TROISCOULEURS #188 – Mai 2022

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> no 188 / MAI 2022 / GRATUIT

Journal cinéphile, défricheur et engagé, par

LE CINÉMA EST MORT ? VIVE LE CINÉMA ! Spécial Festival de Cannes

DAVID CRONENBERG On a parlé d’art et de chaos avec le pape du body horror

TOP : LES 20 FILMS qui vont réveiller le cinéma (+ des bonus)

ÉDITO

« SACRÉMENT OSÉ » LIBÉRATION

Un film de Laurie Lassalle

15 JUIN

Le cinéma est-il mort ? On n’en finit plus de se poser la question. Et pourtant n’at-il pas survécu à l’invention du parlant, de la télé, d’Internet, des plateformes ? Comme nous l’a prédit en interview David Cronenberg, qui s’y connaît en mutations, le cinéma est un art vivant, il continuera d’évoluer avec son temps (lire p. 26). Alors pourquoi s’en inquiéter aujourd’hui ? Après deux ans de Covid-19, la fréquentation dans les salles en mars 2022 était 30 % en deçà de ce qu’elle était en mars 2019. Côté spectateurs, on se laisse vaguement

LA MAMAN ET LA PUTAIN Événement : le chef-d’œuvre de Jean Eustache ressort enfin

porter par le flot continu de sorties où peinent à surnager quelques perles rares. On ne sait plus quoi pêcher, où regarder ; il est temps de se réinventer. En ce mois de mai, tous les regards se tournent donc vers les cieux cannois. Depuis sa création en 1946, celui qui s’est imposé comme le plus grand festival international de cinéma a toujours su se faire l’écho des mutations du monde. C’est bien sur la Croisette que, chaque année, s’invente, se pense et se déploie toute la vitalité et la magie du septième art. Pour fêter son 75e anniversaire, le Festival de Cannes promet une édition résolument tournée vers le futur. Réunis sur la Croisette, à peu près tout ce que l’univers compte de grandes et grands cinéastes viendront

penser à voix haute le devenir de leur métier lors d’une table ronde exceptionnelle . De notre côté, on se réjouit de la nomination à la tête de la Semaine de la critique, sélection parallèle la plus défricheuse du Festival, d’une jeune femme pleine d’idées pour l’avenir, Ava Cahen, que l’on s’est empressées d’aller rencontrer (lire p. 22). Quant à la programmation, elle promet de sublimes envolées – Claire Denis, Kelly Reichardt, Léonor Serraille, Park Chan-wook, George Miller sont annoncés… On n’attend plus qu’une chose : monter au septième ciel. JULIETTE REITZER


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EN BREF

Sommaire

P. 6 P. 6 P. 10

FLASH-BACK – E. T. L’EXTRA-TERRESTRE RÈGLE DE TROIS – LE CHORÉGRAPHE AKRAM KHAN MICROSCOPE – JACKIE BROWN

CINÉMA P. 14 P. 30 P. 42

PARADISCOPE

EN COUVERTURE – 75E FESTIVAL DE CANNES HISTOIRES DU CINÉMA – LA MAMAN ET LA PUTAIN CINEMASCOPE – LES SORTIES DU 11 MAI AU 8 JUIN

LE GUIDE DES SORTIES PLATEFORMES P. 65 SÉRIE – VISITORS DE SIMON ASTIER P. 67 MK2 CURIOSITY FAIT SON CANNES

MK2 INSTITUT CARTE BLANCHE À HÉLÈNE CIXOUS AGENDA DES ÉVÉNEMENTS DANS LES SALLES MK2 ENTRETIEN – MARIE DARRIEUSSECQ

CULTURE P. 72 P. 75 P. 76

MA

C ÉC I L E R VAIGUE

mai 2022 – no 188

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O. NGOU-M

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Elle considère que La Mort aux trousses est le meilleur film au monde. Écrivant pour TROISCOULEURS depuis décembre, Margaux sait parfaitement utiliser ses skills en politique et économie (ses spécialités quand elle bossait pour Europe 1, de 2015 à 2021) pour analyser le septième art. Passionnée par le cinéma international, cette Toulousaine a le goût du voyage et des beaux paysages. Pour ce numéro, elle parle de films venus de Bolivie (lire p. 46) et du Japon (lire p. 44).

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© 2018 TROISCOULEURS — ISSN 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006 Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par mk2 + est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur — Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

R A P E RT

Elle est ce qu’on appelle une ancienne. Arrivée chez TROISCOULEURS en stage en 2010, Laura n’a rien perdu de sa fraîcheur. Cette fan de James Gray et d’Andrea Arnold garde toujours un œil vif sur le jeune cinéma français – c’est pour ça qu’elle officie chaque année comme responsable des publications du FIFIB à Bordeaux, et qu’elle signe ce mois-ci, en plus de critiques, le portrait de l’acteur Shaïn Boumedine (lire p. 8), révélé chez Abdellatif Kechiche en 2018.

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Illustration de couverture : Anna Parraguette pour TROISCOULEURS Imprimé en France par SIB imprimerie — 47, bd de la Liane — 62200 Boulogne-sur-Mer TROISCOULEURS est distribué dans le réseau ProPress Conseil ac@propress.fr

SPECTACLES – SIX METTEUSES EN SCÈNE ENGAGÉES EXPO – MIMOSA ÉCHARD JEU VIDÉO – ELDEN RING

ELLES ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO

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directeur de la publication : elisha.karmitz@mk2.com | rédactrice en chef : juliette.reitzer@mk2.com | rédactrice en chef adjointe : time.zoppe@mk2.com | rédacteurs : quentin.grosset@mk2.com, josephine.leroy@mk2.com | directrice artistique : Anna Parraguette | graphiste : Ines Ferhat | secrétaire de rédaction : Vincent Tarrière | renfort correction : Claire Breton | stagiaire : Lucie Leger | ont collaboré à ce numéro : Léa André-Sarreau, Margaux Baralon, Julien Bécourt, Nora Bouazzouni, Tristan Brossat, Jules Brussel, Renan Cros, Julien Dupuy, David Ezan, Marie Fantozzi, Yann François, Adrien Genoudet, Corentin Lê, Damien Leblanc, Olivier Marlas, Belinda Mathieu, Aline Mayard, Stéphane Méjanès, Thomas Messias, Jérôme Momcilovic, Léthicia O. Ngou-Milama, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Raphaëlle Pireyre, Perrine Quennesson, Bernard Quiriny, Cécile Rosevaigue & Célestin et Agathe | photographes : Julien Liénard, Marie Rouge | illustratrices : Sun Bai, Émilie Gleason | rédactrice mk2 Institut : Joséphine Dumoulin | publicité | directrice commerciale : stephanie.laroque@mk2.com | cheffe de publicité cinéma et marques : manon.lefeuvre@mk2. com | responsable culture, médias et partenariats : alison.pouzergues@mk2.com | cheffe de projet culture et médias : claire.defrance@mk2.com

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TROISCOULEURS éditeur MK2 + — 55, rue Traversière, Paris XIIe tél. 01 44 67 30 00 — gratuit

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P. 68 P. 70 P. 71

Les publications universitaires vous font faire trois pas en arrière ? Léthicia est là pour déchiffrer les analyses les plus pointues. Cette brillante Tourangelle est titulaire d’un doctorat pour sa thèse « Visages d’enfants dans le cinéma africain d’expression française ». Toute nouvelle (mais déjà bien affûtée) plume du mag, elle nous initie aux façons de filmer la ville (lire p. 4) et aux ovnis du cinéma camerounais (en interrogeant le regard expert du cinéaste Jean-Pierre Bekolo, lire p. 36). C’est elle qui chaque mois chapeaute la rencontre entre les coul’ kids et leurs idoles (Laura Felpin, Riad Sattouf, et ce mois-ci la militante et autrice féministe Anna Toumazoff, lire p. 12). Avec talent, elle tire toute la sève de ces échanges doux et spontanés qu’on aurait rêvé d’avoir dans nos jeunes années. À côté de ça, Cécile réalise de beaux docus pour la télé (dont Hello Goodbye, en 2011). On parie qu’un jour prochain ce sera elle que les enfants et ados voudront interviewer.

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© Universal Pictures International France

iba ult G h T agnage Animateur de la chaîne YouTube Histoire appliquée

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L’avis de …

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THE NORTHMAN EST-IL RÉALISTE ?

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L’architecte et chercheuse Véronique Buyer examine la lecture et la réécriture de Los Angeles dans deux films d’Agnès Varda : Mur, murs et Documenteur. Ce diptyque, qu’elle réalise lors de son second séjour aux Etats-Unis, entre 1979 et 1981, témoigne d’une ville qui tantôt se donne à voir tantôt se veut mélancolique et intime.

ét nie vie our d éla vre C M ra nt s ’un c u ire hapit u e ph ur l re, l’universita ns l’œ 8) a iné de (197 ique a poéti a 5 ec n d 9 1 e l q ( il 0 d u l v e de la nt 5), , se is s po ), e e Gu étei n 6 y s m éla rtrait passa Gilles. De Soleil er (19 ique m t nt par L sd nc a é l ’Amour à po oliq e ville s (Paris, Brest…) intimes, ues .

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Écrire la ville au cinéma sous la direction de Nicolas Droin et Mélanie Forret (Presses universitaires de Vincennes, 144 p., 16 €)

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re c s e de se, d un es , s n a m rz arée e A n s d mes ns Au ret our des m s et d hig ce dér à e nt pr Be ives, nir hag ns lo e v o y u d o e s l mes C sp es f pos routh » Da ép , écrit la réalisatrice 2013. ati ron de ed s ali o t n i n e co e, s e. se ères rti entre urt métrage so mentair moir le s la fiction et le docu ouv mé enir de la et devien t le territoire

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L’ouvrage collectif Écrire la ville au cinéma, paru mi-mai, interroge notre regard sur la ville. Par un croisement d’écritures et d’approches de cinéastes, d’artistes et d’universitaires, il propose ainsi d’introduire de nouvelles perspectives sur la représentation, la captation, l’enregistrement de la ville au cinéma. Morceaux choisis.

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LÉTHICIA O. NGOU-MILAMA

EN BREF

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En bref

A s ou é da llouc , n cin u n ns he, a it ém doct e jou l’u orante en cin o. Le nst tu n fi o g de ctiv e su ivers d c a i Sa t re e Hugo San un Bu e d r la en rs de d’un l r a e é r i a e i n a li aff no té s e gin to ab ron s A ses film et l’ima Trot cosm par s e L i s t é Invasión e tem res, A cro te irr qu ent n mi r sans ilea apparaît tel u t de pe fin et à un sentimen

Dans The Northman (en salles le 11 mai), Robert Eggers (The Witch, The Lighthouse) revisite Hamlet à la sauce scandinave médiévale. Ambiance animalisme et violence. The Northman représente-t-il correctement les Vikings ? Comme son titre l’indique, le film parle de Scandinaves plutôt que de Vikings. Les Vikings sont des Scandinaves qui sont partis explorer le monde, faire du commerce ou faire la guerre. Au début, une attaque de village est menée par une femme. Elle est équipée comme la reine guerrière de Birka [une femme qui a été enterrée avec les parures traditionnelles d’un chef de guerre viking, ndlr]. C’est aussi la seule guerrière du film. C’est réaliste car les seules certitudes qu’on a sur le sujet, c’est que cette reine s’est battue et que les femmes n’étaient pas intégrées pleinement en tant que guerrières comme cela pouvait être le cas dans des sociétés ca-

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Dans son texte consacré à Leos Carax, l’universitaire Julien Milly illustre les singularités et les vibrations de la vie nocturne urbaine dans les trois premiers longs métrages du cinéaste : Boy Meets Girl, Mauvais sang et Les Amants du pont Neuf. La ville de Paris, essentiellement nocturne, devient alors la matière du vacillement.

valières d’Eurasie. Il y a aussi des passages en vieux norrois [la langue locale, ndlr], des runes, des gros plans sur des tissus, des bijoux. Tout cela donne du corps à l’ensemble. Comme toujours, les Scandinaves sont représentés comme des guerriers rustres et sanguinaires, des pilleurs et des violeurs. Était-ce le cas ? Il faut voir qui a raconté ça : les chrétiens ! Ils n’étaient pas très contents que les Vikings pillent leurs territoires, notamment leurs monastères, qui étaient peu protégés. Il y a eu une surinterprétation de leur violence. En réalité, c’était davantage des commerçants et des éleveurs que des guerriers. Ils partaient faire du commerce et, sur le chemin, ils leur arrivaient de piller et de ramener des richesses. C’était extrêmement opportuniste. La violence qu’on voit au cinéma et dans les séries est magnifiée, et elle nie complètement la justice. Les Scandinaves, comme toutes les sociétés anciennes, avaient une justice et des lois très développées. Une société qui ne reposerait que sur la violence n’aurait pas duré longtemps. On les voit aussi sacrifier des animaux et des êtres humains. Là encore, ce sont les chrétiens

qui ont lancé cette idée. En réalité, on n’en a aucune idée. Dans le film, on voit souvent les hommes nus, que ce soit lors de bataille, de danse de guerre ou de rite chamanique. Les chrétiens ont raconté que les Vikings étaient des bêtes qui se battaient sans aucun vêtement, une image qui a été renfor-

« Il y a eu une surinterprétation de la violence des Vikings. » cée par des mauvaises traductions. On a traduit « nus » par « sans vêtements », alors que cela signifiait « sans armure ». C’était souvent le cas à l’époque, car posséder une armure coûtait cher, et le tissu offrait par ailleurs une bonne protection. Mais il n’est pas exclu qu’occasionnellement certains aient été nus. PROPOS RECUEILLIS PAR ALINE MAYARD


En bref

À offrir

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À chaque jour ou presque, sa bonne action cinéphile. Grâce à nos conseils, enjolivez le quotidien de ces personnes qui font de votre vie un vrai film (à sketchs).

Sur son canapé, elle se remémore souvent son amour de jeunesse – un Américain – en regardant de vieux films hollywoodiens non soustitrés, comme pour entendre sa voix. Changez sa routine nostalgique en lui offrant la réédition de ce livre important du critique Michel Ciment (dont la première version est parue en 1987), qui s’est entretenu avec de grands cinéastes (Joseph Mankiewicz, Billy Wilder, Wim Wenders…). Américains ou Européens, tous se sont confrontés à ce pays fracturé pour le raconter à leur manière. Passeport pour Hollywood de Michel Ciment (Carlotta, 400 p., 18 €)

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Élégies (2014)

Plus rien ni personne ne trouve grâce aux yeux de cet étudiant des Beaux-Arts déprimé. Pour lui redonner un peu foi en la création, amenez-le à cette expo conçue par le plasticien et cinéaste de génie Clément Cogitore (Ni le ciel ni la terre, 2015 ; Braguino, 2017), qui nous immerge dans la pénombre d’une salle d’expo du Centquatre où il projette cinq de ses vidéos dans une envoûtante atmosphère de chaos. Une expérience sensorielle comme votre cousin les aime. « Project Room » de Clément Cogitore, jusqu’au 29 mai au Centquatre

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Quand les sélections de Cannes sont tombées, vous l’avez entendu grommeler. La raison ? Cette année encore, il n’a malheureusement pas obtenu son entrée au prestigieux Festival. Pour raviver sa bonne humeur, invitez ce grand ronchon à découvrir les pépites de la Quinzaine (Les Cinq Diables de Léa Mysius ; Un beau matin de Mia Hansen-Løve ; Les Harkis de Philippe Faucon), présentées au Forum des images. Des places sont à gagner en suivant TROISCOULEURS sur Facebook et Instagram. « Reprise de la Quinzaine des réalisateurs », du 16 au 26 juin au Forum des images

PARAMOUNT PICTURES ET SKYDANCE ET JERRY BRUCKHEIMER FILMS PR SENTENT UNE PRODUCTION DON SIMPSON/JERRY BRUCKHEIMER UN FILM DE JOSEPH KOSINSKI TOM CRUISE ’TOP GUN MAVERICK’ LADY GAGA HANS ZIMMER MILES TELLER JENNI FER CONNELLYPRODUCTEURS JON HAMM GLEN POWELL AVEC ED HARRIS ET VAL KILMER LEWIS PULLMAN CASTING DENISE CHAMIAN, CSA MUSIQUE HAROLD FALTERMEYER MUSIQUE DIRECTEUR PRODUITE PAR LORNE BALFE ASSOCI S MELISSA REID DON FERRARONE COSTUMES MARLENE STEWART MONTAGE EDDIE HAMILTON, ACE D CORS JEREMY HINDLE DE LA PHOTOGRAPHIE CLAUDIO MIRANDA, ASC PRODUCTEURS PRODUIT D L GU S TOMMY HARPER DANA GOLDBERG DON GRANGER CHAD OMAN MIKE STENSON PAR JERRY BRUCKHEIMER TOM CRUISE CHRISTOPHER MCQUARRIE DAVID ELLISON R ALIS D’APR S LES PERSONNAGES CR S PAR JIM CASH & JACK EPPS, JR HISTOIRE PETER CRAIG ET JUSTIN MARKS SC NARIO EHREN KRUGER ET ERIC WARREN SINGER ET CHRISTOPHER MCQUARRIE PAR JOSEPH KOSINSKI BANDE ORIGINALE DISPONIBLE CHEZ INTERSCOPE RECORDS

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JOSÉPHINE LEROY

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LA POURSUITE D’ARTHUR PENN (1966) IMPITOYABLE

Avant de sortir dans les salles américaines, E. T. L’extra-terrestre fut montré en avant-première mondiale fin mai 1982 au Festival de Cannes. Une belle exposition pour ce film de science-fiction qui raconte la naissance de l’amitié entre un jeune garçon, Elliott (Henry Thomas), et un extraterrestre qui a été oublié sur Terre. « E. T. fait partie de ces films que j’associe au plaisir de la cassette vidéo », confie Martin Douaire, cocréateur avec Clémence Dargent d’OVNI(s), excellente série Canal+ qui adresse plusieurs clins d’œil au film de Steven Spielberg. « C’est impressionnant de voir tout ce qu’on peut imprimer dans E. T. à différents âges : la scène finale d’adieu nous bouleverse autant quand on est petit qu’à l’âge adulte, où on a l’impression en la regardant de dire au revoir à son enfance. Le film

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parle de connexion, de symbiose mentale entre deux êtres, d’amour universel et des deuils nécessaires à faire. » OVNI(s) allait jusqu’à mettre en scène dans la saison 1 – qui se déroule en 1978 – une rencontre entre son héros, Didier Mathure (Melvil Poupaud), et le jeune Steven Spielberg (Paul Spera), qui visite la France et y a soudain l’idée d’E. T. « Spielberg a trouvé sa place dans la série. Le modèle pour la saison 1 était ainsi Rencontres du troisième type, qui joue sur l’inquiétude de la rencontre avec les aliens. Ça nous semblait intéressant de partir de cette paranoïa pour arriver ensuite à E. T., qui fut un des premiers films à montrer une amitié simple avec un extraterrestre. C’était un peu gonflé et insolent sur le papier de réinventer la genèse d’E. T. mais l’épisode fonctionne, notamment grâce à la drôlerie amenée par le réalisateur Antony Cordier. » Même si Martin Douaire n’était pas né à la sortie d’E. T., il en parle avec une affection infinie, signe de l’émotion intergénérationnelle suscitée par ce qui reste à ce jour le plus gros succès de Steven Spielberg en France.

Règle de trois

AKRAM KHAN

Depuis plus de vingt ans, le Britannique crée des chorégraphies bouleversantes à la patte théâtrale qui lui valent une reconnaissance internationale. Sa dernière création, Jungle Book Reimagined, s’inspire du roman de Rudyard Kipling pour déployer une fable écologique dans laquelle Mowgli, jeune réfugiée climatique, erre dans un monde dévasté. Questionnaire cinéphile.

DAMIEN LEBLANC ILLUSTRATION : SUN BAI

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une vingtaine de personnages et autant de tensions, il se referme entre les murs du petit commissariat. Pendant cinq longues minutes, le bon shérif se fait rouer de coups par trois autochtones avinés, ne se relevant que pour retomber plus fort, plus ensanglanté, plus défiguré. La lenteur de la scène participe à la rendre insoutenable. Ni l’atonie de Calder, ni les

« Allons, messieurs, frapper le shérif est illégal… » cris de sa femme, Ruby (Angie Dickinson), qui tambourine à la porte, n’arrêtent les barbares. À la fin, quand il parvient enfin à sortir du bâtiment et s’effondre sous les yeux des badauds, c’est elle, la foule, que filme Arthur Penn. À travers l’objectif embué, il fixe les yeux vides, les mâchoires qui mastiquent, les tempes visqueuses. Plus que la mentalité arriérée de l’Amérique profonde, c’est la culture de la violence, de son spectacle insensibilisant toute une nation, qu’expose et dénonce La Poursuite impitoyable.

La Poursuite impitoyable d’Arthur Penn, ressortie le 26 mai en DVD et Blu-ray (Sidonis Calysta)

Quarante ans après sa sortie, le déchirant film de science-fiction de Steven Spielberg continue à inspirer la culture populaire. On en parle avec le cocréateur de la série française OVNI(s).

© Jean-Louis Fernandez

E. T. Flash-back L’EXTRA-TERRESTRE

Mal aimé à sa sortie, La Poursuite impitoyable s’est bonifié avec l’âge. Un grand film sur le culte de la violence qui transforme de « bons citoyens » en foule meurtrière. Il y a quelque chose de pourri au fin fond du Texas. Lorsque Bubber Reeves (Robert Redford), le gentil marginal, s’évade de prison et est accusé à tort du meurtre d’un automobiliste, la rumeur de son retour se répand dans sa bourgade natale, les esprits s’échauffent avec l’alcool du samedi soir, et un vent de lynchage enfle sourdement. Seul rempart face aux noceurs assoiffés de sang, le shérif Calder a la carrure et l’œil sombre de Marlon Brando, mais, plus la température monte, plus on comprend que ça ne va pas suffire. Alors quand Calder place en cellule, pour le protéger de ses concitoyens, un homme noir qui en sait un peu trop sur Bubber, le verrou finit par sauter. La scène débute par une réplique quasi comique, lancée d’un ton pincé par le rance M. Briggs (un usurier ragotard, toujours en lisière de l’action) : « Allons, messieurs, frapper le shérif est illégal… » C’est alors que le film bascule. Jusqu’ici marqué par une grande densité narrative, faisant exister à l’écran

MICHAËL PATIN

Scène culte

COUPEZ ! DE MICHEL HAZANAVICIUS (SORTIE LE 17 MAI) : UN RÉALISATEUR BLASÉ DE PROJETS À PETITS BUDGETS TOURNE UN FILM DE ZOMBIES FAUCHÉ. SUR LE PLATEAU, DES MEMBRES DE L’ÉQUIPE DEVIENNENT EUX-MÊMES DES ZOMBIES.

Émopitch

En bref

3 scènes de danse qui vous ont inspiré ? Les chorégraphies de Chorus Line, un film adapté d’une comédie musicale de Broadway dont la danse m’a époustouflé. Pakeezah, un film indien dans lequel la comédienne Meena Kumari livre une performance incroyable. Et, même si on sait désormais les horreurs dont Michael Jackson est accusé, « Thriller » a été fondateur pour moi. Je connaissais cette chorégraphie par cœur, comme celles de la plupart des clips du chanteur, d’ailleurs.

3 personnages d’enfants auxquels vous vous êtes identifié, petit ? Data dans Les Goonies, incarné par Jonathan Ke Quan, un acteur viêtnamoaméricain qui jouait aussi dans Indiana Jones et le temple maudit, mais aussi Dorothy incarnée par Judy Garland dans Le Magicien d’Oz, dont j’ai encore aujourd’hui un souvenir magique. Et surtout Elliott joué par Henry Thomas dans E. T. L'extra-terrestre. Je m’identifiais beaucoup à ce genre de personnages que tout le monde regarde de haut au départ et qui, au fil du film, s’affirment et se retrouvent sur le devant de la scène à la surprise générale.


Centre Pompidou

En bref

Rencontres | Cinéma | Spectacles | Concerts 11 mai – 3 juillet 2022

Berlin Nos années 20

Le Peuple loup de Tomm Moore et Ross Stewart et Les Enfants loups. Ame & Yuki de Mamoru Hosoda : ce sont deux films que je regarde souvent avec ma fille, qui se prend pour un loup et qui entretient un lien très fort avec les animaux. Persepolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud m’a aussi beaucoup touché, par sa dureté et sa manière d’aborder la guerre. Je regarde beaucoup de films d’animation avec mes enfants, surtout des productions du studio Ghibli, qui interrogent souvent la relation entre les humains, les animaux et la nature.

3 films qui vous donnent envie de vous reconnecter à la nature ? Into the Wild de Sean Penn, que j’ai trouvé fabuleux. Printemps, été, automne, hiver… et printemps, un film philosophique de Kim Kiduk qui dépeint avec joliesse les paysages de Corée. J’ai aussi été très marqué par Les Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin, un film avec lequel Jungle Book Reimagined tisse des liens inconscients, notamment car ils racontent tous les deux l’histoire d’une petite fille confrontée à des inondations.

Yetundey, © Ricki René Krause, © Centre Pompidou - Conception graphique : direction de la communication et du numérique, 2022

Les 3 films d’animation qui vous ont le plus touché ?

Yetundey, en concert le 4 juin réservation conseillée sur centrepompidou.fr

L’exposition bénéficie du soutien de

En partenariat avec

En partenariat média avec

Grand mécène

Jungle Book Reimagined du 15 au 26 mai au Théâtre du Châtelet

PROPOS RECUEILLIS PAR BELINDA MATHIEU

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Dans le film de zombies méta Coupez ! de Michel Hazanavicius (lire p. 24), l’actrice et mannequin de 30 ans déjoue les codes et les attentes. Et prouve, après avoir porté le revenge movie féministe Revenge de Coralie Fargeat, son appétit pour les films fous. Fille d’un photographe américain et d’une mannequin italienne, Matilda Lutz découvre les cours de comédie à 19 ans, en parallèle d’études de sciences et de psychologie. Remarquée en 2016 dans Summertime de Gabriele Muccino, la jeune Italienne tape dans l’œil de la Française Coralie Fargeat, qui en fait l’héroïne de Revenge, sanglant film de vengeance féministe. « Depuis que je suis petite, on me dit sans cesse à quel point je suis jolie. Avoir le corps recouvert de

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© Paolo Santambrogio

LES NOUVEAUX

Le strip

En bref

sang au cinéma me plaît beaucoup, car je peux enfin oublier mon physique et me consacrer au jeu. » Ce goût du sang se retrouve dans Coupez ! de Michel Hazanavicius, dans lequel Matilda incarne une actrice recrutée pour un film de zombies. « Bérénice Bejo, qui était ma marraine aux César pour Revenge, m’a demandé si elle pouvait donner mon contact à Michel. » Matilda se souvient d’un tournage exténuant mais joyeux. Elle qui adore Mademoiselle de Park Chan-wook et La vie est belle de Roberto Benigni se verrait bien tourner chez Wes Anderson. « J’aime aussi les premiers films, pleins de liberté créative. » Débordante d’énergie, Matilda découvrira cette année le Festival de Cannes. « Je ne sais pas à quoi m’attendre. Et c’est tant mieux. » Coupez ! de Michel Hazanavicius, Pan (1 h 57), sortie le 17 mai

no 188 – mai 2022

DAMIEN LEBLANC

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Aux allures de garçon pudique qu’il promène à l’écran, il accole un instinct infaillible. Après un premier rôle magistral chez Abdellatif Kechiche, le jeune comédien trace son indépendance au fil de choix de cinéma réfléchis, et s’affirme en leadeur torturé dans L’Été nucléaire. Ce n’est pas tant que Shaïn Boumedine est timide, mais plutôt qu’il observe. À l’image d’Amin, son personnage de jeune photographe dans Mektoub My Love. Canto uno de Kechiche (2018), par qui passaient, sans effusion, le désir, le chagrin, la frustration. « Je crois que les cinéastes veulent débusquer ce que Kechiche a vu en moi, et m’emmener ailleurs », analyse le jeune homme de 26 ans, qui n’a jamais pris de cours de comédie et se destinait à des études dans les


ÉMILIE GLEASON

En bref

L’Été nucléaire de Gaël Lépingle, Le Pacte (1 h 25), sortie le 11 mai

Rachid Ouramdane Corps extrêmes 16 – 24 juin 2022 Dix acrobates et sportifs de l’extrême réunis pour une chorégraphie de haute voltige.

www.theatre-chaillot.fr

Photo : © Pascale Cholette

travaux publics avant d’être repéré lors d’un casting. Aperçu dans la série Les Sauvages de Rebecca Zlotowski (2019) puis dans Placés de Nessim Chikhaoui, ce Montpelliérain, qui a gardé de Mektoub My Love la pratique de la photographie argentique, cisèle soigneusement sa trajectoire. C’est pour la rigueur imposée par le tournage en pellicule qu’il a accepté de jouer dans ce thriller, comme pour son personnage, « très à l’écart, qui développe une réflexion complexe et donne une impression d’assurance alors qu’il doute de tout ». Des réponses concises qui trahissent l’humilité de celui qui sait que « tout peut s’arrêter comme ça a débuté ». Pour l’heure, en tout cas, Shaïn Boumedine semble plutôt promis à un heureux destin.

LAURA PERTUY

Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

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« Ce soir, j’ai perdu mon prince, et on est beaucoup à avoir perdu son prince. Je vais en perm à Nantes. Avec qui d’autre que Jacques Varda, en hommage à l’acteur, réalisateur et producteur Jacques Perrin, décédé le 21 avril Perrin ? » Rosalie dernier et qui avait tourné dans les films de son père, Jacques Demy, sur le site de Libération.

UN BAISER PROCHE ET LOINTAIN

Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : chaque mois, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : un baiser qui vient, qui va, dans Jackie Brown de Quentin Tarantino (1998). Cent quarante et quelques minutes ont passé, et presque autant de péripéties, quand Jackie Brown vient rendre une dernière visite à Max Cherry dans son bureau modeste de prêteur sur caution. À deux pas du générique de fin, elle est venue dire merci, car Max est pour beaucoup dans le dénouement inouï qui vient de la rendre riche, et libre, après avoir risqué la prison puis la mort. Sur le fauteuil usé où s’assoient d’ordinaire les clients de Max, elle croise ses longues jambes. Le vernis rouge sur

ses ongles semble à peine sec ; les boucles délicates au bout de ses cheveux lisses trahissent un brushing des grands jours, dont Max est sûrement la cause. En face, retenu par une timidité invraisemblable, comme dilué par elle dans le décor terne auquel les couleurs fades de sa tenue le confondaient déjà, Max ose à peine bouger, et Jackie finit par demander : « avez-vous peur de moi ? » à quoi Max répond que oui, « un peu », mimant ce peu par un rapprochement du pouce et de l’index, comme le font généralement les enfants. Tordu en sens contraires par le désir et par la trouille, il a perdu dans un coup de foudre les deux tiers de son âge : devant Jackie, dans cette ultime scène comme la toute première fois, c’est un tout jeune homme transi par un premier amour. Sa jeunesse est pourtant loin, comme sont loin pour elle les 20 ans de Jackie. Dans le trac de Max, et dans celui de Jackie qu’on devine sous le vernis et le brushing, la jeunesse revient mais lourde aussitôt des regrets de leur âge et de la conscience triste qu’il est trop tard. Alors quand vient le baiser qu’on n’attendait plus, c’est avec l’intensité conjointe d’une victoire et d’une défaite, dans un plan qui sait qu’ils ne seront jamais plus proches que ce baiser, et qu’alors il faut y faire tenir toute la romance qui ne sera pas vécue. Un seul plan pour tout dire, au plus près

de cet amour radieux, au plus loin de sa possibilité. Un plan qui se rapproche, puis s’éloigne : idée limpide, d’une simplicité un peu risquée, et finalement admirable. Jackie se lève, s’approche doucement, et le cadre, guidé par l’imminence du baiser, se resserre sur les deux visages, puis ne cesse de le faire tandis que le baiser se termine et que les regards se consument d’amour et de regret : on est si près que les visages se perdent dans le flou. La sonnerie d’un téléphone donne le triste signal de la fin, saisi par les amoureux pour estomper la douleur des adieux. Plutôt qu’une coupe, Tarantino choisit de prolonger le plan, qui fait marche arrière, s’éloignant comme il s’était approché, laissant revenir le décor juste assez pour voir Jackie lâcher doucement la main de Max, et, sans se retourner, rejoindre la rue et son soleil brûlant. Resté seul, Max à son tour prendra congé dans un plan qui n’est pas moins bouleversant, parti d’un portrait serré pour laisser sa nuque disparaître dans le flou – encore du flou, pour dire le brouillard de la solitude après avoir dit le mirage de la passion. Et y déposer doucement les premières notes d’une complainte de Bobby Womack. JÉRÔME MOMCILOVIC

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Microscope

R O E F ST PA E K A L RK

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La phrase

En bref

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La pépite indé

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DE K

Parmi les belles découvertes du festival de moyen métrage de Brive, début avril, ce film sublime de l’Américaine Kersti Jan Werdal, composé d’instants suspendus dans la vie d’un groupe d’ados américains, qui a reçu une mention spéciale du jury. Comme en retrait, ne s’instillant jamais au cœur des conversations dont on n’entend qu’un bruit sourd, la caméra saisit un groupe d’ados dans des lieux qui évoquent les teen movies américains : un terrain de basket, une bibliothèque, les couloirs d’un lycée… On a l’impression d’un mash-up de tous les moments de pause dans ces films, où l’on pourrait nous-mêmes projeter une infinité de microfictions. Le sentiment qui finit par primer est celui de l’absence, après la mort


En bref

L A D R KER E ST I JAN W

Lake Forest Park de Kersti Jan Werdal

RÉALISÉ PAR MARIANO COHN ET GAST ADAPTATION :

violente d’un des membres de la bande – que l’on apprend de manière presque imperceptible par une info à la radio. Pour distiller cette impression d’abandon, Kersti Jan Werdal fait preuve d’un grand talent de paysagiste : l’environnement, à la fois urbain et herbeux, celui du nord-ouest de l’État de Washington, près de Seattle, apparaît dans tout ce qu’il a de désolé, d’embrumé ou de pluvieux. Une méthode qui rappelle celle du cinéaste James Benning, dont le film Landscape Suicide (1986) est explicitement cité – lui revenait sur la sidération provoquée par des crimes en Californie en filmant des lieux vacants. C’est avec le même talent à débusquer les secrets dans les images que Kersti Jan Werdal nous plonge dans un état d’égarement, une vague tristesse. Jusqu’à ce plan magnifique où l’on surprend un baiser, l’un des plus beaux vus dernièrement au cinéma. Le film n’a, pour l’heure, pas de sortie prévue en salles.

