MASTER THESIS - The post-traumatic reconstruction process in Haiti

Le rôle de l’architecte dans le processus de reconstruction post-traumatique en Haïti

La citoyenneté active comme moteur d’urbanité

LE PROCESSUS DE RECONSTRUCTION POST-TRAUMATIQUE EN HAÏTI LES ACTEURS DE LA PLANIFICATION POUR UNE TRANSITION URBAINE HUMANITAIRE, LE CAS DE CANAAN

Travail de fin d’études présenté en vue de l’obtention du master en architecture et urbanisme Faculté d’Architecture et d’Urbanisme de Mons Année académique 2019-2020 Réalisé par Thomas DUPONT Promoteurs : Pascal Simoens - Fabrice Sobczak Promoteurs : P. SIMOENS – F. SOBCZAK

Travail de fin d’études en vue de l’obtention du master en architecture

LE PROCESSUS DE RECONSTRUCTION POST-TRAUMATIQUE EN HAÏTI LES ACTEURS DE LA PLANIFICATION POUR UNE TRANSITION URBAINE HUMANITAIRE, LE CAS DE CANAAN

Promoteurs : Pascal SIMOENS - Fabrice SOBCZAK

Réalisé par DUPONT Thomas Année académique 2019-2020

Le processus de reconstruction post-traumatique en Haïti

Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan

PAGE SIGNALÉTIQUE Titre de l’ouvrage : Le processus de reconstruction post-traumatique en Haïti –

Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan Nom et prénom de l’auteur : Thomas Dupont Cotation :

Remarques :

Le processus de reconstruction post-traumatique en Haïti

Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan

RÉSUMÉ Mots-clés : Haïti, Canaan, urbanité, planification urbaine, architecte humanitaire, développement durable, coopération au développement, résilience.

Dans une société où l’humanitaire est idéalisé, où la Coopération au Développement est un système internationalement ancré, il parait essentiel de comprendre les réels besoins que nécessitent des communautés ayant subi un traumatisme. Le processus de reconstruction post-traumatique est devenu, au fil du temps, un procédé internationalement standardisé. La réponse face au séisme du 12 janvier 2010 en Haïti explique parfaitement la complexité des relations entre les différents acteurs, nationaux et internationaux, actifs après la catastrophe. Notre objectif, au travers de ce travail, n’est pas de recopier les nombreuses études déjà réalisées auparavant sur les innombrables interventions humanitaires qui ont lieu en Haïti. Il s’agit plutôt de comprendre les raisons pour lesquelles les organismes nationaux et internationaux ont eu tant de mal à gérer les défis urbanistiques, notamment dû aux questions institutionnelles autour de la propriété et de la planification de la reconstruction.

Le tremblement de terre haïtien de 2010, qui a causé la mort de plus de 300 000 personnes, en a blessé autant et a laissé plus de 1,3 million de personnes sans abri (Farmer, 2012) est un exemple qui montre que les catastrophes naturelles alimentent encore plus les tendances à l'urbanisation informelle, augmentant ainsi la pauvreté structurelle et la vulnérabilité du pays. Au travers de l’étude du cas de Canaan, conséquence des nombreuses stratégies de reconstruction, nous tenterons d’analyser si le manque de coordination et de collaboration est également transposé à cette échelle du territoire. La pratique de la coopération au développement pourra ainsi être remise en question en la confrontant au processus dynamique de la planification citoyenne informelle.

Le processus de reconstruction post-traumatique en Haïti

Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan

Je tiens à remercier mes deux promoteurs, Monsieur Pascal Simoens, pour ses précieux conseils et son ouverture au dialogue, que ce soit pour ce travail ou pour les nombreux travaux réalisés en cours de conception architecturale lors de mon cursus académique. Merci à Monsieur Fabrice Sobczak, pour son suivi, ses conseils et son ouverture d’esprit.

Je tiens particulièrement à remercier l’équipe d’URBATeR qui m’a permis de découvrir qu’avoir un impact positif dans la coopération au développement est tout à fait possible au travers du métier d’architecte/urbaniste.

Merci à Monsieur Pierre Cornut et Monsieur Fabrice Sobczak de m’avoir accompagné lors de notre séjour en Haïti. Cette expérience restera longtemps gravée dans ma mémoire.

Le voyage réalisé dans le cadre du présent travail/stage a été rendu possible grâce au soutien financier de l'UMONS, dans le cadre de sa politique de Coopération au développement.

Merci à Myriam Moreau pour le temps passé à la relecture de ce travail.

J’aimerais finalement remercier toutes les personnes qui m’ont aidé de près ou de loin à la réalisation de ce travail de fin d’études.

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Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan

TABLE DES MATIÈRES PRÉAMBULE................................................................................................................................................. 1 Introduction ............................................................................................................................................... 1 Méthodologie de travail........................................................................................................................... 4 PARTIE I CONTEXTUALISATION ............................................................................................................... 6 1.

Contexte historique, politique et territorial ................................................................................ 6 1.1.

1.1.1.

Contexte historique et politique ................................................................................. 7

1.1.2.

Contexte économique et pauvreté............................................................................. 9

1.1.3.

Contexte démographique et urbanisation .............................................................. 11

1.2.

2.

Vulnérabilités et aléas en Haïti .......................................................................................... 12

1.2.1.

Vulnérabilité territoriale .............................................................................................. 12

1.2.2.

Vulnérabilité face à la politique internationale ....................................................... 17

La crise urbaine haïtienne .......................................................................................................... 19 2.1.

Des dynamiques spatiales ancestrales … ....................................................................... 20

2.1.1.

La notion de propriété ............................................................................................... 20

2.1.2.

La problématique foncière ........................................................................................ 22

2.1.3.

L’affermage .................................................................................................................. 23

2.2.

3.

Contexte général d’Haïti ....................................................................................................... 7

… à une gouvernance urbaine informelle ....................................................................... 25

2.2.1.

Le développement chaotique de Port-au-Prince ................................................... 26

2.2.2.

La bidonvilisation à Port-au-Prince .......................................................................... 28

2.2.3.

Typologie des quartiers de Port-au-Prince ............................................................. 32

Goudougoudou : la colère de la nature .................................................................................. 33 3.1.

Un bilan catastrophique ...................................................................................................... 34

3.2.

La réponse humanitaire ...................................................................................................... 36

3.3.

Standardisation du processus de reconstruction post-traumatique ............................ 38

3.3.1.

Les catastrophes en milieu urbain ........................................................................... 40

3.3.2.

Les catastrophes et les communautés ................................................................... 40

3.3.3.

Les phases de reconstruction post-traumatique ................................................... 41

3.3.4.

La coopération internationale et la réponse post-traumatique ........................... 42

POINTS CLÉS.......................................................................................................................................... 44 PARTIE II LA NATURE DU DILEMME INSTITUTIONNEL URBAIN HAÏTIEN..................................... 45 1.

Haïti et la coopération internationale au développement ..................................................... 45 1.1.

Fondements historiques et théoriques de l’aide au développement .......................... 47

1.1.1.

La sous-traitance non-gouvernementale ................................................................ 49

1.1.2.

L’action humanitaire comme outil de planification territoriale............................. 52

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1.2.

Institutionnalisation de la coopération au développement en Haïti ............................ 58

1.2.1.

De l’isolement aux interventions internationales ................................................... 58

1.2.2.

« La République des ONG » ....................................................................................... 60

2. Gouvernance des institutions haïtiennes de la planification territoriale, de l’aménagement urbain et du logement ........................................................................................................................... 63 2.1.

La décentralisation étatique ............................................................................................... 64

2.2.

Les interactions institutionnelles ....................................................................................... 66

2.2.1.

Les institutions sectorielles ....................................................................................... 66

2.2.2.

Les institutions transversales.................................................................................... 68

2.2.3.

Les outils de planification et réglementation urbaine ........................................... 72

2.2.4.

Synthèse des principaux acteurs.............................................................................. 72

2.3.

Les enjeux sectoriels ........................................................................................................... 74

2.3.1.

3.

Fragmentation des compétences ............................................................................ 75

Stratégies de la reconstruction haïtienne ................................................................................ 77 3.1.

Gestion de l’urgence............................................................................................................ 78

3.1.1.

3.2.

Définir les besoins et les nécessités ....................................................................... 80

Enjeux et problématiques clés de la reconstruction ...................................................... 83

3.2.1.

Stratégies territoriales pour la reconstruction ........................................................ 83

3.2.2.

Les camps .................................................................................................................... 85

3.2.3.

Le foncier, l’habitat et la prévention des risques naturels ................................... 90

3.2.4.

La Planification Urbaine Stratégique..................................................................... 100

3.3.

Entre urgence et développement ................................................................................... 105

POINTS CLÉS....................................................................................................................................... 108 PARTIE III VERS UNE TRANSITION URBAINE HUMANITAIRE : LE CAS DE CANAAN ............... 109 1.

Conséquence de la stratégie de la reconstruction .............................................................. 110 1.1.

1.1.1.

