LA RELATION AVEC LE PAYSAGE DANS LES ARCHITECTURES ET LES ECRITS DE GIANCARLO DE CARLO-V.RUSSI

LA RELATION AVEC LE PAYSAGE DANS LES ARCHITECTURES ET LES ECRITS DE GIANCARLO DE CARLO

Mastère Spécialisé® Architecture et Patrimoine Contemporain Promotion 2020-2021 09-12-2021

Thèse Professionnelle Valéria Russi

Résumé

Cette thèse professionnelle intitulée

1994 et la maison Ca’ Romanino.

architectures et les écrits de Giancarlo De

d’apprécier à grande échelle le travail de

« La relation avec le paysage dans les

Carlo » a pour objet d’analyse le rapport

entre l’architecture et le paysage dans

l’œuvre de Giancarlo De Carlo (19192005).

La capacité d’instaurer des relations fortes entre théorie et une pratique non

conventionnelle fait de Giancarlo De Carlo l’un des penseurs les plus fin de

l’architecture italienne. Ce travail de

Si les premiers deux projets permettent De Carlo en relation avec les thèmes de la conservation des centres historiques, du

rapport entre paysage et tissu urbain, et des relations entre paysage et nouvelles

zones d’expansion de la ville, l’étude de la

maison Ca’ Romanino permet, quant à elle,

d’explorer la relation entre architecture et paysage à l’échelle architecturale.

thèse professionnelle essaye de restituer

Mot clefs : Giancarlo De Carlo, Team

basée sur la perméabilité entre théorie

réhabilitation du centre historique,

la complexité d’une méthode de travail et pratique : il s’appuie sur de textes théoriques pour expliquer les projets de

X,

ILAUD,

Genius

loci,

Ca’ Romanino, Urbino.

l’architecte et met en relation ces derniers

avec les problématiques concrètes que De Carlo abordait en tant que praticien.

Dans une première partie, la thèse

professionnelle contextualise le travail de Giancarlo De Carlo en évoquant les repères fondamentaux de la construction de sa pensée : notamment les rencontres

avec le groupe rationaliste de Milan, la constitution du groupe Team X, les rapports

avec les Universités des États-Unis et la

création de l’ILAUD. La thématique de la

relation entre architecture et paysage est analysée sous le prisme de ces différentes expériences.

Dans une deuxième partie du travail, la

relation entre architecture et paysage est explorée à travers l’étude de trois projets de Giancarlo De Carlo à Urbino : le plan

directeur de 1964, le plan directeur de

2

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

paysage,

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

Image de couverture:

Toiture de la maison Ca’ Romanino Source: clichè PaoloTerra août 2021.

Thèse Professionnelle:

«La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo» Valeria Russi

Sous la direction de: Théodore Guuinic

Montpellier, 9 Décembre, 2021

4

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

Sommaire

Introduction

p.7

1 - La construction d’une pensée théorique tournée vers le projet 1.1 - Repères biographiques

p.15

1.2 - Repères théoriques 1.21- Le contexte intellectuel de Milan 1.22- Le team X 1.23- L’expérience de l’ILAUD et la transmission d’une méthode de travail

p. 20 p. 23 p. 27

2 - Trois projets de Giancarlo De Carlo à Urbino 2.1- Le plan directeur de 1964 2.11 - Le contexte historique 2.12 - La commande 2.13 - Le travail d’analyse et le lignes guides du plan directeur 2.14 - Le plan de réhabilitation du centre historique 2.15 - Les zones d’expansion 2.2- Le plan directeur de 1994 2.21- La commande et la théorie de la longue-vue à l’envers 2.22- Le travail d’analyse 2.23- Les frazioni et le système de mobilité 2.24- La réception

p.38 p.42 p.45 p.50 p.61 p.66 p.68 p.70 p.73

2.3- La maison Ca’ Romanino à Urbino 2.31- La commande 2.32- Le projet topographique 2.33- Les matériaux 2.34- La poétique de la complexité et l’utilisateur actif.

2.35- Les ouvertures comme interface entre la maison et le paysage

p.76 p.77 p.81 p.83 p.93

Conclusion

p.103

Annexes- Entretiens Préambule Entretien à Octavio Mestre Entretien Aquiles González Raventó

p.108 p.110 p.112

Bibliographie

p.122

Remerciements

p.124

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

5

Introduction

Pendant sa longue carrière de plus de cinquante ans, Giancarlo de Carlo travaille en tant qu’architecte, urbaniste, professeur d’université, animateur de l’ILAUD (Laboratoire International d’Architecture et de Design Urbain), critique littéraire et rédacteur en chef de la revue Spazio e società. Ces changements d’échelle et d’outils dans son travail d’analyse lui permettent d’investiguer les problématiques liées à la transformation de l’espace à travers des prismes différentes. Malgré les nombreux textes critiques qu’il produit, il évite toujours, et c’est un choix délibéré, d’organiser sa pensée dans une théorisation globale. Comme l´affirme John Mckean « Giancarlo De Carlo n’est pas un architecte jouant au théoricien, mais un intellectuel dont le medium se trouve être l’architecture (c’est-à-dire une profession concrète, ancrée dans la pratique sociale, et non un discours abstrait)1 ».

Cependant, il est possible de saisir des questionnements récurrents dans sa pensée, des modus operandi qui lui sont propres, des thématiques avec lesquelles il va se confronter pendant toute sa vie professionnelle. Parmi celles-ci, il y a la question du rapport entre l’architecture et le paysage entendu comme espace physique et symbolique, dans la double acception de territoire naturel et de territoire modifié par le travail de l’homme. Dans la poétique architecturale de Giancarlo De Carlo, l’architecture devient significative seulement si elle sait établir des relations fortes avec le contexte. La valeur de représentativité des bâtiments prend son sens dans l’environnement plutôt que dans les objets architecturaux eux-mêmes.

Aldo Van Eyck, en décrivant les œuvres de Giancarlo De Carlo, parle de “bâtiments-seuils”2 : bâtiments perméables qui sont perçus comme des seuils entre deux paysages distincts.

Cette approche fait écho au débat international développé au sein du groupe des Team X, dont l’architecte est un des membres. En opposition aux théories de planification urbaine du Mouvement Moderne qui trouvent une 1- Exposition Architettura

formalisation dans la Charte d’Athènes, les jeunes architectes de ce groupe concentrent leur attention davantage sur la planification urbaine vue comme

Spontanea 1951.

Source : Giancarlo De Carlo : Des

1 MCKEAN J., Giancarlo De Carlo : Des lieux, des hommes, Paris, Editions du Centre Pompidou, 2004, p.14.

lieux, des hommes.

2 Van EYCK A, “University College Urbino by Giancarlo De Carlo”, Zodiac n 16, p170

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

7

outil de création de « connectivité urbaine » dans l’espace. Les relations entre les architectures et le paysage s’organisent en systèmes complexes : vues aériennes (stem), formes complexes d’association des bâtiments (cluster), passages et espaces urbains articulés : « le terrain n’est plus un plateau sur lequel reposer des volumes mais un ensemble à concevoir avec soin comme un ensemble compact dans lequel interagissent espaces, routes, bâtiments, systèmes verts et pavés ».3 La relation entre paysage et architecture, est quelques années plus tard, au centre de la réflexion que De Carlo mène au sein de l’ILAUD. La méthode de la lecture de lieux, transmise aux étudiants du laboratoire, a pour objectif l’étude des rapports complexes qui lient les éléments artificiels et naturels d’un territoire.

Enfin, c’est à travers ses réalisations concrètes que De Carlo démontre, plus que par tout autre moyen, la validité de sa conviction profonde que l’architecture ne prend sens qu’en relation avec un lieu donné : l’étude des territoires dans lesquels il conçoit ses projets n’est pour lui pas un simple préambule mais en elle-même une partie fondamentale du processus créatif.

Il y aussi une autre raison, de nature politique, qui fait que dans les projets de Giancarlo De Carlo l’architecture et le paysage sont étroitement liés. De Carlo a l’ambition de faire une architecture démocratique qui tient compte des exigences des usagers. L’architecte est un des premiers en Italie à mettre en place des dispositifs de participation, notamment pour le projet du Village Matteotti de Terni et pour le projet du plan directeur de Rimini.

De Carlo est conscient des limites des outils de participation directe : celleci « est impossible si les usagers sont des millions »4 et ne peut pas être utilisée de façon systématique car il s’agit d’un processus complexe difficile à faire accepter par tous les maîtres d’ouvrage.

Si le Genius loci (esprit du lieu) est l’expression des valeurs, de l’identité et de la culture de la communauté humaine qui habite un lieu, l’intégrer dans le processus de conception est une manière indirecte de faire participer cette communauté à la transformation du territoire. Dans le texte qui suit, De Carlo l’explicite ainsi : « Comme nous l’avons vite constaté, la participation indirecte doit emprunter deux chemins : lire les signes du territoire et, à travers cette lecture, devenir 3 SAGGIO A., I collegi di Giancarlo De Carlo a Urbino. Piano di conservazione e gestione, Milan, Mimesis, 2019, p.39.

4 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p.253

8

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

capable de découvrir et interpréter son histoire qui n’est pas seulement son passé mais aussi son présent et ses attentes futures. S’il est vrai que tout événement laisse des signes dans l’espace, que tout est inscrit dans le territoire, on peut arriver à déchiffrer cette écriture et à comprendre le sens du lieu pour lequel le projet est à faire ».5

Au nord de l’Europe, dans les mêmes années, la relation entre hommes et lieux est explorée, d’un point de vue philosophique et anthropologique, par l’architecte Christian Norberg-Schulz dans le texte Genius loci. Le lieu construit selon Schulze une partie fondamentale de l’identité de l’homme car « habiter présuppose avant tout l’identification au milieu »6. Pour que cette possibilité soit concrète, « il ne suffit pas que notre milieu soit en mesure de faciliter l’orientation, mais il doit être fait par des objets concrets avec lesquels il est possible de s’identifier »7. Le bonheur humain dépendrait donc, en partie, de notre adhésion au lieu dans lequel nous vivons.

La recherche des éléments qui forment « l’immagine urbana » (l’image urbaine) d’un site dans l’imaginaire de ses habitants correspond, dans la poétique de Giancarlo De Carlo, à la recherche du Genius loci de Schulze.

Mais à la différence de l’auteur norvégien, l’architecte ne fait pas de distinction entre « l’esprit du lieu artificiel » et « l’esprit du lieu naturel » : le système urbain et le paysage forment un système unique et contribuent donc au même titre à créer le Genius loci dans l’imaginaire de ses habitants. Cette conception intégrée de deux systèmes s’appuie aussi sur des références concrètes sur lesquelles De Carlo travaille. Ses théories sont toujours des réflexions liées à des expériences concrètes situées dans des villes telles que Padova, Rimini, Urbino, Terni, où le tissu urbain et le paysage sont encore des systèmes interdépendants.

C’est à Urbino que Giancarlo de Carlo peut approfondir la relation entre l’architecture et le paysage. Le résultat particulièrement heureux et intense du travail de l’architecte à Urbino repose, en partie, sur la structure de cette ville de la Renaissance : la dépendance étroite entre tissu urbain et territoire constitue un caractère incontournable de son urbanisation et l’architecture de Giancarlo De Carlo s’inscrit dans la continuité de ce système urbain.

Giancarlo De Carlo y travaillera régulièrement pendant toute sa vie professionnelle. Il concevra pour cette ville des projets de nouvelles 5 Ibidem, p.254 6 NORBERG-SCHULZ C., Genius loci, Bruxelles, Pierre Mardengue Editeur, 1981, p.20.

7 Ibidem

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

9

constructions, de réhabilitation, de restauration et deux plans directeurs.

L’objet de cette thèse professionnelle est l’investigation de la relation complexe entre paysage et architecture dans l’œuvre théorique et dans les architectures de Giancarlo De Carlo. Dans une première partie, nous allons esquisser le contexte intellectuel dans lequel il développe sa pensée.

L’évocation de l’expérience de la militance politique antifasciste de Giancarlo de Carlo, les rencontres avec le groupe rationaliste de Milan et le groupe international du Team X sont des étapes fondamentales de sa construction.

Pour la suite, une opportunité particulièrement intéressante est offerte par l’activité de l’ILAUD (Laboratoire International de l’Architecture et de Design Urbain), un atelier animé par Giancarlo De Carlo et une équipe de professeurs et d’étudiants venus du monde entier, sur le modèle des universités d’été américaines. Dans le cadre de l’activité didactique et de recherche de l’ILAUD, De Carlo explicite des éléments fondamentaux de sa pensée pour pouvoir les transmettre aux étudiants.

Dans la deuxième partie de ce travail, la relation entre architecture et paysage sera analysée à travers l’étude de trois projets d’échelles différentes, sur lesquelles Giancarlo De Carlo a travaillé à Urbino : le plan directeur de 1964, le plan directeur de 1994 et la maison Ca’ Romanino. L’analyse de ces projets permettra d’étudier le rapport entre paysage et architecture de plusieurs points de vue et d’explorer les correspondances existantes entre la pensée de l’architecte et son œuvre.

10

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

2- Photo aerienne d’Urbino. Les batiments marqués en blanc sont des projets de Giancarlo

1-Université de Sciences Humaines

De Carlo.Source :

2- Université d’Économie

Giancarlo De Carlo :

(Palais Batiferri)

Des lieux, des hommes.

3-Théâtre Sanzio, rampe de Francesco Di Giorgio et écuries du Duc 4- Université de Droit (Ex couvent du XVIII siècle)

3 2 1

4

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

11

12

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

PARTIE I LA CONSTRUCTION D’UNE PENSÉE THÉORIQUE TOURNÉE VERS LE PROJET

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I 13 3-ILAUD Siena 1986.Source : archive ILAUD Modena

14

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

1.1- Repères biographiques

« J’étais une espèce de voyageur, quasiment apatride. Ma vie durant, j’ai été sans racines. Le soir venu, je suis partout étranger ».8 Giancarlo De Carlo

Giancarlo De Carlo naît à Gênes en 1919. Il déménage à Tunis avec son père qui est un ingénieur naval d’origine sicilienne. Il retourne à Milan en 1937 et s’inscrit à la faculté d’ingénierie de l’École Polytechnique de Milan en visant un emploi stable dans les temps incertains de l’Italie d’avant-guerre. À Milan, il fréquente le groupe d’architectes qui gravite autour de Giovanni Pagano et du critique Edoardo Persico. Ces rencontres lui permettent de s’intéresser à l’architecture et au métier d’architecte. En 1943, le lendemain de l’obtention de son diplôme d’ingénieur, il décide de s’inscrire à la faculté d’architecture de Milan. À la même époque, il se consacre à une activité politique militante de résistance antifasciste, d’abord au sein du MUP (Mouvement d’unité prolétaire), puis avec le SAP (Groupe d’assaut populaire), fondé par lui-même et d’autres camarades.

Il garde toujours une certaine distance avec le parti communiste, qu’il accusera après la Libération de vouloir « reconstruire le monde exactement sur l’ancien modèle »9. Il se rapproche alors de différents groupes anarchistes et en particulier de celui qui gravite autour de la figure de Cesare Zaccaria.

Dans cette période turbulente, son activité politique se mêle constamment avec sa vie professionnelle : il milite aux côtés de Giuseppe Pagano et de l’historien de la littérature Carlo Bo qui va devenir, par la suite, son plus important maître d’ouvrage.

Après la Libération, il retourne à Milan et obtient son diplôme d’architecte en 1949. Il travaille comme apprenti chez Franco Albini et pour Ignazio Gardella. Avec un groupe de brillants jeunes gens, dont Gardella, Albini, Zanuso, Magistretti et Rogers, il fonde le MSA, Movimento di Studi per l’Architettura (Mouvement des études pour l’architecture).

4- Giancarlo

De Carlo dans le salon de

Ca’ romanino.

Source : IUAV

Venise, archive Giancarlo de Carlo.

Au début des années 1950, il commence sa carrière d’architecte avec la construction de logements sociaux à San Giovanni, dans la banlieue de Milan, de logements ouvriers à Novara et d’un ensemble de logements à Matera (1956 - 1959).

8 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p.150 9 DE CARLO G., in : Giancarlo De Carlo : Des lieux, des hommes, Paris, Editions du Centre Pompidou, 2004, p. 211

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

15

En 1951, il organise pour la IXe Triennale de Milan une exposition sur l’architecture spontanée qui consiste en un relevé des architectures régionales.

En 1955, appelé par Carlo Bo qui est devenu recteur de l’Université d’Urbino, il construit des logements communautaires pour le personnel de l’Université. C’est le premier projet d’une longue série qu’il réalisera dans cette même ville.

En 1959, au Congrès des C.I.A.M. (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne) d’Otterlo, il rejoint le groupe du Team X. Pendant cette période, il est appelé par Giuseppe Samonà à l’Institut d’Architecture de Venise, où enseignent déjà Franco Albini, Carlo Scarpa, Lodovico Belgiojoso, Giovanni Astengo, Mario De Luigi et Bruno Zevi. Entre 1958 et 1965, il participe à la rédaction du Plan Intercomunal Milanese (PIM) (1961-1965) et réalise le Plan Régulateur d’Urbino (1958-1964), qu’il reformule lui-même trente ans plus tard, en 1994.

La période comprise entre 1960 et 1970 est particulièrement prolifique pour Giancarlo de Carlo : il construit et réhabilite plusieurs universités parmi lesquelles l’Université de Droit et l’Université de Science Humaines d’Urbino, des maisons d’habitation, des plans détaillés de réhabilitation de secteurs urbains entiers, de colonies ou de maisons d’été, parmi lesquels la Colonia ENEL de Riccione (1961-1963), et finalement, il conçoit le Collegio del Colle à Urbino (1962-1965) (résidence universitaire du Colle) qui deviendra un de ses chefs d’œuvre.

En 1966 Paul Rudolph le fait venir à Yale en tant que professeur invité : la découverte des campus universitaires jouera un rôle important tant pour la conception des futures résidences universitaires que pour la création de l’ILAUD, qu’il fonde une dizaine d’années plus tard en cherchant à recréer un espace de discussion international.

De retour des États-Unis et dans le cadre d’un projet participatif, il construit un ensemble de 250 logements pour les ouvriers de Terni, le Villaggio Matteotti (village Mateotti). Il s’agit en Italie de la première expérience de projet participatif : les désirs des habitants seront traduits par l’architecte dans la conception d’un ensemble de formes complexes et variées, avec des espaces verts généreux.

Dans les mêmes années il conçoit les résidences universitaires Collegio Tridente, Collegio dell’Aquilone et Collegio della Vela (1973-83) qui complètent un ensemble commencé avec le Collegio del Colle dix ans auparavant et l’École d’Art à Urbino (1972-88).

De 1978 à 2000, il fonde et dirige la revue Spazio e società (Espaces

16

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

et société), qui lui permet, entre autres, de maintenir actif le réseau de relations créé avec le Team X pendant plus de vingt. Le centre d’intérêt principal de la revue est la « construction physique et sociale de l’habitat humain »10 : le choix des projets est indépendant de la notoriété des œuvres et le processus de transformation des lieux est mis en avant par rapport aux caractéristiques formelles des projets publiés.

Dans la dernière partie de sa carrière, il se dédie principalement à l’activité didactique et à l’écriture. En 1989, Giancarlo De Carlo est nommé citoyen honoraire d’Urbino. En 1993, il reçoit la Royal Gold Medal par le Royal Institute of British Architects. De 2000 à 2002, il est président de l’Académie de San Luca. Il meurt en 2005.

10 DI GIOVANNI A., “Giancarlo De Carlo and Spazio e società. A civil, cultural and professional perspective”, in : Territorio n.92, Milano, Franco Angeli, 2020, p.39.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

17

18

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

1.2 - REPÈRES THÉORIQUES

5-Page de

garde du Year Book du 1991

d’une photo de

Cesare Colombo.

Source : Archive ILAUD

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

19

1.21- Le contexte intellectuel de Milan

A Milan, après les horreurs de la Première guerre mondiale, se manifeste le besoin d’un retour à la rationalité et à l’ordre, ce qui permettra au fascisme de s’ancrer par la suite. En architecture, un groupe d’architectes incarne ces valeurs : le Groupe 7 qui voit entre ses participants Luigi Figini, Gino Pollini, Guido Frette, Sebastiano Larco Silva, Carlo Enrico Rava, Giuseppe Terragni e Ubaldo Castagnoli.

Tout en proposant une nouvelle approche « rationnelle » caractérisée par l’utilisation de formes pures qui traduisent la fonction des espaces et par le rejet de l’ornementation, les architectes du Groupe 7 revendiquent un ancrage profond dans la tradition et l’Histoire. L’Histoire à laquelle ils font référence est celle, glorieuse, de Rome et de ses monuments, de splendides équipements publics qui ont su exprimer la puissance et l’intelligence de l’empire romain.

