Trois Couleurs #96 – Novembre 2011

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cinéma culture techno novembre 2011 n°96 by

SPÉCIAL ACTEURS Et aussi... Justin Timberlake • Tahar Rahim • Vincent Macaigne • Denis Robert • Mathieu Demy • Lana Del Rey • David Lynch • Kervern & Delépine

Michael Fassbender

Hardcorps www.mk2.com

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SOMMAIRE Éditeur MK2 Multimédia 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. 01 44 67 30 00 Directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com) Chefs de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Rédactrice Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) Directrices artistiques Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (sarah.kahn@mk2.com) Secrétaire de rédaction Sophian Fanen Iconographe Juliette Reitzer Stagiaires David Elbaz, Quentin Grosset Ont collaboré à ce numéro Ève Beauvallet, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Julien Dupuy, Sylvain Fesson, Joseph Ghosn, Florian Guignandon, Donald James, Bethsabée Krivoshey, Anne de Malleray, Laura Mattei, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Jérôme Provençal, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Mélanie Uleyn, Anne-Lou Vincente, Bruno Verjus, Éric Vernay, Axel Zeppenfeld Illustrations Almasty, Dupuy & Berberian, Stéphane Manel, Ruppert & Mulot Photographie de couverture © Nicolas Guérin Publicité Directeur général adjoint MK2 Multimédia Rachid Boukhlifa 01 44 67 68 02 (rachid.boukhlifa@mk2.com) Responsable de clientèle cinéma Stéphanie Laroque 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Responsable de clientèle hors captifs Amélie Leenhardt 01 44 67 30 04 (amelie.leenhardt@mk2.com) Stagiaire Adrien Faucher

© 2011 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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7 … ÉDITO 8 … PREVIEW > Carnage

11 LES NEWS 11 … CLOSE-UP > Frank Ocean 12 … BE KIND, REWIND > Le Stratège 14 … EN TOURNAGE > Un goût de rouille et d’os 16 … TENDANCE > Cinq films de prison 18 … COURTS MÉTRAGES > Painted Love 20 … MOTS CROISÉS > Emmanuel Mouret 22 … SÉRIES > Shameless 24 … ŒIL POUR ŒIL > Contagion vs The Social Network 26 … FAIRE-PART > David Lynch 28 … PÔLE EMPLOI > Justin Wiebe 30 … ÉTUDE DE CAS > L’Ordre et la Morale 32 … TOUT-TERRAIN > Kim, Drake 34 … AUDI TALENTS AWARDS > Marie-Aurore Stiker-Métral 36 … ART NUMÉRIQUE > Rafael Lozano-Hemmer 38 … ENQUÊTE > Les documentaristes paysans 42 … SEX TAPE > Sleeping Beauty

44 DOSSIERS 44 … SHAME > Portrait de Michael Fassbender, entretien avec Steve McQueen, les six hots spots de New York, portrait d’Abi Morgan 54 … SEPT ACTEURS CAPITAUX > Justin Timberlake, JoeyStarr, Amanda Seyfried, Clémence Poésy, Isabelle Huppert, Tahar Rahim, Vincent Macaigne

71 LE STORE 71 … OUVERTURE > Les vins Coppola 72 … EN VITRINE > Noé 74 … RUSH HOUR > Games Stories, Le Vilain Petit Canard, Les Géants 76 … KIDS > Le Tableau 78 … VINTAGE > David Lean 80 … DVD-THÈQUE > Gustave Kervern et Benoît Delépine 82 … CD-THÈQUE > Pink Floyd 84 … BIBLIOTHÈQUE > Roland Topor 86 … BD-THÈQUE > Craig Thompson 88 … LUDOTHÈQUE > Ace Combat

91 LE GUIDE 92 … SORTIES EN VILLE > Lana Del Rey, La Loge, Maori, Altered States, William Forsythe, Aude Lachaise, Sola 106 … S ORTIES CINÉ > Il était une fois en Anatolie, Bonsái, Colorful, 50/50, À la Une du New York Times, Donoma, Americano 122 … LES ÉVÉNEMENTS MK2 > Dark Lens, L’Affaire des affaires 126 … LOVE SEATS > Drive 127 … TOUT OU RIEN PAR DUPUY & BERBERIAN 128 … TRAIT LIBRE > XIII 130 … LES PETITS ACCIDENTS SUR COMMANDE DE RUPPERT & MULOT

NOUVEAU

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ÉDITO

L’acteur est un auteur

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ans son très bel essai La Politique des acteurs (éditions Cahiers du cinéma, 1993), écrit en réaction à la fameuse politique des auteurs chère à la Nouvelle Vague, le critique et cinéaste Luc Moullet montre combien les carrières de certains comédiens peuvent obéir, de film en film, à une cohérence gestuelle ou thématique insoupçonnée : le jeu de mains de Jimmy Stewart, ses bégaiements, bredouillements, enrouements répétés ; le positionnement oblique de Cary Grant, ses courses « plié en deux » vers le taxi, la misogynie de plusieurs de ses personnages ; le visage minéral de Gary Cooper, sa gestuelle épurée, souvent réduite à un haussement de sourcil…

Le comédien qui orne notre couverture ce mois-ci aurait pu faire partie de cette admirable liste. Les constantes, chez Michael Fassbender, sont légion : timbre charmeur et élastique, corps poussé dans ses ultimes retranchements, chutes en cascade, duplicité. Les personnages qu’il campe se ressemblent et se répondent. Les deux films dont il est à l’affiche en cette fin d’année, Shame de Steve McQueen et A Dangerous Method de David Cronenberg, le montrent bien : Brandon, le sex addict errant qu’il interprète dans le premier, aurait gagné à se faire psychanalyser par Carl Jung, le médecin tourmenté qu’il joue dans le second. « Dieu mit le remède dans le mal », écrivait Baudelaire dans un poème qui résume, à lui seul, la filmographie de Fassbender. Impressionnés par l’Irlandais, prix d’interprétation en septembre à Venise, nous avons portraituré sept autres comédiens au gré de l’actualité, des rencontres et des affinités. À chacun d’entre eux, nous avons associé un péché capital, car il nous semble, avec Luc Moullet, qu’un acteur n’est jamais une page blanche, innocente et vierge, mais un auteur – et les bons auteurs sont rarement bien intentionnés. _Auréliano Tonet

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PREVIEW

Parents terribles Carnage de Roman Polanski Avec : Jody Foster, Kate Winslet… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h20 Sor tie : 7 décembre

Deux couples de bourgeois newyorkais (Jody Foster et John C. Reilly d’un côté, Kate Winslet et Christoph Waltz de l’autre) s’écharpent au sujet d’une bagarre de récré entre leurs bambins. Huis clos survolté en temps réel (c’est-à-dire sans la moindre ellipse), Carnage est tiré de la pièce Le Dieu du carnage de Yasmina Reza, qui en cosigne l’adaptation. On y retrouve avec délectation l’habileté de Roman Polanski pour nous enfermer entre quatre murs avec ses personnages (comme dans Repulsion, Le Locataire, La Jeune Fille et la mort…), et son goût pour le mélange des genres : s’il débute à la manière d’une comédie mondaine, le film glisse progressivement dans une jouissive atmosphère délétère.

© Wild Bunch

_J.R.

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Close-up

© Universal Music

NEWS

FRANK OCEAN

« Je vais essayer de nager dans quelque chose de plus grand que moi », chante Frank Ocean, le bien nommé, dans l’une des plus belles chansons de Nostalgia, ULTRA. Sur cette mixtape R’n’B diffusée gratuitement online début 2011, l’ambitieux natif de La Nouvelle-Orléans s’entourait de samples pop mainstream (Eagles, MGMT, Radiohead). Des « plus grands que lui » – enfin, pour l’instant. Car, depuis, le nom de Frank Ocean est au casting des albums hiphop et R’n’B qui comptent cette année : chez Tyler The Creator de Odd Future côté indé, chez Beyoncé, Jay-Z et Kanye West côté blockbusters. Et bientôt sur un premier EP officiel où le crooner de 23 ans délivre ses pensées angoissées par le suicide et le divorce dans un écrin voluptueux. Il plongera le 9 novembre au Social Club, à Paris, fin prêt pour le grand bain. _Éric Vernay

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NEWS BE KIND, REWIND

Batte men

Pitch de rêve pour Le Stratège, en route pour les Oscars. Cette équipe qui gagne compte Bennett Miller à la réalisation, Aaron Sorkin au scénario et la paire Brad Pitt et Jonah Hill au casting. Nul besoin de comprendre ses règles cryptées pour réviser les bases du film de baseball, sport emblématique du cinéma américain.

© 2011 Columbia TriStar Marketing Group, Inc. All rights reserved.

_Par Clémentine Gallot

Le Stratège de Bennet t Miller Avec : Brad Pit t, Jonah Hill… Distribution : Sony Pictures France Durée : 2h13 Sor tie : 16 novembre

baseball

© DR

© Sony Pictures

© Rue des Archives

Trois films de

Eight Men Out

Une équipe hors du commun de Penny Marshall (1992)

de Sam Raimi (1999)

En 1919, sous-payés, les White Sox de Chicago acceptent des pots de vin pour se coucher lors de la phase finale du championnat américain. Eight Men Out incarne l’âge d’or du film de baseball, produit à la chaîne au milieu des années 1980. Le Stratège arbitre une autre guerre des classes sur gazon. Entraîneur de la pire équipe des États-Unis, Billy Beane (Brad Pitt) révolutionne sa stratégie grâce à un petit génie des statistiques (Jonah Hill, en mode pré-régime) et mène ses troupes à la victoire. Dans ces deux histoires vraies, l’économie du sport tient une place prépondérante, et les joueurs s’échangent comme des pièces sur un échiquier. ♦

« On ne pleure pas au baseball ! » Une équipe hors du commun, comédie du sexisme rampant qui raconte la première équipe féminine américaine en 1943, jouit du charme ineffable de Geena Davis et Madonna, malgré les éructations grotesques de Tom Hanks. Le Stratège s’insère dans la généalogie des success stories d’outsiders, qui regroupent bras cassés et minorités (juniors, vétérans, Latinos, Afro-Américains). Adapté d’un best-seller par le réalisateur de Truman Capote, Le Stratège a pris la quatrième place du classement des films de baseball les plus profitables au box-office, où trône toujours la comédie de Penny Marshall et ses 100 millions de dollars de recette. ♦

Le terrain, passage obligé dans une carrière d’acteur : avant Brad Pitt, Gene Kelly, Frank Sinatra, Robert De Niro ou Robert Redford ont fièrement arboré le maillot rayé. Spécialiste du genre, Kevin Costner y est même revenu par trois fois. Dans la bluette Pour l’amour du jeu, il joue une star vieillissante, bazardée par son équipe et sa compagne, qui fait le bilan de sa vie. Comme Terrain d’entente et Comment savoir, la comédie romantique de Sam Raimi se joue surtout hors terrain. En revanche, point de romance dans Le Stratège : rien ne vient distraire l’entraîneur divorcé et dur à cuire de son business entre bros, si ce n’est sa seule relation féminine : sa fille de 13 ans. ♦

de John Sayles (1988)

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Pour l’amour du jeu


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© Jimmy Kets

NEWS EN TOURNAGE

Matthias Schoenaerts, acteur à suivre du nouveau film de Jacques Audiard

Un réalisateur très discret R Un goût de rouille et d’os de Jacques Audiard Avec : Marion Cotillard, Mat thias Schoenaer ts… Distribution : UGC Durée : non communiquée Sor tie prévue : 2012

Attendu au tournant après Un Prophète, César du meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur acteur en 2010, JACQUES AUDIARD caste Marion Cotillard et Matthias Schoenaerts pour son prochain film, Un goût de rouille et d’os. Un tournage mis au secret. _Par Quentin Grosset

ien ne filtre des tournages de Jacques Audiard, qui semble vouloir travailler tranquille ave c sa nouvel le é qu ip e, quelque part dans le sud de la France. Très peu d’infos circulent, alimentant une stratégie de communication qui a fait ses preuves : en dire le minimum pour générer une attente. Ce qu’on sait, c’est qu’Un goût de rouille et d’os est l’adaptation d’un recueil de nouvelles du Canadien Craig Davidson, paru en France en 2006. On sait aussi que le réalisateur, habitué aux univers masculins, tente cette fois le glamour en recrutant Marion Cotillard. Nul doute que l’actrice tient là le rôle le plus insolite de sa carrière, puisqu’elle joue une dresseuse d’orques au Parc

Clap !

_Par Q.G.

1 Steve McQueen Shame n’est pas encore sorti que le réalisateur enchaîne avec 12 Years a Slave, l’histoire vraie d’un musicien afro-américain kidnappé par des esclavagistes en 1841. Toujours avec Michael Fassbender, le tournage commencera début 2012.

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aquatique d’Antibes. À cette occasion, elle sera accompagnée par Matthias Schoenaerts, en jeune zonard qui tombe sous son charme avant qu’un accident (d’orque ?) ne lui fasse perdre l’usage de ses jambes. Une relation ambiguë se noue alors entre eux : elle deviendra son manager lorsqu’il se lancera dans des combats clandestins… Un acteur inconnu dans les mains d’Audiard, ça fait souvent des étincelles. Matthias Schoenaerts, qu’on avait remarqué pour sa gueule cassée dans Bullhead de Michael R. Roskam, vu cette année à l’étrange festival, suivra-t-il le même chemin que Tahar Rahim il y a quelques années ? Quoi qu’il arrive, Audiard ajoute une trogne de plus à son cinéma. ♦

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2 Daniel Craig L’acteur britannique incarnera à nouveau 007 dans la vingt-troisième aventure, réalisée par Sam Mendes. Accompagné par Bérénice Marlohe, James Bond girl frenchy et inconnue totale, il affrontera le flippant Javier Bardem. Sortie prévue le 24 octobre 2012.

3 Marion Laine La réalisatrice d’Un cœur simple tourne actuellement son deuxième long métrage, Un singe sur l’épaule. Coécrit avec Anne Le Ny, il réunira Juliette Binoche et Edgar Ramirez dans une histoire d’amour au bloc opératoire entre deux chirurgiens de renom.


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NEWS TENDANCE

Case prison

Dans Khodorkovski, Cyril Tuschi retrace la chute du magnat russe, ennemi numéro un du régime de Vladimir Poutine

Le film de prison est un genre à part entière, d’American History X au Prisonnier d’Alcatraz, de Hunger à Titicut Follies. En novembre, une fiction et quatre documentaires sondent à nouveau les mécanismes carcéraux de sociétés aussi différentes que l’Amérique de Nixon, la Norvège du début du XXe siècle ou la Russie postcommuniste. Forcément politiques, ces œuvres explorent des microcosmes révélateurs des pays dans lesquels ils s’ancrent, en même temps qu’elles servent de vecteur idéologique à leurs auteurs. _Par Juliette Reitzer

LES RÉVOLTÉS DE L’ÎLE DU DIABLE de Marius Holst, Norvège

La fiction carcérale s’ancre par définition dans un univers replié sur lui-même, où conflits et résolutions se déroulent en huis clos. Figures clés de ces mouvements internes, tentatives d’évasion et mutineries sont toutes deux au programme des Révoltés de l’île du diable. En 1915, deux pensionnaires débarquent dans une institution pour délinquants juvéniles située sur l’île norvégienne de Bastøy. Le film s’attache à montrer les dérives violentes et despotiques inhérentes à l’absence de contacts avec le monde extérieur, installant une tension larvée qui atteint son paroxysme dans une impressionnante scène de fuite sur mer gelée. Sortie le 23 novembre 16

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KHODORKOVSKI

de Cyril Tuschi, Allemagne

Dans un climat de peur et de censure, l’Allemand Cyril Tuschi enquête sur l’oligarque le plus riche de Russie, devenu son plus célèbre prisonnier. Détenu en Sibérie depuis 2003, Mikhaïl Khodorkovski dirigeait le géant pétrolier Ioukos. Il fut condamné pour escroquerie après avoir publiquement défié Vladimir Poutine sur le terrain de la corruption. Révélatrice des accointances entre le Kremlin et le système judiciaire, l’affaire est décortiquée avec précision, s’appuyant sur des interviews d’anciens cadres exilés de Ioukos, de personnalités politiques ou d’ex-agents du KGB. Sortie le 9 novembre


THE BLACK POWER MIXTAPE de Göran Olsson, Suède

« I was born in jail », déclare Stokely Carmichael, figure des Black Panthers, dans l’une des nombreuses vidéos d’archives compilées dans ce film. Prix du meilleur documentaire étranger à Sundance, The Black Power Mixtape associe des images inédites tournées pour la télévision suédoise à des commentaires contemporains (Questlove, Talib Kweli…), pour examiner l’évolution du mouvement Black Power aux ÉtatsUnis de 1967 à 1975 : assassinat de Martin Luther King, création des Black Panthers, emprisonnement d’Angela Davis, mutinerie de la prison d’Attica, misère à Harlem et discours de Louis Farrakhan de Nation of Islam… Un passionnant témoignage. Sortie le 16 novembre

ANGELA DAVIS

Martin Luther King (à gauche) accompagné du chanteur Harry Belafonte, soutien précieux

TOUTE MA VIE EN PRISON de Marc Evans, États-Unis Le parcours d’un jeune Londonien sur les traces d’un journaliste noir, membre des Black Panthers, condamné à la peine capitale à l’issue d’un procès expéditif pour le meurtre d’un policier de Philadelphie en 1981. Devenu le symbole mondial du mouvement pour l’abolition de la peine de mort, Mumia AbuJamal est aussi une victime célèbre du racisme de l’institution judiciaire américaine, emprisonné depuis près de trente ans dans les couloirs de la mort. Ce docu fascinant est nourri des interventions de Mumia luimême (par téléphone), d’Angela Davis, de Snoop Dogg, du philosophe Noam Chomsky ou de l’écrivain Alice Walker. Sortie le 23 novembre

HONK

d’Arnaud Gaillard et Florent Vassault, France

Coréalisé par le sociologue Français Arnaud Gaillard, spécialiste des mécanismes de pénalité, Honk est un documentaire militant. Les qualités cinématographiques du film souffrent un peu du désir de convaincre de ses auteurs, mais le résultat reste édifiant, analysant les mécanismes de justification à l’œuvre dans les 34 États américains qui pratiquent encore la peine de mort, à travers des portraits (une famille impatiente d’assister à l’exécution d’un meurtrier, un condamné à mort innocenté, la mère d’un détenu des couloirs de la mort) et interviews d’universitaires ou défenseurs des droits de l’homme. Sortie le 9 novembre

The Black Power Mixtape et Toute ma vie en prison livrent en filigrane un passionnant portrait d’Angela Davis, icône du mouvement des droits civiques aux ÉtatsUnis dans les années 1970 et célèbre prisonnière politique. Symbole de l’enfermement utilisé pour réduire les contestataires au silence, elle déclare dans Toute ma vie en prison : « L’emprisonnement est devenu la première réponse à nos problèmes sociaux. » Militante communiste et féministe des droits de l’homme, engagée contre la guerre du Vietnam et le racisme, professeur de philosophie et grande penseuse de la violence, Angela Davis purge en 1972 seize mois de prison pour complot, enlèvement et homicide – avant d’être acquittée, appuyée par un impressionnant soutien international (John Lennon lui dédit la chanson Angela, les Rolling Stones écrivent pour elle Sweet Black Angel). The Black Power Mixtape exhume pour sa part une interview inédite de Davis, filmée dans sa cellule, en 1972. « Quand j’étais petite, y raconte-t-elle, certains de mes amis proches ont été tués par des bombes posées par des racistes. Je me souviens du bruit des explosions, de notre maison qui tremblait. Mon père était armé car on s’attendait toujours à ce que quelqu’un nous attaque. Alors, quand on me demande mon avis sur la violence, je n’en crois pas mes oreilles. » _J.R. www.mk2.com

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NEWS COURTS MÉTRAGES Courts, toujours

©Kazak Productions

_Par D.E.

© Cartier

Pandore de Virgil Vernier L’entrée d’une boîte de nuit parisienne. Propret mais « pas sorti d’une chatte du VIIe », le physionomiste recale ou accueille au feeling les aspirants fêtards. Un couperet acide, extensible à l’échelle sociétale, dont le documentaire de Virgil Vernier, déjà remarqué pour ses courts Flics et Commissariat, se fait le miroir.

Mécène phare de l’art contemporain, le joaillier Cartier a produit trois courts métrages autour de son bracelet fétiche, Love, et d’une question : « How far would you go for love ? » Le premier d’entre eux, Painted Love, est l’œuvre conjointe du duo musical AIR et du vidéaste BEN DICKSINSON, membre du collectif new-yorkais Waverly Films.

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_Par Claude Garcia

J u s q u’o ù i r i e z -v o u s p a r amour ? » Ben Dickinson est resté dans son terrain de jeu favori, Brooklyn et son architecture triturée. « J’ai tourné pas mal de clips dans les rues de mon quartier, et je pense que l’aura de New York se retrouve dans le film », atteste le réalisateur. Auteur de vidéos lo-fi et ingénieuses à la Gondry pour les musiciens The Rapture, The Juan MacLean ou LCD Soundsystem, il opte dans Painted Love pour une esthétique plus sensuelle et arty, mêlant prises de vue réelles et séquences animées, adaptée à la démarche hagarde du personnage principal – un peintre dont l’âme est

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torturée par une étrange muse. « Le héros n’arrive pas à retranscrire cette vision dans son travail, et il ne parvient pas non plus à la trouver dans le monde extérieur », explique Dickinson. À partir de ce matériau filmé et dessiné, les Français de Air ont livré une musique onirique et expérimentale. « Ils ont réagi musicalement aux images, à la performance des acteurs, aux couleurs et aux lumières », continue Ben Dickinson, qui finalise en ce moment le montage de son premier long métrage, First Winter, l’histoire de « bobos isolés dans une ferme en plein blizzard ». Des clips à Hollywood, il n’y a qu’un pas – franchi par amour, forcément. ♦

La Ligne de touche de Nicolas Rosée Guichetière précaire dans un stade de foot, la jeune Victoria surprend une conversation et se retrouve impliquée dans une histoire de paris truqués. Alors que le récit nous tient en haleine, une habile caméra à l’épaule scrute les moindres gestes de la comédienne.

©Takami Productions

CARTIER DE NOBLESSE

©Batysphère Productions

Painted Love de Ben Dickinson

Jeunesses françaises de Stéphan Castang Des lycéens francs-comtois font face à un conseiller d’orientation au pragmatisme cassant. Les ados baissent parfois les yeux, mais répondent aussi, jusqu’à se révolter contre ce broyeur d’ambitions. Un portrait de groupe drôle et incisif, au noir et blanc tranchant.


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NEWS MOTS CROISÉS

Empruntant à Ovide le titre de son nouveau film, L’Art d’aimer, EMMANUEL MOURET poursuit avec une délicatesse enjôleuse et littéraire son exploration du désir amoureux. Sa comédie chorale, avec entre autres François Cluzet, Judith Godrèche et Frédérique Bel, est scandée par des intertitres qui sont autant de dictons moraux qu’il fait bon transgresser dans l’amour. Défloraison en sa compagnie. _Propos recueillis par Laura Tuillier _Illustration : Étienne Rouillon L’Art d’aimer d’Emmanuel Mouret Avec : Ariane Ascaride, François Cluzet… Distribution : Pyramide Durée : 1h25 Sor tie : 23 novembre

Quelques mots d’amour « Il n’y a pas d’amour sans musique. »

C’est ce qui est dit dans le prologue, avec ce musicien incapable d’entendre la mélodie de l’amour avant de mourir. C’est un petit conte pour entrer dans le film par la voie du merveilleux. Mon cinéma se situe dans la fantaisie plutôt que dans le réalisme. L’Art d’aimer est un film qui ne cesse d’avancer avec un rythme que j’ai voulu très entraînant. La musique est centrale pour moi parce qu’elle nous transporte immédiatement, elle nous fait aimer le monde, elle peut même nous faire aimer notre tristesse. Comme le cinéma.

« Le désir est inconstant et danse comme les herbes dans le vent. »

Le thème de l’inconstance, la fragilité du désir, c’est ce qu’on retrouve constamment dans mes films. Dans les histoires de cœur, c’est la volatilité qui me fascine, ce Cupidon qui tire ses flèches selon son bon caprice. En revanche, moi je suis fidèle à mes acteurs, c’est vrai. C’est important de travailler avec des comédiens que je connais, parce que le plaisir est pour moi le moteur d’un tournage. J’ai eu la chance de découvrir beaucoup de nouvelles personnes pour 20

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« la musique est centrale pour moi. Elle peut même nous faire aimer notre tristesse. Comme le cinéma. » L’Art d’aimer, des gens que j’aimerais de nouveau filmer. Par exemple, Julie Depardieu et Judith Godrèche, une paire improbable qui fonctionne parfaitement. Virginie Ledoyen et Julie Gayet [actrices dans Un baiser s’il vous plaît, ndlr] sont également des comédiennes que je voudrais retrouver.

« Patience, patience. »

Pour moi, le cinéma, c’est jouer avec les attentes, et surtout déjouer celles du spectateur. Mettre à l’épreuve la patience des personnages et du public. Un homme et une femme éprouvent de l’attirance, comment vont-ils faire pour s’unir ?


La réplique

« Je dirais que le hasard n’est intéressant au cinéma qu’à partir du moment où il complique la situation. » C’est du suspense, finalement ! Avec une histoire de rencontre et de désir, on crée d’emblée des attentes, qu’il faut ensuite détourner, décevoir, renouveler. Dans L’Art d’aimer, les scènes d’amour dans la chambre d’hôtel sont des scènes de noir, je ne montre pas tout au spectateur, donc l’imagination va travailler. D’ailleurs, tout le découpage du film est un jeu de cache-cache, je trouve beaucoup plus intéressant de suggérer que de dévoiler. Un baiser qu’on imagine est parfois plus beau qu’un baiser qu’on reçoit.

« Souvent les yeux nous mènent vers l’amour, parfois ils nous trompent. »

Mes personnages échafaudent toujours des plans pour favoriser la réalisation de leurs désirs, mais souvent le facteur X entre en jeu. Je dirais que le hasard n’est intéressant au cinéma qu’à partir du moment où il complique la situation. Cette règle d’or permet de rendre les choses plus savoureuses pour le spectateur, et moi je m’amuse davantage lors de l’écriture.

« Il ne faut pas refuser ce que l’on nous offre. »

Éric Rohmer et Woody Allen m’ont beaucoup donné, c’est évident. Ils ont traité d’une manière obsessionnelle la question des sentiments, du couple et des problèmes moraux que cela pose. Car, en réalité, mes personnages n’ont pas un désir, mais deux : satisfaire leur appétit sexuel tout en se souciant d’être des gens bien. Jacques Becker, qui était à l’honneur au Festival Lumière [début octobre à Lyon], est également quelqu’un qui m’inspire. J’adore ses comédies, Édouard et Caroline, Rue de l’Estrapade, Antoine et Antoinette, alors qu’il est connu pour ses films noirs. J’ai été cinéphile, mais aujourd’hui j’ai tendance à revoir les films qui m’ont donné envie de faire du cinéma, plutôt que de me jeter sur l’actualité.

« Arrangez-vous pour que vos infidélités demeurent ignorées. »

C’est une citation d’Ovide ; un clin d’œil, puisque j’ai repris son titre. Quelqu’un m’a fait remarquer, alors que ce n’était pas consciemment voulu, que L’Art d’aimer est le premier de mes films où tous les personnages demeurent fidèles… ♦

« Faire l’amour, ce n’est qu’un massage qui ne se fait pas qu’avec les mains. » L’Art d’aimer d’Emmanuel Mouret (en salles le 23 novembre)

La phrase

« Après être allé voir Drive, j’ai voulu faire quelque chose de courageux et d’épique. » C’est ce qu’a déclaré un individu qui, inspiré par le personnage de Ryan Gosling, a jeté un hot-dog sur Tiger Woods

Status quotes Notre sélection des meilleurs statuts du mois sur les réseaux sociaux

Alexandre : Au ministère des Sports, ils vont Douillet. Julien : Selah Sue des aisselles. Patricia : Une nuit blanche peut-elle effacer une journée noire ? That is the question. Joachim : Polisse partout, Justice partout. Le marketing a vraiment de ces visses… Christophe vient de voir la bandeannonce de Poulet aux prunes. C’est « Amélie Poulet », en fait. Roland : Depardieu récompensé par le prix Lumière. Pour avoir pris sa vessie pour une lanterne ? Sabine : C’est sûr que Kadhafi se Muammar moins maintenant. Pamela : Primaire socialiste : DSK aurait promis de bourrer les urnes. CgX : Diane Airbus Bertrand. Jean-Baptiste : Twitter est comme un film suédois. On parle, parfois il n’y a pas de réponse. Et souvent, il pleut. Johanna : Jamais, dans mes rêves les plus fous, je n’aurais pensé chanter un jour les plus beaux morceaux de Crosby, Stills & Nash en chœur avec Laurence Boccolini : merci le placement numéroté de l’Olympia, merci la vie, bonsoir Paris. Vincent : La vie est un long scroll tranquille. www.mk2.com

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NEWS SÉRIES le caméo © 2011 Universal Pictures

Kristen Wiig dans Portlandia Satire bienveillante de la culture bobo-hippie-alterno (et de sa passion déraisonnable pour la nourriture bio), Portlandia recevra la visite de la tornade comique de Mes meilleures amies au cours de sa deuxième saison. Kristen Wiig y retrouvera son camarade du Saturday Night Live, Fred Armisen, créateur de ce show à sketches diffusé sur IFC – et interprète de la plupart des rôles avec sa complice Carrie Brownstein. Sont aussi attendus du côté de l’Oregon dès janvier : Tim Robbins, Jack McBrayer (30 Rock) ou encore Andy Samberg (SNL). _G.R.