Des camps planifiés … .......................................................................................... 111

1.1.2.

… à l’émergence de Canaan ................................................................................. 116

1.1.3.

Implication de la coopération au développement .............................................. 119

1.2.

2.

La dynamique de relocalisation ...................................................................................... 111

Les enjeux de Canaan ...................................................................................................... 120

1.2.1.

L’étalement urbain de Canaan .............................................................................. 120

1.2.2.

Enjeux environnementaux liés à l’urbanisation de Canaan .............................. 122

1.2.3.

Impact des collectivités territoriales sur Canaan ................................................ 124

1.2.4.

Les programmes de développement urbain ....................................................... 125

Exploiter le développement urbain spontané ...................................................................... 126 2.1.

Confrontation des dynamiques de réhabilitation ......................................................... 126

2.2.

La permanence d’une urbanité vulnérable ................................................................... 128

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2.2.1.

Vers un développement inclusif ............................................................................ 128

2.2.2.

De l’architecte humanitaire à l’architecte du développement .......................... 132

2.2.3.

L’impact du phasage interventionniste ................................................................ 134

POINTS CLÉS....................................................................................................................................... 135 PARTIE IV CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES ................................................................................. 136 BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................................... 139 TABLE DES ILLUSTRATIONS ................................................................................................................ 143 INDEX ........................................................................................................................................................ 148 ANNEXES .................................................................................................................................................. 150

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AVANT-PROPOS Ce travail, au-delà de ses vertus académiques, m’a permis de comprendre ce que je recherchais, ce que j’espérais trouver dans le métier d’architecte. Je ne pensais pas y trouver un côté trop technique, trop administratif et pourtant, plus les années de ma formation passaient, plus je me retrouvais confronté à la réalité de la profession. Il m’en fallait plus, il me fallait réfléchir à d’autres possibilités, d’autres ouvertures. Ma logique était alors claire, je n’avais aucune prédisposition particulière à part l’envie d’agir par humanisme, être utile aux autres. Je me mis alors à chercher ce qui me motiverait, ce qui mettrait ce que j’ai appris en avant, ce qui fait de moi celui que je suis vraiment. C’est grâce à ce travail que mon intérêt pour l’humanitaire est né. Je voulais me permettre d’étudier, d’analyser un univers qui paraissait idyllique et utopique. Je me suis rapidement rendu compte que ce monde ne correspondait pas vraiment à l’image que je m’en faisais.

J’avais peut-être pressenti que l’urgence en architecture était une voie qui pouvait s’imposer.

Si je devais choisir une image qui représente ma volonté d’agir pour un mieux-être de l’autre, ce serait ma prise de conscience lors d’un cours d’anglais en BA3. Notre professeur nous demandait alors de nous projeter dans 50 ans. Beaucoup de mes camarades s’imaginaient devenir de grands architectes, ayant réalisé de grands projets connus partout dans le monde. Personnellement, je ne voyais qu’une seule chose : être fier de mes réalisations certes, mais surtout d’avoir le sentiment que mes interventions aient un impact positif sur une communauté dans le besoin, savoir qu’on a permis, à notre échelle, de combattre ce sentiment d’impuissance face à tous les problèmes de notre si chère Terre.

C’est de cette volonté que s’est attisé mon intérêt pour le métier d’architecte et pour développer des compétences utiles et adaptées à chaque situation. Dans cette facette humanitaire du métier, il s’agit parfois plus de tendre l’oreille, d’analyser, d’expliquer et d’aider les autorités locales à prendre les meilleures décisions dans le secteur urbain, plutôt que de servir de maître d’œuvre.

L’intérêt pour Haïti et ses diverses problématiques sont nées premièrement par le biais de recherches lors d’un travail concernant l’architecture d’urgence, deuxièmement grâce au projet URBATeR 1 dont mon professeur de conception architecturale, Mr Pascal Simoens, nous avait plusieurs fois parlé. Les images d’une nation complètement anéantie au lendemain du 12 janvier 2010 me révoltaient. Plus que des images de bâtiments effondrés au sol, plus que des photos de camps de réfugiés, ce sont des récits poignants qui rendent la réalité du pays encore plus frappante. Il est impossible pour quelqu’un, même avec la meilleure volonté du monde, de comprendre ce que peut vivre une société Urbanisme résilient et aménagement des territoires à risques (URBATeR). Il a comme objectif de former des aménageurs Haïtiens, par des Haïtiens, sur le territoire haïtien. Spécialisés en méthode de projets pluridisciplinaires, les diplômés seront les instigateurs d’une dynamique de réflexion, de recherche et d’innovation, et les vecteurs d’une culture de l’aménagement concerté et inclusif.

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comme celle d’Haïti sans être réellement entré en contact avec elle. J’ai eu cette chance et j’en suis d’ailleurs extrêmement reconnaissant, car il s’agissait là d’une opportunité humaine au-delà de mes espérances. Ce fut une rencontre directe avec tout ce que je recherchais ces dernières années.

Nous nous retrouvons aujourd’hui, 10 ans après la catastrophe, avec un bilan qui fait froid dans le dos : cette nation qui a survécu pendant 200 ans à une forme de colonialisme moderne, ce peuple qui s’est battu pour sa liberté, se voit dans une situation provoquant le doute et l’incertitude d’un futur développement. Des promesses sont encore tenues du bout des lèvres des acteurs de la Communauté Internationale. Qu’elles soient budgétaires, politiques, territoriales, celles-ci ne sont plus que des failles dans un système déjà défaillant.

Figure 1: Vue aérienne de Port-au-Prince, Haïti en 2020.

Source : Google Earth. Capture d’écran effectuée le 09 avril 2020.

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PRÉAMBULE Introduction La recherche de l’accessibilité à un logement décent et abordable pour tous est une problématique qui devrait être centrale pour toute personne agissant dans le domaine humanitaire. Lorsqu’une catastrophe survient, de nombreux acteurs se mettent en place pour agir rapidement et efficacement pour remplir cette condition. Cependant, Haïti n’a pas su saisir cette chance, cette opportunité. Une histoire perturbée par des crises sociales, environnementales, économiques, a finalement amené la nation à un état d’urgence en matière d’urbanisme. L’instabilité politique, dans laquelle survit une population négligée, a conduit à une normalité du développement urbain informel en Haïti.

C’est une société tout entière qui se bat aujourd’hui pour sa subsistance, contre la vulnérabilité d’un territoire dans lequel elle ne souhaite que saisir une chance de pouvoir se développer.

Lorsque le tremblement de terre a frappé Haïti en fin d’après-midi le 12 janvier 2010, c’est une nation entière qui s’est retrouvée complètement figée. L’épicentre du séisme de magnitude 7.0 a frappé Port-au-Prince en plein cœur urbain. C’est la région la plus densément peuplée qui est touchée, causant la mort de 300 000 personnes, faisant 300 000 blessés et laissant 1,3 million de sans-abris (PDNA, 2010)2. Le bilan urbain et matériel est tout aussi catastrophique, avec une grande partie de l’habitat détruit et la majorité des infrastructures du pays réduites en cendres (PDNA, 2010). Il n’a fallu que quelques jours après la catastrophe pour voir les espaces publics de Port-au-Prince envahis de bâches et de tentes installées par les personnes forcées de se déplacer, de se réfugier.

Figure 2 : Épicentre et intensité du séisme du 12 janvier 2010.

Source : (USGS, 2010) https://earthquake.usgs.gov/earthquakes/eventpage/usp000h60h/executive

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Les chiffres eux-mêmes font l'objet de nombreuses controverses. Selon le gouvernement haïtien de l'époque, le nombre de morts s'élevait à 316 000. Cette figure est contestée et réduite par certains à une fourchette comprise entre 46 000 et 85 000. Voir P. Farmer, Haiti after the earthquake, New York, Public Affairs (2012).

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Cette catastrophe a exposé un État à ses plus grandes faiblesses. Beaucoup pensaient qu’il s’agirait là d’une opportunité de pouvoir refonder le pays sur des bases plus saines et solides. C’était sans compter sur l’intervention d’une Communauté Internationale assoiffée d’un désir d’aider ou de continuer à marquer son emprise sur un pays qui, depuis 200 ans, se battait pour son développement. Cette dernière a fait en sorte de servir de coordinatrice générale pour la gestion post-catastrophe.

Cependant, comme nous le verrons lors de notre analyse, de nombreuses erreurs ont été commises par des décisions hâtives, un manque de communication et de collaboration entre acteurs nationaux et internationaux. L’exemple flagrant de cette planification houleuse est la déclaration d’utilité publique de mars 20103. Le gouvernement haïtien dépassé par les conséquences du séisme, met à disposition un terrain de 5000 hectares au nord de la capitale, afin d’aider une population fragilisée et désespérément à la recherche de nouvelles opportunités. Cette décision a provoqué un exode urbain massif créant une vaste urbanisation de la zone. Aujourd’hui, Canaan est devenu une ville à part entière du pays et constitue un fait démontrant que les catastrophes naturelles peuvent alimenter l'urbanisation informelle et la vulnérabilité d'un pays face aux futures catastrophes environnementales.

