Controverses

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Controverses Une histoire juridique et éthique de la photographie Un ouvrage de Daniel Girardin et Christian Pirker , Éditions Actes Sud 2008

Vanessa CHALCOU et Angélique GUEST


Introduction La controverse se caractérise par une discussion suivie voire une polémique, sur une question ou une opinion. Les réactions toujours vives, sont motivées par un sujet qui heurte les mœurs, les normes, les bonnes pratiques d’une époque et/ou d’une société, d’un groupe donné. La controverse en photographie a toujours existée, soulignant les différentes interprétations qui peuvent en émaner. Ce livre soulève « l’insoluble paradoxe de la photographie entre liberté et contrainte ». Dès ses débuts en 1839, la photographie a troublé les esprits par la réalité qu’elle laissait transparaitre. Ce livre permet de se demander pourquoi certaines images sont adulées ou sujettes à la polémique, dans quelle mesure elles se rattachent au cadre sociétal de l’époque. L’une des premières photographies est celle d’Hippolyte BAYARD (1801-1887) Autoportrait en noyé, d’octobre 1840. A cette période Bayard et Daguerre se disputent la paternité de la photographie, l’un propose un tirage papier, l’autre sur plaque de cuivre. Ce sera Daguerre qui se retrouvera proclamé inventeur de la photographie. Dès lors, Bayard en exposant ce cliché souhaite se révolter en choquant. Il inscrira au dos de ce dernier, que Monsieur Bayard s’est suicidé car on a accordé bien trop d’importance au procédé mis en avant par Daguerre, et pas assez au sien, alors que la fixation sur papier représente l’avenir. Ce cliché est la preuve que l’histoire de la photographie a bel et bien commencé par une polémique.

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PLAN

I) La reconnaissance de la photographie s’est faite à travers des batailles juridiques A) Création d’un statut pour la photographie B) Reconnaissance d’un statut pour le photographe

II) La photographie, miroir de notre société A) La controverse : un reflet des points de tensions d’une société B) Les premières images à visée informative et documentaire C) La photographie soumise à la loi de l’interprétation (variable selon l’ordre philosophique et culturel, les époques, les milieux sociaux…)

III) Quand la mise en scène développe le symbolisme A) La photographie mise en scène et en fiction : dépassons l’enregistrement du réel B) La création d’œuvre symbolique et production de sens C) Quand le réel est tronqué pour masquer la réalité

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I) La reconnaissance de la photographie s’est faite au travers de batailles juridiques La création du statut de la photographie s’est dessinée au fur et à mesure des batailles judiciaires. Chaque controverse inscrivant un peu plus la photographie dans l’histoire, et lui permettant d’acquérir le statut d’œuvre d’art. A) Création d’un statut pour la photographie Par les évolutions techniques, de mœurs, et les nouvelles perceptions qu’elle offrait, la photographie fut au cœur de plusieurs polémiques, où seule la justice pouvait trancher. Ce qui permit de mettre à jour et de créer des lois propres à de bonnes pratiques photographiques. Pour que la photographie puisse être classifiée juridiquement, il a fallut la reconnaitre comme un art. Et cette nécessité est apparue dès 1856 par le Portrait du comte Camille de Cavour (page 26). Ses auteurs, Mayer et Pierson, ont en effet constaté que leur portrait avait été repris, retouché et commercialisé sans leur accord. Apparait alors dans ce domaine, la notion de contrefaçon. Hors, pour que cette accusation soit validée, il faut que la photographie soit reconnue comme un art. Cependant, ne nécessitant aucun savoir particulier, qu’un acte mécanique, peut-elle être qualifiée d’art ? La réponse tombe en 1862 : la photographie nécessitant une réflexion quant à la mise en scène, prise de vue… peut-être qualifiée d’art. Son statut juridique est alors reconnu. De nombreuses controverses sont liées à l’argent, du fait que la photographie soit une forme de pouvoir. Notamment sur l’esprit en intriguant ou alors en transgressant des codes. Amenant à des dérives, comme pour les photos de Lewis Hine, plus particulièrement Three Riveters, Empire State Building (page 79) qui a relancé le débat sur l’authenticité des photographies en 1931. Nous connaissons tous sa photographie où les ouvriers sont assis sur une poutre, pieds dans le vide. Mais on connait moins la polémique de cette série de photos témoignant de la lutte sociale, notamment pour les immigrés. En effet, lors de l’étude de cette photographie, des conservateurs réalisent que cette image n’est pas « vintage », c’està-dire qu’elle n’a pas été tirée sur du papier d’époque, elle aurait donc été falsifiée. Suite à de longues investigations, on apprendra que d’autres clichés, quant à eux bien authentifiés, ont été tirés à la même époque que ces clichés frauduleux. Aujourd’hui encore, on ne connait pas le fin mot de l’histoire, qui a falsifié ces clichés, la motivation n’était-elle que pécuniaire ? Depuis, une grande importance est accordée à l’originalité des clichés et à leurs dates de tirages. B) Reconnaissance d’un statut pour le photographe Il a aussi fallut faire admettre à la Justice que la photographie se devait d’être protégée par le droit d’auteur au même titre que toute autre création originale. Et cette bataille a été livrée au travers de la photographie de Napoléon Sarony, Portrait d’Oscar Wilde , 1882 (page 42). Motivé par l’argent, Sarony décide de créer un vrai commerce de ses photographies en photographiant des personnalités. Puis lui vient l’idée, de les payer pour utiliser leur image tant de fois qu’il le veut. Evidemment, pour que ce soit efficace, il doit être le seul à pouvoir 4