TOUTE HONTE BUE

Importer sur le sol américain la farce sociale so british Shameless avait tout de la fausse bonne idée. Mais le remake diffusé par Showtime, avec WILLIAM H. MACY en père indigne alcoolo, se révèle miraculeusement aussi débridé que son modèle. _Par Guillaume Regourd Shameless (US) Diffusion : saison 1 le jeudi à 22h15 sur Canal +, en DVD (Warner Home Video) le 7 décembre

© Warner Bros.Television John Wells Productions Showtime 2011

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e s  r e m a ke s  o n t  m a u v a i s e presse. Et ce n’est pas l’adapt at ion a mér icai ne de Shameless qui allait échapper aux critiques. Cette comédie intrinsèquement anglaise, quelque part entre Ken Loach et Absolutely Fabulous, s’invite depuis 2004 chez les Gallagher, une fratrie de Manchester qui (sur)vit de petits boulots et des allocs, abandonnée par une mère envolée et un père bourré du matin au soir. C’était couru d’avance : en traversant l’Atlantique, la punkette Shameless serait relookée en ode policée à la solidarité chez les prolos. En fait, pas tant que ça. Hormis quelques extravagances too much, même pour Showtime, le chevronné producteur John Wells (Urgences) fait montre d’une déférence têtue vis-à-vis de l’œuv re or iginale. Le pilote, délocalisé à Chicago, joue les copies carbone, et la suite n’est qu’ajustements organiques.

Si William H. Macy ne fait jamais oublier David Threlfall en Frank, le patriarche imbibé, il indique crânement la voie à suivre à ses jeunes partenaires – tous excellents – et la troupe offre, comme au théâtre, son interprétation de cette pièce déjà

Zapping

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Johnny Depp L’acteur développe actuellement pour la chaîne américaine Lifetime un drama autour de William Wilkerson, magnat à la réputation sulfureuse qui créa le Hollywood Reporter en 1930. Producteur de la série, Johnny Depp n’exclut pas d’y faire une apparition.

© Jon Kopaloff /FilmMagic

© Dominique Charriau /WireImage

_Par Q.G. et G.R.

Joel et Ethan Coen En plus de travailler sur leur prochain film, Inside Llewyn Davis (avec Carey Mulligan, sortie prévue en 2012), les frères Coen planchent sur une comédie télé pour Fox. Écrite par Phil Johnston, le scénariste de Bienvenue à Cedar Rapids, elle aura pour héros un détective privé de Los Angeles.

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jouée ailleurs. La grâce unique du texte de Paul Abbott demeure, du coup, intacte. Basé sur sa propre enfance, Shameless s’abandonne à la folie de ses personnages avec une générosité qui balaye toute résistance. Cheers ! ♦

Sur la route En attendant la sortie de Sur la route de Walter Salles (2012), et à l’occasion de la publication du livre Road Movie, USA (Hoëbeke), Ciné+ s’élance sur le bitume du 3 novembre au 1er décembre, avec une rétrospective des fleurons du road movie, de Hellman à Jarmusch.


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©Sony Pictures

NEWS ŒIL POUR ŒIL

The Social Network de David Fincher (2010) DVD et Blu-ray disponibles chez Sony Pictures

Rétrovirus

Le mal inconnu qui s’abat sur la planète dans Contagion de STEVEN SODERBERGH n’est pas sans rappeler la conversion généralisée au réseau social Facebook dans The Social Network. Retour sur deux tragédies virales. _Par Clémentine Gallot

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© Warner Bros. Pictures . Photo by Claudette Barius

Contagion de Steven Soderbergh Avec : Mat t Damon, Kate Winslet… Distribution : Warner France Durée : 1h46 Sor tie : 9 novembre

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utre la quinte de toux d’une porteuse malade (Gwyneth Paltrow), qui contamine un mari (Matt Damon) et une scientifique (Kate Winslet), le véritable virus qui touche Contagion, c’est l’effet Social Network. Si le vingt-deuxième long métrage de Steven Soderbergh appelle d’évidentes références au genre du film épidémique, la liste des films que le réalisateur a regardés en 2010, publiée en ligne, révèle pas moins de cinq visionnages du biopic de David Fincher. Drame de la transmission, Contagion explore les luttes fratricides entre scientifiques, quand The Social Network

révélait les trahisons entre développeurs, tandis qu’à la chronique méthodique de la conquête du web fait écho la progression d’un virus mortel. Cousin éloigné du prophète web Mark Zuckerberg, un blogueur (Jude Law) s’attache à propager des rumeurs infondées. Contagion imprime dans la rétine, via la caméra RED EPIC-X, le même mouvement effréné et fluide qui suivait l’hyperactif Zuckerberg. Un sentiment encore renforcé par deux B.O. high tech signées Cliff Martinez (chez Soderbergh) et Trent Reznor (chez Fincher). Fébrile et grisant, comme au meilleur des Ocean’s (Eleven, Twelve). ♦

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© PIAS / photo Adam Bordown

NEWS FAIRE-PART

RETRAITE

LAST HIGHWAY

Cet été, au Festival de Locarno, Abel Ferrara a confirmé ce que beaucoup pressentaient : DAVID LYNCH « ne veut plus faire de film ». À 65 ans, il n’arrête pas pour autant son cinoche : musique, dessin, pub, design… Le préretraité a plein d’autres passions. _Par Sylvain Fesson Crazy Clown Time de David Lynch Label : Pias Sor tie : 7 novembre

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ul ne sait si le rayonnement de la méditation transcendantale profite bien à la Terre, mais une chose est sûre : Lynch profite bien du rayonnement de son œuvre. Depuis son dernier film, Inland Empire (2006), il a signé l’artwork de Dark Night of the Soul, l’album de Sparklehorse et Danger Mouse, où il chante sur deux titres, décoré une vitrine des Galeries Lafayette,

réalisé une pub pour un sac à main Dior avec Marion Cotillard, et designé l’intérieur du très select Silencio qui a ouvert cet octobre sous le Social Club. Comme si David Lynch avait exorcisé l’essentiel avec ses arches de Noé cinématographiques, que depuis tout n’était que récréation. Ce grand mélomane, qui a toujours soigné voire cosigné les bandes originales de ses films (ah, les sommets voluptueux de Twin Peaks…), prend ainsi le temps de sortir son premier

Le carnet

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Anniversaires Le cinéma Saint-André-des-Arts, dans le Quartier Latin, fête ses 40 ans du 9 au 22 novembre. En cadeau, autant de films (Eustache, Varda, Schoeller…), des rencontres et des débats. Non loin, Radio Nova souffle trente bougies le 11/11/11 à partir de 11h… et pendant pas moins de 30 heures ! Vous êtes prévenus.

©DR

Mariage Après trois volets d’atermoiements et d’abstinence douloureuse, Bella Swan et Edward Cullen convolent enfin en justes noces dans Twilight 4 : révélation, dont le premier volet sort le 16 novembre. Le ténébreux vampire y emmène sa belle en lune de miel et s’apprête à la transformer en suceuse de sang.

© SND

© Redferns

_Par L.T.

Décès Le prolifique et influent guitariste folk écossais Bert Jansch est décédé le 5 octobre à 67 ans. Une disparition masquée par la mort, le même jour, de Steve Jobs, emporté par un cancer du pancréas à 56 ans. Cofondateur du constructeur informatique Apple en 1976, il a initié entre autres le Macintosh, l’iPod, l’iPhone et l’iPad.

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album solo. Avec sa voix de canard robotisé, les quatorze titres de Crazy Clown Time rappellent les sonorités du projet Blue Bob réalisé avec John Neff en 2003, entre blues industriel et trip-hop anxiogène. Après avoir zieuté les 1’13’’ de The 3 Rs, la vidéo qu’il a dirigée pour la 49e édition de la Viennale, le fan hardcore s’immergera enfin dans Work on Paper, un recueil de 630 dessins édité en septembre par la Fondation Cartier. David Lynch n’est plus au cinéma, mais il est partout. ♦


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NEWS PÔLE EMPLOI

Aux manettes Nom : Justin Wiebe Profession : réalisateur de jeux vidéo Employeur : Electronic Ar ts Black Box Dernier projet : Need for Speed : The Run

C’est en avion qu’on est allé tester un jeu de voiture. Au détour d’un lacet boisé de la verte ville de Vancouver, se détache l’immense cabane canadienne du studio Electronic Arts. Ici, le réalisateur JUSTIN WIEBE peaufine Need for Speed : The Run. Portrait d’un pilote aguerri. _Par Étienne Rouillon (à Vancouver)

«C

e que je fais comme boulot ? Ah, c’est la question que je me pose tous les soirs de retour à la maison. » Dans les couloirs du campus d’Electronic Arts à Vancouver, sur le parquet de sa salle de basket, sur le gazon de son terrain de foot ou depuis le belvédère plongeant sur le delta du fleuve Fraser ouvert sur l’océan Pacifique, tout le monde vous dira que Justin Wiebe est un game director. Un terme qui s’avère difficilement traduisible en français, tant il recouvre un paquet de métiers : scénario, production, direction artistique voire même marketing, le game director chapote tous les départements, tel un architecte. Papillon doté d’une mémoire d’éléphant, il doit rappeler la bible d’un projet tout au long de son développement. « Le rôle d’un game director, au fond, c’est d’être le dépositaire d’un concept que l’on essaie d’accoucher avec toute l’équipe. Mon rôle, c’est que toutes les équipes sachent à quoi va ressembler le bébé : sa structure technique, mais aussi le type d’expé-

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« Vous pouvez avoir les plus beaux graphismes, la physique la plus réaliste, le jeu est raté si les circuits ne sont pas fun. » riences offertes au joueur, la cohérence du scenario… Plus délicat encore, il faut savoir traduire les intentions ludiques en principes de jeu concrets. » RUN RUN RUN La trentaine en épilogue, celui qui ponctue toutes ses phrases par le mot « fun » a l’air d’un type tout à fait sérieux qui respecte les limites de vitesse et freine à l’orange. Justin Wiebe est pourtant au volant d’une série de course automobile conduite à deux cents à l’heure : les Need for Speed (NFS). Une vieille gloire tombée en désuétude dans les

CV 1996 Diplômé de design graphique à l’université de Fraser Valley, au Canada. 2002 Intègre le studio Electronic Arts Black Box en tant qu’assistant producteur sur la série des Need for Speed Underground. 2005 Accompagne la mue de Need for Speed avec Most Wanted. Il est producteur délégué. 2007 Responsable du design sur Need for Speed Pro Street. 2009 Réalisateur du jeu Need for Speed Shift, qui relance la licence, en perte de vitesse. 2011 Reconduit pour la réalisation de Need for Speed : The Run.


Extrait de Need for Speed : The Run

années 2000, qui brûle à nouveau la gomme avec bravoure grâce à son frais mantra : quel que soit le type de jeu, celui-ci doit être porté par un scenario. À fond les caisses, ce NFS nouveau s’appelle The Run. « Ce Run est une course d’une côte à l’autre, détaille Justin Wiebe, de San Francisco à New York. L’idée traînait dans nos têtes depuis un moment, mais il a fallu attendre l’arrivée d’outils techniques qui nous permettent de figurer une histoire dans un jeu de course. D’envelopper un récit qui vous motive pour aller de l’avant, qui donne un sens à cet enchaînement d’épreuves. » FUN FUN FUN La trame est hollywoodienne et soutenue par un casting raccord, dominé par la brûlante Christina Hendricks, la rousse phénoménale de la série Mad Men. Déjà vu sur grand écran, ce genre d’histoire a le mérite de plonger le joueur immédiatement dans le bain – chaud bouillant. « Mon rôle, en tant que game director, est de m’assurer que ce principe narra-

tif ne prenne pas le pas sur le plaisir de jouer. Simplement, on a besoin, de temps à autre, de faire une pause dans la conduite, et ces éléments scénarisés permettent des parenthèses rafraîchissantes. » Ce n’est pas du luxe, au vu des circuits qui transformeront votre sang en infusion d’adrénaline. « Au départ, on trace ce que l’on appelle “le ruban”, une sorte de circuit primitif, puis on y ajoute des collines, des virages, des arbres et un décor. Ces ajouts sont guidés par nos expériences de joueurs. Vous pouvez avoir les plus beaux graphismes, la physique la plus réaliste, le jeu est raté si les circuits ne sont pas fun. Tout le problème, aujourd’hui, c’est de savoir définir ce fun alors que les amateurs de jeux vidéo ont des profils de plus en plus variés. » Avec quatorze ans de métier entre les doigts, Justin Wiebe commence à avoir sa petite idée sur la question. ♦ Need for Speed : The Run Genre : course Éditeur : Electronic Ar ts Développeur : EA Black Box Sor tie : 17 novembre

La technique

© KMBO

© Electronic Arts

Mais que fait la police ? Le Festival du film britannique de Dinard fêtait cette année son vingt-deuxième anniversaire. Au menu, dégustation de vin des Paysde-la-Loire et humour british. Tandis que Petula Clark, marraine de l’événement, raillait dans un français parfait « l’impossible accent » de Jane Birkin, deux bobbies (les policiers d’outre-Manche) se livraient à un surprenant happening. Arrivés de leur commissariat de Newquay, ville jumelée avec Dinard, ils grimpèrent sur la scène du Palais des arts sous les rires gras de l’assemblée, pour passer les menottes aux deux acteurs de la comédie romantique Rock n’Love, en écho au pitch du film : un chanteur star et une jeune rockeuse se retrouvent menottés l’un à l’autre en plein festival de musique. _J.R.

© M.Beuavais

Brève de projo

Le fil(m) à la pâte Le film d’animation Le Vilain Petit Canard emploie une méthode que le réalisateur américain Will Vinton a baptisée dans les années 1970 la claymotion – littéralement, l’animation en pâte à modeler. Contrairement à L’Étrange Noël de Monsieur Jack, qui utilisait des marionnettes semi-rigides moulées sur des armatures d’acier, la claymotion consiste à sculpter une figurine pour l’animer image par image. Le réalisateur du Vilain Petit Canard, Garri Bardine, a longtemps employé de la terre glaise… qui avait une fâcheuse tendance à sécher. Puis Nick Park, le créateur de Wallace & Gromit, lui a présenté la plastiline, une pâte à modeler extrêmement fine grâce à laquelle il a donné naissance à la volaille éponyme de son film. _J.D. Le Vilain Petit Canard de Garri Bardine // Sor tie le 2 novembre

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NEWS ÉTUDE DE CAS

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milliard de dollars de bénéfices au troisième trimestre 2011 pour Disney. C’est la sixième année consécutive que les studios atteignent ce chiffre au boxoffice U.S. – grâce à Pirates des Caraïbes 4, Cars 2, et La Couleur des sentiments.

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millions de téléchargements à travers le monde en 2011. Avatar de James Cameron, a fixé un nouveau record en octobre, devenant le film le plus piraté pour la deuxième année consécutive, et donc de tous les temps.

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hommes en santiags au festival Entrevues de Belfort (du 26 novembre au 4 décembre). Parmi eux, les réalisateurs Serge Bozon et Jean-Claude Brisseau, le musicien Fred Poulet ou encore le journaliste Serge Kaganski, y présenteront leur western favori.

KASSOVITZ A-T-IL RETROUVÉ LA HAINE? NON Après une décennie d’égarement hollywoodien (du terne film de commande Gothika au naufrage Babylon A.D.), Mathieu Kassovitz cherche à retrouver les clés de son succès des années 1990 : son producteur Christophe Rossignon (La Haine) et un sujet « engagé », la tragique prise d’otages d’Ouvéa. Sur l’air vertueux du film de repentance nationale, Kassovitz tente de réhabiliter la dignité des indépendantistes kanaks dans un écrin spectaculaire de thriller américain. Dénonçant sans nuance le cynisme des méchants politiciens français tout en se gardant, sous couvert d’impartialité, le beau rôle du capitaine du GIGN, le réalisateur orchestre une démonstration lourde au didactisme pompier. Une B.O. de char d’assaut ponctue au diapason ce cours d’histoire simpliste.

© 2011 NORD-OUEST FILMS Photo Guy Ferrandis

_Éric Vernay

1988 en NouvelleCalédonie, les indépendantistes kanaks prennent en otage trente gendarmes entre les deux tours de la présidentielle. Chronique de cet épisode sanglant, L’Ordre et la Morale signet-il le retour de MATHIEU KASSOVITZ à son meilleur niveau, quinze ans après La Haine ?

L’Ordre et la Morale de Mathieu Kassovitz Avec : Mathieu Kassovitz, Iabe Lapacas… Distribution : UGC Durée : 2h16 Sor tie : 16 novembre

Iabe Lapacas (au centre) dans L’Ordre et la Morale de Mathieu Kassovitz

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OUI Dans ses meilleurs jours, Mathieu Kassovitz est un pamphlétaire à la hargne vivifiante, un cinéaste porté par un point de vue fort sur un sujet de société polémique et totalement ignoré du cinéma tricolore. C’était le cas de Métisse, La Haine et Assassin(s). C’est de nouveau le cas avec L’Ordre et la Morale. Et sa vision a beau être très offensive, elle n’en n’est pas simpliste pour autant. Sa mise en scène, d’une rare inventivité, sert un scénario complexe, radical mais jamais manichéen, didactique sans être pontifiant. Un projet passionné et passionnant donc, qui culmine avec une séquence d’assaut éprouvante qui, tout en évoquant le travail d’Alfonso Cuarón dans Les Fils de l’homme, propose un traitement inédit de la progression en zone de guerre. Un vrai grand moment de cinéma. _Julien Dupuy


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NEWS TOUT-TERRAIN COVER boy +

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En bon Egomaniac, JoeyStarr a peur de vieillir. Sur la pochette de son deuxième album solo, il affiche sa bouille de sale gosse biberonné au flow du rappeur Nas, tout en adoptant les préceptes cross over de l’enfant terrible du tropicalisme, Gilberto Gil. Trop mimi. _Q.G.

UNDERGROUND

© Melanie Elbaz

LA TIMELINE DE KIM

Radio Gaga

Conclusion d’une trilogie pop entamée en 2008, Radio Lee Doo pourrait enfin sonner l’avènement national de KIM. L’heure de gloire pour ce héros indie aux 19 albums ? _Par Michaël Patin

Radio Lee Doo de Kim Label : Gimme Shelter Sor tie : Disponible

« Ce n’est pas facile, ni forcément intéressant ou gratifiant, de faire un disque qui ressemble à soi. » Voilà pourtant le défi qu’a souhaité relever Kim en imaginant la trilogie Lee Doo, exploration de ses premières amours pour la pop synthétique et la new wave. Dernier volet annonçant son ambition avec un brin d’ironie, Radio Lee Doo 32

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est son œuvre la plus accessible, mais aussi la plus intime, révélatrice d’une personnalité complexe. Redoutant le surplace, le Bordelais enrichit la palette instrumentale des épisodes précédents en puisant à d’autres sources (jazz chaloupé sur La Dolce Lee Doo, hardrock sur I’m Getting Old, pop FM sur The Candidate et Goodbye Lee Doo, samba sur Don Lee Doo). « Il y a eu conflit entre mon directeur artistique, c’est-à-dire moi, qui me disait de remettre plein d’Omnichord et de batteries minimalistes, et les chansons qui demandaient plus d’ampleur. » Kim a donc suivi son instinct d’éternel électron libre, confiant dans sa quête de la mélodie pop parfaite, celle qui réconcilierait enfin les fans de The Cure, Supertramp et Joe Dassin. ♦

Hier Voilà vingt ans que le Bordelais exerce son stakhanovisme do it yourself, écumant les salles et multipliant les sorties. Sa discographie compte dix-neuf albums à ce jour, du reggae au krautrock, de la surf pop à l’ambient.

Aujourd’hui Après les sublimes Don Lee Doo (2008) et Mary Lee Doo (2009), Kim a dû changer de label pour faire paraître Radio Lee Doo. Moins une conclusion qu’une ouverture luxuriante qui pourrait bien le tirer de l’ombre, tout doocement. Demain La trilogie Lee Doo sera à l’honneur lors des prochaines dates de sa tournée sans fin. Entre un tournage de clip et deux coups de pouces à Yuksek ou Dionysos, Kim planche sur l’assouvissement de son prochain fantasme discographique.


CALÉ

Le casting du prochain film de Wes Anderson, Moonrise Kingdom, une histoire de fugue amoureuse dans les années 1960. On y trouve, pêle-mêle, Bruce Willis, Bill Murray, Edward Norton, Frances McDormand, Tilda Swinton et Jason Schwartzman. Excusez du peu.

DÉCALÉ

Le sujet du nouveau film de Paul Thomas Anderson, The Master. Prévu pour 2012, il met en scène Philip Seymour Hoffman en gourou sectaire dont le pouvoir est menacé par l’un de ses adeptes, interprété par Joaquin Phoenix.

RECALÉ

Les Trois Mousquetaires de Paul W.S. Anderson. Malgré un budget faramineux (100 millions de dollars) et une brochette de stars (Orlando Bloom, Milla Jovovich, Logan Lerman…), ce blockbuster encapé ne convainc guère.

OVERGROUND Bons soins

Avec Take Care, un deuxième album rongé par le spleen post-cuite, la nouvelle star canadienne DRAKE prouve que son rap’n’B neurasthénique et racé est là pour durer. _Par Éric Vernay

Take Care de Drake Label : Barclay Sor tie : 15 novembre

© Universal Music

Révélé au début des années 2000 dans la série télé pour ados Degrassi : The Next Generation, puis signé sur le label de Lil Wayne dès son premier album (Thank Me Later, en 2010), Drake fait partie, avec Kid Cudi et Wiz Khalifa, d’une génération de rappeurs biberonnés à l’indie-pop, qui ont fait leur trou en lâchant leurs mixtapes sur Internet sans pour autant y parler de f lingues et de la rue. Pas très ghetto, le playboy Aubray Drake Braham, né à Toronto, a vite été rangé dans la case hipster par ses détracteurs, puristes du rap insensibles à son style pourtant moderne et singulier. Sur Take Care, son deuxième effort auquel participe Stevie Wonder, le jeune crooner développe encore sa technique avec un soin perfectionniste. Hybridant dans un même couplet la douceur du chant R’n’B et la nervosité des textes rapés, Drake fait planer son spleen sur des beats synthétiques signés Boi-1da et Noah « 40 » Shebib, ses fidèles producteurs. Ankylose rime alors avec hypnose. Faussement relâché, Drake distille ses états d’âme d’enfant gâté sur la célébrité (Headlines) ou les fins de soirées avinées (Marvin’s Room), et livre un album fascinant, mélancolique et racé comme un film de Michael Mann. ♦

LA TIMELINE DE DRAKE Hier Né d’un père afro-américain et d’une mère juive canadienne, Drake révèle ses talents d’acteur à l’âge de 15 ans dans le teen drama Degrassi, puis se lance dans la musique. Suivront trois mixtapes, un EP et un premier disque de platine, Thank Me Later.

Aujourd’hui Signé sur le label de Lil Wayne, admiré par Kanye West et Jay-Z, l’ex-boyfriend de Rihanna a connu une ascension foudroyante. Au sommet à 25 ans, il a pris son temps pour sortir son deuxième effort, Take Care.

Demain Stevie Wonder, The Weeknd, Jamie Smith de The XX : les featurings de Take Care, ouverts sur l’electro et la soul, laissent présager d’un futur passionnant pour Drake, qu’on annonce par ailleurs sur le très attendu Detox de Dr. Dre.

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© Marie-Aurore Stiker-Métral

NEWS AUDI TALENTS AWARDS

Damiers, éclat du mouvement, mouvement éclaté de Marie-Aurore Stiker-Métral

STIKER-MÉTRAL TEND SON MIROIR Lauréate des Audi Talents Awards en 2009 dans la catégorie design, MARIEAURORE STIKER-MÉTRAL a squatté trois jours fin octobre devant le MK2 Bibliothèque, avec une variation sur la nouvelle Audi Q3. Son but : inciter les passants à perdre leurs repères. _Par Quentin Grosset

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rois jours, trois lieux, trois designers en honneur du nouveau bébé d’Audi, la géométrique Q3. Du 20 au 23 octobre, entre l’esplanade du MK2 Bibliothèque, la place Vendôme et la galerie Art Curial (rond-point des ChampsÉlysées), le constructeur réunissait les talents de son concours pour faire partager ses inspirations en 3D. Parmi eux, Marie-Aurore StikerMétral. Derrière ce nom de superhéros Marvel se cache une jeune fille

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de 28 ans, diplômée de philosophie et de création industrielle, travaillant d’arrache-pied dans un atelier do it yourself aménagé chez elle, à Duroc. En 2009, elle présentait son projet de fin d’études, Techniques domestiques, au concours Audi Talents Awards, qu’elle a remporté dans la catégorie design. Si son souci principal est un subtil alliage entre le désir et le fonctionnel, l’installation que Marie-Aurore Stiker-Métral a proposé devant le MK2 Bibliothèque lui permet de s’écarter un temps de l’utile pour se concentrer sur l’agréable. Sur un socle qui reflète le ciel, trois cubes-miroirs trônent et captent l’énergie de la ville. À l’intérieur, leurs différentes profondeurs diffractent l’image dans un jeu kaléidoscopique qui perd les passants dans un Paris multifacettes. La vision du design urbain défendue par l’artiste s’incarne dans ce travail : démontables et remontables, ces cubes pourraient être réexposés ailleurs et ainsi réfléchir d’autres vibrations. ♦

whATA's up ? Déjà lauréat des Audi Talents Awards en 2010 dans la catégorie expérimental, avec sa société de production Buffalo Corp., Dominique Rocher, 27 ans, a remporté le 12 mai dernier le prix dans la catégorie court métrage. Son histoire qui montre un couple projeté dans le ciel par une onde de choc, l’homme restant figé dans les airs et dans le temps pendant que sa femme assiste à sa chute et continue de vieillir, a su séduire le jury. Ce fan avoué de Charlie Kaufman préproduit actuellement son premier long métrage, intitulé 380 hz et décrit comme « un survival dans Paris, sur le thème de l’isolement ». _Q.G.

w w w.buf falocorp.fr


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NEWS ART NUMÉRIQUE

Frères amis

Qui regarde qui ? C’est l’ambiguïté de l’exposition Trackers proposée à la Gaîté lyrique par l’artiste mexicain RAFAEL LOZANO-HEMMER. Un clin d’œil chaleureux et fantasmatique au Big Brother de George Orwell, prophète de nos sociétés sous surveillance.

The Year’s Midnight de Rafael Lozano-Hemmer

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i Big Brother avait été démocrate, Rafael Lozano-Hemmer lui aurait certainement dédié son exposition Trackers. Star de l’art participatif, cet artiste mexicano-canadien détourne les dispositifs de détection et les technologies sécuritaires à des fins artistiques. Capteurs infrarouges, systèmes d’enregistrement et scanners radioélectriques forment ainsi la matière première des douze œuvres exposées – pour la première fois en France. Le visiteur de Trac-

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kers, traqué en continu par maints capteurs et caméras de surveillance, navigue dans une version altruiste et interactive de 1984. Sauf qu’ici, ses mouvements déclenchent sur les écrans une multitude de baisers, ou réveillent des endormis sur une mosaïque de vidéos miniatures. Plus loin, les silhouettes des promeneurs captent des fréquences radios dont l’intensité du signal est modulé par la taille de leurs ombres. Ironie à l’heure de la starisation grande échelle, toute présence fait fuir les

© Maxime Dufour Photographies

CV Nerd à lunettes né en 1967 à Mexico, aujourd’hui installé à Montréal, Rafael LozanoHemmer prend ses libertés avec les technologies de pointe et le secteur de la robotique dès la fin des années 1980. Sa façon ludique de pervertir les outils de l’ère numérique dans des œuvres participatives, grand format et souvent installées dans l’espace public, lui ouvre rapidement les portes du Moma, de la Tate Modern ou des Jeux olympiques de Vancouver. En 2007, il représentait le Mexique à la Biennale de Venise. Trackers est sa première exposition monographique en France.

© Maxime Dufour

_Par Ève Beauvallet

_E.B. w w w.lozano-hemmer.com

poursuites lumineuses d’Apostasis. Gare aussi à celui qui s’observe trop dans les miroirs de The Year’s Midnight : ses yeux risquent de partir en fumée. Dans un climat de défiance généralisée et de flambée alarmante du fichage, cette version poétique des méthodes de surveillance apparaît comme un sas de décompression… et une alternative ludique aux pronostics de George Orwell. ♦ Trackers de Rafael Lozano-Hemmer, jusqu’au 13 novembre à la Gaî té lyrique, w w w.gaite-lyrique.net et w w w.lozano-hemmer.com


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Champs de Tous au Larzac, La Pluie et le Beau temps et bientôt Bovines : cet automne, la transhumance conduit les troupeaux dans les salles obscures. Trois films qui prolongent la tradition, initiée dès 1946 par Farrebique de Georges Rouquier, et sans cesse réinterprétée depuis, des documentaires consacrés au monde paysan. Peu de fictions germent autour des fermes, les cinéastes français préférant observer la réalité, de plus en plus méconnue, du monde rural. Comment expliquer ce choix formel ? Enquête à travers champs. _Par Anne de Malleray _Illustrations : Alamasty

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l reste aujourd’hui moins d’un million d’agriculteurs en France. Alors que les st atistiques an noncent sa f in, le monde paysan continue de captiver les documentaristes. Depuis 2000, pas moins d’une vingtaine de documentaires lui ont été consacrés au cinéma, face auxquels les fictions se comptent sur les doigts d’une main. Ce choix formel a de solides racines historiques. Dès le début du XXe siècle, plusieurs documentaires institutionnels faisaient l’inventaire des pratiques agricoles françaises. Le fond du ministère de l’Agriculture en conserve aujourd’hui plus de 750. Parmi les regards fondateurs, celui de Georges Rouquier, fils de paysans, qui tourne son premier court métrage, Vendanges, en 1929. Farrebique, réalisé en 1945, est une chronique de la vie quotidienne dans une ferme de l’Aveyron. Le réalisateur y a vécu un an, filmant les paysans de sa famille jouant leur propre rôle. Projeté hors compétition à Cannes en 1946, le film fait polémique : « Démagogie et bouse de vache. Des cri-

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© Almasty

NEWS ENQUÊTE

tiques décrétèrent que le cinéma pur, c’est ça : de la crotte de Farrebique », déclarait alors le dialoguiste Henri Jeanson, son principal détracteur. Pourtant, le film est distribué aux États-Unis à l’époque, puis étudié dans les universités comme un modèle de « cinéma direct ». Trentehuit ans plus tard, Biquefarre, du nom de la ferme voisine, reprendra, avec les mêmes protagonistes, le fil de la saga familiale pour décrire les rouages de la transmission des lieux et des savoirs.

