Beauté Tactile - mémoire Dnmade - Léna Valleran

BEAUTÉ TACTILE

vers un luxe intérieur

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Remerciements

Je remercie tout particulièrement Emmeline Renard, Olivier Henry, Christian Tournafol, Maxime Benoist et Fabrice Tayeau pour leur accompagnement et leurs conseils avisés.

Je pense également à mes parents et en particulier ma grand-mère, qui est à l’origine de mes premières émotions tactiles avec la laine et le satin.

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SOMMAIRE

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Introduction

13 Dans un monde qui manque de tact, quelle valeur attribuer au toucher ?

19 Des expériences tactiles pour façonner nos mains...

24 Qu’est-ce qu’une beauté tactile ?

28 Conclusion 30 Corpus 31 Annexes

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Ma grand-mère tricotant les carrés de laine, bordés de satin - illustrations personnelles -

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INTRODUCTION C’est par le biais de nos sens que l’on appréhende le monde depuis notre plus jeune âge, et plus particulièrement par les innombrables rencontres tactiles qui ponctuent notre vie. Cependant, certaines nous restent davantage en mémoire que d’autres. Pour ma part, ce sont deux carrés d’une laine rêche tricotés, portant en leurs centres l’inscription délicatement brodée d’un petit mot réconfortant, que borde un ruban de satin pourpre irisé d’une largeur qui varie d’un carré à l’autre, dont le souvenir m’est précieux. Ma grand- mère, ayant eu l’idée de me confectionner une bricole que je pourrais transporter partout lorsque j’étais petite, tricota ce carré.

Arrivé entre mes doigts curieux, j’en parcourais inlassablement tous les moindres recoins, jusqu’au moment où je finis par le perdre. De nouveau fabriqué, et ce, à l’identique, son contact nouveau mystérieusement ne m’intéressait plus. Aujourd’hui, je comprends tout ce que pouvait provoquer en moi le toucher d’un objet aux qualités devenues intimes et à quel point il pouvait être unique. C’est une véritable caresse que la réminiscence de cette curiosité placée entre mes mains pour la première fois.

Lorsque je brode, c’est d’abord par le toucher que j’éprouve chaque matériau utilisé : la douceur d’un tissu, la rugosité d’un fil, le piquant d’une aiguille, le coupant d’une paillette, guidés par mes gestes, chacun est amené à changer d’aspect et, les uns mis en rapport avec les autres, permettent la création de nouvelles sensations parfois simplement agréables, et d’autres fois réellement complexes et intéressantes au toucher.

Toutes ces sensations accompagnent mon processus de création, et pourtant, c’est le plus souvent, placés à l’extérieur, et dans l’unique but d’être visibles, que les ennoblissements prennent place sur nos vêtements.

Et si l’on imaginait une broderie réalisée dans le but d’être appréciée seulement par la peau de la personne portant cette étoffe ornée ? D’être vue et touchée uniquement par elle ? Cette fonction intime et personnelle ne ferait-elle pas de ce « bijou » toute son exclusivité, et par conséquent son luxe ?

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De simples carrés de laine tricotés avec soin

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11 C’est en se remémorant l’effet de certaines matières et textures contre notre peau que l’on parvient à considérer l’importance fondamentale, fondatrice, que revêt dans nos vies l’aspect tactile des choses qui nous accompagnent.

Cependant, cette sensibilité ne tend-elle pas de nos jours à perdre de son importance ? Il semblerait en effet, que la valeur tactile d’une chose passe très souvent bien après son apparence.

Ainsi nous pourrions nous demander comment, dans une société où l’image a tendance à se placer au premier plan, nous pourrions envisager ce que le toucher a d’intime, de personnel et d’exclusif dans notre rapport aux objets. Quelle place prédominante occupe le visuel dans un monde contemporain et globalisé qui se « dématérialise » progressivement au profit des supports numériques ?

En quoi une beauté tactile consisterait-elle ?