user de ses clichés. Or, cette photographie, a été copiée et diffusée sans son accord. Il attaque donc ces falsificateurs pour faire reconnaitre ses droits et sa paternité sur cette photographie. Pour se faire, il a dû prouver que ses clichés résultaient d’un « travail intellectuel et artistique », que c’étaient des œuvres d’art. Au terme de ce procès, son droit d’auteur fut reconnu, et par extension à chaque photographe. Ce procès, réalisé 20 ans après celui de Mayer et Pierson, aura lui aussi permis de protéger le photographe, son œuvre et de reconnaître les droits sur ses œuvres d’art. Admettant ainsi le photographe comme auteur, et délimitant la pratique de la photographie, entre inspiration, contrefaçon ou encore plagiat. Ces batailles judicaires ont donc permis la libre expression au travers de la photographie…

II) La photographie, miroir de notre société « Celui qui contrôle les images contrôle les esprits », a dit Bill Gates. Il ne faut donc pas négliger le pouvoir des images, les tensions qu’elles peuvent susciter. Par la violence parfois seulement suggérée d’une scène représentée, la brutalité d’un contexte rappelé, la maladresse d’un titre, les images peuvent provoquer des cataclysmes dans l’opinion publique, dont voici quelques exemples.

A) Les premières images à visée informative et documentaire En effet, la photographie reste le miroir d’une certaine réalité, le photographe souhaitant à travers ses prises de vue, véhiculer des idées, des sensations ou encore dénoncer, prouver quelque chose à travers des éléments visuels. C’est exactement ce qui motive Lewis Hine, il souhaite, à travers la photographie sociale, montrer ce que cache la société industrialisée : l’exploitation des enfants, qui peuvent travailler jusqu’à 14h d’affilée. Il souhaite faire prendre conscience, notamment par cette photographie de 1912 Texas Cotton Picker (page 59) qu’aux Etats-Unis, plus d’un million et demi d’enfants subissent cela. Par les témoignages photographiques de Hine, les Etats-Unis ont voté une loi en 1938 pour que les enfants soient protégés. Lewis Hine, fut le premier photographe à supporter les démunis et à dénoncer les abus au travers de l’art photographique. Voici une autre photographie, primée par de nombreux prix, qui a permis à son tour, de faire connaître au monde entier, la répression faite en Tchécoslovaquie. Nommée Printemps de Pargues, (page 159) elle a mis en lumière l’enjeu essentiel de la photographie : montrer le vrai. Pour contextualiser brièvement l’image, alors que le pays se croyait libéré, il entre dans une période « festive » nommé Printemps de Prague ; ce qui déplait à l’Armée Rouge, qui décide d’intervenir. On voit donc sur cette photographie, cette Armée qui en 1968, encercle avec ses chars une des places emblématique du pays pour contenir les contestataires. Cette 5