En 1937, Giancarlo De Carlo rencontre Giuseppe Pagano, directeur de la revue Casabella, de vingt-trois ans son aîné. Pagano reproche à l’architecture proposée par les architectes du Groupe 7 d’être « plus romantique et nationaliste que véritablement moderne11». Il s’intéresse davantage à l’architecture vernaculaire et publie un essai, Architettura rurale italiana, pour la Triennale de Milan de 1936. Cet écrit décrit l’architecture de la campagne du nord d’Italie sans aucun romantisme. Giancarlo De Carlo adhère à l’approche de Pagano et à son intérêt pour une architecture « mineure », il affirme : « Ce sont les maisons éternelles de nos paysans, de nos bergers, de nos pécheurs qui représentent la véritable tradition italienne, et tous ces discours autour de Rome, la Romanità, la virilité romaine, n’étaient qu’une supercherie nauséabonde inventée par les professeurs de l’académie12».

Quinze ans plus tard, en 1951, Giancarlo De Carlo organise l’exposition Architettura spontanea (architecture spontanée) qui est, en quelque sorte, le prolongement du travail de Pagano. Avec l’aide de jeunes architectes originaires de différentes régions d’Italie, il collecte des documents qui 11 MCKEAN J., Giancarlo De Carlo : Des lieux, des hommes, Paris, Editions du Centre Pompidou, 2004, p.18.

12 DE CARLO G., in : Giancarlo De Carlo : Des lieux, des hommes, Paris, Editions du Centre Pompidou, 2004, p.18.

20

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

représentent les bâtiments vernaculaires et témoigne des traditions relatives la construction locale de plusieurs régions italiennes. Ce travail anticipe d’une certaine manière le texte et l’exposition « Architecture whithout architectes»13 [architecture sans architectes] de Bernard Rudofski » qui a été publié une dizaine d’année plus tard et a eu un rôle fondamental dans la valorisation de l’architecture vernaculaire en Europe.

Son intérêt pour l’architecture vernaculaire sera fondamental dans son activité de planification et de réhabilitation des villes historiques. Ce qui intéresse De Carlo ce ne sont pas les architectures monumentales, perçues comme objets précieux et isolés, mais les relations multiples que les bâtiments créent dans l’espace, la mémoire du lieu que ces architectures véhiculent.

Sa relation à l’Histoire est une relation vivante, jamais nostalgique.

Il étudie le rapport qui se forme entre l’objet architectonique et l’activité humaine avec le même intérêt que sa réalité physique ou son histoire : « Une œuvre d’architecture ne signifie rien si on la considère en dehors de son usage. Isolée, elle ne saurait se représenter elle-même, ni établir des relations sensées avec la nature ou l’Histoire, dans la mesure où sa signification repose entièrement sur sa présence active, sur les systèmes de relations qu’elle entretient avec ses usagers14. » affirme Giancarlo de Carlo dans l’article « Legittimising architecture » paru dans la revue Forum en 1979.

Après les années de guerre et de résistance, c’est dans un nouveau contexte culturel que Giancarlo de Carlo évolue : de jeunes architectes rentrés à Milan après la guerre, choisissent de se pencher sur les problèmes et les opportunités que la période de la reconstruction peut leur offrir. C’est dans ce contexte historique que Giancarlo de Carlo commence sa carrière. Avec certains d’entre eux, il fonde le MSA, Movimento di Studi per l’Architettura (Mouvement des études pour l’architecture). Dans ce groupe il y a Ernesto Rogers, un des architectes le plus influentes du milieu. Il aide Giancarlo De Carlo à publier ses essais sur Le Corbusier et Wright. C’est grâce à Rogers que De Carlo rencontre Gropius, Neutra, Aalto et Markelius et qu’il est invité aux congrès du CIAM. En 1954, Rogers devient rédacteur en chef de la revue Casabella continuità et invite De Carlo, Gregotti et Zanuso à rejoindre la rédaction. L’évolution du titre de la revue de Casabella à Casabella Continuità, par Rogers, n’est pas anodine : selon Rogers, comme il l’explique dans son essai, le preesistenze 13 RUDOFSKI B., Architecture without architects, NYC, Museum of Modern Art, 1964.

14 DE CARLO G., «Legitimising architecture», Forum, Vol.XXIII, numero 1, p.8.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

21

ambientali (l’environnement préexistant) : « l’architecture doit créer un dialogue avec le contexte vu comme environnement physique contingent et continuité historique »15.

Cela produit dans les architectures de Rogers, et par la suite celles d’Aldo Rossi et Giorgio Grassi, le recours à un vocabulaire formel issu de la tradition. Giancarlo De Carlo s’éloigne progressivement de la pensée d’Ernesto Rogers et finit par quitter son poste dans le comité de rédaction de la revue. Dans les pages de Casabella, en expliquant les raisons de son départ, il déclare : « Il nous faut choisir entre les élans idéalistes sans but de l’avant-garde et le développement d’une méthode fondée sur le réel, entre le cercle des initiés et la société en elle-même, entre l’utopie et la véritable transformation du monde, entre l’architecture de la planche à dessin et l’ouvrage construit qui continue de vivre sa vie, et est utilisé au quotidien pour ceux qu’y mènent leur existence 16».

La rupture qui s’opère entre Giancarlo de Carlo et Ernesto Rogers et d’autres architectes de Milan qui vont donner vie au filon postmoderniste, amène Giancarlo De Carlo à s’éloigner de la ville de Milan, ville dans laquelle l’architecte habitera presque toute sa vie, mais dans laquelle il ne construira que très peu.

15 MCKEAN J., Giancarlo De Carlo : Des lieux, des hommes, Paris, Editions du Centre Pompidou, 2004, p.20.

16 DE CARLO G., «Una precisazione», Casabella Continuità, n. 214,1957, p.21.

22

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

1.22- Le Team X

La réponse aux problématiques de la société de l’après-guerre se construit, selon Giancarlo De Carlo, toujours par l’étude de la réalité dans sa dimension la plus concrète. De cette position résulte des conflits entre l’architecte et ses collègues étrangers au sein du CIAM. En 1959, au congrès d’Otterlo, en réponse aux critiques reçues sur le projet des maisons à Matera, il réplique : « Je voulais qu’avant tout qu’on me reconnaisse le droit d’élaborer des projets et de construire d’une façon différente dans chaque lieu différent. Je demandais que mon architecture, à l’égal de toutes les architectures de bonne qualité soit considérée comme l’aboutissement de forces venant de diverses origines : des forces de la réalité traduisant les spécificités des lieux et des cultures de leurs habitants17».

Les contradictions et les conflits entre les participants au Congrès sont de plus en plus évidents. Ils seront explicités avec clarté dans le neuvième CIAM et amèneront à la fin des Congrès Internationaux à la naissance du Team X. L’organisation du neuvième congrès du CIAM est confiée à Le Corbusier.

Il propose comme thématique du congrès la publication d’une Charte de l’Habitat qui pourrait consacrer et clore l’activité du CIAM sur le sujet de l’habiter, qui est une des quatre fonctions précisées par la Charte d’Athènes.

Le congrès se déroulera à Aix-en-Provence. Le choix de la ville n’est pas anodin : la proximité de cette ville à celle de Marseille, et donc à l’Unité d’habitation, permet de consacrer ce bâtiment comme modèle de logements pour le Mouvement Moderne.

La réaction des participants du CIAM au texte préparatoire de la « Charte de l’habitat », rédigé par Andrè Wogenscki, membre de l’Ascoral, n’est pas celle espérée par le comité de direction. Les remarques des différents groupes nationaux soulignent la faiblesse du document, qui applique la méthode de la grille CIAM d’urbanisme à la Charte de l’habitat avec « une normalisation poussée jusqu’à l’outrance concernant les dimensions, la fabrication matérielle, la maquette et les codes graphiques de représentation…18 ».

17 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p.14.

18 BONILLO, J. L., “La modernité en héritage”, Rives Méditerranéennes n.24, France, Avril 2006, p.5.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

23

Giancarlo De Carlo inclut les réactions des architectes plus jeunes dans sa réponse au document provisoire de la Charte de l’Habitat : « Et en effet, les objections ne manquèrent pas et donnèrent une occasion d’âpre bataille dans le congrès préparatoire au CIAM de Sarraz (...). Le groupe italien présentait un mémoire qui soulignait l’inopportunité de formuler un code quand il s’agissait désormais de reconnaître de manière consciente un état de crise et indiquait comme il était dangereux et destructeur de recourir à des expédients fidéistes et abstraits. Il fallait au contraire remplacer les piliers vacillants de l’ancienne foi par une attitude solide et concrète. De nombreux groupes d’autres pays ont adopté des positions similaires et le débat animé qui s’ensuit a conclu qu’il fallait renoncer à la Charte de l’habitat jusqu’à ce que les problèmes de l’habitat soient sérieusement examinés et débattus.19 ».

Le document final de la Charte de l’Habitat, diffusé aux participants du neuvième congrès du CIAM, ne tiendra pas compte de ces nombreuses remarques ; il sera rédigé par Le Corbusier lui-même et distribué aux futurs participants. Au-delà du débat sur le plan théorique et sur la gestion du congrès, un autre aspect d’hétérogénéité et désaccord entre adhérents aux CIAM est évident : la différence de l’approche architecturale des différents architectes.

Dans le mémoire présenté au congrès d’Otterlo, Giancarlo De Carlo affirme: « A travers la comparaison des œuvres - que dans tous les pays du monde tous les architectes qui déclarent d’appartenir au mouvement moderne réalisent on peut constater que les divergences existent et qu’il ne s’agit pas seulement d’une variété d’interprétations ou d’une diversité d’attitudes expressives, mais de divergences substantielles et de fond ».20

En conclusion du CIAM à Aix-en-Provence, le groupe des jeunes est chargé d’organiser le dixième congrès du CIAM à Dubrovnik. Il propose de reprendre le thème de l’habitat, mais en laissant un ample espace aux préoccupations théoriques des jeunes architectes anglais Alison et Peter Smithson : à la place de la grille d’urbanisme issue de la charte d’Athènes, la discussion s’articulera autour de quatre thèmes : la mobilité, le cluster, la croissance et les changements.

Ce dixième congrès montre une scission évidente entre les deux générations : les architectes qui étaient à l’origine du CIAM ne se ne présenteront pas au 19 DE CARLO G., in: Questioni di architettura e di urbanistica, Macerata, Quodlibet, p.64.

20 Ibidem p.66

24

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

congrès de Dubrovnik. La fin du CIAM et la constitution du Team X seront rendus officielles pendant le congrès à Otterlo.

Le Team X se constitue comme un contre-modèle du CIAM : les architectes qui participeront aux réunions du nouveau groupe le feront avec l’objectif de se confronter plutôt que celui de créer un nouveau manifeste de l’architecture moderne. La volonté est de ne pas se structurer dans le consensus d’une pensée unique, mais laisser la discussion et le débat ouverts : « Dans un certain sens le Team X était vraiment le début de quelque chose de nouveau. Mais croire que c’était quelque chose de compact est une erreur : il y avait des alliances partielles et temporaires. Je pouvais me mettre d’accord avec Van Eyck sur les questions de langage, et moins sur les questions sociales.

Je pouvais m’entendre avec Candilis pour ses idées, mais je ne pouvais pas partager entièrement la manière de concevoir le TU (Technische Univerisität) de Berlin. Notre force était notre façon de communiquer, si fluide et si immédiate, et c’est pourquoi le Team X était si flexible …21 ».

Les participants ont une provenance, une formation, une culture architecturale, politique et intellectuelle très hétérogène ; l’enjeu est de garder la complexité et la différence de points de vue plutôt que de les aplatir. La confrontation entre les architectes se fait sur le plan concret du projet : les réunions sont organisées à tour de rôle sur le lieu du projet d’un des architectes participants pour permettre des visites et stimuler des discussions. Smithson définit ce groupe constitué par lui-même et Alison Smithson, Jaap Bakema (néerlandais), Georges Candilis, (grec travaillant en France), Giancarlo De Carlo (italien), Aldo van Eyck, (néerlandais) et Shadrach Woods (né aux États-Unis et travaillant en France) comme : « une petite famille d’architectes qui recherchaient chacun d’autres futurs membres, parce que chacun trouvait l’aide des autres indispensable au développement et à la compréhension de son propre travail »22.

Dans le l’extrait de texte qui suit De Carlo donne un exemple de concret de l’hétérogénéité de points de vue qui pouvait coexister à l’intérieur du Team X: « Une autre position était représentée par Peter Smithson [...]. La substance idéologique de leur conception se résumait en trois principes fondamentaux : reconnaître la valeur d’unification qui peut contenir la mobilité lorsque le réseau routier assume la fonction de «système» rationnellement organisé, réguler 21 DE CARLO G., Scritti per Domus, Milano, Editoriale Domus, 2005, p. 30.

22 SMITHSON A., [ed] Team 10 Primer, Cambrige,The MIT Press, 1968.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

25

l’intensité des communications afin que le système détruise les tendances actuelles de la densité de la construction et constitue un réseau articulé et croissant (cluster) [...] et développer une forme architecturale adaptée aux technologies les plus récentes et à l’échelle sur laquelle il est aujourd’hui nécessaire d’opérer [...].Aldo Van Eyck, fervent défenseur du néoplasticisme et fanatique partisan de l’autonomie de la forme -dont il attribue les vertus et significations tout à fait magiques- involontairement menait l’attaque le plus dure contre ces hypothèses rationalistes qu’il déclarait vouloir soutenir ».23

La méthode de travail « ouverte au conflit » de Team X produit un phénomène inédit : tout en gardant la spécificité de leur propre recherche, dans l’œuvre des sept architectes, il s’avère possible de retrouver des éléments, des transcriptions spatiales, des thématiques discutées au sein du Team X. La première réunion du groupe Team X eut lieu à Bagnols-sur-Cèze en 1960, la dernière, se déroula en juin 1977 à Bonnieux. Sur la disparition du Team X Giancarlo De Carlo s’exprimera, trente ans après, sans aucune nostalgie : « Nous n’avons pas écrit un manifeste et nous avons disparu sans aucune gêne : tout d’un coup nous avons cessé d’exister. En fait, nous n’avons jamais annoncé que nous n’existions plus, simplement parce que nous ne savions pas vraiment si nous avions existé. Personne ne m’a jamais dit que je faisais partie de l’équipe X : participer aux réunions était une décision que j’avais pris individuellement. »24

Cependant, l’expérience du Team X, loin d’être éphémère, sera un point de référence pour toute la production architecturale des années de la reconstruction.

23 DE CARLO G., in : Questioni di architettura e di urbanistica, Macerata, Quodlibet, 2008 (réédition du livre de 1964), p.96 24 DE CARLO G., Scritti per Domus, Milano, Editoriale Domus, 2005, p.30.

26

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

1.23- L’expérience de l’ILAUD et la transmission d’une méthode de travail Giancarlo de Carlo fonde l’ILAUD en 1975. À cette époque, il est dans la pleine maturité de son travail d’architecte : plusieurs ouvrages qui seront pour la suite reconnus comme chefs-d’œuvre de l’architecte tels que les collèges à Urbino, le village Matteotti à Terni et la Université des Sciences Humaines Magistero ont déjà été réalisés. Cependant, dans le milieu intellectuel italien, Giancarlo de Carlo est pour la majorité méconnu ; ses réalisations ne sont pas largement publiées dans les revues d’architecture de référence italiennes et ses attaques ouvertes contre les architectes du courant postmoderne italien, tels que Aldo Rossi, Gregotti et Paolo Portoghesi, contribuent à son éloignement de la vie universitaire et culturelle italienne.

Néanmoins, Giancarlo De Carlo occupe un poste de professeur à l’Université d’Architecture de Venise depuis 1955, mais même à l’intérieur de cette université, comme l’explique Zanardi « De Carlo occupe une position isolée, dans une faculté marquée d’une part par la présence du groupe de l’Instituto di storia dell’architettura (Institut de l’histoire de l’architecture) rassemblé autour de Tafuri (Ciucci, Dal Co, De Michelis, Manieri, Teyssot) et d’autre part par le Gruppo di architettura (constitué entre autres par Ayonimo, Cannella , Fabbri, Pannella, Semerani) » .25 Isolé dans le contexte culturel italien qu’il accuse d’être académique et fermé au débat, au milieu des années soixante-dix, Giancarlo De Carlo s’invente alors deux nouveaux outils de communication qui vont lui permettre de continuer à faire de la recherche et de pouvoir transmettre un enseignement.

Ces deux outils sont la revue Spazio e Società et l’ILAUD (International Laboratory of Architecture and Urban Design).

L’idée de l’ILAUD nait en 1968, quand Giancarlo De Carlo est recruté par l’Université de Columbia pour assurer des cours à un groupe international d’étudiants. C’est à cette occasion qu’il commence à songer à la création d’une école internationale d’architecture qui puisse étudier les problématiques réelles du territoire et de la ville à travers une « permanence architecturale » de quelques mois assurée par les étudiants dans ces mêmes villes. A ce propos, l’architecte raconte :

25 ZARDINI M. “Dal Team X al Team x = From Team X to Team X: International Laboratory of Architecture and Urban Design (ILAUD)”, Lotus international, n° 95, dec. 1997, pag.80.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

27

« A la suite du cours d’été que j’ai assuré à Columbia, j’ai vu qu’on pouvait atteindre des résultats intéressants en faisant travailler des équipes de jeunes de provenance culturelles diverses sur des thèmes spécifiques, choisis sur place, là où le cours se tenait. Des connaissances acquises à partir de plusieurs points de vue différents permettaient d’enrichir le thème à aborder. Et en même temps, en abordant directement un thème réel, pris dans la réalité, la connaissance s’élargissait et l’imagination se concrétisait ».26

Travailler dans un contexte international en Europe, dans les années soixante-dix, est déjà en soi une expérience exceptionnelle qui permet aux étudiants et aux professeurs participants de confronter des méthodes de travail et ouvrir des nouvelles pistes de recherche. Comme le rappelle Attilio Gobbi, qui travaille à l’ILAUD pendant trente ans aux côtés de Giancarlo De Carlo : « Il ne faut pas oublier que le monde d’alors était remarquablement différent de celui d’aujourd›hui : la mondialisation n’existait pas, les communications d’un pays à l’autre étaient assez compliquées et les manières de penser l’architecture n’étaient pas aussi standardisées qu’aujourd’hui. Par exemple, il était facile de percevoir l’intérêt des Scandinaves pour la lumière comme matériau fondamental du projet, la fraîcheur et l›optimisme venant de s›être libérés du franquisme chez les Espagnols, le pragmatisme des Américains, l’expérience dans les processus participatifs des Belges, et bien d’autres choses. »27.

En 1974, l’Université d’Urbino, avec un comité promoteur constitué par Carlo Bo, Livio Sichirollo (qui nous retrouverons par la suite en tant que maître d’ouvrage de la maison Ca Romanino) et Giancarlo de Carlo, fonde l’ILAUD. Le siège choisi est Urbino et la langue utilisée l’anglais. Ce seront les villes mêmes qui accueillent ce laboratoire itinérant qui indiqueront les problématiques à analyser dans leurs territoires, celles « qui sont en général les plus urgentes et les plus difficiles, celles qui demandent une attention très affinée et désintéressée ».28 De 1976 à 2003, les laboratoires de l’ILAUD se tiennent à Urbino (19761981 mais aussi 1991-1993), Siena (1981-1990), San Marino (1994-1996) et Venise (1997-2003). Après la mort de Giancarlo De Carlo, ses plus étroits collaborateurs, Connie Occhialini et Paolo Ceccarelli, prendront la tête de l’ILAUD qui est une structure active encore aujourd’hui.

26 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p.251.

27 GOBBI A., “ILAUD”, T18, n° 37-38, Invierno 2020, p.50.

28 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p.157.

28

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

En 1976, les universités qui adhèrent sont celles d’Urbino, Oslo, Zurich, Louvain, Barcelone et du MIT du Cambrige, aux Etats-Unis. Par la suite vont s’ajouter au groupe d’origine les universités de Paris VIII, Strasbourg, Zagreb, Bruxelles, Berkeley, Pennsylvanie, Philadelphie, Edimbourg, Gênes, Venise, Stockholm et de Genève. Ces partenariats se basent sur un intérêt que De Carlo a pour des individus, plutôt que des institutions, ou sur un lien qu’il veut tisser avec eux, comme il l’explique dans la déclaration suivante : « L’ILAUD était officiellement soutenu par les universités mais critique, dans son programme, à leur égard. L’un des objectifs était d’arracher le milieu académique à sa torpeur, et par conséquence on devait s’appuyer sur des personnes prenant des positions distinctes, individuelles, reconnues mais en même temps non conformistes. Avec leur aide, on pouvait obtenir que les enseignants et les étudiants venant en Italie ne soient pas sélectionnés par le Conseil de la Faculté.