La beauté n’est-ce pas un terme entièrement associé à une perception visuelle ou auditive ? Et enfin, en quoi la sensibilité à la qualité tactile des choses est-elle particulièrement nécessaire dans le domaine du design et de la mode ?

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Un monde peuplé d’écran et d’interfaces «tactiles» - illustrations personnelles -

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DANS UN MONDE QUI MANQUE DE TACT, QUELLE VALEUR ATTRIBUER AU TOUCHER? L’ère dans laquelle nous vivons privilégie l’aspect visuel aux qualités tactiles des choses. L’expression « manquer de tact » dans le sens d’une appréciation du monde extérieur réalisée avec peu de finesse, n’est-elle pas de plus en plus effective ? En effet, il est aisé de constater que ce sont sous nos doigts ennuyés que les mêmes surfaces lisses et glissantes, sans cesse défilent, jour après jour. Mais où sont passés les divers reliefs qui vibraient sous nos doigts lorsque nous étions enfants ?

Les multiples textures insolites et toujours uniques qui demeuraient une exploration quotidienne ?

C’est avec l’arrivée des écrans pourtant appelés tactiles, que le toucher ne semble plus désormais constituer une aventure.

Chez l’écrivain Léon Bloy, le tactile paraît être une véritable source de découvertes qui ne semble jamais pouvoir s’épuiser : « Ce qui l’enivrait (...) c’était de toucher à peine, de palper infiniment, peu, de promener çà et là (...) son appareil de tactilité »1.

Ainsi, comment une surface qui est toujours similaire peut-elle bien venir surprendre mon épiderme curieux ? Elle ne fera que le conforter dans une routine fastidieuse et le formera progressivement à ne plus rien me faire ressentir et, à ne plus me faire prendre conscience de ce que je touche.

Comment, dans une société où l’image a tendance à se placer au premier plan, pourrions- nous envisager une revalorisation du toucher ?

L’aspect visuel étant la manière dont une chose s’offre aux yeux, à la vue ou à l’esprit. Ce n’est que l’image que donne à voir un objet, et non pas la chose elle-même, ainsi, par sa forme, sa couleur, ses volumes, ses proportions, la façon dont elle est éclairée, elle permet le trucage, le mensonge ou encore l’illusion.

Les images tendent à se substituer à l’expérience réelle et intime de notre environnement, elles semblent désormais suffire, et la jouissance tactile ne paraît plus être requise.

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Léon Bloy, Histoires désobligeantes, 1894

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En effet, de nombreuses boutiques de luxe ou haut-de-gamme procèdent désormais à des ventes en ligne, ainsi le toucher ne semble plus être une nécessité pour appréhender la qualité d’un vêtement ou d’un objet. À travers l’image d’un produit, sommes-nous capable de déterminer son poids, sa texture, sa rigidité, sa souplesse, le tomber de son tissu ?

Ainsi, nous pourrions nous demander si l’expérience tactile n’est pas primordiale dans les domaines comme la mode, le mobilier ou le design d’objet où un choix rigoureux des matériaux est employé.

Si, fût un temps, ce n’était que par l’établissement d’un réel contact avec le corps et la peau que l’on était amené à confectionner les objets qui nous entouraient, il semblerait que cela soit de moins en moins le cas dans le contexte d’une production de masse de plus en plus « dématérialisée », c’est-à- dire, conçue numériquement et fabriquée à l’autre bout du monde.

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La vente en ligne où le choix se fait à travers l’écran et le désir qui se détache de la perception tactile - illustration personnelle -

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En effet, comme le souligne William Morris dans L’âge de l’ersatz et autres textes contre la civilisation moderne, en voulant produire plus rapidement et en plus grande quantité, on observe une régression de la qualité des matériaux employés et de la manière de confectionner.

Plus qu’une simple diversification des matières due à la découverte de nouveaux matériaux et processus de fabrication, il semblerait même qu’une sorte d’engouement naisse désormais autour de l’utilisation de matériaux non-nobles et de leurs capacités à imiter les plus nobles.