photographie a fait le tour du monde et sensibilisé le monde entier au rejet que faisait le peuple Tchèque des dictats soviétiques. Mais cette photographie a été soumise à une forte controverse. En effet, elle a fait le tour du monde mais sans jamais que l’auteur n’en soit connu, bafouant ainsi, tout droit d’auteur. La vraie identité du photographe finira par être dévoilée, lorsque sa famille trouvera des négatifs, notamment celui de cette photographie. Dès lors, un procès s’engage pour faire reconnaitre le manquement au droit d’auteur pour cette photo ayant été publiée à plusieurs reprises, et de surcroit, en l’attribuant à un autre photographe. B) La controverse : un reflet des points de tensions d’une société A travers toutes les photos exposées, on note que la controverse naît systématiquement de représentations qui bousculent l’opinion publique. Nous retrouvons toujours le sexe, la religion, la violence, la mort, le sang, au cœur de ces controverses. Souvent ces éléments sont associés. Piss Christ d’Andres Serrano, en 1987 (page 226), qui représente un crucifix baignant dans un liquide nimbé de lumière rouge, réunie ainsi religion, sexe, sang et mort. Jugée comme étant un blasphème le cliché fait scandale surtout par son titre qui évoque sans fard le recours aux fluides corporels pour obtenir le résultat. Cet exemple est à rapprocher d’un autre, qui n’a cependant pas été sélectionné pour l’exposition Controverse à la BNF. La Madone de Bentalha d’HOCINE ZAROUAR, 24 septembre 1997 suscite aussi la controverse par son titre : le terme de Madone est jugé inapproprié à la culture musulmane. En revanche, le cliché anonyme diffusé en 2004 et pris à la prison d’Abou Ghraïb en Irak (page 298), choque par ce qu’il représente : des hommes nus, entassés en pyramides humaines et visiblement humiliés par les officiers américains à la mine hilare qui leur font face. Ici, on voit de la chair, nue, de l’humiliation, mais aussi et surtout, nous sommes en 2004, en pleine guerre des Etats-Unis contre l’Irak. Les soupçons de torture sur les prisonniers sont prouvés par ces clichés qui interrogent la légitimité des mauvais traitements infligés à l’ennemi. Ce cliché montre aussi le choc des cultures : l’Occident et l’Orient qui luttent dans des rapports de domination, la diabolisation de l’islam.

C) La photographie soumise à la loi de l’interprétation (variable selon l’ordre philosophique et culturel, les époques, les milieux sociaux…)

Si la photographie de Frank Fournier, Omayra Sanchez, Armero, Colombie, 1985 (page 218), a suscité une si grande controverse, cela est dû à la souffrance dont elle fait état. Elle montre l’agonie sans voile. On y voit le visage d’une fillette de treize ans, sur lequel on peut lire l’épuisement, la douleur ; mais aussi, le courage et la dignité. Or, ce sont bien ces deux éléments qui font le scandale. La dignité et l’immobilisme de la fillette font aussi écho à la passivité des autorités colombiennes. Alors qu’elle déploie tout son courage pour rester digne dans cette situation, le gouvernement ne semble déployer aucune ressource pour l’en sauver. Cette photographie provoque l’empathie. Elle interpelle et choque par sa lumière, le plan de vue (qui souligne encore plus l’impuissance d’Omayra). Elle dérange. En ce sens, 6


nous sommes amenés à nous interroger sur le sens de sa diffusion. Où est la frontière entre information et voyeurisme ? 