Au travers de la compréhension de l’histoire, de la politique, de la culture, de la situation économique et sociale d’Haïti, nous analyserons la situation du pays et plus particulièrement Port-au-Prince, avant et après le séisme, afin d’en proposer une analyse critique. Nous analyserons le système institutionnel de l’aménagement du territoire haïtien ainsi que la place de la Communauté Internationale dans une mécanique de coopération au développement. Nous nous interrogerons ensuite sur la gestion de l’urgence, son évolution et ses conséquences sur le territoire et la population par ces mêmes institutions.

Nous traiterons ainsi les procédures mises en place par le gouvernement haïtien et les différents acteurs préalablement établis, afin de voir si elles sont perçues comme durables et si elles répondent de manière adéquate aux réels besoins de la population haïtienne.

Ensuite, nous tenterons de mettre en lumière l’ensemble des problèmes liés à l’organisation urbanistique post-catastrophe de la capitale menant à un manque de planification stratégique du territoire. À travers la compréhension du processus de reconstruction des quartiers sinistrés, nous dirigerons plus précisément le sujet vers l’étude urbanistique d’une zone particulière, celle de Canaan, afin d’élaborer des réponses pertinentes et argumentées.

La confrontation de cette réalité complexe nous pousse à réfléchir à l’importance de la gouvernance non seulement urbaine mais aussi humaine lors d’un processus de reconstruction post-traumatique : d’une part, la force créatrice communautaire face à l’inefficacité étatique, et, d’autre part, la volonté d’une Communauté Internationale d’apporter son aide en période de trouble. R. Seitenfus, politologue et représentant brésilien à l’OEA, bien qu’il fasse partie de cette communauté qu’il qualifie lui-même de vorace, souligne de manière juste et sensible que « la reconstruction et l’accompagnement d’une société si riche est une des dernières grandes aventures humaines » (Seitenfus R. , 2015).

L’ensemble de ces questionnements et constats nous amène à confronter la théorie et l’expérience vécue sous les problématiques suivantes :

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La déclaration d’utilité publique sera expliquée plus en profondeur dans les prochains chapitres.

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Que faire lorsque la passivité de l’État dans l’urgence prend des proportions de démission nationale ? Quelles alternatives de gestion et de planification reste-t-il face à la défaillance de l’État ?

Quelle a été la place des acteurs de la planification de la reconstruction après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 ? Quelles ont été les conséquences des stratégies de la reconstruction, particulièrement sur les quartiers défavorisés ?

Quel impact l’architecte/urbaniste peut-il avoir dans un contexte de l’urgence afin d’améliorer la gouvernance urbaine dans un pays en voie de développement comme Haïti ?

Le réel enjeu de ce travail de fin d’études est d’examiner quels rôles les métiers de la planification urbaine, et plus particulièrement celui d’architecte, peuvent jouer dans le processus de reconstruction post-traumatique. Un autre enjeu du travail est de questionner comment dans un contexte post-traumatique, une approche urbaine plus citoyenne et locale pourrait contribuer à l'action participative et coopérative mais aussi à la création de réseaux et à l'échange de connaissances entre les acteurs clés du développement.

Pour réellement comprendre le sujet dans toute sa complexité, je devais m’imprégner directement du territoire. À l’aide de mes promoteurs et du programme URBATeR, nous avons pu réaliser une mission en Haïti du 25 janvier au 6 février 2020 me permettant une réelle immersion dans ce pays si particulier. Les visites et nombreux échanges effectués avec des professionnels, des habitants, des leaders communautaires, des professeurs, m’ont permis de mieux cerner la situation concrète du pays. Grâce à cette mission, nous aurons l’opportunité d’effectuer une rétrospective de 10 ans en arrière et d’ouvrir des pistes de réflexion sur l’impact potentiel de l’architecte/urbaniste tel que je le conçois dans un système urbain informel et dynamique tel qu’Haïti.

Figure 3 : Canaan vu depuis Jérusalem 7.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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Méthodologie de travail Ce travail interroge un système existant et le confronte à ses réalités. Nous partons de l’élaboration d’une situation initiale avec l’analyse interne du fonctionnement du système de planification urbaine, mais également du système de coopération au développement en Haïti. Surgit alors l’élément perturbateur qu’est le tremblement de terre. Son impact sur les structures institutionnelles existantes n’est pas à négliger. Il modifie implicitement la nature des relations et de la collaboration interne du système en place. La dynamique qu’il impose crée des liens qui n’ont pas nécessairement été planifiés. C’est au travers de ces composantes que réside la complexité de la réponse post-traumatique.

La méthodologie de recherche théorique se décompose selon deux axes principaux : le premier est une approche qualitative par la recherche théorique et l'analyse des données disponibles, le second est une approche orientée vers la pratique comprenant la collection et l’interprétation de données primaires et secondaires (entretiens, visites de terrains, etc.) vécues sur le site lors du séjour en Haïti.

L'acquisition des connaissances théoriques a été basée d’une part sur une lecture de la littérature interdisciplinaire et générale relative au site, et d’autre part en examinant les rapports du gouvernement, des articles d'organisations actives en Haïti ou des journaux locaux. Nous avons également communiqué avec des praticiens en Haïti travaillant dans l'urbanisme, l’architecture, ou le développement urbain durable.

Ensuite, il sera nécessaire de démontrer en quoi le contexte actuel du fonctionnement du système d’aménagement du territoire et du système de coopération au développement en Haïti affectent une problématique comme l’évolution urbaine informelle. Dans ce contexte, nous réinterrogerons la place de l’architecte/urbaniste face à cet urbanisme spontané, notamment en matière de rapports sociaux et d’interventions. Dans cette recherche de pistes vers un urbanisme plus durable, nous nous tournerons enfin vers le cas de Canaan comme axe de réponse.

Les méthodes utilisées n'ont pas été suivies uniquement de manière séquentielle et linéaire, il serait plus juste de dire qu’elles se chevauchent, réagissant à l'évolution des connaissances, des rencontres et des circonstances. Cette méthodologie « faire pour apprendre » permet un dynamisme qui apparaît alors comme fondamental lors d’une étude sur un territoire qui l’est tout autant.

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Figure 4 : Schéma méthodologique du travail

Source : Schéma réalisé par Thomas Dupont, 2020.

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PARTIE I CONTEXTUALISATION 1. Contexte historique, politique et territorial Parler d’Haïti c’est susciter deux sentiments opposés : l’enchantement et le désespoir.

Forte de son histoire, de sa volonté unique dans la lutte pour sa liberté, de sa capacité historique à supporter des conditions de vie inconcevables pour des Occidentaux, Haïti est affaiblie par des statistiques socio-économiques alarmantes, ses relations à doubles tranchant avec des partenaires internationaux, et sa vulnérabilité territoriale. Il est impossible, lorsque l’on se penche sur Haïti pour la première fois, de ne pas être envahi par cette double impression. Il faut cependant abandonner cette vision de noir et blanc pour tenter d’approcher au mieux les zones d’ombres.

Lorsque le tremblement de terre a frappé Haïti le 12 janvier 2010, la démocratie fragile se relevant à peine depuis l’élection du président René Préval en 2006, est de nouveau rappelée à l’ordre par la nature. Ce n’est pas la première fois que cela arrive, car en 2004 et 2008, le pays a été touché par des ouragans et inondations mortelles faisant 4000 morts et 20 000 sans-abris (Forsman, 2010). La tragédie de 2010 quant à elle laisse un bilan dévastateur de 300 000 morts, 300 000 blessés et 1,3 million de sans-abris (Farmer, 2012). Au-delà du bilan humain, c’est toute une société qui s’effondre en un instant. La plupart des bâtiments publics se retrouvent balayés : les écoles, les hôpitaux, les universités, les centres économiques et politiques, etc. C’est plus de 100 000 habitations détruites et 200 000 endommagées (Farmer, 2012). La gestion des retombées économiques, sociales, politiques et urbaines sera décisive pour l’avenir du pays caribéen. En comparant les pertes en vies humaines et le niveau de destruction incroyablement élevés avec des catastrophes naturelles similaires dans d'autres régions géographiques, causant souvent beaucoup moins de dégâts, l'importance du contexte politique, historique et territorial local devient évidente. Ces trois aspects aideront à mieux comprendre la grande vulnérabilité et la faible préparation aux catastrophes de la population et du gouvernement haïtien.

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1.1. Contexte général d’Haïti 1.1.1. Contexte historique et politique L’état Haïtien est devenu indépendant en 1804 grâce à une révolution esclavagiste, la première du monde moderne à avoir réussi. Haïti a une histoire baignée dans la guerre et la violence. Des massacres des premiers Haïtiens par les explorateurs espagnols, à l’arrivée de milliers d’esclaves africains, en passant par la révolution contre la France Napoléonienne et la dictature brutale des Duvalier, le peuple haïtien s’est toujours battu pour sa liberté, son indépendance et ses droits fondamentaux.

