nous" L'hirondelle du faubourg Un beau procès Tristes vies, joyeuse fin Prénom de nom !

La tactique de Toctoc Ses mains sur ses hanches Inconnu à cette adresse Un larcin rural Chef-d'œuvre en péril Pharmaciens sans frontières Soldes dans le textile Aïe Pépito

Chapitre 2 : ÉTÉ 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61

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Cousu de fil blanc Elle l'aime encore Ave Maria "Parce que vous m'avez envoyé une convocation" Une main qui tremble Deux femmes, un soir Tant que ça reste en famille Ça aurait fait un joli couple La victime n'était pas parfaite Femme que j'aime Le facteur risque Retardée Les petits lolos Vive la samba Drôle d'endroit pour une rencontre Un terrible procureur Remis ensemble Du nerf Le tonton flingué C'est encore loin la Guadeloupe Une place à table Contes et mécomptes Portraits de femmes Le loup dans la bergerie Les divorcés

SOMMAIRE

Chapitre 3 : AUTOMNE 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87

Mort d'une reine La peur, ça craint Les témoins L'empire du milieu La bosse du commerce Une montre pour son copain Le R c'est pour républicain Niveau de langage Oh la salope !

Il n'y a pas loin du Capitole au Super U Le toubib n'aimait pas les chiffres La caravane immobile Le doux monsieur au regard triste Perdu dans l'espace-temps Des jours où rien ne va Le bistrot qui ne voulait pas mourir Crimes et chuchotements Jean n'aime pas l'eau Le voleur de bicyclette Out of Africa Demande de renvoi La plus belle phrase de l'année Un homme à contretemps Le trait forcé Ce papier jamais écrit

Chapitre 4 : HIVER 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 118 119 110 111 112 113 114

Broyé par la machine Les témoins de l'horreur Zone de non-droit Effet miroir Au nom du père Une femme Tanguy de Méaulte Qu'est-ce qu'on peut espérer ?

Le vin mauvais L'esprit de Noël Partie en poudre Regrets éternels Trois gars sur une photo De but en blanc Un long voyage Joyeuse Sainte-Catherine Bonne fête papounet Besoin d'amour Poste restante Chaque chose à sa place Lettre à mon procureur Un cri Quand t'es dans le désert Sursis mis à l'épreuve Hors délais Crédits photos

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AVANT-PROPOS

J

ean-Baptiste Parlos est un drôle de magistrat. Juge d’instruction, « méticuleux et coriace, l’un des rares à Paris trouvant grâce aux yeux des enquêteurs de la police judiciaire », d’après ma consœur Audrey Goutard (dans l’excellente mais trop tôt disparue revue Crime et Châtiment), il a tout plaqué vers 40 ans pour se préparer à la prêtrise. Au bout de deux ans, il en est sorti, ravi de cette aventure spirituelle mais désireux de se plonger dans des dossiers plus sensibles les uns que les autres, le moins médiatique n’étant certes pas l’Angolagate.

Si je pense à lui souvent, c’est que j’ai l’impression d’avoir croisé son chemin : quand, encore jeune journaliste local, j’ai mis pour la première fois les pieds dans un tribunal de grande instance, j’entrais sans le savoir dans un ordre. Les similitudes foisonnent. D’abord le décorum. Les architectes ont le chic pour donner la haute idée d’une justice qui écrase le citoyen. Les colonnes du palais d’Amiens ou les fondations du bunker de Beauvais imposent le chuchotement, sans parler du poids des ans qui vous accable à Laon, où la justice des hommes s’exerce dans une annexe de la cathédrale. La robe, ensuite : certes, l’homme de loi français n’est pas tenu de porter les perruques anglaises qui font de la justice une comédie en costume d’époque. Quand même : ce noir janséniste qui recouvre juges, procureurs et avocats les désignent indubitablement comme les grands prêtres d’un office strictement codé.

Le voeu de silence, enfin : chroniqueur judiciaire, je suis de ceux qui n’ont pas le droit de prononcer un traître (ni même un honnête) mot tout au long de leur ministère. J’écoute ; dans le meilleur des cas, j’entends ; je note tout, incapable de savoir, après trente ans de métier, ce qui me servira en fin de journée, au moment d’écrire mon papier ; j’ingère, je m’imbibe et le soir je rends, je vomis ce que j’ai perçu comme ce que j’ai ressenti.