L’implication du photographe par l’action

Précédemment, nous évoquions le statut du photographe, sa quête de reconnaissance. Mais la reconnaissance n’implique pas seulement le talent, la qualité artistique des clichés. Il convient aussi de replacer le photographe au cœur de son action, de lui attribuer une responsabilité. Notamment en photojournalisme qui illustre un problème éthique. En quoi est-il responsable de ce qu’il photographie ? Jusqu’où va son implication et son inscription dans le contexte du cliché réalisé ? Que dire du photographe qui capture des images d’agonie humaine sans intervenir ? On pensera à Kevin Carter et son célèbre Vautour guettant une petite fille en train de mourir de faim, 1993 (page 246) : celui de l'implication du photographe. Peut-il vraiment faire son travail s'il doit en même temps sauver des vies? Et pourquoi condamner le photographe d'un côté, alors qu'on récompense son travail de l'autre? La photographie est devenue célèbre par ce qu’elle révèle : les ravages de la famine en Afrique, l’incompétence de la communauté internationale à apporter des solutions durables, l’horreur suscitée face à la vision de cette fillette, censée par son jeune âge incarner le futur, qui dépérit, seule, au milieu d’un paysage de désolation. Cette photo témoigne de l’abandon. Le public se trouve confronté à quelque chose de terrible : son impuissance. Il est témoin d’une scène d’agonie et comme la photographie fait état d’un moment du passé, le spectateur prend conscience de son évidente capacité à intervenir, à porter secours. Par la distance géographique et surtout temporelle. Au moment où ce cliché est rendu public, la petite fille est certainement déjà décédée. A moins que le témoin principal de la scène, à savoir le photographe, qui n’est plus seulement artiste et/ou journaliste mais aussi un être humain, doté de sentiments, ait pu agir. Alors, quand on apprend que Kevin Carter ne sait pas ce qu’est devenue la petite fille, l’indignation s’empare du public. Tandis que Nick Ut était et est, toujours considéré comme un héros, après avoir porté secours à la jeune Phan Thị Kim Phúc (Petite fille de Trang Bang, 1972) (page 178), au contraire, Carter est vilipendé. Il n’est pas allé au-delà du rôle qui lui était assigné : le reporter n’a pas repris sa place d’Homme. Il a obéit aux ordres de neutralité exigée ; à l’instar de Marc Garanger, contraint de photographier des femmes algériennes Portrait de Cherid Barkaoun, 1960 (page 154), contre leur gré. Malgré ses propres convictions, il a dû se plier à des méthodes contraires à sa morale. Il a dû mettre son art, son savoir-faire au profit d’un dessein qui allait à l’encontre de ses règles. Pour autant, il s’en est servi plus tard pour illustrer les conditions durant la guerre d’Algérie. Carter, lui, s’est servi de cette photo pour montrer au monde une terrible réalité : la famine. Or, ce que le Monde a vu, c’est qu’il a très probablement laissé mourir une enfant, qui est de plus menacé par un vautour. Il y a là quelque chose de terrible, on y décèle le cynisme de l’impuissance, comme si nul ne pouvait plus rien faire, comme si, tellement proche de la mort, la fillette n’était même plus secourable. La neutralité du journaliste est donc un point bien conflictuel quand il s’agit du corps humain. 

L’implication du public par l’interprétation

A l’instar de la photographie d’ABBAS, Journées mondiales de la jeunesse, 1997 (page 258), utilisée quelques années plus tard pour illustrer un sujet sur la soumission des femmes, 7


totalement en dehors de son contexte initial. On y voit, en effet, trois jeunes femmes priant avec ferveur lors de la manifestation catholique des JMJ. Certaines des jeunes femmes représentées décident de porter plainte contre le photographe et son agence. Selon elles, il est inacceptable que leur image soit utilisée sans leur consentement et qui plus est pour illustrer un sujet qui les dévalorise et dans lequel elles ne sont pas partie prenante. A leur tour, Abbas et l’agence Magnum déposent plainte, au nom de la liberté d’expression, contre les jeunes femmes. Cet épisode porte à s’interroger sur la légitimité de faire intervenir la liberté d’expression lorsque le droit à l’image est menacé, lorsque les personnes représentées sont dépouillées de la maîtrise de leur image (cas similaire avec la série intitulée L’Autre, de Luc Delahaye, 1999 (page 278). Mais, on s’interroge aussi sur la légitimité de menacer la liberté d’expression. Au final, la controverse autour de cette photo amène à questionner les fondements, la définition même de la liberté d’expression. N’y-a-t-il pas un risque à confondre liberté d’expression, droit à l’image, diffusion des images ?

