le Quotidien N° 13

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28.07.21

Alexandre Kantorow fait ses débuts au Verbier Festival ! Alexandre Kantorow makes his debut at the Verbier Festival! C’était il y a deux ans à Moscou : Alexandre Kantorow était le premier français à remporter, à 22 ans, le Grand Prix et la médaille d’or du prestigieux Concours Tchaïkovski de Moscou, inscrivant ainsi son nom à la suite de ceux de Sokolov, Pletnev, Berezovski, Matsuev et Trifonov pour n’en citer que quelques uns. Il est surnommé par la critique « le tsar du piano français ». Initialement invité à se produire au Verbier Festival pour une série de concerts en 2020. Il signe cet été sa première participation au Festival. Né à Clermont-Ferrand, en 1997, dans une famille de musiciens, le jeune Français s’est formé auprès de Pierre-Alain Volondat, Igor Lazko, Franck Braley et Rena Shereshevskaya avec qui il travaille toujours aujourd’hui. Il a fait ses débuts très tôt, invité à seulement seize ans aux Folles Journées de Nantes pour jouer avec le Sinfonia Varsovia. Il s’est produit depuis dans les plus grands salles et avec les meilleurs chefs et orchestres du monde. Il joue régulièrement avec Valery Gergiev et l’Orchestre du Mariinski. Remarqué également pour ses enregistrements couverts de récompenses, par la presse musicale internationale – Classica, Diapason, Gramophon, Pizzicato, etc. – avant même son Grand Prix à Moscou, Alexandre Kantorow a aujourd’hui une discographie d’une demidizaine de titres chez le label Bis, en particulier un très remarqué disque « À la russe », et des enregistrements des concertos de Liszt et de Saint-Saëns. Son dernier disque est consacré à Brahms, Bartók and Liszt. Avec son père le violoniste Jacques Kantorow, Alexandre a aussi gravé des sonates de Camille Chevillard et André Gedalge (NoMadMusic). Les compositeurs José Serebrier et Guillaume Connesson ont écrit pour lui. Il sera artiste en résidence à Radio France en 2021-22.

Alexandre Kantorow © Droits Réservés

Two years ago in Moscow, Alexandre Kantorow was the first Frenchman to win the Grand Prix and the gold medal of the prestigious Tchaikovsky Competition in Moscow, at the age of 22, thus following in the footsteps of Sokolov, Pletnev, Berezovski, Matsuev and Trifonov, to name but a few. He has been dubbed by critics as the 'Czar of French piano'. Initially invited to perform at the Verbier Festival for a series of concerts in 2020. This summer marks his first appearance at the Festival. Born in Clermont-Ferrand in 1997 into a family of musicians, the young Frenchman trained with Pierre-Alain Volondat, Igor Lazko, Franck Braley and Rena Shereshevskaya, with whom he still works today. He made his debut at a very early age, invited at only sixteen to play with the Sinfonia Varsovia at the Folles Journées de Nantes. Since then he has performed in the greatest halls and with the best conductors and orchestras in the world. He plays regularly with Valery Gergiev and the Mariinsky Orchestra. His recordings have received numerous awards from the international music press - Classica, Diapason, Gramophon, Pizzicato, etc. - even before his Grand Prix in Moscow. - Even before his Grand Prix in Moscow, Alexandre Kantorow has a discography of half a dozen titles on the Bis label, in particular a highly acclaimed disc "À la russe", and recordings of the Liszt and SaintSaëns concertos. His latest recording is devoted to Brahms, Bartók and Liszt. With his father, the violinist Jacques Kantorow, Alexandre has also recorded sonatas by Camille Chevillard and André Gedalge (NoMadMusic). Composers José Serebrier and Guillaume Connesson have written for him. He will be artist in residence at Radio France in 2021-22.