Cette diversification des matières, ayant pour but premier de réduire le coût de certains produits et de faciliter certains modes de productions, a engendré une grande ingéniosité dans la création d’aspects semblables aux matériaux copiés, mais a malheureusement aussi favorisé la création de matières dont la qualité ne témoignera jamais des mêmes propriétés que les originaux.

En effet, certaines matières de haute qualité tactile se voient être de plus en plus remplacées par des imitations dont l’illusion fonctionne dans l’esprit des consommateurs, et présentent un coût de fabrication moindre, mais dont les qualités ne seront jamais égalées. On peut citer comme exemple le cuir synthétique. Comparé à un cuir véritable, cette matière constituée de polyamide ne peut démontrer les mêmes fonctions isolantes, ni la même souplesse, et son toucher demeurera nécessairement froid.

Dans le domaine de l’ameublement on peut constater une réelle baisse en gamme des tissus employés afin de recouvrir chaises, fauteuils, et canapés. En effet, si l’on regarde la composition de ces matériaux, on se rend compte que seuls polyesters, et polypropylènes non tissés sont employés pour la confection des tissus d’ameublement dans la plupart des boutiques bon marché. Il semblerait alors, qu’un toucher rêche, irritant et peu agréable ne soit plus un problème pour le consommateur.

Ainsi, la question de l’importance de l’expérience tactile nous paraît alors être primordiale pour créer les conditions d’une expérience qualitative, précieuse, voire exclusive.

L’industrialisation de la production textile à la faveur de la mondialisation - illustration personnelle -

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Eprouver les textures contre sa peau, garder pour soi uniquement le Un raffinement toucher neuf et la sur perfection ce qui nous du vêtement entoure - illustrations - illustrationpersonnelles personnelle -

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DES EXPÉRIENCES TACTILES POUR FAÇONNER NOS MAINS...

C’est lorsque l’on est amené à se remémorer les souvenirs liés à notre plus tendre enfance, que l’on se rend compte de l’importance de toutes ces sensations de textures que nous traversons et, par lesquelles nous nous construisons. David Le Breton écrit à ce propos que « le toucher est propice à la mémoire, ses traces demeurent à la surface du corps, prêtes à renaître à l’occasion »2. En effet, selon, la manière dont nous avons établi un contact avec ce qui constitue notre environnement, le contexte dans lequel ce contact s’est produit, l’intensité et les sensations que ce dernier a pu nous procurer, une expérience tactile va s’enregistrer dans notre mémoire ou non, et ainsi nous rendre plus ou moins sensibles à certains touchers. Une sorte de réminiscence tactile naît en nous dès lors que l’on confronte notre peau à une sensation qu’elle connaît déjà, et celle-ci va alors influencer notre ressenti face à l’objet.

Paul Valéry3, dans son ouvrage Degas, danse, dessin évoque le désir vain d’une quête toujours croissante de l’intensité : « J’observe que l’allure de la modernité est toute celle d’une intoxication. Il nous faut augmenter la dose, ou changer de poison. Telle est la loi. De plus en plus avancé, de plus en plus intense, de plus en plus grand, de plus en plus vite et toujours plus neuf, telles sont ses exigences, qui correspondent nécessairement à quelque endurcissement de la sensibilité. Nous avons besoin, pour nous sentir vivre, d’une intensité croissante des agents physiques et de perpétuelle diversion... » La recherche effrénée de la nouveauté tendrait à nous faire passer à côté de toutes ces sensations qui sont à « portée de main », et nous soustraire à l’expérience du caractère merveilleux de l’ordinaire. Francis Ponge, dans son recueil de poème Le parti pris des choses, tente une nouvelle approche des actes du quotidien en portant un regard neuf sur ce qui l’entoure. Ne serait-ce pas simplement en étant davantage attentif, et en se mettant en condition de redécouvrir, qu’il serait alors possible de faire de ces choses banales et récurrentes, une expérience unique par le simple fait d’être à l’écoute ?