Sous mes yeux s’étale toute la misère du monde. Le tribunal correctionnel, c’est de l’alcool, de la drogue, du sperme, du sang ; de la violence, souvent conjugale, de la misère, sociale, de la détresse, affective. Je vois des êtres cassés par la vie. Ils sont équitablement répartis des deux côtés de la salle, auteurs comme victimes. Je vois une mère qui pleure son fils parti en prison pour un vol de trop, une veuve d’ouvrier agricole mort, broyé par une arracheuse de lin, après une journée de dix-sept heures de travail, une héroïnomane que tous ses efforts ne sauveront pas. Je ris, aussi, quand des voleurs Roumains, pris la main dans le sac, leur ADN répandu partout sur le lieu du délit, persistent à nier l’évidence ; quand un papi pervers du fin fond de la campagne demande qu’on ne le confonde pas avec Strauss-Kahn ; quand un gamin de banlieue salue la présidente du tribunal en entonnant « donne-moi ton corps, baby ».

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AVANT-PROPOS

Car on s’amuse, au palais de justice, on pleure, on tremble et on s’ennuie.

Comme dans la vraie vie, en plus concentré. Mes collègues comme mes amis me demandent souvent – comme on le ferait à un novice ! – si je ne « risque pas de me lasser ». Qu’ils viennent, ils comprendront. Le chroniqueur judiciaire, surtout dans un quotidien de province, couvre tout : du vol de scooter expédié dans le quart d’heure en comparution immédiate au trafic de stupéfiants tentaculaire, en passant par le meurtre d’un mari gênant par la femme et son amant. Me lasser ?

J’ai envie de leur demander combien de fois, dans leur vie, ils côtoieront des hommes et des femmes qui prennent dix grammes d’héroïne par jour, qui ont braqué une banque, qui ont vu un doigt presser la détente d’un pistolet posé sur leur front, qui ont tué, violé, ont été violés, sont restés infirmes… Un ?

Deux ? Aucun ? (ce que je leur souhaite). Les histoires extraordinaires sont mon quotidien, celles qui, quand elles sont contées, imposent le silence à toute la salle, parce que nous entamons le plus périlleux des voyages : celui qui emmène au tréfonds de l’âme humaine.

Le premier écueil à éviter est justement de s’habituer. Se passionner en début de carrière pour un homicide involontaire puis avoir besoin d’un mort, de deux, de trois pour que s’allume l’étincelle de l’empathie. Car je le jure : sur mon banc de journaliste, je n’ai jamais considéré un prévenu ou un accusé pour autre chose qu’un être humain, un frère de condition. Le second risque est de se prendre pour un autre : le chroniqueur n’est ni juge, ni procureur, ni avocat.

L’outrecuidance n’est jamais loin de cette assurance vicieuse que vous donne l’expérience. Face à des hommes en noir qui ne sont pas toujours des aigles, l’envie devient grande de pallier les lacunes des uns et des autres. À Péronne, entre 2000 et 2010, j’ai couvert pour le Courrier picard les audiences du mardi. J’y ai même croisé une juge débutante qui quelques années plus tard, sous le nom de Rachida Dati, rayerait de la carte judiciaire ce petit tribunal à l’ambiance familiale. Comme Abbeville avait également subi les foudres de la Garde des Sceaux, toute l’activité judiciaire de la Somme se regroupait à Amiens. Mon journal a décidé de créer un poste de reporter spécialement attaché au Palais, qu’il a bien voulu me confier en 2010. Vite, je me suis rendu compte qu’après avoir « pissé ma copie », il me restait des notes à propos d’affaires anecdotiques mais amusantes, de sentiments cueillis à la volée, d’impressions personnelles. Elles n’avaient pas leur place dans le chemin de fer qui chaque jour envoie de nous à vous les wagons de l’information. J’ai eu l’immodestie de penser qu’elles méritaient mieux que les pages d’un cahier à spirales, et en ai fait une chronique hebdomadaire, chaque dimanche que Dieu fait. Aujourd’hui, je franchis un pas dans l’infatuation en osant alimenter ce recueil de six ans de digressions.