Nous l’avons obtenu parce que l’ILAUD s’est appuyé sur ces personnes-là et non sur la bureaucratie académique ».29

Il semble naturel à Giancarlo De Carlo de s’adresser en premier lieu aux membres du Team X, avec qui il a déjà expérimenté une manière de faire de la recherche expérimentale et collaborative : Peter Smithson, Georges Candilis, Aldo Van Eyck, Bakema, Erskine, Herzberg, participent ponctuellement ou de manière continue au laboratoire. Peter Smithson, en particulier, participe à presque toutes les éditions de l’ILAUD et il devient un point de repère pour l’activité du laboratoire. Son apport théorique sera fondamental pour les travaux conçus au sein du laboratoire. Attilio Gobbi en parle ainsi : « A ce stade, je dois rappeler comment, sur cette question, une contribution importante a été apportée au débat au Laboratoire par Peter Smithson, un grand ami de Giancarlo, avec qui dans le passé il avait partagé les expériences de la célèbre Team X. Peter a introduit le concept d’« ordre de conglomérat », à savoir un ordre qui ne cherche pas à schématiser et à réduire la complexité de la réalité, mais l’exalte plutôt. Évidemment, nous parlons d’un ordre non géométrique, non euclidien, mais irrégulier, fractal. Un conglomérat et donc plusieurs commandes.

Tous les lieux ont en eux un ordre de conglomérat, comme nos villes et tous les bâtiments du passé. »30

29 Ibidem, p.252 30 GOBBI A., ILAUD, T18, n° 37-38, Invierno 2020, p.51.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

29

Les espaces étudiés dans le cadre du laboratoire sont davantage les lieux qui sont « nées sans projet mais résultant de longs processus et qui en tant que tels sont riches en redondances ». Il s’agit de l’équivalent à l’échelle urbaine de l’architecture vernaculaire. C’est dans le résultat de cette planification urbaine « sans urbanistes » qu’il faut chercher davantage le Genius loci comme il l’explique dans le texte qui suit Attilio Gobbi : « Aujourd’hui, nous sommes culturellement amenés à croire que les surplus, appelés gaspillages, doivent être éliminés. Dans cet effort, qui a du sens à bien des égards, nous risquons de ne pas remarquer que les redondances incarnent des qualités précieuses, qu’il est difficile voire erroné de rejeter. La commande sans surplus est un ordre fragile. Un ordre fragile est difficile à transformer ou à améliorer sans le dénaturer. C’est ainsi que dans ce qu’on a appelé des espaces « interstitiels », des espaces apparemment inutiles, sans fonction, le Laboratoire a découvert que des qualités importantes étaient préservées, comme le caractère même des lieux, et c’est justement ici qu’il est le plus facile d’intervenir pour transformer sans détruire ».31

En parallèle aux contenus théoriques « Smithson élaborait une série de «petits projets» : portes, tours parcours, pavements, petits bâtiments, arbres et parkings. Smithson se chargeait ainsi de créer des «signs of inhabitation» pour préparer de petits signaux de prise de possession des lieux. Il n’y a pas de meilleure façon de «représenter» le déplacement de l’ILAUD de ville en ville que ces projets, qui donnent au laboratoire sa dimension poétique ».32 Les multiples contributions intellectuelles, le cadre précieux des villes historiques italiennes et le milieu international du laboratoire font de l’expérience de l’ILAUD un moment fondamental dans le parcours de beaucoup d’architectes qu’y participent. Giancarlo De Carlo en décrit l’atmosphère en ces mots : « Chaque université envoie au laboratoire six étudiants et deux enseignants.

Ceux-ci, pendant cinq semaines et à plein temps, dirigent les groupes internationaux, assistés par des experts externes invités à travailler au laboratoire pour des période plus ou moins longues. On travaille vraiment à la table à dessin et vraiment à plein temps avec enthousiasme et passion. L’ambiance qui s’établit n’est même pas imaginable dans une école d’architecture ordinaire. C’est pour cette raison que ceux qui y ont travaillé ne l’oublient plus de toute leur vie. »33.

31 Ibidem 32 ZARDINI M., “Dal Team X al Team x = From Team X to Team X: International Laboratory of Architecture and Urban Design (ILAUD)”, Lotus international, n° 95, dec. 1997, p. 81.

33 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p.152

30

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

L’ambition qui anime Giancarlo De Carlo pour l’ILAUD va bien audelà de celle d’un cours d’été d’architecture. L’architecte veut créer un espace d’apprentissage démocratique et flexible qui puisse s’adapter au développement de différentes thématiques de recherche. Il est demandé à l’équipe pédagogique « de remettre en question le rôle du professeur dans l’optique de la création d’un atelier plutôt que d’une école »34.

Au-delà de leur statut, les étudiants et les professeurs qui participent au laboratoire doivent faire preuve de leur « capacité de confrontation » comme il le précise l’architecte Connie Occhialini qui travaille pendant toute sa vie au sein de l’ILAUD : « Dans les échanges d’idées au sein des groupes de projets, il fallait convaincre les autres de ses idées, et il n’était pas si important d’être un bon concepteur que d’être bon pour faire avancer les idées et aller plus loin. »35.

Pour pouvoir approfondir les sujets de recherche et assurer une continuité dans la collaboration entre les différentes universités, l’ILAUD demande aux universités participantes de travailler tout au long de l’année sur les thématiques à développer pendent le laboratoire estival. En soutien de cette idée naissent les Bollettini, une publication qui était adressée aux différents interlocuteurs tous les trois ou quatre mois et qui contenait des questionnements et des textes sur les thématiques à explorer et les Year books, publications éditées chaque année qui recensaient toutes les activités du laboratoire estival, c’est-à-dire les cours magistraux et les séminaires mais également les travaux de fin d’études réalisés par étudiants.

Un autre aspect fondamental du travail de l’ILAUD est la création d’un lien entre les administrations municipales et le laboratoire. Si d’un côté, les administrations sont impliquées dans le travail du laboratoire et peuvent exploiter ses résultats des recherches, ce rapport direct se révèle pour les étudiants particulièrement précieux, comme l’explique Mario Cucinella : « Le fait que la discussion était toujours ouverte au public était important parce qu’en tant qu’étudiant on sentait que ce laboratoire était aussi une façon d’affirmer le rôle de l’architecte dans le système de transformation de la ville »36.

34 OCCHIALINI C., “ILAUD”, T18, n° 37-38, Invierno 2020, p. 21.

35 Ibidem.

36 CUCINELLA M., in : Giancarlo De Carlo; il progetto come eredità, Milano, Tracce Euromilano, 2019, p.51

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

31

L’organisation didactique de l’ILAUD se base sur l’alternance et la multiplicité des contenus de cours et séminaires qui font appel aux disciplines les plus variées : les cours qui s’interrogent sur la dimension symbolique, esthétique et philosophique de l’espace mais également étudient la géologie, l’histoire de l’architecture, l’histoire de l’économie, l’agriculture et la botanique des territoires concernés. L’ILAUD tient à ne pas fournir une méthode de conception architecturale aux étudiants. Cependant, il est possible de retrouver un modus operandi propre au travail de l’ILAUD ; il s’agit plutôt d’une posture intellectuelle à prendre à l’égard de l’activité de conception qu’une série de techniques. Cette posture se base sur deux piliers : la lecture des lieux, ou reading, et l’élaboration des projets « par tentatives ».

Aquiles Gonzàlez Ravento synthétise la complémentarité de ces deux outils dans le texte qui suit : « Le processus d’analyse de la réalité architecturale suppose une connaissance accomplie du thème et de l’investigation qui est en même temps le point de départ de la méthodologie. La lecture se transforme dans l’outil principal de l’analyse dans l’ILAUD et à travers elle nous pouvons connaître la structure du problème (définition) et proposer l’action destinée à le résoudre qui n’est pas nécessairement une solution spécifique. C’est comme essayer les différentes nuances d’une réalité, architecturale ou autre. Toute idée aprioriste doit être vérifiée en permanence puisque le monde n’est pas seulement ce qu’il est mais aussi ce qu’il semble être et qui dépend de nous. La multiplicité du langage souligne la nature changeante de l’architecture”. 37

Les deux activités ne sont pas seulement complémentaires mais doivent être faites au même temps, comme insiste De Carlo : « A l’ILAUD, on étudie le projet en même temps qu’on lit et inversement, dans une perpétuelle alternance. Notre démarche dans l’étude des projets consiste à faire des « tentatives », en ce sens qu’on ne vise pas es solutions univoques mais on confronte le lieu concerné par le projet avec un enchaînement d’hypothèses qui dévoilent sa substance et ouvrent le processus de sa transformation ».38

37 RAVENTO GONZALEZ A., ILAUD, T18, n° 37-38, Invierno 2020, p.94.

38 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p.158.

32

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

6- Réunion Team X à Bonneux (avec Aldo Van EycK, Ralph Eskine, George Candilis, Giancarlo De Carlo).

Source : archive Anna De Carlo.

7- ILAUD Siena 1985, (avec Giancarlo De Carlo, Peter Smithson, Lucien Kroll).Source : Giancarlo De Carlo : Immagini e frammenti, p.140.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

33

PARTIE II TROIS PROJETS DE GIANCARLO DE CARLO A URBINO

8- Giancarlo De Carlo a Urbino.Source : archive Anna De Carlo

2.1 - LE PLAN DIRECTEUR DE 1964

9- Photo

aérienne de la ville et de

son paysage”.

Source :

Urbino, la

storia di una

città e il piano della sua

evoluzione

urbanistica.

2.11- Le contexte historique

Avant d’analyser le projet du plan directeur d’Urbino de 1964, il est utile de rappeler le contexte historique et le droit de l’urbanisme en vigueur dans l’Italie de l’après-guerre.

Les trente années qui suivent la fin de la deuxième guerre mondiale, sont, en Italie, des années de débats acharnés sur la thématique de la planification urbaine. De nouveaux quartiers se développent de manière déréglée autour des centres historiques pour répondre à la problématique de l’augmentation démographique et à la forte demande de logements. Les centres historiques, souvent gravement endommagés et abandonnés pendent les années du conflit, se vident progressivement.

En 1962, le Gouvernement introduit les Piani di edilizia economico popolari (plans de logements économiques populaires) qui ont pour objectif de régir et d’encourager la construction de nouveaux logements. Dans les faits, ils permettent d’exproprier des terrains publics pour construire des logements sociaux. En 1967, avec la legge ponte del 1967 (loi pont du 1967), le gouvernement impose aux zones de nouvelles édifications de se doter des infrastructures et des services qui complètent la fonction résidentielle et rendent les nouvelles zones édifiées autonomes. Il s’agit de répondre aux standards urbains : la logique est celle des théories du fonctionnalisme et du zoning, issues du Mouvement Moderne.

Comme nous l’avons déjà noté en parlant du regard critique de l’architecte au sein des CIAM, Giancarlo De Carlo est un opposant féroce à la planification urbaine conçue par standards : les besoins de l’homme ne peuvent pas être réduits à des quantités à atteindre et la planification urbaine fonctionnaliste produit des ensembles rigides et répétitifs. Pour l’architecte, il faut d’avantage trouver une méthode de planification urbaine qui puisse tenir compte de la complexité de la ville car : « Les villes ne sont pas seulement des lieux où l’on réside, des espaces ouverts et des services fonctionnels entre les résidences ; elles se composent d’une infinité d’évènements spatiaux qui les rendent confortables, signifiantes et inoubliables »39. À la fin des années soixante, « la priorité n’a plus été l’expansion des zones 39 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p.198.

38

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

urbaines, mais l’amélioration de la qualité du bâtiment et de l’architecture afin d’améliorer également les conditions de vie. Une première réponse à cet intérêt se manifeste d’abord par la réhabilitation des centres historiques »40.

Les centres historiques n’ont pas une législation urbanistique spécifique : certains bâtiments de la ville historique sont protégés par la Legge del 1939, n.1089. Tutela delle cose d’interesse artistico o storico (Conservation de biens avec valeur artistique ou historique). Il s’agit d’une protection individuelle de sauvegarde qui concerne les bâtiments isolés. Le sauvegarde des centres historiques dans le seul but de les conserver est mise en discussion par plusieurs architectes et urbanistes : les centres historiques doivent être réhabilités pour que les habitants recommencent à y habiter.

Une première réponse législative est apportée par la Legge 22 ottobre 1971, n. 865 Programmi e coordinamento dell’edilizia residenziale pubblica (Programmes et coordination de la construction résidentielle publique) qui permet d’attribuer des subventions pour la réhabilitation et la restauration de secteurs entiers du centre historique. Mais c’est seulement en 1978, avec la loi 457/78 du 5 août, que la problématique de la revitalisation des centres historiques est affrontée d’une manière intégrée. Cette loi crée un nouvel outil de planification urbaine : il Piano di recupero dei centri storici (Plan de récupération des centres historiques). Ce plan est un instrument exécutif qui établit des actions précises à mener pour chaque secteur, à travers l’élaboration de plusieurs Piani particolareggiati (plans de secteurs détaillés). L’objectif est de revitaliser le patrimoine existant par des interventions tournées vers la conservation, la réhabilitation et la meilleure utilisation du patrimoine.

Giancarlo De Carlo conçoit le plan directeur d’Urbino entre 1958 et 1967, c’est-à-dire dix ans avant la publication de la loi 457/78. Il ne s’appuie donc ni sur les instruments législatifs existants, ni sur les plans directeurs italiens précédents. Ainsi, le plan directeur d’Urbino peut être considéré comme un plan précurseur du Piano di recupero dei centri storici (plan de rénovation du centre historique). L’architecte s’insère à l’intérieur du débat italien en soutenant les partisans de la réhabilitation et de la régénération des centres historiques et conçoit à la fois des outils et une méthodologie innovante de planification urbaine.

40 CASU S., directeur de thèse ORSOGNA D., “Governo e riqualificazione del territorio: gli strumenti giuridici”. Università di Sassari, 2006.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

39

Urbino, grâce à sa superficie réduite, est un laboratoire idéal pour expérimenter les théories de planification de Giancarlo De Carlo concernant la réhabilitation du centre historique et la conception de nouvelles zones d’édification en lien avec la ville ancienne. En parlant du travail du plan directeur d’Urbino, Giancarlo De Carlo affirme : « Je dois encore dire que le «cas particulier» d’Urbino a été le plus suggestif et le plus fécond qui puisse m’arriver pour les objectifs que je me proposais.

Et cela non seulement pour la richesse de sa composition de problématiques historiques, économiques, sociologiques, spatiales, culturelles, esthétiques, etc. mais aussi pour les stimulations qu’il est capable de produire au niveau humain.

En effet, le débat continu que j’ai dû engager avec la ville a eu pour moi une grande importance : les consentements et les contrastes, les encouragements et les obstacles. Plus largement, l’impulsion qui continue à affiner les problèmes et les solutions m’est venue du contact avec les personnes et les groupes sociaux rencontrés sur le terrain concret du travail pendant que j’étais en train de l’accomplir »41.

Bien conscient du caractère précurseur de son travail, il décide de rendre compte du travail préliminaire de ce plan directeur dans un texte qui sera publié par la maison d’édition Marsilio en 1966 et qui s’intitule Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica (Urbino, l’histoire d’une ville et le plan de son développement urbain). Ce texte rassemble l’étude préliminaire et la campagne d’expérimentation théorique préalable à l’élaboration du plan d’urbanisme de la ville d’Urbino. Dans la conférence de presse pour la sortie de son livre, De Carlo déclare : « Avec ce livre (et avec le plan), j’ai essayé d’aborder un «cas particulier» et de l’explorer jusqu’au bout, dans tous les aspects de son caractère concret. Le but a court terme était de mettre au point un programme d’action urbanistique qui servirait pour Urbino ; Le but à long terme était de fournir des indications qui pourraient trouver d’autres applications et dépasseraient le cas particulier traité .Les hypothèses, les vérifications et les instruments qui ont été décrits, sont propres à Urbino ; mais la base théorique et méthodologique qui soutient la description et qui dérive de l’analyse, de la critique et de l’intervention sur le «cas», est une proposition pour résoudre les problèmes du territoire, dans lesquels les problèmes des centres historiques sont des «cas particuliers».42

41 DE CARLO G., Immagini e frammenti, Milano, Ente autonomo della Triennale e Electa, 1995, p.53.

42 Ibidem

40

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

Ce texte a donc un but didactique et de vulgarisation en Italie et à l’international. En témoignent le double texte en italien et en anglais puis la deuxième page de couverture où est affiché un plan de toute l’Europe, dans lequel la petite ville d’Urbino est localisée avec un cercle.

Dans le projet éditorial du livre et dans la rédaction du plan directeur, une recherche à part entière est consacrée au projet graphique. Les images et schémas de synthèse doivent être en mesure de « de synthétiser l’extrême complexité du projet à l’échelle territoriale de manière directe et simple, sans pour autant perdre la multitude des facettes qui le caractérisent »43.

L’influence du monde anglo-saxon est évidente dans le choix du langage graphique utilisé. Les documents graphiques sont en noir et blanc, des légendes synthétiques et des pictogrammes sont utilisés pour rendre la communication claire et accessible.

Ces mêmes outils graphiques sont développés par Kevin Lynch dans son travail sur les villes américaines et ont alimenté par la suite la publication The Image of the City. À l’époque où l’architecte travaille au plan directeur, il est vraisemblable de penser qu’il avait connaissance du travail de l’urbaniste et théoricien américain. En effet, à partir des années soixante, Giancarlo De Carlo est sollicité pour donner des cours en tant que professeur invité au MIT de Cambridge où Lynch enseigne. Il témoigne de son intérêt pour le travail de Lynch, quelques années plus tard, dans le cadre de la collection «Structure et forme urbaine» de la maison d’édition Il Saggiatore qui édite en italien Managing the sense of a region, sorti en 1976 aux États-Unis.

43 TOSETTO F., “Giancarlo De Carlo e il Primo Piano Regolatore di Urbino”, in Histories of Postwar Architecture (HPA), 2018, p.8.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

41

2.12 - La commande

« Je veux dire que sur mon travail dans cette ville, j’ai greffé les expériences que je faisais partout dans le monde ; et du reste, dans les canevas de mes architectures, il y a toujours dans la trame ou dans la chaîne un fil qui ramène à Urbino44 ».

Giancarlo De Carlo

On recense de nombreux écrits sur les motivations qui ont amené Giancarlo De Carlo à consacrer la plupart de sa vie professionnelle à la ville d’Urbino.

C’est l’architecte lui-même qui alimente le récit d’un lien avec Urbino de nature passionnelle, exclusive, d’une sorte de prédestination à être lié à toujours à ce lieu. Cette dimension presque mythique est bien exprimée dans le texte qui suit par Giancarlo De Carlo lui-même : « La première fois que je me suis rendu à Urbino pour m’occuper de l’université Carlo Bo est venu me chercher à Pesaro en voiture. La montée vers Urbino a été lente parce qu’il restait encore un peu de neige sur la route, et à un moment donné, au tournant de Trasanni, à quatre kilomètres d’Urbino, Bo a demandé au chauffeur de s’arrêter. Nous sommes descendus : nous voyons de loin la merveilleuse silhouette de la ville, enserrée dans la campagne qui rappelle le plus la peinture du XVe siècle. « Voici la vraie Italie » m’a dit Bo, et moi, j’ai tout de suite vu que c’était cela, sans l’ombre de doute ».45

Mais quelles sont les caractéristiques qui rendaient si attirante la ville d’Urbino aux yeux de Giancarlo De Carlo ?

Tout d’abord, ce qui impressionne l’architecte est l’exceptionnelle valeur artistique, architecturale et historique de la ville et de son site physique.

En 1998, le centre-ville d’Urbino est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco selon des critères qui synthétisent les caractéristiques et qualités spécifiques d’Urbino et son site : Critère (ii) : pendant sa courte prééminence culturelle, Urbino a attiré certains des plus remarquables érudits et artistes de la Renaissance, qui y ont créé

un complexe urbain d’une homogénéité exceptionnelle, dont l’influence s’est largement étendue au reste de l’Europe.

44 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p.172.

45 Ibidem p.173.

42

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

Critère (iv) : Urbino représente un pinacle de l’art et de l’architecture de la Renaissance, si harmonieusement adaptés à son site physique et à son précurseur médiéval d’une manière exceptionnelle.46

De Carlo s’était rendu compte du caractère exceptionnel de ce lieu. D’autant plus que l’isolement géographique avait permis de garder intacte une grande partie des « valeurs formelles »47 de la ville de la Renaissance et de son paysage. Ce même isolement est responsable de l’état de décadence et d’abandon dans laquelle se trouve la ville. Son enfermement est accentué par «l’état précaire des voies de communication et par la restauration tardive du chemin de fer à cause des viaducs détruits. La ville, à proximité de la ligne gothique, vivait un après-guerre particulièrement difficile. Surpeuplée et en proie à une crise désespérée du logement elle est pauvre en eau, en électricité et en combustible ».48 L’autre élément qui rend ce territoire particulièrement attirant aux yeux de l’architecte est la gouvernance qui s’établit à Urbino à l’arrivée de Carlo Bo. En 1947, l’intellectuel italien, est nommé recteur de l’Université libre d’Urbino.