L’amour toujours Love is all you need

Esmé Quartet © Droits Réservés

L’Esmé Quartet tient son nom du vieux français ; son premier album s’intitule To Be Loved. Du kiff, du love ou de l’amour, l’esprit reste le même, car les quatre Coréennes partagent leur affection mutuelle depuis l’enfance et la passion de la musique de chambre. « L’amour est un sentiment très personnel que nous cherchons à exprimer à travers notre musique et nos interprétations. C’est aussi une forme d’estime, et nous espérons que notre musique sera aimée ». Leur agenda « plein de fun et d’aventure » à l’Academy cette année leur fait enchaîner masterclasses, rencontres et moments de convivialité en colocation. « Nous nous réveillons plus ou moins à la même heure, et faisons tout ensemble : repas, cours et virées au supermarché. Nous formons un vrai ensemble ! ». Chaque jour à Verbier, elles touchent à un nouveau répertoire. « Nous avons choisi des œuvres très différentes pour ne pas créer de confusion entre les idées apportées par les différents coachs. Nous connaissions déjà Mathieu Herzog, donc nous lui avons joué du Schumann. Gábor Takács-Nagy, à qui nous avons interprété l’opus 132 de Beethoven, est très inspirant car il parle avec son cœur. Il nous a poussées suivre notre instinct, nous avons écouté notre voix intérieure. Plutôt que penser la musique, nous l’avons ressentie ».

Les quatre instrumentistes ont participé à l’un des deux récitals du baryton Benjamin Appl la semaine dernière. « C’était la première fois que nous jouions avec un chanteur. Nous trouvons fascinant que les chanteurs utilisent les mots pour ajouter un niveau de détail à la musique. Généralement, quand nous répétons, nous mettons des mots sur les mélodies pour créer une atmosphère ». Il leur arrive également de chanter ensemble des chansons de leur enfance. « Les souvenirs nous reviennent. Nous utilisons un même langage qui sert de base à notre jeu. Cela apporte une vraie patte à notre groupe ». Et l’Esmé Quartet ne manque pas de projets : « Au-delà du grand répertoire allemand pour quatuor à cordes, nous voulons découvrir et soutenir les compositrices. Nous avons par exemple inclus une œuvre d’Unsuk Chin dans notre premier album, et notre deuxième CD inclura au moins une compositrice ». L’amour se partage, et nul doute que l’inspirante formation de ces quatre Coréennes fourmillant d’idées continue à faire vivre des moments suspendus.

Propos recueillis par Thibault Vicq


Whether it's a crush, love or romance, the spirit remains the same, as the four Koreans share their mutual affection since childhood and a passion for chamber music. "Love is something very personal and we try to show it in our music and performance. It also means being valued and we hope that our music will be loved”. Their "fun and adventurous" schedule at the Academy this year has them taking masterclasses, meeting new people and enjoying time together as roommates. "We wake up more or less at the same time, we eat, go to classes and do the shopping together. It's a real ensemble". Every day in Verbier, they touch on new repertoire. "We chose very different pieces so that the ideas would not get mixed up with the different coaches. We knew Mathieu Herzog personally, so we brought him some Schumann. With Gábor Takács-Nagy we played Beethoven's Opus 132. He is very inspiring and speaks from the heart. He made us follow our instinct, so we tried to follow our inner voice, to feel the music rather than think it".

The four instrumentalists took part in one of baritone Benjamin Appl's two recitals last week. "It was the first time we played with a singer. I find it fascinating that singers can use words to describe the music. When we normally rehearse, we put words to the melody to create the atmosphere". They also sometimes sing songs from their childhood together. "It brings back a lot of memories. We use the same language that we can play with, and that creates something special in our group". And the Esmé Quartet has no shortage of plans: "In addition to the great German repertoire for string quartet, we would like to discover and support female composers. For example, we played a piece by Unsuk Chin on our first album, and our second album will also contain at least one female composer". Love is shared, and there is no doubt that the inspiring line-up of these four idea-rich Korean musicians will continue to immerse us in dreamlike moments.