Juste quelques dates pour mémoire : -

1804 : Indépendance de la République d’Haïti, deuxième nation libre du continent américain 1833 : Abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques 1848 : Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises 1860 : Abolition de l’esclavage dans les colonies hollandaises 1865 : Abolition de l’esclavage dans l’ensemble des États-Unis d’Amérique

Dans sa quête de liberté, Haïti qu’elle le veuille ou non, a créé un nouveau monde et de fait une nouvelle modernité à laquelle elle devra faire face et assumer les conséquences.

La jeune nation se retrouve alors devant un vide utopique sans modèle politique clair.

L’Occident à l’époque était colonialiste, esclavagiste et raciste. La révolution esclavagiste haïtienne a effrayé les grandes puissances. Ils ont considéré cet acte comme un crime de lèse-majesté. Les États-Unis n’ont accepté l’indépendance qu’en 1862 alors que la France exigeait une compensation financière. Il n’est pas difficile à comprendre que dès le départ de l’histoire haïtienne, le développement et la liberté sont mis en péril. S’ensuit alors deux siècles de succession de dictateurs et troupes étrangères. Lors de ma rencontre avec Mr Fautrez, directeur d’une ONG belge agissant en Haïti depuis 1990, le tournant principal de l’histoire moderne d’Haïti s’est joué en 1914 « lorsque les États-Unis ont profité de la désorganisation du pays pour imposer leur occupation économique » (Fautrez, 2019), ils en ont profité pour créer des zones franches. On assiste à une réelle occupation américaine militaire, économique et aujourd’hui humanitaire.

Au cours du XXe siècle, la jeune république est passée d’une occupation étrangère, suivie d'une succession de régimes autoritaires, à une dictature de vingt-neuf ans de la famille Duvalier. « Papa Doc » François Duvalier et son fils « Baby Doc » Jean-Claude Duvalier, ont réprimé toute dissidence politique par la terreur de leur milice, les tontons Macoute. Dans le vide du pouvoir à la suite de leur renversement en 1986, Haïti a passé une décennie politique instable. Le mouvement démocratique croissant a provoqué de violentes émeutes, des coups d'état militaires. Les origines de ces conflits étaient essentiellement des conflits de classe entre les anciennes élites et un mouvement populaire naissant revendiquant des droits politiques, civils, sociaux et économiques égaux pour la majorité pauvre d'Haïti (Farmer, 2012).

L’histoire politique d’Haïti aux premiers abords fait ressortir une complexité particulière, notamment due aux régimes dictatoriaux et aux nombreux coups d’état. La corruption semble s’être enracinée profondément dans le système politique haïtien montrant au grand jour une instabilité constante et inébranlable.

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Le processus de reconstruction post-traumatique en Haïti

Source : Schéma réalisé par Thomas Dupont, 2020.

Figure 5 : Dates clés de l'Histoire d'Haïti

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1.1.2. Contexte économique et pauvreté Dans un rapport de l’ONU-HABITAT dirigé par Asa Forsman en 2009, l’auteure nous dresse un bref bilan sur la situation économique en Haïti. Ce rapport développe qu’Haïti est un des pays les plus pauvres de l’hémisphère nord et qu’il est classé dans les pays les moins développés (LDC4). Le pays a une économie en déclin depuis des décennies, avec une croissance négative ou nulle du PIB depuis 1965. Entre 1985 et 1995, le PIB a diminué de 5%. La baisse totale du PIB entre 1975 et 2005 était de 2,2% (République d'Haïti, 2005).

Haïti en quelques chiffres5 : Superficie : 27 750 km² Population en 2009 : 9 923 243 habitants Densité : 367 hab/km²

Population en 2019 : 11 591 279 habitants Densité : 428 habitants/km²

Figure 6 : Situation géopolitique d'Haïti.

Source : Nations- Unies, http://www.carte-du-monde.net/pays-1447-haiti.html

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Least Developped Countries : Pays les Moins Développés.

Chiffres de la Banque Mondiale, 2019.

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Les conditions de vie en Haïti sont loin d’être aisées. L’espérance de vie est de 63 ans, 54% de la population vivent avec 1,9$ par jour. Cependant, la pauvreté n’est pas que matérielle, l’Indice de Développement Humain (IDH) est relativement bas (0.54) comparé à celui de la Belgique qui est de 0.916 (sur une base nominale de 1). Haïti est classé 163e sur 188 pays pour son IDH selon le Rapport du Développement Humain dans Le Monde de 20166. Il s’agit également d’une des sociétés les plus inégales au monde : les 10% les plus riches ont près de 50% du revenu total du pays, alors que les 10% les plus pauvres n'en ont que 0,7% (United Nations Human Settlements Programme, 2010).

Non seulement les Haïtiens sont généralement pauvres, mais l’accessibilité aux services publics vitaux est très basse. La faible quantité de services fournis par les autorités nationales et locales haïtiennes a créé un pays où seulement la moitié de la population est alphabétisée, où les infrastructures se sont effondrées et où près de la moitié de la population est sous-alimentée. Le manque d'accès aux infrastructures de base, comme la santé et l'éducation, est plus ou moins chronique. La situation ne s'est que légèrement améliorée au cours des dernières décennies. Pour ceux qui ont accès aux services, la qualité et la cohérence de ceux-ci varient encore énormément entre les différents domaines et les différents groupes de revenus (Forsman, 2009).

Selon une estimation, la pauvreté en Haïti est plus concentrée dans les zones rurales avec jusqu’à 75% des personnes extrêmement pauvres vivant à la campagne (Forsman, 2009). Une explication est que l'agriculture est en déclin. Une part croissante de la nourriture du pays est importée car les agriculteurs locaux ne peuvent nourrir que leur propre famille. Le secteur agricole, principale source de revenus pour plus de la moitié de la population d'Haïti, représente moins d'un quart de son PIB (The Economist Intelligence Unit, 2006). La capitale Port-au-Prince a, quant à elle, vu grandir en son sein la centralisation des pouvoirs de l’État. Ainsi, la plupart des institutions économiques ou politiques sont concentrées dans la ville. Il s’agit du centre décisionnel d’un point de vue politique et administratif principal du pays. Il ressort également que la capitale possède le plus grand nombre d’équipements et de services publics (hôpitaux, écoles, mairies, etc).

Figure 7 : Vue sur la plaine de la capitale depuis les hauteurs de Pétion-Ville, le 27 janvier 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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http://www.undp.org/content/undp/fr/home/librarypage/hdr/2016-human-developmentreport.html

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1.1.3. Contexte démographique et urbanisation Haïti avec 428 habitants par kilomètre carré est un des pays les plus densément peuplés de l’Amérique Latine (Banque Mondiale, 2019). À cause de la concentration de la majorité des services du pays dans la capitale, il y a eu, dans les années 1980, un exode rural massif vers Port-au-Prince. « Environ 30% de la population d’Haïti vit dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, où sont 90% des investissements du pays » (Milian & Tamru, 2018).

Figure 8 : Augmentation de la population de Port-au-Prince, 1790-2010.

3 000 000 2 500 000 2 000 000 1 500 000 1 000 000 500 000 0 1790

1840

1875

1890

1940

1960

1975

1990

2000

2010

Source : graphique réalisé à partir des informations de (Farmer, 2012).

Cet exode rural a eu un impact très important sur la structure urbaine de la capitale. En effet, l’État n’a pas réussi à répondre aux demandes en matière de logement et d’emploi des populations rurales venues chercher une promesse de vie meilleure. Cette incapacité généralisée des institutions gouvernementales a créé un secteur informel qui a pris de plus en plus d’ampleur, à la fois au niveau de l’habitat et de l’emploi également.

Un autre aspect particulier du pays est la disparition progressive d’une classe moyenne due à une émigration provoquée par la montée de la dictature des Duvalier dans les années 50. L’île est constituée aujourd’hui d’une très large population pauvre et d’une minorité bourgeoise très aisée. Le problème de la lente disparition de la classe moyenne est, à la fois, la perte de citoyens qui consomment plus que les pauvres et revitalisent ainsi l'économie et la perte de personnes bien éduquées, ce qui est probablement plus grave pour l'avenir d'Haïti (Forsman, 2010).

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1.2. Vulnérabilités et aléas en Haïti L’instabilité politique, sociale et économique d’Haïti n’est en quelque sorte que le reflet de la situation complexe géographique de l’ancestrale île d’Hispaniola7. Les nombreux aléas naturels touchant cette région des Caraïbes en fait un territoire pris au piège par les catastrophes naturelles telles que les ouragans, les tempêtes, les tremblements de terre, les inondations, les glissements de terrain, etc. La résilience typique du peuple haïtien se ressent d’autant plus dans cette survie face aux forces impitoyables de la nature.

1.2.1. Vulnérabilité territoriale Haïti est un pays situé dans les Antilles et occupe le tiers occidental de l’île d’Hispaniola.

