cinéma culture techno février 2013 n°108 by RENCONTRE AVEC JEAN-CLAUDE BRISSEAU
Et aussi…
Jeffrey Eugenides • Gangster Squad • Solange • Robert Zemeckis • Les romans young adult Metal Gear Solid • Wadjda • Bestiaire • Wii U • La Chatte • 5 caméras brisées • La Porte du paradis
Obsédé visuel
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SOMMAIRE Éditeur MK2 Agency 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. : 01 44 67 30 00 Directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Rédactrice en chef adjointe Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Chef de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Rédactrice Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) Directrices artistiques Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) Secrétaire de rédaction Jérémy Davis (jeremy.davis@mk2.com) Iconographe Juliette Reitzer Stagiaires Tiffany Deleau, Adrien Genoudet, Stéphane Odrobinski Ont collaboré à ce numéro Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Léa Chauvel-Lévy, Sophia Collet, Renan Cros, Bruno Dubois, Julien Dupuy, Yann François, Quentin Grosset, Manuel Leval-Duché, Wilfried Paris, Michael Patin, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Louis Séguin, Alain Smet, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer Illustrateurs Dupuy et Berberian, Charlie Poppins, Stéphane Manel Illustration de couverture ©Yann Legendre Publicité Directrice commerciale Emmanuelle Fortunato Tél. 01 44 67 32 60 (emmanuelle.fortunato@mk2.com) Responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque Tél. 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Chef de projet communication Estelle Savariaux Tél. 01 44 67 68 01 (estelle.savariaux@mk2.com) Assistante chef de projet Anaïs Benguigui Tél. 01 44 67 30 04 (anais.benguigui@mk2.com) © 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.
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7 … ÉDITO 8 … ENTRETIEN > Jeffrey Eugenides pour Le Roman du mariage 12 … PREVIEW > Promised Land de Gus Van Sant 14 … SCÈNE CULTE > Seul au monde de Robert Zemeckis 16 … HOLLYWOOD STORIES > Flight de Robert Zemeckis
19 LES NEWS 19 … CLOSE-UP > Golshifteh Farahani pour Syngué Sabour d’Atiq Rahimi 20 … BE KIND, REWIND > Ouf de Yann Coridian 22 … FESTIVALS > 27e festival Entrevues de Belfort 24 … MOTS CROISÉS > Emad Burnat et Guy Davidi pour 5 caméras brisées 26 … SÉRIES > The Walking Dead de Frank Darabont 28 … ŒIL POUR ŒIL > Chimpanzés vs. Bambi 30 … FAIRE-PART > Antiviral de Brandon Cronenberg 32 … P ÔLE EMPLOI > Genndy Tartakovsky, réalisateur du film d’animation Hôtel Transylvanie 34 … COURTS MÉTRAGES > R’ha de Kaleb Lechowski 36 … ENQUÊTE > Les romans young adult et leurs adaptations au cinéma 38 … TOUT-TERRAIN > La Chatte, Solange 40 … SEX TAPE > Baby Face d’Alfred E. Green
42 DOSSIERS 42 … PASSION > Rencontre avec Brian De Palma 48 … LA FILLE DE NULLE PART > Rencontre avec Jean-Claude Brisseau 54 … GANGSTER SQUAD > Rencontre avec Ruben Fleischer, Ryan Gosling, Josh Brolin et Emma Stone 58 … METAL GEAR > Preview de Metal Gear Rising – Revengeance ; retour sur la saga mythique du jeu vidéo et sur son créateur, Hideo Kojima 62 … WADJDA > Rencontre avec Haifaa Al-Mansour
65 LE STORE 65 … OUVERTURE > Like Someone in Love d’Abbas Kiarostami 66 … EN VITRINE > La collection d’ouvrages des Presses Universitaires de France sur les séries télé 68 … RUSH HOUR > Les Garçons de la bande ; Edward Hopper d’une fenêtre à l’autre ; Amour 70 … KIDS > L’Étranger mystérieux de Mark Twain illustré par Atak 72 … DVD-THÈQUE > Cinéphiles de notre temps de Laurent Chollet 74 … CD-THÈQUE > Uncivilized de Frustration 76 … BIBLIOTHÈQUE > Nouilles froides à Pyongyang de Jean-Luc Coatalem 78 … BD-THÈQUE > Le Roi des Mouches – Tome 3 de Michel Pirus et Mezzo 80 … LUDOTHÈQUE > La Wii U, premier bilan
83 LE GUIDE 84 … SORTIES EN VILLE > Björk ; festival Les Femmes s’en mêlent ; « Sous influences » ; Enki Bilal ; Les Chiens De Navarre ; Joël Pommerat ; la sole chez Christophe 98 … SORTIES CINÉ > Tu honoreras ta mère et ta mère de Brigitte Roüan ; Hiver nomade de Manuel von Stürler ; La Poussière du temps de Theo Angelopoulos ; Ici et là-bas d’Antonio Méndez Esparza ; Elefante Blanco de Pablo Trapero ; Bestiaire de Denis Côté ; La Porte du paradis de Michael Cimino 114 … UNE DERNIÈRE QUESTION > Entretien avec Yann Coridian et Éric Elmosnino pour Ouf 116 … « TOUT OU RIEN » PAR DUPUY ET BERBERIAN 118 … LE CARNET DE CHARLIE POPPINS
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ÉDITO
Fruits de la passion
L’année passée s’est bien fracassée sur une catastrophe. C’était le 14 décembre. DJ Shadow se faisait sortir d’une boîte de nuit à Miami, en plein milieu de son set. Pas à coups de batte dans le dos, façon Tony Montana dans l’arrièresalle du Babylon Club, mais par un petit mot du patron, furieux que le set du DJ ne plaise pas à des clients circonspects. En substance : tu nous gonfles avec ta musique, papy. Trop pointu, trop saignetympans. Dehors. La fin d’un monde, celui des dinosaures sonores. Avant les systèmes de recommandations de YouTube, les mashups, le ping-pong des liens entre artistes sur des plateformes d’écoute comme Grooveshark – grosso modo avant le milieu des années 2000 –, on ne cherchait sur internet que la musique que l’on connaissait déjà. La découverte de nouvelles pistes passait par les programmes compilés par les DJ à la radio, le Worldwide Mix de Gilles Peterson en tête. Des types qui fouillaient sans moteur de recherche dans des tranchées de bacs à musique. Une quête figurée en 1996 sur la pochette d’Endtroducing…, premier album de Shadow au nom programmatique. En 2006, le musicien sort un album avec peu de conseils de lecture, se lance dans la composition originale. Il sent le vent tourner, Wikipedia va le détrôner, l’internaute est sacré « personnalité de l’année » par Time Magazine. Nous devenons tous des Shadow en puissance. Suffit d’un clavier, d’une souris et d’un vinyle de folk breton trouvé dans la cave des parents. À quoi sert d’être passionné, obsédé aujourd’hui ? Pourquoi chercher pour les autres quand tout leur est accessible d’un clic ? Recommander, conseiller, qui plus est dans un mensuel papier en permanent décrochage horaire avec le web… À quoi vous sert Trois Couleurs ? L’année s’est ouverte sur un petit miracle. Shadow a mis en ligne le set qui lui a valu d’être foutu dehors. 1 heure 26 minutes et 17 secondes de baston sonique. Une armada de beats lancée à l’assaut de vos pavillons, grattant le cartilage des oreilles pour ficher des grappins de recommandations sous les voûtes crâniennes. Ça s’appelle All Basses Covered (The Infamous South Beach Set). Shadow y associe des genres de musique très différents, depuis le générique des Simpson, jusqu’à sa ligne de clavier fétiche (Tears de Giorgio Moroder), beaucoup de hip-hop. Le tout confronté, télescopé avec les techniques de production musicale actuelles, qui semblent tout niveler ces mois-ci : de Guetta à Prodigy, en passant par Muse. Shadow interroge la pertinence des attributs de ce courant en vogue : le dubstep. Il le tord, lui trouve de nouveaux sujets d’application, lui colle des filtres de force, change la grille de lecture. Tout ce qu’un moteur de recherche ne saura jamais faire. Trouver des sujets, confronter, tordre, gratter les cartilages, c’est ce que la rédaction de Trois Couleurs cherche à faire chaque mois d’actualité culturelle. Avec la recherche pour moteur. _Étienne Rouillon
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Courrier du cœur
ENTRETIEN
Rare et adulé, l’Américain JEFFREY EUGENIDES publie un livre tous les dix ans. Son Roman du mariage délaisse l’expérimentation formelle de The Virgin Suicides (adapté au cinéma par Sofia Coppola) et la généalogie tortueuse de Middlesex (prix Pulitzer en 2003) pour un triangle amoureux sur fond de psyché estudiantine des années 1980. Dans cette comédie de mœurs érudite, Madeleine, Leonard et Mitchell sont ballotés entre les espérances romantiques des œuvres de Jane Austen et les préceptes déconstructivistes de la French theory. Un bel hommage au roman sentimental, teinté ici d’une ironie propre à notre époque, celle du divorce. _Propos recueillis par Clémentine Gallot et Juliette Reitzer
L
e mariage ne présente plus les mêmes enjeux qu’au XIXe siècle. Pourquoi en avoir fait le sujet d’une intrigue moderne ?
Le mariage est encore aujourd’hui un grand événement dans la vie des gens, il regorge de matériaux dramatiques pour un écrivain. Mais mon désir était surtout d’écrire sur comment le fait de lire sur le mariage affecte nos comportements amoureux. C’est pourquoi l’épigraphe du livre est une citation de La Rochefoucauld : « Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour. » Être marié n’est pas un fait naturel ou biologique, mais la culture nous convainc que c’est ce qui doit nous arriver. Madeleine est coincée entre son admiration pour les romans de Jane Austen et les théories féministes des années 1980 qui jalonnent son parcours universitaire…
Je voulais parler du thème traditionnel du mariage, mais le rendre consistant en le faisant résonner avec la vie d’une femme moderne. C’est le conflit qui anime Madeleine : elle est attirée par la tradition du mariage et tout ce qui va avec, mais elle ne veut pas reproduire ce qui a été fait par sa mère et sa grand-mère, elle veut s’en libérer.
romantiques, elle pense qu’elle peut y parvenir en abordant sa vie amoureuse de façon plus intellectuelle mais tombe amoureuse d’un jeune homme qui suit le même cours qu’elle. Pourquoi vous intéressez-vous tant aux jeunes gens dans vos livres ?
Mes livres sont la plupart du temps rétrospectifs. Dans The Virgin Suicides, ce sont des hommes d’âge moyen qui se rappellent leur adolescence, et, dans Middlesex, un quadragénaire qui se remémore son enfance et la vie de ses parents et grands-parents. Il y a donc l’idée du retour au temps où les choses les plus fortes vous sont arrivées : la première fois que vous tombez amoureux, le premier voyage… Et quand vous écrivez sur des personnages pris dans ce genre d’expériences fortes, cela donne une histoire plus riche émotionnellement. Quelle est la part autobiographique de vos romans ?
Je ne crois pas que l’autobiographie constitue un projet littéraire qui puisse se suffire à lui-même. J’ai besoin de trouver des liens entre la littérature et la vie, donc j’écris sur des lieux où je suis allé, sur le genre de personnes que je connais. Mais je ne veux pas raconter des histoires de ma vie – d’ailleurs, la plupart ne sont pas passionnantes.
Les personnages du livre étudient la French theory, notamment Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Comment ces lectures influencentelles leurs comportements ?
Pourtant, comme Mitchell, vous avez étudié la religion et vous êtes allé en Inde pour travailler dans l’hospice de mère Teresa… Pourquoi ?
Les tourments amoureux de Madeleine commencent au moment où ce qu’elle lit de cette French theory déconstruit le concept même de l’amour. C’est cette ironie qui m’a donné l’impulsion du livre : une jeune femme veut s’émanciper de ses illusions
J’y pensais hier car c’est assez lié à mon premier voyage en Europe et au fait de visiter des endroits comme Notre-Dame. J’étais stupéfait par mon ignorance sur la religion et sur les mouvements historiques qui ont créé de tels monuments et défini la manière dont les gens www.mk2.com
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vivent. J’ai commencé à étudier la religion pour combler mon ignorance et, ce faisant, j’ai commencé à m’intéresser aux philosophies qui y sont liées. C’est une chose sur laquelle il est difficile d’écrire, j’ai essayé très longtemps de relater mon expérience en Inde, et ce roman m’en a enfin offert la possibilité.
et leurs sentiments guident l’histoire, la langue suit et mime leurs émois intérieurs. Je voulais construire des personnages aussi profonds que possible. Vous dites être influencé par la littérature juive américaine (Philip Roth, Saul Bellow). Voyez-vous un lien entre la judéité et vos racines grecques ?
Je me suis souvent posé la question, je ne crois pas. Mais il y a quelque chose de similaire dans les origines, dans le fait « Quand j’étais à d’être le petit-fils d’immigrés grecs, l’université, je pensais de grandir dans un environnement très américain avec ce sentiment que devenir religieux d’altérité et aussi de trouver sa voie en littérature dans une famille qui était la chose la n’a pas d’affinités littéraires. Philip plus rebelle que l’on Roth en parle souvent.
Son intérêt pour la religion fait de Mitchell un personnage presque marginal…
Quand j’étais à l’université, je pensais que devenir religieux était la chose la plus rebelle que l’on pouvait faire. Il était facile de devenir punk, mais devenir religieux, c’était vraiment bizarre. Leonard est maniacodépressif, et sa maladie prend beaucoup de place dans son couple et dans le roman. Pourquoi ce choix ?
pouvait faire. »
Je me rends maintenant compte que j’ai sans doute connu plusieurs maniacodépressifs et, plus important encore, que j’ai rencontré des femmes qui étaient sorties avec des maniacodépressifs. Elles en parlaient beaucoup, car leurs relations étaient à la fois très dures et très belles, un peu comme d’avoir le pire et le meilleur petit ami en même temps. Ce potentiel dramatique m’a interpellé, et la seule chose dont j’étais sûr au sujet de Madeleine, c’est qu’elle aurait un petit ami maniacodépressif. Ce roman accorde plus de place que les p récédents à l’analyse psychologique…
Le plus difficile est de créer des personnages. Je me suis amélioré à chaque fois, mais on apprend un peu plus à chaque roman. The Virgin Suicides privilégiait le langage et la voix du roman, l’intrigue était révélée dès la première page. Avec Middlesex, j’ai appris à concevoir une intrigue très complexe et à entrer dans l’esprit des personnages. J’ai voulu développer et appliquer ces principes au Roman du mariage : les personnages 10
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Faudra-t-il attendre dix ans avant votre prochaine publication ?
J’ai écrit des choses qui n’ont pas encore été publiées et je termine un gros recueil de nouvelles qui sera publié aux États-Unis d’ici un an, je pense. The Virgin Suicides a été adapté par Sofia Coppola : quels sont vos rapports au cinéma ?
Sofia Coppola m’a interrogé sur ma ville natale lorsqu’elle a écrit le scénario, et j’ai aussi été sur le tournage pendant quelques jours, mais c’est tout, je n’ai pas été très impliqué dans l’adaptation. En ce moment, je travaille sur l’adaptation du Roman du mariage avec le réalisateur Greg Mottola (SuperGrave – ndlr). Pour le casting, j’aimerais bien Andrew Garfield en Mitchell, il est brillant et torturé dans Never Let Me Go. Quant à Middlesex, HBO en a acquis les droits, il est encore dans un tiroir pour l’instant… ♦ Le Roman du mariage de Jef frey Eugenides Traduit de l’anglais (États-Unis) par Olivier Deparis Édition : L’Olivier Genre : roman Sor tie : disponible
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PREVIEW
Messie, mais non Promised Land de Gus Van Sant Avec : Mat t Damon, Frances McDormand… Distribution : Mars Durée : 1h45 Sor tie : 3 avril
La terre promise du titre, c’est d’abord celle d’une petite ville de campagne, filmée avec tendresse par Gus Van Sant (dans la veine militante de Harvey Milk) et convoitée par une société énergétique qui souhaite en extraire du gaz de schiste. C’est aussi, pour les autochtones, l’espoir d’une belle rentrée d’argent : ils accueillent en messie Steve (Matt Damon, également scénariste) et Sue (Frances McDormand), venus conclure les contrats de forage. Mais un paroissien revêche et un militant écolo font basculer l’opinion générale et choir l’auréole de Steve, pris en étau par la mise en scène très précise mais jamais ostentatoire de Van Sant, qui livre avec Promised Land une réjouissante fable pastorale aux accents de thriller. ©Mars Distribution
_Juliette Reitzer
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scène culte
Un crash peut en cacher un autre. Dans Flight (lire également pp. 16 et 33), ROBERT ZEMECKIS suit Whip Whitaker (Denzel Washington), pilote controversé qui parvient à faire atterrir son avion après un accident en plein ciel. Dans Seul au monde (2000), du même réalisateur, Chuck Noland (Tom Hanks) a moins de chance et se retrouve coincé sur une île déserte après une catastrophe aérienne. Une vie de solitude avec pour seul compagnon Wilson, un ballon de volley sur lequel Chuck a peint un visage de son sang. Quatre ans plus tard, il fuit le maudit îlot sur un radeau de fortune. Chuck dort quand Wilson tombe à l’eau… _Par Tiffany Deleau
©RDA
SEUL AU MONDE (Réveillé par les vagues, Chuck découvre que Wilson a disparu. Il se relève, déconcerté, puis panique.)
Chuck : Où est Wilson ? Où est Wilson ? Wilson, où es-tu ? (Affolé, il se met à hurler.)
Chuck : Wilson ! Wilson ! (Il aperçoit Wilson au loin et saute à l’eau pour aller le récupérer. Il pense néanmoins à empoigner une corde rattachée au radeau.)
Chuck : Wilson ! J’arrive, Wilson ! (Le radeau est trop lourd à traîner pour Chuck, qui est à bout de forces. Il ne parvient pas à rattraper le ballon, emporté par le courant.)
Chuck : Wilson ! Wilson ! (Trop faible, il lâche la corde et manque de se noyer.)
Chuck : Wilson ! Wilson ! Wilson ! (Il n’a plus le choix. Il réunit ses dernières forces et récupère la corde sous l’eau. Dévasté, il se résout à abandonner Wilson pour ne pas perdre son radeau.)
Chuck : Wilson ! Wilson ! Je suis désolé ! Je suis désolé, Wilson !
Wilson, je suis désolé ! Je suis désolé ! Wilson ! Je ne peux pas. Wilson. Wilson. (Allongé sur le radeau, Chuck pleure Wilson.)
Chuck : Je suis désolé, Wilson. Seul au monde de Rober t Zemeckis, scénario de William Broyles Jr. (20 0 0) Disponible en DVD (Dreamworks France)
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BUSINESS CLASS
Si Flight narre l’expiation d’un pilote de ligne, le dernier film de ROBERT ZEMECKIS résonne également comme la rédemption d’un cinéaste contraint de payer ses incartades dans le cinéma expérimental à gros b udget. Explications de l’intéressé. _Par Julien Dupuy
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ollywood oublie rapidement les succès et pardonne rarement les échecs. Malgré une carrière couronnée de triomphes aussi emblématiques que la trilogie Retour vers le futur ou Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, malgré la nuée d’Oscars raflée par Forrest Gump, il aura suffi que Robert Zemeckis réalise un film au succès en demi-teinte (Le Drôle de Noël de Scrooge) et qu’il produise dans la foulée un échec retentissant (Milo sur Mars) pour que ses projets subissent un brutal coup d’arrêt. Après cet infamant doublé, le cinéaste se voit contraint de fermer son studio dédié au cinéma du futur et à la performance capture, ImageMovers Digital, ambitieux laboratoire auquel Avatar ou Les Aventures de Tintin doivent énormément. Il doit également renoncer à son projet de remake de Yellow Submarine (Zemeckis, comme son ami Peter Jackson, est un grand fan des Beatles) pour se contenter de l’une des productions les plus humbles de sa carrière : Flight, un drame bouclé pour 30 millions de dollars, soit le plus petit budget du cinéaste (en monnaie constante) depuis La Grosse Magouille, une obscure comédie qu’il tourna en 1980. Paradoxalement, ce retour de Zemeckis à un cinéma traditionnel après ses trois films expérimentaux réalisés en performance capture (Le Drôle de Noël de Scrooge, donc, mais aussi La Légende de Beowulf et Le Pôle Express), fut salué par des médias en liesse : selon eux, le réalisateur allait enfin abandonner ses idioties numériques pour revenir au « vrai » cinéma, autrement dit aux films « live ». Lorsque nous 16
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l’interviewons, le cinéaste s’amuse encore de ces réactions : « Tous ces articles m’ont fait rigoler. Car, pour moi, je n’ai jamais quitté le cinéma “live”, même quand je tournais des films conçus en images de synthèse. Comment peut-on parler de “live” quand on parle de cinéma ? Tous les films ne sont qu’une reproduction transformée de notre réalité, qu’elle soit photochimique ou numérique. Au cinéma, tout n’est que mensonge. » Ces journalistes mal informés ignoraient également que l’expérience de Zemeckis dans la performance capture lui serait d’un grand secours pour la mise en scène virtuose de Flight : « Je n’aurais par exemple jamais pu tourner la scène du crash de l’avion sans avoir autant travaillé avec les images de synthèse auparavant. J’étais très au fait des dernières avancées numériques, et il m’a été possible d’être très efficace en sachant exactement ce que je pouvais ou ne pouvais pas faire. » Bouclé dans les contraintes drastiques fixées par le studio, Flight s’est finalement révélé une excellente affaire : rapportant plus de trois fois sa mise au box-office américain, le film a également décroché deux nominations aux Oscars. Un succès total pour un Zemeckis qui espère revenir rapidement à ses expérimentations numériques : « Ma conviction profonde, c’est qu’il n’y aura plus, dans le futur, de distinction entre le cinéma “live” et le cinéma virtuel. Tout sera fusionné dans les technologies numériques. Et tout ceci n’aura plus aucune importance pour le public. » ♦ Flight de Rober t Zemeckis (Paramount Pictures France, sor tie le 13 février)
©2012 Paramount Pictures. Photo Robert Zuckerman
Hollywood Stories
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NEWS
© Bastien Lattanzio
Close-up
GOLSHIFTEH FARAHANI
À l’écran avec Vincent Macaigne ou Leonardo DiCaprio, Golshifteh Farahani, star en Iran, emprunte des chemins disparates : « C’est le cadeau de l’exil », nous confie-t-elle. Les autorités iraniennes lui ont retiré son passeport en 2008 parce que, tête nue, elle s’affichait dans Mensonges d’État de Ridley Scott. Depuis, elle s’est enfuie en France, où elle espère bientôt tourner un long métrage avec Louis Garrel. Le tournage de Syngué Sabour (en salles le 20 février), tiré du roman d’Atiq Rahimi, elle l’a vécu au rythme heurté de longs monologues, « comme un one woman show ». Son personnage, une Afghane libérant sa parole devant un mari plongé dans le coma, résonne avec sa situation : « Comme elle, j’ai récemment découvert ma féminité. À Paris, j’ai appris que c’était si joli d’être une femme. » _Quentin Grosset
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NEWS BE KIND, REWIND
HISTOIRES DE FOUS
Pour son premier long métrage, l’ancien directeur de casting YANN CORIDIAN signe une comédie romantique dans laquelle son héros se retrouve en unité psychiatrique après avoir tenté de mettre le feu à son appartement. L’internement, parenthèse salutaire ou plongeoir précipitant la chute ? Ouf balance entre les deux, à l’instar d’autres films de dingues.
©Mk2 Diffusion
_Par Tiffany Deleau
Ouf de Yann Coridian Avec : Éric Elmosnino, Sophie Quinton… Distribution : MK 2 Dif fusion Durée : 1h22 Sor tie : 27 février Lire également p. 114
© KMBO
©Bac Films
©RDA
Trois films d’internement psychiatrique
VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU de Miloš Forman (1975)
ROIS ET REINE d’Arnaud Desplechin (2004)
LE ROI DU CURLING d’Ole Endresen (2013)
Enfermé pour avoir mis ses proches en danger, le personnage de Ouf, François, s’évade pour reconquérir sa femme, tiraillée entre ses sentiments et sa décision de ne plus le revoir. Si l’évasion est aussi ce vers quoi tendent les journées de Vol au-dessus d’un nid de coucou, elle n’est pas motivée chez Forman par les retrouvailles amoureuses, mais est une fuite dramatique pour échapper à l’arbitraire de la psychiatrie. McMurphy (Jack Nicholson), interné volontaire, en fait les frais auprès de l’infernale infirmière Ratched, véritable tortionnaire. ♦
Dans Rois et reine, Ismaël (Mathieu Amalric) se retrouve injustement interné sur l’injonction de sa sœur et d’un ami. Sur place, il tente de convaincre les docteurs de son discernement et drague même une jeune étudiante suicidaire qui pourrait bien changer sa vie. Ouf adopte le même ton burlesque dans sa façon d’appréhender l’hôpital psychiatrique : François déjeune avec les aides-soignantes, discute au pied d’un arbre avec sa psy… Et s’il refuse de se mélanger aux autres, il retrouve le chemin de la liberté grâce à une patiente plus dérangée que lui. ♦
Dans Ouf, François voit dans chaque sortie du centre psychiatrique l’occasion de repartir sur des bases saines. Las, depuis son père jusqu’à une fan transie, en passant par sa femme, tous les membres de son entourage ont leur part fantasque, faisant rouler le grain de folie de François tout en haut de la dune. Sorti début janvier, Le Roi du curling jouait avec le caractère incongru de ce sport d’adresse pour montrer lui aussi que l’environnement le plus barré se trouve par-delà les barreaux de la chambre psychiatrique. De quoi craindre une rechute à chaque sortie. ♦
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NEWS festival 3 coups de cœur _Par L.T.
©les films d’ici
Spécial Belfort
©Arrête ton cinéma
Un monde agité d’Alain Fleisher Réalisé à partir d’archives de films muets de la Cinémathèque, Un monde agité (1998) faisait partie de la sélection Art Press. Ce vaste collage de plans et de séquences reliés par une voix off naïve est un hommage tendre et véloce à un comique du mouvement.
Leviathan de Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel
_Par Laura Tuillier
D’
une salle à l’autre du vaste multiplexe qui abrite le festival Entrevues, l’ambiance change à chaque fois radicalement. C’est que la programmation belfortienne, foisonnante, fait la part belle aux découvertes, qu’il s’agisse de films à venir ou de pépites introuvables et underground. Côté contemporain, on retiendra deux membres de la « bande » du jeune cinéma français à la fois intello et sensuel : Virgil Vernier, venu présenter Orléans – triple portrait au doux mystère, entre fiction et réalité, de la ville, du mythe de Jeanne d’Arc et de l’amitié entre deux stripteaseuses –, apparaît également dans le court de Justine Triet (Vilaine fille, mauvais
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garçon), qui s’apprête à lui donner un rôle dans son premier long, au côté de Vincent Macaigne. En parallèle de la compète internationale, il fallait se perdre dans la programmation concoctée par le magazine Art Press pour ses 40 ans : d’Une sale histoire de Jean Eustache (lire également p. 33) à la grande aprèsmidi consacrée au cinéma expérimental, en passant par João César Monteiro, Peter Greenaway ou Chris Marker, la question du statut des images animées contemporaines a été travaillée avec humour et talent. Cohérent, le jury a doublement récompensé l’ovni Leviathan, hallucination visuelle et sonore chez des pêcheurs en haute mer. Attention aux remous. ♦
Dipso de Theodore Collatos Sélectionné en compétition, le premier long de l’Américain Theodore Collatos met en scène Tommy, tout juste sorti de prison et qui tente de débuter une carrière de stand up. Le portrait mi-glauque, mi-drôle d’un loser attachant dans une Amérique paumée.
©malastrada films
Pour sa 27e édition, le festival Entrevues de Belfort misait sur une programmation défricheuse qui a permis aux cinéphiles de cheminer gaiement entre une ambitieuse programmation Art Press, l’énigmatique Leviathan ou encore Orléans, le docufiction brillant de Virgil Vernier.
©non rien
Belles vues
Un mito antropologico televisivo de Maria Helene Bertino, Dario Castelli et Alessandro Gagliardo Sicile, début des années 1990. Alors que sont assassinés les juges Falcone et Borsellino, la télévision locale tourne des milliers d’images. Les réalisateurs proposent un montage audacieux qui, sans commentaire, éclaire la marche chaotique d’une société menacée.