La Banque Julius Baer et la culture, une relation qui dure Bank Julius Baer and culture, a long-term relationship Linda Krajnak travaille depuis trois ans et demi au service des partenariats monde à la banque Julius Baer. Elle supervise les projets culturels, parmi lesquels le Verbier Festival, qui bénéficie du généreux soutien de Julius Baer depuis 2010 et d’une coopération avec medici.tv. L’année dernière, Julius Baer a collaboré avec son partenaire VAN – magazine en ligne spécialisé dans la musique classique – sur la création d’un prix à destination des instrumentistes classiques internationaux : le Berlin Prize for Young Artists, dont la deuxième édition a eu lieu cette année. Pourquoi le soutien des arts fait-il partie de l’ADN de Julius Bar ? Tout a commencé grâce à l’engagement de collectionneurs d’art au sein de la famille Baer, qui dénichaient des œuvres d’artistes suisses émergents. Quelques femmes artistes parmi les descendants étaient très liées à la scène artistique de Zurich, Paris et New York. Peu après la création de la collection d’art Julius Baer dans les années 1980, le soutien s’est étendu aux institutions culturelles, aux musées et aux festivals. Nous poursuivons ce voyage pour aussi perpétuer ces valeurs dans le soutien à la culture. Nous nous concentrons particulièrement sur deux expertises : les artistes émergents et les institutions culturelles de pointe telles que l’Elbphilharmonie de Hambourg et le Zaryadye Hall à Moscou. D’un soutien exclusivement à la musique classique, nous avons pu diversifier nos activités et créer de nouveaux prix, comme le Julius Baer Next Generation Art Prize, pour les jeunes artistes d’Asie du Sud-Est, une distinction pour les femmes artistes latino-américaines, ou le « Young Russian Pianists Concert ». Avez- vous des projets numériques avec le Verbier Festival ? Tout à fait, nous sommes entrés dans une activation numérique et allons produire un documentaire avec le compositeur germano-

Linda Krajnak © Droits Réservés

russe Gabriel Prokofiev, le petit-fils de Sergueï Prokofiev, qui donne un concert à l’Espace Saint-Marc du Châble le jeudi 29 juillet avec des artistes et alumni de l’Academy. Le courtmétrage sera disponible en ligne, comme la mini-série que nous avions faite avec la jeune cheffe d’orchestre française Lucie Leguay il y a deux ans. Nous suivrons Gabriel et le verrons répéter avec l’Academy. J’ai eu la chance de le rencontrer personnellement au Verbier Art Summit en février 2020, au cours duquel il présentait son travail. C’est un homme tout à fait passionnant, qui possède d’une part un héritage musical indéniable, et qui a d’autre part élaboré un style bien à lui, mêlant musique électronique et musique classique, entre autres activités. Le développement durable et les thématiques environnementales lui tiennent particulièrement à cœur, évidemment au même titre que Julius Baer. Comment construisez-vous ces relations à long terme avec les partenaires de Julius Baer ? Toute relation demande du temps, de la patience et des ressources pour grandir ensemble. Les deux parties s’investissent, apportent de nouvelles idées et contribuent à un partenariat du meilleur niveau. Nous essayons d’évoluer et de mettre en place des activités ensemble, aussi bien à Verbier que dans différentes régions du monde. Nous allons par exemple au-delà du simple soutien financier à travers des ateliers finance que nous organisons pour les étudiants de l’Academy avec notre filiale Julius Baer à Verbier. Nous leur enseignons les bases de la finance, que la plupart d’entre eux n’a pas eu l’occasion d’apprendre au conservatoire. Nous leur apportons des conseils et des idées sur les façons de mettre de l’argent de côté, rembourser leurs prêts étudiants, organiser leur budget annuel et se préparer à l’avenir.

Propos recueillis par Thibault Vicq


Qu’avez-vous mis en place cette année pour permettre aux jeunes artistes de se rencontrer en contexte Covid ? Nous finançons depuis plusieurs années les déjeuners car il s’agit du seul endroit où ils puissent se retrouver au même endroit au même moment. Le coffee truck est nouveau de cette année : Julius Baer offre le café à tous les festivaliers en possession d’un badge. C’est une idée spontanée que nous avons eue peu avant le Festival, mais nous nous sommes vite rendu compte que c’était devenu un point de rendezvous pour de nombreux artistes et membres du personnel. Il est à l’extérieur et permet de commencer la journée avec un délicieux café, de rencontrer des personnes merveilleuses et de pouvoir discuter un peu avant que chacun ne reprenne ses activités. Je compte réitérer l’expérience à l’avenir. Je tiens à remercier les organisateurs, artistes et volontaires du Festival, pour leur excellent travail et l’esprit intact qu’ils perpétuent, en particulier cette année ! Linda Krajnak has been working for Bank Julius Baer for the last three and a half years in the Global Sponsoring Department. She oversees the cultural projects, including the Verbier Festival – who Julius Baer has generously supported since 2010 – and a cooperation with medici.tv. Last year Julius Baer collaborated with its partner VAN – an online magazine specialised in classical music – for a new prize for international classical instrumentalists called the ‘Berlin Prize for Young Artists’, which is already in its second edition this year. Why is supporting the arts a part of the DNA of Julius Baer? The Baer family first started to collect fine art on their own, and they were mainly focused on emerging Swiss artists. Some of the Baer women in the family were artists themselves and were well connected in the art scene in Zurich, Paris and New York. The corporate art collection was founded in the 1980s and shortly after, they extended their support to cultural institutions, museums and festivals. We continue this journey to perpetuate these values in our cultural sponsoring as well. We have two major focuses: emerging artists and state-of-the-art cultural institutions, such as the Elbphilharmonie in Hamburg and the Zaryadye Hall in Moscow. The focus used to be on classical music but we have been diversifying and created new prices, such as the ‘Julius Baer Next Generation Art Prize’ for young Southeast Asian artists, a prize for Latin American female artists and the ’Young Russian Pianists Concert'.