Il est composé de nombreuses autres petites îles et archipels. Le pays a une superficie de 27 750 km² avec un relief majoritairement montagneux, marqué par des plaines côtières et des vallées. Le climat tropical présent sur tout le territoire provoque des températures chaudes qui descendent rarement en dessous de 18 degrés Celsius. Toutefois, il existe deux saisons en Haïti, principalement séparées selon leur pluviosité. La saison sèche se déroule de novembre à mars, et la saison des pluies s’étend du mois d’avril au mois d’octobre. Cette dernière entraîne souvent des inondations, parfois brutales sur l’ensemble du pays.

Figure 9 : Topographie d'Haïti.

Source : Rémi Kaupp, CC-BY-SA, Wikimedia Commons. http://www.carte-du-monde.net/pays-1456-cartetopographique-haiti.html

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Nom donné par les premiers colons espagnols à l’île que se partagent Haïti et la République Dominicaine.

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Risques climatiques et sismiques Les facteurs climatiques (chaleur et fortes pluies) sont les principaux acteurs de l’érosion des sols causant des glissements de terrain destructeurs qui s’avèrent parfois mortels. Un article visible sur le site du Bureau des Mines et de l’Energie (BME) écrit par Claude Prepetit, ingénieur géologue haïtien, affirme que : « les causes des mouvements de

versants sont diverses, mais il existe toujours un seul facteur de déclenchement, c’est-àdire un stimulus externe (fortes précipitations, secousses sismiques, éruptions volcaniques, etc.) apte à provoquer rapidement le mouvement. Dans la plupart des cas, les fortes précipitations enregistrées lors des saisons pluvieuses ou cycloniques, demeurent le principal responsable de la majorité des glissements en Haïti »8.

Deux grandes lignes de faille tectoniques traversent le pays, l’exposant à un risque sismique imprévisible (voir figure 11). Malgré l’occurrence annuelle de catastrophes naturelles, les autorités et la population sont très mal préparées aux catastrophes. Cela peut être attribué aux déficits des systèmes d’alerte précoce inappropriés à l’échelle du pays, au manque général d’infrastructures de protection et à la croissance non règlementée des établissements précaires dans les zones à haut risque environnemental (Farmer, 2012).

Figure 10 : La ravine Madaniel située à Canaan s'agrandit de jour en jour, mettant en danger les constructions situées aux abords. Le 30 janvier 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

« Les glissements de terrain » Claude Prepetit, mis en ligne sur le site internet : http://www.bme.gouv.ht/risques%20geologiques/Les%20glissements%20de%20terrain.pdf 8

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Sur une échelle nationale, Haïti est située dans une ceinture régulièrement frappée par des tempêtes tropicales dévastatrices, des ouragans et des cyclones. Comme nous le verrons plus en détails par la suite, le tremblement de terre du 12 janvier 2010 a laissé des séquelles profondes pour tout le pays. Mais ce n’est pas la seule catastrophe à laquelle les Haïtiens ont dû faire face ces dernières années. Six ans après le séisme, l’ouragan Matthew a violemment frappé la côte Est des États-Unis ainsi que certains pays des Caraïbes. Selon les estimations, cette catastrophe causa la mort de plus d’un millier de personnes. L’Unicef dresse un bilan de plus d’1,3 million d’Haïtiens touchés par l’ouragan.

Le territoire ayant été gravement impacté, sa vulnérabilité entraîne des inondations et des glissements de terrain aggravant encore plus le bilan et forçant la Protection Civile à intervenir auprès des personnes se retrouvant sans-abris. Ce lourd bilan aggravait une situation alors déjà très complexe car le pays ne s’était pas encore relevé du séisme de 2010.

Figure 11 : Carte schématique des risques et aléas en Haïti.

Source : CIAT, Haïti demain, Objectifs et stratégies territoriales pour la reconstruction, 2010.

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Déforestation et pollution Lors de notre séjour en Haïti, un autre désastre écologique nous est apparu : la déforestation. Selon le CIAT, le taux de couverture forestière du pays est aujourd’hui de moins de 2% contre 47% pour la République Dominicaine (CIAT, 2010). Celle-ci est principalement causée par l’exportation, mais aussi par la combustion du bois, qui est devenu un matériau relativement cher en Haïti. Ce serait 30 millions d’arbres qui seraient coupés annuellement pour couvrir 70% des besoins énergétiques sans qu’aucun projet de reboisement ne soit développé en parallèle (CIAT, 2010). Malheureusement, cette catastrophe semble s’aggraver de génération en génération et affaiblit petit à petit la tenue du sol et peut arriver à causer leur érosion. Bien que la déforestation soit plus visible dans les plaines, les montagnes sont également touchées à cause de la construction de logements dans la capitale.

Le long des pans de montagnes, l’augmentation des surfaces bâties et l’absence de végétation renforcent l’imperméabilisation des sols, renforçant, par la même occasion, le ruissellement lors de fortes pluies. Plus la déforestation prend de l’ampleur, plus le système naturel de rétention des eaux est gravement endommagé. N’importe quelle forte pluie a le potentiel de créer des coulées de boue, des glissements de terrain, des coulées de débris torrentiels dans les zones montagneuses et de graves inondations dans les plaines.

Ces quelques plaines productives sont encore souvent menacées par l’élévation de la mer et les tsunamis causés par le changement climatique. Comme nous avons pu le voir précédemment, l’économie du pays repose principalement sur une agriculture qui est aujourd’hui en déclin. De nombreuses industries se sont imposées et développées dans le centre-ville de la capitale, faisant perdre aux agriculteurs de nombreux emplois. Les catastrophes naturelles ont eu un effet dévastateur sur la qualité des champs, des cultures, des prairies. Cela n’a évidemment pas aidé les agriculteurs qui se trouvaient déjà en grande difficulté face à l’entretien de leurs terres.

C’est ainsi que nous retrouvons de nombreux ruisseaux asséchés, pollués, remplis de détritus empêchant l’écoulement naturel de l’eau. Le traitement des déchets naturels ou non est quasiment inexistant et force les habitants à vivre dans des conditions sanitaires déplorables. Ils ne trouvent pas d’autres solutions pour éliminer les déchets que de les brûler ou de les jeter dans les ravines9. Cette pollution est une vulnérabilité grandissante en Haïti et paraît pourtant tellement dérisoire par rapport à toutes les autres problématiques.

Comme nous pouvons le voir, l’aire métropolitaine de Port-au-Prince est constamment soumise à des risques naturels ou non. Chaque zone, chaque communauté, par sa localisation géographique est exposée différemment à ces risques et les conséquences peuvent également se ressentir spatialement. En effet, les communautés les plus pauvres, à cause du manque de ressources et de capacité de prévention contre le risque, se dirigent vers les zones les plus dangereuses, comme le long des ravines. Ainsi, dans un contexte aussi vulnérable, il est primordial de mettre en œuvre des mesures de réduction des risques afin de garantir un environnement sécuritaire et résilient.

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Forme naturelle d'érosion créée par le ruissellement concentré des eaux sur un versant.

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Le processus de reconstruction post-traumatique en Haïti

Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan Figure 13 : Déversement des déchets dans le quartier de Deprez.

Figure 14 : Déversement des déchets dans la ravine Georges.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

Figure 12 : Utilisation de pneus usés sur les pentes du quartier de Deprez pour créer un escalier tout en ralentissant l'écoulement de l'eau lors de fortes pluies.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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1.2.2. Vulnérabilité face à la politique internationale Haïti vit depuis 1986 un conflit domestique et politique caractérisé par une lutte de pouvoir entre acteurs influents du pays. Des troubles persistants et une profonde déstabilisation politique du gouvernement d'Aristide ont conduit à un « embargo » international sur le gouvernement haïtien. Le pays tout entier se retrouve plongé dans un contexte de pénurie régulière de denrées alimentaires et de produits de base, renforçant le manque de santé publique et d'éducation. Alors que le gouvernement intérimaire impopulaire est cependant soutenu par la Communauté Internationale.

Si nous regardons d’un point de vue historique, Haïti a toujours été considérée comme une menace au bien-être international. Ce qui explique, selon Seitenfus, « son rapport avec le monde défini par la force et jamais par le dialogue » (Seitenfus R. , 2015). En 2004, la Mission de maintien de la paix des Nations Unies, la MINUSTAH, avait été créée pour restaurer « un environnement sûr et stable » après le départ forcé en exil du président Aristide (Maintien de la paix des Nations Unies, 2013). Des groupes lourdement armés prenaient le contrôle de quartiers entiers de la ville, la police locale était faible ou corrompue et la compétence souvent douteuse. Il s’agissait également d’une période de grandes vagues de migration frappant le secteur professionnel d'Haïti. En particulier dans les secteurs publics de la santé, de l'éducation et des juridictions, des personnels qualifiés sont partis pour des ONG ou ont cherché leur fortune à l'étranger.