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NEWS MOTS CROISÉS
Amatrices puis journalistes, les caméras du réalisateur cisjordanien EMAD BURNAT ont suivi pendant cinq ans la lutte des habitants de son village. Une révolte contre un mur de séparation avec les colonies israéliennes qui mordent sur leur terre. Poignant jusqu’à tordre l’estomac de douleur, 5 caméras brisées est coréalisé par l’Israélien GUY DAVIDI. En lice pour l’Oscar du meilleur documentaire, c’est un travail important par le caractère inédit du matériel recueilli, et exemplaire dans sa façon de poser la différence entre le reportage et le documentaire. _Propos recueillis par Étienne Rouillon _Illustration : Stéphane Manel
Emad Burnat, coréalisateur avec Guy Davidi de 5 caméras brisées
MAL AU VENTRE Ce documentaire a beau avoir un tour très personnel, avec votre présence à l’écran, Emad, le fait que Guy soit un coréalisateur israélien n’est pas souligné…
Emad Burnat : Notre collaboration s’est bâtie autour d’une idée fixe, dès le départ : ne surtout pas en faire une association au sens politique, une collaboration entre deux États, Israël-Palestine. Pas du tout. C’est une collaboration entre deux hommes pour une même lutte. Guy Davidi : Je faisais un film sur le problème de l’eau en Cisjordanie et je militais contre le mur, cela m’a emmené jusqu’au village de Bil’in pendant deux mois. Emad était une figure pour ceux qui travaillaient comme journalistes là-bas. Tous ne faisaient que des allers-retours rapides pour leurs tournages. Emad vit là-bas, il filme continuellement des images que personne ne peut avoir. En 2009, il m’a contacté pour faire un documentaire sur des années de lutte contre ce mur de séparation traversant la terre des gens de Bil’in. Il avait besoin d’un regard distant.
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« notre association est celle de deux hommes pour une même lutte. » Le contexte est très lourd, le propos très dense, mais 5 caméras brisées ouvre aussi des moments de réflexion sur la forme documentaire : la position du journaliste, la frontière entre un discours engagé et un propos partisan…
E. B. : J’ai commencé à tourner en 2005. Je voyais tous ces gens venir filmer mon village. L’idée est venue d’un ami qui voulait que je fasse un documentaire sur moi-même. Me filmer, c’est filmer ma famille, mon quotidien. C’est me focaliser sur les gens, pour tenter de faire comprendre ce que l’on éprouve dans cette situation,
La réplique
« Je n’ai jamais posé la caméra pour me servir de mes poings, j’ai continué à filmer, cela a plus d’impact. » aller en profondeur. J’ai vu beaucoup de documentaires sur le problème des colonies en Cisjordanie. L’angle est toujours géopolitique. On parle du pourquoi de la situation, pas du comment. C’est pourtant tout ce qui est en jeu dans des endroits comme Bil’in. Mais je comprends qu’il soit difficile d’entamer une telle démarche. Beaucoup de Palestiniens ne comprennent pas cette manière de se concentrer sur les gens. Ils pensent que vous voulez vous poser en héros, récolter les lauriers à leur place. C’est faux. Vous savez, après tout ça, après les Oscars, je retournerai dans mon champ voir mes arbres, j’irai conduire ma vieille voiture. Ce témoignage, c’est pour mes enfants, je veux qu’ils vivent autre chose. G. D. : Il faut du courage pour se mettre en avant, pour s’exposer comme Emad l’a fait. Il y a nos deux voix dans l’écriture du documentaire. La mienne a pour rôle de traduire ce « comment », ce que l’on ressent en vivant à Bil’in. Je l’ai vécu, j’ai senti comment la pression de l’occupation passe par la tête, puis le cœur et enfin l’estomac. Quand vous la sentez dans l’estomac, c’est que vous comprenez. Je travaille sur un documentaire consacré au service militaire israélien. J’aimerai approcher ce même niveau de compréhension en allant voir ces soldats.
Ces cinq caméras détruites pendant le tournage, parfois parce qu’on vous a tiré dessus, sont-elles un bouclier ou une cible ?
« Yippee-ki-yay, pauvre con. » Bruce Willis, alias John McClane, dans Die Hard – Belle journée pour mourir (en salles le 20 février). L’interjection iconique de la saga exprime la joie chez les cowboys, on la retrouve dans de nombreuses chansons populaires.
La phrase « Kathryn Bigelow serait considérée comme une réalisatrice légèrement intéressante si elle était un homme, mais comme c’est une femme canon, elle est vraiment surestimée. » Bret Easton Ellis, intraitable, sur son compte Twitter, le 6 décembre 2012
Status quotes Notre sélection des meilleurs statuts du mois sur les réseaux sociaux Louis : I love you snow much. David : Je suis le Christopher Nolan du PowerPoint. Stephen : Personne dans mon lit, certainement un oubli. Kristopher : Les Oscars ont lieu le jour de l’anniversaire d’Emmanuelle Riva. Game over ? Bertrand : J’ai cliqué par mégarde sur un vieil onglet Myspace, c’est devenu HYPER élitiste. Ça en deviendrait limite hype.
E. B. : J’ai été placé en isolement pendant le tournage, les deux dernières semaines j’ai ressenti ce poids gonfler dans mon estomac, enfler, prêt à exploser dans un acte violent. J’ai compris que la violence des hommes ici n’est pas une pulsion meurtrière, c’est une explosion venue progressivement, nourrie par la frustration. Mais je n’ai jamais posé la caméra pour me servir de mes poings, même quand mon frère s’est fait arrêter, j’ai continué à filmer, cela a plus d’impact. La caméra, c’est la seule réalité de mon engagement. Elle a failli me tuer. C’est un bouclier moral, mais une menace physique car elle attire l’attention du tireur sur vous. ♦
Aseyn : Ils sont sympas à Mordor d’accueillir Depardieu.
5 caméras brisées d’Emad Burnat et Guy Davidi Documentaire Distribution : Zeugma Films Durée : 1h30 Sor tie : 20 février
Sandiet : Les nouveaux marronniers sont les papiers 2.0 sur les marronniers
Sened : Je me suis cogné l’orteil dans la table basse. Je demande la nationalité russe. Kavinsky : Gérard Depardiousky Téodore : Tarantwingo Quentin : Épiphanie Cordy Mikael : En 2011, le cinéma français était « grandiose » et « en pleine forme ». En 2012, chacun lui trouve une maladie différente. En 2013, on fait quoi ? Benjamin : « La CAF m’a fait rêver »
Nathan : Twixt, ma barre au Coppola noir préférée. Pas encore goûté celle au Coppola blanc.
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NEWS SÉRIES le caméo
©NBC
Jon Favreau derrière la caméra de The Office Grosse consommatrice de guests devant la caméra comme toutes les comédies télé, The Office se sera aussi distinguée tout au long de ses neuf saisons américaines en invitant régulièrement des réalisateurs à venir bousculer sa mise en scène. Après Joss Whedon, Harold Ramis ou, dernièrement, Bryan Cranston, elle accueillera bientôt Jon Favreau, réalisateur d’Iron Man et, plus tôt cette saison, du pilote de la série Revolution. On ignore si c’est l’épisode final de The Office qui lui a été confié, mais le programme fera bel et bien ses adieux au printemps sur NBC. _G.R.
MARCHE OU CRÈVE
Trop tôt tombée dans une routine mortifère, la série de zombies The Walking Dead a retrouvé du mordant. Nouveau patron, ton plus musclé, personnages-clés sacrifiés : une petite révolution pas banale, et une vraie leçon de survie. _Par Guillaume Regourd
The Walking Dead de Frank Darabont (États-Unis, 2010, 3 saisons) Diffusion : seconde partie de la saison 3 à partir du 11 février sur Orange Cinéma Séries
©Gene Page/AMC
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ept saisons à pourrir sous le soleil de Miami ont érigé Dexter en modèle de série piégée dans la zone de confort : les mêmes décors et, à force de contrats longue durée signés avec tout le casting, les mêmes têtes en ont fait un show sclérosé, qui ne se réveille aujourd’hui qu’en sentant approcher sa fin. La chance de The Walking Dead, bien partie pour suivre la même voie, aura été de perdre prématurément son créateur : Frank Darabont, viré brutalement par la chaîne AMC, était responsable du faux rythme délétère dans lequel avait glissé cette histoire de survie en territoire zombie. Son successeur, Glen Mazzara, ancien de The Shield, a su tout remettre à plat. Louchant du côté du Trône de fer, qui ne s’embarrasse d’aucun sentiment au moment de tuer ses héros, Mazzara a entamé un grand ménage en fin de deuxième saison : exit, les pieds devant, des personnages-clés devenus poids morts. Même tarif
The Walking Dead de Frank Darabont
en ce début de saison 3 pour l’une des stars de la distribution, largement responsable de l’aberrant climat d’auto-apitoiement qui s’était imposé. De fait, les longues conversations ont laissé place à l’action : les morts-vivants ne se contentent plus de quelques coucous gourmands mais font peser un danger permanent sur les héros, qui ont
Zapping
février 2013
Amazon La firme de vente par correspondance étend son empire jusqu’à la fiction en développant six pilotes de séries allant de la science-fiction à la comédie. Dont une racontant les coulisses du programme d’information satirique The Onion News Network.
©Amazon
Kelsey Grammer À peine prononcé l’arrêt de la très sombre Boss, l’acteur, surtout célèbre pour son rôle dans la sitcom culte Frasier, devrait revenir à la comédie. Lionsgate a annoncé travailler sur un projet l’associant à un autre poids lourd du genre, Martin Lawrence.
©Ernesto Ruscio/WireImage
©Mike Marsland/WireImage
_Par G.R.
Ridley Scott Producteur prolifique de séries avec feu son frère Tony, Ridley Scott réalisera pour Showtime le pilote de The Vatican. Ce drama explorera les coulisses de l’Eglise catholique sous la plume de Paul Attanasio (Dr House, Donnie Brasco).
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perdu l’habitude de subir benoîtement et trucident désormais leurs voraces antagonistes avec une jouissive efficacité. Dommage que Mazzara ait annoncé qu’il quittait le show au printemps pour divergence d’opinions avec AMC, territoire décidément hostile dont il semble difficile pour les scénaristes de s’extirper sans se faire croquer. ♦
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©Courtesy Walt Disney Productions/BCA/Rue des Archives
NEWS ŒIL POUR ŒIL
Bambi de David Hand Avec les voix (en V.O.) de : Donnie Dunagan, Hardie Albright… Disponible en DVD et Blu-ray (Disney)
Ainsi faon faon faon
« Maman ! » Le cri retentit autant sur grand écran que dans nos lointains souvenirs d’enfance. Le deuil prématuré comme une sale histoire qui ronge les contes de Disney : partant du docu animalier Chimpanzés, on se surprend, les yeux embués, à revivre notre premier visionnage de Bambi. _Par Adrien Genoudet
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©Disney Chimpanzés d’Alastair Fothergill et Mark Linfield Documentaire Distribution : Disney Durée : 1h18 Sor tie : 20 février
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e Bambi à Oscar, de l’animation au réel, il n’y a qu’un pas. Chimpanzés, documentaire Disneynature dans la veine de La Marche de l’empereur et de Félins, raconte l’histoire d’un jeune primate découvrant, comme le faon de Bambi (1942), les joies de la vie. Par une nuit orageuse, la mère d’Oscar est abattue. Le commentaire du narrateur, « Oscar ne verra plus jamais sa maman », fait soudain écho à la réplique sèche du père de Bambi : « Ta mère ne sera plus jamais à tes côtés. » Soixante-dix ans et un fossé formel séparent les deux métrages : à l’animation historique des studios Disney succède un récit bien réel,
réhaussé d’une mise en scène et de procédés narratifs réussis. Pourtant, l’empathie et l’attachement ressentis sont les mêmes : Oscar s’apparente à Bambi dans les émotions qu’il fait ressurgir de notre mémoire d’enfant. On a certes grandi, mais on aura beau tenter de jouer les durs face aux grands yeux de biche du petit singe, le vrai trouble est ailleurs : c’est la peur, profondément enfouie, de la perte de la mère. Felix Salten, auteur du roman Bambi en 1923, aurait-il pu se douter que la jungle de Côte d’Ivoire verrait naître la réincarnation de son personnage en chimpanzé, encore plus près de l’homme ? ♦
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©UFO Distribution
NEWS FAIRE-PART
Baptême
GÈNE PORTEUR
Remarqué au dernier Festival de Cannes dans la sélection Un certain regard et primé en octobre au premier Festival du film indépendant de Bordeaux, Antiviral lance avec panache son auteur, BRANDON CRONENBERG, sur la voie de son illustre paternel. Ou comment débuter dans le métier quand on s’entend dire en permanence : tel père, tel fils. _Par Louis Séguin
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as un seul article consacré au jeune cinéaste Brandon Cronenberg ne manque de lui rappeler qu’il est né « fils de ». Lui, conciliant jusqu’ici, confirme : bien vu. On serait en droit d’attendre, de la part d’un réalisateur débutant, qu’il fasse une proposition de cinéma différente de celle de son père, voire qu’il s’y oppose pour mieux s’affirmer. Et pourtant, impossible de le nier : Antiviral tient bel et bien de Cronenberg Ier. Dans ce long métrage de science-fiction
chirurgical, Syd (Caleb Landry Jones, roux) travaille au sein d’une société qui vend les virus des stars les plus célèbres à des fans zombifiés. Assez vite, l’appât du gain le conduit à participer au trafic parallèle de ces maladies : son corps devient rien moins qu’un entrepôt d’import-export de virus. La peau blanchâtre de Syd se charge peu à peu de pustules, avant qu’en jaillisse le sang. Véritable travail plastique et semi-gore sur l’extériorisation des fluides corporels, Antiviral
Le carnet
Antiviral de Brandon Cronenberg Avec : Caleb Landr y Jones, Sarah Gadon… Distribution : UFO Durée : 1h48 Sor tie : 13 février
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Naissances La presse ne va pas si mal, preuve en est la commercialisation d’une version papier du site Gonzaï et l’arrivée en kiosque de Paulette. Longue vie également à la revue Répliques, dédiée aux interviews de cinéastes, et au site Tess Magazine, fondé par notre collaboratrice Pamela Pianezza.
Récompenses La vidéaste britannique Elizabeth Price a remporté le prestigieux Turner Prize 2012, prix d’art contemporain, pour sa très belle vidéo The Woolworths Choir of 1979. Chez nous, le bédéaste Jacques Tardi a poliment refusé la Légion d’honneur, préférant « rester un homme libre ».
©Georges Seguin
©The Asahi Shimbun/Getty Images
_Par C.G.
Décès En France, on regrette la fermeture en décembre dernier du site d’information Owni. À l’étranger, on pleure le musicien indien Ravi Shankar, le jazzman américain Dave Brubeck, les cinéastes japonais Nagisa Ôshima (L’Empire des sens) et britannique Michael Winner (Le Grand Sommeil).
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rappelle bien la première façon de David Cronenberg (Frissons, Rage). Seulement, quand chez celui-ci le dégoût naissait de ces jaillissements divers, celui-là parvient à créer un malaise physique par le seul portrait d’un monde aseptisé. Ainsi, le fils développe un négatif de l’œuvre du père, sans en renier l’apport. ♦
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NEWS PÔLE EMPLOI
Destins animés Nom : Genndy Tar takovsk y Profession : réalisateur de films d’animation Dernier projet : Hôtel Transylvanie (Sony Pictures, sor tie le 13 février)
Après avoir erré pendant plus de six ans dans les limbes du « development hell », Hôtel Transylvanie parvient enfin jusqu’à nos écrans et marque les débuts au cinéma d’un géant du cartoon américain : GENNDY TARTAKOVSKY. Il nous a détaillé son parcours, aussi agité que celui de son film. _Par Julien Dupuy
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ixar excepté, Genndy Tartakovsky est indéniablement ce qui est arrivé de mieux au cinéma d’animation de ces vingt dernières années. Au milieu des années 1990, le jeune homme se fait un nom en créant Le Laboratoire de Dexter, digne héritier de Tex Avery et de Chuck Jones, puis en réalisant plusieurs épisodes des Supers Nanas, la série pop de Craig McCracken. C’est pourtant avec son œuvre suivante, en 2001, qu’il s’impose comme un géant de l’animation : lorsqu’apparaît sur les écrans télévisés Samurai Jack, le monde entier salue le culot de cette série inclassable, sorte de chanbara (films de sabres) à mi-chemin entre les dessins animés du studio UPA, les comics de Frank Miller, la saga Baby Cart, Sergio Leone et la SF japonaise. Tartakovsky se voit aussitôt courtisé par Hollywood : Jon Favreau l’invite à signer le storyboard des scènes d’action d’Iron Man 2, J. J. Abrams songe à produire une adaptation cinéma de Samurai Jack, et George Lucas lui demande de réaliser la mini-série Star Wars – La Guerre des clones.
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« Quand je suis arrivé, Hôtel Transylvanie avait vu défiler deux équipes de producteurs exécutifs et cinq réalisateurs différents. C’était un truc de fou ! » Passage à vide La transition vers le cinéma sonne alors comme une évidence : « J’ai décidé de passer au long métrage juste après La Guerre des clones, nous explique Tartakovsky, en visite à Paris. Il était alors question que je dirige un département entièrement dédié à l’animation chez Lucasfilm. Je suis donc allé déjeuner avec George (Lucas – ndlr) juste avant la signature des contrats et j’ai commencé à lui faire part de mes idées. Mais il m’a coupé dans mon élan : “Je ne veux pas faire de films. Je veux faire uniquement de la télé.” J’ai alors compris que nous n’étions pas sur la même longueur d’ondes et j’ai décliné sa proposition. » S’ensuit un long chemin
CV 17 janvier 1970 Naissance à Moscou 1977 Les Tartakovsky emménagent à Chicago. Genndy découvre les comics et les cartoons. 1990 Il entre à l’école d’animation CalArts, à Los Angeles. Il y rencontre Craig McCracken et pose les bases d’une série qui deviendra en 1996 Le Laboratoire de Dexter. 1992 Pour son premier emploi, il part en Espagne, où est sous-traitée l’animation de la série Batman. 1994 Grâce à Craig McCracken, il est embauché chez Hanna-Barbera. Il y réalise des épisodes de Bêtes comme chien et Les Supers Nanas, puis crée Le Laboratoire de Dexter et Samurai Jack. 2003 Réalisation de Star Wars – La Guerre des clones 2011 Il entre chez Sony Pictures Animation et reprend à sa charge le projet Hôtel Transylvanie.
de croix pour Tartakovsky : « Même si j’avais eu du succès à la télé, je partais de zéro au cinéma – 95 % de mes interlocuteurs n’étaient pas intéressés par ce que j’avais fait avant. » Parmi les nombreux projets avortés auquel est attaché Tartakovsky, on recense une adaptation du manga Astroboy ou encore Dark Crystal 2, la suite du chef-d’œuvre de Jim Henson : « Il ne nous restait que quatre millions de dollars à trouver pour boucler le budget, mais personne n’a voulu nous financer », détaille-t-il. Dépité, Tartakovsky retourne en 2010 à la télévision pour réaliser un autre bijou d’animation, SymBionic Titan. Annulé en cours de d iffusion, c’est encore un échec. « Ce fut la pire période de ma vie. Il fallait alors que je trouve un boulot. C’est à ce moment que Sony Pictures Animation m’a proposé de reprendre Hôtel Transylvanie. » Film monstre Cette histoire d’hôtel réservé exclusivement aux monstres tombe on ne peut mieux mais a tout du projet maudit : « Quand je suis arrivé,
Hôtel Transylvanie avait vu défiler deux équipes de producteurs exécutifs et cinq réalisateurs différents. C’était un truc de fou ! » Contraint de reprendre un design établi par ses prédécesseurs, Tartakovsky retrousse ses manches : il choisit de recentrer le scénario sur les rapports de Dracula et de sa fille et de diriger le film vers le cartoon pur et dur. « J’ai pris ça comme un défi : j’avais ces jouets que l’on mettait à ma disposition, et il fallait que je parvienne à en tirer un maximum. » Résultat : Hôtel Transylvanie est le second plus gros triomphe outreAtlantique de Columbia pour 2012, juste derrière Skyfall. Mais surtout, ce film donne enfin à Tartakovsky le loisir de se consacrer à des projets personnels, comme une adaptation de Popeye sur laquelle il travaille actuellement d’arrache-pied : « Ce projet m’enthousiasme pour deux raisons : je peux rendre hommage aux dessins animés des frères Fleischer ; mais surtout, je vais réaliser un film d’animation physique dans lequel plus de 80 % des gags seront purement visuels. C’est un défi passionnant ! » ♦
Au fond du trou Festival Entrevues de Belfort, la nuit. La bande d’Art Press (Catherine Millet et Dominique Païni en tête) présente Une sale histoire de Jean Eustache. L’histoire vraie d’un mec qui devient voyeur grâce à un trou percé dans les toilettes pour femmes d’un bar du XVe. Il se met à mater tout le temps et puis il cesse, parce qu’il a peur de son obsession. Dans le film, cette histoire de trou est d’abord racontée par Michael Lonsdale, puis par le véritable protagoniste. Après la projection, Catherine Bizern, directrice artistique du festival, orchestre un savoureux débat, mélange de théories seventies sur la métaphysique du trou et de dérapages polissons plus ou moins contrôlés : « Ce qui est vertigineux dans le trou, c’est qu’on n’arrive pas à en voir le fond ! » Troubidou wah. _L.T.
La technique ©2012 Paramount Pictures Photo Robert Zuckerman
©2012 Sony Pictures Animation
©Vincent Courtois / Festival Entrevues de Belfort
Brève de projo
La tête à l’envers C’est grâce à un engin surnommé par l’équipe la « rôtisserie » que Robert Zemeckis a tourné l’étourdissant plan de Flight qui voit l’intérieur d’un avion pivoter sur lui-même à 180 degrés. La rôtisserie était composée d’une reproduction de la cabine de l’appareil fixée sur une roue qui faisait tourner le plateau et ses occupants. Faute de budget suffisant, seule une moitié du décor put être construite. Par conséquent, la séquence montrant l’ensemble de la cabine nécessita le tournage de deux prises : l’une pour le premier plan, puis l’autre pour le fond de l’appareil. Les deux images furent ensuite assemblées optiquement pour recomposer la totalité de l’intérieur de l’avion durant ses effrayantes circonvolutions. _J.D. Flight de Rober t Zemeckis Sor tie le 13 février Lire également p. 16
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NEWS courts métrages Courts, toujours _Par L.T.
DR
L’actualité des courts métrages
©Kaleb Lechowski
The Event de Julia Pott Les films d’animation de cette diplômée du Royal College of Art sont incontournables. Après Belly en 2011, elle présente cette année The Event à Sundance. On y retrouve ses animaux à voix humaines dans un univers dévasté, magnifié par une bande-son chiadée.
_Par Éric Vernay
C
omme Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow,c’est sur une scène de torture que s’ouvre R’ha. Sauf que le duel forces spéciales américaines contre islamistes a laissé place à une guerre futuriste entre extraterrestres et robots. « Nous avons été anéantis de l’intérieur, par notre propre armée. Quatre-vingts pour cent de nos forces militaires étaient des machines (…). Elles connaissaient nos tactiques. Elles étaient nos armes. Elles se sont retournées contre nous, ravageant nos villes sans défense », raconte R’ha, alien doté d’une tête de cobra et de quatre bras, lors d’un flash-back. Dans une mégapole aux tons gris délavé et basalte, d’immenses tours s’effondrent sous les assauts de 34
février 2013
vaisseaux multi-hélices : ce paysage postapocalyptique évoque autant le 11 Septembre qu’Avatar. Digne d’un blockbuster, le court métrage a été conçu en sept mois par un étudiant en design informatique de 22 ans, Kaleb Lechowski, seul devant son ordinateur : « Il m’a fallu quatre à six minutes de travail par image, explique l’Allemand sur son blog. Il y a environ 9 200 images au total. » Impressionnantes, les six minutes de R’ha ont déjà tapé dans l’œil de Scott Glassgold, l’homme qui a vendu les courts de SF Rosa et True Skin aux studios hollywoodiens en 2012. To be continued? ♦ R’ha de Kaleb Lechowski Avec la voix de : Dave Masterson Durée : 6 minutes À voir sur w w w.vimeo.com
Haircut Mouse de Michel Gondry Une souris nulle en orthographe veut ouvrir un salon de coiffure. Son pote le chat s’y oppose. Un bricolage de dessins pop et volontiers naïfs : c’est drôle, la bande-son (entre musique et bruitage) est au poil, et Gondry maîtrise décidément la science des rêves.
DR
La semaine de sa diffusion, R’ha a été vu plus d’un million de fois sur internet. Réalisé par KALEB LECHOWSKI, un étudiant allemand de 22 ans, cet impressionnant court métrage d’animation intéresse déjà Hollywood.
DR
ALIENS VS. MACHINES
2013 d’Apichatpong Weerasethakul Une carte de vœux du maître thaïlandais ça ressemble à quoi ? Tourné en noir et blanc, un plan fixe sur des palmiers laisse peu à peu apparaître des fantômes dansants, tandis qu’une voix d’outre-tombe murmure une incantation. Entre Tabou et Guy Maddin.
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NEWS enquête
Pas tout jeune Dans Sublimes créatures, en salles ce mois-ci, le jeune Ethan rencontre la mystérieuse Lena, qui apparaissait jusque là dans ses rêves. Le film est la première des six adaptations prévues sur grand écran en 2013 de romans dits « young adult », genre qui se focalise sur les duos amoureux d’ados confrontés au surgissement du fantastique dans leur quotidien. Retour sur le phénomène littéraire auquel Hollywood fait les yeux doux. Sublimes créatures de Richard LaGravenese Avec : Alden Ehrenreich, Alice Englert… Distribution : SND Durée : 1h57 Sortie : 27 février
©SND
_Par Tiffany Deleau
Sublimes créatures
À l’instar de Twilight ou de Harry Potter, le film Sublimes créatures ouvre sur grand écran les chapitres d’une saga de papier du même nom (16 lunes en français). Au-delà de la transposition mécanique de leur succès, toutes ces œuvres sont liées par la nature de leurs intrigues, qui les font appartenir à une catégorie littéraire – sinon un genre – que l’on appelle roman « young adult » (YA). Loin d’être une nouvelle étiquette marketing, le terme est employé pour la première fois en 1802 lorsque que la femme de lettres Sarah Trimmer distingue un type de livres destiné aux jeunes âgés de 14 à 21 ans, qu’elle nomme « young adulthood ». Mais la notion de YA telle qu’on l’entend aujourd’hui naît en 1967 lors de la sortie du roman Les Outsiders de S. E. Hinton, étalon c aractéristique de ce type nouveau. 36
février 2013
Éducation textuelle
Le roman YA est alors défini comme un roman d’apprentissage mettant en scène un héros adolescent (généralement âgé de 16 ou 17 ans)
Certains professeurs inscrivent les romans young adult au programme. Le principe : lire Les Outsiders pour comprendre Hamlet. confronté à une suite d’épreuves qui, une fois résolues, le feront entrer dans l’âge adulte. Ce sont aussi des œuvres qui stimulent l’imagination du lecteur. « Les mondes développés dans ces livres sont des mondes imaginaires et donc lacunaires, décrit Matthieu Letourneux, maître de
conférences en lettres à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense. Ils suscitent chez le lecteur une volonté de les compléter par d’autres modes d’expression, comme le cinéma ou le jeu vidéo, qui fonctionnent sur des modalités d’immersion. » Pour Cécile Terouanne, directrice éditoriale chez Hachette Jeunesse, qui publie Twilight de Stephenie Meyer et 16 lunes de Margaret Stohl et Kami Garcia, le premier critère reste l’émotion, « le fait de vibrer avec des héros auxquels on peut s’identifier. Si on s’en tient au phénomène Twilight, c’est le côté prince charmant, jeunesse éternelle et conte de fées réactualisé qui attire. » L’engouement pour les romans YA est tel qu’aux États-Unis certains professeurs les inscrivent au programme. Le principe : lire Les Outsiders pour comprendre Hamlet. « Beaucoup de professeurs
Mot @ Mot _Par T. D.
