LUNDI 8 OCTOBRE 2018
LE FAIT DU JOUR
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MĂCON, CHĂLONS, PARIS⊠ĂVASIONS EN SĂRIE
AprĂšs une premiĂšre Ă©vasion Ă MĂącon, Michel Vaujour est incarcĂ©rĂ© Ă ChĂąlons, dâoĂč il sâĂ©chappera en 1974 ! Ci-dessus : Michel Vaujour a 12 ans. Il est enfant de chĆur Ă Vertus oĂč il a trouvĂ© en lâabbĂ© Zeller un pĂšre de substitution. Ci-contre, en haut : Toujours Ă Vertus, Michel Vaujour a alors 10 ans. Ci-contre, en bas : Michel Vaujour quittait rarement la Marne. Il a sur cette photo 14 ans et est en vacances en famille dans un camping de Normandie en bord de mer (Deauville ou Trouville).
PREMIERS JOURS DE LIBERTĂ AprĂšs vingt-sept ans de prison, dont dix-sept en quartier de haute sĂ©curitĂ©, Michel Vaujour nâest pas plus inquiet que ça lorsquâil sort « lĂ©galement » en 2003. « Câest terrifiant Ă dire, mais jâai toujours fait ce quâil y avait Ă faire, que ce soit pour mâĂ©vader ou pour sortir. Quand la porte sâest ouverte, pour moi câĂ©tait normal. Jâai commencĂ© par quelque chose de simple : une cĂŽte de bĆuf, des frites, une sauce bĂ©arnaise, et du rosĂ© avec un peu dâeau. Au dĂ©part, jâĂ©tais encore un peu paranoĂŻaque. Je voyais des flics partout. Je suis arrivĂ© Ă Paris, jâavais les yeux qui brĂ»laient Ă cause de la pollution. Je nâavais plus le sens de lâargent et puis, quand je suis sorti, je parlais diffĂ©remment. En prison, on nâarrondit pas trop les angles. Jâavais tendance Ă parler comme ça avec les gens. Jamila me reprenait Ă chaque fois ! »
danser Ă Reims. Un matin dâavril 1970, la police frappe Ă la porte. Une voiture volĂ©e a Ă©tĂ© trouvĂ©e. Michel Vaujour ne rĂ©flĂ©chit pas et prend la fuite⊠RattrapĂ©, quelques semaines plus tard, il est condamnĂ© par le tribunal de ChĂąlons Ă deux ans et demi de prison. Un jugement vĂ©cu comme une terrible injustice, dâautant plus que sa compagne ne donne plus signe de vie. « Je me suis retrouvĂ© Ă 19 ans, en prison, seul dans un monde de trois cents jeunes voleurs, violeurs et meurtriers. JâĂ©tais complĂštement rĂ©voltĂ©, Ă fleur de peau. Personne nâest venu me voir pendant cette peine. Une fois encore, ce sentiment dâabandon. » Sa peine purgĂ©e, Michel Vaujour essaye de repartir Ă zĂ©ro. En vain. « On mâavait donnĂ© cinq ans dâinterdiction
de sĂ©jour dans la Marne. CâĂ©tait la derniĂšre chose Ă faire. Je nâavais jamais quittĂ© le dĂ©partement. Le seul boulot que jâavais, câĂ©tait lĂ -bas ! »
âJE NâAI PAS RĂFLĂCHI. JE SUIS PARTI COMME UN FOU ET JâAI COURU PENDANT TRENTE ANSâŠâ Ce qui devait arriver arriva. Lors dâun banal contrĂŽle routier dans le sud, Michel Vaujour panique. « Je nâavais pas de permis, pas de piĂšce dâidentitĂ©. Le seul papier Ă©tait mon carnet dâinterdiction de sĂ©jour que je nâavais pas prĂ©sentĂ© dans les gendarmeries. Le policier mâa demandĂ© mes papiers. Je nâai mĂȘme pas rĂ©flĂ©chi. Je suis parti comme un fou. JâĂ©tais comme un dingue⊠Je courais, courais et jâai couru trĂšs longtemps, pendant trente ans⊠» Ă partir de ce jour, la vie de Michel Vaujour se-
