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LIBRE DES BEAUX-ARTS Fondée en 1830 SÉANTA L'HOTEL-DE-VILLE

SOCIÉTÉ

ANNALES

VINGT ET UNIÈME VOLUME

ANNÉEACADÉMIQUE 1862-1865

Juin

1862

- Mai

PARIS A

JOHANNEAU, LIBRAIRE RUE DE RIVOLII, 77

1864


AVIS

IMPORTANT

MM. les Membres sont instamment priés, lorsqu' ils changent de domicile. de vouloir bien en informer immédiatement M. le Président, à Hôtel de Ville, s'ils ne veulent éprouver de retard dans l'envoi des ANNALESde la Société


SOCIÉTÉ

LIBRE DES BEAUX-ARTS Fondée en 1830 SÉANTA L'HOTEL DE VILLE

ANNALES VINGT ET UNIÈME VOLUME

ANNÉEACADÉMIQUE 1863-1804

Mai

1864

PARIS A. JOHANNEAU, LIBRAIRE RUEDE RIVOLI, 77


AVIS

IMPORTANT

MM.les Membres sont instamment priés. lorscju ils changent de domicile, de vouloir bien en informer immédiate' ment M. le Président, à l'Hôtel de Ville, s'ils ne veulent éprouver de retard dans l'envoi «les ANNALESde la Société.

NOTA, Toutenvoidoit être adresséà M, le Présidentde laSociétélibrelie; à l'Hôtelde Ville, Beaux-Arts,

SOMMAIRE Procès-verbal de la séancedu mardi 19 avril1804. — — du mardi5 mai1864. Rapportde M.Harrissur unelivraisonde la Revue critique cl.bibliographique. A proposd'une critiquesur Alfredde Musset,par M.A. DUFOUR Ala Mémoire d'Hippolyte Flandrin,par M.FAYET.


LaSociétélibre des Beaux-Artsse composedemembresrésidants,de membres associés,de membreshonoraireset de membrescorrespondants. Pourêtre admis membre de la Société,il faut adresserpar écrit au unedemandequi exposelestitres sur lesquelson croit pouvoir Président appuyersa candidatureet qui est apostilléepar deuxmembresrésidants. Pourl'examendestitres et le reste,il est procédéconformément au règlement. Lesséancesont lieu à l'Hôtelde Ville le 1eret le 3e mardirie chaque moisà 8 heuresdusoir.

COMPOSITION DU BUREAU ANNEE1864-1865 Présidenthonoraire.... Président 1erVice-Président. 2° Vice-Président Secrétairegénéral.. . . . 1erSecrétaireadjoint.. . . 2eSecrétaireadjoint.. . . 3eSecrétaireadjoint.. . . Bibliothécaire-archiviste. . Trésorier

M. GEORGES ROUGET . M. MATHIEU MEUSNIER . M.DUBOULOZ. M.VILLEMSENS. M.P. TILLIER. M. DUFOUR. M. CHAMERLAT. M.AUTEROCHE. CARPENTIER. M. PAUL M.A. DUVAL.

COMITÉD'ADMINISTRATION MM.SAGERET, MOULTAT et ALEXIS CHANGER # . COMITÉDE RÉDACTION MM. P. B.FOURNIER, DELAVlNGTRlE, MAILLET #, BAYARD HORSIN-DEON ALEXIS GRANGER &. DECLASSES PRESIDENTS ET VICE-PRÉSIDENTS - PRÉSIDENTS CLASSES PRESIDENTS VICE Peinture M.A.HESSE,del'InstitutM.GARNIER. M.FAROCHON Sculptureet Gravure en M. GATTEUX , médailles del'Institut. M.CHAUDET. Architecture M.DuBOYS Gravure M. RANSONNETTE M.TEXIER. M.DELABLANCHÈRE.M.A.CHEVALIER. Photographie Musique M.J. D'AOUST M. DELAIRE #. Littérature et Archéologie. M.MAILLET M.ALEXIS GRANGIR .


PARISIMP SIMON RACON ETCOMP RUE D'ERFURTU


LaSociétélibre des Beaux-Artsse composede membresrésidants,de membres associés,de membreshonoraireset de membrescorrespondants. Pourêtre admismembre de la Société,il faut adresserpar écrit au unedemandequi'exposelestitres sur lesquelson croit pouvoir Président appuyer sa candidatureet qui est apostilléepar deuxmembresrésidants. au réglePourl'examendestitres et le reste, il est procédéconformément ment. Lesséancesont lieu à l'Hotel-de-Villele 1eret le 3e mardide chaque mois à Sheuresdusoir.

COMPOSITION DU BUREAU ANNEE1862-1865) Présidenthonoraire. . . . Président 1erVice-Président 2e Vice-Président Secrétairegénéral 1erSecrétaireadjoint.. . . 2eSecrétaireadjoint.. . . 3eSecrétaireadjoint.. . . Bibliothécaire-archiviste. . Trésorier Comitéd'Administration..

M. GEORGES ROUGET M. P. B. FOURNIER. M. DESJARDINS DEMORAINVILLE. M. DUBOULOZ. DELAVINGTRIE. M. FUYARD M. J. LAMI. M. LEON FOURNIER; M. DUFOUR M. PAUL CARPENTIER M.DUVAL. et MM.ALEXIS GRANGERVILLEMSENS SAGERET. Comitéde la Rédaction.. . MM. A. GRANMAILLET #, HORSIN-DÉON, et CH.FOUNIER. GER, VILLEMSENS,

DE SECTIONS PRESIDENTS ETVICE-PRESIDENTS SECTIONS PRESIDENTS VICES-PRESIDENTS Peinture M.HORSIN-DEON M.GENDRE *. Sculpture et Gravuressur M.GATTEAUX ; de M. VILLEMSENS médailles l'Institut. Architecture M.M. . . M.ROLLAND; Gravures. M. RANSONNETTE M.GUIONNET ; M.DELABLANCHERE M.A.CHEVALIER. Photographie ; Musique. M.DULONGRERIER M.DELAIRE ; Littérature et Archéologie M.MAILLET M.FAVET NOTA. tout envoidoitêtre adresséà M.lu Présidentde la Societélibrede Beaux-Arts, à l'HôteI-de-Ville.


PARISIMPSIMON RACON ETCOMP RUE D'ERFURTH


SOCIÉTÉ

DES

LIBRE

BEAUX-ARTS FONDÉE LE18 OCTOBRE 1830. SEANT A L'HOTEL DE VILLE

ANNEE

ACADÉMIQUE 802-1865

COMPOSITION DU BUREAU Présidenthonoraire. . . M. GEORGES ROUGET #. Président. M. P B. FOURNIER. 1erVice-Président.. . . M. DESJARDINS DEMORAINVILLE. 2e Vice-Président.. . . M. DUBOULOZ. Secrétairegénéral.. . . M.BAVARD DELAVINGTRIE. 1erSecrétaireadjoint.. . M. LAMY. 2e Secrétaireadjoint.. . M. LÉON FOURNIER. 3e Secrétaireadjoint. . . M. DUFOUR. Bibliothécaire-archiviste..M.PAUL CARPENTIER. Trésorier M. DUVAL. Comitéd'administration. Mil. ALEXIS GRANGER et , VILLEMSENS SAGERET. Comitéde rédaction. . . MM.MAILLET, HORSIN-DÉON , ALEXIS et CH. FOURNIER GRANGER , VILLEMSENS PRÉSIDENTSET VICE-PRESIDENTS DE SECTIONS: PEINTURE. .... Président::M.HORSIN-DEON; Vice-Président: M.GENDRE . SCULPTURE— — . GATTEAUX 0 ETGRAVURE ; SUR M. del'Institut. M. VILLEMSENS MÉDAILLES. ARCHITECTURE... — — M.ROLLAND M. ; — M. BROUTY. GRAVURE — M.RANSONNETTE GUIONNET PHOTOGRAPHIE... _ — M.DELABLANCHERE M.A.CHEVALIER ; — _ S!.DELAIRE M.DELONGRENIER MUSIQUE LITTÉRATURE — — M MAILLET M.FAVET ET *: ARCHÉOLOGIE. — N°1. JUIN.


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PROCÈS-VERBAUX.

SÉANCEDU MARDI20 MAI 1862. — Bulletinn° 704. — Présidence de M. ALEXIS GRANGER #, président sortant. La séance est ouverte à huit heures par la lecture et,l'adoption du procès-verbal de la précédente séance. Il est donné lecture d'une lettre de M. Moulin, artiste lithographe, inventeur d'un procédé qui consiste dans l'emploi de couleurs pour ombrer, la suppression du noir comme dessin général, et la substitution de l'encre lithographique, travaillée avec la plume d'acier, au crayon lithographique. M. Moulin, présent à la séance, soumet à la Société plusieurs spécimens de ses épreuves. M. Gendre fait remarquer que l'art de la chromo-lithographie, depuis longtemps en voie de progrès, grâce aux efforts de MM. Engelman père et fils, doit à M. Moulin d'importanls perfectionnements.En conséquence il demande le renvoi de ces épreuves à une commission spéciale. Après quelques observations présentées par divers membres, une commission composée de MM. P. Carpentier, Dubois, Dubouloz, Gendré, Horsin-Déon et Villemsens, est chargée de présenter un rapport sur les chromo-lithographies de M. Moulin. M. Marie, inventeur d'un procédé pour la réduction et l'augmentation d'un modèle, par un même mouvement et dans le même espace de temps, et sans retouches, soumet à la Société plusieurs spécimens de ses résultats. M. Andréï lit, au nom d'une commission, son rapport sur


35 — le pantographe confectionné par M. Mario. —L'assemblée en vote le renvoi à la Commission de la séance publique et des récompenses. Il est ensuite procédé au dépouillement de la correspondance qui comprend : 1e le journal The Builder (le Constructeur), renvoyé à M. Dufour, rapporteur ordinaire; — 2eBulletins de la Société impériale et centrale d'horticulture; Bulletinde la Société académique d'agriculture, belles-lettres, scienceset arts, de Poitiers; le Messager des Théâtres; le Panlatinisme, ou projet d'union fédérative des peuples grécolatins. — Déposés aux archives. Une lettre de M. Lemaire donne lieu à un débat, auquel prennentpart MM.Alexis Granger, Gendré, P. B. Fournier, Mailletet Dubouloz. M.Gendré l'ait distribuer des prospectus de l'ouverture de sescours de peinture et de sciences appliquées aux beauxarts. M. Dufour communique à l'assemblée la traduction orale d'un numéro du journal anglais The Builder, dans lequel la Sociétélibre des Beaux-Arts est appréciée en termes flatteurs et honorables. L'ordre du jour appelle l'élection des présidents et viceprésidents de chaque section, ainsi que l'installation du bureaunommé dans la séance du 6 mai. Sontélus : Section de peinture: Président, M. Horsin-Déou: — VicePrésident, M. Gendré; Sculpture et gravure sur médailles: Pr., M. Gatteaux, de l'Institut; — V.-Pr., M. Villemsens ; Architecture : Pr., M. Rolland ; — V.-Pr., M. Brouty , Gravure: Pr., M. Ransonnette; — V.-Pr., M. Guionnel ; Photographie : Pr., M. de la Blanchère; V.-Pr., M."A. Chevallier.


— 4 — Musique: Pr., M. Delaire Grimoard :

V.-Pr., M, de Longpérier-

Littérature cl archéologie : Pr., M. Maillet; — V.-Pr M.Fayet. Ces nominations sont accueillies par de nombreux applaudissements. Il est procédé à l'installation du nouveau président. M. Alexis Granger, président sortant, se lève et s'exprime en ces termes : « Messieurs, «L'année académique 1861-1862 est close. Vous avez à la présidence pour l'année 1862-1865, M. P. B. appelé « « Fournier, dont vous connaissez tous le zèle et la capacité. « Quant à moi, vous m'avez confié deux années de suite « l'honneur de vous présider, et j'ai toujours cherché à me « rendre digne de vos suffrages. J'aurais voulu faire davan« tage dans l'intérêt de la Société. Je sais qu'il reste encore « une lacune dans nos annales, et j'espère qu'elle sera com« blée un jour. Maisdès à présent la Société ne doit rien à per« sonne, et nous avons des annales qui nous appartiennent ab« solument. Maintenant, messieurs, permettez-moi d'espérer « que nos annales contiendront à l'avenir une chronique des « beaux-arts. Je désirerais également que la Société montrât « beaucoup d'initiative, en abordant franchement les grande? « questions qui se rattachent aux diverses branches des « arts : à la peinture, à la sculpture, à l'architecture, à la « gravure, à la musique, à la littérature. La Société libre des « Beaux-Arts ne doit rien négliger des actualités relatives « à ces manifestations de la pensée humaine, et cela, sous « peine de déchoir et d'abdiquer, car le silence, c'est la « mort. J'invite M. P. B. Fournier à prendre place au fau« teuil, et je le prie de recevoir, en votre nom et, au mien. « l'accolade fraternelle. »


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Présidence de M. P. B. FOURNIER. il. P. H. Fournier prend place au fauteuil de la présidence, au milieu des applaudissements de ses collègues. Puisil dit d'une voix émue : « Messieurs, « Je ne puis mieux faire, en prenant place à ce fauteuil, « que de rendre hommage à l'excellent, président qui l'a « occupé avec tant de dévouement. Vous savez tous quel in« térêt il porte à la Société, et s'il n'a pas réalisé tous les « projets qu'il avait en vue, c'est que le temps lui a manque « pour les mettre à exécution. Relativement à l'initiative qu' « appartient à la Société, je prends la parole de M. Alexis « Granger, et je dis avec lui : « Le silence, c'est, la mort. » « En vain on nous objectera que le passé laisse un assez. « vaste champ à la critique, sans s'attaquer aux oeuvres des « artistes contemporains. Je dis que ce rôle ne convient point « a notre Société. Il est de son devoir et de son droit de tout « voir, tout examiner, sans se préoccuper de la question de « savoir si l'exercice de ce droit peut blesser les susceptibi« lités de telle individualité plus ou moins haut placée. Une « Société porte en elle sa raison d'être; elle peut, beaucoup « par elle-même, tandis que des efforts individuels se per« dent, bornés qu'ils sont à se mouvoir dans un cercle néces« sairement restreint. Aussi, messieurs, je ne crois pouvoir « mieux inaugurer les nouvelles fonctions dont vous m'avez « investi, que par la consécration de ce droit d'initiative de « notre Société, en nommant une commission pour l'examen « du nouveau musée qui vient de s'ouvrir au palais des « Champs-Elysées, et dont l'étude offre, pour l'histoire de « l'art, un intérêt considérable. Permettez-moi à mon tour « espérer, messieurs, d' que chacun voudra bien coopérer à « I'intérêt général, en amenant au sein de la Société des


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adhérents sérieux doués de zèle et de. bonne volonté. Enfin, messieurs, je termine en demandant que l'assemblée vote des remercîments au bureau sortant, et notamment à M. le président AlexisGranger. » Cette allocution est saluée par des applaudissements prolongés. L'assemblée voie des remerciments à M. Alexis Granger et.au bureau sortant, M. le Président invite MM. les fonctionnaires nouveaux à prendre place au bureau. M. le Président nomme une commission composée de MM. Desjardins de Morainville, Alexis Granger, Villemsens Chamerlat. et Andréï, à l'effet de présenter à la Société un rapport. détaillé sur les diverses collections qui composent le musée Napoléon III. M. Favel propose que la Société donne des séances musicales mensuelles; ce sérait, dit l'honorable membre, une incitation et. un encouragement puissant pour ceux qui font déjà partie de la Société; ce serait aussi le moyen le plus efficace d'attirer dans son sein de nouveaux adhérents. M. le Président invite M. Fayet à vouloir bien reproduire sa proposition devant la Commission administrative, qui doit être préalablement saisie de l'examen de celte question. La réunion de la Commission de la séance publique et des récompenses est ajournée au mardi 27 mai prochain. Elle tiendra sa séance chez M. Alexis Granger. Ses décisions seront, soumises à l'approbation de la Société dans sa séance du mardi 3 juin 1862. Le secrétaire général, BAVARD DE LAVINGTRIE


SÉANCEDU MARDI3 JUIN 1862. — Bulletinn° 705. — Présidence de M.P. B. FOURNIER président. La séance est ouverte à huit heures, par la lecture et l'adoption du procès-verbal de la précédente, séance. M.Delairedistribue aux membres présents des exemplaires de sa notice biographique sur M. Vieillard, bibliothécaire du Sénat, membre de la Société libre des Beaux-Arts. Il est procédé au dépouillement de la correspondance. Ellecomprend : Une lettre de MlleLecran, membre honoraire, annonçant l'ouverture de ses ateliers de peinture; 1° Prière, choeurà trois voix égales, par M. Edmond d'Ingrande,— renvoyée à M. Delaire ; — 2° The Builder, à M. Dufour; — 3° Compte rendu de la Société des Amis des Arts, de Strasbourg, à M. Chamerlat ; — 4° Revue artistique et littéraire, à M. P. B. Fournier. 1°Bulletin de la Société impériale et centrale d'agriculture; —2°Association rhénane des Amis des Arts; — 2° Messager des Théâtres. — Déposés aux archives: Envoi, par M. Paul Saint-Olive, de Lyon, de plusieurs brochures de sa composition, à savoir: outre celles qui sont intitulées: A l'occasion du nouveau palais de la Bourse de Lyon,et Coups de plume (précédemment, envoyées à la Société, et soumises à l'appréciation de M. Maillet), les brochures suivantes : 1° Essai sur l' antiquité de l'usage de salue?' ceuxqui éternuent, et sur la manière dont les Romains saluaient;— 2° Hygiène et prothèse dentaires chez les Romains; — renvoyé à M. Lamy. — 3° Un fait renouvelé de l'antiquité romaine; — 4° Les Romains de la décadence; renvoyé à M AlphonseSage.


La correspondance comprend, en outre, une lettre de M. Ransonnette, rapporteur pour l'examen des procédés de gravure de M. d'Alger, et, dechromo-lithographie de M. Isnard-Desjardins. — M. le rapporteur s'excuse de ne pouvoir assister à la séance. M. d'Alger envoie des spécimens de ses gravures sur métal; ces oeuvres sont l'objet d'une discussion. Plusieurs membres l'ont observer que la Société, suffisamment édifiée quant à la question artistique, ne l'est pas autant en ce qui concerne le procédé lui-même. Y a-t-il possibilité de reproduction de l'oeuvre? Y a-t-il même un nouveau procédé? Ce procédé, d'ailleurs, n'intéresse-t-il pas plutôt l'industrie que l'art considéré à son point, de vue le plus élevé? Toutes questions, qu'en l'absence de M. le rapporteur, la Sociéténe croit point devoir résoudre d'une manière définitive. lin conséquence il est décidé que, faute de renseignements suffisants, la solution de la question est ajournée. M. Isnard-Desjardins envoie de nouveau à la Société des spécimens de ses fac-simile de dessins à la mine de plomb, de sépias et d'aquarelles. M. Dubouloz, membre de la Commission chargée d'examiner le procédé de M. Desjardins, fait l'éloge de ces épreuves, sous le rapport de la fidélité de la reproduction, de la fermeté du dessin, de la solidité des tons, du fini de l'exécution. S'il n'y a point d'invention proprement dite dans le procédé de M. Desjardins, on ne saurait lui contester un perfectionnement poussé à l'extrême. Les mêmes qualités se l'ontremarquer dansles chromo-lithographies de M;Moulin. L'assemblée consultée, sur la double question de savoir s'il a y récompense à décerner à M. Moulin et à M. Desjardins, et quelle sera cette récompense, vote, au scrutin secret, une médaille d'argent à chacun de ces artistes. La Sociétévote également une médaille d'argent à M. Marie,


sculpteur, pour sou procéde de reduction et, d'augmentation tation. Cesmédailles seront délivrées à .MM.Moulin. I. Desjardins et Marie, dans la séance publique solennelle du 15 juin. M. Alexis Granger lit, au nom de M. Moultat, le compte, rendu des travaux de l'année 1861-1862. Ce travail est approuvé,après quelques rectifications de détail nécessitées par quelques observations. Plusieurs membres de la Société donnent lecture de pièces de vers de leur composition, destinées à la séance publique du 15 juin. Ces lectures ont lieu dans l'ordre suivant : les Soirées d'hiver,par M. Maillet; les Soeurs de Charité, par M. Villemsens; les Couronnes, par M. Alphonse Sage; ['Eloge de la Satire, par M. Alexis Granger; le Nabab et l'Artiste, conte oriental, par M. P. B. Fournier. L'adoption de ces diverses pièces de vers est votée au scrutin secret. Ces pièces seront lues à la séance publique solennelledu 15 juin. M.Jules Forest, de Lyon, membre correspondant, présent ala séance, donne lecture, mais à titre de simple communication seulement, d'une jolie poésie intitulée : l'Hémérocallisdu Japon. M. J. Forest reçoit à ce sujet lesfélicitations de ! assemblée. Plusieurs membres l'invitent à produire quelques-unesde ses oeuvres dans les Annales. Il est donné lecture du programme projeté de la séance du 15juin, pour la partie musicale confiée à M. Delisle. Ce programmeest adopté, sauf quelques adjonctions, et l'approbationde la Commission de la séance publique. L'assemblée, avant de se séparer, décide qu'une nouvelle réunion de la Commission de la séance publique et des récompenses aura lieu chez M. Alexis Granger, le samedi 7 juin, pour arrêter définitivement le programme de la séance solennelle du 15 juin prochain.


— 10 — Cette séance qui clôt l'année académique 1861-1862, sera présidée par M. Alexis Granger, président sortant, assistéde MM.les membres du bureau qui a fonctionné pendant ladite année académique. Le secrétaire général, DE LA VlNGTRIE BAYARD

ORDRES DUJOUR: 1° De la 28eséance publique annuelle du dimanche 15 juin 1862, à la salle Saint-Jean, Hôtel de Ville. (La séance commencera à 1 heure, sous la présidence de M. Alexis Granger, assisté du bureau sortant.) Compte rendu des travaux dela Société pendant l'année 1861-1862, par M. Moultat, secrétaire général. — Distribution des récompenses. — Concert entremêlé de lectures de poésies par MM.Maillet, Villemsens, Alphonse Sage, Alexis Granger, P. B. Fournier: 2° De la séance du 17 juin 1862 : Procès-verbal, correspondance, rapports : de M. de la Blanchère (Mémoires de lu Société de photographie) ; de M. Dufour (The Builder), de M. le président P. B. Fournier (Revue artistique et littéraire); de |M. Andréï (Mémoires de l'Académie de Metz); — communication de M. Gendré, relativement à un tableau de M. Paul Carpentier; 5° De la séance du 1erjuillet 1862 : Rapport de la Commission chargée de l'examen du musée Campana et des diverses collections archéologiques du palais des Champs-Elysées; rapports de MM. Maillet, Lamy, Alphonse Sage, sur diverses brochures de M. Paul Saint-Olive; communications et travaux divers.


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TRAVAUX

DE

LA

SOCIÉTÉ.

RAPPORT SURLESGRAVURES FAC-SlMILLE DEM. ISNARD-DESJARDINS Commissaires : MM.DUBOULOZ, CHAMERLAT, LAMI, RANSONNETTE, rapporteur. Messieurs, Je remercie la Commission d'avoir compté sur mon zèle et mondévouement à la Société libre des Beaux-Arts pour vous l'airece rapport. Les gravures fac-simile de M. Desjardins, chez qui je me suis rendu de votre part, et qui m'a fait un bienveillant accueil,sont remarquables à tous les points de vue. Cet artisteétait précédemment graveur en taille-douce, mais le peud'encouragement que cet art obtient en France l'a forcé d'abandonner la voie brillante des Edelinck, des Drevet ; il a dû chercher dans un autre genre de l'art à utiliser ses études consciencieuses. J'ai vu avec un très-grand intérêt toutesses oeuvres; elles ne constituent pas tout à fait un nouveauprocédé, mais un véritable et beau perfectionnement à la gravure au vernis mou, pour lequel l'auteur a déjà obtenu des rapports très-favorables et même des récompenses à diversesexpositions, notamment à l'Exposition universelle de 1855. Ce genre de gravure reproduit souvent avec bonheurdes tableaux anciens et modernes ; j'ai vu des reproductions de Desportes; des artistes modernes, Decamps, Baume,Hubert, A. Delacroix, Jobannot; des dessins mine de plombd'après François, des sépias, des aquarelles, etc., etc. La fidélitéde ses fac-simile est poussée si loin qu'elle va jus— qu'à reproduire les repentirs que l'on remarque parfois dans l'original


— 12 — Je dois vous faire remarquer principalement que le but de M. Desjardins est de mettre à la portée du tout le mondeles oeuvres des maîtres, soit comme modèles, soit comme sujets d'ornementation. M. Desjardins est un artiste de talent; et votre Commission, après avoir examiné avec soin ses épreuves de gravure et do chromo-lithographie, pense qu'il mérite le maximum de vos récompenses. Paris, 15avril 1862 RANSONNETTE

RAPPORT

SURLENOUVEAU PROCEDE DE RÉDUCTION ET D'AUGMENTATIO DE M. MARIE , SCULPTEUR. VILLEMSENS, SAGERET, Commissaires : MM.FAROCHON, ANDRÉI,rapporteur. « Le service le plus grand à rendre aux arts, n'est-ce pas « de les affranchir des mains étrangères qui, sous prétexte de « parfaire une oeuvre, la défigurent, lui ôtent ce que l'artiste « y a mis de plus pur : sa poésie, sa fougue, sa passion? « Une oeuvre d'art est une composition dont chaque note doit « être une partie de l'auteur; personne ne peut impunément « y travailler! Mon estime appartient donc à ceux qui cher« client à atteindre ce but, et M. Marie, à ce titre, y a ample« ment droit. » Ainsi s'exprimait M. Farochon, un des membres de votre Commission, après avoir vu les perfectionnements heureux introduits par M. Marie dans le pantographe. Au réducteur primitif, une règle de fer a été ajoutée comme hase pour empêcher la plus petite vacillation et pour permettre de faire simultanément ou séparément plusieurs réductions ou augmentations d'une précision remarquable. En effet, au moyen de celte règle, le travail de l'opérateur n'est


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pas libre, ses pointes doivent mordre la matière et la doivent mordre suivant le degré de réduction ou d'augmentation demandé. L'original et les reproductions sont fixés sur une vis sans lin, qui les l'ait mouvoir dans tous les sens sans permettre la moindredéviation. L'on avait toujours employé trois combinaisons pour fixer le pantographe à son axe et lui permettre de se tourner de fouscôtés. Une boule, tournant dans une boule creuse formant axe, remplace avantageusement ces trois combinaisons et,permet d'avoir une machine dont le centre ne peut se déplacer.Inutile de dire que tous ces perfectionnements sont de M.Marie. Pouvant en même temps réduire et augmenter plusieurs foisla même statue, la différence sur le prix devient trèsconsidérable; elle est dans la proportion suivante : Uneréduction coûtait 100 fr.; deux réductions, 200 fr, ainside suite. Maintenant, une réduction coûte 100fr. ; deux réductions, 120 fr. ; trois réductions, 150 fr., etc. Ces chiffres parlent mieux que toutes les descriptions, ils montrentun des grands avantages du réducteur de M. Marie. Dorénavant,on aura chez soi des réductions fidèles de tous lesbeaux modèles de l'antiquité, on aura des miniatures de toutesles compositions modernes, et cela à un prix relativement,minime. M. Marie a donc bien mérité des arts en perfectionnant, le pantographe, en lui permettant de faire plusieurs réductions ou augmentations ad libitum; c'est-à-dire de produire bien, beaucoupet bon marché. Tels sont les titres qui autorisent MM. Villemsens, Farochon et, Sageret à vous demander, par mon intermédiaire, pourM. Marie, une médaille d'argent. Votre Commission s'en rapporte à votre jugement, heureuse en cette circonstance, d'avoir mis au jour les travaux d'un vaillant, émule de Sauvageet de Colas. A. ANDREI


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RAPPORT

SUIS LESCHROMO-LITHOGRAPHIES DEM.MOULIN, ARTISTE. LITHOGRAPH PARM. GENDRE Messieurs, Nous savons qu'Aloys Sonefelder est l'inventeur de la lithographie en noir, et qu'il rêvait alors la chromo-lithographie; que le comte de Lasteyrie est l'importateur de la lithographie en France. Engelmann père, après quelque temps d'exploitation , ne voulant pas se limiter à la simple reproduction de dessins en noir, pensa qu'il serait possible d'utiliser la lithographie à la reproduction d'imitations d'aquarelles. Il se mil doncà l'oeuvre et invita quelques artistes éminents à faire des essais: ces recherches durèrent plusieurs années et n'aboutirent à aucun résultat satisfaisant; tout ce qu'on obtenait ressemblait toujours à des lithographies noires coloriées, et nullement à des aquarelles; toutes les tentatives furent infructueuses et le but manqué; le découragement s'empara de tous, et l'on abandonna la tâche poursuivie depuis si longtemps. Engelmann père, mourut avec le chagrin de n'avoir pas obtenu les brillants résultats qu'il avait rêvés. Ce ne fut qu'en 1858 que M. Engelmann (ils tenta de nouveau de résoudre le problème que son père avait tant cherché; il convoqua plusieurs dessinateurs capables, qui commencèrent de nouveaux essais en chromo-lithographie: leurs efforts et leur persévérance ne furent point couronnés de succès, et après bien des tentatives multipliées et. infructueuses, on était sur le point de tout abandonner, tant l'on était découragé par les déceptions. M. Moulin eut l'occasion de voir quelques épreuves des derniers essais; en les examinant avec attention, il pensa 1 Extraitd'unarticle,du journalla RevuedesSciences.relatifauxchrode M.Moulin. mo-lithographies


— 15 — avoirdécouvert les causes de toutes ces non-réussites ; cela l'engageaà entrer en lice et à demander qu'il lui lut confié un ouvrage important. On lui donna un travail difficile, qu'il exécutapar des moyens à peu près satisfaisants pour l'impression : il y avait progrès. Le deuxième essai approchait du but, et le troisième remplissait toutes les conditions voulues, c'est-à-dire la reproduction d'une aquarelle. C'était bien peu de chose en apparence que cette simple épreuve,et cependant les suites ont été considérables, car à partir de ce moment cet art n'a fait que prospérer; le genre plaisait,et les commandes devinrent très-nombreuses. M. Moulina participé aux principaux ouvrages qui se sont publiéseu ce genre, eu grande partie pour quelques-uns et entotalité pour les autres. Nous devons citer : LesCatacombes de Rome ; l'Histoire et les statuts de l'ordredu Saint-Esprit ; le Moyen âge et la Renaissance; l'Histoiredu costume et de l'ameublement ; deux. Livres d'Heures illustrés d'après les vieux manuscrits; les Fresques du couventde Saint-Marc à Florence, par Fiesole; l'Imitation de Jésus-Christ;l'Album de Wilna, etc., etc.; plus, un nombre considérablede planches isolées. Il suit de ces résultats que cet art, qui dans le principe était très-limité sous le rapport du personnel, a puis des proportionsconsidérables, puisqu'il occupe aujourd'hui des milliersde dessinateurs et d'imprimeurs. La chimie a bon nombre d'essayeurs et de manipulateurs occupés à la compositiondes couleurs propres à l'impression; et un grand nombre de mécaniciens sont occupés à la confection des pressesspéciales et des machines à réparer. Les carrières de pierres lithographiques ont décuplé leur exploitation par le grandnombre de pierres que nécessite la chromo-lithographie,et beaucoup d'autres industries qu'il serait trop long de citer ont également participé à cette prospérité. Bien que les oeuvresde M. Moulin ne soient pas sans mérite, cet artiste n'a pas la prétention d'être supérieur à tous lesautres sous le rapport du talent; mais ce qu'il revendique, c'est d'avoir apporté les premiers perfectionnements qui ont


— 16 — donné l'impulsion à tout ce qui a suivi depuis, et qui ont permis de luire les progrès que l'on peut remarquer actuellement dans tous les ouvrages en chromo-lithographie. M. Moulin, en substituant la plume d'acier au crayon lithographique, a rendu le produit des impressions bien plus considérable, puisqu'au lieu de compter par quelques centaines d'épreuves que donnait le crayon, avec l'exécution à la plume on peut obtenir des milliers d'épreuves et des centaines du mille si l'on imprime au moyen de reports. Par la suppression du noir dans le travail, comme on l'employait, avant 1858, pour modeler tous les sujets, M. Moulin est arrivé à donner l'aspect de l'aquarelle en modelant les couleurs par les couleurs. et en superposant certains tons pour les vigueurs; l'expérience a démontré qu'avec six ou huit couleurs au plus on pouvait arriver facilement à produire vingt à vingt-cinq tons. Des personnes des plus honorables et des plus compétentes dans les arts, dans l'impression et l'édition, ont délivréà M. Moulin les certificats qui confirment la teneur de notre rapport; ainsi : MM. Didron, Turgis, Goupil, Lemercier, Engelmann, Thierry frères, Mouilleron, Soulange-Tessier, Jules David. Célestin Nanteuil, Carles, etc., etc., certifient, comme je l'ai dit plus haut, que tous les essais en chromo-lithographie avant l'année 1858 ont été sans résultats satisfaisants, et que, vers cette époque, M. Moulin, lithographe émérite, s'étant vouéà l'art des chromo, lui a l'ait faire les progrès importants qui l'ont rendu depuis d'une utilité générale. GENDRE.

- IMPSIMON PARIS BACON ETCOMP., RUE D'ERFURTH 1.


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PROCÈS-VERBAUX.

SÉANCEDU MARDI17 JUIN 1862. — Bulletinn° 706. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures par la lecture et l'adoption du procès-verbal de la séance du 2 juin. M. Ransonnette regrette que M. d'Alger n'ait pas été récompenséconformément aux conclusions de son rapport. M.À. Granger oppose à M. Ransonnette un article du règlement conçu dans un esprit contraire à ces prétentions. M. Dubouloz fait observer qu'une Société est toujours libre d'admettre ou de rejeter les conclusions d'un rapport sansque le rapporteur ait lieu de s'en formaliser ; qu'autrementil n'y aurait point de Société possible. M. le Président déclare l'incident vidé, et l'assemblée passeà l'ordre du jour. Il est donné lecture du compte rendu de la séance solennelledu 15 juin. Ace sujet, M. le Président rend compte de ses démarches pour l'organisation du concert et du concours actif qu'il a trouvé en mademoiselle H. Rollot, membre honoraire. — Sur la proposition de M. le Président, mise aux voix et adoptée, mademoiselle H. Rollot est investie du titre d'ac— N°2. JUILLET. 2


— 18 — compagnatrice des concerts de la Société, Un diplôme,spécial lui sera délivré à cet effet. M. le Président annonce à la Société la perte qu'elle vient de faire en la personne de M. Mirault, l'un de ses anciens présidents, et rappelle les paroles qu'il a prononcées sur la tombe de ce dernier, au nom et comme président dela Société libre des Beaux-Arts, et de l'Athénée des arts, sciences et belles-lettres de Paris, dont M. Mirault était membre titulaire. — Le discours si bien senti de M. le Président est l'objet de l'approbation générale. Il est procédé au dépouillement de la correspondance qui comprend : 1° Bulletin de la Société d'agriculture, des sciences et arts de Poitiers ; — renvoi à M. Alphonse Sage, rapporteur; — 2° Bulletin de la Société française de photographie, à M. de la Blanchère; — 5° diverses publications déposées aux archives. Il est donné lecture d'un rapport de M. Andréï sur les mémoires de l'Académie de Metz. M. A. Granger, sur un passage relatif aux embaumements en Egypte, dit que cet usage doit être attribué, non pas au principe de l'immortalité de l'âme, puisque l'on embaumait aussi des cadavres d'animaux, mais bien à des mesures hygiéniques. En certains endroits même, ou transportait les corps dans une île, afin de les éloigner du centre des populations. La fable du nocher Caron n'a point une autre origine. M. Dufour, s'appuyant sur de récentes recherches historiques, combat un passage du rapport relatif à Gilbert, dont la fin tragique aurait eu pour unique cause un accident trèsgrave, qui aurait déterminé son transport immédiat à l'hôpital. La prétendue misère de Gilbert ne serait donc qu'une de ces


— 19 légendespoétiques qui ornent, comme d'une auréole, la mémoire des hommes illustres, mais dont l'histoire fait justice avecsa logique inexorable. Unecommunication de M. Gendré, relative à un portrait de Daguerre, peint à la cire, d'après le procédé à l'encaustique des anciens, par M.Paul Carpentier, membre titulaire, donne lieu, de la part de M. Maille-!, à des observations fort intéfessantes, puisqu'elles concernent Daguerre, l'une des gloires de la Société. —- Il en résulte que si l'honneur des premiers essais, qui remontent à 1814, revient à Niepce, il n'en est pas moins vrai que la véritable découverte, celle qui a gardé le nom de Daguerre, appartient complètement à ce dernier. Unecommission composée de MM.Dubouloz, Horsin-Déon et Chamerlat, est chargée de présenter un rapport sur le portrait de Daguerre, par M. P. Carpentier. M. Fayet reproduit sa proposition relative aux séances musicalesmensuelles. II l'ait valoir les avantages résultant d'une plus grande publicité, de solennités intéressantes et qui seraient de nature à attirer des adhérents. — Cette proposition,combattue par MM.Maillet et Gendré, est soutenue par M. le Président et par M. A. Granger, qui s'appuient principalement sur cette considération que c'est un devoir pour la Société de fournir à la classe de musique des occasions de se produire. M. Lami demande que les séances aient lieu pendant les mois d'hiver, d'octobre en avril. — La proposition de M. Fayet, amendée ainsi, est adoptée en principe, sauf la question financière, ainsi que celles qui se rattachent au local et aux jours desdites séances. Le Secrétaire général, BAYARD DELAVINGTRIE,


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SÉANCEDU MARDI1erJUILLET 2862. — Bulletinn° 707.— Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à liait heures et demie par la lecture et l'adoption du procès-verbal de la dernière séance. La correspondance comprend : 1° The Builder; — renvoi à M. Dufour, rapporteur ordinaire; — 2° Annales de l'Académie de Mâcon, à M. Villemsens; — 5° Bulletin de la Société du progrès de l'art industriel, à M. Fayet; —4° Diverses publications, déposées aux archives. M. le Président donne connaissance d'une lettre de mademoiselle H. Rollot, qui remercie la Société avec effusion à l'occasion du nouveau titre qui vient de lui être conféré. M. J. Forest donne lecture d'une pièee de vers intitulée : Conseils à un ami. Plusieurs rapports sont lus : 1° par M. A. Granger, sur un ouvrage de M.de Longpérier-Grimoard, membre dela Société, ayant pour titre : l'Hiver à Menton; — 2° par M. Maillet, sur deux volumes de poésies satiriques de M. Paul SaintOlive, de Lyon, intitulés l'un : Coups de plume; l'autre : A l'occasion du nouveau palais de la Bourse de Lyon; 5° par M. Chamerlat, sur les travaux de la Société des amis des arts de Strasbourg; 4° par M. Villemsens, sur une notice biographique relative à Vieillard, ancien membre de la Société, par M. J. A. Delaire. M. J. Villemsens donne lecture d'un travail de M. Gavet, membre de la section de peinture, intitulé : Recherches sur


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le peintre David, en réponse à un ouvrage de M. le comte Léonde Laborde, de l'Institut. M. Dubouloz, confirmant les idées émises par M. Gavet, signale les maîtres éminents et.de mérites si divers, produits par la grande école de David. Un membre craint que les critiques adressées à David par M.de Laborde n'aient été dictées par des idées préconçues, un peu trop exclusives peut-être, en faveur de l'art industriel. Le Secrétaire tiendrai, BAYARD DELA VINGTRIE.

ORDRE DUJOUR. Séance du mardi 15 juillet. — Projet de fusion de la Sociétélibre des Beaux-Artsavec le Comité central des Artistes. Séance du 5 août. — Nomination d'un vice-président de lu section d'architecture. —Rapports : de M. Horsin-Déon, sur les Mémoires de l'Académie impériale de Metz ; de M. Villemsens, sur les Mémoires dela Société de Draguignan; de M. Dufoursur, The Builder.

ERRATA DU

DERNIERBULLETIN.

Les deux vers 19 et 20 de la page, 231 ayant été imprimés par erreur, doivent être supprimés, ainsi que l'e de l'hémistiche de encore, vers quatrième, page 235


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TRAVAUX

DE

LA

SOCIETE.

PAROLESPRONONCEES. SUR LA TOMBÉ

DE MIRAULT,

PARM.P. B. FOURNIER Président libredesBeaux-Arts, de h Société etdel'Athénée desArts,sciences et belles-lettres del'an-:. Celui qui disparaît là aux regards de la terre, n'était-il pas de ces hommes dont le mérite réel, est dans l'estime de tous? N'était-il pas de ceux qui sans jamais rechercher les suffrages, sont les objets de la juste considération des autres et ne l'ont faute en rien à ce qu'on attend de leurs capacités et de leur noble caractère? Voilà l'homme que nous avons perdu! Voilà l'excellent homme à qui j'adresse les bien vils, les bien sincères regrets des deux Sociétés dont j'ai en ce moment le douloureux, mais bien honorable privilége d'être l'organe! Mirault, ton vieil Athénée des arts, qui, pendant cinquantecinq ans, t'a vu laborieux, dévoué, comme simple membre ou comme président, qui, dans ses annales, depuis 1807, trouve à chaque page : Mirault, littérateur, Mirault; poële; Mirault, savant, et toujours esprit élevé, coeur droit cl bienveillant, imprimant à tous ses actes le cachet du savoir et de


— 23 — ladistinction, ton vieil Athénèe est bien triste aujourd'hui, et levide que tu fais dans ses rangs, est un deuil qu'il ne cesserade déplorer. Minuit, la Société libre des Beaux-Arts qui presqu'à son origine t'a compté dans son sein et dont tu fus aussi président, la Société libre des Beaux-Arts n'est pas moins affligée que l'Athénée : le temps ne fait rien à l'affection pour qu'elle soit vraie et profonde. Ton nom qu'elle, prononçait toutes les foisqu'elle en appelait dans ses questions d'art à l'expérience et auxconseils judicieux, elle le prononcera encore, elle lu prononcera toujours! Oui, dans l'une comme dans l'autre société, ton souvenir est impérissable. Oh! que la mort porte affreusement ses coups! Il y a quinze jours à peine que dans l'une de ses séances solennellesde Société où nous aimions à te rencontrer, tu serraisla main de collègues heureux de serrer la tienne, lu souriaisà leurs voeux pour ta santé qui semblait rassurante, à leur désir de te revoir... et tout est fini! Nousnous relirons, le coeur gros de larmes, ton nom sur leslèvres, avec la certitude que, dans l'autre séjour de l'âme, Dieut'a reçu parmi ceux qui sont dignes de lui. Adieu, Mirault! Notre ami, adieu!


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L'ORAGE.

Entends-tu le vent qui gémit?,.. C'est l'aile du temps qui frémit; C'est l'orage des jours qui passe: C'est Dieu qui pleure dans l'espace La terrestre corruption, Et par la voix de la nature, Jette sur notre race impure Un cri de désolation. Ce sont les âmes de nos mères Plaignant nos mondaines chimères. Murmurant qu'ici-bas, souvent Tout est emporté par le vent; Que la grandeur est misérable, Que tout plaisir vous dit : adieu! Que nos pieds marquent sur du sable. Et qu'il n'est d'avenir qu'en Dieu. Voilà pourquoi, lorsqu'on détresse Le vent siffle et gronde, ô ma soeur ! L'esprit se voile de tristesse, Et l'on sent des. larmes au coeur. JULESFOREST.


— 25—.

RAPPORT SUKL'OUVRAGE DE M. LONGPERIER, L'HIVER A MENTON. Sa Majesté le Hasard, à qui nous sommes redevables de tant de choses, me lit arriver à Menton, le dimanche 2 mars dernier, à sept heures du soir, par un temps maussade; c'était le dimanche gras, comme on dit; je l'avais oublié; aussima surprise fut-elle grande de voir la grande rue, — j'ignorais alors qu'il n'y en avait qu'une — encombrée de bravesgens revêtus des costumes les plus bizarres, notamment de rideaux de lit en indienne dans lesquels ils étaient enveloppés ou qu'ils portaient sur un balai élevé au-dessus de leur tête, en se promenant gravement, sans le cortége bruyant du gamin et de ses lazzi, qui ont l'ait de celui de Parisun être à part; mais, me rappelant aussitôt que Menton étaitune ville italienne avant d'avoir été annexée à la France pour quatre millions payés au prince de Monaco, dont elle dépendait et dont elle s'était violemment séparée en 1848, attendu que ce rare et bon prince avait donné à MM. Chapon le monopole de la fabrication et de la vente du pain, qu'on lui fournissait chèrement et très-mauvais, je ne m'étonnai plus que d'une chose, c'est qu'on n'y parlât pas italien, mais une langue à part que l'on nomme le moutonnais, mélange bizarre de français, d'espagnol, d'italien et même d'arabe, dit-on. Cen'était pas le carnaval de Venise; rien ne rappelait la pallie du signor Polichinelle, d'Arlequin, de Gilles, d'Isabelle, de Cassandre et d'autres célébrités; mais enfin, on s'amusait à Menton sérieusement, comme par ordre et suivant ses moyens, dans ces jours consacrés à la folie et précurseurs du carême, bien que pour moi le carême dure toute l'année dans ce pays qui ne produit que des citrons, des oranges et desolives.


— 26 Le lendemain, et jusqu'au mercredi, je lus témoin des mêmes folies tranquilles; cependant je dois dire que de temps à autre quelques groupes faisaient, entendre des chants trèsharmonieux qui attestent que cette population a le sentiment musical très-développé, car personne ne lui a enseigné les lois de l'harmonie, et j'ajouterai que cela paraît être son seul plaisir, comme le jeu est sa passion. N'oublions pas une chose vraiment remarquable: toutes les maisons, mêmes les plus médiocres, sont ornées extérieurement de peintures décoratives qui ne sont pas toutes d'un goût irréprochable, mais dont quelques-unes remplacent très-heureusement la sculpture; j'en dirai autant des intérieurs, dont les plafonds sont décorés de peintures qui attestent beaucoup de main et une grande entente des ombres et de la lumière. Mardi gras étant enterré, et n'ayant pas reçu de lettre d'invitation pour assister à ses funérailles, j'en profitai pour l'aire connaissance avec la ville neuve et avec la ville vieille ou haute, amas de maisons singulières donnant sur quelques voies étroites en escalier, où le. jour et l'air manquent, car je ne crois pas que la plus large mesure deux mètres; tout cela, au moment où j'écris, est, comme toute la ville, au pouvoir des puces, des punaises, des fourmis et des cancrelas; aussi tous les étrangers s'empressent-ils d'abandonner le Midi à l'époque des chaleurs, n'étant pas en communion avec celte nouvelle société. En moins d'une heure, ayant vu les deux villes, je me disposais à rentrer au Grand Hôtel de Turin, quand j'aperçus sur les murs de l'hôtel des Quatre-Nations, une affiche portant : « En vente, au Grand Bazar, chez M. Pascal Ama« rante, l'Hiver à Menton, par M. de Longpérier. » M'inforrner du Grand Bazar, m'y rendre, acheter l'ouvrage, rentrer chez moi, fut l'affaire d'un instant. Quelle bonne fortune, me disais-je, en coupant les feuillets de ce petit volume, que de rencontrer à près de trois cents lieues de son domicile, Paris, l'oeuvre d'un de nos aimables collègues; et je fis connaissance avec l'ouvrage, où j'appris beaucoup de choses sur


— 28 — ce pays, sur la principauté de Monaco, sur les princes qui eu furentles premiers souverains, battant monnaie, allant eu guerreet ayant encore aujourd'hui une cour de justice, sans avouéset sans avocats, je crois: des prisons vides, heureusement,ce qui est à la gloire du prince et de ses sujets, un ordrede chevalerie et une armée de dix hommes, avec six officiers,armée jugée suffisante pour la sûreté du prince et de la population, qui ne s'élève pas à moins de douze cents âmes!Quelque,chose qui l'appelle le royaume d'Yvetof, avec plus de titres de, gloire cependant pour Monaco, dont quelquesprinces ont été des hommes vaillants, capables, et dont a été l'hôte pendant plusieurs jours, ce qui Charles-Quint, certainementest un honneur et témoigne en faveur de celui qui reçut un monarque aussi puissant. Le titre de l'ouvrage de M. Longpérier m'avait intrigué unmoment; je croyais que son auteur allait m'initier à une viede plaisirs semée d'anecdotes malignes; mais en le feuilletant,avant de le lire, je revins de mon erreur, car c'est d'un érudit qui a pris le pays au point de vue sél'oeuvre rieux,sous toutes les faces, et remonte jusqu'aux Liguriens, queles Romains eurent tant de peine à soumettre et dont ils transportèrent quarante mille âmes dans le Samnium, femmeset enfants compris, ne pouvant se fier à ce peuple jalouxde sa liberté, qu'il défendit si longtemps et si courageusementcontre eux. M.de Longpérier fait successivement l'histoire de chaque localité; c'est une méthode qui convient parfaitement aux touristes,je ne l'en blâme pas ; mais j'aurais préféré que son livrecommençât par une histoire générale de ces contrées, à partir de Monaco jusqu'à la Bordighère, sauf à entrer dans lesdétails, comme il l'a fait, en arrivant successivement sur tous les points importants du littoral; d'où je conclus que l'auteurn'avait pas l'intention de livrer au public le fruit de seslaborieuses recherches, dont chacun cependant fait son profit. M. de Longpérier ayant établi son quartier général à Menton, c'est par Menton qu'il commence et je suis parfaite-


— 28 — ment de son avis lorsqu'il repousse l'étymologie de Menton, où quelques érudits trouvent Mémorià Othonis, ce qui me paraît aussi fort, que celle des oeufs à la coque, attribuée à la religieuse Marie Alacoque. Othon, qui avait été perdu de débauches et de dettes, Othonl'infâme complaisant de Néron, qui ne parvint à l'empire que par surprise et par le meurtre de (rallia et de Pison, ne régna que quatre-vingt-cinq jours; la soldatesque le pleura, Suétone nous l'apprend ; mais, si elle le pleura, c'est qu'il lui permettait tout. Son nom ne se rattachant qu'à un crime et non à des actions d'éclat, sous quel règne aurait-on pu avoir la pensée d'élever une ville en mémoire d'un pareil homme'.' Disons donc qu'on ignore à quoi rattacher le nom de Menton, en italien Mentone. M. de Longpérier a eu le bonheur d'arriver à Mentonaux approches de l'hiver, d'y séjourner une partie du printemps et d'y jouir d'une température exceptionnelle; moi j'y suis arrivé avant le printemps, j'y ai séjourné six semaines, sans avoir connu autre chose que la pluie. M. de Longpérier a donc pu faire des excursions qui m'ont été interdites : son livre m'a cependant été très-utile, car à part certains points dans les montagnes, j'ai visité les deux Cartelar, et, comme lui, j'ai été à Monaco et à la Bordighère, les deux points extrêmes de ses pérégrinations en longitude. Pour vous faire bien comprendre tout ce que ce petit volume renferme d'intéressant au point de vue historique et légendaire, il faudrait vous le lire en entier; mais je regrette que l'auteur n'ait pas accordé quelques pages au temps présent, et n'ait pas initié le public aux moeurs et aux habitudes de ces populations qui diffèrent essentiellement des nôtres. Il vous aurait parlé de l'aristocratie économe de Menton, et de cette population qui n'est pas pauvre, dit-on; mais qui est essentiellement mendiante; il vous aurait dit aussi que les femmes y font le métier de bêtes de somme, qu'elles sont pieds nus, qu'elles portent tout sur la tète, les lourdes charges comme les plus légères, qu'elles ont un beau sang.


29 — destraits agréables, qu'elles sont bien faites et très-droites, sans raideur, qu'elles sont en quelque sorte tenues à l'écart par les hommes, qu'il y a beaucoup de cabarets, que les hommes,seuls s'y réunissent, , qu'il n'y a pas de lieux de plaisirpour les femmes: que les moeurs y sont pures, ce que j'attribue à la fatigue du jour, qui ne laisse pas de place à l'amour, ce qui est vrai non-seulement à Menton, mais partoutoù le tempérament musculaire domine le tempérament nerveux; que les hommes sont fortement constitués, proprement vêtus, que la saye gauloise est inconnue dans ces pays, qu'on y vit chichement, très-chèrement ; enfin, que celte population paraît douce, grave, nullement bravante; maisque les hommes et les enfants sont joueurs comme les cartes. Monaco est certainement dans une charmante situation, maisce n'est qu'un rocher; la terre végétale manque dans (uns ces pays-là, comme dans tous les pays de montagne; c'estbeau à voir à distance, comme nue décoration, comme toutce qui est grand, mais c'est triste. J'en dirai autant de la mer, qui vous étonne toujours, qui vous rend muet, mais nevons arrache jamais un sourire. Je n'ai pas visité l'intérieur du palais de Monaco,je n'ai pas mômeessayé d'y pénétrer: il m'a paru en bon état; mais s'il estconsidérablepour une pareille localité, s'il ya des souvenirs qui s'y rattachent, je ne partage pas l'admiration de M. de Longpérierpour sou architecture, qui, franchement, n'appartientà aucun style; la vue cependant s'y repose avec plaisir, commesur un contraste, car il n'y a pas une belle maison dans Monaco. Lesjésuites y accommodent une ancienne caserne en collége, et leur église est en face de la maison de jeu, affermée 150,000fr. par le prince. Les croupiers, les jésuites et le prince vivront très-bien ensemble; mais je ne serais pas étonnéque les jésuites achetassent un jour la principauté de Monacoet y tolérassent la maison de jeu. Je soupçonne notre auteur d'être un peu poëte, et de vivre un peu plus dans le passé que dans le présent, ou il faut que


— 30 ma vue soit encore plus mauvaise que je ne crois, car je suis quelquefois en désaccord avec lui sur quelques point?, notamment sur l'église de Monaco, dont le portail est aussi misérable que possible. Quant aux richesses intérieures, je les lui abandonne et je m'en rapporte. L'église Saint Michel de Menton a bien un autre style: elle a été d'une grande richesse, on le voit; elle en a de beaux restes. Elle est, vaste, imposante, renferme quelques tableaux et des oeuvres d'art qui ne sont pas à dédaigner, tant s'en faut, et le clocher qui la surmonte est vraiment charmant: j'en dirai autant de celui des pénitents noirs. Vus de loin, ces clochers produisent un excellent effet. Je suis sur tout cela d'accord avec M. de Longpérier ; mais l'irrégulière églisede Monaco ne saurait me plaire au point de vue de l'art, ou mes souvenirs me servent mal. Tout ce que dit M. de Longpérier sur Vingtimiglia et la Bordighère est exact; cependant il y a un peu trop de bienveillance pour les choses, car j'ai trouvé dans la chapelle des pénitents noirs peut-être plus de bois peint en noir que de marbre. Si j'étais condamné à l'exil, et qu'on me laissât le choix entre tous les lieux du littoral, depuis Monacojusques et y compris la Bordighère, je choisirais ce dernier endroit; mais si je pouvais aller où bon me semblerait, je donnerais la préférence à Paris; c'est aussi, j'en suis certain, l'opinion de M. du Longpérier. Quant à la flore des environs de Menton, du docteur Bottini, je ne vous en parlerai pas, pour cause à moi connue et à vous aussi, je le crois; mais je manquerais à tous mes devoirs si je ne vous rappelais pas, avec M. de Longpérier, que le généra! de Bréa, qui, en 1830, avait été mon collègue comme capitaine des grenadiers du 5e bataillon de la 1re légion, était né à Menton, qu'il était rentré dans l'armée et commandait à Nantes, dont il partit avec un bataillon nantais pour nous prêter main-fort;: en 1848, et qu'il y mourut pour la défense de l'ordre et de la patrie, barrière Fontainebleau. Une inscription rappelle ce fait douloureux, et je n'ai pas oublié que c'est moi qui, à la tète du 4e bataillon, que je com-


—31— mandais, fus, avec le bataillon nantais, mis sous mes ordres, chercher au Panthéon le corps de ce brave, que j'accompagnaijusqu'au chemin de fer d'Orléans, où nous lui rendîmes leshonneurs militaires que ces temps de trouble, à jamais déplorables,nous permirent de lui rendre. Mentonest aussi la patrie de la famille Partouneaux, qui a déjà donné deux généraux de division à l'Empire. Ceux qui ont la mémoire de nos gloires militaires se souviennent que, dans les bulletins de la Grande Armée, il est souvent questionde la division Partouneaux; les Mentonnais ne l'ont pas oubliée, aussi cette famille jouit-elle dans le pays de la plus grande considération. L'ouvrage de M. de Longpérier est, comme je l'ai déjà dit, riche d'érudition ; il est écrit d'une manière aimable, au courant de la plume, pour ainsi dire; la science s'y montre à chaque page; mais je ne sais comment il se l'ait que toutes cesinscriptions relevées sur les pierres, que tous ces détails qui n'intéressent ordinairement qu'une certaine classe de lecteurs, plaisent à tout le monde. HeureuxM. de Longpérier, il a trouvé un aliment à ses goûts particuliers, et s'est plu à Menton, même à l'hôtel des Quatre-Nations! Je vous propose, messieurs, de remercier M. de Longpérier de l'envoi de son ouvrage, dont je demande le dépôt auxarchives. ALEXISGRANGER. 1erjuillet1862.


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RAPPORT SUR UNENOTICEBIOGRAPHIQUE PARM.DELAIRE DESGIRAUDS, Messieurs, J'ai examiné avec une sympathique attention la « Notice biographique sur P. A. Vieillard » lue à la Société académique des enfants d'Apollon, par notre honorable collègue et ancien président, M. J. A Delaire, et dont il a fait hommage à la nôtre qui s'honorait aussi de compter M. Vieillard parmi ses plus dignes membres. Vous connaissez, messieurs, je n'en doute pas, ce cordial souvenir adressé par un ami à l'homme de bien regretté de tous; vous avez remarqué la noble simplicité de style avec laquelle M. Delaire a retracé la droiture d'esprit, l'exquise sensibilité qui faisaient de cet aimable savant une nature d'élite : j'ai donc peu à ajouter à vos impressions. Un de nos éminents collègues, M. Alexis Granger, a déjà, sur la tombe même de M. Vieillard, payé un juste tribut à sa mémoire ; mais les relations littéraires et artistiques que M. Delaire a été assez heureux pour entretenir avec son regretté confrère si spirituel et si bon, l'ont mis à mômede s'étendre davantage sur des oeuvres dont il a été, dans plus d'un cas, le collaborateur, et de rappeler des détails intimes dont on doit lui savoir gré. Je demande le dépôt de cette intéressante « Notice » dans nos archives. F. VlLLEMSENS.


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PROCÈS-VERBAUX.

SÉANCEDU MARDI15 JUILLET 1862. — Bulletinn° 708. — Présidence de M. P. B. Fournier, président. La correspondance est dépouillée et renvoie : Le Manuel de l'Amateur des Jardins; Troisnuméros du Messager des Théâtres; VuBulletin de la Société impériale et centrale d'horticulture de France; Un choeur de M. d'Ingrande, intitulé Tout sommeille, à M. Delaire; Le compte rendu de l'Athénée des Arts, pour l'année 1861-1862, à M. Maillet; Un Bulletin de la Société française de photographie, à M.de la Blanchère; Le Conseiller des Artistes, revue esthétique de l'Art, à M.HorsinDéon; Un numéro du Builder, à M. Dufour. Elle comprend, en outre : Unelettre de M. Lemaire, relative à des affaires particulièresà la Société ; Une demande d'admission pour une jeune artiste pour la classedes associés concertants. La Société prend en considération cette demande et nomme une commission chargée de l'examen des titres du candidat, laquelle se compose de MM.Delaire, d'Aoust de Jumelles et Ch. Manry. Aprèsune longue discussion sur les affaires de la Société, onpasse à l'ordre du jour et la parole est donnée à M. Vil lemsens,qui lit un rapport sur les Mémoires de la Société —N°3. AOUT.


— 34 — d'agriculture, des sciences, arts et belles-lettres du départi ment de l'Aube; Lequel sera inséré ultérieurement. La séance est levée à 10 heures. L'un des Secrétaires, A. DUFOUR.

SÉANCEDUMARDIS AOUT1862 — Bulletinn° 709. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. Le procès-verbal de la séance précédente, est adopté. La correspondance est dépouillée et comprend : Une lettre de M. Lamy, exprimant ses regrets de ne pouvoir assister à la séance à cause d'une indisposition; Une lettre de M. Guionnet, dans laquelle il dit qu'il doit appartenir à la section de sculpture: que c'est à tort qu'on le fait figurer dans celle de gravure, qu'en conséquence il ne peut accepter l'honneur qu'on lui a fait de la vice-présidence dans cette section ; Six numéros du Messager des Théâtres ; Un numéro de la Société impériale et centrale d'horticulture ; Un bulletin des séances de la Société impériale et centrale d'agriculture de France. Ces diverses pièces seront déposées aux Archives. La correspondance comprend encore : Une lettre de M. Chenavard, membre correspondant, dans laquelle il offre à la Société un exemplaire de ses compositions historiques; examen de cet Album est renvoyé à M. Dubouloz ; Deux numéros du Builder; renvoi à M. Dufour, rapporteur ordinaire ; Un programme des concours ouverts pendant l'année


— 53 — 1862-1863, par l'Académie impériale de Metz; — renvoi au comitédu Bulletin ; Une lettre du bibliothécaire de l'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon, contenant un bon pour retirer le tomeIX des Mémoires de ladite Académie. La correspondance épuisée, la parole est donnée aux rapporteurs. M. Delaire fait un rapport verbal sur la demande d'admissionde mademoiselle Teresa Panchioni, en conséquence duquelcette actrice est admise au nombre des membres associés. Lu même membre lit un rapport sur deux choeurs de M. d'Ingrande, envoyés par lui à la Société. Une lettre de remercîmentsera adressée à l'auteur. La parole est ensuite donnée à M. Maillet pour lalecture d'un rapport sur le procès-verbal de la cent cinquantième séanceannuelle de l'Athénée des Arts, tenue le dimanche 6 avril] 802, à l'Hôtel de Ville. Dépôt de ces deux rapports sera fait aux Archives. M. Villemsens lit. un rapport sur le bulletin de la Société d'étudesscientifiques et archéologiques de la ville de Draguignan,lequel sera inséré ultérieurement. M.Labourieu vient joindre ses regrets à ceux de la Société sur la perte qu'elle a faite dans la personne de M. Mirault, et litsur ce dernier une notice nécrologique fort goûtée des auditeurs, et dont l'insertion dans les Annales est votée d'urgence. M. Fayet.annonce qu'il a reçu une lettre de M. Montanaro, membre associé, qui le prie de le rappeler au bon souvenir dela Société. M. Gendré prie M. le Président de faire fonctionner la Commissionqui doit rendre compte d'un tableau de M. P. Carpentier. La séance est levée à dix heures. L'un des Secrétaires, A. DUFOUR.


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TRAVAUX

DE

LA SOCIÉTÉ.

NOTICE SUR LA PERSONNE ET LES TRAVAUX DE M. MIRAULT.

Messieurs, Je viens m'acquitter d'un devoir aussi triste à remplir qu'il est cher à mon coeur : retracer la vie d'un homme de bien, citer ces travaux utiles dont il n'a presque jamais parlé, faire le panégyrique de notre ancien président, qui accepta ce titre non pour briller, mais pour être utile; n'est-ce pas montrer, dès le début, le caractère loyal, l'âme désintéressée, le talent sans envie de notre cher et ancien président, M. Mirault, chevalier de la Légion d'honneur, homme de lettres, émailleur distingué, ancien président de plusieurs sociétés savantes de Paris, né en 1784, mort, en 1802. Sans entrer ici dans toutes les particularités de cette carrière si bien remplie, qui s'est éteinte à sa soixante-dix-huitième année, il est de mon devoir de rendre hommage à celte vie de travail donnant, une fois de plus encore, raison a certains principes qui, s'ils ne sont pas les vôtres, le deviendront par la force des temps et des choses. Fils de parents aisés, issu d'une famille bourgeoise qui, dans une société d'un autre âge, plaçait sa noblesse dans l'observation de ses propres devoirs, jamais M. Mirault, malgré l'époque où il vivait, ne sacrifia à ce désir de parvenir dont sont dévorés nos contemporains.


— 37 — Destiné par la fortune, par une position indépendante, par les événements d'alors, à la carrière diplomatique, il fut lu premier, en face d'une famille qui aimait plus que la gloire,attiré par la science, qu'il aimait plus encore que ses succès,à repousser, avec un emploi brillant, les honneurs et la renommée. Cependant il n'avait qu'à vouloir'; peu d'hommes possédaientautant que lui, avec un grand savoir, une intelligence délicateet un tact inné, ces qualités de l'esprit qui donnent si vile dans le monde un rôle, sinon utile, du moins trèsimportant. M.Mirault, malgré des qualités brillantes appuyées sur un grand fonds d'expérience et de savoir, sacrifia toute sa vieaux dieux domestiques. Les qualités de sa nature aimante, cultivée,expansive, qui auraient pu faire de lui un homme public,il les mettait toujours au service des autres; il laissait pourainsi dire dormir ses mérites; il les déguisait à dessein, sousle masque de la paresse, pour mieux les employer, et avec une activité infatigable, au profit de toutes les ambitionsqui pouvaient servir comme lui la cause de la science, del'art et du progrès. M.Mirault avait au dernier chef le don de la sociabilité; jamais, malgré la supériorité de son esprit et de son talent, ilne mettait, en lieu et place des sociétés savantes qu'il présidait, sa propre autorité; jamais il ne cherchait à résumer en lui le travail en commun de ses collègues. Toute l'ambition qu'il manifesta pour être président de diverses sociétés savantes, telles que la Société libre des beaux-arts, de l'Athénée des arts et, en dernier lieu, de la Sociétédu progrès de l'art industriel; lui, le contemporain desDien, des Valmont de Bomare, des Cuvier, des Boyer, lui, l'ami des plus grands artistes et des plus grands savants dece siècle, n'eut qu'un but : celui de reporter un peu sur nousl'influence qu'il avait exercée lui-même sur les progrès de l'artet de la science. fuisse sou ambition secrète, dont le rapporteur connaissait l' mobile,servir d'exemple à ces ambitieux qui, ne sachant


— 38 — rien créer, ont le triste courage de vouloir tout détruire, quand l'oeuvre des hommes de bien ne sert plus leur détestable égoïsme. Passez-moi, messieurs, cette réflexion amère dans ce panégyrique, sur cette tombe à peine fermée; mais, tant que votre rapporteur vivra, il aura autant d'enthousiasme pour le travail uni au talent, qu'il aura d'indignation pour le savoir-faire allié à la perfidie! Cette probité de l'âme qui distinguait notre ancien président, si en opposition avec cette probité relative de l'esprit, monnaie courante des habiles du jour, il la tenait aussi bien de son tempérament que de son éducation. Citons cette anecdote pour l'édification de nos contemporains; elle donnera une idée exacte de l'éducation première que recevaient les hommes de la génération de notre ancien président. A l'âge de cinq ans, le jeune Mirault, dont la famille habitait près du Louvre, avait l'honneur de jouer quelquefois avec le fils infortuné du plus infortuné de nos rois. Un jour, clans le jardin de l'Infante, le jeune Louis XVII, enchanté, ravi de son petit ami, lui dit : « Tiens, Mirault, il faut que je te fasse un cadeau.» Et sans plus ajouter, le Dauphin sort du jardin, monte dans les bâtiments royaux, où se trouvait l'atelier de serrurerie de Sa Majesté Louis XVI,et rapporte bientôt, tout essoufflé, un petit canon dont le roi de France, fort coupable sans doute, avait oublié de façonner et de limer la roue cassée la veille par l'enfant royal. Pauvre Dauphin ! ce fut peut-être le seul dommage qu'il causa en sa vie, et duquel la Révolution ne lui fit aucun crime. Le petit Mirault, heureux et lier du cadeau princier, s'empresse bien vite, une fois rentré dans sa famille, de le montrer à sa mère. Mais alors grand émoi dans la maison; on ne peut croire qu'un semblable canon, encore inachevé par le roi-serrurier, ait été donné au jeune Mirault; l'enfant pleure et s'indigne. Madame Mirault mère, le canon a lu main, s'empresse de se rendre aux Tuileries; elle racontele


— 39 — fait à une dame d'honneur; celle-ci, après en avoir parlé au roi, qui en parle à la reine, qui en réfère au Dauphin, répète à l'honnête dame que son (ils a dit l'exacte vérité, ajoutant que « tant que la France aurait des âmes aussi droites, Sa Majestédevrait se consoler de la perversité de ses ennemis, et qu'elle saurait au besoin où trouver ses alliés. » Hélas!si les hommes de la génération de M. Mirault n'ont pu, par une volonté supérieure à nos passions, sauver un trône vermoulu, faut-il au moins leur rendre cette justice : par leur éducation, par leurs mérites, par la douceur de leurs moeurs,par leur sens exquis, toujours portés vers le bien, lebon et le beau, ils ont puissamment contribué à reconstituer lasociété française. NapoléonIerle savait; aussi, en favorisant l'essor des sociétéssavantes, où se trouvèrent, sous le Directoire, les Valmont de Bomare, les Wailly, les Bernardin de Saint-Pierre. lesDavid, les Dien et les Mirault, Napoléon 1ern'ignorait-il pasque la nation ne pouvait bénéficier de ses conquêtes intellectuellesque par les hommes de science et les hommes de lettres qui les avaient, préparées. A cette époque, M. Mirault, comme ses illustres contemporains, peut-être plus que ses contemporains, parce qu'il avait devant lui un plus long avenir, pouvait aspirer à tous lesemplois ; mais, comme j'ai dit en commençant, M.Mirault laissa toujours courir devant lui les ambitions plus pressées, plus actives que la sienne. Alors, sous le premier Empire, sollicitant à son aise un grade dans l'administration supérieure, il se moquait bien fort des anciens jacobins, impérialistesde la veille, qui lui faisaient un crime de son indépendance; fantômes de la terreur, qui avaient tant alarmé sa famille lorsqu'elle cachait, redoutant leurs représailles, le petit canon anarchique dont la conservation, si elle eût été connue, eût abouti tout droit, pour elle, à l'échafaud. Ce petit canon appartient aujourd'hui, soit dit en passant, au musée des souverains; il est retourné au Louvre, dont un 'ils de roi l'avait fait sortir, et de la main même de celui qui l'avait reçu.


— 411Cependant, malgré l'indifférence de M. Mirault pour les emplois, la guerre ouvrait alors une voie si facile aux hommes de mérite, voire même à ceux qui n'en avaient pas, qu'un jour un aide de camp de l'Empereur vint annoncer au jeune homme qu'il était invité pour le lendemain à se présenter chez Mgr de Cambacérès, afin de recevoir son titre officiel d'auditeur au Conseil d'Etat. « Il est trop tard ! » se contenta de répondre M. Mirault, qui, dans les nombreux loisirs que lui laissait la diplomatie, s'était occupé, d'abord par désoeuvrement, à modeler l'émail, eu compagnie de son oncle, M. Hazard, célèbre oculiste, ancien peintre, qui avait préféré à la gloire de l'artiste la vie plus simple, plus utile de l'artisan instruit et de l'inventeur fécond. M. Mirault, qui avait grandi au milieu des savants, tels que les Boyer et les Valmont de Bomare, au milieu d'artistes tels que les Demarne et.les Drolling, qui était déjà en collaboration avec M. Hazard, dont la santé débile lui faisait entrevoir la ruine d'une industrie élevée par son oncle au niveau de l'art, M. Mirault comprit que le Conseil d'État pouvait bien se passer de lui; il comprit aussi que, son oncle mourant, l'industrie des yeux en émail n'aurait plus un seul adepte, qu'elle retournerait, au grand effroi des clients secrets de son parent, à la funeste école d'où elle était sortie : celle de l'ignorance, de la routine ou du charlatanisme. Aussi M. Mirault n'hésita-t-il pas; il jeta aux orties l'habit brodé du diplomate; il prit le modeste tablier de l'artisanartiste. Je n'entrerai pas ici dans la série des travaux nombreux de M. Mirault, artiste oculiste, continuateur de l'oeuvre de M. Hazard ; je dirai seulement que si, dans sa profession, le talent de M. Mirault s'éleva à un très-haut degré de perfection, c'est qu'il réunissait enlui toutes les conditions de l'art et de la science alliés au métier; c'est que, à l'encontre de notre éducation actuelle, cet artiste savait fort bien faire la part de l'esthétique et de la pratique, de la démonstration et de l'application.


41 « Un savant, m'a-t-il dit souvent, qui ne professe pas sur «les expériences étudiées non-seulement dans son labora« toire, mais encore d'après l'application générale et usuelle «de ses découvertes, me l'ait l'effet d'un écrivain qui ferait «parler les passions sans les avoir jamais ressenties; la « théorie n'est rien si elle n'est le résumé desrésultats donnés « par la pratique. Je me méfie, disaitil encore, des phrases « toutes faites; dans la science et dans l'art, comme dans la « nature, rien n'est immuable; je crois tout possible, puis« que Dieun'a rien créé d'imparfait ici-bas, si ce n'est peut«être l'instabilité du jugement des hommes ! » Pour trouver la base de sa profession de foi, qui répond si bien à mes tendances personnelles, je n'ai qu'à citer un extraitdu seul livre qu'il ail publié sur sa profession : Traité pratiquede l'oeil artificiel, où il dit : « Si l'art d'exécuter et de placer les yeux artificiels a été silent dans ses progrès, c'est que les ignorants chirurgiens qui se mêlaient de les placer ne savaient pas les faire, et que lesmalheureux artistes qui les fabriquaient ne savaient pas les placer. II aurait donc fallu que l'oculiste, voulant s'adonnerà ce commerce d'yeux artificiels, acquit les connaissances propresau travail de leur fabrication; mais puisqu'il n'avait pas le courage d'embrasser, d'étudier la science qu'il professaitdans sa totalité, comment aurait-il eu la patience de s instruire dans un art dont les difficultés sont assez généralementreconnues. Il était plus naturel qu'un artiste, célèbre dans toutes les manipulations de l'émail, se livrât à l'étude de celte partie de la chirurgie qui traite de l'oeil, qui en indique les fonctions et la délicatesse; que, ne cherchant nullement à guérir les maladies propres à cet organe, il parvînt, sansléser son organisation, et seulement pour en cacher les diformités, à employer toutes les ressources que les émaux bien combinés peuvent offrir dans l'imitation de l'oeil humain ; mon parent eut cet avantage. " Maisce que M. Mirault ne dit pas dans son Traité sur l'oeil artificiel, c'est que, donnant à son oncle tous les mérites de ses propres découvertes, l'étude de l'histoire naturelle lui


— 42 — doit une conquête scientifique qu'il est de mon devoir de lui attribuer tout entière, quoiqu'il en fasse aussi honneur en partie à M. Hazard, son oncle; car en lisant ce qu'écrit à ce sujet M. Mirault, il est facile de découvrir, à travers sa modestie, la part qu'il a prise dans les travaux de son collaborateur : « Lorsqu'on s'occupa de toutes parts à former des collections des produits de la nature, aux préparations géologiques qui avaient obtenu, sous les mains de Réaumur luimême, les formes et les attitudes des animaux, il manquait un art nouveau qui leur donnât toute l'apparence de la vie; il manquait à cette imitation de la nature celle des yeux. De ces quadrupèdes, de ces oiseaux, de ces poissons, de ces reptiles, qui déjà paraissaient marcher, voler ou nager, ou ramper, mon oncle entreprit de représenter ces yeux en émail, et malgré son talent à imiter l'oeil humain, ce n'est qu'en 1809, et quand j'étais déjà son collaborateur depuis longtemps, qu'il parvint à rendre avec exactitude le feu qui brille dans les yeux de nos gros oiseaux et de nos grands quadrupèdes. Jusqu'alors il avaitété impossible de représenter l'effet de la cornée et de l'humeur aqueuse sur une iris d'une aussi grande dimension. » Peut-être aussi, mais c'est encore un secret qu'il a emporté dans la tombe, M. Mirault n'était-il pas étranger à ce chef-d'oeuvre de l'émail, que tant de fois j'ai vu dans son cabinet de travail, alors que, oubliant sa vie d'artiste, «il occupait sa paresse, » comme il le disait, à classer dans une bibliothèque spéciale tous les conteurs et fabulistes français: travail de Pénélope qui eût lassé une carrière moins active que la sienne, quoiqu'il se crût un grand désoeuvré, parce que le travail pour lui c'était la vie. Ce chef-d'oeuvre, j'ose dire le chef-d'oeuvre de l'émail, que dans sa modestie excessive M. Mirault a toujours attribué à M. Hazard, c'est une statue équestre de Henri IV, haute de onze pouces, dimension extraordinaire, eu égard à la mafière, morceau d'émail dont quelques parties, et entre autres


43 la tête du roi, sont des modèles d'exécution. Un n'a jamais rien terminé d'aussi parlait en ce genre. Ici,messieurs, une réflexion. De prétendus progressistes ont traité de puérilités les chefs-d'oeuvre exécutés par les maîtrises; confondant les effets avec la cause, ils ont vanté bien haut l'abolition des jurandes, qui étaient, il est vrai, une entrave à la liberté; cependant n'y avait-il pas dans ces institutions, condamnées, nous le voulons bien, certains côtés qui auraient dû être conservés? Le respect du métier, le devoir du maître de faire de chaque élève un ouvrier complet, l'obligation de l'élève à prouver, après son apprentissage, qu'il était digne, par un chef-d'oeuvre sorti de ses mains, de passer maître à son tour ; tout cela ne valait-il pas mieuxque les tristes résultats que nous donne depuis vingt années l'état actuel de l'industrie libre, sans boussole, sans règle et sans art, où l'ouvrier, sous peine d'être menacé de chômage, c'est-à-dire de misère, ne peut voir autre chose dansson métier que le rendement qu'il procure, non l'amour qu'il donne. Et lorsqu'on voit des esprits cultivés, des intelligences d'élite comme M. Mirault garder dans les archives de sa famillede ces chefs-d'oeuvre que la société ne demande plus, n'est-ce pas que vous croyez comme moi, comme lui, que l'amour du travail n'est pas mort en France: que l'industrie a aussi ses artistes; que l'art uni au métier bien compris peut élever l'âme aussi bien que l'art pur? N'est-ce pas que vous croyezque le génie n'est pas l'oeuvre seulement du hasard, et que, au nom de la vocation, il n'existe pas de grands talents sans la persévérance ; il n'existe pas de grands génies sans la patience, cette mâle compagne de la foi ! Mais revenons à M. Mirault. Littérateur distingué, il ne mit cependant sa plume qu'au service de ses amis, de ses collègues ou de ses confrères en art. La Société libre des Beaux-arts possède de cet artiste un travail remarquable sur la peinture sur verre, plusieurs notices biographiques, où toujours le, coeur de l'homme est au niveaude l'esprit de l'écrivain-artiste.


— 44 — Enfin, messieurs, pour terminer cette courte notice, pâle reflet des sentiments qui me l'ont inspirée, je n'ai qu'à dire. en essayant de parfaire l'éloge du regretté collègue que nous avons perdu, et pour être à la hauteur des regrets exprimés sur sa tombe par noire président, que, jusqu'à ses derniers moments, M. Mirault a songé à nous et vécu avec nous. Je le vois encore lorsque le temps vint tout à coup frapper cette intelligence si jeune, si forte, si sûre d'elle-même. Je le vois encore me dire, lorsqu'il ne pouvait déjà plus prononcer mon nom : « Rappelez-moi à tous nos collègues des Sociétés savantes. » C'est que pour M. Mirault, messieurs, ces Sociétés n'étaient pas seulement des compagnies de littérateurs, d'artistes et de savants, c'était pour lui une seconde famille dont son caractère conciliant avait resserré de plus en plus les liens; car, à mesure que les années lui retiraient de vieux amis, elles lui donnaient de jeunes amis de plus. Aussi, pour nous rendre meilleurs, n'avons-nous qu'à opposer à nousmêmes celte belle existence, hier encore si heureuse de son utile obscurité, qui, dans sa jeunesse comme dans sa vieillesse, a toujours vécu de notre vie; souhaitons pour nousmêmes que nos principes éternisent les siens, que sa vertu soit la nôtre, que notre religion se perpétue dans la sienne. C'est le seul éloge que je puisse faire encore de notre ancien président dont la vie, pour sa famille et la vôtre, n'a été pour ainsi dire qu'un long bienfait. TH. LABOURIEU, Ancien Secrétaire Général de la Société libre des Beaux-Arts.


45 RAPPORT SURLESTRAVAUX DE LASOCIÉTÉ DESAMISDESAARTS DE STRASBOURG, PAR M.S. CHAMERLAT. Messieurs, Depuisquelques années, un mouvement artistique assez prononcé se manifeste clans les principales villes de la province: des hommes d'élite, voulant propager, parmi leurs concitoyens, le goût des beaux-arts, ont fondé des sociétés dontl'heureuse influence va toujours grandissant. Cessociétés ont organisé des expositions périodiques, qui non-seulement développent le sentiment du beau dans les départements, mais sont encore un puissant encouragement pour les artistes, dont les oeuvres y trouvent souvent un placementavantageux. La plupart de ces sociétés ont eu des commencements trèsdifficiles: elles avaient à vaincre l'indifférence, autrefois si communeen province, et les défiances légitimes des artistes deParis, dont les oeuvresdevaient être surtout le grand attrait des expositions. Leurs fondateurs ont persévéré et ont réussi; ilssont parvenus à réunir un nombre d'adhésions plus que suffisantpour assurer la prospérité financière de leur oeuvre; lesartistes parisiens, et même les plus illustres, certains désormaisd'être appréciés par des hommes de goût, répondent chaqueannée à l'appel des comités ; ceux des départements, trouvantla bienveillance active et la critique intelligente, là ou autrefoisils ne rencontraient que l'indifférence et souvent le mépris, ont redoublé leurs efforts, et chaque année des oeuvresfort remarquables, exécutées par des artistes qui se sont formés presque entièrement dans la province, viennent nousprouver la grande utilité de ces sociétés. Parmi les plus anciennes et les plus florissantes nous devonsciter la Société des amis des Arts de Strasbourg.


— 45 — Unie d'action et d'intérêts aux Sociétés de Darmstadt, Mannheim, Stuttgart, Carlsruhe, Fribourg et Mayence, sous le nom d'Association Rhénane, elle annonce pour cette année sa vingt-sixième exposition. Quelques chiffres que donne, dans son discours à l'assemblée générale, M. Blanck, président, vous feront apprécier l'importance de ces expositions. Il constate « qu'il a passé sous les yeux des visiteurs, de« puis la fondation, environ 42,000 objets d'art, dont un « quart à peu près a été acheté soit par des Sociétés, soit par « des particuliers, et qu'il a été dépensé pour ces acquisitions « une somme de 1,255,000 francs, à laquelle Strasbourg a « contribué pour 200,000 fr. Pour aller au-devant d'un re« proche que l'on adresse généralement aux sociétés artisti« ques, savoir, de n'encourager que ce que l'on nomme l'art « au petit pied, en n'achetant que des tableaux de chevalet « d'un prix peu élevé, M. le président donne une liste d'oeu« vres d'art acquises à un prix supérieur à 1,200 fr., il « en relate 54 dont la valeur varie de 1,250 à 6,000 fr., et « pour lesquels 115,000 fr. ont été dépensés, ce qui fait deux « compositions par année ayant un prix moyen de 2,000 fr. » Dans cette séance M. le président signale le succès"que les artistes strasbourgeois ont obtenu à l'Exposition de Paris, l'année dernière, où leurs oeuvres ont presque toutes trouvé des acquéreurs; il donne aussi les noms des lauréats du département à celle de Metz, ce sont : MM.Grass, Petit-Gérard et Haffner, qui ont obtenu chacun la médaille d'argent de première classe, et M. Touchemolin, celle de deuxième classe. M. Havard, secrétaire, dans son rapport, communique quelques détails sur la dernière Exposition rhénane: Le nombre des ouvrages exposés, en 1861, dans les sept villes associées, s'est élevé à 567, exécutés par 278 artistes; le nombre des acquisitions, à 141, d'une valeur totale de 52,971 fr., dans laquelle Strasbourg figure pour 8,889 fr. Ces chiffres sont assez éloquents, messieurs, pour qu'il soit inutile d'insister sur l'importance de cette société et sur l'influence qu'elle peut exercer. La Société libre des Arts s'inté-


— 47 ressevivement à la propagation des goûts artistiques dans la province, et applaudira toujours à des succès aussi éclatants queceux obtenus par la Société des Amis des Arts de Strasbourg. S. CHAMERLAT.

RAPPORT, SURLESPOÉSIES DEM. PAULSAINT-OLIVE, PARM.F. MAILLET. Messieurs, Les deux volumes de poésie que M. Paul Saint-Olive, de Lyon,a adressés à la Société libre des Beaux-Arts, ont pour titre: l'un, les Coups de plume, publié en 1858; l'autre. A l'occasion du nouveau palais de la Bourse de Lyon, publié en 1861. Ces poésies ne se composent que de satires dirigées particulièrement contre l'agiotage, le désir immodéré de fairefortune et l'amour du luxe. Les toilettes des femmes, et les femmes elles-mêmes, ne sont pas ménagées. La critique estpoussée à l'excès dans les vers de M. Saint-Olive : on voit qu'il a pris Juvénal pour modèle, sans tenir compte du reproche que lui fait le législateur du Parnasse, qui dit avec raison: Juvénal,élevédanslescris de l'école, Poussajusqu'àl'excèssa mordantehyperbole. Notre savant et spirituel collègue M. Granger disait, dans l'unede ses dernières productions, l'Éloge de la satire : «De quoise plaindrait-on? Je n'ai nommé personne. » M. SaintOliveaussi ne nomme personne, et il a pris pour épigraphe ce passage d'un auteur latin : « Quamvis acerbus, qui monet, « nulli nocet. » (Quoique acerbe, celui qui avertit ne nuit à personne.)


— 48 — Il y a dans les poésies dont je parle de fort bonnes choses, de la finesse et de très-justes pensées, souvent exprimées en vers facileset heureux, mais il y a aussi des négligences, des termes impropres et des licences par trop hardies. M. SaintOlive, qui cite souvent Horace, a un peu abusé de l'autorisation qu'il donne aux peintres et aux poëtes de tout oser : on ne doit pas trop étendre le quidlibet audendi; le goût doit poser la limite. Par exemple, on ne saurait approuver le mélange du latin avec le français. Ainsi l'auteur n'a pas craint de dire : Oh! combienaujourd'huiCynéaset Pyrrhus Deviendraient à proposun exempleomnibus! Levraine changepas, et la raisontenace Adit depuislongtemps,avecle vieilHorace: Beatusille qui,proculnegotiis, Exercetpaternabobusrura suis, Heureuxqui, retirédu tracasdes affaires, Laboureavecsesboeufslevieuxchampdesespères! Vous voyez que des deux vers latins il a fait, en changeant le second vers du poëte (Paterna rura bobus exercet suis), deux alexandrins français, suivis de la traduction, en donnant aux champs l'adjectif vieux, ce qui n'est pas très-heureux. On peut critiquer aussi l'exemple omnibus. Du reste, les satires de M. Saint-Olive se lisent avec plaisir : on y trouve de la verve, de la force et de la gaieté. Elles sont accompagnées de savantes notes qui prouvent l'érudition de l'auteur et contiennent de curieuses remarques rapprochées du texte. La préface surtout est digne d'attention. Elle présente une étude sur les auteurs satiriques bien pensée et bien écrite. Je termine en proposant, le dépôt aux Archives des poésies de M. Paul Saint-Olive.

PARIS IMP. SIMON BACON LA COMP. . RUE D'ERFUTH 1.


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PROCES-VERBAUX.

SÉANCEDU MARDI19 AOUT1862. — Bulletinn° 710. — Présidence de M.P. B. FOURNIER, président. Laséance est ouverte à huit heures et demie; Le procès-verbal de la dernière séance est adopté; Il est procédé au dépouillement de la correspondance, qui comprend: 1° Deux numéros du journal artistique anglais The Builder; renvoyé à M. Dufour, rapporteur ordinaire. 2°Trois numéros du Messager des théâtres; déposés aux archives. M. P. B. Fournier, président, fait part de la nomination, dans l'ordre impérial de la Légion d'honneur, de M. Chenavar, architecte à Lyon, membre correspondant de notre Société. M. le Président exprime le regret qu'il ne soit pas fait. une notice nécrologique sur M. Desboeuf, statuaire, chevalier de la Légion d'honneur, membre de la Société, récemment décédé. Plusieurs membres demandent que M. Gatteaux, président de notre classe de sculpture, soit prié de faire cette notice. Ami de M. Desboeuf, M. Gatteaux est, mieux que personne, à même de faire apprécier le mérite de notre regrettable collègue ; celte proposition est accueillie à l'u- OCTOBRE. SEPTEMBRE —N°s4-5.


— 50 — nanimité, et une lettre sera adressée, en conséquence, a M. Gatteaux. M. Maillet lit un rapport sur le dernier numéro de la Revue artistique, qui sera déposé aux Archives. Il s'engage ensuite une longue discussion sur les arts au sujet du musée Campana. La séance est levée à neuf heures trois quarts. L'un des secrétaires, J. E. LAMI.

SÉANCEDUMARDI2 SEPTEMBRE1862. — Bulletinn° 711. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures un quart; Le. procès-verbal dela dernière séance est lu et adopté; On procède au dépouillement de la correspondance, qui comprend : 1° Une lettre de M. Labourieu, secrétaire général de la Sociétédu progrès de l'art industriel (de Paris), demandant à recevoir régulièrement le Bulletin de la Société libre des Beaux-Arts, et à devenir ainsi une de nos sociétés correspondantes. La proposition est mise aux voix et adoptée. En conséquence, une réponse sera adressée à la Société du progrès industriel de l'art. 2° Une lettre de la Société de l'Union des arts, de Marseille, demandant à recevoir régulièrement le Bulletin de la Société libre des Beaux-Arts, et à devenir ainsi une de nos sociétés correspondantes. La proposition est mise aux voix et adoptée; en conséquence, une réponse sera adressée à la Société de l'union des arts de Marseille.


— 51 — Unebrochure indiquant l'organisation de l'Union des arts, qui accompagnait cette lettre, est confiée à M. Maillet pour en faire le rapport. 3°Mémoires de l'Académie impériale des sciences, arts et bulles-lettresde Dijon; renvoyé à M. Villemsens. 4° Deuxnuméros du journal anglais The Builder ; renvoyé à M.Dufour, rapporteur ordinaire; 5° Bulletin de la Société française de photographie; à M. de la Blanchère. 6° Le Conseiller des artistes; à M. Horsin-Déon. 7° Un Bulletin pour retirer un volume des Annales de l'Académiede Stanislas; à M. Martin. 8° L'Investigateur; à M. Granger. 9°Bulletin de la Société du progrès de l'art industriel. 10°Plusieurs numéros du Messager des théâtres. 11°Bulletin des séances dela Société impériale et centrale d'Agriculture de France. 12° Journal de la Société impériale et centrale d'Horticulture. Ces quatre dernières publications sont renvoyées aux Archives. Il est nommé une commission : pour examiner le tableau Abjuration de Henri IV, de M. Rouget, président de notre Société,ainsi que l'exposition de peinture du boulevard des Italiens. Cette commission se compose de MM. Granger, P. B. Fournier, Chamerlat etDubouloz. M. Granger émet le désir qu'il soit fait un rapport sur les nouveauxthéâtres. La proposition est adoptée, et à cet effet il est nommé une commission qui se compose de MM.Desjardinde Morainville, président, Sageret, Fayet, Granger. La séance est levée à neuf heures et demie. L'un des secrétaires, J. E. LAMI.


32 SÉANCEDU MARDI16 SEPTEMBRE1862, — Bulletinn° 712. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures; Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté; II est procédé au dépouillement de la correspondance, qui comprend : 1° Une lettre de M. le docteur Bertrand, secrétaire perpétuel de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny (honorée du patronage de S. A. I. le prince Napoléon), demandant à recevoir le Bulletin de nos Annales. La proposition est mise aux voix et adoptée; en conséquence, la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny est au nombre de nos Sociétés correspondantes. 2° Une lettre de M. Lemaire, membre de la Société, indiquant qu'il va incessamment revenir du congé qu'il a obtenu. 5° Deux numéros du journal The Builder; renvoyé àM. Dufour, rapporteur ordinaire. 4° Quatre numéros du Messager des théâtres; aux Archives. 5° Mémoires de l'Académie d'Arras; à M. Maillet. 6° Mémoires de l'Académie de Stanislas; à M. Villemsens. 7° La Revue artistique et littéraire, livraison de septembre; à M. Maillet. La correspondance étant épuisée, il est donné lecture de rapports : 1° Par M. Maillet, sur l'Union des arts de Marseille, brochure indiquant l'organisation de la Société; dépôt aux Archives. 2° Par M. Chamerlat, sur le musée du boulevard des Italiens, et en particulier sur l'Abjuration de Henri IV, ta-


53 bleau de grande dimension de il. Rouget, président honoraire de la Société. Le rapport de M. Chamerlat est vivement applaudi et mérite à son auteur de sincères compliments; il serainséré dans le prochain numéro des Annales. 5° Par M. Horsin-Déon, sur le Conseiller des artistes, et sur les Mémoires de l'Académie impériale de Metz; les conclusionsdu rapporteur sont mises aux voix et adoptées. Le numérodu journal et le volume des Mémoires de l'Académie deMetz seront déposés aux Archives. 4° Par M. Gendré, sur le portrait de feu notre collègue Daguerre, peint à la cire par M. Paul Carpentier, l'un des fondateursde la Société. Les conclusions du rapporteur sont adoptées; en conséquence, une lettre de félicitation sera adresséeà if. Pau! Carpentier. Le rapport sera inséré dans lesAnnales. 5° Par M.Granger sur l'Investigateur, journal de l'Institut historique. Cette brochure sera déposée aux Archives, et le rapport inséré dans les Annales. La séance est levée à neuf heures trois quarts. L'un des secrétaires, J. E. LAMI.