Young adult (adj. composé) [jʌŋ əˈdʌlt]
1. Expression anglo-saxonne qui peut se traduire par « jeune adulte » ou, plus récemment, par « adulescent ». Plus tout à fait ado, pas encore vraiment adulte, une personne dite young adult est âgée de 18 ans et plus (parfois jusqu’à 35 ans). 2. Expression anglo-saxonne désignant un type d’œuvres destiné à un jeune public (de 14 à 21 ans, voire plus), pouvant regrouper plusieurs genres (heroic fantasy, aventure, romance…). En France, la littérature young adult correspond à la littérature jeunesse, qui est publiée sous différents formes (romans, nouvelles, poésie…).
pensent que si vous reliez un livre young adult à une œuvre plus classique qui partage les mêmes thèmes, l’étude de cette dernière sera plus substantielle », précise Pamela Cole, professeure de littérature à l’université américaine de Kennesaw, en Géorgie. Cécile Terouanne va plus loin en s’appuyant sur la saga de Stephenie Meyer, qui a selon elle déclenché un regain d’intérêt pour la littérature victorienne : « Avec Twilight, on a vu réapparaître Orgueil et préjugés ou Les Hauts de Hurlevent. Il existe des cercles vertueux où la littérature contemporaine commerciale permet de promouvoir des textes classiques. »
Tendres acnés
Mais les ados ne sont pas les seuls à s’intéresser aux romans qui leur sont théoriquement destinés. Selon une étude réalisée en septembre 2012
par Bowker, 55 % des acquéreurs de ce type d’ouvrages sont en fait des adultes, âgés pour la plupart entre 30 et 44 ans. « Avec Harry Potter, la littérature jeunesse a obtenu ses lettres de noblesse, explique Cécile Terouanne. Les adultes y trouvent un imaginaire qui leur manquait dans la littérature générale. » Pour Pamela Cole, les adultes sont nostalgiques et « replongent dans leur propre jeunesse avec ces histoires d’adolescents. Ils pensent à ce qu’ils auraient aimé faire différemment ». En conséquence, les éditeurs adaptent l’offre à la demande en proposant un même livre dans plusieurs collections : « À la croisée des mondes de Philip Pullman a été édité en jeunesse et en adulte au moment de sa sortie », détaille Matthieu Letourneux. Jouissant d’une audience grandissante, les œuvres YA ne risquent
donc pas de déserter les librairies. Ce qui n’empêchera pas la fin de certains types de récits, toujours selon Matthieu Letourneux : « La fantasy type Harry Potter est presque éteinte, ainsi que le récit de vampires. Aujourd’hui, on nous parle de fictions dystopiques. Les genres sont à la mode, puis disparaissent ou se transforment. » Au cinéma, le YA persiste en tout cas au-delà de l’effet de mode, et son succès se démultiplie. « Quand vous adaptez ce type de romans, vous êtes sûr de réunir un public qui va de 10 à 50 ans, car les parents accompagnent leurs enfants, ajoute Cécile Terouanne. Le phénomène devient familial. » Avec des recettes qui se chiffrent en milliards (environ 2,5 milliards d’euros pour Twilight et plus de 5,7 milliards d’euros pour Harry Potter), le phénomène YA n’est pas près de s’essouffler. ♦ www.mk2.com
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NEWS TOUT-TERRAIN COVER boy +
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Soudé comme le cercle fermé des gangstas de N.W.A et tournant autour d’un son old school à la De La Soul, le jeune collectif new-yorkais Pro Era commence sa ronde médiatique avec la mixtape Peep the Aprocalypse. Preuve que le rap est une affaire de boucles. _Q.G.
UNDERGROUND
©Thomas Capdeville
LA TIMELINE DE LA CHATTE
Chatte power Avec Crash Ocean, LA CHATTE secoue la fourmilière post-punk, fout le souk dans le genre et met des couleurs à nos névroses. Le secret le mieux gardé de l’underground parisien sort de sa cage. _Par Michael Patin
Crash Ocean de La Chat te Label : Tsunami-Addiction Sor tie : 4 mars
Comment oublier ce nom quand on le voit sur l’affiche d’un concert ou sur la pochette d’un disque (Bastet en 2010, Crash Ocean en 2013) ? « La beauté ou la laideur est dans la bouche de celui qui le prononce et dans l’oreille de celui qui l’entend », résume le claviériste et bidouilleur Stéphane Argillet, l’une 38
février 2013
des têtes de cette bête féroce et complexe qui marque son territoire dans les souterrains parisiens et berlinois depuis 2003. Celui d’un post-punk rendu à ses premières jouissances, ultraviolent et hypersensible, cherchant la catharsis de l’époque dans l’agression sonore et théâtrale. Sur Crash Ocean, la chanteuse Vava Dudu manie ses slogans dada effarés avec toutes les fluctuations d’un corps réinventé, tandis que les mecs déterrent l’or pop sur des plages de tessons synthétiques. Une épreuve de force qui tourne à la rafale de baffes (treize, pour être précis). La Chatte a accouché d’une œuvre inouïe, hymne à la liberté esthétique et éthique, abandonnée par folie à la porte d’une France dépressive et divisée. Adopteriezvous La Chatte ? ♦
Hier Baptisée en 2003 par la styliste Vava Dudu et le plasticien Stéphane Argillet entre deux virées au Pulp, La Chatte naît sur scène à l’arrivée du guitariste Nikolu, tourne sans tourneur et enregistre un premier album lo-fi mystifiant, Bastet, en 2010.
Aujourd’hui Devenue attraction live, La Chatte sait aussi s’enfermer pour fixer ses humeurs, comme à l’été 2011, où Crash Ocean a été craché. Appartement berlinois, premières prises, improvisations lexicales, jeux sonores extrêmes… et ampleur.
Demain « On a enregistré vingt morceaux pendant cette session, et on va essayer de sortir aussi des maxis ou des 45 tours. J’espère surtout que cet album nous permettra de faire plus de concerts », projette humblement Nikolu.
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CALÉ
Gérard Depardieu : après avoir joué gracieusement le rôle de Mammuth dans le film du même nom de Gustave Kervern et Benoît Delépine (2010), il semble avoir accepté d’incarner Dominique Strauss-Kahn à l’écran sans être payé pour Abel Ferrara.
DÉCALÉ
Gérard Depardieu : après plus de quarante ans de carrière, l’acteur réussit encore à apparaître là où on ne l’attend pas. Dans L’Odyssée de Pi d’Ang Lee, cet amateur de bonne bouffe interprète un chef cuisinier irascible et… anthropophage.
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_Par A.G.
RECALÉ
Gérard Depardieu : difficile de passer à côté de la grosse présence médiatique du comédien. De son exil fiscal avec rendu de passeport jusqu’à sa lettre pleine de louanges sur la « grande démocratie » russe adressée à Poutine, Danton joue une drôle de révolution…
OVERGROUND Sister act La petite sœur de Beyoncé Knowles sort True, son troisième disque en dix ans. Un petit miracle de pop synthétique qui fait de SOLANGE la nouvelle icône des hipsters. _Par Éric Vernay
True de Solange Label : Terrible Records / Dif fer-Ant Sor tie : disponible
©Daniele Tamagni
Seulement sept morceaux, pas un de trop. Avec son format étrange, True, le nouveau disque de Solange, n’est ni vraiment un album (trop court), ni vraiment un maxi (trop long). C’est l’équivalent musical d’un moyen métrage, ce format bâtard qu’exècre l’industrie. « Fuck the industry », chantait d’ailleurs Solange en 2008 sur un single provocant. Elle prévenait alors qu’elle ne serait « jamais aussi photogénique que Beyoncé ni aussi cool que J-Lo », avant d’ajouter crânement : « Je suis capable de tout. » Icône mode aux États-Unis, maman à 18 ans, la Texane commence à écrire son premier album à 14 ans. Un four commercial. Plus ambitieux, son deuxième effort (une relecture pop de la soul seventies) s’avère lui aussi décevant dans les charts. Claquant la porte de sa major, Solange voyage (Australie, Afrique du Sud) et rencontre des artistes electro comme Midnight Juggernauts ou Twin Shadow. C’est avec l’alchimiste pop Dev Hynes que la chanteuse trouve, à vingt-six ans, la formule magique : une soul sous influence new wave eighties, dont les synthés planants offrent un écrin lumineux et funky au spleen pop de la diva indé. ♦
La timeline de Solange Hier Née au Texas en 1986, Solange Knowles grandit dans l’ombre de sa sœur aînée Beyoncé, qui triomphe avec Destiny’s Child à la fin des années 1990. Son premier LP, Solo Star (2003), est un échec commercial. Le deuxième, en 2008, fait à peine mieux.
Aujourd’hui Lasse du star-system, Solange lâche un morceau intitulé Fuck the Industry (Signed Sincerely) et quitte sa major Geffen pour faire sa vie en indé. La chanteuse part en Australie, où elle écrit une partie de son minialbum True, qui sort en janvier 2013.
Demain Produit par Dev Hynes, petit génie pop également connu sous les noms de Lightspeed Champion et de Blood Orange, True est une brillante incursion soul dans la new wave. Soutenue par une critique dithyrambique, Solange part en tournée européenne.
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NEWS SEX TAPE
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Baby fesses Baby Face d’Alfred E. Green Avec : Barbara Stanw yck, George Brent… Édition : Warner Bros. Durée : 1h10 Sor tie : disponible
La bien nommée Lily Powers décide de prendre en main son destin : après la mort de son père, horrible proxénète, elle quitte son Sud natal pour New York, décidée à en découdre avec la réussite. Le plus court chemin vers le succès : la faiblesse des hommes. Baby Face (1933) fait partie de la collection « Forbidden Hollywood », qui réunit des films de la Warner des années 1930, réalisés avant que le code de censure Hays n’entre en vigueur en 1934. Si aucune image n’est réellement olé olé, le scénario garde son parfum de scandale : l’héroïne est une forte tête manipulatrice, une solitaire qui lit Nietzsche. Malgré un happy end romantique, Baby Face prend acte de la pénible alternative laissée aux femmes : domination ou soumission. _Laura Tuillier
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BRIAN DE PALMA
le plaisir des yeux Réinterprétation voyeuriste de Crime d’amour, polar franchouillard d’Alain Corneau, Passion donne un bon coup de fouet à ce vilain jeu de mains entre businesswomen coriaces (la brune Noomi Rapace vs. la blonde Rachel McAdams). BRIAN DE PALMA y revisite ses grands coups d’éclat maniéristes et sulfureux, avec passage obligé par la case Hitchcock. Entretien avec un obsédé visuel. _Par Clémentine Gallot
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BRIAN DE PALMA
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BRIAN DE PALMA
Noomi Rapace (à gauche) et Rachel McAdams
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hriller d’entreprise, Passion orchestre le duel macabre de deux publicitaires à Berlin : une fausse ingénue, Isabelle (Noomi Rapace), se voit initiée par sa patronne retorse, Christine (Rachel McAdams), aux arcanes du pouvoir et de la duplicité, qui mèneront à un meurtre. Une somme de tension homoérotique, de trahisons sulfureuses et de renversement des rapports de domination : ces ingrédients « de palmesques » en puissance et une perversité contenue en germe dans le scénario original (Crime d’amour d’Alain Corneau, sorti en 2010) ont sûrement fait appel d’air pour le réalisateur de Scarface (déjà un remake), qui a injecté une tension dramatique nouvelle à l’intrigue. « J’aimais les personnages de Crime d’amour, la guerre entre les deux professionnelles, et je trouvais les dialogues réussis, explique Brian De Palma, pourtant plus fan de Bruno Dumont que d’Alain Corneau. En revanche, il fallait absolument changer le fait que le ou la coupable est révélé(e) à la moitié du film. Pour maintenir la tension et le mystère, j’ai créé plusieurs personnages qui en veulent à la victime. Le procédé de rigueur qui consiste à disposer des faux indices – il y en avait au moins cinq chez Corneau –, cette méthode de film policier que l’on voit à la télévision, ne m’intéressait pas. » Pour évacuer le polar poussiéreux, le cinéaste américain a mobilisé son savoir-faire de styliste, un maniérisme emphatique qui tire cette variation vers une appropriation formelle virtuose et tape-à-l’œil. « Je voulais que le film soit raconté du point de vue de la jeune publicitaire, Isabelle, et bascule au milieu à la manière d’un rêve fou et surréaliste, afin que l’on ait de l’empathie pour elle sans savoir où se situe la vérité. » Star du Nouvel Hollywood aujourd’hui désolidarisée du système et marginalisée par la critique, De Palma a enchaîné plusieurs semi-échecs après le succès de ses films de gangsters (Scarface en 1983, Les Incorruptibles en 1987), puis de Mission : Impossible (1996). Réfugié en Europe, il y tourne Femme fatale en 2002, puis sort coup sur coup Le Dahlia noir (2006) et Redacted 44
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(2007), un documentaire à charge décomposant la nature des images de la guerre en Irak. Conçu lui aussi en Europe, Passion réaffirme sa position d’outsider à l’heure où Hollywood croule sous les projets dérivés et les remakes souvent impersonnels. Surtout, le film permet à son auteur de rebondir tout en revisitant un cinéma (français, hitchcockien et personnel) mêlant à la ringardise une cinglante modernité.
Hitch tocs Trop souvent, la réception de l’œuvre de De Palma, longtemps brouillée car perçue comme un recyclage de Hitchock par un disciple surdoué, a donné lieu à des malentendus : soit une filmographie qui a parfois consisté à remettre en scène avec d’infinies variations les mêmes références à Psychose ou à Sueurs froides, réappropriées dans un système d’échos faisant dialoguer l’œuvre et les modèles. Un geste qui « constitue pourtant l’un des projets les plus remarquables du cinéma américain (…) en traitant Hitchcock comme une école et un genre en soi », oppose l’universitaire américain David Greven(1), soucieux de rétablir la vérité. Ici, la dualité brune-blonde qui oppose Isabelle à Christine et la gémellité qui les rapproche puisent nécessairement leur source dans Sueurs froides, comme le faisait déjà Obsession (1976), où épouses vivante et morte se superposaient. Entre les deux publicitaires de Passion, la rivalité dans l’entreprise ne peut se résoudre que dans une suppression par substitution (on n’en dira pas plus). Lors de la sortie de Body Double en 1984, De Palma disait avoir atteint la fin d’un cycle hitchcockien ; or, à voir aujourd’hui se redéployer ce répertoire dans Passion, on doute que cette stimulante intertextualité s’épuise un jour. Radotage de vieilles marottes ? « Une fois que l’on a appris la grammaire de Hitchcock, sa technique est si puissante qu’elle ne vous quitte plus, se défend-il. C’est comme parler anglais : certaines expressions restent les meilleures, même si elles sont trop utilisées ou qu’elles ont été empruntées
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BRIAN DE PALMA
Brian De Palma (au centre) avec Rachel McAdams et Noomi Rapace
à autrui. C’est en regardant en arrière que l’on façonne ce qui sera l’avenir. Certains de mes films de la fin des années 1970 étaient construits sur un modèle hitchcockien, puis j’ai commencé à faire des films de gangsters et je reviens à ce modèle n arratif à l’occasion, mais sans y penser autant qu’avant. »
Rompu à l’exercice du mateur sachant mater, de palma a toujours cultivé une esthétique du voyeurisme . Passion permet également à De Palma de revisiter sous forme de jeu de piste les codes de ses propres films, notamment Femme fatale, méditation cauchemardesque sur le film noir. Mobilisant l’habituel réseau d’obsessions et de sensibilités du cinéaste, Passion ne déroge ainsi pas à la règle du fétichisme (écharpe et souliers y sont dispersés comme autant d’indices). La mise en scène et le découpage en trompe-l’œil sont pour leur part remplis d’effets qui convoquent ses vieux thrillers, y compris un passage obligé par le pic dramatique du split screen, forme qu’il a contribué à généraliser.
Autour de De Palma
« Je n’ai pas vu beaucoup d’utilisations élaborées du split screen, à part dans la série 24 heures chrono, précise-t-il. J’ai déjà appliqué ce principe visuel dans Pulsions (1980 – ndlr), où le même personnage peut parfois apparaître en même temps sur plusieurs parties de l’écran à la fois. C’est une technique pour signifier l’ubiquité d’un personnage… » Se déploie aussi dans Passion tout un réseau de reprises visuelles : ainsi, les ombres qui strient les murs des bureaux berlinois dans la deuxième partie du film pour signaler un basculement dans le registre dramatique rappellent les reflets expressionnistes de la pluie sur les murs d’un cabinet de psychiatre qui enserraient un tueur prêt à passer à l’acte dans Pulsions. « Le directeur de la photographie José Luis Alcaine (collaborateur d ’Almodóvar – ndlr) et moimême avons décidé de choisir des angles de prise de vue assez fous, de filmer avec les ombres des stores sur les murs, détaille le réalisateur. Tout cela rend la narration plus intéressante, particulièrement quand l’action se tient dans des bureaux, car ce sont des lieux que l’on a vu mille fois, il faut que cela attire l’œil. »
Œil pour œil De Palma est surtout « l’homme qui regardait les filles à travers les rideaux de douche », ce que YouTube confirme en quelques clics. En effet, en bon héritier du vieil Alfred, rompu à l’exercice du mateur sachant
_Par C.G.
Psycho-Sexual de David Greven
En Projet
(University of Texas Press, disponible en anglais) Le nouvel essai de l’universitaire David Greven déconstruit les représentations de la masculinité chez Hitchcock et les cinéastes du Nouvel Hollywood : voyeurisme, anxiétés concernant l’homosexualité et fascination grandissante pour la pornographie. Chez De Palma, cet héritage misogyne se mêle à une identification ambivalente aux femmes.
En attendant de revenir (ou non) sur les traces de son tournage berlinois, le cinéaste aurait signé pour réaliser un biopic sur Joe Paterno, prestigieux entraîneur de football américain de l’université d’État de Pennsylvanie, à la fin de carrière gâchée en 2011 par son implication dans un scandale de pédophilie. De Palma devrait retrouver Al Pacino pour ce projet adapté du livre Paterno de Joe Posnanski.
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Noomi Rapace (à gauche) et Rachel McAdams
mater, le réalisateur cultive depuis toujours une esthétique du voyeurisme, puisque c’est essentiellement par un jeu de regards et par l’intermédiaire de rétroviseurs ou de miroirs que passe la tension sexuelle dans ses films. Passion ne déroge donc pas à la règle de la nudité et des poursuites en petites tenues – une ambition érotique très présente dans la première mouture du scénario, finalement revue à la baisse au tournage. Le cinéaste, canaille, confirme qu’il ne filme pas les actrices comme leurs congénères masculins : « Je fais très attention au physique des actrices et à leurs costumes. J’aime filmer les femmes car j’aime les regarder, elles sont plus intéressantes à mes yeux que les personnages masculins, ce qui ne m’a pas empêché de faire des films peuplés de garçons. Ici, on a une blonde, une brune, une rousse… et même une ballerine. » Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Isabelle est chargée, au début du film, de faire la réclame d’une minicaméra, la « ass cam » (sic), qui, en filmant du point de vue des fesses, constitue un gadget parfaitement raccord dans la généalogie du voyeurisme « de palmesque ». « Cette caméra est une idée que j’ai trouvée sur YouTube en cherchant des réclames pour smartphones, se souvient De Palma. C’est une publicité virale pour un vrai produit qui permet aux filles de voir les gens qui regardent leur derrière dans la rue. » Passion, en explorant les coulisses impitoyables d’une agence de publicité, actualise aussi des luttes de pouvoir déjà au cœur des problématiques de Phantom of the Paradise (1974) ou, plus récemment, de Snake Eyes (1998) : « Évidemment, j’ai des sentiments très mitigés sur la place qu’occupe actuellement la publicité aux États-Unis. J’observe depuis longtemps la manière dont les images américaines sont manipulées à des fins commerciales. » Chez De Palma, comme l’écrit Luc Lagier dans son essai sur le metteur en scène(2), l’accession au pouvoir passe toujours par une lutte pour le contrôle de l’image (Blow out, 1981), qui permet aux personnages de passer de spectateur à acteur. Manipulation par l’image au cœur de Snake Eyes, qui décrit un univers perverti où chacun est épié ; final désenchanté dans Blow out, où la corruption généralisée entoure John Travolta : Passion prolonge cette désillusion balzacienne, qui voit Christine et son reflet (Isabelle) renvoyées dos à dos via téléphone portable, e-mails, minicaméras cachées. Un vertige au sein duquel chacune, en voulant détrôner l’autre, se trouve prise au piège dans un enfer d’images qui ne mène qu’à l’autodestruction. ♦ 46
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BONNES TENUES
Rencontre avec Karen Muller Serreau, costumière sur Passion « On m’a appelée un jeudi, j’ai rencontré Brian De Palma le vendredi et le lundi j’étais au travail. J’avais participé au film d’Alain Corneau (dont Passion est un remake – ndlr), c’est pour cela qu’on a fait appel à moi. Les costumes se composent principalement de tenues de travail. De Palma voit le personnage d’Isabelle comme un soldat, j’ai donc pris le parti de l’habiller en noir, comme si elle portait en permanence un uniforme. Pour sa supérieure, Christine, il fallait une garde-robe internationale. En voyant Rachel McAdams, son physique hitchcockien m’a frappée, j’ai donc essayé de moderniser les élégants costumes des films de Hitchcock. Pour le rôle furtif du fantôme de la jumelle de Christine, De Palma voulait un grand manteau noir, mais j’ai suggéré de lui donner un côté enfantin, avec un petit manteau en tweed et un col en velours. Je n’ai pas encore vu le film mais je sais que le scénario a évolué, il était plus sexuel dans sa version initiale. Pour ma part, je travaille sur le nouveau film de Roman Polanski. » _Propos recueillis par C.G.
Passion de Brian De Palma Avec : Noomi Rapace, Rachel McAdams… Distributeur : ARP Sélection Durée : 1h38 Sor tie : 13 février (1) Psycho-Sexual – Male Desire in Hitchock, De Palma, Scorsese, and Friedkin de David Greven (University of Texas Press, 2012) // (2) Les Mille Yeux de Brian De Palma de Luc Lagier (Cahiers Du Cinéma, 2008)
BRIAN DE PALMA
Hitchcock vs. De Palma mode d’emploi
Brian De Palma se contenterait d’imiter Alfred Hitchcock ? Rien de moins vrai, car loin d’un travail de copiste, son cinéma s’ingénie à pervertir et à détourner les grandes figures hitch cockiennes. Revue de personnages qui n’ont de commun que la silhouette. _Par Renan Cros
Alfred Hitchcock
brian de palma
Élégante et distinguée, elle mène une vie raisonnable. Elle subit les épreuves par amour, devenant espionne malgré elle. Elle témoigne d’un sens pratique et héroïque hors du commun. C’est : Alicia Huberman (Ingrid Bergman) dans Les Enchaînés (1946)
la femme parfaite
Spécimen rare, voire inexistant. Un idéal féminin soit en voie de rédemption, soit en passe d’être assassiné. Témoin du pire, elle en est souvent la cause. C’est une femme fatale qui s’ignore. C’est : Phoenix (Jessica Harper) dans Phantom of the Paradise (1974)
Ses péchés la perdront. Voleuse, menteuse, infidèle, elle est vouée au pire. À moins qu’un héros amoureux ne vienne la sauver, elle est condamnée. Elle doit se méfier des hôtels et des oiseaux… C’est : Marion Crane (Janet Leigh) dans Psychose (1960)
la femme Énigmatique
Séductrice, elle est guidée par ses fantasmes et ses désirs. En quête de sensationnel, elle perd parfois pied avec la réalité : c’est souvent là que le pire arrive. À moins que le pire, ce ne soit elle… C’est : Kate Miller (Angie Dickinson) dans Pulsions (1980)
Témoin impuissant de l’horreur des adultes, il ne comprend que rarement les drames qui se jouent. Un seul film fait de lui le vrai personnage principal. Ça tombe bien, c’est le préféré d’Hitchcock. C’est : Charlie (Teresa Wright) dans L’Ombre d’un doute (1943)
l’enfant
S’il possède des pouvoirs paranormaux, c’est une bombe à retardement, que la violence de l’adolescence et la trahison des adultes vont faire exploser. Son défi est de survivre à ses cruels semblables. C’est : Carrie (Sissy Spacek) dans Carrie au bal du diable (1976)
l’amoureux
Gangster mégalo, ancien mafieux ou flic ripou, il est sur la voie de la rédemption. Du moins, il essaie. En se découvrant l’âme d’un romantique, il espère racheter ses erreurs. Pas sûr que cela suffise. C’est : Tony Montana (Al Pacino) dans Scarface (1983)
Le modèle classique du héros hitchcockien. Espion aguerri ou faux coupable en cavale, les épreuves qu’il traverse sont récompensées par l’amour. Mais pour cela, il va falloir affronter le mal… C’est : Roger Thornhill (Cary Grant) dans La Mort aux trousses (1959)
Il vit dans le ressassement permanent. Véritable héros romantique, prisonnier de ses souvenirs et de sa culpabilité, il évolue au milieu des fantômes. L esquels pourraient bien êtres réels… C’est : John Ferguson (James Stewart) dans Sueurs froides (1958)
d’une femme vivante
l’amoureux d’une femme décédée
Obsédé par la personne disparue, il sombre dans la folie. Il cherche à recréer son image, traque ses doubles. Croyant à une seconde chance, il pense conjurer la perte. Mais c’est la sienne qui l’attend. C’est : Michael Courtland (Cliff Robertson) dans Obsession (1976)
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© Nicolas Guérin
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LA FILLE DE NULLE PART
C’est un fait rare : la dotation du Léopard d’or reçu par La Fille de nulle part au dernier Festival de Locarno est supérieure au budget du film, autoproduit par son scénariste, réalisateur et interprète JEAN-CLAUDE BRISSEAU. Le cinéaste français (De bruit et de fureur, Noce blanche, Les Savates du bon Dieu…) renoue ici avec le réalisme poétique de ses plus beaux métrages, né de la friction entre le trivial (l’érotisme, la délinquance, la marginalité) et le fantastique, le mystique et la philosophie. Soit la rencontre entre Michel, professeur à la retraite rédigeant un livre sur l’importance de l’illusoire dans nos vies, et Dora, jeune paumée branchée spiritisme et apparitions surnaturelles – lesquelles sont filmées avec un plaisir non dissimulé. La Fille de nulle part transforme son économie de moyens (tournage en équipe réduite, dans l’appartement du réalisateur) en atout pour souffler la grâce et l’énergie d’une première œuvre. Nous avons frappé à la porte de Brisseau pour un entretien dans le décor même du film : esprit, es-tu là ? _Propos recueillis par Juliette Reitzer
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©Les Acacias
LA FILLE DE NULLE PART
Virginie Legeay
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Ce film, je l’ai fait parce que la jeune comédienne qui joue dedans, Virginie Legeay – mon élève à la Femis et mon assistante sur Les Anges exterminateurs –, m’a sollicité. J’ai touché 62 000 euros au moment de la mort de Bruno Cremer et je me suis dit : « Je vais dépenser cet argent pour faire un petit film. » En réalité, j’ai eu un dépassement de 150 % du budget. Heureusement que j’ai eu un prix à Locarno, sinon j’aurais eu de graves difficultés. Ça m’a beaucoup intéressé de le faire mais ça a été pénible, essentiellement parce que j’ai joué dedans. J’ai perdu un peu de ma sérénité. Parfois, je perdais pied quand je jouais, il fallait reprendre dix fois. La liberté de l’équipe légère et du format numérique vous a-t-elle rappelé le tournage en super-huit de votre premier film, La Croisée des chemins (1975) ?
Bien sûr. J’ai fait mon premier film grâce à ça, parce que j’avais acheté une caméra super-huit sonore. C’était un tournage très décontracté, et j’avais la nostalgie de ces tournages-là. Je vous donne un exemple : dans La Croisée des chemins, il y a une scène où joue mon oncle, et au tournage, il n’était pas bon. On arrête, on bouffe, il picole un peu et là, brutalement, il est bien. Comme c’était un tournage léger, j’ai foutu deux loupiotes et on a filmé. Sur un tournage professionnel, on n’aurait jamais eu cette réactivité. Sur La Fille de nulle part, il y avait une seule personne à l’image et au son. L’assistante réalisatrice, c’était Virginie, qui était aussi actrice. Au sens habituel du terme, il n’y avait pas d’assistant réalisateur, mais il n’y en a jamais sur mes films. Lisa, ma femme, est la monteuse. Il y avait aussi l’assistante de Lisa, qui en avait marre que je l’envoie chercher de la bière. En dehors de ça, il n’y avait personne.
La Fille de nulle part est quasiment un huis clos, avec très peu de séquences en dehors de l’appartement. Pourquoi ?