Le gouvernement, faute de budget et de personnel qualifié pour fournir les services les plus nécessaires au public à la veille du 12 janvier 2010, n'aurait guère pu mieux prévoir cette catastrophe environnementale et humanitaire. Le manque de soins de santé publique, de nourriture et d'eau potable a causé de nombreux morts. Les règlements d'aménagement du territoire et les codes du bâtiment n'avaient pas été adoptés depuis des décennies. La présence de la mission de la MINUSTAH et des agences internationales n'ont pas changé grand-chose lors de cette crise humaine persistante.

Le manque de compréhension des enjeux haïtiens fondamentaux sur la scène internationale a conduit à des opérations de « stabilisations ». Ce n’est pas moins de sept missions d’intervention militaire, policière et civile, organisées par les Nations Unies (ONU) avec le soutien de l’Organisation des États Américains (OEA) qui se sont rendues en Haïti entre 1993 et 2015.

Tableau 1 : Missions des Nations Unies en Haïti (1993-2014).

Mission MICIVIH UNMIH

Durée 02/1993 à 03/2000 09/1993 à 06/1993

Commandement ONU et OEA États-Unis

Effectifs Coûts 280 civils 14 millions USD 1297 militaires et 15,1 millions USD 291 policiers UNSMIH 07/1996 à 07/1997 Canada 1300 militaires et 71 millions USD 225 policiers UNTMIH 08/1997 à 11/1997 Canada 50 militaires et 20,6 millions USD 250 policiers MIPONUH 12/1997 à 03/2000 Guinée Bissau 300 policiers 20,4 millions USD MICAH 03/02/2001 Mission Civile 270 policiers 27 millions USD MINUSTAH 06/2004 à 02/2015 Brésil 12 000 militaires 8,8 milliards USD et 2500 policiers Source : tableau élaboré par R. Seitenfus sur base des données des Nations Unies. (Seitenfus R. , 2015)

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Proportionnellement au nombre d’habitants, Seitenfus affirme que « Haïti serait le pays qui reçoit le plus d’aide étrangère, aussi bien privée que publique » (Seitenfus R. , 2015). Le citoyen haïtien serait alors, avant le séisme, le citoyen coûtant le plus cher à la coopération internationale. Les chiffres présentés dans le tableau précédent nous poussent à nous interroger sur le volume considérable de l’aide théorique par rapport aux résultats obtenus.

Quelle est la stratégie de durabilité dans de tels programmes impliquant tant de personnes et tant d’argent ? Quelle menace représente Haïti pour que l’ONU se soit retrouvée sur l’ile à six reprises et pour des missions de nature différente ? Serait-ce le système de prévention des conflits qui ne serait pas adapté aux enjeux et au contexte d’Haïti ?

Si on jette un regard en arrière, nous pouvons voir que les défis haïtiens ont toujours eu une place spéciale dans le réseau international de l’aide au développement. Pour aller plus loin, nous pourrions jeter un œil sur le nombre de rapports, d’études scientifiques sociologiques, urbaines, démographiques, stratégiques, afin de comprendre le résultat de 25 années de recherche de la « modernité » en Haïti. Cette quête incessante de mettre un terme à l’infamie de la situation haïtienne a provoqué une renommée tristement célèbre de « cimetière de projets ». Cette quantité de connaissances impressionnante aurait dû contribuer à l’avancement de la nation, mais dans le contexte haïtien, le passage de la théorie à la pratique s’avère plus complexe que prévu. Comme nous le verrons par la suite, cette crise incessante provient avant tout de la philosophie que nous menons lors d’interventions ou de prises de décisions.

Figure 15 : Manifestation dans les rues de la capitale lors de Peyi Lock10.

Source : pays-lock

http://www.hpnhaiti.com/nouvelles/index.php/societe/6625-haiti-de-crises-en-crises-jusqu-au-

Peyi Lock : période durant laquelle Haïti a été complètement ralenti, voire paralysé par des manifestations anti-systémiques demandant la démission du président Jovenel Moïse (octobre à décembre 2019).

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2. La crise urbaine haïtienne La crise haïtienne est avant tout une crise de pouvoir et de fait, de la gestion du pouvoir.

Comme nous le montre l’histoire du pays, c’est un combat incessant vers une transition démocratique. Or, le système mis en place pendant presque deux siècles fut le théâtre de l’incapacité des Haïtiens à contrer l’instabilité politique de manière permanente. Pour reprendre les termes de Seitenfus, « la politique s’impose comme une représentation institutionnelle et non comme un instrument de médiation des conflits » (Seitenfus R. , 2015). Cette politique et cette gouvernance deviendraient donc l’épicentre du dilemme urbain haïtien.

De plus, l’urbanisation est souvent considérée par les gouvernements comme un problème politique alors qu’elle devrait être considérée plus comme un réel facteur de développement. Comme le dit Joan Clos, ancien directeur exécutif d’ONU-HABITAT, « le

processus d’urbanisation n’est pas une simple organisation du sol, c’est aussi un changement de la mentalité politique, de la capacité des citoyens à comprendre, d’accepter et d’adapter des nouvelles règles pour habiter la ville » (CIAT, 2014). Se pourrait-il alors que la cellule politique haïtienne, en mettant ce facteur de développement de côté, soit devenue aveugle aux réels enjeux territoriaux et aux retombées économiques qu’une urbanisation réfléchie aurait pu engendrer ?

Nous pouvons donc remettre en question l’impact de la problématique de gouvernance politique se retrouvant propulsée à l’échelle de la gestion du territoire et de la planification urbaine. En 25 ans, Haïti est passé d’un pays rural à un pays urbain. Passant de 20 à 52% de population urbaine (Forsman, 2010), le pays, et plus particulièrement Port-auPrince, « a évolué sans cadre institutionnel et légal favorisant une évolution urbaine contrôlée » (CIAT, 2014). Comment expliquer cette mutation urbaine ? Quel phénomène qu’il soit social, économique ou politique a provoqué un tel bouleversement ?

Au travers d’une analyse des différentes problématiques spatiales haïtiennes, nous tenterons ultérieurement de comprendre dans quel cadre de gouvernance évoluent le secteur de la planification urbaine et ses nombreux acteurs.

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2.1. Des dynamiques spatiales ancestrales …

L’urbanisme et la planification urbaine en Haïti sont intrinsèquement liés à l’histoire et à l’identité du pays. Les questions de propriété et d’accessibilité à la propriété sont des notions ancestrales pour tout Haïtien depuis l’Indépendance en 1804. Cette problématique resta et reste toujours un sujet de collision entre détenteurs du pouvoir et grands propriétaires terriens.

2.1.1. La notion de propriété Jean-Marie Théodat, géographe et professeur haïtien travaillant dans la reconstruction, nous explique lors de notre entrevue que Haïti étant issu d’une révolte visant à récupérer ses terres, cela a engendré « un exode massif des anciens propriétaires via la confiscation des biens par l’État » (Théodat, 2019). La terre sur laquelle s’est érigé le pays d’Haïti appartient donc par définition à l’État haïtien, en d’autres termes, la propriété nominale est collective (Levine, Bailey, & Boyer, 2012). Chaque terrain appartient d’office à l’État, particulièrement en ville ou dans les montagnes. Ce qui pose problème ce sont les terrains agricoles se situant principalement dans les plaines. Mr Théodat nous explique la particularité de ces terres agricoles en les décrivant comme « des propriétés domaniales mais qui sont de fait occupées par des exploitants qui les louent » (Théodat, 2019). Ces terres sont, comme dit plus haut, des terrains principalement occupés par des activités agricoles. Mais au bout de bientôt 10 générations, les titres de possessions n’ont plus grande valeur.

Il n’existe aucune certitude quant à la réelle occupation de ces terres. C’est pour cela « qu’il est très difficile de réaliser un cadastre à partir des faits réels » (Jadotte, 2020). On fait donc une grande différence entre ce qu’on appelle la propriété légale et la possession de fond. D’ailleurs, Mr Jadotte et Mr Théodat affirment tous deux qu’il existe une loi haïtienne faisant « qu’après 20 ans de possession, d’appropriation, vous devenez possesseur » (Théodat, 2019) 11 . Ce qui est particulièrement important dans la compréhension du système urbanistique et cadastral d’Haïti, et particulièrement à Port-au-Prince, c’est de savoir que devenir possesseur ne vous donne pas le droit de céder ou de vendre ce terrain.

Ce titre empêche simplement l’État de vous expulser ou dans le cas d’une catastrophe naturelle, de le déclarer comme terrain d’utilité publique. Prenons par exemple le cas des nombreux terrains établis Propriétés de l’État par décret présidentiel sous l’ère Duvalier (Levine, Bailey, & Boyer, 2012). Ces propriétés de l’État sont divisées en ce que l’on appelle « propriétés privées de l’État » et « propriétés publiques ou domaine public ». Ces propriétés publiques ne peuvent donc pas légalement être cédées ou vendues. Or, comme nous le verrons par la suite avec l’exemple du Morne l’Hôpital, de nombreuses terres situées sur les pentes des mornes sont vendues, louées ou revendiquées (Levine, Bailey, & Boyer, 2012).