Entre 1949 et 1963, plus de 355000 logements sociaux sont construits en Italie grâce aux financements prévus par le Piano Ina-casa. Ce sont les villes les plus peuplées qui en bénéficient davantage : notamment Milan, Turin, Rome et Florence. Plus ponctuellement, de petits centres urbains négligés, comme celui de la ville de Matera, ont accès aux financements accordés par le plan. Dans ce cas, de nouveaux quartiers se développent à la périphérie du centre historique et permettent aux habitants de vivre dans des conditions dignes.

Le projet que Carlo Bo a pour Urbino ne se contente pas de résoudre le problème du logement. Le recteur veut créer un nouveau pôle universitaire à travers lequel relancer l’économie de la ville et ramener les habitants dans le centre historique. Seuls les étudiants vivraient dans de nouvelles résidences universitaires en périphérie de la ville d’Urbino. Ces résidences seraient reliées au centre par les transports publics.

46 Rapport Unesco, Vingt-Deuxième session Kyoto, Japon,30 novembre - 5 décembre 1998, p.22.

47 DE CARLO G., Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica.

Padova, Marsilio, 1966. p. 105 48 MIGNARDI L., Sono geloso di questa città: Giancarlo De Carlo e Urbino, Macerata, Quodlibet, 2018, p.18.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

43

En 1953, avec l’appui d’Egidio Moscioli, ancien maçon inscrit au Parti Communiste et élu maire d’Urbino, le projet de Carlo Bo peut surmonter le scepticisme de l’administration municipale pour mettre en place ce projet visionnaire. Le pôle universitaire et l’administration publique travaillent ensemble au projet jusqu’à devenir « des instruments complémentaires d’une même vie économique, sociale et culturelle »49.

Giancarlo De Carlo veut être l’architecte qui réalisera ce projet dans l’espace physique de la ville. Pour ce faire, il a besoin d’un outil qui puisse régir les différentes actions à mener à une échelle globale : un plan directeur de la ville.

Il propose alors à Carlo Bo de faire la demande au Ministère des Travaux Publics pour que la ville d’Urbino soit incluse dans la liste des villes italiennes qui doit se doter d’un plan directeur. Cette démarche permettrait à la mairie d’accéder aux financements publics nécessaires pour rédiger le plan. En surmontant les oppositions locales et régionales qui ne veulent pas d’un « étranger » comme projecteur du plan d’urbanisme d’Urbino, Giancarlo De Carlo arrive, en 1954, à se faire confier la mission de rédiger l’étude préliminaire du plan directeur par le Ministère des Travaux Public.

49 Ibidem p. 26.

44

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

2.13- Le travail d’analyse et les grandes lignes du plan directeur La première partie du plan directeur se compose d’une analyse minutieuse du tissu urbain et de son site. Dans ce but, Giancarlo De Carlo crée, au sein de l’administration communale, un service d’urbanisme dédié à la conception du plan directeur : en font partie les étudiants de fin de cycle, Paolo Ceccarelli e Carlo Carozzi, ainsi que deux fonctionnaires de l’administration communale. Giancarlo De Carlo veut créer pour le nouveau plan directeur d’Urbino « des outils d’intervention variés et différenciés pour assurer la précision la plus appropriée à la finesse des situations ».50 Mais il y a très peu de documentation sur le patrimoine architectural d’Urbino : les plans cadastraux sont obsolètes et les plans à échelle 1 :25000 sont les seuls éléments qui lui est possible de consulter.

Avant tout, il a donc besoin de disposer de relevés précis de tous les bâtiments du centre historique. Pour cela, il organise une campagne de relevés du centre-ville avec ses étudiants de l’Université de Venise.

L’Université d’Urbino est également impliquée dans la phase de recherche pour l’élaboration du plan à travers la création du « Pôle de recherche pour le Plan Directeur ». Le centre de recherche récolte des données relatives à la structure physique, géographique, sociale et économique du territoire.

L’analyse de la mobilité et des infrastructures présentes sur le site, ainsi qu’une recherche sur l’évolution morphologique de la ville complètent la partie d’analyse du plan directeur. Ces recherches, bien que menées de manière discontinue, durent presque dix ans.

Giancarlo De Carlo dans son analyse, se demande quels sont les éléments qui définissent le Genius loci de la ville dans l’imaginaire de ses habitants, ce qu’il appelle « l’immagine urbana » (image urbaine). Selon lui, « les repères visuels » à la base de l’image urbaine sont les mêmes architectures et les mêmes espaces publiques qui ont été bâtis sous la gouvernance de Federico da Montefeltro pendant la Renaissance. Le théâtre d’époque néoclassique « a ajouté un nouveau sommet au système, reconnaissable même à longue distance ».51 Il s’agit donc d’un tissu homogène mais dans lequel « ces repères visuels flottent sans lien avec le tissu urbain environnant, 50 DE CARLO G., Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica.

Padova, Marsilio, 1966. p. 103 51 Idem p. 104

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

45

qui a perdu la force de l’image même où il est conservé intact ».

Cela s’est produit à cause de la dégradation et de l’abandon de certaines zones de la ville, en particulier de celles au nord et au sud-ouest comme nous le verrons pour la suite.

Les caractéristiques du paysage ne sont pas moins importantes pour définir le Genius loci d’Urbino. Dans le document préliminaire au plan directeur De Carlo décrit ainsi le paysage : « Il s’agit d’un paysage naturel, mais construit en tout point en parfaite harmonie avec les modules de composition qui régissent les formes architecturales du Centre Historique. Dans ce paysage tout apparait calculé pour créer un équilibre de caractères et d’images qui n’admettent pas d’insertions hétérogènes » 52.

Les documents graphiques d’analyse du paysage et de la ville d’Urbino sont révélateurs de la pensée de De Carlo sur l’importance de considérer paysage et architecture comme deux éléments du même système.

Les deux documents affichent l’ensemble des éléments naturels et artificiels qui déterminent les caractéristiques fondamentales de chaque système et les relations entre ces derniers. Dans la planche « description visuelle de la ville » les repères architecturaux (clocher et dôme de la cathédrale, théâtre, tours d’observation du Palais Ducal etc.) sont représentés en relation avec la vue sur le paysage qui est possible d’avoir depuis les différents points de la ville (vue sur la campagne, vue sur le toit et la campagne, vue panoramiques sur le paysage). Tous ces éléments construisent le Genius loci de la ville (cf. illustration n°10).

Dans la planche « Description visuelle du paysage », avec la même logique, trois catégories d’éléments sont représentées : les repères architecturaux (bâtiments isolés, groupes de bâtiments ou monuments), les points de repères naturels (arbres, forêts, arbres, montagnes) et les vues panoramiques (vues collinaires de fond, vue lointaine de la mer, vue lointaine de Saint-Marin).

L’objectif du dessin est non seulement de hiérarchiser ces éléments en leur attribuant une valeur esthétique et symbolique mais surtout d’indiquer les relations visuelles les plus importantes qui relient les lieux. L’équilibre savant de ces éléments détermine le Genius loci du paysage (cf. illustration n°11).

52 Ibidem

46

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

Le plan directeur d’Urbino se concentre sur deux objectifs principaux : sauvegarder le paysage d’une activité de construction éparpillée et de basse qualité et revitaliser le centre historique.

La charge de répondre à la demande de logements et de services revient au vaste projet de restauration, de reconversion et de réhabilitation du centre historique. Les sièges des universités, installés dans les anciens palais de la Renaissance ont un rôle clef pour relancer l’économie locale. Les habitants « fuyant la campagne ou les zones dégradés du centre historique pour s’assurer les plus bas niveau qualité de l’habitat dans les environs de la ville ou dans les agglomérations proches »53 retourneraient alors dans une ville qui aurait retrouvé son ancienne splendeur.

53 Ibidem p.106

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

47

DESCRIZIONE VISIVA DELLA CITTA VISUAL ANALYSIS OF THE TOWN

10- Description visuelle de la ville. Source : Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica.

48

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

DESCRIZIONE VISIVA DELLA PAESAGGIO VISUAL ANALYSIS OF THE LANDSCAPE

11- Description visuelle du paysage. Source : Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

49

2.14- Le plan de réhabilitation du centre historique

Selon l’analyse de De Carlo, au XIXème siècle, la construction du théâtre a créé un déséquilibre entre la zone sud-ouest, où se concentrent toutes les architectures les plus remarquables, et la zone nord-ouest, à caractère principalement résidentiel. Cela est aussi le résultat d’un manque d’éducation et de sensibilité pour les « architectures mineurs », car comme il le dit : « pour toute la population du système urbain, ne comptent que les grandes émergences visuelles et très peu les images complémentaires ».

Au fil du temps cette zone a été délaissée et se trouve être la plus dégradée du centre historique.

La zone fait donc l’objet d’un Piano particolareggiato (plan de dtail), le plan de détail de la zone de Lavagine. Le plan prévoit la création d’une nouvelle place au sud du secteur, la création d’une nouvelle rue et de commerces en dehors des remparts et la réhabilitation de sept isolats situés entre la place et la porte. Ce projet de réhabilitation urbaine, d’une manière insolite pour un plan directeur d’urbanisme, est étudié à l’échelle architectural. « Giancarlo de Carlo prétend décliner en première personne les principes exprimés par le plan »54 : il dessine les bâtiments du secteur à l’échelle 1 :100 et indique les démolitions à effectuer, les modalités des interventions en façade, la réorganisation des plans, l’introduction de nouveaux systèmes de circulations verticales et de plomberie. Cet approfondissement, à son égard, a « l’importante fonction d’expliquer concrètement comment les exigences organisationnelles du plan d’aménagement peuvent se transformer en formes appropriées »55, et être donc le modèle des interventions de restauration et réhabilitation à prévoir pour le reste de la ville.

On peut considérer le plan directeur de De Carlo à Urbino, et en particulier le projet de rénovation urbaine du secteur de Lavigine, comme une application pratique de sa doctrine sur la conservation et la restauration du Patrimoine, de la même manière que le projet de rénovation urbaine de la Grand Béguinage de Reymond Lemaire à Louvain a été un laboratoire d’application des ses principes doctrinaux.

54 TOSETTO F., “Giancarlo De Carlo e il Primo Piano Regolatore di Urbino”, in Histories of Postwar Architecture (HPA), 2018, p.18 55

50

Ibidem

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

CENTRO STORICO : PROGRAMMA DI RISANAMENTO HISTORICAL CENTRE :RENEWAL PLAN

12- Plan de la ville avec indication du type d’intervention. Source : Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

51

CENTRO STORICO HISTORICAL CENTRE

13- Division du centre historique en secteurs. Source : Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica.

52

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

De Carlo envisage des démolitions ponctuelles dans les intérieurs des îlots pour répondre aux nécessités de salubrité, selon la pratique du diaradamento edilizio issue des théories hygiénistes de Giovannoni. Ces démolitions n’ont pas été effectuées seulement en suivant le principe « de préserver les meilleurs bâtiments ou les bâtiments les plus intéressants d’un point de vue architectural (comme Giovannoni l’aurait fait)» mais en cohérence avec le développement morphologie de la ville, c’est-à-dire « en libérant des zones qui, à un certain moment, étaient destinées aux potagers, aux jardins, aux espaces publics, etc., qui, à des époques tardives, ont été occupées par des bâtiments ».56 Au niveau architectural, les façades des bâtiments doivent être conservées et restaurées dans le respect des techniques anciennes. Les surfétations, qui ont été ajoutées aux bâtiments anciens au fil du temps, doivent être démolies pour que ces bâtiments puissent retrouver le gabarit d’origine, comme illustré dans le dessin des façades du bâtiment 1 du secteur de Lavagine (cf. Illustration 18).

Sur le sujet délicat de la création de nouveau bâtiments dans le tissu historique, l’architecte, en plein accord de la charte de Venise du 1962 , affirme l’importance de créer une distinction entre éléments originales et contemporaines. A ce propos, il s’exprime ainsi : « Tout nouveau bâtiment du centre historique devra être conçu avec le plus grand soin pour les problèmes d’insertion dans le contexte et, ce qui signifie que cette insertion ne doit pas nécessairement se faire par mimèsis (à travers la répétition des technologies et des matériaux utilisés dans la tradition locale qui le plus souvent sont perçus comme sont faux) mais en interprétant à travers l’utilisation de technologies et des matériaux même contemporains les caractères morphologiques du contexte ».57

Pour l’ensemble de la ville intra-muros, comme nous l’aurions fait aujourd’hui dans un plan de sauvegarde et mise en valeur (PSMV), l’objectif est d’établir le type d’intervention à prévoir pour chaque bâtiment. Après avoir recueilli des données sur l’état de la structure, la conservation des façades et des maçonneries intérieures, la « salubrité », la destination d’usage de chaque bâtiment, le plan directeur divise les bâtiments du centre en quatre groupes 56 DE CARLO G., Atti/029, lettre de Giancarlo De Carlo a P. Ceccarelli et Carlo Carozzi, Milano, 23 marzo 1959.

57 DE CARLO G., Norme tecniche di attuazione del PRG di Urbino, Urbino, 1964, p.18

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

53

selon le type d’intervention à laquelle ils peuvent être soumis. Les quatre catégories sont : contrainte absolue, contrainte partielle, démolition et reconstruction, démolition sans reconstruction. L’idée de De Carlo est de permettre de faire, dans les bâtiments protégés par la contrainte partielle (vincolo parziale), les modifications nécessaires à une possible reconversion du bâtiment pour de nouvelles fonctions. La définition des interventions possibles dans un cadre de contrainte partielle reste vague.

A témoin d’une interprétation audacieuse du concept de vincolo parziale nous pouvons rappeler les choix de projet que De Carlo adopte pour la restauration et reconversion du palais Bonaventura à Urbino. Comme l’écrit Lorenzo Mignardi dans son texte58, Giancarlo De Carlo démolit les murs et les planchers en bois du palais car, selon lui, ils n’avaient aucun rapport avec la structure d’origine. Il les remplace par des dalles de béton qui sont plus fonctionnelles pour transformer le palais en siège principal de l’Université d’Urbino.

Pour garantir la cohérence et l’uniformité des interventions, le centre historique est divisé en vingt-six secteurs « sélectionnés selon des critères d’homogénéité fonctionnelle, structurelle et formelle »59. Pour pouvoir faire des travaux de réhabilitation, « les propriétaires de chaque parcelle sont tenus de se regrouper et de fournir un projet de l’ensemble du secteur »60 au service d’urbanisme de la mairie. Bien qu’il permette d’avoir le contrôle sur la qualité de l’activité de réhabilitation et de restauration du centre historique, ce système repose complètement sur les particuliers, en leur demandant un effort important en termes d’organisation et de ressources.

58 MIGNARDI L., Sono geloso di questa città: Giancarlo De Carlo e Urbino, Macerata, Quodlibet, 2018, p. 48.

59 DE CARLO G., Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica, Padova, Marsilio, 1966, p. 121 60 Ibidem

54

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

PIANO PARTICOLAREGGIATO DI LAVAGGINE, ZONA X DETAIL PLAN OF LAVAGINE X AREA

14- Plan de dètail du quartier Lavagine. Source : Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

55

PIANO PARTICOLAREGGIATO DI LAVAGINE, ZONA X, LEGENDA DELLE TAVOLE DETAIL PLAN OF LAVAGINE, X AREA, BUILDING 1, LEGENDA FOR THE DRAWINGS

15- Légende pour le dessins sur l’intervations de sept blocs. Source : Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica.

56

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

PIANO PARTICOLAREGGIATO DI LAVAGINE, ZONA X, LEGENDA DELLE TAVOLE DETAIL PLAN OF LAVAGINE, X AREA, BUILDING 1, LEGENDA FOR THE DRAWINGS

16- Legende pour le dessins sur l’intervations de sept blocs. Source : Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

57

PIANO PARTICOLAREGGIATO DI LAVAGINE, ZONA X, EDIFICIO 1 DETAIL PLAN OF LAVAGINE, X AREA, BUILDING 1

17- Plans bloc 1 état existant et état de projet. Source : Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica.

58

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

PIANO PARTICOLAREGGIATO DI LAVAGINE, ZONA X, EDIFICIO 1 DETAIL PLAN OF LAVAGINE, X AREA, BUILDING 1

18- Coupes bloc 1, état existant et état de projet. Source : Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

59

PIANO PARTICOLAREGGIATO DI LAVAGINE, ZONA X, EDIFICIO 1 DETAIL PLAN OF LAVAGINE, X AREA, BUILDING 1

19- Façades bâtiment 1 état existant et état de projet. Source : Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica.

60

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

2.16- Les zone d’expansion

Pour concevoir les zones d’expansion de la ville Giancarlo De Carlo établit, en premier lieu, la limite possible de l’expansion urbaine au-delà de laquelle « l’attraction du centre historique commence à être contrebalancée par des forces centrifuges ».61 L’idée est de ne pas permettre que les nouvelles zones d’expansions deviennent des centres autonomes en « rivalité » avec le centre historique.

De Carlo définit une zone limite au nord de l’agglomération historique sur la base « des cas similaires et en introduisant les variables locales propres aux situations géologiques, paysagères et visuelles, aux conditions routières, aux habitudes sociologiques et culturelles ». L’autre problématique est « d’empêcher la dissémination d’agglomérations urbaines éparpillées ».62 C’est pour cette raison qu’il ne conçoit que deux zones d’expansion à la lisière de la limite définie : la zone de la Pineta et celle de Piansevero.

Pour ces deux zones, il dessine des esquisses des bâtiments à réaliser.

Pour la zone de la Pineta il dessine un projet qui est déjà au niveau de détail d’une étude préliminaire : il s’agit de plusieurs bâtiments à huit étages destinés à accueillir des logements . Les bâtiments se situent dans la partie basse d’une colline et sont donc visibles seulement en arrivant depuis le nord de la ville. En 1963, ils seront construits par des promoteurs, en suivant les indications de base du projet du plan directeur. Malgré l’attention portée à l’implantation topographique du projet, l’aspect massif des bâtiments et le manque de soin dans les finitions des logements ont fait l’objet de sévères critiques de la part des citoyens d’Urbino.

61 Ibidem p.209 62 Ibidem

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

61

PROGRAMMA DEGLI INTERVENTI SCHEDULE OF ALTERATIONS

20- Schema des intervantions. Source : Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica.

62

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

PROFILI DEGLI EDIFICI SKY LINE

21- Coupes et photos de maquette des logements de la Pineta. Source : Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

63

2.2 - LE PLAN DIRECTEUR DE 1994

22- Territoire

d’Urbino Plan Magini 1620. Source :Year book 1992

2.21- La commande et la théorie de la longue-vue à l’envers En 1989, quelques mois suivant sa nomination comme citoyen d’honneur, la Municipalité d’Urbino confie à Giancarlo De Carlo la rédaction du nouveau Plan directeur, soit exactement trente ans après le premier plan. En 1994, l’architecte présente au public son projet de nouveau Plan Directeur dans le Théâtre Sanzio, un de bâtiments que lui-même avait restauré à la fin des années soixante-dix.

Les problématiques d’Urbino étaient différentes des celles rencontrées en 1964. Comme le rappelle John Mckean : « il ne s’agissait plus de sauver le centre historique, cela avait été accompli. La sauvegarde de l’héritage de valeurs, de signes et de significations dispersés dans un territoire plus vaste était devenue le problème central »63 A partir des années quatre-vingt, en Italie, dans la culture de planification urbaine se diffuse une nouvelle conscience liée aux thématiques de la sauvegarde de l’environnement. En témoignent plusieurs lois approuvées par le gouvernement dans ces années ; la plus significative entre elles est la Legge 431 del 1985 (Loi 431 du 1985) qui impose aux Régions la rédaction des Piani paesaggistici (Plans environnementaux) avec l’objectif de la valorisation et sauvegarde du territoire.

De Carlo est convaincu, depuis toujours, que la valeur d’Urbino se trouve autant dans le paysage que dans le centre urbain et qu’il est nécessaire de lire les deux entités comme parties d’un même système. Il défende cette idée dans le projet du Plan directeur en 1964 et dans des nombreux écrits. En soutien de cette thèse, lors d’un entretien paru dans la revue Architectures et techniques, il raconte : « Un ami, pilote d’un petit avion me disait que lorsqu’il survolait Urbino, il lui était très difficile de distinguer la ville du reste du paysage. Il n’y a pas de différence de qualité entre le dessin de la campagne et celui de la ville. Elle est plongée dans un dessin général de toute l’environnement. La ville est une sorte de cristallisation du dessin de ce qui l’entoure. Cette caractéristique pénètre à l’intérieur des bâtiments eux-mêmes et fait partie de l’esprit des bâtiments ».64

63 McKean J. : Des lieux, des hommes, Paris, Editions du Centre Pompidou, 2004, p. 62.

64 « La ville décline ses mémoires : Urbino, Italie» , Architecture et techniques, n.372,1987 Juillet, p.122

66

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

A partir de la fin des années quatre-vingt, et en accord avec la nouvelle sensibilité environnementale qui commence à se diffuser dans les domaines de l’architecture et l’urbanisme, il s’opère dans la pensée de De Carlo un changement de perspective sur la conception de l’activité de planification urbaine. De Carlo appelle ce changement la théorie de « longue-vue à l’envers » et en parle ainsi en référence au projet du Plan directeur du 1994 : « Comme on le disait alors- et comme on a continué à le dire ensuite - on avait mis la longue-vue à l’envers et proposé une nouvelle façon d’aborder le problème d’orientation du développement urbain par des plans. On avait remplacé la perspective « urbanocentrique » traditionnelle par la perspective environnementale la plus large et la plus innovatrice. On avait éliminé les rapports mécaniques établis par la pratique du « zoning » pour leur substituer des systèmes de relations organiques. »65.