« Les acteurs incarnant des paysans sont rarement crédibles. Il y a trop de vécu à reconstituer. »

LE MONDE PERDU Cette question de l’héritage est au cœur de l’œuvre d’un autre fils d’agriculteurs, Raymond Depardon. Son triptyque Profils paysans, réalisé entre 2001 et 2008, constate la disparition progressive des petites exploitations de moyenne montagne. Un monde perdu où les hommes travaillent la terre avec des gestes inimitables. Au-delà de ces films, les paysans occupent une place centrale dans l’œuvre de Depardon, qui dessine par touches un portrait de la France à travers ses ins-

réalité nationale. Nombre de documentaires prolongent cette quête de témoignages ruraux. Léon, Henri et Jo de Charles Véron (1997), Paul dans sa vie de Rémi Maugier (2005), Bernard, ni dieu, ni chaussettes de Pascal Bouché (2010)… À quoi bon inventer des fictions quand les paysans sont déjà des personnages de cinéma, et leurs champs les plus cinégéniques des décors ? La question du regard, de la proximité du cinéaste par rapport à son sujet, est à ce titre intéressante. « Biquefar re m’avait

titutions (Délits flagrants en 1994, 10e chambre, instants d’audience en 2004) et ses paysages (l’exposition La France de Raymond Depardon, à la BNF en 2010). Paysan, pays, paysage : trois facettes d’une même


visions

beaucoup interrogée sur le jeu de non-comédiens dans leur propre rôle », raconte Ariane Doublet, réalisatrice de La Pluie et le Beau temps, un documentaire qui croise la vie de producteurs de lin normand et celle des ouvrières qui le tissent dans les filatures chinoises. Dans ce film, comme dans son précédent (Les Terriens, en 2000), la réalisatrice a voulu travailler avec des agriculteurs, voisins et amis, initiant la possibilité d’une création commune. Faire d’agriculteurs des acteurs, et par là leur donner la parole, devient un manifeste artistique autant qu’un acte politique. « Le seul choix formel que j’ai fait, esthétique et politique, c’est de devenir ouvrier agricole. Ensuite, j’essaie de filmer au plus près de ce désir-là, à l’endroit où je vis », raconte, dans la même logique cinématographique, Pierre Creton, paysan-cinéaste en Normandie. En 2004, peseur laitier dans des exploitations du Pays de Caux, il a réalisé Secteur 545, qui explore la relation des éleveurs à l’animal. « J’ai demandé à tous les éleveurs chez qui je travaillais de participer,

en rejetant toute notion de casting. Je pense que les acteurs incarnant des paysans sont rarement crédibles. Il y a trop de vécu à reconstituer. » LA GUERRE DES MONDES On retrouve ce geste de coconstruction dans le cinéma de Jean-Louis Le Tacon. Dans Cochon qui s’en dédit (1979), il filmait une porcherie hors-sol, machinerie vivante infernale dont l’éleveur n’est qu’un rouage. Maxime, le personnage principal, a suggéré et validé les scènes, entre images cliniques des tâches quotidiennes et séquences oniriques tirées de ses cauchemars. Avec ce film, ou encore Il pleut toujours où c’est mouillé de JeanDaniel Simon (1973), qui raconte l’écrasement d’un jeune agriculteur victime de la production capitaliste, un cinéma militant, sur le fond et la forme, occupe les campagnes. Plus didactiques, une série de documentaires environnementalistes poussent, depuis le début du XXIe siècle, sur des terres gorgées de pesticides. Nos enfants nous accuseront (Jean-Paul Jaud,

Champs de batailles Associant témoignages et images d’archives, Tous au Larzac retrace dix années de lutte collective contre l’extension d’un camp militaire dans l’Aveyron. Son réalisateur, Christian Rouaud, était passé par le Larzac dans son documentaire Les Lip, l’imagination au pouvoir (2007), pour raconter comment, en 1973, les ouvriers de l’horlogerie en faillite avaient rallié le Woodstock militant organisé sur le plateau par les agriculteurs et leurs soutiens babas cool. De cette alliance fascinante naquit un nouveau militantisme agricole et altermondialiste, dont l’arme de guerre la plus fameuse fut de faire défiler une brochette de moutons sur le Champ-de-Mars. _A.D.M.

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NEWS ENQUÊTE

2008) ou Solutions locales pour un désordre global (Coline Serreau, 2010) lient frontalement la question agricole à celle de la survie de l’humanité. « Dans les années 1970, les luttes étaient ouvrières. Aujourd’hui, l’écologie, la défense de la terre, le droit de cultiver et de consommer des produits sains, sont des luttes de nature agricole, qui fédèrent tout le monde », souligne Christian Rouaud, réalisateur de Tous au Larzac, qui sort ce mois-ci et retrace dix années de batailles menées par les paysans et leurs soutiens pacifistes, maoïstes et soixante-huitards, contre le projet d’extension d’un camp militaire (lire l’encadré page précédente). Berceau historique des crises actuelles, la sphère agricole échappe pourtant à l’imaginaire collectif. « Le monde ouvrier construit sa propre fiction. On imagine une histoire, un dynamisme qui peut être cinématographique. C’est beaucoup moins le cas pour le monde rural, qui nous apparaît comme lointain et hermétique », analyse Thierry Lounas, producteur et directeur de Capricci, éditeur de Pierre Creton et du beau documentaire paysan Le Temps des grâces de Domi40

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nique Marchais (2009). Peut-être parce que le monde rural, traditionnellement conservateur mais aussi profondément en crise, cadre mal avec l’idéal progressiste qui nourrit les épopées modernes.

« Les agriculteurs sont au cœur d’une relation intime avec l’animal. Je ne m’intéresse pas seulement à leurs paroles, je recueille des attitudes, des corps, du silence. » LE MONDE VIVANT « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or. » Ce manifeste baudelairien pourrait embrasser le travail des documentaristes qui inventent une poétique du monde rural, comme celui des paysans, à qui est abandonné le difficile travail d’exploitation de la nature. Dans Bovines, Emmanuel Gras choisit, dans un geste sensible, de filmer, sans paroles ni bande sonore, un troupeau de vaches. « Je me suis interrogé sur l’étrangeté de l’éle-

vage qui consiste à faire naître des animaux pour les manger, explique-t-il. Quelle vie ont-ils ? J’ai voulu que les hommes soient absents de ce film pour permettre un rapport direct avec les vaches, un échange de regards, dans lequel on découvre une pureté déroutante. » Dans Secteur 545, Pierre Creton demandait, lui, aux éleveurs quelle différence ils font entre l’homme et l’animal : « Au même titre que les intellectuels, les agriculteurs ont une réponse à apporter, parce qu’ils sont au cœur d’une relation intime avec l’animal. Je ne m’intéresse pas seulement à leurs paroles, je recueille des attitudes, des corps, du silence. C’est pour cela que je fais du cinéma. » Loin d’un engouement nostalgique ou folklorique, ces documentaires labourent une terre fertile, où germe la question, éminemment politique, de notre devenir. ♦ La Pluie et le Beau temps d’Ariane Doublet Documentaire Distribution : Éditions Montparnasse Durée : 1h14 Sortie : 2 novembre Tous au Larzac de Christian Rouaud Documentaire Distribution : Ad Vitam Durée : 1h58 Sortie : 23 novembre Bovines d’Emmanuel Gras Sortie prévue le 22 février


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NEWS SEX TAPE

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Boucheà-bouche

Sleeping Beauty de Julia Leigh Avec : Emily Browning, Rachael Blake… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h41 Sor tie : 16 novembre

Premier long métrage de la protégée de Jane Campion, l’écrivain australienne Julia Leigh, Sleeping Beauty s’ouvre et se referme sur le même orifice : la bouche lippue de l’actrice principale, Emily Browning. Plongée clinique dans le royaume des ombres, ce drame buccal chuchote l’histoire d’une étudiante qui, pour payer son loyer et soigner un ami, multiplie les petits boulots, des plus communs (serveuse, secrétaire…) aux plus interlopes (servir en petite tenue les repas de notables, s’offrir nue et endormie, sur un lit anonyme, aux caresses de vieux messieurs). Sondées, humectées, droguées, maquillées, pénétrées, longtemps muettes avant l’ultime cri libérateur, les lèvres de l’héroïne ne dessinent rien d’autre que la ligne, ténue, qui sépare les vivants des morts. ©ARP Sélection

_A.T.

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SHAME•

F A C E  À • F A S S BENDER •

Shame de Steve McQueen, qui lui a valu le prix d’interprétation à Venise, et A Dangerous Method de David Cronenberg : MICHAEL FASSBENDER déploie sa sensualité duplice au générique des deux films les plus sulfureux de cette fin d’année. Voix charmeuse et polyglotte, corps rompu aux expériences limites… Nous avons pu examiner le spécimen en interview et notre diagnostic est formel : l’Irlandais est un grand interprète – au sens musical du mot. Portrait d’un rock’n’roll animal.

© Nicolas Guerin

_Par Auréliano Tonet

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« J’

aurais adoré être un rockeur dans les années 1960 », déclare le héros de Shame, Brandon, lorsqu’une fille lui demande à quelle époque il aurait aimé vivre. Comme son personnage, Michael Fassbender a la fibre mélomane. À l’affiche des deux films les plus attendus de décembre, Shame et A Dangerous Method, il compare leurs réalisateurs à des musiciens : « Steve McQueen me fait penser à un jazzman. Plutôt que d’arriver sur le plateau avec des idées arrêtées, il se ménage la possibilité d’improviser en fonction des personnages et des situations. C’est quelqu’un de très véloce et d’éveillé. David Cronenberg, pour sa part, m’évoque un croisement entre un musicien classique, un DJ electro et un ingénieur du son. Son approche technique et mécanique du cinéma m’impressionne. » Son métier, Fassbender l’appréhende en pur interprète, à la manière d’un chanteur adaptant un air, d’un danseur s’appropriant un ballet – « Mon job consiste à servir le personnage, le scénario et le metteur en scène avec les outils à ma disposition : la voix, le corps. » Celui que McQueen filme sous tous les angles (de face, de haut, de dos, de profil), dit se tourner en priorité vers des « rôles ambigus, aux multiples facettes ». Nous avons choisi de le croquer en deux temps ; par la voix et par le corps, comme les deux faces des vinyles qui s’entassent dans le loft new-yorkais de Brandon. 46

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Face A : chanteur de charme

La voix, voilà l’arme fatale de Fassbender. Chaude, précise, articulée, elle charme les femmes et amadoue les hommes. « Michael est très doué pour les accents », confirme Steve McQueen. Et pour cause : né à Heidelberg, en Allemagne, d’un père allemand et d’une mère irlandaise, il grandit à Killarney, en Irlande – une binationalité dont il se servira habilement dans Inglourious Basterds de Quentin Tarantino, pour son rôle de lieutenant britannique infiltré dans la Wehrmacht, trahi par… son accent. À cheval entre l’Europe et Hollywood, Fassbender parle anglais dans des films français (Angel de François Ozon) et français dans des films anglo-saxons (X-Men : le commencement de Matthew Vaughn). Une voix séduisante, dont la douceur rieuse sert à masquer les pires secrets, avant que ne tombe le masque – Fish Tank, Jane Eyre, Angel, A Dangerous Method : est-ce un hasard si l’acteur, âgé de 35 ans seulement, a déjà campé autant de maris adultères ? La parole scande sa filmographie, des longs dialogues en plan séquence de Hunger et de Shame aux psychanalyses de A Dangerous Method, dans lequel il joue Carl Jung, l’héritier et rival de Freud. Grand cinéaste viral, Cronenberg y montre comment la syntaxe freudienne contamine confrères, patients, amants et disciples, de Vienne à New York – contagion que Jung le mystique ne parvient guère à détourner. « Pour réussir un dialogue, il faut s’imprégner du rythme et de la


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•SHAME

Ci-dessus et ci-contre : Shame de Steve McQueen

musicalité du scénario, et le transmettre à son partenaire », estime Fassbender, qui a commencé sa carrière sur les planches, et n’hésite pas à truffer ses propos d’euphonies bien senties – « New York est une ville vibrante, qui donne accès à l’excès ». De la musique avant toute chose : c’est en écoutant sa sœur chanter New York, New York que Brandon, sex addict insensible, s’ouvre émotionnellement dans Shame. Dans la vraie vie, l’Irlandais a également une sœur. « Les frères et sœurs ont souvent des personnalités opposées, en dit-il, même s’ils sont proches l’un de l’autre. Ma sœur est une universitaire, elle adore lire… Pour ma part, je préfère la pratique à la théorie. »

Face B : danseur du ventre

La voix de Michael Fassbender ne serait rien si elle n’émanait pas du corps qui la forge et la propulse. Ce corps, les cinéastes lui ont fait subir toutes sortes de sorts. Bodybuildé (300 de Zack Snyder, qui le révèle en 2007 après des rôles mineurs pour la télé), amputé (Angel), torturé (Eden Park de Peter Watkins), costumé (Jane Eyre de Cary Fukunaga), amaigri (Hunger), dénudé (Shame), il mute de film en film. Seule constante, la physicalité des rôles. « Le langage corporel est une part essentielle de mon travail. Imaginer comment mon personnage se déplace est l’un de mes premiers réflexes lorsque je lis un scénario. » Si les cinéastes prennent plaisir, selon lui, à le « crucifier », nul ne va aussi loin que Steve McQueen. « [Nous] avons une relation particulière, faite de confiance implicite et immédiate. Les rôles qu’il m’offre sont toujours exigeants, effrayants et formateurs. N’étant pas particulièrement exhibitionniste, les nombreuses scènes de nudité dans Shame avaient de quoi me mettre mal à l’aise. Steve m’a aidé à me livrer complètement, sans arrière-pensées. » Le cinéaste, qui a fait visionner les étreintes scandaleuses du Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci à son acteur principal, renchérit : « Je ne connaissais pas beaucoup d’acteurs capables de jouer ce rôle. Michael en était capable. Par convenance, j’ai donc imaginé des origines irlandaises à son personnage. » Comme Hunger, Shame chronique l’épuisement physique et émotionnel de son héros, littéralement terrassé. Au début du film, Brandon passe la majorité de

« Imaginer comment mon personnage se déplace est l’un de mes premiers rÉflexes lorsque je lis un scénario. » son temps dans des gratte-ciel. Le loft où il se masturbe, le bureau où il drague des collègues, l’hôtel où il retrouve des prostituées offrent tous des vues plongeantes sur New York. Une série de contretemps (l’installation de sa sœur dans son appartement, la découverte de fichiers pornographiques sur son ordinateur professionnel, une panne au lit) le déloge de ces tours d’ivoire. Commencé dans les airs (le film s’ouvre par une plongée), Shame progresse au ras-du-sol – Brandon à genoux face à la jetée qui a jadis accueilli les survivants du Titanic –, pour finir carrément sous terre, dans une rame de métro qui signe le terminus d’une douloureuse virée nocturne. Magnifiquement chorégraphiée, cette descente aux enfers a éprouvé notre musculeux danseur, qui nous confie, en fin d’interview, vouloir souff ler pour se consacrer à l’écriture et à la production après six tournages consécutifs, dont le film d’espionnage de Steven Soderbergh, Haywire, et le survival science-fiction de Ridley Scott, Prometheus. « J’ai le sentiment qu’on a trop vu mon visage ces temps-ci. » Le lendemain, il annoncera pourtant sa décision de rempiler pour un troisième film avec Steve McQueen, Twelve Years a Slave, l’histoire de la séquestration d’un homme noir, au XIXe siècle, par des esclavagistes blancs. Plus entraînante que jamais, la musique qu’interprète Michael Fassender est ainsi faite que lui-même ne sait plus s’il doit appuyer sur le bouton pause, repeat ou play. ♦ Shame de Steve McQueen Avec : Michael Fassbender, Carey Mulligan… Distribution : MK 2 Dif fusion Durée : 1h39 Sor tie : 7 décembre A Dangerous Method de David Cronenberg Avec : Michael Fassbender, Viggo Mor tensen… Distribution : Mars Distribution Durée : 1h39 Sor tie : 21 décembre

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Steve McQueen sur le tournage de Shame

Sex in the city Avec Shame, le vidéaste britannique STEVE MCQUEEN creuse la veine organique et claustrophobe de son premier long métrage, le remarqué Hunger (2008), en même temps qu’il en inverse le dispositif. Là où les corps des prisonniers, dans Hunger, étaient instrumentalisés à des fins de libération politique, la sexualité débridée du héros de Shame, Brandon, se retourne contre lui – jusqu’à le confiner dans une prison émotionnelle sans issue. À la cellule irlandaise de l’activiste Bobby Sands répond le New York interlope de Brandon, filmé comme une geôle à ciel ouvert, dont les transparences et les reflets font chuter le sex addict. Entretien avec le maître des lieux, l’impassible McQueen. _Propos recueillis par Auréliano Tonet

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es titres de vos deux films, Hunger et Shame, se répondent. Les avez-vous pensés comme un diptyque ?

Pas exactement. Dans Hunger, Bobby [Sands] se prive de nourriture pour créer les conditions de sa liberté à l’intérieur d’une prison. Dans Shame, au contraire, Brandon se croit libre en multipliant les relations sexuelles, mais, ce faisant, il crée sa propre prison mentale. Il s’agit, dans les deux cas, d’autodestruction, mais chacun utilise son corps à des fins opposées. « J’envisage l’écran comme un miroir », nous disiezvous il y a trois ans. Est-ce toujours le cas ?

Absolument. Les spectateurs doivent se reconnaître à l’écran. J’aimerais que Shame fasse sur son public un effet semblable à celui du sifflement du maître sur son chien. « L’art est une manière d’organiser la forme », déclariez-vous également. Il y a beaucoup d’échos visuels, narratifs et musicaux dans Shame. Pourquoi ?

Parce que nous répétons sans cesse les mêmes gestes ! La mise en scène doit servir au mieux le scénario, même si ce sont deux choses distinctes à mes yeux. Par exemple, Shame commence par une plongée parce que Brandon est allongé, pensif, sur un lit. Puis l’on découvre ce qui s’est passé avant, et qui se passe chaque matin : il se lève,


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« J’aimerais que Shame fasse sur son public un effet semblable à celui du sifflement du maître sur son chien. » urine, prend une douche, etc. Le film s’ouvre sur l’idée de rituel. Ce rituel aide à définir le personnage, qui luimême dicte la grammaire visuelle. Pourquoi avoir tourné Shame à New York ?

Je voulais faire le film à Londres, mais la notion d’addiction sexuelle y est taboue. Abi Morgan, la coscénariste, et moi sommes donc allés à New York, où nous avons rencontré des spécialistes du sujet. Nous avons pu dialoguer avec certains de leurs patients. Après leurs « sexcapades », ils nous disaient se sentir honteux ; et pour se sortir de ce sentiment de honte, ils plongeaient à nouveau dans le sexe ! C’est un cercle vicieux, un rituel pervers. La ville apparaît dans le film comme un personnage à part entière…

Manhattan est une île très construite, où il n’y a plus de nature mis à part la rivière, et qui figure bien l’idée d’expansion, de champs des possibles. Or, c’est justement cet accroissement des possibles qui fait couler Brandon. Les survivants du Titanic sont arrivés à New York par le pier 54, où nous avons tourné plusieurs scènes. Ce qui reste de la jetée m’a frappé : les poteaux font penser à des silhouettes humaines, certains sont noyés, d’autres ont la tête hors de l’eau, comme Brandon à la fin du film. Pourquoi la sœur de Brandon, Sissy, interprète-telle la chanson New York, New York sur un mode si lent et mélancolique ?

Si on écoute attentivement les paroles, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un blues. Lorsque Sissy chante cette chanson, c’est la première fois qu’elle communique véritablement avec son frère. Et c’est la première fois qu’il écoute sa sœur, qu’il s’ouvre émotionnellement. Au cours d’une promenade, Brandon aperçoit un couple faisant l’amour contre la baie vitrée d’un hôtel, au vu de tous – un geste qu’il imitera peu après avec une prostituée. Shame dresse la carte d’une société à la fois transparente et anomique, où la prolifération des moyens de communication engendre non pas du lien social, mais de la solitude.

Brandon cherche à tout dissimuler, mais il finit par imploser – tandis que sa sœur, elle, explose. Les fenêtres

ont beau ouvrir sur des paysages dégagés, elles reflètent l’enfermement intérieur du héros. En tant qu’Européen, je suis frappé par le fait que les New-Yorkais vivent et travaillent en hauteur, dans les airs. Cet aspect m’a beaucoup excité : comment un reflet peut casser la promesse de liberté qu’apportent les gratte-ciel. Malgré l’immensité de la vue, on reste dans une boîte carrée, comme dans une prison. « Les actions comptent, pas les mots », affirme Brandon. Cependant, vos films sont structurés autour de longues conversations filmées en planséquence : celle entre le prêtre et l’activiste dans Hunger, celle entre le frère et la sœur dans Shame.

La plupart des conversations sont insignifiantes et ne visent qu’à combler le vide ; certaines, cependant, méritent notre attention. Je veux capter celles-là avec ma caméra.

« Nous ne sommes pas des gens mauvais, nous venons juste du mauvais endroit », dit Sissy. Vous refusez de juger vos personnages…

J’ai de l’empathie pour Brandon. Avec l’arrivée de sa sœur dans son loft, il essaye d’engager des relations plus intimes avec les femmes, mais il a peur de s’impliquer, de perdre le contrôle. Il nous ressemble, comme les Freaks de Ted Browning : nous portons tous des masques. Je voulais que mon film soit familier, et non mystérieux, aux yeux du spectateur, mais j’ai refusé de raconter en long et en large l’histoire de Brandon et Sissy : nul besoin d’expliquer leurs actes, les spectateurs sont capables d’imaginer leur passé. Comment avez-vous réagi à l’affaire DSK, qui résonne avec le propos de Shame ?

C’est une histoire très banale, qui arrive tous les jours depuis des siècles. Il a utilisé son pouvoir et son influence pour abuser de tiers. Rien de très neuf. L’ultime scène de sexe, à trois, frappe par son intensité, et tire presque vers l’abstraction.

Je considère que c’est une scène de sexe à quatre : un homme, deux femmes et la caméra. Le spectateur doit pouvoir accéder à l’intimité de Brandon, le suivre dans son voyage physique et émotionnel. À la fin, nous devons, comme lui, être épuisés. ♦ www.mk2.com

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ET TOI, OÙ TU NYC ? Entre les draps de Brandon, le bouillonnant queutard de Shame, le cinéaste STEVE MCQUEEN souffle le chaud et le froid. Emportés par la caméra, nous suivons le héros dans la nuit new-yorkaise, interlope et pulsionnelle. Du Standard Hotel aux bars louches de Chelsea, visite guidée de six sex spots emblématiques de la ville qui ne dort jamais. _Par Clémentine Gallot

DTOX

31 2nd Avenue Au fil de ses nuits agitées dans Shame, l’errance de Brandon le mène dans les couloirs d’un bar gay : le Quo. Outres les allées de Christopher Street, point de ralliement historique de la communauté homosexuelle à New York, on compte parmi les backrooms les plus actives The Cock et DTOX, où les mods et les go-go boys ont cédé la place à une troupe de performeurs drag qui transpirent sur le bar.

TEN’S GENTLEMENS CLUB

35 E 21st Street Un bon vieux strip club new-yorkais où des businessmen regardent d’un œil distrait le sport sur des écrans. Il suffit d’une lap dance pour y assouvir ses pulsions et se faire de nouveaux amis. Sinon, des entraîneuses se déhanchent les fesses à l’air et s’enroulent autour du pole comme il se doit. Un classique.

BUNKER CLUB

24 9th Avenue Le Baron new-yorkais. Matt Abramcyk, le patron du Beatrice Inn, autre bouge prétentieux, a ouvert avec sa clique ce repaire exclusif dans le West Side. Un lounge à hipsters planqué dans un sous-sol, avec peinture écaillée et cabine de DJ, qui promet « de la danse et du péché ». Que demande le peuple ?

STANDARD HOTEL

848 Washington Street Refuge de l’insatiable héros de Shame pour un quickie de cinq à sept, ce nouvel hôtel dessiné par l’architecte André Balazs surplombe depuis 2009 la promenade plantée du High Line Park, dévoilant ainsi une vue directe aux passants. Scandale ! Le Standard serait devenu le hot spot des voyeurs new-yorkais, via les immenses baies vitrées qui illuminent chaque chambre. Sur le blog de l’hôtel, le manager a même lancé aux clients un appel à photos érotiques… Aucune discrétion assurée.

LE BAIN

848 Washington Street Les starlettes topless se pressent pour pécho admirer la vue imprenable sur la Hudson River du haut de ce nouveau rooftop bar situé au sommet du Standard Hotel. Une ambiance « soirée piscine qui dérape » qui a ravivé le passé olé olé du Meatpacking District, l’ancien quartier des bouchers et des boîtes malfamées. Il paraît même que certains l’aiment chaud dans le jacuzzi.

PANDORA’S BOX

Adresse communiquée sur appel téléphonique Rien de médiéval dans ce donjon / club de dominatrices vu dans la série Bored to Death. Situé à Chelsea, il accueille les âmes de cuir vêtues les plus dépravées pour des activités de type BDSM. Cette institution vieille de 15 ans propose sept alcôves, dont une chambre des tortures chinoises. La maîtresse de cérémonie vous remettra les idées en place d’un coup de fouet.

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Brandon accoste une inconnue dans Shame

Abi rôde

De l’esprit et de la verve. La Britannique ABI MORGAN, 43 ans, a dernièrement cosigné les scripts de Shame, de la série The Hour et du biopic à venir sur Margaret Thatcher, La Dame de fer. Portrait de l’une des scénaristes les plus demandées du moment. _Par Clémentine Gallot

« L’

idée du film est née d’une longue conversation que j’ai eue il y a deux ans et demi avec Abi Morgan, autour des réseaux sociaux et de la notion d’addiction sexuelle », raconte Steve McQueen à propos de son film Shame. La scénariste, qui se dit technophobe mais intriguée par les amours technologiques et la marchandisation du sexe, a façonné avec le réalisateur un héros mutique et compulsif, lancé dans une lente quête autodestructrice. McQueen aurait entraîné Abi Morgan, pourtant aguerrie, sur un terrain où elle ne se serait pas aventurée d’elle-même. Difficile de recueillir le point de vue de l’intéressée, surbookée et injoignable. On se contentera donc de phrases glanées ça et là, entre les festivals de Venise, Toronto et Londres. Née de parents divorcés travaillant dans le théâtre, cette Londonienne d’adoption a fait ses armes sur le tard, pour les planches et le petit écran, sur des sujets de société. Des dramas sur les trafics sexuels ou la classe ouvrière britannique, subvertissant l’héritage écrasant 52

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« J’écris sur mon époque, mais je ne fais pas d’investigation .» du réalisme social anglais. « J’écris de la fiction sur mon époque, mais je ne fais pas d’investigation », prévientelle dans une interview. On lui doit pourtant l’une des meilleures surprises rétro de l’année, The Hour, série en six épisodes diffusée sur la BBC2, qui virevolte sur les plateaux télé des années 1950. Finement dialoguée, sous influence Broadcast News de James L. Brooks, la série lui a permis d’« écrire sur les femmes de l’aprèsguerre, à l’aube d’une révolution sociale majeure », et de faire parler son sens inné de la répartie. Comme à la belle époque d’Alan Clarke, Abi Morgan négocie des allers-retours fluides entre les trois médias pour lesquels elle écrit – théâtre, télévision et cinéma. En plus de deux pièces à l’affiche ce mois-ci, elle s’est vue confier deux adaptations télé, Birdsong, tiré d’un roman de Sebastian Faulks, pour la BBC, et The Invisible Woman, sur la maîtresse de Charles Dickens, produit par Ralph Fiennes. On ignore par contre encore tout de son biopic politique prévu au cinéma en février : La Dame de fer. Un unique teaser en ligne présente la transformation de Meryl Streep en Margaret Thatcher, passablement compassée, qui susurre du bout des lèvres : « Je pourrais consentir à renoncer au chapeau. Les perles, en revanche, sont absolument non négociables. » Habile, isn’t it ? ♦


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Sept

acteurs

Sept acteurs s’apprêtent à fermer le bal de l’année 2011, à l’écran (Tahar Rahim, Clémence Poésy) et sur les planches (Isabelle Huppert, Vincent Macaigne) . Sept interprètes de l’extrême pour autant de péchés réinventés, sublimés ou démentis lorsque nous les avons rencontrés. « Un acteur ne peut pas être nature », écrit Robert Bresson dans ses Notes sur le cinématographe. Qu’en est-il de la paresse de Justin Timberlake, de l’envie d’Amanda Seyfried ou de la colère de Joey Starr ? Examen de consciences.

CAPITAUX

_Dossier coordonné par Auréliano Tonet et Laura Tuillier _Illustrations : Stéphane Manel

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SEPT ACTEURS CAPITAUX

Justin

Timberlake

LA PARESSE

Péché originel : « Ryan Gosling et moi étions bons amis dans l’émission Mickey Mouse Club. Nous avions douze ans, et nous étions des parangons de pureté. » Péché mignon : « Rester en forme physiquement est une part essentielle du métier d’acteur et plus encore de chanteur. Ça se joue parfois au kilogramme près. » Péché confessé : « J’ai grandi dans l e Te n n e s s e e , j ’a va i s n e u f a n s quand mon grand-père m’a acheté ma première arme. Oui, j’aime les guns. » Péché actuel : « Jukebox ambulant » sur les plateaux selon Amanda Seyfried, Timberlake s’apprête à rentrer en studio pour renouer avec ses primes amours musicales.