N DUPRAT

THE MEDIA PRO STUDIO PR SENTE AVEC LE SOUTIEN DE RTVE ORANGE TV3 EN ASSOCIATION AVEC PROTAGONIST PICTURES " COMP TITION OFFICIELLE " UNE COPRODUCTION HISPANO-ARGENTINE R ALIÉS E PAR GAST N DUPRAT & MARIANO COHN AVEC PEN LOPE CRUZ ANTONIO BANDERAS OSCAR MARTNEZ JOS LUIS G MEZ IRENE ESCOLAR MANOLO SOLO NAGORE ARANBURU PILAR CASTRO KOLDO OLABARRI CRIT PAR ANDR S DUPRAT CO- CRIT PAR GAST N DUPRAT & MARIANO COHN CASTING LUIS SAN NARCISO D CORS ALAIN BAIN E DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE ARNAU VALLS COLOMER, AEC MONTAGE ALBERTO DEL CAMPO DIRECTEUR DE PRODUCTION JOSEP AMOR S COSTUMES WANDA MORALES SON AITOR BERENGUER MAR GONZ LEZ DIRECTEUR DE POST-PRODUCTION ET DES EFFETS VISUELS ISIDRO JIM NEZ SUPERVISION DU SON PELAYO GUTIRREZ EDUARDO CASTRO MIXAGE SON ALBERTO OVEJERO MAQUILLAGE ET COIFFURE ELI AD NEZ SERGIO P REZ PABLO IGLESIAS MARIL OSUNA MAMEN PE A PRODUCTION D L GU E JAVIER M NDEZ LAURA FERN NDEZ ESPESO JAVIER PONS PRODUCTEURS D L GU S ANTONIO BANDERAS PEN LOPE CRUZ OSCAR MARTNEZ PRODUIT PAR JAUME ROURES

AU CINÉMA LE 1ER JUIN © 2021 MEDIAPRODUCCION S.L.U, PROM TV S.A.U.

QUENTIN GROSSET

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En bref -----> La page des enfants

L’interview Tout doux liste

L’ANNIVERSAIRE DE TOMMY [FILM] Dans ce conte initiatique bucolique au dessin délicat, Tommy, un jeune lapin qui s’apprête à fêter son cinquième anniversaire, est persuadé que sa petite sœur lui vole sa place au centre de l’attention familiale. • LUCIE LEGER de Michael Ekbladh (Gebeka Films, 1 h 15 ), sortie le 8 juin, dès 3 ans

Agathe, 17 ans, a rencontré Anna Toumazoff, autrice et militante féministe connue pour son compte Instagram memespourcoolkidsfeministes. Dans son livre, Ta vie sans filtre, elle décrypte cent mots ou expressions, d’« alcool » à « voyage » en passant par « orientation sexuelle ». Un nouveau dico des ados qui risque bien de devenir indispensable.

ANNA F F O Z A TOUM

Explique-moi le concept de ton livre. C’est un peu comme si j’étais une grande sœur que tu pouvais consulter quand tu t’interroges, sur un chagrin d’amour ou sur le racisme par exemple. Comment as-tu choisi les mots ? J’ai fait des listes. On en avait près de deux cents. Certains mots étaient très importants, comme « gentillesse ». Les mots « harcèlement » et « consentement » n’ont pas leur propre chapitre, mais ils apparaissent partout dans le dico : à « amitié », à « collège »…

POP AIR [EXPOSITION] Plus de 5 000 m2 remplis de sculptures colorées, gonflées à l’hélium, à admirer et (pour une fois) à toucher lors d’une balade immersive et aérienne. Magique. • L. L. à la Grande Halle de La Villette, jusqu’au 21 août, dès 4 ans

Tu t’appuies sur des expériences personnelles dans le livre. Que dirais-tu aujourd’hui à l’ado que tu étais ? Arrête de regarder des séries qui valorisent la drogue ou les troubles alimentaires comme Gossip Girl, ça va te rendre anorexique. Je lui conseillerais aussi de s’accrocher à ses passions, d’être gentille et juste, sans jamais se laisser faire. Pourquoi est-ce que tu as fait valider tous les textes par un psy ? C’était capital. Dans le livre, je parle de choses que j’ai moi-même vécues, comme les troubles alimentaires, l’angoisse, mais tout n’est pas basé sur ma propre expérience ou sur celles de mes potes, et je ne

À CROCS ! [ATELIER] Après avoir observé, émerveillés, les deux alligators albinos de l’aquarium tropical, les enfants confectionnent dans cet atelier un mobile de crocodile en carton. Férocement bien. • L. L. à l’aquarium tropical du palais de la Porte-Dorée les 21 mai, 4 juin et 25 juin à 10 h 30, dès 3 ans

suis pas une spécialiste, donc je tenais à bénéficier d’une expertise professionnelle. C’est d’autant plus important quand on s’adresse à des ados. Il faut être certain de donner les meilleurs conseils possibles, on ne rigole pas avec ça. Et pourtant ton dico est drôle aussi ! Pour le ton, j’ai essayé d’éviter le jugement, de ne pas être directive, avec un objectif : être accessible à tout le monde. J’ai utilisé l’écriture épicène, qui privilégie l’emploi de termes non genrés, l’écriture inclusive étant moins accessible aux gens dys (notamment dyslexiques) et aux personnes dont la langue maternelle n’est pas le français. C’est l’inverse du Dico des filles, un livre qui a été offert à des générations d’adolescentes et qui était hardcore niveau sexisme. Comment définirais-tu le féminisme aujourd’hui ? La définition que je donne, même si elle n’est pas suffisante, est la suivante : est féministe toute personne qui pense qu’il doit y avoir dans les droits et dans les faits une égalité hommes-femmes réelle. Réelle, c’est-à-dire ? Par exemple que, quand tu rentres chez toi seule de soirée, tu puisses le faire sans faire attention à quelle tenue tu portes, à quelle rue tu empruntes, et sans devoir envoyer à tes potes un message pour les rassurer et leur dire que tu es bien arrivée…

La critique de Célestin, 8 ans

CŒURS VAILLANTS SORTIE LE 11 MAI

Et toujours chez mk2 SÉANCES BOUT’CHOU ET JUNIOR [CINÉMA] Des séances d’une durée adaptée, avec un volume sonore faible et sans pub, pour les enfants de 2 à 4 ans (Bout’Chou) et à partir de 5 ans (Junior). samedis et dimanches matin dans les salles mk2, toute la programmation sur mk2.com

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HE T A G A PAR ANS

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Comment t’est venue l’idée de créer ton Insta memespourcoolkidsfeministes ? J’utilise les mèmes et leur viralité pour inciter les gens à s’intéresser au féminisme et aller plus loin ensuite. J’avais envie de faire passer des messages de telle façon que personne ne pourrait dire : c’est clivant, c’est agressif. Les féministes qu’on qualifie d’agressives, je trouve qu’elles ont raison, parce que tout est fait pour nous faire péter une case ! On se bat, on nous dit que cela va changer, et il y a quand même des violeurs primés lors de cérémonies artistiques ou nommés à de très hauts postes au niveau de l’État… donc la rage est légitime. Je te trouve très courageuse. Comment fais-tu pour t’impliquer autant ? Je préférerais arriver à rester cool ; peut-être que je serais plus heureuse, plus équilibrée. Mais, quand tu commences à voir le monde avec les lunettes du féminisme, c’est hyper dur, tu relèves tout ce qui ne va pas. Moi, j’ai une espèce de fièvre et, tant que ce n’est pas réglé, je n’arrive pas à m’arrêter. Ta vie sans filtre. D’alcool à voyage : 100 mots pour tout comprendre d’Anna Toumazoff (Mango Jeunesse, 288 p., 18 €) PROPOS RECUEILLIS PAR AGATHE (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE) Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

« Tous les humains ont un cœur, mais tous les humains n’ont pas le même genre de cœur : il y a des cœurs mauvais, des cœurs aimables, des cœurs tristes… Moi, je pense que je suis cœur neutre. La personne du film a donc voulu dire que les héros avaient le cœur vaillant, ce qui veut dire, fort. Le film se passe quand les nazis assiègent la France – je connais les nazis parce que mes parents m’en ont parlé et que je les ai vus dans Indiana Jones. L’histoire suit des enfants dont les parents sont morts à cause des nazis. Pour échapper à la maîtresse nazie qui veut les tuer, ils se cachent dans un château, puis dans une forêt où ils trouvent une cabane trop bien. Il y a aussi des his-

toires d’amour, mais ça n’est pas bizarre de tomber amoureux pendant la guerre : on ne choisit pas son moment d’amour. La grosse différence entre les enfants de cette époque et les enfants d’aujourd’hui, c’est que nous on explore beaucoup moins : aujourd’hui, les gamins ils sont derrière leurs écrans ! Par contre, tous les enfants ont en commun l’intrépidité : on fait l’aventure et on a beaucoup d’inventions. » Cœurs vaillants de Mona Achache, Bac Films (1 h 25), sortie le 11 mai PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY



« I feel the need, the need for speed. » Cette réplique de Top Gun – dont la suite sera projetée hors Compétition – devrait être le motto du 75 e Festival de Cannes. La crise du Covid-19 ayant bien ralenti l’industrie, on attend un coup de boost. Les habitués sont là pour dessiner la trajectoire (quatre cinéastes déjà palmés d’or sont en Compétition, dont le jury est présidé par Vincent Lindon), et plein de novices se lancent sur la piste (toutes sélections confondues, on attend plus de trente premiers films). À quelques jours du début du Festival, on a repéré les vingt films qui devraient mener la course. On est aussi allés à la rencontre de quelques figures majeures de cette 75e édition pour évoquer le présent et l’avenir du cinéma : le président Pierre Lescure (pour sa dernière), la nouvelle déléguée générale de la Semaine de la critique, Ava Cahen (pour sa première), et les cinéastes Michel Hazanavicius et David Cronenberg. De quoi décoller.

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Cannes 2022 <----- Cinéma

LES 20 FILMS QUI VONT RÉVEILLER LE CINÉMA Un film de super-héros à la sauce Quentin Dupieux, un drame fantastique sur une petite fille capable d’encapsuler les odeurs, un conte sur un voyant charlatan qui a une vraie vision… La liste des films cannois vous file le vertige ? Voici les vingt qu’on attend le plus et, bonne nouvelle, ils seront tous au cinéma dans les mois à venir. En attendant, retrouvez notre couverture quotidienne du Festival du 17 au 28 mai sur troiscouleurs.fr.

© Curiosa

© Pyramide Distribution

Dossier coordonné par Juliette Reitzer et Timé Zoppé, avec Léa André-Sarreau, Quentin Grosset et Joséphine Leroy

STARS AT NOON

LES HARKIS

de Claire Denis

de Philippe Faucon

Sélection officielle – Compétition

Quinzaine des réalisateurs

Après un passage à la Berlinale en février dernier – pour son beau et intimiste Avec amour et acharnement, reparti avec l’Ours d’argent de la meilleure réalisation –, Queen Denis revient déjà avec cette production américaine ultra attendue, inspirée par un livre de Denis Johnson publié en 1986. Margaret Qualley, Joe Alwyn et Danny Ramirez sont les héros de cette histoire torride entre un Britannique et une Américaine, située en pleine révolution nicaraguayenne en 1984, dans un tourbillon de sentiments et de complots politiques. Notons que, de tous les films de la réalisatrice, seul Chocolat a été sélectionné en Compétition officielle à Cannes – c’était en 1988. Une injustice qu’on est heureux de voir réparée.

Avec son trait fin et épuré, Philippe Faucon s’est imposé comme l’un des plus grands portraitistes de femmes animées par leur volonté de s’affirmer (Muriel fait le désespoir de ses parents, 1995 ; Samia, 2000 ; Fatima, César du meilleur film français en 2016). C’est cette fois le point de vue de jeunes hommes qui guide l’histoire de ce nouveau film, qui promet de creuser avec subtilité les répercussions de la guerre d’Algérie sur la vie des harkis, ces Algériens qui avaient rejoint l’armée française. Ce film a lieu au moment où la France se retire et où un lieutenant se bat pour ramener ses hommes en France. Un sujet encore trop peu traité au cinéma – on est sûrs que Philippe Faucon y insufflera toute sa subtilité.

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© D. R.

© 2022 CJ Enm Co., Ltd., Moho Film. All Rights Reserved

Cinéma -----> Cannes 2022

© 2021 – Kazak Productions

Après le gigantesque Mademoiselle (2016), dans lequel il mettait admirablement en scène la relation ambivalente, aussi toxique que sensuelle, entre une servante et sa maîtresse dans le Japon des années 1930, le Sud-Coréen Park Chan-wook devrait présenter un projet tout aussi sombre, érotique, chabrolien. En pleine montagne, on y suit un policier attiré par la veuve d’un défunt dont la mort lui semble suspecte, tant et si bien qu’il finit par la soupçonner. Le cinéaste, orfèvre de l’image, a déjà été présent en Compétition trois fois : avec Mademoiselle, donc, mais aussi Old Boy (Grand Prix en 2004), et enfin avec Thirst. Ceci est mon sang (Prix du jury en 2009).

de George Miller Sélection officielle – hors Compétition

ARMAGEDDON TIME de James Gray Sélection officielle – Compétition Dans les eighties, un ado étudie dans un lycée du Queens, à New York, au conseil d’administration duquel siège le promoteur immobilier Fred Trump (« père de », oui, oui)… Inspirée des souvenirs d’enfance du réalisateur, cette fresque autobiographique (et certainement politique, vu la présence fantomatique de l’ex-président des États-Unis) au casting de luxe (Cate Blanchett, Robert De Niro, Oscar Isaac, Anne Hathaway et Anthony Hopkins) pourrait enfin permettre à James Gray de décrocher un prix à Cannes. Cité quatre fois en Compétition (la dernière fois pour The Immigrant en 2013), il est toujours reparti bredouille. On réclame réparation.

Sept ans après sa sortie, on n’est toujours pas remis du délirant (et cruellement visionnaire) Mad Max. Fury Road. George Miller revient avec Trois mille ans à t’attendre, un conte au pitch qui fait saliver : Alithea, une femme satisfaite par sa vie mais sceptique sur le monde, rencontre un génie qui lui offre trois vœux. Sceptique aussi devant cette proposition qu’elle sent malhonnête, Alithea hésite. Le génie lui raconte alors son passé extraordinaire, ce qui la convainc. « Elle finit par formuler un vœu des plus surprenants. » Ajoutons que Tilda Swinton joue l’héroïne et Idris Elba le génie, et la magie opère déjà.

© Blue Monday Productions – France 3 Cinéma

Sélection officielle – Compétition

UN PETIT FRÈRE

de Clément Cogitore

de Léonor Serraille

© Aurora Films

GOUTTE D’OR Semaine de la critique Voilà un jeune prodige du cinéma français dont l’œuvre expérimentale, à la croisée du cinéma et de l’art contemporain, nous exalte chaque fois. Son premier long métrage, Ni le ciel ni la terre, avait été présenté en Compétition à la Semaine de la critique en 2015 et récompensé par le Prix à la diffusion de la Fondation Gan pour le cinéma. Le revoilà dans cette même sélection, en Séance spéciale. On y suit Ramsès, 35 ans, voyant un peu roublard un peu poète, qui exerce dans le quartier de la Goutte-d’Or, à Paris. Avec cette nouvelle fiction aux accents du documentaire, à la lisière du fantastique et portée par le génial Karim Leklou (Le monde est à toi), le cinéaste risque de faire mouche.

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RETOUR À SÉOUL de Davy Chou Sélection officielle - Un certain regard Après quelques années d’absence (il avait présenté Diamond Island à la Semaine de la critique en 2016) qui ont paru une éternité, le cinéaste et producteur franco-cambodgien Davy Chou revient nous faire rêver avec son Retour à Séoul. L’histoire de Freddie qui, à 25 ans et sur un coup de tête, part en quête de ses origines en Corée du Sud, où elle est née mais dont elle ne connaît rien. Cette tribulation généalogique est au cœur du travail de Chou, qui s’est questionné sur son propre héritage familial dans plusieurs films d’une beauté sidérante, à cheval entre docu et fiction. Nuit phosphorescente, regard dans le vague, flou envoûtant… La première image de son film semble poursuivre cette veine scintillante.

© F comme Film – Trois Brigands Production

de Park Chan-wook

TROIS MILLE ANS À T’ATTENDRE

LES CINQ DIABLES de Léa Mysius Quinzaine des réalisateurs Après le succès d’Ava – portrait solaire d’une ado frondeuse découvrant les plaisirs charnels tout en perdant progressivement la vue –, Léa Mysius embarque Adèle Exarchopoulos pour ce deuxième long métrage qui interrogera la maternité et ses ambivalences. Vicky, petite fille au caractère sauvage, a le don de pouvoir reproduire toutes les odeurs qu’elle rencontre dans des bocaux qu’elle classe. Elle vole l’odeur de sa mère, à qui elle voue une fascination intense et déroutante. Au casting également : Daphné Patakia et la chanteuse Swala Emati. Rappelons que Léa Mysius a par ailleurs coécrit les scénarios de plusieurs films présentés à Cannes, notamment Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin et Les Olympiades de Jacques Audiard.

© 2022 – Ad Vitam Production – Agat Films et Cie – Bibi Film TV – Arte France Cinéma

© 2022 Focus Features, LLC

DECISION TO LEAVE

Sélection officielle – Compétition En 2017, Leonor Serraille avait remporté la Caméra d’or à Cannes pour le jouissif Jeune femme, un premier long sur les tribulations d’une jeune trentenaire borderline campée par une Laetitia Dosch éclatante. Comme pour se tracer un chemin un peu moins zigzagant que celui de son héroïne électrique, Léonor Serraille a choisi de prendre son temps pour préparer cette histoire d’une famille déroulée sur trente ans, celle d’une femme arrivant d’Afrique de l’Ouest pour s’installer en banlieue parisienne avec ses deux fils, qu’on verra grandir. Pour porter ce récit-fleuve, la réalisatrice a choisi Annabelle Lengronne (Mercuriales ou Filles de joie), Stéphane Bak (Roads ou L’Adieu à la nuit), l’humoriste Ahmed Sylla et Kenzo Sambin.

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LES AMANDIERS de Valeria Bruni Tedeschi Sélection officielle – Compétition Elle avait plié le game l’année dernière en interprétant avec un sens irrésistible du burlesque une bourgeoise quittée par sa compagne (Marina Foïs) dans La Fracture de Catherine Corsini. Valeria Bruni Tedeschi revient, cette fois derrière la caméra, pour cette fiction qui s’annonce, comme beaucoup de ses films, assez autobiographique. Dans cette fresque située à la fin des années 1980, de jeunes acteurs passent le concours d’entrée de l’école du Théâtre des Amandiers de Nanterre, créée par Patrice Chéreau et Pierre Romans. Dans cette émulation créative, on retrouvera Louis Garrel (dans la peau de Patrice Chéreau), Micha Lescot et la révélation Nadia Tereszkiewicz (Babysitter de Monia Chokri), dont c’est décidément l’année.


R.M.N. de Cristian Mungiu Sélection officielle – Compétition

DE HUMANI CORPORIS FABRICA de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor Quinzaine des réalisateurs On avait laissé le duo de cinéastes anthropologues Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor sur leur documentaire bien perturbant Caniba (2018), dans lequel ils interviewaient un assassin cannibale. Les revoilà avec une expérience tout aussi intense : un pendant cinématographique de De humani corporis fabrica, la première encyclopédie anatomique d’André Vésale parue en 1543. Ayant traîné dans de multiples services hospitaliers, ils ont conçu leur film à partir des techniques contemporaines de visualisation de l’intérieur du corps humain. S’ils font comme dans leur documentaire Leviathan (2013), où ils s’immisçaient dans les arcanes d’un bateau en pleine tempête, ils donneront sûrement à ces images une grande force de fascination et d’abstraction.

© National Theater Company of Korea

© Les Films du Losange

On s’enthousiasme toujours à l’idée d’un nouveau film de Cristian Mungiu. On ne peut pas dire que le cinéma du Roumain, palmé pour son sidérant 4 mois, 3 semaines et 2 jours en 2007, baigne dans la joie et l’allégresse (on est sur des thèmes comme l’avortement clandestin, les monastères isolés aux pratiques sectaires dans Au-delà des collines ou la corruption des institutions en Roumanie dans Baccalauréat), mais ses films nous font systématiquement un effet bœuf. R.M.N., son nouveau cru, semble reprendre certains motifs d’Au-delà des collines : un homme revient dans son village de Transylvanie après avoir quitté son emploi en Allemagne, et retrouve ses proches transformés.

E R I P M L’E S E des R È I M U

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© Mobra Films

Cannes 2022 <----- Cinéma

2!—!5 juin Arthur Nauzyciel d’après le roman de Kim Young-ha

MC93.COM mai 2022 – no 188

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Sélection officielle – Un certain regard

© Les Films du Losange

Le regretté Gaspard Ulliel, disparu en janvier dernier, fait sa dernière apparition dans ce drame qui sera certainement l’un des plus émouvants du Festival de Cannes – et de l’année. D’autant qu’il est signé par la Germano-Franco-Iranienne Emily Atef, réalisatrice de 3 jours à Quiberon (2018), une fiction qui revenait sur les dessous de la dernière interview de Romy Schneider – autre magnifique comète du cinéma français. Plus que jamais raconte l’histoire d’un couple amoureux et uni depuis des années. Un jour, Hélène (Vicky Krieps) se retrouve « confrontée à une décision existentielle » qui la pousse à partir seule en Norvège, ce qui met à l’épreuve son couple…

TOURMENT SUR LES ÎLES d’Albert Serra Sélection officielle – Compétition En interview pour Le Monde en novembre 2021, Benoît Magimel teasait sa collaboration avec le Catalan fantasque et provocateur Albert Serra : « Un mec sympa et étrange, qui change sans cesse le scénario, ne regarde jamais le plateau, écoute juste. Très théâtre expérimental des années 1970. » À peine auréolé du César du meilleur acteur pour De son vivant, voilà que le comédien s’embarque pour cette aventure inattendue à Tahiti, où il incarne un haut-commissaire dans un contexte de reprise des essais nucléaires. Connaissant le goût de Serra pour proposer des expériences limites à ses acteurs (on se souvient de Jean-Pierre Léaud agonisant dans La Mort de Louis XIV), on se demande bien quel « tourment » touchera Magimel.

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© Bizibi

de Nicolas Pariser © D. R.

Sélection officielle – Compétition À peine remis de First Cow, bouleversante fable humaniste aux airs de western, on guette de près le nouveau projet de la cinéaste américaine, trop peu présente à Cannes – la dernière fois, c’était pour Wendy et Lucy, sélectionné à Un certain regard en 2008. Pour ce nouveau portrait féminin, que l’on prédit gracieux et nuancé, où elle raconte la vie d’une artiste juste avant le vernissage de son exposition, la réalisatrice retrouve son actrice chérie, Michelle Williams (qui avait joué pour elle dans Wendy et Lucy, La Dernière piste et Certaines femmes). Dans une réflexion qu’on imagine très autobiographique, Reichardt explore les multiples chemins qui mènent à l’inspiration.

BROKER de Hirokazu Kore-eda Sélection officielle – Compétition Dans le sublime Une affaire de famille, Palme d’or en 2018, le cinéaste japonais chroniquait le quotidien d’une famille de petits bandits, bientôt rejointe par une fillette maltraitée et délaissée qu’ils intègrent tendrement à leur tribu. Hirokazu Kore-eda devrait encore une fois transgresser les codes et nous embarquer totalement dans cette nouvelle variation sur la famille – cette fois dans le registre de la science-fiction : les parents qui souhaitent abandonner leur bébé peuvent les déposer dans des boîtes mises à leur disposition. La sortie française est annoncée pour le 7 décembre.

FUMER FAIT TOUSSER de Quentin Dupieux Sélection officielle – Séance de minuit À quoi carbure l’hyperactif Quentin Dupieux, dont Incroyable mais vrai, avec Léa Drucker et Alain Chabat, n’est pas encore arrivé sur nos écrans (il sort le 15 juin) qu’on nous annonce déjà un nouveau film ? Il se pourrait bien que ce soit à la clope, si on en juge par le nom de la team de ses nouveaux héros : Tabac Force. Gilles Lellouche, Adèle Exarchopoulos, Jean-Pascal Zadi, Anaïs Demoustier et Oulaya Amamra composent cette équipée de justiciers à la Power Rangers, sûrement accros à la nicotine. On les suit après leur victoire contre une tortue démoniaque, alors que leur unité bat de l’aile. Mais une sombre menace va les remobiliser… Les Avengers version Dupieux, remède contre la léthargie du film de super-héros ?

TOUT LE MONDE AIME JEANNE de Céline Devaux Semaine de la critique On trépigne comme ses personnages un peu pile électrique pour le premier long métrage de Céline Devaux, dont on adore les courts enlevés et mélancoliques, Le Repas dominical (césarisé en 2016) et Gros Chagrin (primé à la Mostra de Venise en 2017). Diplômée des Arts-Déco de Paris, elle mêle souvent prises de vue réelles et animation bien trempée. Ce long métrage porte sur une femme que tout le monde aime, mais qui se déteste. « Surendettée, elle doit se rendre à Lisbonne et mettre en vente l’appartement de sa mère disparue un an auparavant. À l’aéroport elle tombe sur Jean, un ancien camarade de lycée fantasque et quelque peu envahissant. » Avec Blanche Gardin et Laurent Lafitte au casting, on dit oui.

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Quinzaine des réalisateurs Remarqué en 2019 avec Alice et le maire, brillante comédie politique aux dialogues ciselés, Nicolas Pariser, qu’on a beaucoup comparé à Éric Rohmer, pourrait de nouveau créer la surprise avec cette comédie d’espionnage. Vincent Lacoste y incarne un acteur de la Comédie-Française soupçonné d’avoir empoisonné l’un de ses partenaires. S’ensuit alors une cavale dans toute l’Europe aux côtés d’une dessinatrice de bandes dessinées (Sandrine Kiberlain) qui l’aide à enquêter sur cette mystérieuse affaire. On s’attend donc à une ambiance de faux-semblants et une intrigue noire et espiègle à la Claude Chabrol, autre influence majeure du cinéaste.

© Plattform Produktion

d’Emily Atef

LE PARFUM VERT

de Kelly Reichardt

© Les Films du Worso – O Som e a Fúria

PLUS QUE JAMAIS

SHOWING UP

© Chi-Fou-Mi Productions – Gaumont

© Eaux Vives Productions

© Allyson Riggs, Courtesy of A24

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TRIANGLE OF SADNESS de Ruben Östlund Sélection officielle – Compétition Après le carré (en anglais, « the square », titre de son film qui a remporté la Palme d’or en 2017), le triangle de la tristesse. Le Suédois Ruben Östlund revient avec ce nouveau film notamment porté par Woody Harrelson. On devine que le réalisateur grattera le vernis d’un milieu qui fait primer l’image, la superficialité, l’entre-soi : après l’art contemporain donc, celui du mannequinat. On y suit des top-modèles et des influenceurs en pleine croisière, alors qu’une tempête se lève. De quoi bien secouer Cannes – n’oublions pas que, la dernière fois que cet univers d’apparence s’est invité en Compétition, c’était pour The Neon Demon de Nicolas Winding Refn, un film d’horreur.


Cannes 2022 <----- Cinéma

BONUS !

5 premiers films excitants EL AGUA d’Elena López Riera

© Les Films du Losange

Quinzaine des réalisateurs Ana est rattrapée par une vieille croyance sur les femmes de sa famille… Elena López Riera confronte le surnaturel de légendes espagnoles à l’ébullition des ados d’aujourd’hui.

AFTERSUN de Charlotte Wells

© Sarah Makharine

Semaine de la critique La cinéaste écossaise pique notre intérêt avec son synopsis : un père (Paul Mescal, révélation de la série Normal People) et sa fille passent l’été dans un club où l’on danse la macarena.

LES PIRES de L. Akoka et R. Gueret

© Éricric Dumont – Les Films Velvet

Un certain regard Une bande d’ados participe au tournage d’un film… Un pitch tout simple qui rappelle le court métrage Chasse royale du même duo de cinéastes, auparavant directrices de casting.

DALVA d’Emmanuelle Nicot

© Diaphana

Semaine de la critique Une petite fille de 12 ans s’habille et se maquille comme une femme, jusqu’à ce qu’elle soit retirée à la garde son père… Un drame sur l’enfance meurtrie qui s’annonce intense.

HOW TO SAVE A DEAD FRIEND de Marusya Syroechkovskaya

© Lightdox

ACID Pendant dix ans, la réalisatrice a filmé son quotidien et celui de son compagnon, rencontré à 16 ans, l’euphorie et l’anxiété, documentant de l’intérieur le mal-être de la jeune génération russe.

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LE KING

PIERRE LESCURE Figure de proue du Festival de Cannes depuis 2014, le légendaire et facétieux Pierre Lescure, 76 ans, nous a reçus dans les bureaux parisiens du Festival, au dernier étage d’un immeuble avec vue sur Beaubourg, alors qu’il s’apprêtait à profiter de sa dernière édition en tant que président. L’ancien patron de Canal+ nous a raconté l’aventure Cannes, sur laquelle il a voulu imprimer sa patte chaleureuse, engagée et tournée vers la jeunesse. Rencontre au sommet.

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Vous avez un an de plus que le Festival de Cannes, qui souffle ses 75 bougies cette année. Comment avez-vous évolué avec lui ? Je suis né en 1945, et le Festival en 1946 – même si l’idée datait de 1939. Et je suis né dans une famille très engagée. Mon père était rédacteur en chef de L’Humanité après la guerre, il y est resté jusqu’à la fin de sa vie, c’était un communiste façon réformateur. Et puis ma famille allait énormément au cinéma, au théâtre, écoutait des musiques. J’ai eu la chance de naître dans ce creuset-là, ce qui fait que je me suis tout de suite passionné pour le cinéma. À l’époque, j’achetais chaque semaine Ciné monde. Il y avait un photographe, Sam Lévin, qui faisait de très jolies photos de vedettes de cinéma. J’ai d’abord suivi le Festival de Cannes de loin, comme un adolescent émerveillé qui aime rêver. Dans le magazine, un encart détaillait toutes les programmations de la région parisienne – je suis vraiment un Parisien de troisième génération. Je vivais à l’heure du Festival, et ça ne m’a jamais quitté quand je suis devenu journaliste, et puis avec Canal+ [qu’il a fondé en 1984 avec André Rousselet et dont il a été PDG de 1994 à 2002, ndlr] et la relation particulière entre la chaîne et le Festival [Canal+ en a été partenaire

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pendant vingt-huit ans avant d’annoncer, en décembre 2021, la fin de ce partenariat, ndlr]. Que je m’y glisse il y a huit ans, c’était d’autant plus émouvant et gratifiant. Quelle vision vous a guidé pendant ces huit années à la présidence de Cannes ? Le président a une autorité morale. Il est le gardien du temple et il a la signature pour tout ce qui est juridique et financier. C’est non rémunéré, et je trouve ça tout bien,

et Antenne 2 dans les années 1960-1970, ndlr], puis dans tout ce que j’ai pu faire comme producteur [il a créé des émissions mythiques comme Les Enfants du rock en 1982, ndlr] et comme patron de médias [Antenne 2, Canal+, puis Vivendi Universal, ndlr] avec un maître mot bien anglais : « Content is king. » Tout doit procéder du contenu, le reste est à son service. Il en était pareil pour le Festival. D’abord travailler avec Thierry, mettre de la détente et du

« On veut une 75e édition du Festival qui ne soit pas une célébration du passé. » Thierry Frémaux, le délégué général, étant en charge de la sélection, qui est l’objet du Festival. Je suis né dans mon métier de journaliste [d’abord sur RTL, Europe 1

sourire dans tout – ce qui colle d’ailleurs bien avec sa personnalité. Et puis rendre le Festival gai, parce que c’est la culture, c’est à la fois le patrimoine et l’avenir. C’est ça


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Comment se déroule la collaboration avec Thierry Frémaux ? Vous voyez et sélectionnez certains films de la sélection officielle ensemble ? Je vois des films à l’avance, mais c’est pour moi. C’est ce que j’ai dit à Thierry quand on s’est rencontrés. On se connaissait peu, mais on savait qu’on aimait tous les deux le cinéma, la musique et le sport, et qu’on n’était pas de droite – c’est déjà pas mal. Je lui avais dit que j’avais envie de pouvoir tremper mon sucre : « Il y a des films que je ne peux pas imaginer ne pas voir avant, y compris pendant que vous êtes en train d’en discuter. » Il y a des films sur lesquels on a beaucoup discuté ensemble, et j’en ai été heureux, fier et ému. Pour le film d’ouverture, c’est une décision commune, puisqu’il est souvent hors Compétition mais que c’est une figure de proue ; et puis même chose, souvent, pour les films hors Compétition ou les projections sur la plage. Mais la sélection des films en Compétition et dans la section Un certain regard, c’est Thierry et ses équipes. C’est bien comme ça. Comment abordez-vous votre dernière édition cannoise en tant que président, alors qu’on fête les 75 ans du Festival, et vu le contexte mondial ? On veut une 75e édition du Festival qui ne soit pas une célébration du passé. On l’a fait, je crois, de belle manière pour les 70 ans. Cette année, l’actualité est telle qu’on doit être dans le moment, mais aussi tournés vers l’avenir. On est très heureux que Thierry et son équipe aient choisi autant de premiers films pour la section Un certain regard, qu’il y ait énormément de gens sélectionnés pour la première fois, mais qu’il y ait aussi quatre Palmes d’or qui reviennent [Jean-Pierre et Luc Dardenne, Hirokazu Kore-eda, Cristian Mungiu, Ruben Östlund ont tous remporté au moins une fois la Palme, ndlr]. On a envie que ce soit plus chaleureux, plus conscient. C’est pour ça que mardi 24 mai, pour la soirée du 75e anniversaire du Festival, dans la grande salle, beaucoup de cinéastes viendront nous parler du cinéma d’aujourd’hui et de réflexions de demain. Dans la sélection, il y a deux films ukrainiens, une première. Et, en même temps, il y a un film russe de Kirill

Serebrennikov. C’est sa troisième sélection à Cannes. Deux fois il a été empêché de venir par les autorités de son pays. Au début de la guerre, il a quitté définitivement la Russie, il s’est installé à Berlin et il a dit au revoir à son père, qu’il ne reverra sans doute pas. Donc, quand on me dit « comment ? vous invitez un Russe ? »… soyons sérieux. C’est vous, je crois, qui souhaitiez qu’une femme vous succède (il s’agira, en 2023, d’Iris Knobloch, ancienne présidente de Warner Bros. France) ? Pour être honnête, j’ai été interrogé là-dessus par Emmanuel Macron himself. En février 2020, avant qu’on commence à se confiner, il m’a dit : « Est-ce que tu serais d’accord, puisque ta réélection pour

sa limite. J’ai vu ce matin qu’on relançait MasterChef, alors qu’il y a encore Top Chef… Après, on ne peut pas être Molière tous les jours ; la répétition à la télé est inévitable, mais il faut trouver l’équilibre avec la surprise. C’est d’ailleurs ce qui va coûter le plus cher aux plateformes. Netflix a voulu aller tellement vite… Ce n’est pas seulement la fin du confinement et l’air du temps qui font que ça devient compliqué pour eux [la plateforme a perdu 200 000 abonnées dans le monde au premier trimestre 2022 par rapport à fin 2021, une première après dix ans de croissance, ndlr]. C’est qu’ils ont voulu tout miser sur les séries, qui sont de moins en moins géniales, en refusant de sortir leurs films en salles. Les plateformes et la télé ont ça

NICOLAS ANTHOMÉ PRÉSENTE

QUE FERIEZ-VOUS EN CAS D’ACCIDENT NUCLÉAIRE ?