65 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p.243.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

67

2.22 - Le travail d’analyse

Ce changement de perspective se concrétise d’abord avec un radical changement d’échelle : si l’objet du premier plan d’Urbino est principalement celui de la ville d’Urbino, dans le nouveau plan c’est un territoire plus étendu, comprenant tout le territoire de la commune d’Urbino, qui est traité.

La nouvelle approche permet de voir « que le territoire est sillonné par des systèmes urbanistiques et architecturaux qui se sont stratifiés dans le temps - véritables systèmes de référence pour les populations - jusqu’à ce que l’abandon de la campagne a commencé et que l’urbanisme a explosé »66.

Le but des recherches préliminaires à la rédaction du plan est donc de reconnaitre et interpréter les différents signes de la sédentarisation humaine.

Avec un groupe pluridisciplinaire de géologues, historiens, agronomes, agronomes forestiers chercheurs en sciences naturelles, et architectes coordonnés par l’architecte Paolo Spada, Giancarlo De Carlo élabore une analyse de l’écosystème du territoire de la commune.

Celle-ci est divisée en seize secteurs qui présentent des caractéristiques homogènes. En général, il s’agit d’un territoire très peu urbanisé à l’exception de quelques petits bourgs et exploité principalement par des activités agricoles : « le territoire a un aspect essentiellement rural, les espèces animales et végétales, sont encore largement présentes, mais les espèces sélectionnées simplifiées par rapport à la structure bioéthique primitive »67.

Avec le même travail minutieux de relevé, qui dans le premier plan avait eu pour but des faire un état sanitaire précis de chaque bâtiment du centre historique, dans ce deuxième travail, les objets d’analyse sont davantage la végétation et le « système hétérogène des constructions mineures »68 diffusé dans le territoire.

La végétation est analysée de manière scientifique dans toute la commune et recensée dans de plans d’ensemble. Les forêts, par exemple, sont 66 Year book 1991 Urbino - Reading and design of the physical environment 2, Urbino, Quattroventi, 1992, p.5 67 DE CARLO G., SPADA P., Rapport sur les caractéristiques de la végétation et l’aménagement écologique du territoire, Plan directeur du 1994.

68 FULIGNA T., Una giornata a Urbino con Giancarlo De Carlo, Urbania, Edizione i luoghi e la storia, Aprile 2001

68

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

divisées selon le type d’arbres (charme, chêne, peuplier, châtaignier), mais aussi selon le milieu (forêt mésophile ou xérophyte), l’utilisation (production de fruits ou du bois), l’état de conservation (forêts dégradées ou en bon état) et l’âge (reboisement ou forêt ancienne). Le travail d’analyse de l’écosystème permet, par la suite, de déterminer de macro zones présentant de caractéristiques de biodiversité similaires. Parmis celles-ci le plan détermine cinq parcs naturels.

Les bâtiments qui sont analysés dans ce travail sont « les architectures mineures » que Giancarlo De Carlo affectionne depuis jeunesse ; sont les mêmes architectures qu’en 1951 il avait étudié pour l’exposition Architettura spontanea (Architecture spontanée). Les moulins, les fermes, les petits bâtiments religieux, les usines désaffectées, les chemins historiques d’Urbino sont alors analysés et recensés dans toute la commune.

Comme cela avait été fait pour les bâtiments du centre historique en 1964, De Carlo spécifie avec quel type d’intervention doit être traité chaque bâtiment entre restauration, rénovation ou réhabilitation conservative.

L’enjeux du plan est de connecter les différents éléments du systèmes naturel et artificiel pour dans un nouveau réseau pour qu’ils puissent être valorisés dans leur ensemble.

Le plan directeur du 1994 conçoit la transformation du territoire par « projets légers » dans un modus operandi qu’aujourd’hui nous appellerons « d’acupuncture urbaine ». Le but n’est pas de construire de nouvelles structures mais de reconnecter et réhabiliter le tissu existant, comme l’explique De Carlo à ses étudiants qui travaillent sur l’aménagement urbain du bourg de Canavaccio dans le cadre d’un laboratoire de l’ILAUD: « Tout ce que vous concevez doit être étroitement intégré à l’environnement construit comme à l’environnement naturel. L’intégration se réalise en agissant surtout sur la texture de tissus existants : de petites transformations dans le système artificiel ou dans le système naturel, si orchestrés selon de rythmes sensibles et rigoureux, peuvent générer des changements d’une importance fondamentale »69.

69 Year book 1992 Urbino - Reading and design of the physical environment 2, Urbino, Quattroventi, 1993 p.6

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

69

2.23- Le frazioni et le système de mobilité ferroviaire

Le troisième système qui structure le territoire, et qui s’ajoute donc au système naturel et au système des architectures patrimoniales diffusés dans la commune, est celui des frazioni (bourgs).

Dans le Plan directeur du 1964 Giancarlo De Carlo écrivait d’une manière péremptoire : « Le plan a donné pour perdues toutes les frazioni qui ne peuvent pas survivre parce qu’elles ne possèdent pas d’activités qui peuvent se développer, ou parce que, étant coupées des principales lignes de communication, elles n’ont pas aucune chance de les posséder dans futur »70.

Dans le nouveau plan, sont ces mêmes bourgs qui sont au centre du projet.

Si un système de mobilité arrive à les relier entre eux et à la ville d’Urbino ils pourront devenir de « zones résidentielles rattachées au centre urbain bien qu’éloignées dans la campagne entourant la ville ».71 Pour cette raison une grande importance est donnée au système de mobilité : le projet est de réhabiliter le système public ferroviaire existant. Un réseau ferroviaire, construit au début du XXème, traverse le territoire d’Urbino du nord au sud, mais il s’agit d’un réseau réalisé partiellement et qui n’a jamais été mis en fonction. En réduisant au minimum les interventions nouvelles, le projet propose de « récupérer les ouvrages des chemins de fer, aujourd’hui hors service, pour former une ligne métropolitaine qui traverserait tout le territoire de la commune, permettant ainsi des liaisons rapides et écologiques avec Rimini, Fano et Pesaro. »72 Un système de petites navettes complète le réseau de mobilité douce et permet de relier les différents bourgs d’Urbino à la ville et aux villes limitrophes.

L’étude du système ferroviaire du plan directeur est proposée comme thème de projet aux étudiants de l’ILAUD dans l’édition du laboratoire de 1991.L’ILAUD, pour trois éditions (de 1991 à 1993), travaille sur les thématiques du plan directeur du 1994 ; notamment sur le développement du système ferroviaire (édition 1991), le projet de l’aménagement urbain du bourg de Canavaccio (édition 1992) et sur le projet de réhabilitation et 70 DE CARLO G., Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica, Padova, Marsilio, 1966, p.155 71 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p.242 72 Ibidem

70

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

reconversion de l’ancienne briqueterie Volponi (1993).

Le travail mené au sein de l’ILAUD par De Carlo et son équipe lui permet d’approfondir les thématiques principales du plan directeur et d’impliquer des chercheurs, des architectes renommés et des étudiants provenant du monde entier à son projet.

La dimension internationale du laboratoire permet, comme il l’était déjà arrivé à l’occasion des rencontres du Team X, de pouvoir discuter de projets du même type déjà réalisés à l’étranger par les intervenants de l’ILAUD en mettant en exergue les problématiques et les potentialités.

Parallèlement, l’architecte met à la disposition de la Commune d’Urbino les résultats de ces recherches et permet à l’administration publique d’avoir une vision plus concrète du possible développement du projet.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

71

23- Photographie d’un ancien chemin de fer

à Transenni. Source : Yearbook 1991

24- Extrait de la planche”

structure géologique e de la végétation “. Source : Mairie d’Urbino

72

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

2.24- La réception

Le plan directeur du 1994 propose une conception organique du territoire, dans laquelle les différents éléments doivent être réorganisés dans un nouveau système de liaisons. Cela peut être obtenu à travers le projet de nouvelles infrastructures et la mise en place d’une politique intégrée de valorisation à l’échelle du territoire de Marches.

Après sa réception, le plan directeur a été principalement utilisé comme outil de sauvegarde du paysage et des architectures patrimoniales. La réhabilitation du système ferroviaire n’a jamais été réalisé, les parcs n’ont jamais été équipés de structures d’accueil comme prévu par le plan et d’autre projets de secteur proposés à la lisière de la ville n’ont jamais été construit.

Un projet de valorisation du territoire à si grande échelle aurait eu besoin du soutien et de la coordination politique entre les différentes communes de Marches, comme le suggère De Carlo dans le texte qui suit : « Le plan du 1994 a connu des vicissitudes très semblables à celle du plan du 1964. En 1964 les obstacles avaient été érigés par le Ministère de Travaux Publics pour de motifs politiques, alors qu’en 1994 ils ont érigés par la Province de Pesaro, poussée par les ressentiments envers sa propre ville et son propre parti (et envers moi, je crois). »73 Même pour ce que concerne les prescriptions de sauvegarde du paysage, récemment, la réalisation de nouveaux bâtiments commerciaux a affaibli la cohérence de « l’image urbaine » du site, comme l’explique Roberta Morelli : « La réalisation du centre commercial Nuovo Consorzio en 2014, en bas des remparts à l’entrée est de la ville et la construction en 2016 du parking de la porte Santa Lucia, au nord, marquent un point de rupture dans le dialogue que la ville a créé depuis toujours avec son milieu naturel. En altérant ce rapport, ces projets témoignent de la fragilité des équilibres anthropiques et de l’irréversibilité des processus qui les supportent et nous invitent à tirer les leçons de cette histoire architecturale et urbaine singulière »74.

73 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p.243 74 MORELLI R., « Urbino, ou l’histoire des relations de coévolution entre un établissement humain et son milieu naturel » Les Cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère [En ligne], 11 | 2021, p.24.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

73

74

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

2.3- CA’ ROMANINO

25- Axonemetrie

Maison Sichirollo.

Source : Ca’

Romanino. Una

casa di Giancarlo

de Carlo.A partir du dessin original de

Studio Giancarlo De Carlo, Septembre

1987, IUAV Venise,

Archive Giancarlo de Carlo.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

75

2.31- La commande

Les maîtres d’ouvrage de la maison Ca’ Romanino sont Livio Sichirollo et son épouse Sonia Morra. La maison est conçue comme une résidence secondaire pour le couple, afin d’ y passer des périodes de vacances avec leurs amis. Giancarlo De Carlo même y sera hébergé plusieurs fois à l’occasion de ses séjours à Urbino.

Livo Sichirollo, philosophe milanais, est appelé à contribuer au projet politique de relance de la ville d’Urbino par Carlo Bo quelques années plus tard que Giancarlo De Carlo. À l’activité de philosophe et de professeur, Livio Sichirollo additionne celle d’homme politique : élu comme indépendant dans les rangs du PCI (Parti communiste italien), il est assesseur à l’Instruction publique puis à l’Urbanisme près de la Commune d’Urbino de 1956 à 1970.

Ce sont les mêmes années de la conception et approbation du premier Plan directeur d’Urbino de Giancarlo De Carlo. Sichirollo participe à l’élaboration du Plan directeur et a un rôle fondamental dans la diffusion et le soutien de ce dernier auprès du Conseil municipal d’Urbino. Sichirollo et De Carlo partagent les mêmes valeurs et visions sur le développement d’Urbino et au fil des années ils deviennent amis proches. Cela explique la singularité du rapport entre l’architecte et ses clients pour la construction de Ca’ Romanino.

Sonia Morra en parle ainsi : « À y repenser, nous avons été de bien étranges clients : en phase de projet aucune demande, seulement le désir d’avoir une maison construite par Giancarlo où aller avec des amis pour les loisirs et la recommandation de ne pas dépasser le budget que nous pouvions nous permettre ».75

Le lieu choisi pour la construction de la maison est la colline Romanino, située dans un bourg à deux kilomètres d’Urbino. L’occasion d’acheter ce terrain se présente en 1966 : un agriculteur vend son terrain, sa vigne, sa maison et un bâtiment annexe qui est utilisé comme cave. La maison ancienne sera démolie pour laisser la place au projet de De Carlo ; en revanche l’ancienne cave sera préservée et intègrée à la nouvelle construction.

75 MORRA S., in : Ca’ Romanino. Una casa di Giancarlo de Carlo, Urbino, Argalia Editore, 2010, p.17.

76

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

2.32- Le projet et la topographie

La plupart des architectures que Giancarlo De Carlo a bâties à Urbino semblent disparaître dans le paysage.

Il ne s’agit pas, de la part de

l’architecte, de la volonté d’effacer le geste de construire mais plutôt de la

recherche d’un équilibre harmonieux entre les éléments naturels et artificiels

du projet. Cet équilibre est créé à partir d’une connaissance approfondie et subtile du territoire qui est à la base de sa méthode de travail.

Le rapport naturel/artificiel s’explicite en premier lieux dans le traitement du terrain naturel. Tout comme pour les Collèges, les volumes de la maison

Ca’ Romanino suivent et se modèlent sur la configuration du terrain et pas l’inverse. Une partie de la maison est enterrée, les volumes s’encastrent dans la pente du terrain. Ce choix établit un système hiérarchique entre

le système architectural et le système naturel qui « modèle » les volumes

de la maison. Notamment, les percements en façade sont assujettis à la déclive de la colline : au rez-de-chaussée les trois façades nord-est, sud-est et nord-ouest sont quasiment aveugles, seule la façade sud-ouest en bas de la pente peut s’ouvrir au paysage avec des grandes menuiseries.

La maison est constituée de deux volumes géométriques imbriqués l’un sur l’autre ; les deux volumes sont « tournés entre eux de quatre-vingt-dix degrés. Pivot de cette rotation apparaît de long la cheminée rouge, qui se

dresse au centre de la composition »76. Le volume du bas correspond au

rez-de-chaussée et contient des chambres, la salle de bain, le salon, la

salle à manger et celui de haut correspond au premier étage et inclut des chambres, une salle d’eau et une salle de bain (cf. illustration n°25).

La végétation présente sur le site est conservée, presque dans sa totalité.

La sauvegarde des arbres et arbustes de la maison et la replantation d’une vigne dans la partie déclive de la colline, rend la maison peu visible de l’extérieur. Les arbres, la vigne au même titre que la cave de l’ancienne

maison sont des éléments qui contribuent à transmettre l’esprit du lieu, le Genius loci et ont donc une raison d’être dans le projet de Ca’ Romanino.

Mais leur valeur ne se limite pas à la transmission de la mémoire d’un

lieu ; ils sont utilisés de manière expressive dans le projet, comme matière

active, capable de donner une qualité à l’espace de la même manière que l’architecture. La place que Giancarlo De Carlo donne aux éléments naturels 76 SAMASSA F., in : Ca’ Romanino. Una casa di Giancarlo de Carlo, Urbino, Argalia Editore, 2010, p.107.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

77

dans ses projets, est bien illustrée dans le texte qui suit : « J’ai toujours été enchanté par les lumières de cette ville qui pénètrent dans les espaces et les changent : elles les élargissent, les rétrécissent, les aplatissent, les adoucissent, les rendent péremptoires dans les différentes saisons. Il y a un dialogue continu à Urbino entre la lumière et l’architecture qui m’a toujours intrigué. Dans les architectures que j’ai conçues à Urbino, il y a eu toujours la tentative de capturer la polyvalence de la lumière et de l’utiliser comme un matériau de construction, comme si c’était du verre, du plâtre et de briques.»77

Dans le projet de Ca’ Romanino le paysage naturel est un véritable matériau

de construction et comme tel permet à l’architecture de créer des espaces aux atmosphères très différentes. À titre d’exemple, nous pouvons analyser

la présence des éléments naturels dans deux espaces : le cheminement extérieur d’entrée de la maison et l’espace intérieur du salon.

Dans la séquence de l’entrée, la butte à nord-est de la maison cache presque

complètement la façade nord-est et l’entrée même. Le chemin d’accès à la maison est un canyon creusé dans la colline. A droite et à gauche de ce

chemin, des murs en béton servent comme murs de soutiens au terrain naturel qui surplombe le parcours et se situe au niveau du toit terrasse au premier étage. Ce terrain est inaccessible et recouvert par des arbustes et

plantes officinales ; il s’agit d’un jardin ou la végétation est laissée à l’état naturel, « un jardin en mouvement »78 selon la définition de Gilles Clement.

Les éléments naturels contribuent à rendre l’accès à la maison mystérieux

et déroutant. Dans cette première séquence l’élément naturel prime sur celui artificiel d’une manière presque inquiétante. (cf. illustration n°32-34).

L’espace de la salle à manger ouverte sur le salon, qui se situe à la fin du parcours extérieur et représente l’entrée principale de la maison, a des

caractéristiques diamétralement opposées à cette première séquence. La façade sud-ouest est presque complètement vitrée, la lumière envahit les pièces qui sont chaleureuses et accueillantes. Par les fenêtres sur deux étages, il est possible de contempler la vigne et le paysage des collines

adjacentes. Il s’agit d’un espace qui semble être conçu aux seules fins de contempler ce paysage. L’agencement intérieur, dessiné par Giancarlo

De Carlo, est organisé de la manière de pouvoir toujours garder dans les différents coins de cet espace un lien visuel avec l’extérieur.

77 DE CARLO G., in : Dalla città del silenzio, Urbino, Quattro Venti, 1997, pag. 26.

78 « Le Jardin en Mouvement s’inspire de la friche : espace de vie laissé au libre développement des espèces qui s’y installent », Gilles Clément, « Le jardin en mouvement » [archive], contribution sur son site personnel

78

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

26, 27- Vue de la maison Ca’

Romanino depuis la rue. Source : clichés Valeria Russi, août 2021.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

79

28- Vue de la maison Ca’

Romanino. Source : cliché Valeria Russi, août 2021.

80

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

2.33- Les matériaux

A un autre niveau de perception, l’intégration avec le territoire est obtenue par le choix des matériaux qui composent l’architecture. En parlant des matériaux qu’il a utilisés pour la construction des collèges Giancarlo De Carlo, explique : « Si j’ai utilisé les briques dans la construction des collèges, ce n’est pas tant parce que les architectes qui m’ont précédé en ce lieu ont utilisé les briques, mais plutôt parce que le cotto (brique) est un matériau étroitement lié à ce territoire : c’est sa substance et sa première représentation. C’est pour cela que les bons architectes du passé l’ont utilisé. La terre qu’on creuse pour construire, malaxée et cuite se transforme en briques. Quand je construisais les collèges, la terre de fouille était transportée à la Fournaise Volponi qui la transformait en splendides briques faites à la main, qui nous étaient fournies pour la construction».79

Dans un contexte similaire à celui des Collèges, et plus précisément celui de collines qui entourent la ville d’Urbino, il n’est pas surprenant que pour le projet de Ca’ Romanino les matériaux de construction employés soient les mêmes : la brique et le béton armé.

Dans la continuité du raisonnement sur l’utilisation de matériaux, le béton armé se mélange à la brique, mais plutôt que représenter un lien avec la culture architecturale du passé, il parle du temps présent.

A propos du béton, quelques pages plus tard, dans le même texte, Giancarlo De Carlo explique : « Dans mon cas, les briques cohabitent avec des matériaux typiques de notre époque, comme le béton. C’est un matériau amorphe par rapport à la brique ; j’ai donc dû le «travailler» pour le rendre compatible. J’ai travaillé sur les coffrages_ qui sont les formes à l’intérieur desquelles le ciment est coulé_ en le dessinant de manière à ce qu’ils puissent transférer leurs motifs de grain de bois organique à une surface lapidée qui autrement serait restée artificielle. Francesco di Giorgio, Luciano Laurana, le Genga - qui ont construit à Urbino- ils n’utilisaient pas le béton mais je crois qu’ils utilisaient les matériaux dont ils disposaient avec le même esprit, c’est-à-dire travailler sur leur caractère naturel et artificiel, pour rendre leurs stratifications significatives.»80 79 Ibidem, pag. 36.

80 Ibidem pag 36-37.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

81

La troisième matière qui compose le maison Ca’ Romanino est le verre que l’architecte utilise en le déclinant dans plusieurs formes. Sur ses multiples possibilités expressives et son essence, Giancarlo De Carlo écrit : « On pense toujours que le verre, étant transparent, est aussi léger et intangible ; mais le verre aussi réfléchit et réfracte et est donc lourd et dur. En réalité il a beaucoup de natures différentes qui cohabitent dans le verre et grâce à cela peut prendre tous les significats que nous sommes en mesure de lui attribuer : il peut servir à ouvrir un dialogue entre intérieur et extérieur, centre et abords.