Dans le nouveau film d’anticipation d’Andrew Niccol, Time Out, Justin Timberlake gagne, gâche, vole, prête et perd beaucoup de temps. Un résumé en accéléré de la carrière de l’Américain, placée sous le double signe de la vélocité et de la nonchalance. Chanteur précoce et comédien tardif, tantôt raccord avec son époque, tantôt à la traîne, le trentenaire la joue facile, très facile. _Par Auréliano Tonet

«

Sa mère gérait une société de divertissement nommée Just-In Time…

Travailler sur ce film m’a fait réaliser à quel point le temps était précieux… Time is money, j’en suis plus que jamais convaincu », avou e Justin Timberlake dans la suite du grand hôtel newyorkais où nous le rencontrons. Le film en question s’appelle Time Out, et son pitch a de quoi dérégler bien des horloges : dans un futur pas si lointain, les généticiens ont percé le secret de la jeunesse éternelle. Tous les humains s’arrêtent de vieillir sitôt atteint l’âge de 25 ans… Sauf que, pour éviter la surpopulation, un système retors a été mis en place : l’espérance de vie des plus de 25 ans est proportionnelle au temps disponible sur leur compte en banque (en l’occurrence, une montre). Le temps est en effet devenu l’unique devise monétaire. On peut en gagner, en voler, en emprunter… Sans surprise, la société est clivée entre une élite riche, lente et oisive, et un prolétariat frénétique, décimé par une mortalité précoce. Révolté par la mort injuste de sa mère, le héros (Timberlake) séquestre une jolie héritière (Amanda Seyfried), qu’il embarque dans une course-poursuite sentimentalo-révolutionnaire.

Justin time Réalisé par le Néo-Zélandais Andrew Niccol (auteur de Bienvenue à Gattaca, scénariste de The Truman 56

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Show), Time Out est un drôle de film dual. Très, voire trop sophistiqué, le scénario se distingue haut la main du tout-venant hollywoodien, mais, revers de la médaille, doit compenser ses audaces par des lourdeurs explicatives qui plombent la dramaturgie. Quant à l’imaginaire déployé, il vogue entre le vintage transparent (références appuyées à Metropolis, Bonnie and Clyde, Robin des bois…) et l’ultra-contemporain (belle métaphore de la crise monétaire actuelle et d’Hollywood, casting piochant dans Inception, Mad Men ou The Big Bang Theory). Et Justin, dans tout ça ? Le film lui sied à ravir. Comme son personnage, le chanteur et comédien a toujours été à la fois en phase avec l’époque et en retard sur celle-ci, dans ce mélange de synchronie et de paresse qui caractérise les grands artistes faciles.

In synch

Né il y a trente ans dans la banlieue de Memphis, Timberlake a 4 ans quand ses parents divorcent – le père est directeur de chorale dans une église baptiste, la mère gère une société de divertissement nommée… Just-In Time Entertainment, soit « juste à temps » en VF. Sous


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SEPT ACTEURS CAPITAUX

Sa décision d’acheter, en juin dernier, des parts du réseau social moribond MySpace, en phase de ringardisation avancée, en a surpris plus d’un un. de tels auspices, l’enfant prodige ne rencontre guère de difficulté à intégrer le show-business : pensionnaire de la fameuse promo 1993 du Mickey Mouse Club, un show télévisé auquel participent également Britney Spears, Christina Aguilera et Ryan Gosling, il contribue, deux ans plus tard, à lancer la vogue des boys band avec le groupe NSYNC (prononcez « in synch », soit « en phase »). Cinq albums et des milliers de culottes de fans dédicacées plus tard, Timberlake vole de ses propres ailes en 2002 avec son premier album solo, Justified. Réalisé par les producteurs les plus inventifs des années 2000, Timbaland et The Neptunes, croulant sous les tubes (Rock Your Body, Cry Me a River, Señorita…), l’album offre une crédibilité inattendue au jeune homme en même temps qu’il rénove le courant dans lequel il s’inscrit, le R’n’B masculin. Dans ce genre charnel et ultrarythmique, où tout est affaire de cadence, le falsetto alerte de Timberlake, ses inflexions syncopées, ses gilets sur mesure et ses pas de danse millimétrés font florès. Quatre ans plus tard, son deuxième album, FutureSex/LoveSounds, made in Timbaland et propulsé par l’élégie technoïde My Love, convainc les derniers récalcitrants. Dans la foulée, David Fincher lui propose de jouer dans l’un des films les plus emblématiques de la décennie, The Social Network, où il incarne Sean Parker, l’inventeur de la plateforme peer-to-peer Napster qui a chamboulé l’industrie musicale au début du millénaire.

Timberlate

Mais le beau brun n’a pas toujours été dans le coup, loin s’en faut, et certains choix récents confirment une tendance certaine à la tergiversation. Sa décision d’acheter, en juin dernier, des parts du réseau social moribond MySpace, en phase de ringardisation avancée, en a surpris plus d’un un. Entre amourettes people (Britney, Scarlett, Cameron, Mila…) et lancement hasardeux de marques de fringues, Justin n’a guère brillé dans les pages des gazettes, du Nipplegate de 2004 (d’un geste

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malencontreux, il dévoile un téton de Janet Jacskon lors d’un duo à la mi-temps du Superbowl) à la diffusion il y a deux mois de photos le montrant encapuchonné d’une petite culotte rose. Voilà le hacker de The Social Network hacké à son tour ; le clown moqueur du Saturday Night Live, où il multiplie les parodies chantées depuis l’hilarant sketch Dick in the Box en 2006, se trouve moqué en retour. Rattrapé par le succès, Timberlake continue, en tant que comédien, de courir après. Trop académique, Bad Teacher de Jake Kasdan n’a guère trouvé son public, tandis que Sexe entre amis de Will Gluck a fait pâle figure en comparaison de Sex Friends, au pitch identique, sorti quelques mois plus tôt. Il est également parlant que les deux meilleurs titres de sa filmographie, Black Snake Moan de Craig Brewer et Southland Tales de Richard Kelly, aient été torpillés par leur distributeur. Ce sont deux films puissamment anachroniques, ancré pour le premier dans l’âge d’or du blues, tandis que l’autre imagine une sombre apocalypse énergétique…

FUTURESEX

« Justin travaille dur sur le tournage, il veut prouver qu’il est aussi bon comédien que chanteur, et il l’est », nous a confié sa partenaire dans Time Out, Amanda Seyfried. Lui parle du « cap des 30 ans », du besoin « de souffler, de faire les bons choix », de prendre le temps de « voir sa famille » et d’enregistrer un nouvel album, annoncé pour l’été prochain : « Je suis d’une exigence folle concernant mes propres chansons. Je veux être sûr qu’elles soient vraiment bonnes avant de les diffuser. » S’il avait 25 ans à jamais, l’Américain jouerait « trois fois plus souvent au golf », son autre grande passion. Un sport à sa mesure : une succession de gestes extrêmement agiles, exécutée à un train de sénateur. ♦ Time Out d’Andrew Niccol Avec : Justin Timberlake, Amanda Sey fried… Distribution : 20th Centur y Fox Durée : 1h49 Sor tie : 23 novembre


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SEPT ACTEURS CAPITAUX Péché originel : Né en 1967, il grandit en Seine-Saint-Denis et crée avec Kool Shen le groupe NTM en 1988. Première apparition au cinéma comme figurant dans La Haine de Mathieu Kassovitz (1995). Péché mignon : Le rhum, les films de Georges Lautner et les lunettes noires. Péc h é confes s é : Ses diver s démêlés avec la justice ont mené à quatorze condamnations. Péché actuel : Bientôt à l’affiche de L’Amour dure trois ans de Frédéric Beigbeder et des Seigneurs d’Olivier Dahan.

Joey

Starr

L A C O L È RE

Un peu facile de portraiturer JoeyStarr par le prisme de la colère ? Back dans les bacs avec Egomaniac, omniprésent sur les écrans avec Polisse et Nuit blanche, l’autoproclamé « jaguarr » est pourtant plus que jamais bad et bondissant. _Par Juliette Reitzer

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P

our une fois, tout le monde s’accorde sur le cas JoeyStarr. Il est LA grande réussite de Polisse, le coup de force du nouveau film de Maïwenn sorti en octobre. L’imposant colosse abrite bien le grand acteur qu’on avait cru déceler en 2009 dans Le Bal des actrices, de la même réalisatrice, puis dans la série Mafiosa, diffusée sur Canal+. « Avec lui, vous ne savez jamais sur quel pied danser », nous confiait Maïwenn, particulièrement encline à le filmer entouré d’enfants (voir la scène du goûter d’anniversaire du Bal des actrices et celle du bambin séparé de sa mère de Polisse) – manière de briser les clichés qui entourent le bonhomme. Au risque d’en créer un nouveau, celui du « gros dur au cœur tendre ». D’où cette question : après les coups de sang et les démêlés judiciaires, après surtout avoir écrit l’histoire du rap français contestataire au sein du mythique NTM, JoeyStarr serait-il devenu doux comme un agneau ? 60

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Évidemment, la réponse est non. S’il existe bien une certitude concernant JoeyStarr, c’est son irréductibilité. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter son nouvel album Egomaniac, soutenu par de solides instrus nineties : « De nos jours ce qu’ils veulent / C’est des rebelles conformistes / J’suis pas bon pour leur moule / Ça c’est sûr y a aucun risque » (Complexe) ; « On a du fric pour renflouer les banques / Mais pour sauver le service public, là ça manque » (Je paie pas) ; « J’ai l’esprit d’un chieur / J’suis un chieur prodigue » (Mon rôle). Bref, JoeyStarr est encore là, prêt à foutre le souk. Dans Nuit blanche de Frédéric Jardin, en salles le 16 novembre, il campe un trafiquant de drogue bourru. Un poil énervé après qu’on ait tenté de lui refourguer de la farine, il lâche un délicieux : « J’ai une tête à faire des crêpes ? » Pas franchement. ♦ Nuit blanche de Frédéric Jardin // Sor tie le 16 novembre Egomaniac de JoeyStarr (Sony Music), déjà disponible


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Clémence

Poésy

L’AVARICE

Rare sur les plateaux des cinéastes français, la sylphide revient en Jeanne d’Arc mutique et inaccessible chez Philippe Ramos. Une austérité qu’elle se plaît à contrarier en interview. _Par Auréliano Tonet

T

roisième long métrage de Philippe Ramos, Jeanne captive conte l’histoi re d’u n sa lut qu i ne vient pas. Durant l’automne 1430, trois hommes échouent à libérer la pucelle, capturée et vendue aux Anglais, tandis que les voix divines ne se font plus entendre en elle. Silencieuse et rétive à l’écran, Clémence Poésy est tout l’inverse sur la plage cannoise où on l’interviewe : d’une prolixité souriante, la jeune actrice (28 ans) égraine les œuvres qui ont nourri son rôle « épuré et chahuté » : Robert Bresson, Gleb Panfilov, Léonard Cohen, Patti Smith…. Elle voit Jeanne d’Arc « comme un arbre dont on aurait coupé les branches mortes », et dont la caméra scruterait « les dernières traces de vie ». Puis nous salue généreusement, en secouant le sable incrusté dans ses cheveux d’or. ♦

Péché originel : Après des débuts poussifs en France, elle s’exile en Grande-Bretagne, sa « deuxième maison », qui la consacre pour son rôle de magicienne dans la saga Harry Potter. Péché mignon : En début d’année, la Gossip Girl a enregistré un duo avec le chanteur britannique Miles Kane. Péché confessé : « Pour préparer Jeanne captive, j’ai dessiné certaines photos de Francesca Woodman. Philippe Ramos était ravi du résultat ! » Péché actuel : Plutôt discrète au cinéma depuis Bons Baisers de Bruges en 2008, l’égérie mode vient de tourner Richard II et Bird Song, deux téléfilms historiques… made in England (of course).

Jeanne captive de Philippe Ramos // Sor tie le 16 novembre

Amanda

Seyfried

L’ENVIE

Dans Time Out d’Andrew Niccol, la blonde pétulante joue les blasées, jusqu’à ce que Justin Timberlake lui redonne l’envie d’avoir envie. Rencontre avec un corps désirant. _Par Auréliano Tonet

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oquette en robe Hervé Léger et haut Miu Miu, Amanda Seyfried débarque un peu tremblante en salle d’interview, son chien à ses côtés. « Je suis une vraie poule mouillée, mais si j’avais 25 ans pour toujours, comme mon personnage dans Time Out, je m’empiffrerais de bagels, j’enchaînerais les tours de montagnes russes et j’abuserais de drogues – je n’en ai jamais pris. » Métaphore d’Hollywood et de son culte de la jeunesse éternelle, Time Out semble avoir donné des ailes à la comédienne américaine, qui, grimée d’une étrange perruque brune, y renonce à son destin d’héritière impassible pour écouter les appels de son cœur et de son corps. « L’âge embellit, regardez Julianne Moore… J’ai très envie de vieillir. » Pas si frileuse, Seyfried. ♦ Time Out d’Andrew Niccol // Sor tie le 23 novembre

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Péché originel : Après une enfance de mannequin, elle explose en 2006 dans la série mormone Big Love, puis deux ans plus tard dans l’adaptation ciné de Mamma Mia !. Péché mignon : « Je trouve les hommes âgés bien plus sexy », nous confie-t-elle du haut de ses 25 ans. Péché confessé : « Pendant le tournage de Time Out, je me suis fait mal en courant en talons Louis Vuitton. » Ouille. Péché actuel : Après Jennifer’s Body et Le Chaperon rouge, Seyfried enchaîne avec un nouveau thriller sanguinolent, Gone, dont elle vient de finir le tournage sous la direction du Brésilien Heitor Dhalia.

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SEPT ACTEURS CAPITAUX Péché originel : Elle a 21 ans dans Les Valseuses (1974) et prend part avec délice à une partie de campagne friponne, en compagnie de Dewaere et Depardieu. Pé ché mignon : Elle n’a pas hésité à courtiser le Sud-Coréen Hong Sang-soo, de passage à Paris, pour qu’il lui offre un rôle dans son prochain film. C’est depuis chose faite. Péché confessé : Elle n’est douée ni pour la danse, ni pour le patinage (« trop raide »). Péché actuel : Profonde et déjantée dans Un tramway, Huppert cristallise les regards... au point d’éclipser le reste de la distribution. Dans Mon Pire Cauchemar, l’orgueilleuse succombe malgré elle au charme de Benoît Poelvoorde, son homme à tout faire.

Isabelle

Huppert

L’ORGUEIL

Incarner les femmes au bord de la crise de nerfs est un métier sans concession. Isabelle Huppert le prouve depuis trente ans, entre folie raffinée et pâleur hiératique. _Par Ève Beauvallet et Laura Tuillier

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omme Agathe, la curatrice hautaine de Mon Pire Cauchemar, le nouveau film d’Anne Fontaine, Isabelle Huppert renvoie l’image d’un charme glacé, alliance de rousseur vénéneuse et de minceur érudite. Sublimée dans des rôles de méchante par Chabrol (Violette Nozière, La Cérémonie…), adoubée en icône autoritaire jusque dans son versant le plus comique (Huit Femmes d’Ozon), Isabelle Huppert sait que c’est la tête haute qu’elle excelle. D’autant que de l’orgueil à la folie, de la glace à la brûlure, il n’y a qu’un saut, suffisamment périlleux pour occuper toute une carrière. Au cinéma comme au théâtre, Huppert s’est consacrée à une tâche quasi exclusive : montrer la chute psychologique sous la raideur physique. Prédestinée au rôle de Médée (que Jacques Lassalle lui offre au théâtre en 2000), elle se balade avec autant d’aisance dans l’hystérie flamboyante de la dramaturge Sarah Kane (4.48 Psychose, dans une mise en scène de Claude Régy), les névroses de Michael Haneke (La Pianiste) ou la folie ravageuse de Tennessee Williams (Un tramway, une adaptation par Krzysztof 64

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Warlikowski dans laquelle elle vampirise le plateau). Pour voyager au bout de la nuit, l’exigeante Huppert a ainsi préféré aux gros succès populaires les démarches auteuristes, jusqu’à prêter son visage au plasticien américain Roni Horn, qui l’a photographiée en série dans son inquiétante profondeur. Le 28 novembre prochain, pour la carte blanche qui lui est proposée au MK2 Quai de Seine, l’actrice a sélectionné des films dont les héroïnes lui ressemblent : des fortes têtes n’acceptant de n’être prisonnières que de leurs passions, comme la très indépendante Gertrud de Dreyer, Wanda de Barbara Loden (ressorti en salles en 2008 grâce à Huppert), la mythique Jackie Brown de Tarantino ou La Femme est l’avenir de l’homme de Hong Sangsoo. Autant de preuves d’une cinéphilie féministe et élégante, dont elle est une des ambassadrices les plus intransigeantes. ♦ Un Tramway de Krzysztof Warlikowski, du 25 novembre au 1 er décembre à l’Odéon théâtre de l’Europe, w w w.theatre-odeon.fr Mon Pire Cauchemar d’Anne Fontaine // Sor tie le 9 novembre

Carte blanche à Isabelle Huppert le 28 novembre au MK2 Quai de Seine, plus d’infos sur www.mk2.com


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SEPT ACTEURS CAPITAUX

Tahar

Rahim

LA LUXURE

Amoureux brutal dans Love and Bruises du Chinois Lou Ye, prince sentimental et fédérateur dans l’épique Or noir de JeanJacques Annaud, Tahar Rahim oppose à la langueur de ses personnages une pudeur sérieuse. Nous l’avons rencontré dans la touffeur des derniers jours de l’été indien. _Par Juliette Reitzer et Laura Tuillier

«

Mathieu n’a qu’une seule manière de faire l’amour, brutale. Comme il le dit dans la scène du dîner : ‘‘Il faut bien faire l’amour aux filles pour qu’elles restent’’ », explique Tahar Rahim au sujet du personnage qu’il interprète dans le nouveau film de Lou Ye, Love and Bruises – littéralement « amour et ecchymoses ». Révélé en 2009 par Un prophète de Jacques Audiard, l’acteur fut repéré par le réalisateur chinois grâce à une photo parue dans un magazine. Lou Ye lui offre alors le rôle d’un ouvrier impétueux et sensuel, « pas très éduqué, à la démarche lourde », passionnément amoureux d’Hua, une jeune intellectuelle chinoise paumée à Paris après une histoire d’amour ratée. La liaison débute sauvagement, par une étreinte violente plus ou moins consentie (« une scène difficile à tourner, pour laquelle il ne fallait pas trop réfléchir ni répéter »). Puis le film, variation charnelle – caméra à l’épaule, montage brusqué – sur la souffrance de l’expérience amoureuse, évolue autour de ces corps aimantés l’un par l’autre, pour qui l’amour physique est la seule voie d’accès à une communication bloquée. « Cette histoire me semblait vraie, proche de ce qu’on peut vivre réellement. L’amour impossible et le fossé culturel sont des choses qui m’intéressent. Mathieu aime comme il a été aimé, mal. Alors que Hua choisit de vivre sa vie amoureuse comme elle l’entend. Elle est plus libre, malgré ses déviances », poursuit avec douceur Tahar Rahim, dont la personnalité semble à l’opposé de celle de son personnage, gouailleur et dragueur. Pudiquement, il évoque le tournage des nombreuses scènes de sexe du film, « nécessaires mais désagréables », et tient à préciser : « J’ai refusé de tourner nu. »

Péché originel : Originaire de Belfort, il étudie le cinéma à l’université Paul-Valéry de Montpellier et joue dans le docu-fiction de son camarade de promo Cyril Mennegun, Tahar l’étudiant, avant d’être révélé par Jacques Audiard. Péché mignon : « Si je n’avais pas fait de cinéma, j’aurais fait un métier pour lequel il faut voyager. » Péché confessé : « Je prends enfin des vacances ! » Le lendemain, le comédien s’embarquait sur un vol pour New York. Péché actuel : Il sera bientôt à l’affiche du nouveau film de Joachim Lafosse, Nos enfants, actuellement en montage, avec Niels Arestrup et Émilie Dequenne, « une super actrice ». Sortie prévue fin 2012.

de l’un de ses trois films du moment, Les Hommes libres d’Ismaël Ferroukhi, sorti le matin même et qui revient sur un pan méconnu de l’Occupation – l’engagement dans la résistance des musulmans de Paris. « Le sujet m’a passionné, explique-t-il avec ardeur avant d’ajouter : Pour choisir un film, il me faut un bon scénario, un personnage qui vaille le coup et une rencontre forte avec le réalisateur. J’aimerais bien jouer quelqu’un de haut en couleurs, d’expansif. » Jusqu’à présent, il s’est effectivement davantage illustré dans des rôles tout en intensité intériorisée, observateurs malins mais peu bavards, comme le Malik d’Un prophète ou l’ombrageux prince

« J’aimerais bien jouer quelqu’un de haut en couleurs, d’expansif. »

vêtu de peaux de bêtes de L’Aigle de la neuvième légion. Dans Or noir de Jean-Jacques Annaud, fresque épique située dans les années 1930, il interprète Auda, intello naïf et fils d’émir, coincé entre son père et l’émir voisin, dont il aime et épouse bientôt la fille sur fond de conflit idéologique et armé entre exploitation marchande du pétrole et respect des traditions. « L’histoire résonne fortement avec ce qui se passe en ce moment dans le monde arabe. Vivre un moment dans le désert, c’est une expérience unique que je vous conseille vraiment. Surtout qu’on tournait en Tunisie au moment où la révolution a éclaté. J’étais tellement content de vivre ça. C’est vraiment fort, tous ces gens qui se libèrent, qui brisent leurs chaînes. » Dans Or noir, le rat de bibliothèque myope et timide se transforme en valeureux guerrier, fédérant dans son sillage les tribus opprimées d’Arabie – et résistant au passage in extreCheveux mi-longs tirés en arrière, bagouses aux doigts et mis aux rondeurs sensuelles d’une belle amazone, libre clope au bec, Tahar Rahim se contorsionne sur sa chaise et rebelle, croisée sur la route. Un héros à tomber, mais pour glaner quelques rayons du soleil de ce début d’au- sérieux comme un pape, en somme. ♦ tomne. Chaleureux, il nous offre le chocolat qui accom- Love and Bruises de Lou Ye // Sor tie le 2 novembre pagne son café avant de s’enquérir des premières entrées Or noir de Jean-Jacques Annaud // Sor tie le 23 novembre

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SEPT ACTEURS CAPITAUX Péché originel : Élève du Conservatoire national supérieur de Paris, interprète au théâtre pour Muriel Mayette ou Joël Jouanneau, il s’émancipe vite de la tradition française pour tester un jeu plus « charnel et élémentaire ». Péché mignon : Vincent Macaigne déteste les auditions. Les rapports avec son agent ont donc été brefs et houleux. Péché confessé : « J’ai souvent l’impression que le cinéma est enfermé dans des recettes de fabrication. Mais c’est peut-être parce que je ne vois pas assez de films… » Péché actuel : « J’aimer ais bien adapter un opéra de Wagner avec le groupe de post-rock Godspeed you ! Black Emperor. »

Vincent

Macaigne

LA GOURMANDISE

Jeune chef du théâtre contemporain récemment étoilé au Festival d’Avignon, Vincent Macaigne dévore les tragédies d’antan et les recrache sur des plateaux bilieux. Bon appétit. _Par Ève Beauvallet

© Stéphane Manel

L

orsqu’on lui rappelle à quel point il fut adoubé cet été au Festival d’Avignon, considéré par la presse comme la relève que l’on n’attendait plus au théâtre, Vincent Macaigne hausse les épaules, continue son tartare-frites et sourit à l’idée de représenter la gourmandise dans ces pages. « C’est parce que je suis gros que vous m’avez attribué ce péché ? En tout cas, c’est celui que je préfère. Remarquez, je crois que j’ai un peu les sept, de péchés capitaux… Non, pas la paresse, ni l’envie. Je suis gourmand, mais pas du tout jaloux. » Figure chaleureuse et grungy du théâtre contemporain, Vincent Macaigne est un artiste avide de saveurs contrastées : la réalisation de films (« je suis l’auteur d’un mauvais petit film, fait à l’arrache »), l’interprétation (des apparitions au cinéma chez Bertrand Bonello ou Philippe Garrel), l’écriture (« depuis mes 16 ans, je crois »), la direction d’acteurs (« en ce moment j’aimerais beaucoup travailler avec des danseurs, les faire danser en pleurant, par exemple »). Mais avant tout, Vincent Macaigne fabrique un théâtre comme on rêve d’en voir plus souvent :

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capiteux, carnivore, avec de bons crimes de terroir. Sur le plateau destroy de son Requiem 3 ou d’Au moins j’aurai laissé un beau cadavre – deux pièces sur l’origine du mal qui l’ont propulsé illico à l’affiche des festivals internationaux –, on voit les héros d’antan hurler dans la langue d’aujourd’hui, le sang des mythes fondateurs gicler par hectolitres… Et c’est du sang bouillant : « J’aime la démesure, j’aime qu’il y en ait trop. Pour ça, je dois faire en sorte que les acteurs n’en aient jamais marre de porter ma colère. » Difficile d’imaginer cette furie dans le rôle de timide indécis qu’il tient dans le moyen métrage rohmerien de Guillaume Brac, Un monde sans femmes, ni quand, guilleret, il nous propose de partager ses frites en cours d’interview. Mais dans ses spectacles, des histoires de naïvetés bafouées et d’illusions en pièces, tout s’éclaire. On finit donc par lui voler ses frites et par consommer son théâtre sans modération. ♦ Au moins j’aurai laissé un beau cadavre de Vincent Macaigne, du 2 au 11 novembre au Théâtre national de Chaillot, www.theatre-chaillot.fr Un monde sans femmes de Guillaume Brac // Sortie le 8 février 2012


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LE STORE

VIN D’HONNEUR

Sa mère s’appelle Italia et son plus grand succès Le Parrain. Pas étonnant que Francis Ford Coppola cultive un goût méridional pour les grands crus. Déjà, au temps de la prohibition, Agostino, le grandpère de la famille, avait fait venir des grappes de raisin californien jusqu’à son appartement de New York, où il produisait sous le manteau l’élixir interdit. En 1975, son petit-fils a acheté le domaine d’Inglenook, en Californie, et augmente peu à peu sa production. Aujourd’hui, jusqu’à quatorze vins aux noms évocateurs y sont produits : Director’s cut ou Sofia Blanc des Blancs… _L.T. En vente au Store du MK 2 Bibliothèque w w w.inglenook.com

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ARONOFSKY SOUS LE DÉLUGE

Après son film Black Swan et un retour fracassant à Venise en tant que président de la Mostra, DARREN ARONOFSKY surprend son monde en signant le scénario de Noé, une bande dessinée qui revisite complètement le récit biblique. _Par David Elbaz

Si sa casquette de producteur, enfilée l’année dernière pour Fighter de David O. Russell, n’a pas vraiment surpris, on est plutôt étonné de retrouver Darren Aronofsky à un poste de coscénariste – avec Ari Handel – de bande dessinée. Ce qui frappe avant tout à la découverte de ce premier tome sous-titré Pour la cruauté des hommes, c’est la transposition d’une histoire connue (l’arche de Noé) dans un espacetemps alternatif, peuplé de créatures étranges, au ciel parsemé de planètes non-identifiées. Poussiéreux, le monde de ce néo-Noé fait penser au premier épisode de La Planète des singes, à Mad Max ou encore à la désertique Tatooine de la saga Star Wars. Les illustrations du Canadien Niko Henrichon, à la fois cinégéniques et saturées de détails, servent au mieux

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à scruter d’un peu plus près la filmographie d’Aronofsky, on s’aperçoit que la bande dessinée et les motifs bibliques ne sont jamais loin. l’uchronie âpre et mystique décrite par Aronofsky, pour une fois moins esthète que conteur. Le réalisateur de Pi et The Westler aurait-il décidé de tout recommencer à zéro ? Rien n’est moins sûr. Car, à scruter d’un peu plus près la filmographie du metteur en scène, on s’aperçoit que la bande dessinée et les motifs bibliques ne sont jamais très loin. Les inserts graphiques de Requiem of a Dream (pistons de seringues et pupilles dilatées) et ses multiples split screen annoncent les cases de Noé, quand son couple – Jared Leto et Jennifer Connelly – figurent des Adam et Ève des temps modernes. On pense également aux transformations de Nina dans Black Swan, qui l’inscrivent dans un bestiaire mythologique… Il s’en est d’ailleurs fallu de peu pour que le réalisateur n’adapte un comic sur grand écran : contacté pour Superman et Wolverine, il fut même le premier choix de la Warner pour diriger le reboot de Batman, finalement récupéré par Christopher Nolan. Coïncidence ? C’est son héros masqué, Christian Bale, qui est pressenti pour l’adaptation par Aronofsky de ces nouvelles aventures de Noé au cinéma. Le déluge ne fait que commencer. ♦ Noé, pour la cruauté des hommes T1 de Darren Aronofsk y, Ari Handel et Niko Henrichon Éditeur : Le Lombard Sor tie : disponible

© Le Lombard

EN VITRINE Extrait de Noé, pour la cruauté des hommes T1 de Darren Aronofsky, Ari Handel et Niko Henrichon


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RUSH HOUR AVANTGame

PENDANT Vilain

APRÈS

l’exposition Story, lisez le horssérie Games Stories

la séance du petit canard, picorez des raisinets

la projection des Géants, écoutez Eleonore, premier album de The Bony King of Nowhere

Vous ne connaissez rien aux jeux vidéo ? Ce magazine est fait pour vous. Vous êtes incollable sur les pixels ludiques ? Pareil. Pour notre septième hors-série, nous avons compilé les petites histoires qui ont fait l’épique épopée du jeu vidéo, présentée au Grand Palais cet hiver dans l’exposition Game Story. Y a-t-il vraiment eu un code pour jouer avec Lara Croft toute nue ? Comment l’armée américaine recrute-t-elle des soldats grâce à un jeu ? Pourquoi les filles bougent les manettes comme un volant ? Réponse en 132 pages, sans game over.

Dans le très beau Vilain Petit Canard, film d’animation en pâte à modeler rythmé par la musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski, le Russe Garri Bardine adapte le célèbre conte de Charles Perrault où un triste héros palmé, rejeté par sa basse-cour à cause de sa différence physique, finit par se transformer en cygne à la consternation générale. « Et toc ! » direz-vous de même à vos voisins de fauteuils, ébahis de vous voir picorer ces raisins enrobés de chocolat directement importés de Suisse.