Parce que je n’avais pas les moyens d’aller ailleurs ! À chaque fois que je fais un film, je me demande quels sont les moyens dont je dispose et, avec ça, ce que 50
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Jean-Claude Brisseau et Virginie Legeay
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uelle a été l’impulsion première pour cette Fille de nulle part ?
je peux faire : j’organise le scénario en fonction de ces éléments. C’est aussi bête que ça. La réussite du film tient notamment au contraste entre le contexte très réaliste et les phénomènes paranormaux qui y surviennent…
J’ai fait un certain nombre de films sur des phénomènes parapsychologiques, en particulier Céline (1992 – ndlr). J’ai vécu moi-même sept phénomènes parapsychologiques, et ces questions-là m’ont toujours profondément intéressé. Je voulais faire un film un peu atypique mélangeant la vie quotidienne, des éléments fantastiques et des éléments philosophiques, entre autres avec le paradoxe du bonhomme qui écrit un truc sur l’illusion et qui vit dans un monde rempli d’illusions. Je voulais faire une sauce avec tout ça, sans aucun moyen, mais qui puisse toucher les gens quand même. J’ai aussi tenu à garder un côté amateur et je me suis rappelé un des films de la Nouvelle Vague qui m’avait beaucoup plu, Tirez sur le pianiste. Dans les cinq premières minutes, on voit deux mecs marcher dans la rue, dont un va apporter un bouquet de fleurs à sa femme qui vient d’accoucher. Ils sont uniquement éclairés par les réverbères, et à l’époque, il n’y avait pas de pellicule ultrasensible, donc on ne voit quasiment rien. Eh bien, c’est le film de Truffaut qui m’a le plus touché.
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LA FILLE DE NULLE PART
L’une des apparitions surnaturelles de La Fille de nulle part
Parce qu’un film qui conserve un aspect amateur serait plus immersif pour le spectateur qu’un film trop maîtrisé ?
Il y a peut-être de ça, car moi, ce qui me touche, c’est la simplicité. Mais peut-être qu’il y a aussi autre chose : pour un acteur, quand vous devez respecter toutes les conditions techniques, c’est très compliqué. J’ai revu il y a peu de temps Désir de Frank Borzage, avec Marlene Dietrich. Quand on voit comment elle est éclairée ! Elle avait chaque matin trois heures de maquillage, trois heures d’éclairage et, une fois devant la caméra, pas beaucoup de possibilités de bouger, sinon elle était floue. Eh bien mademoiselle, donner l’impression de la décontraction, ce n’est pas évident. Si vous vous appelez John Wayne, Marlene Dietrich ou Gary Cooper, il n’y a pas de problème, mais la plupart des acteurs français n’en sont pas capables. Et en particulier les amateurs, comme Virginie ou moi.
« Je voulais faire un film atypique mélangeant la vie quotidienne, des éléments fantastiques et philosophiques. » en général, je prenais celui qu’on soupçonne le moins. Dans Psychose, des coupables possibles, il y en a deux : Norman Bates et sa mère. Et le film s’appelle Psychose, autrement dit, c’est dur de nous empêcher de deviner que Bates est le meurtrier. Donc, Hitchcock a organisé sa mise en scène pour ne pas qu’on le soupçonne… Ce film est une mine d’or cinéphilique.
Pourquoi préférez-vous travailler avec des acteurs amateurs ou inconnus ?
Diriez-vous que la nudité au cinéma pose plus de problèmes aujourd’hui qu’il y a une vingtaine d’années, au moment par exemple de la sortie de Noce Blanche (1989) ?
C’est une audace fameuse de Psychose…
Comme souvent, votre film s’ouvre sur une épitaphe. Ici, un extrait des Contemplations de Victor Hugo : « Ô Seigneur ! Ouvrez-moi les portes de la nuit ». Pourquoi ?
Bon, les gens connus permettent quand même des choses. Quand Charlotte Gainsbourg se caresse dans le film de Lars von Trier (Antichrist – ndlr), tout le monde va le voir. Et quand ce sont des filles inconnues qui le font dans mes films, tout le monde hurle. Cela dit, voilà pourquoi je suis plutôt pour les acteurs inconnus : dans une des scènes d’Un jeu brutal (1983 – ndlr), mon premier film en 35 mm, l’héroïne, handicapée motrice, tombe à l’eau. Un critique m’a dit : « J’ai vraiment cru qu’elle était morte, alors que si ça avait été Adjani, j’aurais su qu’elle s’en sortirait vivante. » C’est d’ailleurs pour ça que Hitchcock avait pris Janet Leigh dans Psychose : il y avait plus de surprise à la voir tuée au bout de cinquante minutes de film. Ah, ce film… J’ai appris le cinéma grâce à Psychose. Hitchcock voulait foutre la trouille aux gens, et en particulier dans la dernière séquence, celle où Vera Miles se balade dans la maison. Or, il était contre les w hodunit, ces films où le spectateur se demande tout le long qui est le criminel. Parce que si jamais vous devinez, eh bien c’est foutu. Vous passez les coupables en revue, et moi,
On nage là dans l’hypocrisie intégrale. Les choses interdites que j’ai foutues dans mes films, je pense que c’est ce que la plupart des gens désirent, et c’est pour le prouver que j’ai mis du suspense sur le sexe et non pas, comme Hitchcock, sur le meurtre. Filmer le sexe, c’est compliqué, pour une raison simple : d’abord, les acteurs n’ont pas une grosse expérience parce qu’on n’apprend pas, dans les cours dramatiques, à se caresser sous la table. Ensuite, comment filmer ça ? Je n’avais jamais vu ce genre de choses au cinéma – même si j’en avais envie.
C’est la cinquième fois que j’utilise un poème d’Hugo dans un de mes films. En général, je pars d’une idée philosophique, d’une interrogation sur le sens de la vie. Là, Hugo est venu après. Je cherchais un titre et je suis tombé sur ce passage. J’ai eu envie à un moment d’appeler le film Les Portes de la nuit, c’est pour ça que j’ai pris cette citation. Il y a aussi tout ce qui www.mk2.com
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LA FILLE DE NULLE PART
Jean-Claude Brisseau
concerne l’engouement d’Hugo pour le spiritisme et son rapport avec la mort de sa fille Léopoldine, que j’ai insérés dans le film. L’engouement de Victor Hugo pour le spiritisme est méconnu…
J’ai lu son livre Les Tables tournantes de Jersey. Vous savez qui étaient les esprits qui leur parlaient ? Dieu, Napoléon III, Shakespeare… Pendant longtemps, tout ce côté spirite d’Hugo a été éliminé de sa biographie. Pour moi, c’est un des grands auteurs de la littérature française, mais quand j’étais jeune, il n’était pas à la mode. On parlait peu de lui et comme on pensait que tout ce qui concernait le spiritisme était une escroquerie, on n’en parlait pas non plus. Comment avez-vous réalisé les effets s péciaux présents dans le film ?
Mademoiselle, je ne devrais pas répondre à votre question. Bon, pour la chaise qui vole toute seule, j’ai d’abord fait deux plans : le premier où j’ai filmé seulement le bas de la chaise qui se soulève, et le deuxième avec seulement le haut. Là, les gens se disent : « Oui, bon, on comprend comment il a fait. » Mais j’ai voulu surprendre tout le monde avec un autre plan, où on voit la chaise entière qui se balade toute seule. Je tenais une barre pour soulever la chaise, la barre était recouverte de papier vert, donc on a pu l’effacer ensuite en postproduction. Quand les filles lévitent, c’est pareil : il y avait une machine qui les soulevait, moi, je tournais la manivelle. Cette machine était dissimulée par un drap vert. D’ailleurs, si vous regardez bien dans le film, le bas de leur robe est flou. Dora est sans domicile fixe. Vous ménagez toujours une place importante dans vos films à des personnages marginaux. Pourquoi ?
J’aime bien les marginaux parce qu’exactement comme les psychopathes ils servent de révélateur, ils permettent de mieux comprendre ce qui se passe pour nous dans la vie quotidienne. Malgré les problèmes de rapports de classes, la société nous offre un c ertain nombre d’avantages, mais en même temps, il y a une 52
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répression d’un certain nombre d’instincts. Il vaut mieux qu’il y ait des barrières pour empêcher toute une série de débordements, mais ça amène aussi de la souffrance. J’aime bien les lieux où on peut justement renvoyer à ces choses-là, comme l’école, où se reflètent toutes les contradictions de la société. Ces cadres sociétaux et culturels sont évoqués dans le film comme faisant partie des illusions qui nous bercent…
Je pense qu’on vit dans des illusions qui nous procurent une vision du monde partielle et surtout partiale, et qui nous mettent dans les rails de la civilisation. Or, moi, ce qui m’intéresse, ce n’est pas de rester dans ces railslà, mais, sans les nier (même si je suis marxiste, je suis pour la civilisation et pour la culture), de les questionner. Quand je fais dire à mon personnage qu’il est vraisemblable que les patriarches, que Moïse n’aient jamais existé, ça implique en effet qu’on vive sur des rêves, sur des illusions complètes. J’ai toujours essayé, d’abord sur la délinquance, puis sur le sexe, d’aller dans des zones qui sont à la limite de ce que j’appellerais « la loi », de questionner des désirs réprimés. J’avais envie de transgresser certaines limites, des petites limites. J’aimerais bien continuer à interroger ces choses-là, sans être ni vulgaire ni laid mais en essayant de renvoyer à quelque chose d’authentique. Je n’ai jamais fait de film gratuit. Comment décririez-vous votre position dans le paysage cinématographique français ?
En 2011, mes films ont été programmés au festival Entrevues de Belfort, et il fallait refuser du monde à chaque séance. Je pensais que j’étais complètement oublié, que mes films n’intéressaient personne, et je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas. En France, il y a une attitude ambivalente à mon égard, avec des gens qui me portent aux nues et des gens qui haïssent mes films, et moi par la même occasion. ♦ La Fille de nulle part de Jean-Claude Brisseau Avec : Jean-Claude Brisseau, Virginie Legeay… Distribution : Les Acacias Durée : 1h31 Sortie : 6 février
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Bataille pour Los Angeles. Le L. A. qui sursaute au bruit de la crécelle des sulfateuses, du whisky de contrebande embué par les glaçons de la Prohibition, et des claques dans la gueule de Mickey Cohen, gangster sanguinaire des années 1930, figure de la Kosher Nostra. Violent et jouissif, ce blockbuster au casting étoilé confirme le talent du réalisateur RUBEN FLEISCHER, après les promesses de Zombieland. Dans les rues de Mickey Cohen, rencontre avec la bande de Gangster Squad.
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_Par Bruno Dubois, à Los Angeles
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Gangster Squad
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Sean Penn et ses seconds couteaux
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os Angeles, 1949. La Cité des Anges a succombé au vice. Formé à l’école de Chicago, le mafieux Mickey Cohen (Sean Penn) a tous les politiciens dans sa poche et les flics véreux à sa botte. Racket, prostitution, paris illégaux… Ce boxeur devenu gangster règne sur Sunset Boulevard en parrain aussi intouchable qu’impitoyable. Le chef de la police, Bill Parker (Nick Nolte), tente un ultime coup de poker : il charge le sergent John O’Mara (Josh Brolin) de créer une cellule secrète de six justiciers. La mission non officielle de Jerry Wooters (Ryan Gosling) et de ses coéquipiers : combattre le mal par le mal. Pour attraper un monstre, il faut parfois en devenir un. Avec Gangster Squad, le réalisateur Ruben Fleischer (Zombieland) marche dans les traces de géants. Impossible pour lui d’éviter la comparaison avec Les Incorruptibles ou Les Affranchis. « Ces histoires sont universelles, du film de gangsters comme Scarface au western comme Les Sept Mercenaires, nous explique-t-il. Je voulais rendre hommage à ces classiques en apportant une touche moderne ». PUB FICTION Côté pile, les cheveux gominés, les chapeaux Fedora et les mitraillettes Tommy Guns sont là ; la bande-son jazzy aussi. Côté face, les fusillades évoquent plus John Woo et Matrix que Martin Scorsese et Brian De Palma. Chez Fleischer, réalisateur autodidacte, les rivières de douilles tombent au ralenti pendant que les décorations de Noël explosent dans un spectacle aussi pyro que technique. Devenu réalisateur un peu par hasard après des débuts de programmeur web, Fleischer, 38 ans, a commencé dans la pub et les clips. Cela se voit à l’écran. Dans une course poursuite 56
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boostée aux images de synthèse, il multiplie les angles improbables jusqu’à un zoom ébouriffant par la fenêtre de la voiture pour une séance de tir en vue subjective tout droit sortie d’un jeu vidéo. De ses débuts, il a gardé « le souci d’apporter une identité visuelle à chaque scène ». « De Zombieland à Gangster Squad, on reconnaît tout de suite sa patte », confirme Emma Stone d’une voix enrouée qui sied parfaitement à son rôle de femme fatale coincée entre Cohen et Wooters. HISTORY OF VIOLENCE Le film s’inspire des événements narrés par le journaliste Paul Lieberman dans sa chronique pour le Los Angeles Times, « Tales from the Gangster Squad », récemment compilée en livre. S’il n’est pas aussi célèbre qu’Al Capone dans la culture pop, Mickey Cohen apparaissait déjà dans Bugsy, L.A. Confidential et dans le jeu vidéo L.A. Noire. Le scénariste Will Beall, un ancien flic du LAPD qui s’occupera bientôt de la Ligue de justice d’Amérique de DC Comics et du reboot de L’Arme fatale, a pris de grandes libertés avec l’histoire : dans la réalité, Mickey Cohen se fait pincer pour fraude fiscale et le personnage interprété par Emma Stone n’existe pas. Fleischer explique qu’il ne voulait pas faire un biopic et que tous les changements ont été réalisés « par nécessité dramatique ». Un autre changement, forcé celui-là, a affecté le film : sa pièce maîtresse, une fusillade dans le célèbre Chinese Theatre, a dû être coupée car elle évoquait trop la tuerie d’Aurora, qui a endeuillé l’Amérique en juillet 2012. « On n’a pas hésité une seconde. C’était la chose à faire, par respect pour les familles des victimes », tranche Fleischer. À la place, le réalisateur a dû filmer une nouvelle scène en trois jours au cœur
Emma Stone
de Chinatown, et la sortie du film a été repoussée de septembre à janvier. Sauf qu’entre-temps le massacre de l’école primaire de Newton a relancé le débat sur les armes et la violence dans les médias. Si Quentin Tarantino se fâche tout rouge quand un journaliste lui pose une question à ce sujet, Ryan Gosling, lui, réf léchit un instant avant de répondre. « Bien sûr qu’on se pose la question sur notre rôle. Ruben a pris une décision courageuse et humaine. » Emma Stone acquiesce : « La différence entre un film et la réalité, 99,99 % des gens la font, mais il y a toujours ce doute. » Dans Gangster Squad, la violence est tellement excessive qu’elle flirte avec le cartoon, comme dans cette scène où Sean Penn appuie la tête d’un employé contre une vitre avant de lui perforer le crâne à la perceuse. Le sang gicle, et Fleischer passe sans transition sur le gros plan d’un steak saignant écrasé contre le grill pour un barbecue familial. HOLLYWOOD BOULEVARD Après dix ans de performances calibrées pour les Oscars, Sean Penn s’amuse comme un gamin dans le rôle animal d’un grand méchant qu’on dirait tout droit sorti de Batman. « C’était Sean Penn ou personne. Je ne sais pas si j’aurais fait le film sans lui », explique Fleischer. Alors que la star hésitait, c’est finalement son ami Josh Brolin qui le convainc. Et si Gangster Squad fonctionne, c’est avant tout grâce à son casting étoilé, capable de faire passer des dialogues flirtant parfois avec la parodie. « Here comes Santa Claus ! » (« Le Père Noël arrive ! »), hurle Penn avant d’ouvrir le feu, rappelant Al Pacino et son « Say hello to my little friend ! » (« Dis bonjour à mon ami ! ») dans Scarface. « J’aime tirer une balle dans le genou d’un gangster,
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Gangster Squad
Ryan Gosling
comme tout le monde, mais il faut qu’on réfléchisse davantage », conseille ailleurs Wooters-Gosling à O’Mara-Brolin, qui vient d’abattre de sang-froid un sbire de Cohen. Avec ce rôle, Ryan Gosling prouve à nouveau qu’il est capable de naviguer entre tous les genres avec une facilité déconcertante. Pourtant, l’acteur reste timide, presque gêné quand il s’agit d’aborder son statut de sex-symbol. « On vous maquille, on ne garde que vos meilleures prises et il y a de la musique quand vous parlez. C’est l’effet romantique du cinéma », assuret-il. Josh Brolin n’est pas d’accord. « Il y a du Paul Newman en lui », tranche-t-il. Mais Gosling n’en démord pas : « Mon image est une blague. Je suis Canadien et je ne parle même pas aussi bien français que Bradley Cooper. » Dans ce monde d’hommes complété notamment par Giovanni Ribisi, Michael Peña et Robert Patrick, Emma Stone apporte sa fraîcheur. « Emma, c’est mon porte-bonheur depuis Zombieland, complimente Fleischer. Elle est drôle, adorable, et c’est l’une des actrices les plus talentueuses de la nouvelle génération. » Malgré sa distribution aussi douée que glamour, Gangster Squad ne deviendra pas un classique. Il lui manque quelques kilos et des personnages secondaires plus fouillés pour boxer dans la même catégorie que ses glorieux aînés. Mais comme Guy Ritchie avec Sherlock Holmes, Ruben Fleischer voulait dépoussiérer un genre ultraconservateur avec un ton pulp et un esthétisme pop. Pari tenu. ♦ Gangster Squad de Ruben Fleischer Avec : Ryan Gosling, Emma Stone… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h53 Sor tie : 6 février
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METAL GEAR REVIENT
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La saga de pixel, qui court depuis 1987, a associé en pionnière le jeu à la vidéo, révélant les capacités narratives d’une nouvelle forme de loisir. Et cette année, ce n’est pas un, mais deux Metal Gear qui sortiront. Tout d’abord, Rising – Revengeance, épisode indépendant et beat’em all furibard, prêt à faire déferler toute sa folie destructrice le 21 février. Puis, Ground Zeroes – réalisé par HIDEO KOJIMA himself, le créateur mythique de la série –, attendu pour la fin de l’année et qui a secoué la planète gamer avec une bande-annonce aussi énigmatique que renversante. 58
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METAL GEAR
LAME SœUR
Les quelques heures passés avec Metal Gear Rising – Revengeance attestent d’un soulagement : sa conversion prodigieuse aux lois du beat’em all fait souffler un vent nouveau sur l’œuvre de HIDEO KOJIMA tout en conservant son double caractère exigeant et profondément jouissif. Attention, ça va trancher. _Par Yann François
C’
est un phénomène avéré : à chaque nouveau Metal Gear, les sismographes tremblent à l’unisson. Alors, quand les développeurs de PlatinumGames (Mad World, Bayonetta) sont aussi de la fête, on frôle l’état de transe. Une œuvre majeure du jeu vidéo qui s’accouple à la nouvelle figure de proue du jeu de baston : ce rêve de fan se concrétise en un titre, sentant bon la série B d’antan, Metal Gear Rising – Revengeance (MGR). Si l’épisode reste sous la tutelle du grand Hideo Kojima, ce spin off accueille Raiden en remplacement du héros Solid Snake, pour une expérience renouvelée de son univers. Au diable l’espionnage, la discrétion et la poésie métaphysique habituels, place à la prose acérée du katana d’un cyborg ninja. Autrefois effacé devant son mentor, Raiden n’est plus que mort et destruction, ondulant telle une Faucheuse et sabrant tout ce qui bouge. Il faut donc en faire le deuil : dans MGR, la plume est désormais plus faible que l’épée. Mais on aurait tort de réduire le soft à un vulgaire défouloir. Ce serait oublier le travail titanesque de PlatinumGames pour magnifier chacun des combats en art martial. Grâce à une technique hallucinante, le joueur peut non seulement ralentir l’action en « bullet time » mais aussi décider de l’orientation de son sabre au millimètre près avec son stick analogique. Se déploie alors une incessante chorégraphie, dont l’interprète principal se révèle être notre dextérité, transformée en samouraï cubiste
découpant ses ennemis en tranches avec une classe folle. De cette barbarie naît le style perfectionniste et patient d’un ninja endiablé, qui trouve dans l’univers de Kojima une cohérence évidente. Plus discret qu’à l’habitude, le scénario de MGR n’a pourtant aucun mal, lui non plus, à se greffer naturellement à la mythologie de la saga. Aussi aiguisée que la lame son héros, sa dimension politique dépasse ses coutures romanesques pour une vision acerbe et incandescente des dérives géopolitiques modernes. D’une élégance cinématographique à tomber par terre, Metal Gear reste également le paradis des joueurs cinéphiles. On y croise autant les fantômes de Kurosawa et ses Sept Samouraïs que les androïdes dépressifs du manga animé Gunmm. Jamais à court de références, le jeu charrie autant de grands classiques et que de pochades bis que n’auraient pas reniées Takashi Miike ou Robert Rodriguez. Excentrique, foutraque, MGR est l’opéra sanguinolent de toute une pop culture qui a bercé plus d’un geek depuis l’enfance. Recommandé aux joueurs les plus hardcore, il est aussi la promesse d’interminables défis pour ceux qui traqueront l’enchaînement parfait. Et s’érige en nouveau standard d’une action viscérale, celle dont on ne ressort jamais indemne, cerveau et doigts en compote. ♦ Metal Gear Rising – Revengeance (Konami) Genre : action/beat’em all Développeur : PlatinumGames Sor tie : 21 février
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METAL GEAR
MÉTAL PRÉCIEUX
En attendant le retour en fanfare du grand patron Kojima avec son Metal Gear – Ground Zeroes, piqûre de rappel sur l’une des sagas les plus emblématiques du jeu vidéo. _Par Y.F.
S
olid Snake, Shadow Moses, Otacon… Des mots qui résonneraient pour l’éternité si le jeu vidéo avait son panthéon. Pourtant, quand Hideo Kojima commence la production de Metal Gear en 1987, personne, lui le dernier, n’anticipe un succès. Avec un seul jeu d’aventure mignonnet (Penguin Adventure) à son actif comme assistant chef de projet, le jeune employé de Konami reçoit commande d’un jeu d’action pour la console MSX2. Les seuls impératifs : l’efficacité et un titre, Metal Gear. Kojima imagine alors les mésaventures d’un agent secret, Solid Snake, personnage vaguement inspiré du Snake Plissken de New York 1997 de John Carpenter (l’un de ses nombreux films de chevet). Missionné par le gouvernement américain, l’espion doit infiltrer une base top secrète, laquelle abriterait le prototype d’une nouvelle arme de destruction massive, le Metal Gear. Bien que rudimentaire, le jeu se démarque déjà avec des mécanismes innovants, qui incitent le joueur à faire preuve de discrétion et non à foncer dans le tas. Il faudra encore attendre dix ans pour qu’un deuxième épisode s’impose comme la référence
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du genre infiltration : développé sur PlayStation, Metal Gear Solid émerveille par ses idées révolutionnaires, son scénario tortueux et sa mise en scène au cordeau. Le titre devient immédiatement un phénomène massif et propulse Kojima en messie d’un nouveau genre. Quinze ans et une dizaine de suites plus tard, Metal Gear a bouleversé tous les codes pour faire entrer le jeu vidéo dans une phase de maturité inédite.
Pop modèles S’il est l’auteur d’autres licences (dont le magnifique Zone of the Enders), le nom de Kojima restera associé à jamais à celui de Metal Gear. Son récit d’espionnage, aussi fantasmagorique que documenté, s’est mué en une parabole politique acérée de l’évolution humaine. La fin de la Seconde Guerre mondiale, la prolifération nucléaire (plus grande hantise de Kojima), la Guerre froide et ses jeux d’espions, la mainmise des compagnies privées sur les conflits modernes, la montée des terrorismes : tous les traumas du XXe siècle ressurgissent dans Metal Gear comme autant de pièces
d’un puzzle narratif, dévoilant le portrait au vitriol d’une humanité en devenir. En bon otaku qui se respecte (« passionné » ou « geek » de cultures tous azimuts), Kojima ne s’arrête cependant jamais aux référents historiques. Des légendes gréco-romaines aux films hollywoodiens, en passant par les fantômes de la japanimation (les robots mecha de Gundam, Akira), c’est toute une culture pop qui s’invite dans la centrifugeuse narrative du créateur nippon. Les vampires côtoient les cyborgs, les blagues scato succèdent aux discours sentencieux… Et sa galerie de personnages, aussi charismatiques que torturés, constitue aujourd’hui une généalogie aussi retorse que celle d’un soap-opéra. À l’instar du cinéma de Tarantino, Metal Gear déploie l’incroyable générosité d’associer tous les genres, sans aucun cloisonnement ni ordre de grandeur. Mais c’est surtout la culture cinéphile de Kojima (il aime à dire que son corps est constitué à 70 % de films) qui impressionne, tant celle-ci le révèle à chaque fois en immense dramaturge. Ses cinématiques, parfois longues d’une vingtaine de minutes, ont bousculé tant de tabous narratifs, causé tellement d’ébahissements qu’il est difficile aujourd’hui de s’en souvenir sans un frisson d’émotion. Et pourtant, Metal Gear ne saurait être réduit à un film interactif.
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METAL GEAR
Les fans se souviennent encore du combat contre Psycho Mantis dans Metal Gear Solid, dans lequel le joueur devait débrancher sa manette, puis l’insérer dans le second port pour vaincre le boss. Exploitant toutes les mises en abyme, Kojima aime à briser l’éternel « quatrième mur », celui qui se dresse entre le joueur et la scène ludique. Dans un récent entretien, l’auteur nous confiait : « Pour moi, le jeu vidéo ne s’est jamais limité à l’écran. Le joueur et moi, on joue ensemble. » (Trois Couleurs numéro 103). Voilà ce qui définit peutêtre le talent unique de Kojima et la beauté intemporelle de sa saga : brouiller, jusqu’au vertige, la frontière entre virtuel et réel chez le joueur. Comme une manière de l’inviter à réfléchir sur sa propre nature. Comme une manière de lui rappeler, clin d’œil malicieux à l’appui : tout ceci reste un jeu, continuons d’y croire. ♦
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Défaire le mur Au-delà de sa puissance romanesque, la saga s’est aussi imposée comme un laboratoire ludique en perpétuelle ébullition, commandé par un alchimiste illuminé. On ne saurait compter les innovations apportées par chaque épisode à la mécanique de jeu. Le prochain Rising – Revengeance et sa jouabilité renouvelée du combat au sabre sont encore là pour le prouver. Pour Kojima, il n’y a qu’une seule règle : surprendre.
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HAIFAA AL-MANSOUR
EN ÉCLAIREUSE Premier long métrage de HAIFAA AL-MANSOUR, elle-même première réalisatrice saoudienne, Wadjda porte le nom de sa vaillante héroïne, une gamine rebelle qui contourne les interdits culturels et religieux pour acheter le vélo de ses rêves. Coup de phare sur une Arabie Saoudite à deux vitesses, en compagnie d’une cinéaste pionnière.
©Alexandre Guirkinger
_Par Juliette Reitzer
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AU-DELÀ DE SON EXOTISME, WADJDA EST UN PETIT BIJOU AUDACIEUX, DRÔLE, ÉMOUVANT ET À PLUSIEURS TITRES ÉDIFIANT.