Mais il faut savoir le faire et, dans tout le cas, le faire implique un travail long et patient ”.81

Un autre matériel est essentiel à la composition architecturale de la maison : le métal laqué dont sont composés la grande cheminée du salon, les escaliers, les cheminées et les canalisations des eaux pluviales. La couleur rouge primaire de ces éléments suggère leur utilisation en tant qu’ « étendards contemporaines », signaux de prise de possession des lieux, pour utiliser les mots de Smithson de «sings of inhabitation».

Les éléments métalliques entrent en tension avec les éléments plus caractéristiques du territoire d’Urbino, comme la brique, ce qui témoigne d’une certaine liberté d’expression dans le langage architectural de De Carlo.

81 Ibidem pag 38.

82

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

2.34- La poétique de la complexité et l’utilisateur actif

En août 2021, j’ai eu l’opportunité de passer trois jours dans la maison Ca’ Romaninio grâce au programme de la Fondation Ca Romanino « 24 ore » (24 heures) qui propose au public de pouvoir habiter dans cet espace exceptionnel au moins pour un jour.

Malgré les différentes actions menées par la Fondation, cette maison reste méconnue du grand public, et ce sont principalement les architectes et les chercheurs qui s’intéressent à ce lieu.

Pendant mon séjour, j’ai invité un ami, qui est né et habite à Urbino depuis toujours, à découvrir la maison. En la visitant, il a déclamé : « Mais cette maison est un collège en miniature ! ». Cette idée de la miniature, ou plus précisément des thématiques qui se font écho à différentes échelles dans les architectures de Giancarlo De Carlo me semble intéressante. Giancarlo De Carlo conçoit le projet de Ca’ Romanino juste après avec le projet des premiers collèges qu’il bâtit à Urbino : les collèges du Colle. Les deux œuvres seront inaugurés dans les mêmes années : 1967 pour la Collèges du Colle et 1968 pour la maison Ca’ Romanino. Au-delà de certaines similitudes qu’il est possible retrouver dans l’utilisation des matériaux ou de solutions formelles, le niveau qui me semble plus intéressant à analyser est la « poétique de la complexité de l’espace » qui est commune aux deux architectures. Giancarlo De Carlo, en parlant des collèges affirme : « On me dit qu’on peut se perdre dans ces résidences et moi, je pense que se perdre, c’est le meilleur moyen pour comprendre le lieu. Celui qui habite dans les résidences des collèges mémorise les espaces d’une façon non pas mécanique mais personnelle. Tout le monde est habitué à des bâtiments où il y a des longs couloirs bordés à deux côtés par les chambres. Pour se déplacer dans les résidences d’Urbino, il faut réfléchir à chercher des références spatiales, se perdre et se retrouver. Le point de référence peut être un arbre en fleurs, ou bien un escalier qui tourne d’une façon spéciale, ou bien le fait de devoir descendre quelques marches. Je cherche à ne pas créer, dans mon architecture, de situations d’anonymat qui puissent favoriser un état de paresse. Je pense qu’il est nécessaire d’être actif envers l’espace si on veut que l’espace réagisse ; sinon, c’est comme être dans une boîte de sardines, sans autre possibilité que d’être étendu sur le côté, collé à une autre sardine.»82 82 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p. 219

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

83

Dans le projet de la maison Ca’ Romanino cette poétique se traduit par une complexification de l’espace qui s’articule sur plusieurs niveaux altimétriques liés entre eux par une multiplicité de parcours. Pour rejoindre n’importe quel espace intérieur ou extérieur, il est possible d’emprunter minimum deux itinéraires différents, mais pour certains espaces le nombre de possibilités peut arriver à quatre ou à cinq. Cela veut dire qu’il est possible de varier et de choisir les parcours qu’il nous semble le plus adapté à l’état d’esprit et aux intentions spécifiques du moment. Par exemple, pour rejoindre les chambres à l’étage, il est possible arriver par un long chemin extérieur aérien qui nous permet au même temps de découvrir l’espace de la toiture terrasse ou d’emprunter deux escaliers différents qui se trouvent dans l’espace de la salle à manger. L’espace de la salle à manger, à son tour, peut être rejoint directement de l’extérieur par une porte d’entrée ou en passant par une deuxième entrée, si nous choisissons cette deuxième possibilité il faut descendre des marches du couloir des chambres vers le salon et en remonter d’autres pour rejoindre la salle à manger.

Le « jeu »83 de parcours et des escaliers qui mettent en relation les trois différents niveaux de la maison, (le niveau du salon, le niveau de la salle à manger et des chambres au rez-de-chaussée et les niveaux des chambres au premier étage), permet donc de sortir d’une optique purement fonctionnelle et linaire de l’expérience de l’espace pour laisser place à l’expérimentation et à la découverte active de l’utilisateur. Cela est très bien illustré dans l’axonométrie réalisée de l’agence de De Carlo en 1987 pour une publication du projet (cf. illustration n°37).

Une motivation plus intime de son désir de créer des espaces complexes et aux altimétries variées, peut être retrouvée dans ses souvenirs d’enfance, comme lui-même l’explique : « À Gênes, je me promenais souvent, avec mon père dans cette ville surprenante et belle, où on entre dans les maisons par le rez-de-chaussée et même par le toit. Il était ingénieur naval et souvent il m’emmenait dans les cales des navires.

Descendre sous le pont pour ensuite sortir et retrouver la lumière du jour. C’est une expérience bouleversante que j’ai gardée. Je la redécouvre de temps à autre et je me rends compte alors qu’elle a eu beaucoup d’importance dans ma vie »84.

83 SAMASSA F., in: Ca’ Romanino. Una casa di Giancarlo de Carlo, Argalia Editore, Urbino, 2010, pag.17.

84 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, pag.33-34.

84

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

29- Plan de toiture et façades,1967.

Source : Università Iuav di Venezia, Archivio Progetti, archive Giancarlo De Carlo

30- Plan du sejour avec mobilier et coupes, maison

Sichirollo, 1967. Source :Università Iuav di Venezia,

Archivio Progetti, archive Giancarlo De Carlo

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

85

31 – Vue de façade sud-est. Source : cliché Valeria Russi, août 2021 .

86

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

32 - Vue du cheminement d’entrée de la maison Ca’ Romanino depuis la rue aereienne. Parcours aérien. Source : cliché Valeria Russi, août 2021.

33, 34 - Vue du cheminement d’entrèe Ca’ Romanino depuis

la rue. Source: Ca’ Romanino. Una casa di Giancarlo de Carlo, Argalia Editore, Urbino, 2010

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

87

35 – Vue de façade sud-ouest. Source : cliché Valeria Russi, août 2021 .

36 - Vue sur le salon. Source: Ca’ Romanino.

Una casa di Giancarlo de Carlo, Argalia Editore, Urbino, 2010.

88

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

37- Axonometrie parcours et escaliers,1987.

Source : Università Iuav di Venezia, Archivio Progetti, archive Giancarlo De Carlo

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

89

38 – Vue de l’escalier entre

salon et salle à manger et de la cheminée. Source : cliché Valeria Russi, août 2021.

90

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

Fig 39,40. Salon et salle à manger. Source : clichés Valeria Russi, août 2021.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

91

41,42- Vue de l’escalier et la rue aérienne qui amenent aux chambres du premier étage.

Source : clichés Valeria Russi, août 2021.

92

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

2.35- Les ouvertures comme interfaces entre la maison et le paysage Les ouvertures de la maison Ca Romanino mettent en relations le paysage et l’espace intérieur de la maison. Elles le font de manières différentes selon les caractéristiques propres à chaque espace.

Le rapport entre extérieur et intérieur peut être directe ou indirecte, abstrait ou concret, actif ou contemplatif. Les ouvertures changent de forme pour pouvoir créer le rapport souhaité avec le paysage : fenêtres coulissantes, vitrages fixes et lucarnes sont dessinés minutieusement pour pouvoir maitriser avec précision l’apport de la lumière et les vues qui pénètrent dans les espaces intérieures de l’architecture.

La première typologie d’ouverture que nous retrouvons à Ca’ Romanino est celle de fenêtres coulissantes du salon et des chambres en façade sudouest et sud-est.Ces menuiseries créent un rapport direct entre extérieur et intérieur. Dans les pièces du salon et des chambres les fenêtres coulissantes occupent presque entièrement l’un des quatre murs de la pièce. Au théâtre, le terme « quatrième mur » désigne le mur imaginaire situé devant la scène, séparant la scène de spectateurs et « au travers » duquel ils voient les comédiens jouer. Le regarde du spectateur se concentre au-delà de cet écran imaginaire pour pouvoir suivre l’action qui se passe sur la scène.

De la même manière, la quatrième paroi vitrée des pièces du salon et des chambres attire le regard des habitants ; le paysage vu à travers la surface vitrée est au même temps scénographie et acteur principal de l’architecture de Ca’ Romanino.

Les châssis originaires en aluminium ont des profils de faible épaisseur. Pour des raisons d’isolation thermique ils ont été remplacés par des menuiseries à double vitrage avec un profil de châssis beaucoup plus importante ; cela nuit à la perception de perméabilité entre l’extérieur et l’intérieur créée dans la solution originaire (cf. illustration n°43 et 44).

La deuxième typologie d’ouverture présente à Ca’ Romanino est celle de vitrages fixes encastrés dans les murs en brique. Dans ce type d’ouvertures, l’absence de châssis et la faible épaisseur du vitrage rend ambiguë la limite entre extérieure et intérieure. Ces vitrages font rentrer de morceaux de paysage dans les pièces, la sensation de l’utilisateur est d’être à l’intérieur et à l’extérieur au même temps. (cf. illustration n°46).

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

93

La troisième typologie d’ouverture de Ca’ Romanino est celle des lucarnes.

Les lucarnes sont de vrais objets architecturaux qui sont dessinés en détail, une sorte de « entonnoirs » de lumière. Elles sont présentes dans les chambres au rez-de chaussez, dans la cuisine et dans la salle de bain.

En structure béton, sont des objets encastrés dans le plafond et ils ont une forte valeur expressive. Le dispositif des lucarnes offre une connexion plus abstraite avec l’élément naturel. L’expérience de l’espace que ces objets activent sont insolites. Les lucarnes des chambres permettent de voir le ciel et les arbres en étant allongé sur le lit, celui de la cuisine d’avoir une lumière naturelle et diffusée sur le plan de travail en cuisinant. (cf. illustration n°4750).

La grande lucarne de la salle de bain, pour finir, introduit une lumière blanche et épurée dans l’espace. Cette dernière est diffusée par un mur incliné sur lequel est installée la douche. L’orientation au nord-ouest de la lucarne et la grande surface vitrée créent un effet théâtral : la salle de bain est envahie par une lumière abstraite, plate, l’écoulement d’eau de la douche s’insère dans la continuité de ce bain de lumière. (cf. illustration n°51-52).

94

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

43- Vue des menuiseries d’origine façade sud-ouest.

Source: Ca’ Romanino. Una casa di Giancarlo de Carlo,

Argalia Editore, Urbino, 2010 depuis photo original 1972, Archive Casali IUAV Venise.

44- Vue d’une menuiserie de la façade sudouest.: cliché Paolo Terra août 2021.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

95

45 – Vue de l’exterieur du bureau et terasse.

Source : clichés Paolo Terra août 2021.

96

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

46- Vitrage fixe du bureau. Source : cliché Paolo Terra, août 2021.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

97

47 – Vue des lucarnes des champres depuis la toiture. Source : cliché Paolo Terra août 2021.

98

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

48,49- Vues de la lucarne de la

chambre. Source :Università Iuav di

Venezia, Archivio Progetti, archive Giancarlo De Carlo

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

99

49,50- Vues de la lucarne de

la chambre. Source :Università Iuav di Venezia, Archivio

Progetti, archive Giancarlo De Carlo

100

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

51, 52-Vues de la lucarne de la

salle de bain. Source :Università Iuav di Venezia, Archivio

Progetti, archive Giancarlo De Carlo

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

101

53– Vue de la lucarne de

la cuisine. Source : cliché Valeria Russi, août 2021.

102

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

Conclusion

Les architectures de Giancarlo De Carlo ont la capacité d’instaurer un dialogue intense et subtil avec le paysage : malgré leur langage architectural contemporain et l’utilisation de matériaux et techniques typiques du XXème siècle, elles ont un caractère intemporel. Comme le dit Aquiles González Raventós, nous pourrions croire qu’il s’agit des œuvres qui « ont toujours été là ».

L’objet de cette thèse professionnelle est l’exploration de la relation entre architecture et paysage, dans l’œuvre et la pensée de Giancarlo De Carlo.

La préoccupation de concevoir une architecture qui puisse traduire « les spécificités des lieux et des cultures de leurs habitants 1 » est présente dès le début de l’activité professionnelle de l’architecte.

Cette exigence se manifeste d’abord en opposition à l’architecture fonctionnaliste du Mouvement Moderne, qui nie le rapport entre architecture et contexte en appliquant une planification urbaine conçue par standards.

L’étude des architectures vernaculaires qui est à la base de l’exposition Architettura

spontanea

(Architecture

spontanée)

du

1951

et

le

rapprochement avec la pensée de Pagano, permettent à De Carlo de préciser l’objet d’analyse. L’architecture vernaculaire, objet de l’exposition, est une architecture « sans architectes » selon la définition de Bernard Rudolfsky. Elle est l’expression du savoir-faire d’une communauté et de sa capacité à s’adapter à un lieu physique spécifique : son étude permettrait donc de saisir le Genius loci d’un territoire.

Avec le groupe du Team X, la problématique de la relation avec le contexte est affrontée d’une manière plus expérimentale. L’analyse de l’espace physique de la ville historique européenne amène les architectes du groupe à définir le concept d’« ordre conglomérat » . Celui-ci est un ordre « non géométrique, non euclidien, mais irrégulier, fractal » qui est le résultat de complexes processus de transformation de la ville dans le temps.

Dans leurs architectures, les architectes du Team X essaient de recréer cette complexité caractéristique du tissu historique avec un langage architectural contemporain : créer un nouvel « ordre conglomérat » est donc une manière de construire qui se veut en continuité avec la ville historique.

85 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p.14.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

103

Quelques années plus tard, la relation avec le contexte est étudiée dans le cadre des laboratoires de l’ILAUD à l’aide des méthodes de la lecture de lieux et l’élaboration des projets « par tentatives ».

Si la lecture des lieux permet d’étudier les sites d’une manière approfondie, c’est avec la méthode de projets par tentatives qu’il est possible se confronter « directement » avec les lieux : les projets sont conçus comme un enchaînement d’hypothèses qui sont testées en permanence en analysant la « réaction » des lieux aux propositions de transformation.

Dans la deuxième partie de la thèse professionnelle, ce travail explore la modalité dans laquelle se concrétise la recherche du Genius loci dans le modus operandi de De Carlo et quelles en sont les implications en phase de projet. Cette enquête est menée à travers l’analyse de trois projets de De Carlo à Urbino.

Il travaille à Urbino pendant plus de trente ans : pendant cette période, il ne se lasse pas d’étudier et de découvrir de nouveaux aspects de ce territoire. Ce « temps long » lui permet de faire de l’expérience d’Urbino une expérience en quelque sorte exemplaire. De Carlo connaît en profondeur le territoire d’Urbino, étudie son évolution et ses caractéristiques, se sert des experts de différentes disciplines pour compléter la recherche là où ses connaissances d’architecte ne sont pas suffisantes et enfin, avec la présence de l’ILAUD, il fait d’Urbino un laboratoire expérimental au centre du débat international.

Le travail de recherche de Giancarlo De Carlo se structure d’abord avec le plan directeur du 1964. A cette occasion, il fonde un pôle de recherche, et pendant dix ans, il étudie la ville d’Urbino et son site. Ces recherches seront publiées dans le livre Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica (« Urbino, l’histoire d’une ville et le plan de son développement urbain »).La recherche du Genius loci d’Urbino met en exergue le caractère d’interdépendance entre paysage et ville : les deux éléments font partie d’un même système que, comme tel, doit être préservé et valorisé.

Avec le plan directeur de 1994, la même analyse minutieuse est abordée à l’échelle de la Commune d’Urbino. L’analyse se concentre alors sur l’écosystème du territoire. Une fois que le système naturel, celui des architectures patrimoniales et des petits centres urbains, a été recensé et analysé, le plan se préoccupe davantage de créer un système de liaison et de nouvelles relations entre ces éléments, avec l’objectif de valoriser le territoire.

Le dernier cas d’étude est la maison Ca’ Romanino : la relation entre

104

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

architecture et paysage est, dans ce cas, étudié à l’échelle architecturale.

Le projet topographique, l’utilisation des éléments naturels comme véritables matériaux de construction, l’organisation de l’espace, les choix de matériaux et les éléments de façade sont analysés afin d’éclaircir la relation entre cette architecture et le paysage.

La capacité d’entrer en relation avec le contexte est, à mon sens, la caractéristique fondamentale et incontournable de toute bonne architecture.

Cette conviction est, pour moi, à la base du choix de suivre la formation Mastère de spécialisation en architecture et Patrimoine contemporain dans le cadre de laquelle j’ai écrit cette thèse professionnelle.

Bien qu’aujourd’hui la recherche d’intégration au site soit mise en avant par la

plupart des architectes, ce propos est rarement étudié avec

l’approfondissement et la richesse que Giancarlo de Carlo a su déployer.

Dans ce sens, son travail, est encore capable de provoquer, interroger, faire surgir de nouvelles idées et de transmettre cette énergie inépuisable qui l’animait. Il affirme dans la dernière partie du livre Architecture et liberté : « J’ai toujours été un marginal. J’ai longtemps enseigné à l’Université mais je ne me suis jamais pris pour un universitaire. Depuis des années j’ai une agence d’architecture mais je ne suis jamais devenu un vrai professionnel. J’écris sur l’architecture mais je ne suis pas un écrivain.

Je dessine et je peins mais je ne mets jamais en vente mes tableaux, grands ou petits, etc. Tout bien considéré j’ai continué à nourrir ce qui reste en moi de mon enfance ; et cela a attiré sur moi l’attention des jeunes. » 2

86 DE CARLO G., in : Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003, p.293.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

105

PARTIE III ANNEXES

Prèambule

Les deux textes qui suivent sont le résultat d’une rencontre virtuelle que, dans les derniers mois, j’ai eu la chance de faire avec les architectes Octavio Mestre

et Aquiles González Raventós, grâce à la gentille intervention du professeur Laurent Duport qui nous a mis en contact.

Cet échange a été pour moi précieux : il a rendu vivant le travail de recherche

de ces derniers mois et m’a donné de clefs de lecture pour mieux comprendre l’architecture de Giancarlo De Carlo.

Ces deux textes naissent comme réponse aux trois questions suivantes sur

l’activité de l’ILAUD et la méthode de la lecture des lieux pratiqué dans le laboratoire : •

• •

En quoi consistait, du point de vue opérationnel, la méthode de lecture des

lieux ? Quels étaient les outils transmis aux étudiants pour apprendre à « lire les lieux » ?

En quoi cette méthode était-elle différente par rapport à ce que vous appreniez dans votre université en Espagne ?

Comment cette expérience a-t-elle changée e influencée votre activité d’architecte pour la suite ?

Les réponses d’Aquiles González Raventós et Octavio Mestre, vont bien

au-delà de mes interrogations. Dans une attitude qui ne concède rien à la

mélancolie ou à la célébration d’une période mythique du passé, tout en partant d’un témoignage personnel sur l’ILAUD, ces textes se concentrent davantage

sur la relation entre architecture et contexte et plus en général sur la relation entre architecture contemporaine et histoire.

Ci-dessous une brève biographie des architectes tirée du numéro 37 de la revue T 18 « Ilaud », dédié à l’activité du laboratoire de Giancarlo De Carlo. Octavio

Mestre est éditeur de la revue T18 et à l’occasion de la publication du numéro

sur l’Ilaud a invité Aquiles González Raventós à travailler à la revue en tant que rédacteur en chef invité.

OCTAVIO MESTRE

Il est professeur à l’ETSAB (école technique supérieure d’architecture de

Barcelone) avec une longue carrière internationale principalement en France. Il a été co-fondateur de l’école d’architecture de l’UIC à Barcelone et a également enseigné dans différentes écoles d’architecture comme Rhode Island School

of Design, Elisava, Etsab etc. Il a participé aux séminaires d’Ilaud à Sienne

108

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

ensemble à Enric Miralles et il a travaillé plus tard dans son agence pendant un certain temps.