_E.R.

_J.R.

Le deuxième album de The Bony King of Nowhere est tout indiqué pour prolonger l’aventure fraîche et boisée des ados de Bouli Lanners. Eleonore, dont six titres ornent la bande originale des Géants, diffuse une folk vaporeuse aux accents morriconiens, fait cavaler une country automnale et quelques fantômes du Colorado sur le plat pays. Cousins de Thom Yorke et Jeff Buckley, les trémolos du jeune Belge parviennent à rester suspendus dans l’air. _A.Z.

Hors-série Trois Couleurs Games Stories, disponible en kiosque et en librairies dès le 2 novembre Game Story, du 10 novembre au 10 janvier au Grand Palais, www.grandpalais.fr

Raisinets, en vente au store du MK 2 Bibliothèque Le Vilain Petit Canard de Garri Bardine // Sor tie le 2 novembre

Eleonore de The Bony King of Nowhere (Pias, déjà disponible) Les Géants de Bouli Lanners // Sortie le 2 novembre

TROP APPS _Par E.R. IOS 5 La nouvelle version de l’architecture qui soutient les appareils Apple apporte son lot de nouveautés. On laissera de côté l’anecdotique service Kiosque pour lui préférer les optimisations du système de notifications centralisées, ou encore le clavier iPad scindé en deux pour taper avec les pouces. Pratique ! Gratuit // iPhone, iPod touch et iPad

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The Weather Channel Trop chaud, trop froid, trop sec, trop mouillé : y’a pus d’saisons. Pour s’y retrouver, les applications météo proposées sur iPad sont légions. Sauf que celle-ci mise sur des représentations très graphiques, avec cartes et environnements 3D. Parfois gadget, mais bien plus parlant qu’un bulletin textuel. Gratuit // iPad

iMovie La dernière mise à jour permet enfin de monter convenablement des formats venus de caméscopes numériques et autres systèmes de prise de vue vidéo. De même que le logiciel de musique Garage Band, iMovie prouve que les adaptations sur iPad de logiciels pour ordinateurs peuvent être pertinentes. Gratuit // iPhone et iPad


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©Gebeka Films

KIDS PAFINI DE SE BATTRE

Dans Le Tableau, JEANFRANÇOIS LAGUIONIE explique la lutte des classes aux enfants tout en rendant hommage, hors cadre, au Roi et L’Oiseau de Paul Grimault. En marche ! _Par Quentin Grosset

Le conte est le lieu idéal pour faire avaler l’intégrale Karl Marx aux gamins, et Jean-François Laguionie l’a bien compris. Après L’Ile de Black Mór en 2004, sa nouvelle aventure prend place dans un tableau abandonné par son peintre, où cohabitent trois

LE JOUET

_L.T.

THE FOXY LADY PROJECT

(Royal Monceau) Il pèse 6,5 kilogrammes. C’est le plus grand livre jamais édité : 47 centimètres de large pour plus d’un mètre de hauteur. Maousse, il permet de compulser toute l’histoire de la guitare en se mesurant à des photographies grandeur nature de soixante modèles mythiques. De l’électrique de Brian May à la Fender Stratocaster ou la Gibson Les Paul, le livre ravira les apprentis gratteux. En vente au Store du MK 2 Bibliothèque

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communautés. D’abord les Toupins, que le peintre a eu le temps de fignoler, puis les Pafinis, à qui il manque certaines couleurs, et enfin les Reufs, qui ne sont que des croquis. Les Toupins forment la jet-set de cette microsociété et installent la dictature de la peinture léchée. Dans cette ambiance fashion week, le merveilleux côtoie la réalité brute et Laguionie prend clairement le parti des minorités : un jour, Ramo, un Toupin idéaliste, décide de sortir du tableau pour retrouver le peintre, le forcer à achever son œuvre et rétablir l’égalité. Comme la bergère et le ramoneur dans Le Roi et l’Oiseau, Ramo sort du cadre pour vivre un amour interdit avec sa girlfriend inachevée. Laguionie emprunte à Grimault la poésie de son trait et y ajoute une résonance sociale : Pafinis de tous les pays, unissez-vous ! ♦ Le Tableau de Jean-François Laguionie (animation) Avec les voix de : Jessica Monceau, Adrien Larmande… Distribution : Gebeka Films Durée : 1h16 Sor tie : 23 novembre

LE livre

_M.U.

LES CARNETS D’ULYSSE

de Stéphane Frattini et Quentin Duckit (Milan) Durant son odyssée légendaire, Ulysse tenait un journal qu’il adressa à sa femme Pénélope et son fils Télémaque. À l’intérieur, les croquis du cheval de Troie, des reproductions de cartes et des plans de navires, les esquisses des portraits de ses compagnons de route et de ses ennemis… Le carnet en imitation cuir, entouré d’une ficelle, donne l’impression de découvrir le vrai journal de ce personnage mythologique. À partir de 6 ans.


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Le feu sous la glace

Cinq des premiers films de l’Anglais DAVID LEAN, avant ses célèbres Lawrence d’Arabie ou Docteur Jivago, sont réunis ce mois-ci dans un coffret. Deux comédies et trois sublimes mélodrames hantés par le génie, la pudeur et le romantisme. _Par Juliette Reitzer

Commencez par regarder Brève rencontre, qui n’est pas le plus ancien des films compilés ici (il est sorti en 1945, un an après Heureux mortels) mais qui est sans doute le plus beau. C’est un mélodrame magnifique – l’histoire, mainte fois rebattue par David Lean, d’un adultère, d’une passion interdite, d’une héroïne gardant sous silence les conflits qui la ravagent intérieurement. « Ce supplice ne peut durer », gémit Laura en voix off, cadrée en gros plan dans le train qui l’éloigne définitivement de son amour. Le romantisme du réalisateur se niche là, dans sa fascination pour l’intériorité révoltée de ses personnages, traduite à l’écran par le recours à la voix off et au flashback pour évoquer désirs, regrets et souvenirs, et par un soin particulier dans la manière de filmer les intérieurs confinés. Brève rencontre vous donnera forcément envie d’en voir davantage.

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Dans ces films, Lean affirme certaines clés de son cinéma, comme la suprématie du sentiment ou une sensibilité particulière pour le spleen de la femme au foyer. Viennent ensuite deux comédies mondaines et volubiles en Technicolor, Heureux mortels, donc, (l’histoire d’une famille londonienne dans l’entredeux-guerres) et L’Esprit s’amuse (en 1945, sur un homme hanté par ses épouses défuntes). Si David Lean n’atteint pas ici l’ampleur de ses mélodrames, il affirme certaines clés de son cinéma, comme la suprématie du sentiment, les amours jamais simples, ou une sensibilité particulière pour le spleen de la femme au foyer. Dans Les Amants passionnés (1949), il retrouve le mélo et le noir et blanc pour filmer l’histoire d’un adultère au long cours et livrer un beau film sur le regret, où les scènes dramatiques puisent leur intensité dans la pudeur de leur mise en scène – pas de musique, longs plans fixes. Madeleine (1950), enfin, adapte un fait divers de l’époque victorienne pour dessiner le portrait d’une jeune femme coincée entre un père tyrannique, un amant autoritaire et un prétendant insistant. Nouvel amour malheureux, et nouvel encouragement à aimer le cinéma de Lean plus que de raison. ♦ Coffret David Lean, les premiers chefs-d’œuvre (5 DVD + 1 livret) Éditeur : Carlot ta Sor tie : 9 novembre

©Carlotta

VINTAGE Les Amants passionnés de David Lean (1949), avec Claude Rains (à gauche), Ann Todd et Trevor Howard (à droite)


RAYON IMPORT

Open Waters

« Désastre au pressing. » C’est ainsi que le cinéaste gay flamboyant, reconnaissable à sa moustache dessinée d’un coup de crayon Maybelline, décrit son style inimitable. Tornade de Baltimore, pape du camp, John Waters retrace ici, à 63 ans mais toujours avec panache, les souvenirs d’une vie débridée, ponctuée par les tournages sous LSD de Pink Flamingos ou Hairspray. Ce carnet d’inspirations, rédigé en hommage à ses modèles (l’écrivain Tennessee Williams, la designer Rei Kawakubo, le chanteur Little Richard ou l’égérie Divine), adopte la forme d’antimémoires compilant des entretiens avec plusieurs de ses idoles excentriques. On regrette juste qu’il soit parfois plus question de pop culture que de cinéma. _C.G. Role Models de John Waters (Farar, Straus and Giroux, essai, en anglais)

BACK DANS LES BACS

Tout sourire

En 1966, après son fameux Pet Sounds, Brian Wilson entreprit de produire une « symphonie adolescente à Dieu », qui appliquerait à un album entier les techniques d’enregistrement de Good Vibrations – enregistrer des parties séparées et les réassembler ensuite. Écrit avec Van Dyke Parks mais souffrant de l’incompréhension du groupe, Smile avorta, rendit fou Wilson et finit dispersé (sur Smiley Smile, en bonus et bootlegs). Brian Wilson le réenregistra en 2004, perdant la magie gracieuse et maladive des sessions d’origine, qui sont ici enfin publiées officiellement (en CD, LP et coffret). On y retrouve les classiques (Heroes and Villains, Surf’s Up, Vegetables), les détails de la sublime tapisserie, et le diable qui s’y niche, probablement. _W.P. Smile Sessions de The Beach Boys (Capitol / EMI)

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© Ad Vitam

DVDTHÈQUE Avida de Gustave Kervern et Benoît Delépine (2005)

AFFREUX JOJOS

Alors que les Grolandais GUSTAVE KERVERN et BENOÎT DELÉPINE travaillent au montage du Grand Soir – qui contera l’histoire du dernier punk à chien –, un coffret rembobine leurs quatre premiers films. Pas bêtes, mais méchants. _Par Laura Tuillier

« À l’époque, on était à Groland, on ne voulait pas vraiment faire de cinéma, mais on a eu l’idée d’un road movie en fauteuil roulant et un notaire flamand l’a financé ; on ne sait toujours pas pourquoi. » C’est ainsi que Gustave Kervern présente Aaltra (2004), premier des quatre films qu’il a réalisés avec son compère Benoît Delépine (aka Michael Kael). Depuis ce premier essai bouclé avec 150 000 euros, les deux Grolandais ont continué de creuser une veine loufoque et sociale en marge du cinéma français – « avec en ligne de mire Aki Kaurismäki ». Dans Avida (2005), toujours en noir et blanc et pas bavard, le duo se donne à nouveau les rôles principaux – des malfrats empotés qui tentent d’enlever le chien d’une milliardaire. Avec une prédilection pour les personnages « à la fois sincères et bêtes » et une volonté de « faire confiance à l’imprévu, ne

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pas faire de story-board ni de repérages, être à l’arrache », les Grolandais s’élèvent lentement mais sûrement du petit écran vers le grand. Kervern et Delépine remettent ça en 2008 avec Louise-Michel, peut-être leur film le plus réussi à ce jour, dans lequel Louise (Yolande Moreau), ouvrière virée par un sale patron, décide de supprimer celui-ci avec l’aide d’un tueur à gages minable (Bouli Lanners). Film de plus grande ampleur (plus d’acteurs, de dialogues, de couleurs), Louise-Michel ouvre un dialogue – absurde et férocement drôle – entre deux camps ennemis : celui des prolos et celui des patrons. « On se sent vraiment en décalage dans le cinéma français. On fait des films sociaux, ce qui est rare », affirme Gustave Kervern. L’an dernier, Mammuth prolongeait cette voie à fond la bécane, explorant la France des PMU, coincée entre une administration récalcitrante et une industrie morose. Autour de Serge Pilardosse (monumental Gérard Depardieu), parti à la recherche de ses feuilles de paye pour toucher sa retraite, Kervern et Delépine y croquent une galerie de gueules cassées ridicules et touchantes. C’est dans ce même quotidien, qu’ils filment avec une tendresse non dépourvue d’ironie, que les réalisateurs ont puisé leur dernière trouvaille : « Un huis clos dans un supermarché, avec Benoît Poelvoorde en punk à chien et Albert Dupontel, son frère licencié et à la rue. » Ces deux-là, conclut Kervern, vont tenter de faire la révolution. On leur souhaite bonne chance. ♦ Coffret Delépine & Kervern (4 DVD) Éditeur : Ad Vitam Sortie : 21 novembre


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FILMS La sélection de la rédaction

DE L’AUTRE CÔTÉ, SUD, D’EST et LÀ-BAS de Chantal Akerman (coffret, Shellac)

Shellac réunit dans ce coffret quatre longs métrages jusqu’ici introuvables en DVD. Si ces œuvres, réalisées entre 1993 et 2006, peuvent être considérées comme des documentaires, jamais pourtant elles ne modèlent le monde de façon à exposer une thèse précise. Grace à des dispositifs cinématographiques radicaux, leurs sujets prennent forme à travers la singularité du regard que la cinéaste pose sur la société qui l’entoure. De Tel-Aviv à la Russie en passant par le sud des ÉtatsUnis, cette vision nous immerge et semble révéler la vérité de la Terre et des hommes qui la peuplent. _Florian Guignandon, vendeur au MK2 Quai de Seine

LA BM DU SEIGNEUR

de Jean-Charles Hue (Capricci) Fred Dorkel, sa parole, son corps. Massif et franc, membre de la communauté yéniche. Croyant sincère, même lorsqu’il vole une voiture ou fait couler le sang. Alors, quand un ange lui apparaît et lui intime de se ranger, il se soumet et annonce aux siens sa rédemption, provocant une incompréhension violente. Dans cette plongée au cœur d’une communauté de gens du voyage qu’il a fréquentée sept années durant, Jean-Charles Hue, plasticien et vidéaste, donne voix à une sous-culture marginalisée. Un docu-fiction puissant qui prend le risque de laisser tourner la caméra au beau milieu du combat. _L.T.

LE PLEIN DE SUPER, MARTIN ET LÉA, IRÈNE et PATER

d’Alain Cavalier (Pathé) Ces quatre films d’Alain Cavalier font le pont entre les années 1970 (temps de la fiction) et les années 2000 (temps de l’autofiction). Au cœur de chacun d’eux, pourtant, le réalisateur filme l’intime. Qu’il s’agisse d’un road movie entre copains (Le Plein de super), de la naissance du couple (Martin et Léa, film de chambre musical), du deuil de l’être aimé (le radical Irène) ou de la transmission du pouvoir et du savoir (Pater), Alain Cavalier sait faire tomber les masques d’un mouvement de caméra. Une délicate entreprise de dévoilement qui trouve dans le quotidien une charge mythique. _L.T.

SENNA

d’Asif Kapadia (Studio Canal) Le Brésilien Ayrton Senna, personnalité rayonnante devenue figure quasi-héroïque en son pays, a imposé pendant dix ans sa ténacité sur les circuits mondiaux de la F1. On avait raté ce biopic rutilant discrètement sorti en salles, pourtant l’un des meilleurs documentaires de l’année. Outre le spectacle décoiffant de son ascension, le cinéaste britannique Asif Kapadia fait de la rivalité entre Senna et Alain Prost au sein de l’écurie McLaren le nœud de sa dramaturgie. Jusqu’à l’accident tragique de 1994, qui interrompt brutalement une carrière de triple champion du monde, à 34 ans. _C.G.

LA CICATRICE INTÉRIEURE et LIBERTÉ, LA NUIT

de Philippe Garrel (coffret, Why Not) Tandis que son dernier long métrage, Un été brûlant, vient de sortir en salles, Philippe Garrel voit deux de ses films antérieurs regroupés dans un coffret DVD. La chose est d’autant plus appréciable qu’il s’agit de deux œuvres (trop) peu vues sur les écrans, petits ou grands. D’une part La Cicatrice intérieure (1972), poème erratique interprété par Pierre Clémenti, Nico – dont la musique sépulcrale hante la bande sonore – et Garrel lui-même. D’autre part, Liberté, la nuit (1983), évocation dans un noir et blanc superbe de plusieurs destinées emportées dans (et par) la tragédie de la guerre d’Algérie. _J.P.

LA TÊTE DANS LE VIDE, MANUE BOLONAISE et ROC & CANYON de

Sophie Letourneur (coffret, Shellac) Sophie Letourneur a signé trois courts métrages avant La Vie au ranch. Des joyaux qui annoncent la couleur de son cinéma, léger et tchatcheur, inscrit dans un dispositif de mise en scène original qui capte les âges de la vie de façon quasi documentaire. La Tête dans le vide (2004) décrit l’anxiété d’une jeune femme cloîtrée chez elle, attendant son Roméo. La réalisatrice sonde ensuite les premiers émois de collégiens (Manue Bolonaise, 2005), puis de lycéens (Roc & Canyon, 2007), deux moyens métrages remarqués où, au-delà de l’humour ravageur et de l’hyperréalisme des dialogues, menace une certaine amertume. Ces films sont à (re)découvrir dans l’édition DVD de La Vie au ranch. _D.J.

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LUNE FINALE

EMI réédite en grande pompe la discographie du mastodonte psychédélique britannique PINK FLOYD. L’occasion d’entendre avec une oreille neuve certains albums parmi les plus marquants de la pop, en même temps que le chant funèbre du compact disc ? _Par Wilfried Paris

Quatorze albums remasterisés, livrés et coffrés avec moult inédits, DVD, Blu-ray et produits dérivés (billes, sous-ver res et échar pes !)… EMI compte bien épuiser le catalogue du groupe culte de la génération 1968. Drôle de symbole, alors qu’on annonce partout la mort du CD, que de réécouter en 5.1 un groupe à ce point associé à l’âge d’or de l’industrie discographique. Étalon hi-fi absolu des albums rock, The Dark Side of the Moon, troisième plus grosse vente d’albums de tous les temps (après Thriller et Abbey Road), aura notamment initié le rock de stade (avant Bono et Geldof ). Pour tant, c’est bien l’entropie et l’aliénation qui ont progressivement marqués l’œuvre du Floyd, comme si le mauvais trip de Syd Barrett (retiré schizophrène à Cambridge dès le deuxième album) avait contaminé toute l’histoire du groupe, les visions acides et Carolliennes du très beau Piper at the Gates of Dawn (1967) laissant place à des morceaux plus progressifs et électriques (A Saucerful of Secrets, More, Ummagumma). De longues 82

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improvisations psychédéliques qui finirent par remplir des faces entières d’album, traversées par les guitares voyageuses de David Gilmour : les 23 minutes d’Atom Heart Mother (1970) ou d’Echoes (1971), que certains s’amusèrent à synchroniser au trip final de 2001, l’odyssée de l’espace, comme l’annonce d’une nouvelle ère. Deux ans plus tard, opposant son titre énigmatique et féminin à la célèbre pyramide prismatique qui orne sa pochette, The Dark Side of the Moon esthétisait les obsessions de Roger Waters – vieillesse (Time), aliénation (Money), folie (Brain Damage) – avec le succès que l’on sait. Suivront un hommage/regrets à Syd Barrett (Wish You Were Here, 1975), une digression amère sur La Ferme des animaux de George Orwell (Animals, 1977), et enfin le très littéral mur de brique (The Wall, 1979), qui remplacera la mystérieuse pyramide dans le cœur des fans tout en illustrant la paranoïa du leader mégalo. Les derniers albums, procès et concerts renfloueront les caisses. Au-delà du legs avéré (la fumette mène aux drogues dures), ce nouveau baroud discographique sous forme de coffret premium nous dit peut-être quelque chose de notre époque : que la peur de voir notre monde disparaître nous fait nous retourner vers des civilisations disparues et les rassurants symboles de transcendances passées ? Pour la dernière fois peut-être, Pink Floyd est dans l’actu. ♦ Why Pink Floyd ? (EMI, 14 albums studio remasterisés, à l’unité ou en coffret) The Dark Side of the Moon, Wish You Were Here et The Wall de Pink Floyd (EMI, version deluxe et coffret collector) A Foot in the Door : the Best Of Pink Floyd (EMI, sortie le 7 novembre)

© Jill Furmanovsky

CDTHÈQUE David Gilmour, Roger Waters et Nick Mason pendant l’enregistrement de Wish You Were Here en 1975


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ALBUMS La sélection de la rédaction

FLAVIOLA E O BANDO DO SOL de Flaviola e o

Rio de Thierry Stremler (Disques Daunay) L’affiche France-Brésil a donné lieu à quelques matchs d’anthologie, et à une poignée de chansons d’admirable facture : Dans mon île, La Rua Madureira, Qui c’est celui-là… Dans son quatrième album, Stremler file la liaison transatlantique, frottant pandeiro et caisse claire, toquant guitare et cavaquinho, faisant valser triangle et accordéon que recouvre son timbre, fin et chaud comme le sable de Copacabana. Ses sambas, lestes ou lentes, disent l’amour comme il est, évident, compliqué, embué d’une saudade taquine évoquant, pêle-mêle, Chico Buarque, Alain Chamfort ou Tante Hortense. Um abraço. _A.T.

bando do sol (Mr. Bongo) Pépite oubliée du folk psychédélique brésilien des années 1970, aujourd’hui réédité, cet unique album de Flaviola e o bando do sol reflète parfaitement l’ébullition qui régnait alors à Recife, capitale humide du Pernambouc, où une génération rebelle – de Lula Côrtes à Zé Ramalho, d’Alceu Valença à Geraldo Azevedo – s’appropriait avec ferveur les préceptes du tropicalisme initié quelques années plus tôt à Bahia. Rythmes de danse et instruments locaux se mêlent aux innovations pop et folk anglo-saxonnes, dessinant les contours d’une musique neuve, libre et rayonnante, dont se réclament aujourd’hui encore Beck ou Devendra Banhart. _M.P.

_J.P.

de Mustang (Jive / Sony) Laissant sur le bas-côté un premier album encore fumant, Mustang continue sa route à toute berzingue. La banane au vent, Jean Felzine écrase de sa classe américaine une scène parisienne endormie. « En avance sur Paris, envoie les royalties », nargue ainsi le crooner clermontois sur J’fais des chansons, morceau dont le titre pourrait être le mot d’ordre de Tabou. Porté par sa belle écriture, le deuxième album du trio s’écoute toujours en VF. Qu’il appelle les filles « bébé » ou revisite un conte d’Andersen (La Princesse au petit pois), Felzine fait hoqueter ses tubes néo-rockab avec la même morgue irrésistible.

_E.V.

NUIT DE RÊVE de Scratch

Massive (Pschent Music) Succédant à Enemy & Lovers (2003) et Time (2007), le nouvel album de Scratch Massive (Sébastien Chenut et Maud Geffray) arbore une pochette assez croquignolette et porte un titre très prometteur. Et la musique ? Dès Pleine lune, le titre d’ouverture qui semble jaillir d’une B.O. de John Carpenter, elle nous propulse, synthés en avant, vers ces satanées années 1980. Même Jimmy Somerville vient donner de la voix sur Take Me There, c’est dire… D’un ensemble pas toujours très digeste se détache nettement Nuit de mes rêves, une ballade electro à la sensualité ténébreuse.

TABOU

THE WHOLE LOVE

de Wilco (Anti- / Pias) Depuis 1995, Jeff Tweedy fait de ses épisodes dépressifs des albums lumineux, mariant classic rock et glouglous électroniques, boiseries anciennes et feu de Dieu, ballades amoureuses et cavalcades de cow-boy. Il réunit ces tensions contraires dans son studio de Chicago avec le meilleur groupe de rock américain depuis le Band de Dylan, et ambitionne ici de circonscrire l’« amour entier » sur une ronde de douze titres qui s’ouvre en démonstration de fuzz (Art of Almost, l’art de l’àpeu-près) et s’achève en un vol d’aigle de douze minutes. Entre les deux, l’album le plus varié de Wilco, des gouffres sentimentaux aux sommets de grâce. _W.P.

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HUMOR RISK de Cass McCombs (Domino / Pias) Hobo folk 2011, Cass McCombs parcourt paysages, griffonne visages ou citations (Love Thine Enemy), enregistre ce qui passe (bruits et conversations au dictaphone), documentant son nomadisme sous la forme de ballades brutes et belles. Le son cracra (batterie lourde, guitare sèche ou pleureuse) nimbe sa voix, vulnérable, d’un souffle grésillant. Ce disque apaisé, rappelant l’Arcady de Doherty ou l’Hallelujah de Cohen, est le pendant lo-fi du récent Wit’s End (sorti en avril), en quête d’ailleurs et d’une « parole vivante » (Living Word), ajoutant juste au biblique « In the beginning, came the word » son grain de sel : « Words can hurt. » _W.P.

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BIBLIOTHÈQUE

Topor fut le touche-àtout officiel de la seconde moitié du XXe siècle, parti de la peinture pour aborder les rives du journalisme, de l’animation, du roman… du Locataire de Roman Polanski ? Tiré d’un roman de Topor. L’acteur qui partage la vedette avec Adjani et Kinski dans le Nosferatu d’Herzog ? Encore Topor, touche-à-tout officiel de la seconde moitié du XXe siècle, parti de la peinture pour aborder les rives du journalisme, de l’animation, du roman, de l’affiche, du dessin, du cinéma, de la télé… Sur chacun de ces supports, il a imposé sa patte, caustique, décapante, grotesque et carnavalesque ; ou plus tendre et onirique, pleine d’absurde et de merveilleux – dans Téléchat notamment.

Extrait des Mémoires d’un vieux con

TOPOR, À MORT

Quatorze ans après sa mort, on n’en finit plus de redécouvrir ROLAND TOPOR. Vous n’êtes pas familier de son univers acide et  ludique ? Rattrapez-vous avec un inédit et deux rééditions cultes. _Par Bernard Quiriny

Les trentenaires le connaissent au moins de nom, à cause du Téléchat qui a bercé leur enfance télévisuelle. Les quadras se souviennent plutôt de ses dessins dans Hara-Kiri, dont ils ont religieusement acheté l’anthologie. À vrai dire, tout le monde connaît un peu Roland Topor, mort en 1997, tant son génie a essaimé dans l’art moderne. Les dessins kafkaïens de bonshommes au pénis si gonflé qu’il leur traverse le crâne, de visages dont les pores abritent des lombrics, atroces et magnifiques à la fois ? C’était lui. Le scénario

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En fait, il faudrait reprendre tout Topor pour dessiner un panorama de son monde et de ses visions. Ça tombe bien, trois pièces du puzzle ressortent en tir groupé. D’abord Le Locataire chimérique (1964), premier roman dont s’inspira Polanski, un chef-d’œuvre d’angoisse absurde qui, 45 ans plus tard, reste le texte définitif sur la vie en immeuble, la surveillance mutuelle des voisins et la folie qui guette tout citadin. Pour continuer, on relira les excellents Mémoires d’un vieux con (1975), parodie jubilatoire d’un genre insupportable : les souvenirs de notabilités médiatiques, sur le mode « j’ai très bien connu Mitterrand ». Ici, l’auteur a carrément connu tout le monde : Breton (« Et pourtant, le convaincre d’écrire son Manifeste du surréalisme n’a pas été facile! »), Picasso, Trotski… Plus imbu, tu meurs. Plus drôle, tu meurs aussi. Quant au bouquet final, c’est un inédit, ou plutôt une série d’inédits : Vaches noires, trente-trois nouvelles compilées par Topor avant sa mort et préfacées par François Rollin. Un échantillon définitif de son humour et de ses thèmes favoris, du corps qui nous échappe à l’aliénation, la mort ou l’inversion absurde de tout ce qui l’entourait. Comme cette défense impayable des sectes : « Le suicide massif d’un millier de fidèles ne doit pas faire oublier les bons moments passés ensemble. » CQFD. ♦ Le L oc atai r e c hi mér ique ( Ph é b u s , roman), Mémoires d’un vieux con ( Wombat , essai) et Vaches noires ( Wombat, recueil) de Roland Topor, d éj à d i s p o n i b l e


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LIVRES La sélection de la rédaction

JEU DE PISTES

de Marcel Theroux (Plon, roman) L’héritage est un sujet à la mode chez les Anglo-Saxons en cette rentrée. Après Nicolas Shakespeare et Héritage, voici Marcel Theroux et son Jeu de pistes, qui débute quand le héros, journaliste à la BBC, hérite de la maison de son oncle écrivain près de Boston. Dans le bric-àbrac d’antiquités qui l’encombre, il découvre un manuscrit inédit racontant les aventures de Mycroft Holmes, le frère aîné de Sherlock. Un secret de famille se cacherait-il entre les lignes ? Fils et neveu d’écrivains (Paul et Alexander Theroux), Marcel Theroux compose un puzzle subtil sur la filiation et les rapports de fratrie. _B.Q.

LE CINÉMA ITALIEN

de Jean A. Gili (La Martinière, essai) Un savoir encyclopédique distillé avec sentimentalité, au sens noble du terme. Jean A. Gili, professeur émérite d’histoire du cinéma à la Sorbonne, marie dans cet ouvrage dantesque (360 pages) l’histoire empirique du cinéma italien de 1896 à 2011, en prise avec les mutations culturelles, politiques et économiques du pays, et son amour pour l’Italie hérité d’un père émigré transalpin. Préfacé par Ettore Scola, le livre met en avant cent-quatre longs métrages amoureusement analysés par l’auteur, d’Inferno (1911) à Habemus Papam (2011), en passant par les perles de Fellini, Visconti, Rossellini, Antonioni ou Pasolini. _J.R.

LA SŒUR

de Sándor Márai (Albin Michel, roman) Paru en 1946, La Sœur est le dernier roman « hongrois » de Sándor Márai avant son exil, en Italie puis aux États-Unis. L’histoire commence à Noël 1942, dans une auberge isolée au sommet d’une montagne, puis continue à Florence, trois ans plus tôt, au chevet d’un musicien malade que les médecins envoient à coup de morphine dans un monde de songes… Lyrique, puissant, La Sœur est un roman saisissant sur le corps et l’âme, mais aussi sur la drogue qui soulage le premier et apaise la seconde. Un livre majeur, original, qui confirme si besoin était la stature du romancier hongrois dans la littérature du siècle dernier. _B.Q.