SÉANCEDU 7 OCTOBRE1862. — Bulletinn° 715. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures et demie; Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté; On procède au dépouillement de la correspondance, qui comprend: 1°Une lettre de M. Paul Carpentier, faisant suite au rap-


51 port de M. Gendré et adressant des remerciments à la Société et à l'auteur du rapport. 2° Une lettre de M. Labourieu, secrétaire général de la Société du progrès de l'art industriel ; M. le Président fera réponse. 5° Une pièce de vers de M. Lestrelin, intitulée : Paris; renvoyé aux Archives. 4° Série des prix pour l'année 1865-04-65 proposés par l'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Rouen; confié à M. Villemsens. 5° Plusieurs numéros du Messager des théâtres; renvoyé aux Archives. 6° Mémoires de l'Académie d'Arras; confié à M. Maillet: 7° Annales de la Société d'horticulture de la HauteGaronne; renvoyé aux Archives. 8° Recherches sur l'abbaye de la Bénissons-Dieu-en-forêt; confié à M. Moullat. 9° Bulletin de la Société française de photographie ; àM.de la Blanchière. 10° Une lettre de M. Guérin, annonçant son changement de domicile. 11° Deux numéros du journal anglais The Builder; confié à M. Dufour, rapporteur ordinaire. 12° Mémoires de la Société impériale archéologique du midi de la France ; à M. Granger. 13° Journal de lu Société impériale et centrale d'horticulture; renvoyé aux Archives. La correspondance étant épuisée, il est donné lecture des rapports : 1° Par M. Maillet, sur le XXXIIIetome des Mémoires de l'Académie d'Arras. Les conclusions du l'apport étant mises aux voix et adoptées, ce volume sera déposé aux Archives. 2° Par M. Andreï, sur le musée Napoléon III. Ce rapport.


— 55 — fruit de longues et difficiles recherches, excite au plus haut point l'intérêt de la Société, qui, après avoir adressé de sincèresfélicitations à l'auteur, eu vote l'insertion dans le prochainnuméro de nos Annales. L'un des secrétaires, J. E. LAMI.

TRAVAUX

RAPPORT

DE

LA

SOCIÉTÉ.

DE M. MAILLET

LA REVUEARTISTIQUE. Messieurs, Notre honorable collègue M. P. B. Fournier, avant d'être appeléau fauteuil de la présidence, nous a entretenus de la Revueartistique et littéraire que publie M. LouisAuvray, administrateur général du Comité central des artistes. Vous m'avezchargé d'examiner le dernier numéro de cette revue, celuidu 1er août 1862. Il s'ouvre par une intéressante chronique des beaux-arts, par M. Louis Auvray. On y mentionne l'acquisition faite par le musée du Louvre, au prix de 25,000 fr., d'un beau portrait de Philippe II, roi d'Espagne, par le célèbre Velasquez, et la découverte, à l'église des Andelys, d'un tableau de Quentin Varin,le premier maître de Poussin, représentant le martyre de saint Clair. Plusieurs autres faits dignes d'attention y sont aussi rappelés.


— 56 — Un article de M. Edmond Douay parle des conférences de M. Edouard Thierry sur l'art dramatique, et fait connaître que M. Samson, l'éminent comédien, doit également commencer des conférences qui ne manqueront pas assurément d'auditeurs empressés de s'instruire à ses leçons. Un autre article de M. Louis Auvray, sur les expositions de peinture en France et à l'étranger, se termine par une liste des récompenses accordées aux artistes. J'ai remarqué une notice nécrologique sur M. Desboeufs, notre regretté collègue, suivie de la liste de tous ses ouvrages, bustes, statues, bas-reliefs. Le nombre eu est considérable, car M. Desboeufsa constamment travaillé pendant près d'un demi-siècle. Né à Paris le 15 octobre 1795, il fut élèvede Cartellier, et avait obtenu en 1814, c'est-à-dire à l'Agede dix-neuf ans, le grand prix de gravure en médailles. Je propose le dépôt aux archives du dernier numéro de la Revue artistique et littéraire. MAILLET.

EXPOSITION DU BOULEVARD DES ITALIENS. L'ABJURATION DE HENRIIV, PARM.ROUGET.

RAPPORT

DE LA COMMISSION.

Messieurs, La commission que vous avez nommée pour examiner les ouvrages exposés au local de la Société nationale m'a fait l'honneur de me confier la rédaction de son rapport. Ses décisions étant tout à fait conformes à mes opinions artistiques, la grande admiration qu'elle manifesta devant l'oeuvre de


— 57 — notreillustre président honoraire, M. Rouget, répondant complétementà mes sentiments personnels, j'acceptai avec empressement cet emploi difficile. Veuillez, messieurs, me pardonnerl'insuffisance de ce compte rendu. Ona souvent accusé la Société libre des Beaux-Arts de système, de parti pris, d'attachement exagéré à des traditions surannées: cette accusation est injuste, et on pourra,se convaincre, par la lecture de ce rapport, que les talents les plus opposésvous sont également sympathiques, que vous admettez toutes les tentatives heureuses en dehors des traditions, et que si vous recommandez le respect de ces traditions, c'est afin d'éviter les écarts du mauvais goût. Avantde parler de l'oeuvre capitale de cette exposition, je vaisvous communiquer, le plus fidèlement possible, le jugement de la commission sur les ouvrages des membres de la Sociéténationale. Elle a admiré les trois tableaux décoratifs de M. Léon Coignet: l'Eté, l'Automne et l'Hiver, où se trouvent de si grandes beautés de composition et tant d'élégance d'exécution; une réduction du Tintoret et sa Fille, le chef-d'oeuvre de ce maître; De Decamps, de belles esquisses, des tableaux ébauchés, qui donnent une idée incomplète du talent de ce grand artiste, maisoù se voit cependant l'empreinte de sa puissante individualité; De M. Flandrin, le beau Portrait de M. le comte Walewski; De M. Français, un charmant Paysage, plein de fraîcheur et de sentiment. Uneétude de Moine, de M. Corot, a attiré son attention elle y a trouvé ce qu'elle voudrait rencontrer dans ses paysages: une interprétation intelligente de la nature, jointe à une facturesuffisamment serrée. Sans toutefois méconnaître l'aspectsouvent poétique de ses oeuvres, elle en a blâmé le faire par trop négligé. Le Christ au tombeau, de M. Delacroix, est une belle et forte esquisse, mais une esquisse seulement.


— 58 — Certes, l'exécution du charmant tableau de M. Daubigny, les Premières Feuilles, est loin de ressembler à celle qu'il est . convenu de qualifier de classique; cependant la commissiona été unanime dans son approbation. Elle a revu avec plaisir le premier tableau de M. Jules Breton, la Moisson. Elle a remarqué dans le Mariage de Henri IV, par Isabey, une habile entente des masses et des effets de lumière. M. Langée l'a charmée avec une très-bonne élude, qui a pour titre lu Bouillie. Le paysage de M. Rousseau, le Chêne de Roche de la forêt de Fontainebleau, rend fidèlement l'aspect d'une nature rugueuse et sauvage. Le Martyre de saint André, de M. Bonnat, promet un véritable peintre d'histoire; la composition de ce beau groupe est fort belle; mais le peu de solidité des ombres nuit beaucoup à son relief. Dans la sculpture : M. Carrier-Belleuse a exposé de beaux bustes, parmi lesquels se fait surtout remarquer celui de Decamps. M. Cordier, que beaucoup de personnes avaient condamné à l'éternelle reproduction des types nègres, nous prouve, avec sa Jeune Fille grecque et sa Jeune Fille parisienne, qu'il entend aussi bien la sculpture idéale que l'imitation (idoledes formes africaines. Voilà, messieurs, des. noms recommandables; nous ne devons pas nous étonner du succès de cette exposition; il faut savoir gré à M. Martinet d'en avoir eu l'initiative et, en fondant la Société nationale, d'en avoir assuré la prospérité. Cette exposition permanente entretient le goût des arts et attire l'attention des amateurs sur des oeuvresvraiment belles, but que n'atteignent pas toujours les expositions officielles, où souvent les oeuvresles plus étranges sont celles qui obtiennent les succès les plus bruyants. Le public, ne pouvant examiner particulièrement les cinq mille toiles qui y figurent, s'arrête seulement aux plus voyantes; au boulevard des Ita-


— 59 — liens, le nombre des ouvrages est fort restreint, et le choix en est rigoureux; on a tout le loisir d'étudier un bon tableau, de pénétrer la pensée de l'artiste. L'adhésion de nos plus grands maîtresà cette fondation est une preuve de son incontestable utilité. Dans la dernière salle est, exposé le magnifique tableau de M.Rouget, l'Abjuration de Henri IV. Son aspect est grandiose : l'archevêque de Bourges, assis, reçoitle serment que lui prête sur l'Evangile le roi à genoux; rien de plus noble que la tète de ce prélat, et celle de Henri montreune émotion fort bien rendue. Sur les degrés de la vieillebasilique se pressent des moines, des prêtres, des évêquestriomphants de la victoire morale remportée sur l'hérétique.Le reste de la toile est occupé par les partisans du roi de Navarre, par les bons bourgeois de Paris, accourus en foule pour acclamer celui que, par scrupule religieux, ils avaient jusqu'alors refusé de reconnaître pour roi. Des épisodesintéressants animent cette belle scène : ici des femmes, tenantleurs enfants dans leurs bras, cherchent à s'approcher duhéros qui doit donner la paix à la France ; là, un huguenot indignés'éloigne en voyant son chef renier la foi de ses pères, lui qui, peu de temps avant, protestait encore de son dévouementà la religion. Partout du mouvement sans désordre. Belleordonnance, grande unité dans la composition, exécution très-serrée dans les détails, distribution fort habile de la lumière, grande finesse de couleur, telles sont les qualités dominantes de ce beau tableau. La commission a formulé une seulecritique : c'est une tonalité un peu égale dans les carnations; elle eût voulu trouver sur les visages des compagnons du Béarnais la couleur bronzée que doivent avoir des guerriers qui, depuis cinq ans, tiennent la campagne, et, sur ceux des habitants de Paris, les traces des horribles souffrances endurées pendant un long siége. C'estune triste histoire que celle de ce tableau. Commencé dans la dernière année du règne de Charles X, interrompu par la révolution de 1800, c'est en 1855 seulement qu'il apparut.On était alors en pleine lutte ; romantiques et classiques


— 00 — se disputaient le terrain. Une réaction violente,se mollirait partout, dans les arts comme dans la littérature; Raphaël était contesté; David, noire grand réformateur, honni ; Corneille cl Racine n'étaient plus que des rimeurs! Delacroix, Shakespeare, voilà les maîtres à suivre. Celte réaction devait bientôt triompher. Certes, on peut dire aujourd'hui que cette lutte fut salutaire. Des deux principes qui présidaient, a celte guerre naquit notre belle,école moderne, où brillent avec tant d'éclat la hardiesse de la pensée, la science des ligneset l'habileté d'exécution. Mais, en 1855, exposer un tableau classique, le signer du nom de l'homme qu'on qualifiait de bras droit de David quelle témérité! Le titre de collaborateur du grand peintre, dont M. Rouget, s'enorgueillit à bon droit, lui fut funeste. Malgré des oeuvres personnelles d'un talent incontestable, on ne voulut voir en lui qu'un praticien habile, mais nullement ce qui l'ait le véritable artiste, l'indépendance de la pensée. Maintenant ces temps sont loin et ces appréciations aussi. On rend plus de justice au talent de M. Rouget. Sans méconnaître l'influence que dut exercer sur lui son maître, on peut dire qu'il y a une grande individualité dans cette oeuvre. C'est une des plus remarquables productions de notre époque; an grand concours de 1855, elle obtint la première médaille; bien tardive récompense! Depuis près de trente ans, ce tableau attend une place ; il est digne de figurer dans les galeries historiques de Versailles, et c'est dans un grenier que M. Martinet le trouva roulé! Il est du devoir de l'Administration des Musées impériaux, qui a souvent fait preuve d'intelligence et de goût, de le sauver de la destruction. Tel a été, messieurs, le jugement de votre commission; c'est avec bonheur que je vous le transmets. La Société libre des Beaux-Arts s'honore d'avoir à sa tète un artiste aussi illustre que modeste, et sera, je crois, unanime à émettre le voeu qu'une réparation plus éclatante lui soit rendue, et que l'artiste qui fut le bras droit de David reçoive sur ses vieux jours la haute récompense qu'il a si bien méritée. J. CHAMERLAT.


— 61 DE M. MAILLET SUR L'UNION DES ARTS DE MARSEILLE. RAPPORT

Messieurs, Dans les grandes villes maritimes, les habitants livrés an commercenégligent un peu les beaux-arts. Ainsi à Marseille, par exemple, ville si considérable et si peuplée, les sociétés vouéesà la noble mission de propager le goût des lettres, des arts et des sciences, sont relativement en petit nombre, savoir: Société artistique des Bouches-du-Rhône ; Société d'horticulture ; Société libre d'émulation; Société photographique; Sociétéd'économie politique. CependantMarseille cite avec orgueil son ancienne légende qui disait : « Marseille, Massilia, la soeur de Rome, la rivale « d'Athènes et l'émule de Carthage. » Ainsi cette cité antiquequ'on prétend avoir été fondée par une colonie grecque, lesPhocéens, neuf cents ans environ avant l'ère chrétienne, se vantaitd'une origine aussi ancienne que Rome, de cultiver lesarts comme Athènes, et de rivaliser avec Carthage pour son commerce. C'est la patrie de Pithéas, fameux astronome, de Mascaron, orateur chrétien, de d'Urlé, auteur du roman Je l'Astrée, du père Plumier, célèbre botaniste, de Massillon, I'unedes gloires de la chaire, du savant Dumarsais et de Puget, cet illustre statuaire, dont les oeuvres font l'admiration de tous ceux qui aiment ce qui est grand et beau, ce qui annoncela puissance du génie. M. Léon Vidal, qui vous a fait hommage de sa brochure, l'Union des Arts, a proposé de réunir dans un centre commun les cinq sociétés que je viens de citer, de manière à ce qu'ellespuissent s'aider, se soutenir réciproquement, étendre leursrelations et arriver à la propagation des beaux-arts, de


62 manière à ce que l'on ne puisse plus dire comme on l'a dit,que « Marseille est une ville où les arts sont délaissés, où la ma« tière domine l'intelligence, où les oeuvres de l'esprit ne. « sont appréciées qu'au point de vue dé ce qu'elles peuvent « rendre. » Aussi la société générale qu'il a l'intention de fonder serait-elle constituée sous ce titre: « Union des Arts. « Création d'un centre intellectuel. « Exposition permanente de peinture, sculpture, objets « d'art et de science. » Cette société en commandite serait établie, pour couvrir les frais d'installation, de lover, etc., au moyen d'un fonds social de cent mille francs, divisé en actions de cent francs chacune, remboursables en douze ans, sans intérêts. M..Vidal pense que les produits de l'Union seraient assez considérables pour les dépenses courantes et le remboursement du capital. Ces produits résulteraient, d'après ses calculs, du loyer que chaque société payerait, car il n'y aurait pas fusion entre elles, des abonnements des étrangers pour être admis à la bibliothèque de l'Union, et du prix d'entrée à la galerie d'exposition, laquelle ne serait pas publique : les membres des sociétés y seraient seuls admis tous les jours gratuitement. J'ai cru utile, messieurs, de vous donner, par ce résumé, une idée du projet de M. Léon Vidal, qui paraît avoir déjà bon nombre d'adhérents et espère le succès de son entreprise. Réussira-t-il? je n'oserais l'affirmer. Mais je crois que si son projet se réalise, les lettres, les arts et les sciences en ressentiront à Marseille de très-heureux effets, et les artistes eux-mêmes ne pourront que s'en applaudir, attendu que l'exposition permanente de l'Union devra nécessairement faciliter la vente et le placement avantageux des ouvrages qui y seront reçus. Je termine en proposant le dépôt aux Archives de la brochure de M. Léon Vidal. MAILLET.


63 RAPPORT

DE M. GENDRE

UN TABLEAUDE M. PAUL CARPENTIER. Messieurs, Il ne suffitpas que je sois édifié à l'aspect et à l'examen du tableaude M. Paul Carpentier; il faudrait aussi que je pusse bien rendre ma pensée, pour faire un rapport digne de l'oeuvreet de l'artiste Votre commission sera donc très-faiblement représentée par le rapporteur qu'elle a bien voulu désigner pour vous rendre compte du beau travail de notre très-estimé collègue, quisemble consacrer tout son temps pour contribuer à l'ordreet à l'honneur de la Société libre des Beaux-Arts; par la dispositionqu'il maintient dans nos précieuses archives, par sescommentaires sur les oeuvres de Paillot de Montabert, et la reproduction de l'image de Daguerre. C'est de cette peintureremarquable que nous allons vous entretenir. ha commission chargée de faire l'examen du beau portrait peint à la cire, représentant Daguerre dans une attitude méditative,fut, tout d'abord, frappée de la parfaite ressemblance et de l'expression exacte de notre regretté collègue. La science de Daguerre, l'excellence de son caractère et son dévouement à notre société, toutes ces belles et rares qualitésinspirèrent à M. Paul Carpentier l'heureuse idée de fairele portrait de son intime ami, qu'il avait vu bien portant peu de jours avant sa mort prématurée. S'il fallait, messieurs, vous énumérer toutes les difficultés qu'il a fallu surmonter pour arriver par le souvenir à la vérité d'expressionet de coloris qu'on remarque dans ce portrait, cela vous paraîtrait vraiment incroyable; il n'a rien moinsfallu,pour réussir, que le soin extrême des recherches et le talentélevé qui caractérise notre artiste. C'est au musée de Versailles que cette toile historique de-


64 vrait avoir sa place, auprès du magnifique portrait de Bernardin de Saint-Pierre, aussi peint à la cire et que nous devons également au savant pinceau de notre collègue. Le costume est exact de forme et de particularité de détails dans les insignes de l'honneur; le soyeux du drap et la souplesse du linge sont bien rendus , et la perspective de l'intérieur du cabinet d'étude où se tenait souvent Daguerre est irréprochable. Le buste ronde bosse qui est au fond du tableau est très-tin de ton et bien modelé, ainsi que les accessoires : un appareil daguerrien, un prisme solaire, etc. Ces instruments scientifiques sont imités avec autant de vérité que les parties principales dû tableau; le cuivre a ses reflets et ses accidents de lumière bien placés, et le cristal qui constitue le prisme est de la plus parfaite limpidité. Les qualités du tableau peuvent se résumer ainsi : 1° Ressemblance exacte des traits, de la couleur locale, de la pose et des menus objets. 2° Liaison savante de toutes les parties pour obtenir un ensemble modifié par les clairs et les ombres. 5° Couleurs encaustiques savamment combinées, cl employées de façon à conserver au travail sa fraîcheur première. En un mot, harmonie parfaite d'idées et de facture. Vous remarquerez, messieurs, que M. Paul Carpentier, connaît toutes les ressources de la palette, qu'il sait dessiner et réfléchir; aussi a-t-il obtenu de-grands succès par ses oeuvres, dans lesquelles on trouve une couleur solide, fraîche et transparente, sans nuire à la largesse de la touche ni à la vigueur ou la délicatesse de la pensée. Ajoutons que la modestie de M. Paul Carpentier l'a empêché jusqu'à ce jour de revendiquer l'honneur de faire renaître Daguerre par une fidèle peinture. C'est à nous, messieurs, qu'il appartient de proclamer son oeuvre, et nous espérons que le public et les artistes lui sauront bon gré de leur faire. voir le principal auteur du diorama et de la photographie. Nous parlons de la photographie: elle devrait perpétuel à


— 05 — jamaisce portrait de Daguerre et aussi son buste, que M.Paul Carpentierédite, et qui est vraiment remarquable ; ce buste devraitêtre l'ornement obligé des salons des photographes reconnaissants, dont l'art et les succès n'existeraient probablement pas sans le génie et les veilles de l'immortel Daguerre. Enfin, messieurs, eu raison du beau tableau de notre honorable archiviste, M. Paul Carpentier, des incessantes recherches qu'il a dû l'aire pour obtenir un tel résultat et du sentiment de confraternité qui a guidé l'artiste dans celle production dont la puissance nous fait revoir notre savant et laborieux collègue, votre commission, messieurs, est unanime pourdemander à la Société libre des Beaux-Arts qu'une lettre de félicitation soit adressée à l'auteur du tableau et que cette belle page historique soit mentionnée honorablement dans lesAnnales de la Société. Le Rapporteur, GENDRE.

RAPPORT

DE M. HORSIN-DEON SUR

DESARTISTES ETLESMÉMOIRES DEL'ACADÉMIE LECONSEILLER DEMETZ. Messieurs, Nous avons pris connaissance des différents numéros du journal le Conseiller des Artistes, et du volume des Mémoires de l'Académie impériale de Metz, que vous avez, bien voulu confierà notre examen. Lejournal le Conseiller des Artistes n'est pas de fondation récente.Il date déjà de deux années. Sa rédaction se pique d'une honnêteté, d'une impartialité auxquelles nous croyons devoirrendre hommage. SEPTEMBRE-OCTOBRE — N° 4-5.


— 66 — Cependant nous craignons que cette rédaction ne voie les choses un peu couleur de rose. Nous aussi, il y a vingt ans, nous croyions au triomphe du talent et du droit! Aujourd'hui, nous en sommes au doute, et nos cheveux ne font que grisonner. — De grand coeurnous voulons croire, comme le dit cet estimable journal, « que nous sommes arrivés à comprendre qu'il n'y a pas de rénovation véritable en quoi que ce soit, sans guerroyer contre les abus; » — que nous sommes arrivés « à ce point de lutte extrême où le faux et le vrai se trouvent nettement en présence pour le triomphe du juste et du beau. » —Peut-être toutes ces belles choses sont-elles applicables à la musique, à la littérature, que ce journal semble affectionner spécialement; arts auxquels nous sommes presque étrangers; mais, à coup sûr, la position n'est pas la même dans les arts plastiques, qui sont nôtres. Ce journal ajoute, un peu plus loin : « Il y a beaucoup à méditer et à patienter avant que tout ne soit comme il faut; cependant chaque jour a de nouvelles réformes accomplies, que le vulgaire peut-être n'apprécie pas. » — Nous avouons que nous sommes du vulgaire, car ces heureuses réformes nous échappent absolument. Le Conseiller des Artistes croit aussi, sans doute, écrire de l'histoire ancienne en parlant du présent, car pourquoi le citer comme mémoire quand on veut réformer les abus? Il dit. « Il y a encore une autre lèpre qui a entaché longtemps le progrès : ce sont les soi-disant amateurs, qui, voulant se substituer aux artistes de vocation, prétendent imposer leur goût, formé ni par l'expérience, ni par une longue pratique... Les artistes de vocation ont cette différence bien tranchée, c'est que l'artiste de vocation sacrifie tout, pour parvenir, et que l'amateur ne sacrifie rien. » Quoique le Conseiller des Artistes soit d'une bienveillance extrême, vous le voyez, messieurs, il sait aussi quelquefois mettre le doigt sur la plaie et stigmatiser les faux amis des arts et des.artistes. C'est pourquoi, messieurs, nous réclamons votre patronage pour ce petit journal, qui le mérite à tous égards.


— 67 — Levolume des Mémoires de l'Académie impériale de Metz renfermedes articles très-intéressants d'économie politique, d'agriculture, de sciences et d'histoire. Nous nous abstenons d'en parler, car il n'entre pas dans le cadre ordinaire de nos travauxde nous occuper de ces diverses matières. Nous signalerons à votre attention cependant un article fortintéressant de M. Charles Abel, relatif à la comtesse Mathilde; c'est dire qu'il a trait à la question du pouvoir temporel des papes. Nousciterons encore une description de différentes médaillesintéressantes de la ville de Metz, par M. Chabert. Ce volume, messieurs, se recommande donc à plus d'un titre, c'est pourquoi nous réclamons son dépôt en nos Archives. HORSIN-DÉON.

RAPPORT ANNÉE SURLETOME II, IVeSÉRIEDELAVINGT-NEUVIÈME DE L'INVESTIGATEUR, JOURNAL DEL'INSTITUT HISTORIQUE PARM. ALEXIS GRANGER. Messieurs, L'Investigateur, dont vous m'avez chargé de vous rendre compte,ne renferme rien qui soit relatif aux arts, mais des rapports sur les ouvrages déjà lancés dans le monde littéraire; je n'ai donc rien à vous en dire : je les ai tous lus cependant, même la chronique, et je regrette que M. Masson, à propos de l'Histoire universelle de M. César Cantu, cet Italienaussi célèbre par son érudition que par son patriotisme,n'ait pas trouvé pour le mettre en lumière autre chose quela préface de la troisième édition publiée par la maison Didot,et écrite par l'auteur lui-même.


— 56 J'aime beaucoup les préfaces, je les lis attentivement, attendu que l'auteur s'y révèle tout entier, et vous t'ait quelquefois d'étranges confidences sur son oeuvre et sur luimême. Celle-cirenferme une honorable profession de foisur la mission que l'auteur s'est donnée et sur le but que le littérateur doit se proposer; mais j'aurais aimé que M. Masson, ou tout autre (si cela n'a déjà été fait), fît une incursion dans ce domaine si vaste de l'histoire universelle, et nous donnât une idée de la manière dont elle a été présentée par M. Cantu, ainsi que de l'esprit philosophique qui doit y régner, car c'est là ce qui importe toujours, surtout lorsqu'il s'agit des peuples anciens dont nous sommes les successeurs, mais dont nous ne devons pas être les continuateurs. Si cet examen critique a été fait dans un autre numéro que celui qui m'a été confié, je regrette de n'en avoir pas eu connaissance, car les collaborateurs de l'Investigateur sont des hommes laborieux et instruits dont l'appréciation doit être prise en grande considération. M. César Cantu est membre de l'Institut historique, et je joins mes voeuxaux siens pour que cette belle Italie, si longtemps opprimée, malgré ses nombreux efforts pour conquérir son indépendance et son autonomie, reprenne son rang parmi les nations si souvent éclairées par son génie, dans les lettres, dans les sciences et dans les arts, et surtout pour qu'elle se souvienne de la grande part que nous avons prise à son affranchissement. La communication, faite à l'Institut historique, des travaux de l'Académie royale de Bavière, par M. le comte Reinhard, est très-intéressante à tous les points de vue, et l'on se demande comment, en présence de rapports aussi constants entre les hommes les plus éminents de tous les pays, on peut craindre le retour de ces guerres stupides et cruelles qui ont ensanglanté l'Europe depuis si longtemps et retardé les progrès de l'esprit humain, intellectuellement et humanitairement. Le besoin des peuples c'est la paix, c'est la fraternité, c'est la fusion, c'est une même langue, c'est l'unité monétaire et l'unité des poids cl mesures, en un mol, c'est l'intérêt


— 69 — commun que tous comprennent bien mieux que les gouvernants, car s'il était possible que les peuples se réunissent en congrès,il en ressortirait des délibérations; qui demanderaient avecénergie à ne former qu'une seule famille, comme le christianismeen a jeté les bases. M. Valat, que nous connaissons comme vice-président du Comité central des artistes et travailleur infatigable, est l'auteurd'un article ayant pour titre : Essai de colonisation dans l'antiquité, le moyen âge et les temps modernes. L'article ressemble beaucoup à une causerie de salon; c'est un résumé d'impressions, et, si M. Valat en reste là, je crois pouvoirdire qu'il n'a construit que le vestibule du temple que nous entrevoyons. La colonisation est bien le résultat premier d'une exubérancede population, c'est bien aussi la conséquence de la conquêteet rétablissement de points de relâche pour le commerce maritime, c'est bien aussi une source de richesses pour la mère patrie; mais tout cela est le but et non les moyens, et, en colonisation comme en toutes choses, les moyenssont tout pour atteindre le but. Jene saurais admettre, avec M. Valat, que le sentiment, de la colonisation ait varié selon les temps, je n'y vois que l'intérêt, à quelque époque que je me reporte; mais les moyensont varié. Les anciens ne faisaient pas de prosélytisme, les modernes en ont fait beaucoup, malheureusement, et c'est là la cause premièrede leurs insuccès. Le. fer et la flamme peuvent soumettre des peuples, mais ne les convertissent pas. Les Jésuites, seuls, ont triomphé des sauvages en leur enseignantla pratique des arts qui contribuent au bonheur de l'homme,et leurs succès ont établi, d'une manière irrécusable, la marche à suivre pour coloniser : hors de là on ne se fait que des ennemis et l'on manque aux préceptes de dit tous les hommes sont frères. M. Valat l'Evangile,qui que déclareque le système colonial est dans l'enfance et qu'il se réduit, comme dans les temps anciens, à une oppression mercantile et violente. Cette espèce d'anathème lancé contre


— 70 — les vivants et les morts me paraît manquer de justesse, au moins en ce qui nous concerne, car il n'y a pas d'esclaves dans nos colonies, le code noir n'existe plus, la traite est abolie, les colonies peuvent trafiquer librement avec toutes les nations, et je me demande où est l'oppression mercantile et violente que l'auteur signale sans la montrer et sans indiquer le remède qui corrigerait ce malheureux état de choses. Les Génois ont pu opprimer la Corse; mais depuis qu'elle est réunie à la France, la Corse est libre, les propriétés et les individus y sont protégés comme sur le continent; la Corse a des cours et des tribunaux, elle est régie par nos lois, par nos règlements, protégée par nos troupes, enfin elle est administrée comme un département français. Le droit des gens, chez les anciens, faisait esclaves tous les hommes pris à la guerre, et dépouillait les peuples conquis au profit, des vainqueurs. Un esclave était une chose, il avait perdu sa qualité d'homme, et l'on conçoit qu'en se plaçant à ce point de vue monstrueux, les colonies anciennes méritassent d'être stigmatisées d'une manière violente, et, quand on vante les ouvrages des Romains dans les pays conquis, je peux les louer comme ouvrages bien conçus, bien exécutés, mais au profit des Romains et de leur armée, abstraction faite d'une pensée généreuse et humanitaire pour les régnicoles, qui subissaient toujours leur joug de fer, qu'on leur dorait quelquefois, en donnant à leurs villes le titre de municipe, comme dans le Latium et l'Italie, titre auquel était attaché le droit de bourgeoisie romaine, sans cesser de former des cités à part. Si les Romains avaient été, comme nous, un peuple humain ; si, au lieu de porter des fers aux vaincus, ils leur avaient apporté la liberté, des moeurs plus douces, et relevé la dignité de l'homme, leur empire subsisterait encore, car le monde n'aurait pas eu de raisons pour se liguer contre ces conquérants, afin de se venger de leurs insultes et de leur cruauté. Combien notre, conduite en Algérie est différente! Nousy avons été appelés pour venger une insulte, et nous yavons


71 apportétous les arts civilisateurs; nous n'avons pas, à l'instar des conquérants de l'Amérique, fait du prosélytisme le 1er à la main; nous avons, au contraire, respecté les moeurs et la religionde ces peuples ; nous ne leur avons pas imposé notre langue, niais nous apprenons la leur; nous avons des tribunauxmixtes, qui sont pour eux une garantie de notre justice; nousavons l'ait des routes, creusé des puits artésiens, fait des plantations, des chemins de fer, développé le commerce intérieur et extérieur, établi des relations avec des peuplades éloignées, inconnues même à une grande partie de l'Algérie, et tout cela s'est l'ait avec le calme de la force et le respect que l'on doit aux croyances religieuses. Je demande encore une fois à M. Valat où est l'oppression mercantileet violente, quand chacun travaille pour soi, vend ou garde les fruits de son travail, ou ne travaille pas, adore le Dieu de ses pères,, garde ses moeurs, et ne sera contraint que par l'exemple à se réformer, s'il le juge utile à ses intérêts et à sa dignité bien comprise. Je persiste donc à croire que M. Valat a été entraîné par l'étude qu'il a faite de l'ancien monde, et j'aime à penser qu'il rend plus de justice au dix-neuvième siècle et surtout à la France moderne. Cenuméro dont je vous entretiens renferme aussi une pièce de vers de M. Barandeguy-Dupont, adressée à M. Jubinal, députédes Hautes-Pyrénées. L'auteur a eu tort, selon moi, de qualifier ode cette pièce devers, ayant pour titre : les Pyrénées; je l'accepterais sous le nom d'épître, mais pas autrement. Boileau, dans son Art poétique, a parfaitement défini ce genre de poésie, quand, aprèsavoir parlé de l'élégie, il dit : L'odeavecplus d'éclat,et nonmoinsd'énergie, Elevantjusqu'aucielsonvolambitieux, Entretientdansses verscommerceaveclesdieux. Et, plus loin : Sonstyleimpétueuxsouventmarcheau hasard, Chezelleunbeaudésordreest uneffetde l'art.


— 72 — Et enfin dans son discours sur l'ode : « Il faut éviter avec grand soin cet ordre méthodique etces exactes liaisons de sens qui ôteraient l'âme à la poésie lyrique. » Cette pièce de vers est froide; l'auteur s'y est mis trop à l'aise, et, trop préoccupé de la rime, lui sacrifie souvent l'enchaînement des idées. Sans aucun doute il est très-rare de rencontrer des poésies sans tache, car quelquefois la rime est riche, mais la pensée est froide ou insuffisante au sujet, et si Boileau lui-même s'est trompé, quand il a cru imiter Pindare dans son ode sur Namur, qu'il offrait comme un modèle du genre, nous ne devons pas nous étonner que d'autres n'atteignent pas complétement le but qu'ils se sont proposé. Si j'avais à examiner en critique ces dix-sept strophes, qui ne font pas moins de cent soixante-dix vers, j'aurais à signaler quelques belles pensées et quelques bons vers; mais je serais obligé, bien malgré moi, de rabattre à l'instant même de mon éloge, pour demander des explications à l'auteur, et pour le plaindre de ce que la force lui a manqué pour soutenir son vol. Exemple : Mont-perdu, montagnesmaudites, Quipeut savoirce que vousdites Aunuage,à l'aigleégaré? Votremasseau loinnousétonne; N'est-cepas Dieumêmequitonne Sur les hauteursde Marboré? Certainement cette première interrogation en forme d'apostrophe Qui peut savoirce que vousdites Aunuage,a l'aigle égaré? est poétique; mais comment y relier ces trois vers : Votremasseau loinnousétonne; N'est-cepas Dieumêmequi tonne. Sur leshauteursde Marboré? On voit, que l'auteur connaît ses montagnes; mais certai-


— 75 — nementil en abuse, car il en l'ait des chevilles qu'il lui est impossiblede nous dissimuler, et il eût mieux l'ait de les laisserà leur place. Expliquera qui voudra ce commencement de la onzième strophe : Cettecimeau loindésolée Oùs'éteintce dernier soleil, C'estla clochede la vallée Quidoitsonnerau grandréveil. Cettecime au loin désolée, qui est la cloche de la vallée, estd'une hardiesse si grande que j'en suis étourdi. Etes-vous plus heureux que moi'.' j'en doute. Jusqu'à ce jour j'avais cru que les Autans étaient à redouter; je m'étais trompé, car M. Barandeguy-Dupont les regrette. Mais autan et Bastan faisaient deux bonnes rimes, et notre auteur a mieux aimé sacrifier le bon sens que la rime : J'ai vul'Adouret le Bastan; J'ai vu le douxciel de Bagnère Sourireà monaubepremière; Maisoùsontles neigesd'Autan? J'ai cru un moment qu'il y avait un pic du nom d'Autan ; triaisj'ai vainement cherché à faire connaissance avec lui, cepic n'existe pas; l'auteur a voulu parler du vent du Midi, que l'on nomme Autan ; ce n'est pas, comme on pourrait le croire,un vent particulier aux pays méridionaux, non, c'est une manière poétique de spécifier le veut du midi, qui amène la pluie, et dont Ovide a dit : Notusevolatalismadidis, Maisje ne savais pas qu'il recélât la neige dans ses flancs, et, dans ce cas-là, qu'un Méridional ou même un Lapon pussent le regretter. Je lis à la septième strophe : J'entendsau pieddes Pyrénées Frémirlesdeuxmersétonnées De leurdoublehymenaccompli.


— 74 — Tandisque lucité d'lsaure Ases jeuxnous convieencore. Onchanteun air de Goudouly. Les deux premiers vers étant de ma connaissance, je Ies salue; je les ai vus, il y a longtemps, dans l'épitre 1rede Boilean au Roi. Les voici : J'entendsdéjàfrémirlesdeux mersétonnées Devoirleursflotsunisau pieddes Pyrénées. M. Barandeguy-Dupont les connaissait aussi, une note nous le prouve; mais j'aurais mieux aimé qu'il ne s'en aidât pas et ne les fît pas entrer dans sa famille ; ils sont trop vieux pour lui et il est trop jeune pour eux. Je ne comprends pas comment la réunion des deux mers est un double hymen accompli; il faut être deux pour se marier : les deux mers sont unies par le canal de Languedoc, voilà l'hymen, et je cherche vainement comment il est double, car le canal pour elles n'est que le trait d'union. Je ne vois pas davantage ce que la cité d'Isaure vient faire ici, et surtout pourquoi elle chante un air de Goudouly, à moins que ce ne soit pour célébrer les noces de l'Océan et de la Méditerranée. N'ayant pas l'honneur d'avoir vu le jour dans les Pyrénées, j'ignore la légende du pic d'Espadès, et pourquoi ses innocentes peuplades doivent trembler et redouter le sort de Damoclès. Celaveut-il dire que ces innocentes peuplades voient au-dessus de leur tête le pic d'Espadès, comme Damoclès voyait au-dessus de la sienne l'épée que Denys y avait l'ait placer, et qui, retenue seulement par un crin de cheval, lui faisait craindre à tout moment qu'elle ne tombât sur lui'.' Si c'est la pensée de l'auteur, elle est incomplètement exprimée. Je n'aime pas davantage : fiesglaciersdont l'orgueils'étale Ontvu jadissousleur sommet Passerle Romainen sandale Lessectateursde Mahomet.


75 Ces Romains en sandales me rappellent un homme en pantoufles et en robe de chambre, ce qui est très-peu militaire; d'ailleurs, à l'époque où les Romains pénétrèrent en Espagne, ils n'avaient pas de sandales, mais des bottines de peau, ocreae, ou des brodequins plus bas, garnis de clous, caligae,d'où est venu pour Caïus César le surnom de Caligula, en souvenir de celte chaussure qu'il avait portée dans son enfance au milieu des camps. Onne passe pas sous les sommets d'une montagne, mais à sonpied. Passerle Romainen sandale, Lessectateursde Mahomet. Il y a amphibologie, car on pourrait croire que les Romains étaient les sectateurs de Mahomet. L'amphibologie n'existerait pas si l'auteur avait fait suivre le premier vers delaconjonction et; ce vers ne pouvait pasla souffrir tel qu'il est, je le sais, mais on pouvait remplacer les sectateurs par les enfants ou les soldats, et tout était à sa place, grammaticalementet prosodiquement, si l'on peut s'exprimer ainsi ; et l'on aurait eu, non le Romain en, ce qui est dur, mais : PasserlesRomainsen sandale Et lessoldatsde Mahomet. Je ne pousserai pas plus loin l'examen de cette pièce de vers, qui me fournirait bien d'autres observations encore, notamment sur quelques rimes, comme sacré et Larrey ; héas et frimats, Eden et certain, car si j'ai été entraîné à entrer dans quelques observations critiques, je les ai moins faites contre l'auteur qu'à l'adresse du comité de rédaction de ce journal, qui, je le vois avec regret, à l'instar de tous les comités semblables, fonctionne avec une grande mollesse ou ne fonctionne pas. Je propose le dépôt aux Archives de ce numéro de l'Investigateur. ALEXISGRANGER. 16 septembre1862.


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RAPPORT DES LE MUSEE

NAPOLEON

III

PARM.A. ANDRÉÏ. LeMuséeNapoléonIII est composéde l'anciennecollectionCampana, des objetsrapportésde Syrie, de Macédoineet d'Asie Mineurepar MM.Renan,Heuzey,Daumet,Perrotet Guillaume;destrois cents pièces de la colonneTrajaneet d'unequantitéde bustes,de statues, moulages exécutéspar M.Ravaisson d'aprèsles ordresde l'Empereur,Ce musée, qui a soulevéde grandesquestionshistoriquesde la part des savants,va être transportéau Louvreoùonlui prépareune placedignedesonimportance. Il n'estpeut-êtrepas sansintérêtde raconterl'histoirede la collection Campanaet de son malheureuxpropriétaire,infortunésavant,victimede l'art et de la science,martyr de la passionla plus terrible, car, si elle donnede grandesjouissances,elle donneausside grands désirsnésde cesjouissancesmêmes. étaitdirecteurdu Mont-de-Piété à Rome.Voyantle butsans Campana les moyens,l'avenir plus que le présent,entraîné enfin par sonculte pourle passé,il avaitréuni une collectiond'unegrandeimportanceartistiqueet archéologique,formantl'histoirede l'Antiquitéet de laRenaissance,l'histoireartistiqueet scientifiquedes Etrusques,des Grecs et des Romains.Une fortunede princeeût été insuffisante;Campana n'étaitpas même marquis.Cinqmillionsfurentempruntéspar lui à la caissedel'établissementqu'ildirigeait; sacollectionétaitle gage decet empruntlégèrementillégal.Il fut poursuivipourconcussion, jugé etcondamnéaux galères. Onn'eut égardni aux mobilesqui l'avaientfait agir, ni auxbienfaits qui devaientrésulterde cette réunion.Onfut inexorable;dansla ville des arts, on condamnaun artiste.N'était-cepasmettre aux fersune de ses gloires? Grâceà de souveraines influences,dit-on, la remisedesa peine fut faiteil Campana,moyennanttoutefoisl'abandonde sonmusée. Cen'étaitpasmaladroit;le directeur-artistedevaitcinq millions,onlui en prenaitdix!... Miseen ventepar le gouvernementromain,sa collectionfut acquise par la France; celle-cieut le tortdeselaisserdevancerpar laRussie,qui prélevaunepartqu'onse plait à rendre intime.L'achatde nuire paysse


— 77 — de neufcentscoliscontenantplus desix raillecaissesetcoûtant composa minimede quatremillionshuit centmillefrancs. lasommerelativement JIM.LéonRenieret SébastienCornuont traitécette négociation : ilsont droità tousles élogespourla manièredontils se sontacquittésde leur et cedernierpourla façongracieusedontil enfaitleshonneurs. mission, Parsonarrangement,ce muséeprésenteun caractèredifférentde celuidesautres: ce n'est pas une exhibitiond'objetsremarquablespar leursformes,leur beautéouleur originalité;c'estun classementopéré dansunbutd'utilité générale,à diverspointsde vue.Ainsiréunis,tous cesobjetsformentuneintéressantehistoireplastiquede l'art danstoutes sestransformations. Sonintérêtest doncdansle magnifiqueensemblede sesséries;séparez-les, ellesperdentde leurvaleurindividuelle en détruisantcelleduMusée. Ony peutsuivrepas à pasles premiersessaisde l'art, ses progrés, sonapogéeet sondéclin.Onpeut reconstruire,pourl'antiquité,l'histoire del'orfévrerieétrusque,grecqueet romaine; de la céramiqueet de la survases; de l'artdesreliefsen terrecuiteet dela peinturedépeinture corative ; del'artdu verrier,dufondeuretduciseleuren bronze.Onpeut yapprendre,pour les époquespostérieures,cequ'a été l'art de la majoliqueen Italie,depuisles empruntsfaitsaux Arabesjusqu'àla findu siècle, ce qu'aété la statuairedela Renaissance, dix-septième depuisDonatellojusqu'àMichel-Ange ; l'histoiredesprogrèset de la décadencede la peintureitalienne,depuisles Byzantins,Cimabue,Giotto,Fiesoleet lesécolesmonastiques jusqu'auxCarrache.On peut y étudier plusieurs toilesintéressantes des grandspeintres du seizièmesiècle.La statuaire estreprésentéepar quelquesoeuvres de choix.A côtédesbellesproductionsde l'Étrurie,de la Grèce,de Romeet de l'Italiemoderne,on voit donclesoeuvres naïves,dont la simplicitéarchaïquetrahit l'inexpérience desprocédés,des oeuvresqui fontapprécierla valeurdesarts primitifs qui,souslaformerudedespremiersâges, cachenttoujoursune austérité et quelquefois uneélégancepleinede charme. Quecettenomenclature n'effrayepersonne.Poursepermettred'analyser touteslessériesduMuséeNapoléonIII, il faudraitdesconnaissances immenses,spéciales et profondesque nousne possédons qu'insuffisamment. Nous nousborneronsà donnerun aperçugénéral; nousle feronsle plus courtpossiblepour ne pas fatiguerlesauditeurs. Lediadèmeayantété de touttempsla marquedistinctivede l'autorité, il estjusteque nous commencions par lui. La couronnedevaitêtre chez lesÉtrusques, commechezlesGrecsetles Romains,une coiffured'apparatpourlesfemmes;plusieursmonumentsd'art, de cetteépoque,lesreprésentent ornéesde cet insigne.Lacouronneétaitaussiunerécompense nationale, décernéeauxcitovensillustres,par leur villenatale; cellequi surmonte le casquede bronzetrouvédansla Grande-Grèce est un beau spécimen. Les petites couronnes,remarquablespar leur ténuité, leur finesse,sontdes couronnesmortuaires.Voyezla Taenia,en argentdoré;


— 78 — elleestde stylegrec, et fut découverteen 1857,dans un tombeaude Vulci.Lacouronneétrusque, en cuivre doré, élégantmodèleantique parfaitementconservéet d'autantplusprécieuxque les objetsen cuivre dorésonttrès-rares, a été trouvéedansunetombedécouverteà Vulcipar feu M.François,sur lesterresdu Canino,appartenantau princeAlexandre Torlonia. Cettefameusesérie de bijouxétrusques,grecs et romains,qui ne comptepas moinsde douzecents pièces,estréuniedansle saloncarré, le plus brillantet le plusregardédessalons.Ils ne proviennentpastous du MuséeCampana,il y a biendes acquisitionsultérieuresajoutéesàla collectionitalienne,pourpermettre,d'étudierles productionsinimitables desartistesdel'Etrurieet de la Grande-Grèce. Cesbijouxsontd'une légèretéqui doitfairehonteà nosartistes. Rien de compliqué,à peinevoit-onquelquesaméthyseset émeraudesopaques d'Egypte;quelqueslapis,grenatset turquoises;peu de perles, pas de diamants,d'émeraudesfinesetde rubis. Cependantcescolliers,cespendants d'oreille,ces braceletset ces fibulessont plus remarquables que nosbracelets,noscollierset nos agrafes.Lebeauest l'antipodeducompliqué! L'art, plus il est grand,plus il est simple!Lesbeauxexemples de granulé et de cordelé.fontle désespoirde nos bijoutiers:lesEtrusquesn'ont point révélélessecretsde cet art. Les ivoiressont d'un intérêt très-grandpour l'histoirede l'art archaïque; quelques-unsdatentpeut-êtredudixièmesiècleavantnotreère. LesGrecstiraientcettematièrede l'indeoude l'Afrique,et s'enservaient pour ornerleursmeublesou en fairedesstatues.LaMinervedu Parthénonetle Jupiter Olympien,statueschryséléphantines de Phidias,ontété exécutées 440ansavantJésus-Christ. Bienavant,Homèreparlede meubles incrustésoud'ornementsfaçonnésavecl'ivoireque des pilotesphéniciens rapportaientd'Ophir.Plus loin encore, Diodoreparle aussidesstatues chryséléphantines. Lesobjetsde culte,lesscarabées,lesambresetcentcinqcaméeset intaillesantiqueset de la Renaissance complètentla sériedesbijoux. Lastatuaireest représentéeparun Adonis,unbustede jeuneRomain remarquabled'expression,un AEtusVerus,un MarcusBrutus,— privé de ce mêmebrasayantfrappéCésar,— le torsed'un Actéon,le Bacchus et la Vernismarine, capablede rivaliseravec celledu Capitoleet même avecla très-illustreVénusde Medicis. Troisvitrinesde verresantiques,phéniciens,grecset romainsattirent tousles yeux.Les plus indifférents sontéblouispar lesmillecouleurs,les prismeséclatantsdecesmétaux,que l'on croiraitmélangésd'or etd'azur. Sont remarquablessurtoutun verreintact, guirlandede pampresbleus en relief;des fiolesopaquesde Tyr et de Sidon,rubannéesjaune,vertet bleu;des pâtes deverreauxmille couleurs,couvertesde cesbellesirisations,empreinteslaisséesparles siècles,et cesoiseauxde verre, souille merveilleux,ouvragesdes Phéniciens.Biendes morceauxinformesde


— 79 — verresanscouleur,sansforme semêlentà ces objets et déparent cette série. le seulqui soitbienconPourlesbronzes,il y a: un casquelégionnaire, servé,etdeuxcasqueshonoraires,l'un grec, l'autre étrusque,ce dernier ceintd'unecouronnede chêneen or; un fragmentde bronzerepoussé, laVénusvoiléeet l'Amour;centcinquantemiroirsétrusqueset représentant grecs,desépinglesà cheveux;des objetsde toilette;desvasesélégants, couverts d'une patine verteet bleuturquoise;une statuette:la Vénus des Astarté Étrusquesavecl'Amour;desbronzesphéniciens;desTessères etdesempreintes. Lesustensilesdecuisinedes Romainsoccupentplusieursvitrines;ils fontconnaître uncôtéfort intéressant,fort attrayantmême,de la viede cepeuple. Nousne pouvonspassersoussilencelesdeuxvasesde Canosse, hérissés defigurinescolorées,etlesbellescistesde bronzeouvasesfermés surmontés de figurines.Trois de cescistesproviennentdes fouillesque le princedeBarberinia faitexécuterà Palestrine. Comme on remarquebeaucouptrois bustesd'Auportraitshistoriques, guste,àtroisâges différents ; les portraitsd'Alexandre,de Virgile,une unCommode, un Néron,un Trajanet quarante-cinqmorceauxde Lucile, peintures grecqueset romaines,dontla plus modernea seizecentsans. Cesderniersdonnentune idéetrès-justede la peinturedes anciens,de soncaractère,de ses procédésdansle genrehistoriqueoufunéraireet dansl'ornementation. Nousciteronsles quatrefragmentsd'unefigurede femme désignéesous le nom de Primavéra,provenantdes fouillesde Tusculum. Lesobjetsvariésexposésdans ce salonnous initient à la vie intellectuelle et matérielledesÉtrusques,desGrecset des Romains.Si le Musée III est l'histoire de l'art, ce salonen est la première Napoléon partie;lesautres,non moinsimportanteset non moinsriches,n'ontpas autant d'attraitet de visiteurs,surtoutparmiles dames. deuxsiècles,l'attentions'estportéesur lesvasespeints.TrouDepuis véssur le territoire de l'ancienneEtrurie,les premiersvasesont été nommés étrusques,en dépitdes inscriptionset des sujetsde la mythologiegrecquedontils sont couverts.Ce nom leur a été conservéjusqu'en 1828,année,descélèbresdécouvertesdeVulci.Aucunartn'a autant exercé la sciencedes archéologues que la céramique;depuisAristophane, Pindare et Strabon,biendesécrivainsavaientécrit surles vasespeints, ansnousfaireconnaîtrele moindredétailsur leur fabricationetleur décoration. M.EdouardGerhard,de Berlin,a éclaircitoutescesquestions. Hérodote a donnéaux Etrusquesune originelydienne;celte présomption,quiparaissaitsi étrangeil y a quelquevingt ans, est généralement admise. Lesanciensvasesappartiennentdoncà l'art asiatique;viennent ceuxdel'art hellénique;les vasesétrusquessont lesderniers.On après trouve desvasespeintsdansl'AsieMineure,dansles Iles, en Crimée,en en Sicile,enItalie,danslesTumilide laplaine,deTroie,à Rome, Afrique,


— 80 — à Alexandrie, dans le midide la France, enfindanstous les paysoùles Grecsont pénétré. Centformesdevasesau moinssont restées,sanscompterles Rhytons. On en voit depuiscinq centimètresde hauteurjusqu'à un mètre; onen voità une, deuxet mêmetrois anses; de superbes,de grotesques, de noirs,de peintssur le corps, le col, les ansesou le pied. Lescoupes sontbelleset ornéesde peintures choisies;les anciens affectionnaien probablementces objets.Nousne sommespas en resteaveceuxsousce rapport. Lesvasesservaientà la décorationdes templeset des demeures; ils contenaientaussi lescendresdes morts dans les tombeaux.Quelquesunsétaientconsacrésaux usagesdomestiques;d'autres,les amphores panathénaïques, rempliesd'huile,se décernaientaux vainqueursdesPanathénées.Il existedes vasesqui devaientservir de cadeaude noce;les scènespeintessur leur extérieurleur fontattribuercette destination. Lespeinturesreprésententles jeuxgymnastiques, les noces,les repas, les combats,les scènes de la mythologiegrecque, de l'histoire,des cérémoniesreligieuses,de danse, de musique,de toilette,de chasse,de pècheet mêmedesscènesempruntéesau théâtre grec. Troisgaleriesont été nécessairespour contenirles vases étrusques et grecs.M. Campanaattachaitun grandprixà cettesériede documents Panthaios,d'Andocides céramographiques, signésNicosthène, Pomophios, Hiéronet Timagoras;elleformeunehistoirede la céramiquedepuisles tempsles plusreculésjusqu'àla décadencede l'art ancienenItalie. Cette série du MuséeNapoléonIII s'ouvre par les vasesen terre noirede Vulciet de Chiusi,sans peintureet sansinscription.Quelquesuns ont de simplescannelures,d'autressontornés de figuresgrossières; maisles plus curieuxsont ces énormesvasesenchevêtréset superposés en échafaudages bizarres.On peut suivresur les vases,les progrèsde l'art du dessin, dans les légendesargonautique,troyenne, thébaine, héracléenne,orestide,perséenne. Nousn'entreronspas dans la descriptiondes quatremillecinqcents vasessortisdesécolesd'Arezzo,de Cumes,de Nole,de Ruvo,deTarente. Voiciseulementles principalesclassifications : Vasespeintsde styleprimitif;— grandsVasesà reliefsetVasespeintsde styleasiatique;—Vases corinthiens;— Vasestrouvésdans le tombeaude Caere,dit tombeau Lydien;— Vasesnoirsde travail étrusqueà gravureset à reliefs;— Coupeset Vasesitalo-grecsà peinturesnoires;— Coupeset Vasesitalogrecs à peinturesrouges;— Vasesde Nola;—Vaseset coupesde la fa; — Vasesde Cumeset de la Basilicate,appartebrique de Nicosthène nantà ladécadencedel'art grec en Italie; — Vasesitalo-grecs à peintures blanches;— Vasesétrusquesde la décadence;— Rhytonset Vases deformessingulières;— Vaseset petitsPlatsà reliefs; Poterieronge d'Arezzo. les Noussignaleronsseulementle petitvasede Tarente,représentant


— 81 — troisMuses : Uranie,Calliopeet Melpomène, et la bellesérie des vases Nicosthène. Nulle tous part,il n'existeuneplusbellecollectiondevasescorinthiens; proviennent de cette colonieétabliedansl'Etrurieméridionaleau septièmesiècle.Ils sont placésà l'extérieurdu TombeauLydien.Que de discussions a faitnaître cettechambrefunéraire,depuisdixans! Ceux-ci lacroientd'une antiquitépeu reculée;ceux-làla font naîtrecinq ou six siècles avantla fondationde Rome. Telce tombeaua été retrouvé,tel il aétéreconstruitavecson ensembleoriginal,sesvasesrougesornésd'animauxfantastiques, ses sépulturescinéraires,ses antéfixeset ses mille accessoires. Au milieude la pièceestletombeauenterrecuitereprésentantunhommeet unefemmerevêtusde richeshabits,drapésà mi-corps etsouriantdoucement.Chezles peuplesà moitiéorientaux,la mort n'a pascet aspectque nouslui prêtons. Lesfemmessont parées des emblèmes dela vie heureuse;leurscous,leurs bras sont garnisde colliers et de braceletsfinementtravaillés; doucementelles sourientet leurs mainstiennentencorele miroiroula patère, symboledestinéà rappeler quel'ivresse,commela mort, apportel'oubli. Dix-huit centsobjets,comprenant des sarcophages, desurnescinéraires, desstatues,des bustes, des antéfixes,des figurines,des rhytons, des lampeset de nombreuxbas-reliefs,composentla collectiondesterres cuites ; collection uniqueau monde,qui formeàelle seuleun musée,tant parla variété,le mérite,que par le nombredesobjets. Lelit enbronzefut le tombeauprimitifdansla plushaute antiquité. Làreposaitle guerrier, entourédeses armes,de souarmureet de ses enlevésà l'ennemi,tels que : couronnes,braceletsd'honneur, trophées colliers entourésde phalestères,cistes,vasessacréset profanes.Il y a au Musée Ill un curieuxmodèlede ces litsde bronze;dans le Napoléon onvoitlecrâned'un hérosde l'antiquitéquines'attendaitguèreà casque avoirunjourpournécropole le Palaisdel'industrie,et plustardle Louvre. Lesnécropoles, d'unesérie situéesen dehorsdesvilles,se composaient dechambres sépulcrales,creuséesdansle roc oudansla terre. Lesbarbaresles ontpillées, attirés par l'appâtdesrichesses.Chaquechambre contenait ordinairement trois sarcophages destinésau père, à la mère et enfants de la les aux premièregénération; cendresdes autresmembres dela familleet desserviteursse plaçaientdansdesurnes, disposéesautourdela pièce;des peinturesallégoriquesdécoraientlavoûteet les parois;des géniesen terre cuite, suspendusau plafond,veillaientsur le sommeil des morts. Autant,dansla secondeépoque,les nécropolessont empreintesde grandeur,autant, dans la troisièmeépoque,les monumentsfunéraires sontpetits,sans styleet sans caractère.Ils semblentmis à la portée de tous. C'estde l'art au rabais!Cesont desfiguréspréparéesd'avance;la têteest de grandeurnaturelle,et le corps,réduit à sa plussimpleexpression, prenddes formescaricaturales. — N° 4-5. SEPTEMBRE-OCTOBRE. 6


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des maisons,la poteriejouait ungrandrôle: des Dansl'ornementation tètes hiératiques,des antéfixessupportaientles toitures;des bas-reliefs, descarreauxvernissésdécoraientl'intérieuret l'extérieurdes habitations. Lesfriseset lesbas-reliefsde ceMuséesontd'utilesrenseignements pour la céramiquemoderne.M. Campana,leur ancien propriétaire,leura consacréune publicationen deuxvolumes,avecplanches. Lesprincipauxbas-reliefssont: les Corybantes étouffant,parle chocde de Jupiterenfant;— Perséetenantla leursboucliers,les vagissements têtede Méduse;— l'Orestefurieux sur l'Omphalosde Delphes;—le les armes Géniede la victoire,avecle taureau; — Théséedécouvrant — Théséeenchaînant paternelles,puisdomptantle taureaude Marathon; Sciron, désarmantScinniset terrassantle Centaure;— la légendede et ThétysetdePélée; — cellede Jasonet de laToisond'or; — Hercule lesHeures;— et l'histoired'Hélène. Pourlesfigurines,au-dessous dela fameusecoupede dîmes, est arrangé un cortégede rhytons,de grotesques,les uns en kermès,les autresen têtesd'âne, d'autresen canards;desBacchus élégants,desSilènesventrus, des grotesquesde toutessortes. des nègres hideux, des chiens-loups, Dansune autre vitrinesont desbouffonshomériques,acteurspopulaires des comédiesgrecqueset latines: le dave, le parasite, le chrénideetle lesacteursimitaientdansleursgestes, pulcinella.L'an 82desOlympiades, leurs costumes,lespersonnages qu'ils voulaientridiculiser.Peut-êtredoiton chercherl'explicationdes figuresgrimaçantesde cesstatuettesdans Cracettecoutume?Quoiqu'il en soit, les personnagescrééspar Eupolis, sontlà coudoyant ceuxde Livius,Andronicus, tinuset Aristophane Nécius, Eunius,Cecilius,Acciuset Plaute. Enfinles originaleset élégantesproductionsde Toscanella,d'Athènes,d'Ardée,qui ontun caractèresi tranché, si essentiellement grec. Onvisiteraavecplaisir lasalle affectéeaux sériesdes majoliquesitaliennes.Toutestbrillantdanscetteexhibition: cesmille couleursvives et chatoyantes,cesmillerefletsirisés métalliques,cesprismeséclatants, cesnuancesinconnuesaujourd'hui,ces éclatsincomparables,attirenten ? on admire en étudiant.Esteffet tout le monde.Est-on connaisseur on simplecurieux?onadmire,encorelesproduitscréésà Gubbio,CastelDurante,Deruta. et Cetart commencepar les pièceshispano-moresques des Baléares les plats arabesde Caltagirone,aux reliefs mordorés,aux ornements orientaux;ils sontle pointde départde l'art des majoliques,quipritun si rapideaux quatorzième et quinzièmesiècles.Toutesles développement écolesde Romagne. sont représentéesdans le MuséeNapoléonIII. Elles sontreconnaissables toutespar destraits bien distinctifs: FAENZA, parses variées;— GUBBIO, compositions par son rougemétalliqueperdu: cette écolea quelquesoeuvresdu célèbremaestroGiorgioAndreoli;— URBINO, parses arabesquessur fond blanc, ses légendesamoureuseset la belle exécutionde ses plats dits : alla Raffaella,reproduisantles composi-


— 83 — tionsde Raphaël;— CASTEL DURANTE, par ses beauxvaseset ses plats — sesmiroitements Les couverts ; DERUTA, d'arabesques par métalliques. à la crècheet les plusbeauxspécimensdecette écolesont: la Vierge est représenté anges,avecla devise: Gloria in excelsisDeo; — FORLI : Le triomphede Judith.Lesécolesde PESARO, parsabellecomposition de SAVONE, de VENISE, de la GRUE, à Castelliont aussi de magnifiques pièces. Citonsencore: la jolie composition,la Chastetéde Joseph; le beau platdubanquetoffertau peupleromainen 1514, attribuéà HoraceFontanad'Urbin; le plat d'apparatà reflets,orné d'un portrait de femme, avecl'inscription : Nonvale bellezza,dovesta crudella; les compositionsallégoriquesdes malheursde.l'Italie, et enfinles Chevaliersde bannière.Devantles produitsmerveilleux d'intimespetits bourgs,il nous fautreconnaître notreinfériorité;avectousles moyensquela sciencemet à notredisposition, il nousseraitimpossibledefairele plussimplede ces plats. La statuairedela Renaissance a pour représentants:pourlesauteurs, Andréa Pisano,1270-1545; — Ghiberti,1378-1455; — Donatello, 1585-1406 ; — Luca RocaRobbia, 1588-1450;— Verrochio,1452— 1488; Fiesole,1446-1486; — Jeande Bologne,1524-1608; — et Pourlesouvrages: UneViergeenterre rougeet un bas-reMichel-Ange. liefen marbre,de Donatello,représentantla Viergeet l'enfant Jésus; liessculptures en faïenceet uneterre cuite: la Viergeet les Anges,de LucadellaRobbia; une Vierge,deMinodeFiesole; une grandecomposition: Jésusau Jardin desOliviersavecses Apôtres,attribuée!à Verrochio enterrecuite: représentantla Viergeet quatre ; un petitbas-relief saints,deGhiberti,et enfinunbas-reliefen marbre,qui n'est qu'une finies,c'estla Vierge esquisse,maisune esquissevalantbiendesoeuvres assise et l'enfantJésus. La puissancede la composition, la touchehardie et vigoureuse attestentqu'un grandartiste, un grandgénie seul a pu fairecettesimplecomposition, empreintede tant de grandeur,et que ce grandartisteest Michel-Ange. Toutl'intérêtde la collectiondes peinturesconsistedansl'ensemble detableauxprimitifsqu'ellecontient.Onpeutétudierla naissance complet etledéveloppement progressifdecettegrandeet splendideécoleitalienne, depuis Jacopettode Spoletto,Margheritone d'Arezzoet Cimabuë,jusqu'à Bellini et Pérugin. Lespeinturesdes quatorzeet quinzièmesièclessontencoredédaignées cheznous;onn'a pas appris à lesconnaître,fautededocuments sérieux pourfaireappréciercesoeuvrespleinesde séve, d'originalitéet de poésie, cachées sousla sécheressedeslignes,l'imperfection dudessinet lemanque L'oeilhabituéà l'harmoniebrillante,à lasuaveexpression deperspective. despeinturesdela Renaissance,estd'abordblessépar lemanquede pitdespeinturesprimitives; maisa-t-ilvainculapremièresensation, toresque il découvre bientôtdu style dansces compositionsbizarres,enfantines.


— 84 — et il saisitle sentimentdistinctifqui fécondeles compositionsde ces écolessérieuses,oùtout étaitcroyancesansbornesetfoiaveugle. La collectiontrès-complètedes primitifs,nousoffreune suite chronologiquedes treizième,quatorzième, quinzième,seizièmeet dix-septième siècles;desécolesbyzantines,toscanes,vénitiennes,ferraraises,lombardes, bolonaises, etdunord ombriennes,florentines,romaines,vénitiennes de l'Italie; desécolesespagnoleset flamandes.Poussin,ClaudeGelée, SalvatorRosareprésententle paysage. Nousallonsciterlesprincipauxartistes,les principauxtableaux; le,choix est difficile:tous ces artistessontdes maîtres et touscestableauxdes chefs-d'oeuvre.

Commençons par le Saint Christophede CIMABUË. L'artiste,élèvedes artistesgrecset de Margheritone d'Arezzo,a exécutécette peinture,à l'encaustique,sur un murde,samaisonde Florence(ViaBorgoAllegro); ellea été détachéeen 1555.C'estune desoeuvreslesplus remarquables du fondateurdel'écoleitalienne. La Viergeet l'enfant. Jésusadoréspar les Anges,undes rarestableauxréellementauthentiquesde GIOTTO DIBONDONE. Cemaitre estné dansle villagede ce nom,communede Vespignano,dansle valde Mugello, en 1276, etestmort en 1336. ANGIOLO né à Florenceen 1324,mort en 1587, imitalestylede GADDI, : DeuxSaints et uneFemmeprosternéeà leurs Giotto;sa composition pieds, le prouve. Un progrèssensible,sur cesdernièresoeuvres, se fait remarquerdans de ANDRÉA les compositions maîtrenéà Florence en 1329,mort ORCAGNA, en 1389.La Viergeallaitant, l'Enfant Jésus, de ce peintre,estuntableaudontl'authenticiténesauraitêtre miseendoute.SonPapeestd'un fairehardiet viril. La Viergeadorée par saint Jean, saint Jérômeet les angesestune composition capitalesur laquelleon lit au bas; S. Joann.Rapt. Questa tavolaa fatta fare Rinieri Oliva di Pietro Rinieri cittadinoflorentino. P. T. MR.S. Hyeronimusdoct. Cetableauest de ANTONIO VENEnéà Florenceen 1519, mort en 1585, élèvede Gaddi.Sonloue ZIANO, séjourà Veniselui valut sonsurnom.Cefut lui qui terminales fresques de Saint-Ranier,commencées par SimonMemmi. Est remarquablecommesentiment,l'Annonciationde MEMMI, appelé aussiSIMON DESIENNE, maisdont le vrainomestSIMON DEMARTINO. C'est l'auteurdes peinturesdu CampoSantode Pise, élèvede Giottoet amide Pétrarque;il estnéà Sienneen 1284,et mort à Avignonen 1544.Il ya de LippoMemmi,frèredu précédent,untableauet trois panneaux. Unpanneau,deforme,triptyquesur fondd'or, de GHERRARDO STARNINA da l'amicale: 1354-1407,élèved'AntonioVenezianoet maîtrede Mazolino


— 85 — quelques panneauxde CenninoCennini,élèvede d'AngioloGaddi,auteur del'époquedesGaddi,captivent d'untraitéde peinture;et diversesoeuvres titres. àdifférents Quelques épisodesde la vie de saint Jérômecomposentcinqsujets d'uneconservation Ils proviennent,cestableaux, exceptionnelle. religieux dela galerieRinucci,de Florence;ils sontde SANO OUANSANO DIPIETRO, peintre,orfèvre,fondeur et sculpteur, né à Sienne en 1424, mort en 1482. GOZZOLI, L'Annonciation porte ladatede 1475; mystique,deBENOZZO aubas,dansun petitcarré, est figuréun petit crucifix.Ce peintre,néà futélèvedefra Angelico;il travaillaà Romeet se fixaà Pise, Florence, oùil mourut.Onignore les dates de sa naissanceet de sa mort.BONGLi,névers 1420,morten 1496, atraité lemêmesujet. Onneconnaît guèredecet émuledu Péruginquelesfresquesde Pérouse,dansle local au collégedes notaires. servantaujourd'huid'imprimerieet appartenant, achetée Uneoeuvrecapitaleest celle a San Girolano,prèsFiesole,par M.Campana, et portantencorelesarmesde Comede Médicis;elleestde FRA GlOVANNI dit ILBEATA ANGLICO, DAFlESOLE, né à Fiesoleen 1587, morten 1458.La saintetéde sa vie, la douceuret la grâcede sa peinture,luivalurentsousurnom.La Viergeassisesur un trône avecson divinenfantest unedeseouvresles plus considérablesdu doux maître, à Florence. aprèslesfresquesdu couventde Saint-Marc, ANDRÉA élèvede mort en 1480. né à Castagno, DEL CASTAGNO, Masaccio, nommé aussiANDREA DEGL' IMPICCATI, est représentéparun SaintJérôme enprière, d'une grandevaleur. Touteslespéripétiesde l'histoirede Suzannesont reproduitesdansun tableau les diviséen petitscompartiments;c'est une des compositions plusnaïvesdecetteépoque. Sontremarquables:les Crivilli,Vénitiensprimitifs,etsurtoutuneBataille,dePAOLO curieuxdocumentpour l'archéologie.Cetableau UCCELO, donneles costumesmilitaireset bizarresde la Romagne,au quinzième siècle.PAOLO UCCELLO est ne à Florenceen 1589, et.morten 1472.Cette grandecomposition est l'une des quatrecélèbresbataillesdont faitmentionVASARI. Uneautre de ces bataillesse trouve dans la galerie de Florence;unetroisièmedans la galerie nationalede Londres;la quatrième,en très-mauvais état, appartientà M.Lombardi,à Florence. Mentionnons la Crèche,deANDRÉA Verrochio,Florentin,orfèvre,sculpteuret peintre,né en 1452,morten 1488,ancêtreartistiquedeLéonard. ALESSANDRO né a Florenceen 1457, dit SANDRO BOTTICELLI, FILIPEPI, morten 1515,figurepar trois épisodesde l'histoirede Virginie,une viergeet une Vénus.Cettedernièreoeuvreoriginale,bizarred'arrangement,singulièrede couleur,est cependantd'unstyleremarquable.


— 86 — Trois panneaux,dont le plus remarquable,l'Adorationdes mages, né à Cortone,vers la lin du quinzièmesiècle, sontde LUCA SIGNORELLI, élèvede PIETRO dellaFrancesca,l'un des plus savantsdessinateurs de l'écoleflorentine.Michel-Ange n'a pasdédaignéd'imiterquelquesfresques peintespar Signorelli,danslacathédraled'Orvieto. touchantede mélancoliedela Viergede FilippoLippi,reL'expression néà Florenceen 1402,morten 1409, l'a faitattribuer carmélite, ligieux à Botticelli. auntaL'amidu Péruginet de Léonardde Vinci, LORENZO DI CREDI bleaudont le sujet est connusousle nomdenolime tangere.Cetableau est un chef-d'oeuvre. Rienn'égalela grace suaveet touchante,le charme angéliquedela le maîtrede Michel-Ange, néeu Vierge aux enfants, de Ghirlandajo, 1449, mort en 1498. de Forli; ce nomrappelle une puissanteoriginalité;néen MELOZZO, élèvedePietrodellaFrancesca, il a laissédes travauxremarquables 1440, à Rome,au Vaticanet aux Saints-Apôtres; mais on manquede détails sur ce grandartiste. Ilvivaiten 1490et mourut,croit-on, biographiques à l'âgede cinquante-deuxans. Ona de lui quatorzeportraits qui,d'après une opinionaccréditée,auraientorné, avecquatorzeautresportraits semblables,la bibliothèquedesducs d'Urbin, et seraient passésensuite dansla familleBarberini.En 1812, la moitiéde cetensembleéchutàla familleBarberiniColonnade Sciarra; ce sontcesderniersquisontvennus enrichirla collection Campana;lesautres sontencoreaujourd'huichezle Barberini.Ces prince portraits;sont certainementantérieursà Raphaël. qui très-jeuneencoresansdoutea fait d'aprèseuxdesétudesà la plume, à l'Académie de Venise,et qui ont été publiéesen fut' qui sontconservées similepar Zanotto.L'attributionà Melozzoest baséeen grandepartiesur la ressemblancequel'on remarqueentre le portraitde SixteIV,appartenant à cette collection,et celuidumême papedansla fresquedelabibliothèqueduVatican,unsdernièrementsur toileet conservéaujourd'hui dansla galeriede pointuredece palais. LeJugement de Daniel,le Jugementde Salomon,deux beauxportraits. Saint-Léonard et Saint-Jacques,et une jolie Viergesont de le collaborateur de Raphaël,à la sacristiedeSienne. PINTURICCHIO, DuPERUGIN, on a deuxtableaux:Une Viergeet la Barquede Jésuset deSaintPierre. Uncharmantportrait de Raphael, parsonpère, nous donneune idéeexactedu grand maîtreenfant.UneViergede Raphael. faiteà l'âgedoseizeans (S. G. D. G.) attiretousles yeux. — troisgouachesde BALCitonsencoreune ViergedefraBARTOLOMEO; — — uneSainteCaun DAZZARE CARRACHE; PERUZZI; moine, d'AUGUSTIN therineet un portrait, d'ANDRÉ DELSARTE par lui-même;— uneVierge. — un portraitde — une esquisse,du CORRÉGE; d'ANDRÉ DESALERNE:


— 87 — FRANCIA, par lui-même;— un portraitde TITIEN;—deux tableaux,de — un CARPACCIO; —une Vierge,de SODOMA;— un tableau SANTA-CROCE; de l'Adoration des mages,en costumesd'Henri III, par DossoDossi;— — un CIMA uneCléopatre,deCESARE DASESTO; DA et unTINCONEGLIANO, — un charmant de LORRAIN, TORET; paysage, CLAUDE l'Aube;— une — un Cigoli;— des SainteCatherine,de Sienne, donnéeà ZURBARAN; — — de la desgouaches campagneromaine,par G.POUSSIN; CARLO-DOLCI; — unSALVATOR un CLAUDE au GELÉE; ROSA; —Suzannesurprise bain, de. —un PHILIPPE — un VAN-DYCK; P.P.RUBENS; DECAMPAGNE; — unDAVID — un DOMINIQUIN; — un MURILLO; — un RIBERA: — un FRANTENIERS; — plusieursGUIDO — deuxCORREGGIO; —deuxLÉOCESCO ALBANI; RÉNI; — — une DE deuxPAOLO et têtede vieille VINCI; VERONÈSE; NARD femme, Commeonle voit, toutes lesécoleset tousles grands deMICHEL-ANGE. sontreprésentésau MuséeNapoléonIII. peintres Quineconnaîtuneou plusieurspartiesde la colonneTrajane?N'a-tellepasété reproduitepartiellementparla lithographie,la peintureet la ?AuMuséeNapoléonIII, elleest là entière,en trois cents morgravure ceaux.Pourla première,on peut se rendre comptede ce monument onpeutétudierla viemilitairedessoldatsromainset barbares étrange, danssespluspetits détails.Laguerre deDacieest là, reproduitedansle c'estunehistoire,celà, et unehistoireimpartiale.Cesplâtresnous plâtre; montrent lesmachinesde guerre,les armes, les manoeuvres du soldat, sa manièrede se retrancheret de donnerl'assauten faisantla tortue; ilsnousapprennentaussila façoninhumainedonton traitaitlesvaincus. Cemoulage est uneheureuseidée, il permetd'étudierun curieuxmonument ; àRomemême quejusqu'icionne connaissait qu'imparfaitement onn'enpeutvoirquela partieinférieure. Lesmissions complètentl'ensembledu MuséeNapoléonIII. MM.Heuà l'extrézey,Daumet,Perrotet Guillaumeont organiséleur exposition mitédela galerie. et Daumetontdisposé,dansuneenceintecirculaire,la reMM. Heuzey construction architecturale,danssa grandeuroriginale,du tombeaugrec découvert ils y ontplacé,dansl'ordre primitif,tous pareuxen Macédoine; lesobjets qu'ilsy ont trouvés,précieuxfragmentsde l'art grec du temps d'Alexandre ; leur travaildonnedoncune idéetrès-exactede la décoraliondestombeauxdecetteépoque. M.Guillaume, ancienélèvede Rome,a reproduit, lui aussi, dans la grandeur originale,les murs d'Angora,où a été découverteet relevée, parM.Perrot,la fameuseinscriptiondu testamentd'Auguste.Lesdessinsetles photographies des paysexplorés,desmonumentsreconnusen Asie le Mineure, par jeune savantetle jeuneartiste, sont exposésautour delasalle. Lacollectionde M.Renanétant en grandepartie composéed'objets toutesles tenturesde cette salle ont été misesde couleur funéraires,


— 88 — sombre;on a mêmepoussél'archaïsmejusqu'ilsimulerdescryptespour lessarcophages. Sur unedes pierrestumulairesdecetteexposition,on voitl'épigraphe de Sérapion,maître,d'écoleà Byblos,et de sa femmeDionysa.Sontreornés de guirlandes,defleuronsetdetètes marquables,deuxsarcophages d'animauxen hautrelief, provenantdesfouillesde la nécropole deSidon. Cessarcophagesdatant de la dominationromaine,ne peuventdonner uneidéede l'art chezles Tyriens. Ily a là beaucoupdecestombescreusées,rappelantles gainessirichementpeintesdesmomiesd'Egypte; plusieurscippesgarnisd'inscriptions grecques. Lesarmesd'Ornithopolis étaient un oiseauet une cage; un bas-relief représentantcesobjetsestlà exposé.Il a été trouvéentre Tyr etScripta; il feraitsupposerque la villeOrnithopolis étaitsituée dans cet endroit. Uneimmensemosaïque,trouvéeprèsdutombeaud'Hiram,prèsdeSour, attiretous les yeuxpar ses proportionsgigantesques.Cemagnifique ouvragecouvraitl'aire d'un péristyleet de ses bas-côtés;il représenteles douzemois,les quatresaisonset les quatrevents. Dansunevitrinesontdes bijoux,desvases,desarmes,diversfragments, enfouisdepuisdes siècles,et desbas-reliefsreprésentantdes scènesrelid'unart indigène; ilspermettront ans gieuseset funèbres,rares spécimens de reconstruirel'histoireen fouillantdanslesnuitsdupassé. archéologues Telssontlesélémentsdisparatesqui composent le MuséeNapoléonIII. Bienqu'imparfaitement, nous ayonspu faire apprécierla valeurintrinsèque de chaquesérie, on pourrapeut-êtrese rendre comptede son mériteet de la penséequia présidéà l'achatde cesrichesmatériaux rendus à lascience.Car,bienque renfermantdes oeuvres d'uneincontestable valeur,ce Muséea plusdevaleurau pointdevuede,l'histoiredel'artque de l'art lui-même.La curiosité,plusque l'admiration,serasatisfaite; les trouverontunesourceféconde artistes de l es archéologues y documents; le consulteront peu. C'estl'histoire non-seulementde l'art, mais de différentspeuples, écrite en caractèresauthentiques,indélébiles.Quelvaste champouvert aux conjectures,aux études! la nulles,sansvaleuret d'unenaissanceapocryphe, Epuréedesoeuvres collectionCampana,réuniedansune desgaleriesdu Louvre,formeraun muséeuniqueaumonde.Ceserait,doncau pointdevuescientifique qu'on devraitféliciterle gouvernement del'achatde cettecollection,et lesadministrateursde l'arrangementdumagnifiqueensemblequ'elleprésente, si, l'un et l'autre n'avaientdéjà trouvéleur récompensedansl'intérêt qu'elle provoquaet dans les questionsintéressantesqu'elle souleva: questionsquirehaussentencorela valeurspécialeduMuséeNapoléon III. A. ANDREÏ. 1. PARIS IMP. SIMON BACON ETCOMP. RUE D'ERFURTH


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PROCES-VERBAUX.

SÉANCEDU MARDI21 OCTOBRE1862, — Bulletinn° 714. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. Laséance est ouverte à huit, heures et demie: Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté; Ilest procédé au dépouillement de la correspondance, qui comprend: 1° Une lettre de M. Vidal, secrétaire général de l'Union desarts de Marseille, faisant réponse à celle de M. le Président, et par laquelle il exprime son vif désir d'établir des relations confraternelles avec toutes les sociétés savantes. 2° Trois numéros du journal anglais The Builder; renvoyé à M.Dufour, rapporteur ordinaire. 3° Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny; à M. Maillet, et, à ce propos, M. le Président fait rectifierle nom du secrétaire général de cette société, le docteur Bertherand. 4° Un choeur à quatre voix, de M. E. d'Ingrandes, intitulé On ne meurt pas; à M. Delaire. 5° Indication de la deuxième exposition des arts industriels pour l'année 1805, adressée par M. Théodore Labourieux, et dans laquelle le Président figure au nombre des membres formant la commission de cette exposition. 6° Journal de la Société impériale et centrale d'Horticulture. — N°6. NOVEMBRE.


— 90 — 1° Trois numéros du Messager des théâtres. Ces deux dernières publications sont déposées aux archives. La correspondance étant épuisée, il est donné lecture d'un rapport par M. Maillet, sur le trente-quatrième volume de l'Académie d'Arras; ce volume sera déposé aux archives, et le rapport inséré dans nos Annales. COMMUNICATIONS. M. Fayet dépose sur le bureau la demande d'admission, comme membre dans la section de peinture, de M. Clément Firmin Garnier. À l'effet d'examiner les litres du postulant, il est nommé une commission composée de MM. Horsin-Déon, président de la section de peinture, Dubouloz et Andréï. La Société s'occupe ensuite de l'organisation des séances musicales mensuelles. Il est arrêté : 1° Une soirée musicale sera donnée tons les quatrièmes mardis de chaque mois, à partir du mardi 25 novembre jusqu'au mardi 28 avril inclusivement. 2° Des billets seront imprimés à cet effet. 5° Chaque membre aura droit à un nombre de billets dont le chiffre sera fixé dans la prochaine séance. 4° La distribution de ces billets aura lieu à la séance du troisième mardi du mois, et MM. les membres sont expressément invités à venir les réclamer. Rien n'étant plus à l'ordre du jour, la séance est levéeà dix heures. L'un des secrétaires, J. E. LAMI.

SÉANCEDU MARDI4 NOVEMBRE1862. — Bulletinn° 715. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures et demie; Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté;


— 91 — Il est procédé au dépouillement, de la correspondance, qui comprend : 1° Trois numéros du journal anglais The Builder; renvoyéà M. Dufour, rapporteur ordinaire; 2° Bulletin de la Société française de photographie; à M. de la Blanchère; 5° La Revue artistique ; à M. Maillet; 4° Le Messager des théâtres; 5° Deux exemplaires du Bulletin des séances de la Société impériale et centrale d'Agriculture; 6° Catalogue d'un riche cabinet d'antiquités de tableaux. Ces trois dernières publications sont renvoyées aux Archives. La correspondance étant épuisée, M. le président donne lecture de la feuille de présentation de M. Firmin Garnier. Onpasse au vote secret, et M. Firmin Garnier, peintre, est élu membre résidant; avis lui en sera donné par le secrétaire. Relativement aux séances mensuelles publiques du quatrième mardi, il est décidé que les billets d'entrée seront de différentes couleurs chaque mois, que sauf à modifier plus tard, s'il y a lieu, il sera remis trois billets à chaque membre titulaireetdeux à chacun des membres honoraires ou associés. Lesquels billets ne seront valables que s'ils portent la signature du sociétaire qui les aura donnés. Les sociétaires, en s'adressant aux commissaires de la séance, seront admis en justifiant de leur titre de membres. Sont nommés commissaires pour la première séance du 25 courant, MM. Dufour, Andréï, Lami. La parole est ensuite donnée à MM.les rapporteurs. M. Dubouloz lit un rapport sur un ouvrage de M. Chenavart, architecte à Lyon, membre correspondant, intitulé : Compositionshistoriques. Ce rapport est vivement applaudi,


— 92 — et mérite à son auteur, ainsi qu'au talent de M. Chenavart, les plus sincères félicitations. L'ouvrage sera déposé aux Archives et le rapport inséré dans les Annales. M. Villemsens propose le dépôt aux archives du dernier numéro du Conseiller des artistes. Il regrette que les fragments de sa pièce en vers, les Soeurs de charité, qui y sont insérés, ne soient pas entièrement exacts. M. Granger chargé, au nom d'une commission, de faire un rapport sur les nouveaux théâtres de Paris, donne lecture de ce qui est relatif au théâtre de la place du Châtelet. Ce travail, qui excite au plus haut degré l'intérêt de la Société, est vivement applaudi et sera inséré dans les Annales. A cet effet, M. Chamerlat fait observer que l'éclairage dont il est question a déjà reçu, et depuis longtemps, son application; le rapporteur, du reste, ne le cite pas comme étant nouveau. M. Bayard de la Vingterie lit une notice de sa composition, ayant pour titre : La bijouterie étrusque au musée Campana. Le but de l'auteur est de prouver l'influence que ces spécimens de l'art antique peuvent exercer sur l'art industriel français dont la suprématie est gravement compromise depuis la dernière exposition universelle. Il émet le voeu qu'un Musée industriel, analogue à celui de Kensington, soit créé an Louvre, pour combattre les dangers provenant des immenses progrès opérés en Angleterre. M. Willemsens partage entièrement l'avis de M. Bayard de la Vingterie, et cite, comme preuve, les écoles nombreuses et fort bien dirigées, ouvertes dans ce pays à l'étude des beaux-arts. Rien n'étant plus à l'ordre du jour, la séance est levéea 10 heures et demie. L'un des secrétaires, J. E. LAMI.


— 93 —

TRAVAUX

RAPPORT

DE

LA

SOCIÉTÉ.

DE M. MAILLET

SURLETOMEXXXIIIDESMÉMOIRES DEL'ACADÉMIE D'ARRAS. Séance du7 octobre 1862 Messieurs, Le dernier volume que l'Académie d'Arras a publié en 1861, sous le titre de Mémoires, se compose de plus de 400 pages. Il serait donc difficile d'en donner une analyse complète, et je me bornerai à vous indiquer ce qui offre un intérêt particulier. L'ouvrage commence par les lectures faites dans la séance publique de l'Académie d'Arras, le 25 août 1860, savoir: Discoursdu président M. Lecesne; compte rendu des travaux de l'Académie; deux discours de réception de membres nouvellementélus et réponses à ces discours; deux rapports sur desconcours de poésie et d'histoire ; enfin, une gracieuse et élégantepièce de vers, en stances, intitulée Mon chat, composéepar une dame de Beauvais, madame Fanny Dénoix des Vergues. C'est une poésie sans prétention, mais harmonieuse et facile : Je ne puis résister au désir de vous la lire. (Page 159.) Dans les séances hebdomadaires de l'année, j'ai remarqué un rapport sur l'art chrétien dans la Flandre, par M. l'abbé Dehaisnes. Ce savant rapport a été fait par M. l'abbé Van Drival, membre résidant de l'Académie d'Arras. On y trouve de curieuses recherches sur la découverte de la peinture à l'huile, par les Van Eyck, une élude sur le peintre Memling, que M. Dehaisnes appelle le frà Angelico de la Flandre,


— 94 — et une monographie du retable d'Anchin, ayant pour but l'histoire et la description du magnifique tableau à volets qui se voit aujourd'hui dans la sacristie de l'église Notre-Dameà Douai, et qui vient de l'abbaye d'Anchin. L'auteur dece grand tableau est inconnu : on sait seulement que c'est une oeuvre du seizième siècle, que M. Dehaisnes ne craint pas de comparer au chef-d'oeuvre de Raphaël, la Transfiguration. A l'extérieur, le tableau représente le triomphe de la Croix, et à l'intérieur, la gloire de Dieu régnant avec ses Saints. Le tout se compose de 254 figures. Plusieurs autres morceaux contenus dans les Mémoires de l'Académie d'Arras, se rapportent aux sciences et à l'histoire, particulièrement à l'histoire de la Flandre. Je me suis borné à les parcourir rapidement, attendu qu'ils traitent de choses étrangères à la nature de nos travaux. Nous devons nous féliciter, messieurs, d'être en relations avec une Académie où se trouvent des hommes distingués dans les lettres, les sciences et les arts, et qui tend à en propager le goût par des publications savantes. Je ne puis donc que proposer le dépôt aux archives du XXXIIIetome des Mémoires de l'Académie d'Arras. MAILLET.

RAPPORT

DE M. MAILLET

SURLETOME XXXIV DESMÉMOIRES DEL'ACADÉMIE D'ARRAS. Séancedu 21 octobre 1862. Messieurs, Je vous ai entretenus, 'dans notre dernière séance, du XXXIIIetome des Mémoires de l'Académie d'Arras, et je viens aujourd'hui vous parler du tome XXXIV(1862), publié récemment.


— 95 Cevolume contient plusieurs oeuvres remarquables; mais les beaux-arts y occupent peu de place. Cependant, ils sont appréciésavec un sentiment élevé et le goût le plus pur dans une réponse faite par M. Lecesne, président de l'Académie, au discours de réception de M. l'abbé Van Drival. Je vais vous en faire juges en vous lisant quelques-unes des pages de ce discoursbien pensé et élégamment écrit. (Page 45.) « Quand l'art grec a retrouvé ou découvert les sources du beau, c'est par l'élimination successive des ornements parasitesqu'il arrive à l'idéal qu'il poursnit. D'abord il diminue cesformes disproportionnées qui confondent le colossal avec le sublime, puis il porte l'ordre et la régularité dans le chaos desconstructions cyclopéennes et les assujettit non plus à des règlescabalistiques, mais à celles dela raison. Enfin, par un derniereffort de génie, il réalise la fable de Prométhée et va chercher au ciel un rayon de ce feu divin qui vivifieces admirables créations. Alors l'art arrive à son apogée, et le Parthénons'élève sur l'Acropole d'Athènes comme le phare qui doit éclairer tous les siècles. « Si je ne me trompe, le génie grec est arrivé dans les arts nu même résultat que le christianisme dans la religion : il a été grand parce qu'il a été vrai. Mieux qu'un autre, il a su appliquercette règle invariable de l'esthétique : Rienn'est beauque le vrai,le vrai seulest aimable. Et cette vérité, comment l'obtient-il? Par la simplicité. Rien de moins compliqué que l'art grec : si on le dépouille de l'inspirationqui l'environne, il n'y reste que ce que la nature lui a fourni. Ces temples, dont nous admirons les nobles proportions, ne sont que le développement de l'antique chaumière qui a servi d'abri aux premiers hommes; leurs magnifiques colonnadesreproduisent exactement les troncs d'arbres qui formaientles soutiens de tes grossières demeures. Les ornements qui les décorent se distinguent par la sobriété et la symétrie; l'acanthe corinthienne n'a rien d'obscur : une pierre tombée sur une touffe d'herbe en a fourni l'idée. Voyez


— 96 — les frises du Parthénon et les marbres d'Egine : après deux mille ans, on en saisit le sens comme s'ils avaient été exécutés de nos jours. » Je dois mentionner aussi un morceau de poésie sur Jeanne d'Arc, par M. Gustave de Sède, membre résidant. C'est un petit poème en stances de différentes mesures. L'auteur a exprimé en vers simples et harmonieux, l'inspiration, Je courage et le dévouement de l'illustre héroïne. Un savant travail de M. l'abbé Proyart, sur le séjour de Louis XI à Arras en 1463, et plusieurs autres dissertations historiques ou scientifiques sont contenus dans la dernière publication de l'Académie d'Arras, qui se termine par un programme des sujets mis au concours pour des prix à décerner en 4863; savoir : un prix de sciences, un prix d'histoire et un prix de poésie. Ce dernier prix est proposé dans les termes suivants : « Une pièce de 200 vers au moins et de 500 vers au plus, « sur un sujet laissé au choix des concurrents. » « Médaille d'or de la valeur de 200 francs. » En dehors du concours, l'Académie recevra tous les ouvrages inédits (lettres, sciences et arts) qui lui seront adressés. Elle affecte une somme de 600 francs pour être distribuée en médailles, dont la valeur pourra varier, à ceux de ces ouvrages qui lui paraîtront dignes d'une récompense. Les ouvrages envoyés au concours et autres, devront être adressés au secrétaire de l'Académie d'Arras, avant le 1erjuin 1863. Je me résume, en félicitant de nouveau notre Société d'être en relations avec une Académie qui se distingue par des travaux d'un grand intérêt pour les lettres, les arts, l'histoire et l'archéologie. Je ne puis donc que proposer le dépôt aux archives du XXXIVetome des Mémoires de l'Académie d'Arras. MAILLET.