ACHILLE GONZALEZ RAVENTÓS

Il est architecte et professeur au département des Projets Architecturaux à l’ETSAB (UPC). Dans les années 1980, Giancarlo De Carlo l’a invité à rejoindre

l’ILAUD pour faire partie de l’IPS (International Permanent Staff), un petit groupe qui a organisé des activités au sein de l’ILAUD. Il a été directeur du programme

March The Large Scale, où, d’une certaine manière, il a appliqué des méthodes similaires à celles qu’il a apprises de De Carlo, bien qu’il ait toujours nié que ce soit une bonne idée.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

109

Octavio Mestre

Chère Valeria

(À mode de lettre)

Je n’en suis pas un spécialiste dans l´

chitectes italiens de l´époque qui m´intéressent bien plus que Giancarlo de Carlo.

oeuvre de Giancarlo di Carlo.

Ta thèse, Valeria, porte sur la relation entre

Pour le numéro hommage de notre revue

De Carlo. Tu crois que la lecture des lieux

(T18), un numéro que nous avons fait avec la participation et sous la direction

d´Aquiles Gonzalez, j´ai déjà écrit un texte en espagnol -que j´ai traduit moi-même à l´anglais- qui explique mon rapport avec l´ILAUD, une bourse d´étude qui a été

initiatique pour nous tous (voir attaché

en fin de cet écrit)…. L´ILAUD a été important par la relation avec l´Italie, avec

une douzaine de profs qui étaient les héritiers du TEAM X, pour la relation avec des étudiants de tout le monde, important

quand tu n´as que 23 ans et tu découvres le monde.

Causer, déjeune, écouter, se côtoyer à

architecture et paysage dans l’œuvre de joue un rôle central dans la construction

de cette relation. Je suis d´accord. Mais ça tu pourrais le dire d´autant d´autres

architectes… Tu ne découvres rien, à mon avis, en disant que l´architecture a un rapport très étroit avec le paysage, parce qu´elle a, aussi, un étroit rapport

avec le programme, avec les besoins des clients à résoudre, avec l´histoire et les

références culturels de l´architecte qui la fait, avec les méthodes de construction de

l´époque, avec le moment économique... ça -et pas d´autres choses- conforment l´architecture. Celle de Giancarlo et celle de nous tous que construisons.

des gens comme Giancarlo de Carlo,

Je pense, en tout cas, qu’en Italie, la rela-

Aldo van Eyck, le directeur du MIT, Bru-

l’espace, « la presenza del passato / la

Peter &Alison Smithson, Ralf Erskine,

no Queysanne et tant d´autres (pour moi,

passer deux mois avec Enric Miralles)… a été une belle opportunité pour apprendre

un tas de choses. Une belle expérience…

Mais je n´ai pas eu une relation spécial avec Giancarlo, de la façon que d´autres

l´ont eu. Un certain caractère de prima

donna m´a éloigné de lui, tout en reconnaissant que l´ILAUD était lui, lui son

âme, lui son moteur ultime. Mais les ques-

tions de peau sont, aussi, importantes.

Giancarlo m´intéresse, mais pourtant, je

110

vous dirais une petite demi-douzaine d´ar-

tion avec le temps est plus important que présence du passé », la moto, la consigne

d’une des Biennales d´Architecture de

Venise, contre laquelle il est trop difficile d’argumenter. Parce qu´à mon avis,

un des problèmes de l’Italie est, en fait, qu’il s´agit d´un magnifique pays, mais

cristallisé (voir ma préface du numéro

24 de la www.t18magazine.com) et voir, aussi, mon long article, presque un livre

dans le même numéro intitulé les Città visibles, ou j’ai fait un parcours sentimental pour l´Italie, un pays que j´aime bien et je

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

considère à moi, parce que sur Le Città invisibile il y a déjà quelqu´un qui a écrit un formidable bouquin, avec lequel j´ai appris la langue italienne.

Le paysage est important quand on travaille en campagne, mais aussi en

centre-ville car le paysage construit devient, ce cas-ci, le paysage. Mais je crois que n´oubliant pas l´orographie, même

à Urbino, Giancarlo se confronte plus

à l´histoire qu´au paysage. Les Montefeltro ont un poids indiscutable. Les apports de Giancarlo il faut les chercher plus, à mon avis, dans le domaine de la

participation, très à la mode les années 70, que spécifiquement dans la relation avec le paysage…

Au bouquin Marca d´acqua, Joseph

Broadsky parle sur les hivers à Venise et comme Venise oppose la beauté de

ses palais à sa décadence historique et il dit que c´est précisément cette beauté

qui leur empêchent de s´écrouler dans l´eau, de survivre le temps… dans ce

que je trouve une belle métaphore pour

parler de la relation espace / temps. La

beauté nous sauve, c´est vraie, mais la beauté quelques fois « nous empêche

de marcher », comme les ailes de l´albatros dans le poème de Baudelaire.

Bcn 01.11.2021 / Om

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

111

Aquiles González Raventós

Apreciada Valeria,

Chère Valeria,

intentaré atender a tus preguntas que lo

Je vais essayer de répondre à tes

seminario y un libro.

l’objet d’un séminaire et d’un livre.

cierto es que con ellas se podría hacer un

Pero antes me gustaría poder situarte en el el entorno ambiental que rodeaba a Giancarlo de Carlo que era algo

inusual para quienes veníamos de la Academia y que lo que pretendíamos era poder aprender de una experiencia

que como bien explicaba Peter Smithson la experiencia del laboratorio era lo más parecido a un «long, long day». Con lo que quería explicar que lo que unía las

horas y los días era la intensidad, aspecto al que espero volver en esta especie de

conversación muda que tengo contigo en estos momentos.

Mais je voudrais d’abord te situer dans le contexte qui entourait Giancarlo de Carlo, puisque c’était quelque chose d’inhabituel

pour ceux d’entre nous qui venions du milieu universitaire et qui voulions

apprendre à travers une expérience.

Peter Smithson l’a très bien expliqué : l’expérience du laboratoire était ce qui se rapprochait le plus d’un «long, long day».

Ce qui reliait les heures et les jours était l’intensité, un aspect sur lequel j’espère

revenir dans cette sorte de conversation silencieuse que j’entretiens avec toi en ce moment.

Conocí a Giancarlo en dos diferentes

J’ai rencontré Giancarlo à deux moments

por Italia durantes mis investigaciones

lors d’un voyage en Italie pendant mes

momentos. El primero fue en un viaje

para una tesis doctoral leída más tarde después de seis años.

Paseaba yo por Urbino después de haber

visitado el Palazzo Ducale de Luciano

Laureana siguiendo las huellas de Piero della Francesca. Sucedió a la manera situacionista,

distraído

por

aquellas

callejuelas en medio de la canícula de

agosto, cuando me encontré con una ventana singular en lo alto de una pared de hormigón. ¡Cuán dificil es poner una

ventana en un muro de hormigón! Yo observaba la proporción entre la abertura

y el resto de la masa de hormigón, una ventana que no permitía descubrir lo que

112

questions, qui, d’ailleurs, pourraient faire

différents. La première rencontre a eu lieu recherches pour une thèse de doctorat,

que j’ai lue six ans plus tard. Je me promenais dans les rues d’Urbino après avoir visité le Palazzo Ducale de Luciano

Laureana, à la recherche des traces de

Piero della Francesca. Ça s’est passé à la manière situationniste. J’étais distrait

et passais par ces rues étroites en pleine canicule d’août, lorsque je suis tombé sur une fenêtre singulière au sommet d’un

mur de béton. Ô, comme c’est difficile de mettre une fenêtre dans un mur de béton !

J’ai observé la proportion entre l’ouverture et le reste de la masse de béton, une

fenêtre qui ne permettait pas de découvrir

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

había detrás, y que se enfrentaba a una

ce qui se trouvait derrière, et qui donnait

En esa minúscula plaza urbana aparecía

Dans cette minuscule place urbaine, cette

especie de apertura de la calle.

como por milagro esa ventana a lo alto que presidía ese espacio otorgándole a ese lugar un carácter cuasi religioso.

A la izquierda había un muro bajo de ladrillo, un material que uniformaba toda

Urbino con un cálido tono amarillo rojizo que te acogía en esa soledad de la

canícula del ferragosto. Acercarse a ese muro bajo y vibrar con el paisaje bucólico

de Urbino fue todo uno. Las ondulaciones de la campiña de la region de Marche.

Marche estaba toda teñida de colores pastel que se perdían en el horizonte.

Se creaban espejismos de colores por el calor.

Continué por la callejuela y de pronto, de

la pared de ladrillo, salían tres peldaños

de hormigón que invitaban, como si fuera un felpudo, a entrar a un espacio

entreabierto por una puerta de madera.

Entré en el silencio total de ese espacio.

Y me dí cuenta que estaba ante una obra

exquisitamente contemporánea que no sabía bien bien de qué se trataba. La

luz entraba de una manera discreta y

colaboraba a mantener una temperatura

interior muy distinta, que refrescaba el ambiente y te cohibía por su silencio y austeridad.

Me adentré un poco en

ese lugar muy consciente que infringía

las normas de una privacidad que no necesitaba de ninguna señal para hacerse notar.

Detrás de otro muro frío y adusto de hormigón se anunciaba una intensa

luz natural que al rodearlo descubrí un auditorio semicircular que bajaba en cascada generando un espacio que no por repetido mostraba algo que no

sur une sorte d’ouverture dans la rue. fenêtre est apparue comme un miracle, au sommet, présidant l’espace et lui conférant donnant un caractère quasi-

religieux. Sur la gauche, il y avait un muret en briques, un matériau qui uniformisait

l’ensemble d’Urbino avec un ton rougejaune chaud qui nous accueillait dans la solitude de la chaleur de la canicule de

Ferragosto. Se rapprocher de ce muret et vibrer au contact du paysage bucolique

d’Urbino, ce fut une seule et même chose.

Les ondulations de la campagne des

Marches. Les Marches teintait le tout dans des couleurs pastel qui se perdaient dans l’horizon. La chaleur créait des mirages colorés. J’ai continué à avancer le long de la ruelle et soudain, trois marches

en béton sont apparues sur le mur de briques, invitant, comme s’il s’agissait

d’un paillasson, à entrer dans un espace

entrouvert par une porte en bois. Je suis entré dans le silence total de cet espace.

Et je me suis rendu compte que j’étais devant une œuvre contemporaine exquise

dont je ne savais pas très bien de quoi il s’agissait. La lumière entrait de manière discrète et contribuait à maintenir une

température intérieure très différente, qui refroidissait l’atmosphère et suscitait une certaine gêne en raison de son silence

et de son austérité. Je suis allé un peu plus loin dans cet endroit, bien conscient

que j’enfreignais les règles d’une intimité

qui n’avait pas besoin de signe pour être remarquée. Derrière un autre mur de béton froid et aride, une lumière naturelle

intense s’est révélée, et en l’entourant, j’ai découvert un auditorium semi-circulaire qui descendait en cascade, générant un

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

113

supe descifrar. El cielo se entrometía

espace qui montrait quelque chose que

de las nubes a la seriedad de ese

immiscé dans l’auditorium, incorporant la

en ese auditorio incorporando el baile

espacio académico. En ese momento mi discreción me obligó a salir rápidamente de ahí con la convicción que averiguaría

qué era ese edificio que anunciaba un diálogo tan intenso entre lo antiguo de los muros de ladrillo y esa irrupción violenta

del hormigón visto sin aderezos ni pintura que intentara dulcificarlo. Meses después

descubrí que se trataba de la Facoltà di Magistero de Giancarlo de Carlo, una de sus primeras obras en esa pequeña ciudad universitaria.

La segunda vez fue con ocasión de mi

danse des nuages dans le sérieux de cet

espace académique. À ce moment-là, ma discrétion m’obligea à partir rapidement,

avec la conviction que je trouverais ce qu’était ce bâtiment qui annonçait un

dialogue si intense entre les anciens murs de briques et l’irruption violente du béton apparent sans aucun ornement ou

peinture tentant de l’adoucir. Des mois plus tard, j’ai découvert qu’il s’agissait

de la Facoltà di Magistero de Giancarlo

de Carlo, l’une de ses premières œuvres dans cette petite ville universitaire.

participación en ILAUD como profesor

Notre deuxième rencontre, c’était à

vez en Siena. Se organizaban grupos

en tant que professeur de l’ETSAB dans

de la ETSAB en ese seminario, esta de trabajo internacional con alumnos y

profesores que venían de 12, a veces trece, universidades extranjeras. Había siempre una escuela italiana. Luego de

un debate que es largo de explicar, tuve una disputa casi teológica sobre Jacopo

d’Antonio Sansovino y su trabajo en Venecia con Manfredo Tafuri. De esa intensa confrontación intelectual salió una

relación especial con Giancarlo de quien me siento deudor y a quien considero mi

maestro. En el mes de mayo anterior al seminario se había decidido el concurso

sobre la Bicocca de Milán y que Giancarlo

perdió debido al voto de calidad del presidente del tribunal que en ese caso era

Tafuri. Aldo van Eyck, representante de

los participantes en el Jury, me manifestó

que el proyecto de GDC era superior al que finalmente había vencido que no era

otro que el de VG arquitecto muy próximo

a Tafuri en Roma. Así que en esa disputa

114

je n’arrivais pas à déchiffrer. Le ciel s’est

l’occasion de ma participation à l’ILAUD ce séminaire, à Sienne. On a organisé des groupes de travail internationaux avec

des étudiants et des professeurs venant

de douze, parfois treize, universités étrangères. Il y avait toujours une école italienne. Après un débat bien trop long à expliquer, j’ai eu une dispute presque théologique avec Manfredo Tafuri à

propos de Jacopo d’Antonio Sansovino et de son travail à Venise. De cette intense confrontation intellectuelle est née une

relation particulière avec Giancarlo, à qui je suis redevable et que je considère

comme mon maître. Au cours du mois de mai précédant le séminaire, le concours

pour la Bicocca de Milan avait été décidé.

Giancarlo l’avait perdu à cause du vote prépondérant du président du tribunal

(Tafuri, en l’occurrence). Aldo van Eyck, représentant des participants au sein

du jury, m’a confié que le projet de GDC était supérieur à celui qui avait finalement

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

yo fui el dulce vengador de una pérdida

gagné, à savoir, le projet de VG, un

artes. Es una anécdota pintoresca pero

Donc, dans cette dispute, j’ai été le gentil

generada por unas más que discutibles

revela la posición ideológica de GDC

ante la arquitectura y la vida. Invitar a Tafuri a una conferencia después de esa

experiencia frustrante del concurso fue una lección de elegancia y savoir faire.

Mientras, la propuesta que hice en esas

semanas junto a mi grupo sobre Santa

Maria della Scala hizo que Giancarlo

me invitara a ser parte de un grupo internacional de trabajo para los siguientes años y proyectos en el laboratorio.

Muchas de las enseñanzas que recogí

de mis años con Giancarlo yo las apliqué en los talleres del master internacional La

Gran Escala durante catorce años. Hay un decálogo que explica ese modus operandi

que no te puedo revelar ahora porque es materia de una próxima publicación que te haré llegar en su momento.

GDC era un anárquico en el mejor sentido

del término. Y estaba en contra de la Academia. Por eso el ILAUD no es un seminario al uso de los que se ofrecen

cada año en diversas escuelas, países o instituciones. Tampoco era una escuela

de verano. Era un laboratorio donde se

architecte très proche de Tafuri à Rome.

vengeur d’une perte générée par des pratiques artistiques plus que douteuses.

C’est une anecdote pittoresque, mais elle

révèle la position idéologique de GDC

face à l’architecture et à la vie. Inviter Tafuri à une conférence après l’expérience

frustrante du concours qu’il avait perdu a été une leçon d’élégance et de savoirfaire.

En parallèle, la proposition que j’ai faite au cours de ces semaines avec mon groupe

sur Santa Maria della Scala a mené Giancarlo à m’inviter à faire partie d’un

groupe de travail international qui serait à l’œuvre pendant les années suivants pour

travailler sur les projets de son laboratoire.

J’ai appliqué bon nombre des leçons que j’ai tirées des années passées

aux côtés de Giancarlo aux ateliers du

programme de maîtrise international La

Gran Escala pendant quatorze ans. Il existe un décalogue qui explique notre modus operandi, que je ne peux te

révéler maintenant car il fait l’objet d’une

prochaine publication que je t’enverrai en temps voulu.

investiga aquellos temas relacionados con

GDC était un anarchiste dans le meilleur

el proyecto de arquitectura de una manera

C’est pourquoi l’ILAUD n’était pas un

la arquitectura y la ciudad. Se trabajaba en

siempre nueva. No valía lo que se hiciese el año anterior aunque el lugar fuese

el mismo. Había que comenzar desde cero cada vez. Lo cual nos generaba a

muchos una suerte de tensión porque a veces había proyectos que podrían ser

perfectamente aprovechables en el año siguiente y profundizar en ellos. Giancarlo en cambio exigía que cada vez había que

sens du terme. Il était contre l’Académie. séminaire ordinaire du genre proposé

chaque année dans diverses écoles,

pays ou institutions. Il ne s’agissait pas non plus d’une école d’été. Il s’agissait d’un

laboratoire

où

étaient

menées

des recherches sur des sujets liés à l’architecture et à la ville.Le projet

architectural était travaillé d’une manière toujours nouvelle. Ce qui avait été fait

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

115

hacer el esfuerzo de ver los lugares como si fuera la primera vez.

¿Por qué leer un lugar? ¿Qué significa?

Es una estrategia para descubrir aquello

que no es evidente y hará que el

proyecto de arquitectura se integre en la naturaleza de modo que su relación sea algo que dignifique el lugar. Que hiciera aparcer la obra como algo que siempre

ha estado allí. Arquitectura y lugar ha de ser una simbiosis que transforme ese

même si le site était le même. On devait recommencer à zéro à chaque fois. Cela a

créé une sorte de tension pour beaucoup

d’entre nous, car il y avait parfois des projets qui pouvaient être parfaitement

utilisables l’année suivante et sur lesquels

nous aurions pu travailler en profondeur.

Giancarlo, en revanche, exigeait à chaque

fois que nous fassions l’effort de voir les lieux comme si c’était la première fois.

lugar en algo atemporal, lejos de modas

Pourquoi lire un lieu ? Qu’est-ce qu’il

y las que espero comentar son hoy

découverte de ce qui n’est pas évident et

y tendencias. Hoy en día estas opiniones

asumidas por mucha gente y en cambio en ese tiempo sonaban a algo difícil de entender y provocativo por naturaleza.

Era la impresión que me había producido

esa ventana, que pareció que existía allí,

en ese lugar, desde la época de Federico de Montefeltro.

Esa cualidad en la arquitectura de de Carlo es algo que no siempre es fácil de comprender.

Pasó algo similar con I Collegi Universitari

de la misma Urbino. En particular con el

llamado

Nuclei

Residenziali.

La

primera vez que lo vi me pareció extraño sobretodo en la manera de posicionarse

respecto de la topografía. Creo que el 95% de mis colegas, en una situación similar de proyecto al de De Carlo se

signifie ? Il s’agit d’une stratégie de qui intégrera le projet architectural dans

la nature. Cette relation dignifie le lieu.

L’œuvre apparaitra comme quelque chose qui a toujours été là. L’architecture et le lieu doivent être en symbiose et transformer le lieu en quelque chose d’intemporel, loin des modes et des tendances.

Aujourd’hui, ces positions et celles que

j’espère développer sont adoptées par de nombreuses personnes, alors qu’à

l’époque elles semblaient difficiles à comprendre et étaient perçues comme une

provocation. C’est l’impression que m’a donnée cette fenêtre, qui semblait avoir existé là, à cet endroit, depuis l’époque de Federico de Montefeltro. Cette qualité

dans l’architecture de De Carlo n’est pas toujours facile à comprendre.

habrían puesto siguiendo la pendiente

Il s’est produit quelque chose de similaire

que acogen a los dormitorios contra

En particulier avec les Nuclei Residenziali.

de la topografía. Plantear los edificios la pendiente obligando por ello a una

ingente cantidad de escaleras no parecía

lo más apropiado. Una vez que visité ese Núcleo y recorrí todas esas escaleras y espacios intermedios de conexión pude

116

l’année précédente n’était plus valable,

avec I Collegi Universitari à Urbino même.

La première fois que je l’ai vu, je l’ai trouvé étrange, surtout dans la façon dont il était

positionné par rapport à la topographie. Je pense que 95 % de mes collègues, dans

une situation de projet similaire à celle de

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

apreciar la sofisticación de de Carlo al

De Carlo, auraient bâti en suivant la pente

ver con atender a las condiciones del

bâtiments abritant les dortoirs contre la

afrontar ese proyecto. Y eso tiene que lugar. Como resultado se puede decir con seguridad que no hay ninguna

habitación mejor que otra. Que todas tienen una orientación justa, todas tienen

vistas sobre ese paisaje que explicaba

anteriormente, todas ventilan y tienen luz natural con un asoleamiento correcto. Es una arquitectura sostenible avant la lettre.

Un gran arquitecto y amigo aunque casi

desconocido, Francesco Venezia suele decir que una buena arquitectura es

sostenible per se. No hay que buscar la sostenibilidad sino la cualidad de la buena arquitectura.