Confession inachevée de Marilyn Monroe (Robert Laffont, autobiographie) Avant la sortie du biopic My Week with Marilyn de Simon Curtis, plusieurs parutions récentes éreintent le mythe de la dumb blonde, dont ce texte autobiographique, épuisé depuis les années 1970 et aujourd’hui réédité. Tandis que sa mère croupit à l’asile, Norma Jean, qui n’est pas encore Marilyn, passe de foyers en foyers, se marie très jeune et travaille à l’usine, avant des débuts pénibles à Hollywood, pressé de la reléguer au rang d’objet sexuel. Ces mémoires, portés par une plume apaisée, révèlent une âme fragile et solitaire : « J’étais le genre de fille qu’on retrouve morte dans une chambre minable, un flacon de somnifères vide à la main… » _C.G.

ART LUDIQUE

de Jean-Samuel Kriegk et JeanJacques Launier (Sonatine, essai) Quand on pense à Franquin, dont les planches originales étaient piétinées chez son imprimeur, on peut dire que la légitimation de l’art ludique (les dessins originaux issus de l’animation, de la bande dessinée et du jeu vidéo) a fait du chemin depuis cinquante ans – et ce malgré la suspicion tenace du marché de l’art. Après avoir ouvert la première galerie consacrée aux pinceaux de l’entertainment, Kriegk et Launier proposent dans ce livre une politique des auteurs à l’ère 2.0, d’Hergé à Miyamoto. Une étude qui décrit la pénétration de cet art dans la création contemporaine la plus pointue sans pour autant sacrifier son créneau de base : le plaisir. _Q.G.

L’EUROPE DES ESPRITS (Les Musées de Strasbourg, catalogue)

Publié à l’occasion de l’exposition L’Europe des esprits ou la fascination de l’occulte, 1750-1950, au musée d’Art moderne et contemporain de la ville de Strasbourg, cet ouvrage est bien plus qu’un simple catalogue. Sous la direction de Serge Fauchereau et Joëlle Pijaudier-Cabot (tous deux commissaires de l’exposition), il retrace, des Lumières au surréalisme, deux siècles de présence occulte dans les arts visuels, la littérature, la danse ou l’architecture… Une somme à l’iconographie saisissante, qui montre que fantômes, elfes et autres ectoplasmes ont toute leur place dans l’histoire de l’art. _D.E.

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BDTHÈQUE ÉVOLUTION ARABE

Tenu à l’écart par la maladie depuis plusieurs années, CRAIG THOMPSON signe un retour subtil et profond avec Habibi, un conte orientaliste et moderne au sous-texte politique. _Par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)

Découvert en 2003 avec Blankets, imposante bande dessinée autobiographique vite suivie d’un Carnet de voyage entre la France et l’Afrique du Nord, Craig Thompson avait depuis disparu des radars – on le savait atteint d’un mal touchant ses mains. Jusqu’à Habibi : 670 pages qui narrent une fable originale, quelque part dans le Moyen Orient des mille et une nuits. Dessiné dans un noir et blanc à la plume gracile, optant

pour un trait équilibriste entre réalisme et cartoon, Habibi surprend par sa fluidité et son organisation géométrique. Découpé en neuf parties, le livre explore une relation d’amour quasi fraternelle qui se transforme en amour adulte. Tournant notamment autour du sexe et de ses interdits, le livre séduit par sa façon de faire porter ses questionnements sur l’amour par des emphases presque mystiques. Tout en enluminures, le trait fait revivre l’artisanat graphique oriental comme cadre d’une histoire qui, en mettant l’accent sur une femme dans un pays arabe, parle en creux au monde d’aujourd’hui. Craig Thompson, qui a pour mentor Joe Sacco, affirme là son désir de faire évoluer sa bande dessinée vers quelque chose de politique et réussit, sans pour autant dessiner un reportage, à créer une œuvre nuancée, complexe et immédiate. Avec Habibi, il a trouvé une belle façon d’éradiquer toute différence entre bande dessinée et roman graphique. ♦ Habibi de Craig Thompson Éditeur : Casterman Sor tie : disponible

3 BANDES DESSINÉES EXPLORATIONS

de Yuichi Yokoyama (Éditions Matière) L’art de Yuichi Yokoyama a doucement imposé une distorsion élégante des codes de la BD. Étude des corps, des mouvements, de la vitesse, Explorations évoque le futurisme et séduit par ses aspérités : on ignore comment tout cela se lit, mais ce que l’on y voit ne ressemble à rien d’autre.

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_Par Jo.Gh.

FRÉDÉRIC MAGAZINE 4

ouvrage collectif (Les Requins Marteaux) Le collectif Frédéric Magazine célèbre les 10 ans du musée international des Arts modestes de Sète (le Miam) et poursuit un travail sur le dessin en tant qu’entité indépendante de toute narration. Le dessin, c’est la vie : voilà ce que semble crier ce bel ouvrage noir, nerveux et nécessaire.

SIBYLLINE 1965-1969 de Raymond Macherot (Casterman)

Faute d’enfin rééditer le chefd’œuvre de Raymond Macherot, Chaminou et le Khrompire (1965), Casterman réunit l’intégrale de Sibylline, sa grande série animalière des années 1960, à mi-chemin entre la parodie sociale et le cartoonesque pur. Épatant de bonheur.


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© namco

ludoTHÈQUE LES AILES DU DÉLIRE

Devenue rare, la série phare du jeu d’aviation nerveux prend un nouvel envol, loin de son tarmac habituel. Ace Combat dépoussière son manche à balais et muscle ses tonneaux. Décollage. _Par Étienne Rouillon

Le travail sur la jouabilité d’un titre mettant en scène des avions est un pur casse-tête pour les créateurs. Tout est affaire de difficulté. Contrairement aux voitures et aux motos, le pilotage d’une machine volante requiert une gymnastique des doigts et des yeux qui peut en rebuter plus d’un. Sans parler du réalisme. Soit on choisit de faire

3 JEUX VIDéo Batman : Arkham City

(Warner Interactive, sur PC, PS3, X360 et Wii U) Voici la suite du génial Batman : Arkham Asylum, sorti en 2009. Non content d’apporter une vision panoramique des plus justes sur l’univers de la chauvesouris, ce jeu croule sous les atouts : ambiance sublime, système de combat jouissifs et pelleté de batgadgets.

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le pari de la simulation exigeante et réaliste, au risque de frustrer le joueur à force d’être concassé au tapis. Soit on prend le parti de l’arcade, du pilotage très assisté, de carlingues invincibles. C’est cette deuxième voie que privilégie la franchise Ace Combat depuis 1993. Accessible, certes, mais à la longue parfaitement redondant lorsqu’on élimine un à un les bandits avec une méthode identique. Du coup, pour se renouveler, Namco Bandai est allé piocher du côté des jeux de guerre au sol, et de leur référence : Call of Duty. Le principe scénaristique du jeu est du coup bien connu – un conflit mondial arpenté dans les bottes d’une poignée de soldats, et des mafias terroristes qui mettent le boxon. La révolution vient surtout du système de verrouillage des coucous adverses, qui permet de dézinguer dans des assauts déments, en plein zigzag entre les gratte-ciel de Dubaï. Sans répit pour le joueur, cet Assault Horizon est planant sans être planplan. ♦ Ace Combat : Assault Horizon Genre : Action / Voltige Éditeur : Namco Bandai Plateformes : PS3 et X360 Sor tie : déjà disponible

_Par E.R.

Rage

(Bethesda Softworks, sur PC, PS3, X360) Derrière ce jeu postapocalyptique, on retrouve un studio légendaire : Id Software. Wolfenstein, Doom ou Quake : les pierres angulaires du jeu de tir en vue subjective ont été taillées entre ces murs, qui réinventent encore une fois le genre dans Rage.

Real Racing 2 (Firemint Pty Ltd, sur iPhone, iPod Touch et iPad)

Avec la dernière mise à jour du système d’exploitation des appareils nomades d’Apple, le meilleur jeu portable de courses de voitures peut être partagé à quatre sur le même écran de télévision, les machines mobiles faisant office de manette. Une première.


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LE GUIDE

SORTIES EN VILLE CONCERTS EXPOS SPECTACLES RESTOS

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©Berger&Berger

© Jérôme Delatour

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© Bruno Verjus

© Universal Music

C O N C E R TS / E T H N O L O G I E - A R T C O N T E M P O R A I N / D A N S E - ST A N D - U P / L E C H E F

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SORTIES EN SALLES CINÉMA 120

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© 2011 les Films de l’Autre - Photo : Ronald Martinez

©Donoma Guérilla

© Pretty Pictures

du mercredi 2 novembre au mardi 6 décembre

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© Universal Music

SORTIES EN VILLE CONCERTS

SUR SES LÈVRES PR EMIÈR E Lana Del Rey, le 7 novembre au Nouveau Casino (complet), w w w.nouveaucasino.net

Sur la foi d’une seule chanson et en quelques mois à peine, LANA DEL REY est devenue l’égérie de la presse et des réseaux sociaux, fascinés par son romantisme rétro et son physique de pin-up 50’s. Le phénomène débarque pour la première fois à Paris. _Par Éric Vernay

Attention, femme fatale. Lana Del Rey, 24 ans, est au sommet de la hype après un été meurtrier. En juillet, l’Américaine, auteure d’un EP sorti dans l’indifférence générale en 2009 lorsqu’elle s’appelait encore Lizzy Grant (Kill Kill), mettait en ligne le clip de Video Games, un curieux patchwork d’images vintage où se côtoient stars hollywoodiennes, vieux cartoons et skaters en noir et blanc. Au milieu de ce montage lo-fi, une jeune chanteuse au visage étrange nous scrute devant un mur livide, comme une amie sur Skype ou une wannabe hardeuse en plein chat sur YouPorn. Le regard est aguicheur mais surtout fuyant, passant visiblement 92

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de l’objectif de la webcam à son écran d’ordinateur, comme pour vérifier si la coiffure est bien en place. En trois mois, le clip a été vu plus de trois millions de fois sur YouTube. Désormais reine du web, portée par une presse hystérique qui n’en finit pas d’analyser son look rétromoderne, la diva reçoit déjà le contrecoup de son buzz éclair : ses lèvres refaites ne sont-elles pas la preuve d’une vaste imposture ? En fouillant le passé mystérieux de Lana Del Rey, certains voient en elle une poupée manipulatrice déguisée en star fifties, markétée jusqu’à l’os, construisant sa carrière sur la rente d’un papa fortuné. Mais tant de ragots ne sauraient oblitérer l’essentiel : Lana Del Rey écrit des chansons merveilleuses. Video Games et Blue Jeans, pop songs toxiques au glamour luxuriant, réveillent les fantômes de James Dean et Marilyn dans un écrin romantique digne de Chris Isaak. Nouvelle icône d’une Amérique fantasmée, l’autoproclamée « Gangsta Nancy Sinatra » pose ses valises à Paris. These lips are made for singing. ♦


© Edward Mapplethorpe

Patti Smith

L’AGENDA _Par W.P.

Battles

Le désormais trio math-rock vient dérouler son Gloss Drop, collage chirurgical d’instrumentaux complexes et de rythmiques implacables. Tyondai Braxton a quitté le champ de bataille, mais John Stanier se lève toujours pour frapper sa cymbale et rameuter les troupes. Le 15 novembre à La Machine du Moulin Rouge, à par tir de 20h30, 25 €

Loney Dear

Le Suédois multi-instrumentiste Emil Svanängen vient présenter Hall Music, sa nouvelle symphonie pop au lyrisme soutenu. En 2009, Loney Dear montait sur scène avec un orchestre de chambre. Va-t-il cette fois transformer la Flèche en église ? Le 19 novembre à la Flèche d’or, à par tir de 19h30, 13,80 €

Patti Smith

Icône punk, clocharde céleste, poétesse intemporelle toujours en éveil, commandeur des Arts et des Lettres, Patti Smith, 64 ans, clôt sa tournée française dans l’Olympe parisien. Gloria. Les 21 et 22 novembre à l’Olympia, à par tir de 20h, de 34,10 € à 60,50 €

Herman Dune

Le trésor folk-rock national invite ses fans dans l’écrin du Casino de Paris pour y déployer sa Strange Moosic sortie cette année. Solos de guitare de David, batterie sèche de Neman, basses rondelettes de Ben Pleng, chansons-joyaux. Le jeudi 24 novembre au Casino de Paris, à par tir de 20h, de 29,70 € à 33 €

Panda Bear

L’angelot d’Animal Collective vient chanter les chœurs solitaires de son dernier Tomboy. Entre psychédélisme enfantin, liturgie païenne et transe électronique, Panda Bear est bien la plus belle voix de la chorale animale. Le 29 novembre à la Gaî té lyrique, à par tir de 20h, 27,50 €

My Brightest Diamond

Shara Worden chante sa nouvelle vie à Detroit et sa récente maternité sur l’excellent All Things Will Unwind, bijou pop folk de cordes, bois et vents ciselés. De visu, c’est virtuose. Le 29 novembre au Café de la danse, à par tir de 19h30, 22 €

Kitsuné Maison en vrai ! #10

Pour la sortie de sa douzième compilation Maison, le label parisien invite ses petits renards londoniens Citizens ! (catchy pop), Theme Park (du David Byrne sous MDMA) et Life in Film. Rock et dancefloor, comme à la maison. Le 1 er décembre à La Maroquinerie, à par tir de 19h30, 19,80 €

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© Kriss Macotta

SORTIES EN VILLE CONCERTS

LOGE TENDRE A NNI V ERS A IR E La Loge, 77 rue de Charonne, 75011 Paris, w w w.lalogeparis.fr Holden sera en concer t les 18 novembre et 9 décembre, dès 20h, 12 € Souscription sur ht tp://fr.ulule.com/la-loge

La petite salle du XIe arrondissement vient de souffler ses deux bougies. Logeant musique, théâtre et danse à la même et bonne enseigne, La Loge fait rimer diffusion et proximité, création et intimité, au plus près des artistes. _Par Wilfried Paris

Gaspard Proust, Rover, Mina Tindle, Bertrand Belin, JP Nataf, le Club de la vie inimitable, Das Plateau, Lail Arad…), La Loge inscrit son travail dans la durée en organisant des rendez-vous (les Siestes acoustiques de Bastien Lallemant ou les lundis découvertes du tourneur Asterios) et des résidences à l’année, qui mettent la salle à disposition pour des répétitions et des moments de travail, comme un laboratoire musical.

Au 77 de la rue de Charonne, au rez-de-chaussée d’une charmante cour du XIXe siècle, se trouve La Loge, une petite salle de spectacles pouvant accueillir quatrevingt personnes assises ou cent debout. Depuis 2009, ce théâtre de poche modulable, agrémenté d’un bar et géré par une jeune équipe, accueille spectacles vivants (théâtre, danse, performance), concerts, soirées pluridisciplinaires et formes originales. Selon Alice Vivier, sa directrice, « l’enjeu est de proposer une programmation de qualité favorisant la jeune création, de faire [du] lieu un espace ouvert aux mélanges, brouillant les frontières et les disciplines. » En sus d’une programmation exigeante et variée (Albin de la Simone, Zaza Fournier,

Le groupe parisien Holden apprécie cet exercice, qui « permet non seulement un renouvellement du répertoire, mais aussi une captation à vif des réactions d’un auditoire sur un matériel qui n’a pas été enregistré auparavant ». Armelle Pioline et Mocke se produiront ainsi une fois par mois jusqu’en juin, incluant à leur élégante pop française un nouveau batteur et des invités (l’artiste Anne Müller pour la scénographie, Alex Simonet et Emmanuel Meneghini au dispositif vidéo). Seul ombre au tableau, La Loge survit difficilement grâce à ses seules recettes et vient de lancer une souscription sur le site Ulule. Mais la meilleure façon de soutenir la salle, c’est encore d’aller voir ce qu’il s’y passe. ♦

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© DR

LES NUITS DE…

Luke Jenner, chanteur et guitariste de The Rapture

« Être éloigné de DFA [en sortant le précédent album chez Universal, ndlr] a été la chose la plus douloureuse que j’ai endurée en ce qui concerne la musique. Je me sens enfin connecté à nouveau à mes racines, ma maison si vous voulez. Je ne dis pas qu’on a navigué en douceur tout le temps, il y a eu un tas d’emmerdes considérables par le passé, mais ce n’est plus que de l’eau sous les ponts. Je suis heureux d’être de retour. J’ai grandi avec ces gens, Nancy Whang, Juan MacLean, Marcus Lambkin [alias Shit Robot], Gavin Russom, Holy Ghost !. DFA a vraiment un esprit de famille. Avant, je détestais quand James Murphy faisait tous ces commentaires sur son rôle de “père” au sein du label, mais, en fin de compte, c’était et c’est encore complètement vrai. I love you dad. » _Propos recueillis par W.P. We Love DFA, avec The Rapture, Shit Robot, Planningtorock, Yacht et The Juan MacLean, le samedi 19 novembre à partir de 20h au 104, 31,80 €

©Tigersushi

L’OREILLE DE…

Joakim, musicien et patron du label Tigersushi

« Cette année, j’ai adoré l’album de Metronomy. Dans le registre pop, c’est vraiment bien écrit, avec une production subtile. Je suis content de voir qu’ils rencontrent un tel succès en France. Sinon, dans les artistes contemporains, je me sens proche d’un musicien comme Caribou, par exemple, qui a comme moi des aspirations pop tout en étant attiré par l’expérimentation sonore et les courants plus en marge de la musique de ces cinquante dernières années. Je ne vais pas citer à nouveau James Murphy (oups) parce qu’on m’a trop décrit comme le James Murphy français ces derniers temps, ce qui dans la bouche des Français autoflagellateurs ne sonne pas forcément comme un compliment, ha ha ha ! » _Propos recueillis par W.P. Nothing Gold de Joakim ( Tigersushi / Module) Joakim sera en concer t à La Machine du Moulin Rouge le 19 novembre, dans le cadre de la soirée Versatile 15 ans, et le 23 novembre à La Boule noire

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© Berger&Berger

SORTIES EN VILLE EXPOS

Ghost Towns de Berger&Berger (2009)

LE MONDE EN VRAC A R T CON T EMPOR A IN Altered States de Berger&Berger, jusqu’au 24 novembre à l’espace Rosascape, 3 square Maubeuge, 750 09 Paris, w w w.rosascape.com

Moitié plasticien moitié architecte, le duo BERGER&BERGER investit l’espace Rosascape avec des pièces reposant sur les notions d’apparition et de disparition. Entre transfert et projection, ils délivrent leurs visions du monde dans tous ses états.

le sol, Parquet Vassivière se compose de plusieurs lattes dont la matière noire provient de la poussière de souches immergées depuis 1950 dans le lac artificiel jouxtant le Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière. Deux empreintes symétriques en plâtre (Notus Loci) formalisent ici leur récente intervention sur l’extension de ce centre d’art du Limousin.

Plateforme d’édition et de création contemporaine dirigée par Alexandra Baudelot, Rosascape est aussi un lieu d’exposition logé dans un somptueux appartement bourgeois du IXe arrondissement. Parquet ancien, moulures et cheminées achèvent de lui conférer une dimension hautement domestique. Après les artistes Benoît Maire et Vittorio Santoro, c’est au tour de Berger&Berger de se frotter à cette espèce d’espace défiant les lois du white cube. Dans leur exposition baptisée Altered States, évoquant les « états altérés » de la matière comme du monde, les frères Laurent P. et Cyrille Berger, respectivement plasticien et architecte, proposent plusieurs pièces jouant avec les éléments physiques et décoratifs du lieu. Posé à même

En contrepoint à Astre Blanc, un globe en porcelaine blanche aux contours irréguliers et vierge de tout repère géographique, Ghost Towns figure une carte du monde : noir et presque menaçant, il (dis)paraît en négatif, laissant émerger quelque mille villes « fantômes », rayées de la carte pour cause de catastrophe naturelle, industrielle, économique ou géopolitique. Une façon de révéler ces cités qui continuent à habiter notre monde à travers leur histoire et les récits qui en comblent l’absence. Un vent d’entropie semble souffler sur cette exposition en noir et blanc, où les colonnes en acier noir de Vanishing Point, tels des étais, feignent de soutenir le plafond – et le monde, qui, en constante métamorphose, pourrait bien, un jour, s’écrouler et disparaître. ♦

_Par Anne-Lou Vicente

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Pinacothèque vaticane, Rome – Musées du Vatican, Cité du Vatican © 2011. Photo Scala, Florence»

Fra Angelico, Épisodes de la vie de saint Nicolas : la naissance, la vocation et le don aux trois jeunes filles pauvres, vers 1437

L’AGENDA

_Par L.C.-L. et A.-L.V.

Until it Makes Sense

Empruntant son titre à celui d’une œuvre de l’artiste mexicain Mario Garcia Torres, cette exposition regroupe un ensemble de pièces, issues de la collection de la Fondation Kadist, qui rendent compte des transformations liées au temps. Entre référence à ce qui a été, latence et projection. Jusqu’au 11 décembre à la Kadist Ar t Foundation, 19bis-21 rue des Trois-Frères, 75018 Paris, w w w.kadist.org

Guillaume Leblon

Sculpture et installation sont pour cet artiste, nominé au prix Marcel-Duchamp 2011, deux médiums de prédilection auquel il a recours pour matérialiser la mémoire et l’histoire. Jusqu’au 23 décembre à la Fondation d’entreprise Ricard, 12 rue Boissy-d’Anglas 750 08 Paris, w w w.fondation-entreprise-ricard.com

Fra Angelico et les maîtres de la lumière

Il fallait jusqu’ici se rendre en Italie pour admirer l’œuvre spirituelle de Fra Angelico, maître du quattrocento rarement exposé chez nous. Le Musée Jacquemart-André rétablit cette lacune et prend pour l’occasion des airs de Galerie des Offices florentine. Jusqu’au 16 janvier au Musée Jacquemar t-André, 158 boulevard Haussmann, 750 08 Paris, w w w.musee-jacquemar t-andre.com

Diane Arbus

Consacrée au Moma en 1972, un an après son suicide à New York, Diane Arbus passa comme une bombe dans l’histoire de la photo. Cette rétrospective magistrale plonge au cœur de son génie à travers 200 photos, dont de nombreux inédits, dans lesquelles la dégénérescence devient norme. Jusqu’au 5 février au Jeu de paume, w w w.jeudepaume.org

Jesper Just : This Unknown Spectacle

Pour sa première exposition monographique dans une institution française, le jeune artiste danois présente six films – dont une nouvelle production réalisée cet été à Paris. Malgré l’absence de narration, les questions d’identité, d’humanité et de société se trouvent au cœur de ces tableaux. Jusqu’au 5 février au Mac/ Val, Vitr y-sur-Seine, w w w.macval.fr

Cézanne et Paris

Le musée du Luxembourg défait en 80 œuvres le stéréotype qui associe exclusivement Cézanne à la Provence. Ici, point de montagne SainteVictoire et d’agrumes gorgés de soleils, mais un focus sur la période parisienne du père de la modernité. Jusqu’au 26 février au musée du Luxembourg, w w w.museeduluxembourg.fr

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© musée du quai Branly - photo : Gautier Deblonde

SORTIES EN VILLE EXPOS

Mains baladeuses E T HNOL OGIE Maori, leurs trésors ont une âme, jusqu’au 22 janvier au musée du Quai Branly, w w w.quaibranly.fr

On n’en connaît que les tatouages tribaux et le haka pratiqué par les rugbymen. Le Quai Branly transporte à Paris la culture Māori, installée en NouvelleZélande au tournant du premier millénaire. Un parcours aussi grandiose qu’intime, tout en doigté. _Par Laura Pertuy

Une pierre lisse et vallonnée reçoit les caresses de mains étrangères. Drôle d’entrée en matière pour l’exposition Māori, qui a voyagé depuis le musée Te Papa Tongarewa, en Nouvelle-Zélande, où elle a été conçue pour dévoiler ses taonga (trésors ancestraux) aux regards européens. La disposition audacieuse des objets, dont la reproduction à échelle réelle d’une « maison de réunion » aux panneaux magistraux, souligne leur forte appartenance à un système généalogique où la transmission est maîtresse. Car, si les croyances et le passé infusent la communauté māori, ils doivent ici s’infiltrer dans nos conceptions préétablies. C’est pourquoi l’exposition convoque 98

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presque tous les sens, proposant notamment de parcourir les contours de divinités locales de la main. Cette communion avec les 250 œuvres s’amplifie dans le face-àface étrange qu’offre une série de statues imposantes et vertueuses. On scrute, curieux, ces visages bientôt rendus modernes dans un documentaire sur la puissance du moko, tatouage tribal à la signification très personnelle. Déclarée indépendante en 1947, la Nouvelle-Zélande a progressivement privé les Māori de leur terre et littoral. De nombreux documents illustrent, dans l’exposition, les revendications d’un peuple dont la mana (force des choses dans la nature) ne s’est jamais affaiblie pour se faire entendre. Les visiteurs s’immobilisent le temps d’une représentation de haka, danse traditionnelle accompagnée d’un chant vaporeux et enchanteur, où de jeunes Maoris se meuvent avec grâce au son d’une guitare. Puis s’entremêlent dans un parcours instinctif pendentifs en jade, splendides capes de composition végétale, représentations picturales féminines à la Frida Kahlo… Un tourbillon paisible où art contemporain et traditions ancestrales se donnent la main, dans un dialogue constant et tactile. ♦


© Walid Raad, Courtesy Paula Cooper Gallery, New York

LE CABINET DE CURIOSITÉS

Extrait de Let’s Be Honest, The Weather Helped de Walid Raad / The Atlas Group (1998-2006 )

La guerre vue du ciel

Explorer et figurer l’espace de la guerre sans cris, sans larmes, sans corps. Telle est l’ambition de la nouvelle exposition du Bal, espace né il y a un an, consacré à l’image-document et présidé par Raymond Depardon. Dans une vidéo à la beauté froide (Shadow Sites II), l’artiste contemporaine Jananne Al-Ani simule par la seule force de son montage la trajectoire d’un obus en chute. Un procédé qui aimante littéralement le regard. Remarquable, aussi, l’émouvante série photographique de Paola de Pietri qui, en shootant le paysage des Alpes, profondément marqué par la guerre, parvient à personnifier la Terre à travers ses cicatrices. Chaque tranchée devient ainsi une béance symbolique, une plaie à jamais ouverte. _L.C.-L. Topographies de la guerre, jusqu’au 18 décembre au Bal, 6 impasse de la Défense, 75018 Paris, www.le-bal.fr

© Martine Franck Magnum Photos

L’ŒIL DE…

Yaacov Agam, 2010 de Martine Franck

Martine Franck, photographe

« J’ai toujours su que je voulais être photographe. La photographie est mon alibi pour rencontrer des gens. Tout a commencé en 1965, après mes études d’histoire de l’art. Mon premier appareil photo fut un Canon que j’avais acheté au Japon avec Ariane Mnouchkine, lors d’un voyage décisif dans ma vie. [On] venait de terminer [nos études], on s’est dit qu’on irait en Asie ensemble pour découvrir le théâtre d’Orient. Elle n’avait pas encore créé le Théâtre du soleil. Elle montait à l’époque Les Petits Bourgeois de Maxime Gorki. De façon évidente, je me suis dit qu’il fallait que je photographie les coulisses, les spectacles d’Ariane. C’était mon amie, elle l’est toujours. Elle m’a donné mon premier but : témoigner d’un spectacle. » _Propos recueillis par L.C.-L. Martine Franck : « Venus d’ailleurs », peintres et sculpteurs à Paris depuis 1945, jusqu’au 8 janvier à la Maison européenne de la photographie, www.mep-fr.org

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SORTIES EN VILLE SPECTACLES

Un ballet nommé désir STA ND -UP

En examinant avec une méticulosité scientifique son fantasme pour Marlon Brando, la danseuse AUDE LACHAISE offre, avec Marlon, un autre standing au onewoman show et à la farce néo-féministe. _Par Ève Beauvallet

On n’a évidemment rien contre l’attitude girl power et les revendications sexuelles des femmes. Mais il faut avouer qu’elles n’ont pas produit que des chefs-d’œuvre. Les Spice Girls dans les années 1990, Sex and the City dans les années 2000… Et aujourd’hui, une nuée de onewoman shows rose bonbon façon « mon mec, mon sex toy et moi », qui encombrent les colonnes Maurice et les couloirs du métro. Face à ces joyaux de l’art dramatique, on est d’autant plus ravi de rencontrer Aude Lachaise et sa première création en solo : Marlon. Jusqu’alors interprète dans les sphères les plus pointues de la danse contemporaine (chez Eszter Salamon ou Mathilde Monnier), aujourd’hui humoriste au grand jour, 100

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Aude Lachaise ressemble un peu à Scarlett Johansson et fantasme beaucoup sur Marlon Brando. Certes, elle n’est pas la première jeune femme respectable à avouer son penchant pour le Parrain, mais la différence, c’est qu’elle a eu l’extravagante idée d’en faire un show autoparodico-biographique sur le thème du désir et de sa mécanique complexe. Dans Marlon, Brando devient vite le prétexte à une conférence universitaire décalée où abondent des propositions sémantiques révolutionnaires, tel l’« embrassement », pendant féminin de la pénétration. Outre une façon presque laborantine de parler cul, Aude Lachaise possède un autre argument pour nous emballer : elle est danseuse, et ce passif lui autorise quelques croquis bien sentis sur le milieu de la danse contemporaine et son système de recrutement par auditions. Maîtriser les ressorts du glamour sans ignorer ceux de l’éloquence, oser le stand-up sans céder à la surenchère de vannes… Les règles du jeu sont claires chez Aude Lachaise et font de Marlon un exercice de néo-féminisme mutin qui sait réconcilier midinettes et chiennes de garde tout en magnétisant les Parrains. Une petite bombe. ♦

© Jérôme Delatour

Marlon, texte et mise en scène d’Aude Lachaise, du 8 au 20 novembre à la Maison des métallos, w w w.maisondesmetallos.org


© Guillaume Perret

Tout est normal mon cœur scintille

L’AGENDA _Par E.B. et E.R.