C’est ainsi que ces quelques lignes sont tombées sous vos yeux…

Tony POULAIN

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COUPS DE BARRE Chapitre 1 : PRINTEMPS Les petites fleurs, tout ça, tout ça… Le temps de l’espoir, de la renaissance, surtout. L’espoir a-t-il sa place au Palais de justice ? Oui !

Et le sourire aussi !

Certains prévenus ont une gouaille digne des titis parisiens, tels qu’on les croisait dans les films d’Audiard. D’autres, malgré leur propre turpitude, et tant de difficultés à la surmonter, sont encore capables d’échafauder des projets parfois modestes, souvent insensés.

Il faut dénicher patiemment ces pépites dans la boue du quotidien de la justice mais quel plaisir de les voir alors briller, d’autant plus reluisantes que le fond reste gris...

PRINTEMPS

30 décembre 2012

Un compte en Suisse

Élodie est une jeune fille boulotte d’un village samarien, où elle vit avec sa maman (et un petit garçon, mais on vous en reparlera plus tard).

Début 2011, Élodie, habituée de Facebook, rencontre Sébastien sur le mur des fans de l’Olympique de Après tout, Marseille. Le Suisse, habitant du canton de Fribourg, l'amour, c'est se prend d’une passion épistolaire pour la Picarde.

Elle se plaint de difficultés financières. Vif comme un comme le chocolat omble chevalier du lac Léman, l’Helvète envoie des au lait... mandats cash. Élodie jure qu’elle ne réclame rien mais reconnaît qu’elle ne crie pas non plus au scandale.

Après tout, l’amour, c’est comme le chocolat au lait : s’il peut se glisser quelques noisettes à l’intérieur, c’est encore meilleur. Elle finit par avouer dans un sourire : « Bon, peut-être qu’il avait plus ou moins des sentiments et peutêtre que j’en ai plus ou moins profité ».

En tout, il verse quand même 15 000 euros ! Dans l’été, il lui prend l’idée de récupérer sa mise de fonds, mais Élodie ne l’entend pas de cette oreille. Donné c’est donné, repris c’est volé ! Elle parle de porter plainte pour harcèlement, puis demande à sa mère d’écrire à Sébastien que, lasse d’être relancée, sa fille a tenté de se suicider et se retrouve plongée dans le coma.

Elle passe ensuite à un stratagème digne des romans noirs : sa maison serait hypothéquée, 20 000 euros en mandat attendraient Sébastien mais comme elle ne lui doit que 15 000, il lui faudrait d’abord verser 5 000 supplémentaires.

Côté suisse, le père du dadais lance l’offensive contre celles qu’il nomme les « escrocs du net » mais sur le front de la Somme, la mère délivre une terrible nouvelle : Élodie est morte. Le juge interpelle Brigitte : « Vous vous rendez compte ? Annoncer la mort de votre propre fille ? » La maman ne se démonte pas : « Pfff, je le voyais bien qu’elle était encore vivante, elle était devant moi ! » Pour « extorsion », toutes deux sont finalement condamnées à six et dix mois de prison avec sursis.

Au fait : avec les sous, Élodie s’est offert un aller-retour en TGV pour voir jouer l’OM au Vélodrome. Partie seule, elle est revenue « accompagnée » d’une graine de petit Marseillais, déposée avec fougue lors d’une furtive étreinte par un supporter du virage nord. Tout ça grâce aux mandats du brave Sébastien.

Lui, il mériterait d’être le parrain…

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PRINTEMPS

16 février 2014

Nothing Toulouse

Geoffrey a volé un CD à la FNAC d’Amiens. Du Florent Pagny (mais qu’il se rassure, l’atteinte au bon goût n’est pas passible des tribunaux, le vol suffira).

A vrai dire, il n’a pas choisi. « J’avais pensé prendre une tablette mais pendant que je l’avais en main, j’ai vu que le vigile me surveillait ». Alors il s’est dirigé vers la sortie en empruntant l’escalier où l’enseigne dispose les best-sellers du moment. Vite fait, bien fait, il a glissé un disque sous son blouson. Dès la porte, il était interpellé.