« La glande, ça permet de continuer de se nourrir. » un troisième mandat arrive, pour imaginer de faire deux ans ? On conviendrait ensemble de ta succession, avec mes services et ceux de la culture. Ce serait une femme, et tu laisserais ton mandat un an avant. » C’est souvent le président de la République qui propose les successions. Quand Gilles [Jacob, délégué général à partir de 1978, puis président du Festival de 2001 à 2014, ndlr] avait été prolongé, ça s’était décidé dans le bureau de Nicolas Sarkozy. Que le président me propose qu’une femme me succède, j’aimais bien le geste, même si ça devenait évident aujourd’hui. Donc j’ai dit oui, heureux. Je me sens relativement jeune et gourmand, j’ai d’autres envies. Et puis, je trouve que c’est un bon âge. Pendant vos années à Canal+, l’animateur Philippe Gildas vous avait surnommé la Glandouille. Quelles vertus trouvez-vous au fait de glander ? La glande, ça permet de continuer de se nourrir. Il y a des moments où on a envie de simplement penser à soi, aux gens qu’on aime ou qu’on n’aime pas, aux films qu’on a vus hier, à la musique qu’on a envie d’entendre. Ça fait partie de la petite légende de Canal : André Rousselet m’avait demandé s’il y avait des choses à préparer pour mon contrat. J’avais répondu : « Il faudra me laisser le temps de glander. Je ne peux pas juste apporter ma bosse de chameau, j’ai besoin de la nourrir, cette bosse. Donc j’ai besoin de disparaître de temps en temps pour aller acheter des bouquins, aller au cinéma… Mais je crois que ça rapportera à la boîte, la glandouille. » Quel regard portez-vous sur la télé et les médias d’aujourd’hui ? La télé continue de tirer les formats – le terme lui-même pointe d’ailleurs bien

en commun que, pour être fédératrices, il leur faut trouver le bon équilibre entre la répétitivité et l’absolue nécessité de la création et de la surprise. C’était quoi, finalement, « l’esprit Canal » ? Souvent, on a répondu, Alain de Greef [directeur des programmes à l’époque, à l’origine des émissions Nulle part ailleurs, Les Guignols de l’info ou encore Groland, ndlr] et moi, qu’on ne savait pas très bien. On a essayé de le théoriser a posteriori. Je crois que c’est issu de deux choses. Premièrement, André Rousselet, qui avait 65 ans à l’époque, a confié les rênes à un mec de 38 ans – moi – qui a engagé des gens de son âge, voire plus jeunes, pour remplir une page blanche. Deuxièmement, on a failli boire la tasse au début. On était la première chaîne qui allait être payante. On avait une obsession des contenus, ça nous a donné l’obsession du client. Je remontais le moral des troupes en disant : « Vous vous rendez compte que, depuis ce matin, il y a huit familles qui se sont abonnées, qui se sont dit “on va mettre 120 balles par mois pendant un an”. C’est extraordinaire ! » Ceux qui regardent sont clés. C’est ça, l’esprit Canal. Évidemment, avec le credo « Content is king »… et la liberté.

UN FILM DE

GAËL LÉPINGLE SHAÏN THÉO CARMEN MANON CONSTANTIN ALEXIA BOUMÉDINE AUGIER KASSOVITZ VALENTIN VIDAL CHARDARD

AU CINÉMA LE 11 MAI

PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS To read the english version of this interview, scan this QR Code :

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ILLUSTRATION : PIERRE-JULIEN FIEUX

que j’apportais. Je suis né avec, on me l’a inculqué, et j’ai essayé de le cultiver. On a aussi été amenés à aborder tous les sujets qui devaient évoluer, comme #MeToo, Le Collectif 50/50, et aussi à penser une autre manière de programmer les films pour les protéger [en montrant les films de la Compétition de façon simultanée au public et à la presse, alors qu’auparavant la presse découvrait les films la veille, ndlr]. Pour que le film ne soit pas déjà jugé avant d’avoir comparu, si je puis dire. Et puis on a développé une politique vis-à-vis des jeunes avec le passe Trois jours à Cannes [destiné aux 18-28 ans, ndlr]. Cette année, par exemple, il y aura plus de 4 000 jeunes qui vont venir passer trois jours à Cannes. Je suis vachement fier qu’on ait lancé ça.

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LA RELÈVE

AVA CAHEN À 36 ans, elle est devenue cette année la plus jeune déléguée générale de la Semaine de la critique, une sélection compétitive de premiers et deuxièmes films qui se tient chaque année pendant le Festival de Cannes. Figure du Cercle sur Canal+, corédactrice en chef du magazine FrenchMania et prof de ciné à Nanterre, Ava Cahen, féministe et enthousiaste tête chercheuse du jeune cinéma, succède à Charles Tesson, qui en était l’éminente figure depuis dix ans. Rencontre avec le futur.

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D’où vient votre engagement ? Il remonte à loin… Mes parents sont avocats et très engagés, il y a une transmission de valeurs dès l’enfance. Puis j’ai fait des études de cinéma à Nanterre, qui n’est pas n’importe quelle université [la fac de Nanterre a vu naître le mouvement étudiant, devenu révolution culturelle, de Mai-68, ndlr]. C’est là que j’ai commencé à fréquenter la communauté queer, à m’intéresser à la culture LGBT, et que mon féminisme a pris forme. Plus tard, j’ai travaillé pendant cinq ans à la Queer Palm, je dirigeais le marché du film queer. Être au contact de cette équipe et de ces questions en permanence m’a ouvert l’esprit. Maintenant, tout ça me semble très naturel, je me dis que ça s’imprime nécessairement par touches, par endroits. Et puis j’ai la chance d’être dans une sélection, la Semaine de la critique, dédiée aux premiers et deuxièmes films. Les cinéastes nous parlent à travers les films qu’on reçoit. Pour pouvoir y être sensible, il faut pouvoir les comprendre. Vous avez été rédactrice en chef de Clap!, qui se présentait dans sa campagne Ulule, en 2010, comme la « revue cinéma du

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futur ». Qu’est-ce qui a impulsé votre envie de défricher ? Clap!, ça a été une aventure en deux temps, avec d’abord un site Internet qui existait quand je suis arrivée à la rédaction. J’ai créé la version papier avec eux, qui s’intéressait aux séries et au cinéma, avec un attrait pour les figures émergentes. La presse papier m’a toujours fait vibrer, à la fac ça comptait énormément pour moi. L’aventure s’est finie en 2016. Ensuite, avec Franck Finance-Madureira, qui est le président de la Queer Palm, on a décidé de monter FrenchMania, un magazine bi-annuel dédié au cinéma français et francophone, mais surtout à la jeune génération. On se dit que l’avenir est là. Avant d’en devenir déléguée générale, vous étiez sélectionneuse pour la Semaine de la critique depuis 2016. Le comité de cette sélection parallèle du Festival de Cannes est composé uniquement de critiques en activité. En quoi ça vous semble important, aujourd’hui, la critique de cinéma ? J’ai toujours considéré que c’était un métier de passeur, de transmission, au-delà de simplement donner un goût. Le ou la critique, par sa culture, son œil exercé, ses

connaissances de l’histoire du cinéma, sait reconnaître la nouveauté. Je crois qu’être critique c’est avoir envie de révéler des talents et de dire au reste du monde : « Coucou, le prochain Martin Scorsese ou la prochaine Julia Ducournau est là ! » Ce doit être le trait d’union entre les auteurs et le public. C’est ce qui caractérise la Semaine de la critique et ce que je trouve le plus beau, loin de l’image du critique aigri qui tape sur tout le monde. Au contraire, je défends l’idée d’une critique généreuse, amoureuse, porteuse. 2016, c’est également l’année où Grave, le premier long métrage de Julia Ducournau (qui a remporté la Palme d’or l’année dernière pour Titane), était en compétition à la Semaine de la critique. Quelle a été votre impression, en découvrant ce film et cette jeune réalisatrice française qui cassait les codes ? On avait déjà eu son court métrage, Junior, à la Semaine de la critique en 2011. C’est aussi une de nos missions, d’accompagner les talents, de suivre le passage du court au long métrage. Je me souviens qu’on a vu Grave tous ensemble en salle, avec


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le comité. On était sous le choc, on s’est pris dans la figure la puissance de cette cinéaste. Certains films s’imposent à nous. Je suis fascinée par le cinéma de la chair, de la sensualité, de la sexualité et du genre que propose Julia Ducournau. On savait que ça allait être une grande cinéaste. Son

ça s’est manifesté dans le choix de l’affiche [l’artiste Charlotte Abramow a photographié le dos nu d’une femme sur lequel sont projetés les héros de Sous le ciel d’Alice de Chloé Mazlo, ndlr], dans la composition du jury [présidé par la cinéaste tunisienne Kaouther Ben Hania, ndlr]. Je tenais ab-

« Je défends l’idée d’une critique généreuse, amoureuse, porteuse. » parcours jusqu’à la Palme d’or avec Titane, l’an dernier, c’est à la fois le sacre d’une réalisatrice, du cinéma de genre, qui était enfin reconnu comme autre chose que du cinéma bis, et de toute cette réflexion sur la transidentité, comment on peut redéfinir la masculinité et la féminité à travers le cinéma. Pour moi, elle a tout juste. Quels autres films vus à la Semaine ont bousculé vos convictions ? Sur la fabrication d’un film, il y a eu Tu mérites un amour d’Hafsia Herzi en 2019, qu’elle a fait quasiment sans argent, hors système, avec les amis. C’est un bijou. Il y a eu aussi Paul Dano avec Wildlife. Une saison ardente, en ouverture en 2018. Je suis une grande amoureuse depuis l’enfance du cinéma américain. En grandissant, le versant indépendant a pris une place croissante dans mon cœur – Jesse Eisenberg en ouverture cette année avec When You Finish Saving the World, ce n’est pas un hasard. Diamantino de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt a été un film queer essentiel. J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, Grand Prix de la semaine en 2019, a beaucoup compté aussi : c’était un statement, pour montrer que le cinéma d’animation peut tout à fait être en compétition avec des films tournés en prises de vue réelles. Vous êtes la plus jeune déléguée générale de la Semaine de la critique de l’histoire du Festival. Ça met la pression ? Un peu, pour être tout à fait honnête, même si je trouve que l’âge n’a pas grandchose à voir avec les compétences. J’ai toujours été en contact avec les cinéastes émergents. J’ai l’impression qu’on se comprend, qu’on fait partie de la même génération, ou pas loin. Côté industrie, avec les vendeurs, les distributeurs, c’est un peu plus difficile parfois, mais j’ai l’impression que c’est une question de préjugés et qu’ils vont vite tomber. Certains sous-estiment la jeunesse, pensent qu’elle est moins cultivée, moins pointue. Et puis il y a eu dix ans d’une sélection étincelante avec Charles Tesson [délégué général de la Semaine de la critique de 2011 à 2021, ndlr]… Et il y a aussi la pression de l’héritage, puisque la Semaine de la critique a 60 ans. C’est lourd à porter. Maintenant que la sélection va être présentée à Cannes, les gens vont voir comment je me positionne. Tous les délégués ont œuvré à une continuité, tout en apportant leur personnalité. Pour moi,

solument à une présidente, je n’aurais pas cédé sur ce désir. On ne travaille pas avec une idée de quota particulière, mais je suis très contente que, parmi les onze longs métrages sélectionnés, cinq soient réalisés par des femmes. Quels sont les trois principes qui ont guidé cette sélection de onze longs métrages ? Déjà, l’appétit. Si on arrive blasé, avec l’œil un peu fermé, on passe à côté de l’essentiel. Il faut vraiment avoir une envie de films, parce que le visionnage est conséquent. Pour cette sélection, on a vu mille cent longs métrages. Le comité des courts métrages en a vu mille sept cents. La deuxième chose, c’est le dialogue. Avec le comité de sélection, d’abord – c’est un bonheur absolu. Moi, je viens de là, de l’émission Le Cercle où, toutes les semaines, on parle des films en profondeur. Le dialogue aussi avec l’industrie. Les vendeurs, les distributeurs, c’est un autre monde, ça a été un vrai apprentissage. Le troisième principe est lié au fait que la Semaine a un rayonnement mondial, ses principes sont identifiés, on pourrait rester assis confortablement dans nos sièges à attendre que les films viennent à nous. Mais, en réalité, la prospection est fondamentale. Voyager dans les pays qui font les films, c’est crucial pour comprendre comment se compose et se finance la scène émergente. On a beaucoup voyagé ; moi, de septembre à février, à Pusan en Corée du Sud, à Morelia au Mexique, au BFI à Londres ; certains camarades du comité sont partis à Trieste, à Rome, à Göteborg, dans des festivals et des works in progress, dans des ateliers de pitchs…

a retenu trois longs métrages français : un film noir avec Goutte d’or de Clément Cogitore, une comédie sentimentale avec Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux, et un récit d’apprentissage doublé d’une fable fantastique avec Nos cérémonies de Simon Rieth. Pour moi, ça dit quelque chose d’intéressant sur ce qu’est aujourd’hui le cinéma français, qu’on ne doit pas caricaturer, qui n’est pas systématiquement naturaliste. Je n’ai rien contre ce versant, mais c’est bien d’aller voir comment certains cinéastes creusent d’autres veines. Depuis la pandémie, une partie du public a du mal à revenir en salles. Qu’est-ce qui pourrait changer la donne ? Je pense déjà que le travail de la critique est primordial. Elle doit provoquer la pensée, l’esprit critique. Aller au cinéma, c’est sortir, s’engager à aller voir une œuvre. Le critique doit motiver cette envie de s’engager. Je pense aussi qu’événementialiser la salle est important. Tout ce qu’on avait avant avec les bonus DVD, est-ce qu’on ne pourrait pas

les ramener en salles ? J’ai un ciné-club [le Woody Club, tous les deux mois au Christine Cinéma Club, ndlr] – la féministe que je suis est un énorme paradoxe, puisqu’il concerne les films de Woody Allen – auquel je convie des personnes pour parler des films, donner leur regard. Parfois ce sont des personnes qui ont travaillé sur ces films, ou des cinéastes qui les admirent. Je constate que j’ai un jeune public très gourmand. J’ai l’impression qu’il ne se déplace pas seulement pour voir le film, mais parce qu’il est accompagné. Il faut faire de la pédagogie de l’image, je pense même qu’il y a tout un travail sociétal à faire autour de ça. La Semaine et le syndicat de la critique développent d’ailleurs des ateliers de pédagogie critique dans les collèges et les lycées. Savoir regarder une image, comprendre comment elles impactent, c’est fondamental. PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

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Nos cérémonies de Simon Rieth © The Jokers Films

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When You Finish Saving the World de Jesse Eisenberg © CAA

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Parmi les mille cent films vus, quelles tendances se dégagent de la jeune production mondiale, sur le fond comme dans la forme ? En matière de thématiques, j’ai l’impression que les premiers films parlaient essentiellement de la cellule familiale, endeuillée, dysfonctionnelle, et que l’intime venait nourrir un propos plus politique. J’ai trouvé ça très intéressant. Comment parle le corps, un regard ; comment ça permet d’évoquer la condition féminine, l’émancipation – ce sont aussi des choses qui revenaient beaucoup. J’ai senti les cinémas colombien et iranien particulièrement en forme, avec des formes et des récits très différents. On a reçu énormément de films français, sur lesquels je suis très exigeante à cause de FrenchMania. On 2

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ÇA (DÉ)TOURNE

« Tant que j’ai l’impression que c’est drôle, j’y vais. »

MICHEL HAZANAVICIUS On n’aurait pas pu rêver meilleur choix que Coupez ! pour lancer les festivités. Projeté en ouverture du Festival de Cannes, le nouvel Hazanavicius réunit une pléiade d’acteurs géniaux (Bérénice Bejo, Romain Duris, Matilda Lutz, Finnegan Oldfield…) pour raconter un tournage de film de zombies qui part en vrille dans un bâtiment désaffecté. Un hommage jouissif à un certain cinéma qui déborde et à la puissance du collectif qui prouve que le cinéaste, spécialiste du détournement, n’en finit pas de se renouveler.

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Votre film fait l’ouverture de Cannes. Comment avez-vous accueilli la nouvelle ? J’étais assez surpris mais très content. J’étais déjà hyper heureux de revenir à une comédie, faite pour se marrer. Je n’avais pas fait ça depuis OSS 117. Rio ne répond plus [sorti en 2009, ndlr]. Et, dans le contexte actuel, avec la guerre en Ukraine, je sens que les gens sont assoiffés de comédies. On vit quand même des choses difficiles et, moi, ça me fait plaisir d’amener quelque chose qui permet de lâcher la pression. Et le Festival, c’est une fête, ça veut dire ça, quoi. J’ai hâte de montrer le film. Dedans, on sent que vous exprimez tout votre amour pour les œuvres bancales, un cinéma de la débrouille, qui parfois se loupe, comme le font les séries Z. Il y a des œuvres dont vous trouvez la médiocrité belle ? À l’époque où je travaillais pour Canal+ [Michel Hazanavicius a débuté en écrivant des sketchs pour Les Nuls, ndlr], donc au début des années 1990, on avait accès à des cassettes de films comme ça. J’ai adoré les films de catch mexicain avec Blue Demon [figure de la lucha libre, qui a été la vedette de films sortis entre les années 1960 et 1970, ndlr]. Après, c’est un peu toujours les mêmes plans de grotte, les mêmes costumes, les mêmes chorégraphies. Ce ne sont pas des grands films évidemment, mais il y a quelque chose de très sympathique là-dedans, une

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manière de faire les films ultra bricolée. Je ne sais pas vraiment où commence et où s’arrête la série Z, en fait. Pour moi, c’est tout aussi compliqué de faire un film réussi que de faire un film raté. On ne sait pas quand on est en train de foirer un film, mais c’est l’aventure humaine, même quand on accouche d’une bouse, qui peut être super belle. Coupez ! va complètement dans ce sens. Il valorise le boulot des cadreurs, des régisseurs, des scénaristes ou des maquilleurs, tout un monde du cinéma invisibilisé, notamment les femmes. On pense au personnage de la camerawoman qui maîtrise l’un des plans les plus techniques du film. Un plateau de cinéma, c’est une microsociété. C’est très hiérarchisé, il y a des ego surdimensionnés. J’aimais beaucoup l’idée que l’équipe soit composée de jeunes femmes qui assurent, qui cavalent partout. Je vais vous dire la phrase la plus con du monde, mais je suis évidemment pour plus d’équité et de justice. Une fois que j’ai dit ça, j’ai bien enfoncé des portes ouvertes. Mais, ce qui donne confiance, c’est que la nouvelle génération est très à fond sur ces questions. Si on parle de la révolution #MeToo et de tout ce qu’elle entraîne, je trouve ça super. Moi, pendant longtemps, j’ai été dans une forme de suivisme sur ces questions, je m’accommodais comme tout le monde de ne pas regarder ça à une échelle plus large de

la société. Mais, oui, cette idée qu’on peut faire ensemble des choses m’est chère. Pendant la crise sanitaire, vous avez d’ailleurs défendu les droits des intermittents. Oui, c’était pendant la réforme de l’assurancechômage, qui menaçait de taper sur les plus faibles [le gouvernement a appliqué dès le 1er octobre 2021 cette réforme qui durcit le calcul de l’allocation chômage, en indemnisant moins mais plus longtemps, ndlr]. On a besoin du collectif. Si je fais du cinéma, c’est parce que la génération d’avant – les Tavernier, les Costa-Gavras, les Corneau – s’est battue pour que le mode de financement du cinéma soit préservé. C’est quelque chose qu’il faut perpétuer. Techniquement, le film est impressionnant. Votre utilisation du plan-séquence notamment lui donne une énergie folle. C’était quoi, votre plus grand défi ? C’était justement de réussir ce plan-séquence qui est très long – il dure trente-deux minutes [c’est la séquence d’ouverture du film, ndlr]. Il y avait plein d’effets spéciaux mécaniques. Le but n’était pas de faire le meilleur planséquence, mais le meilleur plan-séquence d’un film foiré. Donc de se mettre à la place de cette équipe qui ne voulait pas faire une comédie mais un film sérieux. Du coup, moimême, j’étais dans une position où je devais laisser mon équipe gérer ce truc où, concrè-


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tement, il ne se passe rien. Et, le défi, c’était de conserver un intérêt dramatique pour le spectateur. Il fallait trouver comment régler la montée en puissance du film. Quand bien même c’était un plan-séquence, tout était storyboardé. Ça fait qu’il y a des rythmes hallucinants. La troisième partie du film, c’était aussi compliqué, parce que c’est comme la partie fantôme de ce qu’on a vu une heure avant. Et, moi, je donne des piqûres de rappel pour dire « on est là. » Ça peut passer par le son, les à-côtés du tournage, les changements de point de vue… J’ai essayé de faire un truc très ludique. Comme dans beaucoup de vos comédies, vous flirtez avec le mauvais goût, l’obscénité, sans pour autant vous vautrer dedans. Quelles limites vous imposez-vous dans ces cas-là ? C’est quelque chose d’instinctif. Je n’ai pas de limite du type « on ne peut pas parler de ci ou de ça ». Tant que j’ai l’impression que c’est drôle, j’y vais. Alors oui, dans ce film, il y a du vomi, de la diarrhée, de la bêtise crasse, certes. Mais, mon ambition, c’est que le spectateur se sente à l’aise. Et puis j’aime bien quand il y a plusieurs types de rires. Dans OSS 117, il y avait ce mélange de jeux de mots un peu pourris, de vannes politiques malaisantes, des trucs très enfantins… Là, effectivement, ce qui change, c’est qu’il y a trois parties distinctes : un côté très découpé, avec d’abord du pastiche ; puis quelque chose de plus mécanique, presque pièce de boulevard ; et ensuite ça court partout, ça trace. Sur Internet, des gens fustigent le film sans même l’avoir vu, vous accusant parfois d’appropriation culturelle, puisque votre film est un remake de Ne coupez pas ! du Japonais Shinichirō Ueda, sorti en 2017. Ah ouais ? J’ai arrêté les réseaux sociaux. Mais on m’a envoyé un tweet d’un gars, que j’ai adoré, un truc genre « on en parle de Bejo et de Duris qui ont carrément un

prénom japonais ? ça ne choque personne ? vous trouvez ça normal ? ». Je trouve ça assez génial. Ça m’amuse, parce que j’assume totalement que c’est un remake. J’ai essayé de le faire mien, de jouer avec l’original, qui est un film d’étudiant, tourné hyper vite et avec zéro thune ; c’est un film miraculeux. Nous, on est forcément plus dans les clous. Mais je pense que certains se sentiront un peu cons en voyant le film. Pour vous, aujourd’hui, on peut encore tout dire et rire de tout ? Ah oui. Je ne suis pas du tout d’accord avec l’idée qu’on ne puisse plus rien dire. Au contraire. Ceux qui le pensent le pensent parce que, quand ils disent une connerie, quelqu’un peut leur répondre. Ça dérange beaucoup ces personnes parce qu’elles n’ont pas l’habitude qu’on leur réponde. Il faut faire un peu plus gaffe à ce qu’on dit, oui, mais c’est très bien. Je pense par exemple que les premier et deuxième volets d’OSS 117 sont tout à fait faisables aujourd’hui, à condition de les faire un peu différemment. Les vannes, c’est une affaire de contexte. Péter devant la famille d’Angleterre, c’est drôle [une référence à une rumeur qui circule dans les tabloïds britanniques et qui raconte que Joe Biden aurait eu des flatulences devant Camilla, la princesse de Galles, ndlr]. Mais péter au cinéma, c’est pas très marrant – bon, c’est peut-être pas le meilleur exemple, j’ai pas assez réfléchi, ne mettez pas cette citation en gros ! Pour Coupez !, j’ai aussi été confronté à ça. Il y a deux mois, le film s’appelait Z (comme Z). Je trouvais ça drôle, parce que ça ne voulait rien dire, c’était une espèce de tautologie absurde. Mais, à un moment donné, quand il y a une guerre absolument immonde qui se passe, que cette lettre est utilisée comme le symbole de l’agresseur [la lettre Z, inscrite sur les blindés russes en Ukraine, est devenue le symbole du soutien au Kremlin, ndlr] et que ça heurte des cinéastes qui me demandent

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de changer ce titre, je le fais, parce qu’il n’y a plus rien de drôle. Quand on jette un œil à votre filmographie, on se dit que vous ne vous êtes jamais laissé enfermer ni dans un genre ni dans un système, que ça vous amuse même de le contourner. Et ce dès La Classe américaine. Le grand détournement (1993), qui a eu un parcours dingue. Est-ce qu’il faut filouter, troller pour réaliser de bons films, selon vous ? Alors si j’avais la recette pour faire des bons films, d’abord je la garderais pour moi ! Je ne sais pas si je suis un filou, mais j’aime être en bout de table, disons. Ça fait que vous êtes là, mais qu’on vous fout la paix. Pour La Classe américaine, c’était quand même un film de Noël [une commande de Canal+

pour fêter les 70 ans de la Warner, avec pour règle une diffusion unique ; dans les années 2000, la copie d’une version numérisée a circulé sauvagement sur YouTube et le film est devenu culte, ndlr]. Il a été mis sous clé, puis il est ressorti par la bande. Moi, je regarde son parcours de loin, et ça me fait très plaisir, parce que le film vit sa vie tout seul sans que vraiment personne ne s’en occupe, parce qu’il atteint des gens qui ont aussi bien 13 ans que 30 ans. C’est de la mauvaise herbe et c’est super. La chance que j’ai eue dans ma carrière, c’est qu’une fois que les deux OSS 117 ont bien marché et que The Artist a mis la tête à l’envers à tout le monde [sorti en 2011, il est devenu le film français qui a remporté le plus d’Oscars de toute l’histoire], on m’a laissé ma liberté ; et je me dis que j’ai beaucoup de chance, parce que ça fait que je ne me sens pas formaté. Depuis Le Prince oublié (2020), on sent que ça vous tient à cœur d’écouter la jeunesse. Dans Coupez !, par exemple, le réalisateur expérimenté, campé par Romain Duris, est sauvé par sa fille, jouée par votre nièce Raïka Hazanavicius. Quels sont les jeunes cinéastes qui vous ont bluffé dernièrement ? J’ai découvert La Colline d’où rugissent les lionnes de Luàna Bajrami et j’ai trouvé ça impressionnant. C’est génial de faire des films qui ont ce niveau d’ambition à cet âge-là. Et je ne dis pas ça parce que Luàna joue dans mon film ! J’ai adoré Teddy des frères Boukherma aussi. J’ai hyper hâte de découvrir leur prochain film. Chez les techniciens, il y a des gens très bien aussi. Non mais je crois qu’il y a une nouvelle génération de jeunes qui va me mettre au chômage. Coupez ! de Michel Hazanavicius, Pan (1 h 57), sortie le 17 mai

PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE LEROY Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

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Grégory Gadebois et Matilda Lutz © Lisa Ritaine

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Bérénice Béjo, Matilda Lutz, Finnegan Oldfield et Charlie Dupont © Lisa Ritaine

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Cinéma -----> Cannes 2022

ÊTRE (OU NE PAS ÊTRE) HUMAIN « Pour moi, un cinéma sans humour est un cinéma inhumain. »

DAVID CRONENBERG Après huit ans d’absence, David Cronenberg ressort de ses tiroirs un scénario écrit en 1998, entre deux films culte, Crash (1996) et eXistenZ (1999). Avec sa SF morbide peuplée de machines organiques, de corps ouverts et de héros inquiets, Les Crimes du futur, en Compétition à Cannes, se situe pile entre ces deux monuments. Le cinéaste y poursuit son exploration de la nature humaine, de l’art et de la mort dans un futur dévasté étrangement d’actualité. Rencontre.

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La première image du film est très forte : un enfant seul au bord de l’eau, et derrière lui un navire échoué – comme la métaphore d’un futur inquiétant. Comment l’avez-vous imaginée ? Elle n’était pas dans le scénario. Quand on tourne, on est toujours surpris par les événements inattendus. J’avais imaginé l’histoire à Toronto, et finalement on a tourné à Athènes. Je savais que cette ville ancienne allait m’inspirer, que j’y trouverais des textures particulières, des graffitis, une ambiance méditerranéenne. Je voulais me servir de cette lumière différente et de cette décadence particulière. On cherchait des endroits pour tourner la scène d’ouverture, et on a vu ce bateau qui s’était échoué là plus de vingt ans plus tôt. Je n’en croyais pas mes yeux. Il fallait absolument qu’on le filme ! Puis on a trouvé un cimetière de bateaux saisis par la police, où j’ai tourné plusieurs autres scènes. Cette image est donc devenue le point de départ pour parler de cette société décadente, en échec humain, industriel et écologique. Quelle est la première image qui vous est venue à l’esprit quand vous avez commencé à penser à ce film ? Je pense que c’était le Sark [une table d’autopsie robotisée que le héros utilise pour

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ses performances, au cours desquelles il fait tatouer ses organes puis en subit l’ablation, ndlr] et Saul Tenser [le héros, joué par Viggo Mortensen, ndlr] dans son fauteuil [un siège qui bouge pour aider la personne qui est assise dessus à ingurgiter les aliments, certains humains du futur n’arrivant plus à digérer la nourriture, ndlr]. La plupart des films de science-fiction imaginent des vaisseaux et des armes du futur. Dans votre film, les machines sont des chaises, des lits et des tables d’autopsie. C’est très drôle ! Oui, c’est comique ! C’est un des aspects du film : il est drôle, et d’ailleurs tous mes films le sont. C’est par l’humour qu’on arrive à affronter notre condition d’être humain, on en a besoin pour survivre. Pour moi, un cinéma sans humour est un cinéma inhumain. Visuellement, ces machines ressemblent beaucoup à celles de votre autre film de science-fiction, eXistenZ – elles sont organiques, comme vivantes. C’est une évidence pour moi, car j’envisage la technologie comme une extension du corps humain. Dans le scénario, l’Orchid Bed [un lit dont les mouvements aident le héros à dormir sans souffrir des mutations

qui s’opèrent en lui, ndlr] s’appelait initialement le Spider Bed. Il devait ressembler à une toile d’araignée. On a abandonné cette idée pour revenir à un aspect plus proche d’une orchidée, mais aussi d’un organe humain. Ça prouve que ça ne sert à rien d’être trop précis dans un scénario. Parfois on lit des scénarios écrits par des gens qui veulent être romanciers ; ils en font trop. Ils décrivent les personnages – le type doit avoir une moustache, une fossette… Évidemment vous allez choisir un acteur complètement différent. Le scénario doit rester minimaliste, il y a tant de choses à découvrir ensuite. Revenons à la scène d’ouverture. Ce n’est pas rien de commencer un film par le meurtre d’un enfant par sa mère. Je sais que les gens pensent que mes premiers films de genre étaient faits pour choquer. Absolument pas. Ça ne m’intéresse pas de choquer les spectateurs, je veux me choquer moi-même. Mes films, c’est ma façon d’essayer de comprendre la nature humaine. Avec ce film, j’essaye de dire aux gens : « Voilà des choses que j’ai découvertes sur l’être humain. Certaines sont dérangeantes, certaines sont drôles, certaines sont troublantes. Si ça vous intéresse,


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suivez-moi. » Je n’essaye pas de manipuler les gens, comme Alfred Hitchcock qui se prenait pour un marionnettiste. Ce n’est pas le genre de relation que je veux avec mon public. La scène d’ouverture est capitale : la mort de l’enfant provoque tout le reste. Petit à petit, les spectateurs comprennent l’utilité dramaturgique de cette scène. L’une des très belles idées du film, c’est que, dans ce monde morbide et inquiétant, la chose qui importe le plus à vos personnages, c’est l’art. C’est vrai. J’essaye de ne pas faire de films sur des films ou sur des cinéastes, mais il y a presque toujours des artistes : des sculpteurs, des peintres… Ils incarnent les questions que je me pose : qu’est-ce que l’art ? pourquoi en faire ? à quoi il sert ? Ici, j’explore une forme particulière d’art [le Body Art, ndlr] que je trouve très marquante pour son rapport au corps. Comme c’est dit dans le film, le corps, c’est la réalité. Je souscris à 100 % à cette affirmation. Comment décririez-vous la relation entre Saul et Caprice, sa compagne et chirurgienne, jouée par Léa Seydoux, qui pratique les opérations en public sur lui ? Caprice est la collaboratrice de Saul, ils créent ensemble. Je pense que le spectateur met du temps à comprendre qu’ils sont aussi amoureux. Ils n’ont pas de rapports sexuels « classiques » car la sexualité a évolué, il serait impossible d’avoir une relation amoureuse normale dans ce monde. Ils partagent une certaine tension érotique qui se ressent au travers de leurs performances artistiques. C’est une relation du futur. C’est donc un futur post apocalyptique où l’art mais aussi l’amour existent toujours. Oui, l’amour survit toujours. Et si vous pouvez atteindre l’amour à travers l’art, c’est encore mieux ! Dans sa cape noire, votre héros a un style emblématique, sorte de chevalier des té-

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nèbres décati… Comment avez-vous créé ce personnage ? Il se couvre entièrement car il est très angoissé, très sensible aux allergies qui pourraient accentuer ses problèmes digestifs, et il craint le soleil. Ce n’est pas qu’il cherche à ne pas être reconnu [car c’est un artiste célèbre, ndlr], c’est qu’il a vraiment peur de sortir. Après plusieurs recherches, on a abouti à cette tenue finalement très simple, qui ressemble aussi un peu à certains costumes de Star Wars. Vous êtes conscient que vous vous ressemblez énormément, avec Viggo Mortensen ? Physiquement ? Beaucoup de gens me le disent, mais moi je ne trouve pas. C’est un très bel homme. Si je dois ressembler à quelqu’un, je suis content que ce soit à Viggo ! J’ai trouvé bouleversante l’idée, centrale dans le film, de créer quelque chose qui a du sens à partir du chaos. À travers ce personnage qui transforme les nouveaux organes qui l’envahissent en œuvres d’art, le film évoque-t-il aussi le cancer ? Oui, absolument… Ma femme, avec qui j’ai été marié pendant quarante ans, est morte d’un cancer il n’y a pas si longtemps [en 2017, ndlr]. C’est une expérience très difficile. Il faut vivre avec. Faire un film est une manière de transformer ça en quelque chose de positif. On peut aussi s’abandonner au désespoir total et à la dépression, mais ce n’est pas très sain. On sait tous qu’on va mourir un jour, mais l’idée qu’on va disparaître, que les gens qu’on aime vont disparaître est très difficile à accepter. L’art et la religion sont les moyens les plus utilisés pour affronter cette idée. Mais selon moi la plupart des religions sont basées sur le déni de la mort, donc l’art est sans doute la meilleure solution… Les Crimes du futur parle de la mort de ma femme, c’est vrai. Les spectateurs n’ont pas besoin de le savoir pour comprendre le film mais, s’ils le savent, cela devient une évidence.