Cendrillon

Les fantasmagories de Joël Pommerat sont également adressées aux enfants. Avec Cendrillon, et parce qu’il ne les croit ni naïfs, ni crédules, l’auteur et metteur en scène adapte un conte aux couleurs contrastées, plus proches de L’Étrange Noël de Monsieur Jack que des bisounours. Du 5 novembre au 25 décembre au Théâtre de l’Odéon, Ateliers Ber thier, w w w.theatre-odeon.fr

Outrage au public

Grands maîtres du théâtre flamand nouvelle vague, les puissants acteurs de la compagnie De Koe s’emparent de l’un des textes les plus dissidents des scènes contemporaines. Le titre parle de luimême : Outrage au public de Peter Handke est un jet venimeux sur les règles du jeu social. Du 8 au 18 novembre au Théâtre de la Bastille, dans le cadre du Festival d’automne à Paris, www.festival-automne.com

Feue

La mort de Pina Bausch, en 2009, a engendré une somme d’hommages chorégraphiques plus ou moins heureux. Citons ici un heureux en Feue, du nouveau directeur du Centre chorégraphique national de Tours, Thomas Lebrun, maître ès burlesque et cousin germain de l’expressionisme. Les 9 et 10 novembre au Centre national de la danse, www.cnd.fr

Tout est normal mon cœur scintille

Parcours par cœur. Le palpitant brillant de Jacques Gamblin – à l’écriture et sur scène – embarque acteur comme spectateur dans un ballet d’idées, tout en ruses poupées russes, valsées sur la pointe de pieds lumineux par un duo de danseurs hypnotiques. Du 11 novembre au 3 décembre au théâtre du Rond-Point, w w w.theatredurondpoint.fr

Ex vivo / In vitro

Pionnier des hybridations entre théâtre et science, le metteur en scène Jean-François Peyret présente sa nouvelle création autour des technologies du vivant. Naître ou ne pas naître, telle est la question. Du 17 novembre au 17 décembre au théâtre de La Colline, w w w.colline.fr

Exécutions

Occupé depuis dix ans à explorer par la danse les révolutions de l’histoire de l’art, le chorégraphe Herman Diephuis s’attarde dans cette pièce sur l’idée de chute (symbolique ou physique, de la chute du paradis au vol d’Icare) en remontant le cours du temps, depuis l’écroulement jusqu’à la verticalité. Les 22 et 23 novembre à la Ménagerie de verre, 12-14 rue Léchevin, 75011 Paris, dans le cadre du festival Les [In]accoutumés, www.menagerie-de-verre.org

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© Johan Persson

SORTIES EN VILLE SPECTACLES

Extrait de Impressing the Czar

Forsythe, fortiche D A NSE Artifact, du 24 au 30 novembre ; Impressing the Czar, du 6 au 10 décembre ; Sider, du 15 au 17 décembre au Théâtre national de Chaillot, w w w.theatre-chaillot.fr

Inventeur du ballet post-classique et héritier favori au titre de monstre sacré de la danse mondiale, l’intempestif WILLIAM FORSYTHE présente un programme en trois ballets à Chaillot. _Par Ève Beauvallet

C’est un schéma, certes, mais pendant des décennies, la danse contemporaine fut structurée par deux pôles : l’Américain Merce Cunningham d’un côté, l’Allemande Pina Bausch de l’autre. Depuis la disparition de ces deux grands maîtres en 2009, on voit le milieu de la danse s’en chercher d’autres, et les candidats les plus fédérateurs sont William Forsythe et Anne Teresa De Keersmaeker. Jusqu’à la fin de l’année, Chaillot se penche sur le premier en programmant trois de ses œuvres : Artifact (1984) et Impressing the Czar (1988), deux ballets cultes interprétés pour l’occasion par le Ballet royal de Flandre, et sa nouvelle création Sider, présentée par The Forsythe Company. 102

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Né à New York, exilé en Allemagne pour diriger le Ballet de Francfort de 1984 à 2004, William Forsythe est celui qui, depuis trente ans, parvient à fédérer amoureux de danse académique et défenseurs de chorégraphies expérimentales plus corrosives, mais aussi à s’entourer d’architectes (Daniel Libeskind), de couturiers (Gianni Versace, Issey Miyake) et de musiciens (Thom Willems) de renommée internationale. Forsythe est un avant-gardiste infiltré dans l’univers du ballet classique. Il chorégraphie comme les hackers piratent les systèmes informatiques, il en déconstruit et recombine les codes. Les trois ballets présentés à Chaillot montrent bien les lignes de force de son vocabulaire : des membres étirés jusqu’à la dislocation, une vitesse d’exécution poussée au-delà du virtuose, des déséquilibres rattrapés de justesse. C’est sans doute Impressing the Czar qui donne l’idée la plus complète de l’art de Forsythe. Traité ironique d’histoire de la danse, avec débauches de costumes et de styles chorégraphiques occidentaux (des plus académiques aux plus grotesques), cette reprise attendue est sans doute son meilleur costume de candidat. ♦


© Joris Lacoste

LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIFIÉ

Le Vrai Spectacle

Dormir au théâtre, tout le monde le fait. Sauf que, d’ordinaire, tout le monde essaie de dormir discrètement. Ne vous donnez plus cette peine avec Le Vrai Spectacle mis en scène par Joris Lacoste, puisque le mi-sommeil y est volontairement provoqué. Passionné par l’hypnose, qu’il a déjà utilisée comme base artistique dans plusieurs performances ou installations (Hypnographie et Le Cabinet d’hypnose), l’ancien directeur des Laboratoires d’Aubervilliers tente ici l’endormissement d’une salle entière. Cette fois, le spectacle n’est pas sur scène mais dans votre tête. On évitera tout de même boules Quies et autres doudous. _E.B. Du 9 au 19 novembre au Théâtre 2 Gennevilliers, dans le cadre du Festival d’automne à Paris, www.theatre2gennevilliers.com et www.festival-automne.com

© Taki Bibelas

DIRTY DANCING

Keren Ann et Bardi Johannsson

Red Waters

Entre légendes d’antan, fées mélancoliques et douceur sylvestre, le duo Lady & Bird (Keren Ann et Bardi Johannsson) a écrit une histoire d’amour triste entre deux jumeaux, épris l’un de l’autre sans connaître leurs liens familiaux. Red Waters devient aujourd’hui un opéra fédérant plusieurs figures liées à la culture islandaise : un chœur seconde l’Orchestre de l’Opéra de Rouen et le poète Sjón, parolier de Björk, a assuré la co-écriture du livret. Enfin, la mise en scène est signée Arthur Nauzyciel, déjà parti créer en 2009 Le Musée de la mer à Reykjavik, avec l’auteur Marie Darrieussecq. Un conte automnal aux reflets glacés, créé à l’occasion du sixième festival Automne en Normandie. _E.B. Du 4 au 6 novembre à Rouen, le 9 à Évreux, dans le cadre du festival Automne en Normandie, w w w.automne-en-normandie.com

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© Bruno Verjus

SORTIES EN VILLE RESTOS

Hiroki Yoshitake (à gauche) et Youlin Li, créateurs de Sola

NIPPON SUSPENDU L E CHEF Sola, 12 rue de l’Hôtel-Colber t, 750 05 Paris. Tél. : 01 43 29 59 04, w w w.restaurant-sola.com

Entre la place Maubert et Notre-Dame, le rez-de-chaussée d’un immeuble du XVIIe siècle abrite Sola, joyaux de la gastronomie franco-nippone où HIROKI YOSHITAKE revisite nos légumes à sa sauce. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)

L’endroit est feutré. Calme, douceur, poutres sombres, murs à colombages, tables de bois clair ; cette ancienne pension a désormais des airs de ryokan – l’auberge traditionnelle japonaise. Pour passer à table au sous-sol, on échange chaussures contre chaussons. Le chef nippon de la maison, Hiroki Yoshitake, a découvert la cuisine très jeune, grâce à la télévision. Une émission au titre étrange, L’Homme de fer de la cuisine, voyait s’affronter deux chefs connus. Produits, voyages, cuisine, « je trouvais ça génial », dit-il. Il s’inscrit illico à l’école de cuisine de Kyūshū, sa ville natale. Quelques années plus tard, il ouvre une adresse à Singapour, puis entame un tour du monde qui le conduit au pays « des produits et des artisans » : la France. À Paris, il travaille avec Pascal 104

novembre 2011

Barbot, le chef triplement étoilé de L’Astrance, puis avec William Ledeuil chez Ze Kitchen Galerie. Débute alors sa rencontre avec le goût des produits, le respect de l’origine, le dialogue avec les producteurs. Hiroki Yoshitake voue aujourd’hui une admiration méritée au maraîcher Joël Thiébault, aux légumes « vivants et cabossés » et aux plants de roquettes « avec les racines ». Les racines de Youlin Li, son associé, sont elles sino-cambodgiennes par son père et tunisiennes par sa mère. Auteur du Sakebar près du Panthéon, Li a apprivoisé la cuisine de Hiroki. Très vite, leur Sola est devenu le temple du produit servi par une cuisine japonaise par essence. Le fois gras de canard « laqué » de miso blanc – une pâte de soja fermenté –, dressé sur un toast de pain de mie grillé, s’offre en bouchée onctueuse aux notes sucrées salées. Les mets fascinent par leur sobriété. Harmonie des goûts, respect des légumes jusqu’à leur racine… Voilà bien le signe objectif d’une cuisine enracinée dans la culture française tout en projetant au mangeur des paysages oniriques japonais de forêts, clairières et étangs brumeux. ♦


© DR

LE PALAIS DE…

Tahar Rahim, comédien

« Je vous conseillerais d’aller goûter les plats de mon Italien favori, Da Mimmo, sur les Grands Boulevards. C’est le chef Cristoforo Manfredi, un Napolitain pure souche, qui concocte tous les plats. En entrée, il prépare une mozzarella di bufala fumée et poêlée, servie avec des tomates cerises et du basilic revenu, c’est excellent, assez unique comme saveur. Il propose également un bon risotto à la truffe noire, des pizzas et des desserts italiens réussis, tiramisu, panna cotta… C’est une cuisine qui sent bon le soleil ! » _Propos recueillis par J.R. et L.T. Da Mimmo, 39 boulevard de Magenta, 75010 Paris. Tél. : 01 42 06 44 47, w w w.damimmo.fr Love and Bruises de Lou Ye, avec Tahar Rahim, Corrine Yam… // Sor tie le 2 novembre Lire également le por trait page 66

© Wild Bunch Distribution

la Recette

La soupe aux chouettes et aux écureuils façon Hideaways

James, le héros maudit de Hideaways, sympathique Twilight indé, nous reçoit dans son cabanon forestier pour une dégustation un peu spéciale : un velouté d’automne aux chouettes et aux écureuils. Tout le charme tient dans le fait qu’il n’indique pas à Mae, sa jeune invitée, la composition de cet audacieux mélange, plus proche du bouillon de sorcière que de la recette de grand-mère. Si elle se délecte dans un premier temps, c’est lorsqu’elle fait le tour de la petite baraque en planches qu’elle découvre le pot aux roses : les dépouilles d’une brochette d’oiseaux nocturnes et autres bestioles indéterminées. Conte de fées ou pas, il ne fait plus bon mettre le nez dehors pour Bambi et ses amis. _D.E. Hideaways d’Agnès Merlet, avec Rachel HurdWood, Harr y Treadaway… // Sor tie le 23 novembre

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SORTIES EN SALLES CINÉMA

L’AGENDA

© 2011 Gaumont - Quad Photo Thierry Valletoux

_Par D.E., C.G., Q.G., E.R., J.R., A.T. et L.T.

Intouchables d’Éric Toledano et Olivier Nakache

02/11 INTOUCHABLES

LA SOURCE DES FEMMES

Philippe, aristo handicapé, engage Driss, qui sort de prison, pour l’assister. Mais ce dernier est peu qualifié pour le job… Le duo Omar Sy et François Cluzet multiplie les vannes affûtées dans un film qui traite du handicap sans pathos.

Dans un village, quelque part entre l’Afrique du Nord et le MoyenOrient, des femmes font la grève de l’amour : pas de sexe tant que les hommes ne les remplacent pas pour aller chercher l’eau de la source.

d’Éric Toledano et Olivier Nakache Avec François Cluzet, Omar Sy… Gaumont, France, 1h52

de Radu Mihaileanu Avec Leï la Bekhti, Hafsia Herzi… EuropaCorp, France, 2h04

SQUAT, LA VILLE EST À NOUS

L’INCROYABLE HISTOIRE DE WINTER LE DAUPHIN

À Barcelone, un collectif s’installe gaiement dans des appartements vides, au grand dam des promoteurs immobiliers. Ce doc de Christophe Coello (Attention danger travail) ouvre grand les fenêtres sur la crise contemporaine.

Un dauphin s’échoue sur une plage, gravement blessé à la queue. Des biologistes marins se mettent alors en tête de lui fabriquer une prothèse de nageoire. Le plus beau, c’est que c’est une histoire vraie.

de Christophe Coello Documentaire Parasite, France, 1h34

de Charles Mar tin Smith Avec Harr y Connick Jr, Morgan Freeman… Warner Bros., États-Unis, 1h52

09/11 NOS ANCÊTRES LES GAULOISES

NOCES ÉPHÉMÈRES

Dix femmes françaises aux origines diverses racontent leur conception de la citoyenneté française à travers une pièce de théâtre. Des personnages attachants dans un documentaire du réalisateur d’En terre étrangère.

Après son service militaire, Kazeem réintègre la maison familiale. Se déroule alors une partie de cache-cache amoureux entre traditions et conventions. Bientôt, cette grande famille attachante voyage vers la grande ville pour un enterrement…

de Christian Zerbib Avec Aurélie Ango-Abore, Germaine Fouya Boukari… Niz !, France, 1h30

MICHAEL

TOUTES NOS ENVIES

Markus Schleinzer, jusqu’ici directeur de casting pour Michael Haneke, s’inspire de faits divers pour poser un regard clinique et distancié sur le quotidien sordide d’un employé d’assurance pédophile et du petit garçon qu’il retient en captivité.

Librement inspiré par un essai d’Emmanuel Carrère, Philippe Lioret (Welcome, Je vais bien ne t’en fais pas) s’attaque à deux sujets d’actualité brûlants : le crédit à la consommation et le cancer.

de Markus Schleinzer Avec Michael Fuith, David Rauchenberger… Les Films du losange, Autriche, 1h34

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de Reza Serkanian Avec Mahnaz Mohammadi, Hossein Farzi Zadeh… Jupiter Communications, France-Iran, 1h18

novembre 2011

de Philippe Lioret Avec Vincent Lindon, Marie Gillain… Mars, France, 2h


ET AUSSI…

2/11

Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan (lire l’article p. 110) Le Vilain Petit Canard de Garri Bardine (lire les articles p. 29 et p. 74) Love and Bruises de Lou Ye (lire l’ar ticle p. 67) Les Géants de Bouli Lanners (lire l’ar ticle p. 74)

9/11

Bonsái de Christian Jimenez (lire l’ar ticle p. 112) Contagion de Steven Soderbergh (lire l’ar ticle p. 24) Mon pire cauchemar d’Anne Fontaine (lire l’ar ticle p. 62) Honk d’Arnaud Gaillard et Florent Vassault (lire l’ar ticle p. 16) Khodorkovski de Cyril Tuschi (lire l’ar ticle p. 16)

16/11

Le Stratège de Bennet t Miller (lire l’ar ticle p. 12) Colorful de Keiichi Hara (lire l’ar ticle p. 114) Sleeping Beauty de Julia Leigh (lire l’ar ticle p. 42) 50/50 de Jonathan Levine (lire l’ar ticle p. 115) Twilight 4 : révélations de Bill Condon (lire l’ar ticle p. 26) L’Ordre et l’Honneur de Mathieu Kassovitz (lire l’ar ticle p. 30) Nuit blanche de Frédéric Jardin (lire l’ar ticle p. 60) Jeanne captive de Philippe Ramos (lire l’ar ticle p. 64) The Black Power Mixtape de Göran Olsson (lire l’ar ticle p. 16)

16/11 QU’ILS REPOSENT EN REVOLTE (DES FIGURES DE GUERRES I)

de Sylvain George Documentaire, France, 2010, 2h33

Entre 2007 et 2010, les conditions de vie précaires des migrants à Calais, lentement dépouillés de leurs droits. Un film sur l’exclusion et le manque de réponse de la part des politiques.

LES NEIGES DU KILIMANDJARO

de Rober t Guédiguian Avec Jean-Pierre Daroussin, Ariane Ascaride… Diaphana, 1h47, France

Contrairement à son titre, tiré d’une chanson de Pascal Danel, la nouvelle comédie de Robert Guédiguian se passe toujours à Marseille, où le couple Daroussin-Ascaride fait front, sur fond de lutte syndicale.

LA FEMME DU Ve

de Pawel Pawlikowski Avec Kristin Scot t Thomas, Ethan Hawke… Haut et Cour t, France-Pologne, 1h25

Nouvelle adaptation, après L’Homme qui voulait vivre sa vie, d’un roman de Douglas Kennedy. La descente aux enfers, teintée de surnaturel et d’érotisme, d’un Américain perdu à Paris (Ethan Hawke).

LES PETITES VOIX

de Jairo Eduardo Carrillo et Oscar Andrade Documentaire d’animation ASC, Colombie, 1h15

Basé sur les dessins et témoignages de garçons de 9 à 12 ans, ce film esquisse l’espoir d’un avenir pacifié face à un conflit armé qui dure depuis 1964. Primé deux fois au festival de Biarritz.

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SORTIES EN SALLES CINÉMA

L’AGENDA _Par D.E., C.G., Q.G., E.R., J.R., A.T. et L.T.

ET AUSSI…

23/11 Toute ma vie en prison

de Marc Evans (lire l’ar ticle p. 16)

Les Révoltés de l’Île du Diable

de Marius Holst (lire l’article p. 16)

À la une du “New York Times” © 2011 DreamWorks Animation LLC. All Rights Reserved

d’Andrew Rossi (lire l’article p. 118)

Donoma

de Djinn Carrénard (lire l’ar ticle p. 118)

Le Tableau de Jean-François Laguionie (lire l’ar ticle p. 76)

L’Art d’aimer d’Emmanuel

Mouret (lire l’ar ticle p. 20)

Time Out

d’Andrew Niccol (lire les ar ticles p. 56 et p. 64)

Or noir de Jean-Jacques

Annaud (lire l’ar ticle p. 66)

30/11 Americano de Mathieu Demy (lire l’ar ticle p. 120)

Le Chat Potté de Chris Miller

23/11 LE CASSE DE CENTRAL PARK

LES ADOPTÉS

Après Very Bad Cops et Comment savoir, l’ombre de Bernard Madoff plane à nouveau sur une comédie U.S. Sympathique ode à la solidarité, ce casse improbable dans un hôtel signe le retour de Murphy, plus hâbleur que jamais.

Touche-à-tout, Mélanie Laurent passe pour la première fois derrière la caméra. Avec cette histoire de sœurs orphelines et inséparables, la jeune cinéaste jongle entre drame et comédie, rappelant parfois un certain Cédric Klapisch.

de Bret t Ratner Avec Ben Stiller, Eddie Murphy… Universal, États-Unis, 1h45

de Mélanie Laurent Avec Mélanie Laurent, Denis Ménochet… Studio Canal, France, 1h40

HIDEAWAYS

CONTRACORRIENTE

Génération après génération, les garçons de la famille Furlong sont dotés d’un pouvoir qui sonne comme une malédiction. James n’échappe pas à la règle. Un film aux allures de conte de fées macabre, où l’amour reste l’ultime salut.

Un petit village du Pérou. Miguel, marié et bientôt père, vit une histoire d’amour clandestine avec un peintre. Bijou de subtilité, le film convoque le fantastique pour parler de la difficulté pour Miguel d’assumer sa nature.

d’Agnès Merlet Avec Rachel Hurd-Wood, Harr y Treadaway… Wild Bunch, France-Irlande, 1h35

de Javier Fuentes-León Avec Cristian Mercado, Manolo Cardona… France-Allemagne-Pérou-Colombie, 1h40

30/11 FOOTNOTE

LE CHEVAL DE TURIN

Un père reçoit, suite à un malentendu, une haute distinction à la place de son fils. Ces imbroglios dans le monde de la recherche ont valu à l’Israélien Joseph Cedar le Prix du scénario à Cannes, en mai dernier.

Un paysan, sa fille et leur cheval vivotent en attendant la fin d’une tempête. Une expérience hiératique en noir et blanc du plus grand cinéaste hongrois, qui signe ici, selon lui, sa dernière œuvre.

de Joseph Cedar Avec Lior Ashkenazi, Shlomo Bar-Aba… Haut et Cour t, Israël, 1h45

THE LADY

LE CHAT POTTÉ

Luc Besson revient à la mise en scène là où on ne l’attend pas avec ce biopic qui raconte le combat politique d’une femme d’exception : Aung San Suu Kyi. Michelle Yeoh est habitée par ce projet, qu’elle défend et porte depuis sa genèse.

Face à l’engouement pour le personnage du chat aux yeux mouillés de Shrek, le réalisateur du troisième volet a décidé de lui offrir son film, qui rembobine sur la jeunesse aventureuse du matou.

de Luc Besson Avec Michelle Yeoh, David Thewlis… EuropaCorp, France, 2h10

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de Belà Tarr Avec Miroslav Krobot, janos Derzi… Sophie Dulac, France-SuisseHongrie-Allemagne, 2h26,

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de Chris Miller Animation, avec les voix d’Antonio Banderas et Salma Hayek Paramount, États-Unis, durée n/c


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© Memento Films Distribution

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SORTIES EN SALLES CINÉMA

Ronde de nuit IL ÉTAIT UNE FOIS EN ANATOLIE

de Nuri Bilge Ceylan Avec : Muhammed Uzuner, Yılmaz Erdogan… Distribution : Memento Films Durée : 2h37 Sor tie : 2 novembre

Thriller drôle et mélancolique, épopée mordante et vénéneuse, le sixième long métrage du réalisateur turc NURI BILGE CEYLAN se promène hors des sentiers battus. _Par Donald James

Nuri Bilge Ceylan a tourné ses premiers films (Kasaba, Nuages de mai) en Anatolie. Des histoires qui, jusqu’aux Climats (2007), sont inspirées par une matière autobiographique. Puis, depuis Les Trois Singes (2009), il s’est mis à emprunter les chemins de la fiction pure, plus précisément ceux « du polar » – entre guillemets, car les films de ce cinéaste poète sont comme ces histoires que l’on écoute au coin du

feu pour se protéger de la mélancolie provoquée par l’irruption de la nuit. Présenté lors du dernier Festival de Cannes, Il était une fois en Anatolie commence un soir et se termine au lever du jour. Ce bloc de temporalité (2h37) entier et vertigineux, propose un voyage non pas en Turquie – dont on aperçoit à peine la steppe –, mais dans la nuit des temps. Un soir, un convoi de voitures, avec à son bord un procureur, un docteur et une équipe de policiers qui conduisent un tueur à la recherche du corps de l’homme qu’il a assassiné. C’est moins la résolution de l’enquête que ses contours que le réalisateur, admirateur de Tchekhov, fin psychologue et grand farceur, met en scène. Tout dans ce voyage semble sans importance et pourtant rien n’est insignifiant. Attentif au silence, au moindre bruissement, Ceylan illumine le trivial d’une aura de grâce. Son film nous rappelle que les hommes ont beau être doués de parole, ils ne s’écouteront jamais. ♦

3 questions à

Nuri Bilge Ceylan Est-ce difficile, pour vous, de réaliser des films en dehors des codes du cinéma mainstream ? Non, pas du tout. Ce film a demandé un budget très important, car nous devions suivre un convoi de voitures dans la steppe et nous emportions avec nous tout le matériel, la cantine et les générateurs. Mais je pourrais refaire des films à petit budget s’il le fallait. Je pense que de nos jours, où tout va très vite, les gens ont de plus en plus besoin de films comme les miens, qui offrent une alternative. Comment décryptez-vous l’irruption d’un train dans la première moitié du film ? Parfois, quand vous regardez un feu, vous méditez, vous passez d’une idée à une autre sans faire très attention. Le train est là pour offrir un pont entre une idée et une autre. Il va emmener votre imagination vers un autre horizon. Depuis Les Trois Singes, votre cinéma n’est plus autobiographique. Que s’est-il passé ? Je me suis inspiré de ma vie pour faire des films car c’était la seule chose que je connaissais. Plus j’avance dans le cinéma, plus je prends confiance en moi.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour découvrir un film noir magistral, signé par l’un des plus grands cinéastes de notre temps. Carrément.

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2… Pour la beauté plastique et sonore éclatante du film, récompensé par le Grand prix du jury lors du dernier Festival de Cannes.

3… Pour le curieux mélange des tons, entre mélancolie et comédie, incarné par des comédiens d’une grande justesse.


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© UFO distribution

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SORTIES EN SALLES CINÉMA

FILM DE POCHE Bonsái

de Cristián Jiménez Avec : Diego Noguera, Natalia Galgani… Distribution : UFO Durée : 1h35 Sor tie : 9 novembre

Sexe, mensonges et littérature. Découverte du dernier Festival de Cannes, Bonsái, deuxième long métrage du jeune Chilien Cristián Jiménez, est un grand petit film.

_Par Laurent Mattei

Lorsque le professeur de littérature demande aux élèves qui a lu Proust, Julio, de peur du ridicule, lève la main. Il ne l’a pas encore lu, mais tombera, grâce à ce mensonge, amoureux d’Emilia. Des années plus tard, lorsqu’il s’agit d’avouer à sa nouvelle compagne, Blanca, qu’il n’a pas décroché le job d’assistant d’un célèbre écrivain, Julio, à nouveau, n’avoue pas… À la place, il écrit un

livre sur sa première et grande histoire d’amour : Emilia. Ainsi, par deux fois, dès le début du film, Julio ment. Et de ce double mensonge naît une destinée. Ou plutôt une fiction. Car c’est au fond la même chose, nous dit Cristián Jiménez, qui signe ici, pour son deuxième long, une somptueuse élégie, toute en légèreté et décalages comiques. Adapté d’un roman d’Alejandro Zambra, Bonsái impressionne par sa maîtrise formelle : les cadres tirés à quatre épingles s’y succèdent sans aplomb, dans un écheveau narratif qui rappelle tantôt Truffaut ou Rohmer (les liens étroits entre la littérature et la vie, les questionnements existentiels), tantôt Jarmusch ou Kaurismäki (un héros ahuri errant dans monde absurde). La sensualité miraculeuse de chaque plan et la capacité de Jiménez à provoquer l’émotion avec trois fois rien font de Bonsái un parfait film de poche, de ceux qui se glissent un jour dans votre veste, sans crier gare, et n’en sortent plus. ♦

3 questions à

Cristián Jiménez Comment vous êtes-vous intéressé au livre d’Alejandro Zambra ? À 20 ans, je m’intéressais plus à la littérature qu’au cinéma. Après des études de sociologie, j’ai commencé à écrire des scénarios pour des amis. Le livre de Zambra est très connu au Chili. Pour les trentenaires comme moi, nés après le coup d’État de Pinochet, c’est un livre important, qui parle du désœuvrement de notre génération. Les dialogues comptent beaucoup dans Bonsái, mais vous ne négligez pas la chair pour autant… La sensualité est une chose à laquelle je ne m’étais pas confronté dans mes précédents films, où les personnages étaient plus abstraits, conçus en fonction d’un espace. Cette fois, je voulais me rapprocher d’eux, observer leurs corps comme on peut observer une plante. Julio est un modèle de personnage velléitaire : il va où le vent le porte. Vous sentez-vous proche de lui ? On est toujours proche de ses personnages, même si la vie de Julio n’est pas du tout la mienne. Ce qui me plaît chez lui, c’est qu’il appelle à la fiction. Je suis moi-même un militant de la fiction.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Deux ans après Ilusiones Opticas, Jiménez ne cède jamais à la coquetterie, par son sens très sûr de la sensualité, du rythme et de l’humour.

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2… Tous inconnus jusqu’ici, les acteurs sont tous formidables. Le spectateur s’identifiera vite à l’un ou à l’autre…

3… Film littéraire, Bonsái l’est dans le meilleur sens du terme : chez Jiménez, la stylisation n’est pas synonyme de prétention.


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SORTIES EN SALLES CINÉMA

Réanimation Colorful de Keiichi Hara (animation) Avec les voix (en V.O.) de : Kazato Tomizawa, Aoi Mi ya z ak i… Distribution : Eurozoom Durée : 2h07 Sor tie : 16 novembre

Prix du public et mention spéciale du jury au Festival d’Annecy, Colorful suit la quête d’identité d’un adolescent suicidaire et insuffle un surplus d’âme à l’animation japonaise. _Par Julien Dupuy

C’est par le regard d’une âme errant dans les limbes que l’on entre dans Colorful. Le lieu est sombre, l’ambiance empreinte d’une angoisse sourde. Soudain, un angelot apporte un rayon d’espoir inattendu : une seconde chance de rejoindre le monde des vivants. L’âme accepte et, au bout d’une chute euphorisante vers la Terre, s’incarne en un jeune garçon élevé au sein d’une famille

bien sous tous rappor ts. L’adolescent, pourtant, vient bien de revenir d’une tentative de suicide… Débute alors sa quête d’identité. Comme c’était déjà le cas dans Un été avec Coo, Keiichi Hara confirme que le fantastique n’est, chez lui, jamais une fin en soi. Dans un Japon où la pudeur est élevée au rang d’art de vivre, l’intrusion du surnaturel dans le quotidien s’avère le moyen idéal de révéler le cœur de personnages brisés. C’est l’objectif du héros de Colorful : désosser l’armure de la bienséance pour révéler les failles de chaque être et réapprendre à les aimer pour ce qu’ils sont réellement. Adultère, prostitution, autodestruction, lâcheté ; aucun personnage n’est innocent ici. Paradoxalement, c’est pour leurs défauts que le héros, et avec lui le spectateur, apprendra à les aimer au terme d’un voyage sentimental aussi grisant qu’éprouvant. ♦

3 questions à

Keiichi Hara Quelle est l’origine de ce film ? En voyant mes films de la série Crayon Shin-chan, le président du studio Sunrise m’a embauché pour cette adaptation du roman d’Eto Mori. Mon film est fidèle à l’œuvre originale. J’ai juste ajouté la séquence du tramway et changé l’apparence physique de Pura-Pura, qui dans le roman était un adulte ailé. Comment avez-vous pensé la scène du repas familial, qui est au cœur de Colorful ? Je l’ai story-boardée dans le détail, avec énormément d’annotations. Et j’ai mis dessus mes meilleurs animateurs. Tout se jouait sur le détail, un petit haussement de sourcil, une ligne de regard légèrement décalée. Techniquement parlant, c’était la scène la plus compliquée du film. Comment traiter d’un sujet de société aussi polémique que la prostitution adolescente ? Il me semble que le public actuel cherche une réponse toute faite aux problèmes soulevés dans les films. Or, il est à mon sens impossible de répondre à un problème de ce type en deux heures. Pour moi, un bon film doit susciter le débat après la projection.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour assister à la naissance d’un auteur. Après Un été avec Coo (2007), Keiichi Hara confirme qu’il est l’un des grands cinéastes japonais actuels.