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RAPPORT

DE LA COMMISSION

CHARGÉE D'EXAMINER LES TROIS THEATRES NOUVEAUX — THEATRE — THEATRE DUCHATELET DELAGAITÊ. THEATRE LYRIQUE THÉATRE DUCHATELET. Les théâtres, chez les peuples civilisés, ont toujours été des monuments importants, par leur masse d'abord, par leur destination, qui entraîne après elle des exigences de toutes sortes, et par les richesses de l'art qu'on y doit déployer extérieurementet intérieurement, sans que jamais le public soit sacrifiéà l'artiste. Chez les Romains, ils étaient plus qu'un besoin, puisque le peuple demandait du pain et des spectacles: Panem et circenses. Mais, en Grèce comme à Rome, lesthéâtres étaient construits par des personnages riches ou puissantsqui en faisaient don à leur ville; les magistrats en avaientl'administration et la police; on n'y payait pas sa place, mais on y était classé suivant son rang. Paris, si ce n'est la France entière, tient beaucoup des Grecset des Romains à l'endroit des spectacles; ils sont un besoinpour elle, comme ils sont aussi son orgueil ; car notre théâtreest traduit dans toutes les langues et défraye toutes les scènesdu monde. Il était donc naturel que l'édilité parisienne s'occupât des nouvellessalles à construire, et, qu'avec les ressources dont elledispose, elle avisât à faire ce que des entreprises particulièresn'auraient peut-être pas exécuté aussi facilement qu'elle-même; mais l'élément premier du succès était dans un concours. Ce concours a eu lieu pour l'Opéra, et l'on se demande pourquoi il n'en a pas été de même pour les théâtres nouveaux; car tous les monuments d'une ville doivent contribuer à sa splendeur, et l'on ne saurait s'entourer de trop de lumières, lorsqu'il s'agit de la solution d'un problème ! qui n'est pas encore résolu.


- 98 — A quoi sert-il donc d'avoir une école des Beaux-Arts, où tous les prix se donnent au concours ; à quoi sert-il d'entretenir à grands frais, en Italie, pendant plusieurs années, des artistes dont les oeuvres ont été couronnées, si nous ne devons pas profiter de leurs talents, et si nous ne devons leur laisser que la perspective de mettre des murs d'aplomb, de l'airedes boutiques, des calés et des maisons pour les particuliers, en rivalité de maçons intelligents, qu'ils rencontrent toujours sur leur chemin et qui les priment avec leur argent? On se plaint de la décadence de l'art, et, quand l'occasion de la stimuler se présente, quand il y a trois monuments à élever, on en donne deux à un seul individu à qui déjà on avait donné une fontaine monumentale qui n'a satisfait ni les artistes ni le public. Cet architecte a certainement du talent; mais un concours, en le stimulant encore, aurait peut-être doublé ses forces, et, s'il avait triomphé, nous aurions eu, à n'en pas douter, quelque chose de meilleur que les deux théâtres construits sur la rive droite de la Seine. Le théâtre du Châtelet, destiné à reproduire le plus possible des épisodes militaires empruntés à nos annales et principalement à ce siècle, aurait dû, à cause de cela môme, s'appeler Théâtre-Historique. C'est un rectangle d'environ 40 mètres de face sur 85 mètres de côté. Mais, par une fatalité qu'on ne saurait trop déplorer, l'édilité en a fait un palais marchand qui renferme même deux hôtels garnis, ce qui lui enlève son caractère monumental, et a privé le public d'avoir, comme à l'Odéon, une galerie circulaire sur laquelle auraient abouti de nombreuses sorties, indispensables pour un théâtre, et surtout pour celui-ci, qui, dans un grand nombre de ses ouvrages, tire beaucoup de coups de fusil, voire même de canon, et simule des incendies; ce qui, malgré toutes les précautions que l'on peut prendre, le destine à être un jour la proie des flammes, pendant ou après la représentation, incendie auquel les boutiques elles-mêmes pourront contribuer ou donner naissance. Nous serions bien embarrassés de dire à quel ordre d'ar-


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chitecturel'artiste a donné la préférence; nous croyons qu'il a faitde l'architecture fantaisiste; ce dont nous ne le blâmerions pas, car l'esthétique peut parfaitement se satisfaire avecdes emprunts judicieusement faits ici et là, comme elle peutse contenter d'un style pur et connu ; mais là est la difficulté,car la route n'étant pas tracée, c'est à l'artisan à s'en l'aireune, et comme alors il fait du nouveau, on est d'autant plusexigeant. Le monument tout entier repose sur des piliers carrés, surmontésd'un arc surbaissé, et il est à regretter que ces piliers, pour diminuer leur froideur et leur nudité, ne soient pas un peu fouillés, afin de simuler une table renfoncée avec moulures, ou qu'ils ne présentent pas des tables saillantes. Dansle grand côté on a pratiqué une voie qui passe sous la salle: c'est l'entrée de l'Empereur. Nous croyons qu'on auraitpu faire mieux que d'accuser ce passage par une grille, et que le monument y aurait gagné; car, tel qu'il est, l'art y laitdéfaut: c'est une grande maison (avec boutiques, et pas autrechose). La façadeest bornée aux deux extrémités par deux avantcorpstrès-peu prononcés comme saillie, mais ayant comme niasseune grande importance. A distance, le sommet paraît garni de créneaux. Dans la partie inférieure on a pratiqué deuxlarges baies : l'une sert déjà d'entrée à un café-restaurant,l'autre emplacement attend un locataire. Cesavant-corps sont ornés d'un balcon, auquel on accède parune longue croisée, que partage malencontreusement une largeplate-bande qui accuse un plafond et un plancher, qu'onaurait dû s'ingénier à dissimuler ; le tout est surmonté un d' plein grandement accusé, dont le milieu est occupé par deuxpalmes. Il était facile de mieux faire, car il n'était pas possibled'imaginer quelque chose de moins heureux. Le tout est relié par deux galeries : l'une au rez-de-chaussée,formée par de larges piliers, dont les retombées accusent un plein cintre, sans solution de continuité. Ces piliers, déjà très-larges,sont coupés à peu près au milieu par une ba-


— 100 — guette accentuée, avec masques, qui, interrompant la ligne ascendante, donne d'autant plus de lourdeur aux piliers. Toute cette partie, froide et commune, est surmontée par une autre galerie, dont les piliers élégis, qui, en plan, forment huit faces, donnent naissance à des arceaux, dont l'ouverture est bien plus grande que celle des arceaux inférieurs. Cet ordonnancement n'appartient à aucun ordre, et comme ces arceaux ne supportent rien, pour ainsi dire, et que leurs piliers reposent sur d'autres piliers d'une grande force,ou ne tremble pour rien, comme dans un porte-à-faux, il n'yen a pas; mais l'harmonie paraît troublée, car l'oeil, ne voyant pas un ensemble, se porte involontairement et alternativement sur la partie inférieure et sur la partie supérieure quila couronne. Tout cela n'a pas même le mérite d'être nouveau, puisque la même faute existe dans la façade du palais des Beaux-Arts, quai Malaquais, dont l'architecte paraît s'être inspiré, car c'est le même ordonnancement dans d'autres proportions; les oeils-de-boeuf mêmes s'y retrouvent, mais en second plan, pour éclairer le foyer. Si, comme on l'a dit, l'architecte a été contrarié, si ses inspirations ont été mutilées, je le plains, il a dû bien souffrir ; mais là serait encore la nécessité d'un concours, car, si ces constructions lui étaient advenues par droit de conquête, il eût été maître de son oeuvre et en droit de repousser ceux qui, ne pouvant rien contre lui, seraient venus lui imposer orgueilleusement leurs idées pour les substituer aux siennes, qui auraient eu le baptême d'un aréopage solidaire, quantà la forme au moins, de l'oeuvre couronnée par eux. Si des monuments de cette importance peuvent êtrel' orgueil d'une cité et la gloire de celui qui les a élevés, ils peuvent être aussi sa couronne d'épines et celle de l'édilité qui s'est fait juge d'une oeuvre encore enfermée dans l'oeufet qu'elle a mal couvé. La grandeur dans les arts est dans la sobriété et le bel ordonnancement des lignes, dont l'ensemble doit concourirà


— 101 — l'effet,et c'est avec regret que l'on aperçoit ces peintures dont on a cru devoir orner la galerie; elles sont mauvaises commelignes, ne se marient avec rien, et du dehors produisentl'effet de feuilles de paravent. Nous croyons que les peinturesmurales extérieures sont une mauvaise chose partout, maissurtout sous un climat comme le nôtre, témoin celles exécutéessous le portail de Saint-Germain l'Auxerrois; l'architecturen'a pas besoin du renfort de la peinture, elle ne doit rien emprunter qu'à elle-même, et la gamine de tons dontdispose cette dernière distrait l'observateur, qui, au lieu de jouir d'un ensemble, voit des tableaux qui lui cachent le monument; la peinture n'est véritablement à sa place que dansl'intérieur, et là où elle ne rompt pas la ligne architecturale. Nouscroyons donc qu'il eût été mieux de répéter sur les paroisintérieures de cette grande salle la décoration extérieure seulement, et d'en garnir les vides avec des trophées variés;cela aurait été d'un très-bon effet et parfaitement appropriéau genre en honneur dans ce théâtre, comme au publicqui le fréquente. Lesgrands côtés du monument ont trois étages, vingt-deux croisées,sept balcons ; les croisées sont surmontées alternativement, au premier, par des frontons cintrés et triangulaires,leurs chambranles sont plats et simulent des pilastres carrés,sur lesquels reposeraient le couronnement que je viens de signaler; c'était le cas de relier tous ces couronnements entre eux par un système de lignes vigoureusement accentuées,commeon le voit souvent, et ces lignes sont d'un trèsboneffet sur de grandes surfaces, dont elles rompent la monotonieet la froideur. Lescroisées du second n'ont pas le couronnement du premier,leurs chambranles en sont larges et plats, avec un petit ornement courant. Quantau troisième, les croisées en sont presque carrées, et chaque trumeau orné d'un large petit pilastre cannelé ; tout cet étage est entre deux corniches, dont la dernière, la plus élevée,est d'une maigreur regrettable.


— 102 — Nous ne croyons pas nécessaire d'entrer dans plus de détails; nous allons pénétrer dans l'intérieur. Constatons d'abord deux vestibules : le premier renferme deux bureaux de distribution de billets ; il est donc destinéà recevoir le public, qui, après avoir payé sa place, est introduit dans un autre vestibule orné de colonnes en marbre ou stuc, dans lequel aboutissent, deux larges escaliers droitsen pierre, à l'aide desquels on accède au plus grand nombre de places. Cevestibule a bon air. L'aspect de la salle est charmant; elle n'a pas d'avant-scène, sa forme est un peu en fer à cheval, la hauteur est considérable, la décoration d'une grande sobriété et du meilleur goût, tout l'espace autrefois réservé à l'orchestre et au parterre est entièrement occupé par les fauteuils et stalles d'orchestre, dont le siège se redresse aussitôt que se lève celui qui l'occupait ; à l'aide de ce la circulation est plus facile, mais l'espace n'est pas plus grand que par le passé; ce système a du bon; mais, si l'on oublie que le siège est levéet que l'on veuille s'asseoir, on est exposé à tomber, ce qui est déjà arrivé plusieurs fois. La salle est parfaitement appropriée d'intention au public qui la fréquente, puisqu'il n'y a qu'un rang de loges, des galeries et amphithéâtres ; mais la première galerie, ainsi que les loges, avance sur le rez-de-chaussée, et ceux qui y sont entassés, ainsi qu'au parterre, ne voient pas la salle, maisles premiers plans de la scène et une partie des personnages, c'est-à-dire les pieds. — Quant aux amphithéâtres, les banquettes en sont trop rapprochées, et les genoux, forcés de se porter en avant, donnent dans le dos de celui ou de cellequi est assis devant; ajoutez que, pour aller' à sa place ou pour en sortir, le moindre faux pas peut vous précipiter de haut en bas. A qui attribuer ces tortures qu'il faut endurer pendant la représentation, et que l'on peut comparer à celles que I'on ? éprouve dans la boîte où vous met le maître à danser Nous sommes portés à croire que ce n'est pas à l'architecte; mais, quand on pense qu'il y a eu commission sur commission pour contrôler les dispositions intérieures de cette salle et des au-


— 103 — tres, on est en droit de s'indigner d'une pareille incurie. Nous avons loué avec raison l'aspect général de la salle et lebon goût de sa décoration, voilà pour l'architecte, c'est son oeuvre,c'est sa conception artistique; mais nous croyons que rien n'en aurait été altéré si, laissant moins de hauteur aux amphithéâtres, et de profondeur par conséquent, on avait fait des galeries avec quatre rangs de banquettes au plus, puisque l'on tient à avoir beaucoup de monde. Nous n'en persistons pas moins à croire et à proclamer que les galeries en dehors de la perpendiculaire des loges sontune mauvaise chose pour les spectateurs qui sont derrièreou dessous. Nousne comprenons pas pourquoi il faut toujours monter etdescendre pour se rendre aux places d'amphithéâtre; il noussemble qu'il eût été plus simple d'arriver de plain-pied d'abord et de descendre par un large emmarchement qui auraitservi pour accéder à toutes les places. Celtesalle contient deux foyers et deux terrasses ; c'est certainementune heureuse innovation ; mais il aurait fallu aviserd'abord à mettre certains spectateurs plus à l'aise et leur ménagerla facilité de jouir du spectacle sans fatigue. On a dit à l'architecte : Je veux tant de places; et il les a faitescomme il a pu les faire ; mais, comme un vase ne peut contenirqu'une certaine quantité de liquide, sous peine de déborder,de même, dans un espace donné, on ne peut mettre qu'un certain nombre de spectateurs, dont le trop-plein amènerades malheurs que l'on pourrait éviter. La loge impériale est en face de la scène; ce n'est pas une innovation, et M. Baraguay l'avait placée ainsi, lors de la réédificationde la salle de l'Odéon. Sans aucun doute, le souverainne va pas toujours au spectacle avec un appareil princier, il lui convient souvent d'y aller incognito, pour ainsidire; dans ce dernier cas, il peut s'isoler autant qu'avec 'ancienne distribution; mais, s'il veut y venir avec sa cour, il devientfacile, au moyen de certaines dispositions, de donner à la soirée un appareil grandiose, qu'on ne saurait obtenir de l'ancienne loge d'avant-scène.


— 104 — Les grandes réunions vicient fatalement l'air respirable, et, l'éclairage aidant, la chaleur et l'air y deviennent insupportables. Le pins simple et le plus énergique moyen pour combatlre ces deux fléaux était de supprimer tous les becsde gaz qui brûlaient dans la salle et surtout le lustre, qui avait le double inconvénient de gêner les spectateurs, de produire beaucoup de chaleur et des gaz délétères; il fallait, en outre, renouveler l'air de la salle; on y est parvenu au moyen de ventilateurs puissants et de nombreuses ouvertures, dans lesquelles les gaz se précipitent pour en sortir par des voies d'appel habilement ménagées. Au Théâlre-Lyrique, où le même moyen de ventilation est pratiqué, on a déjà introduit quelques modifications que l'expérience devait indiquer; somme toute, il y a, sousle rapport hygiénique, de grandes améliorations. Quant à l'éclairage, nous en sommes les partisans ; la salle n'a pas un aussi grand air de fête qu'avec l'ancien système, c'est incontestable, mais la salle est très-bien éclairée, sans que les feux et l'odeur puissent incommoder personne, attendu que tout l'appareil est dans le cintre et que la flamme de ses becs nombreux se projette sur des verres dépolis, dont l'ensemble forme une ellipse placée au centre de la coupole de la salle. Le foyer des premières places est spacieux, mais manque d'un peu de largeur, deux mètres lui auraient été d'un grand secours; le plafond est à caissons, il a une belle hauteur, mais les portes d'entrée sont ici, comme dans tout le théâtre, plus larges que hautes, ce qui choque l'oeil le moins exercé. Ce manque de proportions tient à ce qu'un corridor coupele foyer en deux dans sa hauteur, et que l'architecte a voulu donner à cet étage la vue du foyer par de très-jolis logesou balcons; mais nous croyons qu'il eût été mieux d'obéir aux règles de l'art d'abord, dont on ne doit pas s'affranchir et qu'on devait voir en pratique ici surtout, car il fallait justifier une prédilection. On a disposé dans les corridors et leurs dépendances tous les cabinets nécessaires; mais, nous le disons avec un vif re-


— 103 — gret,on a omis de rien installer aux abords de la salle pour leflotqui eu sort dans les entr'actes; c'est une négligence impardonnablequi mettra le public en droit de répondre aux sergentsde ville : « Nécessité n'a point de loi. » Lu public a été sacrilié dans les entrées et dans les sorties desamphithéâtres, dans le pourtour et dans le parterre, auquel on fait une cruelle et injuste guerre, bien qu'on lui demandeun prix exorbitant, deux francs, pour ne pas voir le centièmede ce qu'il voyait autrefois! On nous avait dit que, comme en Allemagne et en Italie, nous pourrions, dans la journée et sans augmentation, prendre nos places au bureau; non-seulement il n'en est lien, mais les prix sont augmentés. On en reviendra, nous le croyons. A-t-on l'ait quelque chose qui permette de descendre de voitureà couvert? non ! Y a-t-il de nombreuses sorties aboutissantsur une galerie et permettant de monter et descendre sur plusieurs points à la fois? non ! Où est donc le progrès? dansla ventilation et dans l'éclairage, bien que la salle, commenous l'avons dit, soit d'un aspect charmant. Les modèles de salles de spectacle ne manquent pas, on estd'accord sur tout ce qu'elles exigent intérieurement et extérieurement.Joseph de Philippi et plusieurs autres ont très-judicieusementécrit sur ce sujet, mais inutilement, et c'està désespérer de voir une salle de spectacle parfaite, surtout lorsqu'elles ne seront pas données au concours. — lotîtesces observations ne vont pas toutes à l'architecte, en cequ'elles ont de sévère ou même de méticuleux, et nous sommesheureux de proclamer de nouveau qu'on n'a rien faitde mieux encore, mais qu'on espérait davantage. Tous les arts, toutes les sciences ont leur langage, et l'architectureà peut-être seule, avec la musique, des signes particulierspour traduire sa pensée; son alphabet est composé de lignes de toutes sortes parfaitement connues; mais, commeen littérature il ne suffit pas de connaître les lettres, de même, en architecture, il faut savoir assembler les lignes les et approprier à la destination du monument à élever, de — N°6 NOVEMBRE 8


— 106 — telle sorte qu'on puisse dire, en regardant une construction, ceci est une église, ceci est le palais d'un souverain, ceciest le temple où Thémis rend ses arrêts, ceciest un hôpital, ceci est un théâtre, ceci est une prison, etc. L'architecture a donc sa rhétorique, sa prose, ses versificateurs et ses poëtes; ses poëmes héroïques sont les grands monuments, comme ses idylles sont les cabanes du pauvre. On apprend à construire solidement, avec économie même, on apprend à connaître la résistance des matériaux, il y a des règles certaines qui vous enseignent les proportions gracieuses d'une ouverture, quelle qu'elle soit, etc.; mais onnaît architecte comme on naît poëte, et il n'est pas permis à tout le monde d'aller à Corinlhe : Non licet omnibus ire Corinthum.

RAPPORT

DE M. DUBOULOZ

DEM. CHENAVARD, A LYON, SURL'OUVRAGE ARCHITECTE Membre correspondant INTITULE . COMPOSITIONS HISTORIQUES Messieurs, L'oeuvre de M. Chenavard se compose de quarante esquisses au trait, de sujets grecs et romains. J'ai examiné cette oeuvre avec le plus grand soin, et je commence par rendre hommage au sentiment dont l'auteur s'est inspiré. En effet, messieurs, rien n'est plus opportun dans ce moment que de chercher à raviver l'art ancien dont le goût semble tous les jours disparaître. Le flambeau qui devrait nous éclairer est presque entièrement éclipsé par ce qu'on appelle les novateurs; chacun va de son côté; les artistes veulent à tout prix


— 107 — être originaux : ils ne sont que grotesques, (l'est à qui attirera la foule, semblables à ces paillasses que nous voyons dansles l'êtes publiques, cherchant à force de bruit, de grimaceset d'instruments discordants à entraîner le monde. Dansces baraques, l'illusion est de courte durée et le mal n'estpas grand, mais dans les arts il n'en est pas de même; lepublicse fait complice de l'artiste, car, tel qui a acheté un tableau très-cher d'un de messieurs les saltimbanques en peinturefera tous ses efforts pour soutenir sa valeur. C'est pour lui une affaire d'amour-propre et il la résume en une questiond'argent. C'est bien plus grave lorsqu'il, s'agit de la décorationd'un monument. Quel est l'homme de goût qui ne sesentele coeur serré en voyant étalées dans les plus belles églisesde notre capitale des oeuvres extravagantes signées de nomsqui occupent les premières places dans les arts? Voilà oùestle mal! quel exemple pour les élèves! quel résultat pour les études! Nous l'avons vu cette année aux concours pourles prix de Rome : plus de sévérité dans le style, plus decorrection dans le dessin, une faiblesse si grande qu'il a été impossible de donner un premier prix de peinture. Le seultableau passable était presque un tableau de genre. La sculptureétant un art plus positif, qui ne peut pas se passer d'étudessévères, conserve encore sa suprématie; quant à l'architecture,si j'en crois les personnes compétentes, sa faiblesseétait extrême, et cela se comprend, car tout ce que nousvoyons nous prouve que les novateurs ne sont pas heureuxdans ce genre. Je pourrais citer plusieurs monuments tout nouvellement terminés, ou en cours d'exécution, où les architectes,en voulant faire du nouveau, n'ont fait que du ridicule; mais je m'aperçois que devant rendre compte de l'ouvragede M. Chenavard, je parle de toute autre chose, C'estqueje vois des faits si déplorables que quand je trouve l'occasionde protester j'en profite, surtout lorsque tous les jours des journaux vantent des oeuvres qui sont la négation de l'art. On est effrayé en songeant au mal qu'ils font en répandant de fausses doctrines qu'ils inculquent à des milliers de personnes, assez simples pour croire qu'un journal est


— 108 — autre chose que le jugement d'un seul individu, qui souvent ne possède aucune des connaissances nécessaires pour juger une oeuvre d'art. Je reviens à M. Chenavard. Son ouvrage n'est pas une oeuvre d'architecture; il a, par une série de dessins, cherché à reporter les idées vers les anciens dans la composition du bas-relief, et souvent il a réussi à imiter leur style. Certes, je ne suis pas de ceux qui ne jurent que par Athènes et Rome, en fait d'art tous les genres sont bons pourvu que ce soit le génie qui inspire l'artiste; mais je crois qu'il est utile de ne pas abandonner le genre héroïque (comme l'entendaient les anciens) qui doit nous guider dans la peinture monumentale. Les costumes, les usages changent, mais les passions sont toujours les mêmes et tes conditions du beau ne varient pas : la Niobé, le Laocoon, la Vénus de Milo, seront toujours des chefs-d'oeuvre. Les Grecs n'avaient rien de trivial; l'art chez eux était noble partout et toujours; j'ai vu même des charges de corps de garde qui ne manquaient pas d'un certain style : ils se seraient bien gardés d'habiller leurs figures avec des draperies qui ressemblent à des torchons. La pantomime de leurs sujets a toujours quelque chose de réservé. De nos jours les tableaux de Léopold Robert peuvent donner une idée de la manière dont un artiste peut rendre la nature : il a peint des moissonneurs, et je suis sûr que s'il avait fait des casseurs de pierre, il aurait l'ait ressortir la beauté de l'homme sous le costume de la pauvreté. L'école de David a, il est vrai, abusé du style des anciens en l'exagérant, mais est-ce à dire que parce qu'on abuse d'une qualité, cette qualité soit une mauvaise chose? Je félicite donc M. Chenavard de la bonne pensée qui a présidé au choix de ses sujets; plusieurs de ses dessins sont traités avec le goût sévère des bas-reliefs antiques et méritent des éloges. Je citerai la Mort d'une Lesbienne, Thémistocle chez Admète, la Mort d'Alcibiade, Damon et Phintias, Timoléon, Entrevue d'Alexandre et de Diogène, Alexandre fi son médecin Philippe, Phryné devant le tribunal, Numa


Pompilius et la nymphe Egérie, Cléopâlre. au tombeau d'Antoine, le consul Lucius Munatius Plancus fonde la ville de Lugdunum. Les autres sujets laissent à désirer ; il en est même que j'aurais voulu n'y pas voir figurer, tels que Amphion, Iphigénie en Aulide, la dernière journée de Troie, Énée en Thrace. Mais, à part ces quelques taches, l'ouvrage est bien pensé ettrès-intéressant. C'est en plus une bonne action, car dans unsiècleoù l'on brûle de l'encens sur l'autel du réalisme, il y a du courage à suivre la bonne voie.: je propose donc des applaudissementspour l'oeuvre de M. Chenavard et le dépôt aux archives. DUBOULOZ

RAPPORT

DE M. F. VILLEMSENS SU R

LESBULLETINS DELASOCIÉTÉ D'ÉTUDES SCIENTIFIQUES ETARCHÉOLOGIQUES DEDRAGUIGNAN Messieurs, Déjàl'an dernier j'ai eu à vous entretenir des « Bulletins de la Société d'études scientifiques et archéologiques de Draguignan» et de ses admirables observations météorologiques. (Voirnos « Annales » d'août 1861.) Les quatre dernières livraisonsque, suivant votre mandat, je viens d'examiner, présententun égal degré de mérite, mais aussi une semblable circonscription de travaux dans les limites indiquées par le titre même absolument exclusif des beaux-arts. Chacun de ces quatre recueils trimestriels commence par un long chapitre intitulé: Pièces justificatives de l'histoire de Vence, et cette longue suite d'articles qui sont encore à continuern'est que l'appendice de l'histoire même, certaine-


— 110 — ment plus longue encore, de la susdite ville. Celte prédilection locale pour les détails de clocher est, il faut bien le dire, le côté faible des sociétés des départements, et celte remarque est surtout applicable à la Provence: c'est du canton, c'est de la simple commune dont on s'efforce de colliger les moindres circonstances. Je lis, page 559, ce passage d'une lettre fort spirituelle sur les bibliothèques provençales, c'est un Provençal même qui parle : « Sauf de rares exceptions, nos « livres sont exclusivement destinés à décrire minutieuse« ment et pour ainsi dire pierre par pierre, heure par heure « le sol et l'histoire de notre vieille Provence. On s'étonnait « un jour de ne pas voir Tacite dans une de ces biblithèques... « Mais aussi pourquoi Tacite n'était-il pas né en Provence! » Dans une autre série d'articles de M. R. Poulie, sous le titre de Monographies dracénoises, articles aussi érudits que fort étendus, je trouve, page 292, un détail qui me semble assez curieux. M. Poulie aborde les origines de Draguignan aux temps les plus reculés des Gaules, alors que les ancêtres de ses ancêtres ont passé de l'adoration d'une étrange divinité, celle du Dragon, — d'où Draguignan tirerait son étymologie, — à la religion du vrai Dieu sans avoir subi la domination du polythéisme grec ou romain. Au lieu même où, suivant l'auteur, s'élevait un temple dédié au Dragon, fut fondée une église célèbre qui a toujours été depuis sous le vocable de Saint-Michel-Archange... Ingénieuse concordance entre la tradition du triomphe plus ou moins figuratif du prince des anges sur le prince des ténèbres, l'ancien ennemi du genre humain, symbolisé par le dragon. Enfin dans un travail que M. ledocteur Decormisa intitulé : Détails statistiques sur Notre-Dame-de-Grasse, de Cotignac, à la suite de développements circonstanciés et de longues listes des prêtres de l'oratoire, de leurs propriétés, d'inventaires des moindres parties de leur mobilier, de leurs revenus et charges depuis 1661 jusqu'en 1789, je remarque et je vous demande la permission de citer, messieurs, à titre de curiosité archéologique, le menu de la collation offerte par le conseil et le corps municipal de Cotignac au roi Louis XIVet


— 111 — à la reine mère Anne d'Autriche, lors de leur visite à NotreDame-de-Grasse, le 21 février 1660. La dépense de cet humble festin ne s'éleva qu'à la somme de 36 liv. 18 s. En voicila composition d'après la copie authentique d'une pièce officielleconfirmée par l'inspecteur des comptes trésoraires de l'aimée 1660, feuillet 247, article 201. « ROLLE DESDÉPANSES FAICTES POURLACOLATlON DELEURS A NOTRE-DAME-DE-GRASSE. » MAJESTEZ liv. s. d. 1° Ving-quatre poct concfiture dicte Contignac, a 5s. le poct, sy 6 » » 2° Fruicts secq divers 20 boetes, à 10 s. chascune, sy 10 » » 5° Rizins de Marseille montant, sy 1 fi » 4° Pomes et poyres royales montant, sy. . . . » 12 » 5° Ving-quatre douzenes galetes, a 10 s. la 12 » » douzene,sy du a 6° Vin musquas pays, septante boteilles, 2 s. chascune, montant, sy 7 » » Montant trante-six livres dix-huit sols, sy. . 36 18 » Pour festoyer un roi puissant et son impériale mère, quel frugalrepas et quelle modeste dépense, si on les compare, à deux siècles d'intervalle, aux galas olympiens si généreusement prodigués à ses hôtes par ce royaume municipal qu'on nomme la ville de Paris, ou bien aux substantiels banquets offerts, dans la grande cité d'Albion, en l'honneur d'un simple prince par de simples industriels!... Autres temps, autres appétits... Je demande le dépôt de ce léger menu dans nos archives, ou chacun pourra l'examiner de plus près. F. VILLEMSENS.

—TVP, PARIS SIMON RACON ETCOMP., RUE D'ERFURTH, I-



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PROCES-VERBAUX.

SEANCEDU MARDI18 NOVEMBRE1862. — Bulletinn° 716. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. Laséance est ouverte à huit heures et demie : M.C. F. Garnier, peintre, est présent à la séance. M. le président lui adresse quelques paroles auxquelles M. Garnier, faisant réponse, promet à la Société un concours soutenuet dévoué. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté; Il est procédé au dépouillement de la correspondance, qui comprend: 1° Une lettre de M. Berville, secrétaire perpétuel de la Sociétéphilotechnique, adressant, à la Société libre des BeauxArts quatre billets pour la séance publique donnée par la Sociétéphilotechnique, le 25 courant, salle Saint-Jean; 2° Une lettre de M. Maillet, exprimant son regret de ne pouvoirassister à la séance; 3° Une lettre par laquelle mademoiselle Lecran, artiste peintre, membre honoraire de la Société, fait savoir qu'elle vient de terminer au Louvre, pour le gouvernement, une copiedu tableau du Titien, les Pèlerins d'Emaüs, et qu'elle recevraitavec plaisir la visite des membres de la Société. A cet effet, MM.Faillet, Garnier et Chamerlat sont priés de se rendreau désir de mademoiselle Lecran ; 4° Deux numéros du journal anglais The Builder; renvoyés à M.Dufour. —N°7 DECEMBRE 9


— 114 — 5° Bulletin de la Société française de photographie ; à M.de la Blanchère ; 6° Journal de la Société impériale et centrale d'Horticulture; 7° Quatre numéros du Messager des Théâtres. Ces deux dernières publications sont déposées aux archives. La correspondance étant épuisée, M. Granger lit un rapport sur le nouveau Théâtre-Lyrique. Ce rapport, qui est vivement applaudi, sera inséré dans les Annales. L'un des secrétaires, J. E. LAMI.

SÉANCEDU MARDI2 DÉCEMBRE1862. — Bulletinn° 717. — Présidence de M. P. B- Fournier, président. La séance est ouverte à huit heures et demie. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. le président lit un compte rendu de la séance musicale du 25 novembre, lequel sera inséré dans les Annales. Il est procédé au dépouillement de la correspondance qui comprend : 1° Une demande d'admission de M. J. Girard, sculpteur, présentée par MM.Dubouloz et Maillet; 2° Une autre demande de M. L. C. Janet, sculpteur sur bois, présentée par MM. Mayet et Chamerlat, La Société, prenant ces demandes en considération, adjoint à M. Yillemsens, vice-président de la classe de sculpture; MM. Sageret et Andréï pour se prononcer sur la candidature de M. Janet, et MM.Guionnet et Andréï pour se prononcer sur celle de M. Girard.


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3° Un numéro du Bulletin de la Société française de photographie; renvoyé à M. de la Blancbère; 4° Un numéro du Conseiller des Dames; à M. HorsinDéon. 5° Doux volumes des Mémoires de la Société impériale d'agriculture, sciences et arts d'Angers; à M. Sageret; 6° Mémoires de la Société d'agriculture, sciences, arts et belles-lettresde l'Aube; à M.Villemsens; 7°Deux numéros du journal anglais The Builder; à M. Dufour; 8° Annales de la Société d'horticulture de la HauteGaronne et quatre numéros du Messager des Théâtres; renvoyésaux archives. La correspondance étant épuisée, la parole est donnée à MM.les rapporteurs. M. Granger lit un rapport, au nom d'une commission, sur le nouveau théâtre de la Gaîté. M, Dufour, rapporteur ordinaire du journal anglais The Builder, lit un travail fait sur plusieurs numéros de ce journal. Cesdeux rapports, qui sont écoutés avec un vif intérêt, seront insérés dans les Annales. Il s'engage ensuite une discussion sur les affaires administratives de la Société; il est décidé qu'à la séance du 16 courant il sera procédé à l'élection d'un secrétaire général, le titulaire actuel ayant donné définitivement sa démission, et qu'à cet effet une circulaire sera adressée à tous les membres résidents de la Société. La séance est levée à dix heures. L'un des secrétaires, J. E. LAMI.


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TRAVAUX

DE

LA

SOCIÉTÉ

INAUGURATION DES SÉANCES CONSACREES PRINCIPALEMENT A LA CLASSE DE MUSIQUE Le mardi 23novembre1862,à huit heuresdu soir, AUCERCLEDESSOCIÉTÉS 3. QUAIMALAQUAIS, SAVANTES,

Présidence de M. P. B. FOURNIER, Président. En présence d'une réunion aussi complète que le comporte le local, fort bien disposé du reste pour la tenue des séances habituelles d'une société, le Président, qui au bureau est assisté de MM.Dubouloz et Maillet, sur l'invitation de ses collègues, prend la parole et s'exprime en ces termes : « Mesdames et Messieurs, mes chers Collègues, « En ouvrant cette séance par laquelle nous voulons inaugurer celles que nous consacrons principalement à notre classe de musique, nous devons adresser nos remercîments aux artistes qui, avec une bonne grâce parfaite, viennent y prêter le concours de leur talent, comme aussi aux personnes qui, répondant à notre appel, s'unissent à nous pour former l'auditoire essentiel aux manifestations de la musique, auditoire spontané, bienveillant, mais juste, devant qui le succès sera une garantie de succès partout ailleurs. « Jusqu'à présent la peinture, la sculpture, les branches des beaux-arts dont les productions s'adressent aux yeux, ont eu la plus grande part à notre observation, à nos tra-


— 117 — vaux,à nos encouragements, la musique y passait presque inaperçue. Il n'en pouvait être plus longtemps ainsi, et nous voulonslui donner, autant qu'il dépendra de nous, la part qui convient à son degré d'importance; or celle part, c'est l'audition. « Les compositeurs savent-ils bien le mérite réel de leurs oeuvres, sont-ils certains que les passages qu'ils regardent comme les mieux écrits, les plus brillants, auront l'effetqu'ils en attendent? Trop souvent la science, sous la sécheressedes principes, étouffe l'inspiration qui est l'Ame de la musique; trop souvent aussi, l'inspiration est désordonnée, et pèche par le défaut de science. Qui les éclairera? Unauditoire comme le nôtre. — Les exécutants, instrumentistesou chanteurs, sont-ils certains aussi de l'excellence de leur exécution? Qui les éclairera? Est-ce l'étude, qui les voit à peu près isolés, ou le cercle resserré de quelques amis, qui précisément à titre d'amis sont disposés à l'approbation? Non,mais un auditoire comme le nôtre. « Voilàen quelques mots les considérations qui nous ont guidéspour organiser, à l'instar d'autres sociétés, de l'Athénée des Arts par exemple, nos séances de la classe de musique, dans lesquelles notre classe de littérature compte à l'occasionprendre une petite place. Maintenant, c'est l'expérience qui nous dira si, comme nous le désirons vivement, cesséancesréaliseront la double question que nous avons en vue, la question d'agrément et d'utilité. » Immédiatement après a lieu le concert dont chacun des morceauxest annoncé par le Bureau, et dont l'ensemble et l'exécution provoquent de la part des assistants de vifs applaudissements qui justifient les remercîments adressés aux artistes à l'ouverture de la séance, et ceux que leur renouvellele Président, à dix heures et demie, en prononçant la clôture. Mademoiselle Honorine Rollot, membre honoraire, accompagnatrice de la Société, qui a puissamment contribué à l'organisation du concert, en commence chacune dés deux parties de façon à mettre l'assemblée dans les dispositions


— 118 — les plus favorables. Elle prouve, en exécutant sur un piano d'Erard les Nuits d'Espagne de Godfroy, et la grande fantaisie de Herz, sur les motifs de la Sirène, qu'elle unit le talent de pianiste à celui d'excellente accompagnatrice, qui se fait remarquer lorsque M. Berthé vient chanter avec sa belle voix de baryton, guidé par un sentiment vrai de son art, l'air de l'Ame en peine, de Flolton, et celui de la Favorite : Jardins de l'Alcazar ; lorsque M. Peignan, premier prix du Conservatoire, l'ait entendre sur le cor la ballade de Charles VI, d'Halévy, et le morceau de Gallay, sur une romance de Blanginy; lorsque mademoiselle Térésa Panchieni. membre associée de la Société, dit de sa voix jeune, expressive et suave, l'air de la Prise de Jéricho, de Mozart, et un autre de la Part du Diable; lorsqu'enfin M. Laveissière, du Théâtre-Lyrique, interprète l'air de Joseph, de Méhul, et l'hymne des Rameaux, de M. Faure, avec une puissance, une sûreté d'exécution qui fait regretter à l'auditoire que ce jeune artiste n'ait pas encore eu, par un rôle important, l'occasion de mettre en évidence les qualités qui distinguent son talent. La Norma, fantaisie de Bochsa, et une autre fantaisie, de M. Prumier père, sur le Trouvère, font applaudir mademoiselle Charlotte Coppée, qui sur la harpe traduit avec infiniment de talent les compositions des maîtres. A voir son jeu aisé, brillant et plein de charme, on ne conçoit pas qu'un instrument comme la harpe ait pu, dans les concerts, subir les caprices de la vogue. Enfin M. Aurèle, du théâtre impérial du Châtelet, termine chacune des parties du concert par des chansonnettes auxquelles il donne un cachet de sentiment et de distinction que peu d'autres avant lui ont eu au même degré. Il faut dire aussi que, sous le rapport du sens, de l'esprit et de la musique, les couplets peuvent inspirer celui qui les comprend. M. Aurèle chante d'abord le P'tit Poltron, parolesde M. P. F. Mathieu, musique de M. Alfred d'IIack; la chanson de Fortunia, paroles de Bourget, musique de Plantade; puis Mes Yeux de quinze ans, paroles de Delange, musique


— 119 — de Robillard, et le P'tit Crâne, paroles de M. P. F. Mathieu, musique de M. Alfred d'Hack, qui pour sa musique tout à faità propos et par la manière dont il accompagne l'artiste, peutrevendiquer une part des applaudissements par lesquels l'assemblée témoigne de sa satisfaction.

QUELQUES MOTS SUR LE PEINTRE DAVID. Dansun article qu'a publié, depuis quelque temps déjà, la Revuedes Deux Mondes, M. Henri Delaborde a voulu compléter — on pourrait dire réfuter — l'ouvrage de M. Delécluse: L. David et son école. Cet article nous a suggéré quelquesobservations que nous vous demandons, messieurs, la permission de vous soumettre. Il est bien hardi sans doute de s'opposer à certaines opinions accréditées, et d'oser répondreà un critique que ses études et sa position placent au premier rang; mais, tout en rendant hommage à l'érudition qui préside à l'ensemble de son travail, nous ne pouvonsnous empêcher d'en combattre quelques parties. A notre avis, ce n'est pas « par lassitude ou scepticisme » que beaucoup de bons esprits se rallient à ce sentiment « d'accommodement et de bienveillance réciproque, aussi bien pour l'art contemporain que pour les oeuvres qui appartiennent au passé, » c'est plutôt, croyons-nous, par un retour vers une plus sage impartialité: Raphaël, Rubens, Lesueur, obtiennent à divers titres l'estime générale: qu'il en soit donc de même pour les maîtres modernes. En constatant « qu'on est devenu plus calme, qu'on ne se passionne plus pour des rivalités d'école, » M. Delaborde, dans ses appréciations du talent de David et de sa personnalité, est-il bien resté dans les limites de ce programme? C'est ce que nous allons essayer d'examiner. « L'école de David, dit-il, a un incontestable mérite d'in-


— 120 « tention; elle aspire à exprimer des idées graves sous une « forme sévèrement châtiée Ses prédilections sont pour « la grandeur épique, la rigoureuse précision de style; la et tradition d'art qu'elle entend continuer est la tradition an« tique... Trop souvent, il est vrai, chez les élèves de David, « sans excepter les plus éminents, la recherche de la cor« rection aboutit à la froideur, la retenue dégénère en sim« plicité apprêtée, etc.. » Or, messieurs, est-ce donc peu que d'exprimer des idées graves sous une forme sévèrement châtiée, et de s'attacher au culte de la vérité? Dans celle suite d'oeuvres produites en douze ans par le maître, le calcul, le choix des sujets généralement faits pour élever l'âme du spectateur, n'est-ce donc rien? et peut-on dire qu'il n'y ait eu chez David que « l'intention » ? Sans méconnaître absolument ce qu'on peut remarquer en lui d'insuffisant à l'égard de certaines conditions de l'art, attestons qu'on trouve dans ses oeuvresles consciencieuses éludes qui font le grand artiste. N'oublions pas d'ailleurs de nous reporter au temps où il a vécu. La décadence de la peinture, vers la fin du dernier siècle, était un fait accompli : on trouvait alors chez les peintres — M. Delaborde le sait, — de l'esprit sans élévation, une facilité impertinente, de l'afféterie sans grâce, une scintillation de couleurs sans vérité, enfin l'art se résumait dans Boucher, Vanloo, Wateau, sauf quelques exceptions comme Greuze, Chardin, Doyen, Houdon et surtout - Vien, auquel on doit rendre cette justice qu'il a été le premier à renier ce genre factice. David surgit. Il était allé a Rome en 1775 avec M. Vien : là, il fut séduit, enthousiasmé par les anciens ouvrages des peintres italiens, par la sculpture grecque et romaine, par son contact avec les Mengs, les Hamilton, les Winkelman... Bref, il y aurait manque d'équité à ne pas reconnaître la grande part qu'il prit à cette régénération de l'art, à ne pas lui en tenir compte en jugeant ses oeuvres. Il reçut bientôt, au nom du roi, l'ordre de peindre Brutus rentrant dans ses foyers après avoir condamné ses fils àmort, « concession politique à la date de 1789, en


— 121 — mêmetemps qu'un témoignage rendu au talent du peintre.» Le Serment des Horaces lui avait été commandé, à l'époque deson départ pour Rome, par M. Dangevillers, directeur des BeauxArts, et c'est à son retour que l'artiste, jeune encore, présenta ce tableau à son protecteur, lequel, soit dit en passant, sans s'arrêter à féliciter l'auteur sur son mérite, n'eut rien de mieux à dire que de lui reprocher d'avoir donné à son tableau un pied de trop en hauteur, lui enjoignant en conséquenced'écourter ses héros, ce à quoi David répondit avec dépit: Monseigneur, coupez-les vous-même, ou faitesles couper. On sait, du reste, que cette composition magistrale lui fut payée 3,000 livres, mais qu'elle eut un tel succèsque l'exposition qui en fut faite à Rome valut au domestiquede l'auteur une fortune de 1200 livres de rente. CependantM. Delaborde ne parle de ces premiers tableaux que pour stigmatiser » l'altitude théâtrale des femmes clans « les Horaces, et le groupe si pauvre d'expression que for« ment, dans Brutus, la mère et les soeurs des deux victimes.» — Est-ce là, nous le demandons, « le jugement calme et sans prévention » que promettait l'honorable critique? Voyons maintenant comment il s'exprime au sujet d'un secondchef-d'oeuvre,la Mort de Socrate: «L'exécution en est « froide, pesante, mesquine, et sousle rapport dufaire, David « s'y montre très-inférieur à ce qu'il devait être plus tard... « Là, plus qu'ailleurs, l'inspiration semble venir tout en« tière de la tête... L'élan du coeur, l'accent ému, la puis« sance expansive, voilà ce qui fait défaut. » — Quoi ! Socrate, qui suspend à peine sa parole sublime sur l'immortalitéde l'âme pour prendre la coupe fatale, l'esclave chancelant en la lui présentant, ses disciples anéantis sous le poids de la douleur, le spectacle de la grandeur d'âme du martyr, n'est-ce pas l'accent du coeur, l'accent ému et profond? M. Delaborde exalte la supériorité du Testament d'Eudamidas, morceau capital sans doute, mais dans un autre ordre d'idées : les derniers moments d'un père de famille, et ceux d'un philosophe sectateur moralisant un grand peu-


ple; l'un se donnant la mort, l'autre la recevant de l'âge et de la maladie; pourquoi mettre en parallèle deux compositions si diverses? Le sujet choisi par Poussin est bon, l'autre ne l'est pas moins; tous deux sont faits pour toucher et pour émouvoir. David a voulu, comme les Grecs, que les mouvements de l'âme n'altérassent pas la beauté de la forme et l'harmonie des lignes; enfin que le rigoureux critique ne perde pas de vue que l'époque qui vil paraître ce tableau était celle du style Pompadour, du fard et des mouches. Sans doute David fut faible quand, obéissant au comte d'Artois, il peignit les langueurs de l'amour dans Pâris et Hélène: là, il a failli à son mandat: celle empreinte d'une âme tendre, celte agitation des sens, tout cela manque, il est vrai, à cette oeuvre, comme il arriva plus tard à l'un de ses derniers ouvrages, l'Amour et Psyché: vouloir tout, c'est vouloir l'impossible. Qui cependant connaît mieux que M. Delaborde les difficultés d'un art qu'il professe avec tant de distinction? M. Delécluze a dit, pour caractériser le talent et le rôle de son maître : « La qualité éminente de Davidest d'être un pein« tre vrai. » — M. Delaborde répond : « Est-ce bien la vérité « que David représente dans l'art, et ne serait-ce pas plutôt « la volonté?... Il n'a pas été un peintre vrai, puisqu'il lui a « manqué l'instinct des vérités morales. » — Voilà de ce coup, messieurs, toutes les écoles italiennes sapées dans leur principe, dans leur direction, et il faudra avoir recours à Rembrandt; alors on aura d'autres erreurs dangereuses à déplorer, tout en admirant « l'instinct des vérités morales... « David ne fut à tout prendre, — ajoute le savant écrivain,— « ni un inventeur, ni un imitateur suprême; mais s'il sut « remettre en honneur les sages lois méconnues depuis longcetemps, s'il est juste de ne pas saluer en lui un artiste de génie, « il faut l'honorer comme un de ces talents utiles qui refont à « propos la grammaire de l'art, et en définissent clairement « la syntaxe. » — Cette dernière part faite à David a bien déjà quoique valeur; mais si on admettait la restriction qui la précède, il faudrait en conclure que les Dominiquin, les Car-


radie et tant d'autres sommités n'étaient pas des artistes de génie... Nousne voulons pas plus que M. Delaborde chercher à justifierlacarrière politique de L. David, les déplorables discours dudéputé de Paris, son exaltation révolutionnaire, son ingratitude envers ses anciens protecteurs... Malgré la fatale influenceinhérente à cette époque néfaste, trop de faits, on le sait, interdisent la tentation de l'excuser : laissons l'hommepublic, c'est le grand artiste, le rénovateur sérieux qu'il faut seul apprécier ici. Le tableau que semble préférer notre sévère critique est celuides Sabines; voici toutefois ce que nous lisons au milieu de quelques éloges restreints : « David se proposait de « choisir ses modèles parmi les monuments d'un art plus « pur, et de donner à ce tableau un caractère plus grec. Or, « ce caractère de beauté qu'il rêvait, bien des concessions « académiques, bien des sacrifices au goût conventionnel et, « théâtral l'altèrent... Les Sabines n'appartiennent pas, « même au point de vue de la forme pure, à la classe des «ouvrages excellents... En un mot, la forme, telle que la « comprend David, est plutôt l'objet d'une imitation choisie « que le principe d'une invention. » — En vérité, messieurs, invente-t-onla forme? Non, on l'épure; on n'invente qu'une composition.Poussin avait traité ce même sujet admirablement;David adopta un autre plan : il voulut éviter la confusion, dégager, isoler même les principaux personnages du drame et, s'appuyant sur l'autorité des anciens, arriver à une netteté d'exécution qui manquait aux oeuvres de l'école française, comme le reconnaît, du reste, M. Delaborde luimême.Constatons donc avec M. Delécluze que le génie de l'auteur des Sabines s'est confirmé d'année en année: il eut pour effet d'introduire dans les écoles le goût du nu, du l'eau, du haut style, et de faire prendre à l'architecture, à la sculpture, à la littérature théâtrale et même aux arts industriels un caractère de sévérité que, comme toujours, nous avons vu portera l'excès et compromettre; mais recon-


— 124 — unissons là une grande et salutaire influence que le génie seul opère. M. Delaborde continue : « Confondant le calme avec « l'inertie, la simplicité avec les intentions négatives, il « achève à grands frais de patience le Léonidas, tableau froid « à l'excès, où le mérite de quelques détails ne saurait cache« ter la nullité de l'expression et l'insuffisance prétentieuse « des formes générales. » — Que le savant écrivain veuille bien remarquer que David a voulu peindre le moment suprême qui précède la bataille, la résignation du courage sans espoir : « Il y a longtemps que vous n'avez concouru, — dit-il un jour à ses élèves, —je vais vous donner un sujet : « Léonidas au passage des Thermopyles... Je promets, si « vous me montrez, quelque» beaux groupes, de réaliser vos « idées sur la toile. » — Cela excita l'ardeur de tous et chacun apporta sa composition. « Oh! — dit le maître, — « vous avez choisi un autre moment que celui que je me « proposais de rendre; votre Léonidas donne le signal du « combat; moi, je veux imprimer quelque chose de plus ré« fléchi, de plus religieux : je veux peindre un général et ses « soldats se préparant à la lutte, sachant bien que pas un « n'en échappera; je veux caractériser cette pensée géné« reuse qu'inspire l'amour de la patrie, et bannir la passion « qui en altère la sainteté. » —Ce sentiment profond en vaut bien un autre : Vander Meulen, II. Vernet, le Bourguignon, Salvator, ont fait autrement; ils sont restés dans l'idée commune à tous les peintres de batailles et ont montré leurs héros frappant d'estoc et de taille; mais l'intérêt réel, l'émotion intime ne sont-ils pas là où l'on nous montre les trois cents Spartiates résignés à mourir, mais assurés d'être utiles à leur pays? Une aulre grande oeuvrede notre maître, le Sacre, mérite une étude spéciale. M. Delaborde croit remarquer dans son « exéculion : deshésitations,en quelque sorte des méfiances... « Pourtant, — ajoute-t-il, — quoi de mieux fait pour le ras« surer que les conditions particulières du sujet, le lieu de la « scène, la variété et la richesse des costumes?... Il lui suffi-


— 125 — « sait de tracer une image fidèle de la réalité. » — Qu'il nous soitpermis d'indiquer ici, messieurs, que, si celle observation était littéralement, vraie, comme conclusion, la composition d'un tableau se résumerait de nosjours dans une opération photographique...Mais non : M. Delaborde sait bien que l'art véritableconsiste à embellir, à ennoblir ce qu'il reproduit. Ainsi, danscette grande page, il avait d'abord été convenu que le moment choisi serait : l'Empereur se posant lui-même la couronne sur la tête; on décida plus tard que ce serait : venant d'ôter la couronne de dessus sa tête pour la mettre sur celle de l'Impératrice, pose digne et noble dont la ligne est admirable.Toutes les opinions s'accordent à considérer comme un chef-d'oeuvre le côté droit, le plus prés de l'autel... Nous sommes heureux de pouvoir dire que c'est un hommage rendupar David lui-même à M. Rouget, dont l'extrême modestiele dissimulait en toute occasion, qu'il fut pour beaucoup dans toute cette partie de l'oeuvre. En vain un autre élève,Gérard, en exaltant ce qui était l'ail de ce tableau, lui disait-ilavec enthousiasme : « Mon maître, voilà votre chef« d'oeuvre... C'est peut-être beaucoup pour vos forces que « d'y travailler seul; permettez-moi, comme insigne faveur, « de vous aider dans ce grand ouvrage. — Merci, Gérard, j'ai « l'ami Rouget, et il me suffit. » — Et, Gérard parti, David de dire à son ami Rouget : « Pas si bêle; si je donnais grand « commela main à faire à Gérard, il dirait partout qu'il a « fait mon tableau. » — Napoléon, impatient de voir reproduitce grand épisode de sa vie, venait souvent à l'atelier du peintre. Un jour il dit à David : « Je n'ai pas fait venir le « Pape de si loin pour ne rien faire. » — Le Saint-Père avait d'abord les deux mains sur ses genoux; alors M. Rouget effaça une des mains, peignit le bras droit levé et la main qui bénit, et compléta ainsi la solennité de cette scène. Longtemps en présence de l'école romantique, on s'est appliqué à traiter défavorablement celle de David et à lui reprocher amèrement les froids ouvrages du premier empire. Il serait injuste d'attribuer entièrement à l'influence du maître certaines productions des élèves : on a acquis la


— 126 — preuve que partout où il surprenait quelque trace d'originalité, quelque indice d'une vocation spéciale, il acceptait volontiers le genre de talent qui se révélait. M. Delécluze, entre autres faits, rapporte, et M. Delaborde relate lui-même que David disait à Granet, dont la ligne de conduite se montrait si différente de la sienne propre : « Tu mets la charrue de« vant les boeufs, tu t'occupes plus de la couleur que du des« sin; mais c'est égal, fais comme tu sens, copie comme tu « vois : il vaut mieux faire de bonnes bambochades comme « Téniers et Van Ostade que des tableaux d'histoire comme « Lairesse et Philippe de Champagne (sic). Je suis toujours « content quand je vois des goûts bien prononcés; tâche de « dessiner, mon cher Granet, mais suis tes idées. »—Malheureusement, chez beaucoup d'élèves qui persistaient à fréquenter l'atelier, on vit la preuve de ces vocations manquées, et pendant quinze ou vingt ans les expositions nous montrèrent des contrefaçons, des pastiches du maître... À qui la faute? Il serait peu équitable de s'en prendre à David, à moins d'admettre une méthode enseignée comme dans l'école italienne, et, de nos jours, dans celle de Dusseldorf; or nous venons de constater combien, au contraire, David craignait d'imposer sa doctrine à ses élèves. Le culte du vrai, du beau, tel qu'on l'avait compris et exprimé jusqu'à Phidias, voilà ce qu'il a senti, admiré et cherché à rendre; la réforme entreprise par lui a donc, répétons-le, toute l'importance d'un grand fait, d'un événement dans l'histoire de la peinture. David régénéra cet art en France, il rompit en visière avec les décorateurs de petites maisons, avec les bergeries fades et insipides du temps; il retrempa à ses vraies sources l'art faussé dans ses formes aussi bien que dans son genre. Les excès survenus depuis n'ont pu anéantir les effets de cette réaction salutaire. Félicitons-nous d'avoir vu encore ce beau talent, et, au lieu de le détracter, admironsle et soyons fiers de le montrer aux contemporains nationaux et aux étrangers. Signé : C, GAVET.


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CHARGÉE D'EXAMINER LES TROIS THEATRES NOUVEAUX — THÉÂTRE — THEATRE DUCHATELET DELAGAITE. THÉÂTRE LYRIQUE THÉÂTRELYRIQUE. Quand l'observateur se place à distance convenable devant la façade du nouveau théâtre Lyrique, il est frappé du défaut de parallélisme qui existe entre la base de l'arrière-corps, qui renfermela salle ainsi que la scène, et la ligne qui couronne la façade principale; et, quand il cherche à se rendre compte dece détestable effet, il s'aperçoit que la façade n'est pas à angledroit avec le grand côté assis sur le quai. Si, après cette première constatation, il fait le tour du monument, il reconnaîtque le défaut de parallélisme n'existe que dans la façade, et il se demande comment, le quadrilatère étant irrégulier, on n'a pas dissimulé ce défaut dans la façade, ayant trouvé le moyen de ne pas l'accuser sur les autres faces. Ce défaut est-il réparable facilement à l'aide de certain artifice? Nous le croyons, et nous disons, avec tous ceux qui ont plus ou moinsle sentiment de l'art et l'orgueil de leur cité, la capitalede la France, qu'il faut par tous les moyens et le plus promptement possible réparer cette grosse erreur, qui s'est produite ici pour la première fois. Les deux façades ont certain air de famille, bien que celle dont nous nous occupons ait une loggia à l'italienne qui, pour nous, n'est pas d'un heureux effet; nous en trouvons la cause dans ces ouvertures carrées et les colonnes qui les accusent, en désaccord avec l'ensemble du rez-de-chaussée et du premier. En examinant les arceaux des fenêtres du grand foyer, on remarque un second arceau en retraite en angle, qui semble avoir été conçu pour dissimuler la grande ressemblance que les deux théâtres auraient eue sous ce rapport; car, sans lui,


— 128 — les baies du rez-de-chaussée et. du premier étaient de grandeurs différentes comme au théâtre du Châtelet. Malheureusement ces seconda arceaux ne sont égayéspar rien, cette nudité est choquante, et nous croyons qu'au profit, de l'art et de lui-même l'architecte aurait dû être plus hardi. Les avant-corps sont, comme volume et couronnement, semblables à ceux du théâtre du Châtelet, mais ils sont ornés d'une riche croisée, bien accusée et d'un très-bon effet. Ces croisées éclairent deux salons carrés plus larges que le loyer, et qui contiennent deux cheminées. Les balustres ont été remplacés ici par une ornementation en pierres découpées en forme de sarments entrelacés d'un assez bon effet, mais d'un style qui n'est peut-être pas assez monumental. Pour parer à l'inconvénient de ne pouvoir descendre de voiture à couvert, on a construit après coup une grande marquise qui dépare le monument et accuse l'incurie de ceux qui ont été chargés de veiller à sa construction, et d'indiquer toutes les exigences conciliables avec l'art. On taillait, comme on dit vulgairement, en plein drap, la d'Ile était propriétaire des terrains, c'est elle qui faisait construire avec nos deniers, sur un emplacement la propriété de tous, c'est elle qui a choisi l'architecte, c'est elle qui en a discuté les plans, et elle n'a remédié qu'après coup, nous avons dit comment, à la faute que nous venons de signaler! On a fait deux vestibules au théâtre du Châtelet, nous reconnaissons que c'est une bonne chose partout; mais nous croyons aussi qu'ils étaient encore plus indispensables au théâtre Lyrique qu'au théâtre du Châtelet, on en devine facilement la cause. Cecin'est pas un reproche qui s'adresse à l'architecte, l'espace lui manquait pour faire autrement; le théâtre du Châtelet en est la preuve, mais quand on examine l'arrière-face de ce dernier, on voit qu'on n'a été si libéral à son égard que par l'impuissance où on était d'en changer les limites. Quant au théâtre Lyrique, on a été parcimonieux pour lui parce qu'on a voulu l'être, car on pouvait lui donner facilement toute la longueur du square de la tour Saint-Jacques ou peu s'en faut; mais l'esprit qui s'est révélé par l'établis-


— 129 — sement des boutiques dans un monument a présidé, on n'en saurait douter, à la distribution du terrain sur lequel on a assis le théâtre Lyrique, bien qu'il soit fréquenté par un public tout à fait différent de celui du théâtre du Châtelet, dont le trop-plein, s'il en a, ne viendra pas combler les vides de son voisin, et réciproquement. Cemonument, moins considérable que son vis-à-vis, compte commelui trois étages, mais n'a point de balcons; il a dix croisées : celles du premier, surtout, diffèrent de celles de l'autre théâtre et lui sont préférables. Quand au troisième étage, il est entièrement semblable à celui du théâtre voisin, mêmes croisées, mêmes pilastres. L'arrière-corps en attique ne diffère en rien de celui qui lui fait face; même toiture, même système d'éclairage par des oeils-de-boeuf,même élévation, même groupe d'enfants autour et à la base du paratonnerre ; l'économie a pu y trouver son compte, mais l'imagination ne s'y montre pas. Si tout cela a été prescrit à l'architecte, si l'on a cru que deux monuments parallèles devaient se ressembler comme deux jumeaux, nous laisserons à qui de droit la responsabilité de cette similitude; mais nous croyons que cela n'était pas nécessaire, et qu'avec des genres si différents il aurait fallu deux styles différents, et que le parallélismeseul devait être exigé. Le vestibule a bon air, mais il est moins riche que le secondvestibule du théâtre du Châtelet; un escalier en pierre, à double révolution, conduit à de larges paliers où l'on trouve de vastes escaliers, à l'aide desquels on accède au foyer, aux premières, aux secondes et aux troisièmes; tout cela est facile; lesloges ont des salons, mais toutes les portes, sans en excepter celles du foyer, sont hors de proportion; elles sont larges, commodes, peut-être à cause de cela, mais c'est disgracieux et nécessité sans doute par le peu d'élévation des corridors. La salle est charmante, c'est presqu'un cercle; la disposition générale diffère essentiellement de la salle du Châtelet, cela devait être, puisque ce théâtre est fréquenté par un mondeessentiellement différent de l'autre. La loge impériale — N°7. 10 DÉCEMBRE.


— 130 — et tout l'avant-scène sont du meilleur goût; mais on peut regretter que les génies qui tiennent les armes de la ville au plus haut de l'avant-scène soient en or moulu, attendu qu'on ne peut discerner leurs formes et leurs traits; nous en dirons autant de ces petits personnages allégoriques qui sont à la naissance de tous les arceaux sous lesquels est le dernier amphithéâtre. Tous ces enfants rappellent malheureusement ceux du théâtre de l'Opéra-Comique. L'or moulu est la pire de toutes les choses pour les ligures : attendu qu'il réfléchit en noir tous les objets qui l'environnent et n'est bon que dans certaines parties de l'ornementation dont il arrête et fait valoir les contours; seul, c'est une masse d'or et pas autre chose. Comme au théâtre du Châtelet, la galerie et le balcon sont en avant-corps des loges et en saillie sur le rez-de-chaussée et sur le parterre, auquel on accède par deux petits escaliers un peu en échelle de. meunier : ce parterre ne peut pas contenir plus de cinquante personnes et ne doit pouvoir servir qu'aux romains disciplinés pour applaudir; quant à l'ancien emplacement du parterre, il est réuni à l'orchestre : en un mot, il n'y a plus de parterre, et la jeunesse qui s'y donnait rendez-vous depuis la création des salles de spectacles sera dans la nécessité d'aller dans les amphithéâtres : c'est une révolution, presque une déportation, et nous croyons que c'est une mauvaise chose à tous les points de vue. L'expérience prouvera ce que nous affirmons, car il faut des juges pour les auteurs et pour les artistes, et, malgré les romains, ces juges étaient au parterre, dont l'ardeur juvénile se communiquait à la salle entière et dont l'esprit d'un seul devenait, comme par une commotion électrique, l'esprit de tous. En supprimant le parterre on a tué l'art, comme en bâillonnant la presse on tuerait la liberté. D'un autre côté, le prix du parterre est trop élevé partout, on devrait l'abaisser et le rendre accessible aux hommes bien élevés peu fortunés et à la jeunesse, qu'on arracherait ainsi aux cafés et aux billards; mais exiger en retour qu'on s'y présentât dans une tenue convenable.


Qu'on ne s'y trompe pas, l'espace réservé aux places dites d'orchestre, et dont chacune ne coûte pas moins de 6 francs, ne sera pas toujours rempli, et le vide qui en résultera produira un effet pénible pour les acteurs et pour les spectateurs. Encore une fois, selon nous, on a eu tort de supprimer le parterre. Entasser dans une salle de spectacle le plus de monde possible, c'est une faute, c'est manquer aux égards que l'on doit au public; et, sous ce rapport, nous n'aurions à répéter que ceque nous avons dit pour le théâtre du Châtelet, toutes proportionsgardées cependant, puisqu'il y a au théâtre Lyrique beaucoupplus de loges, mais nous craignons bien que dans ces loges elles-mêmes, les seconds et troisièmes rangs ne soientgênés par le dossier des sièges qui les précèdent. Il n'en est pas ainsi dans les salles d'Italie et notamment dans celle dela Scala à Milan, qui passe pour la meilleure de toutesles salles connues. Sans son avant-scène, elleserait plus qu'aucune autre salle voisine de la perfection ; telle qu'elle est, en voici l'économie ou les principales dispositions : 1° Portique en avant-corps, sous lequel deux voitures peuvent entrer et décharger les personnes qu'elles contiennent; 2° Entrée du parterre et de l'orchestre, à niveau du rezde-chaussée; 5° Escaliers particuliers pour les places du prix le moins élevé; 4° Cinq rangs de loges perpendiculaires les unes aux autres, et point de galeries en avant-corps ; 5° Amphithéâtre au plus haut de la salle; 6° Galeries pour les piétons; 7° Salon d'attente pour les dames après le spectacle; 8° Vestibule d'attente pour les domestiques; 9° Portes particulières qui s'ouvrent à la sortie du spectacle; 10° Enfin, on peut retenir ses places dans la journée sans subir d'augmentation.


— 132 — II est facile de juger par ces quelques lignes des précautions principales qu'on a prises pour être agréable au public, et l'on est en droit de se plaindre qu'on ne nous fasse pas jouir de pareils avantages, chose qui eût été bien facileen recourant au plan de la Scala et en s'enquérant sur les lieux mêmes de ce qu'il faudrait ajouter pour faire mieux, si possible. Ce théâtre est un vaste parallélogramme de 100 pieds de côté sur 40 pieds de façade, et dont la hauteur intérieure, du milieu du parterre au plafond, est de 60 pieds environ. Il pouvait servir de modèle pour les nouveaux théâtres, sauf aies réduire suivant le genre qu'ils exploitent; mais dans tous les cas on en devait conserver tout ce qui existe dans l'intérêt du public, soit pour les entrées et sorties, ainsi que pour sa commodité dans l'intérieur. On ne peut pas être également bien à toutes les places d'un théâtre, nous le savons ; si, cependant, on ne voulait pas y recevoir autant de monde, il y aurait certitude de voir et d'entendre suffisamment à toutes les places et d'y être commodément. J'entends dire : Mais l'administration ne pourrait pas faire ses frais ! Pour nous la cause du non-succès des entreprises théâtrales n'est pas là uniquement, mais dans leur mauvaise administration; et par mauvaise administration j'entends non-seulement les frais faits inintelligemment, mais le prix excessif payé à certains artistes, mais le prix trop élevé des places, mais tous les billets donnés pour remplir la salle. Baissez vos prix, mettez le public plus à l'aise, on viendra vous visiter plus souvent ; et, à telle heure déterminée, lorsque le spectacle est déjà avancé, imitez les Anglais, qui ne font payer que la moitié du prix, ce qui est de stricte justice. Si nous sommes bien informé, le théâtre Lyrique, qui ne reçoit pas de subvention, paye pour location de la salle plus de 100,000 francs à l'administration municipale, et ne joue que pendant neuf mois! Ce théâtre, assis sur le bras droit de la Seine, séparé du quartier des Ecoles par deux bras de rivière et dont la popu-


— 155 — lationqui l'entoure est essentiellement commerçante et industrielle, est-il bien situé? Nous ne le croyons pas, et nous pensons que sa place était près du Gymnase ; nous voudrions nous tromper. Rien de plus juste que le prélèvement fait par les hospices danstous les lieux de plaisir; personne ne s'en plaint, et beaucoup ne savent même pas que toutes les fois qu'ils vont au spectaclele dixième du prix de leur place est mis de côté pour lesvieillards et les infirmes, dont abonde une ville aussi importante que Paris. Si cet impôt indirect et sacré n'existait pas,il faudrait l'établir; mais nous le croyons inéquitablement perçu à l'endroit des directeurs de théâtre, c'est-à-dire qu'au lieu de prélever le dixième de la recelte brute, on ne devraitprélever ce dixième que sur la recette nette, défalcation faite, par conséquent, des frais de l'entreprise, frais invariables et qui, pour nous, sont dans le traitement de tous les artistes et employés, chauffage et éclairage, ainsi que dans la rétribution payée pour la garde de police et de sûreté. Il résulterait de ce nouveau mode de perception une perte pour les hospices, mais l'administration trouvera le moyen de la combler et chacun y applaudira. Si un théâtre a 1,500 francs de frais et que sa recette du jour ne se soit élevée qu'à 1,200 fr., lé directeur sera en perte de 300 fr., et si les hospices prélèvent d'après leur droit actuel le dixième de 1,200 fr. ou 120 fr., le directeur, ne touchant que 1,080 fr., sera en perte de 420 fr. L'hypothèse sur laquelle nous fondons notre démonstration a été souvent une réalité qui se renouvellera malheureusement encore, et nous croyons que dans l'espèce le directeur est plus à plaindre que les pauvres, car si ceux-ci ne touchent rien, on ne leur demande rien, tandis qu'au malheureux directeur déjà en perte de 305 fr. on prend encore 120 fr. — Dans notre système, si la recette est de 2,000 fr., on défalquera les frais, 1,500 fr., et le droit des hospices se prélèvera sur 500 fr. seulement, ce qui serait, nous le croyons, une bonne et exacte justice, car le directeur nous paraît ici dans une position identique à celle du


— 134 — propriétaire à qui l'on demande part d'impôt pour les appartements non occupés. Si nous admettons une recelte journalière de 2,000 fr. pendant 560 jours, les hospices dans le système actuel prélèveront . 72,000 et dans notre système 18,000 Maintenant, si le directeur, ayant 1,500 fr. defrais, ne faitque 1,200 fr. de recettes, nous avons démontré qu'il perdait 420 fr., et, si cette perle se renouvelle pendant cent jours seulement, il perdra 42,000 fr., somme énorme pour une entreprise qui a déjà tant de chances qui peuvent lui être contraires. Dans cette réforme, qui a été demandée déjà plusieurs l'ois, nous croyons qu'il serait juste de ne pas comprendre les billets donnés à titre gracieux, ceux-là resteraient à la charge de l'administration, ou de ceux qui en seraient porteurs, et qui seraient grevés du droit des hospices qu'ils payeraient en entrant. Si nous sommes entré dans tous ces détails, c'est qu'une entreprise théâtrale est éminemment artistique, et que sa ruine ne frappe pas seulement le directeur, mais une masse d'artistes, d'employés de tous genres, des fournisseurs, des fabricants et des capitalistes qui ont eu foidans l'entreprise dont le malheur causera celui de bien d'autres, et quand on sait que de 1807 à 1847 il y a eu soixante faillites théâtrales, il semble que lesréflexions que nous avons faitesmeririteront qu'on les prenne en considération. Le nouveau Théâtre-Lyrique a deux foyers; celui des premières est trop étroit, c'est une galerie aux extrémités de laquelle on trouve deux salons avec cheminées; nous avons parlé des portes, nous n'y reviendrons pas. Le second foyer, celui des troisièmes est très-bas, et ressemble beaucoup à une buvette ou estaminet. On y pourra fumer, nous a-t-on dit; si cela est, nos théâtres deviendront une tabagie. Quand donc les femmes s'insurgeront-elles contre cette égoïste et funeste habitude? Malheureusement les abords de la salle sont, comme au


— 135 — théâtre du Châtelet, dépourvus d'appropriations indispensables,et le publie s'en venge sur le monument : c'est déplorable. L'éclairage et la ventilation sont semblables à ceux de l'autre théâtre; nous n'avons rien de nouveau à dire de l'éclairage; mais la ventilation laisse à désirer, car elle souffle inopportunément le froid et le chaud. Quant aux petits salons ajoutés à certaines loges, ils n'étaient pas un besoin, et l'on se serait contenté d'un peu plusd'espace, car, en France, on va au spectacle pour le spectacle, ou aime les jeux scéniques, on exige tout de l'acteur; en Italie, on se contente du chant à certains moments, on cause, on joue, on se visite, et l'on ne fait silence que pendant le ballet, et c'est de cette Italie si vantée que nous estvenue la déplorable manie de rappeler les artistes avant la findu spectacle, dans le courant de la pièce et même lorsqu'ils sont morts! Nous ne connaissons rien qui tende plus à amoindrir l'art. Ces salons sont un emprunt fait à l'Italie, où ils peuvent être très-goûtés, où ils peuvent même avoir leur raison d'être en raison de ses moeurs et de ses habitudes; mais nous n'avons pas entendu dire qu'on les regrettait dans les autres théâtres. Ici, ils nous ont privé d'un foyer plus large,qui aurait profité à tout le monde, quand les salons ne sontvraiment utiles à personne. Toutes ces réflexions, Messieurs, nous les avons faites au point de vue de l'art, extérieurement cl intérieurement seulement, et aussi dans l'intérêt du public, dont la commodité doit être la loi dominante dans ces sortes de constructions; et, si Caton terminait tous ses discours par : Delenda est Carthaga, nous, nous disons : Il fallait un concours. ALEXIS GRANGER, rapporteur. 19 novembre1862.

— TYP 1 PARIS SIMON MACON ETCOMP., RUE D'ERFURTU,



- 137 PROCES-VERBAUX.

SÉANCEDU MARDI16 DÉCEMBRE1862, — Bulletinn° 7'18.— Présidence de M. P. B. FOUKNIER, président. Laséance est ouverte à huit heures et demie : Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté; __ M. le Président annonce la perte que vient de faire la Sociétéeu la personne de M. Laitié, statuaire, aux obsèques de qui il n'a pu assister par suite d'erreur d'adresse; la Sociétéy était du reste représentée par MM.Villemsens, Gavet, Turenne Malchneth. Il est procédé au dépouillement de la correspondance, qui comprend : 1° Une lettre de M. Taveau, membre de la Société, indiquant sa nouvelle adresse, rue de la Victoire, 71 ; 2° Le Bulletin de la Société académique, d'agriculture, belles-lettres, sciences et arts de Poitiers. Confiéà M. Andreï; 5° Une lettre de M. Clément, inventeur du piano à archets, demandant que la Société nomme une commission pour examiner son invention; à cet effet, MM. Delaire, président de la classe de musique, Fayet et Gendré, sont désignés pour former celte commission ; 4° Le Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny. Confié à M. Maillet; 5° Deux numéros du journal anglais The Builder; à M. Dufour; 6° Un volume du Congrès scientifique de France; à M. Horsin-Déon; 1° Quatre numéros du Messager des Théâtres; renvoyés aux archives. L'ordre du jour appelle l'élection d'un secrétaire général en remplacement de M. Bayard de la Vingtrie, démissionnaire de celle fonction. M. Lami, premier secrétaire adjoint, — N°8 JANVIER 11


— 138 — est élu secrétaire général, et les autres secrétaires montant d'un degré, M. Chamerlat est nommé troisième secrétaire adjoint. M. Villemsens, vice-président dela classe de sculpture, ci chargé au nom de deux commissions de statuer sur la candidature de MM.Gonet et Girard, sculpteurs, remet sur le bureau la feuille de présentation des deux candidats. On passe au vote secret, et MM.Gonet et Girard sont nommés membres résidents. Avis leur en sera donné par le secrétaire général. M. Granger propose de nommer une commission pour visiter les travaux de la place du Trône; la Société approuvant entièrement l'idée de M. Granger, décide que la commission qui a été chargée de rendre compte des nouveaux théâtres et qui se composait de MM. Granger, Desjardin de Morainville, Fayet et Sageret, sera priée de faire aussi un rapport sur ces travaux. M. Delaire lit une fable intitulée : La tortue, la taupe et l'écrevisse, en conférence avecle brochet (ou les antiprogressistes). M. P. B. Fournier lit une poésie ayant pour titre : Un concert pour les pauvres. Ces deux morceaux sont destinés à être lus dans la séance publique du mardi 23 courant. M. Labourieux fait une proposition qui a pour but de faire signer par les membres de la Société libre des Beaux-Arts une pétition devant être présentée à S. M. l'Empereur et rédigée par une commission de la Société du progrès de l'art industriel. Par cette pétition, la Société du progrès de l'art industriel demande à S. M. qu'une seconde exposition des arts industriels ait lieu conjointement avec l'exposition des beaux-arts de 1863. La décision à prendre sur celte proposition est ajournée. La séance est levée à dix heures et demie. Le secrétaire général, J. E. LAMI.


139 SÉANCEDUMARDI6 JANVIER1863. — Bulletinn° 749 — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures et demie, en l'absence de M. le secrétaire général qui a prévenu M. Dufour, l'un dessecrétaires adjoints tient la plume. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. La correspondance dépouillée renvoie : Aux archives : Les sujets mis au concours par la Société académique de Saint-Quentin, Et cinq numéros du Messager des Théâtres; A M. Maillet, deux numéros de la Revue artistique; A M. Moultat, les Mémoires de la Société littéraire de Lyon; A M. Dufour, trois numéros du Builder; AM. dela Blanchère, un Bulletin de la Société de photographie; AM.Horsin-Déon, trois numéros du Conseiller des artistes. Lecture est faite ensuite du compte rendu de la séance musicale du 23 décembre, lequel est approuvé. M. le Président signale la présence de M.M Girard et Gonet, nommés récemment membres résidents de la Société, et leur adresse, selon l'usage, quelques paroles de félicitation et de bienvenue. Il annonce ensuite que la Société vient de perdre ce jour même l'un de ses membres, M. Monlmeylian, homme tout jeune encore, plein de talents et d'avenir, qui a exercé les fonclions de secrétaire général et qu'une affreuse maladie a enlevé à l'affection de tous ceux qui l'ont connu. M. de la Blanchère dépose sur le bureau, comme hommage à la Société, un ouvrage qu'il vient de,terminer et, qui


— 140 — est intitulé : Répertoire encyclopédique de photographie (2 vol. in-octavo). M. Chamerlat est invité à rendre compte de cet ouvrage. M. Delaire fait un rapport verbal sur une composition de M. d'Ingrande, On ne meurt pas. Dépôt aux archives. On reprend ensuite la proposition faite dans la séance précédente par M. Labourieux, et appuyée celte fois par MM.de la Blanchère et AndrÏ; après une longue discussion de laquelle il résulte que beaucoup de membres présents ne veulent pas engager la Société dans celle circonstance, on vote l'ordre du jour et la pétition qui motive la proposition est signée par ceux des membres qui y adhèrent, mais alors comme individus. La séance est levée à dix heures et demie. Le premier secrétaire adjoint., DUFOUR.

SÉANCEDU MARDI23 DÉCEMBRE1862. — Bulletinn° 720. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. Cette séance est ouverte à 8 heures un quart. M. Biancheri fait entendre sur le piano une sonate de Weber; MlleRifaut vient après lui chanter la belle cavatine de la Favorite : O mon Fernand; puis M. Jacobi interprète sur le violon d'une manière tout à fait remarquable le morceau de Vieuxtemps I Lombardi. Un air de Tannhauser semble peu favorable à la voix de M. Fettlenger. Mlle Rollot qui, comme toujours, se multiplie, exécute sur l'harmonicorde de Debain deux morceaux dont elle rend à merveille le sentiment : Venise, barcarolle de Bazile, et Absence et retour de Veroust, et mademoiselle Castello termine gracieusement la première partie de la séance par l'air de Sémiramis, où sa jolie voix de soprano sejoue de la difficulté de l'exécution.


— 141 — La littérature, ainsi qu'on l'avait fait pressentir dans la séance du 25 novembre, demandait cette fois une petite place à la musique, et deux lectures devaient avoir lieu comme intermèdes; mais l'un des auteurs, M. Delaire, ayant faitsavoir qu'il était retenu chez lui par une indisposition, M.P. B. Fournier seul prend la parole, et dit un récit en versde sa composition intitulé : un Concert pour les pauvres, dontla lecture avait été approuvée dans la séance du 16 courant. A peine achevait-il son récit qu'il apprend que M. Aurèle est parmi les assistants avec M. Alfred d'Ilack, l'auteur de la musique du P'tit poltron et du P'lit crâne. C'est l'occasion de faire une agréable surprise, de mêler le gai au sérieux. Consulter M. Aurèle, vaincre ses scrupules à l'égard de sa toilette, qui n'est pas de circonstance, de sa voixqu'il sent un peu fatiguée, en appeler aussi à l'obligeance de M. d'IIack, faire à l'auditoire une confidence dont on imagine aisément le succès, cela est l'affaire d'un instant, et M. Aurèle reçoit une nouvelle preuve des sympathies que lui concilie le talent avec lequel il dit pour commencer la seconde partie de la séance le P'tit poltron, et pour la finir Mes yeux de quinze ans, et à la demande de tout le monde le P'tit crâne. Cette seconde partie est du reste remplie par AI"'1Rollot, qui, sur l'harmonicorde de Debain, fait entendre un cantabile de la composition de M. Delaire, et une pastorale de Bazile,— par M.Bach, jeune ténor d'avenir, dont la voix traduit avec infiniment de goût la cavatine du Barbier, — par M. Jacobi, qui exécute sur le violon un morceau de Bériot intitulé Fantaisie-ballet, — par Mlle Rifaut, qui chante // bacio d'Arditi, — par M.Biancheri, qui l'ait résonner sur le piano, et avec trop d'entrain peut-être, le Rondo des chasseurs dont il est l'auteur, — et enfin par MlleCastello et MAI.Bach et Fettlenger qui se. font vivement applaudir dans le trio du Toreador d'Adam. La séance est levéeà 10 heures et demie.


— 142 — OMISSION DANS LE PROCÈS-VERBAL DE LASÉANCE DU4 NOVEMBRE DERNIER. Après le dépouillement de la correspondance : — Sur la proposition de MM.P. B. Fournier et Bayard de la Vingtrie, la Société nomme membres correspondants MM. Charles de Constant Rebecque et le docteur Berthorand, le premier président, le second secrétaire perpétuel de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny (Jura).

ERRATUM(NUMERO DEDÉCEMBRE 1862). 19e cesmots veux : Je Page124, ligne,après imprimer... ona omis ces troismots: à mascène. Le secrétaire général, J. E. LAMI.

TRAVAUX

OBSEQUES

DE

LA SOCIÉTÉ.

DE M. MONTMEYLIAN.

Jeudi à midi ont eu lieu les obsèques de notre regretté collègue Montmeylian, auxquelles ont assisté pour représenter la Société, MM. Granger, Fayet, Andreï, Lami, Lambert, Fournier et notre agent M. Martin. Le service a été célébré à la Madeleine, puis le corps a été porté au cimetière du Montparnasse pour être déposé dans le tombeau de la famille. Après la dernière bénédiction du prêtre, M. Granger, avec une émotion qui a vivement impressionné tout le monde, a prononcé les paroles suivantes : « Nous naissons pour mourir; mais quand la Providence


— 143 — nousa permis d'unir notre destinée à celle de la femme qui avaittoute notre affection, quand de celte heureuse union sont nésdes enfants qui en sont le gage, nous devrions rester assez de temps dans celte vallée de larmes, pour protéger la mère. et élever les enfants, au moins jusqu'à l'âge d'homme. « Il n'en a pas été ainsi pour notre ami, notre collègue, LucienMontmeylian, dont la mort a fait sa proie à l'âge où la vie est souriante encore, à l'âge où l'esprit et le corps sont dans toute leur force, car c'est à trente et un ans qu'il a quitté celle terre! «A peine avait-il fini ses éludes, qu'il eut lanoble pensée de sefaire une position par le travail et, à cet effet, il fut à Lyon, pour y apprendre la fabrication des étoffes et le commerce. Constantcomme les hommes raisonnables, laborieux comme. les gens de coeur, il avait fini son pénible apprentissage ; mais des circonstances inattendues et douloureuses le rappelèrent à Paris où il dut se frayer une nouvelle voie. Homme de résolution et instruit, il trouva bientôt à faire l'applicationde ses connaissances; il traduisait, de l'anglais en français pour un ancien ami de son père et entra à l'administration des cheminsde fer d'Italie, où son zèle intelligent le fit monter promptement à un poste très-honorable; et, joignant les nuits aux jours, il augmentait sou bien-être par un travail rémunéréen dehors des heures qu'il devait à l'administration. «Accablé par ces travaux utiles qu'il poursuivit longtemps encore, il dut renoncer aux honorables et laborieuses fonctionsauxquelles vous l'aviez appelé deux fois: les forces humainesont leurs limites, le repos est indispensable au corps ainsi qu'à l'esprit, et notre jeune collègue ne vint plus que rarement à nos séances dont il devait sortir heureux, car chacun lui témoignait le plaisir qu'il avait à le revoir. «Est-ce dans ce travail constant, surhumain, pour ainsi dire, qu'il a contracté le germe de la maladie terrible à laquelleil a succombé? La science n'a pu le dire et n'a pu que combattre le mal pied à pied, avec une grande énergie. Montmeylian s'est livré comme une victime, mais comme une victimecourageuse qui marche à la mort, car il n'a jamais


— 144 — cru à sa guérison et parlait de sa lin avec un calme qui ne l'a jamais abandonné. «J'irai jusqu'au bout, disait-il, je sup« porterai tout, la nature est souvent plus puissante que la « science; cependant je ne crois pas à mon rétablissement. » « Vous qui l'avez connu dans le commerce ordinaire de la vie, vous ne sauriez croire quelle était son énergie calme, et quel coeur renfermait celle nature en apparence si frêle, si délicate, j'en peux parler peut-être mieux que beaucoup d'entre nous, car il m'avait fait confidence de tous ses projets, de ses joies et de ses douleurs, et, plus qu'aucun autre, j'ai été à même de l'apprécier, quelquefois même de lu combattre, car, comme il était homme de devoir cl inoffensif, il lui est arrivé quelquefois de se tromper sur des sentiments qui étaient bien loin du coeur et de l'esprit de ceuxà qui il les supposait à son endroit. « Cettesusceptibilité, Messieurs, est celle de l'homme honnête qui, bien qu'il ait sa conscience, a besoin de l'estime et de l'affection des autres; c'est sa première récompense, c'est l'approbation de ses actes et, en petit, ce vox populi vox Dei, l'enseignement des rois qui ont des oreilles et du coeur. « Cette tombe qui vient de s'ouvrir va garder les restes périssables de ce bon jeune homme, une des joies de sa mère, dont les soins intelligents et constants auraient dû le sauver, s'il était possible de changer les décrets de la Providence, et qui manque aujourd'hui au foyer domestique où une jeune femme et ses enfants le cherchent et l'appellent vainement. « Au revoir, mon ami; tous ceux qui t'ont connu te regrettent, et la Société libre des Beaux-Arts, dont je suis l'organe, gardera longtemps le souvenir de tes qualités aimables, de ta droiture et de ton talent qu'elle avait si bien apprécié en le nommant par acclamation son secrétaire général, malgré la grande jeunesse. » Adieu, mon ami, ou plutôt au revoir. 8 janvier 1805. Alexis GRANGER.


— 145 — RAPPORT

DE LA COMMISSION

D'EXAMINER LES TROIS THÉATRES NOUVEAUX CHARGEE — THÉATRE — THÉATRE THÉÂTRE DUCHATELET DELAGAITÉ. LYRIQUE THEATREDE LA GAITÉ. Un heureux hasard nous a mis à même de connaître la penséepremière de M. Cusin, architecte actuel du théâtre de la Gaîté, élevé sur le côté sud du square des Arts-et-metiers. La façade n'a malheureusement pas été exécutée complètement telle qu'elle avait été conçue; nous disons malheureusement, parce qu'elle avait un caractère monumental et artistiquequi n'existe dans aucun théâtre de Paris. Deuxmaisons qui encadrent la façade de ce théâtre ont forcé l'architecte à sacrifier une partie de sa conception première, mais en restant dans l'obligation de raccorder les lignes de sa façade aveccelles qui lui étaient imposées par ces deux appendices latéraux; —disons tout d'abord qu'il a su, avec beaucoup de bonheur, vaincre la difficulté. La façade proprement dite du théâtre se compose d'un rezde-chaussée évidé de cinq grandes baies à plein cintre, décorées d'archivoltes avec claveaux figurés, étagés de rainures se raccordant avec les pilastres et les intervalles à joints d'appareils. En contre-haut de la frise, qui règne au-dessus de ces cinq baies, s'élève le premier étage accusant également cinq baies plus élevées, à plein cintre, avec archivolte et imposte ornementé, le tout surmonté d'architrave, frises et corniche, supportant lesecond étage, décoré de pilastres cannelés. Le troisième étage, heureusement disposé, donne de l'élévation à la façade, en laissant un peu dans l'ombre les deux cartouches qui l'accompagnent; enfin le monument se termine par un fronton légèrement surbaissé, et dont le développement est limité par les croisées dont nous venons de parler. Tout cet ensemble est assurément d'un aspect agréable, bien qu'un peu chargé d'ornements, et l'on peut regretter que les colonnes reposent sur des socles trop écrasés, audevant desquels ou a simulé d'autres socles semblables, se


— 146 — raccordant avec la balustrade qui règne devant toute la façade. Ces doubles socles ont l'inconvénient de masquer la base des colonnes, même en se plaçant au milieu du square que l'architecte a pris pour son point de vue. Nous croyons qu'il eût été mieux de supprimer ces doubles socles et de placer la balustrade dans les entre-colonnemeuts, ce qui aurait permis, à quelque point que l'on fût placé, de jouir de l'effet de celte riche ornementation. En prenant le parti qu'il a pris, l'architecte a eu pour but de faciliter à un plus grand nombre de personnes lajouissance de l'air et de la vue; c'est une bonne pensée, mais l'art a ses exigences. On peut aussi regretter que l'architecte se soit éloigné au premier étage de la marche qu'il a suivie pour les pilastres et impostes du rez-de-chaussée; ses colonnes auraient plus d'élégance, les impostes moins d'importance, et l'ensemble y eût gagné, nous le croyons. Comme l'espace manquait pour abriter tout le monde, l'architecte a eu l'heureuse idée de vitrer l'isolement de gauche, dont l'entrée est par la rue Réaumur, et de le consacrer au public des amphithéâtres, qui, après avoir pris son billet, trouve près du bureau les escaliers qui le conduisent aux places qu'il doit occuper. L'autre isolement, auquel on accède par une des portes de la façade et par la rue Réaumur, est approprié au service de l'Empereur, et utilisé pour le public les jours où Sa Majesté ne vient pas au théâtre. Les quatre autres portes donnent accès au vestibule qui contient un grand escalier à double révolution; les bureaux et le contrôle sont heureusement placés. Quatre escaliers montant de fond, reliés entre eux par des couloirs de 4 mètres de largeur, assurent le service et le dégagement de toutes les places de galerie et des loges. Deux autres escaliers sont spécialement destinés au service des amphithéâtres et de leur foyer, sans aucune communication avec les autres places; celui de gauche est fermé du haut et du bas, tant que l'Empereur assiste à la représentation. Tous ces escaliers et couloirs sont aérés sur les isolements. Ces dispositions permettent au public de circuler partout


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147 —

sans encombrement à partir du vestibule, car tandis que ceux qui doivent occuper la galerie et les loges montent l'escalier principal, pour se répandre dans les couloirs et prendre un des quatre escaliers qui doit les conduire à leurs places, le publicdu parterre passe sous le grand escalier et arrive à un vestibulequi lui donne accès dans la salle; d'un autre côté le publicdes amphithéâtres, entrant par la rue Réaumur, monte, aprèsavoir fait queue dans l'isolement, l'escalier spécial qui lui est destiné. Pour faciliter la sortie, on a pratiqué trois portes qui ouvrent sur l'isolement à la fin du spectacle. Le foyer principal est établi à la hauteur des loges de la première galerie; on y communique par quatre portes, malheureusement trop basses, et, de l'étage supérieur, on jouit de l'aspect du foyer au moyen de balcons pratiqués au-dessus do chaque porte. Ce foyer, très-vaste et très-élevé, est orné d'une frise à fond d'or, qui renferme les portraits des grands auteurs dramatiquesde la France, de l'Angleterre et de l'Allemagne, qui sont généralement bien réussis : quatre colonnes, enrichies par une ornementation en or, le décorent dans sa longueur et reposent sur des socles semblables à ceux de la façade; à chaque extrémité sont deux grandes et belles cheminées. Le plafondest à caissons avec sujets variés peints et d'un trèsbon effet; au point milieu de ce beau et vaste foyer est une borne garnie de banquettes circulaires. Les cinq larges baies de ce foyer, qui occupent toute la façade, permettent de jouir de la vue du jardin du square et de prendre l'air. Le second foyer, à la hauteur des amphithéâtres, est éclairé par six baies plus petites, sans balcon, et offre les mêmes avantagesque le grand foyer sous le rapport de l'air et de la vue. La salle, dont la forme est un cercle complet de 17m,50 de diamètre au plafond, comprend : l'orchestre (stalles de fauteuils), les baignoires, le parterre, le balcon, la première galerie et les loges de la galerie: les premières loges, la deuxième galerie, les deuxièmes loges et un amphithéâtre des


— 148 — deuxièmes loges; enfin une troisième galerie et le grand amphithéâtre. Ces divers rangs de loges sont disposés de manière à former amphithéâtre. Le dernier étage est composé d'une série de colonnettes apparentes supportant la corniche à laquelle se rattache le vélum qui décore le plafond. Un nouveau système d'éclairage supprime le lustre, tout foyer apparent de lumière, et sert en même temps à la ventilation, qui se complète par l'action de deux calorifères devant assurer, en toute saison, le maintien d'une température modérée et le renouvellement de l'air; ce système a besoin d'être encore étudié. La loge impériale est à l'avant-scène, à droite de l'acteur et d'un très-bon effet. On y accède, comme nous l'avons dit, par un escalier particulier partant d'un vestibule spécial. Elle est précédée d'un salon au-devant duquel le vaste palier de l'escalier forme antichambre : attenant au salon est le boudoir de S. M. l'Impératrice, avec un cabinet de toilette. A l'entre-sol, au-dessous de l'antichambre, se trouve le salon des ofliciers de service. Malgré les observations que nous avons cru devoir l'aire à notre point de vue, nous reconnaissons que M. Cusin est un homme de talent, qu'il a tiré un très-bon parti de son terrain, ce qui n'était pas facile, car l'axe de la salle n'est pas le même que celui du foyer; de plus il était borné de tous côtés par des constructions, cl malgré cette gêne, il a satisfait aux règlements pour les isolements, et trouvé le moyen de les utiliser au profit de l'ordre et du public. Les hommes complets s'occupent également des petites et des grandes choses, aussi M. Cusin a-t-il eu l'heureuse idée de ménager à l'entrée des loges des parties rentrantes qui permettent d'y entrer et d'en sortir sans que le développement des portes fasse saillie dans les corridors ; à l'aide de cette précaution, la circulation n'est pas gênée comme partout ailleurs, et l'on peut même rajuster certaine partie de sa toilette avec facilité : rien n'est à négliger dans les grandes réunions.