ra faite de prison, dâĂ©vasions, jusquâĂ sa rencontre avec celle qui est sa femme aujourdâhui, Jamila. Câest elle qui lui donnera la force de devenir un dĂ©tenu exemplaire et de sortir de prison en 2003, la tĂȘte haute grĂące Ă une remise de peine exceptionnelle de seize ans. « Juste aprĂšs ma libĂ©ration, ma mĂšre a organisĂ© un repas avec toute la famille. Il y avait prĂšs de quarante personnes. Je nâen connaissais mĂȘme pas la moitiĂ©. CâĂ©tait mon premier contact avec des gens normaux. Moi, jâĂ©tais libre mais je voyais toutes ces petites mesquineries de famille. Aujourdâhui, je ne regrette rien et je pense mĂȘme, aussi paradoxal que cela puisse paraĂźtre, que jâai eu de la chance. Jâaurais pu finir comme eux. » GRĂGOIRE AMIR-TAHMASSEB
On lâa surnommĂ© le roi de la cavale, et pour cause. Entre 1973 et 1974, Michel Vaujour sâĂ©vade Ă trois reprises, notamment de la maison dâarrĂȘt de ChĂąlons. Câest dâailleurs dans la ville prĂ©fecture de la Marne quâil rĂ©ussit sa quatriĂšme Ă©vasion, en janvier 1979. Il prend en otage, avec un pistolet fabriquĂ© en savon et un coupe-ongles, la juge dâinstruction chĂąlonnaise et parvient Ă sortir du tribunal. Câest le commencement dâune longue cavale dans laquelle il retrouve Gilles, un ancien compagnon de cellule. Nadine, la sĆur de Gilles, devient sa compagne. Elle est originaire de Reims. Câest elle, alors que Michel Vaujour a Ă©tĂ© repris, qui organise sa spectaculaire Ă©vasion de la prison de la SantĂ© en mai 1986. La jeune femme vient le chercher un bord dâun hĂ©licoptĂšre. Un Ă©pisode qui fera la une de lâactualitĂ© et lâobjet dâun film, La Fille de lâair, avec lâactrice BĂ©atrice Dalle dans le rĂŽle de Nadine. En septembre 1986, il est Ă nouveau arrĂȘtĂ© au terme dâun braquage qui tourne mal. Il prend une balle dans le crĂąne qui le rend en partie hĂ©miplĂ©gique.
LES AUTRES POINTS Le yoga comme outil de combat Il le dit aujourdâhui. Le yoga lâa sauvĂ© lorsquâil Ă©tait placĂ© Ă lâisolement total. « Quand vous arrivez dans un QHS (quartier de haute sĂ©curitĂ©), câest trĂšs violent, raconte Michel Vaujour. CâĂ©tait un endroit vraiment trĂšs dur qui vous dĂ©truit si vous ne devenez pas plus dur que lâendroit. Avec le yoga, je suis entrĂ© dans un processus dâascĂšse. Je ne fonctionnais plus que dans le yoga. Cela permettait de me dĂ©tacher du monde menaçant permanent. Le yoga, câest un ensemble de techniques psychophysiologiques qui, Ă hautes doses, peuvent vous sculpter. Cela a permis dâaugmenter mes capacitĂ©s. Pour moi, au dĂ©part, câĂ©tait un outil de combat. Ce nâĂ©tait pas un outil de paix⊠AprĂšs, dans un deuxiĂšme temps de ma vie, quand jâai dĂ©cidĂ© que jâallais me battre dâune autre façon pour Jamila, cela a Ă©tĂ© autre chose. »
Jamila, la femme qui lâa sauvĂ© du naufrage Leur rencontre est improbable. Au dĂ©but des annĂ©es quatre-vingt-dix, Jamila, jeune Ă©tudiante en droit, Ă©crit Ă Michel Vaujour pour le rencontrer. Câest le coup de foudre. En 1993, la jeune femme tente Ă son tour de le faire Ă©vader mais elle Ă©choue et est condamnĂ©e Ă sept ans dâemprisonnement. Cette condamnation a Ă©tĂ© le dĂ©clic pour Michel Vaujour. « Je ne voulais pas quâelle vive ce que jâai vĂ©cu en prison. Quâelle soit dĂ©truite comme moi je lâavais Ă©tĂ©. Quand jâai vu sa force en prison, quand jâai vu que pendant le procĂšs elle assumait tout alors que ça lâa condamnĂ©e, jâai su quâĂ partir de lĂ je ferais tout pour elle, que je ne trahirais jamais cette femme. Câest elle qui mâa donnĂ© la force de penser Ă la libertĂ© de façon lĂ©gale. Cela a Ă©tĂ© un combat trĂšs dur. Il a fallu que je me batte contre lâadministration pĂ©nitentiaire, contre moi-mĂȘme. Je nâavais quâune solution, câest fonctionner de façon sincĂšre. Jamila mâa beaucoup aidĂ© pour cela. »