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2… Pour l’art d’aborder des sujets polémiques, comme la prostitution adolescente, le suicide ou l’adultère, sans jugement ni condescendance.

3… Pour la longue séquence de repas familial, tout en émotions retenues, d’une justesse et d’une finesse rarement atteintes dans l’animation.


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© Metropolitan FilmExport

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CANCER ET CONTRE TOUS Du duo Joseph GordonLevitt et Seth Rogen, on attendait des étincelles comiques sur un sujet aussi grave que le cancer. Mais, à défaut de feu d’artifice, 50/50 préfère l’intelligence d’un traitement à hauteur d’homme. _Par Renan Cros

50/50 n’est pas un film aimable. Ce n’est ni la comédie branchée attendue ni le mélodrame tirelarmes redouté. Le film trouve son ton dans un rythme très quotidien, maniant avec parcimonie les sursauts comiques (franchement drôles) et les violons inévitables. Adam Lerner est un mec bien. Il traverse au vert,

arrive au boulot à l’heure et offre des tiroirs aux affaires de sa copine envahissante. En quelques scènes, dans un Seattle embrumé et hors du temps, Jonathan Levine esquisse le portrait d’un héros ordinaire. L’annonce de son cancer par un médecin désabusé fait d’autant plus l’effet d’une bombe. Adam ne comprend pas, jusqu’au nom même de cette tumeur. Toute l’intelligence du film tient dans cette manière de penser la maladie comme un état irrationnel au cœur d’une société qui s’est habituée à tout rationnaliser. C’est comme si le monde refusait à Adam le droit d’être en colère, le droit de ne pas comprendre. Jusque dans son titre, 50/50, équation absurde qui résume ses chances de survie, le film montre le cartésianisme d’une société habituée à tout nommer.

colère du héros se retourne contre lui. Furieux contre ses proches qui semblent tout cont rôler, Adam comprend f inalement combien leur pragmatisme cache une peur du vide et de l’absence. Film sur la maladie, 50/50 ne s’attarde que peu de temps sur la mort possible de son héros – ce n’est pas le sujet. Jonathan Levine raconte plutôt une expérience, une parenthèse qui met à l’épreuve la morale du héros et le rend meilleur. On peut, par cynisme, trouver l’ensemble convenu. Mais on peut aussi se laisser séduire et toucher par la petite musique d’un film qui, à l’instar de La Guerre est déclarée, filme la maladie comme un état de siège de la raison. ♦ © Metropolitan FilmExport

50/50

de Jonathan Levine Avec : Joseph Gordon-Levit t, Seth Rogen… Distribution : Metropolitan Filmexpor t Durée : 1h40 Sor tie : 16 novembre

Si le film alterne ainsi entre ironie et décalage absurde, il touche profondément par la manière dont la

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour Seth Rogen, définitivement le meilleur des « meilleurs potes » de cinéma, dans une bromance aussi hilarante que tendre.

2… Pour Angelica Huston, parfaite en mater dolorosa, à la fois agaçante et émouvante, et Anna Kendrick dans son beau personnage de psy dépassée.

3… Pour l’intelligence d’une œuvre mêlant absurde et quotidien, qui, après The Wackness, confirme tout le talent de Jonathan Levine.

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© Pretty Pictures

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SORTIES EN SALLES CINÉMA

Bonne presse à la une du New York Times

de Andrew Rossi Documentaire Durée : 1h28 Distribution : Pret t y Pictures Sor tie : 23 novembre

Plongée dans la vie du New York Times, le troisième documentaire d’ANDREW ROSSI infiltre la rubrique médias du quotidien américain pour en tirer un état des lieux passionnant sur une presse en crise. _Par Clémentine Gallot

« Le New York Times est une puissante institution qui a longtemps été impénétrable pour le monde extérieur », explique en guise de préambule Andrew Rossi. Le documentariste new-yorkais a posé sa caméra dans la salle de rédaction du quotidien, au plus proche des journalistes, dont le génial David Carr, un ancien junkie reconverti. L’heure est

alors à la réinvention pour le NYT, modèle du journalisme d’investigation, monument d’éthique et de probité mis à mal. « Le film chronique un moment particulièrement apocalyptique dans son histoire », continue Rossi. L’effondrement des marchés boursiers en 2008, qui a accéléré la chute des revenus publicitaires, donne alors lieu à une vague de licenciements chez la Grey Lady de Times Square. Pour redresser ses comptes, le quotidien historique a depuis migré de force vers un modèle économique hybride qui impose un paywall (un accès limité pour les non-abonnés) aux lecteurs en ligne. « Comme le reste des médias, le Times est à la croisée des chemins. Les journaux ferment ou réduisent leurs effectifs, tandis que des plateformes comme Twitter ou Facebook deviennent omniscientes. Il y a des périls et des opportunités. » Aujourd’hui, le NYT va mieux : plus que le décryptage de la chute d’un empire, le film raconte l’histoire de sa résilience. ♦

3 questions à

Andrew Rossi De quels documentaristes vous sentez-vous proche ? D.A. Pennebaker, l’auteur de Don’t Look Back ou The War Room, est un vrai héros pour moi. Il atteint une réelle intimité avec ses personnages pour raconter des histoires de manière très naturelle. Network, Broadcast News, Les Hommes du Président, Goodnight and Good Luck… Les fictions sur le journalisme sont légion. Certaines vous ont-elles inspiré ? Je suis fan de tous ces films, mais j’ai surtout pensé à deux d’entre eux : Broadcast News de James L. Brooks (1987) pour la façon dont les valeurs sont mises à mal dans une période de transformation. Et Les Hommes du Président d’Alan J. Pakula (1976), un mix de buddy movie et de thriller qui capte très bien la texture d’une salle de rédaction. Pensez-vous que le pétulant journaliste David Carr ferait un bon acteur ? C’est drôle, car des acteurs qui ont vu le film m’ont dit avoir été impressionnés par sa façon d’occuper l’espace et son énergie. Il a toujours été bon en vidéo, d’ailleurs ; avant, il couvrait le tapis rouge des Oscars pour le New York Times.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour un point de vue inédit sur la vie d’un grand quotidien, modèle journalistique mondial, en pleine crise financière.

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2… Pour la personnalité atypique et grande gueule du journaliste David Carr, qui devient peu à peu le héros du film.

3… Pour y (re)découvrir les débuts de Wikileaks, que le film d’Andrew Rossi chronique par accident pendant l’année qu’il retrace.


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SORTIES EN SALLES CINÉMA

Sékouba Doucouré et Laura Kpegli

LE BUT ET LA MANIÈRE Donoma de Djinn Carrénard Avec : Vincent Perez, Emilia Derou-Bernal… Distribution : Commune Image / Donoma Guérilla Durée : 2h13 Sor tie : 23 novembre

Premier long métrage de DJINN CARRÉNARD, Donoma a coûté 150 euros. La volonté farouche d’une petite équipe soudée donne tout son souffle à ce film choral autour du couple. Prometteur et fiévreux. _Par Laura Tuillier

« À un moment, c’est comme au foot : t’as pas le choix, tu vas au contact », explique à ses copines A nalia, professeur d’espagnol exubérante et hyperféminine, qui doit gérer une classe de garçons chahuteurs. Parmi eux, Dacio (le jeune Vincent Perez, une des révélations du film), arrive systématiquement en retard, n’écoute rien et prend plaisir à détourner les paroles d’Analia

pour ruiner son cours. Alors, à la fin de la classe et tandis que Dacio tente de continuer la joute verbale pour la faire définitivement craquer, Analia prend les devants et, apothéose d’une

« Je voulais des gens qui soient capables de me faire confiance même si j’arrivais avec mon matos dans un sac à dos. » première scène littéralement jouissive, attrape à pleine main le sexe de son élève pour le soulager d’une tension qu’il ne maitrise visiblement plus. Donoma, premier film « guérilla » aux allures de manifeste, s’inscrit tout entier dans cette envie de s’y frotter, de faire tourner la caméra en arrêtant de se poser la question des moyens. « J’étais en licence de philo à la Sorbonne, se souvient le réalisateur, et un jour j’ai lu un livre de Spike Lee sur son film Malcom X,

qui avait été très difficile à réaliser. En terminant le bouquin, j’étais bouleversé, je savais que c’était ça mon métier. » Depuis, il n’arrête pas. Il se renseigne en ligne pour comprendre comment marche une caméra, tourne des clips pour des potes, des courts métrages civiques, s’achète un caméscope et part à New York juste à temps pour voir gagner Barack Obama. Là-bas, il réalise le court White Girl in her Panty, écho au Shadows de Cassavetes et sorte de prequel de Donoma dans lequel le couple Dama-Leelop se rencontre. Donoma est un film choral qui entrelace des histoires de couples, les destins d’une jeunesse bavarde et bouillonnante. Son originalité vient de la radicalité revendiquée de ses moyens, dont découle une mise en scène impatiente, parfois maladroite mais toujours foisonnante d’inventions ( jeux sur les cadres, les flous, morcellement des

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour l’énergie communicative de Djinn Carrénard, réalisateur-chef d’orchestre, qui réussit finalement à sortir son film « à 150 euros » en salles.

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2… Pour la révélation Vincent Perez, qui joue Dacio, élève difficile sous le charme d’une prof d’espagnol caliente.

3… Pour savourer un art des dialogues certain, à même d’emporter le spectateur dans 2h15 de cinéma spontané.


plans…). « J’avais besoin de ce rite initiatique, comme un passage à l’âge adulte, avec un premier film de débrouille. Je veux être réalisateur, je le prouve », poursuit Djinn Carrénard. Donoma a tellement à dire qu’il déborde de partout : le film dure plus de deux heures et s’attaque à des thèmes fondamentaux (amour, mort, au-delà) en refusant l’intimisme timoré du cinéma français. La romance qui débute en douce entre Analia et Dacio trouve son terreau dans une constante confrontation – verbale, physique. Les mots et les séquences s’entrechoquent, nous transportent de la salle de classe à la rue, au quai du métro, à la poursuite d’autres histoires. Car Dacio est avec Salma, dont Stephen (Djinn Carrénard himself ) est timidement amoureux. Salma est une jeune fille des beaux quartiers qui, confrontée à la maladie de sa sœur, se réveille un jour avec des stigmates – elle qui est athée. Des discussions âpres sur la foi s’engagent alors avec Stephen le croyant.

Le jeu des comédiens, pendant ces longues scènes de dialogues, étonne de justesse et de vitalité. Djinn explique qu’il « préfère choisir les comédiens dans leur univers plutôt que d’organiser des essais avec tout le stress et le manque de spontanéité que cela suppose. J’ai fait pas mal de petites choses avec eux, des clips, des courts métrages. » Un casting minutieux qui confirme que Djinn Carrénard ne fait pas de faibles moyens financiers un prétexte au manque d’ambition. « Je voulais des gens qui soient capables de me faire confiance même si j’arrivais avec mon matos dans un sac à dos. Il me fallait autant de respect que si j’étais Tarantino ou Scorsese. » Si Donoma pêche parfois par naïveté (l’histoire d’amour muette entre Dama et Chris à un petit côté Amélie Poulain agaçant), il tient son rythme d’enfer et trouve dans la longue scène d’amour-de-caged’escalier entre Analia et Dacio son cœur palpitant, dans le frôlement, le silence et le clair-obscur. Ralentir pour mieux marquer. ♦

3 questions à

Djinn Carrénard Comment avez-vous voulu aborder le thème de la religion dans Donoma ? J’ai l’impression que ce thème n’est pas beaucoup traité par les jeunes cinéastes, parce qu’il y a des choses dures à dire dessus, on veut ménager les sensibilités… Moi, je ne voulais pas créer la polémique mais en parler comme les jeunes pourraient en parler, dans un relativisme qui définit notre époque. Et laisser de la place pour l’interprétation. Quel rapport avez-vous avec les autres cinéastes de votre génération ? J’ai une énorme envie d’en rencontrer, parce que le cinéma que je défends ne se fera pas sans un mouvement collectif. En même temps, je suis assez solitaire, je n’ai pas fait d’école et je ne suis pas mondain. Mais j’ai envie d’un grand mouvement, comme en Amérique dans les années 1970. Travaillez-vous déjà sur un nouveau projet ? Oui, j’écris un film très contemporain sur l’identité française. On en parle beaucoup en ce moment, mais mal, parce qu’on ramène toujours ça à la question de l’immigration. Alors que la question des valeurs se pose pour tous les Français.

© Donoma Guérilla

Le casting minutieux de Donoma confirme que Djinn Carrénard ne fait pas de faibles moyens un prétexte au manque d’ambition.

Emilia Derou-Bernal

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© 2011 les Films de l’Autre - Photo : Ronald Martinez

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SORTIES EN SALLES CINÉMA

Mathieu Demy et Salma Hayek dans Americano de Mathieu Demy

Ciné fils Americano

de Mathieu Demy Avec : Mathieu Demy, Salma Hayek… Distribution : Bac Films Durée : 1h45 Sor tie : 30 novembre

Road movie en trompe-l’œil, à cheval entre les continents et les registres de réalité, fable écorchée sur un héritage difficile, Americano raconte surtout la belle éclosion de son auteur, MATHIEU DEMY, en tant que cinéaste. _Par Auréliano Tonet

C’est l’histoire d’un homme qui se perd pour mieux se retrouver. Entre le premier et le dernier mot du film, entre le « viens ! » initial et le « j’arrive ! » conclusif, Martin (Mathieu Demy) aura laissé derrière lui trois femmes, trois pays, trois chimères. À l’annonce de la mort de sa mère, exilée à Los Angeles, il quitte la France et sa compagne (Chiara Mastroianni), qu’il aime d’un amour

vacillant. L’étourdi gagne la Californie, où une amie de la défunte (Géraldine Chaplin) l’aide tant bien que mal à s’occuper des formalités d’héritage. Puis, sur un coup de tête, Martin file à Tijuana, au Mexique, à la recherche d’une autre relation de sa mère, la trouble Lola (Salma Hayek)… À mesure que le film progresse, les plans se resserrent, les couleurs se réchauffent, les blessures s’avivent à même la peau du héros. Des Doors aux stripteaseuses californiennes, les références aux films des parents du réalisateur, Jacques Demy et Agnès Varda, défilent et font prendre au road movie un chemin plus intime : Americano ne raconte rien d’autre que l’âge adulte, trente ans plus tard, du héros enfantin de Documenteur de Varda (1981), dont des extraits jalonnent le récit comme autant de souvenirs mensongers et pourtant révélateurs. L’errance endeuillée de Martin aura bel et bien abouti à une découverte, celle de Mathieu Demy cinéaste, enfin affranchi du legs parental. ♦

3 questions à

Mathieu Demy Pourquoi avoir centré votre première réalisation autour d’un deuil ? Le deuil agit comme un révélateur. Il ouvre des questionnements identitaires jusqu’alors enfouis. Martin ne pourra faire son deuil que lorsqu’il aura éclairé ces zones d’ombre, qu’il se sera raconté sa propre histoire. Vous multipliez les longues focales (des plans serrés filmés de loin). De même, c’est en s’éloignant de chez lui que Martin finit par y voir plus clair… La mise en scène obéit à une loi de réchauffement et de rapprochement. La France est traitée dans des tons gris et des plans larges parce que Martin est froid et distant, loin de ses émotions. En Californie, il se met en mouvement, d’où des travellings, des plans plus serrés, des tons plus chauds. Au Mexique, enfin, il est bouillant, d’où la caméra à l’épaule et les longues focales. Pourquoi avoir filmé en 16 mm ? Par souci de cohérence. C’était le format de Documenteur, dont j’ai inséré des extraits. Mais, contrairement au film d’Agnès, filmé en 4/3, j’ai opté pour le scope, le format typique des road movies, qui apporte recul et profondeur de champ.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce que Mathieu Demy n’est pas qu’un comédien talentueux : sa mise en scène, ardente et habitée, le prouve avec brio.

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2… Pour les simulacres du récit : rien n’y est à sa place, jusqu’à la B.O. de Documenteur d’Agnès Varda, réarrangée pour l’occasion.

3… Pour le regard fantasmatique et désabusé de Mathieu Demy sur l’Amérique, évoquant Model Shop de son père Jacques.


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L’exposition

Lise Bellynck dans Douce de Sébastien Bailly

OPEN SPACE

L’univers de Star Wars accède à des paysages contemporains dans une série de photographies de CÉDRIC DELSAUX, compilées dans un livre, Dark Lens, et exposées au MK2 Bibliothèque. Le frenchy a même été adoubé par l’empereur George Lucas en personne. Il était une fois, dans une galaxie pas si lointaine… _Par David Elbaz

Un vaisseau de l’Alliance rebelle qui fend le ciel de la banlieue parisienne, un quadripode impérial apparaissant au loin sur une autoroute. 2005, l’odyssée Dark Lens débute avec une première série de photomontages bricolés par Cédric Delsaux. Pour son plaisir, sans ambition, sans calcul. Au même moment, La Revanche des Sith, ultime épisode de la saga Star Wars, sort sur les écrans. La coïncidence fait sens, comme si les créatures de l’hexalogie enfin complète envahissaient pour de bon l’inconscient collectif. Le point commun de ces clichés, ce sont leurs espaces désertiques : « C’était très important pour moi de vider ces lieux de toute présence humaine, afin d’éviter le pastiche, le détournement », explique l’artiste venu de la publicité. Une absence de cynisme et un sens du premier degré qui ont plu à George Lucas, réceptif au travail du Français au point d’en préfacer le recueil de photographies. « Ça a été la belle cerise qui a écrasé le gâteau », avoue timidement Cédric Delsaux. 122

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Dark Lens s’articule en trois séries : Paris, Lille et Dubaï – une progression dans le propos du photographe. À l’effet de contraste des débuts (des robots autour d’une épave de Citroën…) succède celui de correspondance. Dubaï, comme un trait d’union entre réel et fiction, semble assortie aux avatars futuristes qui l’occupent le temps d’une pose. Et, à y regarder de plus près, le MK2 Bibliothèque, îlot cinéphile dans une marée de constructions modernes, ressemblerait presque à une mise en abyme des images qui y sont montrées. « MK2 a un rapport au cinéma que j’affectionne et que je défends. Il est bon de sortir la photo de son cercle habituel, de l’exposer différemment. » ♦ Du 24 novembre au 20 décembre au MK2 Bibliothèque Vernissage le 24 novembre à partir de 19h, avec signature de l’auteur Dark Lens de Cédric Delsaux (Éditions Xavier Barral, déjà disponible)

© Cédric Delsaux

LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES


© Dargaud

LA RENCONTRE

Siegfried à Ciné-BD

En revisitant la tétralogie de Richard Wagner, L’Anneau du Nibelung, Alex Alice, l’auteur du Troisième Testament, semble avoir trouvé un univers qui réunit son penchant pour l’heroic fantasy et sa passion pour l’opéra. Touché par la malédiction de l’anneau des Niebelungen, ces nains qui se cachent dans les brumes germaniques, Siegfried doit faire face à bien des convoitises. L’attente des fans se fait pressante puisque le troisième tome, qui sort le 18 novembre, est celui du grand final, avec en point d’orgue le combat contre le dragon Fàfnir. À l’occasion de la soirée Ciné-BD, avec les éditions Dargaud, Alex Alice vient au MK2 Bibliothèque pour dédicacer le nouveau Siegfried. _Q.G. Le 6 décembre à 20h au MK2 BIBLIOTHÈQUE Siegfried III, le crépuscule des dieux d’Alex Alice (Dargaud)

LA LECTURE

Soirée Zéro de conduite : navigation poétique

La librairie du MK2 Quai de Loire et les Éditions Attila invitent les petits (entre 3 et 5 ans) à embarquer pour une lecturebalade sur le bassin de la Villette où les poètes de la mer seront à l’honneur. Les enfants pourront découvrir une sélection des travaux de Louis Brauquier, Louis Chadourne, Tristan Corbière, Nikos Kavvadias et Henri Jean-Marie Levet. De retour sur la terre ferme, les jeunes matelots pourront prolonger le voyage à la librairie, en présence des écrivains. _L.T. Le 10 novembre au MK2 QUAI DE LOIRE à 19h30 et 20h15, sur inscription à la librairie ou par téléphone au 01 44 52 50 70, gratuit

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LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES

la DÉDICACE

CLEARSTREAM, LIGNE CLAIRE Comment raconter la tentaculaire affaire Clearstream en étant enfin clair ? DENIS ROBERT, le journaliste qui a mis ce dossier au jour, ose le format BD. Retour sur L’Affaire des affaires en quatre tomes de pédagogie, que l’auteur viendra dédicacer le 22 novembre au MK2 Quai de Loire. _Par Quentin Grosset

« Quel auteur a pu accumuler une matière aussi exceptionnelle que toi ? » C’est la question posée par son éditeur à Denis Robert, le Tintin de « l’affaire des affaires » : Clearstream. Il faut dire que celle-ci a secoué les secteurs financiers, politiques et médiatiques pendant plusieurs années, et que l’ex-Libé a amassé pendant ce temps beaucoup d’infos sur les combines des magnats de l’État. Largement de quoi se perdre dans le foisonnement de scoops et la pédagogie bancale type Claire Chazal. « La bande dessinée, c’est une manière de rendre l’affaire plus limpide, de la rendre accessible au plus grand nombre », explique aujourd’hui Denis Robert.

thriller à la James Ellroy et le sens de l’épure scénaristique garantit une lecture assez fluide. Mais pourquoi la BD et pas le cinéma ? « Au cinéma, il y a ce sentiment d’amnésie. Quand vous avez vu un film, vous l’oubliez. La bande dessinée peut vraiment se confronter au réel et parler tout à la fois de finance, de pouvoir, de journalisme et de rapports humains. » D’accord, mais Denis Robert est surtout un grand fan de comics, et l’envie d’avoir un double de papier explique aussi son choix. Entre le premier et le dernier tome, sa physionomie est parfois fluctuante, du réalisme au cartoonesque. Mais sa détermination, elle, ne bouge pas. ♦

La rencontre de ce sympathique fouineur avec le dessinateur Laurent Astier tient au trait jeté de ce dernier, et à sa manière de croquer les figures de l’État dans un noir et blanc tranchant qui parachève une ambiance déjà trouble, entre rivalités et manipulations. Entreprise pharaonique, les 800 planches de L’Affaire des affaires permettent de sensibiliser un public jeune à ce scandale majeur des années 2000. La narration est celle d’un

Ciné-BD Le 22 novembre à 20h au MK2 QUAI DE LOIRE Denis Robert dédicacera L’Affaire des affaires et a choisi de diffuser le film Révélations de Michael Mann. Horaires et informations sur www.mk2.com L’Affaire des affaires de Denis Robert, Yan Lindingre et Laurent Astier (Dargaud, sortie du tome 4 le 25 novembre)

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L’AGENDA _Par J.R.

Du 5 novembre au 4 décembre

Cycle « Western, à l’ouest des quais » / QUAI DE SEINE

Projections, les samedis et dimanches en matinée, de La Porte du paradis, La Revanche de Jessie Lee, Les Sept Mercenaires et Le Soldat bleu. Du 5 novembre au 11 décembre

Cycle « Road movie » / QUAI DE LOIRE

Projections, les samedis et dimanches en matinée, de The Brown Bunny, New York-Miami, Electra Glide in Blue et Un été avec Coo. Le 7 novembre à 20h30

Avant-première de Bonsái de Cristián Jiménez / QUAI DE SEINE

En présence de l’équipe du film (lire l’article p. 112). Le 8 novembre à 19h

Rencontre-lecture avec Emmanuel Rabu / QUAI DE LOIRE

Autour de son nouvel ouvrage : Futur fleuve (éditions Léo Scheer/Laureli). 8 novembre à 20h30

Soirée Bref « Mieux vaut en rire » / QUAI DE SEINE Le 9 novembre à 10h30

Lecture pour les 3-5 ans / QUAI DE LOIRE Thème : « Les méchants. » Sur inscriptions au 01 44 52 50 70. Le 17 novembre à 19h30

Carte blanche à Jean-Baptiste Thoret et Bernard Benoliel / QUAI DE LOIRE

Avec les éditions Hoëbeke, rencontre avec les auteurs de Road Movie, USA, suivie de la projection d’Electra Glide in Blue de James William Guercio. Le 18 novembre à 19h

Rencontre-lecture avec Julien Campredon / QUAI DE LOIRE

Autour de son livre L’Attaque des dauphins tueurs (éditions Monsieur Toussaint Louverture). Le 22 novembre à 20h

Ciné-BD / QUAI DE LOIRE

Avec les éditions Dargaud, à l’occasion de la parution de L’Affaire des affaires (T4), Denis Robert et Laurent Astier présentent le film Révélations de Michael Mann (lire l’article ci-contre). Rencontre animée par Éric Libiot de L’Express. Du 24 novembre au 20 décembre

Exposition Dark Lens / BIBLIOTHÈQUE

D’après le livre The Dark Lens de Cédric Delsaux, préfacé par George Lucas (éditions Xavier Barral). Vernissage le 24 novembre à partir de 19h, avec signature de l’auteur (lire l’article p. 122). Le 28 novembre à 20h30

Rendez-vous des docs / QUAI DE LOIRE

Projection de Grissinopoli, le pays des grissinis de Dario Doria, en présence de Jean-Louis Berdot, cinéaste et enseignant, et Maxime Quijoux, auteur de Néolibéralisme et autogestion : l’expérience argentine.

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Carey Mulligan et Ryan Gosling dans Drive de Nicolas Winding Refn

VIRÉE Drive, du Danois Nicolas Winding Refn, est un film canon et surtout très prenant. La preuve, il a donné fichtrement envie à Laura de foncer à toute berzingue vers Los Angeles pour fuir Paris et ses petites contrariétés. _Propos recueillis par Bethsabée Krivoshey

« Drive, MK2 Nation, 20h10, Paris. On ne le dit jamais assez, mais rien de tel qu’une bonne séance de ciné quand on vient de s’embrouiller avec son mec. Avec ou sans lui. Sans, pour se changer clairement les idées et tout oublier le temps d’une séance ; avec, pour calmer le jeu et baisser nos décibels de rage – en écoutant la B.O. douce et cheesy de Drive, en l’occurrence. Cette fois, c’est avec lui à côté, pour nous faire des vacances, même si finalement c’est moi qui me rince plus l’œil sur Ryan Gosling

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que lui sur Carey Mulligan. Voilà, la revanche du cinéma sur la vie de mon couple. Et je ne crois pas si bien dire : le contraste entre l’acteur et mon copain de mauvaise humeur est dérangeant. Contre la palabre incessante de nos disputes, les silences et les sourires du driver ; contre son accoutrement hivernal façon patchwork de bonnet et d’écharpe, les quelques accessoires fétiches (gants de pilote, veste Teddy, lunettes de soleil et jeans) de Ryan brillent de style et de simplicité… La classe américaine. Clairement, le cinéma gagne sur la réalité et j’ai envie de tout sauf de rentrer avec le zouave que j’ai à ma gauche. En fin de compte, je n’avais plus qu’un seul désir, lui crier : “Kid ! Passe me prendre et conduis-moi loin, très loin.” » ♦ Envoyez-nous vos histoires de coup de foudre en salles obscures à troiscouleurs@mk2.com, nous publierons les plus enlevées.

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LOVE SEATS


la chronique de dupuy & berberian

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Š Dargaud

TRAIT LIBRE

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NOUVEAU JOUR Il y a quatre ans, les créateurs de la bande dessinée XIII – le scénariste Jean Van Hamme et le dessinateur William Vance – raccrochaient plumes et pinceaux après dix-neuf albums et vingttrois ans de bons et loyaux services. XIII, c’est le nom du héros amnésique de cette BD belge, en référence au chiffre tatoué sur sa clavicule gauche. Malgré un motif ressassé jusque sur grand écran (The Long Kiss Goodnight, Memento ou la série des Bourne), XIII ne se limite pas à son personnage et déploie le récit complexe d’un immense complot visant les États-Unis. Affublé d’une équipe renouvelée – Youri Jigounov au scénario et Yves Sente au dessin –, Le Jour du Mayflower, vingtième tome de la saga, marque le début d’un nouveau cycle. Après avoir découvert les secrets de son identité, XIII part en quête de ses souvenirs à l’aide de stimulations cérébrales. Vance en signe même la couverture ainsi que quelques pages. De beaux jours s’annoncent. _D.E. Le Jour du Mayflower de Youri Jigounov, Yves Sente et William Vance Éditeur : Dargaud Sor tie : 10 novembre

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Chers lecteurs de Trois Couleurs, cette page est la vôtre. Avez-vous déjà rencontré au cours de votre vie une personne pour qui vous éprouvez ce qu’on pourrait appeler de la haine ? Avez-vous déjà plus ou moins désiré sa mort ? Pouvez-vous décrire cette personne physiquement ? Si tel est le cas, envoyez un e-mail à unaccidentsvp@gmail.com en joignant le maximum d’informations en votre possession. Les dessinateurs Ruppert et Mulot, tout en préservant votre anonymat, tâcheront de faire qu’un accident soit vite arrivé. 130

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