III) Quand la mise en scène développe le symbolisme

A) La photographie mise en scène et en fiction : dépassons l’enregistrement du réel Toutes les photographies ont un sens, notamment celles mises en scène, dont l’objectif est clairement défini par son créateur. Plus ou moins acceptées en fonction des sociétés qui les visionnent, nombreuses photographies ont prêté à controverse en développant des univers atypiques. Une des photographies du livre qui illustre bien cette idée, et dont l’histoire est esthétisée, c’est Fairy offering flowers to Iris de Frances Griffith, (page 63), datant de 1920. Cette photographie a été prise par deux cousines, dont l’une est visible sur la photographie. Alors qu’elles jouaient dans le jardin familial, elles demandent au père de l’une d’elle d’emprunter l’appareil photo pour photographier les fées qui vivent au fond de leur jardin. La famille fait développer les photos et constatent la présence de fées. Les petites filles attestant de la véracité des photos, le père leur confisque alors l’appareil. La mère, en revanche, doute et en parle au village. Cette histoire arrive jusqu’aux oreilles du père de Sherlock Holmes, qui décide de faire analyser la photographie pour voir si elle a été retouchée. Rien ne transparait, cette histoire est publiée dans un livre en 1922, qui fera la renommée des « Fées de Cottingley ». Cette controverse restera totale, certaines personnes y voyant la preuve de l’existence de fées, d’autres voulant d’autres preuves. En 1983, les deux cousines, maintiennent toujours la véracité de l’histoire. Puis, lors du décès de celle que l’on voit sur cette image, on découvre une lettre confession, dans laquelle elle révèle avoir dessiné les fées puis les avoir accrochées dans l’arbre. Pourtant, Frances Griffiths qui a pris cette photographie, ne confirmera jamais la déclaration de sa cousine, affirmant jusqu’à la fin qu’il « y avait des fées à Cottingley ». L’appareil photo devient alors, un objet permettant de prouver (ou non) les phénomènes paranormaux. Comme avec The Brown Lady, de Captain Provand et d’Indre Shira. Elle date 8


de 1936, et on y distingue ce que l’on pourrait associer à un fantôme : un spectre transparent où l’on devine une silhouette féminine. De nombreuses histoires ont toujours été racontées au sujet des fantômes ou des monstres, mais cette fois, grâce à l’appareil photographique, des preuves de l’invisible semblaient être enfin apportées. Cela conforta beaucoup le spiritisme, très en vogue au XIX siècle. Il faut savoir que des photographes ont été condamnés pour « fabrication de faux » avec ce genre de photographie. Cette photo, elle, a été prise alors que le photographe était là pour faire des prises de vue du bâtiment. Son assistant aperçoit alors cette forme vaporeuse et déclenche l’appareil. Contrairement à l’histoire précédente, le photographe et son assistant ont toujours défendu l’authenticité de cette image. Il appartient donc à chacun de se faire son idée sur ces photographies dites « spirite ».

B) La création d’œuvre symbolique et production de sens

A l’instar de cette reconstitution d’EUGÈNE APPERT, Massacre des dominicains d’Arcueil. Route d’Italie, n°38, le 25 mai 1871, à 4 heures et demi, Paris, photomontage, 1872 (page 38) accompagnée d’un photomontage, l’œuvre photographique cherche à donner du sens aux événements représentés. Il y a en effet, dans cet exemple, une vraie volonté de faire preuve d’authenticité puisque le photographe ne manque pas de légender, dater l’événement comme s’il avait été pris sur le fait. De vrais portraits de communards apparaissent dans la scène et, de ce fait, la rendent encore plus réelle. Néanmoins le caractère tronqué lié au photomontage enlève de l’objectivité de ce qui aurait été un photoreportage pour introduire de la subjectivité. Dès lors, cet outil devient à la fois preuve et manipulation du réel. Elle symbolise une période forte de l’histoire (la Commune de Paris) au sens d’illustration sans pour autant en donner une authentique photographie, fidèle et figeant une scène du réel.