Mais on aurait tort de s’arrêter à ce titre pompeux et vendeur : au-delà de l’exotisme que lui confère son statut de défricheur d’un territoire vierge de cinéma, Wadjda est un petit bijou audacieux, drôle, émouvant et à plusieurs titres édifiant, notamment par les nombreux paradoxes sociaux et culturels qu’il dévoile de son pays. La mise en scène d’Al-Mansour, ni naïve ni maladroite mais toujours franche, tend d’ailleurs à privilégier une approche documentaire : « J’ai été très influencée par le néoréalisme italien, par exemple Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica. Je voulais filmer une tranche de vie, en interférant le moins possible. Pas besoin d’en rajouter : la réalité est très riche en Arabie Saoudite, et pleine d’ironie. » L’ironie la plus marquante se niche dans le fossé entre une vie domestique riche et moderne (équipements high-tech, déco design chez les parents de Wadjda, qui porte des Converse et écoute du pop-rock) et une vie publique régie par des règles archaïques (l’absence totale d’interaction entre hommes et femmes, les épouses délaissées au profit d’autres plus jeunes). « En Arabie Saoudite, les gens vivent dans deux réalités différentes, à l’intérieur et à l’extérieur de chez eux, acquiesce Haifaa Al-Mansour. C’est particulièrement vrai pour les femmes. » Un thème qu’elle abordait déjà dans son documentaire Women without Shadows, en 2005.
l’expérience du clivage entre l’insouciance de l’enfant et les responsabilités de l’adulte : à l’école, la directrice l’informe qu’elle ne pourra bientôt plus se contenter d’un simple foulard, à remplacer par l’austère niqab. L’achat du vélo de ses rêves (vert, à breloques et look de Harley) devient alors pour la gamine l’unique terrain de résistance à investir, dans lequel elle fonce tête baissée. À la surprise générale, Wadjda se passionne pour ses cours de religion, qui proposent aux élèves de participer à un concours de récitation du Coran. Récompense à la clé : une somme d’argent suffisante pour acheter l’objet convoité… La volonté farouche et increvable dont la fillette fait preuve pour aller de l’avant se retrouve sans surprise chez la réalisatrice, qui a étudié au Caire et travaillé dans une compagnie pétrolière en Arabie Saoudite avant de se lancer dans le cinéma en réalisant trois courts métrages au début des années 2000, et qui vit aujourd’hui à Bahreïn : « Je ne veux pas faire des films sur des victimes. J’ai été très influencée par Rosetta des frères Dardenne, et son personnage féminin d’outsider qui lutte avec dignité. Il y a beaucoup de puissance dans le fait d’essayer de construire sa propre individualité, particulièrement en Arabie Saoudite. » Un bel élan pour laisser parler son intériorité, en dépit des règles communautaires et des pressions sociales. ♦
Dans Wadjda, cette invraisemblable schizophrénie résonne admirablement avec les conflits intérieurs de la jeune héroïne qui, comme tout préadolescent, fait
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l n’y a pas de cinéma en Arabie Saoudite. Comprenez, il n’y a pas de salles de cinéma, et donc pas non plus de production cinématographique – à quoi bon financer des films sans bénéficier des recettes de leur exploitation sur grand écran ? Comme dans Wadjda, les gens préfèrent aux sorties le confort de leurs intérieurs, et regardent donc plutôt la télévision. « Moi aussi, j’ai vécu dans un monde très abrité, mais on regardait énormément de films à la maison. Jackie Chan, Blanche-Neige, Evil Dead… », confirme Haifaa Al-Mansour, de passage à Paris. Conséquence logique de ce visionnage intensif et généralisé dans l’intimité des foyers, le pays produit un grand nombre de feuilletons télévisés et dispose à ce titre d’une industrie dédiée bien rodée, que la réalisatrice a su utiliser pour mener son projet : « On a suivi ces rails, on a rempli leurs papiers et on a eu les autorisations exactement comme pour n’importe quel téléfilm », s’amuset-elle, regard pétillant et sourire franc. Et son film de devenir du même coup le premier long métrage réalisé en Arabie Saoudite, sa sélection au dernier festival de Venise lui assurant une distribution internationale, et une sortie française.
Wadjda de Haifaa Al-Mansour Avec : Waad Mohammed, Reem Abdullah… Distribution : Pret t y Pictures Durée : 1h37 Sor tie : 6 février
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LE STORE
TAXI GIRL
Abbas Kiarostami transporte son dispositif favori – les trajets en voiture comme ciboire des confidences que se font les hommes – dans un monde éloigné de sa terre iranienne. Après une escale toscane pour Copie conforme, le réalisateur de Ten et du Goût de la cerise (Palme d’or en 1997) poursuit ainsi sa quête d’ascèse au Japon, dans l’intimité d’une nuit et d’un jour. Ceux d’une jeune prostituée promise à un vieil homme. Une tragédie sans fracas qui roule en longs plans-séquences à la discrétion délicate. _É.R. Like Someone in Love d’Abbas Kiarostami (MK 2 Vidéo), disponible dès le 20 février au Store du MK 2 Bibliothèque
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en vitrine
AMPHIS EN SÉRIE
Vous doutiez de l’apport philosophique de votre soap du dimanche soir ? La collection d’ouvrages pop, concis et pointus que les prestigieuses Presses Universitaires de France consacrent aux séries télé va achever de vous convaincre.
Lorsque l’université de Nanterre a annoncé, en janvier 2012, qu’elle consacrerait un ensemble de séminaires à la série Sur écoute (The Wire) de David Simon, les addicts ont dû sérieusement regretter la fac. Au programme de l’UV : un décryptage approfondi mêlant les approches de sociologues, d’urbanistes ou d’experts en sciences politiques sur le système policier et institutionnel, les relations de l’individu au groupe ou encore la vision néolibérale développée dans la série. De quoi donner l’envie de filer sa dém pour se ruer en amphi. Heureusement, les Presses Universitaires de France épargnent le recours à cette option radicale en se lançant dans une aventure éditoriale inédite. Forte d’un graphisme séduisant, de sommaires bien étoffés et de chercheurs-auteurs souvent trentenaires, biberonnés à Canal Jimmy ou à HBO, une collection flashante a déboulé sur le marché en avril dernier pour réunir à ce jour une dizaine d’études philosophiques et sociétales autour de Desperate Housewives, de Six Feet Under ou de Grey’s Anatomy. C’est le juriste et philosophe JeanBaptiste Jeangène Vilmer qui eut cette idée fédératrice alors qu’il sortait tout juste d’une violente période d’addiction à 24 heures chrono. Et son projet arrive juste à point.
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©ABC
_Par Ève Beauvallet
Grey’s Anatomy, saison 9
L’époque où l’amateur de feuilletons devait remballer son honteux passe-temps devant l’érudit est révolue. Car le paysage critique en la matière a changé. Et si une passion trop prononcée pour Les Feux de l’amour peut encore vous ruiner un capital cool, il n’est pas improbable que le plus dénigré des soaps, pour peu qu’il s’adosse aux théories de Barthes, soit un jour lui aussi considéré comme objet d’analyse valable. En effet, la tradition intellectuelle française a peut-être longtemps snobé les séries comme elle avait méprisé, entre autres, les blockbusters ou la variété, mais l’époque où l’amateur de feuilletons devait remballer son h onteux passe-temps devant l’érudit est
24 heures chrono Le Choix du mal
Desperate Housewives Un plaisir coupable ?
Six Feet Under Nos vies sans destin
de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer
de Virginie Marcucci
de Tristan Garcia
Le philosophe et juriste Jean-Baptiste Jeangène Vilmer n’envisage pas 24 comme une propagande pro-Bush. Pour lui, le cultissime Jack Bauer est l’agent d’une réflexion plus complexe sur le choix du mal et l’éthique des relations internationales.
Wisteria Lane, progressiste ou rétrograde ? Les deux, répond la spécialiste de civilisation américaine Virginie Marcucci, qui observe la série de Marc Cherry lancée par ABC en 2004 comme un curieux laboratoire du féminisme.
« Six Feet Under m’a appris à pleurer », écrit en introduction Tristan Garcia. Décryptée comme une « micrologie de la vie quotidienne des classes moyennes », la fresque minutieuse d’Alan Ball réfléchit, selon le romancier, sur la finitude et la morale.
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Les séries ont gagné en qualité à partir de la fin des années 1980 – les héros de Twin Peaks étant par exemple plus ambivalents que ceux de La croisière s’amuse.
désormais révolue. Plusieurs raisons à cette considération nouvelle. D’une part, nul n’ignore encore que les séries, produits culturels massivement téléchargés de façon illégale (devant le cinéma), ont considérablement gagné en qualité à partir de la fin des années 1980 – les héros de Twin Peaks étant par exemple plus ambivalents que ceux de La croisière s’amuse. D’autre part, les universitaires ont étendu leur champ de recherche à la culture pop de manière concomitante. Depuis les colloques sur Buffy contre les vampires jusqu’aux réalisateurs les plus respectés, qui avouent qu’ils passent eux aussi leurs nuits devant l’écran (JeanLuc Godard adore Dr House), les instances de légitimation ont fonctionné à plein. Virginie Marcucci, docteur en civilisation américaine et auteur de l’ouvrage sur Desperate Housewives,
rappelait justement l’évolution du discours critique sur les séries en défendant le concept de « plaisir coupable » : « La théoricienne Pamela Robertson disait que les discours sur la télévision considéraient jusqu’à présent que les télé spectateurs soit étaient dupes de ce qu’on leur montrait, soit développaient des stratégies de résistance idéologique, expliquait-elle au micro de France Inter. Or, le principe même de “plaisir coupable” nous montre qu’on peut tout à fait absorber un discours rétrograde tout en en reconnaissant les ficelles, exactement comme on peut trouver de la subversion là où certains n’en avaient pas vu. (…) Desperate Housewives est une série aussi avant-gardiste que rétrograde, et on peut en multiplier les lectures. » L’effervescence théorique sur le sujet bat son plein. Et il se pourrait que le format particulier des séries se prête encore mieux aux analyses des sciences humaines que celui du cinéma. En tout cas si l’on en croit Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : « Les séries parlent davantage de nos valeurs et de nos normes parce qu’elles ont la durée suffisante pour le faire, développait-il au micro de France Culture. Une série dure des centaines d’heures, se développe sur plusieurs années… Ça crée davantage d’identification, ça permet de construire des personnages et de développer des problèmes philosophiques de manière plus attentive. » La preuve, avec la sortie ces prochains mois de trois nouveaux opus très attendus : Sons of Anarchy par l’universitaire Renaud du Peloux, Rome par le spécialiste de la Rome antique Yann Le Bohec et la cultissime Mad Men décryptée par le philosophe canadien Daniel Weinstock. Rendez-vous aux prochains épisodes. ♦ Essais disponibles aux Presses Universitaires de France
Grey’s Anatomy Du coeur au care
The Practice La Justice à la barre
Sons of Anarchy La Guerre perpétuelle
de Laurent Jullier et Barbara Laborde
de Nathalie Perreur
de Renaud du Peloux
Forts d’une clarté enthousiasmante, les universitaires Laurent Jullier et Barbara Laborde observent la série d’apprentissage de Shonda Rhimes comme l’illustration inattendue d’un nouveau courant de philosophie morale made in XXIe siècle: le « care ».
Auteur d’une thèse sur le monde du crime dans les séries, Nathalie Perreur envisage la série de David E. Kelley comme un guide pédagogique des procédures légales et un brûlot sur les dérives sécuritaires de la société américaine post-11 Septembre.
Une Californie aux allures de néo-Far West, une bande de motards qui fait sécession avec l’autorité publique… L’occasion, pour Renaud du Peloux, d’interroger les nuances entre anarchie et chaos dans un véritable manuel de philosophie politique.
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RUSH HOUR AVANT
de voir Killer Joe en DVD, révisez votre William Friedkin avec Les Garçons de la bande
PENDANT
que le Grand Palais démonte l’exposition, redécouvrez Hopper sur iPad
APRÈS
Les intriguants débuts de William Friedkin ont été marqués par plusieurs adaptations théâtrales : en 1970, il s’attaque ainsi à un récent hit off-Broadway. Une fête d’anniversaire arrosée dégénère en coming out forcé et en cruel jeu de confessions au sein d’un groupe d’amis. Boys, boys, boys : si ce film de jeunesse gay fit scandale au moment de sa sortie en exposant une homophobie larvée, il annonce aussi, en bon classique du cinéma queer, les cuirs d’Al Pacino dans Cruising, du même Friedkin, dix ans plus tard. _C.G.
Malgré une ultime prolongation marathon de 62 heures du 1er au 3 février, nombreux sont ceux qui se sont cassé les dents sur le succès de l’exposition consacrée à la palette directe du peintre américain. « Edward Hopper d’une fenêtre à l’autre » apaisera la frustration chez les possesseurs d’iPad. Fine et habile, cette application se trouve à mi-chemin entre l’encyclopédie et le catalogue d’exposition. Le parcours est centré autour de neuf œuvres qui font écho aux travaux de Hemingway, de Freud ou d’Emerson. _É.R.
Chez l’austère et talentueux cinéaste autrichien, la douceur du sentiment amoureux se confronte au délitement physique et intellectuel d’Anne (Emmanuelle Riva), une octogénaire frappée par une série d’attaques cérébrales auxquelles fait vaillamment face son époux Georges (Jean-Louis Trintignant). Palme d’or du dernier festival de Cannes, Amour est nommé dans pas moins de cinq catégories aux Oscars, dont meilleur film, meilleur réalisateur et meilleure actrice. Verdict le 24 février. _J.R.
Les Garçons de la bande de William Friedkin (Carlot ta) // Sor tie le 20 février Killer Joe de William Friedkin (Pyramide Vidéo) // Sor tie le 6 février
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LA CÉRÉMONIE DES OSCARS, REGARDEZ AMOUR DE MICHAEL HANEKE EN DVD
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TROP APPS _Par A.G.
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RunPee À partir d’une base de données référençant la durée des films, RunPee vous indique les meilleurs moments auxquels vous absenter pour vos besoins pressants et vous décrit même le film pendant votre absence. Quand l’iPhone change une vie de cinéphile.
Corée du Nord Forte de mille trois cents photographies prises par Éric Lafforgue et de cartes interactives, cette appli développée par Fotopedia nous permet de « visiter » le pays le plus fermé au monde et d’en découvrir des aspects aussi surprenants qu’édifiants.
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©Albin Michel
KIDS IMAGES DE MARK
Jolie fable posthume de MARK TWAIN, L’Étranger mystérieux trouve dans les illustrations puissantes et colorées d’ATAK un complément idéal pour initier les plus grands à certaines questions philosophiques. _Par Stéphane Beaujean
L’Étranger mystérieux est une œuvre tardive dans la carrière de Mark Twain. Un récit sombre et critique à l’endroit de la morale religieuse, de ceux qu’il écrivit après avoir perdu sa femme et deux de ses filles, maintes fois remanié et finalement publié après
La bd
_É.R.
Varulf – Volume 1 – La Meute
de Gwen de Bonneval et Hugo Piette (Gallimard) Adressé aux plus grands de nos petits, ce premier tome ouvre une saga que l’on sent prometteuse : celle d’un groupe d’enfants en exil volontaire dans les forêts d’un Moyen Âge nordique. Le mystère qui entoure l’assassinat de leurs parents est habilement figuré par un découpage qui laisse la place à l’imagination entre les cases, là où le genre de l’aventure médiévale pour jeunes ados s’est souvent illustré avec des récits trop directifs.
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sa mort. Voilà donc l’histoire de trois enfants, villageois d’un hameau autrichien pétri de croyances (Twain consacra les dix dernières années de sa vie à dénoncer les attaques contre les juifs dans ce pays) qui rencontrent un étranger, ange descendu du ciel, avec lequel ils entament une longue série de conversations dépassionnées. Petit à petit, l’entendement de cet esprit divin, indifférent au mal comme au bien, leur ouvre les yeux sur la nature humaine. C’est une jolie fable morale qu’offre Twain, mais ce qui fonde la qualité exceptionnelle de cette édition, c’est le graphisme unique et puissant de l’illustrateur Atak, nourri de références et de décalages. Un mélange d’art naïf et savant, toujours maîtrisé, aux couleurs vives. L’Étranger mystérieux, dans sa forme, n’est pas loin d’être le plus beau livre paru récemment. ♦ L’Étranger mystérieux de Mark Twain, illustrations d’Atak Traduit de l’anglais (États-Unis) par Valérie Le Plouhinec Édition : Albin Michel Sor tie : disponible
Le livre
_C.G.
Le Journal de Frankie Pratt
de Caroline Preston (Nil) Étudiante de la Côte Est dans les années 1920, enivrée par la bohème à Greenwich Village, Frankie consigne ses observations dans son journal intime qui rassemble, sous forme de collages, photos de famille, coupures de journaux et cartes postales d’époque. Entre « scrapbook » et roman graphique, cette boîte à souvenirs illustre la vitalité des fictions pour jeunes adultes : une merveille de trouvailles surannées pour ados fouineurs.
©La bande du drugstore
DVDTHÈQUE Eddy Mitchell, cinéphile parmi les cinéphiles
DERNIÈRE SÉANCE
La série documentaire Cinéphiles de notre temps de LAURENT CHOLLET se rappelle l’époque où les accros aux salles obscures faisaient le cinéma. Témoignages et images d’archives soutiennent le récit d’une passion toute française et mettent en avant les héros de cette histoire. Nostalgie. _Par Louis Séguin
L’Occupation semble avoir au moins eu le mérite d’habituer les Français aux salles de cinéma, plus claires que les rues en ces temps sombres de l’histoire. Après la guerre, cette habitude s’est progressivement transformée en passion pour un nombre important de jeunes gens, se substituant peu à peu à ce qu’il est coutume d’appeler la « vie réelle ». Un nom revient, au cours du documentaire de Laurent Chollet, comme le parangon de la cinéphilie française : François Truffaut. Réunis autour de son souvenir et de celui de leur propre cinéphilie, de nombreux critiques et quelques cinéastes font, face à la caméra, l’éloge de leur passion compulsive pour les films. André S. Labarthe (dont la célèbre collection documentaire Cinéastes de notre temps a inspiré son titre à celle-ci), Gilles Jacob, Michel Ciment, Luc Moullet ou encore
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Bertrand Tavernier, parmi tant d’autres, révèlent ainsi chacun une part de cette histoire à laquelle ils ont contribué, tandis que des archives audiovisuelles de l’époque et des extraits de films illustrent ces interventions. Même s’il aborde la question en fin de parcours, le documentaire ne s’intéresse que très peu à la mutation de la cinéphilie depuis qu’elle a quitté les salles de cinéma (et les cinéclubs) pour se nicher dans les vidéoclubs, les téléviseurs et les ordinateurs. Assumant plutôt une tendance nostalgique dans son propos, Laurent Chollet semble prendre acte de la fin d’un certain rapport au grand écran : il n’existe plus, à l’en croire, d’émulation nationale autour du septième art. Véritable temple de la sociabilité des années 1950, la salle de cinéma fut aussi le berceau des revues spécialisées, ainsi, bien sûr, que celui de la Nouvelle Vague : inlassablement, les « jeunes Turcs » – surnom donné aux premiers critiques des Cahiers du cinéma – et consorts se ruaient dans les salles pour siffler, fustiger ou porter aux nues les œuvres (notamment américaines) de l’époque ; dans ce dernier cas, les enthousiastes zélés faisaient tout leur possible pour imposer en France l’auteur du film chéri. Toujours pédagogue, Cinéphiles de notre temps conte, grâce à la voix du passionné Eddy Mitchell, l’histoire d’une osmose parfaite entre l’amour et la pratique du cinéma. Ainsi, patiemment, s’élabore une archive supplémentaire, un documentaire collectant les souvenirs de grands collectionneurs. ♦ Cinéphiles de notre temps de Laurent Chollet Documentaire Édition : M6 Vidéo Durée : 5h54 Sor tie : disponible
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FILMS La sélection de la rédaction
Damsels in Distress
de Whit Stillman (Sony Pictures Entertainment) Dans une fac huppée de la Côte Est, trois étudiantes bénévoles dans une brigade de prévention des suicides entreprennent de sauver leurs congénères grâce à des savonnettes et à des cours de claquettes. L’arrivée sur le campus de Lily, délicieuse et rationnelle outsider, sème le désordre dans ce manège bien huilé. Damsels in Distress marque le retour triomphal, après treize ans d’absence, du distingué Whit Stillman à l’étude raffinée de microcosmes américains (Metropolitan, The Last Days of Disco). Emporté par la lunaire Greta Gerwig, ce college movie suranné a la finesse et la grâce d’un ballet endiablé. _C.G.
Le Quattro Volte
de Michelangelo Frammartino (Potemkine)
« Ce film m’est venu comme un don. » On retrouve dans cette déclaration lacunaire du réalisateur calabrais Michelangelo Frammartino une part de l’essence mystique qui habite cette œuvre empreinte d’une puissance visuelle et sonore bouleversante. Le Quattro Volte, soit « les quatre fois », quatre plongées successives au cœur d’autant de règnes terrestres, l’humain, l’animal, le végétal et le minéral. Sélectionné à Cannes en 2010, ce film unique, à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, brosse une magnifique fresque sensorielle sur la transmigration des âmes. _A.G.
La Vengeance d’une femme et Trop (peu) d’amour
de Jacques Doillon (Why Not) Deux films des années 1990 dans lesquels s’épanouit le talent du cinéaste à filmer des personnages brûlés par le désir. Dans La Vengeance d’une femme, Béatrice Dalle et Isabelle Huppert, exceptionnelles, incarnent deux figures en lutte pour l’amour d’un homme disparu. Dans Trop (peu) d’amour, c’est Lambert Wilson, alter ego du réalisateur, qui se trouve débordé par la passion qu’il suscite chez une jeune admiratrice, sous les yeux de sa femme. Au plus près des corps et des cœurs, Jacques Doillon capte comme personne les batailles insensées que livrent les femmes amoureuses. _L.T.
That Cold Day in the Park de Robert Altman (Wild Side)
Longtemps négligé, l’un des premiers longs métrages de Robert Altman au cinéma (1969), après plusieurs années passées à la télévision, se place sous influence européenne, voire bergmanienne. Ce portrait ambigu d’une bourgeoise névrosée et solitaire qui recueille chez elle un jeune vagabond muet donne lieu à une rencontre malaisante : soumission volontaire ou kidnapping ? Filmé à Vancouver (où sera également tourné John McCabe), That Cold Day in the Park joue sur une note cafardeuse qui annonce l’atmosphère schizophrène de Trois femmes. En bonus, un décryptage du film. _C.G.
Sur la planche
de Leïla Kilani (Épicentre Films) Face au port de Tanger, cité interlope, les usines. Badia travaille comme « fille crevette » dans l’une d’elle. Son ambition : devenir une « fille textile » de la zone franche. Pour cela, elle et sa pote Imane vont se lier avec deux tisseuses, Asma et Nawal, et commencer à trafiquer. Premier film de fiction de Leïla Kilani, Sur la planche est une œuvre âpre qui se déroule selon le débit de paroles déchaîné de Badia, résistante farouche et exaltée. Bande-son enveloppante, dialogues acérés, mise en scène assurée, tout dans Sur la planche transpire l’urgence et l’ivresse qu’il y a à vouloir s’en sortir. _L.T.
In Another Country
de Hong Sang-soo (Diaphana) Trois fois Isabelle Huppert, trois fictions aérées et communicantes qui permettent à Hong Sang-soo de continuer d’explorer l’emballement fictionnel. Imaginez une réalisatrice se baladant dans une station balnéaire coréenne. Elle aurait à esquiver les avances d’un vieil ami, devrait trouver un phare excentré, croiserait un maître nageur chanteur musclé, égarerait son parapluie. L’arrivée d’une étrangère va comme un gant à Hong Sang-soo, lui qui a fait de la difficulté à se comprendre l’un des pôles de son cinéma – il faut entendre Isabelle Huppert seriner cette phrase déjà culte, « Is there a lighthouse? ». _L.T.
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DR
CDTHÈQUE La mauvaise éducation
Alors qu’on célèbre partout une nouvelle vague de chanson pop française (Lescop, Aline, Granville, La Femme), le nouvel album de FRUSTRATION, Uncivilized, sonne comme la réponse virulente des bad boys à cette bonne éducation. Nés mauvais. _Par Wilfried Paris
« Des morceaux virils et puissants au service d’un post-punk/cold punk qui tabasse » : c’est ainsi que Born Bad, label phare d’une scène française qui ne fait pas dans la dentelle, présente les nouveaux titres de Frustration, ces vétérans de l’indie rock français qui ont commencé avec la vague punk des années 1980 dans des groupes comme Warum Joe ou Charles de Goal. De fait, ce deuxième album du quintet basé en banlieue parisienne revisite, en guitares acérées, synthés vintage, batterie métronomique, et le tout à cent à l’heure, le post-punk anglais (Joy Division, Killing Joke, The Fall, Wire) en même temps que l’electro française des années 1970-80 (de Mathématiques Modernes à Métal Urbain, tous ces groupes documentés par les compilations IVG ou BIPPP, également parues sur Born Bad). Sombre et chargé, le rock sévèrement burné de Frustration revivifie 74
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la notion de danger lors de concerts épiques à guichets fermés, où pogos et stage diving réunissent dans une joie violente « punks, clubbers, skinheads, pères de famille, ouvriers, amazones new wave, secrétaires en goguette, fashionistas… » Ajoutons à cette fan base fidèle entre toutes le fait que le groupe a vendu 10 000 copies de son précédent album sans aucun plan promo, et on peut conclure que Frustration est un des secrets les mieux gardés du rock hexagonal, qui ne demande qu’à être révélé au plus grand nombre. Mais la formation n’est que l’arbre qui cache une forêt de groupes talentueux, tous animés par une urgence, une envie d’en découdre, une énergie explosive similaires. Born Bad compte ainsi dans ses rangs The Feeling Of Love (« kraut space garage », entre Spacemen 3 et Pussy Galore), Cheveu (punk lo-fi à Casio, entre Cabaret Voltaire et Butthole Surfers), Magnetix (duo garage plein de fuzz, entre The Cramps et The Seeds) ou encore Wall Of Death, auteurs d’un récent premier LP de rock néo-psychédélique, Main Obsession, dont l’écoute a conquis les Américains The Black Angels, qui les ont du coup emmenés avec eux en tournée. De fait, la scène garagepunk française, avec ses microlabels (Teenage Menopause Records, Inch Allah Records, XVIII Records…) et sa pléthore d’excellents groupes (JC Satàn, Catholic Spray, Le Prince Harry, La Secte Du Futur, La Terre Tremble !!!, Scorpion Violente…), est aussi une réponse au revival sixties américain (Thee Oh Sees, Ty Segall, White Fence…). Enfin une scène française dont on n’a pas honte. ♦ Uncivilized de Frustration Label : Born Bad Records Sor tie : disponible
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ALBUMS La sélection de la rédaction
The Flower Lane
de Ducktails (Domino/Pias)
Who’s Gonna Get the Ball from Behind
de Bachar Mar-Khalifé (InFiné) Son père, le célèbre musicien libanais Marcel Khalifé, joueur d’oud et chanteur engagé, le voyait bien chef d’orchestre. Bachar Mar-Khalifé a préféré se concentrer sur les percussions traditionnelles et le répertoire populaire, sans pour autant renier sa formation classique. Son deuxième album mêle les langues (arabe, anglais et français), les sonorités (orientales et occidentales) et les genres musicaux (chanson, jazz, expérimental) à travers des relectures libres et libertaires de chants d’origines kurde, koweïtienne, syrienne ou même « gainsbourgienne », scandées par un piano hypnotique. _É.V.
Figure de la vague hypnagogic pop sous influence Panda Bear, le projet solo de Matt Mondanile (Real Estate) abandonne, avec ce quatrième album, l’esthétique K7-VHS lo-fi en solitaire pour s’accompagner d’un vrai groupe au cordeau, œuvrant pop FM seventies et eighties sur des couplets-refrains bien balancés. Il suit ainsi les traces d’Ariel Pink, qui avait pareillement clarifié son propos sur Before Today. Produites par Al Carlson (Peaking Lights, Oneohtrix Point Never), ces chansons plutôt downtempo, lounge pop, gagnent en brillance et en évidence, pour une écoute en salles plutôt qu’en chambre. _W.P.
Square Ouh La La de Léonore Boulanger (Le Saule/Rough Trade)
Enfants de la Fontaine (Brigitte), les rénovateurs de la chanson française du label Le Saule (Antoine Loyer, Jean-Daniel Botta…) trouvent en Léonore Boulanger leur plus belle égérie. Dans ces chansons savantes et sensibles qui poétisent le quotidien (l’observation d’un square parisien), la voix haute et claire rebondit sur les sonorités extraeuropéennes qu’apportent une liste impressionnante d’instruments ad hoc : bouzouki (luth grec), santour (cithare d’Iran), darbouka (tambour arabe), târ (luth d’Azerbaïdjan), dayereh (tambourin d’Iran), n’goni (luth d’Afrique de l’Ouest)… Inouï par chez nous. _W.P.
Home
Mariage à Mendoza
Le premier disque de Nosaj Thing l’imposait dans un registre flottant, entre dubstep mélancolique à la Burial et glitch-hop aquatique façon Flying Lotus. Trois années et quelques collaborations (The xx, Kendrick Lamar) plus tard, le producteur de Los Angeles, âgé de 27 ans, a décidé d’humaniser ses synthétiques virées nocturnes en y insérant un peu de matière vocale : les deux uniques featurings de Home reviennent au petit génie de la chillwave Toro Y Moi et à Kazu Makino, la chanteuse du groupe new-yorkais Blonde Redhead. Cette dernière offre à ce fascinant LP son vaporeux sommet. _É.V.