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David Le Breton, La saveur du Monde, 2006 Paul Valéry, Degas, danse, dessin, Oeuvres II, 1960

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Eprouver les textures contre sa peau, garder pour soi uniquement le raffinement et la perfection du vêtement - illustrations personnelles -

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Ainsi, s’intéresser au sujet de la beauté tactile, c’est en quelque sorte exprimer ce besoin de renouer avec le corps malgré l’automatisation et l’informatisation de la société dans laquelle nous vivons.

Cette volonté semble davantage présente chez les designers.

Au-delà de la capacité propre à l’homme de ressentir, cette sensibilité est traduite par son aptitude à l’exprimer au travers de ses créations.

Dans un monde où l’immatérialité tendrait à nous couper des sensations corporelles, et, ce faisant, nous éloignerait de notre rapport à la terre et à notre histoire, c’est-à-dire à un environnement physiquement éprouvé, certains designers et artistes replacent la matière à l’avant-scène de la création.

Une installation de l’artiste danois Danh Vo conçue pour la nef du CAPC de Bordeaux et présentée en 2018, invite le spectateur à déambuler à travers des blocs de marbre, découpés dans les années 1930.

Devenus le support des photographies de l’artiste de mains sculptées par Michel-Ange : on y voit les mains du Christ, de David, de Moïse, ainsi que de Giuliano de Medicis. L’importance du travail manuel lié à l’extraction et à la taille de ce matériau a fasciné l’artiste.

Celui-ci a cherché ici à relever le défi de l’utiliser, non pas pour le sculpter mais pour organiser dans l’espace ces impressionnants fragments. Le dispositif de l’artiste a permis d’instaurer un véritable corps à corps entre le visiteur et la matière « première » de l’oeuvre, délivrant cette étrange sensation de transgression lorsqu’il nous vient le désir de caresser ces corps de marbre.

Dans un tout autre contexte, la plasticienne Laurence Verdier, en emmaillotant des morceaux de tasses et assiettes, de coquillages, céramiques brisées, brode ensemble des éléments et raconte par ces assemblages insolites des récits pleins de poésie tactile. Son art révèle à nos doigts le récit en braille d’un chemin retrouvé, jonché d’objets brisés dont l’utilité réside à présent dans les vertus tactiles des matières qui les composent.

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Marbre de carrière et photographie de marbre sculpté - CAPC de Bordeaux - Dahn Van Do

Fragments de vaisselles emmaillotés - Laurence Verdier

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QU’EST-CE QU’UNE BEAUTÉ TACTILE ?

Cette forme de beauté particulière, sous quelles formes celle ci peut-elle bien nous apparaître ? L’assemblage des termes beauté et tactile paraît presque relever de l’oxymore, la beauté demeurant une chose qui se contemple ou qui s’entend, elle est donc nécessairement la résultante d’une perception visuelle ou auditive.

En effet, ne disons-nous pas d’une chose qu’elle est d’une beauté éblouissante, qu’elle attire notre regard, ou bien qu’elle est plaisante à nos yeux lorsque sa forme nous plaît ?

Tout un vocabulaire des plus élogieux enveloppe ce que la vue nous procure, cependant, il ne s’avère pas en être de même lorsqu’il s’agit de la dimension tactile. Chercher à revaloriser le toucher, c’est d’abord chercher à comprendre ce qui fait d’une chose, une belle expérience tactile.

Ainsi, qu’est ce que l’on entend par beauté tactile ? Est-ce un toucher agréable à réaliser ou bien est-ce un toucher intéressant, c’est à dire un toucher qui suscite notre intérêt, qui éveille notre curiosité ? Il apparaît alors, que parler de beauté tactile, ce n’est pas tant mettre un accent sur le plaisir que celle-ci nous procure, mais davantage valoriser la richesse et la finesse de la sensation provoquée, sa dimension unique et intime.