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Lesfauteuils sont fixes. Quant au parterre, aux places de côté et aux amphithéâtres, il faudrait répéter ce que nous en avons déjà dit, et, dans ces dispositions communes aux trois théâtres, nous trouvons la preuve d'un mot d'ordre donné bien fatalement à MM.les architectes. Le mal est l'ait, mais n'est pas sans remède. Le nombre des places au théâtre de la Gaîté est de 2,000. Lechiffre de la recette, salle pleine, est de 5,800 fr. Toutes ces nouvelles salles sont, intérieurement et extérieurement, supérieures de beaucoup à celles qu'elles remplacent, c'est incontestable : elles ont deux foyers, un charmant éclairage exempt de tous les inconvénients attachés à l'ancien; elles sont, ou seront mieux ventilées; elles sont plus richeset de meilleur goût ; les dégagements sont plus nombreux et mieux compris, si on en use. Tout cela est beaucoup, mais le problème n'est pas encore résolu; la coupe de la salle n'est pas une innovation, et celle de l'ancien Théâtre-Lyriqueméritait d'être étudiée; le public n'est pas mieux qu'ailleurs et n'a pas plus d'espace; il fallait reproduire la galerie extérieurequi enveloppe le monument de l'Odéon; il fallait que l'on descendît de voiture à couvert, que les dames trouvassent un salon d'attente à la fin du spectacle; qu'il y eût un vestibule pour les domestiques; il fallait enfin que l'on pût, sans augmentation de prix, retenir ses places dans le courant de la journée. L'architecte du théâtre de la Gaîté a fait tout ce qu'il pouvait, l'espace lui manquait; mais les autres théâtres sont loin d'être ce qu'on espérait, et, dans une ville comme Paris, où tant de belles et importantes choses ont été faites, il est à regretter qu'on ne puisse pas montrer avec orgueil des théâtres nouveaux, parfaits comme monuments, et des salles modèles où le public voit, entend à toutes places, et peut sans fatigue et sans gêne, assister aux représentations qu'on lui fait payer si cher. Il fallait un concours. ALEXIS GRANGER.


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UN CONCERT

POUR

LES

PAUVRES.

Un maire tout entier au soin de sa commune, El qui bien souvent même ébréchait sa fortune Pour venir au secours de ceux qui n'avaient rien, S'appliquait tous les jours à trouver le moyen De féconder les dons du monde charitable. Le plus digne à ses yeux et le plus profitable, Le plus capable enfin d'inspirer l'intérêt, Lui parut d'un concert l'irrésistible attrait. Des artistes de coeur l'extrême complaisance Du riche stimulait toujours la bienfaisance. Quoi de mieux? Et lui-même il aimait tant cet art Qui sait interpréter Beethoven, Gluck, Mozart, Initier notre âme à ces flots d'harmonie Que pour notre plaisir enfante le génie! Il forme son concert d'abord en son esprit, Puis de qui peut l'aider met en jeu le crédit. Crédit heureusement d'influence certaine : Sa commune, restée aujourd'hui suburbaine, Dans la belle saison voyait alors la cour Venir avec délice y faire son séjour. La cour le connaissait, estimait sa droiture Toujours prête à guider la pauvre créature Vers l'espoir, vers le bien que le travail promet, A repousser le fort, si le fort opprimait. Ce crédit lui rendit ses instances faciles, Pour ses pauvres émut des artistes habiles, Et comme par le fait de quelque enchantement, Au gré de ses désirs et pour être charmant.


— 151 — Le concert s'arrangea de façon que, la veille, Toute place était prise et qu'on chantait merveille. Commemonsieur le maire eut des rêves heureux, Cettenuit-là, charmé qu'il était que pour eux Les pauvres désormais eussent une ressource Qui si vite et si bien pût faire ouvrir la bourse! Il se leva joyeux, désirant d'être au soir, D'entendre, d'applaudir chaque artiste et de voir Lesassistants ravis, en souscrivant d'avance, D'un concours à venir lui donner l'assurance. Unelettre survient. O contre-temps fatal! Sur quoi compter, mon Dieu! L'artiste principal, L'artiste dont le nom a forcé la recette, Par un motif subit, mais puissant qu'il regrette, Est ailleurs appelé. Que n'a-t-il donc plus tôt, Pour conjurer le mal, fait parvenir son mot? Comprend-on le dépit qu'en éprouve le maire? Aumoment décisif, manquer ainsi! Que faire? Quelque soit le public qui donne son argent, Il a droit de blâmer, de se faire exigeant. Si, trompant son plaisir en trompant son attente, Bienmoins qu'on a promis est ce qu'on lui présente. Redoutant cet effet, le maire ne veut pas Rester sans rien tenter pour sortir d'embarras. Il prend son parti, court chez l'artiste bien vite; Disposé,s'il le faut, à payer son mérite. Porte close. Ira-t-il, après cet insuccès, Pour réussir ailleurs risquer d'autres essais? Pourquoi pas? Justement une idée à cette heure Lui traverse l'esprit. Tout près de là demeure bu artiste connu, bien autrement fameux Que celui qui le rend inquiet, malheureux. C'est l'instant de braver la chance détestable. Qu'en peut-il arriver? Un refus, — c'est probable. Maisce n'est que probable. Et, s'il réussissait, Si le hasard enfin à bon port le poussait, Quel triomphe pour lui! Sans penser davantage.


— 152 — Il se rend chez l'artiste, et, bref en son langage, Il lui dit son espoir. « Merci, monsieur, merci, « D'avoir compté sur moi, réplique celui-ci. « Je suis toujours heureux du talent qu'on me donne, « Dès qu'il peut aider ceux que le sort abandonne : « Vous pouvez pour ce soir promettre mon concours. » Cefut bien pour le maire un de ses plus beaux jours. Enchanté, transporté du succès de sa peine, Il veut à son retour se ménager la scène Des assistants surpris, quand le soir il dira Pour l'artiste manquant l'artiste qu'on verra. Aussi pas un seul mol qui mette sur la voie, Pas un qui laisse rien soupçonner de sa joie, Et pas un nom surtout, si bien que la froideur Menace le concert d'un accueil peu flatteur. Mais quand on sait l'artiste, et qu'il traduit son âme En brûlante harmonie, on se lève, on l'acclame. Jamais l'enthousiasme en accents chaleureux, Au superbe talent, au talent généreux Ne sut manifester avec plus de puissance Et le ravissement et la reconnaissance. Cen'est pas tout. L'artiste, alors que les échos Ne retentissaient plus que des derniers bravos, Et qu'on partait, remet secrètement au maire, Qui se fait un devoir de trahir le mystère, Son tribut au malheur apporté tout exprès, L'obole destinée à l'oeuvre des bienfaits. Cecoeur si noblement inspiré, l'artiste, C'était Listz, c'était Listz, le célèbre pianiste, Qui venait d'ajouter là, pour les indigents, Au charme de son art l'offrande de cent francs. 25 décembre1862.

—IMP. SIMON ETCOMP., RUE 1. PARIS; RACON D'ERFURTH,


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PROCES-VERBAUX

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SÉANCEDU MARDI20 JANVIER1863. — Bulletinn° 721.— Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. Laséance est ouverte à huit heures et demie : Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté, Ilest procédé au dépouillement de la correspondance, qui comprend : Un bon pour retirer un exemplaire du Précis analytique des travaux de l'Académie impériale des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, pendant l'année académique 18611862, remis à M. Martin. Deux numéros du Builder, confiés à M. Dufour. Mémoires de l'Académie impériale de Metz, à M. Villemsens. Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny, à M. Maillet. Sont renvoyés aux Archives un Bulletin de la Société française de photographie ; deux Bulletins de la Société I. et C. d'agriculture de France ; Annales de la Société d'horticulture de la Haute-Garonne ; quatre numéros du Moniteur des Théâtres. La correspondance étant épuisée, la parole est donnée à MM.les rapporteurs. M. Delaire lit au nom d'une commission un rapport sur le piano à archets de M. Clément et demande pour l'inventeur la plus hante récompense. Cette demande est renvoyée à la commission des récompenses, qui statuera. Le rapport sera inséré dans les Annales. Il s'engage une discussion entre M. Delaire et M. Granger — N°9 FÉVRIER 12


— 154 — sur la partie mécanique du piano, dont ou promet l'audition à la séance musicale du 27 courant. M. Villemsens lit un apologue intitulé le Jour de l'an; M. Granger lit un autre apologue qui a pour titre le Chêne; tous les deux figureront au programme de la séance du 27. M. Bayard de la Vingtrie lit une Notice sur le siège du prêtre de Bacchus trouvé à Athènes, et une autre sur un basrelief antique aussi trouvé à Athènes et déposé en ce moment chez M. le Président. Ces notices, qui témoignent des connaissances archéologiques de notre collègue et qui sont rédigées avec beaucoup de soin , sont parfaitement appréciées et seront insérées dans les Annales. La séance est levée à neuf heures et demie. Le secrétaire général, J. E. LAMI.

SÉANCEDUMARDI27 JANVIER 1863. — Bulletinn° 722. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. Par suite d'un malentendu, le piano Erard, sur lequel mademoiselle Muller, membre de la Société, devait exécuter deux morceaux, n'ayant pas été apporté, il en est résulté des démarches qui ont quelque peu retardé l'ouverture de lu séance. Le piano Clément, qui était là pour être entendu comme instrument nouveau, et qui, au besoin, devient un piano ordinaire, a heureusement suppléé à celui qu'il était impossible de se procurer. Mademoiselle Muller, n'osant pas risquer l'exécution de ses morceaux sur un piano qu'elle ne connaissait pas, s'est résignée de bonne grâce à être inscrite au programme d'un autre mardi, et le Président, en ouvrant la séance, a fait partager à l'assemblée son regret d'ajourner le plaisir de l'entendre. La musique et la littérature ont tour à tour provoqué des


— 155 — applaudissements qui ont largement compensé les appréhensions qu'avait fait naître l'incident du piano. M. Ferraris, sur le piano-Clément à sons continus, a exécuté l' Ouverture de Sémiramis, puis une fantaisie sur le Pardon de Ploermel, et a accompagné l'Ave Maria de Schubert, que chantait, avec toute l'expression désirable, mademoiselle Panchioni, membre do la Société, qu'on avait applaudie quelques instants auparavant dans l'air du Serment d'Auber ; — M. Troy jeune, dans la romance d'Haydée et l'air de Gibby, a fait remarquer une belle voix de baryton que perfectionnera l'expérience; — M. boys, premier prix du Conservatoire, a fait entendre sur le violoncelle un thème de Haendel, arrangé par Franchomme, morceau qui, de l'avis général, ne mettait pas assez en relief les belles qualités de l'archet du jeune lauréat; — mademoiselle Pichenot a recueilli sa bonne part d'applaudissements en disant l'air des Noces de Jeannette et la romance des Mousquetaires ; — M.Vincent, ténor à la voix sympathique et délicieusement conduite, a chanté en véritable artiste Lorsque j'aimais, de Nadaud, et la romance des Mousquetaires; —M. Aurèle, que son accompagnateur, M. A. d'Hack, comprend à merveille, a produit son effet accoutumé, une gaieté de bon aloi, par l'esprit qu'il a su ajouter à J'n'ose pas, deGroût, le Niddu Berger, de Delange, et la Chanson de Fortunia, de Plantade. La lecture de trois apologues était mêlée à l'exécution musicale. On a entendu le Jour de l'an, de M. Villemsens, le Chêne,de M. A. Granger, qui ont été lus par M. P. B. Fournier, et la Tortue, la Taupe et l'Écrevisse en conférence avec le Brochet, ou les antiprogressistes, dont l'auteur, M. Delaire, a donné lui-même la lecture. Ces morceaux, parfaitement appréciés, complétaient le programme de celte séance, qui s'est, terminée à dix heures et demie par des remercîments que le Président adressait aux altistes, au milieu des bravos de l'assemblée, bravos dont il l'apportait l'honneur à mademoiselle II. Rollot, à qui l'on devait presque entièrement les éléments et l'organisation du


156 concert, et qui, comme accompagnatrice de presque tous les artistes, n'avait pas paru plus embarrassée sur le piano qu'elle touchait pour la première fois que si c'eût été sur son piano d'habitude.

SÉANCEDU MARDI3 FEVRIER1863. — Bulletinn° 723. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures et demie. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. Lecture du compte rendu de la séance du mardi 27 janvier. Il est procédé au dépouillement de la correspondance, qui comprend : Deux numéros du Builder, renvoyés à M. Dufour. Mémoires de l'Académie impériale des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, à M. Sageret. Sont renvoyés aux archives, Journal de la Société impériale et centrale d'horticulture, trois numéros du Messager des Théâtres. La correspondance étant épuisée, M. Dubouloz lit un travail dont il estl'auteur et qui a pour titre : Quelques réflexions sur le sort des artistes et sur le jury de l'Exposition. La séance est levée à dix heures. Ie troisième mardi de février étant le mardi gras, la Société ne tiendra pas séance ; les membres du bureau et des comités d'administration et de rédaction sont invités à se réunir le jeudi 19 courant à huit heures du soir chez le président Le secrétaire général, J. E. LAMI.


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TRAVAUX

RAPPORT

DE

SUR

LA SOCIETE

LE PIANO CLEMENT AUNOM

DELACOMMISSION NOMMÉE POUREXAMINER CEPIANO. Messieurs, Les dix-septième et dix-huitième siècles, les règnes des LouisXIV, Louis XV et même Louis XVI, aux esprits raffinés, aux prétentions vaniteuses, aux élégances outrées et pleines (l'afféterie, n'avaient, pour danser le menuet et accompagner leurs sentimentales bergeries, qu'une maigre épinette à laquelle a succédé le clavecin plus doux, mais dont la sonorité était un rêve. Cependant c'est sur des instruments aussi défectueux que Rameau, Lulli et Gluck ont élucidé leurs créations musicales d'une originalité si naïve, ce qui prouve que le génie, comme Gusman, ne connaît pas d'obstacles, et pourjustifier mon appréciation du clavecin, je dois vous dire que j'en ai possédé un ayant appartenu à Marie-Antoinette et que j'ai cédé à Choron, l'érudit professeur, ancien directeur de l'Académie royale de musique. Avec un nouveau siècle apparaît un nouvel instrument à louches, le piano-forte, par opposition, sans doute, au clavecin faible: c'était le petit piano carré long d'Érard, commençant, dans la confection et le perfectionnement de cette sorte d'instrument, une révolution qui s'est continuée jusqu'à nos jours, en nous dotant des excellents pianos à queue de la même maison Erard et de celle de Pleyel. La souplesse des touches, l'ampleur des sons et la douceur de la vibration des cordes, en ont fait reconnaître la supériorité sur tous les autres. Assurément, ils réunissent un grand nombre de qua-


— 158 — lités qui leur donnent beaucoup de charmes et font ressortir l'habileté de l'exécutant; mais il leur manque ce que tout musicien par organisation a toujours vainement désiré : l'expression bien rendue de la sensibilité de l'artiste. Que de tentatives ont été faites pour arriver à ce beau résultat ! Toutes n'ont pas été infructueuses, elles ont établi des précédents utiles; mais elles n'ont pas été complètement satisfaisantes. Dès les premiers pas de l'éminent facteur Erard et de ses concurrents dans la voie progressive qu'ils avaient l'intention de suivre, pour améliorer le piano et obtenir la prolongation des sons produits par les marteaux, leurs efforts allaient être rendus vains, par l'invention d'un inconnu qui venait de trouver la solution du problème ayant pour objet de rendre ce piano expressif. En effet, l'orchestrino ou petit orchestre était un instrument à clavier qui imitait parfaitement le jeu du violon, de l'alto, du violoncelle, de la contre-basse ; ses idées élémentaires avaient été vraisemblablement puisées dans une machine qui stationnait alors sur les places publiques et rendait des sons énervants, au moyen d'un cylindre frottant des vases en verre mouillé; il en a été de l'orchestrino comme de ces météores qui se montrent soudainement à l'horizon et s'évanouissent presque aussitôt : l'auteur ayant péri dans un naufrage, a emporté son secret avec lui. Bien avant, en 1609, Jean Haydn avait fait le violon-clavecin, dans lequel de petites roues recouvertes de parchemin enduit de colophane mettaient en vibration des cordes de boyau; puis vinrent successivement le sostenante piano-forte, le clavecin vielle, et en 1830 le polyplectron de Diest, qui a été jusqu'ici le dernier mot des instruments à archet, ainsi que le dit trèsbien M. Roy dans sa notice sur le piano-Clément, que nous venons d'entendre avec une vive satisfaction vibrer sous les doigts exercés de M. Ferraris. Ce piano, messieurs, de la dimension à peu de chose près du piano droit ordinaire, est à sons continus, au moyen d'archets ou de petits rubans de soie frottant les cordes et mis en mouvement par un cylindre, mû lui-même par une pédale. Cesrubans se déroulent d'une bobinetle pour s'enrouler sur une autre, et, plus ou moins


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tendus par une lige de métal qui s'appuie contre ou se retire, selon que la main presse plus ou moins la touche, produisent les divers degrés d'intensité du son prolongé : le crescendo, le decrescendo, toutes les nuances d'expression vigoureuseset douces. Ce qu'il y a de particulièrement remarquable dans cet instrument, c'est qu'il reproduit le timbre du violoncelle à s'y méprendre; des accords brisés dans le médium rappellent l'alto, et des gammes dans les notes aiguës coulées ou détachées ont une précision et une vivacité qui défient le violonistele plus souple, le plus maître de sa main. De même que le piano-orgue Debain et Blondel, le piano à archet, qu'il ne faut pas confondre avec ceux-ci, qui sont à jeu d'anches, devient comme eux, au gré de celui qui en joue, un piano simple, soit pour une partie haute ou basse, soit pour la totalité du clavier, et l'on peut en même temps opposer la percussiondes marteaux à la pression de l'archet : il suffit pour cela de tirer un ou plusieurs des quatre registres qui sont au-dessusdu clavier et de presser la pédale; alors la touche, attaquée instantanément, fait naître le son sec, bref, détaché du piano, tandis que la pression des doigts sur les touches, obtient la liaison, la prolongation, l'augmentation ou la diminution des sons, qui interprètent les sentiments de la manière la plus émouvante. Grâce à l'invention de M. Clément, le piano soutient les sons sans jeu d'anches, il les augmente ou les diminue à volonté, il partage, pour ainsi dire, l'émotion de l'exécutant; enfin il chante maintenant et réalise le voeu de tous ceux qui s'occupent de musique : la statue de Pygmalion est animée. Une mélodie expressive et bien phrasée, accompagnée par des accords plaqués, brisés ou liés, est au niveau de la meilleure exécution par des artistes du plus grand talent sur leurs instruments divers. Donc, dans notre siècle moins prétentieux, nous sommes mieux pourvus que nos ancêtres; au surplus, M. Clément poursuit avec une persévérante activité la noble tâche qu'il s'est imposée, et il est à présumer qu'il obtiendra un succès immense, s'il réussit, comme nous l'es-


— 160 — pérons, à atteindre le but auquel il aspire, de ne pas laisser la moindre lacune dans le perfectionnement de son piano et de le rendre le rival de la famille des instruments à archets en usage dans les concerts et les orchestres. Tel qu'il est maintenant, ce piano est d'une portée de sept octaves, c'està-dire, depuis cellede la contre-basse jusqu'à celle du violon y compris; la sonorité en est pure, l'accentuation soutenue et bien marquée, la percussion rapide et précise. Nous avons cru vous être agréable en sollicitant une audition de ce piano pour la soirée du mardi 27 de ce mois, ce sera une primeur ; car, selon l'expression de M. Roy, qui nous a faitles honneurs du salon de M. Clément, celui-ci n'a, jusqu'à ce jour, soulevé que pour un petit nombre d'amis, le voile qui recouvre son instrument, sur lequel vous entendrez parfaitement exécuter par M. Ferraris, les morceaux les plus saillants de l'opéra de Robert le Diable et l'ouverture de Sémiramis, qui en mettent en relief tous les avantages. Tel est le rapport, messieurs, que je viens vous soumettre au nom de la commission nommée par vous, et composée de MM.Fayet,Gendré et Delaire,pour examinerle piano-Clément. Cette Commission vous propose de décerner votre plus haute récompense à M. Clément pour son invention. Le rapporteur, DELAIRE.

TRAVAUX

PARTICULIERS.

NOTICE SUR RÉCENTESDÉCOUVERTES FAITES A ATHÈNES, PARLAMISSION PRUSSIENNE. SCIENTIFIQUE Les événements politiques qui viennent de se produire en Grèce ne doivent point nous faire perdre de vue d'importantes


— 161 — découvertes, résultat des fouilles opérées sur le sol d'Athènes. Unecommission d'artistes et d'archéologues prussiens, sous la conduite de MM.Strach et Boetticher, vient d'exhumer, il y a quelques mois à peine, à l'extrémité orientale de la partie sud de l'Acropole, le fameux théâtre de Bacchus, le plus ancien édifice de ce genre qui ait été construit en pierre ; ce monument, qui a retenti tant de fois du bruit des applaudissements prodigues aux beaux vers d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide, et de l'hilarité provoquée par les mordantes comédies d'Aristophane. Ce théâtre, élevé par Thémistocle, a été, depuis, l'objet de diverses restaurations, dont la plus importante paraît dater de l'époque de l'empereur Hadrien. On a trouvé, en effel, au milieu des ruines, les statues d'Hadrien empereur et d'Hadrien archonte. — En avant des gradins destinésà la masse des spectateurs étaient divers sièges destinés aux principaux magistrats de la ville. Le plus magnifiqueest sans contredit le siège du prêtre de Bacchus, auquel la véritable place d'honneur était réservée au milieu de l'orchestre, faisant face à la scène Ce privilège se conçoit, puisque les représentations théâtrales, à Athènes, se trouvaient étroitement liées au culte de Bacchus, dont les fêtes solennelles étaient principalement célébrées par des combats de poésie et de musique, suivis de la distribution des récompenses. — Le siège du prêtre de Bacchus est le principal monument exhumé des ruines du théâtre. Un moulage de ce siègea été pris par les soins de M.Léon Renier, de l'Institut, et l'on vient de le déposer, par ordre de M. le ministre de l' instruction publique, sur le palier de la bibliothèque de la Sorbonne. Les sculptures de ce monument sont et devaient être nécessairement relatives au culte de Bacchus. Elles portent le cachet du style archaïque, c'est-à-dire celui des époques les plus anciennes, lequel avait repris faveur au temps d'Hadrien. Sur le dossier sont deux satyres barbus qui se dressent en soutenant des ceps de vigne; or, la barbe était l'attribut dusdieux aux époques les plus anciennes, et ce n'est guère quedepuis Praxitèles que les dieux ont été représentés imber-


— 162 — bes. Sur la frise du siège proprement dit on voit une divinité, la tête ceinte de bandelettes, combattant des lions ailés, sujet qui offre une étonnante analogie avec ceux que l'on remarque sur les cylindres gravés de Ninive et de Persépolis. Comme on le voit, ces sculptures sont traitées dans le style archaïque. Il y a plus, le siège lui-même affecte la forme d'un trône assyrien, et l'on en voit un spécimen analogue nu Musée du Louvre. Le sujet représenté sur les bras du fauteuil est conçu au contraire d'une manière tout à fait libre, et dans le bon style des époques plus récentes. C'est Agon, le dieu de la palestre, excitant deux coqs au combat. Les combats de coqs étaient une fête officiellechez les Athéniens, depuis que Thémistocle, ayant donné ce spectacle à ses troupes avant la bataille de Salamine, s'écria : « Ne rougiriez vous point de combattre pour votre patrie avec moins d'acharnement que ces animaux qui ne luttent que pour le seul honneur de vaincre? » Voilà pourquoi ce sujet se trouve représenté sur le trône du prêtre de Bacchus. Quelque remarquable que soit ce monument, un défaut capital s'y fait sentir: c'est le manque d'homogénéité, c'est l'alliance de deux styles qui s'excluent l'un l'autre, c'est un retour réfléchi et calculé vers le style archaïque. Il arrive en effet un moment, dans l'histoire des sociétés les plus civilisées, où, après de longs siècles de gloire artistique, il semble que le génie s'éteigne, que le talent pâlisse. En effet tous les sujets ont été successivement épuisés ; l'on n'en peut plus traiter aucun sans craindre de tomber dans le lieu commun, à moins d'y échapper par une extravagante originalité. L'art ressemble à un sol épuisé par une longue culture, ou bien A une plante qui s'étiole faute d'air. Alors on s'ingénie a trouver un remède au mal, et l'on ne trouve rien de mieux que d'opérer un brusque retour vers le style des époques les plus anciennes. Le pastiche remplace l'inspiration, l'artiste se métamorphose en archéologue, et l'imitation dégénère en pédanterie. On reprend la série des transformations successivesde l'art, en revenant à son berceau. On dirait d'un vieillard dont le souvenir se reporte avec plaisir vers les sou-


— 165 — venirsde la tendre enfance. Or ce retour vers l'archaïsme caractérise précisément l'époque d'Hadrien. Tellessont les réflexions que nous a suggérées la vue du siègedu prêtre de Bacchus. Mais un résultat important de la découvertede ce monument, c'est que l'on connaît à présent la place positive occupée par le prêtre de Bacchus. Il trônait au milieu du théâtre, ayant à ses côtés, à droite et à gauche, les prêtres des autres divinités et les magistrats de la ville, dont ou a retrouvé également les sièges moins élevés, moins ornés que ceux du prêtre de Bacchus ; chacun d'eux porte une inscription grecque, gravée dans le style des inscriptions impériales, et qui ne laisse aucun doute sur leur destination. Or ce fait, bien avéré par le fait de la nouvelle découverte de la mission prussienne, est fort utile pour expliquer un passage, jusqu'alors obscur, d'une comédie d'Aristophane, intitulée : les Grenouilles. C'est celui où Bacchus se prépare à passer l'Achéron. À la vue du fleuve infernal, une terreur épouvantable s'empare du bon Bacchus qui, ne sachant plus à quelle déité se vouer, prend le parti d'invoquer le secours de son prêtre, connu, à ce qu'il paraît, dutempsd'Aristophane, pour un vaillant gastronome. « Omon prêtre, s'écrie-t-il, sauve-moi d'ici... et garde-moi une place dans tes festins. » Je laisse à penser quelle hilarité suivit cesparoles, comme les regards de la foule durent se porter sur le prêtre de Bacchus, combien son maintien devait être embarrassé par la hardiesse de celte apostrophe, d'autant plus mordantequ'elle était tout à fait imprévue ; à moins que le prêtre de Bacchus n'ait eu le bon esprit d'en rire tout le premier, puisque, après tout, par la nature même de son sacerdoce, il devait être nécessairement enclin aux entraînements du culte bachique. BAYARD DELAVINGTRIE.


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SUR LESORTDESARTISTES ETSURLEJURYDE L'EXPOSITION, PARM. DUBOULOZ. Dans un siècle où l'on parle sans cesse du bonheur des masses ; où le progrès est à l'ordre du jour, où les gouvernements font véritablement des efforts pour donner à tous tout le bien-être possible, pourquoi les artistes seraient-ils des déshérités? pourquoi tourner toujours à leur égard dans un cercle vicieux? C'est, je crois, parce que leur position n'est pas bien définie, et que, sans avoir fait aucune étude, le premier venu peut se dire artiste, et quelquefois, avec l'aide d'une camaraderie de journal, se poser en grand homme ou en génie incompris. De là des triomphes d'un jour et des misères de toute la vie. Nepourrait-on pas par quelques moyens empêcher un état de choses qui ne fait que grandir? Par exemple, puisqu'il faut un diplôme pour exercer la profession de médecin, d'avocat, etc., pourquoi n'exigerait-on pas des examens, une preuve quelconque, pour être reçu artiste? En posant ainsi une barrière dès le début, on ferait rentrer dans des carrières plus lucratives un grand nombre dejeunes gens qui encombrent la société de membres inutiles et quelquefois dangereux. Que d'hommes se jettent dans les arts sans avoir reçu de la nature les dispositions nécessaires pour réussir, se figurant que le métier d'artiste est un métier de paresseux ! Ils ne voient les difficultés que lorsqu'il est trop tard pour reculer ; ils manquent de force et d'énergie pour acquérir par le travail le talent qu'ils n'ont pas ; ils tombent en route et restent toute leur vie des quarts ou des huitièmes d'artistes, ce qui n'est pas précisément aussi avantageux que d'être quart ou huitième d'agent de change; puis, comme ils n'ont pas l'élévation du style et le pureté dudessin, qui demandent de fortes études, ils préconisent le mauvais


— 165 — goût, s'en font les adeptes : et malheureusement, la mode pesant énormément sur les arts en France, on voit avec chagrin délaisser les chefs-d'oeuvre des David, des Gros, des Girodet, pour tel pastiche de la mauvaise école qui se paye au poids de l'or. Mais, si l'on arrivait à assurer l'état des artistes, si un brevet était donné à ceux qui auraient fait leurs preuves, ils pourraient alors se lancer dans le genre qui leur conviendrait, certains que leurs études seraient assez fortes pour qu'ils ne donnassent pas le triste spectacle que nous voyonsse produire tous les jours. Ils ne chercheraient pas à attirer l'attention des oisifs et des faux connaisseurs par des ouvrages excentriques; cela pourrait bien arriver encore quelquefois, mais ce serait l'exception. Il faudrait donc établir une commission d'examen prise parmi les membres de l'Institut. La personne qui désirerait obtenir un diplôme lui présenterait un ouvrage signé d'elle, et sous le patronage de deux artistes qui certifieraient ledit ouvragefait entièrement par le postulant. L'ouvragepourrait être exposé, avant et après le jugement, dansune salle du palais des Beaux-Arts. Les artistes reçus ou diplômés seraient seuls admis aux salonsannuels et ils y seraient admis de plein droit; ils auraient liberté tout entière d'exposer leurs ouvrages et ne relèveraientplus que du public; si le nombre des objets présentésétait trop considérable, on pourrait le limiter. Les moeurs et la politique seraient sous la sauvegarde d'un commissaire. Le jury d'Exposition serait ainsi supprimé, et ce ne serait pas un des moindres avantages, de cette combinaison, car, telqu'il est organisé, il juge avec si peu d'impartialité, que la consciencede beaucoup de membres de l'Institut les empêche d'en faire partie. On ne verrait donc plus de vieux artistes refusés,parce qu'ils ne sont plus de mode ou parce que leur talent faiblit. C'est une chose qu'il faut respecter ; et le public doit savoir reconnaître le. talent d'un homme qui a passé sa vie à lui procurer des jouissances, mieux que le jury qui ne s'inquiète pas du passé d'un artiste. Pour que les jugements


— 166 — du jury ne fussent pas entachés d'injustice, il fondrait qu'il ne reçut aucun tableau plus faible que ceux qu'il refuse, ce qui est matériellement impossible. N'avons-nous pas vu de trèsbons tableaux refusés, et ne pourrait-on pas même citer tel artiste qui repoussé d'abord et renvoyant à l'Exposition suivante son tableau sans l'avoir retouché, fut reçu et décoré1! Après l'Exposition générale, on pourrait nommer une commission, choisie parmi les membres de l'Institut, qui désignerait les tableaux les plus remarqués du public et ceux qui mériteraient encore de lui être signalés : ces oeuvresseraient exposées de nouveau pendant quelques jours. Cet hommage rendu au talent, et qui ne coûterait pas cher au gouvernement, serait un honneur bien certainement ambitionné par tous les artistes. Le public est meilleur juge qu'on ne pense, et, malgré l'engouement passager qu'il peut avoir pour des choses puériles, il sait reconnaître le mérite et revenir aux belles oeuvres. Malheureusement les journaux cherchent bien quelquefois a lui imposer une manière de voir en portant aux nues des oeuvres plus que médiocres, mais il est rare qu'il ne finissepas par comprendre que l'article critique est l'opinion d'un seul homme dont le mérite souvent est d'avoir retenu quelques termes techniques en flânant dans les ateliers, il le laisse noircir son papier, reprend ses droits et fait enfin justice des mauvaises choses. Laissons-le donc juger lui-même dans toute la plénitude de son omnipotence; les arts y gagneront, et les artistes n'y perdront rien. DUBOULOZ. 1 Vondenberg.


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LE

CHENE APOLOGUE.

Unvaste chêne, un jour, fut battu par l'orage, Et son ébranlement, fit peur au voisinage : Ceuxqu'il avait couverts de ses puissants rameaux, Quidansaient sous son ombre au bruit de leurs pipeaux, Effrayéspar le bruit de sa tête opulente, Résistantet cédant à l'affreuse tourmente, Sansl'avoir vu, disaient : Il est déraciné; Maisen perdant la vie il a tout entraîné. Sousson corps effrayant qui gît sur la poussière, Et dont les bras nombreux enlacent la clairière, Onvoit avec terreur et la plante et l'ormeau, Dontsa masse, en tombant, a creusé le tombeau ; Il est là, près de nous, et sa puissante tête Sembleencore insulter à l'horrible tempête. Mauditsoit le géant auteur de tant de mal! Et l'injure devient un toile général. La peur est, comme on sait, mauvaise conseillère, Et nous montre un rocher dans un grain de poussière. Quandon voit aussi mal, on est bien malheureux, Maison peut être honnête, et cependant peureux. Quantà l'ingrat, il n'est qu'un lâche misérable, Unvil calculateur, un être méprisable ; Si vous montez, il monte, et pas à pas vous suit ; Si vous tombez, il raille, et vous insulte et fuit ; Etdirait volontiers : j'ai perdu ma fortune, Carc'est de ce jour seul qu'il crut en avoir une.


— 168 — On était sur sa porte, et chacun prudemment, Attendait pour sortir que le ciel fût clément. Le peureux, et l'ingrat qui dans le mal se vautre, Etaient là tous les deux et s'excitaient l'un l'autre. Un passant, qui prêtait l'oreille à ce récit Que ces bavards faisaient et répétaient, leur dit : Si le fait est certain, il est vraiment dommage Qu'on n'ait pu conserver ce Nestor d'un autre âge. — Et comment vouliez-vous qu'on y pût réussir? C'était, en l'essayant, s'exposer à périr! — Il fallait l'étayer, et, pour un homme habile La tâche n'était pas, je crois, très-difficile ; Enfin, je vais le voir, je vais le visiter. Le géant, à l'orage avait pu résister, Et dans l'ouragan même avait trouvé la vie. Soulagé, par ses coups, d'une branche pourrie Dont le poids l'accablait, chêne débarrassé, Respirant librement et d'éclat rehaussé, Soudain il avait pris un aspect de jeunesse En gardant toutefois son grand air de noblesse. Il relevait sa tête affaisséeun moment Par la grêle, et la pluie, et la foudre, et le vent, Il n'était pas tombé, n'avait blessé personne, Et l'ombre, qu'il donnait autrefois, il la donne. Que de gens on eût pu souvent sauvegarder En sachant à propos étayer, émonder ! Maisil n'est que le fort pour affronter l'orage, Pour défier la peur, les ingrats et leur rage. Alexis GRANGER.

—IMP. ETCOMP., RUEERFURTH, 1. PARIS. SIMON RACON


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PROCES-VERBAUX

SÉANCEDU JEUDI 19 FÉVRIER 1863. — Bulletinn° 724. — Le troisième mardi de février, étant le mardi gras, la Société, comme elle en a l'habitude en pareille circonstance, n'a pas tenu séance à l'Hôtel de Ville. Le jeudi suivant, 19, M.le Président réunissait chez lui le bureau, le comité administratif et, le comité de rédaction, afin d'arrêter le programme de la séance publique du 24. Etaient présents à celle séance MM. P. B. Fournier, Dubouloz, Maillet, Granger, Duval, Villemsens, Sageret, Sage, Chamerlat et Lami. Les poésies suivantes ont été lues et acceptées pour la séance publique. Un soir d'Été, par M. Maillet. Le Proscrit, par M. Sage. Une journée au coin du feu par un temps de neige par M.Granger. Unconcours académique, par M. Delaire. Horace Vernet, par M. P. B. Fournier. Il a été procédé ensuite à la rectification de la liste générale des membres de la Société, ainsi qu'à la révision des statutset règlements, ce qui sera soumis à la Société dans la prochaine séance. La séance est,levéeà 10 heures.

— N°10 MARS.


170 SÉANCEDU MARDI24 FEVRIER1863. — Bulletinn° 725. — Présidence de M. P. B. FOURINIER, président. La séance s'ouvre par l'exécution à l'improviste d'un duo pour piano et orgue, de la composition de M. d'Aoust, membre de la Société. Ce duo qui remplace le morceau d'un artiste absent, faitlu plus grand plaisir et est parfaitement exécuté par mademoiselle H. Rollot et l'auteur. M. Maillet donne ensuite lecture d'une pièce en vers de sa composition intitulée: Un soir d'Eté, à laquelle succède l'Air du Chalet, chanté par M. Fauré dont la voix de basse produit beaucoup d'effet. Après cela, c'est mademoiselle E. Muller, membre de la Société, qui fait entendre sur le piano la Grande fantaisie de Prudent sur Lucie, et justifie par son jeu élégant le regret de n'avoir pu l'applaudir dans la séance musicale précédente; c'est mademoiselle Castello qui chaule avec beaucoup de charme une romance de Vikerling, Fleur des Alpes ; M. Sage qui lit les Plaintes d'un Proscrit, poésie de sa composition; mademoiselle Annichini, que la Société a entendue dans sa séance annuelle de 1862, qui chante avec M. Hiestand, ténor à la voix vibrante et bien posée, un duo des Mousquetaires qui est fort applaudi. Les applaudissements ne s'arrêtent pour ainsi dire pas, car on voit paraître M. Sighicelli, violoniste, qui a épuise tous les éloges et qui vient exécuter avecl'auteur, M. d'Aoust, un Andante pour violon et orgue, dont on se plaît à remarquer le style distingué aussi bien que l'exécution. M. Geoffroy termine la première partie de la séance par une chansonnette fort gaie et fort bien dite : Ça m'agace. La seconde partie de la séance n'est pas moins bien remplie que la première. Mademoiselle Muller la commence en exécutant sur le piano un Nocturne de sa composition, et le Galop de Sans-


— 171 — Souci, d'Ascher. — Le grand Air de Zampa permet à M. Hiestandde l'aire apprécier les cordes de sa voix. — Sous letitre de Calabraise et de Saltarelle, l'auteur, M. Sighicelli, l'aitentendre sur son violon deux morceaux bien faits pour charmer un auditoire, surtout quand l'exécution est aussi parfaite, aussi le bis ne manque-l-il pas de mettre à contribution la complaisance de l'artiste qui recommence sa Saltarelle. — Mademoiselle Annichini chante fort bien un air de la Part du Diable, et, après elle, mademoiselle Rollot et MM.Sighicelli et d'Aoust viennent exécuter une romance sans paroles de Mendelsohn, arrangée par Durand pour piano, violon et orgue, —puis M. Fauré qui, le malin même, avait été prié de se l'aire entendre dans celte séance et. chantait ainsi à l'improviste, pousse, l'obligeance jusqu'à remplacer par l'Air de Galathée, le duo de cette même pièce que portait le programme et qu'il aurait chanté avec mademoiselleCastello, si un enrouement subit n'avait, forcé celte jeune artiste de se retirer. Les applaudissements de l'assemblée prouvent à M. Fauré à quel point elle goûte son talent pleind'avenir. La séance, finit à 10 heures et demie au milieu des rires provoqués par M. Geoffroyqui dit avec esprit deux chansonnettesfort plaisantes, le Speech et C'est ma fille. La littérature s'est aussi mêlée à cette seconde partie. Immédiatement après l'exécution sur le piano de mademoiselle Muller, M. A. Granger lisait sa poésie qu'il a intitulée : Unejournée d'hiver au coin du feu par un temps de neige; la lecture par l'auteur, M. Delaire, d'une fable ayant pour litre: Un concours académique, succédait à la Saltarelle de M. Sighicelli, et M. P. B. Fournier, disait après le trio pour piano,violon et orgue, une pièce de vers qu'il a écrite sur Horace Vernet. L'organisation de cette séance, qui peut compter parmi cellesque la Société aime à rappeler, est due en grande parlie, comme celle des trois précédentes du reste, à mademoiselle Rollot qui a secondé à merveille les intentions de M. Delaire, président de noire classe de musique, et de


- 172 M. d'Aoust, membre de celle classe, qui a le double mérite de composer et, de faire valoir ses compositions par une remarquable exécution.

SÉANCEDU MARDI3 MARS1863. — Bulletinn° 726. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures et demie. Le procès-verbal de la séance du mardi 3 février est lu et adopté. Celui de la séance des comités qui s'est tenue chez M. le Président est adopté. Il est donné lecture du compte rendu de la séance musicale et littéraire du 24 février. Adopté. M. Delairedistribue aux membres présents des exemplaires de sa fable : la Tortue et l'Ècrevisse en conférence avec le Brochet, ou les Antiprogressistes. La correspondance comprend : Mémoires de la Société d'agriculture, de sciences et arts de Douai. — Confiés à M. Delaire. Deux Bulletins de la Société française de photographie. — Aux archives. Bulletin des séances de la Société impériale et centrale d'agriculture. —Renvoyé aux archives. Les Beaux-Arts, revue de l'art ancien et moderne. — Demis à M. Garnier. Six numéros du Messager des Théâtres. — Archives. Deux numéros de la Revue artistique et littéraire. — A M. Maillet. Bulletin de la Société d'horticulture de la Haute Garonne. — Archives. Le Conseiller des artistes. — A M. Bayard de la Vingtrie. L'Investigateur, journal de l'Institut historique, 29e année. — A M. Granger.


— 173 Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny. — A M. Maillet. Six numéros du Builder. — A M. Dufour. Répertoire encyclopédique de photographie. — A M. Lami. M.le Président donne lecture d'une lettre de M. Lemaire, dans laquelle il exprime le regret de ne pouvoir encore assisteraux séances de la Société, et fait part du succès qu'a obtenuà l'Ecole polytechnique sa nouvelle méthode de dessin, ce qui lui a valu une lettre flatteuse du général commandant cetteEcole. Il sera répondu à M. Lemaire. M. Marquet, peintre d'histoire, écrit pour demander la nominationd'une commission qui serait chargée d'examiner les dessins qu'il a faits du tableau du Pérugin ; celte commissionse compose de MM. Dubouloz, damier et Chamerlat. M. Roy écrit pour obtenir le patronage de la Société en laveurd'un concert qu'il veut organiser au profit des ouvriers cotonniers, et dans lequel on entendrait le piano-Clément. La Société, ayant le projet d'organiser une séance dans le mêmebut, s'entendra avec M. Roy. Le président fait part du désir de mademoiselle Rollot de voirfigurer son titre d'accompagnatrice à la suite des fonctionnaires de la classe de musique. La Société adhère à ce désir.— Adopté. Il est proposé par M. le Président quelques modificalions an règlement qui ont été discutées pendant la séance des comités.— Ces modifications sont approuvées. La Société décide que sa plus haute récompense sera désormais une médaille d'or, dont l'obtention exigera l'unanimitédes suffrages, et dans la commission des récompenses, et dans la séance de la Société où il sera prononcé eu dernier ressort. Elle arrête en outre que ses statuts seront imprimés et suivisde la liste de ses membres, à laquelle on ajoutera celles desmembres dont elle a eu à déplorer la perte. La séance est levée à 10 heures. L'un des secrétaires-adjoints, S. CHAMERLAT.


— 176 — Le bas-relief proprement dit est encastré dans un édicule qui l'encadre. Cet édicule est composé de diverses parties. D'abord un soubassement, sur lequel reposent les pieds des personnages ; au-dessus d'eux règne une corniche composée de plates-bandes simples et de moulures avec un rang d'oves très-légèrement sculptées. Celte corniche était supportée à l'origine par des pilastres doriques; il n'en reste plus qu'un, celui de gauche, car le côté droit du bas-relief manque complètement, mais on peut facilement le restituer d'après celui qui reste. Le chapiteau de ce pilastre unique est décoré d'oves très-fines sur le quart de rond, et de deux lignes coloriées, ou plutôt dorées, sur le tailloir qui le surmonte. Quelle était la destination de ce monument ? Etait-ce une frise rentrant dans le système général de la décoration d'un temple ou de tout autre édifice public? Cette hypothèse parait peu probable, vu l'exiguïté des personnages, lesquels vus d'en bas et à distance, se seraient presque dérobés aux regards ; d'ailleurs le soubassement du bas-relief présente un rebord, dont la saillie aurait suffi, en pareil cas, à cacher la partie inférieure du bas-relief proprement dit. Etait-ce un bas-relief destiné à l'ornementation d'un tombeau de gymnasiarque ou d'athlète? Cette supposition est plus admissible; cependant on pourrait voir aussi dans ce monument un de ces ex-voto, de ces offrandes aux divinités, que tout citoyen pouvait déposer dans l'enceinte des temples. Quant à la détermination de l'époque à laquelle on peut faire remonter ce bas-relief, nous n'hésitons pas à la fixer un peu avant le siècle de Périclès, ou peut-être au commencement de celle époque. Et les raisons qui nous portent à adopter celte opinion se déduisent de nombreux motifs : l'extrême simplicité de la composition, indice des époques primitives; l'emploi, dans la disposition de l'édicule, de pilastres de l'ordre dorique, le plus ancien de tous ; la longueur des membres inférieurs, l'un des caractères de l'école d'Egine, tradition reprise plus tard, il est vrai, par Lysippe, contemporain d'Alexandre; la gracilité des membres, l'emploi dela ligne droite dans les contours, l'expression un peu dure de


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177 —

quelquesfigures, ce qui leur donne quelque chose de la rudessedu vieux style étrusque et du slyle archaïque chez les Hellènes;enfin, des traces de coloriage, peut-être même de dorure, que l'on remarque sur le chapiteau du pilastre. Néanmoinsla perfection relative avec laquelle le sculpteur a disposé les groupes, a varié les poses et les attitudes, et traité l'anatomie du corps humain, indiquent que le bas-relief qui nous occupe est contemporain de l'époque où l'art grandit, et touche de bien près à la perfection désespérante de la manière artistique de la grande école de Phidias. Maisune preuve irréfragable, selon nous, de la haute antiquitédu bas-relief, c'est la représentation de la tunique à longplistombant jusqu'aux pieds, portée par le deuxième personnageà droite, le surveillant des éphèbes. Ce vêtement, c'est la tunique talaire ; elle offre une grande analogie avec la longue robe médique, portée à la cour des rois de Perse; elle rappelle,en tous points, la tunique talaire figurée sur les monuments assyro-babyloniens. En usage dans les grandes monarchies d'Asie, la tunique talaire fut adoptée plus tard par les colons ioniens de l'Asie Mineure; de là, la mode en fut. importée à Athènes, et elle s'y conserva jusqu'à l'époque de Périclès,et ne fut jamais reprise depuis, sinon par les acteurs tragiques auxquels elle donnait une taille plus élevée, plus en harmonie avec le grandiose des représentations scéniques chezles Grecs. Quant aux Romains, ils n'adoptèrent jamais l'usagede la tunique talaire, car ils regardaient ce vêtement comme indigne d'un homme libre. La présence de ce vêtementdans un bas-relief grec implique donc nécessairement une époque antérieure à Périclès. Maisnous avons dit plus haut que la perfection relative du travail de ce bas-relief, toutes réserves faites quant aux défauts inhérents à l'époque, ainsi qu'à l'état d'inachèvement où il est resté, présupposent une date fort l'approchée de l'époque de Périclès. El d'abord il nous semble postérieur à l'époque des Pisistratides. Nous possédons au musée du Louvre une oeuvre de ce temps, c'est l'autel des Douze Dieux, dont les bas-reliefs


— 178 — portent l'empreinte d'un style plus fini sans doute, mais moins avancé que celui du monument qui nous occupe. D'un autre côté, les guerres médiques qui ont suivi l'expulsion des Pisistratides ont été un véritable fléau pour les arts. Les Perses ont détruit toutes les oeuvres d'art à Athènes. C'est donc à la suite des guerres médiques, et fort peu de temps avant Périclès que ce bas-relief a dû être sculpté. On peut donc le regarder comme contemporain de Cimon, le prédécesseur immédiat de Périclès dans l'administration de la ville d'Athènes. L'époque de Cimon, malheureusement oubliée, a été considérée avec raison par notre savant maître, M. Beulé; comme le précurseur du grand siècle. Elle est pour Périclès ce que le règne de Philippe a été en politique par rapport à celui d'Alexandre. Peut-être même nous trouvons-nous en présence d'une oeuvreinachevée du commencement du siècle de Périclès, mais antérieure, bien entendu, à l'abandon de l'usage de la tunique talaire. Ce qui donne au bas-relief dont il s'agit un prix inestimable, c'est qu'il porte le double cachet de l'art archaïque ou hiératique issu des temples, comme l'art du moyen âge est né dans nos églises, et de l'enseignement libre et progressif de l'école, combiné avec la pratique des ateliers; c'est qu'il nous fait assister à la transformation, je dirais presque à la transfiguration de l'art archaïque; c'est le trait d'union qui relie l'art ancien à l'art nouveau; c'est le passage de l'un à l'autre, stéréotypé pour ainsi dire, et pris sur le fait par le ciseau du sculpteur; c'est enfin une sorte de compromis entre la convention hiératique imposée par les exigeances religieuses, et la libre imitation de la nature, la vérité de l'art émancipé de la tutelle sacerdotale. Aussi émettons-nous le voeu que cette oeuvre soit définitivement acquise pour le compte de l'État, et qu'elle vienne prendre rang, elle aussi, au milieu de tant d'oeuvres d'art exhumées du sol de l'antique Hellade. Nous insistons d'autant plus sur ce point que notre musée national, si riche en oeuvres de sculpture de l'époque gréco-romaine, depuis l'acquisition de la collection Borghèse, sous le premier empire, est malheureusement de-


— 179 — pourvu des spécimens de l'art grec primitif et de celles du grand siècle de Phidias, et que, sous ce l'apport, il reste audessous, non-seulement du musée britannique, que la collection de lord Elgin a enrichi des bas-reliefs du Parthénon, mais encore du musée de Munich qui, grâce à la munificence de l'ex-roi Louis de Bavière, a pu montrer avec orgueil dans ses collections, les marbres si curieux provenant desfrontons du temple d'Egine. BAYARD DE LA VINGTRIE

LE

JOUR

DE

L'AN

APOLOGUE. Un enfant, plein de joie au début de l'année, S'écriait, en sautant hors du lit, d'un seul bond : « Debout, Charlot ! salut à l'heureuse journée ! » Ledonneur ouvre l'oeil, et, tout pensif, répond : « Eh bien ! qu'as-tu, Louis, à crier de la sorte ? — L'ignores-tu ?... mais dis donc à ton tour, Ne vois-tu pas l'aube de ce grand jour? — Ah! le jour de l'an... peu m'importe... — Tu veux rire, va, je t'entends. — Je parle tout de bon. — Non, ce n'est pas possible : Tu ne saurais être insensible, Quand il s'agit d'embrasser nos parents. — Loin de moi, frère, cette idée; Mais,sans que le devoir nous en fasse une loi, La faveur, chaque jour, nous en est accordée. — Aujourd'hui c'est bien mieux, conviens-en avec moi. A-t-on quelques talents, on leur en fait hommage : Onrécite des vers, on crayonne une page... — Nous y voilà... comme un pauvre ouvrier-, Tu donnes, d'une main, un plat de ton métier, Et de l'autre, déjà, cherches la récompense... liens, pour me refroidir, ce point seul est assez :


— 180 — Il en est tant de voeuxintéressés, Que, si cela n'est pas, je crains qu'on ne le pense ! — Ton discours m'étonne... pourtant Tu vois toujours d'un air content La fête de notre bon père ; Tu ressens un plaisir sincère Quand vient celle de notre mère, De grand-papa, de grand'maman... Mais la fête du Jour de l'an, Ne pouvons-nous pas, à la ronde, La souhaiter à tout le monde? Ah! que ce jour est beau : quant à moi, je voudrais Qu'il vînt dix fois par an!... —Moi, qu'il ne vînt jamais. » Voilà le tableau de la vie : Petits ou grands rarement sont d'accord... Pourquoi donc ce que l'un envie Par l'autre, est-il blâmé si fort?.. De l'égoïsme humain ces enfants sont l'image... Louis a bien raison ; on devine aisément Qu'il a fini son paysage ; Et Charlot n'a pas tort, sou avis est fort sage : Il ne sait pas son compliment. F. VlLLEMSEMS.

UN

SOIR

D'ÉTÉ

lin illustre écrivain, dont j'admire le style, Disait : « Lorsque je suis dans les murs d'une ville, J'aime à peindre les champs et les ombrages frais; Les clairs ruisseaux, les fleurs ont pour moi plus d'attraits; J'erre par la pensée en la verte campagne; Je vais des bois aux prés, des prés à la montagne :


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181 —

De même, dans l'ennui de la captivité, Maplume avec bonheur peindrait la liberté. » Telest l'homme, en effet, du couchant à l'aurore : Un rêve s'accomplit, un autre vient éclore; Il soupire toujours après ce qu'il n'a pas : Les objets éloignés ont pour lui plus d'appas; Lorsquetout lui sourit, c'est l'avenir qu'il aime : Il l'attend, il y pense, il en parle; et moi-même, Au temps où le soleil, dans les jours les plus beaux, S'élèveen parcourant le signe des Gémeaux, Et mûrit les épis sur leurs liges dorées, J'ai chanté de l'hiver les brillantes soirées. Aujourd'hui que le froid l'ait sentir ses rigueurs, Méditantprès du l'euje cherche des couleurs Pour tracer et décrire en langue poétique, D'un beau soir de l'été le tableau magnifique, D'unsoir dont j'ai toujours gardé le souvenir. La vigne, au mois de juin, commençant à fleurir, Mêlaitses doux parfums à ceux de la vallée ; Lesoiseaux gazouillaient sous la verte feuillée, El semblaient saluer, dans leurs chants amoureux, D'un jour qui finissait les reflets radieux. Unebrise légère agitait le feuillage : A la voix du berger quittant le pâturage, Les chiens intelligents rassemblaient les troupeaux, Et pressaient le départ des timides agneaux. Lesoleil achevait sa course journalière, Et déjà de la nuit la divine courrière Eclairait l'Orient de son disque argenté, Tandisque se levant vers le pôle aimanté, Par sept points lumineux, sur un fond bleu d'opale, La grande Ourse montrait sa forme heptagonale; El projetant au loin tout l'éclat de ses feux, L'étoilede Vénus scintillait dans les cieux. A chaque heure du jour la nature est sublime; Partout on reconnaît l'Etre grand qui l'anime : La nature, c'est là ce qu'il faut admirer;


— 182 — C'est près d'elle toujours que l'art doit s'inspirer. Pendant que je rêvais sous un ciel sans nuage, Un peintre dessinait le riant paysage; Il tenait sa palette, et sur son chevalet Du coucher du soleil imitait le reflet. Bien placé sur un point favorable à la vue, L'horizon seul bornait une vaste étendue. Au sommet du côteau, sur un gazon fleuri, Une jeune compagne, assise près de lui, Semblait encourager son oeuvre commencée, Et son geste flatteur exprimait sa pensée. Sa taille ravissante attirait le regard, Et ses longs cheveux noirs relevés avec art, Laissaient voir les contours d'un gracieux visage Où les ans n'avaient pas imprimé leur outrage. Modeste dans son air, belle sans ornements, Sans luxe, sans apprêts, l'or ou les diamants N'ajoutaient pas chez elle aux dons de la nature : Un fin tissu de lin composait sa parure. Dans quelques fleurs des champs qu'elle avait à la main, Consultant en riant les arrêts du destin, Je la vis, prononçant une douce parole, D'une humble pâquerette effeuiller la corolle. Pour peindre son front pur, son bras marmoréen, Il me faudrait avoir de Greuze ou de Titien Le brillant coloris, ou du chantre d'Elvire Savoir faire vibrer l'harmonieuse lyre. L'un des derniers rayons un instant l'éclaira; Je crus voir Raphaël et la Fornarina. Ce jeune homme est heureux, me disais-je en moi-même : Il a l'amour des arts, aimé sans doute, il aime; Il n'est pas de bonheur au terrestre séjour, Si l'on n'est pas heureux avec ce double amour. AUGUSTE MAILLET


— 183 — LE

PROSCRIT

Quelquesjours ont passé : je plie encor ma tente Pour aller sur un autre bord La dresser, la plier encor! Quelquesjours suffiront! et de ma vie errante Tel est l'inexorable sort! Commel'onde qui fuit et jamais ne s'arrête, Que le ciel azuré, que la noire tempête, Viennent charmer mon coeur ou combler mes ennuis: Sans cesse je vois fuir et mes jours et mes nuits Commel'onde qui fuit et jamais ne s'arrête! Je passe, et vainement un seuil hospitalier M'offreun asile sûr, un repos salutaire; Sécurité trompeuse! abandon téméraire Que de mes jours, peut-être, il me faudrait payer! Sont-ilsà moi, ces jours? Une épouse chérie, Unefilleau berceau, un fils, mon noble espoir! Que de liens puissants m'attachent à la vie, Et de la préserver m'imposent le devoir! Ah! je souhaiterais qu'elle me fût ravie, Si de ces noeuds sacrés j'ignorais le pouvoir! Vous, dont la douce étreinte apportait, chaque soir La joie et le bonheur à mon âme attendrie, Vous,que je ne vois plus, dois-je encor vous revoir? Quand, fatigué de ses travaux rustiques, Le simple laboureur, vers ses dieux domestiques, Revient de ses fils entouré ; Pour s'y joindre, joyeuse, accourt sa jeune fille ; Leur mère, qui sourit au cortège adoré, Accueilled'un coup d'oeil son époux révéré; Devingt ans de bonheur le souvenir y brille, Et son geste l'invite au repas de famille Avectant de plaisir par ses mains préparé !


Voyageur ignoré, je m'éloigne ou j'arrive; Mais c'est eu vain que sut' la rive Mon regard appelle un regard; Celle foule d'amis, à moi seul inconnue. Dans ses émotions ne garde pour ma part Pas un sourire à ma venue, Pas une larme à mon départ! Fleuves majestueux! forêts! riche verdure! Délicieux coteaux! beautés de la nature! Dont l'aspect enchanteur sut toujours m'attirer, Je vous admire encor ! hélas ! et je murmure : Je suis seul à vous admirer ! Seu!! vivre seul, toujours ! Et seul, mourir peut-être ! 0 manoir paternel ! ô vénérables lieux Où naquit et mourut chacun de mes aïeux! Où la douleur des siens peut librement paraître El mouiller de ses pleurs son cercueil glorieux ! Qui donc, si loin de vous succombe votre maître, Osera vous couvrir d'un deuil silencieux? Qui, si je tombe au pied de l'arbre solitaire, Sur ma cendre viendra répandre un peu de terre'.' Quand pour moi s'éteindra la lumière des cieux, Quelle oreille attentive De ma voix mourante et plaintive Recueillera les derniers voeux? A ma famille désolée Quel ami portera mes suprêmes adieux Et le dernier soupir de mon âme exhalée? Rempli d'un saint respect, d'un soin religieux, De mon père expirant j'ai fermé la paupière : A mon heure dernière Quelle main fermera mes yeux? ALPHONSE SAGE. 24 février1863. PARIS SIMON ETCOMP., IS.—IMP. RACON RUE D'ERFURTH, I


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PROCES-VERBAUX

SEANCEDU MARDI17 MARS1863. — Bulletinn° 727. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures et demie. M.Delaire distribue aux membres présents des exemplaires de sa fable intitulée : Unconcours académique. La correspondance comprend : Unelettre de M. Duval, trésorier, s'excusant de ne pouvoir serendre à la séance. Unelettre de M. Gustave de Juillac, secrétaire archiviste dela Société impériale archéologique du midi de la France, demandant à recevoir régulièrement les Annales de la Société libre des Beaux-Arts. M. le président fera réponse. Deuxnuméros du Builder. — Renvoyé à M. Dufour. Deux numéros de la Revue artistique et littéraire. — A M.Maillet. Association rhénane des amis des arts (appel aux artistes pour l'Exposition de 1865). Un bon pour retirer le Bulletin de la Société d'agriculture et de commerce de Caen. — Renvoyé à M. Martin. Six numéros du Messager des théâtres. — Aux archives. Le programme des prix proposés par la Société impériale des sciences de l'agriculture et des arts de Lille pour être décernés en 1863 et 1864. ET LESARTS. PARTIES CONCENANT LALITTÉRATURE CONCOURS 1865. Il sera décerné une médaille à l'auteur d'une pièce en vers remarquable : le sujet est laissé au — N°11. AVRIL. 14


— 186 — choix des concurrents. La Société met au concours la question suivante : Histoire de la littérature du département du Nord depuis l'incorporation à la France (1667) jusqu'à nos jours. — Histoire du dessin, peinture, BEAUX-ARTS. sculpture, architecture à Lille, depuis la fondation de la ville gravure, jusqu'au dix-neuvième siècle inclusivement. — Une médaille à l'auteur CONCOURS 1864 : LITTÉRATURE. d'une pièce de vers remarquable, le sujet au choix des concurrents. — On demande un projet de fontaine à élever BEAUX-ARTS. au centre d'une place nouvelle, cette fontaine devant servir de monument commémoratif de l'agrandissement de Lille. Le motif principal de la décoration sera un groupe représentant les communes annexées se réunissant à la ville de Lille. Le projet devra être exécuté sous la forme d'un modèle en plâtre, au dixième de grandeur d'exécution, l'artiste devant tenir compte, dans le choix des dimensions adoptées, de l'étendue de la place, laquelle couvrira quatre hectares. La correspondance étant épuisée, M. le Président donne lecture de diverses modifications apportées aux règlements, lesquelles sont acceptées. M. Delaire lit une fable, intitulée : Le Lion réformateur ou le Congrès des animaux. Cette fable est admise à être lue en séance publique. Au nom de M. Villemsens, qui est indisposé, M. le Président lit un apologue intitulé : Les Abeilles et la jeune Femme. L'adoption de cet apologue, ainsi que d'un autre de M. Sageret, les Cloportes et le macadam, est ajournée. Un proverbe de M. A. Granger : Laissez-les prendreun pied chez vous, ils en auront bientôt pris quatre, ou Retournons à Paris, est admis à être représenté dans une séance publique. A la séance du 7 avril, mardi prochain, il sera procédé à la nomination de la commission dite de la séance publique


__ 187 — annuelle. Il en sera donné spécialement a-visaux membres de laSociété. La séance est levéeà 10 heures. J. E. LAMI, Secrétaire général.

SÉANCEDU MARDI24 MARS1863. — Bulletinn° 728. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. Lesinnocents payent pour les coupables : c'est ce que nous constatons dans cette séance. Le peu d'exactitude généralement observé pour les réunions du monde où l'heure, même précise, se traduit par une heure plus lard, est cause qu'il nous est impossible de commencer à l'instant indiqué. La majorité des artistes était encore à venir à huit heures et demie. Enfin ils arrivent, et la juste impatience de l'assembléese trouve bientôt compensée par la satisfaction dont elle est suivie. M.Adolphe David, premier prix du Conservatoire et profes seurde piano, sefait remarquer par l'exécution dela Fantaisie de Herz sur la Sirène. Notre collègue, M. Séguin, qui nous a offertspontanément son concours pour cette séance, se propose encore pour combler le vide que fait au programme l'absence de M. Bosquin, ténor, pris d'un enrouement subit, et il chante avec beaucoup d'expression une romance de sa composition : les Petits Oiseaux; l'air de Proserpine de Paesiello bien chanté d'ailleurs par mademoiselle Casimir Ney, ne paraît pas favorable à l'organe de la cantatrice; M. Desjardins, un tout jeune artiste, lauréat du Conservatoire, exécute sur le violon avec beaucoup d'entrain et de puissance une fantaisie-ballet de de Bériot. Le mauvais Riche et une autre compositionde M. Alfred d'Hack, sont interprétés par M. Seguin


— 188 — de façon à satisfaire l'auditoire et l"auteur: mademoiselle Panchioni prête le charme de sa jolie voix à l'Orpheline, ballade, paroles et musique de M. Delaire, dont ensuite on applaudit une fable qu'il lit sous ce titre : le Lion réformateur vu le Congrès des animaux, et par laquelle va se terminer la première partie de la séance, lorsque M. E. Mathieu, qu'on désespérait déjà de pouvoir entendre, vient dire une chansonnette dramatique de L. Abadie, intitulée : J'ai perdu la tête, chansonnette originale, mêlée de plaisant et de trèssérieux, et dont le chanteur rend très-bien l'expression. La seconde partie de la séance s'ouvre par l'exécution sur le piano d'une ballade de Thalberg et d'un impromptu de Schuloff, qui font apprécier de nouveau le talent de M. A. David. Pierre l'Hermite, de Membrée, est pour M. Seguin l'occasion de faire applaudir les belles cordes de sa voix de baryton. Mademoiselle Casimir Ney chante avec beaucoup de goût Il Bacio, d'Arditi. M. Moreau, qui sait donner du charme aux sons de l'ophicléide, exécute sur cet instrument le Carnaval de Venise, pour violon, qu'il a arrangé, et justifie pleinement la réputation qu'il s'est acquise. On entend ensuite l'air de l'Ambassadrice, par mademoiselle Panchioni; le Prélude de Bach, pour piano, orgue et violon, exécuté à merveille par mesdemoiselles Desjardins, II. Rollot et M. Desjardins; l'air du Barbier, enlevé, on le peut dire, par M. Seguin, et, pour finir, une chansonnette bouffonne fort bien dile par M. E Mathieu : Qui veut des Tamberlick? N'oublions pas de mentionner que les personnes qui accompagnaient ont contribué par leur talent au succèsdes artistes dont elles étaient les auxiliaires. On a applaudi madame Casimir Ney, mademoiselle II. Rollot, qui, comme toujours, s'est multipliée; mademoiselle Desjardins et M. Alfred d'Hack. Séance levée à onze heures.


— 189 SÉANCEDUMARDI7 AVRIL1863. — Bulletinn° 729. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures et demie. Lecture et adoption du procès-verbal. On procède au dépouillement de la correspondance, qui comprend : Une lettre de M. Daoust de Jumelle, exprimant son regret de ne pouvoir assister à la séance. La Revue artistique et littéraire. — Renvoyé à M. Maillet. Quatre numéros du Builder. — A. M. Dufour. Mémoiresde la Société d'agriculture, des sciences, arts et belles-lettres du département de l'Aube. — A M. Villemsens Le Conseiller des artistes. — A M. Horsin-Déon. Sont déposés aux archives : Bulletin mensuel d'agriculture et commerce de Caen; Cinq numéros du Messager des Théâtres; Deuxnuméros de la Comédie; Bulletin de la Société académique d'agriculture, belles. lettres, sciences et arts de Poitiers; Bulletin de la Société française de photographie; Bulletin de la Société impériale et centrale d'horticulture; Bulletin de la Société impériale et centrale d'agriculture de France ; Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny. M. le président exprime à la Société les regrets qu'éprouve M.Desjardins de Morainvilled'avoir été empêché par sa santé d'assister aux séances; l'assemblée accueille cette communication avec l'espoir qu'on reverra bientôt le vice-président prendre sa place. L'ordre du jour appelle la nomination de la commission de la séance publique. Elle se compose de MM. Horsin-Déon, Dubois, Garnier, Girard et Villemsens, Chaudet et Turenne,


— 190 — Ransonnette, de la Blanchère et Chevalier, Delaire et d'Aoust de Jumelle, Maillet et Granger, qui, conjointement avec le bureau, organiseront la séance. Le secrétaire général, pensant que l'un des paragraphes de l'art. 55 du règlement concernant le déplacement des archives et ainsi conçu : « Cependant ce déplacement peut avoir lieu, mais avec autorisation du président, » etc., pourrait, dans certain cas, gêner les travaux du secrétariat, s'il était obligé de demander une autorisation chaque fois qu'il est besoin de consulter un ouvrage, propose cette modification. Cependant ce déplacement peut avoir lieu, contre récépissé, pour le président et le secrétaire général, sur leur simple demande, et pour tout autre membre avec une autorisation du président, mais, etc. La proposition est adoptée. La Société prend connaissance du remarquable travail de M. Marquet : l'Ascension de Notre Seigneur Jésus-Christ, d'après le tableau original, chef-d'oeuvre du Pérugin, et M. Chamerlat fera à ce sujet un rapport écrit. M. Oranger lit une pièce de vers intitiulé : Éloge de la misère. Cette pièce est renvoyée à la commission de la séance publique. M.le Président fait savoir que la salle Saint-Jean, qui avait été mise à la disposition de la Société pour la séance publique annuelle, le 5 mai, ne pourra pas être libre, et qu'il serait impossible que la séance eut lieu avant le milieu de juin, ce qui éloigne réellement trop du terme fixé par le règlement; il propose de la tenir effectivement le 3 mai dans la salle de la Société impériale et centrale d'horticulture (84, rue de Grenelle Saint-Germain), parfaitement disposée pour cela. Cette proposition étant adoptée, le Président est chargé de prendre toutes les mesures nécessaires. La séance est levée à neuf heures trois quarts. Le secrétaire (général, J, E. LAMI.


191

HORACE

VERNET

Inclinonsnoire front, murmurons la prière, Surla tombe qui couvre à jamais de sa pierre Le corps inanimé du dernier des Vernet, Dece peintre fécond que l'univers connaît. Dirons-nous,pour calmer quelque peu notre peine, Qu'il avait de longs jours déjà tressé la chaîne, Joursbien remplis, deux fois le nombre dont le ciel Atressé, moins clément, celle de Raphaël? Maisle temps paraissait, à ses traits, son langage, Duseptuagénaire avoir respecté l'âge; Son regard était sûr, sa main ne tremblait pas, Rienen lui du vieillard ne trahissait le pas. Dansson âme vivait toujours l'idée active, Et l'inspiration abondante, instinctive, Qui,rapide chez lui, créa tant de travaux, Semontrait jeune encor pour des sujets nouveaux. Oh! que n'a-t-il songé qu'il est de la sagesse Dereconnaître l'heure où la force nous laisse, Oùchaque jour qui vient s'ajouter à nos jours, Doità notre raison donner un autre cours? Cetteheure où celui-là qui leste, adroit, habile, Soumettaità son joug un cheval indocile, Demainpeut échouer, succomber sous l'effort, Et, renversé, meurtri, précipiter sa mort. Devait-ilrencontrer une fin aussi triste, Lui,cet homme de coeur, cet admirable artiste, Lui qui, tant renommé, glorieux sans orgueil, D'honneurs officielsa gardé son cercueil!


— 194 —

UNE

JOURNÉE

AU COIN

DU FEU

PAR UNTEMPSDE NEIGE Scribe, malignement, a blâmé la paresse, Et Boileau, dans ses vers, nous a peint la mollesse, Qui, cédant au sommeil, semble faire un effort, Soupire, étend les bras, ferme l'oeil et s'endort. Moi, près d'un très-bon feu que ma pincetle assiège, Je noircis du papier, je vois tomber la neige, Puis, aux petits oiseaux, dont j'aime la gaîté, Mais qui meurent de faim, je fais la charité. J'ai plaisir à les voir venir sur ma fenêtre Prendre le peu de pain qui fera leur bien-être, Celui de leurs petits qui peuvent défaillir, Tourmentés par la faim qu'ils voudraient assouvir. Et je ris, en voyant qu'il en est dont l'audace Va jusqu'à becqueter ma fenêtre et sa glace. Que me demandent-ils? est-ce un petit bonjour? Est-ce un remercîment? une marque d'amour? Pauvres petits oiseaux, je plains votre misère Et tous les malheureux qui sont sur cette terre, Dont je voudrais pouvoir soulager tous les maux. Venez à moi, venez, charmants petits oiseaux, J'ai su faire une part qui vous est destinée; Votre couvert est mis pour toute la journée ; Ne vous éloignez pas et revenez demain, J'aurai toujours assez pour calmer votre faim. Vous, qui si lâchement consumez votre vie Dans un honteux repos que pourtant on envie, Et dans vos coffres-forts entassez votre argent, Voulez-vousêtre heureux? secourez l'indigent, Pour mieux goûter le bien, visitez la misère, Allez, sur sou grabat voir une pauvre mère


— 195 — Dontlelait épuisé manque à des innocents; Vouspouvez tout sauver, la mère et les enfants. Quefaut-il? un peu d'or? Il ne faut que les miettes Desmets dont vous chargez vos nombreuses assiettes. Lafaim les ronge, hélas ! la faim, cancer affreux, Liguéeavec le froid contre les malheureux. Allez: vous préviendrez de bien terribles drames, Vousaurez secouru des enfants et des femmes, Oude pauvres vieillards dont les tremblantes mains N'avaientpu recueillir que de honteux dédains, Et de songes riants, en fermant la paupière, Vousserez caressés pendant la nuit entière. Machienne, à ce moment, sauta sur mes genonx, Sesbons yeux me disaient : «Mais à quoi pensez-vous? Vousfourgonnez sans cesse avec votre pincette, Etvous ne dites rien à la pauvre Finette? » Etl'excellente bêle alors me caressa Tantet tant, qu'à la fin elle m'embarrassa. Le cielétant affreux, je résolus de lire, Et tombai sur Tacite, Annales de l'empire, Où,sans l'avoir cherché, je rencontrai Néron ! Et j'avais sous la main les chants d'Anacréon! « AhI coquin, lui disais-je, ah! monstre épouvantable, Tuvenges l'univers sur ce peuple exécrable! C'étaientde tiers gredins que tous ces empereurs, Donttu fus par un crime un des vils successeurs : l'as un d'eux qui ne fût prototype du vice Et n'ait fait de son corps l'effrayant sacrifice; Maistu les surpassas, et le peuple romain Avaitbien mérité de tomber sous ta main. Qu'unmisérable gueux se laisse aller au crime, Et de ses passions soit la propre victime, Celase voit souvent ; mais le chef d'un État, Avingt ans, tout au plus, être un grand scélérat, Par la main des soldats faire égorger sa mère, "ans un festin pompeux empoisonner son frère,


— 190 — Vivre dans la débauche, hanter les mauvais lieux, Faire couler le sang, en repaître ses yeux, Brûler Rome et chanter aux accords de sa lyre La chute d'Ilion, — c'est un aftreux délire! Et tous les vieux Romains ont gardé leur tombeau ! Pas un seul n'en sortit pour frapper ce bourreau ! Pas un n'a protesté contre de pareils crimes! Pas un ne s'est offert pour venger les victimes! Dans leur linceul glacé, ces braves, retenus, Au bruit de ces forfaits jusqu'alors inconnus, Avaient brisé leur glaive, instrument de victoire, Pour ne pas imprimer de souillure à sa gloire, Ou, dans leur piété, leur respect pour les dieux, Peut-être avaient tourné leurs regards vers les cieux Et supplié leur roi, le maître du tonnerre, De foudroyer ce monstre opprobre de la terre ! La prière des morts doit plaire aux immortels, C'est l'encens le plus pur brûlé sur leurs autels : Chacun doit les prier; mais leur grande sagesse, En choisissant son jour, confond notre faiblesse. L'orgueilleuse Agrippine expia, par sa mort, Ses forfaits trop nombreux, et méritait son sort : Si tous les bras pouvaient frapper cette furie, Néron devait contre eux en protéger la vie Et ne pas épuiser, lui, fils d'AEnobarbus, Ce qu'il restait de sang du grand Germanicus. Si le ciel en fit choix pour égorger sa mère, Venger Claudeet punir cette épouse adnltère, J'accepte ses décrets, et ce crime odieux Est un enseignement aussi grand que les dieux. Le récit palpitant des vices de cet homme, Qui tenait dans ses mains la fortune de Rome, M'avait anéanti, m'avait brisé le coeur, Et Rome et les Romains m'étant tous en horreur, Je jetai loin de moi le malencontreux livre, Heureux d'être Français et de me sentir vivre, Puis je fermai les yeux et vis aux sombres bords-,


197 Agrippine, installée avec d'illustres morts; Lucainy discourait, surtout sur sa Pharsale, Sénèquesur les moeurs, même sur la morale, Et, plus riche qu'un roi, vantait la pauvreté, Ainsiqu'un grand voleur parle de probité. Ils ne sont pas changés, me disais je à moi-même, Etvont par leurs discours pervertir l'enfer même ! Quedeviendrons-nous donc, s'il est vrai que la mort l'ouï'les pauvres humains ne doit pas être un port? Maissi, tout morts qu'ils sont, ils ne peuvent se taire, Qu'ils s'arrangent entre eux, ce n'est pas mon affaire; Cependantje prends note, étant un peu bavard, Que mort, on peut causer, j'en rends grâce au hasard. Maisà quoi tient-il donc que pour la race humaine Lamarche de l'esprit soit toujours incertaine? Que le passé, si riche en grands enseignements, Ne puisse nous sauver de nos entraînements, Et qu'un fait monstrueux consigné dans l'histoire, Nousle reproduisons : — c'est à ne pas y croire! Voyezces fils de Rome, illustres autrefois Par leur simplicité, leurs vertus et leurs lois, Pour échapper au joug d'un pouvoir despotique, Ils chassent les Tarquins, font une république, La gloire en est le fruit comme la liberté : Un homme habile vient, et tout est culbuté! Adieuvertus et moeurs, ils se l'ont tous esclaves, Ils s'honorent du joug, ils voudraient des entraves, Font rougir leur passé si grand, si glorieux, Et placent leurs tyrans à côté de leurs dieux ! Quede maux, que de bien peut produire un seul homme ! La preuve en est partout, à Paris comme à Rome, Etje ne saurais dire, à bien examiner, Qui des chefs ou du peuple il faudrait condamner. Encorsi, pour tromper la pauvre race humaine, Onprenait le souci de lui dorer sa chaîne ! Maison s'en garde bien, on croirait s'avilir. Pour dominer un peuple, il le faut amollir,


— 198 — Et, lorsqu'il a perdu la dignité do l'homme, Aisément on en fait une bête de somme. Les Césars aux Romains disaient qu'ils étaient dieux, Pour avoir le plaisir de les écraser mieux, Et ce peuple si fier eut le lâche courage D'accepter ces vauriens et de leur rendre hommage! MaisRome avait mêlé son sang riche et si pur, Avec un sang moins noble et souvent même obscur. Conquise par le luxe, elle était amollie Et se montrait alors lâche, infâme, avilie; Comme elle était sans moeurs, sans pudeur, sans fierté, Elle ne comptait plus avec la liberté. J'avais sur ce sujet, qui n'est guère de mode, Maisdont un bon esprit aisément s'accommode, Fait des réflexions bien justes, je le crois, Sur ces temps reculés leurs erreurs et les rois ; Mais mon feu se mourait, ma lampe allait s'éteindre. Je bâillais, j'avais froid et je cessai de peindre : D'ailleurs il était tard et j'allai me coucher, Disant avec Boileau, qu'on aime à rechercher: « De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome, Le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme. » ALEXIS GRANGER.

LE LION REFORMATEUR OU LE

CONGRÈS

DES

ANIMAUX

FABLE. Un Lion, contre l'ordinaire, Souverain assez débonnaire, Et, comme l'abbé de Saint-Pierre,


— 199 — Désirant voir régner la paix Désormais Sur cette terre, Résolut d'ouvrir un congrès Pour y réunir les espèces Des habitants de ses forêts Rendus fameux par leurs prouesses : Tigres, Léopards, Loups-Cerviers, Hyène, Chacal et Panthère, Vautours, Milans, Ducs, Eperviers; Tous ceux, enfin, qui font la guerre Pour satisfaire Leurs appétits carnassiers. Au jour fixé pour la séance, Le sujet de la conférence Dont le principal argument Etait le besoin d'abstinence, Fut exposé logiquement Par le Lion avec serment De renoncer à toute proie; El, laissant éclater sa joie De ce généreux dévouement, Il leur dit paternellement : « Mes enfants, il faut vivre d'herbes Et déposer nos airs superbes; Bientôt les autres potentats, Frappés de ces beaux résultats, Par une entente cordiale, Sous notre influence morale, Introduiront dans leurs Etals Une réforme générale. » Quelques cris de « Vive le roi! » S'échappèrent de l'assemblée; Mais une partie, accablée, Se retira triste chez soi. Le Tigre, sur un ton sinistre Et se conduisant en vrai cuistre,


— 200 — Dans sa barbe murmura : « Ah! tu crois qu'on t'obéira! » Puis des gros mots, et caetera; Je crois même qu'il dévora, En s'éloignant, une Gazelle. Bien plus, si l'histoire est fidèle, A la première occasion, Chacun, sans excepter le sire Noble auteur de la motion (Il est pénible de le dire), Suivant son penchant naturel, Comme auparavant fut cruel. Ce qui confirma le proverbe : Promettre et tenir c'est deux. En rappelant de nos aïeux Cet autre plus sentencieux Qui s'applique à manger de l'herbe, Je le donne pour ce qu'il vaut : Chassez le naturel, il revient au galop. j. A. D.

ETCOMP PARISsurSIMON RACON RUE D'p'^iirniilt,I.


201

PROCÈS-VERBAUX.

SEANCEDU MARDI21 AVRIL1863. — Bulletinn° 730. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président, La séance est ouverte à huit heures et demie. Lecture et adoption du procès-verbal de la séance précédente. M. le président fait part de sa visite à M. Ransonnette, dont la santé commence à s'améliorer. — La Société reçoit celte nouvelle avec grande satisfaction. La correspondance comprend : Une lettre de M. Paul Carpentier, archiviste de la Société, pour demander un timbre, et que les archives soient datées; Une lettre de M. le comte d'Héricourt, pour demander des renseignements sur la Société; Unelettre de M. Delaire, qui s'excuse de ne pouvoir assister à la séance pour cause de maladie; Quatre.romances de M. E. d'Ingrande : Union de l'industrie et des arts, cantate à quatre voix d'hommes ; les Génies de la terre, Avant l'assaut, Messe des morts. — Confiées à M. Delaire. Lecture des morceaux qui devront être entendus à la séance annuelle. Compte rendu des travaux de la Société pendant l'annéj 1862-1863. —Adopté. — N°12. MAI.


— 202 — Les Anciens et les modernes, de M. Maillet. — Adopté, La Palinodie, de M. Sage. — Adopté. La Poésie, de M. Bayard de la Vingtric. — Adopte. Une Plaisanterie du Grand Frédéric, de M. P. B.Fournier. — Adopté, La séance est.levée à dix heures et demie.

SÉANCEDUMARDI5 MAI 1863. — Bulletinn° 731. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures un quart. Lecture et adoption du procès-verbal de la dernière séance. Il est procédé au dépouillement de la correspondance, qui comprend : Une lettre de M. Passot, adressant à la Société une poésie de sa composition, à la mémoire de madame Dupin aîné. Confié à M. Maillet. — Le Conseiller des Artistes. A M.Horsin-Déon. — Quatre numéros du Builder. A M. Dufour. — Bulletin de la Société de Poligny. A M. Maillet. — Quatre numéros du Messager des Théâtres. Aux archives. — Nouveaux Mémoires de la Société du Bas-Rhin. A M. Garnier.— Une lettre de la Société du progrès de l'art industriel, indiquant pour son agent M. Chirac, qui doit en même temps remplir les fonctions administratives de secrétaire général perpétuel. La Société décidequ'une circulaire convoquera pour mardi, 19 courant, les membres de la Société pour le renouvellement du bureau


-

203 —

Le président donne communication d'un article du Moniteur des tribunaux faisant connaître avec avantage les Cours de diction française de M. Marius Laisné, membre associé. Présentation de M. Bourdin, peintre, par MM. Fayet et Chamerlat. Commissaires : MM. Horsin-Déon, Garnier et Gendré. II est ensuite nommé, pour l'examen de l'exposition des beaux-arts, une commission qui se compose de MM. HorsinDéon, Granger, Chaudet, Bavard de la Vingtric, Fayet et Andreï. Une brochure sur Horace Vernet a été présentée à la Société. — Les opinions émises dans celte brochure étant incompatibles avec celles de la Société, l'on passe à l'ordre du jour. Il est décidé, comme devant prendre place au règlement, que les morceaux en prose ou en vers destinés à être lus dans la séance publique annuelle seront déposés entre les mains du secrétaire général un mois au moins avant la clôture de l'année académique, qui a lieu à la (in d'avril. La séance est levée à dix heures. Le secrétaire général, J. E. LAMI.


— 204 —

29e

SÉANCE

ANNUELLE

PUBLIQUE Ledimanche 3mai1863,à uneheure etdemie, SALLE DELASOCIÉTÉ ETCENTRALE IMPERIALE D'HORTICULTURE. D E 84,RUE GRENELLE-SAINT-GERMAIN.

Présidence de M. P. B FOURNIER, président. Le président, ayant près de lui an bureau M. Lami, secrétaire général, M. Dubouloz, l'un des vice-présidents, cl MM. A. Granger, Maillet, Sageret et Sage, en ouvrant la séance, s'exprime à peu près en ces termes : « Mesdames et messieurs, mes chers collègues, « On ne t'ait pas tout ce qu'on veut, et c'est pourquoi nous ne sommes pas réunis aujourd'hui dans la salle Saint-Jean, où se tient d'ordinaire notre séance annuelle publique. Nos mesures cependant étaient bien prises pour que rien ne fût changé à cet, égard; nous étions inscrits depuis longtemps; mais des circonstances inattendues, des dispositions pour toute autre destination sont venues, au dernier moment pour ainsi dire, renvoyer noire séance aux chaleurs étouffantes de juin. « Dans cet état de choses, nous avons pensé, pour l'ester dans les termes de notre règlement, à ne point ajourner cette solennité, qui ne perdra rien de son intérêt, de son caractère dans cette enceinte, dont ne se plaindront, nous l'espérons, ni l'assistance qui s'est rendue à notre appel, ni les artistes qui nous prêtent si gracieusement le concours de leur talent. « Ici, comme nous l'eussions fait ailleurs, nous proclamerons les récompenses que la Société décerne avec une réserve qui double la valeur du mérite:


— 205 — « Ici, comrne nous l'eussions fait ailleurs, nous dirons qu'elle poursuit avec ardeur le but de sa fondation, n'oubliant pas que celte fondation est due à une réunion d'artistes éminents, peintres, dessinateurs, statuaires, architectes, graveurs, musiciens, cl. de littérateurs amis des arts, qui mirent en commun leurs efforts, il y a trente-trois ans, pour lutter contre l'envahissement fougueux des adversaires du talent classique, et dont les tendances voulaient remplacer, par l'absence des principes, par des combinaisons de lignes et de tous surprenantes d'étrangeté, les compositions si simples, si élégantes, si bien conçues, si bien étudiées, des véritablesmaîtres de toutes les écoles. « Ici, comme nous l'eussions l'ail ailleurs, nous demanderons pourquoi les amis du progrès dans les arts ne viennent pas grossir nos rangs, nous aider à donner de l'importance à ce qui est bon, à faire, apprécier le mérite réel. L'homme isolé est faible, l'homme en société est fort. L'opinion, les remarques, les conseils ont bien plus d'autorité quand ils émanent d'une société et qu'ils sont formulés avec la courtoisie, la modération, l'impartialité, toutes les formes qui instruisent sans offenser. « Ce que nous faisons de bien, du reste, nous le faisons à l'exemple de ceux de nos fondateurs qui siégent parmi nous; et, dans une circonstance comme celle-ci, nous sommes heureux de leur adresser nos témoignages d'affectueuse estimeet de considération. Il en est un surtout dont l'absence est bien regrettable en ce moment, mais à qui je n'en manifesterai pas moins toutes nos sympathies. La bonté de son caractère, son indulgence pour les autres, l'intérêt qu'il n'a cessé de porter à nos travaux, son talent remarquable, qui a produit, des pages magistrales dont l'une entre autres est telle que peu de pinceaux actuels suffiraient à en exécuter une semblable, tout lui a concilié les sentiments de l'amitié intime, de l'amitié respectueuse; et la Société, en créant pour lui le titre de président honoraire, a voulu lui prouver qu'elle le comprend, qu'elle le considère, qu'elle l'aime. Est-il besoin de nommer M. Georges Rouget, l'élève favori de


— 206 — David, l'auteur de l' Abjuration de Henri IV, belle et vaste composition qu'on admirait, il y a quelques mois, à l'exposition du boulevard des Italiens? « Nous devrions nous arrêter ici pour laisser un libre cours à l'exécution de ce programme qui promet beaucoup à l'intérêt, au plaisir; mais ce serait mal profiter de l'occasion qui nous est offerte, si nous ne terminions pas en adressant nos remercîments aux artistes qui vont se faire entendre, de la spontanéité, c'est le mot, de la spontanéité avec laquelle ils ont accepté de participer à notre séance. Tout à l'heure, nous en avons la confiance, une expression plus vive de la satisfaction va ratifier nos remercîments. » La parole est ensuite donnée au secrétaire général, M. Lami, pour lire le compte rendu des travaux de l'année 1862-1865. Ce compte rendu et l'allocution du président, formant l'avant-propos de la séance, sont suivis de l'exécution du programme dans l'ordre suivant : Première partie. — 1° MlleCh. Coppée, premier prix du Conservatoire, et MlleHonorine Rollot, accompagnatrice du Conservatoire et de la Société, dont elle est membre, exécutent un duo pour harpe et piano, de Th. Labarre, sur le Comte Ory. On rend justice au talent des artistes, tout en trouvant le morceau un peu long. 2° L'air de la Favorite, de Donizetti, chanté par M. Rougé, baryton, lauréat du Conservatoire, à la voix sympathique, est parfaitement accueilli. 3° MlleLagye, qui chante l' air du Caïd, d'Ambroise Thomas, fait applaudir une charmante voix et beaucoup de talent, et justifie aussi son titre de lauréat du Conservatoire. 4° M. P. B. Foumier lit un récit en vers de sa composition, intitulé : une Plaisanterie du Grand Frédéric. 5° MlleHonorine Rollot exécute sur le piano les Souvenirs de Guillaume Tell, et reçoit les preuves du plaisir qu'on a eu à l'entendre.


— 207 — 6° Le grand duo de la Favorite, chanté par MmeMichaëli et M. Vincent, lauréat du Conservatoire, est pour MmeMichaëli l'occasion de faire admirer le chant large et expressif d'une belle voix, et pour M. Vincent celle,de montrer une souplesse de talent qui lui a permis de sortir de son genre habituel l'opéra-comique. 7° La Palinodie, pièce en vers, est lue par l'auteur, M.Sage. 8° Un andante pour violon et orgue, élégante composition de M..J d'Aoust, membre de la Société, est exécuté à merveille par M. L Desjardins, lauréat du Conservatoire, et l'auteur. 9° La première partie du programme inscrit pour son dernier numéro les Souvenirs du frère Antoine, chansonnette, paroles de M. P. F. Mathieu, musique de M. Alfred d'Hack,— et une autre chansonnette, le Bonnet d'âne, de Bourget et P. Henrion. Dire que M. Aurèle, du théâtre de l'Ambigu, interprète ces chansonnettes, c'est dire que l'assemblée applaudit l'expression du sentiment pour l'une, de la franche gaieté pour l'autre. Avant de passer à la seconde partie du programme, le président proclame les récompenses que la Société a votées pour être décernées dans cette séance : une médaille d'argent à M. A. Marquet, peintre d'histoire, pour la reproduction, par ses dessins lithographiés et publiés, de l'Ascension de Jésus-Christ, chef-d'oeuvre du Pérugin ; — une médaille de bronze à M. Clément, pour son piano à archets à sons continus. Ni l'un ni l'autre lauréat ne sont présents. Une indisposition empêche M. Marquet d'assister à la séance; on ignore te motif de l'absence de M. Clément. La seconde partie du programme fait entendre ensuite : 1° Le duo du Barbier de Séville, que MM.Vincent et


— 208 — Rougé chantent avec une verve qui provoque d'unanimes applaudissements. 2° L'Eloge de la misère, pièce en vers, lue pur l'auteur, M. A. Granger. 3° La mer se plaint toujours, romance de M. Potharst, et Brindisi de Lucrèce, qui font briller de nouveau les qualités dramatiques du chant de MmeMichaëli. 4° Un solo de harpe, de Bochsa, sur la Norma, qui l'ait apprécier tout le mérite du talent de MlleCh. Coppée. 5° Reçois-moi dans les cieux, mélodie religieuse, paroles de M. P. F. Mathieu, musique de M. Alfred d'Hack, que M. Vincent interprète avec infiniment de goût. 6° La Poésie, pièce en vers, lue par l'auteur, M. Joseph Bayard de la Vingtrie. 7° Un air des Noces de Jeannette, de Victor Massé, qu'il serait difficile de chanter avec plus de succès que MlleLagye. 8° Le solo de violon d'Alard sur le Trouvère, qui vaut aussi à M. L. Desjardins d'unanimes et chaleureux applaudissements. 9° Une poésie, les Anciens et les Modernes, que lit l'auteur, M. A. Maillet. 10° Enfin, pour clore la séance, Si j'était invisible, chansonnette, par laquelle M. Aurèle emporte les dernières preuves de la satisfaction de l'assemblée, qui se retire à cinq heures et demie. Le piano, de la maison Erard, était tenu par MlleHonorine Rollot, accompagnatrice de la Société, MIIeDesjardins et M. Alfred d'Hack. Le secrétaire général, .1. E. LAMI.