« Jolie Holland était en visite chez moi, nous écoutions Blind Willie McTell et nous comparions nos techniques de picking. Elle m’a dit : “Tu devrais faire un album de guitares, un album où on t’entend plus jouer.” » De fait, sur cette B.O. du film d’Édouard Deluc, David-Ivar Herman Düne met comme jamais sa virtuosité au service de chansons americana lumineuses ou d’instrumentaux doucement mariachi. Voix et guitares (acoustiques, électriques) s’enlacent dans la stéréo, comme des amoureuses, mettant à jour l’album le plus musical et le plus joyeux de David « Yaya » et « Cosmic Neman » à ce jour. _W.P.
de Nosaj Thing (Innovative Leisure/Differ-Ant)
de Herman Düne (Green United Music)
TBC
d’Amatorski (Crammed Discs) La dernière perle venue de Belgique s’appelle Amatorski, soit « amateur » en polonais. Ce n’est pas forcément l’épithète qui vient à l’esprit à l’écoute du premier album du jeune quatuor : délicat et sophistiqué, leur son déjà très mature privilégie les textures feutrées et les textes intimistes aux démonstrations de puissance. Les sept morceaux de TBC ont été enregistrés avec Darren Allison, producteur de The Divine Comedy et de Belle & Sebastian. Sorte de Sparklehorse au féminin, Amatorski suit avec élégance la voix traînante et écorchée de Inne Eysermans, boussole de leur folk atmosphérique. _É.V.
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BIBLIOTHÈQUE ©Bertini
Tout voyage en Corée du Nord est par définition voué à l’échec et consiste en un jeu de cache-cache avec les sbires missionnés par Pyongyang pour surveiller le visiteur.
Dans un jeu de Kim
Vous n’y passeriez pas vos vacances, JEAN-LUC COATALEM s’y est rendu pour vous. Bienvenue en Corée du Nord, le dernier pays stalinien du monde. _Par Bernard Quiriny
Il y a quelques années, les caméras de l’émission Strip-Tease ont suivi une délégation de parlementaires belges en Corée du Nord. Le reportage montrait la réalité tragicomique du dernier État stalinien de la planète, mais surtout la façon dont les guides officiels s’ingéniaient à empêcher leurs invités d’approcher la population en les baladant d’un monument commémoratif à un site sans intérêt, avec un talent exceptionnel pour la langue de bois. Tout voyage en Corée du Nord est par définition voué à l’échec et consiste en un jeu de cache-cache avec les sbires missionnés par Pyongyang pour
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surveiller le visiteur. Grand spécialiste du SudEst asiatique, Jean-Luc Coatalem ne l’ignorait pas quand il a décidé de tenter le coup en se faisant passer pour un voyagiste en quête de destinations pour ses clients. De fait, dès son arrivée sur Air China (il existe une compagnie locale, Air Koryo, mais ses appareils en ruine la classent parmi les plus dangereuses au monde), il est accueilli par deux personnages qui ne le lâcheront pas, tous deux prénommés Kim. Comme le « Cher Leader » Kim Jong-il, toujours en vie lors du récit, aujourd’hui remplacé par son fils Kim Jon-un… Accompagné de son ami Clorinde, Coatalem se laisse conduire par les deux Kim sur les routes balisées du tourisme officiel. Tout est programmé à la minute, chaque accroc au planning donne lieu à une cascade de coups de fil paniqués. Et quand Coatalem fausse compagnie à ses gardiens, Kim numéro 1 le réprimande, excédé et mort d’angoisse : « On ne m’a jamais fait ça, monsieur Jean, je suis en colère contre vous… » De manière plus inattendue, les Kim rackettent aussi leurs hôtes à longueur de journée en leur faisant payer toutes les excursions à un tarif démentiel. Le soir, l’écrivain prend des notes sur un carnet, inquiet de savoir ce qui se passerait s’il était découvert (à l’aéroport, un touriste anglais a vu son Mac démonté au tournevis). Il en a tiré ce récit-témoignage bourré de détails pragmatiques et de considérations accablées sur les folies du régime. Quand vient l’heure du départ, il constate qu’il n’a vu que ce qu’on a bien voulu qu’il voie, dans la tradition des « voyages Potemkine », et regrette d’avoir si peu fraternisé avec les Kim, qui auront joué jusqu’au bout la comédie du régime. Et Coatalem de regagner la Chine en nous laissant, après deux cent quarante pages aussi absurdes que sinistres, avec cette question toujours irrésolue : « Faut-il rire ou bien pleurer ? » ♦ Nouilles froides à Pyongyang de Jean-Luc Coatalem Éditeur : Grasset Genre : roman Sor tie : disponible
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LIVRES La sélection de la rédaction
Quentin Tarantino – Un cinéma déchaîné
Collectif (Capricci/ Les Prairies Ordinaires)
Le parti pris du nouvel opus de la foisonnante maison d’édition Capricci a été de revoir tous les films de Quentin Tarantino et de leur consacrer à chacun un article de fond. Tentative de redécouverte d’un cinéma dont Pascal Bonitzer notait déjà en 1995 (son texte sur Pulp Fiction est republié) qu’il « parlait ». La trajectoire du réalisateur est déroulée jusqu’à l’analyse par Emmanuel Burdeau du récent Django Unchained, qui marque pour lui la transition d’une histoire racontée à une « histoire écrite », en passant par le très beau texte d’Hervé Aubron sur Jackie Brown « déesse de la fatigue ». Indispensable. _L.T.
Les Riches Heures de Claire Gallen (Le Rouergue)
Il y a quelques mois, Gaëtan gagnait des fortunes en vendant des programmes locatifs. Mais la crise est passée par là, et la justice a mis le nez dans ses magouilles ; le voilà chômeur, obligé de satisfaire les goûts de luxe de sa petite amie. Les vacances d’été s’annoncent dures… Pour son coup d’essai, Claire Gallen choisit le genre difficile du roman social et remporte la mise : ambiance tendue, suspense prenant, couple en déréliction et réflexion cruelle sur l’ambition, le capitalisme, les signes extérieurs de richesse et le déclassement. L’un des meilleurs premiers romans de cette rentrée d’hiver. _B.Q.
La Plume de l’ours
de Carole Allamand (Stock) Camille Duval (1901-1974), monument de la littérature suisse romande, pilier des Éditions de Minuit, entré en Pléiade, vous connaissez ? Non, et c’est normal : c’est le sujet imaginaire du premier roman de Carole Allamand, qui raconte comment une thésarde passionnée part aux États-Unis pour mettre au jour l’incroyable secret de ce génie des lettres francophones. Quelque part entre campus novel (joyeuse satire du milieu universitaire), canular érudit et peinture de l’Amérique (de Manhattan à l’Alaska) aux accents de polar, un excellent roman dont les touches d’humour subtil font mouche à tous les coups. _B.Q.
Polaire
de Marc Pautrel (Gallimard) Il est fou amoureux d’elle, de cette jeune femme un peu spéciale qui peint des toiles dans son studio et souffre de ce que les médecins appellent « trouble bipolaire ». « Je rectifie aussitôt : elle est polaire, pense-t-il. Oui, elle est perchée sur une des deux extrémités du monde. » Il s’inquiète pour elle, s’occupe d’elle après ses crises et attend qu’un jour elle lui dise oui et se laisse embrasser. Mais, comme un aimant, elle lui présente ses deux pôles, l’attire et le repousse… Un récit compact et précis comme sait en écrire Pautrel, avec le don de décrire les sentiments au plus juste, sans un mot inutile. _B.Q.
Motodrome
de Jacques Géraud (L’Arbre Vengeur) Inventer des mots ou forger des mots-valises, c’est classique. Imaginer de nouvelles définitions pour des termes existants, c’est moins courant : dans ce curieux glossaire, Jacques Géraud revisite l’étymologie pour donner aux mots non pas le sens qu’ils ont, mais celui qu’ils devraient avoir. Pourquoi un apostat n’est-il pas tout simplement un « préposé à la distribution du courrier » ? Ou un incunable, un « antisodomite convaincu » ? Illustrées à chaque fois par de faux extraits de Proust, Flaubert ou Kafka, ces définitions hilarantes (et volontiers sexuelles) forment un jeu de l’esprit brillant et subtil. _B.Q.
Punk Press
de Vincent Bernière et Mariel Primois (La Martinière) Compilées avec rigueur, voici les couvertures des fanzines punks, une presse faite de grands écarts graphiques entre l’héritage dada ou surréaliste et l’arrache totale des photocopies de photocopies de photocopies. C’est dans les pages d’un Sniffin’ Glue, bricolées avec des marqueurs vides et des règles tordues, que l’on renifle au plus près la moelle urgente d’une scène qui mêlait les slogans politiques bien campés du collectif Crass et l’utilisation connarde des svastikas pour faire chier les vieux. On y trouve aussi la preuve que The Clash est le groupe le plus classe de l’histoire des grattes. _É.R.
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BDTHÈQUE FAIRE MOUCHE Tout roi, par nature, commande à son royaume. Mais quel est celui du Roi des Mouches ? Un territoire anonyme où se confondent l’Amérique et l’Europe. Une banlieue d’ici ou d’ailleurs, avec la déchéance pour horizon. _Par Stéphane Beaujean
Mezzo et Pirus sont les plus américains des auteurs français. Imprégnés de romans noirs, de rock’n’roll et de l’imagerie underground des seventies, les deux compères échafaudent ensemble, depuis plus de vingt ans, une œuvre singulière, à mi-chemin entre l’A mérique de leurs fantasmes et l’Europe de leurs racines. Avec leur trilogie Le Roi des Mouches, ils donnent corps à cet univers artistique en édifiant une cité à son image. Une agglomération dont le nom n’est jamais donné, écartelée entre les suburbs états-uniennes et les banlieues de la Mitteleuropa, perdue dans les hauteurs de paysages boisés et bordée d’un grand lac, avec ses rangées de maisons à jardinet et piscine, mais où tout se monnaie en euros. Un espace déshumanisé qui finit par éclipser ses résidents, que ce soit Éric, le fameux Roi des Mouches, qui erre, un étrange sac de bowling à la main ; Lisa, l’adolescente rebelle en recherche de sensations fortes ; ou Bad Deal,
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le dealer malheureux en amour et en affaires, que seule sa grand-mère atteinte d’Alzheimer peut réconforter. À espace chimérique, récit psychédélique. Le Roi des Mouches, dans la forme, se présente comme un monologue polyphonique où chacun des résidents prend la parole à tour de rôle pour donner sa version de l’histoire. Mais quelle histoire ? Un rêve où les crimes refoulés viennent hanter leurs responsables ? Une errance sous psychotropes où ne peut plus percer le réel ? Ou bien une parabole du subconscient, à la David Lynch, riche de symboles analytiques ? Un peu tout ça à la fois – et pour en démêler tous les ressorts, plusieurs lectures ne sont pas de trop. On s’y prête d’autant plus volontiers que Mezzo et Pirus sont deux bédéastes brillants. Mezzo plante un décor fourmillant de détails, d’un trait crispé et minéral qu’il recouvre d’un encrage végétal et soyeux. Un réalisme décalé à la rigidité maîtrisée, qu’il appuie en multipliant les cadrages d’une frontalité parfaite. La gamme colorée, qui alterne monochromes à la puissance psychédélique et lumières du jour aux tonalités nuancées, finit de planter cette atmosphère étrange. Pirus, lui, ne cesse de jouer des relations texte-images, du vide entre les cases, tel un anti-Blake et Mortimer. La dernière case, en suspension, montre à la fois une apogée de bonheur et la seconde précédant le drame à l’origine du récit (qui ne sera donc jamais donné à voir). Un sommet de « temps fort », propre à la bande dessinée : soit un monde au bord du gouffre comprimé en une image. ♦ Le Roi des Mouches – Tome 3 – Sourire suivant de Michel Pirus et Mezzo Édition : Glénat Sor tie : disponible
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BANDES DESSINÉES La sélection de la rédaction _Par S.B.
Vagabond – Volume 34
de Takehiko Inoue (Tonkam) Les pérégrinations guerrières et métaphysiques du maître samouraï Miyamoto Musashi s’éternisent, et c’est tant mieux. Cette réécriture du mythe de l’une des plus grandes figures médiévales japonaises vaut tant par sa redistribution de valeurs (entre inné et acquis, travail et virtuosité, responsabilité et immaturité) que par sa recherche graphique, d’une beauté confondante. À tome nouveau, expérience de dessin nouvelle, à la plume ou au pinceau, à l’encre de Chine ou à l’aquarelle. Takehiko Inoue est l’un des mangaka les plus doués de sa génération, mû par la même recherche de perfection que son héros.
Mabui – L’Âme d’Okinawa de Susumu Higa (Le Lézard Noir)
Susumu Higa continue son tendre portrait de l’île d’Okinawa, dernière à avoir intégré l’archipel japonais, occupée par les premières bases militaires américaines depuis 1945. Dans cet étau culturel, la population locale évolue, bon an mal an, au cœur d’un environnement bucolique que flatte le trait pointilliste de l’auteur. Car Higa refuse le misérabilisme et dédramatise systématiquement les situations (invasion de l’argent roi, disparition des rituels et valeurs ancestrales, rupture générationnelle) à l’aide d’un sens de l’anecdote et d’un dessin presque slapstick. Le manga adulte de la rentrée.
Cromwell Stone – L’Intégrale d’Andreas (Delcourt)
L’année 2012 aura été marquée par le retour sur le devant de la scène d’Andreas, auteur européen au succès qui mériterait de dépasser le noyau dur des fans. Une gageure, tant ses mondes labyrinthiques exsudent une mythologie personnelle et ensorcelante. Son esthétique proche de la gravure, son trait anguleux et crispé, son découpage de la page digne d’un architecte fondent son esthétique. La trilogie Cromwell Stone, hommage assumé à Lovecraft tout en clairs-obscurs, constitue une porte d’entrée accessible et séduisante sur son univers. Conçue sur vingt ans, une œuvre aussi concise qu’elle est ambitieuse.
Parker – Le Casse
de Darwyn Cooke (Dargaud) L’écrivain Donald Westlake refusait qu’on associe sa signature ou le nom de son ombrageux héros, le célèbre Parker, aux adaptations ciné de ses romans noirs (Point de non-retour, Payback…). Mais Darwyn Cooke, dessinateur virtuose toujours à l’aise dès qu’il s’agit de mettre en place une ambiance sixties, aura réussi à le faire changer d’avis dans le domaine de la bande dessinée. Le Casse, troisième épisode de la saga, confirme la réussite artistique de l’entreprise, qui met son raffinement graphique au service de la violence du polar. Seul bémol, une édition française un peu chiche comparée à celle d’origine.
Pornographie et suicide de Nicolas Mahler (L’Association)
Quel plaisir de retrouver l’Autrichien Malher, son cynisme pincesans-rire, son discours désabusé sur la reconnaissance des arts et le quotidien des artistes. Avec son économie de moyens, il propose une peinture burlesque de l’humanité, au sein de laquelle il se représente comme une tige à lunettes surplombant tout le monde, légèrement déconnecté. Dans ce nouvel ouvrage, il ne cesse d’être décontenancé par les mariages de genres impromptus et les associations d’idées extravagantes, à l’image de cet universitaire qui abandonne sa thèse sur le suicide pour en commencer une autre sur la pornographie.
L’Odyssée d’une valise en carton de Ben Katchor (Rackham)
Auteur de bandes dessinées mais également de pièces de théâtre, l’Américain Ben Katchor élabore une œuvre méconnue en France mais majeure, politique et poétique, autour des relations entre environnement (souvent la ville) et conscience humaine. Parmi ses premiers travaux, L’Odyssée d’une valise en carton, série de petits gags à l’absurdité beckettienne, publiés de-ci de-là dans la presse au début des années 2000, est compilée et complétée sous forme de recueil. Ici, c’est le tourisme compulsif de deux tempéraments diamétralement opposés qui sert de motif au choc des cultures. À ne pas rater.
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LUDOTHÈQUE WII U NON ?
La Wii U, sortie en décembre dernier, a fait couler beaucoup d’encre et nourri pas mal de fantasmes. Il fallait bien lui laisser un temps d’adaptation, avant d’oser un premier bilan. _Par Yann François
Wii U et 3DS, même combat ? Avec elles, Nintendo semble avoir changé son fusil d’épaule. Exit l’ouverture tout public qui faisait le sel de leurs aînées la DS et la Wii ; en sourdine, le casual gaming (l’accessibilité aux grandsmères comme aux cadres sup’). Un seul mot d’ordre : le retour aux sources. Un cœur de cible : les gamers de la première heure. Ce qui ne change pas, heureusement, c’est cette quête de jouabilité pionnière. Pour la 3DS, ce fut le relief sans lunettes ; pour la Wii U, ce sera la manette à écran tactile, assortie d’un concept au nom barbare : gameplay asymétrique. Kézako ? Une jouabilité divisée sur deux écrans, télé et tablette, qui s’opposent et se complètent selon les jeux. Comparé à la simplicité enfantine de la Wii (dont les manettes sont, heureuse idée, compatibles avec son héritière), le principe a de quoi rebuter. Seulement, face à une concurrence (la PS4 et la Xbox 720, déjà sur le pied de guerre) qui mise tout sur la performance graphique, la campagne de Nintendo a le don de se poser en acte de foi salutaire pour le jeu vidéo.
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La Wii U affiche certes un désavantage graphique face aux autres next gen, quelques ralentissements et des temps de chargement assez longs. Peu importe, elle s’affirme comme un modèle d’ergonomie et d’échange (son réseau social, épatant), notions que l’on sait chères à Nintendo. Certains portages (Batman – Arkham City, Call of Duty – Black Ops II) trouvent même dans la tablette tactile un outil idéal pour parfaire leur jouabilité. Mais ce sont les ambassadeurs désignés de la console qui convainquent le mieux : New Super Mario Bros. U affiche la force tranquille d’une saga s’adaptant à chaque rénovation de sa maison mère ; Nintendo Land, florilège de minijeux aux airs de balade muséale, réussit l’exploit de se poser en tube à essai expérimental et en party game des plus conviviaux ; quant à ZombiU, il reste le plus impressionnant de ces galops d’essai. Mature, sans concession, le jeu est un incroyable survival horror, qui confirme avec panache la réorientation gamer de Nintendo et qui exploite brillament toutes les options de son contrôleur. Le pad tactile devient ainsi un c outeau suisse autant qu’un handicap, forçant le regard à se détourner de l’action (et des zombies qui rôdent) pour fouiller l’inventaire. De cette jouabilité par ricochets naît un chamboulement des perspectives, ainsi qu’une nouvelle façon de mettre en scène l’horreur, ni plus ni moins. Reste donc à espérer que cette débauche d’inventivité soit l’apanage futur d’une console aussi ingénieuse que téméraire. ♦ Wii U (Nintendo) Jeux conseillés : ZombiU (Ubisof t) Nintendo Land (Nintendo) Batman – Arkham City ( Warner) Trine 2 – Director’s Cut (Frozenby te)
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JEUX La sélection de la rédaction _Par Y.F.
Paper Mario – Sticker Star
The Walking Dead (Telltale Games, sur PS3-PSN, X360-XBLA, PC et Mac)
Peu d’œuvres peuvent nous mettre à genoux d’un simple clic. Inspiré du comic book zombie de Robert Kirkman et Charlie Adlard, The Walking Dead est un choc inouï. Dans un monde où l’humanité se dévore elle-même, le jeu malmène notre sens moral et ses paradoxes en nous laissant seuls et désemparés face à des choix tragiques. Du haut de sa modestie graphique, The Walking Dead coiffe au poteau tous les autres blockbusters de l’année par sa seule puissance suggestive. C’est une météorite émotionnelle comme on en voit passer tous les trente-six du mois. C’est l’œuvre d’une vie, à se procurer de toute urgence.
Lego – Le Seigneur des Anneaux
(Warner/TT Games, sur PS3, X360, Wii, PC, 3DS et PS Vita) Dans leur entreprise insatiable de détournement des classiques geek, les Lego s’attaquent cette fois-ci au monument de Tolkien et (surtout) à son adaptation cinéma par Peter Jackson. Non seulement le jeu reprend certaines séquences au plan près, mais il offre son lot de scènes inédites, qui s’intègrent parfaitement à la narration générale. Sous ses airs de pastiche pour kids, le résultat est une madeleine généreuse – et maniaque – de l’héritage laissé par une des plus grandes œuvres de la fantasy. Quand on sait que l’aventure est d’autant plus savoureuse en binôme, les attentes sont comblées.
PlanetSide 2 (Sony, sur PC)
Le conflit total s’est trouvé un nouveau bac à sable. PlanetSide 2 prend le parti d’une guerre des tranchées sans limites et pousse le multijoueur XXL à son paroxysme. Les premières heures, peu évidentes, peuvent rebuter les plus craintifs. Car PlanetSide 2 demande un entraînement intensif, où l’espérance de vie ténue s’accepte avec philosophie pour mieux rebondir. Une fois domptée, cette angoisse du surnombre se change en jouissance croissante. Le chaos devient un bordel organisé, un flux continu de combats sans victoire ni défaite, où seul compte le plaisir d’une adrénaline quotidienne.
Black Knight Sword (Digital Reality/ Grasshopper Manufacture, sur PS3-PSN et X360-XBLA)
Un théâtre de marionnettes pour décor, des statues de Pâques montées sur échasses et crachant des boules de feu, un micro-ondes qui régurgite des cœurs sanglants dès qu’on lui tape dessus… Pas de doute, nous voilà à nouveau prisonniers de l’esprit frappadingue du créateur Suda 51. Avec ce nouveau jeu de plateforme, l’auteur de Lollipop Chainsaw oscille entre les fantasmagories de Lewis Carroll et des réminiscences des Monty Python. Le résultat, époustouflant à chaque trouvaille, n’en demeure pas moins un challenge ardu (« à l’ancienne », diront les puristes), à réserver aux compétiteurs coriaces.
(Nintendo/ Intelligent Systems, sur 3DS)
La déclinaison RPG du plombier moustachu s’invite enfin sur 3DS. Ce qui pourrait laisser croire à une version light des épisodes précédents cache un jeu d’aventures plus complexe qu’il n’y paraît, qui bouscule pas mal des acquis de la série. Avec son décor en carton-pâte et ses personnages façonnés en vignettes autocollantes, le jeu trouve avec la 3D l’ingrédient parfait pour donner vie et sens à son album pop up. Dans Paper Mario, les niveaux sont des théâtres aux airs trompeurs de cour de récré, où chaque événement est l’occasion de replonger dans un univers cultissime, comme au premier jour.
Playstation All-Stars Battle Royale (Sony/SuperBot Entertainment, sur PS3 et PS Vita) La recette du mash up n’est pas nouvelle, mais qu’importe ? Cette bataille royale de Sony vaut bien tous les jubilés. De Kratos (God of War) à PaRappa The Rapper, toutes les icônes de la grande marque nippone sont là, prêtes à se la coller en arène. Festival de castagne au contenu dodu, PASBR impressionne par la variété et la complémentarité de ses combattants, dont chaque tic est reproduit au détail près. Au-delà d’un fan service de luxe, le jeu promet d’interminables soirées de versus fighting collectif. Bonus ultime : le cross play, qui permet de s’affronter entre PS3 et Vita, par écrans interposés.
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LE GUIDE
SORTIES EN VILLE CONCERTS EXPOS SPECTACLES RESTOS
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©Enki Bilal, 2012, Futuropolis/musée du Louvre
©Ph. Lebruman MD
pop cosmique-clubbing / ensemble-ART CONTEMPOR AIN / THE ÂTRE / LE PL AT
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SORTIES EN SALLES CINÉMA DU MERCREDI 6 février AU MARDI 5 mars
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SORTIES EN VILLE CONCERTS
BJÖRK IN PROGRESS Pop cosmiq ue Björk, les 21, 24, 27 février et le 2 mars au Cirque en chantier, Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), http://cirqueenchantier.com ; les 5 et 8 mars au Zénith, w w w.zenith-paris.com Bastards (One Lit tle Indian/Pias, disponible)
Vaste projet multimédia, écologique, cosmologique et éducatif, Biophilia trouve ses nouvelles extensions sur disque, avec un album de remixes, et sur scène, avec une ambitieuse scénographie où la chanteuse pop jouera au milieu du public. Toujours cristalline. _Par Wilfried Paris
C’est peut-être parce que la critique a majoritairement rejeté Biophilia, album arty et ardu à la recherche de la musique des sphères, que Björk sort un album de remixes, Bastards, qui redonne une saveur pop et électronique à des morceaux jouant initialement plus sur l’espace et le silence que sur les mélodies et les rythmes. Prises d’assaut par Matthew Herbert, Hudson Mohawke, Death Grips ou le chanteur syrien Omar Souleyman, ces chansons qui respirent se gonflent désormais de beats electro et d’arrangements variés qui réconcilient Björk avec le dancefloor, en même temps que la musique avec le corps de l’auditeur. Parallèlement, 84
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l’artiste continue de déployer son projet live et sera à Paris pour six concerts en février et en mars, dont quatre auront lieu au Cirque en chantier, un chapiteau dressé sur l’île Seguin, sur la Seine, dans une ambiance intimiste où le public ne sera qu’à quelques mètres de la scène. De la même manière, elle jouera ensuite au milieu du Zénith de Paris, déjouant le caractère habituellement frontal de la représentation live. Toujours en quête de sonorités nouvelles, la laborantine Björk a fait créer pour ces shows des instruments uniques : un constructeur d’orgues islandais et un diplômé du Massachusetts Institute of Technology ont ainsi réalisé une harpe pendulaire, un orgue céleste constitué de bronze, une paire de bobines Tesla… Les performances font également appel à un chœur féminin islandais de vingt-quatre chanteuses, à des images issues de l’application pour iPad Biophilia, enfin à de prestigieux musiciens tels que Manu Delago, Zeena Parkins ou le directeur musical Matt Robertson. De quoi entendre les vibrations du cristal ou les phases de la lune d’une autre oreille… ♦
©Gilles Pessin
Lipstick Vibrators, le 12 février à Mains d’œuvres (Saint-Ouen)
L’AGENDA
_Par W.P., M.P. et É.V.
999 + Lipstick Vibrators Une soirée punk canal historique avec les Londoniens cultes de 999, actifs depuis 1977, et les plus frais mais tout aussi rétro Lipstick Vibrators, entre Cramps et Dead Boys. Sortez les Perfecto à clous. Le 12 février à Mains d’œuvres (Saint-Ouen), 20h, à par tir de 13 €
Festival Les Envolées Pour cette troisième édition, jolie triplette : la pop légère et efficace de Tahiti 80, l’electro-pop joyeuse des Liverpuldiens Wave Machines et les tubes enlevés, entre Talking Heads et Foals, de The Popopopops. Le 13 février à la Cigale, 19 h, 22 €
Killer Mike
Killer Mike vient de sortir R.A.P. Music, l’un des meilleurs disques de rap de 2012, produit par El-P. Le MC d’Atlanta proche d’Outkast sera précédé de l’excellent tandem Apollo Brown & Guilty Simpson. Le 14 février au Glazar t, 19 h, 17,80 €
Savages Un an après leur premier concert, les quatre Londoniennes de Savages méritent déjà leur nom. La furie des Slits et le magnétisme animal de Siouxsie au service d’une noirceur toute contemporaine. Le 23 février au Nouveau Casino, 20h, à par tir de 19,80 €
Angel Haze
En deux mixtapes sorties en 2012, Angel Haze a éclaboussé le monde de son talent, passant facilement d’un chant R’n’B au texte rugueux à un son electro ou encore à une relecture bouleversante d’un titre d’Eminem. Le 28 février au Social Club, 20h, à par tir de 18 €
AraabMuzik Producteur associé au groupe de rap The Diplomats, Araabmuzik se distingue des autres beatmakers ricains par son goût pour la dance et son usage de la MPC, une boîte à rythmes qu’il martèle en virtuose. Le 7 mars à la Machine du Moulin rouge, 20h, à par tir de 16 €
The Men Réputé pour ses concerts tendus en arcs électriques, le quatuor de Brooklyn, entre noise (Sonic Youth), hardcore (Fugazi) et shoegazing (My Bloody Valentine), vient nous présenter son nouveau New Moon. New men. Le 14 mars au Point éphémère, 20h, à par tir de 14 €
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SORTIES EN VILLE CLUBBING
MUSIQUES PLURIELLES festi val indé Soirée En at tendant Les Femmes s’en mêlent avec Taken By Trees, le 20 février au Point éphémère, 20h, puis festival Les Femmes s’en mêlent, du 19 au 31 mars à la Cigale, au Divan du monde, à la Machine du Moulin rouge…, à par tir de 14 €, w w w.lfsm.net
Seizième édition, toutes griffes dehors, pour le festival qui célèbre la scène féminine indépendante et fait chaque année la chasse aux musiciennes de caractère. Dès février, en guise de teaser, l’énigmatique Taken By Trees ouvre le bal, qui promet d’être ardent. _Par Etaïnn Zwer
Depuis 1997, Stéphane Amiel et sa team d’élégantes ont fait des Femmes s’en mêlent un rendez-vous incontournable. Incorruptible défricheur, le festival explore avec amour les géographies indé et donne champ libre à ses héroïnes. Opérant sous les radars de l’industrie mainstream, entre rêves éveillés et machines de guerre, les sirènes de cette édition bousculent les stéréotypes fatigués et tracent dans les marges leur propre histoire musicale. Biberonnées au do it yourself, musiciennes et plasticiennes et vidéastes, elles fourbissent leurs projets en solo ou créent leurs labels pour bâtir des mondes fous, insubmersibles. Tel l’éden 86
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métissé de l’exploratrice suédoise Taken By Trees (exThe Concretes) qui, pour donner le top et le ton, présentera en avant-première Other Worlds, bijou de pop langoureuse aux accents caribéens. À sa suite, des artisanes de la beauté bizarre – la fantasmatique Christine & The Queens, l’Américaine Kaki King et sa guitare magique – ; des ovnis – Phoebe Jean And The Air Force, armée de son electro hip-hop dévergondée – ; des excités – Tubbe et leur bordel nu-clash berlinois, les Taïwanaises de Go Chic, coachées par Peaches, ou le girls band psyché Teen. Puis, on se laissera piéger par l’hyper cold pop de Camilla Sparksss ou par le très attendu duo pirate Skip&Die et son patch work electropical qui tabasse, avant de s’offrir une douceur avec la folk gracile de Tiny Ruins ou la divine Alela Diane. À quoi il faut ajouter de jeunes pousses qui séduiront 2013 : l’incandescente Mesparrow, la violoniste belge sous hypnose Liesa Van der Aa, le duo no wave hors-piste Talk Normal. Toutes réunies sous la bannière de la singularité, dans une mêlée ébouriffante qui risque d’électriser l’atmosphère. ♦
©Thomas Cooksey
SBTRKT, en DJ set le 15 février au Social Club
L’AGENDA _Par E.Z.