Do you have any digital projects with the Verbier Festival? We have a digital activation and are producing a documentary with the Russian-British composer Gabriel Prokofiev, the grandson of Sergei Prokofiev, who will have a concert on Thursday 29 July at Espace Saint-Marc in Le Châble with some of the Academy students and alumni. This short-film will be available online; similar to the mini-series we did two years ago with young French conductor, Lucie Leguay. We will follow Gabriel and see how he practises with the Academy. I had the good fortune to meet him personally at the Verbier Art Summit in February 2020, where he was presenting some of his work. He is a super interesting character, on the one hand, there is this heritage, and on the other hand, he created his own thing, merging electronic and classical music, among many other activities and projects he pursues. He is very much into sustainable and environmental issues, which Julius Baer also works on, needless to say. How do you maintain a long-term relationship with Julius Baer’s partners? Like in any relationship, you need time, patience and resources to grow together. Both sides should invest, introduce new ideas and contribute towards a partnership on eye level. We are trying to evolve and set-up new activities together, here in Verbier, but also in various parts of the world. For example, we aim to go beyond financial support by also organising a financial workshop for the Academy students with our Julius Baer branch in Verbier. We teach them the basics of finance, which most of them do not learn at music school. We provide them with tips and insights on how to save money, pay off their student loans, organise their annual budget and plan for the future. What have you implemented this year to enable young artists to meet each other in a Covid context? For many years, we’ve been financing their daily lunches because it is the only place where all of them can meet at one location at the same time. The coffee truck is new this year: Julius Baer offers all festival pass holders coffee. It was a spontaneous idea shortly before the Festival started, but we realised quickly that it’s a great meeting point for many artists and workers. It’s outside, you can start your day with a fantastic coffee, meet wonderful people and have a nice chat before everyone is following their schedules. I think we will keep it for the future. I would like to thank the Festival, all organisers, artists and volunteers for keeping up the good work and spirits, especially this year!


András Schiff on Teaching András Schiff et la transmission

András Schiff © Nicolas Brodard

Roman Markowicz : Ce n'est pas votre première expérience dans la pédagogie à Verbier. András Schiff : Non, j'ai été approché par le Festival dès le début : ils voulaient que j'enseigne et j'ai accepté avec plaisir, car cela me plait beaucoup ! L'Academy est l'une des facettes les plus remarquables du Festival et c'est ce qui le distingue des autres manifestations. R.M. En quoi le fait de donner des masterclasses à Verbier est-il différent ? A.S. À Verbier, je ne choisis pas les élèves avec lesquels je veux travailler. Je sais seulement que le processus de sélection est très rigoureux : cela suffit à garantir que je travaillerai avec un groupe très restreint de jeunes pianistes extrêmement talentueux. Donc je ne m'inquiète pas du niveau pianistique de mes jeunes collègues. Ce qui est en revanche similaire à la manière dont je mène habituellement mes masterclasses ; tous les étudiants doivent participer. Je veux éviter qu'un élève soit assigné à une heure, qu'il se présente à son cours et disparaisse ensuite. Je pense qu'il est très important que les étudiants apprennent les uns des autres. Au cours de mes propres études, c'est en écoutant les autres que j'ai le plus appris. C'est pourquoi j'insiste pour que les étudiants même s'ils ne jouent pas ce jour-là - restent pour écouter leurs collègues.