La prescription acquisitive : le possesseur devient propriétaire à l’expiration d’un délai de 20 ans (délai de droit commun) même s’il n’est pas de bonne foi la prescription abrégée. La propriété foncière peut être perdue par « possession opposable » : si durant 20 ans un propriétaire ne cherche pas à contester l’occupant d’une terre se revendiquant ouvertement en tant que « propriétaire » (et non pas en tant que locataire payant un loyer), alors le propriétaire perd son droit de le faire. (Levine, Bailey, & Boyer, 2012).

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Figure 16 : Denses bidonvilles de Morne l'Hôpital, Port-au-Prince, 2013.

Source : Johann-Christian Hannemann, 2014.

D’un point de vue beaucoup plus traditionnel, nous pouvons voir l’impact de l’informel dans les propriétés privées. Notamment dans l’habitat vernaculaire haïtien, le lakou.

Originellement, le lakou désignait l’espace commun à un ensemble d’habitations familiales.

Le nom de lakou vient de « la cour », cet espace généralement centré autour du patriarche, était le nerf des activités communes.

Cependant, Mr Théodat tend à dire qu’aujourd’hui « le lakou a été complètement vidé de son sens » (Théodat, 2019). Au fur et à mesure des générations, la structure familiale s’élargit et finalement s’effiloche, car le pays est « passé d’un régime d’appropriation collective à un régime d’appropriation personnelle, individuelle ». On assiste aujourd’hui à ce qu’on peut appeler « un habitat dispersé avec une appropriation de fond qui donne lieu à un aménagement totalement individuel » (Théodat, 2019).

« On peut parler aujourd’hui d’une atomisation systémique de l’espace en Haïti qui fait qu’il faut vraiment s’adresser à chaque personne en particulier. » (Théodat, 2019)

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2.1.2. La problématique foncière Le système foncier et son cadre juridique trouvent leurs origines dans le droit français rural de l’administration des terres, principalement influencés par une économie agricole. Ce système se base sur un concept qui consiste à occuper une terre sans nécessairement considérer les contraintes légales imposées par l’État. Les conséquences d’un tel fonctionnement sont que l’on se retrouve avec une multitude de statuts de propriété. Les complications quant à la réelle nature d’un titre de propriété, d’occupation ou de location deviennent alors un cauchemar institutionnel pour tout organisme de la planification du territoire.

En effet, il existe de nombreuses formes de droit ou d’usage relatifs à l’occupation d’un terrain comme l’affermage12 (voir point suivant), ou bien des contrats de location, mais également des occupations illégales. Il est donc primordial à notre échelle de réflexion de bien distinguer le problème de droit foncier et le problème de l’administration foncière censée exercer le suivi de ces droits. Selon un rapport de l’Humanitarian Policy Group (HPG) datant de 2012, « ces deux concepts se noient dans la confusion » (Levine, Bailey, & Boyer, 2012).

De nombreux acteurs légaux apparaissent alors dans le secteur de droit foncier : en plus des notaires publics, nous retrouvons la Direction Nationale des Impôts (DGI), l’Office National de Cadastre (ONACA) mais également des organismes sous l’autorité du Ministère des Travaux Publics, des Transports et des Communications (MTPTC).

Toutefois, la coordination et la transparence de ceux-ci laissent apparemment à désirer et « expliquent à elles seules les problèmes récurrents auxquels doivent faire face les citoyens désirant agir dans un cadre légal » (Jadotte, 2020). Ce système de propriété foncière ne se base donc pas sur des procédures d’enregistrement centralisées, mais plutôt via des actes individuels faisant acte de propriété foncière (Levine, Bailey, & Boyer, 2012). Cette propriété foncière haïtienne peut donc être établie progressivement, individuellement, mais difficilement dans sa globalité13.

Toutefois, le secteur informel complique le bon fonctionnement d’un système foncier centralisé. Changer le système actuel signifierait toucher aux droits que cette population a acquis au fil du temps, et créerait potentiellement des conflits d’intérêts. Lors de notre entrevue avec Louis-Edouard Jadotte, ingénieur travaillant pour Habitat pour l’Humanité14, celui-ci nous a expliqué la volonté de l’organisme de travailler sur un système cadastral en transmettant aux communautés interrogées l’importance du foncier pour la valorisation de leur propriété. Il s’agirait de créer une immatriculation foncière de base dans le but de valoriser une rue, puis un quartier, puis une communauté tout entière. Ce projet de consolidation de la problématique foncière dans des quartiers informels est construit dans une optique stratégique centrée sur le développement urbain durable. En nous concentrant sur la participation des communautés concernées, nous pouvons assimiler un tel projet à un réel processus de développement.

Affermage, action d’affermer. Location d’un bien rural moyennant le paiement d’un droit de fermage.

L’explication détaillée de la problématique que constitue le droit foncier haïtien va au-delà du cadre de cette étude. Pour poursuivre plus loin, voir le rapport Mueller 2011, qu’il est possible de trouver à l’adresse suivante: https:// communities.centraldesktop.com/haitianlaws.

14 L'ONG Habitat pour l'Humanité est présente en Haïti depuis 1984. Ses actions sont orientées sur la construction de logements décents, abordables et permanents dans les communautés rurales et la formation aux techniques de construction.

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2.1.3. L’affermage Le système foncier étant une thématique très sensible pour tous les Haïtiens, comprendre le fonctionnement interne de la propriété privée paraît inévitable. Nous parlons ici de comprendre une partie de la culture institutionnelle d’Haïti par le biais d’un mécanisme informel qui régit encore et toujours les règles de propriété : l’affermage. Celui-ci est fondé historiquement sur le système ancien selon lequel des propriétaires fonciers ruraux toléraient la construction de maisons par des métayers sur leurs terres. D’un point de vue légal, l’affermage est la location d’un bien rural moyennant le paiement d’un droit de fermage (Levine, Bailey, & Boyer, 2012). Analysons la problématique grâce à l’extension informelle de l’affermage. Lorsqu’un propriétaire de terrain se trouve dans l’incapacité d’aménager ses parcelles ou qu’il craint qu’en étant vides, elles deviennent finalement occupées, celui-ci va choisir d’accepter un locataire qui, en l’échange d’un loyer, va pouvoir occuper ses terres et construire sa propre habitation.

Figure 17 : Terrain à vendre sur les hauteurs de ONAVILLE, Canaan. Le 30 janvier 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

Le loyer de cet affermage peut toujours varier en fonction des circonstances, du contexte, de la vulnérabilité du terrain, mais le locataire se contente de « louer » sans connaître réellement le prix de vente du terrain. Toutefois, bon nombre d’interrogations restent en suspens liés à la complexité informelle de ce système. Qu’arriverait-il si le propriétaire augmentait le loyer, ou si les différentes parties ne s’accordaient pas sur un certain montant ? Lors de notre séjour en Haïti, nous avons posé cette question à Salma Simeus, leader communautaire15 du quartier ONAVILLE à Canaan. Il nous a expliqué qu’« il faut simplement qu’ils trouvent un arrangement ». Cette réalité confronte l’urbanisation massive Les leaders communautaires ont une reconnaissance formelle d’une certaine autorité au sein de leur communauté. Cependant, ce n’est pas un titre officiel.

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de Port-au-Prince à son mécanisme interne. La capitale a connu une de ses plus grandes mutations grâce à de « simples arrangements entre parties » (Simeus, 2020). En effet, comme nous l’avons vu précédemment, dans un contexte où la présence et l’influence des lois des institutions de l’État sont relativement vagues, ce sont les règles sociales et économiques classiques qui prennent le devant. Cependant, cela ne veut pas dire que ces accords sont toujours respectés. Il y aura toujours des personnes prêtes à profiter d’un système ou d’un autre.

Toutefois, cette connaissance nous enseigne deux choses. Premièrement, malgré toutes les recherches qu’il pourrait y avoir sur le sujet de la propriété haïtienne, on se rend finalement compte que les populations locales savent elles-mêmes comment il est possible d’arriver à un accord dans leur propre société. Deuxièmement, dans le contexte d’une intervention d’urgence post-traumatique, nous pouvons nous poser la question de de l’importance de la compréhension de tels systèmes lors de négociations d’accords entre plusieurs parties, par exemple pour la création de camps de réfugiés ou lors d’expropriations nécessaires.

Figure 18 : Bien que la zone de Canaan soit un terrain d'État, nous pouvons voir de nombreux terrains à vendre par des particuliers. Par exemple ici, sur les hauteurs de ONAVILLE. Canaan. Le 30 janvier 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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2.2. … à une gouvernance urbaine informelle Grâce à notre précédente étude du contexte haïtien, nous pouvons mettre en évidence qu’en Haïti, une société s’est construite grâce aux révolutions face un État colonial.