Ainsi, la grande sophistication d’une chose peut n’être que tactile et dépourvue de tout plaisir visuel car invisible, mais peut aussi venir éduquer la vue en la renseignant sur une complexité imperceptible au simple coup d’oeil, comme l’évoque le geste de l’artisan qui s’assure du résultat de son travail en touchant, en caressant la pièce réalisée.

De plus, la beauté tactile d’une chose peut aussi se trouver dans sa fonction d’apaisement, même si son contact n’est pas nécessairement d’une grande complexité, le simple fait d’avoir une chose à serrer entre ses mains ou à caresser nous procurera du réconfort.

Tout comme «Nénette et Rintintin », ces simples poupées de laines fabriquées durant la guerre de 14-18 que les enfants portaient contre eux durant les bombardements pour se rassurer. Cela pose la question de la dimension personnelle.

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« Toucher, c’est se toucher » nous dit Merleau-Ponty4, en effet, c’est mener une véritable exploration que de toucher, nous permettant d’examiner ce qui nous entoure et par conséquent de nous étudier et de mieux nous connaître à travers nos ressentis.

C’est la peau, que l’on pourrait qualifier d’enveloppe réelle et symbolique du corps, qui endosse ce rôle de point de contact avec le monde réel.

Elle constitue la mémoire inconsciente de l’enfance et des gestes d’amour que l’on a pu recevoir au cours de celle-ci. De la sensation la plus douce et agréable à la plus douloureuse, nombreuses sont les expériences tactiles qui fondent notre personne.

Ainsi, une beauté tactile ne nous procurerait non pas un plaisir de la peau, mais serait un toucher chargé de souvenirs, et dont les différentes textures nous ramènent à une chose connue et qui nous a tout particulièrement marqué.

. Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, 1964

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La richesse tactile d’un vêtement brodé de souvenirs - illustrations personnelles -

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CONCLUSION Ces multiples questionnements menés autour de l’importance tactile des choses nous amènent à réfléchir sur notre conception du luxe.

Envisage-t-on celui-ci comme la qualité de ce qui dénote la richesse et le raffinement, c’est-à-dire comme une chose d’une grande sophistication, le témoignage d’un savoir-faire lent et minutieux, l’emploi de matériaux rares et d’une extrême finesse ?

De plus, la valeur de l’objet ne consiste-t-elle que dans le fait de le posséder et de l’exhiber, de rechercher sa valeur d’estime au sens que lui donne Jean Baudrillard5 : « L’image, le signe, le message, tout ceci que nous « consommons », c’est notre quiétude scellée par la distance au monde et que berce, plus qu’elle ne la compromet, l’allusion même violente au réel ».

Se laisser séduire par l’image est-ce désormais suffisant, ou bien, le toucher est-il une nécessité quand à l’appréciation d’une belle chose ? Jusqu’à quel point apprécions-nous une chose qui ne voit sa finalité que dans la reconnaissance d’autrui ? Ainsi chercher à redéfinir cette notion permettrait d’aborder les limites d’un luxe qui ne serait que goût du faste. Attendons-nous d’une pièce exceptionnelle, qu’elle comble simplement notre désir d’ostentation, ou bien que celle-ci ait une réelle valeur à nos yeux ? Ne pourrions-nous pas redéfinir le luxe comme quelque chose qui relèverait davantage de l’expérience intime ?

. Jean Baudrillard, La société de consommation, 1970

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CORPUS Définition des termes : Trésor de la langue française informatisée, Centre national des ressources textuelles et lexicales .