— 209

COMPTE

RENDU DES

TRAVAUX

DE

L'ANNÉE

1862-1863.

LaSociété libre des Beaux-Arts vient de clore sa trentetroisièmeannée académique, et, conformément à ses usages, il est de mon devoir de vous entretenir de ses travaux, de ses conquêtes, et malheureusement aussi de ses pertes qui ontété trop nombreuses et trop importantes. Honorer la cendre des morts est pour nous une religion, et c'est les faire revivre pour ainsi dire que de les évoquer et de parler de leurs qualités aimables et solides, ainsi que deleurs talents. Si un compte rendu n'avait pas de limites raisonnables, et qu'il faut respecter, je vous tracerais à grands traits la vie de notre regretté collègue M. Mirault, chevalier de la Légion d'honneur, homme de lettres, émailleur distingué, ancien président de notre Société et de plusieurs sociétés savantes de Paris, mort à soixante-dix-huit ans, et dont la vie laborieuse a eu des phases bien diverses et bien opposées, car il fut attaché au corps diplomatique, nommée auditeur au conseil d'État, et refusa cette dernière et honorable fonction pour s'adjoindre à son oncle, M. Hazard, ancien peintre, devenu oculiste, en même temps que fabriquant d'yeux en émail, profession naissante à cette époque, et que notre collègue poussa aussi loin que possible. La section de sculpture a perdu M. Desboeuf, artiste distingué, ancien lauréat de l'Institut, à qui l'on doit notamment le fronton du palais de l'Industrie.


— 210 — M. Initié, statuaire, grand-prix do Rome, et connu par beaucoup d'oeuvres de mérite. Enfin, M. Montmeylian, ancien secrétaire de notre Société, mort à trente et un ans : son âge, l'estime dont il était l'objet, la place qu'il a occupée parmi nous, disent assez quels sont nos regrets. Une heureuse innovaiion a permis à la Société d'appeler le quatrième mardi du mois (d'octobre à avril), dans des séances publiques de la classe des arts, au cercle des Sociétés savantes, bon nombre d'artistes concertants, et d'y convier aussi un public éclairé qui, par ses applaudissement, a prouvé aux uns le cas qu'il faisait de leur talent, et a témoigne aux autres tout ce qu'il espérait de leurs heureuses dispositions. En prenant cette résolution, la Société libre des BeauxArts a prouvé une fois de plus qu'elle ne démentait pas son titre, et qu'elle venait en aide à tous les talents, quels qu'ils fussent, et les artistes l'ont parfaitement compris, car nous n'avons eu que l'embarras de faire arriver chacun successivement. La littérature devait avoir sa place dans ces soirées concertantes; les applaudissements qui ont accueilli nos poëtes en sont une preuve éclatante et dont elle n'avait pas besoin pour conquérir une place au milieu des beaux-arts dont elle est la soeur aînée. Vous rappellerai-je les gracieuses fables de M. Delaire, celles de M. Villemsens, l'apologue du Chêne, et une Journée au coin du feu par un temps de neige de M. Granger, un Concert pour les pauvres, et des stances sur Horace Vernet de M. Fournier, la charmante pastorale de M. Maillet, intitulée : un Soir d'été, et le Proscrit de M. Sage? Si la Société, conformément à son règlement, ne décerne


— 211 — à ses membres aucune récompense, elle est toujours en quête de ceux qui, par leurs découvertes, peuvent venir en aide au développement de l'art, et de ceux qui l'honorent par leurs travaux. Voilà pourquoi elle a jugé à propos de donner deux médailles, l'une en argent, l'autre en bronze. La première, à M. A. Marquet, peintre d'histoire, pour les destins qu'il a faits de l'un des chefs-d'oeuvre du Pérugin, dessinsreproduits avec soin par la lithographie. La Société a vu dans ce travail, qui retrace fidèlement une belle oeuvre endommagée par le temps, une utilité réelle pour les beauxarts. C'est à ce titre qu'elle a voté une récompense. La seconde, à M. Clément, inventeur du piano à archets à sonscontinus. Le travail et les recherches non interrompues auxquelless'est livré l'auteur, qui n'a pas dit son dernier mot, méritent bien, à titre d'encouragement, la récompense qui lui est décernée dans celte séance. Si les membres de la Société n'ont droit à aucune récompense, il est juste cependant d'adresser des éloges à ceux qui, par un travail incessant et un mérite reconnu, s'efforcent de soutenir la réputation de la Société et de faire progresser l'amour des beaux-arts. M. Andreï nous a lu un rapport des plus remarquables sur le musée Napoléon III. Ce travail, fruit de grandes recherches et de savantes éludes, a recueilli les applaudissements, non-seulement de la Sociélé, mais encore de tout le monde artistique, qui, ayant visité le musée Campana, était à même de voir quelle conscience et quelle érudition avaient présidé à ce travail. Nous devons à M. Granger, outre les poésies distinguées dont j'ai déjà parlé, une critique sévère, mais juste, sur les nouveaux théâtres de Paris qui, comme il le dit, devraient être des monuments modèles et non pas seulement de vastes


— 212 — bâtiments construits dans le seul but de la spéculalion. Nous lui devons aussi un rapport sur l'un des ouvrages de M. de Longpérier-Grimoar, et la Notice nécrologique de noire regretté collègue M. Montmeylian. M. Maillet n'a pas perdu de son activité ; plusieurs rapports écrits demain de maître, ainsi que différentes poésies, nous ont fait apprécier son goût pour tout ce qui se rattache aux beaux-arts, M. Joseph Bayard de la Vingtrie nous a donné, sur la bijouterie étrusque au musée Campana, ainsi que sur le siége du prêtre de Bacchus et sur un bas-relief trouvé à Athènes, différentes notices qui témoignent une fois de plus des profondes connaissances archéologiques de leur auteur. M. Fournier, président de la Société, à qui l'on doit de si sincères remercîments pour la vigoureuse impulsion qu'il a su donner à nos travaux et le zèle infatigable dont il n'a cessé de faire preuve dans le courant de notre année académique, nous a fait connaître, par lus paroles qu'il a prononcées sur la tombe de M. Mirault, notre regretté collègue, dont M. Labourieux nous a ensuite donné une notice biographique des mieux appréciées, quels sentiments de sympathique confraternité ne cessent de l'animer dans ses rapports avec ses collègues. M. Charmerlat, dans un rapport sur le musée du boulevard des Italiens et sur le tableau Abjuration de Henri IV, par M. Rouget, élève favori de David et président honoraire de notre Société, nous a prouvé qu'il savait manier la plume aussi bien que le pinceau. Puisque j'ai nommé David en parlant de M. Rouget, je citerai un travail très-remarquable sur cet illustre maître par M. Gavet, artiste peintre, membre de la Société, répondant,à un ouvrage de M. le comte Léon de Laborde, de l'Institut.


213 — M.Dubouloz nous a lu un rapport des plus sérieux sur les compositionshistoriques de M. Chenavard, architecte à Lyon et membre correspondant, ainsi que quelques réflexions sur le sort des artistes et le jury de l'Exposition. M. Delaire, président de la section de musique et l'un des organisateursde nos soirées musicales, dans lesquelles on a entendu plusieurs de ses compositions, n'a pas voulu s'en tenirà ce seul triomphe, à ses critiques savantes sur plusieurs oeuvrescomposées par divers auteurs, et, il nous a lu quelques Fablescharmantes dont il est l'auteur. M.Villemsens possède à lui seul toute une table des matières pour indiquer des travaux personnels et les rapports qu'il nous a communiqués. Enfin, nous avons entendu un rapport de M. Gendré sur le portrait à la cire de l'eu notre collègue Daguerre, fort bien fait par M. Paul Carpentier, notre archiviste. La liste de nos travailleurs est épuisée. Cependant je ne terminerai pas sans parler de mademoiselle Lecran, artiste peintre, membre honoraire de la Société, qui, cette année, vient d'achever pour le gouvernement une belle copie des Pèlerins d'Emmaüs, du Titien, puis un charmant tableau représentant un intérieur d'atelier, qui est admis à l'Exposition des beaux-arts; par son talent, mademoiselle Lecran s'est placée au rang de nos artistes distingués, et mérite les applaudissements qui de toutes parts accueillent ses créations. Je dois aussi nos remercîments à notre toute dévouée collègue, mademoiselle Rollot, accompagnatrice de la Société, dont le talent, ainsi que le zèle, a si bien contribué à faire goûter et applaudir nos réunions concertantes. Les vides ne se comblent pas, un enfant nouveau-né ne remplace pas pour une mère celui qu'elle a perdu ; il en est


— 214 — de même pour nous, messieurs; et, en nous réjouissant de voir nos rangs se grossir par l'adjonction de nouveaux collègues, nous n'oublions pas ceux qui nous ont été ravis par la mort. La classe de peinture s'est enrichie de M. Garnier, dont le dévouement et le talent nous ont été démontrés lorsque, dans plusieurs circonstances, il fut appelé à faire partie de nos commissions. La classe de sculpture a inscrit M. Gonet, que des occupations des plus arides n'ont pu détourner de son goût inné pour les beaux-arts, et M. Girard, statuaire, connu par des travaux du meilleur style. La classe de nos membres concertants a fait aussi une heureuse acquisition : je veux parler de mademoiselle Teresa Panchioni, dont nous avons pu applaudir la charmante voix dans nos concerts. Enfin, deux hommes d'un grand mérite ont pris placeparmi nos correspondants : M. Charles de Constant Rebecque, président, et M. le docteur Bertherand, secrétaire perpétuel de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny, laquelle, avec l'Union des arts de Marseille et la Société du progrès de l'art industriel de Paris, est aussi devenue l'une des Sociétés correspondantes dont les relations nous sont toujours précieuses. Mesdames et messieurs, j'ai terminé la lecture du travail qui m'était imposé, et qu'il vous a fallu supporter sans vous plaindre : j'ai été aussi court que possible, et maintenant vous pouvez respirer librement. Je cède la place à d'autres, qui auront le pouvoir de vous intéresser davantage, et je serai heureux de mêler mes applaudissements aux vôtres pour les remercier de l'éclat que leur talent doit donner à cette solennité. J. E. LAMI, Secrétaire général.


215—

LA

POÉSIE

Aimablepoésie! oh! combien je l'honore! Chaqueartiste le dresse un autel, et l'adore. Aton nom seul mon coeur bondit et vibre en moi. Oui,je te voue un culte, ô gloire! tout à toi ! Osublimes élans! quel pinceau peut vous peindre! Génie!à tes hauteurs, oh! que ne puis-je atteindre! C'estun céleste feu qui consume nos coeurs. Dansla lulte sans fin nous nous levons vainqueurs! Pournous récompenser, voyez-vous toutes prêtes Cespalmes de martyrs qui planent sur nos têtes. L'Envie,à l'oeil haineux, nous les veut arracher; Sur des sommets à pic nous les irons chercher. Bientôt la poésie, hélas! n'a plus de charmes. Elle,le l'ait payer ses laveurs par des larmes. Desélans de ton coeur voilà quel est le prix! Tu sais ce que lu vaux, mais lu n'es pas compris. Eh ! qui le comprendrait? Serait-ce cet avare Qui, plein du dieu Plutus, dans ses écus se carre; Oucet être sans foi qui n'adore que lui, Ouce roi de la Bourse, en faillite aujourd'hui, Pour qui tout l'univers... c'est un billet de banque!... Ou ce plaisant Tartufe, apprenti saltimbanque,


— 216 — Oui, pour s'approprier les biens de ses amis, Voudrait dévotement faire enfermer Damis; Ou ces hommes sans frein, ou ces bourgeois ignares? Et, ligués contre toi, ces modernes Barbares Dans la nouvelle Rome agitent leurs flambeaux, De nos héros divins insultent les tombeaux... Du temple d'Apollon ils ont souillé la porte En y gravant ces mots : « La poésie est morte! » Non, non, la poésie a gardé ses attraits. Son culte parmi nous ne périra jamais. Nous saurons la garder contre de vils outrages, En opposant un frein à ces instincts sauvages. Subissons, s'il le faut, l'injure et le dégoût, Mais que le temple au moins reste toujours debout.

DELA VINGTRIE. JPH.BAVARD

—IMP. SIMON ETCOUP. RUE 1. PARlS. RAÇON D'ERFURTHT,


217 —

PROCÈS-VERBAUX.

SÉANCEDU MARDI19 MAI 1863. —Bulletinn° 731 — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures et demie. MM.Sage et Sageret, par l'organe de M. Maillet, s'excusent dene pouvoir assister à la séance. Le procès-verbal de la séance annuelle du 3 mai est lu et adopté,ainsi que celui de la séance du 5. Il est procédé au dépouillement de la correspondance, qui comprend : Unelettre de M. A. Marquet, remerciant la Société de la médaillequi lui a été décernée. Une lettre par laquelle M. Tessier exprime tout le plaisir qu'il aura à se retrouver parmi ses collègues, et promet de reprendre activement sa collaboration dans les travaux de la Société. La Fièvre à Rome, opuscule en vers, de M. Paul SaintOlive.Confiéà M. Moultat. — La Revue artistique et littéraire. A M. Maillet. — Le Builder. A M. Dufour. — Le journal la Comédie. A M. Dubouloz. — Sont renvoyés aux archives: le Répertoire encyclopédique de photographie ; Bulletin de la Société impériale et centrale d'agriculture; Bulletinde la Société française de photographie; deux numérosdu Messager des théâtres. Il est ensuite statué sur la présentation de. M. Bourdin (rue des Vignes, 10, à Passy), qui est élu membre résidant dans la classe de peinture. — Avis lui en sera donné par le secrétairegénéral. — M. le président, fait part des COMMUIMCATIONS. remercî— 16 JUIN, N° 13.


— 218 ments qu'adresse à la Société M. Clément, qui n'était pasà Paris lots de la séance publique, et il l'ail savoir que, dans le courant de la quinzaine qui a précédé cette séance, il a reçu des billets d'invitation aux séances publiques de la Société des Enfants d'Apollon et. de la Société philotechnique : niais que ces billets étant arrivés au dernier moment, il n'a pu en faire qu'une répartition tardive. Il dit aussi que M. Charles Manry, qui depuis longtemps se tenait éloigné, pour cause de santé, est venu lui manifester toutes ses sympathies pour la Société. L'assemblée apprend aussi avec plaisir, par M. Granger. que la santé de M. Desjardin, vice-président, est en voie d'amélioration. M. Moultat rappelle que les récompenses honorifiques accordées aux membres de la Société doivent figurer au procès-verbal. Et il fait savoir que M. Chamerlat, artiste peintre, a obtenu à l'Exposition de Rouen une médaille de vermeil pour l'un de ses tableaux. M. Garnier fait un rapport verbal sur les Nouveaux Mémoires de la Société du Bas-Rhin, qui sont déposés aux archives. L'ordre du jour appelle les élections des fonctionnaires pour l'année 1863-1864, qui donnent les résultats suivants : BUREAU.

Président M. P. B. FOURNIER. 1er VicePrésident.... M. DESJARDIN DEMORAINVILLE. 2e Vice-Président.... M. DUROULOZ Secrétairegénéral.... M. LAMI. 1erSecrétaireadjoint.. . M. CHAMERLAT. 2e Secrétaireadjoint.. . M. DUFOUR. 3e Secrétaireadjoint. . . M. LÉON FOURNIER. Bibliothécaire-archiviste..M.PAUL. CARPENTIER. M. DUVAL. Trésorier et SAComitéd'administration. MM.ALEXIS VILLEMSENS GRANGER, GERET. A. GRANGER. Comitéde rédaction. . . MM.MAILLET, HORSIN-DÉON, VILLEMSENS et BAYARD DELAVINCENT.


— 219 Présidents et vice-présidents des classes. CLASSES. PRESIDENT VICE-PRESIDENT . Peinture M.HORSIN-DÉON. M.GENDRE. Sculptureet gravure. de l'institut.M.VILLEMSENS en médailles. . . M.GATTEAUN, Architecture... . . M. ROLLAND. M.TESSIER. M.RANSONNETTE. Gravure M. TEXIER. Photographie.. . . M. DELABLANCHERE.M.A. CHEVALIER. M.DELAIRE. M.J J. D'AOUST. Musique. ROLLOT. Accompagnatrice.. MlleHONORINE Archeologie,LittéraM.MAILLET. M.FAYET. ture Rien n'étant plus à l'ordre du jour, la séance est levée à dix heures et demie. Le secrétaire général, J. E. LAMI.

SEANCEDU MARDI2 JUIN 1863. — Bulletinn° 732. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures et demie. M.le président annonce la présence de M. Bourdin, artiste peintre, qui est accueilli avec acclamation. La correspondance comprend : Une lettre de M. J. Forest, remerciant d'avoir été nommé membre correspondant. — Billets de l'Athénée des Arts, pour sa séance annuelle du 7 juin. — Une lettre de remercîments de mademoiselle H. Rollot, et une de M. de la Blauchère, tous les deux réélus dans la précédente séance. — Bulletin de la Société des sciences et arts de Poligny. Renvoyé à M. Maillet. — Ouatre numéros du Builder. A M. Dufour. — Bulletin de la Société des amis des arts de Strasbourg, compte rendu de la gestion 1862. A M. Bourdin. Sont renvoyés aux archives : le Conseiller des artistes:


— 220 — Bulletin de la Société d'agriculture ; quatre numéros du Messager des théâtres. M. Granger fait part des remercîments qu'adresse M. Rouget pour ce qui a été dit do lui dans la séance publique. Rapport de M. Dubouloz sur un numéro du journal la Comédie. Rapport de M. Delaire sur le tome VI (1859-1861) des Mémoires de la Société impériale d'agriculture, des sciences et arts de Douai. Ces deux rapports seront insérés dans les Annales. MM.Passot, Bourdin, Gendré et Guillonnet sont adjoints a la commission qui doit rendre compte de l'Exposition des beaux-arts. Rien n'étant plus à l'ordre du jour, la séance est levée à neuf heures et demie. Le secrétaire général, J. E. LAMI.

TRAVAUX

PARTICULIERS.

SÉANCEPUBLIQUE DU 5 MAI 1863 (SUITE'; ÉLOGE

DE

LA MISÈRE

Misère, à qui l'on doit tant d'oeuvres de génie Et que ne visita jamais la sombre envie, Sous ton manteau glacé qui m'a servi d'abri, Si j'échauffai mon coeur, plus malheureux qu'aigri, Permets que respectant ta terrible puissance, Pour te mieux honorer je me tienne à distance. Oui, messieurs, la misère est un maître savant; Un redresseur de torts qui nous pousse en avant, lit pourtant on la fuit, nul ne la veut connaître Et lui tourne le dos, s'il la voit apparaître : De ce maître sévère on a dit trop de mal,


— 221 — Carle malheur, toujours, ne nous est pas fatal, Et tel qui végétait au sein de l'opulence A retrempé son âme au froid de l'indigence. L'ennui naquit, dit-on, de l'uniformité, Et l'indolence, au moins, de la satiété; J'y pourrais rattacher l'impudente sottise ; Maistous les sots, en choeur, blâmeraient ma franchise, Et les sots sont nombreux, ils seraient contre moi ; Lemeilleur est encor de les avoir pour soi. Entre nous, ce n'est pas que beaucoup je les craigne, Maisdéchaînés, ils sont vraiment comme la teigne. (Testtrop s'en occuper, laissons ces braves gens, Disons-leur,s'il le faut, qu'ils sont intelligents Et retournons bien vite à la noble misère, Desprogrès de l'esprit et la source et la mère. Celui que la fortune a conduit par la main, Ne garde pas toujours le milieu du chemin, Aveuglépar l'orgueil, souvent il s'en écarte, Perdle pôle et le port, ayant perdu la carte, Tombedans un abîme et, s'il manque de coeur. Il y laisse sombrer sa fortune et l'honneur; Maiss'il lui reste encor quelque peu d'énergie, il la dépensera pour mieux régler sa vie. Savez-vousqui le guide et lui sert de.support 9 Qui combat avec lui pour conjurer le sort Et pour reconquérir dans une autre carrière Tousles biens qu'il perdit dans sa course première, Cesbiens qu'il dépensait sans en savoir le prix, Avecdo faux amis ou d'infâmes Laïs? Quifait cesser enfin sa longue léthargie Et qui lui montre ouvert le livre de la vie? La misère : ciment de la fraternité, Nonpas celle en haillons qui vit do charité; Maisla misère honnête, avouable, attachante, Quede nobles efforts rendent toujours touchante. Misèreque j'honore et que surtout je crains, Ecole où l'on apprend à juger les humains,


—222— Je ne le cherchais pas quand je l'ai rencontrée Et qu'indiscrètement, sous mon toit retirée, Tu restas si longtemps sans la moindre pudeur ; Je te dois cependant la lin de mon malheur, Tu dessillas mes yeux et, tu fis apparaître Tous ceux qu'il m'importait de juger, de connaître : L'épreuve fut cruelle et je vois tous les jours, Hélas! que j'eus raison de croire à les discours; Tu m'as rendu prudent, lu doublas mon courage, Tu bornas mes besoins et m'as l'ait presque sage. J'aurais bien mieux aimé, je le dis sans façon, N'avoir pas mérité celle grave leçon; Mais lorsqu'elle profite, on n'est pas trop à plaindre; On apprend à douter et surtout à se craindre. C'est tracer un sillon qui marque le fossé Ouvert pour engloutir l'imprudent, l'insensé, C'est dans le champ fécond de l'austère sagesse,. Semer pour échapper à sa propre faiblesse. Poursuivons : à celui qui possède un trésor, Que peut-on demander? Qu'il dépense son or ! Kl s'il est l'artisan de sa grande fortune, Tenez comme certain qu'avant, d'en avoir une,. Il a connu la gêne, et que ce parvenu, Du village à la ville, en sabots est venu; Oue d'efforts il a faits pour vaincre la misère! Oue de nuits sans sommeil, et quelle vie austère!' S'il l'ut dans l'opulence au sortir du berceau, L'or a séché son coeur, engourdi son cerveau, Disent certains esprits constamment en révolte Pour' n'avoir jamais l'ait la plus mince récolte : Je suis loin d'accepter un pareil jugement : La fortune n'est pas la mort du sentiment, Et j'en pourrais citer, que leur grande opulence A l'ail considérer comme une providence Donnant à pleines mains à tous les malheureux. Sans prétendue jamais être assez généreux. Dans des vers où l'esprit le dispute à la grâce


— 225 — Et que dictait le coeur de l'excellent Horace, Mécènea vu vivant son immortalité ; Horacequi chaulait sa générosité, Fièrement, à bon droit, l'indiquait à la terre Commele protecteur de la noble misère, Et nous devons peut-être, à ce coeur généreux, Lepoëte charmant, le philosophe heureux. Horacefortuné n'eût rien produit peut-être, El, mollement assis sous l'ombrage d'un hêtre, Il eût sur ses pipeaux légèrement enflés, Moduléquelques chants maigres ou boursouflés; Ou, se laissant aller à sa grande paressé, Obscur, aurait atteint I'âge de la vieillesse. ha misère échauffa son coeur et son esprit Et cherchant des accords, la Muselui sourit. Donnerest un plaisir, savoir donne!' est rare; C'estune jouissance inconnue à l'avare, Et l'on peut s'honorer d'avoir un protecteur, Oui, goûtant noire esprit, y répond avec coeur. Desmaux que nous souffrons, n'accusons que nous-même; Celuiqui nous créa, l'être incréé, suprême, Nousa tous, en naissant, pareillement dotés; Versle bien et le mal également portés, C'està nous à choisir le chemin qu'il faut prendre, A nous de réfléchir, à nous de nous défendre. Maisla raison toujours nous arrive bien tard, Rarement à propos, quelquefois par hasard. Quel qu'en soit le motif, le fruit de la sagesse N'estpas mûr au printemps, mais bien dans la vieillesse; On passe trois saisons à le bien cultiver, Maisou n'est jamais sûr de le pouvoir sauver. Tel qui s'exagérait sa puissance et sa force, Est arrêté tout net, par une mince écorce; D'autres fois nos calculs sont trop ambitieux, L'orgueil nous éblouit et nous ferme les veux; Toutce qu'on nous disait par malheur nous arrive, la misère se montre, elle est en perspective;


— 224 Connue un géant terrible elle marche à grands pas, Nous touche, nous saisit, nous étreint dans ses bras; Il est trop tard alors pour marcher en arrière, Combattre est la ressource et suprême et dernière, Il faut reconquérir ce que l'on a perdu, Sous peine avec les morts de rester confondu; Et quand on a du coeur, c'est au bout de la terre Que l'on va, s'il le faut, pour vaincre la misère : On en revient plus mûr, moins fougueux, plus actif. Plus discret, moins parleur, surtout plus positif. Ce retour au bon sens, cette métamorphose, OEuvrede la misère, est son apothéose ; C'est le soleil vainqueur des ombres de la nuit, C'est le grand Belzébuth par la raison réduit. L'homme est fait pour la lutte et n'est fort que par elle; La misère nous lue ou produit l'étincelle Qui d'un homme ignoré fait un homme nouveau Et le met sur la toute et du grand et du beau. Si vous interrogez les fastes de la gloire, Vous y rencontrerez la saisissante histoire De tous ceux qui, luttant avec l'adversité, Par la force ont conquis leur immortalité : La plupart ont vécu dans la froide mansarde; Beaucoup d'entre eux, issus de race campagnarde, Incités par la muse ou par l'amour de l'art, Comme un soleil brillant ont percé le brouillard Dont l'épaisseur voilait leur modeste chaumière, Et s'en sont élancés tout brillants de lumière; Les uns, pour devenir des artistes fameux, D'autres des orateurs puissants et vigoureux, Ceux-ci pour soulager l'humanité souffrante, Ceux-là pour l'éclairer par leur plume savante; Par son génie, un autre agrandit l'univers, Et, guidé par lui seul, il subjugue les mers; D'autres ont fécondé les champs de l'industrie, La physique, les arts, la mystique chimie; Celui-cide la nuit perce la profondeur


— 225 — Et des siècles passés nous montre la grandeur; Le ciel s'ouvre, on en sait la sublime ordonnance, Onconnaît ses soleils et leur magnificence; D'un bout du monde à l'autre on se parle sans voix, Et dans tous ces grands noms on ne peut faire un choix! L'orgueil, qui les laissait languir dans la poussière, L'orgueil, sourd, toujours sourd aux cris de leur misère, Lesvoyant parvenus voulut les adopter; Usne voulurent pas sous son toit habiter, Et comme au grand soleil ils avaient pris leur place, Ils furent, à leur tour, orgueilleux et de glace. J'aime cette fierté, c'est celle d'un grand coeur Quise fait respecter, comprenant sa valeur. Honoronsle talent, consolons la misère, Et, désarmant son bras préparé pour la guerre, Disons-lui: Pour avoir votre part de soleil, Fécondezvotre esprit, combattez son sommeil; Le monde est éclairé par les feux du génie, Par la science et l'art unis à l'industrie ; Un temple est commencé, niais est loin de finir, Il a l'âge du monde, il faut le soutenir, Chaquepierre a son nom, inscrivez-y le vôtre, Hâtez-vous,car demain vous en lirez un autre. Si vous en demandez et le culte et le dieu, Leprêtre vous dira, lui, gardien de ce lieu : « Ce temple, le plus beau, le plus grand de la terre, « Est celui du progrès, bâti par la misère. » ALEXIS GRANGER.

LA

PALINODIE CAUSERIE FAMILIÈRE.

Destravers de l'esprit humain, Le plus fréquent, le plus notoire, Qu'à chaque pas en son chemin On.peut rencontrer sous la main,


— 226 Tant notre espèce est d'humeur transitoire, (l'est ce penchant contradictoire A décrier le lendemain L'homme ou la chose que la veille On vantait comme une merveille. Nous l'avons tous; pour moi, c'est un point arrêté. J'ai là-dessus bien souvent médité, Et je soutiens que cette maladie Est l'éternelle comédie, L'universel concert où de l'humanité Chaque membre fait sa partie; Qu'il n'en est pas, je crois, un seul, en vérité, Qui n'ait, certain jour de sa vie, Accueilli ce qu'un autre il avait rejeté; Et, pour user d'un terme en ce cas adopté, N'ait chanté la palinodie, Par raison quelquefois, ou par nécessité, Plus souvent en courant après la nouveauté, Par esprit de légèreté, Par fol entraînement ou simple fantaisie. Des preuves? direz-vous. — Des preuves! En voici ; Certes, je ne crains pas qu'on puisse me confondre, Je n'en manque pas, Dieu merci! Mais deux exemples seuls suffiront pour répondre. Ne craignez pas que d'un bras raccourci Je fustige à vos yeux la souplesse cynique Du caméléon politique, Plus odieux, plus vil et méprisable aussi Que le bateleur, l'empirique dressant ses tréteaux sur la place publique, Qui, D'un reste de pudeur garde encor le souci! Je laisse l'écrivain vénal et famélique, Sourd à sa conscience, au coeur bas, endurci, Dont la duplicité guidant la polémique, Prône un homme là-bas et le denigre ici! Non. — C'est la girouette, amusante et comique,*


— 227 — Dont les tours et retours feront preuve en ceci ; Ce qui touche à l'honneur est sûr, incontestable, Et qui manque à sa foi n'est jamais excusable ; Je ne veux pas parler des forfaits des pervers, Et si tergiverser me paraît tolérable, C'est dans ces questions dont les côtés divers A la controverse équitable Ouvrent un accès honorable, Où plus d'un esprit à l'envers Peut très-bien, s'emportant à tort comme à travers, Divaguerà loisir, sans se rendre coupable Envers autrui d'un tort considérable; Et je dois l'accorder à ces nombreux cerveaux Dont la pensée insaisissable, Caracolant sans cesse et par monts et par vaux, Eu baromètre véritable Est constamment fixée... au variable. Revenons. — Deux objets, d'une aide favorable, Vont appuyer mon dire et remplir mon dessein : C'est la femme et le médecin. Sur ces deux terrestres puissances, Qu'ici-bas, après tout, on ne peut remplacer, On glose,vainement, on prend toutes licences, On en médit toujours! — On ne peut s'en passer. Dans un plan de campagne, ou même de finance, Ministre ou général, vous voulez effacer Devos prédécesseurs les talents, la science; Vous, profond érudit que rien ne peut lasser, Pour éclaircir un fait on vous voit surpasser D'un vrai bénédictin la longue patience; D'un contour ferme et pur ou d'un chaud coloris, Vous, artiste assidu, vous attendez le prix. Dans ces âpres travaux, tous vous cherchez la gloire ! De ses seules faveurs votre coeur est épris; A votre espoir déjà la muse de l'histoire Découvre l'avenir où vos noms sont inscrits !


— 228 — Presque assurés de la victoire, Brûlés d'ambition, songez-vous à l'amour! Les femmes assez tôt reviendront à leur tour, Dites-vous. — Respirons! Ne fût-ce qu'un seul jour, Puissions-nous perdre la mémoire leur De frivole esprit, de leur jalouse humeur, De leur dédain, injuste autant que leur rigueur! Voilà pour le beau sexe. — Au banquet où s'empresse De ces graves messieurs la docte et fine fleur, Où leurs succès fêtés répandent l'allégresse, A l'éloge, échangé de vainqueur à vainqueur, On s'abandonne avec ivresse! Des mets, des vins exquis la féconde chaleur Vient redoubler en eux l'ardeur de la jeunesse ; La santé surabonde. — Eh ! nargue du docteur ! De ses fades sermons, de sa froide sagesse. Voilà pour l'Esculape. — Et l'on est sûr de soi ! Maisdans cet océan qu'on appelle la vie, Le flux et le reflux sont l'infaillible loi, Et du trouble bientôt l'assurance est suivie : De ces vaines vapeurs le prisme merveilleux Fuit, se décolore et s'efface; D'autres émotions dans nos coeurs se font place ; D'autres illusions viennent couvrir nos yeux : Une femme paraît! Illusion charmante! D'un tendre mouvement on se sent agité, Le coeurbal! et l'on tombe aux pieds de la beauté! La fièvre nous saisit. — Triste réalité Qui change notre couche en affreuse tourmente; Là; c'est le pouls qui bat : vite la Faculté! Elle vient prendre aussi sa revanche éclatante, Le malade ou l'amant s'est bientôt rétracté. Sachons donc bien le reconnaître, Tous, tant que nous soyons, nous devons nous soumettre A cette double autorité! Il me semble (serait-ce un rêve


— 229 De mon imagination?) Que ce mot, qu'à peine j'achève, Ce seul mot de soumission, Autour de moi de toutes parts soulève Un cri de réprobation. Quoi! me dit-on, est-il donc si facile De recevoir votre approbation? La femme, ce sexe fragile, Si l'on vous croit, des lois de la raison Est l'esclave toujours docile? Et du médecin malhabile Les travaux désastreux, aux champs comme à la ville Ne causent pas tous les jours à foison Le regret douloureux et la plainte inutile. De stupéfaction je demeure immobile, Car ce n'est pas cela que j'ai voulu prouver. Le Ciel veuille m'en préserver! Et j'ignore comment j'allumai votre bile. Maisj'étais dans l'erreur, je n'ai rien entendu. Pourtant... Faut-il parler en conscience? Vraiment je n'en ai pas la parfaite assurance; Et si l'on n'a rien dit, c'est que la bienséance D'une apostrophe ici m'a seule défendu; Et ce qu'on ne dit pas quelquefois on le pense. Or, à l'égard d'aucun ne voulant avoir tort, De l'une et de l'autre puissance Dontje suis accusé d'avoir pris la défense, Je vaisdire du mal! et nous serons d'accord. Autre embarras! Il faut deux vertes épigrammes Pour satisfaire vos esprits; Messieurs, ne comptez pas sur deux charivaris : Je ne médis jamais des dames. Devant elles! Tout haut! Je ne le puis, d'honneur! Et fût-ce en leur absence, un souvenir flatteur, Une pensée à mon coeur toujours chère, D'un refus aussi net serait encor l'auteur.


— 230 — D'un sexe que j'aime et révère Je lus toujours adorateur! Bien qu'adorateur... honoraire, Je ne veux pas encore risquer de lui déplaire! Quant à la Faculté, j'y consens bel et bien. Je suis bien portant, ne crains rien, Et je peux aujourd'hui m'égaver sur son compte. Donc profitant de ces moyens, Permettez que je vous raconte Certain trait dont je me souviens. Je ne l'invente pas. Souvent je vais et viens, Et malgré le vent que j'affronte, Sur les quais et les ponts facilement j'obtiens Quelque livre poudreux que j'achète sans honte: J'en ai pris là l'idée, et. ce bouquin remonte A l'an mil sept cent dix de l'ère des chrétiens. Ce n'est pas d'hier, j'en conviens. « Le meilleur Médecin, » c'est de ce petit conte Le litre, je vous en préviens. Dans un pays de l'Arabie, Où d'amour les tendres serments Sont observés toute la vie, — Pays fort loin du nôtre, — autrefois deux amants S'aimaient jusqu'à l'idolâtrie. De son amour toujours croissant L'heureux Osmin voyait le noeud puissant. S'affermir charpie jour dans sa chaîne fleurie, Quand tout à coup un mal terrible, menaçant, Fond sur sa maîtresse chérie ! Pour lui porter secours, un seul instant perdu Rend le péril mortel! Notre amant éperdu, Pour conjurer ce mal, court chercher un remède, Et, pour le posséder, offre ce qu'il possède! Mais à qui confier des jours si précieux? Il invoque la terre, il invoque les cieux !


— 231 — Ases cris répétés se présente un derviche Porteur d'un talisman, d'un magique miroir Où l'on voit ce que l'oeil ne peut apercevoir Dans le monde réel. —Vends-le-moi ! je suis riche, Peu m'importe son prix, si j'y peux découvrir Le meilleur médecin, et de peine sortir !.» Le marché se conclut. — Le désolé jeune homme Volechez le docteur que le plus on renomme. Il tire son miroir, sans trop savoir comment Il obtiendra par lui ce qu'il cherche ardemment! Il regarde... et. recule en voyant à la porte D'âmes de trépassés une horrible cohorte Qui, dans un lamentable choeur, Sur des tons de plus d'une sorte, Mais d'un ensemble accusateur, Redemandaient leur vie à l'illustre docteur. Il s'enfuit chez un autre... Encore même escorte! Autant chez un troisième! et chez tous, plus ou moins. Comment se décider à réclamer leurs... soins? Cependant le temps presse! Au détour d'une rue, L'amant désespéré jette au hasard la vue, Metson miroir en jeu : deux âmes seulement Sur le seuil d'un logis se tenaient humblement. Deux! quelle joie! Il frappe, et le médecin ouvre. Dansson transport, Osmin de ses baisers le couvre, « Enfin, je l'ai trouvé! N'attends pas un moment, Viens, dit-il, des docteurs la perle et l'ornement! » L'autre n'y comprend rien, et d'un tel compliment Sa modestie est alarmée : « D'où peux-tu me connaître? — Eh! c'est ta renommée Qui m'a conduit chez toi! » Dans son enchantement, Le médecin repartit à l'amant : « Parlons-nous en bons camarades ; A cet éloge ardent, comme à (es embrassades, Je ne m'attendais nullement; Peut-être les discours de quelques gens maussades M'avaient-ils fait de moi penser différemment;


—2 32 — Enfin soit ! Tu me persuades; Mais quant à mon renom, tu m'étonnes aussi! J'arrive de très-loin, d'hier je suis ici, El n'ai pu voir encor que deux malades! » Eh bien, n'avais-je pas raison De prétendre que dans la vie Il faut qu'à chaque occasion Le langage se modifie? Redoutant votre déplaisir, Uniquement pour m' en défendre, J'ai dû, selon votre désir, Changer de gamme. On l'a bien su comprendre. Et maintenant je dis, pour conclure et finir : Aux savants dans l'art de guérir Ouand nous prodiguons la louange, Faut il donc qu'en mépris notre estime se change, S'ils n'ont pas le pouvoir étrange De nous empêcher de mourir? Dieu seul a ce secret certain; Tout remède à nos maux est d'essence divine, Et si du mal, quelque matin, Nous sentons l'étreinte assassine, La Providence est là ! Soumis à ses desseins, Confions-nous aux médecins, Ne croyons qu'à la médecine! Ambroise Paré nous l'a dit Dans son vieux et naïf langage, Religieux autant que sage : « Je te soigne, et Dieu le guérit! » ALPHONSE SAGE. 3 mai1863.

PARIS. SIMON RUE D'ERFURTH, —RUE. BACON ETCOMP. .


— 233—

PROCES-VERBAUX.

; SEANCEDU MARDI16 JUIN 1863. — Bulletinn° 733. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures et demie. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. La correspondance comprend : Deux numéros du Builder. — Renvoyés à M. Dufour. Le Répertoire encyclopédique de photographie, par M. de la Blanchère. — Remis à M. Chamerlat. Bulletin de lu Société académique d'agriculture, belleslettres, sciences et arts, de Poitiers. — A M. Villemsens. Bulletin de l'Union des arts de Marseille. —A M. Maillet. Bulletin de la Société du progrès de l'art industriel. — A M. Bayard de la Vingtrie. Revue artistique et littéraire. — A M. Maillet. Le Messager des théâtres. — Aux archives. Une lettre de M. Dubouloz, dans laquelle il exprime le regret de ne pouvoir assister à la séance. Une lettre de M. Desjardins de Morainville, qui remercie la Sociétéde sa réélection de vice-président. M. le président exprime les remercîments que M. Texier, nommé vice-président de la section de gravure, l'a prié de faireen son nom. Il donne lecture de la démission de M. Martin, agent de la Société, motivée sur son âge et son éloignement de Paris. — La Société décide que des remercîments seront adressés à M.Martin, pour les services qu'il lui a rendus; elle agrée le successeur présenté par lui, M. Bastien, qui demeure à l'Hôtel de Ville. — N°14. 17 JUILLET.


— 234 — M. Mailletrend compte d'une élégie de M. Passot, l'aile à la mémoire de madame Dupin aîné, décédée à Raffigny (Nièvre), le 17 novembre 1855. Il lit cette pièce de vers à la Société, qui approuve complètement le rapport favorable qu'il en a l'ait. Une lecture, que l'ait M. Granger, excite au plus haut point l'intérêt; c'est le fragment d'un poème en douze chants qu'il a composé sur l'Egypte; ce fragment a pour titre : la Peste de Jaffa. Ces beaux; vers, dans lesquels se trouve une peinture saisissante de l'horrible fléau qui ravagea notre armée, font une grande impression sur toute l'assemblée; ils sont vivement applaudis. M. Gendre fait savoir, à propos de la revue nouvelle, les Beaux-Arts, que le directeur, M. le marquis de Lacueil, demande à recevoir en échange les Annales. — Accordé. La séance est levée à neuf heures trois quarts. J. CHAMERLAT, Secrétaire adjoint.

SÉANCEDU MARDI7 JUILLET 1863. — Bulletinn° 734. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures et demie. Lecture et adoption du procès-verbal de la dernière séance. La correspondance comprend : Une lettre de M. Nelson, secrétaire pour la correspondance étrangère de l'Institut royal des architectes britanniques, remerciant de l'envoi de nos Annales et des rapports sur les travaux de l'Institut qui y sont insérés. Une lettre de mademoiselle Zeolide Lecran, membre honoraire de la Société, annonçant qu'elle vient d'obtenir, à l'Exposition des beaux-arts, une mention honorable. — Cette nouvelle est accueillie avec la plus grande satisfaction.


— 255 — Unelettre de M. A. N. Noël, membre honoraire, réclamant une médaille décernée à M. Jules Labarte. — M. le président fera réponse. La première pierre de l'église d'Argis, légende valaque, paroles de M. Antony Deschamps, musique de M. Charles Maury,qui en fait hommage à la Société. — M. Delaire est chargé d'en rendre compte. Bulletinde la Société des sciences et arts de Poligny, Revue artistique et Bulletin de l'Union des arts de Marseille. — Renvoyés à M. Maillet. Bulletin de la Société du progrès de l'art industriel. — A M. Fayet. Répertoire encyclopédique de photographie et Bulletin de la Société française de photographie. — A M. Chamerlat. Annales de la Sociétéd'éducation de Lyon. —A M. Moultat. Cinq numéros du Builder. — A M. Dufour. Les Beaux-Arts, revue de l'art ancien et moderne. — A M.Horsin-Déon. Sont renvoyés aux archives : Deux numéros du Conseiller des artistes; Troisnuméros du Messager des théâtres; Bulletin des séances de la Société impériale et centrale d'agriculture de France; Journal de la Société impériale et centrale d'horticulture. La correspondance étant épuisée, M.Maillet prend la parole pour lire un rapport sur l'Union de Marseille. — Les conclusionsdu rapporteur sont adoptées ; l'ouvrage sera déposé aux archives, et le rapport inséré dans les Annales. M. Bayard de la Vingtrie fait ensuite un rapport sur un numérodu Bulletin de la Société du progrès de l'art industriel. Cerapport, fort bien fait, donne lieu à des observations qui l'ontajourner à une autre séance le vote des conclusions. La séance est levée à dix heures et demie. Le secrétaire général, J. E. LAMI.


— 236 -

TRAVAUX

DE

LA

SOCIETE

RAPPORT SUR LE JOURNAL LA COMÉDIE. Messieurs, Vous m'avez t'ait l'honneur de me charger de vous faireun rapport sur un numéro du journal intitulé la Comédie; je dois obéir, toute difficile que me semble ma lâche. En effet, un journal n'est pas un ouvrage ayant une suite, un ensemble. complet; c'est une série d'articles, de morceaux détachés qui quelquefois se contredisent. J'aurais pu toutefois chercher quel était l'esprit de ce journal, en examiner et en discuter la tendance, les idées artistiques, si j'en avais eu une année à ma disposition; mais c'est ce que je ne peux faire sur un seul numéro. Voyons d'abord le titre : la Comédie. Je m'attendais à trouver dans le premier article la mise en scène des vires, des travers et des ridicules de notre époque ; cette comédie, qui n'a pas de dénoûment, pouvait se continuer aussi longtemps que le journal aurait duré; elle justifierait du moins son litre; mais il n'en est rien : ce journal, comme les autres journaux, se compose d'articles critiques, de nouvelles des théâtres de Paris et des départements, d'historiettes, de pièces de vers et d'une chronique. Cenuméro contient d'abord un compte rendu de la reprise de la Dame aux camellias, de M. Dumas fils, cette béatification de la femme prostituée! C'était le cas de protester contre cette comédie, qui est d'autant plus dangereuse qu'elle est bien écrite. L'auteur de l'article dit bien qu'il y a douze ans, dans une ardeur juvénile, il a manifesté son indignation: mais que, depuis, les Filles de marbre, le Demi-Mondeet le Mariage d'Olympe, sont venus cingler le front de ces


femmes dépravées, et que tout vient à point à qui sait attendre, la morale, d'ailleurs, étant la chose avec laquelle il est. le plus d'accommodements. Je ne suis pas de son avis; le mal ne vieillit que s'il ne recommence plus, et ce qui était blâmable il y a douze ans l'est encore aujourd'hui. Le théâtre ne doit représenter le vice que pour le faire haïr; mais malheureusement, de nos jours, il n'en est rien, et souvent nos tribunaux ont à sévir contre des misérables qui cherchent à mettre en pratique les leçons qu'ils reçoivent, tous les soirs, en assistant aux représentations de nos drames modernes. Un journal qui prend pour litre lu Comédie devrait chercher à lui faire suivre une autre roule. Je sais bien qu'un chroniqueur n'est pas toujours libre, que l'intérêt, l'amitié, la camaraderie, l'empêchent souvent de dire toute sa pensée; c'est un malheur, mais il ne devrait pas céder à des considérations personnelles, au lieu de remplir dignement la lâche qu'il s'est imposée, car le théâtre est l'école des masses, il agit sur les moeurs et sur le goût. On me dira bien qu'une pièce n'est représentée qu'après avoir passé à la censure: mais je crois que MM. les censeurs ne se servent de leurs grandes oreilles que pour écouter les allusions politiques, et qu'ils prennent peu de souci de la morale publique. Nousen avons la preuve tous les soirs. Je voudrais qu'un journal osât flageller d'une main ferme les auteurs et les acteurs qui se serviraient de leur talent, les uns pour rendre aimables ou pardonnables lesvices honteux, et les autres pour présenter le crime sous un aspect risible; cejournal ferait ainsi justice de toutes ces créations qui salissent, souillent l'imagination, et désorganisent la société en la démoralisant. Dans le numéro dont j'ai à vous rendre compte se trouve une pièce de vers intitulée Juvénalides (la noblesse), et signée Alceste. C'est une satire où l'auteur peint avec verve la manie des litres qui ne sont basés que sur de vieux parchemins. Si je juge des dispositions d'esprit de l'auteur par la lecture de cette boutade, je lui conseille de continuer, et les sujets ne lui manqueront pas. Le reste du journal est


— 258 consacré à l'exposé de l'état des troupes des théâtres de province ; cela ne nous regarde pas, mais, puisque je tiens un journal qui s'occupe spécialement de théâtre, je puis m'étendre sur cette matière et chercher à savoir pourquoi les acteurs de notre premier Théâtre-Français sont si faibles dans l'ancien répertoire et jouent si admirablement le nouveau. Je pense en trouver la cause dans celte raison, que, pour les rôles modernes, c'est la nature elle-même qui leur sert de modèle. Vivant tous les jours au milieu des personnages qu'ils ont à représenter, ils s'identifient mieux avec eux, et ils leur donnent plus facilement leur physionomie vraie, tandis que pour les oeuvresdes anciens auteurs, ils ne peuvent que suivre la tradition, qui est loin de fournir les mêmes avantages; car la tradition va toujours en s'affaiblissant, c'est connu. Pour me servir d'un exemple, si l'on voulait avoir l'idée d'un maître en peinture, et qu'on n'eût pour le juger que la douzième copie qui aurait été faite de copie en copie, je crois qu'il serait impossible de reconnaître l'original ; il en est de même pour la tradition au théâtre : chaque nouvel acteur y met un peu du sien, et même quelquefois trop. J'ai vu dernièrement un de nos meilleurs acteurs, jouant le Misanthrope, s'aviser de chanter la chanson dont Alceste ne se sert que pour la mettre en parallèle avec le sonnet d'Oronte, quoique Molière dise dans ses vers : Et je prisebienmoinstoutceque l'onadmire Qu'unevieillechanson,queje m'en vaisvousdire. Alceste, se mettant à chanter, produit un mauvais effet et détruit la noblesse du rôle. C'est ainsi que tout le vieux répertoire est joué. La faute en est à notre temps, où le bon goût, le bon ton et les belles manières ont fait place à des moeurs anglaises. Nos grands seigneurs sentent le chenil, l'écurie et la tabagie. Les nouvelles idées, qui ont fait hausser le niveau des classes moyennes, ont fait baisser les sommités. C'est un bien pour beaucoup de choses; mais il eût été préférable que les hautes classes de la société fussent toujours restées des exemples de manières élevées et des modèles à suivre. Nos actrices.


— 239 — dans leurs rôles de dames de cour, ont toujours l'air et le ton des dames du demi-monde, et malheureusement nos grandes dames font ce qu'elles peuvent pour ressembler à ces dames-là. Nos acteurs et nos actrices n'ayant plus d'autres modèles, il faudra bientôt nous résigner à voir jouer le Misanthrope comme si la scène se passait, rue de Bréda, entre des lurettes, des banquiers et des agents de change. Ces quelques réflexions que je viens de vous soumettre, messieurs, m'ont été suggérées par le titre du journal la Comédie, pour lequel, quoique ce titre ne me paraisse pas suffisammentjuste, je vous demande le dépôt aux archives. DUBOULOZ.

RAPPORT

DE M. MAILLET SUR

LA SOCIÉTÉDE L'UNIONDES ARTS DE MARSEILLE. Messieurs, L'année dernière, une Société s'est formée à Marseille, sous le nom de l'Union des arts, et, par suite du projet de statuts qui nous a été adressé, j'ai eu l'honneur de vous entretenir de cette utile fondation dans une cité de premier ordre, où le culte des arts était peut-être trop négligé. Les voeux que je formais pour le succès de la Société dont il s'agit paraissent s'être réalisés, et j'ai lu avec plaisir le dernier Bulletin, que vousm'avez chargé d'examiner. L'Union des arts publie, deux fois par mois, une livraison de trente-deux pages, et elle accepte l'échange de son Bulletin avec les organes de toutes les sociétés artistiques et sa. vantesde la France et de l'étranger. Fidèle à son programme, cette Société a eu, le 12 mai, une séance musicale, dans laquelle plusieurs artistes distingués se sont fait entendre; et, le 19 du même mois, une séance littéraire, dont le compte rendu est très-intéressant, (le compte rendu est suivi de


— 240 — l'analyse des travaux des sections, d'une notice sur ses expositions permanentes de peinture, photographie, sculpture et objets d'art; de nouvelles et faits divers relatifs aux beauxarts; enfin d'un article nécrologique sur le célèbre pianiste et compositeur Adolphe Prudent, dont on déplore la perte, récente, et prématurée : il avait à peine quarante-six ans. L'Union des arts ouvre ses salons d'exposition aux artistes de tous les pays : elle leur offre ainsi les moyens de se faire connaître et apprécier dans une ville très-riche, très-peuplée, et où les étrangers sont toujours nombreux. Nous ne pouvons donc qu'applaudir à la fondation de cette Société, et nous nous félicitons de nos relations avec elle. Je propose le dépôt aux archives du Bulletin dont je viens de vous parler. MAILLET.

TRAVAUX

PARTICULIERS.

SÉANCEPUBLIQUEDU 3 MAI1863 (SUITEET FIN)

UNE PLAISANTERIE

DU GRAND

FRÉDÉRIC

Au temps où Frédéric, respectant la justice, Immolait le désir de son royal caprice Au meunier qui l'osait, pour garder son moulin, Menacer d'un appel aux juges de Berlin, Les hommes revêtus de fonctions publiques Rejetaient sans pitié les placets, les suppliques Qui ne leur donnaient pas des titres fastueux ; Rien de trop recherché, de trop respectueux, Non, rien, même les mots qu'exigeait l'étiquette, Quand un sujet au roi faisait une requête. C'était de ridicule à coup sûr se couvrir',


— 241 — Maisla sottise agit ainsi sans réfléchir, Et ces nobles messieurs ne s'imaginaient guère QueFrédéric, sans cesse occupé de la guerre, Absorbépar l'espoir de la célébrité, Pourrait bien quelque jour troubler leur vanité. Enmesurant du trône au peuple la distance, Ils pensaient bien en paix jouer à l'importance. Ce temps-là n'était plus, ce temps où seul, sans bruit, Certaincalife allait, déguisé, dans la nuit, Parcourir une ville, exercer la justice, Lui-mêmesurveiller les soins de sa police, Ecouter les propos de tous les gens de rien, Leurs plaintes, leurs désirs, se montrer leur soutien, Et préférer le nom de prince populaire Acelui de héros, de maître de la terre. Cesmessieurs s'abusaient : si jamais une erreur Egara des esprits, certes ce fut la leur, Et cette erreur était bien absurde et profonde. Celuiqui, dans un camp, sans avoir fait sa ronde, Ne savait pas dormir, était un homme actif, Portant à toute chose un regard attentif, Certainque nu! ne peut aussi bien que le maître Voirtout ce qu'il faut voir, juger ce qui doit être; Le roi qui se mêlait souvent à ses soldats Et causait avec eux, et ne dédaignait pas La franche expression de leur brusque langage, Devait apprendre ainsi le singulier usage Qu'un désir insensé d'être plus qu'on n'était Prétendait imposer à qui sollicitait. Au portrait que de lui nous a transmis l'histoire, Quine le fait plaisant ni tendre, comment croire Qu'il n'ait pas sur-le-champ, mécontent, irrité, Châtiécet abus avec sévérité?


— 242 — Il n'en lui rien pourtant, car après tout qu'était-ce Que cet abus? Le tort d'une humaine faiblesse, Qu'il pouvait sans fracas réprimer aisément. Ce prince pour sa garde avait un régiment Qu'il affectionnait entre tous, corps d'élite Composé de soldats connus par leur mérite, Choisis avec le soin d'un esprit scrupuleux. Chacun nomme avant moi ses grenadiers fameux, Hercules pour la force et géants pour la taille, Modèles de vaillance au fort d'une bataille. Si l'un d'eux se trouvait hors d'état de servir, Il voyait de sa vie assurer l'avenir, Et de telle façon que le brave invalide En venait à bénir le destin homicide Qui, par un coup fatal,, s'attaquant à ses jours, Avait de sa carrière interrompu le cours. Or un jour Frédéric d'une ruse de guerre Faillit être victime, et si, dans cette affaire, L'un de ses grenadiers, n'écoutant que son coeur, Ne s'était dévoué pour être son sauveur, C'en était fait. Ce brave, au-devant de la balle Qu'il voyait menacer l'existence royale, S'était précipité, de son trépas certain, Mais heureux de sauver les jours du souverain. Dieu, qui prend intérêt aux actes de ce monde, Quoi qu'en dise l'impie, et qui souvent seconde Le courage qu'inspire un noble sentiment, Decet oubli de soi, de ce vrai dévouement, N'avait pas accepté le complet, sacrifice : La balle le frappa, lui rendit le service Désormais impossible en lui broyant un bras ; Mais Frédéric alors ne l'abandonna pas. On dit que bien souvent, ainsi qu'un camarade,


— 243 — Ils'en venait causer au chevet du malade, L'appelantson sauveur, son bon, son cher Henri. Dèsqu'il le vit sur pied, entièrement guéri, Il lefit garde en chef de l'un de ses domaines, Gardepour vivre là sans se donner de peines, Ayantsa maisonnette à lui sur un coteau, Dominantun vallon, aux portes d'un château, Ettout ce qui convient, afin qu'un militaire Croieavoir rencontré le paradis sur terre. Frédéricne faisait jamais rien à moitié ; En guerre, s'il semblait ignorer la pitié, Ace point que l'histoire a flétri comme un crime Lacondamnation de certaine victime, Il savait bien ailleurs secourir, protéger, Etn'avait pas alors le souvenir léger Decelui qui n'agit qu'avec insouciance, Decelui qu'au hasard guide sa conscience; Il voulait, en un mot, compléter le bienfait, Le voir réaliser, en connaître l'effet. Dujour donc chez le garde il tombe à l'improviste, Et reste fort surpris de lui trouver l'air triste : « Bonjour, Henri, dit-il, comment va la santé? « As-tuce qu'il te faut? — Grâce à votre bonté, « La santé va bien, sire, et la place est fort bonne; « Mais... — Quoi! mais! Qu'entends-tu par mais? Dieu me « Pas un ne répond oui, sans ajouter un mais : [pardonne, « A faire au gré des gens parviendrai-je jamais? « — Si Votre Majesté veut d'une autre visite « M'honorer de nouveau, qu'elle la fasse vile, « Ou mort sous les débris de ce vieux logement « Elle me trouvera, sire. » Effectivement, Leroi, jetant les veux sur les murs, vers la voûte, Compritqu'il ne pouvait même opposer le doute


— 244 — Aux paroles du garde, et, par la vétusté, S'expliqua la raison de son air attristé: Le plafond fléchissait, et partout des crevasses Justifiaient du temps les funestes menaces Et le besoin pressant de conjurer le mal : « N'as-tu donc pas écrit à l'intendant royal « Qui veille, reprit-il, au soin de mes domaines? « — Dix lettres, sire, dix ; toutes ont été vaines. « — Tu n'as sans doute pas observé le respect « Qui d'un tel personnage éveille l'intérêt; « C'est qu'il est, sais-tu bien, d'une nature fière, « De titres fort avide, et que l'humble prière « Peut, bien mieux que le droit, jusqu'à lui parvenir. « — Comme vous entriez, je venais de finir « Une dernière lettre aux dix autres pareille; « Sire, voyez : doit-il faire la sourde oreille? « — Certes non, dit le roi, tu l'as assez flatté; « C'est vraiment afficher par trop de vanité. « Altesse! monseigneur! ces noms devraient suffire. « Quels autres veut-il donc?... Assieds-toi pour écrire « Une lettre à laquelle on répondra, crois-moi. « Tu vas voir ce que c'est que le style d'un roi « Qui n'est pas satisfait qu'un absurde caprice « Méconnaisseà ce point le bon droit, la justice. « D'abord en tête un titre autre que monseigneur « Et que ce nom altesse, un titre plus flatteur : « Majesté! pourquoi pas? Eh! l'idée est plaisante. « Donc à Sa Majesté très-haute et très-puissante « L'intendant... Et le reste ainsi que tu l'as dit. « Ma Majesté Royale à la vôtre prescrit, « Vu que de réparer le besoin est extrême, « D'ordonner des travaux bien vite, aujourd'hui même, « Pour que mon garde Henri ne soit pas exposé


— 245 — « Amourir quelque jour sous son toit écrasé. « Un mois doit bien suffire à terminer l'affaire; « Sinon, Ma Majesté vous déclare la guerre. « Moi,FRÉDÉRIC. » Le mois à peine finissait, Quechez le garde Henri le roi reparaissait. Toutétait bien changé : la vieille maisonnette Semontrait aux regards rajeunie et coquette. Leséchos indiscrets redirent en cent lieux Cetteleçon donnée aux esprits orgueilleux ; Il s'ensuivit partout un effet,salutaire : Chacuntrouva prudent de rester dans sa sphère, D'êtrede son emploi désormais occupé, Et se garda de prendre aucun titre usurpé. P. B. FOURNIER. Paris,3 mai1863.

LES

ANCIENS

ET LES

MODERNES

Je ne viendrais pas essayer De renouveler la dispute, Ou de recommencer la lutte Que jadis madame Dacier Soutenait avec persistance, En faveur des auteurs anciens, Soit poëtes, soit historiens, Soit artistes dont la puissance, Le goût, la grâce et l'élégance Dominaient, selon son avis, Les oeuvres d'art ou les écrits Des modernes tant applaudis. Sur ce point on pourrait s'entendre Et facilement se comprendre,


— 246 — En discutant sans passion, En laissant parler la raison. Chez les modernes on abuse Du mot progrès si répété, Tandis qu'aux anciens on refuse Toute supériorité, Lorsqu'on voit briller leur génie En éloquence, en poésie, Et quand ils fixent les regards Par leurs chefs-d'oeuvre dans les arts. Dans le vaste champ des sciences, Dont sans limite est le parcours, L'esprit humain marche toujours, Laissant à de longues distances Les plus illustres devanciers, Dont nous sommes les héritiers. ici, le progrès est notable, Le progrès est incontestable; Partout il brille assurément; Cela se conçoit aisément : Le savant profond qui précède Par tous ses travaux vient en aide Au travailleur qui lui succède, Et qui profite avec bonheur Des plus heureuses découvertes Que dans les carrières ouvertes A faites son prédécesseur. Les calculs et l'astronomie, Et la physique et la chimie Chaque jour marquent leurs progrès Et montrent de nouveaux succès. Plus bornés dans leurs connaissances, Moins avancés, si les anciens


— 247 — Ont eu des mathématiciens Et des notions dans les sciences, En vain je chercherais un nom A placer auprès de Buffon, De Cuvier, Keppler ou Newton, De Newton, ce puissant génie, Qui sut expliquer l'harmonie Et les lois des globes divers Qui gravitent dans l'univers. Son admirable intelligence Etendit au loin la science, Et, par ses travaux glorieux, De tous les astres lumineux II détermina la distance, La vitesse et l'attraction, Mêmela pondération. Au delà de notre atmosphère Portant son vol audacieux, Il décomposa la lumière Avec un prisme radieux. Les savants de Grèce et de Rome Ne peuvent pas avec Newton Etre admis en comparaison ; Et l'on a dit que c'était l'homme Qui par l'esprit était monté Jusques à la divinité. Bans les arts, c'est toute autre chose, Car l'antiquité nous oppose Des chefs-d'oeuvre qu'elle a légués, Et que l'on n'a pas égalés. En admirant l'architecture Et les ouvrages de sculpture Des artistes athéniens, On reconnaît que les anciens,


— 248 — Ces grands peintres de la nature, Ont atteint la perfection Dans les arts d'imitation. Non moins brillants dans l'art d'écrire, Leurs poëtes, il faut le dire, Leurs littérateurs élégants Ont conservé les premiers rangs. Oh! combien d'oeuvres immortelles, Combien d'admirables modèles L'antiquité nous a laissés, Que nous n'avons pas surpassés! Je les trouve dans Démosthènes, Le plus grand orateur d'Athènes, Dans César et dans Cicéron, Dans l' Iliade, l'Enéide, Dans Horace, Pindare, Ovide Et dans l'aimable Anacréon. Si, dans le temple de la Gloire, La déesse de la mémoire A gravé ces noms glorieux, Chaque jour elle inscrit encore, Non au-dessus, mais auprès d'eux, Bien des noms que la France honore. Car la France a su conquérir Et gardera dans l'avenir, Sans être niés par personne, Des arts le sceptre et la couronne Que les anciens, Grecs et Romains, Ont laissé tomber de leurs mains. AUGUSTE MAILLET. IMP. SIMON ETCOMP., RAÇON 1. PARIS.— RUE D'ERFURTH,


— 249 — AVIS Par décision du 4 août. la Société prend cette année des vacance; elle ajourne la reprise de ses séances au premier mardi d'octobre, 6 de ce mois.

PROCÈS-VERBAUX.

SÉANCEDU MARDI21 JUILLET1863. — Bulletinn° 735. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. Laséance est ouverte à huit heures et demie par la lecture et l'adoption du procès-verbal de la séance précédente. La correspondance comprend : 1° Une lettre de M. Duval, trésorier, concernant les affaires dela Société; — 2° une lettre de M. Lefèvre, président du comitédu Progrès artistique, priant de communiquer le programme des concours de composition musicale que le comitévient d'ouvrir le 15 de ce mois. Ce programme est — renvoyé à M. Delaire, président de la classe de musique. 3°Deuxnuméros du Builder, dont M.Dufour rendra compte. — 4° Un Bulletin de l'Union des arts de Marseille, 5° une livraisonde la Revue artistique, et 6° un Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny, qui sont confiés à l'examende M. Maillet. — 7° Un volume intitulé : Mémoires de la Société d'agriculture, commerce, sciences et arts du départementde la Marne, qui est renvoyé à M. Garnier. Sont ensuite déposés aux archives : 1° Un Bulletin de la Société du progrès de l'art industriel ; 2°un Bulletin de la Société française de photographie; — 3° une livraison du Répertoire encyclopédique de photogra18 —N°15. AOUT.


— 250 — phie, de M. de la Blanchère, membre de la Société; — 4° quatre numéros du Messager des théâtres, — et 5° un numéro du Journal de la Société impériale et centrale d'horticulture. La correspondance étant dépouillée, la parole est donnéeà M. Chamerlat, pour lire son rapport sur des livraisons, qui lui ont été remises précédemment, du Répertoire encyclopédique de photographie, de M. de la Blanchère. Les conclusions du rapporteur sont adoptées. Toutes les livraisons prendront place aux archives, et le rapport sera inséré. M. Bayard de la Vingtrie ayant fait, à son rapport sur un Bulletin de la Société du progrès de l'art industriel, lesmodifications qui lui avaient été demandées dans la. séance du 7 courant, en donne de nouveau lecture. Ce rapport doit être inséré aux Annales, et le Bulletin sera déposé aux archives. La séance est levée à neuf heures et demie. Le secrétaire général, J. E. LAMI.

SÉANCEDUMARDI4 AOUT1863. — Bulletinn° 756. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. A huit heures et demie, le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. M. le président fait savoir que plusieurs des jeunes artistes que la Société a entendus l'hiver dernier dans les séances mensuelles publiques et, le 3 mai, dans la séance annuelle, se sont distingués dans les concours du Conservatoire : M. Léon Desjardins, dont le talent a été si bien goûté le 24 mars et le 3 mai, a obtenu un premier prix de violon.Il faut du mérite pour l'emporter sur vingt-trois concurrents et se mettre au niveau d'un vingt-quatrième, à qui le succès était en quelque sorte assuré d'avance par l'auditoire.


— 251 — M. Bach, jeune ténor, applaudi dans la séance du mardi 23 décembre 1862, a mérité le premier prix de chant; — M.Rougé, baryton, remarqué dans la séance du 3 mai, a eu un second prix d'opéra, un premier accessit d'opéra-co— M. Faure (séance du 24 fémiqueet un second de chant; un accessit vrier), d'opéra, et M. Troy (séance du premier un second 27janvier), prix d'opéra-comique. — MlleLagye, quia si bien chanté le 3 mai, a obtenu le deuxième prix de chant et un second d'opéra-comique, et MllePichenot, dont lenom est inscrit au programme de la séance du 27 janvier, a reçu un troisième accessit de chant et le deuxième d'opéracomique. A propos de celte communication, M. le président l'ait observer qu'il semble que la Société libre des Beaux-Arts porte bonheur aux artistes qui prêtent à ses séances le concoursde leur talent. Il rappelle la séance où il présageai!, au nom de la Société, à MlleMarie Sax, peu connue alors, les brillants succès qui l'attendaient sur notre première scène lyrique. L'assemblée accueille la communication avec la plus vive satisfaction, et, sur la proposition de M. Dubouloz, devançant la pensée de tous, il est décidé qu'une lettre de félicitations sera adressée à chacun des lauréats. M. le président procède ensuite au dépouillement de la correspondance, et renvoie : 1° les Mémoires de la Société d'agriculture, des sciences, arts et belles-lettres du départementde l'Aube, à M. Villemsens; — 2° un numéro de l'Union des arts de Marseille, à M. A. Maillet; — 3° deux numéros du Builder, à M. Dufour; — 4° une polka de M. Edmond d'lngrande, intitulée : Souvenirs de Chousy, à M. Belaire; — 6° un Bulletin de la Société impériale et centrale d'agriculture de France, aux archives, ainsi que quatre numéros du Messager des théâtres. M. Bourdin lit un rapport sur le compte rendu de l'assemblée générale du 18 janvier 1863 de la Société des Amis des Arts de Strasbourg. Le rapport sera inséré aux Annales, et le compte rendu déposé aux archives.


— 252 — Attendu l'époque d'août cl de septembre, qui rend moins assidu aux séances, et l'exemple donné par presque toutes les sociétés, l'assemblée décide que, par une circulaire, les membres seront prévenus que cette année la Sociétélibre des Beaux-Arts prend des vacances, et qu'elle ajourne la reprise de ses séances, dont on sera du reste averti, au premier mardi d'octobre, 6 de ce mois. La séance est levée à neuf heures et demie. J. E. LAMI, Secrétaire général.

TRAVAUX

DE

LA

SOCIÉTÉ.

RAPPORT SUR LE JOURNALANGLAISTHE BUILDER PARM.DUFOUR, ordinaire. rapporteur Messieurs, Dans le dernier rapport que j'ai eu l'honneur de vous soumettre sur le journal the Builder, je vous signalais un article de M. G. G. Scott sur la conservation des ruines et des monuments anciens, et je me réservais de vous en parler ultérieurement, c'est ce que je viens faire aujourd'hui ; son analyse complète eût été bien longue, et je n'insisterai particulièrement que sur une critique fort ingénieuse que j'y ai trouvée de notre manière de procéder en France en fait de restaurations. M. G. Scott commence par faire ses excuses de fixer l'attention de la Société sur un sujet aussi peu récréatif, mais renfermant, dit-il, une matière d'une importance vitale pour


— 255 — l'art; que ces excuses soient aussi les miennes vis-à-vis de vous, messieurs, si j'ai fait fausse route et si mon travail vousparaît dénué d'intérêt. Je suis de l'avis de mon auteur, et je crois que chacun doit apprécier l'immense valeur, pour tout pays qui possède unehistoire et une civilisation, des monuments et des ruines par lesquels cette histoire et cette civilisation sont illustrées. Mais la valeur de ces monuments des temps anciens est grandement rehaussée quand ils sont le produit d'un style spécialde l'art et davantage encore quand ce style est d'un mérite reconnu, et qu'il s'est montré digne de revivre et de recevoirun nouveau développement. Ceux que leur goût et leur éducation ont conduits à apprécierspécialement l'art antique, sentiront combien cette remarque s'applique aux monuments des Grecs et des Romains; chaque relique de cet art, quelque obscure ou partiellequ'elle soit, est recherchée, dessinée et conservée avec un zèle et une assiduité qui font honneur à notre siècle. Cependant les mêmes sentiments et les mêmes soins ne devraient-ilspas être étendus aux monuments de notre propre race et de notre propre pays? N'avons-nous pas une histoire aussi intéressante que celle des grandes nations de l'antiquité, et les monuments qui l'illustrent ne doivent-ils pas être aussi précieux à nos yeux que ceux de la Grèce et de Rome? Pour bien définir quelle devrait être la nature des réparations à faire à ces restes des anciens temps, l'auteur se sert des paroles suivantes que je vais vous traduire littéralement: « Prenez un soin tout particulier de vos monuments, et «vous n'aurez pas besoin de les restaurer; surveillez-les « avec anxiété, préservez-les du dépérissement du mieux que «vous pourrez, et à quelque prix que ce soit; comptez-en « les pierres comme vous feriez des. joyaux d'une couronne, des comme aux portes d'une ville « apostez gardiens autour


— 254 — « assiégée ; étayez-les quand ils faiblissent, mieux vaut une « béquille qu'un membre de moins. » Au lieu de cela qu'arrive-il? C'est que l'ordre de réparer une église paraît être le signal donné pour la mettre en pièce de fond en comble. Telle est, dit l'auteur, la manière de procéder d'un bout de la France à l'autre; il ne peut s'expliquer que les mêmes personnes qui apportent des arguments sérieux pour démontrer que leur pays est la mère nourrice de l'art au moyen âge, renversent en même temps sans nécessité de leurs plus nobles monuments des détails originaux de la plus exquise délicatesse, ayant fort peu souffert du temps, et viennent les remplacer par des copies modernes. Il applaudit du reste à la générosité du gouvernement français qui entreprend avec une grande munificence la restauration des monuments anciens. Nous n'avons pas à nous lamenter, dit-il, comme trop souvent en Angleterre, sur l'emploi de personnes d'une capacité douteuse, nous n'avons pas à regretter le manque d'habileté artistique dans l'exécution, car les travaux sont presque toujours dirigés par des architectes d'un talent incontestable; mais ce que l'on ne saurait trop déplorer, c'est l'absence inexplicable de l'appréciation de la valeur de l'authenticité, laquelle conduit à rejeter sans scrupule ni remords les plus charmants ouvrages originaux pour quelque défaut insignifiant, et à se trouver parfaitement satisfait d'une copie qui, par le fait même de sa nature, est totalement dépourvue de la valeur et de l' intérêt historique attachés à l'original. L'étendue de celle manière de voir et les résultats qui eu découlent sont aussi lamentables qu'inexplicables, et menacent de remplacer la moitié des monuments anciens du pays par de simples copies. Il est vrai de dire qu'elles sont d'une exécution admirable; mais qui se soucie d'une copie quand il peut posséder l'original ; qui voudra considérer les détails des cathédrales de France comme des exemplaires de l' art au moyen âge, quand il saura qu'ils ont été exécutés au dixneuvième siècle?


—255 — El.ce ne sont pas seulement les monuments de l'architecture gothique qui sont ainsi traités; mais les curieux restes byzantinsdu midi de la France, et les monuments classiques de Nîmes. Que l'on se souvienne de l'histoire de cet Américain qui, après avoir considéré les nouveaux travaux que l'on faitau Colysée, s'écria avec une juste ironie : « Ce sera un très-beau monument quand il sera terminé. » Carcassonne, si intéressante comme ayant été déjà presque abandonnée avantla fin du moyen âge, et restée par conséquent un merveilleuxspécimen d'une ville de ce temps, a été renouvelée complètement, et est devenue la copie d'elle-même. Une visite à l'hôtel de Cluny offre un commentaire pratique du système de restauration par renouvellement ; l'on peut y voir abandonnés sur le gazon par tous les temps, quoique aussi parfaits que s'ils étaient neufs, de nombreux chapiteauxdépendant de la Sainte-Chapelle, d'une si exquise finesse de conception et de sculpture, qu'ils portent un défià ceux qui voudraient en transporter l'esprit dans une imitation; cependant ils ont été mis de côté ainsi que les vrais anges dont les contrefaçons sonnent les trompettes de la résurrection sur le grand portail de Notre-Dame. L'on peut y voir aussi le pilier central d'un de ces portails paraissant tout aussi bien conditionné que son moderne remplaçant; l'on y voit encore les balustrades des parapets de la SainteChapelle,tout aussi bonnes que les neuves, et bien d'autres détails charmants rejetés des édifices restaurés sans que l'on sache pourquoi. Les pierres tumulaires éparses le long de presque toutes les cathédrales racontent la même histoire. L'auteur continue en demandant, au nom du bon sens, pourquoi l'intelligence des architectes savants cl souvent illustres qui conduisent les travaux n'est pas plutôt dirigée vers la conservation de chaque fragment de la noble architecture, qu'ils comprennent si bien, que vers son remplacement.; il ajoute qu'il s'est permis ces observations, parce que les architectes et. les archéologues français, en démontrant que leur pairie est la mère de l'architecture gothique, que ce soit admis ou non par les Anglais, ont rendu, par


— 256 — cette raison, ses productions en France la propriété de l'Europe, et que tout amateur a un droit égal à faire des réclamations pour la conservation de leur authenticité. M.Scott fait observer encore que les bâtiments eu ruines, tels queles abbayes et les châteaux, les vieilles maisons et lesrestes partiels encadrés dans les bâtiments d'une construction plus récente, sont, plus que toutes les autres sortes d'antiquités nationales, exposés aux constantes invasions du vandalisme, et que souvent le même individu qui prend un haut intérêt à la conservation d'une cathédrale se soucie peu de constructions également intéressantes, quoique plus simples, et n'a aucun scrupule de détruire des détails charmants pour satisfaire à quelque besoin passager de commodité. Il ne s'agit pas seulement d'ouvrages très-anciens, mais de maisons à charpentes apparentes, de celles en vieilles briques, de chambranles de cheminées, et de mille autre fragments de vieux bâtiments qui ajoutent tant au pittoresque de nos villages. Les croix des chemins et des cimetières, les restes de la vieille architecture domestique dans nos cités, les anciens manoirs, les hôpitaux, les collèges, réclament un égal respect et un égal soin, ainsi que les vieux ponts, qui sont beaucoup plus nombreux qu'on le suppose, mais beaucoup moins remarqués que les autres sortes d'antiqués par la raison que, puisque l'on passe dessus on ne peut pas les voir. En un mot, messieurs, du travail de M G. Scott il résulte que l'oit ne répare pas assez en Angleterre et que l'on répare trop en France. Son opinion, en ce qui nous concerne, me paraît sévèrement juste, comme l'on dit vulgairement, et il en prouve fort bien la justesse. Moi qui ne suis qu'un timide amateur sans érudition et sans expérience, je ne me serais pas permis de dire en mon nom ce que je viens d'exprimer au nom d'un autre, mais je le pense, surtout quand je songe au vieux Paris de nos pères, que son ennemie implacable, la ligne droite, a renversé sans pitié pour tant de maisons intéressantes, et de bâtiments historiques à jamais détruits.


— 257 — Lesréflexions de M. G. G. Scott sont encore fort justes à l'égard des ruines rurales, généralement abandonnées à leur malheureux sort. Qui ne se souvient d'avoir vu dans presque chaque village quelque chose de curieux et d'intéressant pour un antiquaire? Dans mon pays, je connais deux statues authentiques du roi Charles V et de sa femme, lesquelles servent de bornes à la porte d'un aubergiste; têtes, bras et jambes cassés par les roues de voilures. Pourquoi fait-on tant de différence entre les restes et les détailsdes monuments de l'antiquité et ceux de notre vieille architecture? Notre honorable président me montrait chez lui, il y a quelque temps, un bas-relief antique, malheureusementun peu détérioré, transporté à grands frais de Grèce sur nos rives, et évalué une somme énorme. Admettons qu'au lieu d'être ce qu'il est, il eût été le devant d'un autel rencontré dans une église gothique en réparation dans l'ordre d'idées actuel, on l'eût vraisemblablement jugé indigne d'y figurer plus longtemps, à cause de quelques altérations; on I'eût fait recopier, puis abandonné dans les chantiers. Je me souviens avoir visité en Allemagne une vieille forteresseféodale épargnée par le temps, par le feu et par la guerre; c'est le château d'Elz, situé sur un pic rocheux entouré de précipices; on n'y arrive que par un pont jeté sur un torrent, comme dans les contes du chanoine Schmidt ; des montagnes s'élèvent à l'entour; le tout offre un aspect imposant: nais ce qui l'ait la haute curiosité de ce manoir, c'estque, par un hasard miraculeux, le mobilier même du moyenâge existe dans chaque salle; Làse trouvait les lits, les baldaquins, les tapisseries, les rideaux, les armes et les armures, les fauteuils, les chaises, les dressoirs, les poêles, les chenets, les tableaux généalogiques, les verres, les faïences, les vitraux, les miroirs d'acier qui ont servi aux seigneurs et aux châtelaines qui possédaient ce domaine;. En y entrant, ou remonte de cinq cents ans le cours des siècles ; l'on est heureux de voir que le possesseur actuel a parfaitement compris quel intérêt unique, exceptionnel s'attache à cette propriété, et qu'il a eu le bon goût de laisser à leur véritable


—258— place toutes ces curieuses choses qui forment ainsi un musée naturel, entretenu et soigné avec un désintéressement d'autant plus grand que ce château, totalement dépourvu du confortable moderne, n'est jamais habité que par deux gardiens. Plût à Dieu que tous les propriétaires de belles choses eussent le même goût et le même discernement. Je termine, messieurs, en vous signalant les remèdes que M. G. G. Scott indique aux maux qu'il déplore; ils pourraient être efficaces, mais me semblent d'une application bien difficile. Il voudrait d'abord qu'il fût établi un comité de surveillance dans chaque contrée, lequel serait en rapport avec toutes les sociétés d'archéologie, et que sa mission fût de profiter de toutes les occasions qui lui seraient offertes pour inspecter et surveiller les monuments de toute nature situés dans sa région ; que ce comité guidât les propriétaires et leur inspirât des travaux utiles; qu'il prît lui-même des mesures afin d'obtenir des fonds pour eux: quand cela serait nécessaire, qu'il eût la permission de diriger ce qui doit être fait, afin d'arrêter la main dévastatrice du temps; que, d'un autre côté, toutes les sociétés savantes déjà existantes se missent en communication les unes avec les autres pour établir un code de règles pour les réparations à faire aux monuments qui en ont besoin, et pour leur conservation fidèle et authentique. Il voudrait enfin que ces diverses sociétés fissent prendre les dessins exacts de tous les monuments du moyen âge, quels qu'ils soient, dans tous leurs plus petits détails, afin que, leur dernier jour arrivant, le souvenir en fût à jamais conservé. A. DUFFOUR.


—259COMPTE

RENDU DU BULLETIN DELASOCIÉTÉ DUPROGRES DEL'ARTINDUSTRIEL. Messieurs, Je suis chargé de vous rendre compte du Bulletin de la Société du progrès de l'art industriel. Nous trouvons, à la findu Bulletin, une première liste des signataires de la pétition adressée à l'Empereur à l'effet d'obtenir qu'à l'avenir l'Exposition des arts industriels forme un complément à l'Exposition officielle des beaux-arts, en comblant ainsi la lacune qui existe entre le domaine de l'art pur et le domaine de l'art décoraiif. Et cette liste, messieurs, comprend, outre les noms d'artistes recommandables, tels que MM. Gérôme, Hamon, Davioud, Liénard, etc., des noms qui nous sont plus chers encore, car ce sont des noms de membres appartenant à notre Société : MM.Andréï, Delaire, Granger, Ch. Fournier, Girard et noire président actuel, M. P. B. Fournier. Je n'ose me nommer moi-même après ces noms d'hommes distingués soustous les rapports, bien que mon nom figure également sur celle liste. Qu'il me soit permis, à ce propos, messieurs, de vous rappeler que j'ai eu l'honneur de lire, dans une de vos séances, un Mémoire un peu long sur la bijouterie étrusque au musée Campana, que vous avez écouté jusqu'au bout avec une bienveillance qui vous honore et une patience que j'ai admirée, et que, clans ce travail, je vous ai exposé quelques-unes des idéescontenues dans la pétition que la Société du progrès de l' art industriel a soumise à votre approbation. Mais déjà M. Andréï vous avait lu un rapport fort remarquable sur ce même musée Campana, et M. Labourieu avait depuis longtemps dans ses publications combattu en faveur de l'idée mère contenue dans la pétition. C'est sur l'initiative de M. Labourieu que vous avez été saisis de l'examen de celle pétition, qui a donné lieu à une discussion fort intéressante au sein de votre Société.


— 260 — Ce Bulletin ne comprend guère, outre cette liste de signataires, que deux procès-verbaux de séances. De simples procès-verbaux de séances ne peuvent donner lieu à une appréciation de notre part; mais il n'en est pas de même de l'idée mère du projet qui y est mentionné. Bien que votre Société soit plus spécialement destinée à la protection due à l'art pur, je ne crois point qu'elle doive rester complétement étrangère à cette question, si débattue actuellement et à l'ordre du jour, du progrès de l'art appliqué à l'industrie. Car l'art appliqué à l'industrie, c'est encore de l'art, considéré à un point de vue secondaire, il est vrai, mais qui va puiser ses sujets et ses inspirations aux sources élevées du grand art, comme celui-ci s'inspire lui-même des oeuvres de la poésie et de la littérature. Il ne faut point que le drapeau de David, qui a été la personnification la plus élevée de l'art pur dans les temps modernes, nous détourne de l'examen de cette importante question du progrès de l'art appliqué à l'industrie. L'immense empire exercé par David et par sa puissante école ne s'est point borné simplement, comme on pourrait le croire, au domaine des beaux-arts ; il a fait sentir sa bienfaisante influence sur les nombreuses applications de l'art à l'industrie. Si Davida détruit le genre faux et conventionnel de.Boucher et de Vanloo, et les bergeries enrubanées de Watteau, inspirées des insipides pastorales de M. de Florian, il a détrôné aussi, dans la décoration des appartements, le genre tourmenté et rococo qui est le propre du style bonis XV. Le retour au grec, au classique, dans la peinture a marqué une ère nouvelle, une seconde renaissance française, qui est le pendant de celle que l'école de Bologne a opérée en Italie après le déclin des écoles de Rome et de Florence. Cette seconde renaissance a été suivie, dans l'art industriel, d'un retour vers le genre élégant et pur, gracieux, simple et noble tout à la fois, que l'antiquité grecque et romaine a légué au seizième siècle et aux époques suivantes. Il est vrai que celte influence ne s'est pas l'ailsentir immédiatement. L'art industriel, sous le premier Empire, était empreint d'un mauvais goût que l'on ne peut reprocher à David, car il est le résultat


— 261 — des circonstances politiques et des événements de l'époque. En effet,les idées républicaines de la Révolution avaient mis à la mode le style romain, qui s'allia ensuite au style égyptien, auquel l'expédition d'Egypte avait donné la vogue. De là ce caractère hybride du style égypto-romain qui a régné dansl'art industriel du premier Empire, et fit place, sous la Restauration, à un goût plus pur, plus élégant, dû tout à la ibisaux traditions de l'école de David et aux découvertes laitesà Pompéi et à Herculanum. C'est sous l'influence de l'écolede David que nos artistes sont allés puiser sur le sol de l'Italie les enseignements féconds de l'antique. C'est alors aussique nous avons vu pour la première fois nos dessus de cheminée ornés de ces candélabres sveltes et légers, de ces coupesen bronze si pures de formes, si gracieuses de style, qui rappellent les coupes et candélabres trouvés dans les raines d'Herculanum et de Pompéi. Et cependant, messieurs, l'art industriel a encore beaucoup de progrès à accomplir pour atteindre la hauteur à laquelle il aspire et où il parviendraun jour, je n'en doute pas. Vousdonc, messieurs, qui conservez le culte sacré de l'art tel que le grand maître l'a compris, tel qu'il l'a enseigné à sesnombreux élèves, passés tous maîtres à leur tour; vous qui comptez au nombre des coryphées de votre Société l'un des élèves les plus chers de David ; vous qui applaudissez à l'influencetoute-puissante exercée par cette grande école sur lesbeaux-arts, vous applaudirez aussi, je l'espère, à l'heureuseinfluence qu'elle a exercée sur les nombreuses applicationsde l'art à l'industrie. C'est à ce titre, messieurs, c'est en qualitéd'héritiers des traditions de David, que vous vous intéressezaux progrès de l'art appliqué à l'industrie, à ces progrès qui, je le répète, sont dus en grande partie à l'école deDavid, comme les progrès de l'art industriel dans tous les pays,dans tous les temps, à toutes les époques, sont dus à l'exempledonné d'en haut par le grand art, dont l'art industriel n'est lui-même que le corollaire, le complément logique et naturel. DE LAVlNGTRIE. JPHBAYARD


— 262 RAPPORT SUR LERÉPERTOIRE DEPHOTOGRAPHIE, ENCYCLOPÉDIQUE ParM.H.DELABLANCHERE. Messieurs, Il est une science dont les progrès dépassent tout ce que l'imagination pouvait rêver. Née d'hier, elle voit chaque jour s'élargir le cercle dans lequel elle se meut, bien modeste à son origine, elle étonne aujourd'hui le monde par la multiplicité de ses découvertes et l'importance des résultats qu'elle obtient. Ai-je besoin de nommer la science photographique? En est-il une autre dont la marche soit comparable à la sienne? Rappelez-vous, messieurs, les premières épreuves de Daguerre, notre illustre collègue, et de Niepce de SaintVictor; comparez-les aux admirables photographies que nous voyons partout, et vous jugerez par vous-mêmes du chemin parcouru en moins de trente années ; et, s'il m'était possible de vous initier à toutes les applications dont cette science est susceptible, vous apprécieriez mieux encore la grandeur des résultats obtenus et ceux, peut-être plus étonnants, que l'avenir nous réserve. Mais je laisse ce soin à une plume plus autorisée que la mienne, à l'auteur du livre dont j'ai à vous rendre compte, à M. de la Blanchère, président de notre classe de photographie. Ces résultats merveilleux s'expliquent cependant. Dès l'apparition du daguerréotype, des savants, des artistes, des gens du monde même, travaillèrent sans relâche à son perfectionnement; le nombre des praticiens et des amateurs augmenta dans une proportion énorme; on peut donc comprendre que tant d'intelligences étant dirigées vers un même but, de grands progrès devaient en résulter. Parmi ces chercheurs infatigables, M. de la Blanchère occupe un des premiers rangs, comme artiste et comme prati-


— 263 — cien; de plus, il met au service de son art un véritable talent d'écrivain. Préoccupé des difficultés que rencontrent les commençants, il composa pour eux un ouvrage élémentaire dontle succès est assuré d'avance. On lui doit : l'Art du photographe, 2e édition; une Monographie du stéréoscope, et enfinle Répertoire encyclopédique de photographie, comprenant, par ordre alphabétique, tout ce qui a paru et parait en France et à l'étranger depuis la découverte par Niepce et Daguerre. Ce titre, messieurs, vous fait voir fidèlement le but que se propose l'auteur : réunir dans un seul ouvrage toutes les méthodes, tous les procédés en usage dans le monde entier; en faire apprécier les avantages et les inconvénients; propager toutes les innovations ; en un mot, condenser les documentsépars dans cent volumes. Je crois pouvoir assurer que M. de la Blanchère a pleinement atteint ce but, qu'il a faitun ouvrage extrêmement utile à toutes les personnes qui s'occupentde photographie. Je demande, messieurs, le dépôt aux archives. J. CHAMERLAT, Secrétaire adjoint.

SDK LECOMPTE DE L'ASSEMBLÉE DU18JANVIER 1863 RENDU GÉNÉRALE DELASOCIÉTÉ DESAMIS DESARTS DESTRASBOURG. Messieurs, Chargé par vous de rédiger un rapport sur un compte rendu de la Société des amis des arts de Strasbourg, je vais essayer de le faire aussi brièvement que possible. Cette Société, fondée quelques années après la nôtre, c'està-dire en 1832, fonctionne depuis cette époque avec un en-


— 264 — semble digne de remarque; elle se compose de 521 sociétaires de différentes professions, ayant tous, pour les arts, un véritable culte. Elle fait partie de l' Association rhénane. Elle possède nu musée, a des expositions mensuelles et une loterie de tableaux et d'objets d'art tous les ans. Elle achète, loue et échange des tableaux, soit avec des particuliers, soit avec les Sociétés dont elle fait partie. En relation avec des altistes alsaciens d'un mérite incontestable, elle arrivera bientôt, tout le fait espérer, à posséder des oeuvres de nos bons maîtres de cette partie de la France, car sa situation financière est en voie de prospérité. Son intention, d'ailleurs, n'est pas de se borner à ces oeuvreslocales, mais encore d'acquérir successivement des meilleurs artistes français et étrangers toutes les oeuvres que leurs ressources lui permettront de se procurer. Je ne sais si les expositions mensuelles de la Société sont gratuites ; le compte rendu n'en dit rien. Il serait regrettable toutefois qu'il en fût autrement, car la masse si intéressante des travailleurs s'en trouverait privée. J'ai toujours regretté qu'à Paris, où la Société des artistes peintres fonctionne depuis si longtemps avec ses expositions, elle n'ait pas pris cette initiative, en réservant au moins un jour par semaine d'entrée publique. Je termine, messieurs, en félicitant la Société des amis des arts de Strasbourg de l'heureuse entente, ainsi que de la bonne direction qui règne parmi ses membres, et de ses bons rapports avec les six sociétés allemandes avec lesquelles elle se trouve associée. Nous ne pouvons donc que nous applaudir d'avoir de bonnes relations avec cette Société, et je vous propose de déposer clans nos archives le compte rendu qui nous occupe. A. BOURDIN.

PARIS. t. IMP. SlMON BAÇON ETCOMP., RUE D'ERFURTH,


265

PROCES-VERBAUX.

SÉANCEDU MARDI6 OCTOBRE1863. Bulletinn° 737. — — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. Reprise des séances. La séance est ouverte à huit heures et demie par la lecture et l'adoption du procès-verbal de la séance du 4 août dernier, après laquelle, par une décision spéciale, la Société a pris ses vacances jusqu'à ce jour. M. le président donne communication, comme on le verra plus loin, de la perle douloureuse que la Société a faite, à la fin d'août, en la personne de M. Desjardins de Morainville, architecte, l'un de ses vice-présidents. Il fait savoir ensuite qu'il a remis à M. Jules Labarte la médaille d'argent qui devait lui être décernée dans la séance annuelle de 1857 pour son Histoire des Émaux, travail remarquable sur lequel notre regretté collègue, M. Mirault, a fait un excellent rapport. C'était en adoptant les conclusions de ce rapport que la Société avait voté à M. Jules Labarte la médaille qui, par des circonstances indépendantes de sa volonté, n'a pu être remise au lauréat que cette année. M. le président est l'interprète des remercîments de M. Jules Labarte, qui a déposé entre ses mains, pour être soumise à la Société, une brochure in-4° comprise dans la correspondance, et qui a pour titre : le Palais de Constantinople et ses abords. Cet important travail est renvoyé à l'examen de M. À. Granger. La correspondance comprend en outre : 1° l' Union des Arts de Marseille, trois numéros; — 2° le Bulletin n° 8 de la Société de Poligny; — 3° la Revue artistique, quatre 19 SEPTEMBRE-OCTOBRE. —Nos16-17.