C) Quand le réel est tronqué pour masquer la réalité

La réalité quand elle est photographiée, nous l’avons vu, est parfois dérangeante parce qu’elle montre ou fait référence à des éléments qui bousculent l’ordre établi ou les sensibilités. En somme, les controverses sont toujours le reflet d’un point de tension. Les réactions suscitées par les photographies concernées sont toujours vives et entraînent des conséquences plus ou moins lourdes (à l’instar du suicide de Kevin Carter après la controverse suscitée par sa photo de la fillette agonisant au Soudan). Aussi, pour éviter l’échauffement des esprits et les réactions en chaîne, le recours à la retouche a souvent été un moyen de préserver les auteurs, les personnes représentées ou aussi une façon de faire disparaître certains éléments trop dérangeants. Ainsi, la photographie de Evgueni Khaldei, Le Drapeau rouge sur le Reichtag, Berlin, 2 mai 1945 (page 134) représentant un soldat russe avec une montre à chaque poignet. Or, faire apparaître cette double possession revenait mettre en lumière des exactions commises par 9


les russes en Allemagne. Par conséquent, et pour éviter le scandale et les accusations de pillage, la deuxième montre a été effacée, rendant ainsi la photographie ahistorique. Dans une autre logique, en 1991, tandis qu’entre en vigueur la loi Evin contre le tabagisme, la cigarette est diabolisée. Ainsi, le Jean-Paul Sartre qui apparaît sur la photographie de Boris Lipnitzki, Jean Paul Sartre, Théâtre Antoine, Paris, 1946, (page 138) est dépossédé de la cigarette qu’il tient entre ses doigts sur le cliché original. Cette décision émane de la BNF, organisatrice de l’exposition consacrée à l’intellectuel. Cet exemple interroge la légitimité de la manipulation des clichés et pose la question de savoir ce qu’est la falsification. En modifiant un cliché, on modifie ce qu’il montre. Au final, c’est ici l’image de Sartre qui est modifiée. Or, pour une exposition qui lui est consacrée, est-il juste de gommer des éléments qui ne seraient plus en phase avec les normes de la société actuelle. Cela nie ainsi le caractère d’archive de l’image. (rappelons que la cigarette, dans les années 1940, est un fort vecteur de socialisation, de virilité pour un individu de sexe masculin et participe aussi au personnage de Jean-Paul Sartre).

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Conclusion

Pour conclure, les batailles judiciaires menées pour faire reconnaitre la photographie en tant qu’art et légitimer le photographe dans une démarche intellectuelle et artistique, ont permis à la photographie d’obtenir ce statut. Ainsi, bon nombre de témoins s’appuient sur les photographies pour illustrer leurs propos, l’utilisant comme preuve. Mais lorsque cette dernière va à rebours des idées de la société, de nombreux conflits et controverses peuvent naître. Une œuvre artistique de nature photographique peut ainsi représenter l’idéologie de la société, permettre de comprendre les enjeux à un moment T, mais aussi d’éclairer sur les tensions qui traversent les sociétés actuelles. Au final, cette exposition soulève la question du droit : à la fois du point de vue de ce qui est légal (droits d’auteurs, droit d’expression...) et de ce qui est légitime (a-t-on le droit de modifier un cliché ? A-t-on le droit de publier des photographies qui montrent la souffrance ?...)

Sources Ouvrage : -

Controverses, Une histoire juridique et éthique de la photographie, Daniel GIRARIN et Christian PIRKER, Editions Actes Sud, 2008

Sites Internet : -

http://ateliercfd.free.fr/medialibre/imagesweb/principal.html http://www.liberation.fr/medias/0101400138-la-photo-se-rebiffe-sur-le-droit-a-limage

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