Bibliographie : Jean Baudrillard - La société de consommation, 1970 Odile Blanc - Vivre habillé, 2009 Sophie Calle - Aveugles, 2011 Emanuele Coccia - La vie sensible, 2010 David Le Breton - La saveur du monde (chapitre sur le toucher), 2006 William Morris - L’âge de l’ersatz et autres textes contre la civilisation moderne, 1894 Thèses et articles : Le toucher dans le cinéma français des sensations - Sophie Walon,2013 Comment la musique influence notre perception du toucher - Jimmy Braun, 2017 Références artistiques : Peinture : Peintres de natures mortes comme Chardin, Jan Davidsz de Heem Design textile : Dorothea Tanning, Laurence Verdier, Sheila Hicks, Kate McGwire Expositions : Merci de toucher - Galerie Templon 2021 L’art et la matière - Musée des beaux-arts de Lyon 2019 Prière de toucher - Musée Tinguely 2016 LePodcasts : Toucher - série de podcasts sur les 5 sens avec Alain Corbain, historien des sens Le toucher dans tous ses ébats - Julie Beressi, 2011 Le toucher chez Merleau-Ponty, Raphaël Enthoven, 2009

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ANNEXES Recueil d’expériences tactiles Dix poèmes à la manière de Francis Ponge dans son recueil Le Parti pris des choses. Réalisés afin de tenter de trouver les mots pour dire le toucher, leur écriture m’a permis de mieux comprendre comment on pouvait être amené à retranscrire de manière précise des sensations parfois infimes, riches, et très souvent porteuses d’innombrables réminiscences.

Les raconter ainsi, c’est une manière de mettre en lumière des sensations habituelles et auxquelles nous ne faisons pas nécessairement attention. C’est aussi un moyen de donner une valeur ajoutée à la texture de choses avec lesquelles nous nous trouvons en contact et, dont on ne se serait pas nécessairement soucié, qui auraient pu être dissimulées, enfouies sous bien d’autres pensées.

Le soyeux - L’élégance de la crème fouettée et souvenir d’un carré de soie Déposé avec soin dans le creux d’une cuillère, ce volume blanc semble flotter.

Ne se déformant sous aucun mouvement qu’on lui prête, l’étrange forme onctueuse et mousseuse parvient à toujours se maintenir dans la position exacte de départ.

Elle ondoie sous les légères secousses que je lui porte tout en gardant bel et bien sa forme aux contours lisses et parfaits.

En se mouvant avec autant de légèreté, nous pourrions presque douter de sa tangibilité.

Un souffle, une légère brise et celle-ci se sépare en une multitude d’infimes éclats.

Cette neige est si fragile qu’au contact de la chaleur de ma peau elle se liquéfie.

Pareil aux merveilleux carrés de soie brodés que me confectionnait ma grand-mère, je porte cette soyeuse denrée à hauteur de ma bouche curieuse, et, la fine couche brillante et sucrée se trouvant à sa surface vient lustrer chacune de mes lèvres, les rendant plus douces qu’elle ne l’ont jamais été.

L’écume fond désormais à la rencontre de mon palais humide, et, c’est alors que tout l’air que le met contenait s’échappe, pour ne plus laisser qu’une crème liquoreuse qui s’écoule le long de ma langue tiède.

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Le mousseux - L’illusion des pâles bordures de mer De multiples courbes denses aux tonalités blanchâtres peuplent les plages de Normandie, le sable humide les fait se répandre pour parfois former un amoncellement de masses spumeuses.

Figé dans une matière plâtreuse teinté de crème, ce paysage demeure presque lunaire.

D’un geste prudent, un orteil s’enfouie dans l’un de ces volumes factices qui ornent le rivage.

Le pied que j’espérais voir s’engloutir, se retrouve nu, esseulé dans le creux qu’il vient de former sur cette couche laiteuse. C’est une consistance fabuleuse : onctueuse et légère, si furtive qu’on croirait l’avoir rêvée.

Seul le crissement des bulles qui crèvent, infimes, témoigne de sa soudaine disparition effervescente.

Semblable à un songe s’éclipsant au réveil, la couche écumeuse se désintègre dès lors que l’on souhaite en éprouver la texture.

Le velouté - Brève aventure d’une pêche Fruit à l’enveloppe élégante, C’est du bout des doigts, et sans nulle peine, que son exploration se mène.

La pêche onctueuse, m’enlace à chaque caresse.

Elle est de ces choses que l’on aborde avec une certaine précaution, L’éplucher ? Quelle calomnie !