— 266 — numéros qui sont confiés à M. A. Maillet ; — 4° deux Bullelins de la Société du Progrès de l'Art industriel, dont M. Fayet rendra compte ; — 5° la 6e livraison des BeauxArts, que M. Ganier examinera; — 6° huit numéros du Builder, dont le rapporteur est M. Dufour ; et pour être déposés aux archives; — 7° le Répertoire de Photographie de M. de la Blanchère; — 8° nos 7, 8, 9 du Bulletin de la Société française de Photographie ; — le Journal de la Société impériale et centrale d'Horticulture; — 9° le Bulletin de la Société impériale et centrale d'Agriculture; — 10° l'Indication des prix proposés par l'Académie de Rouen, pour 1861-1865 et 1866 ; — 11° les numéros du Moniteur des Théâtres (août et septembre) ; — 12° une Carte de M. Marins Laisné, membre associé, indiquant la reprise de ses cours publies, poétiques, littéraires et de lecture expressive à haute voix; — 13° enfin une lettre par laquelle M. Chirac, agent de la Société du Progrès de l'Art industriel, dorme l'adresse actuelle de son agence, rue Malher, n° 4. La correspondance étant épuisée, l'ordre du jour appelle l'élection d'un vice-président par suite du décès de M. Desjardins de Morainville ; M. Dubouloz, second vice-président, devient premier, et pour second l'assemblée nomme au scrutin M. Villemsens, à qui avis en sera donné. La reprise des séances mensuelles publiques est mise en délibération et il est décidé que ces séances auront lieu, comme l'an passé, le quatrième mardi à partir de novembre prochain, et, si faire se peut, dans le local du Cercle des Sociétés savantes, quai Malaquais, n° 3. A cet effet, M. le président demande que, pour l'organisation et la tenue de ces séances, un commissaire spécial soit adjoint au secrétaire général et à lui, et désigne M. Edmond Lambert, dont la nomination est unanimement approuvée. Sur l'observation de plusieurs membres, relative aux morceaux en prose ou en vers qui seront destinés à être lus dans les séances mensuelles publiques, il est décidé que tout morceau ne figurera au programme de ces séances qu'après avoir subi la lecture dans deux séances ordinaires et un double


— 267 vote au scrutin, savoir : un vote pour être admis à une seconde lecture, et un autre après la seconde lecture pour être admisa être lu dans la séance mensuelle publique. M. A. Granger a la parole pour faire la première lecture d'une épître en vers de sa composition, intitulée Cayeux. La secondelecture est demandée, et, en conséquence de la décision qui vient d'être prise, on vote au scrutin et la pièce estadmise à la seconde lecture. La séance est levée à dix heures. Le secrétaire général, J. E. LAMI.

SÉANCEDUMARDI20 OCTOBRE1863. — Bulletinn° 738. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance s'ouvre à huit heures et demie par l'adoption du procès-verbal de la séance précédente. La correspondance comprend : 1° une lettre par laquelle M. Villemsens, élu vice-président dans la séance du Gcourant, adresse à ses collègues ses sincères remercîments pour les suffrages dont il a été l'objet, et dont il sent tout le prix ; — 2° trois numéros du Builder, renvoyés à M. Dufour; — 3° le Bulletin n° 9 de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de Poligny, renvoyé à M. Maillet; et pour être déposés aux archives; — 4° quatre numéros du Messager des Théâtres; — 5° un Bulletin de la Société impériale et centrale d'Horticulture ; — 6° enfin une lettre de M. Alphonse Sage, membre de la Société, accompagnant une notice sur trois tableauxplacés dans l'église deMontivilliers(Seine-Inférieure), et attribués à Paul Véronèse, au Tintoret et à André del Sarte. La notice sera insérée aux Annales. Il est ensuite donné lecture de la feuillede présentation de


— 268 — M. Auteroche, peintre , qui sollicite le titre de membre résident de la classe de peinture. La candidature est prise en considération, et la feuille de présentation est renvoyée à M. Horsin-Déon, président de la classe, qui, avec MM.Bourdin et Alexandre Tessier, forme la commission chargée de rendre compte à la Société de celte candidature. M. A.Granger ala parole pour lire au nom de la commission des Beaux-Arts le rapport surl'Exposition de cette année, rapport que des circonstances indépendantes du rapporteur ont fait jusqu'alors ajourner. Ce rapport, approuvé dans tous ses points, sera inséré aux Annales. Avant de lever la séance, M. le président appelle l'attention de l'assemblée sur l'Exposition des Beaux-Arts appliqués à l'Industrie, qui a lieu présentement au Palais des ChampsElysées; sur l'approbation donnée à l'avis qu'il en exprime, nomme pour rendre compte de cette exposition une commission formée de MM. Dubouloz, Garnier, Chamerlat, Bourdin et Bayard de la Vingterie. La séance est levée à dix heures et demie. Le premier secrétaire adjoint, J. CHAMERLAT.

TRAVAUX

DE

LA

SOCIÉTÉ.

OBSÈQUES DE M. DESJARDIN DE MORAINVILLE, . ARCHITECTE, VICE-PRESIDENT DELASOCIETE. mardi Le 1er septembre 1863. Messieurs, Le mardi 1er septembre dernier, à midi précis, ont eu lieu les obsèques de notre regretté collègue, M. Desjardins de


— 269 Morainville.De l'église Saint-Vincent de Paul, où, parmi l'assistance, MM. A. Granger, Dubouloz, Alexandre Tessier, Turenne, Tavernier et moi nous représentions la Société libre. des Beaux-Arts, le corps a été porté au cimetière de l'Est et déposédans un caveau de famille. C'est alors que, sous l'impressionde quelques lignes que m'avait lues M. A. Granger à quij'aurais dû peut-être laisser l'honneur de parler au nom dela Société, sous l'impression du souvenir et des regrets, j'ai prononcé sur la tombe qui allait se fermer l'adieu que voici: « Qu'il me soit permis de prononcer quelques mots sur celtetombe qui va se fermer, de remplir à double titre un devoir, à titre d'ami d'abord, ensuite et surtout à titre de représentant de la Société libre des Beaux-Arls, qui comptait depuisdix-sept ans Desjardins dans ses rangs et qui perd en lui l'un de ses vice-présidents. « Si les souffrances physiques sont des épreuves de ce monde qui auront leur compensation dans l'autre, l' ami que nouspleurons, à qui nous venons dire adieu, doit être heureuxd'avoir quitté sa dépouille mortelle. « Est-ce une consolation pour ceux qui restent? Je n'ai pas le courage de l'affirmer. Est-ce une consolation pour ces deux personnes qui, sans cesse à son chevet, cherchaient par les soins ingénieux d'un infatigable dévouement, par les douces paroles du coeur, à déguiser leurs douloureuses impressions et saisissaient avec bonheur la moindre lueur d'espérance? — Est-ce une consolation pour des amis, témoins affligésde la longue torture des maux qui l'ont frappé? Non, je n'ai pas le courage de l'affirmer ; je juge des sentiments de voire âme par ce que je ressens, et trop poignants sont mes regrets pour qu'une pensée puisse si vite en calmer l'amertume. « C'est qu'il était de ces hommes qui savent inspirer une solide, une vive affection. L'aménité de son caractère, sa droiture, son esprit des convenances, son exactitude dans toutes ses relations, son désir d'être utile, la distinction de son talent dont il avait la conscience sans en avoir l'orgueil,


— 270 tout en lui attirait, tout lui conciliait l'estime, la considération, de profondes sympathies. «Et quel éloge puis-je mieux faire de ses excellentes qualités que de rappeler qu'il a vingt-huit ans mêlé sa vie laborieuse à celle d'un autre architecte d'un caractère bien différent du sien, à celle de l'infortuné Viel, qui trop souvent altérait par un excès de rudesse la boulé de son coeur? Depuis leur séparation, due à des circonstances auxquelles Desjardins n'a pu se soumettre, j'ai rencontré Viel dans bien des occasions, et toujours il me parlait avec intérêt de son collaborateur, et toujours il déplorait l'impossibilité d'une association prolongée, « Ah ! je le comprenais bien, et vous l'eussiez compris comme moi, mes chers collègues, vous a qui Desjardins était cher aussi, qui l'avez plusieurs fois honoré de la vice-présidence, qui l'avez vu assidu à nos séances, prendre une part active à nos travaux, et toujours accepter les missions dont les résultats pouvaient mettre en relief la Société ! « Quel vide sa perte va faire parmi nous ! « En ce moment où Dieu vient de l'appeler à lui, unissons-nous dans un dernier adieu, et disons : Excellentcollègue, excellent ami, la terre t'a perdu, mais tu vis toujours dans nos coeurs! » « P. B. FOURNIER.

NOTICE DE M. ALPHONSE SAGE MEMBRE DELASOCIETE SURTROISTABLEAUX PLACÉS DANSL'ÉGLISE DE MONTIVILLIERS , ET ATTRIBUÉS A PAUL AU ETANDRÉ VÉRONÈSE,TINTORET DELSARTE. La petite ville d'Harfleur conserve une tradition anglofrançaise où notre honneur national est glorieusement intéressé. Voulant m'assurer de la part qui revient à l'histoire, ou de celle qu'il faut attribuer à la légende dans le fait qui en


— 271 — es! l'objet, je profitai dernièrement d'un court séjour au Havre, dont Harfleur est à sept ou huit kilomètres, pour aller recueillir des renseignements certains sur les lieux mêmes. La personne qui pouvait me les fournir étant absente pour plusieurs jours, je me dirigeai, pour me consoler de ma déconvenue, vers Montivilliers, à une lieue plus loin, et dont le nom me rappelait celui d'une abbaye qui avait eu quelque célébrité. L'abbaye a disparu en grande partie. Ce qui en reste sert à l'école communale et à diverses autres destinations publiques; mais l'église est debout, et d'une construction importante par sa dimension comme par son architecture gothique. J'y reviendrai quelque jour; elle mérite une description attentive sous les rapports archéologiques et artistiques. Dans une visite faite rapidement vu l'heure avancée de la journée, je fus étonné du grand nombre de bons tableaux de toutes dimensions qui ornent cette église d'une localité qui n'est pas de premier ordre, bien que j'en aie déjà rencontré beaucoup d'exemples; mais je fus frappé surtout de la valeur artistique de trois d'entre eux, ce qui m'entraîna à lesexaminer jusqu'à ce que l'obscurité m'eût contraint de quitter la place. Malheureusement aucun des trois n'est signé ostensiblement. Je les crois peu connus, ou du moins je suppose que le lieu qui les possède actuellement peut être presque généralement ignoré. Le premier auquel je m'arrêtai doit être de Paul Véronèse ou de son école. Il représente une Fuite en Egypte. C'est un tableau de chevalet, plus large que haut, et la dimension des ligures est de demi-nature à peu près. La Vierge, conduite par un ange, se dirige vers un fleuve qu'il faut traverser, tandis qu'un autre ange, se baissant sur l'avant de l'embarcation légère qui va recevoir les fugitifs, en assure l'immobilité et la fixe au rivage au moyen d' un harpon. Un batelier, vu de dos, aide à cette action en


— 272 — plongeant sa gaffe dans le sable du fleuve, et la roidissant en arc-boutant. Dans ce batelier au torse nu et basané, ainsi que les bras et les jambes, dont la tête est entourée d'une étoffe, en manière de turban, qui en laisse voir le sommet, et dont le milieu du corps seulement est recouvert d'une espèce de caleçon à plis très-étoffés, on reconnaît un type fréquent du Véronèse. Plusieurs anges, dans le fond d'un paysage ombreux et pittoresque, prennent le soin d'amener la monture traditionnelle de la Vierge vers le lieu de l'embarquement; mais un épisode charmant, et qui se relie à toute la scène, est le groupe de saint Joseph assis sur la gauche du tableau, et tenant debout, sur ses genoux et entre ses bras, le divin Enfant qui veut s'en échapper et tend les bras à sa mère, qui s'éloigne et se retourne pour le rassurer. Saint Joseph sourit de cette alarme de Jésus avec une bohomie pleine de sollicitude, et celle figure est empreinte, dans la tête et dans tout le mouvement, de celte expression de dignité bénévole de l'âge mûr qui convient bien mieux à saint Joseph que la caducité dont les modernes surtout affublent la représentation du père adoptif du Christ. Une grande activité règne dans toute cette scène, et la fuite, après un court repos, s'y annonce bien, et d'abord. Les tôles sont d'un caractère élevé. Celles de la Vierge et des anges expriment la noblesse et la grâce; celle de Jésus, une impatience enfantine naïve. Il est nu, et le ton des chairs, ainsi que l'observation anatomique, sont d'une vérité parfaite. L'emploi des couleurs sombres, le brun, le gros vert et quelques autres, feraient penser au Titien ; mais les contours plus arrêtés, les teintes moins fondues, plus mosaïques, si j'ose m'exprimer ainsi, rappellent mieux Paul Véronèse. La robe de saint Joseph est d'un jaune pâle que ce maître emploie souvent, elle ciel, avec ses nuages épais, nuancés et un peu rougeâtres, appuie encore la supposition dela palette à laquelle on se sent porté à attribuer ce tableau.


— 275 — La perspective est bien observée, et les divers plans se font bien valoir réciproquement. La lumière très-calme, mois bien répartie, indique la lin du jour, et produit un ton général que Paul Véronèse offre souvent dans ses tableaux de petite dimension. En somme, on reconnaît dans celui-ci un tableau de maître, ouau moins une copie digne de l'original ; car, à Saint-Rémy de Reims, j'ai vu la même composition, de même grandeur, etdont les figures, moins nombreuses peut-être, sont aussi de même dimension. Ce tableau, dont le dessin, la couleur et le caractère général sont identiques à celui de Montivilliers, est placé à une hauteur trop considérable sous cette immense'voûte pour qu'on puisse sûrement accorder la priorité à l'un d'eux. Pour moi, je l'accorderai à celui de Montivilliers. Une Sainte Famille au repos est le sujet du second tableau, attribué au Tintoret. Il porte plus d'un mètre de largeur sur un mètre et demi environ de hauteur. Les ligures, au nombre de quatre seulement, sont de grandeur naturelle ou très-peu au-dessous. La Vierge, assise, le bras gauche appuyé sur les inégalités d'un tertre couvert de gazon cl les jambes étendues de côté, exprime dans toute son attitude l'abandon et la sérénité du repos le plus calme. Elle dirige et soutient de la main droite le mouvement de Jésus, qui, debout à ses pieds, une jambe levéeet les deux bras en avant, s'élance vers saint Jean pour l'embrasser. La Vierge regarde avec une satisfaction de mère les caresses fraternelles de son fils, que lui rend saint Jean à genoux, avec une tendresse respectueuse. Saint Joseph, assis également et à la droite de la Vierge et se penchant de son côté, indique par ce mouvement l'intérêt qu'il prend à cet embrassement réciproque. Sa position laisse voir le dessus de sa tête un peu dénudé, et sa face est dans l'ombre par l'effet de la lumière qui vient d'en haut et de côté, de manière à se répandre sur le groupe


— 274 — de la Vierge et des enfants, et à frapper pleinement la figure entière de Jésus, qui resplendit au milieu du tableau. Les côtés et le haut sont dans l'ombre et l'ont ressortir ce groupe. A l'angle supérieur, à gauche, une percée laisse voir le paysage lointain et ajoute à l'effet lumineux. Jésus, presque tolalement nu, est d'un modelé admirable et d'une carnation transparente où résident la suavité, la fraîcheur et la vie. Son élan vers saint Jean est plein d'un transport naïf délicieux. Saint Jean est couvert d'une peau grisâtre qui part du cou devant et derrière et descend assez longuement. Tout le reste est nu. La tête respire la douceur et l'innocence d'un agneau. Les physionomies sont nobles et gracieuses comme toutes celle de l'école italienne. Celle de Jésus est vraiment divine, et charmante d'expression. Les chairs sont traitées en maître; les contours, peu arrêtés, sont très-vrais, et le dessin ou plutôt la forme, correcte et exacte. Quant à la couleur, j'ai nommé le Tintoret! c'est dire qu'elle est du plus grand relief, et que l'harmonie des tous et l'emploi du clair-obscur démontrent la présence de la main la plus savante. Le troisième tableau, par l'importance du sujet, l'élévation de la pensée et du style, la grandeur générale du caractère et toutes les qualités d'ensemble ou de détail qu'il renferme, doit prendre sa place parmi ceux de premier ordre; et, si je ne craignais pas de me laisser aller à trop d'admiration, je dirais, parmi les chefs-d'oeuvre, car il en offre toutes les conditions à un certain degré. Il est de grande dimension, — deux à trois mètres à peu près en hauteur et presque autant en largeur. — Les figures sont de grandeur naturelle au moins. Il rappelle les Carraches, et même Raphaël dans certaines parties; mais je le crois d'André del Sarte. Quelquesvisiteurs l'ont attribué à van Dyck. La personne qui me rapportait ce détail ne comprenait pas un pareil jugement, que rien ne


motive. Je partage son étonnement. Ce tableau est assurément de l'école italienne, et doit être d'André del Sarte. J'oserais l'affirmer, car j'ai possédé une estampe faite d'après un de ses tableaux (le nom du graveur m'échappe), qui reproduit la même composition, modifiée dans son ordonnanceet ses agencements, il est vrai, mais où la même pensée et le même caractère étaient irrécusables. Malheureusement un incendie, qui a détruit de fond eu comble mon habitation en 1847, m'a privé aussi de celte estampe qui viendrait m'éclairer bien à point. Le Christ, descendu de la croix et transporté dans la grotte, est.déposé sur un linceul. C'est le moment qui précède celui de l'ensevelissement. Tons les assistants, remplis de leur affliction, lui donnent un libre cours dans ce lieu où nul regard profane ne la trouble plus. Jésus étendu à terre au premier plan, la tète légèrement inclinée sur sa poitrine et le dos appuyé sur les genoux de la Vierge accroupie derrière lui, les jambes pliées sous elle, est adoré par saint Jean et la Madeleine, tous les deux.aussi à genoux. La Madeleine se dispose à répandre sur lui un parfum renfermé dans un vase qu'elle lient à la main. Saint Jean, de sa main gauche, fait remarquer cette action de la Madeleine à la Vierge accablée de douleur, tandis que sa main droite, appuyée sur sa poitrine, témoigne de la ferveur avec laquelle il s'associe à celle oeuvre pieuse. La Vierge est consternée, mais avec une résignation que l'une de ses mains exprime pendant que l'autre reste appuyée au corps de son fils. Joseph d'Arimathie, coiffé de l'espèce de turban des docteurs et des autres personnes de distinction parmi les Juifs, et debout derrière ce groupe, paraît aussi rempli d'une vénération et d'une pitié que partage un personnage placé à sa droite. Ce personnage, qui peut bien être saint Pierre, a la tête nue, porte la barbe longue, et est vêtu d'une longue robe et d'un manteau.


— 276 A la gauche de Joseph d'Arimathie (droite du spectateur) sont deux saintes femmes, jeunes, et debout toutes deux. L'une joint les mains et lève les yeux au ciel, et sa tête rappelle par ses traits et par son expression une sainte Cécile de Raphaël. L'autre porte à ses yeux un voile clans lequel elle paraît étouffer ses sanglots et répandre d'abondantes larmes. Toute cette scène, dont la sage ordonnance est pleine de clarté, est remplie en même temps d'une grandeur sacrée digne dela sublimité du sujet, et doit, en outre, son caractère à la vérité de l'expression des têtes comme des attitudes. Chaque figure y concourt à l'action générale, et la complète par une action qui lui est propre, et qui ressort naturellement des condition d'âge, de sexe, ou autres des personnages ; et ces divers mouvements, bien que variés, se réunissent dans un même objet et un but commun. La lumière parfaitement distribuée jette sur l'ensemble qu'on saisit au premier abord, sur chaque groupe dont l'agencement est habilement coordonné, et sur chaque figure même, une certitude qui fait valoir jusqu'aux moindres détails. Pour les draperies, leur richesse ondoyante, mais calme, n'attire pas l'oeil sur elles pour elles-mêmes; et elles n'occupent dans cette page que la place accessoire qui leur convient, en affirmant la valeur des divers mouvements auxquels les extrémités supérieures ajoutent encore une expression importante. Les mains, en effet, sont traitées très-savamment, cl l'on la variété et l'énergie de l'action, comme la vérité admire y du modèle et le fini du travail. Il faut, d'ailleurs, reconnaître toutes ces éminentes qualités dans la totalité des parties de cette oeuvre consciencieuse. Le choix des tons employés est dans cette gamme douce et harmonieuse qui caractérise la couleur d'André del Sarte, et où l'emploi des demi-teintes se dissimule, tout en complétant merveilleusement l'harmonie de l'ensemble. Un coin de paysage sévère, qui agrandit bien la scène lo-


— 277 — cale, rend encore plus réelle la présence de l'air qui circule bien parmi les personnages. L'exactitude anatomique donne à (ont le corps du Christ une débilité, une inertie frappante qui attire le regard au premier aspect, et domine toute l'expression de la scène en la motivant. La tête est admirable de majesté et de sérénité. C'est vraiment une face divine. Les types des autres physionomies sont tous nobles cl de celte beauté grave qui exprime l'abandon des choses de la terre, et toute cette oeuvre magnifique est empreinte d'un caractère général d'affliction sacrée qui ne peut avoir pour causeque les souffrances et la mort de l'Homme-Dieu. Il faut regretter que le temps et les troubles populaires aientfait subir à ce bel ouvrage d'assez nombreuses détériorations, qui cependant n'en ont pas détruit l'effet précieux.

RAPPORT DELA POUR EXAMINER L'EXPOSITION DE 1863. COMMISSION NOMMÉE Messieurs, Si ce rapport dont vous allez entendre la lecture vous arrive tardivement, vous en savez la cause, je n'ai donc pas à vousen entretenir ; mais, en ce qui touche son économie, je dois vous dire que votre commission a été unanime pour déclarer qu'elle n'avait pas à rivaliser avec les critiques qui ont pris corps à corps, pour ainsi dire, chacun des exposants, mais à juger l'état de l'art et ses tendances, de voir, enfin, s'il y a progrès, stagnation ou décadence, et de rechercher les causes qui ont pu amener ces résultats. Une première question se présente : pourquoi dans les arts et dans la littérature y a-t-il, pour ainsi dire, des étapes après lesquelles tout faiblit et quelquefois même s'efface pendant


— 278 des siècles, pour renaître avec une vigueur nouvelle? Faut-il demander compte à la nature de ces inégalités? Faut-il admettre qu'elle s'est reposée après avoir produit ces génies que nous admirons et dont la gloire, grandissant tous les jours, semble devoir se perpétuer dans les siècles à venir, comme elle est parvenue jusqu'à nous? Faut-il croire, avec les phrénologues philosophes, que la nature est libérale pour tous et qu'elle a donné à chacun les vices, les défauts et les qualités en égale quantité; mais que le développement des uns et des autres est le fait de l'éducation ? Sans tenir compte des milieux dans lesquels on vit, sans tenir compte du ciel sous lequel on est né et même des gouvernements dont on subit les lois ou les caprices, et de bien autres choses encore qui peuvent fausser notre nature ou l'enrichir, nous sommes de l'avis des phrénologues philosophes, parce que nous y trouvons la cause du libre arbitre et de l'abaissement de la stupide et immorale doctrine du fatalisme. S'il est des hommes qui se révèlent en naissant, pour ainsi dire, il en est d'autres chez qui aucune faculté ne prédomine et qui doivent à la fréquentation ou à une circonstance fortuite la révélation de leurs penchants et de leur force; mais les uns et les autres ne doivent qu'à une étude consciencieuse et incessante leur succès et leur gloire, sans que jamais ils soient complétement satisfaits même de celle de leurs oeuvres qu'on loue le plus, et c'est là ce qui les distingue principalement des hommes qui s'admirent toujours et ne progresseront jamais, se croyant arrivés à l'apogée du talent, comme si la perfection était du domaine de l'homme. C'est à ce facile contentement de soi-même et à l'absence d'études sérieuses et constantes qu'il faut attribuer, nous le croyons, la grande quantité d'oeuvres peu satisfaisantes que nous remarquons dans nos expositions, où le nombre l'emporte de beaucoup sur la qualité. Ceci nous amène, par un grand détour peut-être, à vous rappeler que, dans l'histoire du monde, on ne compte pour la littérature et les arts que quatre grands siècles : celui de Pé-


— 279 — riclès, celui d'Auguste, celui de Léon X, et enfin celui de Louis XIV. Si nous examinons chacun de ces grands hommes, on voit qu'ils avaient en toutes choses, et au plus haut degré, le sentimentdu grand et du beau. Que faut-il en conclure? Que la puissance d'un homme supérieur est si grande, lorsqu'il ne relève que de lui-même surtout, que, l'histoire à la main, on est forcé de reconnaître qu'il donne ses goûts, ses moeurs, ses passions mômes au peuple qu'il gouverne, ce qui se conçoit facilement, puisqu'il dispense les honneurs et la fortune, ces deux grands mobiles des actions des hommes. Nous sommes ainsi faits, il nous faut la mesure de notre force, et nous la trouvons dans les applaudissements et dans les récompenses qui nous sont accordées ; supprimez ces deux leviers, et le génie lui-même n'éprouvera pas le besoin de produire. Maisne l'oublions pas, messieurs, les lettres et les arts se tiennent pour ainsi dire par la main, ils avancent, ils faiblissent et font naufrage ensemble. C'est ce que nous avons vu vers la fin du premier quart de ce siècle, lorsqu'à surgi la secte du romantisme, qui ne tendaità rien moins qu'à détrôner ces génies admirés par le mondeentier et à leur substituer non-seulement les littératures étrangères, mais à s'affranchir comme elles des règles de la raison et du bon goût, dont la grande Grèce restera éternellement le plus parfait modèle dans les arts et dans la littérature. Les arts ne peuvent rien sur la littérature, mais la littérature peut tout sur les arts, car c'est elle qui les inspire ; maisil est vrai de dire aussi que c'est par elle que commence la décadence. Chez les peuples calculateurs, adonnés exclusivement au commerce, la littérature et les arts ne sont pas en honneur; il y apparaît quelquefois de loin on loin une étoile, mais il n'y a pas de grand siècle, et plus nos moeurs emprunteront à ces peuples, moins il faudra espérer, malgré notre esprit et notre


— 280 — goût, de voir se rallumer le feu sacré qu'on nous enviait, et dont à bon droit nous pourrions être fiers. Sans doute, après les siècles que nous venons de rappeler. il y a eu des hommes d'un bien grand mérite, mais nous ne les voyons pas massés pour ainsi dire et dans tous les genres, comme sous le pontifical de Léon X et sous le règne de Louis XIV. Nous pouvons le dire avec orgueil, parce que c'est une vérité incontestable, au commencement de ce siècle, l'école française était sans rivale et comptait, dans la grande peinture principalement, un nombre remarquable d'hommes d'un immense talent qui, dans l'histoire de l'art, occuperont une bien grande place par leur correction, leurs compositions et leur couleur. Parmi les plus célèbres, et qui étaient dans toute leur gloire en 1815, nous trouvons Gérard, Gros, Girodet, Guérin, Géricault, Hersent, Abel du Pujol, Pagnert, Prudhon, Horace Vernet et tant d'autres qui, pour la plupart, étaient les élèves de David, le restaurateur de la grande peinture en France, à qui l'on dispute aujourd'hui le mérite de ses oeuvres et dont on oublie les immenses services qu'il a rendus à l'art, dans lequel il a fait une véritable révolution en lui restituant la noblesse des formes, le costume et la grandeur des conceptions simples et sévères. Davidétait lui, mais il ne s'imposait pas à ses élèves, et, les laissant à leurs inspirations, il se contentait de les modérer, d'autres fois de les encourager quand il les trouvait dans la bonne voie : qu'on lui rende donc toute la justice qu'il mérite, et qu'on voie ce qu'est devenue cette brillante époque après la mort du maître et celle de ces hommes célèbres devenus ses émules même de son vivant, puisque Girodet, l'un d'eux, remporta le prix décennal pour sa Scène du déluge, préférée au tableau de son maître, l'Enlèvement des Sabines. Ajoutons que Girodet n'était pas seulement un grand peintre, mais un littérateur, un poëte à qui l'on doit un poëme sur la peinture et des traductions de Musée, d'Anacréon et de Lucain.


— 281 — S'il fallait énumérer toutes les oeuvresde ces hommes célèbres, qui ont toutes été reproduites par la gravure, et que successivement on en arrivât à notre époque, à cette année 1863, encore en deuil du dernier des Vernet, ce peintre éminemment français à qui tous les genres étaient familierset qui avait le don d'attirer et de passionner la foule, on serait forcé de convenir que les grandes toiles qu'on nous montre sont loin d'avoir les qualités si remarquables et si justement admirées chez les grands artistes que nous venonsdo citer. Tout cela, certainement, a une cause, et, à celles que nousavons indiquées, nous croyons pouvoir ajouter que, vivantà une époque où, malheureusement, on a plus soif de jouissances matérielles que de gloire, on abandonne la grandepeinture pour celle dont le placement est plus facile et qui n'exige que de l'esprit. La grande peinture, au contraire, veut des hommes sérieuxet des études littéraires, les seules qui élèvent l'âme et agrandissent les idées, en un mot, pour être un grand artiste, il faut être un penseur et un homme instruit. Mais si, commela poésie, la peinture est un art divin, c'est à la conditionde n'en pas faire, avant tout, un métier mercenaire et de ne pas confondre l'artiste avec l'artisan. L'Exposition de 1863 nous montre beaucoup d'oeuvres dans tous les genres, et on peut dire que, si elle est riche en talents, il y a peu d'étoiles. La grande peinture y manque, nous l'avons dit avec tout le inonde, et dans le Salon carré, réservé aux productions hors ligne, nous n'avons remarqué que la Bataille de Magenta, l' Évacuation des blessés (campagne d'Italie) avant l'attaque; le Soir après le Combat et le Portrait de l'Empereur. Quant aux autres ouvrages qui figurent dans ce fameux salon, les uns le doivent aux personnages qu'ils représentent, les autres aux épisodes qu'ils reproduisent. Certainement il y a du talent dans les oeuvres que nous passonssous silence, c'est chose satisfaisante, mais non saisissante, cl nous n'avons pas à nous en occuper, attendu que — N°-16-17, SEPTEMBRE-OCTOBRE. 20


— 282 votre commission n'a pas mission d'agir en Aristarque à l'égard de MM. les artistes, mais de vous signaler l'état de l'art, tel qu'il lui apparaît à cette exposition. Si, comme M. le surintendant des beaux-arts, nous regrettons qu'on s'éloigne de la grande [teinture, si nous reconnaissons aveclui les progrès faits dans l'étude du paysage, s'il est vrai qu'il peut se rencontrer là des chefs-d'oeuvre qui honoreront la France, ces succès, auxquels nous croyons, ne nous consoleront cependant pas de l'abandon que chacun reconnaît, car c'est reculer devant la difficulté, et reculer n'est pas français : croyons plutôt à un courant d'idées nouvelles qui, comme toutes choses, aura son temps. Ce même salon renferme deux grandes pages, le Travail et le Repos, complément de peintures décoratives exposées en 1861: ces deux grandes toiles ont, au point de vue du dessin, un mérite incontestable; mais, encadrées comme elles le sont et avec le ton adopté par l'auteur, elles font tache dans ce salon. C'est fâcheux ; et, comme il nous paraît difficile qu'elles soient mises en place telles qu'elles sont, nous aurions voulu que l'auteur nous les montrât telles qu'elles seront : si c'est le goût de celui qui les a commandées, nous n'avons pas à discuter avec lui, mais peut-être avec le jury. Il y a des époques, il faut le croire, où une idée devient celle de tout le monde, elle court et se propage comme une épidémie, et tous ceux qui l'ont eue, la voyant reproduite de tous côtés, se demandent avec étonnement comment il peut se faire que cela soit. C'est ce que l'on peut constater à cette Exposition où il y a nombre de Vénus, quelques-unes drapées avec les flots de la mer, d'autres dépouillées de ce costume transparent, et dont la nudité semble protester contre les robes de nos dames, qui s'obstinent à ne pas les changer malgré leur danger et leur bizarrerie. Parmi ces Vénus, il y en a dont les formes sont très-opulentes, toutes révèlent le goût de leur créateur; mais il nous a semblé que le feu des passions n'avait pas encore échauffe leur sang et coloré leur peau, il est vrai qu'elles viennent de naître : l'une d'elles, cependant, semble déjà comprendre, si


— 283 — j'en juge par son malicieux sourire, le rôle immense qu'elle est appelée à jouer, et je ne crois pas qu'elle soit troublée le moinsdu monde par la légèreté de son costume, je crois même qu'elle le préfère à celui de nos dames. Il y a donc à l'Exposition des Vénus pour tous les goûts et dans toutes les positions, il y en a même une dont on ne voit pas la figure, et ce n'est pas la moins bien réussie. Mais quittons le profane et arrêtons-nous aux productions qui traitent des faits puisés dans l'histoire sainte et dans le christianisme, compositions très-difficiles toujours et qui exigentde la pensée et de l'élévation. On compte à l'Exposition bon nombre de sujets religieux et de martyrs, sans compter le public. Toutes ces oeuvres, qui sont ordinairement dans de grandes dimensions, souvent même plus grandes que nature, destinées qu'elles sont à l'ornement des églises, où on les voit de loin et à une grande hauteur, sont presques toutes réunies dans un salon au moins égal au salon exceptionnel ; celte résolution nous paraît heureuse sous plus d'un rapport, et ceux qui réussissent dans ce genre font preuve de talent, attendu que ce sont des oeuvres commandées et non de prédilection. Tous les grands peintres se sont plu à traiter ces grands drames empruntés à la vie de Notre-Seigneur, ou à ses derniers moments, soit à la vie plus ou moins légendaire des saints ou des apôtres, qui, avec une ardeur surhumaine, ont, au péril de leur vie, prêché la parole du maître et mis la dernière main à son oeuvredivine. Tout doit être grand dans ce genre de peinture, et les larmes de la Vierge et celles de Madeleine, agenouillées au pied de celte croix sur laquelle expire le Sauveur du monde, doivent nous retomber sur le coeur comme des larmes brûlantes, si l'artiste, impressionné lui-même, s'est identifié avec ces grandes scènes et s'est ému de son oeuvre, comme Pygmalion de sa statue. Rien n'est certainement plus difficile que de donner à une figure humaine une expression divine, c'est-à-dire, le cachet


— 284 — ou le reflet de toutes les vertus, de toutes les qualités, et la main, ce serviteur de l'esprit, a besoin d'être guidée par le coeur et par l'âme, l'âme ! ce je ne sais quoi qui nous dégage de tous nos liens terrestres et nous transporte dans une sphère inconnue, que nous ne voyons pas et que nous concevons à peine. Jésus de Nazareth fixé à une croix, Jésus dont la tête est labourée par une couronne d'épines et dont le flanc a été percé par le fer d'une lance, il doit mourir puisqu'il a pris notre enveloppe humaine et périssable, il doit mourir, oui! mais son agonie ne peut avoir rien de commun avec la notre; ce n'est pas la douleur physique qui le tue, il doit et ne doit pas la ressentir, car ce n'est pas un homme qui meurt, mais un Dieu qui, après la consommation du sacrifice, va retourner vers son Père et reprendre sa forme divine, abandonnée volontairement un moment, pour nous enseigner la pratique de toutes les vertus, et qui, pour nous prouver que ce n'était pas au-dessus de nos forces, s'est fait homme. Toutes ces qualités nécessaires au peintre qui doit traduire de si grandes choses, nous voulons les rencontrer également dans ces scènes de désolation où les premiers chrétiens bravaient les tourments les plus horribles et la mort, pour rester fidèles à celui qui leur avait donné l'exemple de la résignation et qu'ils voyaient dans le ciel sa demeure, entr'ouverte pour eux, où il leur tendait les bras avec amour. Atteindre à cette perfection que nous sentons, que nous indiquons, est difficile, pour ne pas dire impossible; mais nous applaudissons franchement et du fond du coeur à ceux qui, même imparfaitement, se mettent en communion avec nous. Nous trouvons quelques-unes de ces qualités dans le Salvator mundi, où le Christ attaché au gibet est seul et domine le monde dans son isolement et sa douleur. C'est une idée nouvelle et grande, et le silence, et la solitude, et ce crêpe funèbre jeté sur la nature entière, ont quelque chose de saisissant et qui vous glace. Celui qui, s'éloignant dus traditions, y a substitué sa pensée, était ému bien certainement, et dans


— 285 — celle dernière heure de l'Homme-Dieu, dans ce deicide, il a dû voir, il a vu le monde plongé de nouveau dans les profondeurs du chaos. Il y a de l'âme, de la grandeur et de la poésie dans cette oeuvre. La Prière du soir, faite par des religieux de l'ordre de Saint-François, au pied d'une croix isolée, plantée dans un paysage sévère et à peine éclairé, nous sembleen quelque sorte l'oeuvre de réparation que réclamait le Salvator mundi, dont l'isolement vous attriste. Ces religieux agenouillés, qui semblent implorer la miséricorde du Christ, sont bien rendus; ils prient avec ferveur, cl comme la prière vous élève, ce tableau vous calme et ne vous attriste pas. Cesont là, à notre point de vue, les deux ouvrages les plus remarquables par le sentiment pieux et religieux. Ces peintures, inspirées par l'histoire sainte ou par un sentiment religieux, ne sont pas les seules où la pensée et l'exécution se montrent. Nous avons déjà parlé du Martyre de saint Saturnin, nous pouvons yjoindre celui de saint André, comme nous pouvons citer la Foi, l'Espérance et la Charité, l'Institution de l'Eucharistie, les OEuvres de frère Athanase, la Fille de Jaïre, Ruth et Noémi, Jésus et Pierre sur les eaux, Jésus marchant sur les eaux, les Orphelins allant à l'église, et d'autres encore, enfin une toile inspirée par les Lamentations de Jérémie: « Jérusalem! Jérusalem! » les Remords, peinture allégorique qui a un air de parenté avec la Vengeance poursuivant le Crime, qui sans égaler le chef-d'oeuvre de Prudhon, n'en offre pas moins des qualités très-remarquables. Les tableaux de genre et de paysages sont nombreux. Il faut distinguer dans les premiers ceux qui sont inspirés par l'anecdote historique, ceux qui visent à provoquer le rire, ceux qu'on pourrait appeler des souvenirs, ceux enfin qui doivent nous captiver par des scènes aimables ou touchantes. Il y a de tout cela dans les nombreux tableaux de genre de l'Exposition. La partie anecdotique renferme des pages très-remarquables, mais les hommes qui l'ont traitée avec un talent supé-


— 286 — rieur d'exécution n'ont pas été peut-être assez heureux dans le caractère des personnages. Celle des souvenirs offre de piquants effets et de réjouissants épisodes, comme la Promenade des cardinaux, l'Aveugle à la porte de Cantos, vues prises au Caire, la Chasse au faucon en Algérie, le Bivac arabe au lever du jour, les Kabyles moissonneurs, la Barque du Nil, et bien d'autres encore dont les qualités sont trèsgrandes. Il nous reste encore tant de choses à dire, que nous croyons vous être agréables en généralisant nos impressions, sans passer sous silence cependant la Mort d'une Vestale, le Jeu, le Lutrin, la Messe sous la Terreur, un Chimiste au dixhuitième siècle, le Curé composant un sermon, l'Assassinat de l'évêque de Liége, le Retour de l'ami, Germain Pilon faisant le modèle des trois Grâces, Gilbert et le Chiffonnier, J. J. Rousseau chez madame de Warens, la Recherche de l'absolu, le Lièvre et la Grenouille, la Signature du contrat, le Premier-né et la Prise d'armes, qui nous conduit aux Tentateurs et aux Réveils-matin, petits sans-culottes moins effrayants et plus espiègles que ceux de 93 ; ils font tourner bien des têtes, mais n'en l'ont tomber aucune. Enfin un Intérieur d'atelier, qui a valu une mention honorable à son auteur. Le paysage est toujours en progrès, c'est l'opinion générale. Les terrains, les eaux, les arbres, le ciel et tout ce qui s'y rattache, n'est plus de convention comme au dernier siècle, mais, malheureusement peut-être, pas assez étudié dans les détails, étude qui constitue un des principaux mérites des anciens maîtres. Nous distinguerons cependant comme oeuvres classiques, Saint-Pierre de Rome, la Villa Borghèse, et nous pourrions citer dans un genre moins sévère un grand nombre d'ouvrages très-remarquables ; mais que le paysagiste n'oublie jamais que son oeuvre doit être en quelque sorte un portrait qu'il n'a pas le droit d'embellir. C'est la négation de l'imagination qui crée; mais c'est le triomphe de l'imagination qui conçoit et s'approprie avec amour, avec passion, la nature entière.


— 287 — A quoi tient que le nombre des paysagistes est si grand? A ce que, pour y réussir, il faut moins d'étude que de sentiment, bien qu'il faille du travail; mais on peut moins vous contester la beauté et la vérité d'un arbre que l'esthétique d'un homme et d'une femme et la composition d'une toile qui reproduira un fait historique dans lequel les passions humaines devront se montrer au grand jour, pour l'intelligence du sujet. Enfin, comme nous l'avons déjà dit, il ne faut pas l'imagination du poëte. La miniature nous offre quelques bons portraits, mais son exposition est généralement faible; on n'y rencontre pas cette facture magistrale des anciens maîtres : des lumières trop étendues, peu de brillant, peu de relief, des draperies tourmentées pour la plupart, ont remplacé l'élude sérieuse. Les émaux, et surtout les porcelaines, renferment quelques copies d'une bonne exécution. Les aquarelles se font remarquer par une facture vigoureuse ; elles sont généralement bien comprises et largement traitées. Il y a parmi les fusains des dessins d'une bonne exécution, des copies sérieusement faites et quelques portraits dignes d'être cités. La gravure sur bois a fait des progrès et cherche à prendre rang à côté de la gravure au burin. Malheureusement l'administration du musée de l'exposition semble se soucier très-peu des artistes miniaturistes, en plaçantleurs oeuvressous un jour très-défavorable. J'en dirai autant pour le pastel et les dessins, relégués au bout de ces longuesgaleries éclairées par un jour faux. Quand on se rappelle les expositions du Louvre et la place réservée aux miniatures, on est frappé de la différence qui existe entre ces expositions et celles qui se font actuellement. Aujourd'hui que la photographie a pénétré dans toutes les classesde la société, les artistes miniaturistes étaient bien en droit de croire que l'administration leur tiendrait compte de leurs éludes, car il faut en faire pour être miniaturiste ou dessinateur, et il n'en faut pas pour être photographe.


— 288 — Le pastel a fait des pas de géants, son exposition est plus que satisfaisante; mais c'est la sculpture qui, à part quelques taches qu'on croirait volontaires, renferme le,plus d'oeuvres hors ligne. Tous les bustes, et ils sont nombreux, sont vraiment remarquables, et parmi les oeuvres d'un grand style, on peut rappeler la Fontaine monumentale destinée à Colmar, et que surmonte une magnifique statue de l'amiral Brua; l'Esclave, qui a dérobé une amphore pleine de vin, et qui court si légèrement et si gaiement vers un lieu retiré pour la vider et se consoler un moment de sa misère. Citons aussi la statue du célèbre Haüy, qui rappelle si bien le mérite modeste de ce savant minéralogiste qui, dans la chute d'un groupe de spath calcaire cristallisé, découvrit la cristallographie. Enfin la sculpture, ainsi que nous l'avons dit, offre une foule d'oeuvres remarquables. La gravure au burin, que les Edlinke, Brevet, Nanteuil, Poilly, Balechon, avaient poussée si haut, est bien peu représentée à l'exposition, et c'est avec chagrin que nous voyons tous les jours abandonner un art dans lequel la France avait la suprématie sur toutes les autres nations. À quelle cause attribuer ce délaissement qui, pour nos élèves de l'Ecole do Borne, ressemble à un sauve-qui-peut, car ils partent graveurs et reviennent faibles peintres? Les hommes, il ne faut pas se le dissimuler, s'adonnent aux choses qui pour eux sont les plus lucratives, et tous les travailleurs, dans toutes les carrières, sont généralement de familles peu aisées; qu'y a-t-il donc d'étonnant du leur voir prendre le sentier qui les conduit à l'aisance d'abord, plus tard à la fortune?... Ce qui importe, ce n'est pas qu'il y ait beaucoup d'artistes, mais des travailleurs intelligents, aimant l'art pour l'art, et qui produisent de bonnes oeuvres qui honorent eux cl le pays. En sommes-nous là? Non, et c'est un malheur au point de vue de l'art.


289 ARCHITECTURE. L'architecture occupe à l'Exposition une travée parallèle aux pastels; son oeuvre a peu d'importance au point de vue de l'imagination, attendu qu'elle se compose principalement de dessins généralement bien réussis il est vrai, mais qui nosont que les reproductions, en tout ou en partie, de choses existantes et de fragments de publications de MM.Guillaumotet Gaillabot, espèces de dictionnaires à l'usage de ceux qui, faute d'imagination, voudront s'inspirer ou se parer des plumesdu paon, et, nous l'avouons, nous ne blâmerions pas l'homme de goût qui emploierait avec discernement toutes cesrichesses, car il en pourrait résulter une oeuvre très-remarquable, dont l'origine nous importerait peu, mais le charme qui en serait la conséquence : à bien prendre, c'est ce que font MM. les architectes avec plus ou moins de bonheur, car tous les styles, tous les ornements sont connus, et le mérite consiste à les mettre à leur place. Hâtons-nous de le dire, la variété se rencontre moins dans l'art antique de la Grèce et de Rome que dans l'art de la Renaissance, qui a montré bien certainement plus d'imagination dans la forme, forcé qu'il était peut-être de satisfaire à un autre ciel et à des moeurs entièrement nouvelles. Au milieu de ces dessins représentant des restaurations d'églises, voire même deux églises nouvelles, les yeux sont attirés malgré eux vers un grand cadre qui renferme un travail inscrit dans un cercle qui n'a pas moins de un mètre cinquante de diamètre : de loin, cela ressemble assez à ces gouttes d'eau qui, vues au microscope, offrent à l'oeil étonné le spectacle d'un monde de monstres de toutes formes qui se meuvent en tous sens et se combattent même. — On s'arrête stupéfait, on se demande ce que cela peut être, on se rapproche lentement avec le désir de deviner, et comme les yeux de la tête et de l'intelligence n'ont pas donné de solution, on marche résolument à ce je ne sais quoi, et on lit : Plan d'une villenouvelle. — N°18. NOVEMBRE 21


— 290 _ En sortant de celte galerie, nous nous sommes transportés à l'extrémité opposée du palais où, arrivés dans la dernière salle, nous nous sommes trouvés en présence d'un relief en plâtre très-important comme masse, et sur lequel nous avons lu : Académie impériale de musique; ce qui, en langage vulgaire, veut dire Opéra. Le nouveau théâtre, comme chacun sait, s'élève sur un terrain borné au midi par le boulevard des Capucines, au nord par la rue Neuve-des-Mathurins, à l'est par le prolongement de la rue Lafayette, à l'ouest par la rue de Rouen, dont une partie du grand hôtel fait un des côtés, de même qu'une construction entièrement semblable fait un des côtés de la rue Lafayette. Telle qu'elle est, cette construction, ou sa façade, ne fait face à rien ; mais, d'après le plan, une large voie, peut-être un boulevard, partira de la rue Richelieu en face le ThéâtreFrançais, et conduira droit à la façade de l'Opéra en traversant la butte des Moulins; puis, pour faciliter la circulation, on voit, toujours sur le plan, qu'il y aura nombre de petits îlots, affectant la forme des divers triangles, ce qui est loin d'être joli. Il eût peut-être été plus simple, plus économique, de placer le nouveau théâtre dans l'axe de la rue de la Paix, mais cela aurait probablement dérange des plans arrêtés depuis longtemps. Un théâtre, et à plus forte raison celui-ci, doit être un monument dans toute la force du terme, chacun désire qu'il soit une oeuvre remarquable sous tous les rapports, que l'art, par conséquent, y déploie toutes ses ressources avec un goût irréprochable, que les abords et les débouchés soient faciles pour tout le monde, que l'on puisse descendre de voiture à couvert, enfin que le public, qui est forcé d'attendre l'ouverture des bureaux pour prendre sa place, soit décemment, commodément, et à couvert comme à l'Odéon, si l'on s'obstine à ne pas lui faciliter les moyens de la retenir à l'avance sans augmentation de prix, ainsi que cela se pratique en Italie et en Allemagne, toutes choses qui nous avaient été pro-


— 291 — misescl annoncées pour le. Théâtre-Lyrique ainsi que pour le théâtre du Châtelet, et que nous attendons encore, ainsi que l'espace raisonnablement nécessaire à chaque spectateur, car il n'est pas possible d'être plus mal à l'aise que dans ces deux nouvelles salles. Mais revenons à la question d'art. Avant tout, un monument doit avoir de l'unité, et celui-ci n'en a pas ; la façade doit régler l'ordonnance architecturale de tout l'édifice, et ici elle ne régie rien, nous le démontrerons tout à l'heure ; les lignes principales doivent se raccorder avec elle, et ici aucunene se raccorde. Ainsi, contrairement à toutes les régies de l'art, les deux corniches de la façade expirent à l'angle rentrant. Voyezla Madeleine, voyez le palais de la Bourse, la cornichede l'entablement règne sans interruption autour de ces monuments ; voyez le Théâtre-Italien (Ventadour), qu'on ne peutpas regarder cependant comme un modèle d'élégance, il est régulier et raisonnable, de quelque côté qu'on l'envisage ; voyez l'Odéon, dont l'ensemble ne laisse rien à désirer, et qui eût été tout autre, à n'en pas douter, si l'architecte, dominé par la rue de Vaugirard, n'avait pas été obligé de se régler sur ce niveau en faisant un péristyle élevé qui, au point de vue de la commodité, est une très-mauvaise chose pour leslieux où le public s'assemble et fait foule à un moment donné. Il n'est pas un théâtre à Paris, même en France et à l'étranger, où l'on n'ait pas évité ce grave inconvénient, que le nouveau théâtre a fait aussi grand que possible, n'ayant établi de descente à couvert que pour l'Empereur et les abonnés! N'est-il donc que les abonnés qui aillent à l'Opéra en voiture? et n'a-t-on pas vu qu'en consacrant l'un des côtés à l'Empereur qui ne vient qu'accidentellement à l'Opéra, on faisait trop peu pour le public? Pouvait-on faire mieux? oui bien certainement; il fallait rapprocher le monument de la rue Neuve-des-Mathurins, on aurait eu ainsi une façade plus importante qui aurait permis d'établir à droite et à gauche


— 292 — quelque chose d'analogue et de plus simple que ce qu'on a pratiqué; mais surtout, faire disparaître cet incroyable appendice ou lui donner moins d'importance et le relier monumentalement à l'ensemble, avec lequel il eût été confondu. On s'est plaint si souvent de l'inconvénient qu'il y avaità ne pas descendre à couvert, qu'on ne devrait plus rappeler à MM. les architectes qu'au Théâtre-Italien (Ventadour) on a pratiqué une voie exprès, pour obvier à l'inconvénient que nous signalons, et qu'on y a remédié autant que possible dans les théâtres construits. Etablira-t-on une marquise comme au nouveau Théâtre-Lyrique? Ce serait déplorable ci, pourtant il faut nous y attendre. Signalons enfin, qu'on descendra à couvert à l'église de la Trinité qui s'élève dans l'axe de la rue de la Chaussée-d'Antin. Les travaux de ce théâtre, qui devait être livré au public eu 1864, ne marchent pas; l'administration, plus éclairée que les juges du concours, a-t-elle l'ait son profit des nombreuses et justes critiques provoquées par le relief de ce monument? Fait-elle faire de nouvelles études? Si c'est là la cause du ralentissement des travaux, félicitons l'administration, car ce serait une honte que d'échouer. Quand on veut faire du nouveau, il faut le faire irréprochable, sinon, reproduire ce qui existe. Y a-t-il rien de plus malheureusement imaginé que les trois combles de ce théâtre, en y comprenant celte espèce de bonnet turc surmonté de la couronne impériale, surmonté lui-même par la toiture si disgracieuse de la scène? Pourquoi n'avoir pas imité la toiture du Théâtre-Français, dont la scène est la plus élevée de tous les théâtres de Paris, et qui, nous le croyons, est supérieure à celle de ce nouveau théâtre? Au moins là il y a un ensemble; si vous trouvez que c'est lourd, vous pouvez l'égayer, et d'ailleurs, cela peut se justifier par les exigences du service d'un pareil théâtre. Cherchez dans le monde entier un système de combles semblable à ce qu'on nous a montré, et je vous mets au défi de le trouver !


— 293 — Si les murs qui supportent les combles do nouveau théâtre ne sont pas en porte-à-faux, ce qu'il faut croire, rien ne serait plus facile que d'adopter le système du Théâtre-Français ; de même pour la descente à couvert, il faudrait détruire le perron, abaisser le péristyle, et consacrer cet espace aux voilures qui entreraient et sortiraient par les deux extrémités dans lesquelles on pratiquerait une vaste arcade, et, à côté, dans l'autre partie de l'angle rentrant, deux entrées et sorties pour les piétons. Ce que nous indiquons nous paraît facile à exécuter. Sans aucun doute, tout cela a besoin d'être étudié, mais, nous le répétons, cela doit être praticable sans de grandes dépenses, et l'on aurait alors : 1° Une entrée à niveau dont nous croyons avoir démontré l'importance ; 2° Entrée et sortie pour plusieurs voitures à la fois ; 3° Entrée et sortie facile pour les piétons ; 4° Enfin une toiture régulière. Ajoutez à cela les observations que nous nous permettons de faire sur la façade, et le monument, à notre point de vue, commeà celui de bien d'autres dont nous sommes l'écho, serait sauvé. La.façade, en avant-corps sur le monument, se compose d'un perron dont nous avons signalé les inconvénients, et d'un système d'arcades dont les retombées descendent à hauteur du perron; ces arcades manquent du caractère de grandeur que pareil monument exige, elles sont surmontées d'un étage orné de colonnes engagées qui supportent l'architrave, la frise et la corniche sur lesquelles s'élève l'attique, couronnée aussi par une corniche. Entre les colonnes on a pratiqué des baies dont on a jugé à propos de dissimuler la largeur à l'aide de petites colonnes en marbre de couleur; ces colonnes inutiles sont d'un détestable effet; quant aux baies, elles sont surmontées d'un oeilde-boeufdans lequel on voit avec étonnement une ornementation que nous croyons être un petit vase avec des fleurs!


— 294 — Cette façade manque d'importance, elle l'ait retour, du moins sesdeux corniches, et, chose nouvelle, sa dernière corniche est surmontée honteusement par la corniche du corps principal qui n'a rien de commun avec elle! Nous comprendrions qu'elle fit retour, mais alors il faudrait, puisqu'elle est en avant-corps, qu'elle se retournât franchement avec toute sa richesse, pour se détacher entièrement du corps principal, mais nous ne pouvons comprendre qu'elle soit dominée par lui. Dans le cas du retour dont nous parlons, les faces du bâtiment, à partir de l'angle rentrant, deviennent indépendantes de la façade, mais solidaires entre elles, et c'est malheureusement ce qui n'existe que dans le gros oeuvre des faces latérales qui ont beaucoup plus d'importance que la façade, mais dont les deux petits appendices très-gracieux, malgré leur dôme orné de chatières, ne sont pas semblables, puisque l'un, celui destiné à l'Empereur, a deux rampes très-élevées et l'autre n'en a pas. Quant au derrière de la scène et son appendice, nous n'avons pas à vous en entretenir davantage. Ainsi, dans ce monument élevé dans un terrain irrégulier, rien n'est en harmonie; la face du midi n'a rien de commun avec la face qui regarde le nord, et l'est n'est pas semblable à l'ouest. Nous ne reviendrons pas sur les combles, ils sont jugés, non par nous seulement, mais par tous ceux qui se sont arrêtés devant ce plan en relief. Nous laissons de côté l'ornementation ; mais nous ne pouvons cependant passer sous silence ces quadriges aux angles de la façade, ils pourraient avoir leur place aux abords d'un théâtre équestre, mais nous ne les comprenons pas sur la façade d'une salle de spectacle destinée au chant et à la dame. Quant à la statue qui surmonte le sommet de l'angle du triangle de la toiture de la scène, nous ne la comprenons pas davantage, car, telle qu'elle est et à la place qu'elle occupe, on pourrait facilement la prendre pour une Vierge, et on conviendra facilement qu'elle ne serait pas à sa place. Nous croyons messieurs devoir eu rester là de notre examen sur ce théâtre, que l'on peut encore modifier, amélio-


— 295 — rer, puisque ses fondations sont à peine sorties de terre, et nousespérons que l'intérieur nous dédommagera de l'extérieur, car, lorsqu'on livrera la salle au public, le mal sera sans remède, si mal il y a. En résumé, si cette Exposition ne laisse pas de profonds souvenirs par des oeuvres capitales et hors ligne, elle est cependant remarquable, comme nous l'avons déjà dit, par le talent de la généralité des artistes. Le gouvernement, pour couper court aux plaintes dont le jury a toujours été l'objet, a jugé sagement d'en appeler au public en faisant une exposition de tous l'es ouvrages refusés, dont les auteurs voudraient affronter cette suprême et dernière épreuve; la mesure est bonne; mais on a fait observer avecraison, que certains artistes ayant retiré leurs oeuvres, les uns par un motif, les autres par un autre, on n'a pas eu sous les yeux toutes les pièces du procès et l'on demande généralement qu'à l'avenir tout ouvrage déposé ne puisse être retiré qu'à la fin de l'exposition. Il y a dans celte masse d'ouvrages refusés des toiles qui, bien certainement, ne le cèdent en rien à celles de certains élus, mais il en est aussi, et c'est le plus grand nombre, qui justifient pleinement le jury. Noussommes d'avis que la mesure est excellente, et qu'elle produira d'excellents résultats, soit en éclairant les uns sur leur impuissance à tous les points de vue, soit en stimulant ceuxqui, ayant trop de confiance en eux-mêmes, ne travaillent pas assez, et nous croyons qu'il serait fâcheux qu'on supprimât la première épreuve du jury, qui peut se tromper, c'est vrai, épuisé de fatigue qu'il est, mais dont les intentions ne doivent jamais être suspectées ; enfin sou zèle pourra être stimulé par la nouvelle mesure, s'il a besoin de l'être, et l'artiste pouvant dire : du jury fatigué j'en appelle au public. Ce rapport est bien long, mais comme il ne dit pas encore tout ce qu'il devrait ou pourrait dire, vous nous tiendrez compte de notre réserve, et surtout du soin que nous avons eu de ne nous occuper que des ouvrages digues d'attirer votre


— 296 — attention, laissant à d'autres le rôle d'Aristarque sévère. En agissant ainsi, nous croyons n'avoir pas amoindri le caractère de notre compagnie, dont les traits principaux sont la justice et la bienveillance. Au nom de la Commission : ALEXISGRANGER, Rapporteur.

PROCES-VERBAUX.

SÉANCEDUMARDI3 NOVEMBRE1863. — Bulletinn° 739. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à 8 heures un quart. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. Dubouloz, par l'organe de M. Granger, exprime le regret de ne pouvoir assister à la séance. M. le président rappelle que samedi dernier M. liesse a été élu membre de l'Académie des beaux-arts, et sur sa proposition spontanément accueillie, il est décidé qu'il adressera à à M. liesse, au nom de la Société, qui depuis longtemps s'honore de le compter dans ses rangs, une lettre de félicitations. Il est ensuite statué sur la candidature de M. Anteroche, artiste peintre, qui d'après le résultai du vote est élu membre


— 297— résidant dans la classe de peinture; avis lui en sera donné par lesecrétaire général. M.le président donne lecture d'une lettre de M. A. Sage, qui accompagne une poésie destinée à être mise en musique, età cet effet elle est confiée à M. Fayet. M.Horsin Déon lit un rapport sur le congrès scientifique tenu à Bordeaux en 1861 ; ce rapport sera inséré dans les annales et le volume déposé aux archives. M. Granger fait la deuxième lecture d'une épître intitulée Cayeux; aux termes de la décision prise dans la séance du 6 octobre, il est voté au scrutin et la pièce est admise à être luedans la séance publique du 24 courant. La correspondance comprend : Deux numéros du Builder, renvoyés à M. Dufour. — Mémoiresde l'Académie d'Arras, à M.Horsin Déon, ainsi que le programme des sujets mis au concours par cette Académie pour les années 1863 et 1864. — Bulletin de l'Union des arts, à M. Maillet. — Bulletin de la Société du progrès de l'art industriel, à M. Fayet. — Quatre cahiers des Mémoires de la société impériale et centrale d'agriculture, sciences et arts d'Angers, à M. Horsin Déon. — Deux numéros de la Revueartistique, à M. Maillet.— Sont déposés aux archives: le Conseiller des artistes et le Messager des théâtres. La séance est levée à 9 heures et demie. Le secrétaire général, J. E. LAMI.


298

TRAVAUX

DE

LA

SOCIÉTÉ.

RAPPORT SURLECONGRÈS TENUA BORDEAUX EN 1861 SCIENTIFIQUE PARM.HORSIN DÉON. Messieurs, Vous m'avez donné à examiner les travaux de la vingthuitième session du congrès scientifique de France, tenu à Bordeaux en septembre 1861. —Dans ce congrès on s'est occupé du percement de l'Isthme de Suez, des orphelinats agricoles, de la question des docks, de réformes agricoles, de l'application des sciences physiques et chimiques à la biologie, etc., etc. Mais je passe sur toutes ces questions étrangères à notre Société pour ne vous rendre compte que des questions archéologiques qui tiennent une place importante dans ce volume. Bordeaux, comme le dit bien un des rapporteurs de ce congrès ne fut longtemps qu'une ville de commerce ; seules, les questions commerciales avaient de l'écho dans les masses, mais aujourd'hui, grâce à la persévérance d'hommes studieux et dévoués, la science et les arts y rencontrent de nombreux adeptes. Dans ce volume, un nom bien respectable est souvent répété, ce nom est celui de S. E. le cardinal Donnet. Cet honorable prélat, président du Congrès, est un archéologue des plus fervents. Mais S. E. ne cultive pas seulement celte science comme délassement de ses sérieuses occupations; dans sa pensée, elle a un but plus élevé, car pour lui l'in-


— 299 — térêt de la foi n'y est pas indilférent. « La loi, comme le dit Bossuet, repose sur la tradition aussi bien que sur l'Ecriture. » Dans cette conviction, M. Donnet n'hésita pas à se mettre à la tète d'une propagande archéologique; il fonda dans son séminaire un cours dont il fut le premier professeur. Sousson administration éclairée, une foule de documents furent mis en lumière, car dès 1837 le cardinal invita chaque curé de son diocèse à lui envoyer des notes précises sur tout ce qui intéressait les localités qu'ils desservaient. De plus, il adressa, dès son entrée dans le diocèse, une feuille de renseignements que chacun « de MM.les curés a été obligé de remplir, ou en sa présence, ou en la présence de l'un de ses grands vicaires. Dans cette feuille se trouve l'inventaire exact dece que possède chacune de leurs églises; une copie de cet inventaire reste dans les archives de la fabrique, l'autre est adressée au secrétariat de l'archevêché. A chaque nouvelle visite pastorale, S. E. peut s'assurer que rien n'a disparu. » Aussi tant d'amour pour la science devait appeler à la présidence du Congrès M. le cardinal, non comme dignitaire, niais comme membre actif. Dans un remarquable discours de M. le marquis de Castelnau d'Essenault sur le progrès de l'art dans la Gironde, nous sommes initiés aux efforts des premiers archéologues bordelais pour faire passer leur science dans le monde des faits. On commença, dit-il, par décrire; mais entre 1820 et 1830, des essais d'architecture gothique eurent lieu, une restauration importante fut même entreprise et réussit avec bonheur; elle estdue au dévouement d'un véritable artiste, M. Poitevin, qui en assuma sur lui toute la responsabilité. Il ne s'agissait pas moins que de la démolition des flèches de Saint-André que la préfecture allait ordonner. En 1861, dit M. de Castelnau, il est facile de critiquer l'exécution de tous les travaux de ce temps, mais si ou s'y re-


— 300 — porte, on comprendra mieux le mérite de l'artiste qui, lu premier, eut le bon sens de croire qu'il fallait oublier l'art des Hellènes et des Romains quand il s'agissait d'édifices du moyen âge. L'opinion se prononça enfin, et après la restauration des anciens monuments, on en construisit de nouveaux. Des ateliers importants, propres à la décoration des temples, tels que ceux de peinture sur verre, pour la fonderie, la serrurerie, la boiserie, furent fondés et prouvèrent par la beauté de leurs produits que, quoique éloigné de la capitale, l'art en France inspire encore nos ouvriers et les place au premier rang entre toutes les nations. L'étude est la mission et la gloire des congrès, dirent MM.les secrétaires généraux de la Gironde, et à leur appel, artistes, savants, docteurs, hommes de lettres, se mirent à l'oeuvre : les archives sont fouillées, et chacun au jour dit, livre à la publicité le produit de ses recherches plus ou moins heureuses. Parmi ces dernières nous citerons les Considérations de M. l'abbé Cirot sur un manuscrit duXIIIe siècle conservé dans l'église de Saint-Seurin de Bordeaux. Ce manuscrit, d'une grande valeur liturgique et historique, comprend deux parties : la première est un recueil d'homélies, d'évangiles et d'oraisons qui occupent une moitié du volume; l'autre partie renferme deux légendes : la vie de saint Seurin et celle de saint Amand. — M. l'abbé cite, dans la vie de saint Seurin, un miracle dont je vous donne ici l'extrait : « En un certain temps, comme après la révolution du cercle annuel, le jour anniversaire du bienheureux saint approchait, les dignes citoyens mettant de côté, selon leur coutume, toutes autres affaires, n'étaient occupés qu'à se préparer avec joie et avec piété à la fête de leur patron. Tout à coup les Goths, avec une armée innombrable, assiégent la ville C'est le de la fêle tous jour les habitants courent nu tombeau de


— 301 — saint Seurin pour l'invoquer contre un tel péril Aussitôt nuées couvrent d'obscurité le des d'épaisses camp Goths, leur la vue de la ville les dérobent et, frappant de terreur, les mettent en fuite » Or, rien n'atteste mieux la vérité de ce fait, dit M. Cirot que « l'usage, conservé de siècle en siècle, de recourir à saint Seurin dans de semblables calamités. Chaque fois qu'elles se présentaient, on indiquait des prières, une processionà la basilique de Saint-Seurin, et le ciel apaisé exauçait aussitôt ces supplications solennelles. » — Après celte appréciation si concluante, nous citerons quelques beaux vers de M. Hippolyte Minier. Ils sont extraits d'une pièce intitulée : l'Art et la Foi. « Le géniea voulu,lyre ou pinceauxen main, Horsdu vrai, horsdu beau, se frayerun chemin; lit fuyant,par orgueil,la lumièreéternelle, Ens'égarantdansl'ombreil a brisésonaile... El la gloire,pleurantsur seslauriersflétris, La gloirea reniéses ingratsfavoris! Ducerveauchezles unstouteverveest bannie, Chezd'autresladémenceétouffele génie; Et pas uneoeuvreforteet vivace!...Et pourquoi? Parceque l'art s'éteintlorsques'éteintla foi; Sansla foi, l'art lui-mêmeà lamortse condamne. Illa faut...qu'ellesoitousacréeou profane; Il faut quedanssa foi, commeen uncharde feu, L'artse senteemportéversla gloireou versDieu, Il faut,lorsquela nuit a déroulésonvoile, Qu'aufondduciellafoilui découvreune étoile, Astre que l'art lui seulvoitdansl'obscurité ; Et cet astrelointain,c'estla postérité!» Enfin, Messieurs, pour conclure, je vous citerai quelques extraits d'une remarquable appréciation du professeur Roux sur l'originalité nationale des chefs-d'oeuvre du siècle de Louis XIV.


— 302 — « Il y a, dit-il, dans l'histoire de la pensée humaine, des époques qui se distinguent par un caractère si tranché de grandeur et de perfection, qu'elles semblent se détacher de tout ce qui les précède et de tout ce qui les suit, et se lever à l'improviste dans la grande famille des siècles. La perpétuité du lieu traditionnel, les nuances des transitions s'effacent devant ces vives et soudaines clartés des Lettres et des Arts. On prend pour un brusque renouvellement, pour une création instantanée, une révolution préparée de longue main dans les moeurs et dans les idées, une transformation graduellement opérée par des événements déjà vieux de plusieurs siècles « Il faut protester, Messieurs, et notre temps a eu l'honneur de le faire, contre cette fastueuse insouciance, contre ce paresseux dédain des siècles d'art, pour un passé qui a si consciencieusement élaboré leur harmonieuse perfection. Il faut rendre à l'humanité moderne ses plus lointaines origines et la longue et majestueuse consécration de l'histoire. Non, il n'y a pas de hasards dans les gloires de la pensée ; il n'y a pas d'époque née d'elle seule, détachée de la chaîne des âges, suspendue dans les temps; il n'y a pas de génération spontanée, sans aïeux, sans successeurs. Les grands âges de la littérature et des beaux-arts ont leur familleet leur raison d'être. C'est blasphémer la Providence que de les reléguer sur un trône solitaire, que de les séquestrer de la durée, que de les isoler des siècles dont les sueurs et les larmes les ont faits si riches et si puissants. ........ « Eh bien, Messieurs, ce siècle, grand de toute la grandeur des siècles qui ont travaillé pour lui, ce siècle en qui respire toute la vie du monde, en qui se personnifie toute la majesté de l'histoire et la série continue du passé, quelques


— 303 — maladroits admirateurs semblent s'être entendus avec ses détracteurs pour n'y voir qu'une éclatante exception ; qu'un lumineux météore. Ils n'ont aperçu que sa classique élégance, que sa fleur de politesse antique. Ils n'ont admiré en lui que la résurrection inespérée, qu'une auguste copie de la civilisation grecque et latine. Ils se sont arrêtés à la surface. Ils n'ont point vu sous cette perfection du goût ancien, sous cette gracieuse et naturelle magnificence, tous les progrès accomplispar le monde chrétien, et l'unité multiple de la civilisation européenne. » Nous voudrions pouvoir continuer tout au long cette lecture qui appuie des opinions déjà émises par nous au sein même de notre société, mais nous n'oublions point. Messieurs, que nous ne devons aujourd'hui que vous rendre compte d'un livre intéressant à tous les titres, c'est pourquoi, j'en propose le dépôt en nos archives après l'avoir recommandé à tous et particulièrement à vous. Messieurs. HORSIS DEON.

—IMP. ETCOMP., 1. SIMON PARIS, RAÇON RUE D'ERFURTH.



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PROCES-VERBAUX.

1863. SEANCE DUMARDI17 NOVEMBRE — Bulletinn° 740. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, Président. La séance est ouverte à huit heures et demie par la lecture et l'adoption du procès-verbal de la précédente. M. le Président signale la présence de M. Auteroche, artiste peintre, élu membre [dans la dernière séance et qui est accueilli avec sympathie par ses collègues. M. Fayet témoigne le regret qu'éprouve M. Bourdin de ne pouvoir assister aux séances étant retenu chez lui par suite d'une angine. il fait aussi savoir qu'il a remis la composition de M. Sage à M. Auguste Saffet, qui a promis de la mettre en musique. La correspondance comprend : quatre billets adressés par la Société philotechnique pour sa séance publique du 29 courant et qui sont distribués aux membres du bureau. — Un choeur à trois voix, de M. E. d'Ingrande, intitulé le Travail, qui est renvoyé à M. Delaire. —Un volume des Mémoires de la Société académique des sciences, arts, belles-lettres, agriculture et industrie de Saint-Quentin, dont M. Maillet est prié de rendre compte. — Le Recueil des travaux de la Société d'agriculture, sciences et belles-lettres du département de l'Eure, que M. Villemsens examinera. — Deux numéros du Builder dont le rapporteur est M. Dufour, et pour les archives le Journal de la Société impériale et centrale d'horticulture et quatre numéros du Messager des théâtres. MM.Fayet et Chamerlat déposent sur le bureau deux feuilles de présentation dont il est donné lecture immédiatement : celle de M. Mathieu Meusnier, statuaire, qui est remise à M.Villem— N°19. DÉCEMBRE. 22


— 306 — sens, vice-président de la classe de sculpture et président de la commission chargée d'éclairer le vote de la Société et formée avec lui de MM.Alexandre Tessier et Farochon, et celle de M. Alexis-Auguste Harris, qui est renvoyée à la commission formée deM. Maillet, président de la classe de littérature, et de MM. A. Granger et Dufour. La parole est ensuite donnée à M. Villemsens pour lire un rapport sur le congrès de Chambéry. Ce rapport sera inséré dans les Annales. M. A. Sage lit une notice fort intéressante et fort bien faite sur un tableau de Rubens que possède le musée de Valenciennes. L'insertion de cette notice dans les annales est votée. M. A. Granger donne lecture d'une pièce en vers de sa composition qu'il intitule : Un propriétaire à ses locataires rassemblés. Aucun vote ne suit cette lecture pour se conformer au désir de l'auteur qui ne l'a faite qu'à titre de simple communication ; mais de vifs remercîments lui sont adressés. La séance est levée à 10 heures.

SEANCEDU MARDI24 NOVEMBRE1863. — Bulletinn° 741. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, Président. Cette séance s'ouvre par l'exécution vraiment remarquable de MlleE. Muller, membre de la Société, qui fait entendre sur l'orgue le Rêve de Michel-Ange, d'Auguste Durand et le Refrain de Village, de Daussoigne-Méhul. — On applaudit la jolie voix de MlleAnnichini qui chante très-gracieusement une Fille d'Allah, d'Edmond Cottin. — Dans une pièce en vers intitulée : Souvenirs de Cayeux, M. Alexis Granger, membre de la Société, mêle avec art le plaisant au sérieux. — M. Léon Dejardins, premier prix de violon du Conservatoire, justifie bien ce brillant succès par le charme et l'en-


— 307 — train de son exécution des Souvenirs de Grétry. — M. Vibert, ténor, chante avec beaucoup d'expression l'air de la Lucie. — Comme déclamation lyrique, M. Marius Laimé, professeur de diction et de prononciation, dit le Poëte mourant, de Millevoie, en même temps que MlleLéontine Picaud exécute sur l'orgue un accompagnement composé à cet effet par M. Clément Loret. — C'est M. Bloch, qui termine la première partie de la séance par deux chansonnettes : la Ronde du chasseur, paroles de F. Delange, musique de Cellot, et le Baiser à la dame, paroles de Ch. Delange, musique de Victor Parizot. L'homme et la voix préviennent d'abord en faveur du chanteur et l'assemblée lui prouve bientôt par ses applaudissements qu'elle le compte parmi ceux qui interprètent le mieux les chansonnettes spirituelles et de bon goût. Les mêmes personnes, à une seule près, remplissent avec le même succès la seconde partie. On entend MlleE. Millier qui exécute sur l'orgue deux morceaux fort bien écrits de sa composition : une Rêverie et une Fantaisie-Menuet. — M. Vibert qui chante la romance des Huguenots. — M. L. Desjardinsqui fait vibrer sur son violon l'air d'église de Stradella. — MlleAnnichini qui se joue des difficultés de l'air du Serment, d'Auber. — M. Marius Laimé, qui pour auxiliaire de la déclamation lyrique des Prophéties de Joad, a encore l'exécution sur l'orgue par MlleLéontine Picaud d'un accompagnement de M. Clément Loret et enfin M. Bloch qui dit à merveille Un vieux Buveur, paroles du vicomte Richemont, musique de Victor Robillard et le Fifre du Sehah de Perse, parolesde Ch. Delange, musique de Victor Parizot. Des applaudissements dont une bonne part revient au talent des accompagnatrices, MmeLabadie, pour MlleAnnichini, E. Millier pour MM.ViMlleDesjardins pour son frère, et Mlle bert et Bloch, accueillent les remercîments que le Président, au nom de la Société, adresse aux personnes qui ont été entendues dans celle soirée. Le secrétaire général, J. E. LAMI.


— 308 — SÉANCEDUMARDI 1erDÉCEMBRE1863. — Bulletinn° 742. — Président. Présidence de M. P. B. FOURNIER, La séance est ouverte à huit heures du soir, par la lecture et l'adoption du procès-verbal de la séance du mardi 17 novembre dernier, et du compte rendu de la séance mensuelle publique, tenue par la Société dans les salons du Cercle des Sociétés savantes, le mardi 24 du même mois. Ensuite la correspondance est dépouillée et comprend les pièces suivantes renvoyées, savoir : 1° Deuxnuméros du Builder, à M. Dufour; — 2° une brochure de M. Th. Labourieu, intitulée : Organisation du travail artistique en France, à M. Sage; — 3° un Bulletin de la Société académique, sciences et arts de Poitiers, à M. Villemsens; — 4° un Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny, et un Bulletin de l'Union des arts de Marseille, à M. Maillet; — 5° une biographie du comte de Guidi, par M. Jules Forest, membre correspondant, et un Bulletin de la Société du Progrès de l'art industriel, à M. Fayet ; — 6° Quatre numéros du Messager des théâtres et un Bulletin de la Société française de photographie, aux archives. M. le Président donne ensuite communication : 1° D'une lettre de M. Gélibert, père, peintre, membre correspondant de la Société, demandant son admission comme membre résident, ce qui est favorablement accueilli, et adressant à la Société divers prospectus de son perspectomètre qui sont distribués aux membres présents ; — 2° et une autre lettre de M. Chamerlat, membre résident, rapporteur de la commission chargée de rendre compte de l'Exposition des Beaux-Arts, appliqués à l'industrie, proposant, d'accord avec la commission, qu'une médaille d'argent soit


— 309 — offerte par la Société au comité de cette Exposition, qui a eu lieu au palais de l'Industrie, avec voeu que cette médaille soit accordée dans la section des bronzes. Après quelques observations, cette proposition est mise aux voix et adoptée, et en conséquence M. le Président est chargé de son exécution. La Société est ensuite appelée à voter successivement sur l'admission : 1° De M. Harris, dans la classe de littérature et d'archéologie; — 2° et de M. Mathieu Meusnier, statuaire, dans la classe de sculpture. Ces deux candidats sont admis membres résidents et proclamés par M. le Président aux applaudissements de l'assemblée. La séance continue par la lecture d'un rapport fait par M. Delairc, sur diverses compositions de M. d'Ingrande, lequel sera inséré aux Annales. Puis M. Alexis Granger, fait une première lecture d'une pièce en vers de sa composition, intitulée : Nanette et Caniche, destinée à être lue à la prochaine séance mensuelle publique, le 22 courant ; cette pièce est admise par le résultat du vote à une seconde lecture. La séance est levée à dix heures et demie. L'un des Secrétaires-Adjoints, A. DUFOUR.


310

TRAVAUX

DE

LA

SOCIÉTÉ

NOTES SUR LE CONGRES

DE

CHAMBERY

PARM. VILLEMSENS, membrede la Société. Je crois devoir, comme les années précédentes vous dire quelques mots du Congrès scientifique de France qui a tenu, au mois d'août dernier, sa trentième session, à Chambéry. Nos nouveaux compatriotes sont des hommes sérieux : aussi, la 5e section, ordinairement spéciale à la littérature et aux beaux-arts, a-t-elle été intitulée, cette l'ois: BeauxArts. — Littérature. — Philosophie ; et c'est à cette dernière branche que se rattachaient la plupart des sujets proposés au programme. Après une question sur « l'avantage de la notation musicale substituée au plain-chant, » — la seule thèse artistique qu'on ait eue à discuter est celle-ci : « Le goût et les règles de l'art moderne permettent-ils d'associer la peinture aux oeuvres de la statuaire et de l'architecture, en appliquant des couleurs aux statues et aux monuments, comme onle pratiquait au moyen âge et dans l' antiquité? » — Il y a eu des opinions exprimées pour et contre: la conclusion en faveur de la négative m'a semblé prévaloir. Quant à la littérature, parmi les questions posées, je citerai les suivantes, relatives aux langues, dialectes et patois divers : « 1. A quelles langues anciennes appartiennent les dialectes de la Savoie? — 2. Doit-on donner à chaque localité son nom tel qu'il est prononcé dans le patois du pays, ou convient-ilde le traduire en langue française? — 3. Comment


— 311 — doit-on prononcer les noms dérivés des langues étrangères?. Comment,doit-on les écrire, pour en conserver la physionomie et l'accentuation? » — Ce sujet était d'autant mieux à l'ordre du jour que l'annexion, en rendant plus fréquents les rapports de la nouvelle province avec la France, fait mieux voir les inconvénients de ces traductions de noms propres, qui souvent deviennent méconnaissables. C'est en effet, je crois, un tort: il est à regretter que l'usage nous force à dire,par exemple : Turin, Florence, Douvres, Ratisbonne,etc., pour Torino, Firenze, Dover, Regensburg etc., qui sont les noms donnés à ces villes dans le pays même. Ces transformations de mots sont, pour les transactions internationales, un inconvénient qu'il serait bon, du moins, de ne pas augmenter pour l'avenir. Quant à la manière de prononcer les noms étrangers de cette nature, je me suis rangé à l'avis de ceux qui ont soutenu que, vu la difficulté d'appliquer exactement à ces mêmes mots leur prononciation locale, mieux valait ne pas trop s'y astreindre. Le programme indiquait un grand nombre de questions philosophiques ou d'économie sociale, notamment celle-ci: « Émigrations hivernales des habitants des montagnes.... Quelle améliorai ion pourrait yapporter une sage direction? » — En effet, si la désertion des campagnes pour les villes est une des plaies de notre époque, cet abus est surtout déplorable en Savoie où un grand nombre de ces émigrants sont des enfants plus accessibles, par leur âge, aux dangers qui sont la conséquence de cet éloignement. Les spéculateurs auxquels on les livre, les exploitent cruellement, sous nos yeux mêmes ; mais ce que nous ne voyons pas, c'est la condition morale qui leur est faite : il est constant que, parmi ces enfants se trouvent beaucoup de jeunes filles de 12 à 15 ans que des parents endurcis par l'intérêt laissent partir sous des habits de garçon. Le mal que causent de telles émigrations est unanimement reconnu ; le difficile est le moyen d'améliorer cet état de choses. Pendant toute la durée du Congrès, les séances publiques de toutes les sections réunies ont attiré un auditoire à la fois


—312— nombreux et choisi. Le vénérable cardinal Billiet, archevêque de Chambéry, n'a pas manqué un seul jour, malgré ses 85 ans, de siéger au bureau. Dans l'une de ces séances, on a eu la lionne fortune d'entendre M. de Lesseps l'aire, dans un langage aussi savant que pittoresque, l'historique des travaux de l'isthme et des diverses péripéties de cette grande entreprise. Dans une autre de ces séances, M. l'Ingénieur en chef du département, captivait notre attention par ses démonstrations relatives à un autre grand travail, le tunnel des Alpes, et préludait ainsi à l'excursion organisée pour le lendemain, et qui a été extrêmement intéressante. Partis à 5 heures du matin, par un train spécial qui nous a conduits jusqu'à Saint-Michel où nous attendaient les diligences préparées pour nous transporter sans retard aux ateliers, près du tunnel même, ce n'est qu'à minuit qu'à eu lieu, aussi par train spécial, le retour à Chambéry. Nous avons donc pu, sous la direction de M. l'Ingénieur en cher, visiter, dans tous leurs détails, ces gigantesques travaux. Ce n'est pas le mont Cenis dont on exécute le percement ; mais bien un point des Alpes qui en est éloigné de quelques lieues, près de Modane. Ce point a été préféré parce qu'il n'aura que 13 kilomètres de traversée horizontale, tandis que le mont Cenis, de Lons-le-Bourg à Suze, aurait exigé pour le tunnel une longueur de 20 kilomètres. Assez d'autres difficultésse présentent. C'est dans une couche de granit d'une dureté désespérante qu'il faut ouvrir cette voie : la pioche et la mine n'y pouvant rien, M. Someiller, qui dirige les travaux, a imaginé une machine fort ingénieuse que je vais essayer de décrire. On a fait fonctionner sous nos yeux, d'abord dans les ateliers, l'un de ces appareils sur un bloc de ce granit, puis, d'autres semblables dans le tunnel même. Ces machines, dites perforatrices , se composent d'une douzaine de gros forets solidement engagés par un bout dans les rouages d'une armature en fer disposée pour être placée perpendiculairement en face du roc. Chacun de ces forets est formé d'une longue tige d'acier en spirale d'environ 5 centimètres de diamètre, et sort d'un tube qui l'en-


— 313 — toure dans une partie de sa longueur, lequel tube reste fixe, tandis que le foret seul est mobile ; la distance entre chaque foretest à peu près égale à son diamètre. Une machine à vapeur met en marche l'armature qui imprime à tous les forets un double mouvement : d'abord une rotation rapide ; puis simultanément, de minute en minute, chacun de ces forets se relire en arrière dans son tube d'où il est aussitôt relancé comme un dard au fond du trou qu'il continue à percer. Au moment où le foret se retire, un jet d'eau s'échappe dutube dans le douille but de débarrasser le trou des détritus produits par l'action de ce foret et d'en aider l'action nouvelle dansle granit ainsi humecté. Quand les trous sont perforés à une profondeur d'environ 40 centimètres, on introduit dans chacun d'eux une boîte de poudre dont l'explosion fait, au moment donné, éclater les languettes qui restent dans les intervalles des trous. On peut juger du temps qu'exigera cette grande opération par ce fait que, malgré la puissance de l'engin, il ne faut pas moins d'une journée entière pour le percementde 40 centimètres seulement : aussi, depuis près de trois ansqu'un millier d'ouvriers poursuivent cerude labeur, enattaquant le tunnel par ses deux extrémités, on n'a pu en ouvrir que 2 kilomètres au plus, dont un peu plus de moitié du côté de la Savoie. Cependant, dans l'impossibilité de pratiquer, au sommet de telles montagnes, des puits de ventilation, l'air se raréfiait danscette galerie qui n'a encore que 1200 mètres à peine, au point de causer l'asphyxie des travailleurs ; et il a fallu y établir deux longs tuyaux pour leur envoyer l'air extérieur. Une machine à vapeur fonctionne constamment dans ce but, et telleen est la rigoureuse nécessité, qu'une seconde machine de réserve, planée aussi dans les ateliers, est prête à remplacer immédiatement la première, dans le cas du moindre dérangement : que sera-ce donc quand on avancera davantage ? Il est à remarquer que le terrain étant considérablement plus élevé du côté de l'Italie, il a fallu, tout en ménageant dans ce sens la plus grande pente possible, établir, de notre côté, l'ouverture du tunnel à 100 mètres au-dessus du ni-


— 314 — veau du sol : il faudra donc prendre de très-loin, sur le flanc des montagnes, la pente de l'embranchement qui viendra s'y raccorder. Une autre excursion a eu pour but notre visite à la curieuse abbaye d'Hautecombe et à ses nombreux tombeaux ; puis d'assister, sur le lac du Bourget, aux fouilles lacustres, à l'aide de l'appareil, dit scaphandre, fouilles préparées, pour ce jour-là, à notre intention. Il faut dire ici que dans ce lac qui, sur certains points, est d'une profondeur presque insondable, on trouve le fond à 10 ou 15 mètres sur d'autres points, notamment aux stations de Grésine et de Châtillon: c'est là qu'au milieu d'un cercle formé par nos bateaux , deux plongeurs revêtus du scaphandre, sont restés pendant deux heures au fond de l'eau, recueillant, dans des paniers qu'on leur descendait avec une corde, toutes sortes de débris plus ou moins curieux, mais qui avaient du moins le mérite de l'antiquité. A.une époque fort ancienne, les habitants de ces montagnes, avaient, dit-on, construit sur pilotis des refuges contre les attaques des bêtes féroces, ou peut-être, quelques usines ou fabriques, ce que les nombreux tessons que donnent ces fouilles pourraient faire supposer. Je ne veux pas, Messieurs, prolonger davantage ce coup d'oeil rétrospectif sur l'emploi des dix journées bien remplies qu'a duré ce Congrès qui, sous divers rapports, a présenté un intérêt certainement égal à ceux qui l'ont précédé, mais moindre, je le répète à regret, si nous le considérons nu point de vue des Beaux-Arts.


315

SOUVENIRS

DE

CAYEUX

PARM.ALEXIS GRANGER, membre delaSociété. Si Cayeux n'a pas pris sa place dans l'histoire, S'il est pauvre et n'a pas de titres à la gloire, S'il ne peut égaler Dieppe ou le Treport, Sicomme eux il n'a pas de casino, de port, S'il n'est pas à la mode, il a quelque mérite, Doitprogresser un jour et vaut bien qu'on le cite, Carsa plage est superbe, et ses bons habitants, N'ont qu'un défaut,— un-seul, — c'est d'avoir trop d'enfants On y vit mal, très-mal, c'est vrai, je le confesse, Maispour se bien porter, à quoi nous sert la graisse, Et si d'un air vigoureux on emplit ses poumons, Si cet air égale et Turbots et Saumons? L'eau, j'en conviens encor, n'est pas une eau potable Et même pour les dents, elle est très-dommageable ; Onla remplace aussi par l'eau qui vient des cieux, Qu'onrecueille avec soin dans de souterrains lieux. Le boeufest inconnu dans ce séjour tranquille Oùla vie, on le voit, est loin d'être facile ; Les légumes, les fruits, n'y sont jamais venus Et leurs noms, à Cayeux, même sont inconnus. L'église, à douze cent, qui pour le moins remonte, Est l'effroi des dévots et du pays la honte ; Le moineau, l'hirondelle, en ont fait leur séjour Elle temple discret de leur ardent amour ; Maissouvent il arrive au milieu du service, Quel'un d'eux, sans pudeur, ajoute au sacrifice Et peut comme à Tobie, en ces révérés lieux, Ravir à maint dévot la lumière des cieux Ou, maculer au moins, ou la robe ou le livre Que pour beaucoup d'argent aux chers maris on livre,


— 316 — Car les jupons cerclés, autrefois inconnus, Comme enfants de la mode à Cayeux sont venus, Triomphant des papas et de la tendre mère, L'ange le plus parlait des anges de la terre. Ah! les coquins d'enfants, ils sont plus forts que nous : Nous les voyons toujours assis sur nos genoux; Avecleurs blonds cheveux et leur riant visage; Ils étaient nos tyrans et le sont à tout âge : Mais laissons ces détails plus ou moins sérieux, Car déjà l'on commence à venir à Cayeux, Où de la liberté le charme vous captive, Où vous avez la mer toujours en perspective, La mer ! spectacle unique, imposant, émouvant, La mer! qui tour à tour aux haleines du vent Marche, bruit, s'élève en montagnes humides Dont la base est immense et qu'on croirait solide : Mais qui l'instant d'après, s'abîmant dans ses eaux Prennent leur mouvement et leurs changeants niveaux. L'un au Panier Fleuri, plante son domicile, Un autre au Bout-d'Amont, petit semblant de ville Où l'on manque de tout, de pain comme de bois, Et subit des besoins les tyranniques lois, Mais la mer n'est pas loin, et l'on a l'avantage De faire son salon sur son bruyant rivage ; C'est là, qu'on vient braver ses turbulentes eaux Et qu'on trouve souvent un remède à ses maux, Car à Cayeux, on vient pour prolonger sa vie Et non pour folâtrer dans la verte prairie. D'abord, il n'en est point, et l'on a du soleil Du lever de l'aurore à l'heure du sommeil ; Quelquefois on y cuit, mais c'est toujours superbe, Surtout plus imposant que de voir pousser l'herbe : Ceflot majestueux qui roule avec fracas, Il captive vos yeux, il enchaîne vos pas, Vous l'entendez gémir comme un cri de la terre Qui dit : Allez encor conquérir l'Angleterre, Dont les longs attentats à tout le genre humain


— 317 — Ont lassé l'univers qui vous tendra la main : Albion, c'est Cartilage, avec sa politique, Maissurtout, avant tout, avecla foi punique. Et du camp des baigneurs, tous très-intelligents, Maispas toujours, hélas ! vigoureux, bien portants, Onentend s'élever l'hymne de la patrie Dontla strophe brûlante et la mâle harmonie Ont ébranlé le monde en nos jours de grandeur, Et guidé nos soldats dans les champs de l'honneur. Cettearmée en peignoir, qui, de froid tremblotante, Chantait des airs guerriers d'une voix chevrotante, Prenant racine au sol, ne pouvant faire mieux, Aurait dû m'arracher quelques larmes des yeux, Maisétant des plus forts de cette auguste troupe Bonne, non à tremper, mais à manger la soupe, Je criais comme un sourd, brandissais mon riflard, Et devais être beau, je vous le dis sans fard, Car cette gymnastique aux Romains inconnue, Par Rome, à nos aïeux, n'était point parvenue ; Las! après quelques tours, je compris sur le champ, Queje n'étais plus fait pour vivre dans un camp, Que je n'étais plus d'âge à battre la campagne Et que je ferais mieux de sabler le Champagne, Car regardant mes bras, autrefois si nerveux, Je frémis de les voir et je fermai les yeux ; L'orgueil me rappela quelques jours de ma vie, Et confus je partis avec mon parapluie : Doncvous ne verrez pas sur un beau piédestal, Ma statue en carton, moins encor en métal, Ce que j'aime à Cayeux, ce n'est pas la nature Comme nous l'entendons, les champs et la culture; Elle existe pourtant hors ses pauvres maisons Où l'on voit de beaux blés, de riches horizons, Sans doute c'est plaisant et j'aime les bergères, J'aime à voir les agneaux allaités par leurs mères, J'aime leur bêlement et leurs sauts gracieux, Car tout ce qui vit charme et l'esprit et les yeux ;


— 318 — Mais tout cela se voit clans cent lieux à la ronde Lorsqu'il n'est qu'un Cayeux, un seul Cayeux, au monde: La mer qui le défend par les galets épais A son sable opposés comme de puissants quais, Semble avoir résolu de l'agrandir encore; Mais sa prospérité n'est pas à son aurore. Des langes du chaos toujours bien engourdi, Il essaye à marcher et s'est désenlaidi. Une grande maison de très-bonne apparence, Au centre est élevée au profit de l'enfance, Le maire de l'endroit y tient son tribunal, C'est là, que siége aussi le conseil communal, L'école est fréquentée et surtout bien tenue, Les enfants sont polis, d'une belle venue ; Leur mine intelligente est agréable à voir, C'est un soleil levant, radieux, plein d'espoir, Dans ces enfants, qui sait, s'il n'est pas une tête Qui de pays nouveaux rêvera la conquête? Christophe était pêcheur, et le monde est si grand, Qu'il peut souffrir encor un nouveau conquérant, Non pour ensanglanter et dépeupler la terre, Mais pour y découvrir un nouvel hémisphère. Pour vivre pauvrement, on n'en est pas moins fort Et chacun à Cayeux est content de son sort, Depuis le fier pêcheur à la grave figure, Jusques à l'ouvrier fabricant la serrure. Si partout on a peur des mains des malheureux, Il en est autrement dans le bourg de Cayeux, Car la nuit et le jour, les portes sont ouvertes, Sur les tables on laisse et couverts et dessertes, On va, vient, voit sans voir, jamais ne touche à rien Et respecte d'autrui la compagne et le bien. C'est là certainement un pays remarquable Et que j'habiterais, s'il était habitable ; Que le ciel fasse donc, qu'on amène à Cayeux, D'excellente eau pour boire et se laver les yeux ! Les femmes n'y sont pas légères, agaçantes


— 319 — Maisbelles par leur force et très-appétissantes. Le goût se montre peu dans leur ajustement, Et beaucoup ont perdu leur plus bel ornement, Cesperles, dont l'éclat éclaire le visage Et dont Hygie, exige et des soins et l'usage. Lafemme qui n'a plus ce charmant appareil Est comme un jour privé de l'éclat du soleil, C'est la reine des fleurs sur sa tige fanée, C'est flore avant l'hiver, pâle et découronnée. Fantasque libertin, le puissant roi des dieux, Jupiter, qui souvent abandonna les cieux Pourvenir en sournois s'amuser sur la terre Quandil avait du temps et n'en savait que faire, Jupiter, pour Io, qui garda son ardeur Quand la fière Junon, son épouse et sa soeur, L'eut changée en génisse, aurait, si pour l'espèce Il avaitconservé sa fiévreuse tendresse, Pu venir à Cayeux, admirer ce bétail, Rentier, on le croirait, car il vit sans travail, Et retrouver encor les traits de son amante Et sa force et son port et sa taille élégante ; MaisJupiter n'est plus, et son frère Pluton A passé comme lui, l'horrible Phlégéton. Quantau cheval fougueux, que Neptune, à l'Attique Donna, comme le dit une légende antique, Il est superbe à voir, ardent, très-vigoureux, Et doit tout ce qu'il est aux herbes de Cayeux. Je ne m'attendais pas à voir la Picardie, Lutteren beaux chevaux avecla Normandie. Je croyais aux moutons, et suis désabusé, En me vantant leur chair, on s'était amusé ; Maismon pauvre estomac, lui qui fit pénitence, Mepardonnera-t-il sa trop longue abstinence? J'ai vécu, cependant, — de quoi ? je n'en sais rien Et, sans avoir mangé, je me trouve assez bien ; Maisle docteur m'a dit : L'épreuve est assez forte, Car des enfers, pour vous, s'entre-bàille la porte,


— 320 — Voici votre exeat, et c'est la Faculté Qui, par exception, vous rend à la santé ; Gardez-en le secret, crainte que l'on ne dise Qu'avec vous j'ai montré beaucoup trop de franchise, Je pressai dans mes bras ce docteur sans pareil, Qui voulait me garder une place au soleil. Je vantai son bon coeur, son esprit, sa belle âme ; Enfin, comme l'on dit, je lus tout feu, tout flamme : Mon sang se ralluma, j'en sentis les ardeurs, D'un succulent dîner je perçus les odeurs, Et, de tout ce qui vit, voulant faire ma proie, Je fermai ma valise et je dis avec joie : Retournons à Paris, où tout est cher, mais bon, Poulets, légumes, fruits, boeuf, mouton et jambon ! On y vit comme on veut, on y sait la cuisine, Là, sont les bons amis à la joyeuse mine, Les spectacles, les arts, l'esprit et la gaîté, Les savants et l'aimable et fine urbanité ; C'est l'Attique, aux beaux jours de la célèbre Grèce, Le pays des plaisirs, celui de la sagesse, Le rendez-vous du monde et sa tête et son coeur, Pour tout dire en un mot, Paris, c'est le bonheur ! ALEXIS GRANGER.