Geoffrey vit en foyer depuis sa sortie de prison « le septembre 2012 à 8 h 47 ». « Dites donc, ça vous La juge relit le 12 a marqué », s’esbaudit la présidente. Pourquoi volecasier judiciaire t-il ? Il a plusieurs explications en réserve. D’abord : petite fille de six ans et demi et mon ex me orné de sept «faitJ’aiduune chantage. Si je ne lui donne pas d’argent, je ne mentions... peux pas voir la petite ». Ensuite : « J’ai une dette de stups qui date de 2008 de 1340 euros (décidément, ce garçon aime la précision) et en ce moment, ils me mettent la pression pour que je paie ». Enfin : « Le psychologue en prison, il m’avait dit que j’étais peutêtre kleptomane ». La juge relit le casier judiciaire orné de sept mentions : « Il n’y a pas tant de vol que ça ». Geoffrey en convient mais informe qu’il fait l’objet d’une autre convocation devant le tribunal correctionnel, « pour les trois tablettes à Carrefour. Ça en fera une de plus dans le dossier ». « Et au psy, vous en parlez ?», insiste le magistrat. « Oh, vous savez, le psy, c’est bonjour, ça va, merci, au-revoir… » « La kleptomanie, elle a bon dos », peste le procureur, une jeune femme au délicieux accent du sud-ouest, rayon de soleil en un mercredi après-midi pluvieux. L’avocate Me Reusse veut éviter la prison à ce client attachant, un peu trop loquace quand il l’interrompt mais pas méchant pour un sou. Elle démontre ses réels efforts d’insertion en déposant une impressionnante liasse de papiers. « Je m’en excuse, c’est un peu en vrac… » En vrac comme les propos de Geoffrey, qui présente un projet irréel : « J’ai rencontré un gars en détention, il est de Toulouse. C’est sûr, je vais partir d’Amiens, je vais m’installer là-bas. Je prendrai le train pour voir ma fille tous les quinze jours ».

Geoffrey écope de prison ferme mais échappe au mandat de dépôt. Le juge laisse une petite place au rêve. Au cas où…

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PRINTEMPS

10 juin 2012

Profil haut

En comparution pour vol, avec vingt-deux mentions au casier judiciaire, la plupart des prévenus adoptent un profil bas. Pas Christophe D. Lui, il revendique, il provoque, il exaspère. Et en toute logique, il sera condamné à dix-huit mois de prison ferme alors que la procureure n’en avait requis que douze.

Christophe, 38 ans, est accusé d’avoir volé un GPS et la carte grise dans une voiture, boulevard de Dury, à Amiens, le 19 janvier dernier. Pour le GPS, il veut bien assumer. Pas le choix : il a oublié un gant portant son ADN dans la voiture.

Mais pour l’effraction et la carte grise, pas question : « Je le sais, quand même.

C’est moi qui l’ai fait ! » La victime est présente, un chauffeur routier qui a dû Le routier se poser sa journée pour assister au procès. L’image même de la France qui se lève tôt. « Pourquoi voudriez-vous justifie comme que ce monsieur mente ? » s’interroge la présidente. s'il était devenu Christophe est sûr de lui : « La voiture était ouverte. l'accusé S’il dit que son coffre a été forcé, c’est pour toucher l’assurance. Tout le monde fait ça ! » Le délinquant fait parler son expertise : « J’ai jamais fractionné (sic) de voiture de ma vie. Pour un GPS, je ne vais pas m’amuser à passer autant de temps. Faut être honnête, quand même... » Entendre ce loustic en appeler à l’honnêteté, c’est assister à l’entrée du droit pénal dans l’anthologie du surréalisme, section arts appliqués.

Sa revendication, quelque part entre le courage et l’inconscience, désespère son avocat commis d’office. Face à une victime qui trime pour rapporter 1 200 euros à la fin du mois, D. se plaint de « ne toucher que 300 euros. Eh, les cigarettes, on ne me les donne pas ! » Le routier se justifie comme s’il était devenu l’accusé. Car Christophe l’accable : « Lui, je ne l’écoute pas, il ment. Vous n’avez pas vu combien de gaffes il a fait en un quart d’heure. Même moi j’ai capté. Et je n’ai pourtant pas 160 de QI ».