R. M. Vous sentez-vous à l'aise pour aborder les œuvres que les étudiants vous apportent ? A.S. Je ne nie pas que je préfère pratiquer le répertoire qui est proche de mes propres préférences artistiques, c'est-à-dire le canon classique de la littérature pour piano : Bach, Mozart, Beehoven, Haydn et Schumann. R.M. Vous ne permettez donc pas à votre élève de jouer autre chose ? A.S. Ce que j’entends par là, c'est que dans un contexte comme celui de Verbier, ou dans des endroits où je ne vois un élève qu'une ou deux fois, on me donne une liste d'œuvres et j’en choisis une pour chacun des étudiants. À l'Académie Barenboim-Said de Berlin, où j'ai maintenant ma propre classe, j'écoute des œuvres qui ne font peut-être pas partie de mon répertoire de prédilection et je donne des conseils strictement musicaux plutôt sans chercher à résoudre les problèmes techniques des Études transcendantales de Liszt. J'estime que je ne dois pas limiter leur répertoire et je ne leur dis pas « ne jouez pas ceci ou cela » uniquement parce que je n'aime pas personnellement une œuvre donnée. Si je n’en connais pas très bien une ou si je ne l'ai pas jouée moi-même, je donnerai quelques suggestions d'ordre général ou je dirai même à l'élève de la voir avec quelqu'un d'autre, chez un autre professeur. Donc, de manière générale, je dirais qu'il faut enseigner ce que l'on connaît très bien. D'un autre côté, j'ai vu des professeurs donner des


conseils très superficiels et symboliques sur l'interprétation de grandes œuvres pour piano, comme la Sonate en si bémol op. 106 de Beethoven, alors qu'ils ne l'avaient jamais jouée, et j'essaie bien sûr d'éviter de tels pièges. R.M. Je comprends que chaque fois que cela est possible - comme dans le cas des académies de Berlin ou de la Couronne prussienne - vous essayez d'imiter l'ancien modèle où le maître et les élèves n'étaient pas séparés par une semaine d'absence et se rencontraient pour leur période de 60 minutes de cours... A.S. Oui, dans ces situations, j'essaie de passer beaucoup plus de temps avec mes élèves, de les inspirer, de les enrichir sur d'autres voies que la musique uniquement. Lorsque c'est possible, nous échangeons un repas ensemble, nous parlons de divers sujets ou nous visitons des musées... J'essaie également d'aider les plus talentueux d'entre eux sur le plan pratique, par exemple pour trouver des salles de concert. R.M. Ne pensez-vous pas que les masterclasses publiques servent souvent à l'exhibitionnisme du professeur qui s'adresse autant à son élève qu'au public ? A.S. Ce n'est pas forcément le cas. Mais les gens viennent pour voir à la fois le professeur et l'élève. Il s'agit d'une classe « de performance » et c'est pourquoi je m'assure de permettre au pianiste de jouer du début à la fin, sans interruption. Certains professeurs, ou pire encore, certains chefs d'orchestre arrêteraient le(s) musicien(s) après quelques notes ou quelques mesures et je trouve cela contre-productif. Mais je pense que l'élève devrait être autorisé à exécuter le travail qu'il a préparé, même s'il est médiocre, car il s'agit d'une classe « de performance ». R.M. Je sais que cela n’est pas le cas cette année, mais vous dirigez également des masterclasses dans le répertoire du quatuor à cordes : partagez-vous mon opinion selon laquelle, pour interpréter, par exemple, un quatuor à cordes de Beethoven, les musiciens devraient se familiariser avec les sonates pour piano ? Je sais que nous, pianistes, avons tout à gagner à apprendre le répertoire du quatuor à cordes... A.S. Bien sûr qu'ils devraient, même si cela se produit très rarement. J'ai beaucoup travaillé avec les instrumentistes à cordes et j'apprécie énormément. Oui, je ne peux pas leur proposer les doigtés, mais j'ai la possibilité de suggérer des coups d'archet ou de phrasé qui amélioreraient leur concept ou leur interprétation d'une œuvre. Je pense qu’afin d’être un mentor pour les instrumentistes à cordes, il n'est pas important d'en être un soi-même, mais plutôt d'appliquer son expérience acquise en observant et en travaillant avec de nombreux grands artistes du passé et ceux qui sont