L’effleurer, la frôler sont les seuls moyens d’accéder au grand raffinement de sa surface. Sa délicatesse est semblable à celle de la couleur lilas.

Une fine pellicule pelucheuse s’apprête à se rompre sous la moindre pression.

Une légère coupure et son aspect se voit entièrement dénaturé : Perlant de mille et une gouttelettes sucrées, Son volume se vide peu à peu et imbibe son tissu, Ne faisant de sa peau plus qu’un velours humide et défraîchi qui se flétrit et s’enroule.

DNMADE _ Espace Patrimoine

Le glissant - L’ insaisissable cube de savon De nature friable, le savon à la senteur rosée se couvre d’un liquide gluant dès lors qu’on vient à l’hydrater. C’est dans un mouvement brusque que, s’échappant à toute allure, il se faufile entre mes doigts.

Son aspect visqueux lui permet de courir le long de mon corps pour venir chuter au fond de la baignoire. Une allure qui se transforme à mesure que je l’use contre ma peau.

Parfois ondoyant, il prends la forme arrondie du creux de ma main, Se sculptant sous l’effet de la main humide que l’on vient lui frotter. D’autres fois anguleux, il s’aplatit et se brise lorsqu’il devient trop fragile.

L’humide - Pluvieuse crinière perlée Toison de nature drue comme la paille, cette filasse ne m’évoque que pâleur et fadeur.

Elle demeure une monstrueuse masse aride que l’on peine à démêler.

Prodigieuse, la rosée larmoyante vient orner ce buisson de ses fragiles gouttelettes.

Chevelure lustrée, elle s’affine et s’assouplit, suivant avec rigueur les courbes de l’arrière de ma tête, ondulant au niveau de ma nuque, dessinant de légères boucles d’une épaisseur toujours changeante. Imbibée, la coiffe étincelante se défait précautionneusement de son liquide.

Perlant goutte à goutte, il s’écoule le long de chaque crin.

De ridicules égouttures s’amusent à s’entortiller puis à glisser suivant mes mèches folles.

C’est une sensation de fraîcheur humide, qui, peu à peu se tiédit au contact de mes épaules dénudées.

Le duveteux - Rencontre avec une peau nouvelle Immaculée, une fine pilosité à peine visible recouvre cette peau infantile, Avec soin j’explore ce petit crâne cotonneux d’où une grande chaleur se dégage.

Venant alanguir le bout de mon index, celui-ci se polit sous son contact, Puis, convie les autres à l’y rejoindre tant la sensation lui est agréable.

C’est alors de l’entièreté de ma main que j’éprouve la lourdeur de ce globe pourtant si petit. À l’inverse d’une touffe de cheveux ébouriffés, laquelle tenterait d’emmêler chacun de mes doigts, Le léger duvet qu’arbore le crâne du nouveau-né, est parsemé ça et là de minces poils qui, voyant le jour depuis peu, ne sont pas encore pourvus d’une grande robustesse.

Ces innombrables jeunes pousses si fines que l’on ne les voit pas à l’œil nu, se bousculent sous le mouvement répétitif de mes mains caressantes.

Cette douceur est celle de la première main que l’on frôle timidement, celle de l’être aimé.

C’est le rouge au joue des premières tendresses, et la chaleur qui en émane.

Cette sensation éphémère ne pourrait durer car c’est sa rareté qui en fait son authenticité.

Le velu - La caresse ennuyeuse d’une feuille peluchée Pileuse, la feuille de sauge est à la fois épaisse et d’une grande souplesse.

Son pelage est d’une si grande finesse que sa douceur provoque quelque fois des chatouillements. Méticuleusement tapissée, courts sont les poils qui composent cette toison ténue.

Semblable à une fastueuse carpette, je l’imagine d’un vert sirupeux aux reflets de bleu pastel.

Ma peau, étonnée et curieuse au contact de ce végétal pubescent, Se laisse aller à une tendresse fureteuse.