Cada habitación en este

grupo edificatorio es una ventana sobre el paisaje, es un mirador a escala personal.

Pienso que esa visión del paisaje puede

llegar a ser un elemento de distracción

para el estudio de cualquier persona sensible.

De Carlo lo que enseñaba era a atender la

complejidad del lugar y proyectar con ella.

La complejidad, al igual que la belleza, es un concepto que no suele figurar en las condiciones previas de ningún encargo de proyecto. Y en esa complejidad se debe incluir a los usuarios de esa arquitectura.

El proyecto de Il Villagio Matteotti de Terni

de la topographie. La planification des pente n’a pas semblé la plus appropriée, obligeant ainsi à installer un grand nombre

d’escaliers. Lorsque j’ai visité les nuclei et que j’ai parcouru tous ces escaliers

et espaces intermédiaires de connexion, j’ai pu apprécier la sophistication avec

laquelle de Carlo s’est attaqué à ce projet.

Et cela passe par l’attention portée aux conditions du lieu. Résultat : on peut dire qu’aucune pièce n’est meilleure qu’une

autre. Elles sont toutes bien orientées, elles ont toutes une vue sur le paysage

dont j’ai parlé plus tôt, elles sont toutes ventilées et bénéficient d’une lumière

naturelle et d’un bon ensoleillement. Il

s’agit d’une architecture durable avant la lettre. Un grand architecte et ami

quasi inconnu, Francesco Venezia, dit

souvent qu’une bonne architecture est durable per se. Nous ne devons pas rechercher la durabilité mais la qualité d’une bonne architecture. Chaque pièce de ce groupe de bâtiments est une fenêtre sur le paysage, un belvédère à l’échelle

individuelle. Je pense que cette vue du paysage peut devenir un élément de

distraction pour l’étude de toute personne sensible.

es un buen ejemplo de ello. La decisión de

De Carlo nous a appris à prêter attention

opinión y deseos de los futuros habitantes

avec elle. La complexité, comme la

incorporar a la gestación del proyecto la de ese complejo obliga a de Carlo a

introducir en la reflexión proyectual la idea de participación. El continuo confronto de de Carlo con los operarios de la acerería

responde a una idea que a lo largo de

la obra de de Carlo se repite de manera constante. Y no es otra que conseguir

à la complexité du lieu et à composer beauté, est un concept qui ne fait généralement pas partie des conditions préalables

à

toute

commande

de

projet. Et cette complexité doit inclure les utilisateurs de cette architecture.

Le projet Il Villagio Matteotti à Terni en est un bon exemple. Le choix d’intégrer

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

117

en cada proyecto la unidad a través de

les opinions et les souhaits des futurs

recoge muchas de las inquietudes de

de conception oblige de Carlo à introduire

la excepción. El complejo residencial

los usuarios en el sentido de encontrar un

equilibrio

en

esta

constante

excepcionalidad de los bloques que en

apariencia son muy similares pero los dos

tienen cualidades formales que los hace singulares. Una variabilidad tipológica

llevada al extremo. Las conexiones entre

los dos bloques a través de pasarelas transversales y a diferentes alturas hace que el conjunto adquiera una

connotación urbana singular. Los coches se incorporan al proyecto formando parte de la calle. No se sabe cuando se está

dentro del conjunto y cuando fuera. La ambigüedad es una característica de los proyectos de de Carlo que busca con ello

no dar soluciones inmediatas sino crear

preguntas continuas sobre los modos

tradicionales de habitar o recorrer una arquitecura.

Todas estas cuestiones flotaban en el ambiente de las actividades del taller del

ILAUD. Por descontado que de Carlo era muy renuente a explicar estas propias obras. De su discurso siempre inquisitivo, nos obligaba a pensar las soluciones

más de una vez y a explicar el origen de las formas adoptadas que debían rehuir

aquellas manieras traídas de nuestras

l’idée de participation dans la réflexion sur le projet. La confrontation permanente de De Carlo avec les métallurgistes

répond à une idée récurrente dans

l’œuvre de De Carlo. Il s’agit d’atteindre l’unité

par

l’exception

dans

chaque

projet. La cité accueille bon nombre des préoccupations des usagers dans le sens où il s’agit de trouver un équilibre

dans cette exceptionnalité constante des blocs qui, en apparence, se ressemblent

beaucoup mais qui présentent tous deux des qualités formelles les rendant

singuliers. La variabilité typologique est poussée à l’extrême. Les liaisons entre

les deux blocs par le biais de passerelles transversales

à

différentes

hauteurs

donnent au complexe une connotation

urbaine singulière. Les voitures sont

intégrées au projet en tant que partie intégrante de la rue. On ne sait pas à quel

moment on est à l’intérieur du complexe

et à quel moment on est à l’extérieur.

L’ambiguïté est une caractéristique des projets de de Carlo, qui ne vise pas à

fournir des solutions immédiates, mais à

susciter des interrogations permanentes

sur les manières traditionnelles d’habiter ou de parcourir une architecture.

escuelas. A esto ayudaba que, formando

Toutes ces questions planaient dans

del laboratorio, estaban una serie de

ILAUD. Bien sûr, de Carlo était très

parte

casi

del

decorado

intelectual

personajes que es lo más maravilloso

como experiencia que tuve la suerte de

experimentar. Y no se trataba sólo de Tafuri, sino de la mayoría de arquitectos

que en ese año hubiesen destacado por

una obra en particular. Explicar las propias

118

habitants du bâtiment dans le processus

l’atmosphère des activités de l’atelier

réticent à expliquer son propre travail. Par son discours toujours inquisiteur, il nous obligeait à réfléchir aux solutions possibles à plusieurs reprises et à expliquer l’origine

des formes choisies. Celles-ci devaient

éviter la façon de faire apprise dans nos

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

ideas a Renzo Piano, Peter Smithson, o

écoles d’architecture. Cela était favorisé

van Eyck, y la mayoría de amigos del

personnages qui faisaient partie de la toile

Reima Piétalä, Gae Aulenti el mismo Aldo

extinto Team X del cual Giancarlo extrajo la metodología de explicar la arquitectura.

Se explicaba a través de los proyectos.

Y se discutía de una manera metódica,

aunque esta palabra no fuera del gusto de Giancarlo. A alguno de sus colaboradores

de confianza les encargaba que después

de cada intervención se debía hacer

una reflexión y una pregunta inquisitiva,

un provocateur, sobre lo que se había presentado, un poco a la manera que

hacían ellos cuando se reunían en sus reuniones

que

pacientemente Alison

Smithson grababa y luego transcribía para

dejar constancia. Había algo de deseo de aprender de la melancolía, de una forma de aprender a través de la experiencia,

del método empírico. Por supuesto que

esto es una opinión personal y Giancarlo nunca la habría aceptado y me habría enviado a galeras. Pero verles discutir

con Doshi y que te permitieran intervenir de vez en cuando es algo que mantendré

siempre en la memoria agradeciendo la

generosidad de ellos en hacerte partícipes

de sus reflexiones que no siempre éramos capaces de entender. No éramos iguales

a ellos aunque tuviésemos el mismo título profesional.

Entonces la decisión de leer el lugar significaba

ponerte

enfrente

de

lo

inexcrutable y proyectar, diseñar a través de esas averiguaciones. Un mantra que uno aprendía desde el inicio era que se

analiza el lugar a través del proyecto. Por lo que el valor de la forma arquitectónica se transforma en la llave para entender

esa realidad. Testing through Design. Era la mecánica de trabajo del laboratorio que

par la présence d’un certain nombre de de fond intellectuelle du laboratoire. C’est la plus merveilleuse des expériences que

j’ai eu la chance de vivre. Il y avait Tafuri, mais y étaient présents aussi la plupart des architectes qui se seraient distingués

par une œuvre particulière chaque année.

C’était l’occasion d’expliquer ses propres

idées à Renzo Piano, Peter Smithson,

Reima Piétalä, Gae Aulenti, Aldo van Eyck et la plupart des amis de la disparue Team X, dont Giancarlo a suivi la méthodologie

pour expliquer l’architecture. L’architecture

s’expliquait par le biais des projets. On y

discutait de manière méthodique, même si ce mot n’était pas au goût de Giancarlo.

Certains de ses collaborateurs de confiance

étaient mandatés par lui pour faire suivre

chaque intervention d’une réflexion et d’une question inquisitrice, provocatrice,

sur ce qui avait été présenté. C’était un

peu à l’image de ce qu’ils faisaient lors de leurs rencontres, qu’Alison Smithson enregistrait patiemment puis retranscrivait

pour le compte rendu. Il y avait comme un

désir d’apprendre de la mélancolie, une

façon d’apprendre par l’expérience, par la méthode empirique. Bien sûr, ceci est un

avis personnel. Giancarlo ne l’aurait jamais accepté et m’aurait envoyé en galère.

Néanmoins, les voir discuter avec Doshi

et être autorisé à intervenir de temps en temps est quelque chose que je garderai toujours en mémoire, en les remerciant d’avoir eu la générosité de partager leurs réflexions, que nous n’étions pas toujours

en mesure de comprendre. Nous n’étions pas leurs égaux, même si nous avions le

même titre professionnel. Ainsi, la volonté de lire le lieu signifiait se mettre en face de

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

119

nos presentaba la arquitectura como

l’inexécutable et projeter, dessiner à travers

acceso a su interior.

appris dès le début est que l’on analyse le

un misterio del cual muy pocos tienen

Es abusivo pensar que esta manera de enfrentar el proyecto arquitectónico

es algo que se hiciera entonces en nuestras escuelas. Ni creo que hoy se haga en escuela alguna. Giancarlo era

reacio a la idea de generar una escuela de pensamiento. Su leal anarquismo

obligaba a que el hombre está solo en

lieu à travers le projet. La valeur de la forme

architecturale devient donc la clé pour

comprendre cette réalité. Testing through Design. La mécanique de fonctionnement

du laboratoire a présenté l’architecture

comme un mystère dont très peu ont accès à l’intérieur.

el mundo y debe enfrentarse así a los

Il est excessif de penser que cette façon

manera de diseñar de Giancarlo y que

chose qui se faisait dans nos écoles à

problemas. Quizá lo más cercano a una

no compartía mucho con nosotros, era una especie de arquitectura emocional.

Uno

de

los

últimos

proyectos

de

Giancarlo fue el de unas casetas en el

Lido de Venezia. A mí no me gustó nada

cuando vi los dibujos y los planos del Blue Moon facility. Pensé que tampoco

me agradaría cuando lo visitase, ciosa que hice algunos años atrás. Sigue sin gustarme, pero hay que andar con

cuidado con estas primeras impresiones.

d’aborder le projet architectural est quelque l’époque. Je ne crois pas non plus que cela se fasse dans aucune école aujourd’hui.

Giancarlo était réticent à l’idée de créer une école de pensée. Son anarchisme

fidèle l’a poussé à croire que l’homme est seul au monde et doit donc faire face

ainsi aux problèmes. Peut-être que ce

qui se rapproche le plus de la manière de dessiner de Giancarlo, chose qu’il n’a pas

beaucoup partagée avec nous, est une sorte d’architecture émotionnelle.

Pero hay algo en esas cúpulas interiores,

L’un des derniers projets de Giancarlo

blanco, en una cierta espiritualidad que

Lido à Venise. Je n’ai pas du tout apprécié

en la cualidad de ese hormigón pintado genera el estar ahí dentro en un espacio

que está vacío que me intriga y que

debo visitar de nuevo. Bien pues, esa cosa inexcrutable de la arquitectura de

Giancarlo es algo que aprendí de él

y que obviamente no puedo dejar de pensar en él cuando me enfrento a un proyecto. E intento hacer aquello de conseguir la unidad en la excepción.

Pero no soy y quien ha de decir si lo he conseguido o no.

Giancarlo nos invitaba a intervenir con

120

ces interrogations. Un mantra que l’on a

était un projet pour des cabanes sur le

quand j’ai vu les dessins et les plans de l’installation de Blue Moon Facility. J’ai toujours cru que je ne l’aimerais pas non plus lorsque je le visiterais, ce que j’ai fait il

y a quelques années. Je ne l’aime toujours

pas, mais je me méfie de mes premières

impressions. En effet, il y a quelque chose dans les dômes intérieurs, dans la qualité du béton peint en blanc, dans une certaine

spiritualité qui vient du fait d’être là, dans un espace vide, qui m’intrigue et que je dois visiter à nouveau.

Eh bien, cette chose inextricable à propos

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

una intensidad que no es casual. Es como

de l’architecture de Giancarlo est quelque

Un proyecto intenso es aquel que no se

je ne peux pas m’empêcher de penser à

si la vida se escapase en cada proyecto.

comprende a vuela pluma. Que te invita

a detenerte, a pensar, a contrastar, a buscar sus leyes originarias, sus fuentes, nos obliga a mirar lentamente, y nos deja insatisfechos irremediablemente. Como

chose que j’ai appris de lui et, évidemment,

lui lorsque je suis confronté à un projet.

J’essaie de me tenir à l’idée de « l’unité

dans l’exception ». Mais ce n’est pas à moi de dire si j’ai réussi ou non.

decía Giancarlo en alguno de sus escritos,

Giancarlo nous invitait à intervenir avec

presente e offre direzioni per il futuro».

C’est comme si la vie s’échappait dans

«La storia non riguarda il passato, ma il Caminamos.

Aquiles González Raventós

Architect

Barcelona, noche del 1 de noviembre del 2021

une intensité qui n’a rien de désinvolte.

chaque projet. Un projet intense est un projet qui ne peut être compris au premier

coup d’œil. Un projet intense nous invite

à nous arrêter, à réfléchir, à contraster, à rechercher ses lois originelles, ses

sources, elle nous oblige à regarder lentement, et nous laisse désespérément

insatisfaits. Comme Giancarlo le disait dans certains de ses écrits, «la storia non riguarda il passato, ma il presente e offre direzioni per il futuro». Nous marchons.

Aquiles González Raventós

Architect

Barcelona, nuit du 1er novembre 2021

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

121

Bibliographie

TEXTES DE GIANCARLO DE CARLO • • • • • • •

DE CARLO G., BUNCUGA F., PULLBERG A. R., MIOTTO L., Architecture et liberté, Paris, Éditions du Linteau, 2003 (réédition traduite du livre du 2000).

DE CARLO G., MARINI S., L’architettura della partecipazione, Macerata, Quodlibet, 2013 (réédition du livre de 1972).

DE CARLO Giancarlo, Urbino, la storia di una città e il piano della sua evoluzione urbanistica, Padova, Marsilio Editore 1966.

DE CARLO Giancarlo, TOSCANO Clelia, La città e il territorio, Macerata, Quodlibet, 2019.

DE CARLO Giancarlo, CECCARELLI Paolo, Questioni di architettura e di urbanistica, Macerata, Quodlibet, 2008 (réédition du livre de 1964).

DE CARLO Giancarlo ”La ville décline ses mémoires : Urbino, Italie”, Techniques & architecture, n.372, Juin 1987, pp.119-134.

BO Carlo, LUZI Mario, DE CARLO Giancarlo, Dalla città del silenzio, Urbino, Quattro Venti, 1997.

YEAR BOOK ILAUD • • • • • • •

1977 Urbino - 2nd Residential Course, Urbino, ILAUD, 1978.

1978 Urbino - Participation and re-use, Urbino, ILAUD, 1979.

1981 Urbino - Language of architecture : lectures seminars and projects, Firenze, Sansoni, 1982.

1990 Siena - The contemporary town 3, Urbino, Quattroventi, 1991.

1991 Urbino - Reading and design of the physical environment, Urbino, Quattroventi, 1992.

1992 Urbino - Reading and design of the physical environment,1 Urbino, Quattroventi, 1993.

1993 Urbino - Reading and design of the physical environment 2, Urbino, Quattroventi, 1994.

TEXTES SUR GIANCARLO DE CARLO • • • • • • • • •

122

BRUNETTI Fabrizio, GESI Fabrizio, Giancarlo De Carlo, Firenze, Alinea, 1981.

ROSSI Lamberto, Giancarlo De Carlo, Architteture, Mondatori, Milano, 1988.

MORRA S., FULIGNA T., DEVECCHI A.,Ca’ Romanino.Una casa di Giancarlo de Carlo, Argalia Editore, Urbino, 2010.

MCKEAN Jhon, Giancarlo De Carlo: Des lieux, des hommes, Editions du Centre Pompidou, 2004.

BILO Federico, Tessiture dello spazio: tre progetti di Giancarlo De Carlo del 1961, Macerata, Quodlibet, 2014 MIGNARDI Lorenzo, Sono geloso di questa città: Giancarlo De Carlo e Urbino, Macerata, Quodlibet, 2018.

BORGARINO Maria Paola, I collegi di Giancarlo De Carlo a Urbino. Piano di conservazione e gestione, Milan, Mimesis, 2019.

LECCESE Marco, TUCCI Stefano, Directeur de thèse CANNELLA Gentucca “La colonia Sip-Enel à Riccione di Giancarlo de Carlo”. Politecnico di Torino, 2019.

MAZZONALI Monica, TROISI Antonio, Giancarlo De Carlo; il progetto come eredità, Milano, Tracce Euromilano, 2019.

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo

•

MIRONI Angela,Monica, OCCHIALINI ETRA Conni, Giancarlo De Carlo: immagini e frammenti, Milano, Electa, 1995.

ARTICLES DE REVUE • • • • • • • • • •

« La ville décline ses mémoires : Urbino, Italie», Architecure et techniques, n.372,1987 Juillet, p.119-134 “Logements d’etudiants, Universitè d’Urbino”, Architecture d’aujourd’hui, n.48, 1965, pp-10-11.

SAMASSO Francesco, “De Carlo ‘s archive: a fertil ground”,Territorio n.92, Franco Angeli, Milano, 2020, pp-21-24.

BASSO Sara., “A free and anarchist though: the topcality of Giancarlo De Carlo”,Territorio n.92, Franco Angeli, Milano, 2020, pp-24-33.

BASSO Sara, “Urban structure and form in Giancarlo De Carlo’s projects”,Territorio n.92, Franco Angeli, Milano, 2020, pp-42-63.

“Housing of De Carlo: Dormitories, Urbino University, Italia” A+U Architecture and Urbanism, n.43.pp 108-110, 1974.

LECCESE Marco, TUCCI Stefano, Directeur de thèse CANNELLA Gentucca “La colonia Sip-Enel à Riccione di Giancarlo de Carlo”. Politecnico di Torino, 2019.

ZARDINI Mirko “Dal Team X al Team x = From Team X to Team x : International Laboratory of Architecture and Urban Design (ILAUD), Lotus international, n° 95, dec 1997 ALBA NAVARRO Xavier, MESTRE ARAMENDIA Octavio, “ILAUD “, T18, n° 37-38, Invierno 2020 MORELLI R., « Urbino, ou l’histoire des relations de coévolution entre un établissement humain et son milieu naturel » Les Cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère [En ligne], 11 | 2021,

AUTRES TEXTES • •

• •

RISSELADA Max, HEUVEL Dirk van den et al. (éds.), Team 10: 1953-81, in search of a utopia of the present, Rotterdam, NAi, 2005.

FAYOLLE Lussac Bruno, PAPILLAULT Rémi, Le Team X et le logement collectif à grande échelle en Europe: un retour critique des pratiques vers la théorie: actes du séminaire européen, Toulouse 27-28 mai 2004, Pessac, Maison des sciences de l’homme d’ Aquitaine, 2008.

QUINTON, Maryse Quinton, “Exposition Team 10 (2008)”, AMC architecture n.178, Paris, Avril 2008, pages 108-111.

NORBERG-SCHULZ C., Genius loci, Pierre Mardengue Editeur, Bruxelles 1981.

ENSA Montpellier Mastère spécialisé Architecture et patrimoine contemporain - 2021 I

123

Remerciements

Je voudrais remercier le corps enseignant du Mastère Spécialisé Architecture et Patrimoine Contemporain de l’ENSAM, en particulier Théodore Guuinic, Laurent Duport, Emmanuel García et Claudia Hernández.

Mes

remerciements

vont

à

Aquiles

González Raventós et Octavio Mestre pour leur générosité et les beaux échanges épistolaires que j’espère continuer à entretenir dans le futur.

Je voudrais aussi remercier Estéban Restrepo pour ses précieux conseils sur ce travail et Paolo Terra pour son aide et ses belles photographies.

Je tiens à remercier la Fondation Ca Romanino pour l’inoubliable résidence à Ca’ Romanino et Sonia Morra pour sa gentillesse et sa disponibilité à répondre à mes questions sur l’histoire de la maison.

Merci à Alba Lombardia pour sa traduction et son soutien et à la belle équipe de relecteurs composée par Guy Fabre, Elsa Sissia, Sophia Askebi et Julia Del Treppo pour

leurs

encouragements

et

leurs

conseils.

Enfin, un grand merci à ma famille pour m’avoir soutenu dans ce projet avec bienveillance et enthousiasme.

124

La relation avec le paysage dans les architectures et les écrits de Giancarlo De Carlo