encore présents. Ce que j'essaie d'enseigner est toujours l'importance du compositeur, d'un morceau de musique donné et de ce qui se passe dans la musique. Roman Markowicz :This is not your first encounter with teaching at Verbier? András Schiff: No, I've been approached by the Festival from the very beginning: they wanted me to teach and I gladly accepted it, because I like teaching! The Academy is one of the most distinguished activities of the Festival and that's what also sets this Festival apart from others.  R.M. How does conducting master classes at Verbier differ from, say, teaching master classes elsewhere? A.S. At Verbier I do not choose students that I want to work with. I only know that the elimination process here is very stringent: that alone assures that I will be working with a very  small group of immensely talented young pianists. So I am not worried about the pianistic level of my young colleagues. What is similar to the way I usually conduct my master classes is that all students have to participate. I want to avoid a situation when a student is assigned a time, he or she shows for his/hers lesson and disappears afterwards. I think it is very important for students to learn from each other. In my own studies I learn most from listening to the others and that's why I insist that students-even if they don't play on that day- stay and hear their own colleagues. R.M. Do you feel comfortable teaching anything that students bring to you for their lesson? A.S. I don't deny that I prefer to work on the repertoire that is close to my own artistic preferences, in other words the classic canon of the piano literature: Bach and Mozart and Beehoven and Haydn and Schumann , those composers. R.M. So you will not allow your student to play anything else? A.S. What I wanted to say is that in a situation like Verbier, or places where I work with a student just once or twice, I am given a list of works each pianist plays and then I choose one work for each. In a situation such as The Barenboin-Said Academy in Berlin where I now have my own class, I will listen to works that may not be in my repertory and offer my strictly musical advice rather than resolving technical issues of Liszt Transcendental Etudes. I feel that I should not limit their repertoire and I don't tell them "don't play this or that" only because I personally don't like a given work. If I don't know a work very well or have not played it myself, I


would give some suggestion of a general nature or even tell the student to take such work to someone else, to another teacher. So generally I would say that one should teach the works that are known to him very well. On the other hand I have seen teachers who offer a very perfunctory, token advice on interpretation of great piano works, such as Beethoven Sonata in B-flat op.106, whereas they have never played such work and of course I try to avoid such pitfalls. R.M. I understand that whenever possible - as in the case of academies in Berlin or in Prussian Cove - you try to emulate the old-world of teaching when the master and students were not separated by a week of absence and met for their 60 minutes period of lesson.... A.S. Yes, in those situations I try to spend much more time with my students, inspiring, enriching  them in other directions than music only . Whenever possible we eat together or talk about various subjects or visit museums..... I also try to help the most talented of them  in practical terms such as finding venues for their performances.

R.M. Don't you think that public master classes often serve as a show-off for the teacher who addresses his/her student  as much as he addresses the audience? A.S. It need not be so. But people come to see both the teacher and the student. It is a performance class and that's why I make sure to allow the pianist to play his/her selection from the beginning to the end, uninterrupted. Some teachers or worse yet conductors, would stop the musician(s) aftera few notes or a few measures and I find it counterproductive. But I think that the student should be allowed to perform the work he prepared, however poorly because it is a performance class. R.M. I realise it is not going to happen this year, but you also conduct master classes in the string quartet repertory: do you share my opinion that performing, say, Beethoven string quartet the players should acquaint themselves with the piano sonatas? I know we-pianists benefit from learning string quartet repertory..... A.S. Of course they should, even if it happens very seldom. I worked a lot with the string players and I love to work with them. Yes, I can't offer them the fingerings but definitely I was able to suggest some bowing or phrasing changes which would improve their concept or interpretation of a work. I think that to mentor string players it is not important to be a string player but rather to apply your experience from watching and working with many great string players from the past and those still among us. What I try to teach is always the importance of the composer and a given piece of music and what is happening in the music.