C’est d’un pincement du bout des doigts que je parcours ses deux faces aux aspects différents.

Celle du dessous, lisse et rainurée, fait glisser mon pouce aisément sur sa paroi, me laissant deviner un motif en réseau complexe et aléatoire.

Sa seconde facette, elle, est d’une douceur laineuse, Accompagnant mon index dans la découverte de sa pellicule velue, c’est un chemin sans difformité aucune. Elle est d’une telle régularité qu’elle en deviendrait presque lassante.

La couleur envoûtante que m’inspire son contact en premier lieu, s’atténue à mesure que sa surface anesthésie le bout de mes doigts.

L’ennui que me provoque ce feuillage fait évoluer le bleuté de son pelage vers un gris somnifère.

Le frais - Fugace rafraîchissement dans un lieu tiède Se faisant passer pour une présence d’humidité, La pièce de monnaie qui se trouve dissimulée au fond de ma poche réchauffée par la chaleur de ma main, Elle use, tant bien que mal de toute la fraîcheur qu’elle contient en son métal afin que je la remarque.

D’une présence timide, abritée dans une cavité de ma poche au tissu percé, Celle-ci vit depuis des années, semble-t-il, dans cette veste qui se flétrit à mesure que je la revêt.

C’est en en parcourant le fond d’une main aveugle, et sans le moindre espoir d’y trouver une surprise, que mon doigt tout heureux, fait cette fraîche rencontre d’un bleu glacé.

Serrant le petit morceau de ferraille dans le creux de ma paume ardente, celui-ci s’adaptant à ma température, se fond désormais dans le décor, ne formant plus qu’une continuité de ma main.

Le rêche - Lorsque la langue enfile un nouveau costume Épaisse est la protection du pamplemousse, une sorte de carapace faite d’amertume.

Celle-ci permet à sa contenance de garder toute son acidité cruelle.

De minuscules pores humides éclatent lorsque celle-ci se déchire, Envahissant mes narines d’une brume odorante, et, propulsant une infinité de gouttelettes âcres.

La chair matelassée de ce fruit se compose de poches gorgées de liquide dont la fine enveloppe s’apprête à se rompre à tout instant, laissant s’écouler ce liquide âpre.

Cuisant ma bouche entière de toute son aigreur, elle transforme ma langue à chaque lampée en un tissu violacé. La pulpe filandreuse ne fait plus de cette dernière qu’une surface rugueuse.

Ma langue, venant se frotter à mon palais afin d’en éprouver son nouvel aspect le râpe jusqu’à presque pouvoir le rayer tant elle est revêche.

Plus qu’une simple sensation d’amertume, ce fruit dénature la texture habituelle de ma langue.

De nature douce, chaude et humide elle est désormais drue et agrippe avec voracité les aliments que je lui fait parvenir.

Le coupant - Portrait d’un livre mal-intentionné Les pages de ce chétif roman jaunies par le temps, D’une grande souplesse et fluidité, ondoient telles les voiles d’un bateau virevoltant au gré du vent. Des pages esseulées s’ennuient sous ma main feuilletant.

Elles viennent les unes après les autres s’empiler puis s’écraser à mesure que je referme l’ouvrage. Déterminée à retrouver l’extrait tant adoré, Je me lance dans un périple précipité à travers le livre.

Se froissant, se plissant, à l’égard de mes doigts malhabiles et hâtés, Un des feuillets, se trouvant mécontent, décide de rayer la peau sèche et fragile de mon doigt, Ébréché, semblable à l’oeuvre d’une lame bien aiguisée, Une profonde entaille naît, et d’un rouge écarlate, fuse dans la fibre du papier.

Ramollie par l’humide contact, le papier à l’humeur vengeresse ne blessera désormais plus personne.

Série de dessins préparatoires, fusion entre soi et ce que l’on touche, vêtements, objets, environnement intime.

- illustrations personnelles -

Léna Valleran Dnmade3 Mode - Luxe, savoir-faire et innovation