La peine tombe, lourde, et le ton devient moins rigolard. À l'adresse de la victime : « Alors toi, t’as une équipe ce soir chez toi. Y’a de tout en prison ; y’a des téléphones, t’inquiète… » À la présidente qui lui explique les modalités du sursis, il indique galamment : « Je m’en bats les glaouis ». Puis il faut réussir sa sortie. Là encore, il ne déçoit pas : « Bonne baise ! » lance-t-il, en guise d’adieu (mais n’est-ce pas plutôt un au revoir ?) à tout le corps judiciaire.

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PRINTEMPS

22 mars 2015

Pas besoin d'aller loin Michèle, bien mise dans son chemisier rose et son manteau rouge, est une fille des corons, une vraie, élevée parmi sept enfants dans la maison de briques d’un mineur de fond, à Grenay. Son Francis, elle l’a croisé dans sa cité. Puis elle s’est mariée et s’est installée dans un autre coron, non loin, comme une évidence.

Il était boulanger. Elle restera à la maison pour élever cinq enfants. À 14 ans, on leur achètera une Mobylette Abbeville, c'est et on éprouvera la fierté de partir en vacances tous les 98 km d'après ans. À Saint-Omer, mais en vacances quand même. connaît tout le monde. Ses journées sont ViaMichelin et Michèle rythmées par la lessive en commun (eul battée) et les un voyage sur la cafés chez les copines (cafioter). Mais aussi par les de colère et les coups (tout court) de Francis. lune pour elle coups Or, si « à sang frais, c’étot l’meilleur des hommes, le problème, c’est que l’Francis, il étot pas souvent à sang frais… » Demarcq, l’avocat de Michèle, a le droit de parler ainsi : lui aussi est de Grenay. Il s’en souvient pour mieux contrecarrer la carte postale dessinée par l’enquêteur de personnalité: « À l’entendre, c’est bienvenue chez les chtis. Je crois que ma cliente a un peu embelli le tableau. Moi, quand j’étais gamin là-bas, je n’avais qu’une hâte, c’est de m’en aller ».

Pas Michèle. Quand son mari, passionné de pêche, décide de prendre sa retraite au bord d’un étang à Abbeville, son monde s’écroule. GrenayAbbeville, c’est 98 km d’après ViaMichelin et un voyage sur la lune pour elle.

Plus de voisines, plus d’enfants à portée de main pour la protéger, plus rien que cette nature oppressante. Et Francis qui boit de plus en plus… Les voisins, présents seulement le week-end, ont décrit aux assises cette femme « très bien » qui leur proposait du café le matin, un casse-croûte à 11 heures, de la mayonnaise à midi et des glaces à 15 heures. Pour les voir, pour bouger, pour exister, pour préparer à manger puisque l’autre lui disait que sa cuisine, c’était « de la merde ».

Condamnée à six ans pour le meurtre de Francis, elle ne devrait pas mourir en prison. Elle ira vivre chez sa fille, pas loin de là où elle est née. Chez elle.

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PRINTEMPS

7 septembre 2014

Le petit homme et le juge consciencieux Et si on commençait cette nouvelle saison de Brèves de prétoire par une touche d’optimisme ? Non pas que les audiences estivales n’eussent charrié leur flot d’alcool, de poudre, de misère et de violence… Au milieu du Styx se trouvait pourtant une pépite, un de ces instants d’humanité, de grâce pour tout dire.