Vous avez aussi réalisé récemment un court métrage avec votre fille Caitlin, intitulé The Death of David Cronenberg (2021)… Oui, il s’agit là aussi d’affronter ma propre mort et le décès de ma femme. Je l’ai vue mourir et, ce jour-là, je suis mort avec elle. Et je continue de penser que je suis mort, d’une certaine manière. Tout ça est très chargé émotionnellement. Est-ce que vous avez beaucoup transmis à vos enfants à travers le cinéma ? En tout cas ils ont été sur mes tournages depuis toujours. J’ai l’impression que la plupart des parents ont envie de faire découvrir leur métier à leurs enfants. Certaines personnes détestent leurs parents et font tout pour ne pas leur ressembler. Mais, en ce qui nous concerne, on est très proches, on discute beaucoup. Mon fils, Brandon, est réalisateur, et ma fille Caitlin, qui est photographe, est en train de tourner son premier long métrage. Ce scénario dormait dans vos tiroirs pendant plus de vingt ans. Vous en avez d’autres en stock ? Pas d’aussi vieux, non. Mais j’ai deux autres projets. Le premier est un film adapté de mon roman, Consumés [publié en France en 2016, c’est l’histoire d’un couple de photojournalistes qui enquête sur le meurtre d’une jeune femme à Paris, ndlr]. Et l’autre est un truc Netflix. Enfin, était un truc Netflix. Un jour je suis allé à Los Angeles pour pitcher une idée de série à Netflix. C’était une expérience intéressante car ils fonctionnent en gros comme un studio hollywoodien, et en tant que cinéaste indépendant je n’avais pas eu à pitcher une idée pour convaincre des producteurs depuis longtemps… Ça s’est passé comment ? Je suis aussi acteur vous savez, donc j’ai fait le show. Vous vous retrouvez à faire votre speech devant des gens assis. Ce n’est pas un exercice facile ! Mais j’imagine qu’ils ont aimé car ils m’ont commandé un pilote, puis un deuxième épisode. Et, ensuite, ils ont

changé d’avis… J’étais vraiment surpris parce que ça se passait bien. La raison qu’ils m’ont donnée m’a semblé très hollywoodienne : « Ce n’est pas ce dont on est tombés amoureux. » Mais ça m’a permis de développer ce projet que j’aime beaucoup, qui traite en partie du décès de ma femme et qui sera sans doute mon prochain film. Qu’est-ce que cela signifie, selon vous, être un cinéaste en 2022 ? Le phénomène Netflix a provoqué un énorme changement dans le monde du cinéma, et la pandémie a accéléré ce changement. Mais il s’agit toujours de raconter des histoires, de s’interroger : qu’est-ce que c’est qu’être humain ? qu’est-ce ça signifie d’exister, aujourd’hui, hier, demain ? J’ai beaucoup blagué sur le fait que peu m’importe que mes films soient projetés dans d’immenses salles. Je l’ai même dit à Spike Lee à Venise [les deux cinéastes se sont exprimés sur l’avenir du cinéma dans une conférence lors de la Mostra de Venise en 2018, ndlr]. Il parlait de la salle de cinéma comme d’une cathédrale qu’il fallait absolument préserver. Je lui ai dit : « Spike, je regarde Lawrence d’Arabie sur ma montre, et c’est super, je vois mille chameaux ! » Bien sûr j’exagérais, mais pas tant que ça. Je pense que le cinéma n’est pas mort, il évolue, se transforme, comme les formes narratives l’ont toujours fait. Certaines ont disparu, comme la poésie orale pratiquée dans l’Athènes antique. C’est lié à l’évolution technologique et je n’y vois pas de problème. On trouvera toujours un moyen de raconter des histoires. Les Crimes du futur de David Cronenberg, Metropolitan FilmExport (1 h 47), sortie le 25 mai

PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

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Léa Seydoux et Viggo Mortensen

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Léa Seydoux, Viggo Mortensen et Kristen Stewart

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Cinéma -----> « Frère et sœur »

CORPS ARDENT

« Arnaud a une espèce de passion folle qui l’habite, très contagieuse. »

MELVIL POUPAUD Melvil Poupaud aura bientôt 50 ans. Et bientôt quarante ans de carrière. L’enfant rêveur du cinéma de Raoul Ruiz, l’éternel jeune homme rohmérien est devenu aujourd’hui un acteur physique dont la performance furieuse dans Frère et sœur d’Arnaud Desplechin va bousculer la Croisette. Un film sombre, radical, sur la colère qui embrase et étreint un frère et une sœur qui se haïssent, dans lequel Poupaud crame l’écran face à Marion Cotillard. Une montagne. Voilà comment Arnaud Desplechin a résumé en un mot à Melvil Poupaud le rôle de Louis, héros torturé et tortionnaire de ce nouveau film. « “Une

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montagne à gravir”, m’a-t-il dit avec son air sérieux, toujours mêlé à un sourire », nous raconte l’acteur, debout au comptoir d’un troquet parisien. « Et puis il a ajouté : “Mais tu en as déjà tellement gravi que ça ne devrait pas te faire peur, si ?” » Le comédien, silhouette noire longiligne à l’élégance anachronique, sourit et d’une voix grave, délicatement éraillée, poursuit : « C’est ça, Arnaud Desplechin. Un mélange de délicatesse et de provocation. Il a une espèce de passion folle qui l’habite, très contagieuse. À son contact, on a envie d’être à la hauteur, d’éprouver la même urgence que lui à faire du cinéma. Et ce film n’a été que ça : la vie et la fureur. »

DUEL AU SOLEIL Ce n’est pas la première fois qu’Arnaud Desplechin invite Melvil Poupaud dans son cinéma intime et romanesque. Dans Un conte de Noël (2008), ce dernier était déjà un frère. Celui de Mathieu Amalric, le banni. Il observait son frère et sa sœur (Anne Consigny) se haïr, un rôle de témoin repris dans Frère et sœur par Benjamin Siksou. Toujours, les films de Desplechin se font écho, retravaillent les mêmes mythologies personnelles. Les acteurs échangent leur rôle, se répondent de film en film pour raconter les multiples

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vies de la famille Vuillard de Roubaix. « Je crois qu’Arnaud a trouvé en moi un écho à la brutalité de son scénario. Il nous a vus, Marion et moi, comme des cow-boys de western. J’ai senti qu’il voulait aller à l’os. Nos personnages sont des blocs qu’on a taillés ensemble. » Ponctué d’impressionnantes scènes de colère et de haine (dès l’ouverture, saisissante), Frère et sœur offre aux deux comédiens un affrontement à distance au bord de la déraison. Une jubilation dans la démesure vécue par l’acteur comme une pure expérience physique, une façon de donner corps à un cinéma littéraire qui fait de chaque mot des balles de colt imaginaires. « Il y a une colère chez Arnaud qui a toujours habité son cinéma et qui, là, prend toute la place. Sur le tournage, parfois, je me disais : “Mon personnage, c’est lui.” Et puis, d’autres fois, je le voyais plutôt dans le personnage joué par Marion. C’est ça qui est troublant avec Arnaud : on a beau être au cœur de ses histoires, le regarder fabriquer ce monde qui lui est très intime, quelque chose nous échappe, lui échappe quand même. »

PREMIERS FEUX Mais cette rencontre n’était pas si évidente. 1996, le cinéma français se divise en deux camps : d’un côté, la petite musique solaire

des valses du cœur de Conte d’été d’Éric Rohmer, dans lequel Melvil Poupaud, alias Gaspard, cristallise l’image du jeune premier dont le cœur bat la chamade ; de l’autre, Comment je me suis disputé… (Ma vie sexuelle), deuxième long métrage d’Arnaud Desplechin, dans lequel une nouvelle génération d’acteurs et d’actrices (Mathieu Amalric, Jeanne Balibar, Emmanuelle Devos et, déjà, la toute jeune Marion Cotillard) éclôt à l’écran dans un film monstre et cérébral sur l’amour, le désir et ses névroses. Deux visions du cinéma pour traiter d’un même sujet : le bordel que mettent les sentiments dans nos vies. « Pendant longtemps, j’ai cru qu’Arnaud ne m’aimait pas beaucoup. Pourtant, ça fait des années qu’on se tourne autour. J’avais fait des essais pour Comment je me suis disputé… mais ça n’avait pas marché. Je ne suis pas sûr qu’Éric Rohmer soit le cinéaste préféré d’Arnaud Desplechin, et peut-être que pendant longtemps j’ai gardé sa marque. Pour moi, ce sont deux grands stylistes : Éric Rohmer, dans un côté plus taiseux, plus observateur ; Arnaud Desplechin, c’est un tourbillon. Moi, j’ai toujours eu envie d’habiter des mondes de cinéma qui ne ressemblaient à aucun autre. Quand on grandit sur les plateaux de Raoul Ruiz [qui l’a dirigé dans neuf films, depuis ses 10 ans, ndlr], forcément ça donne le goût d’un cinéma qui change la vie. »


« Frère et sœur » <----- Cinéma

Changer de vie, c’est peut-être la clé pour comprendre la filmographie dense et étonnante du comédien. Raoul Ruiz et Éric Rohmer bien sûr, mais aussi Danièle Dubroux (Le Journal du séducteur, 1996), François Ozon (quatre films ensemble dont Grâce à Dieu en 2019, parmi ses meilleurs), les sœurs Wachowski (Speed Racer, 2008), Justine Triet (Victoria, 2016), des films variés, des univers marqués, de la télévision aussi. Il joue un père de famille tueur en série dans Insoupçonnable en 2018, et plus récemment un scientifique à moustache dans la France de Giscard dans la série fantastico-burlesque Ovni(s). Une réinvention de soi qui, depuis quelques années, a réussi à modeler l’éternel jeune homme en corps viril, inquiétant, burlesque et désirable. Quand on lui fait remarquer à quel point le cinéma contemporain l’érotise, comme récemment Les Jeunes Amants de Carine Tardieu, l’acteur se trouble, sourit d’un air gêné. « Quand on est acteur, on aime être désiré. Mais j’ai mis du temps à l’accepter. Avant, je me sentais un peu gauche à l’écran, pas très à l’aise dans mon corps. Et je pense que ça m’envoyait vers des rôles un peu timides, cérébraux. Vieillir m’a fait du bien. J’ai fait la paix avec plein de choses et j’ai compris que je devais m’amuser, lâcher prise. Et, ça, je pense que je le dois à Xavier Dolan. » En effet, personne n’attendait Melvil Poupaud dans Laurence Anyways (2012), récit puissant d’une personne vers sa transition de genre. Un rôle périlleux que le comédien habite avec une douceur et une force qui participent à la grâce du film. « Comme Arnaud, Xavier a une colère, une envie d’en découdre qui fait l’énergie de son cinéma. Il m’a porté, poussé. Un peu avant, François Ozon aussi m’avait emmené sur ce terrain du corps avec Le Temps qui reste. Ce sont les cinéastes qui fabriquent les acteurs. On devient la somme des imaginaires qui nous traversent. En vieillissant, on finit par comprendre ce que les réalisateurs avaient vu en nous que nous ne saisissions pas encore. » Aujourd’hui, Melvil Poupaud se sent enfin à sa place dans un cinéma français plus physique, qui décloisonne les genres. En tournage actuellement de l’adaptation du roman d’Éric Reinhardt L’Amour et les Forêts par Valérie Donzelli, dans lequel il joue le mari violent de Virginie Efira, l’acteur rêve de cinéma de genre, de films d’aventure, d’univers plus grands que la vie. Lui qui se verrait bien en Corto Maltese, le marin baroudeur de Hugo Pratt, attend toujours qu’on l’emmène là où il ne pensait pas aller. En attendant, on le retrouvera tout en douceur dans Un beau matin, le nouveau film de Mia Hansen-Løve, également à Cannes, avec Léa Seydoux. « Mia est allée chercher chez moi le jeune homme d’Un conté d’été qui aurait vieilli, mais ça me va. J’aime les fantômes des films que j’ai faits ; je cohabite plutôt pas mal avec eux. Récemment, ma fille m’a montré sur Instagram des gens qui prenaient des captures d’écran de Conte d’été pour en faire des “tableaux”. Ça m’a fait sourire. C’est moi et plus tout à fait moi. C’est ce qu’on appelle la magie du cinéma. » Frère et sœur d’Arnaud Desplechin, Le Pacte (1 h 50), sortie le 20 mai

"Une confrontation à l’Histoire. Exaltant et libérateur." Martin Scorsese

par le réalisateur de P I E C E S O F A WO M A N

producteur exécutif

et

MARTIN SCORSESE

WHITE GOD

EVOLUTION un film de KORNÉL MUNDRUCZÓ e t K ATA W É B E R AU C I NÉ M A LE 18 MAI

RENAN CROS Photographie : Marie Rouge pour TROISCOULEURS

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Cinéma -----> La Maman et la Putain

LA MAMAN

ET L AP UT AIN

Chef-d’œuvre-fleuve sur un triangle amoureux, film culte, La Maman et la Putain de Jean Eustache était pratiquement invisible depuis sa sortie en 1973. Il ressort enfin en salles en version restaurée, après sa projection en ouverture de Cannes Classics 2022. Cette autofiction tourmentée brille toujours par sa fibre littéraire éperdue, et résonne encore comme une sublime bravade. Dans La Maman et la Putain, Jean-Pierre Léaud est loin du virevoltant Antoine Doinel, rôle qui l’a révélé chez François Truffaut. Son timbre devient plus régulier, son expression plus vague. Lui autrefois filmé dans une course effrénée se retrouve là inerte, terré au fond des cafés du VIe arrondissement. C’est que Jean Eustache modèle l’acteur en son alter ego à lui, angoissé élégant, dragueur un peu pathétique. Alexandre, jeune dandy à foulard, est la plupart du temps effondré dans un lit, soliloquant entre Veronika (Françoise Lebrun), infirmière qu’il vient de rencontrer, et Marie (Bernadette Lafont), vendeuse chez qui il squatte. Avec une intrigue mince – après une rupture, un homme vogue entre deux femmes –, Jean Eustache déroule un récit âpre, dont les monologues imprégnés d’alcool et de fumée de cigarette

déploient des strates infinies. La Maman et la Putain est un film comme un secret. D’abord parce qu’il s’agit d’une confession de la part d’Eustache. Ensuite parce que les cinéphiles, jusqu’à maintenant, devaient fournir un effort pour le voir – seules quelques copies pirates, de très mauvaise qualité, étaient trouvables sur Internet. Cela a bien sûr participé à sa mythification, tout comme le scandale qu’il a provoqué. Hué au Festival de Cannes 1973, le film dérange, notamment par sa manière très cash de discourir sur la sexualité – il se dit qu’on y entendrait cent vingt-huit fois le mot « baiser ». Il obtient le Grand Prix, malgré l’aversion de la présidente du jury, Ingrid Bergman. Pour sa sortie en salles, le ministère des Affaires culturelles l’interdit aux moins de 18 ans en raison de sa « tonalité générale de désespérance et de désarroi ».

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Voir La Maman et la Putain est une expérience troublante. Beaucoup de cinéastes contemporains en sont restés profondément marqués, comme Jim Jarmusch, Jane Campion, Gaspar Noé… « Les films ça sert à ça, à apprendre à vivre, ça sert à faire un lit », lance Alexandre à Veronika. D’accord pour le pragmatisme, mais le film est loin du guide de développement personnel. Si l’on retient les leçons de vie d’Alexandre, de Veronika et de Marie, on sombre. « Je n’ai pas la vocation de la vie », dit par exemple Alexandre ; et, plus loin, à Marie : « Quand je fais l’amour avec vous, je ne pense qu’à la mort, à la terre, à la cendre. » Mais, dans leur flot incessant, on peut attraper au vol une réplique, un regard ou un geste, et être bouleversés au point que cela ait une grande incidence intime. Pour aboutir à ce résultat, Eustache est d’une précision intraitable, tenue sur la durée vertigineuse de 3 heures et 35 minutes.

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EN NOIR ET CONTRE TOUT On peut lire La Maman et la Putain comme une œuvre littéraire à part entière. Sa langue est soutenue – les héros se vouvoient –, souvent crue et toxique, percée d’idiomes de l’époque – « vachement », « merdique », « un maximum »… Alexandre lit Marcel Proust au détour d’un plan. Comme 3

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dans À la recherche du temps perdu, les tirades étirées sont des flux de conscience, les affects déferlent dans la contradiction, l’indécidable, l’ivresse des mots. Eustache a un rapport quasi charnel avec le texte de son scénario, qui tourne à l’obsession. Assistant sur le film, Luc Béraud nous avait confié en 2017 pour la sortie de son livre Au travail avec Eustache (Actes Sud) : « Eustache était très dur avec Jean-Pierre Léaud. Pendant les prises, il ne le regardait pas et il le coupait à la moindre erreur, au milieu d’un long monologue. » Irascible, dépressif, s’alcoolisant au bourbon, le réalisateur transmute sa douleur. Françoise Lebrun, avec qui il a eu une aventure, le quitte avant le tournage. Pendant leur relation, le cinéaste est sorti avec d’autres femmes, comme Marinka Matuszewski, une infirmière qui fait une apparition dans le film, et Catherine Garnier, qui est sa costumière et assistante. La première a inspiré le personnage joué par Françoise Lebrun ; la seconde, celui joué par Bernadette Lafont… La vie, le tournage et le film s’entremêlent, permutent, se recomposent. Dans une séquence terrible, Marie, se sentant délaissée par Alexandre, prend des barbituriques. Scène qui fera plus tard écho à cette triste issue : après la projection du premier montage, Catherine Garnier se suicide et laisse un mot : « Le film est sublime, laissez-le comme il est. » Eustache, lui, se tirera une balle dans le cœur en 1981, laissant cette note pleine d’humour noir : « Frappez fort, comme pour réveiller un mort. »


La Maman et la Putain <----- Cinéma

TAHAR RAHIM

ALAIN CHAMFORT

VIRGINIE EFIRA

À Veronika, Alexandre plastronne : « Plus on paraît faux comme ça, plus on va loin. Le faux, c’est l’au-delà. » Cette phrase a-t-elle valeur de manifeste pour Eustache ? Avec ce film, il sertit sa propre vie d’artifice : il l’enrobe d’un noir et blanc charbonneux, la borde du format 1,33:1, ce cadre original du cinéma muet – Alexandre dit lui-même avoir l’impression de vivre dans un Murnau, auteur de l’expressionniste Nosferatu le vampire. Dans une conférence au Forum des images en 2013, le critique Philippe Azoury avait la plus belle et juste analyse : La Maman et la Putain est pour lui un film de vampires, dans lequel chacun suce la parole de l’autre.

À REBOURS

La Maman et la Putain de Jean Eustache, Les Films du Losange (3 h 35), ressortie en version restaurée le 8 juin

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Jean-Pierre Léaud

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Jean Eustache sur le tournage de La Maman et la Putain © Bernard Prim

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Jean-Pierre Léaud, Bernadette Lafont et Françoise Lebrun

© COURAMIAUD - CARACTÈRES - CREDITS NON CONTRACTUELS

Le film a aussi souvent été décrit comme un tableau de l’après Mai-68. Or, les personnages semblent plutôt évoluer contre les acquis de Mai68, avec leurs saillies parfois sexistes et réactionnaires. À traîner au Café de Flore, on ne peut pas dire qu’ils soient spécialement en lutte, sinon contre eux-mêmes. Eustache était pourtant fils d’ouvrier agricole, et il a travaillé comme ouvrier à la SNCF lorsqu’il est arrivé à Paris en 1957. Mais le jeune homme refuse cette condition de travailleur pauvre – en restant certes démuni, mais en embrayant sur le cinéma, en autodidacte, alternant courts (Le Père Noël a les yeux bleus, Les Photos d’Alix…) et longs métrages (Numéro Zéro, Mes petites amoureuses…). Si Eustache incarne quelque chose du fond de l’air post-68, c’est alors surtout dans ce rejet des valeurs bourgeoises du travail et du profit – avec son ami l’écrivain Jean-Jacques Schuhl, il avait élaboré une compétition, à celui qui resterait le plus d’années sans rien faire. On pourrait tout aussi bien dire qu’Eustache était proto-punk : le cinéaste avait le souci de l’élégance destroy, le goût arrogant du chaos – la fin du film, c’est quand même ce plan de Veronika sur le point de dégueuler. Eustache est « en noir et contre tout », pour reprendre un des célèbres dialogues du film. La Maman et la Putain, c’est donc presque plus sa fuite de l’époque. Et ce n’est pas pour rien si Alexandre dit qu’il est tombé amoureux des gens la nuit, des échappées, de l’insouciance qu’ils promettent. C’est peut-être cette digression, cet « au-delà » qu’Eustache recherche dans son film puissamment faux, se consumant dans un refuge d’ombre et d’intensité, celui de l’amour fou.

DON JUAN U N

F I L M

D E

S E R G E

B O Z O N

LUNDI 23 MAI

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Cinéma -----> « Les rêves n’ont pas de titre »

PORTFOLIO

ZINEB SEDIRA L’artiste franco-algérienne, qui interroge le cinéma au travers du post-colonialisme et de la mémoire, représente la France à la 59e biennale de Venise avec son installation Les rêves n’ont pas de titre. Elle nous a confié cinq images qui offrent un aperçu de son œuvre passionnante. Entre l’Algérie (le pays d’origine de ses parents), Paris (elle y est née en 1963 et a grandi à Genevilliers), et Londres (où elle vit), les installations de Zineb Sedira saisissent comment la mémoire franco-algérienne voyage. Ainsi, dans sa vidéo Retelling Histories. My mother told me (2003, lire p. 66), où elle évoque la transmission de la guerre en parlant en français tandis que sa mère s’exprime en arabe, ou dans son film MiddleSea (2008), où la mer symbolise l’espace mémoriel commun entre la France et l’Algérie. Sa nouvelle installation protéiforme, Les rêves n’ont pas de titre, s’intéresse à la façon dont ces liens entre la France, l’Italie et l’Algérie sont interrogés par le cinéma. À travers des sculptures, des photos, des atmosphères sonores, des collages, et même une piste de danse, elle y exhume des films des années 1960-1970 qui militaient pour l’émancipation postcoloniale. Est notamment présenté le premier film algérien de l’aprèsindépendance, longtemps disparu et maintenant restauré, Les Mains libres (1964), réalisé par l’Italien Ennio Lorenzini. 1

Capture d’écran du film Les rêves n’ont pas de titre, 2022

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Capture d’écran du film Les rêves n’ont pas de titre, 2022

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Zineb Sedira et ses commissaires Yasmina Reggad, Sam Bardaouil et Till Fellrath dans un des décors du film Les rêves n’ont pas de titre, au pavillon français de la 59 e biennale de Venise

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Décor du film Les rêves n’ont pas de titre, 2022, dans le pavillon français de la 59 e biennale de Venise

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Zineb Sedira dans les décors du remake de La Bataille d’Alger pour son film Les rêves n’ont pas de titre, au pavillon français de la 59 e biennale de Venise

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jusqu’au 27 novembre au pavillon français de la 59e biennale de Venise QUENTIN GROSSET

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Cinéma -----> « Don Juan »

© Sabine Villiard

JEUX DE MIROIR

TAHAR RAHIM C’est un Tahar Rahim à vif et chantant que l’on rencontre dans Don Juan de Serge Bozon. Il incarne une nouvelle version du célèbre coureur, qui devient un comédien blessé, toqué d’une femme (Virginie Efira) qu’il voit partout. Dans cet exaltant traité de l’acteur, il est question de croisements inattendus entre la vie et la scène. L’occasion pour nous de l’interroger sur comment il danse lui-même entre l’une et l’autre.

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Le Don Juan de Serge Bozon est acteur. Qu’est-ce que ça vous inspire, cette interprétation du mythe ? Le Don Juan classique correspond à une vision masculine aujourd’hui dépassée. Là, je me suis dit que c’était un acteur qui entrait en confusion avec son personnage. Quand il regarde les femmes, il joue. Mais il se perd dans son jeu et il plaque un seul visage sur tous les autres, celui de Julie, la femme qu’il aimait et qui l’a abandonné. Il ne voit plus qu’elle. Au début du film, Don Juan se regarde dans le miroir. Pour vous, à quoi pense-t-il à ce moment-là ? Il pense à elle, au fait qu’il abandonne son caractère de Don Juan. Cette scène est importante, car elle raconte le largage de l’idée qu’on se faisait de Don Juan. Quelle relation avez-vous avec le miroir ? Dans la vraie vie, je m’en tape un peu, ça me sert juste de reflet pour me préparer. Si je réponds métaphoriquement, quand je me regarde dans la glace, je vois les personnages que j’ai traversés. Je les abandonne très vite après avoir terminé avec eux, je les

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oublie même, mais je pense qu’ils laissent quand même une petite trace à l’intérieur. Ils me transforment, me rendent plus instruit et parfois plus intelligent. Ce qu’ils m’apportent surtout, c’est de l’indulgence. Quand on doit se faire l’avocat du diable, défendre des personnages dans des situations où on n’aurait jamais mis un orteil, on réfléchit à leur comportement. Comment en sont-ils arrivés là ? Justement, dans le film, Don Juan raconte son métier d’acteur à des étudiants. Il leur dit qu’il n’est là ni pour juger ni pour défendre un personnage. Un des élèves lui répond alors : « Tu lui cherches des excuses. » Je pense que le gamin dit juste la vérité. On doit trouver des excuses à des personnages pour les rendre aimables, attachants, même détestables. « Juger », non ; « défendre », plus j’avance, plus je me dis que ce n’est pas le bon mot, mais je l’ai utilisé pendant longtemps. Il s’agit plutôt d’épouser un personnage. Quand on tombe amoureux d’un personnage, on a envie de le porter, de rentrer en fusion avec lui. Mais, par exemple, Charles Sobhraj, le tueur en série que vous avez joué dans la

minisérie Le Serpent, comment lui trouver des excuses ? Là, je ne pouvais pas lui en trouver, très clairement. Je me suis rappelé le gamin qu’il a été. Attention, je ne fais pas l’apologie d’un serial killer. Ce que je veux dire, c’est qu’à la base il a été un enfant comme tous les autres. Il a été rejeté par son père, maltraité par sa mère. Moi, j’ai des enfants tout petits, je vois à quel point on est malléables à ces âges. Quand je repense à ce gamin qui devait pleurer seul dans son lit, je me dis qu’un cœur a existé. Et j’ai profondément de la peine pour cet enfant, pour ce mec, jusqu’au moment où il passe de l’autre côté. Vous chantiez déjà dans la série de Damien Chazelle, The Eddy. Les deux expériences étaient-elles comparables ? Sur The Eddy, je chantais une sorte de jazz bluesy, le rythme reposait sur d’autres codes. Sur Don Juan, c’était comme si, sur un chant, la note allait contre celle d’avant. Il y avait des contrepieds très compliqués. Mehdi Zannad [qui a composé la B.O. avec Benjamin Esdraffo et Laurent Talon, ndlr] était très exigeant. Le fait qu’il ne me lâche pas sur des détails, ça fait que je poussais pour


« Don Juan » <----- Cinéma

être au niveau tout le temps. Et tout était en direct ! Ce qui nous a sauvés, c’est que les chansons étaient la continuité des scènes qu’on était en train de jouer. Don Juan dit qu’une bonne manière de connaître quelqu’un, c’est par la musique. Vous, vous citeriez quels morceaux pour faire votre autoportrait ? En ce moment, je n’écoute pas beaucoup de musique. Mais, à un moment, j’ai vachement écouté un album de Quincy Jones sur lequel il joue de la trompette. Je n’avais jamais réalisé à quel point c’était un grand trompettiste. Il y a des périodes où j’aime écouter de la musique sans paroles, ça me fait plus voyager, ça m’oriente moins vers une direction, un sentiment. C’est pour ça que j’écoute beaucoup de musiques de films, le thème d’Interstellar composé par Hans Zimmer, je peux l’écouter pendant des heures. Sinon, j’adore tout ce qui vient de la Motown, j’aime beaucoup ce que fait Orelsan, Kanye West quand il ne vrille pas, Jay-Z, toujours au top, Kendrick Lamar… Et le seul artiste contemporain qui arrive à me faire pleurer, c’est Grand Corps Malade. Il a des mots qui me frappent tout de suite à l’intérieur. Dans une scène, le personnage incarné par le chanteur Alain Chamfort, qui joue le père d’une ex de Don Juan disparue, donne sa propre définition de l’acteur : « impudique », « égocentrique » et « joueur ». Pour vous, ce serait quoi ? « Joueur », je prends ! « Égocentrique », on garde la racine ? Je dirais plutôt « un ego bien placé », car je pense sincèrement qu’on ne peut pas être sans ego. Et « impudique », je le remplace très certainement par « généreux ». Julie quitte Don Juan parce qu’il pose son regard sur une autre femme le jour de leur mariage. Comment avez-vous composé ce regard ? Ce regard est bizarre, on est d’accords ? Serge a fait monter un reflet lumineux dans mon œil. Il m’a aussi dit qu’il voulait un truc un peu menaçant, un peu étrange, avec du désir, et que ce ne soit pas tout à fait moi. OK ! Comment ça s’appelle, ce truc-là ? Du coup, je me suis abandonné. Avec Serge,

pas disparaître, j’ai un travail à faire. Quand il y a de la rigidité en face, c’est beaucoup moins agréable, on te gâche un peu la fête, mais il faut faire avec. Aujourd’hui, plus rien ne me fait peur : sur un tournage, j’ai même joué face au vide. Mon partenaire, un enfant, n’était pas là la moitié du temps. On tournait à certains horaires, et puis il partait, alors je jouais tout seul ! Dernièrement, vous avez appris de certains de vos partenaires ? Oui, avec Joaquin Phoenix [au moment de l’entretien, il terminait avec l’acteur américain le tournage de Napoléon, le prochain film de Ridley Scott, dans lequel il joue Paul Barras, ndlr]. Il s’est autorisé à tordre le texte, à improviser à chaque prise des choses cohérentes avec son personnage mais qui déforment complètement la structure d’une scène. C’est déstabilisant, mais, au lieu de le prendre comme une agression, je l’ai pris comme une invitation. Ça m’a appris à travailler autrement. Le soir, je me demandais de quelles manières, en partant du scénario écrit, il pouvait improviser. J’imaginais les différentes façons et je me créais des nouvelles réponses. Si lui inventait et réécrivait, alors moi aussi ! J’ai pu me rendre compte de ce qu’était l’improvisation préparée. Don Juan dit à Julie qu’elle joue mieux que lui. Parfois, pensez-vous à cette question du « mieux » ou du « moins bien » ? Ça, tu peux y penser quand tu vois le film. La première fois que tu te vois, c’est compliqué, et ce n’est pas très objectif en vérité. La deuxième fois, ça l’est plus, et en général ça se passe bien. Après, quand tu vois un acteur qui a la grâce, qui dépasse le truc, c’est tout, c’est comme ça. Il y a des rôles qui aident à ça, aussi. Mais, sur le terrain, quand quelqu’un joue vachement bien en face, qu’il est surprenant, moi ça me motive, je me dis que je vais pouvoir aller chercher un truc auquel ni moi ni le réalisateur n’avaient pensé. J’aime beaucoup réinventer une scène. À un moment, il est dit que Don Juan regarde les gens pour s’imaginer dans leur tête. Faites-vous ça parfois aussi ? Oui, ça m’arrive. Moins qu’avant, parce que c’était une obsession. Je me disais que j’al-

« On doit trouver des excuses à des personnages pour les rendre attachants. » quand il avait ce qu’il voulait, je lui proposais autre chose : cette prise, ça s’appelle la freestyle. Comme j’ai plusieurs prises d’expérience, je peux aller ailleurs. Votres personnage répète une scène avec une partenaire qui n’arrive plus à continuer parce qu’elle le trouve trop rigide. Ça vous est déjà arrivé, de tels blocages ? Je n’aime pas jouer contre mes partenaires, mais parfois certains jouent contre moi. Quand c’est le cas, alors allons-y. Je ne peux

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lais apprendre comme ça. Or, il y a plein de façons de se laisser remplir par le monde. Quand je vois quelqu’un qui est un peu triste, je me demande ce qu’il a traversé. Tu vois, parfois, ces gens qui sont seuls à une terrasse, avec le visage un peu défait… Je regarde leur tenue, leur style, leur façon de tenir leur tasse de café. Je me demande : comment ils ont pensé ce geste ? c’est lié à leur éducation ? Ça me plaît d’étudier leur manière de s’habiller, d’imaginer d’où ils viennent, comme pour travailler mon instrument.