Les sentiers de la gloire Paths of Glory

Maximilian Haberstock © Alpimages

Déjà la troisième année au Verbier Festival pour le talentueux Maximilian Haberstock, 17 ans au compteur ! Devenu étudiant pianiste de l’Academy en 2018 sur recommandation de Sergei Babayan, puis en 2019 le plus jeune chef d’orchestre de l’Academy, il occupe cette année le poste d’assistant de James Gaffigan à la tête du Verbier Festival Junior Orchestra. « C’est une opportunité unique de travailler avec James et d’être en contact avec un orchestre pendant plusieurs semaines, presque tous les jours. J’apprends aussi beaucoup sur les différentes familles d’instruments pendant les partiels de pupitres”. S’il rêve de diriger Eine Alpensinfonie de Strauss, la Huitième de Bruckner et la Tétralogie de Wagner, il travaille actuellement avec le VFJO sur La Bohème de Puccini pour une version de concert avec l‘Atelier Lyrique. « J’ai le même âge que les musiciens ; nous logeons ensemble et nous nous entendons très bien. Ils sont très réactifs à mes idées et à mes souhaits. C’est la première fois que je prépare un opéra du début à la fin. Les musiciens apprennent à regarder le chef aux moments cruciaux, et j’apprends à suivre précisément les chanteurs. C’est un processus qui demande une certaine expérience, et c’est justement pour l’acquérir que nous sommes ici ». Son mentor James Gaffigan lui donne « une grande liberté d’interprétation ». En plus de sessions individuelles, il lui partage des « conseils pour mieux travailler avec l’orchestre du point de vue de l’intelligence

émotionnelle, et des indications quant aux gestes » afin de faire passer précisément ses idées aux musiciens. C’est une inoubliable 4e Symphonie de Chostakovitch à Munich qui lui a mis le pied à l’étrier de la direction d’orchestre. « On a tous besoin d’une expérience comme celle-ci avec la musique classique ». Maximilian Haberstock est un fervent défenseur de la médiation pour attirer les nouveaux publics dans les salles de concert. Il a découvert L’Apprenti sorcier de Dukas avec une présentation préalable des thèmes principaux. Ces quelques notes lui ont trotté dans la tête et l’ont poussé à réécouter l’œuvre. « Je suis profondément convaincu qu’on revient aux choses qu’on connaît déjà. Cela stimule la concentration ». Il pense cependant que les institutions musicales pourraient se donner davantage les moyens d’élargir l’aura de la musique. « À mon avis, l’interdiction stricte de prendre des photos ou des vidéos lors d’un concert empêche à la musique classique de se propager. Les réseaux sociaux font aujourd’hui partie de notre vie à tous, c’est un fait. En publiant une vidéo de 15 secondes en story Instagram avec une indication de lieu, on peut aider à montrer que la musique classique est accessible à tous. Et chacun peut y trouver son compte ». Voici venu le temps des digital natives sur les scènes du monde entier !

Propos recueillis par Thibault Vicq


The talented Maximilian Haberstock is already on his third year at the Verbier Festival, at just 17 years old! He became a student pianist at the Academy in 2018 on the recommendation of Sergei Babayan, and then, in 2019 he became the Academy's youngest conductor. This year he is James Gaffigan's assistant conductor of the Verbier Festival Junior Orchestra. "It's absolutely incredible to work with James and to have the chance to be in front of the orchestra almost every day for several weeks. As a conductor, you also learn a lot about the instrument groups in sectional rehearsals”. While he dreams of conducting Strauss's Eine Alpensinfonie, Bruckner's Eighth and Wagner's Ring cycle, he is currently working with the VFJO on Puccini's La Bohème for a concert version with the Atelier Lyrique. "The musicians and I are the same age; I also live with them and we get along very well. They listen to my ideas and what I want for the music. This is the first time I've prepared an entire opera from start to finish. The musicians are learning to look at the conductor at crucial moments, and I am learning exactly how to follow the singers. This process takes experience, and that's exactly what we're doing here”. His mentor James Gaffigan gives him "a lot of freedom in terms of interpretation". In addition to the one-on-one sessions they have after rehearsals, he gives him

"advice on how to work better with the orchestra on a psychological level, and also inspiration for gestures", so that he can better show the musicians what he wants. It was Shostakovich's unforgettable Fourth Symphony in Munich that gave him his first taste of conducting. "I think everyone needs this kind of experience with classical music". Maximilian Haberstock is a strong advocate of mediation to attract new audiences to concert halls. He was introduced to Dukas' L'Apprenti sorcier with an advance presentation of the main themes. Those few notes stuck in his head and prompted him to listen to the work again. "If you recognise something you know, it will bring you back to the music and to a concert hall. I really believe in that effect. It triggers your concentration immediately". However, he believes that music institutions could do more to broaden the aura of the music. "I think that the strict rules against taking photos or recordings at concerts prevent the spread of classical music. Social media has become a part of everyone's life, let's face it. Posting a 15-second video on your Instagram story saying 'this is where I was' could help show that classical music is for everyone. And for everyone, there is something". Now is the time for digital natives on stages around the world!


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