On est le 14 août. Nos pas nous ont traînés à l’audience Le temps est de juge unique, délaissée le reste de l’année, mais que l’on est bien heureux de fréquenter en cette période de suspendu jusqu'à vaches maigres pour l’échotier. ce que tombe le Condamné un an plus tôt à six mois de prison ferme jugement... pour un vol commis en 2012, Ali, 44 ans, a fait opposition de ce jugement. La loi en donne le droit à toute personne condamnée en son absence. On reprend alors l’affaire à zéro et on fixe une nouvelle peine, plus douce ou plus dure. C’est bien ce qui embête l’avocate commise d’office en cette veille du 15 août : « Ils ne lui ont pas mis la peine plancher. Je vais lui dire de se désister, sinon, il est capable de prendre le double ». Ces considérations arithmético-juridiques passent loin au-dessus de la tête d’Ali : une grosse tête posée sur un petit corps engoncé dans une canadienne et un pull à col roulé. L’été picard est certes pourri mais avec un pareil dress code à la veille de l’Assomption, on se demande comment il passera l’hiver. Remarquez, ce sera au chaud puisque son casier judiciaire long comme le bras lui vaut de passer d’interminables congés, en pension complète, à la maison d’arrêt…

Il n’y a plus foule dans la salle, les trois quarts des magistrats et avocats sont sur la plage mais le président s’obstine pourtant à étudier de près un dossier qu’il pourrait solder d’une chiquenaude. « C’est bizarre : vous avez souvent été condamné mais jamais à du sursis avec mise à l’épreuve… » L’avocate répète son intention de se désister, le procureur demande confirmation du jugement sans s’acharner et le juge réfléchit, réfléchit et réfléchit encore. Il triture son stylo, écrit une phrase, repose la plume, réfléchit, réécrit une phrase.

Le temps est suspendu jusqu’à ce que tombe le jugement : la peine d’Ali, qui n’avait rien demandé, passe de six mois à deux mois ferme. Il sortira plus tôt, il retrouvera cette mère qu’il avait perdue de vue et avec qui il a renoué depuis la prison. Le petit homme ne comprend pas tout. Il ne réalise pas qu’il a croisé le père Noël au mois d’août.

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PRINTEMPS

12 janvier 2014

Au pays de Candy Crush Candy Crush, c’est un petit jeu disponible sur Facebook et les téléphones portables, qui consiste à aligner trois fruits pour casser des briques. Le machin est addictif. Quarante-cinq millions de personnes y ont joué l’an dernier de par le monde. Mi-décembre, Ohran, un Turc de 36 ans, comparaît à Amiens pour des violences conjugales. Quel rapport ? On va vous expliquer.

Ohran a serré le cou de sa femme, lui a donné deux " En six mois, baffes et l’a même effleurée de son couteau après une elle est arrivée discussion avec son fils, « qui lui a dit qu’il n’avait rien manger. Elle ne fait rien à la maison ». Et l’homme, au niveau 350 de àpatron d’une petite entreprise de bâtiment, en apporte Candy Crush alors la preuve absolue : « En six mois, elle est arrivée au 350 de Candy Crush alors que moi, en un an, que moi, en un an, niveau je ne suis qu’au niveau 140. Quand j’ai vu que le repas je ne suis qu'au n’était pas prêt, j’ai voulu lui reprendre l’IPhone 5 que acheté ». De fait, il l’a fracassé au sol. « J’ai niveau 140..." jedûluile avais jeter trois fois avant qu’il ne casse », précise-t-il.

Il explique encore que son épouse « répète tout ce que sa mère lui dit ». Mais leurs trois enfants ont plutôt témoigné en faveur de la maman, confirmant qu’elle subissait des violences « environ cinq fois par an ». Ohran a d’ailleurs déjà été condamné pour des faits similaires, en 2006 à Cergy-Pontoise. Il livre une autre explication : « Ma femme, elle est malade. Elle pète un câble tous les trois ou quatre mois ». Entre une qui pète des câbles et l’autre qui fracasse des IPhones …

La dame est plutôt jolie. Un foulard anatolien ne cache pas sa face, façon burqa, mais souligne au contraire l’ovale de son visage. Elle est un peu dodue comme ces pâtisseries orientales qu’elle rechigne à préparer, ne s’exprime qu’à l’aide d’un interprète. « Je ne parle pas le français ; il m’interdit d’aller aux cours. Et puis il ne veut pas que je travaille », s’excuse-t-elle. Du coup, elle s’ennuie ; du coup, elle joue à Candy Crush. C.Q.F.D. Ohran est condamné à huit mois de prison avec sursis, interdiction de retourner à la maison. Elle veut divorcer. Game over.

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