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Sur les plateaux, une heure avant la prise, comment vous préparez-vous ? Si c’est une scène d’émotion, je me concentre, j’essaye de vivre les choses un peu en amont, de faire monter jusqu’à être tout au bord, pour pouvoir tout lâcher sur le tournage. Si j’ai de grands pavés à mémoriser, je récite un peu mon texte, je bois un café. Et, dix minutes avant, je ne pense plus à rien. C’est comme avant un examen, si tu te mets à réviser à la dernière minute, ça va juste tout déranger. Là, sur le tournage du dernier Ridley Scott, il faut être super frais, car il ne fait que deux prises. Et vous n’écoutez jamais de musique sur les tournages ? Avant, beaucoup, pour me mettre dans certains états. J’avais besoin de ça, quand je faisais mes classes au théâtre, quand je faisais mes premiers films. Mais je me suis dit que ça allait devenir un handicap, je commen-

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çais à avoir besoin de quelque chose. Du coup, je me concentre sur mon corps, je vais beaucoup marcher, respirer, parfois faire des pompes. Il ne doit y avoir aucun élément extérieur pour venir t’aider à rechercher ou à créer un sentiment. Il faut que, dans toutes les situations, tu puisses faire ton travail. Au début, pareil, quand il y avait beaucoup de monde derrière la caméra, en vrai ça me dérangeait, mais je me suis dit que je devais me former à ce qu’autant de gens me regardent. Don Juan de Serge Bozon, ARP Sélection (1 h 40), sortie le 23 mai

PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

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Tahar Rahim © Jean-Louis Fernandez

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Virginie Efira et Tahar Rahim © Les Films Pelléas

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Cinéma -----> « Les Ovnis du cinéma camerounais »

PORTFOLIO

OVNIS DU CINÉMA CAMEROUNAIS À travers un cycle gratuit de six films, le musée du quai Branly offre de découvrir toute l’originalité et la puissance du cinéma camerounais, des années 1970 à aujourd’hui. À l’origine de cette programmation, dans laquelle figure notamment son vertigineux long métrage Les Saignantes, le cinéaste camerounais Jean-Pierre Bekolo. Depuis son premier long métrage, Quartier Mozart, primé au Festival de Cannes en 1992, il pose un regard personnel sur la société camerounaise, tout en déconstruisant et inversant les représentations et les stéréotypes sur l’Afrique. D’un infatigable militantisme, il livre un cinéma marqué par une liberté technique et de création, une irrévérence et un désir d’expérimentation. Autant de facettes qui se reflètent dans la sélection de films camerounais qu’il a concoctée pour le quai Branly : « Le Cameroun est un peu un ovni en Afrique, et il produit, selon moi, une création différente, très originale. » Il commente pour nous quelques photogrammes et affiches. 1

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Affiche du film Bikutsi Water Blues. L’eau de misère (1988) de Jean-Marie Teno « Bikutsi Water Blues est une œuvre assez extraordinaire. Alors qu’il est monteur en France et commence à travailler sur ses premiers films, Jean-Marie Teno vient au Cameroun, au départ pour un projet sur l’eau en Afrique. Là, il rencontre un phénomène musical inédit que sont Les Têtes brûlées [groupe célèbre dans les années 1980-1990 qui a modernisé le bikutsi, une musique traditionnelle camerounaise, et qui a notamment été immortalisé dans le film de Claire Denis Man No Run en 1989, ndlr]. Il reconstruit son film, grâce à son talent de monteur, entre l’eau et la musique. » Photogramme du film Les Saignantes (2005) de Jean-Pierre Bekolo « Pour moi, Les Saignantes devait soit créer un nouveau cinéma, soit tuer le cinéma. J’ai voulu questionner les genres : comment faire un film d’anticipation [l’intrigue se déroule en 2025, ndlr] dans un pays qui n’a pas d’avenir ? comment faire un film d’horreur là où la mort est une fête ? comment faire un film policier dans un pays où l’on ne peut pas enquêter ? Le film essaie d’embrasser les genres cinématographiques classiques, mais cela s’avère chaque fois impossible. Alors il suit sa propre voie. » Sango Malo (1991) de Bassek Ba Kobhio « Bassek Ba Kobhio était un professeur de lycée qui est devenu écrivain, puis sous-

directeur du cinéma au ministère de la Culture. Il adaptait ici son roman Sango Malo. Le maître du canton, qui questionne l’idée d’un enseignement théorique contre un enseignement pratique en Afrique. Le fait qu’il ne soit pas cinéaste et le choix de ce sujet très pratique lui ont permis de concocter un film qui, pour moi, ne ressemblait à aucun autre jusque-là. Avec Sango Malo, il a tenté d’inventer un cinéma qui, tissant des liens avec l’écriture, pourrait être utile. » 4

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Arlette Din Beli (Ndomé) et David Endene (Ngando) dans Muna moto (1975) de JeanPierre Dikongué-Pipa « Dans Muna moto, Jean-Pierre DikonguéPipa raconte une histoire de mariage et de traditions. La monteuse française Andrée Davanture, que je surnomme “la belle-mère du cinéma africain”, a monté le film. C’est elle qui créera Atria, une association qui va accueillir des centaines de cinéastes et produire finalement presque tout le cinéma africain des années 1970-1980. Le montage est tellement original que, quelque part, il fait de ce film un ovni. Muna moto, c’est donc l’histoire de la naissance d’une écriture nouvelle, d’un cinéma et d’une rencontre entre Andrée Davanture et la cinématographie africaine. » Photogramme du court métrage collectif Foumbam Is Wakanda (2022) « En voyant le film américain Black Panther, qui raconte l’histoire d’Africains dans un royaume imaginaire, beaucoup de choses nous ont semblé un peu obsolètes. Le film imagine une écriture pour l’Afrique alors que la culture Bamoun, au Cameroun, avait par exemple déjà inventé un alphabet. Avec Foumbam Is Wakanda, on a voulu dire ce qui, dans Black Panther, ne relevait pas du futur mais plutôt du passé. Notre court métrage collectif n’est qu’un avant-goût d’un projet multidimensionnel qui réunit des cinéastes, des artistes, des architectes, des plasticiens, des curateurs et des enseignants désireux de mieux explorer le futur de l’Afrique. » Asientos (1995) de François Woukoache « François Woukoache est, pour moi, l’un des meilleurs cinéastes de notre époque. Asientos est un film tourné au Sénégal, qui nous mène, nous les Africains, vers des questionnements sur l’esclavage. Il explore de manière très stylisée un sujet très intime, plutôt traité habituellement par les Afro-Américains et les Caribéens – voilà pourquoi ce film est pour moi un ovni. C’est une œuvre majeure extrêmement bien construite et réalisée. »

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« Les Ovnis du cinéma camerounais », du 13 au 15 mai au musée du quai Branly – Jacques Chirac, gratuit

LÉTHICIA O. NGOU-MILAMA 5

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« Les Ovnis du cinéma camerounais » <----- Cinéma

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Cinéma -----> « Le Cinéma français émois et moi »

C TS

« De la musique avant toute chose / Et pour cela préfère l’impair / Plus vague et plus soluble dans l’air / Sans rien en lui qui pèse ou qui pose »

« C’est sur ce balancement qu’il faudrait s’arrêter : singulier instant où la spiritualité répudie la morale, où le bonheur naît de l’absence d’espoir, où l’esprit trouve sa raison dans le corps. »

Verlaine, Art poétique (1874)

Albert Camus, Noces (1938)

« Cette phrase ouvre mon autobiographie. J’aime beaucoup la poésie, la musique aussi, capitale pour moi. Quand la Seconde Guerre mondiale a eu lieu, et qu’elle nous a obligés à quitter Toulon, ça a été un cocon. J’aimais tout autant Fréhel que Bach, qui me faisaient ressentir une plénitude. Avant de tourner Corps à cœur [sorti en 1979, le film part de la rencontre entre un homme et une femme lors d’un concert du Requiem de Gabriel Fauré, ndlr], j’écoutais tout le temps Fauré. J’ai acheté les disques et, quand je suis tombé sur son Requiem [qui date de 1887, ndlr], j’ai senti une communication entre les vivants et les morts, qui m’a beaucoup guidé pour écrire. »

« Avant de fonder la société de production Diagonale en 1976, j’avais rencontré Cécile Clairval-Milhaud, avec qui j’ai fait Albert Camus, un documentaire assez costaud tourné en Algérie. J’étais un peu réticent au départ, parce que je déteste L’Étranger. Mais, quand j’ai lu La Chute, je me suis rendu compte que c’était un immense écrivain. J’ai ensuite lu toutes ses nouvelles, et surtout son manifeste, Le Mythe de Sisyphe, dans lequel il écrit : “Le seul problème qui se pose à l’homme, c’est le suicide.” Mais, dans la phrase de lui que vous citez, je ne suis pas d’accord avec cette idée que “le bonheur naît de l’absence d’espoir”. Au contraire, le bonheur naît de l’espoir. “Singulier instant où la spiritualité répudie la morale” : ça, c’est bien ! C’est vrai qu’il y a une coïncidence entre ce qu’on nous a appris – parce que la morale, ce n’est rien d’autre – et ce qu’on fait de ce qu’on nous a appris. »

© D. R.

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É S S I O R

PAUL VECCHIALI De sa vocation, née en voyant « Je préfère transposer, idéaliser le réel. » jouer Danielle Darrieux, Jacques Demy, Le Monde, 4 mars 1961 à son sublime et audacieux Once More, sorti en 1988, « C’est une phrase magnifique, qui ressemble tout à fait à Jacques, et qui peut par instants le cinéaste, écrivain et me correspondre. Vous avez peut-être enproducteur français Paul tendu parler du Studio Parnasse [salle ouverte Vecchiali (Femmes femmes, en 1930 sous le nom de Studio Paris, puis rachetée en 1976 par le groupe mk2, qui édite C’est la vie…), 92 ans, se ce magazine, pour devenir le mk2 Parnasse, raconte dans une passionnante ndlr]. Ça a été la chose la plus importante de ma vie. Jean-Louis Chéray [à partir de la fin et imposante autobiographie, des années 1940, il a été le directeur du stuLe Cinéma français émois dio, ndlr] a été pour moi bien plus important et moi, où transparaissent qu’Henri Langlois ! Grâce à lui, on vivait le cinéma. C’est ce studio qui m’a fait comprendre autant son indépendance que je pouvais faire des films. Il avait projeté que sa quête de sentiment. Lola, et c’est comme ça que j’ai rencontré Agnès Varda et Jacques Demy. On a parlé L’infatigable réalisateur du film, il m’a donné sa carte de visite, et on a aussi signé en avril dernier ne s’est plus jamais quittés. Une phrase que un film lyrique et indocile, Jacques m’avait dite et que j’aime beaucoup : “On doit être les seuls au monde à aimer à Pas… de quartier. On lui a la fois Darrieux et Bresson.” Qu’est-ce qui me soumis des citations d’artistes sépare de Jacques ? C’est la préméditation. Moi, je ne prémédite pas, je vais au feeling. qui l’ont accompagné et qui On ne faisait pas du tout le même cinéma, révèlent toute sa sensibilité. mais on avait la même volonté du sentiment. » 38

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« Le ciel était si étoilé, le ciel était si clair que, lorsque vous leviez les yeux vers lui, vous ne pouviez, sans même le vouloir, que vous demander : est-il possible que, sous un ciel pareil, vivent toutes sortes de gens méchants et capricieux ? » Fiodor Dostoïevski, Les Nuits blanches (1848)

« J’ai vu coup sur coup les deux adaptations de Robert Bresson et Luchino Visconti, qui sont admirables, mais je n’ai pas tout à fait retrouvé dans le texte ce que j’avais trouvé dans les films. Puis j’ai lu Les Carnets du sous-sol de Dostoïevski et j’ai eu un sentiment particulier de la nuit, à la fois poétique et périlleuse. C’est de là qu’est venue ma volonté de faire Nuits blanches sur la jetée [sorti en 2014, ndlr]. »

« J’ai été une star ! Ce qui ne veut absolument rien dire. Je suis comme les oiseaux, ce qui m’est tombé dessus, je l’ai pris, sans le refuser ni faire des pieds et des mains pour l’obtenir. » Danielle Darrieux, Elle no 2964, 21 octobre 2002

« Cette citation lui ressemble beaucoup. Danielle était quelqu’un d’extrêmement humble, qui quelquefois me disait : “Pourquoi ça m’est arrivé à moi ? Je n’ai rien fait pour.” Elle a quand même eu des rôles sublimes. Elle avait ce mélange d’innocence et d’immense professionnalisme. En 2002, le critique JeanFrançois Rauger a demandé que je fasse une rétrospective à la Cinémathèque française. J’ai d’abord refusé violemment, avant d’accepter. J’avais invité Danielle à la projection du dernier film, En haut des marches [sorti en 1983, l’actrice y joue une institutrice qui revient vivre à Toulon quinze ans après la guerre, ndlr], elle m’avait dit : “Oh, tu sais, je n’aime pas trop ce genre d’événement, la foule… Mais j’ai tellement envie de revoir ton film que je vais venir.” Dix minutes avant la fin du film, elle était en larmes. C’est difficile, quand on a une femme qui représente tout pour vous, de se dire qu’on peut représenter quelque chose pour elle. Il y a une forme d’impudence. Je n’ai compris que tardivement que je comptais pour elle. Trois jours avant sa mort [en 2017, ndlr], elle m’a appelé et m’a chanté “Il n’y a pas d’amour heureux”. »

« Tout est grâce. » Réplique finale de Claude Laydu dans Journal d’un curé de campagne de Robert Bresson (1951)

« Le cinéma moderne a trois piliers : Le Mépris de Jean-Luc Godard, Muriel ou le Temps d’un retour d’Alain Resnais, et Pickpocket de Robert Bresson. Bresson est capital pour moi. Pickpocket, c’est un film que j’ai été voir quatre cents fois. Effectivement, “tout est grâce”. Mais j’ai malheureusement des expériences un peu contradictoires… Je crois vraiment que j’étais fait pour ce métier, mais que ce métier n’était pas fait pour moi. J’ai écrit cette autobiographie en me disant que ça pouvait servir à des gens. Ma bisexualité, mon rapport à l’anarchisme, à la guerre, à l’honnêteté, toutes ces choses qui me paraissent importantes et auxquelles on ne fait pas trop allusion. Il y a dans ce travail quelque chose qui peut aider les gens à vivre, j’espère. »


« Le Cinéma français émois et moi » <----- Cinéma

« Je n’accepte pas de tourner n’importe quoi, n’importe comment. Je suis exigeant. Je veux pouvoir recommencer une scène aussi souvent que je le jugerai nécessaire, et faire reconstruire trois fois le même décor s’il ne me convient pas. »

reprise de la Quinzaine des Réalisateurs

« Alors là je suis emmerdé, parce que Jacques Feyder [réalisateur à qui l’on doit L’Atlantide, sorti en 1921, ou Le Grand Jeu, sorti en 1934, ndlr] est un de mes cinéastes préférés… Mais l’idée de créer me donne des boutons : on ne crée rien du tout, on amasse, c’est tout. Après, dire que le cinéma n’est pas un jeu frivole, je suis bien d’accord. Faire un film, c’est une aventure effrayante, c’est assumer soi-même jusqu’au bout les périples risqués de ses créatures. Avec Corps à cœur, que j’ai fait sur neuf mois, sans argent, j’ai ressenti ça. Après de nombreux problèmes, j’avais d’ailleurs montré une scène à Jacques Demy, qui était bouleversé. Lui me montrait son film tourné au Japon, Lady Oscar. Il m’avait dit qu’il ne voulait plus rien voir avant que le film soit terminé. Il m’a dit cette chose qui m’a fait un peu de peine : “Tu dois me trouver bizarre avec ma confiserie.” Sur Trous de mémoire aussi [dans ce film sorti en 1984, Paul Vecchiali incarne un homme qui donne rendez-vous à son ex, incarnée par Françoise Lebrun, pour tenter de la reconquérir, ndlr], j’ai eu peur. L’idée était de faire un film en un jour, pas cher, en improvisation totale, entre moi et Françoise Lebrun. Évidemment, j’avais un peu les chocottes, mais jamais le jour du tournage. Je viens de le revoir d’ailleurs, parce qu’on m’a envoyé un DVD. J’en suis content. » Le Cinéma français émois et moi (Approches et Accomplissements) de Paul Vecchiali (Libre & Solidaire, 800 p., 35 € | 496 p., 30 €)

54e édition 16 * 26 juin 2022 forumdesimages.fr quinzaine-realisateurs.com

PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE LEROY ET QUENTIN GROSSET

Design graphique": ABM Studio – Visuel": affiche de la Quinzaine des Réalisateurs © Blue Flight – Cecilia Paredes (photo) et Mich Welfringer (design)

Jacques Feyder, La Revue du cinéma no 12, 1930

© United Press International ; © Collection Christophel ; © Agnès Varda – Ciné-Tamaris ; © Collection Christophel

mai 2022 – no 188

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Cinéma -----> L’archive de Rosalie Varda

© Laurent Laborie

CANNES, LE PLUS GRAND FESTIVAL DU MONDE, ET MA PETITE AGNÈS

JR, Rosalie Varda, Matthieu Chedid et Agnès Varda

Chaque mois, pour TROISCOULEURS, Rosalie Varda nous raconte ses souvenirs liés à ses parents, les cinéastes Agnès Varda et Jacques Demy. Ce mois-ci : l’ovation faite à l’équipe de Visages villages, coréalisé par Agnès Varda et JR, après sa projection hors Compétition au Festival de Cannes, en 2017. Le Festival de Cannes 2017, cela a bien sûr commencé par une sélection officielle. On avait tellement travaillé pour soumettre Visages villages à Thierry Frémaux dans les temps. J’étais à Ibiza pour quatre jours pour reprendre des forces, anxieuse, comme tous les producteurs dans cette situation, dans l’attente de sa réponse. Le mercredi 12 avril 2017, dans un café envahi par le bruit d’un match de foot à la télé, j’étais totalement hypnotisée par les cris des supporteurs. Vers 23 heures, je vois mon portable sonner : c’est lui ! Je sors du café. Il entend les supporteurs et me demande quel

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match je regarde… je ne sais plus… Ouf ! on est sélectionnés ! hors Compétition, car c’est le cas de tous les documentaires à Cannes. Je me suis sentie aussi épuisée que si j’étais un des joueurs de foot après le match. Le Festival arrive… quelle journée ! quelle soirée ! Agnès, dans la voiture officielle avec JR, le prévient : « Tu vas voir, c’est impressionnant, cette salle de cinéma. Et puis le public, il est vivant, il est là, avec ou sans toi. » Ce tapis rouge qui fait tant rêver… Tous les photographes appellent Agnès, si fragile, avec tant de tendresse… Je sens sa main qui tremble. Ces escaliers qu’elle doit monter, ils sont hauts, ils sont beaux. Je me rends compte que l’on s’est habillées pareil (et je me dis que c’est idiot qu’on n’y ait même pas vraiment réfléchi !) – avec des fleurs, une tenue un peu hippie. Pas des robes du soir. J’ai même un sac à main que je porte tous les jours… Pas coiffée… J’étais tellement inquiète pour elle, pour l’équipe… La salle l’ovationne, une chaleur humaine, une communion nous envahit. Tous ces gens applaudissent une cinéaste libre, une femme extraordinaire par sa curiosité des autres, une artiste qui chaque fois nous étonne, la seule à avoir reçu les plus grandes récompenses du cinéma : un César d’honneur, une Palme d’honneur, et bientôt un Oscar d’honneur, qui lui sera remis en novembre 2017. Ils n’ap-

no 188 – mai 2022

plaudissent pas JR ni nous… Elle tremble, me regarde. Je lui dis : « C’est pour toi ; c’est pour ton travail. » Je suis fière d’elle, et fière d’avoir été à ses côtés toutes ces dernières années, avec notre équipe fidèle de Ciné-Tamaris. 2 300 personnes s’apprêtent à regarder un documentaire commencé comme un court métrage, une expérience avec son malicieux complice JR et avec Matthieu Chedid comme compositeur. C’est impressionnant. À la fin, les applaudissements sont si forts, si chaleureux. Mon frère, Mathieu, et JR l’entourent, l’embrassent. Elle m’embrasse, me dit merci et s’assied, se cache le visage. Ses larmes coulent. Et moi, en écrivant ces mots, je pleure. Agnès aimait dire : « Les souvenirs sont comme des bulles qui remontent. ». Mon Dieu, que les bulles remontent ! C’est du champagne ! Ou c’est comme ces petites bouteilles avec de l’eau savonneuse pour faire des bulles qui explosent dans l’air ! Mon premier Festival de Cannes, c’était en 1977. Jacques Demy était membre du jury. Roberto Rossellini présidait la cérémonie. Les frères Taviani ont gagné la Palme. Je me souviens des soirées au Blue Bar, juste à côté de l’ancien Palais des festivals. Mon deuxième, c’était après la mort de Jacques, en 1991, avec un hommage que je ne me rappelle plus tellement je pleurais, avec la projection de Jacquot de Nantes, et ses ac-

trices sur scène pour le saluer. Nous voilà en 2000, avec Les Glaneurs et la Glaneuse, documentaire d’Agnès – hors Compétition donc. Notre Agnès, pimpante, fait une jolie leçon de cinéma avec ce jouet d’enfant qui l’accompagne, un petit oiseau qui sifflote quand elle s’arrête… Toujours cette fantaisie qui permet de ne pas se prendre trop au sérieux. 2001 : je commence à travailler pour le Festival de Cannes, une belle aventure qui a duré dix-huit ans. Le 25 mai 2016, Agnès reçoit sa Palme d’honneur. Son discours est si percutant, sur la diversité du cinéma et l’importance du cinéma d’auteur. Je me souviens des techniciens en coulisses, émus aux larmes, et de Thierry, si heureux. Le 15 mai 2018, pendant la montée des marches des quatre-vingt-deux femmes, Cate Blanchett et Ava DuVernay entourent Agnès, que l’on ne voit pas car elle est trop petite ! On en rit longtemps ensemble. En 2019, Agnès venait de nous quitter. Viggo Mortensen parle d’elle dans son discours lors de la cérémonie de clôture. Je ne m’y attendais pas du tout ! Je me suis mise à sangloter, alors que j’avais réussi à ne pas pleurer devant l’affiche du Festival sur laquelle je la voyais partout depuis mon arrivée… J’ai vécu toute ma vie avec le plus grand festival du monde, quelle chance ! Viva il cinema et bonne 75e édition ! • ROSALIE VARDA


2021

AU CINÉMA LE 25 MAI


Cinéma -----> Sorties du 11 mai au 8 juin

A P A M É N I C S IE

T R O S ES

D E D I U G E L

BIRDS OF AMERICA SORTIE LE 25 MAI

Le premier long métrage du cinéaste français Jacques Lœuille n’est pas juste la biographie d’un artiste et naturaliste du XIXe siècle, Jean-Jacques Audubon. Il prend surtout le virage d’un film engagé, qui scrute le ciel américain où les milliers d’oiseaux ont cédé la place à une intense pollution atmosphérique.

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Sous une fausse identité, Jean-Jacques Audubon a gagné les États-Unis au début du XIXe siècle pour fuir les campagnes napoléoniennes. Sans un sou, le jeune naturaliste français a parcouru la Louisiane pour observer et dessiner des centaines de spécimens d’oiseaux, toujours à la recherche des espèces les plus rares. La beauté fulgurante de ses dessins, regroupés dans de pléthoriques cahiers disloqués au fil du temps, tient à ce que, contrairement aux conventions naturalistes, Audubon représente les oiseaux en action et à taille réelle. Dans sa chasse obsessionnelle, il répertorie, à l’orée de la ruée vers l’Ouest, la richesse du ciel américain avant la révolution industrielle. Sous forme d’une lettre au « premier ornithologue du Nouveau Monde »,

no 188 – mai 2022

Birds of America fait dialoguer cette figure matricielle qui prédisait déjà les extinctions de masse avec d’ultérieurs discours de résistance face à l’impérialisme des pionniers. « Si je ne fais pas ça maintenant, personne ne verra plus jamais ces êtres », affirmait par exemple George Catlin qui, au XVIIIe siècle, peignit la tribu indigène des Osages, pressentant que le gouvernement américain allait décimer les populations indiennes. Film de fantômes, Birds of America est hanté par les spectres des espèces animales ou indigènes disparues sous l’avancée galopante de la colonisation. De la source au delta du Mississippi, Lœuille reprend de nos jours le parcours du naturaliste, en se demandant ce qui est advenu des populations qui n’avaient pas les faveurs

d’un gouvernement avide de modernité industrielle. Les yeux tournés vers le ciel, le cinéaste ne voit plus d’oiseaux, mais cherche les signes d’une pollution atmosphérique qui touche au premier chef les populations noires de La Nouvelle-Orléans, sacrifiées, comme jadis les esclaves cueilleurs de coton, à ce que ces victimes dénoncent comme un « racisme écologique ». Birds of America de Jacques Lœuille, KMBO (1 h 24), sortie le 25 mai

RAPHAËLLE PIREYRE


AR

AU CINÉMA LE 15 JUIN


Cinéma -----> Sorties du 11 mai au 8 juin

L’ÉTE NUCLÉAIRE SORTIE LE 11 MAI

Dans un premier long métrage de fiction aux allures de thriller crépusculaire, Gaël Lépingle dépeint la jeunesse à l’heure d’une menace nucléaire invisible et donne à Shaïn Boumedine un rôle de grande amplitude. Victor, vingtenaire à la vie rangée, profite d’un footing en solitaire lorsqu’il croise ses amis au bord d’une route de campagne. Un accident vient d’avoir lieu dans la centrale nucléaire qui se dresse non loin : les voilà contraints de se confiner dans une ferme proche. Alors qu’ils se préparent à l’arrivée du nuage radioactif, doutes et espoirs émergent… S’il touche par moments au film de genre, option anticipation, L’Été nucléaire s’attache surtout à étudier les réactions de jeunes gens confrontés à une situation de crise aussi inédite que toxique. Comment, lorsque surgit la perspective d’une poten-

tielle contamination et, pire, d’un décès, les rapports entre les membres d’un groupe se redessinent-ils ?… Doublement récompensé au FID pour ses deux premiers films, Julien (2010) et Seuls les pirates (2018), Gaël Lépingle travaille autant la matière fictionnelle que documentaire, et utilise ici le huis clos comme un véritable laboratoire des effrois et des passions. À ce film parcouru d’émotions brutes, capturées à la volée, l’énigmatique Shaïn Boumedine (lire p. 8) apporte une aura aussi sensuelle que fantomatique. Comme si Victor, son personnage, se faisait l’ange annonciateur du chaos intime qui s’opère au sortir de l’adolescence et renverse toutes les certitudes. L’Été nucléaire de Gaël Lépingle, Le Pacte (1 h 25), sortie le 11 mai

LAURA PERTUY

Shaïn Boumedine apporte une aura aussi sensuelle que fantomatique à ce film parcouru d’émotions brutes. LA CHANCE SOURIT À MADAME NIKUKO SORTIE LE 8 JUIN

Après Les Enfants de la mer, le Japonais Ayumu Watanabe signe un deuxième long métrage d’animation détonnant sur une mère célibataire obèse et joviale. Il y déploie un sens aigu du rythme comique et une magnifique direction artistique. Dans une boutique surannée, un vieil homme fait glisser son couteau sous la couenne d’une énorme pièce de viande, découvrant la chair crue. De celle-ci jaillit alors une forme bibendumesque qui se transforme en femme. C’est elle, la madame Nikuko du titre ; et la voilà,

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grosse, bruyante et extravertie, qui lance l’une des blagues potaches dont elle raffole… Tout le projet de l’animé japonais est résumé dans cette séquence d’ouverture : d’un côté, la finesse du dessin, la beauté des lumières rasantes et la richesse des détails du décor ; de l’autre, un sens du burlesque résolument assumé, qui confère au film toute son originalité. Aussi prompte à engloutir la nourriture qu’à faire confiance à des hommes qui ne le méritent pas, madame Nikuko va de ville en ville avec sa fille, Kikurin, jusqu’à atterrir dans un petit port de pêche à flanc de montagne. La première y trouve un emploi, la seconde une amie, puis un mystérieux garçon. La chance sourit à Madame Nikuko raconte l’amour filial et le passage à l’âge adulte, mais aussi, par ses références (Mon voisin Totoro) et son penchant pour le cartoon, une société japonaise qui ne laisse que peu de place à la beauté des gens hors norme.

La chance sourit à Madame Nikuko d’Ayumu Watanabe, Eurozoom (1 h 37), sortie le 8 juin

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MARGAUX BARALON


L’É <---- Cinéma Sorties du 11 maiCau IN8 juin

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MAMAN ET LA PUTAIN UN FILM DE JEAN EUSTACHE mai 2022AU – n 188CINÉMA LE 8 JUIN o

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Cinéma -----> Sorties du 11 mai au 8 juin

UTAMA. LA TERRE OUBLIÉE SORTIE LE 11 MAI

Le Bolivien Alejandro Loayza Grisi a choisi les paysages impressionnants de l’Altiplano pour tourner son premier film. Il y superpose le portrait intime et touchant d’un couple de Quechuas âgés dont l’élevage de lamas est menacé par la sécheresse. Un homme seul marche sur la terre brune et craquelée en direction d’un soleil rasant qui semble devoir l’engloutir tout entier. L’image pourrait s’échapper d’un western de Sergio Leone, mais elle ouvre en réalité le premier film du Bolivien Alejandro Loayza Grisi, Utama. La terre oubliée. Cet homme, c’est Virginio, vieil éleveur de lamas, dont la respiration difficile rythme le film comme

un avertissement. Avec sa femme, Sisa, ils font partie des derniers Quechuas qui vivent encore sur les hauts plateaux de la cordillère des Andes. Le village le plus proche se dépeuple au fur et à mesure que la sécheresse gagne du terrain et que les heures de marche pour trouver un point d’eau s’accumulent. Mais Virginio, lui, n’en démord pas. C’est ici qu’il a vécu et ici qu’il finira, qu’importe cette mauvaise toux qui le coupe en deux et les suppliques de Clever, son petitfils, venu le convaincre de partir à la ville. Alejandro Loayza Grisi filme avec une sobriété délicate la fin de ce bout du monde éclipsé par la modernité, le changement climatique et l’oubli. Car, dans la bicoque de ses grands-parents sans eau courante, Clever ne dépare pas seulement par le port permanent de ses AirPods. Il est aussi de cette génération qui n’attrape plus qu’un mot de quechua sur dix et ignore les traditions de ses ancêtres. Le réalisateur évite les facilités qui auraient pu donner à sa fiction des

airs de grande leçon – Clever est loin d’être un jeune écervelé, alors que l’obstination de Virginio tend à l’égoïsme –, pour se concentrer sur l’idée de faire du cinéma. Dans des cadres sublimés par les grands-angles et les couleurs éclatantes de sa directrice de la photographie, Bárbara Álvarez, il s’accroche aux détails. Un pas moins assuré, un geste sec pour repousser un petit-fils et le nouveau monde qu’il incarne, une tête posée par un vieil homme sur les genoux de sa compagne de toujours. Derrière la chronique d’un monde au bord de l’extinction apparaît alors celle d’un éternel amour. Utama. La terre oubliée d’Alejandro Loayza Grisi, Condor (1 h 28), sortie le 11 mai

MARGAUX BARALON

Trois questions À ALEJANDRO LOAYZA GRISI Vous étiez photographe au départ, comment êtes-vous passé au cinéma ? J’ai travaillé comme directeur de la photographie et assistant réalisateur avec mon père, lui-même cinéaste. J’ai aussi aidé un ami qui écrivait un scénario. Tout cela m’a donné une idée assez précise de la pression qu’a un réalisateur, mais aussi du plaisir que peut représenter le fait de prendre toutes les décisions : placer la caméra à tel endroit, tourner telle scène après telle autre.

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no 188 – mai 2022

Pourquoi avoir choisi de tourner dans l’Altiplano bolivien, la région des hauts plateaux ? Je connais bien cette région, parce qu’elle est proche de la ville dans laquelle je vis et que j’y ai beaucoup voyagé pour faire des documentaires. En tant que Boliviens, nous nous posons beaucoup de questions sur nos identités, puisque notre pays est très diversifié, culturellement. Cela m’a amené à explorer une histoire d’amour chez les Quechuas.

Comment avez-vous travaillé avec vos deux acteurs principaux, qui ne sont pas des professionnels ? J’ai rencontré José Calcina et Luisa Quispe devant leur maison en faisant des repérages. Leur neveu les a convaincus de faire le film. Ils étaient très impliqués. On a répété pendant deux mois et ils connaissaient le scénario par cœur. Santos Choque, qui joue Clever, les a aussi aidés à se sentir à l’aise. Je voulais qu’ils ne soient pas stressés et qu’ils prennent du plaisir, et cela s’est révélé très amusant.