Rone
Electronica rêveuse, clips aériens (Bye Bye Macadam), optimisme fiévreux : entre candeur et décadanse, le « French cosmonaute » a (déjà) conquis la planète, et son dernier Tohu bohu enchante. Avec la complicité du collectif Studio Fünf, il met en espace cette boîte à musique façon grand-huit dans un live audiovisuel inédit, « Module ». Pépite. Le 16 février au Trianon, 19 h30, 22 €
Vitalic
Trois ans d’absence depuis Flashmob, mais un album comme une déclaration féroce : le survitaminé Rave Age. Flanqué de musiciens et d’une guest team très sport, le conquistador electro inaugure « VTLZR », un live virulent mis en scène par le collectif surdoué 1024 Architecture. Sexy Sushi claironne déjà en featuring : ça va être « la mort sur le dancefloor ». Le 23 février au Zénith, 20h30, 34 €
Fireworks ! festival L’agence Super ! poursuit son épopée musicale avec une seconde édition turbulente : le géant Dan Deacon, l’afrika punk fascinant de Petite Noir, Glass Animals et son minimalisme downtempo, les pépites psychosoft de Melody’s Echo Chamber, le groove dubstep de SBTRKT, la dream pop de Pegase… Des beats et des claps pour conjurer l’hiver joyeusement. Du 13 au 24 février à la Maroquinerie, au Point éphémère, au café de la Danse, au Social Club et au Nouveau Casino, de 14 à 20 €
Paul Kalkbrenner
La B.O. culte de Berlin Calling l’a sacré pape mondial de la stadium techno, il a quitté après dix ans de tapage électroïde le giron du label BPitch Control, créé sa propre écurie et lâché en 2011 l’accrocheur Icke Wieder. En verve, le gourou berlinois remet les gants et vient défendre son petit dernier : l’évident, radieux et dansant Guten Tag. Le 2 mars au Zénith, 19 h30, 39,50 €
Amon Tobin Toujours hors-piste, l’alchimiste fait son grand retour avec une date unique en France et l’ambitieux projet « ISAM 2.0 », véritable « sculpture musicale ». Sons electro-organiques, projection en mapping, real time audio : il livre une performance brutaliste et visuelle époustouflante qui mêle psychédélisme et sciencefiction. Show time 2.0. Le 13 mars à la Grande Halle de la Villet te, 19 h30, 42 ,9 0 €
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DR, courtesy galerie Christophe Gaillard
SORTIES EN VILLE EXPOS
Daniel Pommereulle, Objets de tentation, 1966. Performance à la Galerie Mathias Fels.
EFFETS SECONDAIRES Ensemble t hématiq ue A rchitect ure « Sous influences », du 15 février au 19 mai à la Maison rouge, w w w.lamaisonrouge.org
La Maison rouge présente une vaste exposition sur les liaisons – plus ou moins dangereuses et heureuses – entre artistes et psychotropes, que ceux-ci soient le sujet des œuvres ou mis à contribution dans le p rocessus créatif. _Par Anne-Lou Vicente
La liste des artistes apparaissant dans l’exposition « Sous influences », présentée à la Maison rouge, est pour ainsi dire vertigineuse. Et pour cause : nombreux, pour ne pas dire innombrables, sont les peintres, sculpteurs, plasticiens, écrivains, musiciens et autres créateurs qui, de près ou de loin, se sont penchés sur les substances psychoactives, d’origine naturelle ou artificielle, ayant la faculté d’orienter la conscience et/ou le comportement, inspirant voire assistant parfois la production artistique. Les œuvres relevant de ces liens entre artistes et psychotropes se divisent en quelque sorte en trois catégories, à commencer par celle prenant lesdites substances pour 88
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sujet, qu’elles soient frontalement représentées – l’étalage de plusieurs drogues comme autant d’Objets de tentation par Daniel Pommereulle – ou simplement évoquées – l’Amanite fluorescente sérigraphiée de Carsten Höller ou le sniffeur de glu photographié par Luc Delahaye. D’autres tentent pour leur part de reproduire les effets visuels et sensoriels d’un trip, à l’instar des environnements à pois de Yayoi Kusama ou des sombres couloirs en suspension du même Carsten Höller. La troisième et dernière catégorie, sans doute la plus fascinante, regroupe les œuvres dont la réalisation procède d’un recours aux psychotropes, non comme matériau mais bien comme véritable catalyseur de production. On contemplera ainsi les Dessins mescaliniens du poète Henri Michaux ou encore Drugs, l’impressionante série d’autoportraits effectués par Bryan Lewis Saunders sous l’emprise d’une drogue à chaque fois différente, dont la nature et la quantité sont systématiquement spécifiées : de la cocaïne à la marijuana en passant par les champignons hallucinogènes et autres médicaments, les portes de la perception y semblent infinies… ♦
© Antoine d’Agata - Magnum photos Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris
Nuevo Laredo d’Antoine d’Agata (2005), au Bal
L’AGENDA
_Par Léa Chauvel-Lévy
« La collection Michael Werner » Où voir du Joseph Beuys, du Otto Dix, du Georg Baselitz ou encore du Francis Picabia ? Au Mam, grâce à l’incroyable collection de Michael Werner, marchand d’art allemand qui a eu la bonté divine de léguer près de cent trente œuvres au musée. De quoi se plonger dans la production artistique du XXe siècle sans s’y noyer. Jusqu’au 3 mars au musée d’Ar t moderne, ht tp://mam.paris.fr
« Des fleurs en hiver – Delacroix, Othoniel, Creten » Pas de singe en hiver, mais des fleurs dans cette exposition qui met en vis-à-vis les tableaux et aquarelles aux motifs floraux du peintre Delacroix et les créations de deux artistes actuels, Jean-Michel Othoniel et Johan Creten. Sans mièvrerie aucune, la fleur y est traditionnelle ou contemporaine, en tout cas jamais fanée. Jusqu’au 18 mars 2013 au musée Delacroix, w w w.musee-delacroix.fr
« Spécimens » La nature reprend ses droits dans les intérieurs élégants du château de Chamarande à l’occasion de sa nouvelle exposition « Spécimens ». Le parcours, organisé autour d’une dizaine d’artistes internationaux, prend des allures de cabinet de curiosités et de muséum d’histoire naturelle. D’un naturel réjouissant. Jusqu’au 31 mars au domaine de Chamarande (Essonne), ht tp://chamarande.essonne.fr
« Anticorps » Dix années ont passé depuis l’exposition somme que lui organisait la galerie VU. Retrouver le génial Antoine d’Agata, élève prodige de Nan Goldin et de Larry Clark, est un plaisir en même temps qu’une souffrance, tant les marges qu’il photographie depuis vingt ans troublent et habitent longtemps. Une exposition où la chair est retrouvée. Jusqu’au 24 avril au Bal, w w w.le-bal.fr
« Dans les entrailles du palais secret » Jean de Loisy, le président du palais de Tokyo, a laissé quartier libre à une scène de graffeurs alternatifs, ici menée par Lek, Sowat et Dem189. Pendant six semaines, ils ont investi le « palais secret », fermé au public, pour y graffer jusqu’à l’abstraction. Le résultat est explosif. On se croirait dans le métro, et pour le coup c’est une bonne chose. Jusqu’au 1 er septembre au palais de Tok yo, w w w.palaisdetok yo.com
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©Enki Bilal, 2012, Futuropolis/musée du Louvre
SORTIES EN VILLE EXPOS
Enki Bilal, Grande galerie du musée du Louvre et Markus Dudke
Morts parallèles AA rt contemporain rchitect ure « Les fantômes du Louvre – Enki Bilal » jusqu’au 18 mars au musée du Louvre w w w.louvre.fr
Artiste protéiforme jonglant entre la mise en cases et la mise en cadre des êtres, ENKI BILAL expose pour la première fois au Louvre. Entremêlant les œuvres, superposant les temps, l’auteur plonge le visiteur dans un bain d’histoire(s) spectral. _Par Adrien Genoudet
Le regard qui déambule au cœur d’un musée peut parfois se figer : comme foudroyé par une œuvre, ce qu’elle dégage, la temporalité qui l’habite et la rend presque fantomatique. Pour réaliser sa bande dessinée La Traversée du Louvre, dernier-né d’une collaboration entre Louvre Éditions et Futuropolis, David Prudhomme a arpenté les galeries en s’intéressant, davantage qu’aux œuvres proprement dites, à ces regards de visiteurs qui les font exister. Une démarche similaire à une autre traversée des lieux : celle d’Enki Bilal, qui a pour sa part photographié plus de quatre cents œuvres du musée, en a retenu vingt-trois et les a 90
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tirées sur toile. Sur ces toiles, il a ensuite peint des personnages évanescents, fantômes d’acrylique et de pastel qui hantent les couloirs. C’est cela, en somme, qui foudroie le visiteur : cette imbrication des genres et des temps, cette alchimie parfaite entre la réalité des œuvres, elles-mêmes photographiées, et l’apport d ramatique de ces êtres spectraux dessinés par-dessus. Ces mondes qu’il invoque, Bilal joue à les brouiller, à les confondre au travers de panneaux écrits sur lesquels on découvre la vie, documentée mais fictive, de ces fantasmes enluminés. C’est au cœur de cette fusion où brûle une imagination débordante que l’exposition prend tout son sens, c’est dans ce magma où les supports – photographies, œuvres, dessins, textes, exposition – se fondent les uns dans les autres que l’on comprend que Bilal dépasse le neuvième art. Le bédéaste David B. écrit qu’il dessine « des cases comme autant de cercueils » : les toiles qu’expose Bilal sont autant de linceuls pour ces êtres irréels. De l’art en cases grand format, où les supports se mêlent, comme le moyen ultime pour encadrer les hommes et leurs histoires. ♦
©Liu Bolin
LE CABINET DE CURIOSITÉS
Liu Bolin, Green Food, 2012
Body painting Liu Bolin est le Zelig de la photographie. Ses images le montrent systématiquement camouflé, de sorte qu’il ne fasse qu’un avec le décor qu’il shoote – terrain vague, statue, mur graffité… Une nuée d’assistants aident l’artiste à se fondre ainsi dans le paysage, et plusieurs heures de préparation sont nécessaires afin de créer l’illusion d’optique capable de gommer sa présence. Mais pas entièrement. Car Bolin ne cherche pas l’invisibilité totale, mais offre plutôt au regardeur un court laps de temps où ce dernier croit voir un espace dépeuplé avant de découvrir l’épaisseur d’un homme, son enveloppe corporelle, en l’occurrence celle d’un photographe mi-prestidigitateur, mi-caméléon. _L.C.-L. Liu Bolin, jusqu’au 9 mars à la galerie Paris-Beijing, w w w.galerieparisbeijing.com
© Yue Minjun
L’ŒIL DE…
Yue Minjun, AD 3009, 2008
Grazia Quaroni, commissaire de l’exposition Yue Minjun « On parle de l’ironie du peintre Yue Minjun, pourtant il ne l’est pas tant que ça : il est plutôt dans le grotesque. Minjun fait partie d’une génération qui s’est mise à peindre dans les années 1990. Resté en Chine, il n’est pas parti après Tianan men, comme d’autres peintres chinois. Il a donc vécu une période de grande désillusion. Son rire fut une réponse face à la dépression que traversait les intellectuels après 1989. “Vous voulez du bonheur, des sourires, les voici”, semble dire sa peinture, qui se lit comme une interprétation de l’art officiel, de la propagande avec lesquels il a grandi. De la rhétorique du sourire figé des ouvriers ravis de travailler, il a fait un motif, une marque de fabrique. » _Propos recueillis par L.C.-L. « Yue Minjun – L’ombre du fou rire », jusqu’au 17 mars à la fondation Car tier, ht tp://fondation.car tier.com
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©Ph. Lebruman
SORTIES EN VILLE SPECTACLES
CHIENS FOUS T hé âtre Quand je pense qu’on va vieillir ensemble des Chiens De Navarre, du 26 février au 2 mars à la maison des ar ts de Créteil, les 7 et 8 mars au théâtre de Vanves et du 14 au 25 mai au théâtre des Bouf fes du Nord w w w.chiensdenavarre.com
Leur pedigree de lurons malpolis fait rêver les programmateurs et commence à titiller la télé. Le collectif Les Chiens De Navarre revient à la maison des arts de Créteil avec un nouveau spectacle pur race. _Par Ève Beauvallet
Vrais dobermans de la jeune scène française ou bichons inoffensifs ? Dans le milieu du théâtre, il y a les pro et les anti-Chiens De Navarre – cette meute d’acteurs réunis autour du metteur en scène Jean-Christophe Meurisse depuis 2005 dans l’envie de faire enfin ce qu’on leur interdisait ailleurs (c’est-à-dire du bon mauvais goût et du rire de fond de slip). Nous, on est plutôt pro-toutous, mais à défaut de trancher trop vite sur leur caractère incisif, contentons-nous de les présenter comme des clebs excités, un peu crados, toujours prêts à jouer et à pisser derrière les portes. On les a repérés dans de farfelues séances d’aérobic ambiance Véronique et Davina (L’autruche peut mourir 92
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d’une crise cardiaque…, 2009), puis revus dans des réunions associatives qui virent à la série B gore (Nous avons les machines, 2012). Soit des ovnis drôles et trash, plus Europe que France Culture, AB Productions qu’Éric Rohmer, prospectus pour tombola que Troïlus et Cressida… Un univers mi-branché, mi-déchet (ou branché parce que déchet), anti-snob, décomplexant et érudit, qui sait allier l’esthétique Emmaüs et bal dansant aux préceptes de la performance arty. Et ça cartonne. Normal, d’ailleurs : mis à part les excellents Sophie Perez et Xavier Boussiron ou le très distingué Yves-Noël Genod, le réseau du théâtre public n’est pas encore habitué à ce type de positionnement qui rappelle à beaucoup les grandes heures de Canal+. Une comparaison que ne rejettent pas, loin s’en faut, JeanChristophe Meurisse et ses compères, dont la recherche comique (souvent de situation plus que de langage) prend cependant à rebours la course à la vanne calibrée pour les chroniques télé ou le stand up. N’empêche… On les verrait bien sortir de leur niche underground pour aboyer dans une minisérie. ♦
©Grand Magasin
Mordre la poussière de Grand Magasin, au théatre de la Cité internationale
L’AGENDA _Par È.B.
Kaguyahime Maître incontesté d’un néoclassicisme minimal et musclé, le chorégraphe tchèque Jiří Kylián a donné à l’étoile Marie-Agnès Gillot l’un de ses rôles mémorables dans Kaguyahime, l’adaptation d’un conte japonais sur fond de tambours orientaux. Le ballet, créé en 1988, est entré au répertoire de l’opéra de Paris en 2010. Jusqu’au 17 février au palais Garnier, w w w.operadeparis.fr
Tendre et cruel Excellente dans la mise en scène des tragédies politiques de Corneille Suréna et Nicomède, Brigitte Jaques-Wajeman revient au théâtre de la Ville avec Tendre et cruel, un drame écrit par l’auteur britannique Martin Crimp au lendemain des attentats du 11 Septembre. Jusqu’au 21 février au théâtre des Abbesses, w w w.theatredelaville-paris.com
Un catalogue de Grand Magasin Clowns en crise biberonnés aux logiques marchandes et aux méthodes entrepreneuriales, les acteurs de la troupe Grand Magasin s’amusent des codes médiatiques, des exposés scientifiques et de tout ce qui ressemble de près ou de loin à de l’analyse objective. Une rétrospective de quatre farces sociales revendiquées 100 % improductives. Jusqu’au 22 février au théâtre de la Cité internationale, w w w.theatredelacite.com
Festival Faits d’hiver Curieux point de rencontre entre le Rex Club et le film d’angoisse, Cannibal, du jeune Australien Matthew Day, chorégraphie le ressassement binaire propre à la gestuelle des clubbers. Un bel exercice d’enivrement ou de lobotomisation à découvrir aux côtés du tandem Pieter Ampe & Guilherme Garrido, également programmé dans le très défricheur festival Faits d’hiver. Jusqu’au 23 février au théâtre de la Bastille, au théâtre de la Cité internationale, à Micadanses…, w w w.faitsdhiver.com
Troïlus et Cressida Très beau Claude Simon dans la pièce Nouveau Roman de Christophe Honoré et recrue toute fraîche dans la troupe du Français, le trentenaire Sébastien Pouderoux est très attendu dans le rôle d’Achille dans Troïlus et Cressida de Shakespeare, une love story tragique au pays des Grecs et des Troyens. Jusqu’au 5 mai à la Comédie française, w w w.comedie-francaise.fr
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©Elisabeth Carecchio
SORTIES EN VILLE SPECTACLES
COUPLE ET REFRAIN T hé âtre La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat, jusqu’au 3 mars à l’Odéon-théâtre de l’Europe, w w w.theatre-odeon.eu
Avec La Réunification des deux Corées, variation autour du sentiment amoureux, le sorcier du théâtre contemporain JOËL POMMERAT place le couple sous une mauvaise étoile. Mais elle brille de tous ses feux. _Par Ève Beauvallet
La peur, l’angoisse, l’inquiétude… Contrairement au cinéma, le terrain des humeurs malignes et de la flippe généralisée a souvent fait flop au théâtre. Jusqu’à ce que débarque, à la mi-1990, l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat, sorte de Père Fouettard et de bonne fée des plateaux, devenu depuis le maître inégalé du théâtre fantasmatique. Avec sa tripotée de pièces cinégéniques, presque « lynchéennes », Pommerat a souvent ressemblé à l’étrange prestidigitateur du Silencio – ce cabaret sensuel et anxiogène dans lequel les deux héroïnes de Mulholland Drive viennent chercher la clé de leur inconscient et entendre de nouveaux contes. La Réunification des deux Corées poursuit cette exploration des fantasmes, même si cette 94
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nouvelle création, très attendue, s’inscrit dans le sillon des pièces plus naturalistes, plus comiques aussi, que propose Pommerat depuis quelques années. Le dramaturge nous invite sur le terrain amoureux via une succession de saynètes enlevées sur le thème du couple (ou plutôt de l’impossibilité du couple), zappant d’un genre à l’autre de manière décomplexée : du drame fantastique au soap-opéra, des ruptures ambiance Scènes de la vie conjugale de Bergman à des flashs hypnotiques façon Exotica d’Atom Egoyan, en passant par des clins d’œil au vaudeville… Dans ce labyrinthe, le fil conducteur, c’est la mise en son. Un superpouvoir que Pommerat seul détient et qui lui sert à conférer son étrangeté à la plus primesautière des scènes de farce. Ajoutons à cela une scénographie construite sur un dispositif bi-frontal – avec une scène de 22 mètres prise en sandwich entre deux gradins – et une architecture des lumières capable de produire des effets de grand angle et de contre-plongée, et le chef-d’œuvre fonctionne à plein… même si les aficionados pourront regretter des partis pris un peu moins radicaux qu’à l’accoutumée. ♦
©Delgado Fuchs
Le spectacle vivant non identifié
Classe mannequin Leurs corps de mannequins parfaitement entretenus prêtent à confusion, diront certains. Mais nous, on vous assure que le tandem belgo-suisse Delgado Fuchs est champion du grotesque et de l’autodérision. Pourvus d’un art du détachement trop rare sur les plateaux de danse contemporaine, les deux farceurs épinglent comme personne nos rituels d’entretien physique en inventant un univers narcissique, aseptisé et hypersexualisé. Le genre de scénario d’anticipation plutôt flippant où les nouveaux pèlerins (nous tous et les chorégraphes avec) se confondent avec les couvertures de Vogue et s’abreuvent de séances de Pilates. Prémonitoire ? _È.B. Let’s Get Physical, chorégraphie de Delgado Fuchs, du 8 au 10 février au 104, w w w.104.fr
©Mirco Magliocca
L’INVITÉ SURPRISE
Olivier Broche, Lucrèce Sassella et Olivier Saladin dans Instants critiques
François Morel en série François Morel est-il un vrai couteau suisse ? La Pépinière théâtre fait le tour de la question en proposant au comédien une carte blanche de six spectacles pour lesquels il se fait tour à tour chanteur, acteur, auteur ou metteur en scène. Coup d’envoi de la série, Instants critiques ravira les nostalgiques de l’âge d’or du Masque et la plume, la très culte émission de France Inter dans laquelle s’affrontaient Jean-Louis Bory et Georges Charensol (ici interprétés par Olivier Saladin et Olivier Broche, deux camarades période Deschiens), sortes de « Laurel et Hardy de la critique » dont les échanges autour de Godard, de Pasolini ou de Coppola sont ici adaptés dans un pur esprit patrimonial. _È.B. Car te blanche à François Morel, jusqu’au 29 juin à la Pépinière théâtre, w w w.theatrelapepiniere.com
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©Bruno Verjus
SORTIES EN VILLE RESTOS
EN SOLE MAJEURE L e plat Christophe, 8, rue Descar tes, 750 05 Paris Tél. : 01 43 26 72 49
Quelques adresses au fil de l’eau pour retracer le parcours de la sole, depuis l’île d’Yeu jusqu’à l’assiette, et toujours au meilleur de ses formes. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.fr)
Ainsi sont les jours d’hiver. En face de la baie de Bourgneuf et de l’île de Noirmoutier, au plus proche des côtes de l’île d’Yeu, la mer d’un froid extrême berce les grosses soles de fond. Celles revêtues d’une peau sombre et mouchetée, comme imprimées des tonalités des profondeurs de l’océan, ont ma préférence. Nonchalantes, elles se meuvent et s’emmaillotent aux toiles invisibles des pêcheurs. Dès le lendemain, elles festonnent de leur peau de galuchat les étals parisiens de Dominique Maury au marché Saint-Quentin, de Terroirs d’avenir, rue du Nil, du Comptoir océanique, rue Mouton-Duvernet, de la poissonnerie du Bac, rue du Bac, ou de celle du Dôme, rue Delambre. Et, bien sûr, ceux de la p oissonnerie Hennequin à Port-Joinville, sur l’île d’Yeu… 96
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La sole d’Yeu offre la mer en bouchées charnues. En l’habillant du vert fringant d’une purée de persil plat et de beurre frémissant, vous offrirez à votre faim une sobriété altière. Un gros tronçon de sole cuit sur l’arête, ivre de mer, accompagné de quatre « frites » de pois chiche, petites baguettes poudrées et dorées, brûle-doigts qui se livrent « crousti-fondants » aussitôt en bouche. Ce plat exceptionnel de bonté nous mène à un vertige de sensations, où l’idée que l’on s’en fait est percutée par les émotions de sa dégustation : une mise en extase harmonieuse et juste du palais et du cerveau, papilles et synapses à l’unisson. L’impression de lignes qui se rejoignent, d’une complétude, de l’ultime : la sole en asymptote. Ce monument de gastronomie est proposé par Christophe Philippe, chef du restaurant Christophe, pour 28 € – c’est-à-dire un cadeau. Une belle cuisine qui survole les modes et les effets pour servir le mangeur au plus près de ses émotions et de ses désirs. C’est aussi ouvert le week-end, alors précipitez-vous : la cave de vins vivants saura étancher les plus grandes soifs pour l’âme. ♦
© Fabrizio Maltese
LA RECETTE
Le verre de vodka façon Möbius Grégory, l’agent des services secrets russes joué par Jean Dujardin, est perdu dans les sables mouvants du blanchiment d’argent monégasque. Il s’entête à faire la cour à sa cible, la financière Alice (Cécile De France). Il n’a qu’à lui sortir le grand jeu de la dégustation vodka et caviar. Pour les œufs d’esturgeon, on choisira l’installation classique sur présentoir vermeil, dans lequel on plonge par menues touches. La bouteille de « petite eau » (traduction du terme vodka) sera quant à elle recommandée par l’équivalent de l’œnologue pour cet alcool : le kiper, dont les représentants les plus talentueux sont polonais. Servir glacé dans un verre givré. за ваше здоровье. _É.R. Möbius d’Éric Rochant Avec Jean Dujardin, Cécile De France… EuropaCorp // Sor tie le 27 février
©Philippe Vaures-Santamaria
Où déguster…
L’Arpège
… la sole
Spring 6, rue Bailleul – Paris Ier Tél. : 01 45 96 05 72 Yam’Tcha 4, rue Sauval – Paris Ier Tél. : 01 40 26 08 07 Le 21 21, rue Mazarine – Paris VIe Tél. : 01 46 33 76 90 L’Arpège 84, rue de Varenne – Paris VIIe Tél. : 01 47 05 09 06 L’Écailler du bistrot 22, rue Paul-Bert – Paris XIe Tél. : 01 43 72 76 77 La Cagouille 10, place Constantin-Brancusi – Paris XIVe Tél. : 01 43 22 09 01 Rech 62, avenue des Ternes – Paris XVIIe Tél. : 01 45 72 29 47
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
L’AGENDA _Par T.D., C.G., S.O., J.R., É.R. et L.T.
Shadow Dancer de James Marsh
06/02 SHADOW DANCER
CHATRAK
À Belfast dans les années 1990, Collette (excellente Andrea Riseborough) est forcée de devenir une taupe et d’espionner sa famille, dont les frères militent pour l’IRA. Jeune mère d’un petit garçon, elle va tout faire pour le protéger. Sobre et efficace.
Dans la forêt, un jeune homme fait l’expérience d’un radical retour aux sources. À Calcutta, son frère architecte décide de se mettre à sa recherche. Chatrak, esthétiquement superbe, se situe quelque part entre Apichatpong Weerasethakul et Jia Zhang-ke.
LA BANDE DES JOTAS
HITCHCOCK
Nils et Didier arrivent en Espagne. Ils rencontrent une mystérieuse femme qui les embarque dans une série d’aventures dont le but est d’éliminer la fameuse bande des « J ». Marjane Satrapi prend le contrepied de ses précédentes réalisations avec un film « à la Jarmusch ».
Le biopic de Sacha Gervasi prend comme cadre temporel la gestation et le tournage de Psychose. « Hitch » va devoir faire face à ses obsessions, notamment celle pour les jolies blondes (Scarlett Johansson reprend le rôle de Janet Leigh). Classique.
NAÎTRE PÈRE
TURF
Jérôme et François, en couple depuis treize ans, décident d’avoir un enfant. Ils font appel à une mère porteuse américaine. Naître père, qui suit tendrement neuf mois d’attente, sort à point nommé pour donner du grain à moudre aux débats actuels.
Le réalisateur de Camping chevauche un nouveau loisir franchouillard, le pari sur les courses hippiques. Une bande de joueurs décide d’acheter un cheval de course qui se révèle être un baudet léthargique, mettant en péril leurs familles et leur amitié.
LES MISÉRABLES
GOODBYE MOROCCO
Attention, cette adaptation de la comédie musicale anglo-saxonne inspirée du roman-fleuve de Victor Hugo est entièrement chantée. Le casting est colossal : Anne Hathaway en Fantine y côtoie Hugh Jackman en ancien forçat et Amanda Seyfried en Cosette.