PARIS.— SIMON 1. IMP. RAÇON ETCOMP., RUE D'ERFURTH,


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PROCES-VERBAUX.

SÉANCEDU MARDI15 DÉCEMBBE1863. — Bulletinn°743. — Présidence de M. P. B. FOURRIER, président. A huit heures, le procès-verbal de Ia séance du 1er courant est lu et adopté. M. le Président fait remarquer la présence de M. Matthieu Meusnier, nouvellement, élu, à qui il adresse quelques paroles de bienvenue et que l'assemblée accueille par de sincères applaudissements. M. Chamerlat fait savoir que deux membres de la Société ont obtenu des récompenses à la dernière exposition des Beaux-Arts appliqués à l'industrie. M. Garnier, peintre, a reçu une première médaille, et M. Matthieu Meusnier, statuaire, une seconde. — Il rappelle aussi que notre collègue, M. Farochon, vient d'être nommé professeur de gravure eu médailles à l'Ecole des Beaux-Arts, et sur sa proposition l'assemblée décide qu'une lettre de félicitation sera écrite à M.Farochon. Trois feuilles de présentation sont déposées sur le bureau et lecture en est faite : la première est de M. Mégret, architecte, présenté par MM.Moullat et Chamerlat; la deuxième de M. Allemand, commis principal au ministère de l'intérieur, présenté par MM.A. Granger et P. B. Fournier, et la troisième de M. Kermoysan, chef de bureau au ministère de l'instruction publique, présenté par MM. Fayet et Maillet. Trois commissions sont alors nommées pour renseigner la Sociétésur ces candidatures. Pour la candidature de M. Mégret, la commission se compose de MM. A. Tessier, président de la classe d'architecture, Chaudet et Sageret: — pour celle de M. Allemand, la commission est formée de MM. Maillet, président de la classe de littérature, Fayet et Moultat; — —N°20. 25 JANVIER


— 322 — enfin à M. Maillet encore sont adjoints MM. A. Granger et Bavard de la Vingterie pour la candidature de M. Kermoysan. La correspondance comprend : la Revue artistique et l'Union des arts de Marseille, dont M. Maillet est chargé de rendre compte; —le Répertoire encyclopédique de photographie, de notre collègue M. de la Blanchère; — plusieurs numéros du Messager des théâtres et le Bulletin de la Société impériale et centrale d'horticulture, qui sont déposés aux Archives ; — un numéro du Builder, qui est renvoyé à M. Dufour, — et une lettre de M.Chenavard de Lyon, membre correspondant, annonçant l'hommage qu'il fait à la Société de la seconde partie de ses compositions, ayant cette fois pour objets les poëtes de la Grèce et ceux de Rome. Cette lettre, accueillie avec intérêt, accompagne un important album, dont, M. Matthieu Meusnier est prié de rendre compte. M. le Président signale à la Société l'exécution d'une messe en musique fort bien écrite de M. Charles Maney, qui a eu lieu le. 8 octobre à Saint-Eustache. Celle communication est reçue avec d'autant plus de plaisir qu'elle est en même temps pour l'assemblée une preuve du retour de notre, collègue à la santé. M. Moultat l'ait observer que M. Donaldson, architecte anglais, membre correspondant de la Société, vient d'être nommé membre correspondant de l'Institut, et, propose l'envoi à cet honorable collègue d'une lettre de félicitation. ce qui est décidé. La parole est donnée à M. Bavard de la Vingterie pour lire le rapport qu'il a l'ait au nom d'une commission sur l'Exposition des beaux-arts appliqués à l'industrie, qui a été close le 12 octobre. Ce rapport, étendu et très-circonstancié, est vivement apprécié, et l'impression en est volée en dehors de celle,des Annales, dont toutefois il aura le format. La séance est levée à dix heures et demie. Le secrétaire général, J. E. LAMI.


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SÉANCEDUMARDI22 DÉCEMBRE1863. — Bulletinn° 744. — SÉANCEMENSUELLE PUBLIQUE. Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. A huit heures un quart la séance est ouverte. MlleBarnard exécute sur un magnifique et excellent piano de la maison Pleyel deux morceaux qui lui permettent de déployer toute la grâce et le brillant de son jeu : l'un est intitulé Fantaisie-impromptu, de Chopin, l'autre le Mouvement perpétuel, de Weber. Une jeune artiste, MlleFélix, qui pour la première fois se présente en public, chante l'air de la Muette de manière à faire applaudir une jolie voix guidée par une bonne méthode. MM. Taillefer et Feittlinger, dans un duo d'Haiidée, se distinguent, le premier par les belles cordes de sa voix de ténor ; le second, déjà entendu le 23 décembre 1862, par les progrès dont il l'ait preuve. MlleGanet qui, elle aussi, n'a pas encore affronté beaucoup un auditoire inconnu, chante d'une voix facile et bien conduite un air de la Part du Diable. — Passant du sérieux au plaisant, pour l'aire diversion, le Président annonce la chansonnette le Mari au bal, que vient dire en artiste M. Eugène Fauvre, dont le talent est gaiement applaudi. MlleBarnard reparaît au piano pour exécuter deux morceaux de M. Ravina : un nocturne, Jour de bonheur, morceau encore manuscrit, et une Chanson à boire. Le nocturne surtout, qui, comme tout ce que fait le maître, est écrit avec infiniment de grâce et de goût, est rendu à merveille par l'habile pianiste, et l'accueil fait à cette exécution prouve que l'auditoire a doublement compris. MlleFélix, rassurée par l'encouragement qu'elle a reçu, chante fort bien un air des Noces de Figaro. Le Noël d'Adam est pour M. Taillefer l'occasion de déployer tout l'éclat de sa voix, en même temps qu'il sait la faire passer par toutes les nuances de l'expression. M. Léon Desjardins, qui, dans la séance du 24 novembre, avait eu pour accompa-


gner son violon un piano mal accordé et d'un son détestable, fait entendre, dans des conditions tout à l'ait convenables, la fantaisie d'Allard sur le Trouvère, et l'auditoire peut apprécier tout le mérite du jeu puissant et distingué du jeune artiste, sans être gêné par l'appréhension des mauvais sons de l'instrument accompagnateur. — Le Carillon de la Cinquantaine, paroles d'Ernest Bourget, musique d'Edmond L'Huilier, une de ces chansonnettes où l'esprit se trouve dans les paroles et la musique et qui sont dictées par un bon sentiment, est dite et mimée on ne peut mieux par M. Eugène Fauvre, à qui l'on redemande le dernier couplet. — Dans l'air de Betly, MlleGanet, plus rassurée aussi, l'ait applaudir sa voix facile, jolie, et qui, avec une grande justesse, nuance très-bien le chant. — Enfin le duo du Pré aux Clercs, le Rendez-vous, termine à merveille la séance, et MlleFélix et M. Feittlinger se retirent au bruit des bravos, qui redoublent quand le Président se fait à haute voix, près des artistes, l'interprète des remercîments de la Société, remerciments dans lesquels il n'oublie ni MlleAnaïs Desjardins, qui a accompagné avec beaucoup de talent le morceau joué par son frère, ni MlleHonorine Rollot, aux soins de qui était due complétement l'organisation de la partie vocale de la soirée, et qui est restée presque constamment au piano pour accompagner les artistes pleins de confiance en son habileté. L'un des secrétaires, J. CHAMERLAT.

SÉANCEDU MARDI5 JANVIER1864. — Bulletinn° 745. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures un quart. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. le Président signale la présence de M. Harris, nouvellement élu membre de la Société. M. Harris remercie la Société de l'accueil bienveillant qui lui est fait.


— 325 — La correspondance comprend : une lettre de M. le préfet de la Seine, exprimant son regret de ne pouvoir donner audienceà la Société à l'occasion du nouvel an. Trois numéros du Builder, remis à M. Dufour; — le Bulletinde la Sociétédu progrès de l'art industriel, à M.Fayot; — les Mémoires de. l'Académie impériale des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, à M. Maillet; — le Journal de la Société impériale et centrale d'horticulture, envoyéaux Archives; — la Revue artistique et littéraire, à M. Maillet; — le Répertoire encyclopédique de photographie, par M. H. de la Blanchère, aux Archives; — le Bulletin dela Société française de photographie, aux Archives. Lecture est l'aile d'un compte rendu de la séance mensuelle du 22 décembre 1863, tenue au quai Malaquais ; ce compte rendu est approuvé et sera inséré dans les Annales. Un rapport favorable est t'ait par la commission chargée d'éclairer le vote de la Société sur la candidature de M. Allemand (Joseph-Adolphe), présenté dans la séance du 15 décembre dernier. On vote alors sur la nomination du candidat, et il est admis membre résident de la classe des lettres. M. Horsin-Déon demande qu'une commission soit nommée pour examiner une chapelle peinte à Saint-Gervais par M. Gigoux. Celte commission est composée de MM. HorsinDéon, Dubouloz, Auteroche et Chamerlat. M. Fayot lit un rapport sur une brochure de M. Foi-est de Lyon, membre correspondant, intitulée Biographie du comte de Guidi. Il conclut en demandant le dépôt aux Archives. — Approuvé. M. Harris déclame, à titre de communication, une pièce de vers intitulée le Peintre revenant, de feu Desains, ancien président de la Société. Quoique très-ému et relevant à peine d'une très-grave maladie, M. Harris nous fait connaître un véritable talent de déclamation. Une poésie de M. Sage, ayant pour titre Stradella, destinée à une séance mensuelle publique est, par un vote, admise a une seconde lecture. M. Sage lit la suite de sa notice sur les tableaux de Rubens


— 326 — qu'il a admirés à Valenciennes. Ce remarquable travail sera inséré dans nos Annales. La séance est levée à dix heures un quart. Le secrétaire adjoint, J. CHAMERLAT.

TRAVAUX

RAPPORT

DE

LA

DE M.

SOCIÉTÉ.

DELAIRE

SUR PLUSIEURS

COMPOSITIONS MUSICALES DEM. EDMOND D'INGRANDE.

Messieurs, Pour analyser des compositions de musique purement vocale, comme celles qui vous sont offertes par M. d'Ingrande, c'est-à-dire pour des choeurs sans accompagnement ou dessins et effets d'orchestre et dont le travail harmonique est le principal mérite, il est indispensable d'employer trop souvent des termes techniques, langage un peu étrange pour tous ceux qui ne sont point initiés aux mystères de l'association pratique des sous, je vous prie donc de me pardonner ces termes lorsqu'ils devront se produire pour expliquer nettement ma pensée classique. Ce petit exorde posé, j'entre maintenant en matière ; la première composition et la plus importante, par laquelle je commence mon examen, est une Messe des morts, à quatre voix d'homme, dédiée par l'auteur à la mémoire de son maître Wilhem. Après avoir loué ce témoignage de reconnaissance, je dois faire remarquer que cette messe en ut mineur ne contient que quatre morceaux : le Kyrie, l'Offertoire, le Sanctus, et l'Agnus, lorsque, ordinairement, on comprend clans une


— 327 — messede Requiem, outre ces morceaux, l'Introït, le Graduel, la belle prose Dies irae et le Pie Jesu, ainsi que Tout fait., entre autres Mozart, Plantade, Desvignes, ce dernier dans sa messefunèbre si remarquable, exécutée pendant longtemps à Notre-Damepour l'anniversaire de la mort de Louis XVI. Le Kyrie de la messe de M. d'Ingrande a un caractère bien approprié au sujet, et l'harmonie en est régulière dans toute la première partie qui finit eu mi bémol comme dominante du ton de la bémol dans lequel on va entrer après avoir l'ait entendre successivement sur la pédale mi bémol, l'accord de neuvième de dominante mineure se résolvant sur l'accord de mi bémol,et formant cadence, dèsla première mesure du duoen lu bémol majeur pour ténor et basse qui suit, il y a un saut de mi bémolà la bémol au ténor et de la bémol à ut dans la basse qui donne une quinte cachée, immédiatement après laquinte réelle la-mi, succession défendue par la règle suivante : D'une consonnance parfaite ou impur faite on ne doit pas aller sur une consonnance parfaite par mouvement direct. Le Tutti qui termine le duo a dans la basse un bon effet sous un chant en marche, harmonique de quatre mesures, amenant la rentrée du motif principal en quatuor où se reproduit alors, en ut mineur la pédale et la résolution susmentionnées. L'offertoire est une sorte de plain-chant, note contre note ou contre-point à bouche fermée qui a encore entre les deux basses une quinte cachée qu'il eût été facile d'éviter pour écrire correctement. Le Sanctus, toujours dans la tonalité d'ut mineur et à trois temps, a, dans l'allegro, une suite de suspensions de notes peut-être un peu élevées, suivies d'entrées successivespar imitations qui ont de l'énergie. L'Hosanna in excelsis est largement exprimé par un accord d'ut bémolisé avecquinte mineure queje ne crois pas compris dans la nomenclature des accords et qui se résout par celui de mi bémol majeur formant repos après lequel un solo de ténor accompagné à bouche fermée passe par une marche de tradition, pour arriver finalement à la reprise de l'Hosanna en tutti et, cette fois, sur la bémol majeur se résolvant sur ut majeur. l'Agnus Dei, qui est le dernier morceau, a un joli dessin formulé par la basse et qui est répété en réplique par chacune


— 328 — des autres parties jusqu'à la conclusion close par in cadence plagale essentiellement religieuse. Les trois autres compositions dont j'ai à rendre compte à la société sont intitulées : Avant l'assaut, les Génies de la Terre et l'Union de l'Industrie et des Arts. La première de ces trois est syllabique, imitative d'an bruit de tambours, avec rhythme de marche militaire; quant aux autres, je me bornerai à vous (aire remarquer qu'elles ont obtenu des rappels de médailles à des concours. Le Travail, composition survenue après ce rapport fait, rentre dans la catégorie des autres du même genre. J. A. D.

NOTICE ARTISTIQUE ET HISTORIQUE UN TABLEAUA VOLETSDU MUSÉEDE VALENCIENNES PEINTPARRUBENS ET REPRÉSENTANT TROISSUJETSDE LAVIE DE SAINTÉTIENNE ET UNE ANNONCIATION Présentée à la Sociétélibre des Beaux-Arts. PARM.ALPHONSE l'undesesmembres. SAGE, Messieurs, L'accueil favorable dont vous avez honoré mon premier essai dans la description et l'appréciation des produits des arts m'enhardit à vous en soumettre un nouveau, et je saisis cette heureuse occasion pour moi de vous remercier de la bienveillance que vous avez apportée à cet encouragement. Dans cette notice sur trois des tableaux qui ornent l'église de Montivilliers, j'ai dû, en l'absence de preuves certaines de leur origine, rappeler tous mes souvenirs de comparaison pour en établir la présomption légitime, ou motivée au moins par quelques marques sensibles et caractéristiques, regrettant que la faiblesse de mes lumières me privât d'en découvrir peut-être de plus nombreuses.


— 329 — Mais aujourd'hui j'ai la bonne fortune d'avoir à vous entretenir d'une oeuvre d'art dont l'authenticité est incontestable, et nous sommes en plein Rubens. C'est le musée de Valenciennes qui en est l'heureux possesseur. N'eussé-je été soutenu que par l'attrait puissant de fouiller dans un tel trésor, et livré aux seules ressources de mes propres inspirations, j'aurais entrepris avec bonheur la description et l'analyse de cette oeuvresi importante do ce grand maître; mais j'ai eu la chance favorable de pouvoir recueillir des renseignements nombreux, écrits ou verbaux, sur la date etle motif de sa création, les circonstances diverses qui s'y rapportent, et même les vicissitudes qu'a éprouvées cette admirable production ; et je me permettrai d'y joindre mon opinionparticulière, selon la probabilité raisonnée de la sûreté de ces renseignements. Avant d'entrer dans la narration des faits historiques dont ilest l'objet, je vais essayer de vous faire connaître, sous le rapport artistique, ce magnifique et quintuple tableau, ou plutôt ces cinq irrécusables preuves du génie fécond et du talent immense dont la renommée s'est attachée si justement au nom de cette gloire de la peinture. Cependant, je dois ménager les termes élogieux, car, dans le cours de cette description, je serai si souvent obligé de les employer, que j'en manquerai bientôt absolument ou que je serai contraint de les répéter. Pour justifier ces paroles, il suffit d'ajouter que, revoyant ce chef-d'oeuvre pour la quatrième fois, j'y ai découvert encore tant de beautés nouvelles, que je ne fais que céder à mon admiration en entreprenant de le décrire. Voyonsd'abord la partie matérielle : Comme je viens de le dire, cet ouvrage est composé de cinq tableaux. C'est un triptyque, ou tableau à volets dont les deux parties latérales n'ont que moitié de la largeur de celle du milieu. Ouvert, il représente une trilogie, car c'est un drame complet en trois actions dé la vie. de saint Etienne : l'Apo23.


— 330 — stolat, la Lapidation et la Mise au tombeau, disposées dans l'ordre chronologique que j'annonce, et de gauche à droite. Il est de grande dimension. La Lapidation, qui occupe le milieu, mesure quatre mètres trente-sept centimètres de hauteur surdeux mètres quatre-vingts centimètres de largeur. Les sujets latéraux ont quatre mètres seulement sur un mètre vingt-six centimètres de largeur, et la différence sur la hauteur, à l'égard de celui du milieu, est partagée également entre le haut et le bas, dans un cadre uni, en bois noir verni, qui sert de fond à tout l'ensemble. Une bordure dorée, étroite mais suffisante, encadre à angles droits chacune de ces trois parties et fait bien ressortir la peinture. Refermé, il offre une Annonciation, séparée sur la largeur par la même bordure et le même cadre noir, de manière à faire deux tableaux détachés, dont celui de gauche présente la Vierge, et celui de droite, l'ange Gabriel. Ils sont de même dimension que l'Apostolat et la Mise au tombeau. La Lapidation ou le Martyre est sur toile. Les quatre autres sujets sont sur bois, deux par deux, l'un devant et l'autre derrière, et sur le même panneau. Je passe à la description des tableaux, dont les figures sont, dans tous les cinq, plus grandes que nature. 1° L'APOSTOLAT. Saint Etienne, diacre, annonce l'Evangile dans le Sanhédrin, et confond les docteurs de la Synagogue. Les docteurs s'irritent contre lui, l'entourent, l'interpellent tous ensemble et le menacent déjà. A gauche, et montant les degrés qui mènent à un temple de l'ordre dorique, saint Etienne est arrêté par un groupe de docteurs. Il est revêtu de ses habits sacerdotaux. Son aube blanche et plissée est recouverte d'une ample dalmatique de velours pourpre, à ornements en or entremêlés de petits panneaux ou compartiments brodés en soie de diverses couleurs, et


—331— représentant le Christ, la Vierge, et autres symboles du culte chrétien. Sa tête est nue. Sa chevelure blonde, courte et coupée en rond selon l'usage clérical, laisse voir sa tonsure, et est environnée d'une auréole rayonnante, mais très-basse. Une barbe légère couvre le dessous du menton, et le caractère de son visage annonce la jeunesse. Il étend le bras et la main gauches vers le temple, et sa main droite, dont le bras est plié, suit la même direction. Quatre docteurs sont devant lui. Leurs costumes variés, très-étoffés comme toujours chez Rubens, mais sans l'excès où le poussent souvent le sentiment et l'amour du large et du riche, sont ici presque exempts des anachronismes qu'on remarque dans plusieurs de ses compositions, notamment dans l'Adoration des Mages, dans Thomyris, etc., et ils ne paraissent pas discordants avec le sujet et l'époque, mais se ressentent encore de sa fantaisie inépuisable. Deux d'entre ces docteurs sont coiffés de leur manteau même, très-long, et remonté sur leur tête de manière à couvrir le front. L'un d'eux, sur le premier plan à droite, et dont le manteau est en soie damassée d'un ton lilas, en porte la doublure, qui est d'hermine, retroussée en dessus, ce qui forme un bandeau de cette noble fourrure au-dessus de sa tête, qui accuseune vieillesse octogénaire par sestraits profonds comme par sa barbe blanche, longue et tombante. Il relève son manteau de la main gauche, en dessous et par derrière, ce qui découvre une longue tunique en velours bleu de ciel, richement terminée eu bas par une frange d'or très-haute, et sur le galon de laquelle sont brodés des caractères hébreux. C'est aussi un costume sacerdotal, sous lequel on aperçoit une robe blanche. Sousson bras gauche est un livre d'un grand format, que le mouvement de la main du même côté, cl qui soulève le manteau, force la main droite à retenir ; et cette main presse le livre avec une énergie qui, d'accord avec l'émotion des traits de son visage, exprime comme eux sa colère contre


—331— le saint, qu'il semble apostropher de son regard irrité. Placée à quelques marches au-dessous, toute cette figure décrit une courbe pour se redresser vers lui, on levant la tête et les yeux, et ce mouvement de bas en haut est d'un ensemble agressif d'autant plus remarquable que le grand âge de ce prêtre y ajoute un contraste affligeant. C'est à lui que saint Etienne paraît répondre plus particulièrement en abaissant son regard de son côté. L'expression de douceur de la figure du saint, où la lèvre supérieure légèrement relevée et la dilatation des narines trahissent une certaine émotion, n'ôte pas à ses traits les marques dela conviction et de la fermeté. Ensuite de ce docteur, et plus élevé sur les degrés du temple, est le second, dont la tête est couverte d'un bonnet en étoffe écarlate, tout uni, et qui en suit exactement la forme, avec des pattes descendant sur les oreilles, semblable à celui d'un des portraits de Michel-Ange. Il est enveloppé d'un grand manteau noir, dont l'envers, également écarlate, retombe sur son dos en large camail. Son visage, qui annonce aussi un âge avancé, est complétement rasé. Sa main saisit au coude le bras droit plié de saint Etienne, et ce geste interrogatif, impérieux et presque insultant par sa familiarité, est très-expressif et suffit à l'action de ce personnage. Après fui, et derrière par rapport au plan, se montre le troisième. C'est un homme dans la force de l'âge. Un manteau d'un vert foncé lui sert aussi de coiffure, descend presque sur les yeux et fait l'effet d'un capuchon. Sur le sommet de la tête est attachée une inscription hébraïque, tracée sur un parchemin très-blanc ou un linge très-roide, et qui se maintient en l'air verticalement. On ne voit de ce docteur que la tète, à barbe drue et d'un châtain roux, au teint et aux yeux enflammés, grinçant les dents, et qu'accompagne seulement un poing fermé, crispé et menaçant, et qui semble trembler de fureur. Cette tête fait deviner le reste de la figure : on croit la voir tout entière. Le quatrième docteur, tout à fait au fond et à la gauche du saint, exprime l'étonnement qui précède la colère.


— 333 — Son visage, rond et plein, offre ce frais coloris familier à Rubens, et annonce un vieillard d'une santé énergique. Sa barbe est blanche et longue, niais fournie abondamment. Il estcoifféd'une ample calotte de velours violet. Il saisit d'une étreinte convulsive le bâton qui lui sert d'appui, et ses deux mains, superposées à distance, et dont le pouce de la droite est fortement appuyé sur le bout supérieur du bâton,révèlent bien le sentiment dont il est rempli. Cesquatre figures, de nature et de tempérament différents, ont toutes le relief ordinaire à ce maître, agissent aisémentdans l'air qui circule librement parmi elles malgré leur rapprochement, et leurs mouvements se coordonnent parfaitement pour former un ensemble d'animation vindicative qui contraste avec le calme répandu dans toute celle de saint Etienne, et prépare bien le deuxième tableau. 2° LALAPIDATION. Entraîné hors des murs de Jérusalem, poursuivi par les clameursféroces de la populace, insulté, pourchassé, frappé, saint Etienne est parvenu à un endroit où la foule se resserre autour de lui, et se dispose à consommer son oeuvremeurtrière et sacrilége. Il est encore couvert de ses vêtements sacrés, et ses mains sont indignement liées derrière lui. Poussé avec violence, et atteint à la hanche parle pied d'un homme du peuple, il tombe sur les genoux au bord d'un tertre peu élevé, mais au bas duquel l'atteinte qu'il reçoit va sans doute le précipiter. Les cheveux en désordre, blessé à la tète d'où le sang coule, et pâli par les souffrances physiques des mauvaistraitements qu'il a déjà subis ; mais la face sereine, pleine de résignation, et respirant la certitude de la récompense qu'il va recevoir de ses tourments, et où il puise le sentiment de résistance qui doit lui assurer la victoire, heureux d'offrir ses douleurs en sacrifice au ciel qui assiste à son martyre, il tourne les yeux vers lui, et la splendeur qui s'y déploie mêle l' extase à leur expression. L'impulsion de sa chute est de droite à gauche, et son


— 334 regard, dirigé dans le sens contraire, amène un mouvement de torsion du cou et de la tête, et même de la partie supérieure du corps, qui fait remarquer la gêne de son supplice en conduisant l'oeil jusqu'aux liens dont ses mains sont entravées, et fait plafonner son visage, qui en acquiert une nuance plus profonde d'ascétisme. Celte pose est très-savante, en ce qu'elle reproduit naturellement une attitude forcée qui est bien en situation. Qu'il me soit permis ici, messieurs, de louer le bon goût de Rubens d'avoir écarté les femmes et les enfants des groupes qui environnent immédiatement le martyr, et surtout ceux do ces derniers qui font l'office de pourvoyeurs de projectiles des exécuteurs. On ne manque jamais de les introduire dans les compositions du même sujet, et bien qu'on puisse alléguer que cette circonstance populaire est malheureusement naturelle, j'ai toujours regretté de l'y voir admise. Ce drame horrible peut se passer de ce détail, et je n'en veux pour preuve que ce tableau si bien conçu dont j'ai l'honneur de vous faire la description à laquelle je reviens. Un groupe nombreux remplit toute la droite derrière saint Etienne. L'homme qui le frappe du pied en occupe le milieu, et le partage. Il est nu, sauf le milieu du corps, où s'enroulent, autour des cuisses et des reins, les plis d'une draperie verte remontant par derrière sur l'épaule droite qu'on ne voit pas. Ce vert foncé fait ressortir le ton basané des chairs, et le torse, les bras et les jambes démontrent une science musculaire que l'action de cet homme rend encore plus saisissante par son extrême énergie. Les cheveux d'un blond roux, au vent, et chassés en arrière, la bouche entr'ouverte, les yeux sortis de leur orbite, il élève, en la pressant à deux mains au-dessus de sa tête, une énorme pierre dont il menace celle du saint, qu'il regarde avec rage, et cet élan terrible, qui se manifestedans toute celte figure jusqu'à la contraction des pieds, doit être fatal au martyr. À la droite de cet homme, et successivement à côté l'un de l'autre en allant vers le fond, trois autres hommes ont le bras droit levé pour lancer une pierre, et leur bras gauche, dont le poing est serré, décrit en revenant sur la poitrine ce


— 335 —— mouvement courbe qui augmente la force du jet de l'autre bras. Dans cette action simultanée, leur attitude est variée. Le premier est un nègre, vêtu d'une casaque rouge. Sa présence ajoute encore à l'aspect vulgaire de ce groupe. Il se rejette presque en arrière. Le second se penche en avant pour frapper de plus près. Il a le torse et les bras nus, et le modelé de cette figure, trèssecondaire, n'en a pas moins éveillé les soins du maître. Il a voulu donner une valeur réciproque à celte carnation fraîchede ton qui contraste avec celle du premier homme basané, et dont il n'est séparé que par le vêtement rouge du nègre et sa tète très-noire. Remarquez, messieurs, le bon choix de ce ton rouge, qui, en forçant les teintes brûlées de la première figure, y jette cependant quelques reflets brillants et s'accorde avec la fraîcheur de celles de l'autre. Supposez à sa place le torse nu du nègre : il eût terni les premières, et fait une disparate choquante avec les secondes. Le troisième, il faut le dire, est d'un type et porte un ajustement de tête peu satisfaisants. Son bonnet écarlate est posé surle front, et une barbe et des cheveux blancs et courts complètent cette figure, la seule dont la tête ne soit pas nue. Passons sur ce détail consciencieux, mais dont l'objet est imperceptible dans cette oeuvre. Un autre détail, important par l'effet qu'il produit, c'est la présence d'un chien, noir, et de forte race, qui s'élance entre lesdeux premiers de ces hommes. Ses yeux flamboyants brillent entre leurs jambes, et sa gueule saisit et déchire la dalmatique du saint. On croit entendre ses aboiements furieux se mêler aux vociférations de cette populace, et le tumulte s'en accroît réellementà l'imagination. En avant de l'homme que j'ai décrit le premier, et placé au bas du tertre dont j'ai parlé, un autre homme, d'une nature toute différente, se dépouille de ses vêtemenls. Le mouvement de ses deux bras, qu'il porte en arrière pour les retirer des manches de sa tunique, fait légèrement


— 336 — incliner en avant sa tête forte et à cheveux grisonnants, épais et courts, et poser son menton sur sa poitrine, ce qui met en avant un torse puissant et replet, mais où de larges pectoraux et la plénitude générale des chairs n'enlèvent rien à la fermeté des muscles, et où la fraîcheur du coloris s'allie bien au ton bleu clair de la draperie. En avant tout à fait, et au premier plan à droite, le dernier de ce groupe, complétement vêtu, et un genou en terre, appuie sa main gauche, dont il se soutient, sur les divers vêtements qu'ont quittés presque tous ceux qui prennent part à cette lapidation, et notamment ceux.qui, ayant porté témoignage, ont dû frapper les premiers. Son bras droit, qui s'étend en avant vers un des lapidateurs qui les a conservés, semble les lui demander pour les joindre aux autres. Celui-ci se développe entièrement au premier plan à gauche, et se trouve placé au-devant du saint. Sa main droite, dont le bras est roidi avec force, tient étroitement serrée une pierre qu'il s'apprête à lui lancer pardessous, à la tête. Dans celte action, toute la partie supérieure s'incline, et le bras gauche revient avec le poing crispé sons l'aisselle droite, entraîné par le mouvement que l'autre bras imprime à tout le corps ; et pour le compléter, l'une des jambes s'étend en arrière tandis que l'autre se plie en avant, et en soutient le poids. Toutes ces lignes sont superbes. Une draperie bleu de ciel, très-légère, le couvre depuis les reins jusqu'aux genoux, flotte autour du torse, et le laisse voir, ainsi que les bras et les jambes. Cette figure, qui se présente presque de dos, est d'une franchise d'altitude et d'une énergie d'action du plus bel effet. Le bras droit descend vigoureusement, en partageant le corps qui se tord imperceptiblement, comme pour mieux assurer le coup destiné au martyr. Le visage est vu d'un quart à peine, et la tête est couverte d'une chevelure courte et très-fournie qui annonce la force d'une jeunesse formée. A sa gauche en remontant dans le tableau, un homme de quarante ans environ, d'une complexion forte et d'un tempérament ardent, est vu de profil, et se baisse pour ramasser une pierre de chaque main.


— 337 — Commele précédent, il a les cheveux châtain roux, courts et abondants, et au travers de sa barbe toufue et solide on devine un mouvement menaçant des lèvres produit par la colère dont il est saisi. Caché en partie par le premier, on ne voit que la moitié supérieure du corps, et la jambe pliée qui le soutient. Cesdeux figures, qui remplissent la gauche du tableau de manière à contre-balancer par leurs qualités diverses le côté droit, si plein et si dramatique, sont magnifiques quant au modeléet à la vérité de ton des carnations ; mais, sous ce rapport, la dernière est hors de toute comparaison. Sa tête, dont le coloris s'anime à lafois et du sentiment de la colère et de l'altitude forcée qu'il prend en se baissant, est vivante, et la vie se manifeste également dans le torse, les bras, et notamment dans un dos superbe vu en dessus. On aperçoit ensuite deux tôles de docteurs, qui, le poursuivant de leur haine implacable, sont venus jouir du supplice du martyr. Il y a là une singularité remarquable ; c'est un hors-d'oeuvre, et j'aurai à y revenir. Un pavillon, ou tour à coupole se voit dans le fond à gauche. Il est d'ordre dorique, et est suivi d'une autre construction qui doit être le rempart de la ville. Dans le fond aussi, deux soldats coiffésde casques, et dont on ne voit que les bustes derrière un accident de terrain, regardentde loin cette exécution populaire. Un beau fond de ciel bleu remplit tous les intervalles, et l'ait ressortir parfaitement les vêtements et draperies, ainsi que les carnations et tous les accessoires. Dans l'aspect général de la partie inférieure de celle admirable page, l'oeil est attiré d'abord vers le saint, qui, tombé au milieu de la scène qui s'y produit, se trouve en face d'un groupe dont la position détermine le lieu où elle doit recevoirsa fin; tandis que le flot de peuple qui le poursuit en l'accablant d'outrages présente un ensemble d'entraînement auquel le chien, qui s'y môle si furieusement, donne lecaractère d'une meule affamée,qui fait une horrible curée d'un cerfaux abois. Mais détournons les yeux de la terre où des bourreaux fa-


— 338 — natisés accomplissent ce sacrificesanglant, et suivons le regard de la victime, pour jouir comme elle du spectacle sublime qui s'offre à la vue dans la partie supérieure de ce chef-d'oeuvre. Le ciel s'ouvre en effet, et l'on est ébloui. Adroite, au milieu de nuages d'un ton gris soutenu, et qui, en formant la base du tableau céleste, le détachent de la scène terrestre et font opposition à l'éclat de la région la plus élevée, le Père Eternel est assis. Il est enveloppé d'un vaste manteau. Sa main gauche est appuyée sur le globe du monde, et la droite sur la cuisse du même côté. Son divin visage est complétement encadré par sa chevelure blanche, longue et épaisse, mais souple, soyeuse et trèscalme, qui, séparée au.sommet de la tête, descend de chaque côté, et se mêle à une barbe dont les flots majestueux reposent sur sa poitrine. Le ton argenté qui y brille s'allie harmonieusement au jaune très-pâle, et à peine teinté, du manteau qui semble d'or. La sérénité la plus grave est répandue sur ce visage impassible et en domine l'expression. Ce n'est pas la beauté large et puissante du maître des dieux de l'Olympe ; ce n'est pus non plus ce caractère profond et énergique de souveraineté que le divin Raphaël a imprimé sur la face du Tout-Puissant dans son admirable composition de la Vision cl'Ezéchiel; mais c'est bien le Créateur de l'univers chrétien. La pensée serefuse à assigner un âge à cet aspect vénérable : c'est l'Éternel ! La fixité de son altitude et de ses traits force l'attention à y reconnaître l'Immuable; et le manteau, qui ne laisse voir que sa tête et ses mains, est l'emblème certain de son impénétrable volonté. Il voit, sans regarder, s'accomplir un événement dont il avait marqué le temps, et sur son front comme dans ses yeux réside la science de l'éternité ! Et puisque l'infirmité de nos perceptions nous oblige, dans les arts, à revêtir Dieu de la forme matérielle de l'homme, et même de ses vêtements, je déclare que je n'ai pas encore vu une figuration de l'Être divin qui fût ennoblie davantage par


— 339 une plus grande supériorité du type et une dissemblance plus heureuse de l'humanité. Asa droite, le Christ est debout. Un rayonnement immense, dont sa tête est le centre, monde tout ce qui l'environne de son ardente lumière, et les derniers nuages en reçoivent, les reflets dorés. Son manteau, d'un rouge très-adouci, diaphane, et qui l'entoure de ses plis ondoyants, estretenu par sa main gauche, etlaissedécouverts le torse, les deux épaules et le bras droit. Cebras droit est dirigé vers le martyr par un sentiment de pitiéque la main indique plus expressément en se soulevant et s'ouvrant un peu, et auquel le corps et la tête même du Christ s'associent par une inclinaison légère ; et l'ensemble doce mouvement exprime la commisération dont il honore le martyreet la loi triomphante du saint, dont un rayon de sa gloire vient éclairer la tête. N'admirez-vous pas, messieurs, le génie du grand artiste philosophe qui, en réunissant sur la ligure du Père céleste tousles signes d'impassiblité, en élève encore le caractère de grandeur et de puissance, et qui, par une combinaison adroite, ou plutôt en suivant la règle invariable des oppositions, celle loi inévitable, applicable à tout, et infaillible pour produire l'effet dans les arts et les lettres, attribue au Dieu rédempteur une émotion où se révèlent à la foisle souvenir de sessouffrances mortelles, et sa miséricorde inépuisable, base d'une religion de foi, d'espérance et d'amour qu'il est venu lui-même enseigner aux hommes? C'est par ces grands traits, dont Rubens est prodigue , qu'il se serait placé au premier rang des artistes poëtes, s'il n'était d'ailleurs le prince des peintres ; mais ces deux éminentes qualités se trouvent ici réunies au suprême degré. Le groupe divin, dont la proportion relative dans celte grande toile ne paraît que de demi-nature, et remonté dans l'anglesupérieur de droite, en acquiert un éloignement qui agrandit tout l'espace, et le place littéralement dans les airs ; c'est encore une sagacité picturesque que ne montrent pas une infinité de bons maîtres. Celte heureuse idée a permis à Rubens, pour ce groupe,


— 340 — et un autre dont je parlerai tout à l'heure, d'employer une finessede louche, de se livrer à une recherche de détails, à un soin d'achèvement qui ajoutent, au delà de ce qu'on peut dire, à leur caractère céleste et à leur divinité, et produisent même un effet d'optique entraînant. C'est toujours Rubens, mais Rubens vu à rebours du microscope, et réduit en une délicieuse miniature où le relief de sa large facture conserve à l'ensemble toute sa clarté, aux figures, toute leur expression, et aux détails, toute leur certitude et leur appui. La ligure du Sauveur, entièrement découverte jusqu'aux hanches dont le manteau laisse voir la naissance supérieure, et sauf le bras gauche que recouvre ce manteau, offre dans tous ces nus une fraîcheur de coloris, une suavité de contours et de modelé, une beauté de formes qu'il faut renoncer à décrire. C'en est la perfection. La beauté humaine la plus accomplie, et même la beauté antique, si noble et si pure dans son idéal, conservent encore quelque chose de terrestre. Ici, c'est l'assemblage merveilleux de tout ce dont l'imagination de l'homme petit composer la beauté physique parfaite, mais qu'un Dieu ne devait accepter qu'en la revêtant d'une part de divinité qu'il pouvait seul lui donner. Rubens lui a dérobé ce secret. Celte magnifique personnification, éclairée partout au milieu de cette gloire resplendissante, reçoit sur le côté droit des effets de clair-obscur apportés par le bras et la chevelure tombante dont la vérité égale la nature. L'oeil tourne, en réalité, au travers de ces mille échos de lumière, autour de ce torse admirable. La somme immense de clarté qui y est répandue y cause la présence d'une foule de demi-teintes si délicatement fondues, qu'une attention soutenue cl persistante peut seule les découvrir dans ce foyer de lumière éblouissant. Au bas du manteau se montre un seul pied, posé si fermement sur le nuage, qu'il imprime une assurance complète à toute la figure dont il détermine la proportion. Celle fermeté remarquable est obtenue par un secret de pinceau qui échappe aux recherches. La tête, de trois quarts comme toute la figure, est le digne couronnement de la beauté surhumaine de celte représenta-


— 341 — lion du Dieu fait Homme ; c'est aussi le modèle achevé de ce qu'elle doit réunir de noblesse, de grâce, de bonté, de sainteté. La longue chevelure, d'un blond modérément vif, est rejetée toute en arrière sur le côté gauche, et laisse ainsi admirer un col et une épaule hors de toute description. En tombant sur le côté droit, elle vient habilement projeter sur Iaface une ombre qui y constitue le modelé le plus parlait. L'expression est celle d'une mansuétude et d'une charité ineffablesqui se répandent même dans toute l'altitude. La cicatrice de la blessure mortelle reçue sur la croix, et qui apparaît à son flanc, ajoute à cette disposition généreusela preuve de l'oubli des injures et l'assurance du pardon. Au centre de la composition, et dans des nuages argentés et vaporeux, trois anges d'un ordre supérieur forment un groupe délicieux. C'est celui que j'ai annoncé. Ils occupent l'espace entre le Christ et le saint, et, par leur action immédiate sur lui, établissent un lien entre le ciel et la terre. Celuiqui en est le plus rapproché, soutenu par de magnifiquesailes blanches, enveloppé, ou plutôt accompagné par une ample draperie d'une éclatante blancheur, abandonnée auvent, et dont la légèreté permet à l'oeil de reconnaître tous les détails de son attitude, descend mollement couché dansles airs et sur le dos, et présente ainsi des raccourcis savantsqui n'ôtent rien à l'aisance de ses mouvements gracieux.Ses jambes semblent flotter aussi dans les airs. Sa main droite tient la couronne de palmes, et son bras, qu'il laisse tomber, l'approche tout près et au-dessus du front du saint, vers lequel il tourne la tète et les yeux avec une expression de pitié et d'anxiété. Son autre main, dont on ne voit que les doigts tins et élégants, s'appuie sur le poignet gauche d'un second ange, entouré d'une robe rosâtre transparente, et qui, sollicité par cettedouce pression, se penche et s'avance pour considérer le martyr par-dessus le corps du premier ange, avec un intérêt où se mêle la vive satisfaction de le voir triomphant dans celte épreuve suprême, et mériter la palme qu'il lui montre en l'élevant de son bras droit.


— 342 — Le mouvement intime et fraternel de ces deux anges est plein de charme: il semble voir deux jeunes femmes amies se faire une tendre confidence. Le troisième ange, au-dessus des deux premiers, et dont on ne voit que la tête et un bras, regarde le groupe divin en lui montrant une autre couronne, qui est de fleurs et qu'il destine à la béatification du martyr ; et les traits de son visage portent l'empreinte noble et fière du sentiment de bonheur que le triomphe du saint lui inspire. La limite entre la femme et l'ange est facile à franchir pour le peintre et le statuaire obligés de prendre la première pour modèle du second. Si la différence qui doit néanmoins exister entre ces deux caractères de physionomie est outrée, ils risquent de trop humaniser, de matérialiser ces esprits célestes; et quant à moi, je préfère qu'ils tombent dans l'excès contraire. Rubens a choisi ce dernier parti dans l'exécution de ce groupe délectable, et ces trois anges sont trois femmes ; toutes trois d'une nature et d'une physionomie différentes, et toutes trois charmantes. Le premier rappelle le caractère de ses femmes flamandes, mais dans l'acception la plus pure de lignes et la plus noble d'expression. Ses cheveux, blonds et dorés, flottent largement. La chevelure du second est d'un blond cendré presque exagéré de ton. Ses traits extrêmement fins, et empreints de l'ingénuité d'une jeune fille, en montrent aussi l'enjouement. Cette tête, éclairée en dessous par le reflet de la robe blanche du premier ange qui reçoit les rayons lumineux d'en haut, est réellement féminine. Le reflet qui la rend trèspâle est d'une vérité d'effet inconcevable. Le troisième, par son expression victorieuse, ses grands yeux pleins de noblesse et d'enthousiasme, et le bel ovale de son visage, a beaucoup de ressemblance avecce qu'on appelle, en belle part, une femme de cour. Je ne serais pas surpris que ces trois anges fussent trois portraits. Voilà donc aussi bien que j'ai pu le faire, et beaucoup audessous de ce qu'il faudrait qu'elle fût, la description de


ce magnifique tableau de la Lapidation de saint Etienne. Entraîné à y donner à chaque figure, à chaque groupe, l'étendue nécessaire pour les faire comprendre, je me suis interdit à chaque pas de me laisser aller à mon admiration pour les innombrables beautés de détail dont il est rempli ; souvent par l'impuissance même de l'exprimer. Il me reste pourtant a vous donner une idée de l'ensemble de cet ouvrage d'élite. Malgré la difficulté d'y parvenir, j'y vais lâcher. Un grand parti pris de lumière frappe d'abord. Toute la partie inférieure, que j'appellerai terrestre, est éclairée par un jour calme, mais franc, et tout s'y détache avecun relief d'oppositions, et un coloris vigoureux, frais et brillant qui ne peuvent être surpassés. La galerie de Médicis n'offrerien de plus exprimé. La haute partie céleste, toute ardente defeux et de vapeurs, s'éclaire savamment dans une gamme de tons très-affaiblis, et par ce moyen, contraste vivement avec l'autre et s'en éloigne merveilleusement. L'effet est magique, et le groupe intermédiaire des trois anges, plus arrêté dans les contours, d'un modelé plus positif et plus relevé de tons, quoique trèsadoucisencore, et bien qu'appartenant au groupe divin, en augmentel'éloignement et marque les distances. Un autre effet général se produit: c'est celui de l'impression morale. En considérant cette composition d'une si haute portée philosophique et religieuse, une gradation de sentiments s'établit peu à peu, et l'on parcourt une suite d'aspects, toujours ascendante, où se manifestent la profonde conception, l'imagination riche et dramatique, et le calcul habile d'expression de ce génie supérieur, et où la pensée découvre la destinée presque fatale du juste et du sage. Et, en effet, les docteurs, le peuple, les anges, le Christ et le Souverain dispensateur de toutes choses, n'offrent-ils pas l'image emblématique et successive des combats, des espérances et du triomphe, si souvent tardif, de l'homme de bien et de l'homme de génie ? Remplis de l'esprit de la vérité, ils l'annoncent, et voient aussitôt s'élever autour d'eux la haine et l'envie, qui les livrent au mépris et aux fureurs, si promptes, de la foule igno-


— 344 — rante. Forcés de chercher un refuge au-dessus de l'humanité, ils y trouvent les vertus consolatrices qui les soutiennent en leur montrant la vérité elle-même pour laquelle ils combattent, et qui appelle l'éternité à couvrir leur nom d'une gloire impérissable, mais dont ils jouissent rarement ! Rubens, on n'en saurait douter, s'est placé ici dans cette sphère d'idées inspiratrice. J'ai indiqué, en passant, les qualités les plus remarquables des ligures qui concourent à l'action dans cette oeuvre où presque tout est irréprochable. Je me suis livré à mon enthousiasme à l'examen des deux sublimes expressions de l'Eternel et du Christ, mais j'y ai épuisé les formules d'admiration, et je ne peux qu'y adjoindre le groupe des anges: C'est une corbeille de fleurs ! Il y a là un ange, le premier indiqué, dont les carnations sont indescriptibles, et à qui, nouveau Prométhée, Rubens a donné la vie : la bouche respire ; les yeux voient ; la poitrine, qui est une merveille, palpite ; le sang circule sous cette moelleuse enveloppe que l'air caresse amoureusement ; les bras, les mains, et jusqu'aux pieds, tout est vivant, tout se meut. Le second ange est, sous ce rapport, presque égal à l'autre; et, en contemplant ces deux groupes et tout l'ensemble de la partie céleste, on croirait que, sans abandonner son sceptre, le roi de la couleur splendide et de la nature vivante , traversant l'Europe et s'emparant de celui de cet autre roi de la forme exquise et de la pensée élevée, ait voulu les réunir un moment dans sa main puissante pour prouver que celle brillante alliance n'est pas au-dessus des forces de l'artiste, et que, sous l'influente de ces hautes inspirations, le génie et le talent peuvent s'asseoir ensemble sur ce double trône. Je ne veux pas, messieurs, abuser de votre attention, et je m'arrête. Il me reste à vous l'aire connaître la dernière partie de cette trilogie, et les deux autres qui composent l' Annonciation. J'aurai l'honneur d'en l'aire l'objet d'une autre et prochaine communication. ALPHONSE SAGE. ETCOMP., 1. FAIMS.— TYPSIMON BAÇON RUE D'ERFURTH,


369

PROCES

SEANCE

-VERBAUX.

DU MARDI19 JANVIER 1864. — Bulletinn° 746. —

Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. Laséance est, ouverte à huit heures et demie par l'adoption du procès-verbal de la précédente séance. —M. Allemand, nommé membre résident CORRESPORDANCE. la classe des lettres dans la dernière séance, remercie la de Sociétéd'avoir bien voulu l'admettre et lui promet une collaborationactive et dévouée ; il termine cette lettre, très-flatteuse pour la Société, en exprimant le regret de ne pouvoir assister à la séance de ce soir. — MM.Tessier et,Horsin-Déon écrivent pour rendre compte des différentes missions dont ils ont été chargés. Deux numéros du Builder sont remis à M. Dufour; la Prévueartistique, à M. Maillet; l' Investigateur, journal de l'Institut historique, à M. Auteroche; la Revue du Progrès, à M. Delaire ; le Journal de la Société impériale et centrale d'horticulture et quatre numéros du Messager des Théâtres, sont envoyés aux Archives. Une Commission est nommée pour examiner un ouvrage important de M. Jules Labarte, intitulé le Palais de Constantinopleet ses abords; elle est composée de MM.Bayard de la Vingtrie, Villemsens et Sageret. M. Mathieu Meusnier est chargé d'un rapport sur un groupe «le MmeLéon Bertaux, destiné à la place Longueville, à Amiens, et qui est en ce moment exposéaux Champs-Elysées. M. Lambert communique le programme du concert du mardi 26 janvier. M. Bayard de la Vingtrie lit une pièce de vers dont il est l'auteur, intitulée Grand et petit. Les applaudissements de la _ N°21. FEVRIER 24


— 370 — Société confirment le succès que cette poésie a obtenu la veille dans la séance mensuelle publique de l'Athénée des Arts. Un rapport favorable est fait par la Commission chargée d'éclairer la Société sur la candidature de M. Kermoysan, présenté par MM. Fayet et Maillet. On vote sur celte candidature. M. Kermoysan et admis membre résidant de la classe des lettres. Une autre Commission, composée de MM. Horsin-Déon, Dubouloz et Garnier, appuie la candidature de MM.BrunnerLacoste et Tillier, peintres, présentés, dans la séance du 5 janvier, par MM. Auteroche et Chamerlat. On passe au scrutin, et MM. Brunner-Lacoste et Tillier sont proclamés membres résidants de la classe de peinture. M. Sage fait une seconde lecture de Stradella, pièce devers de sa composition, destinée à notre prochaine séance mensuelle publique. Cette poésie est définitivement admise. La séance est levée à dix heures. L'un des secrétaires adjoints, J. CHAMERLAT. SÉANCEDU MARDI26 JANVIER1864. — Bulletinn° 747. — SÉANCEMENSUELLE PUBLIQUE. Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. Des retards imprévus font que la séance ne peut être ouverte qu'à huit heures et demie, et encore c'est grâce à l'obligeance de M. Bloch, qui en l'absence des artistes portés les premiers à l'ordre du jour, accepte de commencer que l'exécution musicale est annoncée. Sous quels auspices plus gais d'ailleurs pour le plaisir de la soirée pouvait-on répondre à l'impatience de l'auditoire? M. Bloch chante avec son succès accoutumé les Mémoires d'une Bergère, de Parisot; et Ma femme est un ange, d'Alfred Mignard ; — l'air de la Muette est ensuite interprété par MmeViguier-Testard. —


— 371 — Pithon-Chéret fait applaudir son jeu plein d'expression Mme en exécutant sur le piano le Carnaval espagnol, de Ch. Delioux. — M. Bach, qui l'année dernière à la même époque venait pour la première fois nous prêter le concours de sa charmante voix de ténor, dit à merveille un air de la Fille du régiment, de Donizetti. — Dans une pièce en vers intitulée Stradella, notre collègue, M. Alphonse Sage, décrit le pouvoirdu talent de l'artiste en général tout en parlant de celui qu'il a pris pour sujet. — M. Bloch reparaît et par deux chansonnettes de V. Parisot : le Petit Chinois joli et le Crime de Lustucru, provoque une gaieté dont il a tout lieu d'être satisfait. —Deux morceaux, les Adieux de Marie Stuart, de Servais, et la Musette, d'Offenbach, sont pour MlleHélène de Kalowl'occasion de faire apprécier l'expression et l'habileté de son exécution sur le violoncelle. — Dans l'air de la Chanteuse voilée, de Victor Massé, M. Bach déploie tout le charme de sa voix et il reçoit un vif témoignage du plaisir qu'il cause. — Mlle Minna Ruthard fait entendre une fantaisie de sa composition sur la cithare, instrument bien connu en Allemagne et fort peu en France. Cette fantaisie, remplie de jolis motifset la gracieuse artiste qui l'exécute sont chaleureusement accueillies. — La grande fantaisie de Dolher sur les motifs de Guillaume Tell a, dans MmePithon-Chéret, une habile et puissante interprète. —Il Bacio, d'Arditi, est bien dit par MmeViguier-Testard, et M. Michaéli termine la soirée en faisant applaudir la Grande fantaisie écrite par Allard, pour le violon sur les motifs de la Muette. L'assemblée ratifie par ses bravos réitérés les remercîments que le président, au nom de la Société, adresse, en levant la séance, aux artistes qui se sont fait entendre et parmi lesquels il signale aussi les personnes qui ont accompagné : MmeMichaëli, pour son mari, MlleHonorine Rollot, pour MmeViguier-Testard, MM.Bach et Bloch, et M. Langenscheid pour MlleHélène de Kalow. L'un des secrétaires adjoints, J. CHAMERLAT.


SÉANCEDU MARDI2 FÉVRIER1864 — Bulletinn° 748. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopte. M. le Président signale à la Société la présence de MM.Brunner-Lacoste et Tillier. nommés membres résidants de la classe de peinture, dans la séance du 19 janvier. Le compte rendu de la séance mensuelle publique du 26 janvier, est soumis à la Société qui l'approuve. La correspondance se compose : d'une lettre de M. Donaldson, membre correspondant à Londres, répondant aux félicitations qui lui avaient été adressées, au nom de la Société, par M. le Président, au sujet de sa nomination de membre associé de l'Institut; d'un numéro du Builder, envoyé à M. Dufour; du Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poliyny, remis à M. Maillet, ainsi qu'un autre Bulletin de l'Union des arts de Marseille, cl la Revue artistique et littéraire] du Bulletin de la Société académique de Poitiers, dont M. Villemsens rendra compte; du Journal de la Revue de l'Instruction publique, de M. Hachette, et de celui de la Société impériale et centrale d'horticulture, qui sont l'envoyés aux Archives. MM. Auteroche et Chamerlat déposent sur le bureau la feuille de présentation de M. Amédée-Clément Bidol, peintre, candidat dans la classe de peinture; cette candidature est prise en considération par la Société qui adjoint à M. HorsinDéon, président de la classe de peinture, MM. Dubouloz et Garnier pour éclairer son vote. M. Polaire donne lecture de deux pièces de vers destinées à notre prochaine séance mensuelle publique; l'une, une fable, a pour titre : la Biche et les Chasseurs ; la seconde est intitulée Supplique de Champagne, chien de garde au conseil municipal de Lucenay, pour l'application [en ce qui le can-


—375— cerne) de la loi. qui a créé l'impôt sur les chiens; ces deux pièces sont admises à une seconde lecture. M. Autcroche lit un rapport sur le Propagateur, journal dul'Institut historique; il conclut en demandant le dépôt aux Archives. Adopté. M. Horsin-Déon lit un rapport sur les peintures de M. Gigoux, à Saint-Gervais. Ce rapport sera inséré dans nos Annales. La séance est levée à dix heures un quart. L'un des secrétaires, J. CHAMERLAT.

TRAVAUX

DE

LA SOCIETE.

RAPORT

DE M. FAYET SUR UNE BROCHUREDE M. JULES FOREST, Membre à Lyon. correspondant, INTITULÉE DU BIOGRAPHIE COMTE SEBASTIANO Dl GUIDI. Messieurs, Notre honorable collègue, membre correspondant, M. Jules Forest de Lyon, vous a envoyé tout récemment une brochure sur laquelle notre digne Président m'a chargé de vous faire un rapport. j'ai lu cet opuscule avec l'intérêt et Leplaisir que je devais naturellement ressentir en me retrouvant momentanément avec un ami de vieille date, puisque, on l'a dit avec raison, le style c'est l'homme; donc, lire l'oeuvre d'un ami, c'est se retrouver avec lui, c'est s'entretenir avec sa pensée , la suivre dans ses développements, reconnaître le coeur aimé qui les a dictés.


374 La brochure de M. Forest est une biographie, un éloge funèbre d'un homme distingué, le comte Sébastiano di Guidi, italien récemment décédé à Lyon où il avait passé sa vie, et acquis le droit d'être cité par ses travaux et ses éminentes qualités. M. Forest a voulu, en nous envoyant cette brochure, se rappeler seulement sans cloute, à votre souvenir, car il n'y a rien dans cette oeuvre qui ait trait aux matières dont votre Société s'occupe, c'est-à-dire aux beaux arts. Je ne puis donc que vous en demander le dépôt aux archives en remerciant M. Forest de son envoi. Vous dire que ce livre est écrit avec élégance de style, élévation de pensées, abondance de sentiments nobles et généreux ne sera rien vous apprendre sur l'auteur, M. Forest. Vous l'avez vu parmi nous quelquefois, il est un de ces hommes essentiellement expansifs que l'on peut juger et apprécier à première vue ; vous avez entendu quelques-unes de ses poésies, et nous avons déjà de lui dans nos archives une oeuvre analogue à celle dont je vous entretiens aujourd'hui, l'éloge de Mathieu Bonafons de Lyon, membre correspondant de l'Institut. Vous dire qu'en écrivant une simple biographie, M.Forest a su trouver l'occasion d'émettre ses pensées philosophiques de l'ordre le plus élevé, ne vous surprendra point, mais permettez-moi toutefois de vous en citer une entre beaucoup : « Quelque reculée « que soit la limite d'une existence, Dieu cependant en fixe « le terme, et le plus long n'est pas toujours le plus enviable; « quand nos organes ont perdu leur vigueur, que nos forces « trahissent nos désirs, que la mémoire nous abandonne, « la vie ne devient-elle pas une mort anticipée ; puisqu'il « faut rendre notre dépouille à la terre, et notre âme au « ciel, n'est-il pas préférable de le faire avant cette décom« position morale? » Espérons que notre digne collègue M. Forest, ne sera pas dans le cas de formuler ce triste désir, qu'il conservera jusqu'à l'âge le plus avancé la plénitude de ses facultés et que notre Société aura souvent l'occasion de recevoir de lui les intéressantes productions de sa féconde plume.


375 RAPPORT SUR LES PEINTURES D'UNE CHAPELLEDE SAINT-GERVAIS EXECUTEES PAR M.JEAN GICOUX Commission : MM.DUBOULOZ, président, CHAMERLAT, AUTEROCHE, HORSIN-DÉON, rapporteur. Chaque siècle apporte aveclui ses moeurs, sa physionomie; tout cède au goût, aux idées du moment ; tout, sous leur pression, se transforme, se régénère ou s'étiole. Quand les tendances du sentiment chez les hommes sont libérales et élevées, l'artiste le plus impressionnable d'entre eux crée de grandes choses, car le terre-à-terre n'engendre que la médiocrité. L'histoire de l'art à ce sujet, offre de puissants enseignements ; malheureusement peu de gens peuvent lire les pages de ce grand livre, constamment ouvert et exposé aux yeux de tous. — Est-ce que de nos jours nous n'avons pas vu blanchir les peintures de nos églises, de nos palais; brûler leurs dorures trop luxueuses pour remplacer ces oeuvres d'art par des papiers peints, par de faux marbres, ou pis encore par un beau blanc de chaux? — Est-ce qu'une de nos places monumentales n'avait point disparu cachée sous les enseignes du trafiquant? — En un mot, est-ce que le siècle dernier ne semblait pas prendre à tâche de détruire à son profit tout ce que le génie de nos aïeux nous avait légué? — Bien plus encore, est-ce que les noms de certains artistes éminents n'étaient point devenus une insulte dans nos ateliers?... Mais bientôt les idées mesquines font place à de plus nobles aspirations; nos monuments, nos temples se restaurent: nous repoussons avec dédain à notre tour un goût trop exclusif et sans chaleur qui se croyait appelé à une domination éternelle. Ainsi tout passe dans le monde et tourne dans un certain cercle pour revenir en définitive au point de départ. Heureu


— 376 — sement pour la France, nous semblons n'avoir parcouru qu'une faible partie de ce cercle. Pour nous, la dégénérescence n'a été jusqu'ici qu'un temps d'arrêt, car parmi nos artistes il se rencontre encore des talents dignes de toute notre admiration, même parmi ceux qui, depuis longtemps déjà, semblent vouloir se condamner à l'oubli. M. Jean Gigoux, en 1840, comptait au nombre de nos illustrations populaires. Emule des Deveria, des Johannot, il semblait, comme le firent ces derniers, vouloir se retirer de la lutte, mais au contraire, il préparait dans le silence de l'atelier des oeuvres dignes de son ancienne renommée. Nous avons visité dans l'église de Saint-Gervais une chapelle que ce peintre distingué vient de livrer au public et qui mérite à tous les titres une juste admiration. Quatre tableaux la décorent : deux sont des épisodes de la fuite en Egypte. La disposition de la lumière, la pose des figures, l'arrangement des draperies et des accessoires sont entendus avec tant d'intelligence, qu'il en résulte un effet général des plus agréables. Cet effet se complète par un coloris frais et brillant que le peintre semble avoir emprunté à la dernière école vénitienne dont il possède tout le charme. Mais c'est la composition de ces excellents tableaux qui en l'ait le principal mérite. M.J. Gigoux a traité ces sujets cent fois répétés sous un aspect tout nouveau et tout original. Ce n'est celles pas là le moindre de ses mérites. Dans l'un, on voit la Vierge montée sur un âne ; elle tient dans ses bras son divin enfant endormi sur son sein. Saint Joseph marchant à ses côtés, un bâton à la main, conduit le docile animal; trois anges les escortent. Arrivés au bord d'un gué, l'un écarte les roseaux qui pourraient gêner la marche de la Sainte Famille, le second la guide et le troisième veille à l'arrière-plan pour la garantir de toute surprise. Les expressions sont rendues dans cette peinture avec une exquise vérité : l'amour maternel le plus pur anime le visage de la Vierge ; la tête de saint Joseph respire le calme et la confiance; les anges sont vraiment des gardiens remplis d'attention et de vigilance.


377 — Le second tableau, faisant face à celui-ci, représente la Sainte Famille arrivée aux limites de la Judée. Le danger a cessé pour elle, la Vierge, l'Enfant et saint Joseph sont endormis, mais les anges veillent autour d'eux et préparent quelques rafraîchissements pour leur réveil. Cette composition n'est ni moins gracieuse, ni moins bien entendue que la précédente. Ces deux tableaux exécutés avec une conscience digne dés éloges les plus mérités, dénotent une grande pratique et une grande connaissance des principes de l'art. La seule critique qui pourrait leur être adressée, serait peutêtre les airs un peu mondains de quelques têtes ; mais peuton reprocher à un artiste de ne pas s'être assez éloigné de la nature ? Les deux autres tableaux sont plus sévères, d'un coloris plus puissant. Les figures y sont conçues avec grandeur. On voit que M. J. Gigoux était vraiment pénétré de son sujet et que son pinceau, gracieux dans ses premières compositions, sait aussi devenir grave et religieux quand son sujet le réclame. C'est surtout dans sa mise au tombeau que toutes les qualités de l'artiste, comme peintre d'histoire, se font admirer. La scène du troisième tableau se passe dans l'intérieur de la grotte qui précède l'entrée du tombeau du Rédempteur. Le jour y est mystérieux et dispose l'âme à recevoir l'impression douloureuse qu'inspire cette belle composition. Au centre, Nicodème, saint Jean et un autre personnage transportent le corps de Jésus dans le tombeau, sur le seuil duquel se lient Joseph d'Arimathie. A l'entrée de la grotte, la mère du Sauveur succombe sous le poids de ses angoisses entre les bras des saintes femmes. Tout, nous le répétons, dans cette composition, porte un grand caractère. Une douceur exquise du pinceau, qui ne nuit en rien aux grandes masses, une exécution soignée viennent aussi s'unir à l'harmonie de la couleur et à une bonne entente du clair-obscur. Enfin l'arrangement des draperies, les poses pleines de vérité, les raccourcis bien compris, complètent cette oeuvre remarquable. Le quatrième tableau, qui nous a semblé moins complet


— 378 — et peut-être inférieur aux trois autres, représente une Résurrection. Il a été décrit avec tant de talent par M. Éliphas Lévi, que nous ne croyons mieux faire que de rapporter ici cet article. « Dans l'église Saint-Gervaiset Saint-Protais, derrière l'hôtel de ville, à Paris, on voit une peinture murale de Jean Gigoux, qui représente à merveille, selon nous, le mystère de la résurrection du Sauveur. Cen'est pas un coup de tonnerre, ce n'est pas un sépulcre qui éclate au milieu des soldats bouleversés, c'est une tombe qui s'ouvre d'elle-même, c'est une lumière qui éclot comme une fleur matinale, douce encore comme le crépuscule, mais assez puissante pour éclairer vivementles spectateurs de cette scène. Le Christ ne s'envole pas, il marche en avant avec la placidité du calme éternel. « Son geste est celui de l'enseignement des choses divines, on croit voir son auréole s'élargir lentement avec des nuances irisées, et autour de lui commence à se dérouler un ciel nouveau. Les gardes ne sont ni foudroyés, ni terrifiés, ils sont saisis et comme paralysés par une stupeur qui n'est pas sans admiration et peut-être sans une vague espérance car n'est-ce pas pour eux, les pauvres mercenaires du monde romain, que le Rédempteur vient de triompher de la mort? Tout est calme dans ce tableau et le peintre est arrivé aux plus sublimes effets par la plus grande simplicité. Lorsqu'on a vu celte peinture, on la revoit toujours dans son souvenir, et involontairement on la contemple avec une émotion qui ne se fatigue pas. Le sentiment que l'on éprouve est comme un ravissement pour la pensée, comme une extase pour le coeur. C'est aux arts surtout qu'il faut demander la révélation du progrès, ou les progrès de la révélation. Ce que le philosophe ne sait pas dire encore, ou n'ose pas dire, l'artiste le devine et il nous fait rêver d'avance ce qu'un jour nous devons savoir. » Nous concluons donc, Messieurs, en vous invitant tous à visiter cette intéressante chapelle et à témoigner publiquement les éloges sincères que nous adressons à M. Jean Gigoux. HORSIN-DÉON.


379

STRADELLA

Le Cielen nous créant généreux et sensibles, Aux douleurs, aux chagrins, nous fit plus accessibles ; Maispour en triompher, dans nos coeurs abattus, A côté de ces maux il plaça des vertus : La Foi dans l'avenir, l'Amour et l'Espérance! Son souffle sur nos fronts fixant l'Intelligence Joignit même à ces dons, gages de sa bonté, Duculte des Beaux-Arts la sainte volupté ! Quel pouvoir plus empreint d'une marque divine Nous révèle, en effet, sa céleste origine? Dieu lui-même y réside, et ce culte enchanteur Est un hommage encore offert au Créateur! Il fait chérir la gloire, enfante le courage, Et lorsque le malheur frappe l'homme et l'outrage, Contre le désespoir qui l'allait accabler, Il vient le secourir et peut le consoler. Que dis-je? les bienfaits que répand le Génie, Duplus heureux mortel embellissent la vie; Et les clartés qu'il jette en son brillant essor, Enveloppent ses jours ainsi qu'en des flots d'or Oùles Arts, à l'envi, s'empressant à lui plaire, Apportent tour à tour leur beauté tributaire. Heureux! mais seulement s'il sait de leur splendeur Connaître la puissance et sentir la grandeur! Ah! malheur à celui de qui l'esprit rebelle De la flamme sacrée étouffe l'étincelle! Quine garde en son coeur, en son obscur cerveau, Qu'un vil amour de l'or et la nuit du tombeau ; Et dont les yeux, sans cesse ayant fui la lumière,


Sans avoir vu jamais fermeront leur paupière! Eh! qu'importent pour lui Rubens et Raphaël ! Qu'importe qu'à leurs noms notre hommage éternel Consacre les lauriers du talent, du génie! Paris, Florence, et Rome, et toute l'Italie, Le inonde entier! le monde en vain à ses regards Offrirait, par milliers, les prodiges des arts ! Mais si rien ne l'émeut, ni le pinceau d'Apelle, Ni le marbre animé des mains de Praxitèle, Pourra-t-il résister aux sublimes accords Dont Orphée, autrefois, même du Dieu des morts Sut attendrir le coeur et captiver l'oreille! Ces accents de la voix, cette humaine merveille, Ainsi que de vains sons, de rapides éclairs, Vont-ils s'évanouir, s'éteindre dans les airs'.' Non! de leur feu, toujours, une brûlante trace Pénètre au fond du coeur, ce coeur fût-il de glace , Et l'arrachant enfin d'un ténébreux sommeil, Du Soleil des Beaux-Arts éclaire son réveil ! O prestige immortel ! ô divine Harmonie ! Qui ne reconnaîtrait ta puissance infinie! Nul ne s'y peut soustraire, et tes charmes vainqueurs Calment tous les esprits et s'ouvrent tous les coeurs! Tu triomphes de tout; la haine et la colère, Comme au vent se dissipe une vapeur légère, Disparaissent au bruit des sons mélodieux. Et naguères encore, ici même, en ces lieux Qui pour nous, d'Apollon, sont le modeste temple, Un air de Stradella m'en rappelait l'exemple. Cet air qui le sauva, cet air religieux, Je l'écoutais du coeur et je suivais des yeux Ce Stradella nouveau 1, rajeunissant l'histoire, Et comme l'autre aussi, charmant son auditoire! 1 M, LéonDesjardins, premierprixde violondu Conservatoire.


— 381 — L'exemple dont je parle a droit d'être cité : Naple l'avait vu naître, et Naple, avec fierté, S'honorait qu'en ses murs il eût vu la lumière, Cefameux violon que l'Italie entière Acclamait comme un fils, dans les ravissements Qu'apportait, sous ses doigts, ce roi des instruments! Et jamais un archet plus ferme et plus magique N'offrit un goût plus pur, un jeu plus énergique. Partout un sûr triomphe attendait Stradella. Pour le lui décerner, Venise l'appela ! Son front y devait ceindre aussi cette couronne Qu'on obtient d'une femme et que l'amour nous donne Son hommage, pourtant, et ses voeux empressés, De celle qu'il aimait s'étaient vus repoussés; Et, sans qu'il lui déplût, l'orgueil de la naissance, Celui de la fortune, une illustre alliance Dont pour elle bientôt allait luire le jour, Avaient, de Stradella, l'ait dédaigner l'amour. L'artiste à ce dédain sentit briser son âme, Et de l'art, clansson coeur, allait périr la flamme !... Non! son coeur était fier, et de cet,art, si beau, Son amour méprisé ralluma le flambeau ! Venise célébrait une fête sacrée : De guirlandes, déjà, l'église décorée Brille de mille feux qui se mêlent aux fleurs, Et reflètent l'éclat de leurs vives couleurs; Maisdans la vaste enceinte où la foule se presse, Un grand nom, répété, l'attire et l'intéresse; Il s'est enfin levé, ce jour tant attendu! D'admirer Stradella le moment est venu ! Il paraît, et soudain, cette assemblée immense Respire à peine, attend, et garde le silence. Lentement il prélude, et ses premiers accents, Solennels et plaintifs, ou profonds et puissants,


— 382 — De son coeur déchiré semblent peindre la peine. Puis, ainsi qu'un captif qui briserait sa chaîne, Ses superbes élans s'élevant jusqu'aux cieux, Proclament que c'est là qu'il compte ses aïeux; Qu'il a reçu du Ciel son rang et sa noblesse ; Et que la" gloire, enfin, surpasse la richesse ! Aussitôt, dans son chant doux et tendre à la fois, D'un Ange qui console on écoute la voix ; Comme un hymne sacré sa suave harmonie Fait, des harpes du ciel, goûter la mélodie, Et son âme, livrée à ces divins accords, Enflamme tous les coeurs de ses brûlants transports ! De cette multitude enivrée, exaltée, A peine du saint lieu la voûte respectée Etouffe la louange, et la peut avertir Que celles de Dieu seul y doivent retentir ! Mais on se précipite, on court, et vers la porte, De ce torrent sans frein chaque flot vous emporte ; Stradella s'y dirige ému d'un juste orgueil ! Cependant, quand du temple il va franchir le seuil, Une main dans la sienne en secret s'est glissée, Y laissant cette lettre à la hâte tracée : « L'amour, que j'ignorais, m'éclaire en ce moment. « Stradella, c'est à vous, comme au plus digue amant, « Que je veux confier mon bonheur et ma vie ! « Ma fortune, mou rang, je vous les sacrifie ! « Si, d'être mou époux, vous conservez l'espoir, « Fuyons! au Riallo, je vous attends ce soir! » Qui peindra ce moment et ce bonheur suprême, Cet aveu de l'amour d'une femme qu'on aime! À lui seul il devait cette félicité ! Son rêve devenait une réalité! Mais sur ce doux lien, où chaque jour leurs âmes Confondent les ardeurs de leurs plus vives flammes, La foudre peut tomber! Peut-être, leurs amours


— 383 — Vont,par un coup fatal, voir terminer leur cours! Un rival les poursuit. Un seigneur de Venise Veut, pour venger l'affront fait à la foi promise, Dans l'heureux Stradella punir un ravisseur, De l'objet de ses voeux indigne possesseur. Longtemps à sa recherche il le rejoint à Rome... Il va le provoquer! — Mais quoi? d'un gentilhomme L'épée, avec la sienne, irait se mesurer! Lui faire un tel honneur, c'est se déshonorer! Sous le fer d'un bravo, qu'il tombe, qu'il périsse ! C'est assez. — Le jour même, un pompeux sacrifice Va, de tous les chrétiens, redoubler la ferveur : Cejour, à Bethléem, vit naître le Sauveur ! Le Pontife, lui-même, en sa sainte chapelle Doitoffrir, à minuit, la messe solennelle; El jusqu'au lendemain renonçant au sommeil, Rome vient contempler, d'un si grand appareil, L'éclat plus vif encor, car pour s'y faire entendre, Le soir, au Vatican, Stradella va se rendre. C'està la mort qu'il marche ! Un criminel dessein Le livre, en ce moment, au poignard assassin : Des spadassins, armés par l'homme de Venise, Attendent son passage au sortir de l'église ; Pour gagner sa demeure il est mille détours, Et leurs coups, trop certains, vont y trancher ses jours ! Maisil croit sa vengeance encor mal assurée; Et le Vénitien, dans l'enceinte sacrée, Suit Stradella, l'observe, et ses yeux assidus A tous ses mouvements paraissent suspendus. Son aspect semble encore exciter sa colère. — Ah! d'un tel sentiment si la fureur t'est chère, Fuis plutôt! N'attends pas que son talent divin Amollissant ton coeur en chasse le levain ! Il n'est plus temps ! Déjà, ta haine s'évapore Commela sombre nuit aux lueurs de l'aurore ; Et déjà, de son art, les secrets merveilleux


—384— Ont transformé ton âme....... ont humecté les yeux! — Ainsi le flot s'apaise à la voix du Prophète! Et, de son coeur jaloux où grondait la tempête, De frapper Stradella, de lui ravir le jour, La honte et le remords s'emparent tour à tour. Il court, pour empêcher qu'on achève son crime; Il court aux assassins pour sauver sa victime; Les disperse et leur dit pour la mieux protéger, Que lui-même, à l'instant, il a su se venger ! Au pouvoir des Beaux-Arts il faut rendre les armes : Leurs pénibles labeurs offrent encor des charmes ; Et leurs lauriers, exempts de regrets, de douleurs, De plaisir seulement font, répandre des pleurs; Du nom qu'ils ont grandi l'on chérit la mémoire; L'artiste dont ici j'ai retracé l'histoire, Par cet exemple heureux d'âge en âge transmis, Dira qu'au vrai talent tout demeure soumis : Il fit naître l'amour, il sut vaincre la haine, Est-il, pour un mortel, de gloire plus certaine !

ALPHONSE SAGE.

26 janvier 1864. PARIS, —TYP. SIMON BACON ET COMP., RUE D'ERFURTH, 1.


— —385

PROCÈS-VERBAUX.

SÉANCEDU MARDI16 FÉVRIER1864. — Bulletinn° 749. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, Président. La séance est ouverte à huit heures un quart. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. — Deux numéros du Builder sont conCORRESPONDANCE. fiés à M. Dufour; les Mémoires de la Société impériale archéologique du Midi de la France, seront envoyésà M. Bavard de la Vingtrie; la Revue artistique et littéraire est remise à M. Maillet; le Bulletin de la Société française de photographie, le Courrier du Pas-de-Calais, le Conseiller des artistes, et cinq numéros du Messager des théâtres seront déposés aux Archives. M. Dubouloz exprime à la Société le regret qu'éprouve M. Villemsens de ne pouvoir assister à la séance de ce soir. MM. Auteroche et Chamerlat remettent à M. le Président la feuille de présentation de M. Charles Mercier, peintre paysagiste, dont la candidature est prise en considération. MM.Dubouloz et Garnier sont adjoints comme commissaires à M. Horsin-Déon, président de la classe de peinture. M. Delaire communique l'aperçu du programme de la séance mensuelle publique du 23 février, et lit une lettre de M. d'Aoûst qui, par suite d'un accident, ne pourra y prendre part. La commission chargée de l'enquête sur la candidature de M. Clément-Amédée Bidot, peintre, présente un rapport fa— N°22. 25 MARS


— 386 — vorable. — On procède au vote, et M. Bidot est proclamé membre résident dans la classe de peinture. M. le président signale à la Société la présence de M. Kermoysan, nouvellement élu membre résident de la classe des lettres, qu'on accueille par de vifs applaudissements. M. Delaire l'ait la seconde lecture de sa fable, la Biche et les Chasseurs, destinée à être lue en séance publique. — On vote sur cette lecture. L'admission est prononcée. Le résultat du vote est également favorable à la seconde lecture de sa pièce de vers ayant pour titre : Supplique de Champagne, chien de garde, au conseil municipal de Lucenay, pour l'application (en ce qui le concerne) de la loi qui a créé l'impôt sur les chiens. (Envoyée au maire le 22 octobre 1855.) La séance est levée à dix heures un quart. L'un des secrétaires adjoints, J. CHAMERLAT.

SÉANCEDUMARDI23 FÉVRIER 1864. — Bulletinn° 750. — SÉANCEMENSUELLE PUBLIQUE. Présidence de M. P. B. FOURNIER, Président. Les concerts donnés à cette époque de tous côtés, font que plusieurs des artistes qui devaient se faire entendre dans cette soirée, ont demandé d'être reportés à la séance de mars. L'ordre du jour néanmoins, grâce au dévouement de MlleHonorine Rollot, membre honoraire et accompagnatrice en titre de la Société, grâce au talent de MlleEmma Muller, aussi membre honoraire, et des personnes qui ont répondu aux soins de MM.Delaire et Edmond Lambert, organisateurs de la séance, offre au nombreux auditoire, pressé dans les salons, tout l'intérêt et tout le charme désirable.


1° A huit heures et demie, MlleEmma Muller exécute brillamment sur le piano une fantaisie de Goria sur Lucrezia Bongia; — 2° la Romance de Guillaume Tell fait applaudir MlleGodefroy qui chante pour la première fois en public. La jeune artiste par sa prononciation et les qualités de sa voix qui, un peu craintive d'abord, se rassure bientot et se déploie, mérite les encouragements de l'auditoire. — 3° M.Delaire, membre de la Société, lit sa fable intitulée la Biche et les Chasseurs, et la Supplique de Champagne, chien de garde, au conseil municipal de Lucenay, pour l'application [en ce qui le concerne) de la loi qui a créé l'impôt sur les chiens. (Envoyéeau maire de Lucenay, le 22 oct. 1855.) — 4° Mme Elise Boulanger chante en italien l'air de Semiramide. Dès les premières notes, la cantatrice est jugée, et les mots souvent répétés par les auditeurs : c'est un talent, font prévoir les bravos qu'elle va provoquer. La personne, la voix et la manière de chanter captivent tous les suffrages. — 5° M. Audubert, baryton, fait entendre la chanson de la Mule de Pedro de Victor Massé. Ce n'est pas un baryton aux accents éclatants, mais un chanteur habile qui sait ce que peut sa voix et qui s'en sert à merveille. — 6° M. Vibert, ténor, chanteensuite l'air du Chalet avec beaucoup de talent et reçoitde vifs témoignages de satisfaction. — Disons tout de suite qu'il revient une bonne part de tous ces bravos à l'accompagnement de MlleHonorine Rollot qui ne quitte le piano que quelques instants seulement dans toute la soirée, pour le laisserà M. Alfred d'Hack et à MlleEmma Muller. — 7° M.Alfred d'Hack accompagne deux chansonnettes dites par M.Aurèle, comme il sait les dire : le Carillon de la Cinquantaine, paroles de Bourget, musique de l'Huilier, et Allez voir làbas si j'y suis, paroles de P. F. Matthieu, musique de l'accompagnateur. — 8° MlleEmma Muller exécute en artiste d'infiniment de talent la Mélancolie de Guttmann et le Carnaval de Venise de Herz. — 9° MlleGodefroy, tout à fait rassurée, vient par des couplets de la Fiancée recueillir de nouveaux bravos. — 10° MM.Vibert et Audubert, dans le duo du Chalet font assaut d'habileté et sont vivement applaudis.


— 388 — — 11° On pourrait dire que les applaudissements ne s'arrêtent plus parce que MmeElise Boulanger ravit l'auditoire par la manière dont elle interprète l'air des Dragons de Villars d'Aimé Maillard, — 12° parce que M. Aurèle excite la plus franche gaieté par la chansonnette du Vieux garde champêtre, paroles et musique de M. Mahiet de la Chesneraye, et par le Bonnet d'âne de Paul Henrion, — et enfin, parce que les remercîments adressés aux artistes par le président de la Société, sont chaleureusement accueillis. L'un des secrétaires, CHAMERLAT.

SEANCEDU MARDI1erMARS1864. — Bulletinn° 751. — Président. Présidence de M. P. B. FOURNIER, La séance est ouverte à huit heures un quart. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté ainsi que celui de la séance mensuelle publique du 23 févr. dernier. La Correspondance est dépouillée et comprend les pièces suivantes renvoyées, savoir : Un Bulletin de l'Union des arts de Marseille, à M. Maillet ainsi qu'un numéro de la Revue artistique et littéraire; un numéro de la Revue critique et bibliographique à M. Harris ; un Bulletin de la Société impériale d'agriculture, sciences et arts d'Angers, à M. Villemsens; un numéro du Builder, à M. Moullat; plusieurs numéros du Messager des théâtres; un Bulletin de la Société française de photographie, et divers numéros du Journal de la Société impériale et centrale d'agriculture, aux Archives. M. le Président signale la présence de M Bidot, artiste peintre, membre nouvellement élu, qui est accueilli par les applaudissements de l'Assemblée.


— 389 — Il est ensuite donné lecture de l'avis favorable de la commission formée de MM.Horsin, Déon, Dubouloz et Garnier, chargée d'éclairer la vote de la Société sur la candidature de M. Mercier (Charles-Jean), artiste peintre. On procède au vote, et M. Mercier est proclamé membre résident dela classe de peinture. MM. Moultat et Dubois déposent sur le bureau la feuille de présentation pour la classe de musique, de M. MarcelRosella, flûtiste et pianiste. MM.Chamerlat et Mercier déposent également la feuille de présentation pour la même classe, de M. Danhauser (Adolphe-Léopold), compositeur de musique, deuxième grand prix de Rome et premier prix de contre-point et de fugue au Conservatoire. Ces deux demandes sont prises en considération et remises à la commission chargée d'éclairer le vote de la Société et composée de M. Delaire, président, et de MM.d'Aoûst et Fayet. M. le Président fait ensuite diverses communications. Il exprime les remercîments que M. Gigoux a prié M. Horsin-Déon de faire à la Société pour le rapport inséré dans le dernier numéro des Annales sur les peintures par lui exécutées à Saint-Gervais. Il fait savoir que M. Mathieu Meusnier est retenu chez lui par une affection ophthalmique assez inquiétante, et prie M. Fayet d'être près de ce collègue l'interprète des regrets de la Société. Enfin il fait part des nombreux succès qu'obtient Mll Teresa Punchioni, membre associé, dans lesconcerts où elle se fait entendre sous le nom de MlleBellerive. La voix et le talent de cette jeune artiste déjà remarqués l'an dernier, ont encore beaucoup gagné sous tous les rapports. Cette communication est accueillie avec infiniment de plaisir. La parole est donnée à M. Sage pour faire la première lecture d'une pièce de vers destinée à être lue eu séance pu-


— 390 — blique. On passe au scrutin, et la pièce est admise à une seconde lecture. Enfin M. Delaire lit un rapport sur un numéro de la Revue du progrès moral, littéraire, scientifique et artistique. Ce rapport, attrayant par la forme et excellent pour le fond, captive l'auditoire, et sera inséré dans le prochain numéro des Annales. Il est décidé que la séance du 22 courant sera la dernière séance mensuelle publique avant la grande séance annuelle qui se tiendra au mois de mai. La séance est levée à neuf heures et demie. L'un des secrétaires, A. DUFOUR.

TRAVAUX

LA BICHE

DE

LA

SOCIÉTÉ.

ET LES CHASSEURS FABLE

Dans le lieu le plus solitaire D'une vaste et sombre forêt, Une biche, une tendre mère Pleurait : son dévouement sublime Malgré Qui, pour dérouter les limiers, Les attirait loin des halliers, Son faon avait péri victime De la cruauté des chasseurs Auxquels elle devait ses pleurs : Mon cher enfant, mon bien suprême, J'éprouve une douleur extrême En pensant que ce triste jour T'a vu ravir à mon amour,


— 391 — S'écriait-elle, et, dans la plaine J'entends encor Les sons du cor Et les cris de la meute vaine, Qui me semblent narguer ma peine. Soudain, dans l'épaisseur du bois Parut épuisé, hors d'haleine, En un mot, réduit aux abois Par l'ennemi qui le harcelle, Son proche parent le chevreuil Qui vient se réfugier près d'elle, Pour calmer sa frayeur mortelle Et s'associer à son deuil. Ils se plaignaient de leurs souffrances Quand un lièvre, l'oreille au vent, Survint tout effaré, tremblant, Prêt à tomber en défaillance ; Alors tous les trois réunis, Se demandaient pour quelle offense Ils pouvaient être ainsi punis; Mon fils s'est-il rendu coupable, De quelque faute impardonnable? Disait la biche. À ses repas Il s'est trouvé, quelquefois, las De brouter des herbes, des mousses Et recherchait les jeunes pousses Des arbustes, pour son régal, Ce n'était pas un bien grand mal, Chacun de nous a fait de même, Sans redouter un anathème. Mon Dieu, ne cherchons pas nos torts, Fit le lièvre encore un peu blême, Nous sommes faibles, ils sont forts. J. A. D.


392

SUPPLIQUE

DE CHAMPAGNE

CHIEN DE GARDE AUCONSEIL MUNICIPAL DELUCENAY, POUR L'APPLICATION, ENCEQUILECONCERNE, L'IMPÔT SURLESCHIENS, SELALOIQUIA CRÉÉ Envoyée au Maire le 26 octobre 1855. Issu d'une famille obscure, Messieurs, je suis né parmi vous, Et j'ai reçu de la nature Un corps qui fait peu de jaloux; J'ai des formes assez communes, Un long poil, un vilain museau, En somme, je ne suis pas beau, Et j'ai subi des infortunes Qui m'ont fait désirer la mort. Je jouis d'un plus heureux sort; Mais je ne suis qu'un chien de garde, De race métisve et bâtarde, Un vrai mâtin de basse-cour, Chargé de veiller nuit et jour A la sûreté du bon maître Auquel je dois tout mon bien-être; Car, malheureux chien de berger, Mourant de faim, cherchant pâture J'errais partout, à l'aventure, Lorsqu'il prit soin de m'héberger ; Aussi, plein de reconnaissance, En humble et dévoué serviteur, Je suis, avec zèle et constance, Ennemi de tout malfaiteur. Cerécit n'étant point trompeur,


— 393 — Vous ne pouvez sans injustice, Messieurs, me classer dans les rangs Des dandys qu'on a par caprice Et que la loi taxe à cinq francs. J. A. D.