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LE 8 JUIN AU CINÉMA

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Cinéma -----> Sorties du 11 mai au 8 juin

THE NORTHMAN SORTIE LE 11 MAI

Nouveau chantre des rêves funestes et de l’horreur pomponnée, l’Américain Robert Eggers (The Witch, The Lighthouse) étoffe sa collection de cauchemars avec cet impressionnant récit de vengeance : un troisième film comme une transe nocturne et animale au pays des Vikings. Après un retour aux sources du conte macabre (The Witch, 2015), écho des perversions religieuses dans les bois hantés de la Nouvelle-Angleterre, puis une relecture de la folie lovecraftienne dans un phare abandonné au bout du monde (The Lighthouse, 2019), voici pour Eggers le moment d’explorer l’abîme des mythes nordiques. La figure de la sorcière, celle du marin égaré ou celle du guerrier maudit par les dieux : quelles que soient les racines du trouble, il y a toujours chez le cinéaste le même

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désir de sonder la légende avant d’écrire ses propres fictions, visions sophistiquées et difformes nées d’un socle de croyances communes. En bon artisan des illusions, respectueux du folklore, le réalisateur de The Northman signe cette fois une sorte d’hommage à la culture viking, tout en s’inspirant fortement de l’intrigue de Hamlet. Situé quelque part entre l’œuvre de Shakespeare, le jeu vidéo d’action God of War (2018) et l’éternel vivier des tragédies familiales, ce film hanté par le deuil donne tout d’abord l’impression de verser dans le kitsch, avant que sa folle énergie nous emporte sans plus relâcher son étreinte jusqu’à un épilogue dantesque. Ultime passe d’armes au sein d’un purgatoire bouillant de fureur, cette issue programmée évacue le tropplein d’énergie du héros, contraint dès le début à l’exil (Alexander Skarsgård, habité par ce rôle de colosse brisé). Au Xe siècle, Amleth, jeune prince naïf, se voit en effet privé de père et de couronne par la main assassine de son oncle, et il n’aura de cesse de sculpter son corps d’adulte pour satisfaire sa vengeance. Quitte à se faire passer pour un esclave, aux côtés d’une autre infortunée (l’impeccable Anya Taylor-Joy), et à

voguer après plusieurs années d’attente vers l’île de son oncle abhorré, devenu fermier et nouveau compagnon de sa mère… C’est là, dans la majesté des décors d’Irlande du Nord, peu à peu frappé par de saisissants effets numériques, que The Northman projette sa magie noire à vive allure, au rythme des tambours et des mirages qui assaillent des condamnés à mort qui s’ignorent. Dans son film le plus spectaculaire, Robert Eggers ne néglige en rien l’ambition formelle de ses précédentes expériences, et laisse ici le chagrin et la rage se propager telle une épidémie de mauvais rêves. Autant d’esprits hallucinés et comme maîtres d’une longue nuit sans sommeil que ni les torches disposées le long du campement ni les divinités guidant l’orphelin en plein jour ne semblent pouvoir éclairer. The Northman de Robert Eggers, Universal Pictures (2 h 17), sortie le 11 mai

OLIVIER MARLAS

no 188 – mai 2022

Trois questions Votre représentation de l’âge viking est-elle fidèle ? Elle est aussi réaliste que possible. J’ai eu la chance de travailler avec les meilleurs historiens. Les seules sources historiques sont les tombes et les écrits qui datent de deux cents ans après la période des Vikings, donc il faut les utiliser avec du recul. Si un Viking voyait le film, il se dirait peut-être « c’est bizarre, ils portent tous des vêtements funéraires ». Au début, une prophétie annonce tout le déroulé du récit. Pourquoi ? Le destin était un élément majeur de la culture viking. Dans les romans médiévaux, aussi, il y a des enchanteurs qui délivrent des prophéties. Moi, ça m’exalte. Au milieu de la pièce Vue du pont d’Arthur Miller, un

À ROBERT EGGERS narrateur extérieur raconte la fin. En tant que lecteur ou que spectateur, ça me rend impatient de la découvrir. Comment avez-vous pensé l’esthétique des plans nocturnes ? Jarin Blaschke, mon chef opérateur, voulait que la nuit soit éclatante. Il voyage beaucoup, et il dit que, dans le désert, la lumière de la Lune et des étoiles suffit à illuminer les alentours. Sur le tournage, on avait un ciel encore plus clair que celui qu’il avait imaginé, il avait l’air presque faux. C’est là qu’on s’est mis d’accord pour avoir cette image argentée, presque noire et blanche, pendant les scènes de nuit. • PROPOS RECUEILLIS PAR LUCIE LEGER


UN FILM DE FABIENNE BERTHAUD

LE 11 MAI


Cinéma -----> Sorties du 11 mai au 8 juin

KARNAWAL SORTIE LE 11 MAI

Dans Karnawal, un jeune danseur de malambo se trouve empêché dans sa vocation d’artiste par les frasques de son père, un ancien détenu qui revient dans sa vie… Ce premier long métrage de l’Argentin Juan Pablo Félix est un récit vif et attachant sur l’incommunicabilité. On songe un peu au beau À bout de course (1988) de Sydney Lumet en voyant Karnawal. Dans les deux films, des gamins se retrouvent pris dans la cavale et les combines de leurs parents. Ici, cette fuite a lieu à la frontière entre l’Argentine et la Bolivie, pendant le carnaval andin, théâtre de l’inversion des rôles et, pour les héros, d’un renversement des responsabilités entre adultes et enfants. Alors que le jeune Cabra se pré-

pare pour une compétition de malambo, danse masculine originaire de la Pampa, son père, el Corto, voleur de grand chemin qu’il connaît peu, se manifeste soudain. Vivant avec sa mère et son beau-père, l’ado introverti est entraîné malgré lui dans un des coups de son paternel, et celui-ci risque de lui faire rater son concours… Cette incommunicabilité, Juan Pablo Félix la capte dans des paysages où père et fils sont filmés à distance, qu’elle soit réelle ou métaphorique : l’habitacle anxiogène d’une voiture traquée, un canyon comme dans les duels de western, l’effervescence et la désorientation du carnaval. Mais cet éloignement sera comblé lorsque Cabra exprimera sa colère rentrée à travers une danse sèche et emportée. Karnawal de Juan Pablo Félix, Bodega Films (1 h 37), sortie le 11 mai

QUENTIN GROSSET

L’ado introverti est entraîné malgré lui dans un des coups de son paternel. UN VISA POUR LA LIBERTÉ. MR GAY SYRIA SORTIE LE 11 MAI

À travers ce documentaire bouleversant et politique, la Turque Ayşe Toprak s’intéresse à l’organisation (et aux conséquences) du premier concours de beauté réservé aux hommes gays de Syrie – à des années-lumière de Geneviève de Fontenay et Jean-Pierre Foucault. « La seule image des Syriens gays, c’est celle donnée par Daech. » Pour les organisateurs du concours Mr Gay Syria, il s’agit avant tout d’offrir enfin un porte-parole à une communauté gay absolument invisible, contrainte de se réunir clandestinement par peur des

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agressions homophobes en tout genre. Mais leur ambition ne s’arrête pas là : l’heureux élu aura en effet l’occasion d’être le premier à représenter son pays au concours mondial, organisé à Malte… voire d’obtenir un visa lui permettant d’aller s’installer en Allemagne, sous des cieux plus cléments. Husein et Mahmoud, qui ont dû s’exiler en Turquie pour préserver leur vie, font partie des candidats… La réalisatrice turque Ayşe Toprak suit ce périple de part en part, dépeignant un véritable groupuscule de résistants pour lequel chaque paillette est politique. Ce qui bouleverse, c’est l’infinie tristesse que tentent de dissimuler les nombreux héros du film sous les sourires de façade et les artifices. Loin d’être une success story, Un visa pour la liberté. Mr Gay Syria déchire le cœur : il montre que la liberté d’aimer et celle de se déplacer sont des denrées rares, pour lesquels tout une vie ne suffit parfois pas à se battre.

Un visa pour la liberté. Mr Gay Syria d’Ayşe Toprak, Outplay (1 h 28), sortie le 11 mai

no 188 – mai 2022

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AU CINÉMA LE 8 JUIN


Cinéma -----> Sorties du 11 mai au 8 juin

TRANCHÉES SORTIE LE 11 MAI

Avant que la guerre en Ukraine ne touche le reste du pays, le journaliste et documentariste Loup Bureau s’est immergé, durant trois mois, en 2020, dans les tranchées du Donbass pour livrer ce précieux témoignage sur l’enlisement d’un conflit en forme de bombe à retardement. Du noir et blanc, un format serré, des mouvements de caméra le long des fossés et une tension palpable : il en faut peu pour faire résonner les images de Tranchées avec celles des Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick. Un siècle sépare pourtant les deux conflits, celui de la Grande Guerre et celui du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, mais le parallèle est évident. Trop, peut-être. Le cachet quasi rétro que Loup Bureau donne à ses images

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d’actualité sonne en effet plutôt comme une mise en garde : alors que les séparatistes prorusses se cachent de l’autre côté du noman’s land, comment une telle guerre peutelle durer à l’époque où les drones et les missiles ont remplacé les forces armées sur le terrain ? Ce questionnement traverse les scènes que capte Bureau et qu’il nimbe d’un voile mortifère et anachronique : ce que l’on voit semble venir d’un autre temps, soldats y compris, comme lors de cette séquence de reconstruction, à la tombée de la nuit, pendant laquelle les combattants apparaissent en ombres chinoises, comme des spectres piégés entre ciel et terre. Les séquences d’affrontement ressemblent également à des westerns, à ces films crépusculaires dans lesquels les silhouettes adverses se tapissent dans le hors-champ, au-delà des plaines et des collines. Les conversations entre soldats ont alors pour office de réinscrire, à intervalles réguliers, cet étrange affrontement dans une actualité plus immédiate, en contrepoint de la tonalité élégiaque des scènes d’attente ou de conflit : s’y déploient les doutes et la lassitude de jeunes gens tiraillés entre le devoir de se battre et le désir

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d’une vie paisible (on les voit, à un moment, regarder des mèmes Internet en écoutant les ordres d’un confrère). C’est aussi l’horizon du dernier segment du film, qui troque le noir et blanc pour des tonalités plus vives, au moment où les soldats retrouvent la société civile et le monde des vivants. Le regard de Loup Bureau nous guide dans cette direction, sans doute pour nous rappeler que, s’il en faut peu aux fantômes pour remonter à la surface et sortir des tranchées, il en faut encore moins au spectre de la guerre pour revenir hanter le présent. Une hypothèse hé-

las confirmée depuis l’achèvement du film en 2021, quelques mois seulement avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Tranchées de Loup Bureau, Les Alchimistes (1 h 25), sortie le 11 mai

CORENTIN LÊ

Il en faut peu aux fantômes pour remonter à la surface et sortir des tranchées.


CONCERTS À LA BASILIQUE DE SAINT-DENIS & À LA LÉGION D’HONNEUR

DU

31 MAI 3 JUILLET AU

2022

avec

BIRDS ON A WIRE, LE BALCON / MAXIME PASCAL, PRETTY YENDE, IBRAHIM MAALOUF, MC SOLAAR, MYUNG-WHUN CHUNG, ADÈLE CHARVET, STÉPHANE DEGOUT, CAPPELLA MEDITERRANEA / LEONARDO GARCÍA ALARCÓN, JODIE DEVOS, GAUTIER CAPUÇON, MAHLER CHAMBER ORCHESTRA / DANIEL HARDING, ALINA IBRAGIMOVA, ALEXANDRE KANTOROW, JOHANNA MALANGRÉ, ALEXANDRE BLOCH, LIYA PETROVA, SIR SIMON RATTLE LE CONCERT DE LA LOGE / JULIEN CHAUVIN, EVA ZAÏCIK, JEAN-PAUL GASPARIAN, MAGDALENA KOŽENÁ... du 31 mai au 3 juillet 2022. Programme complet sur festival-saint-denis.com MOINS DE 28 ANS ? Profitez du pass jeune ! 3 concerts au choix pour 40€. Plus d’informations auprès de la billetterie au 01 48 13 06 07.

INFO/RÉSA : 01 48 13 06 07 FESTIVAL-SAINT-DENIS.COM

Licence entrepreneur de spectacles No 2 : PLATESV-R-2020-005271, No 3 : PLATESV-R-2020-005367 Visuel 2022 : Hartland Villa • Réalisation graphique : Festival de Saint-Denis

RENDEZ-VOUS DÈS LE 31 MAI !


Cinéma -----> Sorties du 11 mai au 8 juin

ÉVOLUTION SORTIE LE 18 MAI

Le grand cinéaste hongrois Kornél Mundruczó (White God) signe pour la première fois un film avec son épouse, Kata Wéber, coproduit par Martin Scorsese, qui, en trois plans-séquences époustouflants, tire les fils d’une réflexion sur l’identité juive et le poids de l’histoire. Un hangar désaffecté. Un silence de mort. Des hommes hagards. L’un d’eux tire une matière étonnante de la tuyauterie rouillée ; des cheveux, encore des cheveux. Tout droit sorties de notre mémoire collective, les images du Nuit et brouillard d’Alain Resnais (1956) reviennent en tête. À l’intérieur, les hommes déroulent cet étrange fil d’Ariane à mesure qu’ils dévoilent le refoulé d’une guerre qui vient de s’achever. Tournée en plan-séquence, la scène abasourdit par sa puissance d’évocation. C’est qu’on est face

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à une pure vision de cinéma ; entre poésie surréaliste et immersion documentaire, l’horreur surgit comme au premier jour. On doit ce tour de force à Kornél Mundruczó et Kata Wéber ; lui a réalisé plusieurs longs métrages, elle fut sa coscénariste sur White God (2014), La Lune de Jupiter (2017) et Pieces of a Woman (2020). Ce dernier film s’ouvrait d’ailleurs par un plan-séquence lors d’un accouchement. Passé maître en la matière, Mundruczó explore ce procédé sous toutes les coutures et dans une veine étonnamment intimiste. Dans le premier segment, il s’agit de nous faire endurer un processus de dévoilement. Dans le deuxième, il s’agit de nous faire entendre le récit d’une rescapée. La fascination opère cette fois-ci à l’échelle d’un dialogue entre une femme et sa vieille mère, jamais reconnue comme juive faute de documents officiels. Sa seule preuve tient à la transmission orale, et, à la manière des films de Claude Lanzmann, la voici qui raconte les souvenirs de sa mère avant elle. Évolution montre une identité juive fondée sur ce mode de transmission et qui tient moins à un statut qu’à un héritage mémoriel hors du commun ; héritage rêvé, fantasmé, figuré par

no 188 – mai 2022

les cinéastes en deux temps superbement articulés et chargés en symbolique. La troisième partie est plus belle encore : à travers l’errance d’un ado berlinois aux prises avec son identité, elle pose la question du poids des traumatismes dans une Europe en pleine réinvention culturelle ; et place un espoir inouï dans une génération qui serait enfin délestée de ses démons, figurée par une escapade amoureuse en forme d’horizon consolant.

Évolution de Kornél Mundruczó et Kata Wéber, Dulac (1 h 37), sortie le 18 mai

DAVID EZAN

Entre poésie surréaliste et immersion documentaire, l’horreur surgit comme au premier jour.


“ E N T R E T R A D I T I O N S D I S PA RU E S ET C O N F L I T D E S G É N É R AT I O N S, U N E S P L E N D E U R V I S U E L L E . M AG N I F I QU E . ” P OS I T I F

UN FILM DE ALEJANDRO LOAYZA GRISI

AU CINÉMA LE 11 MAI

Création : Kévin Rau / TROÏKA

GRAND PRIX


Cinéma -----> Sorties du 11 mai au 8 juin

CLARA SOLA SORTIE LE 1ER JUIN

Explorant notre rapport inaliénable à la nature, Nathalie Álvarez Mesén signe un premier film bouillonnant. S’y déploie le magnétisme de Wendy Chinchilla Araya dont le visage renvoie toute la beauté des éléments alentour. Atteinte d’une déformation à la hanche et présentée par sa mère comme dotée de pouvoirs guérisseurs, Clara vit dans une ferme costaricaine isolée, en altitude. Confrontée à l’émergence de son désir comme à une emprise maternelle infantilisante, cette quadragénaire s’engage dans une furieuse révolte… Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs l’an dernier, Clara Sola interroge d’entrée de jeu le positionnement d’un certain curseur de la normalité. En épousant chacun des ressentis de sa protagoniste, le film donne libre

champ au monde sensoriel et flirte avec le réalisme magique. Car, à son handicap physique, Clara (campée par l’incandescente Wendy Chinchilla Araya) oppose une pureté d’esprit qui semble mystique tant elle a désormais quitté le cœur des hommes. La réalisatrice suédo-costaricaine Nathalie Álvarez Mesén – déjà saluée d’un Prix du meilleur court métrage à Venise en 2020 – exp(l)ose les diktats sexistes, souvent dérivés de croyances religieuses, qui gangrènent encore le Costa Rica, et alerte sur l’urgence d’un grand réveil écologique. Son premier long métrage célèbre un univers de l’invisible dans lequel priment nos « forêts intérieures », tout comme un lien repensé au vivant. Clara Sola de Nathalie Álvarez Mesén, Épicentre Films (1 h 46), sortie le 1er juin

LAURA PERTUY

Confrontée à l’émergence de son désir, cette quadragénaire s’engage dans une furieuse révolte.

LA RUCHE SORTIE LE 1ER JUIN

Dans ce premier long métrage, la Kosovare Blerta Basholli filme les conflits intérieurs qui déchirent une femme en voie d’émancipation et raconte, en creux, les meurtrissures de son État natal depuis la guerre de 1998-1999. Depuis la fin de la guerre du Kosovo, sept ans plus tôt, Fahrije est présumée veuve et doit subvenir aux besoins de sa famille. Elle devient le centre des ragots du village quand elle commence à conduire une voiture et à vendre de l’ajvar (un plat traditionnel) avec les autres veuves. Son beaupère lui répète sans cesse : « Ce que tu fais affecte toute la famille, en bien comme en

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mal. » Ce déchirement entre nécessité et déshonneur, mais aussi entre deuil et libération, suivra Fahrije tout au long du film, s’incarnant jusque dans son corps, qu’elle habite de façon si particulière. La réalisatrice filme une femme large et puissante mais comme compressée, tassée. Dans de gros plans qui détaillent pores, rides et sueur, on ne peut que contempler la dualité du visage de Fahrije au travail, impénétrable et pourtant si doux. C’est qu’elle doit assumer désormais tous les rôles, notamment en s’occupant seule des ruches de son mari, même si elle se fait piquer chaque fois, par manque de calme. Ce motif, récurrent dans le film, nous fait comprendre toute la complexité de son statut : son émancipation est une nécessité douloureuse, adoucie uniquement quand elle est entourée des autres femmes, les abeilles au milieu desquelles elle trône en reine.

La Ruche de Blerta Basholli, ASC (1 h 23), sortie le 1er juin

no 188 – mai 2022

LUCIE LEGER


Sorties du 11 mai au 8 juin <---- Cinéma

SUIS-MOI JE TE FUIS/ FUIS-MOI JE TE SUIS

OUTPLAY FILMS PRÉSENTE

“UN DOCUMENTAIRE

SORTIE LES 11 MAI ET 18 MAI

BOULEVERSANT ET POLITIQUE”

Dans son diptyque Suis-moi je te fuis (sortie le 11 mai)/ Fuis-moi je te suis (le 18 mai), le Japonais Kōji Fukada mêle film noir et drame romantique en interrogeant les fantasmes portés par ces deux genres de cinéma. Une réflexion vertigineuse sur la façon dont la vie se pare de fiction. Chez Kōji Fukada, il y a souvent ce motif du mystérieux inconnu qui s’introduit dans la vie d’un groupe, révèle à celui-ci une part insoupçonnée de lui-même, et bouleverse la dynamique de ses relations. Dans Hospitalité (2010) et Harmonium (2017), c’étaient des familles que le cinéaste se plaisait à bousculer par de telles intrusions. Alors que dans Le Soupir des

vagues (2019), presque à la frontière du fantastique, l’irruption d’un personnage mutique aux étranges pouvoirs venait plutôt confronter une communauté au deuil et à la mémoire d’un tsunami. Dans son diptyque Suis-moi je te fuis/Fuis-moi je te suis, Fukada use à nouveau de ce canevas : cette fois, c’est un archétype de cinéma, la « femme fatale », qui vient chambouler la vie quotidienne d’un employé de bureau. Dans Suis-moi je te fuis, Tsuji sauve la vie d’Ukiyo sur un passage à niveau. Il découvre qu’elle est criblée de dettes. À partir de là, elle se rappelle sans cesse à lui, alors qu’il cherche à se concentrer sur sa carrière. Au téléphone, des voix énigmatiques lui demandent de rembourser d’énormes sommes pour son compte à elle, ce qu’il fait. Puis ce sont des yakuzas qui le convoquent, intrigués par cette aide qu’il apporte à une femme qui leur pose problème. Enfin, on découvre qu’elle est poursuivie par un mari qui la séquestrait… Cet enchaînement de complications intrigue fortement Tsuji, d’autant que, chaque fois qu’il vient à la

rescousse d’Ukiyo, elle disparaît dans la nature… Petit à petit, il tombe amoureux. Ce cliché de la femme dangereuse et insaisissable, propre au film noir et aussi au regard masculin, Fukada a la volonté de le complexifier dans la deuxième partie, Fuis-moi je te suis. Le cinéaste, en adoptant davantage le point de vue d’Ukiyo tandis que cette fois Tsuji se dérobe, cherche justement à écarter ce mystère, cette fascination. Pour lui, le sujet, c’est justement comment elle ne se laisse pas catégoriser par ce regard. Son histoire n’est pas un fantasme, elle est réelle et tragique. À travers l’attitude de Tsuji envers Ukiyo, c’est donc bien notre propre regard que questionne Fukada – notamment avec de nombreux zooms venant sonder des plans d’ensemble, manifestant notre incertitude, notre état d’indécision par rapport aux motivations du jeune homme. Aide-t-il Ukiyo de manière totalement désintéressée ? Ou, à ses dépens, court-il après l’aventure, après une vie plus excitante que celle qu’il mène ? (Il s’occupe de la maintenance des stocks dans une société de jouets, comme un symbole de cette tension entre morosité de son poste et attrait du jeu.) Fukada nous demande alors : à quoi aspire-t-on quand on cherche nous-mêmes ce chaos dans nos vies ? Suis-moi je te fuis/Fuis-moi je te fuis de Kōji Fukada, Art House (1 h 49 et 2 h 04), sortie les 11 mai et 18 mai

QUENTIN GROSSET

mai 2022 – no 188

UN FILM DE

AYSE TOPRAK

LE 11 MAI AU CINÉMA 57


Cinéma -----> Sorties du 11 mai au 8 juin

COMPÉTITION OFFICIELLE SORTIE LE 1ER JUIN

Penelope Cruz et Antonio Banderas brillent dans cette mise en abyme assumée. En manipulant habilement autodérision et clichés, les Espagnols Mariano Cohn et Gastón Duprat célèbrent un cinéma en majesté. Pour réaliser le film qui raflera toutes les récompenses, un riche mécène engage Lola Cuevas (royale Penélope Cruz) et la charge de diriger les deux meilleurs acteurs d’Espagne. Sur fond de pluie battante et de musique sensationnelle, le visage de la réalisatrice trône au centre d’un gros plan pendant qu’elle raconte l’intrigue à son bienfaiteur, bouleversé, une coupe de glace en main… En se moquant de cette mise en scène dramatique trop facile, Mariano Cohn et Gastón Duprat, les réalisateurs, donnent le ton : ils veulent qu’on reste de leur côté, critiques et attentifs. Quand

Cuevas exige de ses acteurs des nuances d’émotions impossibles, quand elle tapisse une pièce de micros pour entendre le bruit d’un baiser, on se délecte de la palette de jeu d’Antonio Banderas, ici starlette méprisante, et du travail sur le son, qui place le spectateur en point de vue subjectif. Mais c’est dans la joute d’ego entre les trois personnages que le film démontre son intelligence : les acteurs restent arrogants ; la réalisatrice, tyrannique. On ne cherche pas à les humaniser, plutôt à montrer le cinéma comme un monde parallèle qui transforme les individus en narcisses modernes, mais dans lequel l’art passe, pour une fois, avant tout le reste. Compétition officielle de Mariano Cohn et Gastón Duprat, Wild Bunch (1 h 54), sortie le 1er juin

LUCIE LEGER

On se délecte de la palette de jeu d’Antonio Banderas, ici starlette méprisante, et du travail sur le son. MIZRAHIM LES OUBLIÉS DE LA TERRE PROMISE SORTIE LE 8 JUIN

Dans ce road trip sur les traces de son père, Michale Boganim restitue le destin sacrifié des Juifs orientaux, les mizrahim, sur les terres d’Israël. Un documentaire qui narre une histoire des villes et des périphéries aussi bouleversante que révoltante. Ils avaient un rêve qui s’appelait Jérusalem. Dans les années 1960, de nombreux Juifs d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient cédèrent à l’appel de la Terre promise, espérant une vie meilleure en Israël. Mais, à défaut de mur des Lamentations, ils ne trouvèrent que sable et désillusions. Relégués dans le désert

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de Néguev, ces mizrahim, comme on les a appelés, ont surtout servi de main-d’œuvre pour le développement de villes périphériques à peine sorties du sol, quand les Juifs venus d’Europe étaient traités bien différemment. Ce n’était que le début de nombreuses discriminations et violences que la réalisatrice Michale Boganim expose dans son documentaire. Elle rencontre plusieurs générations de mizrahim dans un road trip intime qui revient sur le parcours de son père, l’un de ces expatriés déçus, de son arrivée sur la Terre promise à son exil en banlieue parisienne, en passant par sa lutte politique, sur le modèle des Black Panthers, pour faire reconnaître les droits des mizrahim en Israël. Sous la forme d’une lettre didactique à sa fille, elle propose une réflexion puissante et universelle sur ces périphéries délaissées où la cohésion sociale est la victime directe de politiques d’exclusion aussi arbitraires que dangereuses.

Mizrahim. Les oubliés de la Terre promise de Michale Boganim, Dulac (1 h 33), sortie le 8 juin

no 188 – mai 2022

PERRINE QUENNESSON



Cinéma -----> Sorties du 11 mai au 8 juin

PETITE FLEUR SORTIE LE 8 JUIN

Avec cette étonnante comédie fantastique tournant autour de la routine amoureuse et de la condition d’étranger en France, le cinéaste argentin Santiago Mitre réussit une savoureuse œuvre jazzy dans laquelle Melvil Poupaud et Vimala Pons s’en donnent à cœur joie. Dessinateur argentin installé en France, José (Daniel Hendler) vit avec sa compagne, Lucie (Vimala Pons), et leur bébé, mais se sent déraciné dans ce pays dont il parle mal la langue. Quand il fait la rencontre de son voisin Jean-Claude (Melvil Poupaud, lire p. 28),

un dandy fan de jazz, José est pris d’une pulsion et le tue. Mais il est loin de se douter que Jean-Claude va ressusciter le lendemain et que va se mettre en place une étrange routine où José tuera chaque semaine son voisin consentant… Adaptée d’un roman de l’Argentin Iosi Havilio et coécrite avec Mariano Llinás (réalisateur de La flor), cette comédie fantastique permet à Santiago Mitre – réalisateur de Paulina et d’El presidente – de mêler la chronique amoureuse et le thriller surnaturel pour dépeindre avec originalité la routine du couple et l’aliénation sociale. Grâce à sa légèreté jazzy (« Petite fleur », de Sidney Bechet, revient de façon entêtante) et aux amusantes performances de Vimala Pons (en mère à la sexualité perturbée par sa parentalité), de Melvil Poupaud (en sosie de Clark Gable) ou de Sergi López (en thérapeute gourou), cette ode aux fantasmes célèbre joyeusement les vertus de la répétition.

Petite fleur de Santiago Mitre, KMBO (1 h 38), sortie le 8 juin

DAMIEN LEBLANC

VARIETY SORTIE LE 1ER JUIN

Réunissant la crème de l’underground new-yorkais des eighties (la photographe Nan Goldin y apparaît ; l’autrice Kathy Acker a participé à son écriture ; le réalisateur Tom DiCillo en est l’un des chefs opérateurs), le bijou de Bette Gordon sort enfin de l’ombre pour éblouir le public français. Inédit en France (à l’exception d’une projection à Cannes en 1984), le sulfureux Variety nous plonge dans un New York interlope et voyeuriste à travers l’enquête de Christine (fascinante Sandy McLeod), une caissière de cinéma porno qui prend en filature un client. Cette pépite, qui sort enfin dans nos salles françaises, est une entrée idéale dans la filmographie sensuelle et trouble de Bette Gordon (les courts An Algorithm, Empty Suitcases), figure importante du cinéma underground américain. Multipliant les effets

de miroir, les jeux de reflets, le film s’accroche au point de vue d’une héroïne qui se laisse librement mener par ses pulsions scopiques – rappelons que le film a été réalisé quelques années seulement après que la théoricienne britannique Laura Mulvey a inventé le concept de male gaze dans son incontournable essai Visual Pleasure and Narrative Cinema (1973). « Je voulais montrer que le regard peut être à la fois une forme de soumission et de domination […]. Tout est affaire d’interaction, et le porno est un monde de l’image », nous avait confié Bette Gordon lors d’une rencontre au festival Lumière, à Lyon, en octobre dernier (interview complète à lire sur troiscouleurs.fr). À nous, spectateurs, d’être happés par ce monde aux mille regards, que les néons rouges omniprésents rendent encore plus captivant. Variety de Bette Gordon, Les Films du Camélia (1 h 40), sortie le 1er juin

JOSÉPHINE LEROY

« Le regard peut être à la fois une forme de soumission et de domination. » 60

no 188 – mai 2022


& May

conferences

SEE THE SCHEDULE

VENUES:

- Main Stage (Riviera) - Marina Stage (Riviera)

marchedufilm.com mai 2022 – no 188

61


Cinéma -----> Sorties du 11 mai au 8 juin

CALENDRIER DES SORTIES The Northman

de Kōji Fukada

de Charlotte Silvera

Ce plaidoyer contre les armes à feu dresse le portrait d’un marginal (Caleb Landry Jones, Prix d’interprétation à Cannes), auteur de l’une des pires tueries de l’histoire australienne.

Nitram

Évolution

Ad Vitam (1 h 50)

Dulac (1 h 37) lire p. 54

lire p. 57

Dans cette élégante comédie british, un chauffeur de taxi inoffensif devient l’ennemi public numéro un après avoir dérobé un tableau de Goya à la National Gallery.

Shōhei Imamura

Fuis-moi je te suis

The Jokers/Les Bookmakers

Art House (2 h 04) lire p. 57

Pathé (1 h 35) lire p. 4 et 48

L’Été nucléaire de Gaël Lépingle Le Pacte (1 h 25) lire p. 8 et 44

Cœurs vaillants

Le voyage initiatique d’un jeune instituteur urbain dans l’école la plus reculée du Bhoutan questionne avec pédagogie notre rapport à la modernité.

de Pawo Choyning Dorji

Bac Films (1 h 25)

ARP Sélection (1 h 49) lire p. 12

Utama La terre oubliée

Tout en dénonçant l’instrumentalisation de la santé mentale dans un asile au Maroc, le réalisateur raconte l’entraide de femmes marginalisées.

d’Alejandro Loayza Grisi Condor (1 h 28) lire p. 46

Karnawal

Haut et Court (1 h 27)

Gaumont (1 h 31)

Philippe Azoulay fait le portrait de l’infatigable Claude Lelouch en le filmant sur ses plus récents tournages, aux côtés de Jean Dujardin, Johnny Hallyday ou Anouk Aimée.

Premier volet d’une trilogie, cette dystopie japonaise en stop motion interroge avec audace l’avenir de l’humanité à travers la quête d’un homme envoyé sous terre.

Junk Head

Destiny Films (1 h 45)

UFO (1 h 41)

de Ayşe Toprak

Les Folies fermières

MAI

Un visa pour la liberté Mr Gay Syria

de Jean-Pierre Améris Apollo Films (1 h 49)

Outplay (1 h 28)

de Takahide Hori

de Philippe Azoulay

Les Films des Deux Rives (1 h 37) lire p. 50

de Philippe Guillard

Tourner pour vivre

de Mohamed Nadif

Bodega Films (1 h 37)

Eurozoom (1 h 50)

J’adore ce que vous faites

Les Femmes du pavillon J

de Juan Pablo Félix

de Susumu Mitsunaka

Tom

de Fabienne Berthaud

L’École du bout du monde

de Mona Achache

Detective Conan La fiancée de Shibuya

À travers le prisme idéaliste de l’enfance, la réalisatrice déroule une chronique sociale sur le quotidien de Tom et de sa mère (Nadia Tereszkiewicz) qui vivent dans un mobile home.

de Roger Michell

Universal Pictures (2 h 17)

de Kōji Fukada

Rétrospective, trois films

The Duke

de Robert Eggers

de Kornél Mundruczó et Kata Wéber

de Justin Kurzel

Art House (1 h 49)

MAI

Les Acacias/Liberté Films (1 h 25)

lire p. 50

17 20 MAI

MAI

11

Suis-moi je te fuis

18

Lettre à l’enfant que tu nous as donné

Tranchées

Ima

Coupez !

Frère et sœur

Les Alchimistes (1 h 25)

Pathé (1 h 30)

Pan (1 h 57)

Le Pacte (1 h 50)

de Nils Tavernier

de Loup Bureau

lire p. 8 et 24

lire p. 52

62

d’Arnaud Desplechin

de Michel Hazanavicius

no 188 – mai 2022

lire p. 28


Sorties du 11 mai au 8 juin <---- Cinéma

01

MAI

JUIN

L’Anniversaire de Tommy de Michael Ekbladh Gebeka Films (1 h 15) lire p. 12

Clara Sola

La Maman et la Putain

Épicentre Films (1 h 46)

Les Films du Losange (3 h 35)

de Nathalie Álvarez Mesén

de Jean Eustache

lire p. 56

Les Crimes du futur

La Ruche

Metropolitan FilmExport (1 h 47)

ASC (1 h 23)

lire p. 30

La chance sourit à Madame Nikuko

de Blerta Basholli

de David Cronenberg

d’Ayumu Watanabe Eurozoom (1 h 37) lire p. 56

lire p. 26

Birds of America

Compétition officielle

KMBO (1 h 24)

Wild Bunch (1 h 54)

lire p. 44

Mizrahim Les oubliés de la Terre promise

de Mariano Cohn et Gastón Duprat

de Jacques Lœuille

08 de Michale Boganim Dulac (1 h 33)

lire p. 58

lire p. 42

Ça tourne à Saint-Pierre-et-Miquelon de Christian Monnier Destiny Films (1 h 35)

lire p. 58

Variety

Petite fleur

Les Films du Camelia (1 h 40)

KMBO (1 h 38)

de Bette Gordon

de Santiago Mitre

lire p. 60

Les Derniers Jours dans le désert de Rodrigo García Mission (1 h 39)

Sept hommes en pleine crise se retrouvent pour une thérapie « réservée aux hommes », menée par une femme. Une satire sur les stéréotypes liés à la masculinité.