À Tanger, les amours contrariées de Dounia (Lubna Azabal), Marocaine divorcée, et Dimitri, architecte serbe, doublées d’un trafic de pièces archéologiques. Le cinéaste francoalgérien Nadir Moknèche (Délice Paloma) signe son quatrième long métrage.
de James Marsh Avec Andrea Riseborough, Clive Owen… Wild Bunch, Irlande/Royaume-Uni/France, 1h42
de Marjane Satrapi Avec Marjane Satrapi, Mat tias Ripa… Urban Distribution, France/Belgique, 1h15
de Vimukthi Jayasundara Avec Paoli Dam, Sudip Mukherjee… Équation, Inde/France, 1h30
de Sacha Ger vasi Avec Anthony Hopkins, Scarlet t Johansson… 20 th Centur y Fox, États-Unis, 1h38
13/02 de Delphine Lanson Documentaire De Films En Aiguille, France, 52 min
de Tom Hooper Avec Russell Crowe, Hugh Jackman… Universal Pictures France, Royaume-Uni, 2h30
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de Fabien Onteniente Avec Alain Chabat, Édouard Baer… Pathé, France, 1h42
de Nadir Moknèche Avec Lubna A zabal, Rasha Buk vic… Les Films Du Losange, France/Belgique, 1h42
et surtout… 06/02 La Fille de nulle part (lire p. 48) Gangster Squad (lire p. 54) Wadjda (lire p. 62) Tu honoreras ta mère et ta mère (lire p. 10 0) Hiver nomade (lire p. 102) 13/02 Flight (lire pp. 14, 16 et 33) Antiviral (lire p. 30) Hôtel Transylvanie (lire p. 32) Passion (lire p. 42) La Poussière du temps (lire p. 104) Ici et là-bas (lire p. 106) 20/02 Syngué Sabour lire p. 19 ) 5 Caméras brisées (lire p. 24) Chimpanzés (lire p. 28) Elefante Blanco (lire p. 108) 27/02 ouf (lire pp. 20 et 114) Sublimes créatures (lire p. 36) Bestiaire (lire p. 110) La Porte du paradis (lire p. 112) Lore de Cate Shortland
20/02 LES CHEVAUX DE DIEU
LORE
Dans un bidonville de Casablanca, la descente aux enfers de quatre amis, endoctrinés par les salafistes et choisis pour devenir des martyrs. Adapté d’un roman, le film de Nabil Ayouch explore par le prisme de l’intime la genèse des attentats du 16 mai 2003.
Lore, grande sœur frondeuse, prend la tête de sa fratrie, abandonnée par ses parents en 1945. La cinéaste australienne Cate Shortland s’intéresse à la dénazification à travers l’exil de cette petite famille menée par Saskia Rosendahl, une révélation.
PINOCCHIO
DES ABEILLES ET DES HOMMES
Après Walt Disney ou Roberto Benigni, c’est Enzo d’Alo, le réalisateur de La Flèche bleue et de La Mouette et le Chat qui signe une adaptation haute en couleur du mythe du célèbre pantin de Carlo Collodi, basée ici sur le livre jeunesse de Lorenzo Mattotti.
Sondant l’environnement, de la Californie à la Chine, le documentaire spéculatif du cinéaste helvète Markus Imhoof (La barque est pleine) examine l’avenir compromis de l’homme et de notre écosystème si jamais les abeilles venaient à disparaître.
MÖBIUS
WEEK-END ROYAL
Les polars français à Monaco se font rares : ce film d’espionnage d’envergure internationale, qui oppose Jean Dujardin à l’accent russe et Cécile De France en trader, marque le retour du réalisateur des Patriotes, Éric Rochant, après sept ans d’absence.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Franklin D. Roosevelt (Bill Murray, enjoué) reçoit dans sa maison de campagne le roi George VI : Roger Michell décrypte les dessous de l’histoire, résumés en un week-end de pique-nique crucial et politique.
DU PLOMB DANS LA TÊTE
ZAYTOUN
Un tueur à gages qui n’élimine que des bad guys se retrouve dans la mouise après avoir épargné le témoin innocent d’un de ses crimes : les conséquences amèneront Jimmy Bobo (Stallone) à collaborer avec un flic aux valeurs pas si éloignées des siennes.
Un jeune Palestinien se lie d’amitié avec un pilote israélien, prisonnier dans un camp de Beyrouth en 1982. Le réalisateur des Citronniers réussit un tour de force en donnant du corps et du cœur à ce postulat impossible. Un conte improbable mais touchant.
de Nabil Ayouch Avec Abdelhakim Rachid, Abdelilah Rachid… Stone Angels, France/Belgique/Maroc, 1h55
d’Enzo d’Alo (animation) Avec les voix de Gabriele Caprio, Mino Caprio… Gebeka Films, It./Bel./Fr./Lux., 1h20
de Cate Shor tland Avec Saskia Rosendahl, Nele Trebs… Haut Et Cour t, Allemagne/Australie, 1h48
de Markus Imhoof Documentaire Jour2Fête, Autriche/Allemagne/Suisse, 1h28
27/02 d’Éric Rochant Avec Jean Dujardin, Cécile De France… EuropaCorp, France, 1h43
de Walter Hill Avec Sylvester Stallone, Sung Kang… Metropolitan Filmexpor t, États-Unis, 1h31
de Roger Michell Avec Bill Murray, Laura Linney… Diaphana, Grande-Bretagne, 1h35
d’Eran Riklis Avec Stephen Dor f f, Loai Nofi… Pathé, Grande-Bretagne/France/Israël, 1h50
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
TU HONORERAS TA MÈRE ET TA MÈRE Mal de mère
Huit ans après Travaux, BRIGITTE ROÜAN cultive son singulier comique enchanté avec une comédie plus matriarcale que jamais : Nicole Garcia y pouponne sans vergogne quatre fils adultes. Qui pour couper le cordon ? _Par Sophia Collet
On connaît les comédies sur les trentenaires moqués de ne pas quitter le nid et sur les péripéties de l’émancipation, mais qu’en est-il des mamans délaissées ? Brigitte Roüan, qui jouait – déjà – la mère des Chansons d’amour de Christophe Honoré, initie sa nouvelle fantaisie à rebours de l’image
du parent blasé. Judicieusement, elle refuse le cas de sociologie en appartement bourgeois et exporte la question dans un film de vacances en Grèce, terre à la culture nourricière pour la psyché occidentale mais pays en pleine crise, révélant le potentiel ludique d’un sujet au postulat joyeusement renversé. Soit Jo (Nicole Garcia), divorcée et future retraitée, qui prend prétexte chaque été d’un festival francophone pour réunir sa famille rendue exponentielle par les femmes et enfants de ses quatre fils (Éric Caravaca, Patrick Mille, Michaël Abiteboul et Gaspard Ulliel). La préparation d’un spectacle sur le mythe diffuse le soupçon de complexe d’Œdipe et échauffe la comédie familiale, de la grandmère coryphée et pythie (facétieuse Emmanuelle Riva) au bébé
jalousé. Par mots d’esprit, on joue à « pousse-maman » tandis que Jo casse littéralement le pied de son fils. Dans Travaux, Roüan se jouait de l’idée de femme accomplie pour faire de Carole Bouquet la bonne fée de sans-papiers, matriarche d’une famille soudain élargie ; elle exalte ici le cliché de la mère hydre et folle d’amour via les motifs de la tragédie grecque pour en déceler la part de mélancolie sourde. Sur ces liens sans cesse dénoués et renoués, le film, bondissant, déconstruit par sauts de cabri les clichés, et la part des fantasmes perce par ruptures de ton oniriques. Avec Brigitte Roüan, ce sont les mères qui s’émancipent. ♦ De Brigit te Roüan Avec : Nicole Garcia, Éric Caravaca… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h36 Sor tie : 6 février
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour le casting qui fait mouche : la symbiose réussie entre les quatre garçons, autour d’une Nicole Garcia bouillonnante donne son rythme échevelé à la comédie.
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2… Parce qu’il n’est pas si fréquent de voir une figure de mère au cœur d’une comédie française. Jo est ici l’enjeu et le moteur comique du film – son œil du cyclone, en somme.
3… Pour le réinvestissement des mythes grecs de la tragédie antique, d’Œdipe à Médée, dont la teneur psychologique est dédramatisée et réactualisée par le comique.
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
HIVER NOMADE Étoile du berger
Un berger et son assistante s’enfoncent dans l’hiver suisse en compagnie de huit cents moutons, d’ânes et de chiens, en route pour une transhumance de plusieurs mois. Un premier documentaire buissonnier, une ode au bon air des montagnes. _Par Laura Tuillier
Un flot lent de voitures roule sur les voies d’une autoroute enneigée. Au-dessus, sur le pont, un étrange cortège chemine lui aussi. Pascal et Carole, un chapeau de cow-boy et un bonnet rouge, encadrent un immense troupeau de moutons. Bientôt s’étendra devant eux un long hiver de voyage dans une nature désertique. Comme l’explique Pascal à une citadine rencontrée
en route, la transhumance, c’est l’art de trouver des pâturages aux moutons qui, une fois engraissés, pourront être vendus. Ce qui compte, dans ce périple, n’est pas le point d’arrivée (qui est le point mort, toutes bêtes mangées) mais les étapes. Chacune d’elles va dessiner de nouveaux agencements dans les rapports entre Pascal et Carole, entre les hommes et les bêtes. Le départ de la ville est marqué par le stress du berger, aussi barbu que bourru, qui n’a de cesse de rabrouer violemment sa jeune assistante. Carole encaisse les remontrances, se démène pour obtenir l’obéissance des chiens (dont le chiot Léon, né pendant le périple) et faire avancer correctement le troupeau. La tâche est physiquement éprouvante, la neige brouille tout, l’horizon est invisible. Puis, tandis que la jeune femme gagne le respect des bêtes, Pascal relâche la bride. Le berger s’épanouit dans le silence de la montagne et à la lumière des étoiles.
Les plus belles scènes de ce documentaire léché (très découpé, il tend vers la fiction plutôt que vers la « prise sur le vif ») ont d’ailleurs lieu de nuit, autour du feu. Dégustant leur humble repas de Noël, les deux bergers, l’âne et les chiens forment un tableau presque biblique, une composition solidaire et apaisée. Contribuant à la marche du monde, mais de loin, depuis les hauteurs. ♦ De Manuel von Stürler Documentaire Distribution : KMBO Durée : 1h27 Sor tie : 6 février
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour découvrir qu’un autre hiver est possible, loin du chauffage électrique et des sapins en plastique : sous la tente, avec une peau de mouton en guise de couverture.
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2… Pour la façon tendre qu’a Manuel von Stürler de filmer les relations entre hommes et bêtes. Où comment être ému par les douleurs de sabot de l’âne Figaro.
3… Pour les scènes de rencontre entre les deux bergers et leur employeur, le vendeur de moutons, qui lui-même regrette parfois d’avoir à envoyer ses bêtes à l’abattoir.
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
LA POUSSIÈRE DU TEMPS Voyage en six terres
En 2009, le cinéaste grec THEO ANGELOPOULOS présentait La Poussière du temps au Festival de Berlin. Inédit depuis, ce deuxième volet de la trilogie Eleni évoque les bouleversements de la seconde partie du XXe siècle et travaille, par-delà les frontières et avec une profonde mélancolie, le motif du déracinement. _Par Quentin Grosset
Simple dans sa démesure, celle de raconter cinquante ans d’histoire par fragments épars et au prisme des sentiments, La Poussière du temps est traversée par une douce quiétude. Pourtant, les événements (diaspora grecque, chute du mur de Berlin…), pesants et dispersés sans
linéarité aucune, ne portent pas à l’apaisement. Un réalisateur américain d’origine grecque (Willem Dafoe) s’emploie à faire le récit cinématographique et décousu des amours de sa mère, Eleni (Irène Jacob). Celle-ci a traversé le brouillard politique du siècle, entre deux amants, entre plusieurs continents. Les flux et reflux de la mémoire, individuelle ou collective, apparaissent alors comme autant de reflets de l’examen critique opéré par le cinéaste qu’incarne Dafoe. Une enquête confuse, à multiples sursauts, et une histoire à se réapproprier : celle de ses parents, qui le mène sur le chemin de l’exil – en Italie, en Allemagne, en Russie, en Ouzbékistan, au Canada ou aux États-Unis. Ses doutes se lovent dans une photographie tantôt griseblanche, tantôt bleutée, comme portés par une nostalgie paisible pour un monde que ses aînés regrettent. Car la partie contemporaine, au milieu
des squats et des buildings, figure un Berlin rude et moderne, loin des paysages cotonneux où ils vécurent leur passion. D’ordinaire contemplatif, le style d’A ngelopoulos se fait alors plus découpé, plus abrupt. Reste à savoir si cette désespérance vis-à-vis de l’époque se renforcera dans L’Autre Mer, œuvre inachevée du cinéaste – décédé l’an dernier –, consacrée à la crise financière. ♦ De Theo Angelopoulos Avec : Irène Jacob, Willem Dafoe… Distribution : Sophie Dulac Durée : 2h05 Sor tie : 13 février
3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce que c’est le dernier film fini d’Angelopoulos, auteur du Voyage à Cythère et emblème du Nouveau Cinéma grec, avant son tragique accident l’année dernière.
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2… Parce que le casting est impeccable (Dafoe, Jacob mais aussi Michel Piccoli) et pose la question : pourquoi, depuis 2009, le film n’avait-il pas trouvé de distributeur en France ?
3… Pour la sérénité paradoxale et intriguante avec laquelle le cinéaste évoque les grands chamboulements de l’histoire, dans le calme de paysages nus et rassurants.
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
ICI ET LÀ-BAS Aller-retour
Primé à la Semaine de la critique à Cannes, Ici et là-bas, premier film de l’Espagnol ANTONIO MÉNDEZ ESPARZA, accompagne Pedro, père de famille mexicain, dans son retour au pays après un exil étasunien. Délicat et enjoué.
_Par Laura Tuillier
« Ce qui me plaît, c’est d’être simple avec ceux qui sont les miens. » C’est ainsi que Pedro résume ses aspirations, qui semblent également être celles du film d’A ntonio Méndez Esparza. Lorsqu’il revient au Mexique après un exil économique forcé aux États-Unis, Pedro retrouve sa femme et ses filles. Il s’agit pour lui de se réapproprier des lieux : l’espace intime du foyer, dont les habitudes ne sont plus les siennes, et l’espace ouvert du village, qu’il va
reconquérir en formant les Copa Kings, un groupe de musique. En conjuguant avec simplicité fiction – Ici et là-bas a une structure dramatique bien claire, en trois actes – et documentaire – Pedro joue sa propre histoire –, Méndez Esparza imprime au film une couleur et un rythme singuliers. La mise en scène trouve sans forcer la bonne distance et donne aux personnages le temps d’imprégner les séquences de leur expérience, sûrement violente mais que la caméra enregistre avec sobriété. En laissant dans un hors-champ fantasmatique la terre d’exil de Pedro, bientôt contraint de s’en retourner comme il est venu, le réalisateur se concentre sur le présent, seul temps qui compte pour ceux à qui l’avenir ne promet rien. ♦ D’Antonio Méndez Esparza Avec : Pedro De los Santos Juárez, Teresa Ramírez Aguirre… Distribution : ASC Distribution Durée : 1h50 Sor tie : 13 février
3 questions à
Antonio Méndez Esparza Comment est née l’envie de raconter l’histoire d’un immigré mexicain ? J’ai étudié le cinéma à New York. Là-bas, j’ai fait la connaissance de beaucoup d’immigrés, souvent séparés de leurs familles, ce qui a été le thème de mon court métrage (Una y Otra Vez, 2009 – ndlr). Lorsque j’ai rencontré Pedro et qu’il m’a raconté sa vie, j’ai su que j’avais trouvé le sujet de mon film et mon personnage. Pedro est un personnage très paternel, très tendre avec ses trois filles… Oui, d’abord parce que dans la vraie vie Pedro a trois filles, dont il est très proche. Ensuite, parce que le film parle de la dureté de l’abandon du foyer. Il fallait donc une famille pleine d’amour. Votre façon de filmer est très délicate. Comment avez-vous pensé la mise en scène ? Je voulais que le spectateur se sente invité dans la vie de Pedro. Je n’ai pas forcé les acteurs à jouer telle ou telle situation, je leur ai donné de la liberté. Mais je ne voulais pas non plus tomber dans la téléréalité. Il fallait du naturel et de la pudeur.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la musique des Copa Kings, dont les live plein de fraîcheur rappellent les concerts des groupes portugais de Ce cher mois d’août, deuxième film de Miguel Gomes.
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2… Pour le jeu des acteurs, tous non professionnels et interprétant des rôles pensés en fonction d’eux, qui donne au film à la fois sa légèreté et son charme persistant.
3… Pour suivre, en parallèle de celle de Pedro et Teresa, l’histoire d’amour naissante d’un jeune couple du village menacé lui aussi par la séparation.
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
ELEFANTE BLANCO Ivoire clair
L’Argentin tout-terrain PABLO TRAPERO investit les bidonvilles de Buenos Aires, la caméra embarquée avec des prêtres bénévoles. Droit au but. _Par Clémentine Gallot
Pablo Trapero occupe dans le cinéma latino-américain une place à part : chacun de ses films est un phénomène de société qui fait l’effet d’un séisme en Argentine. Ainsi, Leonera (2008) a permis d’assouplir le système pénal en faveur des prisonnières, et Carancho (2011) a contribué à créer une loi anti-corruption. Le cinéaste investit cette fois le bidonville de Villa Virgen, immense zone de non-droit de Buenos Aires où gangs et dealers tirent à vue au milieu de précaires habitations. Ce microcosme gangrené nous est présenté par les yeux
d’un gringo dévot, Nicolás (le Belge Jérémie Renier, d’une étonnante sobriété post-Cloclo), qui intègre les rangs d’une équipe locale de travailleurs sociaux. Parmi eux, un religieux (increvable Ricardo Darín) et une bénévole (Martina Gusman) tentent de réquisitionner un bâtiment à l’abandon au milieu des taudis, l’Elefante Blanco du titre, gigantesque hôpital pour tuberculeux construit dans les années 1930 et resté inachevé. Si la démonstration est parfois trop schématique, Trapero progresse avec souplesse dans ce mélo de combat, troquant la fébrilité nocturne et les courses poursuites de Carancho pour de longs plans-séquences zigzaguant dans les ruelles des bidonvilles. Contre le cinéma à thèse, le réalisateur diffuse son constat désespérant avec un bel allant. ♦ De Pablo Trapero Avec : Ricardo Darín, Jérémie Renier… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h45 Sor tie : 20 février
3 questions à
Pablo Trapero Pourquoi restez-vous attiré par la fiction ? C’est une fiction basée sur la réalité, pas une émission de téléréalité. Ce bidonville, j’y suis moi-même allé pour aider dans les années 1980. Après El Bonaerense, mon deuxième film, je réfléchissais déjà à la manière d’aborder ce monde. J’ai modifié le scénario au dernier moment, après avoir trouvé l’hôpital, qui en dit long sur la situation en Argentine. Dans quelles conditions le tournage a-t-il eu lieu ? Il est difficile de pénétrer le bidonville, nous avons dû le visiter avec des prêtres. Nous n’avons pas pu tourner dans tous les quartiers, nous avons donc construit certains décors, mais nous n’avons rencontré aucun problème de sécurité. Quel effet concret le film a-t-il produit ? Il a été premier au box-office en Argentine pendant des semaines. Il a donné de la visibilité aux habitants de Villa Virgen et a alerté la classe politique : des mesures en faveur des plus démunis ont été annoncées, mais les conséquences directes du cinéma sont toujours difficiles à mesurer.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour les questions, soulevées avec ambivalence, du martyre, du complexe de Sisyphe et de la participation de la classe religieuse au quotidien des plus pauvres.
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2… Parce que les ruines de l’hôpital de l’Elefante Blanco sont un symbole d’abandon et de misère qui souligne la persistance des catégories de classes en Argentine.
3… Pour retracer le parcours du prêtre marxiste argentin Carlos Mugica, proche du Mouvement des prêtres pour le tiers-monde et abattu en 1974, dont Trapero s’est ici inspiré.
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
bestiaire PASSER SOUS SILENCE
Il y a des animaux. On ne dira pas où. Parce que le mystère éloquent du documentaire de DENIS CÔTÉ gonfle au fil de plans fixes, sans paroles, qui ne se racontent que par le son et le mouvement. À chacun de voir comment cela s’entend. _Par Étienne Rouillon
(avec Stéphane Odrobinski)
Ça sonne comme un doigt qui brosse une tranche de polystyrène. C’est le bruit des pattes d’un lama dans la neige. Ça dure un peu de temps, comme tous les tableaux qui composent Bestiaire. Et puis le son n’est plus synchrone. Le lama s’est arrêté, mais le crissement de la démarche poursuit son métronome erratique. Alors on comprend. C’est un second lama qui passe. Sans un mot. Denis Côté décline ce cheminement
du sens par le son, tout au long d’une heure et quart taiseuse mais bruyante. Les sabots furieux, les naseaux soufflants, les rares voix étouffées des hommes – de l’autre coté des cages – sont les seuls indices qui nous permettent, à mesure qu’ils s’empilent, de découvrir la fonction de ce bestiaire. Où se trouvent ces cages, qui a posé ces grilles ? Cirque, zoo, abattoir ou même prison, le doute est permis : le film s’est ouvert sur une séquence où des élèves en dessin croquent un animal empaillé. Vivants, les animaux sont tout de même muets, le réalisateur ayant pris soin de garder des moments sans cris, sans jappement. Le commentaire en voix off, les cartons textuels, les pancartes : tout a dégagé dans le silence. Pourtant, Bestiaire n’est pas un pur exercice de style. C’est un documentaire, on y découvre des métiers, des quotidiens, même s’ils avancent taciturnes. Denis Côté interroge la fonction du plan d’illustration
– traditionnellement pauvre de sens dans un documentaire, réduit à un rôle de contextualisation ou de respiration – et en fait la seule source d’information. Il est amusant de regarder ce film à plusieurs. Le silence des animaux nous parle d ifféremment, faisant de ce Bestiaire une investigation criminelle, un portrait d’artisan, ou un témoignage de rescapés. On n’en dit pas plus. ♦ De Denis Côté Documentaire Distribution : Funfilm Durée : 1h12 Sor tie : 27 février
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour découvrir la filmographie de Denis Côté, l’un des rares cinéastes qui expérimente pour le genre documentaire des dispositifs de mise en scène inédits, sans compromis.
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2… Parce que Denis Côté, bête de festival, est en compétition officielle pour le 63 e Festival du film de Berlin avec un septième long métrage : Vic & Flo ont vu un ours.
3… Pour son énigmatique scène d’ouverture, toute en mise en abyme, où l’œil empaillé d’un faon reflète les pupilles attentives d’élèves d’une classe de dessin.
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
LA PORTE DU PARADIS GOD BLESSE AMERICA
L’affolant contre-western marxiste de MICHAEL CIMINO, longtemps maudit, ressort en salles dans une version longue : 3h36 de sidération au spectacle de cette version maso de Naissance d’une nation où la terre n’est plus promise, ni la porte dorée.
_Par Manuel Leval-Duché
En 1978, avec Voyage au bout de l’enfer, film à charge contre le conflit viêtnamien, Michael Cimino est le plus fêté des wonderboys du Nouvel Hollywood. Deux ans plus tard, c’est au « paradis » américain qu’il s’attaque, à travers un autre épisode de l’édification de la nation : le massacre, à la fin du XIXe siècle, d’immigrants pauvres sur ordre de grands propriétaires du Wyoming.
La Porte du paradis est pourtant boudé par la critique et le public. Un échec qui clôt avec fracas l’âge d’or seventies des auteurs et qui écarte Cimino de la voie royale ouverte en 1974 avec Clint Eastwood dans Le Canardeur. Moins aimable, plus détraqué encore que son aîné, Heaven’s Gate (en V.O.) est pourtant la plus poignante des épitaphes à l’histoire du genre américain par excellence : le western. Une symphonie en sang bémol majeur et en trois actes – plus un prologue et un épilogue situés dans cet Est normalement banni de l’espace du western –, jouée sur quarante ans, à la fois épique, lyrique et contemplative. « Un maître du brouhaha (…), pas moyen de comprendre ce qui se passe », s’émouvait Pauline Kael, la grande prêtresse de la critique new-yorkaise, en 1980. Cimino ne s’embarrasse pas de psychologie : ce n’est pas un roman naturaliste, mais un cauchemar d’Amérique
qu’il met en scène, mystérieux et incantatoire, nourri plutôt que desservi par l’opacité volontaire des personnages ou par la longueur démesurée, hypnotique, de scènes à la photo nimbée d’un sfumato de poussière. Jusqu’à l’épilogue, véritable tombeau viscontien d’une déchirante mélancolie, tout concourt à cette étrangeté onirique que les premiers spectateurs du film prirent pour de la confusion. ♦ De Michael Cimino (19 80) Avec : Kris Kristof ferson, Christopher Walken… Distribution : Carlot ta Films Durée : 3h36 Sor tie : 27 février
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour rêver les yeux grands ouverts au retour de Cimino, après celui de Malick – son dernier film, Sunchaser, a plus de 15 ans… En attendant La Condition humaine ?
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2… Parce que la démesure – les rues d’une ville recouvertes de boue pour les besoins d’une scène, un budget explosé, un premier montage de 5h25 – donne ici des fruits formidables.
3… Parce que l’absurde version DVD française défigurait le plus beau film américain des quarante dernières années en le tronquant et en le détournant en sitcom confuse.
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UNE DERNIÈRE QUESTION
Éric Elmosnino
L’AMOUR FOU François s’échappe d’un hôpital psychiatrique pour reconquérir sa femme Anna. Dans Ouf, son premier long métrage, YANN CORIDIAN offre à ÉRIC ELMOSNINO le rôle d’un gentil allumé et signe une histoire d’amour burlesque et contrariée. Entretien croisé. _Propos recueillis par Tiffany Deleau Comment est né ce film ? Yann Coridian : J’avais réalisé un court-métrage,
Le Baiser, sur un type qui rêve d’embrasser une fille mais ne sait pas comment faire. À la fin de la première journée de tournage, j’ai vu les deux acteurs en train de lire le journal et je me suis dit que ce serait drôle d’écrire la suite…
Éric, comment avez-vous préparé votre rôle ? Éric Elmosnino : Tout était dans le scénario. Le désordre
chez François ne passe que par la parole. Mes choix d’acteurs sont très liés à l’écriture, et là, je comprenais exactement par quoi François passait. Y. C. : Un scénario, ça doit être dit, ça doit sonner. Et là, ça a sonné tout de suite. Éric s’est emparé du personnage. Il faut faire confiance aux acteurs qu’on choisit. Vous étiez directeur de casting. Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir réalisateur ? Y. C. : J’aime les acteurs. En dirigeant des essais pour
d’autres réalisateurs, je me disais que c’était une bonne place. Et ce plaisir combiné à celui de l’écriture, il n’y a pas mieux.
Vous avez tourné dans un vrai hôpital psychiatrique… Y. C. : Je n’envisageais pas de tourner ailleurs. C’était
surprenant car c’était un hôpital en activité, donc il y avait des malades… É. E. : C’était très simple, au fond. On retrouvait les mêmes personnes quotidiennement. Je n’ai aucune idée 114
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de la pathologie dont elles souffraient, mais c’était des personnes qui pouvaient partager et, j’imagine, à qui ça faisait du bien de voir des gens de l’extérieur arriver et fabriquer. C’est étrange de voir François se faire hospitaliser alors que son entourage est aussi fou que lui… Y. C. : Les hôpitaux sont plein de gens qui n’ont pas
grand-chose à y faire. C’est aussi un film sur un père qui dit à son fils : « Tu ne veux pas le faire, mais moi je vais le faire », avec la scène où il signe pour lui. Il y a à la fois une infantilisation extrême et en même temps, c’est une façon pour un père de dire : « Je ne sais plus quoi faire. »
Le groupe Lilly Wood And The Prick a composé la B. O. du film. Comment est née cette collaboration ? Y. C. : En fait, le pianiste, c’est le fils de mon voisin. É. E. : Son voisin, ça aurait été Mick Jagger, on aurait
eu les Stones, c’est con.
Y. C. : C’est comme ça que je les ai rencontrés. Pour
rigoler avec mes enfants, je tapais parfois en disant : « Change de disque ! », car il jouait tout le temps la même chose au piano. Et un jour, un de mes fils m’a dit : « Faut que t’arrêtes de te plaindre du voisin, il vient de gagner les Victoires de la musique. » ♦ Ouf de Yann Coridian Avec : Éric Elmosnino, Sophie Quinton… Distribution : MK 2 Dif fusion Durée : 1h22 Sor tie : 27 février
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la chronique de dupuy & berberian
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Le carnet de Charlie Poppins
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