RAPPORT

SUR LE N° DE DÉCEMBRE 1863 DELA

REVUE DU PROGRÈS ET ARTISTIQUE. SCIENTIFIQUE MORAL, LITTÉRAIRE, Messieurs, avoir lu le titre de la brochure dont vous m'avez Après confié l'examen, je me félicitais d'être appelé à vous exprimer des idées graves, profondes et d'une grande importance d'actualité; c'est, en effet, ce que promettait ce titre : Revuedu progrès moral, littéraire, scientifique et artistique. Comptant sur cette promesse, je voyais d'avance un exposé lucide du principe fondamental, essentiel de la morale, c'està-dire des devoirs réciproques des hommes vivant en société; débarrassant, d'ailleurs, ce principe des préjugés superstitieux qui l'obscurcissent. Je m'attendais à voir de nobles efforts pour relever le niveau littéraire qui s'abaisse, pour rendre sa sublimité à l'art qui se dégrade; mais j'ai été bien détrompé dès la première page en ne découvrant que le roman de la femme libre, roman malheureusement trop répandu et qui, se nourrissant d'idéal, croit pouvoir atteindre à la réalité. C'était bien le cas, cependant, d'essayer une étude philosophique fondée sur des éléments de physiologie et même de psychologie ; de discuter une question qui occupe beaucoup les esprits; d'examiner jusqu'à quel point peut être légitime la prétention de certaines femmes ambitieuses qui, par une contradiction manifeste, veulent usurper les droits de la force,


— 394 — tout en conservant les bénéfices de la faiblesse; qui se font des êtres amphibies, réclamant une indépendance absolue de l'homme, tout en exigeant ses soins, ses attentions, ses hommages, et qui, lorsqu'il se dit leur esclave par métaphore, aspirent à le dominer réellement comme maîtresses en prenant le mot dans son acception sérieuse. Il est vrai que je n'avais point affaire à un ouvrage didactique et qu'une revue périodique, un journal enfin, tout en ayant son caractère spécial, doit varier ses articles, mêler le grave au doux, le plaisant au sévère, servir des mets pour tous les goûts, afin d'attirer les chalands, d'avoir des abonnés. Néanmoins, à propos de romans, j'insiste et j'ajoute que des sujets qui sont la base ou la plaie de notre civilisation, ne devraient pas être assaisonnés de fictions romantiques, ou plutôt n'être qu'un hors-d'oeuvre dans une composition frivole, comme la religion, dans Mademoiselle de la Quintinie de George Sand; Sibylle de Gustave Feuillet, et les Misérables de Victor Hugo. Par cette raison et beaucoup d'autres, parodiant une exclamation bien connue, je dis : Qui me délivrera des Grecs et des Romans ! Cela posé, je continue mon examen, et je lis avec plaisir des poésies qui ne manquent pas de charme et de vigueur; des comptes rendus d'oeuvres diverses qui précèdent une dissertation assez véhémente sur les abus ecclésiastiques et dans laquelle on attaque peut-être un peu brutalement le dogme et la foi, sans s'étayer d'arguments démonstratifs, et à cet égard, bien que ce ne soit point de notre compétence, je ne peux m'empêcher de repousser une épithète accusatrice créée par le fanatisme religieux, acceptée et soutenue par le scepticisme de l'orgueil humain dans des temps d'ignorance et de passions exubérantes, et qui, de nos jours, devrait être mise à néant : c'est celle d'athée; car la raison, le simple bon sens font comprendre que l'ensemble des choses perçues par nos organes et qui constitue l'Univers, n'a pu se former seul sans l'intervention et la direction d'une volonté toute-puissante et réfléchie; que cette puissance n'appartient à aucun des êtres vivants qui peuplent notre globe; qu'en conséquence, il faut nécessai-


— 395— rement admettre un être suprême inconnu, qu'on l'appelle Dieuou autrement, peu importe; il n'y a donc pas rationnellement des alliées qui ne seraient que l'expression de l'ignorance en révolte ou le besoin de s'endormir dans le nihilisme; au surplus, la dissertation dont il s'agit est une critique de l'avertissement donné par l'évêque d'Orléans, monseigneur Dupanloup, pour prémunir ses ouailles contre les écrits qui surgissent chaque jour et combattent les doctrines du christianisme. Je passe l'exposé pratique d'un projet de communication directe entre l'Algérie et les pays du centre de l'Afrique, abordant un article qui rentre parfaitement dans nos attributions : c'est une étude sur les poëtes, et particulièrement sur Alfred de Musset, faite avec un coup d'oeil pénétrant, une profondeur et une énergie d'investigations remarquables; il en ressort des oppositions, des antithèses assez piquantes, des développements de caractères justes et bien tracés; mais encore là, je ne trouve pas celle définition, cet ab ovo que je cherche, et en effet on définit desnatures de poëtes; mais on ne dit pas ce que c'est que le poëte, et selon moi, celui que l'on désigne spécialement par la qualification de poëte, parce qu'il fait des vers, ne l'est pas plus que tel antre qui n'en fait pas; mais dont l'imagination active est pleine de poésie, c'est-à-dire d'idéal; d'où il suit que le peintre, le musicien, le littérateur, peuvent être plus poëtes que l'homme de la forme et de la rime; car bien souvent là, comme en droit, la forme emporte le fond, et le vers n'est qu'un bel habit sur un corps chétif ; une musique vague sur des paroles oiseuses. Quant au genre traité, il peut être grandiose, quoique dépourvu d'idées fortes et élevées ; ainsi donc la poésie est indépendante de la versification qui n'en est qu'un mode d'expression. Maintenant, me voici arrive à un éloge tout à fait académique de l'Histoire de la Régence, par M. Michelet, histoire que je ne connais pas, mais qui mérite cet éloge si, comme le dit le rédacteur qui l'analyse, elle a mis à nu toutes les turpitudes de cette époque : on ne saurait, en effet, trop flétrir les vies désordonnées des hommes auxquels sont confiées


— 396 — les destinées des peuples et qui doivent les diriger dans lu voie du bien par leur exemple et le pouvoir qui leur a été concédé; c'est donc à tort que l'on a exalté le règne deLouis XIV, du grand Roi qui attachait une grande importance à de petites choses; du formaliste sévère qui imposait une étiquette puérile à ses courtisans; qui jeûnait, se confessait, entendait la messe régulièrement et s'adonnait à toutes les débauches avec ses maîtresses adulées par les cardinaux ses ministres, qui élevait ses bâtards au rang de princes ; du glorieux monarque, du Soleil dont l'ostentation, en épuisant par des dépenses excessives les ressources financières de l'Etat, a soulevé des orages qui, accumulés sous les administrations suivantes, ont éclaté sur la tête de Louis XVI. Il est utile pour l'éducation des hommes de mettre un peu d'ombre sur le prestige qui grandit les rois, d'atténuer l'éclat qui les environne, afin de les voir tels qu'ils sont : c'est ce qu'aurait fait M. Michelet, d'après l'article que j'examine. Selon l'usage adopté par toutes les publications périodiques, la Revue dont il s'agit tient ses abonnés au courant des représentations dramatiques et musicales, et il faut la louer de ce qu'elle ne lance pas seulement une réclame dans' l'intérêt des administrations théâtrales, et ne se borne pas à un simple rôle de narrateur, ainsi que cela arrive trop souvent ; mais montre et discute le fort et le faible de chaque pièce en véritable artiste, en aristarque qui appuie ses jugements sur des règles précises et sûres ; on peut le trouver sévère dans ses appréciations, mais cela est plus profitable pour l'art que cette indulgence banale généralement admise dans les feuilletons de théâtre. En somme, le numéro de la Revue du progrès moral, littéraire, scientifique et artistique sur lequel je viens d'émettre mon opinion, ne porte pas ses regards vers les hautes régions de la morale et de la science ; du reste, s'il contient quelques mots un peu hasardés jetés à travers une vive indignation; si on peut lui reprocher de rechercher le progrès plutôt dans la critique du passé que dans la tendance présente, il faut


— 397 — reconnaître aussi qu'il est plein de verve, de sel attique, qui dévoilentune ardeur juvénile excitée par l'amour du beau et du bien, et si, après avoir signalé ses mérites et ses insuffisances, on peut le considérer comme un échantillon de l'esprit et du style qui président à la rédaction de cette Revue; si l'on peut dire : Ab uno disce omnes, elle est destinée à prendre une place honorable à côté de la Revue des Deux Mondes,la Revue européenne, la Revue germanique, la Revue,nouvelle et tutti quanti, à l'exception, très-certainement, de la Revue catholique, qui la repoussera en lui disant : Vade retro, Satanas. J. A. D.

TRAVAUX

PARTICULIERS.

NOTICE ARTISTIQUE ET HISTORIQUE SUR UNTABLEAUA VOLETSDU MUSÉEDE VALENCIENNES PEINTPARRUBENS ET REPRÉSENTANT TROISSUJETSDELAVIE DE SAINTETIENNE ET UNE ANNONCIATION Présentée à la Sociétélibre des Beaux-Arts, l'undesesmembres. PARM.ALPHONSE SAGE, Suite et fin. Messieurs, Je viens, selon ma promesse et ainsi que vous me l'avez permis, vous offrir la suite et le complément d'une notice sur un ouvrage de Rubens, du musée de Valenciennes, dont vous avezeu la bonté d'accueillir la première partie.


— 398 — Je continue par la description du troisième tableau qui re— Les Fidèles DESAINT ETIENNE. présente LAMISEAUTOMBEAU ont recueilli les restes du saint martyr, et leur donnent la sépulture. Saint Etienne, porté dans le sépulcre, est soutenu sous les aisselles par un homme d'un âge mûr placé à gauche du tableau, et qui descend pesamment et avec précaution les degrés rapides et tournants qui conduisent à la partie souterraine de la grotte où se passe cette scène, et sur lesquels il est presque assis. Il marche le premier, et paraît supporter avec peine le poids du corps, qui, descendu la tète eu avant, pèse presque entièrement sur lui et cause cette inflexion dans son attitude. Sa tête, nue et vue de profil, offre ce coloris frais et rehaussé de touches brillantes qu'on rencontre si fréquemment sur les toiles de Rubens qu'on le croirait facile à obtenir de toutes les palettes, et que la sienne seule sait produire. La barbe et les cheveux, gris, épais et solides, en l'encadrant de leurs teintes argentées, en doublent l'effet éclatant. Il est vêtu d'une ample robe verte, d'un ton doux et arrêté où le bleu domine, et qui ajoute à cet effet et s'harmonise à la fois avec le linceul du saint, dont la tête est penchée sur le bras droit de cet homme. On y retrouve la sérénité de sa mort plus encore que la trace des souffrances de son martyre; la contraction seulement d'un coin de la lèvre supérieure laisse voir une dent ; et ce détail, joint à la pâleur livide du visage, lui imprime, sans excès, un caractère cadavéreux qui cependant n'a rien de repoussant, et n'inspire qu'une pitié respectueuse. Ce linceul est plutôt une robe, dont les plis nombreux enveloppent ensemble le corps et les jambes et chaque bras séparément, et qui laisse sa tête entièrement découverte. Son bras droit retombe et pend en avant, et le blanc mat de la robe se détache vivement sur un fond très-obscur, et fait repoussoir; car vous savez qu'en peinture on peut l'obtenir par les tons clairs comme par les tons sombres, dont les moyens différents arrivent au même but.


— 399 — Cette combinnison donne à toute la partie basse du tableau le caractère spécial des entrailles de la terre, et on croit sentir l'air humide, l'odeur et la fraîcheur d'un souterrain. Un homme, placé sur un sol inférieur au tableau même, et qu'on ne voit qu'à mi-corps et de dos, tend les bras en l'air pour recevoir le corps du saint, et complète cet effet en taisant aussi repoussoir. Il a le torse, la tête et les bras nus et basanés, et l'observation anatomique, loin d'y être négligée, offre encore une étude excellente de tons et de modelé. Un personnage de distinction, et qui paraît commander en ce lieu, aide lui-même à cette pieuse translation. Son visage annonce une maturité encore éloignée de la vieillesse; ses traits nobles, graves et accentués, sont remplis de celte dignité qui n'appartient qu'aux classes élevées; et sa longue barbe, épaisse et ondoyante, y ajoute le signe de l'autorité et commande l'obéissance. Sa tête et ses mains offrent aussi, et d'une manière remarquable, le coloris le plus frais et le plus vigoureux. Il est coiffé d'un haut et riche turban blanc orné de pierreries, et pour dernière marque de son rang supérieur, il porte un large manteau rouge, en soie damassée et garni de fourrures, et sous lequel on devine sa haute stature. Placé à droite sur les premières marches de l'escalier, il tient les pieds du martyr, et son visage exprime l'intérêt respectueux et solennel que lui inspirent ces précieux restes. Dans cette action, sa position l'oblige à se pencher en avant et a incliner la tête sur le corps du saint, qui, dans cette marche descendante, est refoulé naturellement vers le bas, et décrit un mouvement de spirale que la main gauche, poséesur le côté du corps, mais retirée en arrière, concourt à indiquer. Dans le haut du tableau et à l'entrée de la grotte, quatre femmes sont debout. L'une d'elles, au milieu, est couverte d'un vêtement sombre, et un manteau ou voile noir épais qui revient du derrière de la tête jusque sur son front, lui


— 400 — donne Ia physionomie ordinairement attribuée à la Vierge (Sans une Pietà. Son visage, très-pâle, en reproduit également la maturité; et son expression, qu'accompagne un geste de la main, est celle d'une pitié et d'une douleur qui, à l'égard du jeune martyr, sont peut-être maternelles ! A droite, et marchant sur les pas du personnage à turban, vient la seconde. Elle est jeune ; sa tête est nue, et sa chevelure blonde se répand sur ses épaules. Elle porte sur ses bras et baise avec ferveur l'aube et la dalmatique du jeune diacre, maculées et sanctifiées par le sang du martyr. C'est par ce détail seulement que Rubens permet à son pinceau de rappeler la mort violente et cruelle du saint. Plus d'un de nos contemporains visant à l'effet, et pour étonner les yeux de la foule, auraient ensanglanté toute cette figure et fait un horrible étalage de ses nombreuses plaies ; car beaucoup de nos chefs-d'oeuvre modernes nous transportent malheureusement trop souvent à l'abattoir; mais Rubens est toujours de bonne compagnie, et sait inspirer la pitié sans provoquer le dégoût. La blancheur intacte de la longue robe dont le saint est enveloppé, et les insignes de son ministère sacré qu'on porte derrière lui, attestent les soins que les restes du martyr ont reçus de la piété de ceux qui l'entourent, et reportent seulement la pensée vers l'âme pure qui s'en est détachée pour remonter au séjour céleste. Les tètes seulement des deux autres femmes se dessinent vaguement tout au fond, dans l'obscurité; car la lumière vient d'en haut, et semble produite par une excavation dans le sol supérieur. Vous avez remarqué, messieurs, que dans l'ordonnance de cette scène le corps du saint est placé en sens inverse de l'usage. Dans les translations mortuaires, les pieds sont en avant. Ici, c'est le contraire. Tout en faisant la part de la fantaisie et même du caprice d'une si riche imagination, il faut néanmoins, avec un maître aussi sérieux, chercher à


— 401 — découvrir les motifs présumables de tout ce qu'elle lui a suggéré; et, sauf pour les choses de détail, ne fût-ce même que par respect pour un tel génie, on se sent le désir de trouver dans ses créations la raison d'être de ce qui paraît insolite. Permettez-moi de hasarder brièvement, sons ce rapport, quelques timides observations. La scène de l' Apostolat, assez calme relativement, ne manque pas cependant d'une certaine animation, mais qui n'est pas assez prononcée pour que la Mise au tombeau, qui en est le pendant eu égard à l'ensemble, puisse lui faire opposition par un calme plus absolu que le sujet comporte; et Rubens a peut-être pensé que cette dernière scène, en ce cas, devait plutôt présenter aussi un caractère d'émotion assez marqué pour ne pas paraître froide, surtout après le drame si émouvant de la Lapidation. Cecaractère y ressort d'une attention anxieuse et pleine de respect répandue dans l'expression de tous les personnages, et qui parait motivée par les difficultés des conditions locales dans lesquelles cet acte s'accomplit, et que l'escarpement de l'escalier, taillé dans le roc, et l'exiguïté du passage rendent manifestes, et à laquelle il faut ajouter cette autre expression, également générale, d'empressement à soustraire ces saintes reliques à la fureur populaire à peine assouvie; ce qui exclut de ce tableau l'aspect tranquille dont il pouvait être empreint, mais en y répandant cette froideur qu'il fallait éviter dans l'hypothèse que je pose. Il m'a semblé que cette inversion dans la position du corps du saint, et par sa singularité même, apportait plus d'activité dans cette scène que ne pouvait eu produire l'attitude naturelle qu'il aurait offerte en suivant l'usage établi. Peut-être aussi le peu de largeur du panneau (1m,26) a-t-il amené Rubens à cette idée? Mais ces diverses suppositions n'eussent-elles aucun fondement, et fallût-il attribuer cet agencement à sa simple fantaisie, que ce serait encore un tour de force dont il faudrait le louer, et dans lequel son profond talent aurait couvert de dignité et de sentiment religieux ce qui, sous la main de cent autres, n'en serait sorti que ridicule ; car la principale ligure ayant réellement la tôle — N°23. AVRIL. 26


— 402 en bas et le corps ramassé et tordu, devait produire un effet grotesque qu'il a su remplacer par celui d'une gravité qui approche du sublime et fait naître une sainte commisération. Et, à propos de ce sujet et de celui de l'Apostolat, je ne dois pas oublier d'appeler votre attention et d'insister sur cette puissance de composition dont les ressources infaillibles, et toujours présentes, ont pu placer sans confusion et dans des espaces si étroits tant de figures de si grandes proportions et qui suffiraient à remplir des toiles d'une double étendue, mais où elles ne pourraient respirer plus à l'aise ni agir plus librement. Je dois également appuyer sur un détail bien important : c'est que dans tous ces tableaux, les extrémités, les mains surtout, sont rendues avec une variété et une exactitude de forme, une vérité de mouvement et une énergie d'expression bien digne du coloris admirable dont les a revêtues ce grand peintre. 4° L'ANNONClATIOIN. J'arrive, messieurs, à la description des deux dernières parties de cette oeuvre considérable qui, réunies en refermant les volets, composent une Annonciation. Ce sujet, on le sait, offre peu de variété dans sa composition et n'en permet à l'artiste que dans la physionomie, l'attitude et le costume des deux seules figures obligatoires de cette représentation, et les détails accessoires qu'il peut y introduire. Voyons comment Rubens l'a traduit ici. Un caractère grandiose s'y montre au premier coup d'oeil par la proportion des figures, qui sont presque colossales. Dans le demi-tableau de gauche : La Vierge est debout. Elle était agenouillée sur un prieDieu dont on voit le pied seulement, à l'extrême gauche, dans la bordure. Elle vient de se relever à l'apparition de l'Ange, vers lequel elle se tourne, et se montre alors de trois quarts dont le grand côté est à gauche du spectateur, et incline la


— 403 — tête avec une expression parfaite d'assentiment modeste et de résignation entière à la volonté divine qui lui est annoncée. Ce mouvement imprime à toute la figure une grâce et une élégance extrêmes, et dont on est frappé. Son costume, où ne brille ni ornement d'or, ni pierreries ni joyau quelconque, est riche par l'ampleur et la nature des étoffeset la forme des vêlements, et donne l'idée d'une personne de haute distinction. Elle porte un dessous en soie bleu foncé, à manches longues et justes au bras, et par-dessus, une robe blanche transparente. Un grand voile noir, très-léger, est posé sur son front cl. descend sur ses épaules. On ne saurait dire combien l'excessive simplicité de ce tissu ajoute do lustre à l'expression de cette belle tête. Son bras gauche remonte vers le cou, cl sa main y saisit ce voilequ'elle va ramener sur son visage dans le premier mouvement où l'entraîne un sentiment de pudeur, surprise par la présence inattendue de l'Envoyé du Ciel et l'objet même de son message. Cette nuance délicate, admirablement rendue, colore imperceptiblement ce visage, où Rubens a réuni la noblesse de l'expression et la beauté de contours des traits à l'éclat du teint le plus pur et à la grâce de la jeunesse avec un talent stimulé encore, dit-on, par l'orgueil conjugal; car cette tête magnifique serait le portrait de sa femme. C'est le type flamand idéalisé et, si j'ose m'exprimer ainsi, italianisé. Sa main droite va chercher à gauche, retient et soulève, pour le rapporter de l'autre côté, un vaste manteau violet clair dont les flots d'étoffe fermes et soyeux traînent à terre et complètent l'ensemble de majesté presque royale dont celle belle figure est revêtue. Les deux mains sont deux modèles accomplis de forme aristocratique, de modelé et de fini. Un riche rideau écarlate, qui remplit derrière elle toute la hauteur et presque la largeur du tableau, lui sert de fond, et la fait ressortir avec tout l'effet désirable ; et dans les plis de ce rideau, près de la voûte (gracieuse idée!) se jouent deux petits Chérubins charmants qui répandent sur elle une rosée de fleurs. L'un, sur le côté et presque sur le dos, est


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soutenu par ses ailes étendues; l'autre s'appuie en avant sur le nuage, et est privé d'ailes. Ces deux tètes, où règne l'enjouement, laissent aller au vent leur blonde chevelure. Dans le demi-tableau de droite : L'Ange Gabriel descend debout, et presque jusqu'à terre, porté sur un nuage dont les vapeurs légères s'étendent dans l'appartement. Sa main gauche tient la branche de Lis, symbole de la pureté ; son liras droit est élevé au-dessus do sa tête, et la main y indique la présence de l'Esprit-Saint. La Divine Colombe plane au milieu d'une lumière dont l'éclat radieux éclaire brillamment tout ce côté et l'ait opposition à celui où la Vierge, quelques instants auparavant, était recueillie dans le demi-jour de sa retraite silencieuse. Un rayon lumineux vient se poser sur la tête de Marie en lui formant une auréole, et fait ressortir toute la vivacité des tons de la draperie dont je viens de parler. La robe de l'ange en semble traversée, et paraît toute resplendissante d'or et de pourpre. Ici, Rubens s'est bien gardé de donner à cet Archange le caractère efféminé qui ajoute tant de charme à la physionomie générale du groupe d'anges de la Lapidation, et vous en reconnaissez tout de suite le motif. Il fallait laisser à celle de la Vierge toute la finesse et le délié possibles, et les augmenter encore par la comparaison immédiate d'une nature jeune aussi, fraîche et pleine de douceur et de bienveillance, mais dont l'accent, plus vigoureux, écartât toute ressemblance avec la femme; et il a déployé dans la figure du Messager Divin toute la splendeur de son brillant coloris. Sa carnation est du ressort le plus énergique, et qui paraîtrait même excessif si l'on ne songeait a la distance éloignée d'où l'on voyait ce tableau primitivement. Sa belle chevelure blonde flottante encadre richement sa tête, où respire une franchise toute masculine. Le cou, les épaules, les bras, les jambes, tous les nus enfin, sont rendus avec le modelé habituel à ce maître; et de belles et puissantes ailes, blanches comme celles du cygne, paraissent suffisantes pour soutenir ce corps aux muscles tant


— 405 — soit peu herculéens ; et, dans cette acception, ses mains comme celles de la Vierge, sont animées. Trois autres Chérubins, dont on ne voit que les têtes, les épaules et les bras, et dont l'un est dans l'ombre, sont groupés à droite et au-dessus de l'Archange. Ils sont tous trois très-jolis, et leurs visages, accompagnés d'une chevelure blonde que Rubens sait varier à l'infini, expriment l'intérêt curieux qu'ils prennent à cet accomplissement de la volonté du Ciel, et la satisfaction qu'ils en éprouvent. Il y a encore parmi eux une petite ligure féminine qui est touchée en miniaturiste. Au-dessous de l'Envoyé Céleste, et adossé à la partie inférieure du nuage, un petit ange, dont toute la figure est complétement en vue, se soutient légèrement à l'aide de ses ailes ouvertes auxquelles la fantaisie, ou peut-être la raison du grand artiste, a donné la figure ce celles du papillon, emblème du plaisir; mais que leur transparence rend plutôt semblables à celles d'un Sylphe, génie de l'air, séjour prédestiné de la Vierge; ou mieux encore, de Psyché, c'est-àdire de l'âme ! Il doit y avoir là quelque pensée intime, car il a imprimé une expression particulière et prononcée à ce petit ange, ainsi qu'à deux petites tètes ailées, et dont les ailes sont de plumes d'oiseau, qui escortent la sienne à droite et à gauche, et toutes trois, blondes, fraîches et radieuses, regardent avec un amour passionné celle que Dieu a élue Reine des Anges ! On aperçoit dans le fond, moitié sur un tableau, moitié sur l'autre, et sans que cette rupture choque le regard, un lit magnifique, en ivoire sculpté apparemment, du style grec le plus élevé, et recouvert d'une draperie écarlate semblable au rideau. Tous les accessoires sont en rapport avec le lit, et si j'ai parlé d'anachronisme au commencement de celte notice, je peux justifier ici mes paroles une fois de plus; car il n'est pas probable que l'humble épouse d'un modeste artisan ait habité un appartement aussi somptueux. Mais le point historique n'est rien dans ce sujet tout mystique, et la pensé'


— 406 — morale et religieuse, qui en est le fond, peut être présentée sous tous les aspects et produire son effet dominant, quand l'exécution, toutefois, s'y montre digne de celle pensée. J'ai rencontré plusieurs copies, plus ou moins réussies, de ce tableau dont on avait, à cet effet, rassemblé les deux parlies sans interruption ; mais maintenant que j'ai observé l'original de si près, je ne pourrais plus les regarder, tant le cachet de celte main magistrale est ici fortement empreint. PARTIE HISTORIQUE. Les détails historiques que je vais avoir maintenant l'honneur de vous communiquer sur cette oeuvre multiple me fourniront, messieurs, l'occasion de compléter par quelques courtes remarques l'analyse artistique que j'en ai essayée et que je me suis efforcé de rendre claire et précise; heureux si j'ai pu vous en donner une idée semblable! Voici ce que j'ai pu recueillir sur son histoire : On sait que c'est en 1620 que Marie de Médicis, ayant chargé Rubens de peindre cette suite de vingt-quatre tableaux connus sous la dénomination de Galerie de Médicis et que l'on a appelés le Poëme de Rubens, il se rendit à Paris, les composa, en fit les esquisses qu'il soumit à la Reine, et retourna à Anvers, où deux ans lui suffirent pour les exécuter, et d'où il revint pour les faire placer dans la galerie du Luxembourg et y donner la dernière main. En 1623, comme il rentrait chez lui, il s'arrêta avec toute sa famille à l'Abbaye de Saint-Amand, près Valenciennes, dont le cardinal de la Trémouille, Nicolas Dubois, avec qui il était lié d'amitié, était alors Prieur, et y fit même un assez long séjour, pendant lequel, pour reconnaître l'hospitalité qu'il y avait reçue, il peignit ce triple tableau de la vie de Saint Etienne, patron de l'Abbaye de Saint-Amand, et l' Annonciation sur le revers des deux volets, et en fit présent à ce monastère. Cette vaste composition fut placée au fond du Choeur et au-


— 407 — dessus du Maêtre-autel, auquel on arrivait par une rampe de quarante marches de marbre blanc, ce qui dut lui l'aire adopter pour ses figures la proportion demi-colossale. À celle élévation et à cette distance, l'effet devait en être merveilleux. En 1764— cent quarante ans plus tard — la Lapidation, peinte sur toile, avait tellement souffert de l'humidité, que l'Evêque de Tournai la fit rentoiler et restaurer. On expérimenta sur elle, et pour la première fois en France, le procédé de rentoilage que venait de découvrir Jean Cardinal, peintre et restaurateur de tableaux à Tournai. Malheureusement l'inexpérience où l'on était à celle époque d'une opération de ce genre l'empêcha de réussir complétement et causa même quelques dommages nouveaux. Cependant on fut tellement émerveillé de la possibilité d'un tel travail, que le Grand Prieur, Dom Cassiodore de Monchaux, pour en conserver le souvenir et constater sa participation à cette oeuvre, y fit peindre ses armoiries ; azur, à trois montagnes d'argent, surmontées d'un soleil d'or, avec la devise « sollicitè » et la date, 1764. On les voit encore au bas du tableau. J'ai lu 1761, et non 1764, mais c'est peu important. En 1789, les ordres religieux étant abolis, ce tableau fut confisqué au profit de la Nation, rentra dans le domaine public, et fut apporté à Valenciennes et déposé dans l'une des salles de l'Académie. Et ce fut fort heureux ! car 1793 passa bientôt par là, et cette vaste et riche Abbaye de Saint-Amand fut, comme tant d'autres, saccagée et démolie. L'Église devait être un édifice magnifique, à en juger par les faibles vestiges adhérents encore à la Tour, qui est restée debout, ainsi qu'un beau pavillon qui sert maintenant d'Hôtel de Ville. Je me propose de vous soumettre quelque jour la description de cette tour, dont la hauteur immense, soutenue par deux autres, a sans doute effrayé la fureur révolutionnaire, celte Messaline d'un autre genre, si passionnée pour la destruction, mais dont la rage d'anéantissement s'arrêtait quelquefois, quand elle était, comme la Messaline antique, « lasse et, non rassasiée. »


— 408 — Le calme politique étant, revenu, la ville de Saint-Amand profita d'un séjour qu'y fit Louis Bonaparte, qui y prenait alors les Eaux, pour réclamer les tableaux de Rubens; mais, en protecteur éclairé des arts, il se refusa sagement à appuyer cette demande, disant qu'ils étaient plus utilement placés à Valenciennes, où ils pouvaient servir aux études des élèves de l'Académie. Cependant les églises furent rouvertes, et la municipalité de Valenciennes les prêta à l'Église Saint-Géry, de la même ville, où ils servirent à décorer le Choeur, et où ils se détériorèrent encore. En 1834, il fallut les en retirer pour les préserver d'une ruine que l'un des renseignements que j'ai recueillis qualifie d'imminente; et en 1838, lorsque le Musée se réorganisa, on lit rentoiler de nouveau la Lapidation par M. Jacquinot, à qui la ville de Valenciennes paya mille francs pour cette opération, et M. Adolphe Roehn fut chargé de restaurer les cinq tableaux. Pour moi, il me semble manifeste que les diverses détériorations qu'a éprouvées cet ouvrage n'ont pas été aussi graves qu'on l'avance. Les endroits retouchés ont fort peu d'étendue. Je les ai examinés de près, et j'oserais répondre qu'en raison, et pour m'exprimer plus justement, qu'en vertu de la solidité extrême que Rubens donnait à sa peinture, elle a pu résister à ces avaries et à ces deux restaurations, timides d'ailleurs et discrètes comme devraient l'être toutes celles qu'on applique aux oeuvres des grands maîtres; mais la surface totale de ces cinq tableaux offre l'empreinte générale et reconnaissable de la touche primitive de celui-ci. Quoi qu'il en soit, leur possession était disputée à la ville de Valenciennes. La Fabrique de Saint-Géry les réclama! Pouvait-elle faire mieux, puisqu'ils étaient restaurés et remis dans le meilleur état... aux frais de la Ville? Celle-ci avait retiré un récépissé de la Fabrique de SaintGéry, en les lui livrant à titre de prêt obligeant; mais ce récépissé ayant été perdu dans un transférement d'archives à la mairie, elle fut obligée d'invoquer la notoriété publique en l'absence de son litre disparu. La Fabrique riposta en allé-


— 409 — guant la longue possession, et à la rigueur la prescription trentenaire ! Pour couper court à tout cela, et ne pas courir les chances d'un procès, la Ville s'obligea à payer à la Fabrique une renie annuelle de deux mille francs, et redevint ainsi propriétaire de son bien. Pendant ce conflit, un incendie eut lieu à Saint-Géry, auprès du maître-autel où ces tableaux eussent été replacés si la Ville n'eût pas résisté longtemps. Ils échappèrent donc encore à ce désastre. C'est en 1849 qu'ils furent réencadrés et ajustés dans l'état actuel. Il est souvent difficile de s'assurer de la réalité des faits, même sur les lieux qui en ont été le théâtre. On m'avait dit que ces toiles avaient été apportées à Valenciennes pendant le pillage de l'abbaye, et qu'elles avaient servi, quelque temps après, à préserver de l'intempérie les pompes à incendie de la Ville. Il y avait là autant d'erreurs que de faits énoncés. Cependant l'une de ces erreurs avait une base solide, et si cette immortelle et seule toile n'a pas subi cet affront, car les panneaux de bois s'en défendaient eux-mêmes, j'ai vu dernièrement encore, au même Musée, une grande Tapisserie historique dont Valenciennes possédait autrefois la manufacture, et qui a réellement servi à cet usage. On n'est pas d'accord non plus sur le portrait desa femme, que Rubens aurait reproduit dans les traits de la Vierge de cette Annonciation. L'un dit que c'est sa troisième femme; l'autre répond avec raison que Rubens n'en a eu que deux ; et moi, reprenant en partie la première version, j'ajoute que, très-épris des charmes de la belle Elisabeth Brants, sa première femme, c'est elle dont il a probablement retracé la beauté dans ce tableau. Tout y inspire l'idée que c'est un portrait. On ajoute même qu'il y avait aussi représenté ses enfants sous les traits de plusieurs anges; je n'en serais pas plus surpris. D'ailleurs, cette habitude est celle de presque tous les peintres, et Rubens a la réputation de l'avoir suivie très-fréquemment. Il y a de lui une Nativité, dont j'ai vu


— 410 — récemment une gravure, et où la même tête de femme est identique à celle de la Vierge. Malgré la confiance qu'on peut avoir dans sa manière d'opérer aussi large que prompte, je me suis demandé s'il avait pu exécuter ces cinq tableaux en quarante jours, comme on me l'a assuré. Mais en pensant aux vingt-quatre sujets si compliqués de la galerie de Médicis, enfantés et terminés en deux ans! qu'y aurait-il là d'étonnant? De plus, j'ai trouvé dans ce même Musée de Valenciennes, bien haut, et bien à l'écart, une estampe probablement peu connue, et représentant la Lapidation, mais en sens inverse du tableau, et qui m'a donné la presque certitude que cette composition avait été faite par lui, en dessin seulement, avant son séjour à Saint-Amand, et qu'il aura eu alors la pensée de la reproduire en grand et en peinture; car j'ai pu, au moyen d'une échelle, lire au bas de cette estampe : P. P. Rubens delineavit, et non pinxit; et P. J. Tassaert fecit; puis : gravé, d'après l'original de P. P. Rubens, au cabinet de S. E. monseigneur le comte de Cobentz, ministre plénipotentiaire de S. M. I. R. apostolique à Bruxelles, chevalier de la Toison d'or, etc. Je crois donc être fondé dans ma supposition, qui serait une certitude complète si cette gravure était datée. En ce cas, Rubens aurait eu seulement à composer les deux sujets latéraux : l'Apostolat et la Mise au tombeau, et cela expliquerait la rapidité de l'exécution, pour laquelle, d'ailleurs, il se serait fait aider, comme tous les grands peintres. Et ce qui assure fortement ma croyance dans l'antériorité du dessin, c'est que le tableau offre des différences avec la gravure, par conséquent avec ce dessin qui, postérieur au tableau, en eût été naturellement la reproduction exacte. Les Édifices d'architecture ne sont pas les mêmes, à beaucoup près. Ceuxde la gravure se ressentent du style flamand ancien, et dans le tableau, comme dans celui de l'Apostolat, ils sont d'ordre dorique, semblables au style du Luxembourg, où Rubens venait de faire un séjour assez prolongé et tout récent. Puis un homme qui, dans le tableau, s'appuie sur des


— 411 — vêtements entassés, met la même main sur un arc dans la gravure, qui ne représente pas deux soldats qu'on voit dans le fond du tableau. Enfin, messieurs, il faut achever cette notice élogieuse en voussignalant consciencieusement les défauts de celte oeuvre presque parfaite. Dans ce long examen, hâtons-nous de le dire, j'en ai trouvé deux. Le premier, qui serait important par sa situation, tient peut-être aux dégradations que cet ouvrage a subies; c'est pourquoi je n'en ai pas parlé en passant. Il se rapporte à la l'acede saint Etienne dans la Lapidation, et qui est empreinte d'un ton livide noir, mais qui heureusement s'éclaircit beaucoup en s'éloignant pour se placer au véritable point de vue. Plus heureusement encore il n'en change en rien l'expression si belle; et loin de penser que le restaurateur ait contribué à I'existence de cette teinte noirâtre, je crois plutôt qu'il se sera abstenu de la faire disparaître, de crainte de dénaturer ou d'affaiblir le sentiment répandu dans cette tête. Qu'il soit béni! au nom d'Apollon. L'autre défaut a rapport aux tètes des docteurs qui assistent au martyre du saint. Elles ont si peu de ressemblance avec la peinture de Rubens, que j'avais cru d'abord qu'elles avaient été ajoutées par la fantaisie de l'un des restaurateurs.. Mais, en découvrant la gravure en question, j'ai eu le regret de les y découvrir aussi, et c'est la fantaisie de Rubens luimême qui a placé là ces deux têtes qui, contre toute vraisemblance, regardent et fixent le groupe des Anges qui ne peut, qui ne doit être aperçu que par le martyr. Vous voyez, messieurs, que, malgré ces légères imperfections, cet ouvrage n'en reste pas moins un chef-d'oeuvre. Sans doute le monde des arts est rempli de productions d'une égalevaleur, et dont un certain nombre même se présente à notre admiration avec des titres supérieurs encore; mais celle-cine peut laisser indifférent ni calme quiconque a reçu d'en haut quelque étincelle, si faiblequ'elle soit, du feu sacré. Rubens se montre ici, comme dans la généralité de ses créalions, pourvu de toutes les qualités qui constituent le grand


— 412 — artiste, le poëte et le penseur; et les rares écarts qu'on remarque dans quelques-uns de ses ouvrages, causés toujours par la seule surabondance de son intarissable imagination, et toujours rachetés par des beautés de premier ordre, y sont à peine perceptibles. Souvent, pendant le cours de cette longue description, j'ai posé ma plume et me suis demandé si mon admiration ne m'entraînait pas trop loin, et toujours, après quelques moments de réflexions et de souvenirs, je l'ai reprise avec un redoublement d'enthousiasme. Si je m'égare, ce n'est que par lui que je puis jamais être emporté; mais j'y trouve trop de bonheur pour le craindre! C'est que mes yeux sont si souvent affligés par la rencontre de tant de prétendus produits des arts qui ne sont que les fruits avortés d'une conception inféconde, d'un travail sans vigueur et sans foi ou d'un talent sans probité, où rien ne parle à mon esprit ni à mon coeur; que lorsqu'un véritable enfant du génie se présente à mes regards, qu'il enchante, il m'anime, il me pénètre, il me transporte aux régions élevées de l'intelligence, et là, dans un délicieux entretien, nous échangeons ce langage de l'âme où le vrai, le beau et le bien reçoivent nos hommages comme les objets éternels et sacrés de notre culte et de notre amour! ALPHONSE SAGE. Janvier1864.


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PROCES-VERBAUX.

SÉANCEDE MARDI15 MARS 1864 — Bulletinn° 752. — Président. Présidence de M. P. B. FOURNIER, La séance est ouverte à huit heures. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. La correspondance est dépouillée et comprend les pièces suivantes, renvoyées, savoir : 1° un Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny, et un numéro de la Revue artistique et littéraire, à M. Maillet; 2° une brochure intitulée : les Théories de l'Institut, section des beaux-arts, par M. Chirac, à M. Fayet; 3° un numéro du Builder, à M.Moultat ; 4° un Compte rendu du Congrès scientifique de France, tenu cette année à Troyes, à M. Villemsens; 5° un Programme de l'Exposition universelle d'horticulture de Bruxelles, un Bulletin de la Société française de photographie, un Bulletin de la Société d'agriculture et de commerce de Caen, et quatre numéros du Messager des Théâtres, aux archives; 6° et une lettre de M.Villemsens à M. le président, par laquelle il s'excuse de ne pouvoir se rendre à la séance. M. Chamerlat annonce que M. Mercier, membre nouvellement élu, n'a pu se rendre ce soir à la séance, et qu'il l'a chargé d'exprimer tous ses regrets à la Société. M. le président informe la Société que l'état de santé de M. Mathieu Meusnier s'est amélioré. M. Anicroche fait hommage à la Société de la photographie d'après un de ses tableaux ayant pour sujet l'Enfance de Gerbert. M.le président remercie M. Auteroche de cet hommage, qui sera déposé aux archives. Il est ensuite donné lecture de l'avis favorable de la com-


_ 414 — mission, formée de MM. Delaire, Fayet et d'Aoust de Jumelle, chargée d'éclairer la Société sur la candidature de MM. Danhauser et Rossella. — On procède au vote, et ces deux candidats sont tour à tour proclamés membres résidents dans la classe de musique. La parole est donnée à M. Harris pour l'airela lecture d'un rapport sur la 2elivraison de la Revue critique et bibliographique, lequel, remarquable par son étendue et par la justesse de ses appréciations, sera inséré dans l'un des prochains numéros. M. Sage fait la deuxième lecture de sa pièce de vers intitulée : les Deux miroirs. — On vote au scrutin, et la pièce est admise à être lue en séance publique. M. Delaire lit ensuite un rapport sur une messe de la composition de M. Ch. Manry, membre de la Société, laquelle a été exécutée à Saint-Eustache le 10 courant. — Ce rapport sera inséré aux Annales. Enfin M. Dufour donne, sur les oeuvres d'Alfred de Musset, communication d'un travail dont l'insertion est volée. La séance est levée à dix heures. L'un des secrétaires, DUFOUR.

SEANCEDU MARDI22 MARS1864. — Bulletinn° 753. — SÉANCEMENSUELLE PUBLIQUE. Une jeune pianiste, MlleJeanne Robinet, qui n'a pas encore essayé son talent devant un auditoire aussi nombreux que celui qu'elle a sous les yeux, exécute, à l'ouverture de la séance, avecle concours de M. Wacquez, artiste de l'orchestre de l'Opéra, la Fantaisie concertante pour piano et violon de Osborne et de de Bériot. A peine MlleJeanne Robinet a-


— 415 — t-ellemis les doigts sur les louches, qu'on se prend à lui appliquer ces vers du Cid : Mespareilsà deuxfoisne se fontpasconnaître, Et pourleurs coupsd'essaiveulentdescoupsde maître. et le morceau est chaleureusement applaudi. — MlleCartier chaule ensuite avec beaucoup de goût les Adieux de Marie Stuart; — M. Vibert prête l'expression de sa voix à l'hymne de Noël, d'Adam; — dans un duo de Galathée, de Victor Massé, MlleMeyeret M. Scholto sont entendus avec infiniment de plaisir; la Fantaisie pour harpe sur la Norma est, pour MlleCh. Coppée, l'occasion de faire apprécier de nouveau la justesse et le charme de son jeu; — M. Paul Briand, qu'on peutappeler un chanteur excellent de chansonnettes, en dit à merveille deux bien connues, mais qu'on aime toujours à entendre par un artiste de talent : le Père Bonhomme et l'Audience du juge de paix. — M. Sage, membre de la Société, donne lecture de sa pièce en vers, les Deux miroirs; — suit l'exécution d'un morceau qui est bissé, l'exécution du Thème varié sur un hymne autrichien d'Haydn pour piano et violon, qui vaut à MlleJeanne Robinet et à M. Wacquez surtout d'unanimes témoignages de satisfaction; — MlleMeyerchante à merveille la romance de la Fille du Régiment ; — le duo de la Reine de Chypre, pour ténor et baryton, est interprété avec beaucoup d'entrain et de succès par MM. Vibert et Scholto ; — après ces messieurs, Mlle Jeanne Robinet vient seule se faire connaître, et l'accueil que reçoit la manière dont elle touche le rondo de Weber doit lui faire comprendre qu'elle a un aimable et beau talent ;— l'air de Jeannot et Colin est fort bien rendu par MlleCartier, qui sait habilement diriger sa voix; — MlleCoppée ravit une seconde fois l'assemblée en exécutant sur la harpe la fantaisie de Bochsa, Quatre heures cinq minutes; — enfin M. Paul Briand termine la séancepar une chansonnette mi-chantée mi-parlée, le Wagon littéraire, qu'il dit en véritable comédien et qui provoque des rires et des applaudissements tels qu'on a peine à entendre les remercîments que le président lui adresse au nom de la


— 416 — Société, ainsi qu'aux autres artistes, parmi lesquels il n'oublie pas du comprendre. M. Uzès, accompagnateur de MlleMeyer, et surtout MlleHonorine Rollol, à qui revient, comme toujours, la plus grande part de l'organisation de la séance et qui fait honneur à son titre d'accompagnatrice de la Société. L'un des secrétaires, J. CHAMERLAT. SÉANCEDUMARDI5 AVRIL 1864. — Bulletinn° 754. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures et demie. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. La Société approuve de même le compte rendu de Ia séance mensuelle publique du 22 mars. M. le président signale la présence de M. Charles Mercier, membre nouvellement élu. Correspondance : une lettre par laquelle M. Villemsens, n'étant pas encore entièrement remis de son indisposition, exprime ses regrets de ne pouvoir assister à la séance de ce soir; le programme de l'Exposition d'horticullure d'Angers; une lettre de M. le secrétaire de l'Académie de Mâcon, qui remercie la Société de l'envoi de ses Annales; trois numéros du Builder, renvoyés à M. Moultat ; le Bulletin de la Société du progrès de l'art industriel, remis à M. Fayet; la Revue artistique et littéraire, ainsi qu'un Bulletin de l'Union des arts de Marseille, à M. Maillet; — le Journal de la Société impériale et centrale d'horticulture, un Bulletin de la Société française de photographie et cinq numéros du Messager des Théâtres, déposés aux archives. M. Mercier fait hommage à la Société de la pholographie de l'un de ses tableaux. Des remercîement lui sont adresses, et la photographie sera déposée aux archives.


— 417 — M. le président annonce que la séance publique annuelle pourra se tenir dans la salle Saint-Jean, le dimanche 29 mai. Il propose d'adjoindre au bureau, pour l'organisation de celle séance, les membres dont voici les noms : pour la peinture, MM.Horsin-Déon, Garnier, Anteroche et Tillier; pour la sculpture, MM. Mathieu Meusnier et Farochon; pour l'architecture, MM.Chaudet, 'fessier et Turenne; pour la gravure, M. Ransonnette; pour la musique, MM. Delaire et d'Aoust; pour la littérature, MM. Maillet, Granger et Fayet. Sur la proposition de M. Mathieu Meusnier, la Société vote par acclamation l'offre à faire à M. Riocreux du litre de membre honoraire de la première section. M. Riocreux est conservateur du Musée céramique de Sèvres, chevalier de la Légiond'honneur et de l'ordre de Saint-Maurice et de SaintLazare. M. Anicroche demande qu'il soit nommé une commission chargée de faire un rapport sur les peintures sur lave de MM.Balze, exposées dans la cour de l'école des Beaux-Arts. La commission est composée de MM. Tillier, Auteroche et Bidot. A la demande de M. Tillier, la même commission est invitée à examiner les peintures murales exécutées par M. Henri Lehmann dans l'église de Sainte-Clotilde. M. Fayet est chargé 'par la Société d'une notice sur M. Flandrin. L'ordre du jour étant épuisé, M. le président lève la séance et prévient les membres présents de la commission d'organisation de la séance annuelle que les réunions de celle commissionne commenceront qu'après le 19 courant. L'un des secrétaires, J. CHAMERLAT.


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TRAVAUX

RAPPORT

DE

LA

SOCIÉTÉ.

DE M. DELAIRE SUR

L'EXÉCUTIOND'ENE MESSE SOLENNELLEEN MUSIQUE DEM.CHARLESMANRY. JEUDI10MARS.

Messieurs, Invité par notre collègue Manry à assister à l'exécution d'une messe solennelle de sa composition, qui a eu lieu jeudi dernier dans l'église Saint-Eustache, pour participer à un acte de bienfaisance, j'ai saisi avec empressement cette occasion d'entendre une nouvelle oeuvrede ce compositeur. Toutefois une affaire indispensable m'ayant retenu chez moi plus longtemps que je ne l'aurais voulu, j'ai le regret d'être arrivé un peu trop tard pour trouver une place convenable au milieu de l'affluence de fidèles et des curieux accourus à cette solennité. Néanmoins, si quelques détails m'ont échappé, je peux vous donner un aperçu de l'ensemble, dont l'effet a été très-remarquable. Cette messe, d'un caractère ferme et soutenu, a été exécutée vaillamment par l'orchestre et les choeurs, qui en ont fait ressortir avec élégance et vigueur des dessins gracieux d'instruments, des masses de voix bien groupées, des nuances, des contrastes bien sentis et bien exprimés. La voix de MlleSax, peut-être un peu lourde à la


— 419 — scène, a retenti avec ampleur sous les voûtes élevées du sanctuaire dans des solos que j'aurais désiré plus développés, Quant à l'analyse de chaque morceau, il est difficile de se rappeler suffisamment les impressions de sons fugitifs, surtout lorsqu'on entend sans voir et en devinant, pour ainsi dire, la prière traduite Quoi qu'il en soit, j'ai remarqué, je crois, dans l'lntroit, dont le chant doux est accompagné par des ondulations de l'orchestre, un passage subit de mineur au majeur qui surprend par son éclat, Dans le Credo, qui m'a paru le plus saillant, le Resurrexit est bien l'expansion dejoie qui doit se produire et qui frappe d'autant plus qu'elle succèdeau morne Sepultus, et le style fugué classique se déroule selon la tradition sur l' Amen. Je dois encore signaler des arpéges de harpes qui son! bien là dans leur domaine, des accords brisés de violoncelles qui ont un grand charme, unesuave harmonie de cors, de flûtes qui semble émanée des cieux. Du reste, l'unité, loi fondamentale de tous les arts et que l'on néglige trop au théâtre, règne partout en souveraine dans la messe de notre collègue et donne à tous les morceaux une expression de sentiments à peu près identiques, lorsque chacun d'eux devrait avoir sa physionomie particulière, une mélodie inspirée par le sujet, d'où il suit que l'excès même du bien est un défaut. En somme celte messe solennelle, qui a augmenté la grandeur du cérémonial de l'église, sans être amoindrie par la puissante sonorité de l'orgue et de la musique militaire, est une nouvelle preuve du talent du compositeur et lui assigne un rang élevé dans le genre de musique sacrée.Il est fâcheux qu'à l'Élévation, le murmure du chant religieux de l'O salutaris ait été troublé par un commandement assez discordant de portez armes! fait aux gardes nationaux de service. Enfin, si quelques notes fausses jetées par la voix perçante du prédicateur ont blessé les oreilles des assistants, c'est sans doute la faute de Voltaire, c'est la faute


— 420 de Rousseau; mais assurément ce n'est point celle de noire habile collègue Manry, et il n'a pas eu à faire son mea culpa. DELAIRE. 15mars.

AVIS La séance publique annuelle aura lieu le dimanche 29 mai dans la salle Saint-Jean. Les membres de la Société qui voudraient y destiner quelque production littéraire, sont instamment priés d'en faire l'envoi au président de la Société avant le 26courant, terme de rigueur. Ils sont tous invités a assister a la séance du mardi 3 mai. dans laquelle il sera procédé au renouvellement de tous les fonctionnaires.

—IMP, PARIS, ETCOMP., RUED'ERFURTH, RAÇON 1 SIMON


421 —

PROCES-VERBAUX.

SEANCE

DU

MARDI 19 AVRIL 1864. — n° Bulletin 755. Présidence du M. DUBOULOZ, vice-président. La séance est ouverte à huit heures et demie. M. Dubouloz exprime à la société les regrets de M. Fournier, qui se trouve dans l'impossibilité de présider la séance dece soir. Après la lecture du procès-verbal, M. Auteroche l'ait remarquer une erreur qui s'y est introduite au sujet des peintures de MM. Balze, exposées dans la cour de l'École des beaux-arts, que le procès-verbal qualifie de peintures sur lave; c'est sur faïence qu'il fallait dire. M. Villemsens réclame à propos de ce qui est dit du congrès deTroyes dansle procès-verbal de la séance du 15 mars ; il fallait dire : le programme du Congrès scientifique de France, qui se tiendra à Troyes cette année. Correspondance : Invitation de MM.Cavaillé-Coll et Cieà une audition de l'orgue de Saint-Sulpice, le 14 avril; cette invitation ne nous est parvenue que le 15 ; Deuxnuméros du Builder sont envoyés à M. Moultat; Le Compte rendu de la Société des Amis des arts de Strasbourg est remis à M. Chamerlat; Le Bulletin de la Société d'agriculture de Poitiers, le Journal de la Société française de photographie, le Journal dela Société impériale d'horticulture, et quatre numéros du Messagerdes Théâtres, sont envoyés aux archives. M.le président lit une lettre de M. Riocreux qui remercie la Société, en termes très-flatteurs pour elle, du titre de membre honoraire qu'elle lui a offert. M. Gavet, par l'organe de M. Villemsens, demande que ce titre lui soit conféré; il se recommande par son ancienneté — N°24. MAI 27


— 422 — clans la Société : il est membre actif depuis plus de vingt ans. On passe au vote, et M. Gavet est nommé membre honoraire de la deuxième section. M. Auteroche offre à la Société, au nom de M. BrunnerLacoste, parti en voyage, une photographie d'après un de ses tableaux. M. le président le remercie ; cette photographie sera déposée aux archives. M. le président signale à la Société la présence de M.Danhauser, membre nouvellement élu dans la classe de musique; M. Danhauser le remercie de la bonne réception qui lui est faite et cherchera par son zèle à la mériter. M. Fayet lit une notice sur la vie et les oeuvresde Flandrin, enlevé récemment aux arts et à l'amitié de notre honorable collègue. Cette étude est accueillie avec reconnaissance par la Société, qui en vote immédiatement l'impression. M. Harris rend compte de deux numéros de la Revue artistique et littéraire. Ce rapport provoque quelques observations de la part de M. Granger; il est renvoyé au comité de rédaction. M. Delaire lit une fable intitulée : le Parvenu, et une lettre en vers monorimes ayant pour titre : A madame Bichette, née Angora, chez le grand schah de Perse, en Perse (scellée de ma griffe). Ces deux pièces de vers sont destinées à être lues à la séance annuelle publique du 29 mai; en conséquence, elles seront examinées dans la séance de la commission d'organisation qui se tiendra chez notre président le 26 avril. La séance est levée à dix heures trois quarts. L'un des secrétaires, J. CHAMERLAT. SÉANCEDU MARDI3 MAI 1864. — Bulletinn° 756. — Présidence de M. P. B. FOURNIER, président. La séance est ouverte à huit heures un quart. Le procès-verbal de la séance du 19 mars est lu et adopté.


— 425 — M. le président dépouille la correspondance et donne lecture d'abord d'une lettre par laquelle M. Villemsens, que son état de souffrance retient chez lui, exprime ses regrets de ne pouvoir assister à la séance, et (l'une autre de M. Berville, secrétaire perpétuel de la Société philotechnique, accompagnant l'envoi de quatre billets pour la séance publique que celte Société tiendra, le 8 courant. Ces billets sont répartis entre les membres du bureau, ainsi que quatre autres adressés par la Société académique des enfants d'Apollon pour sa séance annuelle du 5; puis il renvoie à des rapporteurs les autres objets : Deux numéros du Builder, à M. Moultat; Les Nouveaux Mémoires de la Société des sciences, agriculture et arts du Bas-Rhin, à M. Guérin ; Une traduction en vers des Bucoliques de Virgile, par M.Berville, secrétaire perpétuel de la Société philotechnique, à M. Maillet; Une Explication du symbolisme des terres cuites grecques de destination funéraire, par M. E. -Prosper Biardot, à M. Brunner-Lacoste; Un Bulletin de la Société du progrès de l'art industriel, à M. Fayet; La Revue artistique et littéraire, à M. Maillet, ainsi que le Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny; Et, aux archives, quatre numéros du Messagerdes Théâtres. M. le président exprime le désir de voir la Société rendre hommage à la mémoire de Meyerbeer, décédé la veille, rue Montaigne,2, et propose de charger M. d'Aoust de faire une notice sur cet illustre compositeur. Cette proposition est adoptée. M.le président présente àla Société M.Rossella, élu membre résident de la classe de musique dans la séance du 15 mars. M. Mathieu-Meusnier dépose sur le bureau des épreuves photographiques obtenues sur émail par M. Lafon de Camarsac. Une commission est nommée pour les examiner; elle est composéede MM.Garnier, Auteroche et Tillier.


— 424 — Une autre commission est chargée de faire un rapport sur l'Exposition des beaux-arts ; elle est formée de MM.MathieuMeusnier, Bidot et Auteroche. M. Tillier lit le rapport dont il a été chargé par la commission nommée pour examiner les peintures sur faïence de MM.Balze. Cette consciencieuse étude captive au plus haut point l'attention de l'assemblée, qui en vote l'insertion aux Annales. On procède au renouvellement de tous les fonctionnaires de la Société. Voici les résultats du scrutin : BUREAU. Président Vice-Présidents.. Secrétairegénéral. Secrétairesadjoints Archiviste.. . . Trésorier

M.MATHIEU-MEUSNIER *. MM.DUBOULOZ et VILLEMSENS. M. TILLIER. MM.DUFOUR, litAUTEROCHE. CHAMERLAT M. PAUL CARPENTIER. M. A.DUVAL.

Comité d'administration. MM.SAGERET, MOULTAT et ALEXIS GRANGER *. Comité de rédaction. MM.P. B. FOURNIER, MAILLET DELAVINGTRIE, HORSIN-DÉON *, BAYARD et ALEXIS GRANGER *. Présidents et vice-présidents des classes. CLASSES. PRESIDENTS. VICE-PRESIDENT. Peinture. . . M.A. HESSE *, del'Institut.M. GARNIER. M.GATTEAUX *, del'Institut.M. FAROCHON. Sculpture.. . Architecture.. M.DUBOYS. M.CHAUDET. M.RANSONNETTE. Gravure. . . M.TEXIER. Photographie. M.DELABLANCHÈRE. M.CHEVALIER. M.DELAIRE M.D'AOUST *. Musique... . *. Littérature.. M.MAILLET M.ALEXIS *. GRANGER *. La séance est levée à dix heures trois quarts. L'un des secrétaires, J. CHAMERLAT.


—425

TRAVAUX

DE

RAPPORT

DE

LA

SOCIÉTÉ.

M. HARRIS

SURUNELIVRAISON DE LA REVUE CRITIQUE ET BIBLIOGRAPHIQUE Messieurs, J'ai lu avec le plus vif intérêt la deuxième livraison de la Revue critique et bibliographique publiée sous la direction de M. Hatzfeld, ouvrage sur lequel M. le Président a bien voulu me charger de vous faire un rapport. Le sommaire des matières contenues dans cette livraison ouvre un vaste champ à l'esprit d'examen ; il présente ce que l'art des lettres appliqué à la scène a eu de plus beau, dans les temps anciens, avec Aristophane, Eschyle et Plaute, et il fixe aussi l'attention sur les questions philosophiques et religieuses dont on sent le réveil agiter la société moderne. Entre ces deux termes, MM.Mézières et Schmidt entretiennent le lecteur de Ticknor et de Lessing, c'est-à-dire de la littérature espagnole depuis les origines jusqu'à CharlesQuint et de la littérature allemande renonçant, au dix-huitième siècle, à suivre plus longtemps les maîtres français pour se créer un genre national. Enfin, quelques citations, malheureusement trop courtes, des oeuvres posthumes d'Alfred de Vigny, font admirer une fois encore ce maître, si noble dans sa pensée, si correct dans sa forme. Après cet aperçu général, je vais essayer de reproduire devant vous, messieurs, les parties de ces différents travaux qui m'ont semblé le plus dignes de vous être présentées. M. Hatzfeld, professeur de rhétorique au lycée Louis-le-


— 426 — Grand, analyse et commente, avec l'autorité de son talent, une traduction en vers français du théâtre d'Aristophane, par M. Eugène Fallex, professeur de seconde au lycée Napoléon, et une traduction de la trilogie d'Eschyle également en vers français, par M. Paul Mesnard. M. E. Fallex avait déjà, dès 1859, attiré l'attention du monde savant par une traduction de scènes d'Aristophane ; son nouvel ouvrage est le complément du premier, sinon une traduction complète du poëte grec. M. Fallex, qui a donné, en 1848, la traduction entière de Plutus, n'a pas été arrêté par la difficulté du travail, mais par l'impossibilité où le mettent nos moeurs actuelles de reproduire un grand nombre de passages d'un poëte qui a aiguisé sa verve satirique contre Socrate, Euripide, Cléon, et qui a été si loin dans ses critiques sociales, qu'Athènes fut obligée, vers l'an 388, de rendre une loi portant défense de représenter et de nommer sur la scène aucun personnage vivant; ce qui mit fin à l'ancienne comédie. Tout en admirant la traduction de M. Fallex, M. Hatzfeld ne se prononce pas sur la question de savoir : Si l'on doit traduire en prose ou en vers français les poètes grecs et latins. Vous estimerez sans doute, messieurs, que l'étude de cette question ne saurait vous échapper, car il s'agit ici d'une question d'art qui rentre dans l'objet de notre société. Si la pensée en elle-même constitue le principal mérite d'une oeuvre littéraire, la forme ou l'expression en est une partie distincte. Plein de sa pensée, mais non dominé par elle, le véritable poëte la revêt d'un rhythme qui imprime à son oeuvre un caractère individuel, parfois inimitable, qui en rend presque impossible la traduction. Pourtant, il faut le reconnaître, nous possédons déjà d'admirables traductions de poètes anciens, mais uniquement parce que les traducteurs, inspirés de l'oeuvre première, l'ont reproduite, nonseulement au point de vue des idées exprimées, c'est-à-dire dans le mot à mot, mais encore en transformant sa manière et en l'appropriant au génie de notre langue. Permettez-moi, messieurs , de prendre seulement un


— 427 — exemple dans un des extraits des Acharnions cités par M. Halzfeld. Dans une excellente traduction de cette pièce, M. Poyard traduit ainsi une des apostrophes qu'Aristophane adresse aux Athéniens. « N'abandonnez pas celui qui défendra toujours dans ses comédiesla cause de la justice : ses leçons, assure t-il, vous conduiront à la félicité, sans qu'il emploie ni les compliments, ni la corruption, ni l'intrigue, ni la fraude ; au lieu de vous inonder d'éloges, il vous montrera la voie la meilleure. Je me ris des artifices et des trames de Cléon; l'honnêteté, la justice, combattront pour moi ; jamais on ne trouvera en moi un politique poltron comme lui et prostitué au plus offrant. muse acharnienne, vive et dévorante «Inspire-moi, comme la flamme : telle l'étincelle s'élance petillante du charbon d'yeuse, excitée par un souffle rapide, quand on y grille de petits poissons, tandis que d'autres pétrissent la farine, ou battent d'une main agile l'éclatante saumure de Thasos, telle jaillis, ô ma muse! et prête à ton concitoyen des chants rudes, énergiques et sauvages. Voicimaintenant les vers de M. Fallex : Laissezlacomédie Vousdonner,grâceà lui, quelqueleçonhardie. Il vousprometencorplus d'unevérité D'oùpourrontdécoulervertus,prospérité; Maisn'attendezde lui ni pompeusescaresses, Ni présentscorrupteurs,ni perfideslargesses. Loinde vousentonnerl'élogerebattu, S'il parle, il parleratoujourspourla vertu. Cléon,transportéde colère, Que maintenant cielet terre; et contremoisoulève S'agite Je suis fort: j'ai pourmoila raison,l'équité. Onne meverra pascommelui déhonté, Lorsquela républiqueà nos mainss'estlivrée, Offrirau plus offrantmapersonnetarée. Viensà moi,museardente,accours; Viensen feu, mused'Acharnic,


— 428 — Il fautallumermongénie, Al'incendieil fautsoucours. Sousle souffled'un ventrapide, L'étincelleéclateet jaillit, Dèsque la flammeatteint, rougit Dansle foyerle boisaride. Déjàs'embrasentlescharbons. Allons,pétrissezla farine! Lasaumuredansla terrine! Aufeu,vite au feu lespoissons! Tellebondis,muse: courage! Je suiston homme;inspire-moi Quelquechant,hardicommetoi, Commetoi terribleet sauvage. C'est cette prédominance artistique de la poésie sur la prose qui a engagé M. Paul Mesnard a traduire en vers français l'Orestie, d'Eschyle, malgré l'excellente traduction en prose du même ouvrage due à M. AlexisPicrron, renomme par ses travaux sur la littérature ancienne. A côté de la traduction des ouvrages anciens, se place un autre travail plus important encore : la reconstitution des textes dans toute leur pureté. M. Boissier, professeur de rhétorique au lycée Charlemagne, recommande à l'attention spéciale des philologues les remarquables travaux entrepris par M. Benoist pour rectifier le texte entier de Plaute. D'après le manuscrit découvert par Angelo Maï dans la bibliothèque ambrosienne et d'après les notes laissées par M. Ritsehl, M. Benoist vient d'offrir au public une édition nouvelle de la Cistellaria, une des pièces de Plaute que le temps avait le plus maltraitées. L'histoire de la littérature espagnole et l'étude de ses principaux monuments ont repris faveur en France depuis les travaux de MM.Philarète Chasles, Ferdinand-Denis, Germond de Lavigne, Alphonse Royer, Hippolyte Lucas, etc., etc. Deux nouvelles oeuvres importantes viennent d'être menées


— 429 à bonne fin dans ce sens, par MM.Baret et G. Magnabal. Nous devons au premier une histoire littéraire de la péninsule et au second une traduction remarquable de Ticknor, qui luimême, pendant plus de trente ans, s'est attaché à recueillir ce que le génie national de son pays a produit de plus beau et de plus pur durant quatre siècles. M. Mézières, professeur de littérature étrangère à la faculté des lettres de Paris, fait ressortir, dans la Revue critique et bibliographique, tout le mérite de l'oeuvre de M. Magnabal, soit au point de vue de la traduction, soit au point de vue des additions importantes apportées à l'oeuvre originale, additions puisées dans sa propre érudition ou dans les critiques espagnols. Nous sommes arrivés maintenant à l'examen de Lessing, ou du goût français en Allemagne. Il ne s'agit plus ici d'une traduction, mais d'une thèse présentée à la faculté des lettres de Paris par M. L. Crouslé, ancien élève de l'Ecole normale. M. Schmidt, professeur d'allemand au lycée Charlemagne, suit M. Crouslé dans tous les développements de sa thèse avec l'esprit d'investigation de l'homme adonné aux études sérieuses et avec l'abandon de pensée que donne à un critique la communauté d'opinion avec l'auteur. La vie agitée de Lessing, possédé pendant toute son existencedu projet de fonder un théâtre national, et poursuivant ce but de Leipzig à Berlin, de Berlin à Hambourg; les discussions théologiques de Lessing, ses fables, son Laocoon, comme son oeuvre capitale, la Dramaturgie, — tout est étudié à fond par M. Crouslé et esquissé par M. Schmidt. Après la lecture de cet article on est animé du vif désir de lire la thèse de M. Crouslé; on sent qu'on trouverait dans cette lecture la connaissance intime des qualités et des défauts de cet esprit étrange et multiple, à la fois historien et théologien ; on le verrait refuser l'honneur de prétendre au titre de poëte pour revendiquer celui de critique ; on aimerait à parcourir les pages amères qu'un talent incontestable, mais désordonné, lui inspirait contre Racine, Corneille, Voltaire, tandis que, de bonne foi, il s'inspirait de Marivaux et de Molière, sans


— 430 — comprendre la finesse de leur génie et sans pour cela leur épargner sa critique. La réaction violente que Lessing entreprit en Allemagne contre le goût français, lui fit quelquefois dépasser, à son insu peut-être, les limites de l'équité. Jusqu'à présent, messieurs, je n'ai eu qu'à vous parler de comptes rendus d'ouvrages non soumis à votre appréciation. J'arrive maintenant à une étude d'un tout autre caractère. Il ne s'agit plus ici du Commentaire d'une oeuvre d'érudition, mais d'un travail original aussi intéressant par le sujet que par l'élégance du style : je veux parler de l'article intitulé: Études de philosophie grecque et latine. Cet article doit former la préface d'un volume que publie en ce moment M. Lévêque, un des plus beaux esprits chargés de l'enseignement au Collége de France. Cette préface, proportionnée à l'ouvrage auquel elle doit servir d'introduction, est longue relativement à la limite qui m'est imposée par la nature du rapport que j'ai l'honneur de vous soumettre. Le but poursuivi par M. Lévêque excède aussi peut-être le cadre principalement artistique que s'est tracé votre Société; cependant vous êtes trop convaincus que la beauté artistique n'est rien sans la pensée dont elle est l'intime manifestation, comme la pensée elle-même n'est rien si elle ne puise sa source dans la philosophie, pour ne pas me permettre de poser en quelques mots le programme d'un ouvrage que liront certainement tous les esprits habitués à su former eux-mêmes leurs convictions. « La philosophie aspire de nos jours à s'agrandir, dit M. Lévêque, elle tend la main à la physiologie, à la physique, à la chimie, à l'histoire naturelle, parce qu'elle éprouve le noble et légitime désir de. redevenir la science des sciences. Il n'y a pas à entreprendre d'arrêter ce mouvement, dont l'heure est décidément arrivée et qui paraît désormais inévitable ; mais il importe de le régler. » La philosophie, science des premiers principes et des premières causes, n'a (vous le savez, messieurs) qu'une méthode pour arriver à son but : le retour de l'âme sur elle-même ou


— 431 — le sens intime. C'est donc uniquement par le retour de l'âmesur elle même, ou psychologie, que l'âme se connaît et qu'elle connaît le monde extérieur par ses relations avec lui. L'existence de l'âme n'est pas une hypothèse, affirme le savant professeur, « c'est un fait et, pour qui sait voir, la lumière du jour n'est pas plus éclatante que ce fait. » Mais il ajoute plus loin : « Quand le philosophe rencontre en dehorsde lui-même un être, homme ou animal, dont les mouvements impriment l'intelligence, l'activité ou la sensibilité, le philosophe est en droit de prononcer que cet être, homme ou animal, a une âme et que celte âme est semblable à la nôtre dans la mesure même des puissances dont l'être observé produitextérieurement les signes... Croire que dans l'homme cequi connaît, agit et sent est nécessairement une âme, et croire au contraire que l'animal connaît, agit avec choix, souffreet jouit sans avoir une âme, ce n'est pas seulement une inconséquence, c'est une flagrante contradiction. » Maisla science va plus loin, messieurs, elle nous montre la vie, l'activité non-seulement dans le règne animal, mais dans le règne végétal; même dans le minéral, et alors on arrive à la loi d'Aristote, à savoir : « qu'il y a dans la nature une loi de gradation des âmes, comme il y a une loi de gradation des organes et des corps. » M. Lévêque admet cette conclusion; mais alors que devient son point de départ, la connaissance de l'âme par elle-même, par le sens intime? Aussi lui dirai-je : parti du spiritualisme et de l'individualisme, vous êtes tombé dans le panthéisme, pourquoi? Parce que vous n'avez pas tranché le voile d'erreur et de doute qui cache à l'esprit humain sa vraie route et la splendeur de sa constante perfectibilité; parce que vous avez confondu la vie avec le sens intime, attribut spécial de l'âme. Ce voile, la science moderne l'a revêtu du nom d'animisme; espérons, messieurs, qu'il sera bientôt déchiré et pourcela il faut, non pas que la philosophie tende la main à la science : il n'y a pas plus de science en dehors de la philosophie, que de philosophie en dehors de la religion; il faut


— 432 — tout simplement suivre la grande route tracée au début de sa préface par M. Lévêque : « Le retour de l'âme en ellemême et d'elle-même en Dieu. » J'ai abusé, sans doute, messieurs, mais laissez-moiréclamer quelques instants encore votre bienveillante attention pour un extrait remarquable d'une réfutation de la Vie de Jésus, extrait tiré d'une brochure publiée par M. Caro, sous le titre de l'idée de Dieu et ses nouveaux critiques. Le livre de M. Renan a eu le rare privilége de susciter bien des colères et de s'attirer un nombre infini de répliques dont le ton acerbe nuisait à la puissance d'argumentation; comment condamner rigoureusement un homme que ses adversaires insultent. M. Caro n'a pas imité l'exemple de ses prédécesseurs : sa réfutation toujours convenable, parfois poétique et touchante, sait pourtant aborder le côté sérieux. A dessein, ou par omission, il a négligé plusieurs points importants; cependant celui qu'il aborde est finement traité : « M. Renan, dit M. Caro, représente cette double et contradictoire tendance de notre époque, le doute et le mysticisme, l'élan du sentiment qui espère, qui rêve, et l'analyse critique qui dépeuple le ciel ; c'est un sceptique touché de la grâce de l' infini et qui l'adore en le niant. » Après avoir critiqué la jeune école qui, avec M. Renan, fait de la morale le culte par excellence, qui confond le relatif avec l'absolu, M. Caro termine par ce dernier trait: « S'il m'était permis de sourire en aussi grave matière, je dirais volontiers que celte jeune école est née pour jouer les grands rôles de la coquetterie. Elle aime le demi-jour de la pensée et cultive mieux que personne l'art des demi-promesses. C'est la Célimène, légèrement mélancolique, de la philosophie. Que ce soit là son charme et sa condamnation. » J'ai la confiance, messieurs, que vous répéterez cette dernière parole : « Que ce soit là son charme et sa condamnation. » Car, il faut le reconnaître, si les fortes croyances disparaissaient pour faire place au cloute, à l'incertain; si la raison humaine, abandonnée à elle-même, flottait sans autre point d'appui


— 435 — qu'un idéal changeant an gré de chaque individu, l'imagination jetterait peut être encore une dernière lueur, mais toute force, toute puissance ne larderait pas à s'éteindre. L'art! l'art ! qui ne vit que de convictions ne serait bientôt plus, et il vous faudrait, messieurs, renoncer à la faculté que vous avez toujours tenu à conserver, d'admirer et de protéger le beau et le vrai. HARRIS.

A PROPOSD'UNECRITIQUE SUR ALFRED

DE

MUSSET

Dans la dernière séance, notre honorable et érudit collègue, M. Delaire, nous a lu un de ces charmants rapports auxquels il nous a dès longtemps habitués et je crois pouvoir dire que jamais il n'a été mieux inspiré. Ce rapport avait pour objet l'analyse d'un numéro de la Revue du Progrès moral, littéraire, scientifique et industriel ; en rentrant, j'ai parcouru ce numéro et je me suis principalement arrêté à lire une lettre philosophique (c'est ainsi que l'article est intitulé) sur Alfred de Musset, j'ai été froissé de la légèreté d'appréciation qui règne dans cet article ; c'est ce qui me fait prendre la parole aujourd'hui; notre Société a le culte du beau; elle doit donc veiller sur nos gloires en gardienne jalouse et ne pas souffrir qu'elles soient attaquées injustement ; j'ai parlé d'injustice et de légèreté d'appréciation, je vais essayer de prouver ce que j'avance. L'auteur, M. de Ricard, commence par dire qu'une chose qui a influé sur le talent de Musset, c'est sa haine pour Victor Hugo ; qu'en tout il a voulu prendre le contre-pied du grand poëte et qu'il n'a choisi la manière que nous connaissons que pour ne ressembler à aucun des écrivains contemporains et seulement pour fonder une école à son tour.


— 434 Je vois là une profonde erreur; quiconque a lu Musset, est d'abord frappé, au contraire, du manque total de prétention et de préoccupation qui existe dans ses écrits, lui qui a dit : Sachez-le,c'est le coeurqui parleet qui soupire Lorsquela mainécrit, c'est le coeurquise fond, C'estle coeurquis'étend,se découvreet respire Commeun gaipèlerinsur le sommetd'un mont. Le critique qui me paraît être un utilitaire, pense qu'aucun grand poëte n'est venu sans représenter « une idée, un sentiment ou une situation morale quelconque, » et paraît en vouloir beaucoup à ce pauvre Musset, de ce qu'il ne s'est pas occupé de « restituer à l'ouvrier et à la femme le droit de vivre et d'être heureux, de dessécher le bourbier de la prostitution et de détruire l'antre de la tyrannie (styleconsacré) » et autres problèmes à l'ordre du jour; je me permets de ne pas être de l'avis de l'auteur, et quant à moi, je sais gré au charmant poëte d'avoir laissé à d'autres le soin de résoudre les questions ardues et d'avoir dit: La politique,hélas!voilànotre misère; Mesmeilleursamismeconseillentd'enl'aire. Être rougece soir, blancdemain,mafoinon. Et autre part : Je neme suis pas faitécrivainpolitique, N'étantpas amoureuxdela placepublique; D'ailleursil n'entre pas dansmesprétentions D'êtrel'hommedu siècleet de ses passions; C'estun triste métierque desuivrela foule, Et devouloircrier plus fort que lesmeneurs. Je diffère également d'avis sur le rôle du poëte : quelle situation morale, quelles idées et quels sentiments de leur temps, Homère, Virgile, Le Tasse, Milton (un ardent républicain , pourtant), Shakspeare, Racine, Corneille et bien


— 435 — d'autres ont-ils représentes ? Cependant ils passent généralement pour d'assez grands génies. Il me semble au contraire que le poëte doit planer au-dessus desidées et des préjugés de son temps et s'occuper surtout des choses toujours grandes et éternellement vraies; de Dieu, de l'âme, de la nature, des sentiments du coeur, du bien, du beau, des grands événements et des grands hommes des temps passés ; ainsi placé à distance, il juge mieux, car celui qui veut parler avec impartialité de son époque, ressemble au soldat qui voudrait décrire toutes les évolutions d'une bataille au milieu même dela mêlée, aveuglé par la fumée et la poussière, étourdi par la grande voix du canon et par les cris des mourants. Que d'erreurs ne commettrait-il pas? Toutefois, entendons-nous bien, je ne veux pas dire qu'il faut qu'un poëte se tienne en dehors du mouvement de son siècle— qu'il y entre en plein si tel est son bon plaisir, c'est ce que Lamartine et Hugo ont fait, ont-ils bien fait ? Je prétendsseulement que s'il veut rester à l'écart, on ne doit pas le pousser de force au milieu des combattants. La querelle que l'on cherche à Musset ressemble à celle que l'on ferait à un admirable peintre de genre, de n'avoir pas voulu être un mauvaispeintre d'histoire. M.Louis Ulbachdisait de lui avant Mer, qu'il avait gaspillé inutilement son génie.— c'est sévère ! — Demande-t-on à une fleur quelle est son utilité ? Non, on la trouve belle, on réjouit ses yeux de sa vue, on s'enivre de son parfum. Demande-t-on au rossignol pourquoi il passe ses soirées sur un vieil arbre à exécuter des soli mélodieux? Non; on se contente d'écouter et d'être charmé ; d'ailleurs, si on les interrogeait, ne pourraient-ils pas répondre : Nous n'existonsque pour vous rendre la vie plus belle — ainsi du poëte,— écoutons-le et, s'il nous enchante, ne lui traçons pasde route et surtout ne coupons pas les ailes dorées de ses fantaisies. Je rentre dans mon sujet et je reconnais sans peine que on l' pourrait désirer que quelques pièces n'eussent jamais été publiées; encore, comme circonstances atténuantes, peut-on citer celles invoquées par l'auteur lui-même :


—436 — Quique tu soisqui me liras, Lis-enle plusque tu pourras, Etne me condamne qu'en somme, Mespremiersverssontd'un enfant, Lessecondsd'un adolescent, Lesderniersà peined'un homme. Mais là où est l'injustice, c'est de s'obstiner à ne voir clans Musset « qu'un homme manquant totalement de pensée et de morale et incarnant une génération corrompue et tout au moins impuissante, un homme qui a joué toute sa vie une comédie à laquelle nous nous sommes laissé prendre et que nous avons niaisement applaudi, un homme qui n'aimait les femmes que comme il aimait le tabac et l'absinthe pour assouvir bestialement ses appétits et ses caprices. » Voilà textuellement le langage tenu sur l'écrivain qui, dans son oeuvre, reste toujours l'homme du monde par excellenceet un maître en l'art de bien dire. Des biographes indiscrets nous ont appris que notre héros avait mené une vie légèreet, tranchons le mot, débraillée; que souvent en quittant les salons les plus aristocratiques, il allait achever ses nuits dans l'orgie. Si c'est vrai, il faut l'en plaindre et l'en blâmer, parce que la débauche et l'immoralité sont toujours blâmables, mais sa vie privée ne doit pas influer sur le jugement que nous avons à porter sur ses oeuvres et cent endroits nous démontrent qu'il avait la plus haute idée de l'amour, une trop haute idée peut-être. La vérité est qu'il avait reçu de Dieu une organisation nerveuse et maladive qui lui faisait exagérer ses infortunes à ses propres yeux ; mais sa souffrance était réelle et c'est d'elle que sont nés ses plus beaux vers, comme les perles naissent des tortures d'une margaritifère. A l'appui de toutes les aimables allégations qui précèdent, le critique entreprend de prouver ce qu'il avance par des citations ; voulez-vous me permettre, messieurs, de prouver le contraire à l'aide des mêmes moyens ; cela sera bien facile. Il a cité quelques vers des Voeuxstériles, je vous citerai toute la pièce, ainsi que celles intitulées A mon ami Edouard B. et


— 437 — A mon ami Alfred T., puis le Saule, puis le poëme dramatique intitulé la Coupe et les Lèvres, qui roule sur cette penséephilosophique : entre la coupe et les lèvres, il y a encore placepour un malheur! L'on a parlé de Rolla, nous parlerons du commencement, comme le coeur du poëte saigne véritablement, comme il regrette les croyances perdues, comme il comprend bien qu'elles seules l'ont la consolation et la dignité de l'homme. Notons en passant ces vers admirables qui se trouvent dans la même pièce : J'aime, voilàle mot que la natureentière Crieau ventqui l'emporte,à l'oiseauquile suit! Sombreet derniersoupirque pousserala terre Quandelletomberadansl'éternellenuit! Oh! vousle murmurezdansvossphèressacrées, Etoilesdu matin, ce mottriste et charmant! La plusfaiblede vous,quandDieuvousa crées, Avoulutraverserles plaineséthérées, Pourchercherle soleilson immortelamant. Elles'est élancéeau seindes nuits profondes; Maisuneautrel'aimaitelle-même,et lesmondes Se sontmis en voyageautourdufirmament. Lisons aussi une Bonne fortune et l'Elégie de Lucie, lisons surtout la magnifique lettre à M. de Lamartine et les stances à la Malibran où se trouvent celles-ci: Meursdonc!ta mort estdouceet ta tâcheest remplie. Ce quel'hommeici-basappellele génie, C'estle besoind'aimer, horsdelà toutestvain; Et puisquetôt outardl'amourhumains'oublie, Ilest d'unegrande âmeet d'un heureuxdestin D'expirercommetoi pour un amourdivin. Vous le voyez, partout nous trouvons la môme idée noblement exprimée. Lisons encore le Souvenir et l'Espoir en Dieu qui commence ainsi: 28 — N°24. MAI


— 438 — aux homme, Je voudraisvivre,aimer, m'accoutumer Etregarder le cielsans m'en inquiéter. Jene puis,malgrémoi, l'infinime tourmente, Je n'y sauraissongersanscrainteet sansespoir, Et quoiqu'on en ait dit, maraisons'épouvante Dene pas le comprendreet pourtantde le voir. doncquecemonde,et qu'yvenons-nous Qu'est-ce faire, Si pourqu'on viveen paixil fautvoilerles cieux? Passercommeun troupeaules veuxfixésà terre Et renierle reste, est-cedoncêtre heureux? Non,c'est cesserd'être hommeet dégraderson âme. Lisons presque tout, en un mot, car pour bien juger un écrivain, il faut le juger sur son oeuvrecomplète et en faisant ainsi, Musset me semble bien plutôt l'homme des sensations intimes et des sentiments délicats et élevés que le libertin ivre-mort d'absinthe et des caresses d'une prostituée, ainsi que le critique a l'aménité de le qualifier. Il n'a donc jamais lu ses comédies et ses proverbes ; là, tout est étincelant de fantaisie, de grâce et d'esprit, et la cause de l'amour honnête et véritable y est presque toujours plaidée avec une émotion sincère et pleine de charmes. De quel talent, de quel génie fallait-il que cet homme fût doué pour que, ne croyant offrir au lecteur que des pièces dictées parle caprice et par la fantaisie, un spectacle dans un fauteuil en un mot, il ait au contraire écrit de grandes et belles comédies, que le théâtre a adoptées et conservées au répertoire, que tout,cet hiver l'on a jouées plus que jamais et que nous sommes heureux d'aller entendre pour nous distraire et nous consoler d'oeuvres prétentieuses créées sans goût ni étude et qui n'arrivent qu'à un succès de coterie et de mauvais aloi. Au moment où notre magnifique littérature française commençait à se développer, parut un écrivain fort remarquable pour ceux qui l'ont étudié, Mathurin Regnier qui, comme Musset, eut le tort d'écrire, mais en termes bien plus libres, des choses légères et immorales, l'immortel Molière lui-même n'est pas à l'abri de ce reproche; est-il un poëte qui plus qu'André Chénier ail célébré


— 439 — Etlesbaiserssecretset leslitsclandestins ? Cependant, quelle opinion aurait-on de celui qui dirait que tous trois n'ont été que les chantres de la débauche? De même qu'eux, Musset trouvera.grâce devant la postérité qui verra avec raison en lui un des poëtes les plus grands et les plus originaux de notre époque; d'ailleurs que font à l'habitant d'un palais de marbre les cris que la multitude pousse devant ses portes? Je ne veux pas, messieurs, entrer plus avant dans la discussion, je crois en avoir dit assez; je termine donc en vous donnant sur Musset l'opinion d'une femme célèbre qui se tient au premier rang parmi les plus grands écrivains et qui a eu des raisons pour bien le connaître, la voici : « Dieu condamne certains hommes de génie à errer dans la tempête et à créer dans la douleur. Ta souffrance et ton doute, ce que tu appelles ton châtiment, c'est peut-être la condition de ta gloire, apprends donc à la subir; tu as aspiré de toutes tes forces à l'idéal du bonheur et tu ne l'as saisi que dans les rêves; eh bien! tes rêves, c'est ta réalité à toi, c'est ton talent, c'est ta vie; n'es-tu pas artiste? « Dieu te pardonnera de n'avoir pu aimer, il t'avait condamné à cette insatiable aspiration pour que ta jeunesse ne lût pas absorbée par une femme. Les femmes de l'avenir, celles qui contempleront ton oeuvre de siècle en siècle, voilà tes soeurs et tes amantes. » Ce langage nous indique celui que l'on doit tenir quand on parle d'un homme de génie et je n'ai plus rien à ajouter. Mars1864. A DUFOUR.


— 440 —

A LA MÉMOIRE D'HIPPOLYTE

FLANDRIN

PARM.FAYET. Une mort prématurée vient d'enlever Hippolyte Flandrinà sa famille et à l'art dont il était un des plus fermes et illustres soutiens à notre époque. Notre Société ne pouvait manquer de vouloir mêler l'expression de ses regrets aux regrets si hautement, si généralement exprimés dans le monde des arts : elle a voulu, en consignant dans ses annales un témoignage de ses sympathies pour le grand artiste dont nous déplorons la perte, payer un juste tribut à sa mémoire. Notre digne président m'a chargé de ce soin ; bien d'autres certes parmi vous, messieurs, eussent été plus compétents que moi pour remplir cette tâche, plus habiles à le faire; personne toutefois, je le sens, ne l'eût l'aitavec une impression de douleur plus sincère, douleur bien justifiée par le souvenir de l'amitié qui m'unissait à Hippolyte Flandrin. Je n'ai du resteà vous dire sur lui, rien que vous ne sachiez vous qui tous, artistes ou amateurs des beaux arts, connaissez bien ses oeuvres, les avez toujours admirées; aussi n'ai-je pas la prétention de vous en faire une nomenclature superflue ni de me livrer à des appréciations que des juges éminents peuvent seuls se permettre. Les hommes qui sentent en eux-mêmes la force d'une vocation déterminée, le germe d'une tendance qu'ils ont à exprimer, à prouver, puisent leur énergie dans l'impulsion de ce sentiment, ne sont arrêtés par aucune défaillance dans les débuts souvent amers de la carrière qu'ils ont embrassée et


— 441 — poursuivent, avec la constance que le succès couronne, la voie qu'ils se sont tracée, sans jamais s'en écarter. Flandrin était un ces hommes, il avait commencéla peinture à Lyon, sa ville natale, et bien qu'il eût obtenu plusieurs prix a l'école de Lyon, il n'eut pas tout d'abord à Paris la réussite qu'il méritait; il y fut même repoussé une fois au concours de la figure peinte ; ce fut sans doute parce que le style de son maître, M. Ingres, dont il s'était l'ait le plus fervent disciple, n'était pas alors goûté comme il devait l'être. Flandrin ne se rebuta nullement, il persista dans ses mêmes études, dans sa même manière, et bientôt réussit, comme chacun sait, et arriva jeune encore à des succès qui n'ont peut-être été dépasséspar aucun de ses contemporains. Frandrin ne fut point un peintre populaire proprement dit; il n'eut pas la popularité que du reste il ne rechercha jamais, la nature de son talent l'ayant en effet poussé vers les hautes sphèresde l'art. Ses oeuvres capitales décorent principalement des églises et des palais : la grande peinture murale religieuse était celle qui convenait particulièrement à sou pinceau, ce qui s'explique par la vive et sincère piété qui était en lui et qui, prêtant des ailes à son âme, le transportait dans un monde céleste et lui donnait la puissance de traduire par les inspirations d'une foi convaincue, ces types angéliques que les yeux Je cette foi lui avaient sans doute réellement montrés, car quel peintre de nos jours s'est rapproché plus que lui de ces vieux maîtres qui, inexperts encore dans l'art du dessin, sont et demeureront toujours supérieurs, par la beauté de l'expression, la pureté des figures. Flandrin, plus heureux, avait la science et l'habileté de la main, ainsi que le témoignent magnifiquement ces grandes et nobles compositions religieuses où, à la naïveté dans l'expression des maîtres anciens, il a su, sans imitation servile, unir l'adresse dans les agencements, la majesté dans les poses et les gestes, la poésie


dans la coordination des groupes. Oh! oui, c'est bien une longue suite de saints et de saintes qui se déroule sur l'immense frise de l'église Saint-Vincent de Paul ! L'histoire nous apprend qu'Esteban Murillo, venant d'achever une peinture de la mise au tombeau de Jésus-Christ, tomba dans une immobilité extatique d'où on le tira en lui disant : que faitesvous donc là, maître? J'attends, répondit-il, que les saintes femmes aient enseveli Noire-Seigneur , Hippolyte Flandrin, lui, a pu peut-être, comme Murillo, s'oublier en extase religieuse devant son oeuvre achevée, attendant que celte longue procession de saints et martyrs que son pinceau avait animés défilât devant lui pour retourner au ciel d'où il les avait fait descendre. Nous avons dit que Flandrin n'eut pas dans la première partie de sa carrière une renommée populaire qu'il ne recherchait pas, mais ses portraits le révélèrent au public, et les portraits de Napoléon III, du prince Napoléon, du comte Walewski, de la jeune fille à l'oeillet resteront des modèles impérissables du genre. Il regrettait amèrement pourtant d'être ainsi détourné temporairement de sa route et éloigné de l'exécution des grands travaux de peintures murales dont il s'était chargé et qu'il avait tant à coeur de mener à bonne fin. « Voyez, me disait-il un jour en me montrant la liste des portraits qu'il avait dû s'engager à faire, ma vie pourra-t-elle y suffire? et quand irai-je à Strasbourg commencer mes travaux? » C'était, en effet, sa préoccupation, son rêve le plus caressé, que d'aller s'installer à Strasbourg pour y entreprendre de décorer de peintures murales la belle cathédrale de cette ville. Les compositions étaient faites, les cartons terminés, pourquoi faut il qu'il ne lui fût pas donné de les exécuter? Espérons qu'il se trouvera un pinceau assez habile pour traduire la pensée du maître, et que l'art ne sera point privé à tout jamais de l'achèvement de cette vaste conception.


— 443 — Siquelque chose pouvait consoler de sa mort la famille et les amisde Flandrin, c'est qu'il mourut heureux dans celle Rome qu'il avait tant désiré de revoir; les lettres qu' il écrivit de la ville éternelle, pendant son dernier séjour, témoignent en effetde tout le bonheur qu'il éprouvait à se retrouver à Rome, où l'attiraient les souvenirs de sa studieuse jeunesse, pour y contempler encore les chefs-d'oeuvre d'après lesquels il avait forméson style et dans lesquels il avait puisé ses inspirations. Il y a un an environ, une péricardite avait mis en danger la vie d'Hippolyte Flandrin ; on le crut alors perdu, mais Dieu voulutsans doute lui accorder la récompense d'une douce lin: ce fut à la suite des premières atteintes d'une petite vérole, compliquée d'accidents nerveux, que la mort vint frapper Flandrin sans qu'il eût pu en deviner les approches. Ainsi s'est éteinte cette précieuse vie, bien trop courte, hélas! pour l'art auquel elle était vouée. Je vous ai entretenu de l'artiste, laissez-moi, messieurs, eu terminant cette triste notice, vous parler de l'homme. HyppolyteFlandrin était faible de constitution ; mais ce corps débilerenfermait une âme forte et courageuse : c'était chose étrange et touchante que de voir avec quelle résignation il savait supporter la souffrance, avec quelle constante énergie il pouvait dompter le mal et poursuivre sans en tenir compte lestravaux de son art pour lequel il était passionné. Coeur ardent et plein d'une angélique bonté, il était le meilleur des pères et des époux, le frère le plus aimant et le plus dévoué, l'ami le plus sûr et le plus fidèle; modeste, on pourrait presque dire au delà des bornes, il poussait sa modestie,bien réelle et naturelle pourtant, si loin qu'elle pouvait parfois paraître simulée aux yeux de ceux qui ne le connaissaient pas intimement. Le trait le plus marqué de son caractère, si parfaitement égal et doux, était la bienveillance, le désir sincère d'être utile ou agréable à autrui. J'en atteste


— 444 — ceux de nos jeunes collègues qui, à l'école des Beaux-Arts, ont pu profiter largement de ses bonnes et consciencieuses leçons pour lesquelles il ne s'épargna jamais; aussi cette trop courte vie fut admirablement remplie, et ses nombreux amis ressentent profondément la douleur de cette perte cruelle dont ils ne se consoleront point. 19 avril 1804. FAYET.

— IMP. SIMON ETCOMP., RUED'ERFURTH 1. PARIS. BAÇON


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