Hommes au bord de la crise de nerfs d’Audrey Dana

Warner Bros. (N. C.)

The Earth Is Blue as an Orange d’Iryna Tsilyk

Juste Doc (1 h 14)

comédie

action

drame

sci-fi

comédie dramatique

thriller

fantastique

aventure

horreur

historique

documentaire

catastrophe

biopic

policier/ enquête

super-héros

buddy movie

psychologie

technologie

musical

luttes sociales

féminisme

voyage/ road trip

western

ressortie

romance

famille

comingof-age

guerre

espionnage

écologie/ nature

animation

enfant

de Ferit Karahan Moonlight Films (1 h 25)

Trois épisodes de la vie d’autant de jeunes adultes de Tel-Aviv, flottant entre émancipation des genres et des sexualités et vacuité des réseaux sociaux.

de Christos Massalas Le Pacte (N. C.)

Orange Studio/UGC (1 h 37)

Universal Pictures (2 h 26)

Anatolia

Broadway

de Clovis Cornillac

de Colin Trevorrow

lire lirep.p.60 60

À Athènes, une danseuse en fugue intègre une bande de pickpockets menée par un tyran. Un parfum d’Almodóvar plane sur ce drame étonnant qui mélange les genres.

C’est magnifique !

Jurassic World Le monde d’après

Cochez les films que vous ne voulez pas manquer

Paramount Pictures (2 h 11)

ARP Sélection (1 h 40)

25

Universal Pictures (N. C.)

de Joseph Kosinski

de Serge Bozon

lire p. 34

de Keith Thomas

Top Gun Maverick

Don Juan

Presque trente ans après Jurassic Park, l’univers créé par Steven Spielberg continue de s’étendre et de sonder les désirs de domination d’humains cohabitant avec les dinosaures.

Firestarter

JUIN

MAI

23

Pilote d’essai virtuose, Maverick forme des jeunes diplômés de l’école Top Gun pour une mission à hauts risques. En pleine nostalgie des nineties, Tom Cruise reprend un de ses rôles culte.

All Eyes Off Me de Hadas Ben Aroya Wayna Pitch (1 h 30)

mai 2022 – no 188

63


19/05

ts i u t a r g

r t n e , s e g a r t é m s t r u co

19/05

02/06 Spécial Cannes

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© Nicolas Auproux

U G LE

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O F E T A L

S E RM

VISITORS SÉRIE

Après la saga Hero Corp, qui a duré dix ans, Simon Astier, tombé dans la SFF (sciencefiction & fantasy) quand il était petit, signe avec Visitors une comédie fantastique réjouissante, multipliant les références aux films et séries qui ont bercé son enfance. Une aventure aux frontières du réel, entre E. T. et X-Files, dont il est le mélancolique héros.

Pointe-Claire, paisible petite ville fictive, voit son quotidien bouleversé par le témoignage d’un fermier caricatural à souhait – il aurait vu deux étranges lumières se percuter dans le ciel. Mais, voilà, la collision n’a vraisemblablement laissé aucune trace… jusqu’à ce que Richard (Simon Astier), ancien patron d’une boutique de jeux vidéo, désormais flic, ne découvre un mystérieux vaisseau spatial. Flanqué de collègues hostiles, d’amis déçus et d’une compagne (Tiphaine Daviot) autoritaire et volage, Richard n’est comme qui dirait pas aidé. Surtout quand le FBI s’en mêle, laissant sous-entendre l’existence d’un complot gouvernemental… Ça vous rappelle X-Files ? Les films de Steven Spielberg ? C’est

mai 2022 – no 188

normal. À quelques encablures du pastiche façon Mais qui a tué Pamela Rose ?, Simon Astier, vieux geek assumé, rend un hommage tendre et drôle à ses premières amours ciné-cathodiques. « J’ai été éduqué par Spielberg. Mes parents n’étaient pas souvent là, donc j’ai grandi avec des films et séries qui m’ont appris à gérer les gens, les choses, mes peines, mes drames. Et quand je vois la naïveté absolue avec laquelle Spielberg construit, par exemple, un monde où les dinosaures sont accessibles… je me dis que c’est ça, le secret : être sincère et ne jamais douter une seconde de l’univers que l’on crée. » Mais Visitors n’aligne pas les références pour le seul plaisir des trente-

naires et quadras biberonnés à la culture pop des années 1980-1990 : la série nous embarque dans une aventure palpitante, servie par une belle brochette de seconds rôles (Grégoire Ludig et David Marsais du Palmashow, Delphine Baril, Vincent Desagnat), un héros touchant et une réalisation léchée. En mélangeant technologies, codes culturels et géographiques, Astier parvient même à nous surprendre et à bousculer nos repères, dans un univers qui semble pourtant familier. « Si j’utilise le genre, c’est sûrement un biais pudique. J’aime qu’une histoire m’emmène dans un monde fantastique – dans tous les sens du terme, c’est-à-dire hors du commun, hors de chez moi. S’il y a de la magie,

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projet pour les autres ou pour toucher une cible marketing, on se perd. Et les spectateurs ne sont pas dupes : ça se voit et ça rompt un lien sincère. On peut transporter les gens où on veut, mais seulement si on le fait avec beaucoup de conviction. » Visitors de Simon Astier, sur Warner TV

NORA BOUAZZOUNI

PRAYERS FOR THE STOLEN FILM

Prayers for the Stolen de Tatiana Huezo, sur Mubi

TRISTAN BROSSAT

© Arte

Documentaire, sur Arte.tv Révélé en 1982 dans Le Labyrinthe des passions d’Almodóvar, Antonio Banderas succombe dix ans plus tard aux sirènes de Hollywood, pour mieux retrouver le Madrilène à partir de 2011. Classique dans la forme mais efficace, ce docu montre comment le cinéaste a projeté ses obsessions sur le beau Latino. • T. B.

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Après plusieurs docus remarqués dénonçant la pauvreté et le climat de violence qui touchent d’autant plus durement les femmes au Mexique, Tatiana Huezo consacre à ces vies empêchées une première fiction particulièrement réussie. Il ne fait pas bon vivre dans les montagnes mexicaines du Guerrero rongées par les cartels, contre lesquels la police semble impuissante – quand elle n’est pas complice. Élevée par sa mère, Ana comprend dès l’enfance qu’elle vivra dans la peur. Celle de devoir se réfugier dans un trou pour échapper aux cartels, de voir ses parentes et amies assassinées ou violées, et d’être obligée de se couper les cheveux pour ressembler à un garçon et éviter d’être enlevée. Ses jeux avec ses deux amies dans les maisons désertées par ceux qui ont choisi l’exil ne sont qu’une fugace échappatoire. Les plans de caméra à hauteur de ses yeux d’enfant nous font ressentir de manière d’autant plus intense la violence des hommes. Contrairement à son père, lâchement parti aux États-Unis, et que sa mère tente désespérément de joindre du haut de la seule colline où le réseau passe, Ana ne veut pas quitter sa terre. Apaisante, la nature

est omniprésente et éveille tous les sens. Pour s’extraire de la violence, Ana n’a d’autre choix que de fermer les yeux, pour mieux écouter les bruits salvateurs de la forêt et des bêtes. Dans la nuit noire, les aboiements d’un chien suffisent à avertir du danger. Et rien de plus efficace pour jouer à deviner à quoi pense sa camarade que de coller sa tête contre la sienne… La caméra légère de Tatiana Huezo tourne autour de ces corps entrelacés pour mieux faire sentir l’importance de cet autre sens qu’est le toucher. Ce contact est aussi une façon pour Ana de se reconnecter à une humanité en laquelle elle a besoin de croire pour grandir sans sombrer. Devenue ado, elle trouvera un peu de réconfort dans les bras d’un garçon, et dans les cours d’un professeur dont la douceur tranche avec la dureté du monde dans lequel elle évolue. Les leçons de ce maître prolongent la dimension animiste du film, lorsqu’il demande à ses élèves de former le corps d’un petit personnage à partir d’objets et de matières. Le film joue habilement avec les éléments. L’eau froide du lac dans lequel plonge Ana n’en est pas moins réconfortante, contrairement au liquide empoisonné largué par des hélicoptères pour détruire les récoltes, brûlant la peau des villageois n’ayant pas eu le temps de s’abriter. Évitant un excès de symboles, Prayers for the Stolen (récompensé d’une mention spéciale dans la section Un certain regard à Cannes l’an dernier) trouve le juste équilibre entre de belles séquences contemplatives et des scènes de grande tension.

© 2021 Home Box Office, Inc. All rights reserved

Les sorties du mois

ANTONIO BANDERAS ET PEDRO ALMODÓVAR. DU DÉSIR AU DOUBLE

© Nicolas Auproux

fans de SFF francophone : Kaamelott (de son demi-frère, Alexandre, dans laquelle il incarne Yvain, le beau-frère du roi Arthur), Hero Corp (cinq saisons diffusées entre 2008 et 2017), Le Visiteur du futur (créée en 2009 par François Descraques et déclinée en long métrage à la rentrée), Mortel (deux saisons sur Netflix, dont il réalise la moitié des épisodes). Un genre longtemps boudé par la télé française, mais revenu en force ces dernières années : Missions, Infiniti, OVNI(s), Ad Vitam, Trepalium… Désormais bankable, la SFF ? « À partir du moment où l’on fait un

WE OWN THIS CITY Série, à partir du 26 avril sur OCS Vingt ans après The Wire, le prolifique duo Simon-Pelecanos (The Deuce, Treme) est de retour à Baltimore, sur fond de manifestations contre les violences policières, pour relater l’histoire vraie d’une unité de police souveraine, éclaboussée par une gigantesque affaire de corruption et d’extorsion. Une série chorale et politique, quasi documentaire. • N. B.

no 188 – mai 2022

© Canal+

un élément hors du réel, ça me permet de voyager beaucoup plus vite. C’est aussi une manière pour moi, quand j’écris, de toucher à l’intime encore plus fort. Comme Hero Corp, Visitors ne parle que de choses qui me traversent : la mélancolie d’une vie qui peut nous échapper parce qu’on se sent redevable, où l’on peut passer complètement à côté de celui ou celle qu’on aime… Mais la porte d’entrée, c’est un spectacle, dans le sens vraiment littéral du terme. J’aime bien quand le truc est spectaculaire. » L’acteur, scénariste et réalisateur est bien connu des

LE FLAMBEAU LES AVENTURIERS DE CHUPACABRA Série, en mai sur Canal+ La Flamme, drôlissime parodie du Bachelor, se paye, pour sa deuxième saison, un autre totem de la téléréalité : Koh-Lanta. Marc (Jonathan Cohen), toujours aussi odieux et crétin, va devoir affronter d’ex-prétendantes (Ana Girardot, Géraldine Nakache) et de nouveaux candidats (Laura Felpin, Mister V). • N. B.


MK2 CURIOSITY FAIT SON CANNES FILM

Pour sa 75 e édition, le Festival de Cannes prend ses quartiers du 19 mai au 2 juin sur mk2 Curiosity. À travers une sélection de films, de bonus et de surprises, partez pour un voyage sans précédent dans l’histoire du plus prestigieux des rendez-vous cinéphiles. Les années 1960 marquent l’ouverture du Festival de Cannes aux formes nouvelles avec notamment, en 1962, la création de la Semaine internationale de la critique. En 1968, Miloš Forman est en sélection officielle avec une satire de la bureaucratie, Au feu, les pompiers !, mais l’édition est interrompue alors que les manifestations étudiantes prennent de l’ampleur. Les années 1970 confirment la volonté du Festival de se faire le relais des contre-cultures. En 1977, le sacre de Padre padrone des frères Taviani, qui adapte l’histoire vraie d’un berger coupé du monde par son père, est source de controverse. Parallèlement, le Festival démontre son impact géopolitique et inaugure la tradition des films surprises de la sélection en récompensant L’Homme de marbre du Polonais Andrzej Wajda. Dans les années 1980, le Festival continue de soutenir la liberté d’expression avec une Palme d’or pour Yol de Yılmaz Güney (une édition fructueuse pour son producteur Marin Karmitz, dont douze films sont en sélection en 1982). Le réalisateur doit se

cacher après une demande d’extradition par la Turquie. Également produit par Marin Karmitz, Mourir à trente ans de Romain Goupil reçoit la Caméra d’or, Prix du meilleur premier long métrage, en 1982. Au début de la décennie 1990, Mazeppa de Bartabas reçoit le Prix de la commission supérieure technique pour son travail sonore. En 1997, Wim Wenders est pour la septième fois sélectionné en Compétition officielle, avec son thriller interrogeant le pouvoir des images The End of Violence. Au tournant du XXIe siècle, le Festival fait plus de place aux jeunes, avec deux nouveaux dispositifs : la Cinéfondation et la Résidence. Pour Michael Haneke, c’est la décennie de la consécration, avec quatre films sélectionnés, dont trois sont primés : La Pianiste, Caché et Le Ruban blanc, Palme d’or en 2009. Le réalisateur autrichien y déploie une réflexion sur l’absurdité de la violence dans nos sociétés contemporaines. En 2012, Xavier Dolan reçoit la Queer Palm, créée deux ans plus tôt, pour Laurence Anyways. La même année, Like Someone in Love, dernier long métrage d’Abbas Kiarostami, compte neuf nominations. Marin Karmitz, qui a produit le film, raconte qu’il a notamment dû vendre une œuvre d’Yves Klein pour le financer. Ces six décennies de cinéma engagé sont à découvrir à travers des raretés sur mk2 Curiosity. rendez-vous sur www.mk2curiosity.com du 19 mai au 2 juin

JULES BRUSSEL

ZINEB SEDIRA À l’occasion de la 59e édition de la biennale de Venise, qui a débuté le 23 avril et s’achève le 27 novembre, mk2 Curiosity a le plaisir de soutenir le pavillon français au travers de l’œuvre de l’artiste Zineb Sedira.

Tracer un territoire, 2016

Entre avril et août, mk2 Curiosity vous propose un ensemble de contenus (dont ses films MiddleSea, 2008, et Tracer un territoire, 2016), entretiens et autres surprises pour explorer une partie de l’œuvre de cette artiste prolifique, qui entretient un lien très intime avec le cinéma. Née à Gennevilliers en 1963, Zineb Sedira (lire p. 32) vit et travaille entre Londres, Paris et Alger. Au travers de la photographie et de la vidéo, sa pratique a emprunté tour à tour au récit autobiographique, à la fiction et au documentaire. Artiste pluridisciplinaire,

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(elle maîtrise la vidéo, la sculpture, la photo, l’installation sonore ou encore le collage), Zineb Sedira a entre autres remarquablement su mettre en lumière le dialogue entre histoire française et mémoire algérienne, et a donné un éclairage intime à des enjeux historiques universels. La collaboration entre individus et pays et la passion du cinéma, qui ont toujours été au cœur de sa pratique, s’incarnent plus que jamais dans son installation pour le pavillon français, intitulé Les rêves n’ont pas de titre. En prenant pour point de départ les liens entre trois centres de production du cinéma engagé en France, en Italie, et en Algérie dans les années 1960 et 1970, l’artiste a mêlé fiction et réalité pour composer un film inédit et une installation cinématographique immersive au cœur du pavillon. • J. B. découvrez jusqu’à fin août une sélection de ses films d’art et d’autres surprises sur www.mk2curiosity.com

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HÉLÈNE CIXOUS À l’heure des urgences politique, climatique, économique et sanitaire, nous avons demandé à l’écrivaine Hélène Cixous, invitée par le mk2 Institut, de répondre à la question « que peut la littérature ? ». Elle nous fait ici l’honneur d’un texte inédit.

Écrivaine et dramaturge de réputation internationale, Hélène Cixous est l’autrice d’une œuvre inclassable qui explore la mémoire familiale, l’exil et l’identité. Grande figure du féminisme en France, elle publie en 1975 Le Rire de la Méduse, devenu un classique mondial des études de genre. Intellectuelle engagée, elle répond, en ces temps troublés, à une question posée en 1964 par des étudiants à quelques écrivains dont Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir ou Jorge Semprun lors d’un débat légendaire à la Mutualité : que peut la littérature ?

« La remarquable bibliothèque de Karaïev m’a ressuscité moralement… » (Varlam Chalamov, Souvenirs de la Kolyma)

JE NE PEUX PAS DONC JE DOIS — « Que peut la littérature ? Réponds ! » me demande-t-on. Aujourd’hui comme chaque fois que le monde verse dans le gouffre, et moi aussi je me le demande. Cette hantise de la réponse fait partie intimement de la vie tourmentée de la Littérature C’est que la littérature ne peut pas, elle sent qu’elle ne peut pas elle ne peut pas et-elle-doit. Elle se doit à ce qu’elle ne peut pas. Elle doit avouer son urgence et son impuissance. C’est sa cause, sa juste cause. Elle est sa querelle intérieure Kafka s’en fait l’acteur et l’agi lorsqu’il nous rapporte le combat que se livrent ses deux mains. À peine a-t-il lu le livre qu’elles s’agrippent et s’étripent l’une l’autre, prenant le dessus, prenant le dessous, tantôt c’est le dessus qui gagne tantôt c’est le dessous. Comme dans mon rêve je m’attaque je me terrasse, je me défends, je me relève, je me tais, je te tais, je me coupe le souffle, je le recouds. La littérature m’affole, m’agit. Elle est magie, là où, pour sa semblable dissemblable, la philosophie, il s’agit de s’assagir, dans la mesure du possible Ce que la littérature ne peut dire, elle le chante ou le crie. Elle est née pour trembler, suer, se lacérer les joues, se couper le souffle Ne pas finir ses phrases, aposiopèse Il y a plus d’une littérature : celle dont le lecteur a besoin, celle qui par la douleur secourt, celle

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qui écoute et entend, et panse avec les caresses des mots Et celle qui missionne les poètes, qui les engage, exige d’eux le courage qu’ils n’ont pas, les envoie au front prophétique surmonter leurs limites. Et il y a la puissante et humble littérature de ces déportés, prisonniers, suppliciés, multipliés ces siècles-ci, qui ont le droit et le devoir de sauver les traces des cruautés humaines ultra humaines. Les lecteurs qui viennent après espèrent auprès de ces témoins goûter à la douleur et ses deuils, du moins pour la plupart. Toutefois pas tous les lecteurs : il arrive que ceux qui ont souffert, crevé de faim de rage d’effroi, de sans-espoir, s’irritent de l’œuvre-témoignage d’un co-souffrant. On ne se reconnaît pas dans le récit de l’autre, chacun sa peine et sa mort, chacun sa lecture, chacun chérit sa blessure, l’unique, la sans pareille. Chalamov n’approuve pas, critique, l’état des lieux dans la maison des morts de Dostoïevski, Primo Levi n’aime pas Piotr Rawicz. C’est seulement à Dante qu’on accorde un respect sans mesure, lui qui appartient aux temps de l’Énéide Salut à Virgile qui à chaque tragédie se demande, (inventeur de la parenthèse en littérature) eloquar an sileam ? (« je continue à dire ce qu’il ne faut pas dire ou je me tais ? »). Écrivons J’ai besoin d’une allumette dans la nuit dé-

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sastrée. C’est à la littérature que j’adresse ma curiosité vitale : que reste-t-il d’humain parmi l’inhumain ? On a besoin de récits pour vivre Je dois à M. Haguenauer, un « rescapé, comme-on-dit » des c.c. comme-on-dit, le récit de l’épluchure de pomme qui lui sauva la vie, lueur dans la ténèbre d’une mine pour déportés Peut-on rire en camp de concentration ? J’ai posé cette question à Yvette Baumann-Farnoux (résistante, déportée) et elle m’a répondu On ne peut pas, mais on se rit de l’impossible C’est Chalamov qui nous apprend ce qu’il en est de la métamorphose subie par les êtres condamnés à la Kolyma : ces pèlerins de l’enfer – surtout ceux qui ont sucé le lait des livres – atteignent bientôt l’étrange contrée de l’Indifférence. Parfois il faut écrire-lutter longtemps jusqu’à atteindre un Silence qui Hurle Hélène Cixous, mars 2022 « Le monde de… Hélène Cixous », entretien entre Hélène Cixous et Marta Segarra, directrice de recherche du laboratoire d’études de genre et de sexualité du CNRS, le 12 mai à 20 h au mk2 Nation


TROIS QUESTIONS À SYLVAIN PRUDHOMME

© Francesca Mantovani

Littérature

L’écrivain Sylvain Prudhomme, lauréat du prix Femina 2019 avec Par les routes, nous fait (re)découvrir La Vie mode d’emploi de Georges Perec (1978) lors d’une soirée au mk2 Institut. Retour sur ce tentaculaire livre-monde, considéré par beaucoup comme le roman le plus abouti de son auteur. Quand et comment avez-vous découvert La Vie mode d’emploi ? Je l’ai lu pour la première fois il y a une vingtaine d’années. J’avais été fasciné par l’ampleur, les ramifications qui s’emboitent parfaitement pour construire une grande histoire. Cette surabondance, cette démonstration spectaculaire des pouvoirs de l’imagination mettaient la barre très haut concernant ce que pouvait être la suscitation d’un monde par l’écriture. Je faisais des études de lettres à l’époque et, forcément, je pouvais, comme d’autres, me sentir un peu écrasé par les chefsd’œuvre. Mais, en découvrant des auteurs comme Georges Perec et Claude Simon, j’ai aussi compris qu’on pouvait faire quelque chose de plus petit, de plus fragmentaire ; qu’on pouvait s’attaquer à des petits bouts de réel. Avec toutes ces listes, ces objets, ces coupures de journaux, Perec proposait une extension du domaine de la littérature. Finalement, ce livre, La Vie mode d’emploi, est un acte : il autorise quelque chose dans l’écriture qui remet l’inachevé au cœur de tout.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous touche le plus dans ce roman ? Je n’ai plus de fascination particulière pour le tour de force virtuose et littéraire. Même si certaines contraintes provoquent des situations d’écriture qui peuvent être très belles, je n’ai pas d’attirance pour l’exercice et n’aime pas qu’on applaudisse l’accomplissement d’une prouesse technique. Aujourd’hui, et en le relisant, je suis plutôt touché par la jubilation de l’écriture chez Perec. Il y a une sorte d’humour, une malice à créer sans cesse des trompe-l’œil avec toutes ces histoires enchâssées. C’est aussi un bonheur de lecture : on doit recréer en soi le monde qu’il nous propose, lentement. Puis, je suis très touché par le rapport à la solitude de ses personnages. La plupart n’ont pas d’enfant, presque pas d’amis. Ce sont des marginaux, des

« Perec remet l’inachevé au cœur de tout. » obsessionnels qui poursuivent tous leur idée. Voués à leurs tâches, ils sont tous quelque part des figures d’artistes qui essayent de bricoler quelque chose. Pour des écrivains, notamment, ce rapport au livre est bouleversant car ce sont des doubles, des personnalités qui, à corps perdu, ont déserté tous jeux sociaux pour être dans l’obsession de leur quête à eux. Finalement, à travers la description d’un immeuble, de cet univers encombré, presque confiné, où Perec remplit plus qu’il ne sauve par la restitution, se cache une réelle profondeur. Sous une forme très achevée, malicieuse, et avec cet air

de s’amuser avec des contraintes, il y a une forme de pudeur et un rapport mélancolique à la vie qui affleure. Tout se passe comme s’il créait des dispositifs, inventait autant de personnages pour dissimuler nos propres égarements et pour, enfin, proposer une morale aux lecteurs : ceux qui se contentent de vouloir posséder la quête des autres, l’acheter, ou ceux qui ne sont gouvernés que par l’intérêt semblent désapprouvés. Au fond, je crois que Perec nous dit que le sens de la vie repose dans la poursuite de nos lubies. Cette manière d’être au monde est-elle selon vous un mode d’existence désirable ? En célébrant ces obsessions, Perec propose quelque chose de très réconfortant. Il rejette tout et bat en brèche toutes nos certitudes sur ce que doit être la vie. Il nous dit plutôt qu’il est beau de chercher, d’essayer, de vouer sa vie à quelque chose. Heureux ceux qui bricolent dans leur coin, cherchent et se fourvoient toute la vie à poursuivre quelque chose d’impossible. Cela me touche, tant personnellement que dans mon travail d’écriture. Les personnages dont j’ai envie de raconter l’existence sont souvent comme cela, hors de ce jeu social. La poursuite d’une quête, l’obsession, quelle qu’elle soit, c’est la promesse d’une vie qui a de la beauté. « Un chef-d’œuvre du passé, un écrivain d’aujourd’hui. Sylvain Prudhomme explore La Vie mode d’emploi de Georges Perec », le 19 mai au mk2 Quai de Loire, 20 h • PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE DUMOULIN

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CULTISSIME ! Shining de Stanley Kubrick.

----> DIMANCHE 22 MAI

UNE HISTOIRE DE L’ART « La révolution surréaliste. »

MK2 JUNIOR À partir de 5 ans : Aladdin ; Le Roi lion ; Pocahontas.

> mk2 Gambetta

VENEZ PARCOURIR L’UNIVERS AVEC CHRISTOPHE GALFARD « D’où vient la vie ? »

> mk2 Beaubourg, 20 h

CE MOIS-CI CHEZ MK2

----> JUSQU’AU 8 JUIN

> mk2 Bibliothèque, mk2 Gambetta et mk2 Quai de Loire, les samedis et dimanches matin

JAPANIME MANIA Souvenirs de Marnie de Hiromasa Yonebayashi. > mk2 Bibliothèque (entrée BnF), 17 h 15

----> DIMANCHE 5 JUIN CULTISSIME ! Sur la route de Madison de Clint Eastwood.

----> JEUDI 12 MAI

----> LUNDI 16 MAI

DEMOISELLES D’HORREUR CINÉMA CLUB Twixt de Francis Ford Coppola.

LUNDI PHILO DE CHARLES PÉPIN « Comment se faire de nouveaux amis ? »

----> MARDI 7 JUIN

> mk2 Odéon (côté St Germain), 18 h 30

ANALYSE DES TECHNIQUES DE BASE DU CINÉMA « Un générique peut-il être une œuvre en soi ? »

> mk2 Bibliothèque (entrée BnF)

LE MONDE DE… HÉLÈNE CIXOUS Entretien entre l’écrivaine Hélène Cixous (lire p. 68) et Marta Segarra, directrice de recherche du laboratoire d’études de genre et de sexualité du CNRS.

> mk2 Nation, 20 h

UNE HISTOIRE DE L’ART « Marcel Duchamp, l’inclassable. » > mk2 Beaubourg, 20 h

----> VENDREDI 13 MAI DARKISSIME Esther de Jaume Collet-Serra. > mk2 Bibliothèque (entrée BnF), 21 h 50

ACID POP « Documenter vs mettre en scène : comment filmer ce qui est hors-normes ? » Projection de Funambules, en présence d’Ilan Klipper et de Philippe Fernandez. > mk2 Quai de Seine, 20 h

----> MARDI 17 MAI ANALYSE DES TECHNIQUES DE BASE DU CINÉMA « Un plan-séquence a-t-il une bonne durée ? » Séance suivie de la projection de L’Arche russe d’Alexandre Sokourov. > mk2 Odéon (côté St Michel), 20 h

----> JEUDI 19 MAI UN CHEF-D’ŒUVRE DU PASSÉ, UN ÉCRIVAIN D’AUJOURD’HUI « Sylvain Prudhomme (lire p. 69) explore La Vie mode d’emploi de Georges Perec. » > mk2 Quai de Loire, 20 h

UNE HISTOIRE DE L’ART « Entre provocation et humour : dada. » > mk2 Beaubourg 20 h

----> LUNDI 23 MAI LUNDI PHILO DE CHARLES PÉPIN « Existe-t-il des preuves d’amour ? » > mk2 Odéon (côté St Germain), 18 h 30

----> MARDI 24 MAI ANALYSE DES TECHNIQUES DE BASE DU CINÉMA « Un champ-contrechamp est-il un refus de montage ? » Séance suivie de la projection du Goût du saké de Yasujirō Ozu.

----> VENDREDI 20 MAI

CULTISSIME ! Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick. > mk2 Gambetta

LUNDI PHILO DE CHARLES PÉPIN « Que faire de nos peurs ? »

----> SAMEDI 11 JUIN 1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « Orphée et Eurydice : perdus dans les enfers. » > mk2 Nation, 11 h

> mk2 Beaubourg, 11 h

CULTISSIME ! Impitoyable de Clint Eastwood. > mk2 Gambetta

----> LUNDI 13 JUIN LUNDI PHILO DE CHARLES PÉPIN « Le temps peut-il guérir nos peines ? » > mk2 Odéon (côté St Germain), 18 h 30

SCIENCES SOCIALES ET CINÉMA « Banlieue, genre, couleur : s’affranchir des stéréotypes. » Projection de Bande de filles de Céline Sciamma, suivie d’un débat avec Kamel Boukir, maître de conférences à l’EHESS. > mk2 Bibliothèque, 19 h 45

> mk2 Odéon (côté St Germain), 18 h 30

----> MARDI 31 MAI ANALYSE DES TECHNIQUES DE BASE DU CINÉMA « Un split screen ou un fondu enchaîné est-il simplement joli ? » > mk2 Odéon (côté St Michel), 20 h

VENEZ PARCOURIR L’UNIVERS AVEC CHRISTOPHE GALFARD « D’où vient la vie ? »

----> JEUDI 2 JUIN

> mk2 Bibliothèque, 10 h

> mk2 Quai de Loire, 11 h

L’ART DANS LE PRÉTOIRE « Un cadavre dans le placard… ou dans le musée ! »

JAPANIME MANIA Le Conte de la princesse Kaguya d’Isao Takahata.

UN CHEF-D’ŒUVRE DU PASSÉ, UN ÉCRIVAIN D’AUJOURD’HUI « Marie Darrieussecq (lire p. 71) explore La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette. »

> mk2 Parnasse, en fin d’après-midi

> mk2 Quai de Loire, 20 h

> mk2 Bastille (côté Fg Saint-Antoine), 11 h

> mk2 Beaubourg, 20 h

----> DIMANCHE 12 JUIN

> mk2 Bibliothèque (entrée BnF), 21 h 50

> mk2 Bibliothèque (entrée BnF), 21 h 50

> mk2 Bibliothèque, 11 h

UNE HISTOIRE DE L’ART « L’art après 1945 : bouleversements et enjeux. »

DARKISSIME Chromosome 3 de David Cronenberg.

----> LUNDI 30 MAI

L’ÉCOLOGIE RACONTÉE AUX ENFANTS « Protéger les animaux sauvages » avec Tangi Salaün, auteur de Missions dans la brousse.

----> JEUDI 9 JUIN

----> VENDREDI 27 MAI

DARKISSIME The Chaser de Na Hong-jin.

----> SAMEDI 21 MAI

> mk2 Odéon (côté St Michel), 20 h

CULTURE POP ET PSYCHIATRIE « D’Angels in America à Moonlight : homosexualités, stigmatisation et souffrance psychique. »

> mk2 Odéon (côté St Michel), 20 h

----> DIMANCHE 29 MAI

JAPANIME MANIA Le Vent se lève de Hayao Miyazaki.

VOTRE CERVEAU VOUS JOUE DES TOURS AVEC ALBERT MOUKHEIBER « Les sciences cognitives dans les politiques publiques : fantasmes et réalité. » Avec Mariam Chammat.

> mk2 Gambetta

> mk2 Parnasse, en fin d’après-midi

> mk2 Nation, 11 h

----> DIMANCHE 15 MAI

CULTISSIME ! Full Metal Jacket de Stanley Kubrick.

JAPANIME MANIA Souvenirs de Marnie de Hiromasa Yonebayashi.

1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « Narcisse : un amour impossible. »

> mk2 Parnasse, en fin d’après-midi

> mk2 Gambetta

----> SAMEDI 28 MAI

----> SAMEDI 14 MAI

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> mk2 Odéon (côté St Germain), 11 h

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Crédits : © D. R.


© Charles Fréger – P.O.L

Littérature TROIS QUESTIONS À MARIE DARRIEUSSECQ

Écrivaine, ancienne psychanalyste, Marie Darrieussecq explore depuis son premier roman et succès mondial, Truismes (P.O.L, 1996), la question de l’identité, du corps et du féminin. Invitée par le mk2 Institut, elle explore et relit La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette, publié en 1678. Pourquoi avoir choisi ce roman ? Lu au lycée avec difficulté, relu vers 30 ans avec bonheur, relu encore vers 40 ans quand je voulais écrire sur l’adolescence, relu à 50 ans quand mes enfants à leur tour devaient le lire pour l’école, ce livre m’accompagne et se transforme à chaque âge de ma vie. Ce serait ça, la définition d’un chef-d’œuvre : un livre qui prend des sens différents selon le vécu de celui ou celle qui le lit, un livre qui tient une compagnie durable, fiable, et toujours en métamorphose. Je conseille de sauter le « mur » du début, une quinzaine de pages d’intrigues de cour qui demandent un peu trop à notre capacité d’attention contemporaine, et d’aller directement à la phrase « il parut alors une beauté à la cour ». À partir de là, tout le roman se déroule avec un magnifique suspense psychologique. Et, à la fin, il est temps de lire les quinze pages du début, qui paraissent limpides. Quel regard portez-vous sur elle ? Elle est une héroïne de l’inaction. Rien à voir avec la passivité : pour se main-

tenir dans le repos, elle déploie beaucoup d’effort. L’amour, pour elle, c’est trop d’émotion et trop de soumission. Il faut aussi imaginer l’immense fatigue de vivre à la cour. Pas une minute à soi, et le métier de plaire à plein temps. On n’y existe que dans la mesure où l’on amuse les puissants. La princesse est peut-être lasse de distraire la dauphine. Elle est peutêtre lasse aussi d’agréer à sa mère, qui l’engage, sur son lit de mort, à ne point « tomber comme les autres femmes ». La princesse cherche à « demeurer à ellemême ». Veuve, elle pourrait se remarier. Non : elle oppose à la cour la stratégie du repli. Elle prétend être malade. Elle finira par choisir le couvent. Peut-être est-elle héroïquement paresseuse : une héroïne de la langueur et de l’indifférence. L’anti-Emma Bovary (qui se perd dans les

« La princesse de Clèves est une héroïne du non. » hommes, qui se torture jusqu’au suicide). La social-traître au fait même d’être au monde. Et pas d’enfant non plus, comme si ce manquement aux obligations matricielles allait de soi dans un univers sans contraception. Votre roman Clèves, paru en 2011, se présentait comme une réécriture du récit de Madame de La Fayette. Quelles traces ce texte a-t-il laissées dans votre œuvre ? Si la princesse de Clèves est une héroïne du non, la jeune Solange de mon roman Clèves, qui a le même âge, est une héroïne du oui. Elle consent constamment,

devançant son propre désir, se faisant souvent du mal à elle-même et participant à son insu à la culture du viol. J’ai vécu mon adolescence durant les années 1980 dans un village basque patriarcal, macho et homophobe. On baignait dans l’horrible tube de l’époque, « Femme libérée » [chanté par Cookie Dingler, ndlr]. Il fallait donc coucher à tout prix et le plus tôt possible, pour ne pas passer pour une gourde ou, péché absolu de l’époque, pour une frigide ; mais il fallait aussi respecter la pudeur, la dignité et je ne sais quoi d’autre : ne jamais prendre les devants, ne pas être une « fille facile », ne pas passer pour une salope. C’était une double contrainte, être « libérée » mais pas libre. Les garçons aussi étaient soumis à une injonction de virilité. Un village, c’est comme la cour du roi : tout se sait, tout le monde s’observe. Les lettres, encore manuscrites à l’époque, étaient lues et diffusées comme celles qu’écrivaient les courtisans. Il y avait des bals aux kermesses, des alliances se créaient et se rompaient. Être un électron libre y était très difficile. La question du désir, l’interrogation sur la prétendue binarité du monde, le trop de corps ou, au contraire, sa disparition, l’inclusion des autres vivants de cette planète, et aussi le climat et la géographie comme acteurs mêmes de nos vies, toutes ces questions tissent la matière de mes livres.

EXPOSITION DU 6 AVRIL AU 24 JUILLET 2022 musee-armee.fr

« Un chef-d’œuvre du passé, un écrivain d’aujourd’hui. Marie Darrieussecq explore La princesse de Clèves de Madame de La Fayette », le 2 juin au mk2 Quai de Loire, 20 h • PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE DUMOULIN

Théâtre de guerre. Photographie avec un groupe de guérilla kurde, 2012

avec la participation de

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P S U E I S M S M A E F

X I S

Dans le sillage de la vague #MeeToo, les questionnements féministes se multiplient sur les scènes, à travers la performance, la danse, le cirque, l’art de la marionnette ou le théâtre. Porté par une poignée de chorégraphes et de metteuses en scène engagées, ce mouvement convoque corps et textes comme des outils d’émancipation pour dénoncer les discriminations et questionner les normes genrées. À l’heure où les femmes sont encore trop minoritaires sur les scènes, on dresse les portraits de six artistes déterminées à faire voler en éclat le patriarcat.

A S E R E T

VIT T UC

M É N AR A I H D

A

ISÈLE

ENNE I V

Les rapports de domination surgissent dans les corps avec Gisèle Vienne. Cette quadra franco-autrichienne dévoile, depuis le Du jonglage aux pièces visuellement percutantes, début des années 2000, une esthétique Phia Ménard s’est imposée en plus de vingt ans dans le magnétique qui mêle théâtre, arts visuels, paysage du spectacle vivant grâce à une patte irrévérencieuse danse et marionnette. Elle se plaît à déployer une et à son goût pour le symbolisme. Cette quinqua, à l’allure douce atmosphère visuelle et sonore soignée pour mettre mais qui impressionne sur scène, tisse une critique du système en avant des sujets pesants, souvent emprunts de violence, patriarcal et capitaliste en convoquant danse, performance comme dans Showroomdummies, où les corps se muaient et cirque. Dans Saison sèche (2018), elle mêle esthétiques en poupées manipulables. Cette année, elle signe L’Étang, une pop et païenne pour s’attaquer à la violence qui force pièce hypnotique, adaptée d’une œuvre de jeunesse de l’écrivain les corps à rentrer dans le moule des normes de genre. suisse-allemand Robert Walser. Adèle Haenel y incarne un À travers sa monumentale Trilogie des contes immoraux enfant qui feint le suicide pour attirer l’attention d’une mère (pour Europe), la metteuse en scène se mue en guerrière maltraitante. À travers leurs postures et attitudes, les actrices, punk pour monter une énorme maison en carton, puis comme engluées sur scène, incarnent avec subtilité les imagine l’érection d’une tour colossale échafaudée par des rapports de domination, dans lesquels apparaissent esclaves. Un marathon vertigineux de trois heures qui devient en filigranes violences intrafamiliales et poids le théâtre de luttes philosophiques dans un monde occidental de l’inceste. qui s’écroule.

P

EB

ÈS ÉR

Adepte d’une dramaturgie plurielle où se rencontrent vidéo, chorégraphie et création sonore, Julie Bérès déploie depuis une vingtaine d’années une esthétique qu’elle qualifie elle-même de sensorielle, onirique et subjective. Après s’être intéressée à la place des seniors dans la société et aux nouvelles modalités du monde du travail, elle s’attaque à la question du genre dans un diptyque impétueux. La première partie, Désobéir (2017), met à jour les questionnements et craintes de jeunes femmes issues de l’immigration. Elle déploie la même écriture textuelle ciselée – avec des danseurs professionnels, cette fois – dans La Tendresse (2021), deuxième volet qui confronte des discours intimes de jeunes hommes sur la virilité et leur perception de la masculinité. Deux pièces fougueuses à la danse explosive qui portent les réflexions post#MeToo et mettent à bas les clichés.

I n te n s e et v o ra ce, cet te p e r fo r m e u s e p i c a rd e d ’o r i g i n e martiniquaise déploie des pièces subversives aux accents burlesques qui mettent à mal les canons de beauté féminins. La trentenaire y exhibe son corps imposant, qu’elle enduit souvent de peinture ou d’autres liquides et qui devient un espace de résistance. La lutte contre le sexisme et les LGBTQ-phobies traverse ses pièces, à l’instar d’Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute (2018), dans laquelle elle combat avec un humour cinglant les normes du foot, main dans la main avec l’équipe de footballeuses Les Dégommeuses. En 2021, sa pièce afro-féministe c a r n ava l es q u e et j o u is s i ve Carte Noire nommée Désir sonnait comme un manifeste émancipateur des femmes afro-descendantes, porté par une légèreté salutaire.

G

JULI

ON

Performeuse sensuelle, c’est par le corps que Teresa Vittucci fait éclater l’héritage misogyne judéo-chrétien. Aussi drôles que conceptuelles, ses pièces montrent une myriade de stéréotypes sexistes pour mieux les éventrer. La trentenaire autrichienne au regard azur hypnotisant était tantôt camgirl s’amusant devant un chat en direct dans All Eyes on (2017), explorant avec dérision l’exhibitionnisme digital, puis devenait Vierge Marie qui faisait éclater le mythe de la virginité en convoquant les clichés de la mère et de la putain dans Hate Me, Tender (2018). Avec sa dernière pièce, Doom (2021), la danseuse dissèque les figures d’Ève et de Pandore sous un angle queer et féministe, complexe et m u l t i p l e. U n e m a n i è re d e transcender les stéréotypes féminins qui colonisent l’imaginaire collectif.

Spectacles

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RÉBECC CHAILL

CI

CULTURE

Culture

no 188 – mai 2022


Culture

ANT

ES

A FRITZ N A RY

B

D a n s e u s e et p o étes s e, cette native de Chicago aborde le féminisme avec subversion et étrangeté. Avec Submission Submission, cette ancienne étudiante des P.A.R.T.S. – célèbre école de danse contemporaine belge – faisait cohabiter hagiographie (la vie des saints), féminisme et chorégraphies digitales. Devant un écran géant sur lequel elle fait danser les fenêtres et les dossiers du bureau Apple, elle revisite la vie de saintes martyres telles que Hildegarde de Bingen et Jeanne d’Arc sous un prisme sensuel et érotique. Puis avec le fantasmagorique Knight-Night (2021), main dans la main avec son acolyte danseur Thibault Lac, elle restitue la version de Don Quichotte de l’Américaine Kathy Acker – dans laquelle l’héroïne est une femme qui vient de vivre un avortement – pour transformer ce récit de chevalerie en un manifeste féministe.

• L’Étang de Gisèle Vienne, du 10 au 15 mai au Théâtre des Amandiers (Nanterre) • Désobéir de Julie Bérès, du 31 mai au 4 juin à la Grande Halle de la Villette • La Tendresse de Julie Bérès, jusqu’au 22 mai au Théâtre des Bouffes-du-Nord • Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute de Rébecca Chaillon, jusqu’au 20 mai au Théâtre 13 • Carte Noire nommée Désir de Rébecca Chaillon, en décembre au Nouveau Théâtre de Montreuil

BELINDA MATHIEU

Le défilé hommage à Alber Elbaz Exposition Palais Galliera 05.03—10.07. 2022

Love Brings Love * L’amour appelle l’amour

#expolovebringslove © LÉON PROST. ENSEMBLE THEBE MAGUGU, CHAPEAU EN COLLABORATION AVEC CRYSTAL BIRCH — CONCEPTION GRAPHIQUE : OFICINA

Illustration : Anna Parraguette pour TROISCOULEURS

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SOCIAL KALEIDOSCOPE DE BORIS MAURUSSANE

ANTOLOGIA VOL. 1 D’ÁFRICA NEGRA

NORCO

HOUND DOG DE NICOLAS PEGON

© D. R.

SHOPPING CULTURE

Culture

Aux côtés de Dorian Pimpernel, Mehdi Zannad ou Athanase Granson, le Parisien Boris Maurussane ravive les symphonies adolescentes des années 1960 (chœurs Beach Boys, suavité Zombies) et la pop de Canterbury (Robert Wyatt, Caravan) sur un premier album de pop baroque, sinueuse et progressive, aux réminiscences moins nostalgiques que proustiennes. Savoureux. • W. P. > (WeWant2Wecord/Hot Puma)

WE’VE BEEN GOING ABOUT THIS ALL WRONG DE S. VAN ETTEN

Sur un cinquième album de lamentation autant que de consolation, la chanteuse américaine Sharon Van Etten évoque les bouleversements de l’existence (pandémie, maternité, séparation) dans leurs aspects à la fois terrifiants et transformateurs. Une méditation épique (puissance vocale, nappes synthétiques, beats lourds) et d’époque (noire, saturée, traversée d’éclairs). • W. P. > (Jagjaguwar)

Dans une Louisiane futuriste et défigurée par la misère sociale, une jeune femme rentre chez elle, après la mort de sa mère, pour tenter de comprendre ce qui lui est arrivé… Portrait halluciné d’une Amérique hantée par ses démons néolibéraux, ce point ’n’ click minimaliste aux accents southern gothic nous a bouleversés par la puissance sèche de son écriture. • Y. F. > (PC | Raw Fury)

PHARMAKON D’OLIVIER BRUNEAU

LES BIENHEUREUSES DE MARCEL RUIJTERS

Nombreux sont ceux qui ont vu dans l’art médiéval les prémices du neuvième art. Depuis son surprenant Inferno, Ruijters ne cesse de jouer avec ces correspondances. En partant des vies de saintes, toutes plus humoristiques et fantastiques les unes que les autres, l’auteur néerlandais sublime autant la bande dessinée que l’art, ancien, de l’enluminure. • A. G. > (The Hoochie Coochie, 112 p., 24 €)

Un tireur d’élite employé par une société privée protège une raffinerie dans un pays d’Orient. Pour être performant, il suit un traitement expérimental contre le sommeil… Une novella efficace et spectaculaire sur la guerre et l’homme chimiquement amélioré, entre American Sniper et Side Effects, par l’auteur du très remarqué Dirty Sexy Valley. • B. Q. > (Le Tripode, 128 p., 15 €)

LE GRAND JABADAO DE JEAN-LUC COATALEM

GHOSTWIRE. TOKYO

Un chien, du jour au lendemain, débarque dans l’appartement miteux d’Alexandre, marginal un peu paumé… Partant de là, Nicolas Pegon déroule un récit aux accents de roman noir et de polar qui laisse, aux détours des pages, un sentiment de fin du monde. Le ton comme le dessin sont crépusculaires, amollis par une lourdeur digne de Twin Peaks. Une réussite. • A. G. > (Denoël Graphic, 204 p., 24,90 €)

WEIRD WEST

Revisiter le western à la lueur du fantastique (on y affronte autant des desperados que des loups-garous) et du jeu de rôle, le pari des créateurs de Weird West était ambitieux. Mais, derrière sa modestie de façade, ce jeu indé cache une impressionnante horlogerie narrative qui s’adapte sans cesse à nos choix et nous laisse maître de notre destin. • Y. F. > (PC, PS4, One | Devolver Digital)

LA MARTYRE DE BASTON

© D. R.

L’AMÉRIQUE ENTRE NOUS D’AUDE SEIGNE

De 1970 à 1990, África Negra a été un groupe mythique de l’un des plus petits pays d’Afrique, Sao Tomé-etPrincipe. Son mélange endiablé de rythmes puxa et rumba, basses bondissantes, riffs de guitares wah-wah et gracieuses harmonies vocales a offert au collectif un rayonnement international, dont cette anthologie offre un témoignage trépidant. • W. P. > (Les Disques Bongo Joe)

livre

BD

CD

vinyle jeux vidéo

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Un jeune couple entame un voyage aux États-Unis, lui pour photographier la nature, elle pour interviewer des stars. Elle pense à son ami-amant, resté en France. L’Amérique l’aidera-t-elle à choisir ?… Un roman contemplatif sur le thème du couple et du polyamour, dans lequel les tourments de la narratrice évoluent en même temps que les paysages américains. • B. Q. > (Zoé, 240 p., 17 €)

Imaginez : vous êtes marchand d’art, et deux Bretons vous apprennent qu’ils possèdent un Gauguin non répertorié. Une toile érotique, proche de L’Origine du monde, tout en chair dénudée… Arnaque ou aubaine ? Coatalem mijote une comédie artisticopolicière arrosée de chouchen, qui tire son titre d’une danse bretonne traditionnelle. Kenavo. • B. Q. > (Le Dilettante, 192 p., 17 €)

Une invasion de fantômes s’abat sur Tokyo. Pour ne rien arranger, un spectre s’est niché dans l’esprit de notre jeune héros, Akito Izuki, et le somme de l’aider à repousser les envahisseurs… À mi-chemin entre épouvante et first-person shooter, Ghostwire. Tokyo nous réserve une balade tokyoïte des plus incongrues, mais diablement prenante. • Y. F. > (PC, PS5 | Bethesda Softworks)

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Avec ses titres (« Flash », « Saphir », « Zodiac », « Pacha ») qui font référence à des boîtes de nuit du Finistère Nord (d’où le quatuor est originaire), La Martyre met sous la lumière – noire, forcément – l’ennui et la violence sourde des campagnes et des populations déclassées. Motorik hypnotique, coldwave lancinante, uppercuts post-punk, Baston crache son crachin. • W. P. > (Howlin’ Bananas)


Culture

LA SÉLECTION DU MOIS MIMOSA ÉCHARD © Courtesy de l’artiste. Adagp, Paris, 2022

1 Expo

Sporal, 2021

Métaphore de la régénération et de la fluidité sexuelle, le jeu vidéo Spore est au centre de la nouvelle installation de Mimosa Échard. Dans ses œuvres, l’artiste, tournant le dos à la société de consommation, s’empare des denrées les plus toxiques de celle-ci – bijoux en toc, sex-toys issus de l’industrie pétrochimique… – pour les réinscrire

Haraway, tout est en mutation permanente, et il n’existe pas d’opposition entre naturel et artificiel, solide et liquide, biologie et technologie. On s’affale enfin dans une chill room en contemplant une webcam braquée sur le corps endormi d’une cyberadolescente non binaire en plein rêve. Le Sleep d’Andy Warhol revisité par la génération Twitch ? « Mimosa Échard. Sporal », jusqu’au 4 septembre au Palais de Tokyo

JULIEN BÉCOURT

LE CRÉPUSCULE DU MONDE © Lena Herzog

2 Livre

dans des paysages organiques posthumains, là où tout redevient matière première. Pour cette installation, Échard a développé un jeu vidéo et le projette sur un immense patchwork de tissus aux motifs psychés. On se retrouve projeté dans le cycle de vie d’un myxomycète – un organisme unicellulaire et gélatineux dont les sécrétions de spores donnent lieu à toutes sortes de transformations. Autour de la pièce centrale sont disséminées des sculptures en matériaux recyclés – câbles et rideaux de perles en plastique plongés dans des bacs où barbotent aussi bien des composants informatiques que des accessoires girly. Chez Échard, à l’image du cyberféminisme théorisé par Donna

Ce n’est pas la première fois que Werner Herzog prend la plume – il a publié notamment Sur le chemin des glaces, journal de son périple à pied de Munich à Paris, en 1974 –, mais c’est son premier roman. Le Crépuscule du monde porte sur un sujet à sa mesure : l’épopée de Hirō Onoda, ce soldat japonais chargé en 1944 de tenir une île des Philippines, et

© Christophe Raynaud de Lage

3 Spectacle

Il y a du monde, beaucoup de monde, dans la tête du génial François de Brauer. Capable de donner vie en une fraction de seconde à toute une galerie de personnages, de les faire discuter entre eux, de faire apparaître et exister tout un monde par la seule force de son jeu, l’auteur-interprète est un phénomène. Repéré avec La Loi des prodiges, un premier spectacle virtuose et romanesque, le voici

qui s’acquittera de sa mission jusqu’en… 1971, croyant que la guerre n’était pas finie. Il y avait bien des indices troublants, survols incohérents de l’île par l’ennemi, informations étranges captées sur une radio portable, mais Onoda s’est toujours convaincu qu’il s’agissait de ruses pour le détourner de sa tâche. Il a donc continué d’arpenter les forêts de Lubang avec ses comparses, effaçant ses traces et attaquant les villageois… Son absurde et noble aventure, adaptée à l’écran l’an dernier par Arthur Harari (Onoda), avait tout pour plaire à l’auteur d’Aguirre. La colère de Dieu : une guerre intime et irréelle, quasi métaphysique, dans un décor de jungle impénétrable où le temps s’étire à l’infini, loin du reste du monde. Onoda, comme Don Quichotte ou l’homme de la

caverne de Platon, se bat contre des fantômes, dans une sorte de fiction personnelle. Herzog condense son histoire dans un roman bref, dont le style oscille entre sécheresse et lyrisme. « La guerre de Onoda est composée à partir de l’union d’un néant imaginaire et d’un rêve, mais la guerre de Onoda, conçue à partir de rien, est un événement transcendant, un de ceux qui sont extorqués à l’éternité. » de Werner Herzog, traduit de l’allemand par Josie Mély (Séguier, 144 p., 18 €)

BERNARD QUIRINY

RENCONTRE AVEC UNE ILLUMINÉE de retour avec une œuvre plus intime absolument irrésistible. Simon est un acteur en panne. Panne de cœur, panne d’inspiration, pour un jeune homme qui n’a jamais cru en rien. Et voilà en plus qu’on lui demande, à lui, le comédien de la famille, de lire un texte religieux à l’enterrement d’un grand-père qu’il n’a pas connu. Dans cette odyssée tordante sur la quête du spirituel, Brauer convoque sa mère, Jésus, un camp scout au complet, un mort très bavard, les Inconnus, une mouche, du cacao… et puis Stella, l’illuminée du titre, rencontrée par hasard, et dont la joie de vivre et la poésie vont l’emmener très loin. Virtuose du jeu qui se met luimême en scène, Brauer réussit un spectacle réjouissant, drôle et délicat. Jamais

la performance dingue qui se joue sur scène (il donne vie jusqu’à sept personnages en même temps) ne vient prendre la place de l’émotion. Au contraire, dans ce bouillonnement de vie, cette façon de tout jouer, de créer dans cet espace nu, entouré de bougies, tout un monde, toute une histoire, se joue quelque chose de profondément merveilleux, une émotion que seul le théâtre peut produire. de François de Brauer, jusqu’au 11 juin au théâtre du Petit Saint-Martin

RENAN CROS

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Culture

LA SÉLECTION DU MOIS 4 Jeu vidéo

VIVANTS

5 Son

Bruno Novelli, No caminho

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à rebours les codes de l’open world, en le dépouillant de ses affèteries (ne cherchez ni GPS ni indicateur de quête) pour revenir à son essence même. Celle de l’aventure au sens premier, cette « découverte passionnée de l’inconnu » comme le résume si bien Milan Kundera, qu’on (re)découvre ici comme un trésor enfoui au fond de nous, entre fébrilité et sidération. Soyons francs : Elden Ring n’a rien d’une promenade de santé. Il faut s’armer de la plus grande patience, accepter de se faire parfois malmener, et naviguer à

l’aveugle pour atteindre certains objectifs abscons. Mais qui accepte les clauses de ce contrat faustien s’engage dans une inoubliable odyssée, sans doute la plus belle d’une vie. (PC, PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series | Bandai Namco Entertainment)

YANN FRANÇOIS

ARLT

Depuis La Langue en 2010, Arlt nous tourneboule en rénovant sans cesse son idiome tournoyant, de la chanson française traditionnelle à la modernité kaléidoscopique d’un pur album « de studio », Turnetable. Composé par Sing Sing (chant qui gratte, guitares), décomposé par Éloïse Decazes (chant qui vole, improvisations, greffes et collages de magnétophones, claviers, bulbul tarang, etc.), recomposé enfin avec Ernest Bergez (Sourdure) au mixage, Turnetable est l’album le plus psychédélique (foisonnement mouvant de timbres, textures, fréquences) du duo, penchant vers les Beatles, Sun Ra ou Maher Shalal Hash Baz. « On ne sait pas si c’est un anglicisme ou un néologisme, avec ce “e” qui vient féminiser le “turn” anglais », explique Sing Sing. « C’est la platine disque qui fait tourner les tables pour faire parler les fantômes, c’est l’objet disque comme instrument spirite. » Ces chansons populaires expérimentales, bouturées de fanfares désaccordées, de bandes analogiques fantomatiques et de chœurs de Sioux, réveillent les morts avec des incantations chamaniques défiant dans une toute-puissance enfantine l’apocalypse (« Oh bagnole », où les objets ont leur vie propre), la guerre (le glaçant et

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© Marie Losier

LES

En bousculant les codes du jeu en monde ouvert, le studio japonais FromSoftware livre son plus grand chef-d’œuvre. Dark Souls, Bloodborne, Sekiro : autant de titres culte qui actent d’une véritable révolution ludique menée par le studio japonais et sa philosophie inimitable. Une philosophie rigoriste, âpre et même parfois cruelle envers les joueurs, mais qui a toujours préféré miser sur la résilience et le dépassement de soi plutôt que sur le sadisme vain. Elden Ring vient apporter une nouvelle pierre (blanche) à ce credo : la liberté totale. Dans l’absolu, l’expérience qui nous est proposée ne change en rien : on essaie de survivre, pas à pas, dans un monde dantesque, rempli de mystère et de créatures féroces qui peuvent nous tuer d’un revers de main. Sauf qu’ici la progression n’a plus rien d’un chemin de croix linéaire ; elle nous laisse au contraire déambuler, nous perdre à l’envie dans un monde ouvert au gigantisme inédit. Un combat trop difficile nous désespère ? autant prendre un chemin de traverse qui débouchera toujours sur une découverte extraordinaire ou un défi moins corsé. Si FromSoftware bouleverse une fois de plus l’ordre établi, c’est parce qu’il ose prendre

ELDEN RING

annonciateur « Bain de sang »), ou Dieu (« un trou dans le langage », dans « Des amis »). Avec cette table rase chantée « en langue chien », où les arbres sont « explosifs » et le soleil, « un fusil », Arlt ressuscite encore, à l’intransitif (eux-mêmes) et au transitif (nous autres). Turnetable d’Arlt (Objet Disque)

WILFRIED PARIS

Si votre album était un film « Imaginons qu’il aurait des points communs avec L’Âme sœur du Suisse Fredi Murer, drame en pentes raides avec frère et sœur endiablés par le désir, sainte idiotie, détonations sèches, courses poursuites à cloche-pied entre dedans, dehors et outre-monde. Il y a des fantômes furtifs et des dégringolades (burlesque mat et sourd). Il faut voir ce film et l’imaginer dans le grand silence frisé des bandes dessinées de F’murr. »


Culture

6 Expo L’ENFANCE DANS LA COLLECTION AGNÈS B.

© Max Natkiel

Extrudia 25 mars – 24 juillet 2022

Max Natkiel, Paradiso Stills, 1984

Dans une expo espiègle, ludique et parfois inquiète, la créatrice de mode agnès b. met en avant la part d’enfance de son immense collection d’art, dans laquelle se croisent Claire Tabouret, Harmony Korine, Martin Parr, mais aussi des artistes plus confidentiels et quelques anonymes. La styliste invente un parcours très personnel (elle y a même glissé des photos de famille) que l’on peut appréhender comme un jeu de pistes malicieux. Dès l’entrée de La Fab., agnès b. nous invite à voir au-delà du cadre des photos (qui sont le cœur de l’exposition, même si plasticiens, peintres, dessinateurs, vidéastes sont aussi bien représentés) avec un cliché de Pablo Picasso et ses deux enfants regardant hors champ signé André Villers. L’idée, c’est donc bien de déborder, comme sur les coloriages – l’expo rend un hommage fasciné à l’expression enfantine elle-même, et certains artistes comme Eugène Ionesco, Harmony Korine, ou le musicien anti-folk et dessinateur Daniel Johnston cherchent à retrouver cette candeur brute. L’expo porte souvent aussi la part la plus inquiète de l’enfance. Cette tonalité plus douloureuse point dans certains dessins d’Andy Warhol, emplis d’un sentiment de solitude, dans les portraits éthérés et opaques de Claire Tabouret, ou dans le mélange d’innocence et de violence des jeux de tirs photographiés par Luna Picoli-Truffaut. En entretien, en 2020, agnès b. nous avait confié que son film préféré était La Nuit du chasseur de Charles Laughton. C’est bien avec le même mélange d’émerveillement et de tension que les enfants-héros du film que l’on traverse cette belle expo. jusqu’au 30 juin à La Fab.

Anita Molinero Réservation conseillée sur mam.paris.fr

Anita Molinero. Sans titre (La Rose), 2003 [détail]. Collection Frac Bourgogne. © Adagp, Paris, 2022. Photographe Romain Moncet.

#ExpoMolinero

QUENTIN GROSSET

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Culture

CE MOIS-CI À PARIS

CONCERTS

----> KEVIN MORBY Révélé en 2013 avec l’album Harlem River, Kevin Morby est une des plus belles plumes de la folk américaine contemporaine. Il se penche sur sa jeunesse texane dans This Is a Photograph, émouvante collection de mélodies supérieures, entre rêves perdus et temps retrouvé, à découvrir en groupe sur scène. • W. P. > le 24 mai au Bataclan

----> CAT POWER Icône du rock alternatif américain, Chan Marshall présente sur scène son récent album de reprises (de Frank Ocean, Lana Del Rey, Iggy Pop, Nick Cave…) intitulé Covers. Interprète à l’émotion et à l’expressivité sans pareilles, elle est à sa juste place parmi les classiques. Notre interview d’elle est à lire sur troiscouleurs.fr. • W. P. > le 29 mai à la salle Pleyel

----> TYLER, THE CREATOR Auréolé de son récent Grammy du meilleur album rap pour Call Me If You Get Lost, le MC de L.A. revient faire déambuler son personnage excentrique dans des scénographies spectaculaires (décors mouvants, set list scénarisée), baladant son flow rauque et tendu entre ego trip abrupt et romantisme tourmenté. • W. P. > le 5 juin au Zénith

RESTOS

Gagnez des places en suivant TROISCOULEURS sur Facebook et Instagram

----> FRIPON On a découvert Pauline Séné en saison 12 de Top Chef. Perchée à Belleville, en un lieu brut et charmant, elle envoie des plats bien balancés. Subtile vichyssoise, œuf parfait, chips de poireaux et explosive épaule d’agneau, citron, carottes, taboulé, grenade. Menus : 21, 41 et 75 €. Carte : environ 40 €. • STÉPHANE MÉJANÈS > 108, rue de Ménilmontant, Paris XXe

----> JINCHAN SHOKUDO On pousse la porte et on est à Tokyo. Loin des seuls sushis, on voyage dans l’assiette entre nasu agebitashi (aubergine confite au miso blanc), karaage don (poulet pané au panko), kamo rosu (magret mariné et yuzu kosho) et cheesecake kurogoma au sésame. Accord saké recommandé. Carte : environ 25 €. • S. M. > 154, rue du Faubourg-Saint-Antoine, Paris XIIe

journalistes occidentales ayant couvert des conflits internationaux entre 1936 et 2011, cette riche exposition prouve, s’il en était encore besoin, que le talent n’a pas de genre. Et rappelle les risques de la profession, illustrée notamment par la disparition de Gerda Taro (longtemps oubliée au profit de son compagnon, Robert Capa) à 26 ans durant la guerre d’Espagne. • MARIE FANTOZZI > jusqu’au 31 mars au musée de la Libération de Paris

Christine Spengler en Iran, 1979

----> LA SOURCE

Du lundi au jeudi, les apprenants de La Source Foodschool, « école de la restauration éthique », cuisinent au café de La Cité Fertile. En ce jour de mars dédié à la fermentation, on a pu découvrir un œuf tamago façon mimosa aux blettes et un banh mi au porc et pesto coriandre cacahuète. À partir de 15 €. • S. M. > 14, avenue Édouard-Vaillant (Pantin)

SPECTACLES ----> JUNE EVENTS Laboratoire de la création contemporaine, l’Atelier de Paris convie pour la seizième édition du festival June Events un joli panel de chorégraphes qui explorent plusieurs relations entre la danse et la nature. L’Américain Daniel Linehan orchestre une balade sensorielle qui nous exhorte à nous connecter à l’écosystème de Vincennes avec le diptyque Listen Here (Theses Woods et This Cavern). Puis la Belge Louise Vanneste nous invite à un voyage mental dans des écosystèmes imaginaires, la Brésilienne Vania Vaneau nous projette dans des paysages post-apocalyptiques, tandis que Marion Carriau et Magda Kachouche incarnent les monstres étranges qui pourraient peupler notre monde futur. De belles propositions qui questionnent : à l’heure du réchauffement climatique, quelle relation pouvons-nous entretenir avec la nature ? • B. M. > du 30 mai au 18 juin à l’Atelier de Paris

Black Bird de Mathilde Rance

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----> ABERRATION D’EMMANUEL EGGERMONT Danseur subtil à l’esthétique graphique fascinante, Emmanuel Eggermont déploie des pièces sophistiquées avec une pointe d’humour. Avec Aberration, il semble évoluer dans un tableau blanc dans lequel éclot une myriade de métamorphoses énigmatiques, pour mieux questionner notre capacité de résilience. • B. M. > les 18 et 19 mai au Carreau du Temple

----> SCÈNES OUVERTES À L’INSOLITE La scène émergente du monde de la marionnette se retrouve à ce festival défricheur. On y découvre Le Jeu de l’ourse de la compagnie Nids Dhom, avec son théâtre d’objet qui parle désir aux enfants, mais aussi La Chaise du collectif Toter Winkel, un spectacle dans lequel Adèle Couëtil se livre à un bras de fer burlesque avec une chaise attachée au plafond. • B. M. > du 8 au 15 juin au Moufetard – Théâtre des arts de la marionnette

Hamlet et nous, Cie TAC TAC

----> LA CONFÉRENCE DES ABSENTS DE RIMINI PROTOKOLL Le collectif berlinois expérimente depuis le début des années 2000 les possibilités du théâtre à travers de nombreux médias. Pour La Conférence des absents, ses membres imaginent une conférence internationale au cours de laquelle les experts – absents, donc – laissent leur voix et leurs idées être incarnées par le public. Une performance qui questionne la présence de l’auteur. • B. M. > du 12 au 14 mai au Centre Pompidou

----> GRACIELA ITURBIDE. HELIOTROPO 37 Rassemblant ses inoubliables portraits d’indigènes (notamment les femmes zapotèques du Juchitán) et clichés de déserts mystiques et de pérégrinations urbaines plus récentes, l’exposition célèbre l’une des plus éminentes et brillantes représentantes de la photographie mexicaine, née en 1942. • M. F. > jusqu’au 29 mai à la Fondation Cartier pour l’art contemporain ----> NELLI PALOMÄKI. SPEED OF DARK La photographe, repérée et représentée par la galerie Les Filles du Calvaire, a profité de l’isolement dû à l’épidémie pour faire poser ses jeunes proches autour de sa maison dans la campagne finlandaise. Ses portraits d’un beau noir et blanc ténébreux explorent l’imaginaire enfantin, les liens familiaux et le rapport au temps. • M. F. > du 17 mai jusqu’au 18 juin à la galerie Les Filles du Calvaire

Nelli Palomäki, 10th of November (Ylva, mist), 2020

----> SABRINA RATTÉ. AURAE Interrogeant le statut de l’image, nos rapports aux écrans et la frontière entre le réel et le virtuel à l’ère de l’omnipotence numérique, l’artiste canadienne nous embarque dans une vertigineuse exploration spatiale à l’aide de poétiques installations immersives, animations, photogrammétries et sculptures. • M. F. > jusqu’au 10 juillet à La Gaîté Lyrique

EXPOS ----> FEMMES PHOTOGRAPHES DE GUERRE Parfois méconnues du grand public, toutes ont réalisé des images emblématiques : marines au Viêt Nam en 1967 pour Catherine Leroy ou révolutionnaires sandinistes au Nicaragua en 1979 pour Susan Meiselas… À travers les photos et la vie de huit photo-

no 188 – mai 2022

Sabrina Ratté, Radiance III, 2017 © Chantal Anderson ; © Mario Sorrenti ; © Stéphane Méjanès ; © Stéphane Méjanès ; © Stéphane Méjanès ; © Akiko Gharbi ; © Jihyé Jung ; © Roxane Ronot ; © D. R. ; © Sylvain Julienne ; © Courtesy galerie Les Filles du Calvaire ; © Sabrina Ratté


© Julien Panié – Making Prod / Entre 2 et 4 / CANAL+

UNE CRÉATION ORIGINALE CANAL+

DÈS LE 23 MAI SEULEMENT SUR



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