Cependant, avec le temps, cette société change, mais l’État qui est devenu national est resté avec un esprit colonial. Ceci est matérialisé par un sentiment d’inégalité constant des richesses, faisant place à un « sentiment d’irresponsabilité et finalement une absence totale de service par rapport à la population » (Théodat, 2019). C’est avec ce manque de service que le peuple haïtien a dû trouver de nouveaux mécanismes de défense. Cette solitude et l’absence de l’État dans de nombreux secteurs ont permis l’instauration de nouveaux protocoles de défense par exemple. « Cette informalité est devenue la règle en Haïti » (Théodat, 2019). Bien que Mr Théodat soit aussi impartial sur l’informalité, nous pouvons remettre en question la gestion de cette dernière dans des quartiers défavorisés, que ce soit en matière de possession de terre ou de transmission de biens matériels, de l’achat de l’eau jusqu’à la construction d’un nouveau système d’irrigation.

Comme établi auparavant, cette urbanisation informelle est renforcée par une législation chaotique en termes de droit de propriété. Ce qui a permis à la population de construire où bon lui semble. Toutefois, cette liberté informelle a développé deux conséquences majeures au fil du temps : la colonisation des zones à risques et l’inaccessibilité aux services de base (voir carte annexe). Dans de nombreux endroits de la capitale, les services de base (eau, sanitaire, routes) ne sont pas fournis à la population (Levine, Bailey, & Boyer, 2012). Au-delà de la question d’accessibilité trop compliquée jusqu’à ces zones, c’est également le fait que si l’occupation est informelle, la DINEPA16 et la EDH17 ne veulent pas équiper des zones qui se sont constituées de façon informelle pour ne pas officialiser une occupation de fait. Nous pouvons conclure que le manque de réponses adéquates à la crise du logement pour les citadins défavorisés et la classe moyenne a ouvert une voie à la normalité du logement informel. Comme nous le verrons par après, des territoires comme ceux de Canaan ou du Morne l’Hôpital sont le reflet frappant de la réalité du logement en Haïti. C’est un état d’urgence en matière d’urbanisme, de logement et de politique environnementale.

Figure 19 : Proximité et contraste entre l’informalité d’un bidonville et les pentes habitées de Pétion-Ville, 2020.

Source : Google Earth, capture d’écran effectuée le 28 avril 2020.

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DINEPA : agence haïtienne responsable de la gestion de l’accessibilité à l’eau.

EDH : agence haïtienne responsable de la gestion de l’accessibilité à l’électricité.

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2.2.1. Le développement chaotique de Port-au-Prince Fondée en 1749, Port-au-Prince a connu, au cours des deux derniers siècles, une croissance exponentielle. Initialement organisé de manière orthogonale, le centre-ville de la capitale a subi une accélération de la croissance à partir de 1897 traduite par la densification et la structuration de celui-ci. La première partie du XXe siècle voit la priorisation de la modernisation de la ville, notamment en matière de voirie, d’eau courante, etc. C’est dans cette période que se renforce l’exclusion moderniste du paysannat qui choisit l’immigration internationale vers les plantations de la République Dominicaine ou de Cuba (Milian & Tamru, 2018). La surpopulation provoque également un mouvement d’une partie de la population vers les nouveaux quartiers Est tels que Turgeau ou Bois Verna. La deuxième partie du XXe siècle voit apparaître de grandes opérations de rénovation et de construction. Le réaménagement du centre historique marqué par les constructions de prestige et des opérations ponctuelles provoque un éclatement de la ville en de multiples quartiers. L’enjeu est donc de donner de la cohérence à cet ensemble urbain disparate.

Cependant, entre 1948 et 1968, la centralisation économique, politique et administrative de la capitale fut renforcée par la fermeture de nombreux ports de province et par le développement des usines manufacturières de sous-traitance. Cela a causé l’apparition des premiers exodes ruraux et le développement des quartiers informels. Ces deux phénomènes ne cesseront de s’intensifier dans les décennies suivantes.

Figure 20 : Évolution de la tâche urbaine entre 1980 et 2016 de la zone métropolitaine de Port-au-Prince.

(Voir annexe 2)

Source : Tamru B. et B. Piard (2017) https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/11464

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D’importantes opérations de construction de logements pour les classes ouvrières ont été mises en place depuis le président Magloire jusqu’à la longue dictature des Duvalier. C’est ainsi que de nombreuses cités éponymes furent construites. Toutefois, les frais trop élevés des contrats de location-vente interdisent aux plus défavorisés l’accès aux nouvelles cités.

Cette population se voit alors contrainte de continuer à occuper les poches et quartiers informels pauvres qui ressemblent déjà à de véritables bidonvilles.

Les grandes phases de l’aménagement urbain dans la capitale haïtienne au cours du XXe siècle sont marquées par un taux de croissance annuel de la capitale de 4,8% entre 1950 et 2012 (Calmont & Mérat, 2015). La rapidité de l’étalement a de quoi surprendre les urbanistes qui ne peuvent que constater ses ramifications dans toutes les directions (voir figure 20). L’agglomération de Port-au-Prince passe d’une superficie d’environ 700ha en 1915 à 40 000ha en 2015 (Calmont & Mérat, 2015).

Néanmoins, cet étalement semble avoir été impacté ces dernières décennies par un récent mouvement de population de la zone métropolitaine18 vers les périphéries. Les différentes sources de risques, politiques ou naturels, sont à la base de cet exode urbain. Nous pouvons ressortir les cyclones de 2004, 2008 et 2016 et bien évidemment le séisme de 2010. L’évacuation du centre-ville a poussé un bon nombre d’habitants à s’installer là où ils pouvaient, notamment dans des camps d’urgence ou bien comme nous le verrons ultérieurement dans la zone déclarée d’utilité publique de Corail-Canaan. La montée récente de l’insécurité dans le centre-ville due aux mouvements politiques comme celui du scandale de PetroCaribe 19 , favorise également un mouvement de migration vers des secteurs périphériques de l’agglomération de la capitale. À la suite à cette analyse, nous pouvons donc constater que la croissance urbaine de la capitale est demeurée horizontale, avec une densification interne et un étalement périphérique assez important. L’accroissement de la population urbaine est donc apparu avec le développement de la pression urbaine, initié par les exodes ruraux massifs liés aux politiques répressives appauvrissant les provinces et favorisant l’attraction de la capitale.

La ZMPAP est une terminologie créée par l’Institut haïtien des Statistiques et de l’Information, mais qui n’a pas de reconnaissance administrative ni juridique. Outre Port-au-Prince elle inclut les communes de Carrefour, Delmas, Pétion-Ville et les communes détachées de Delmas, Cité Soleil et Tabarre.

19 Initié par l’ex-chef d’État vénézuélien Hugo Chavez, au milieu des années 2000, l’alliance Petrocaribe permet aux pays signataires d’obtenir du pétrole de l’État bolivarien à des conditions préférentielles. Un accord qu’Haïti a rejoint dans l’optique de relancer le pays, mais qui se termine aujourd’hui par un scandale.

Pour plus d’informations sur le sujet, voir https://www.exemplaire.com.ulaval.ca/international/comprendrepetrocaribe-lalliance-petroliere-au-coeur-de-la-crise-en-haiti/ 18

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2.2.2. La bidonvilisation à Port-au-Prince Port-au-Prince est à l’heure actuelle le moteur économique et social du pays. Un rapport de l’ONU-HABITAT de 2009 annonce que 90% des investissements nationaux proviennent de la capitale haïtienne et qu’un tiers de la population y réside (Forsman, 2010). Avant les années 1950, Haïti était un pays principalement rural. Une quête de la population vers une vie meilleure a engendré un exode rural massif amenant avec lui une pression urbaine. Cette arrivée en continu de nouveaux habitants a provoqué un manque d’espaces en zone d’habitation. Avant le séisme, les autorités internationales estimaient un déficit situé entre 100 000 et 300 000 unités d’habitation (Forsman, 2010). À cause de cette expansion urbaine, de nombreuses zones de la capitale se sont rapidement retrouvées en état d’insalubrité, d’insécurité, bref en situation humanitaire chronique. Les infrastructures publiques de services ou de logements se trouvaient en deçà des normes humanitaires SPHERE 20 auxquelles adhèrent les agences d’aide occidentales. Cette vulnérabilité constituait donc la réalité quotidienne des habitants de la capitale bien avant le tremblement de terre.

Les gouvernements successifs ont refusé de traiter sérieusement la question de la bidonvilisation de Port-au-Prince et, avant que le tremblement de terre ne frappe, l’urbanisation incontrôlée était la norme, sans planification rationnelle, sans respect de l’environnement ou des situations à risques. Malgré les nombreuses propositions de plans d’urbanisme (voir tableau ci-dessous) élaborés par les différents gouvernements soit en collaboration avec la coopération internationale, soit avec des bailleurs nationaux et internationaux, aucune stratégie n’a su réguler l’expansion et donc la problématique des logements (Levine, Bailey, & Boyer, 2012). C’est ainsi que de nombreuses populations ont occupé progressivement et de manière souvent illégale, des terrains situés en périphérie de la capitale. C’est le manque de planification et d’infrastructures publiques qui ont transformé ces zones en bidonvilles. Le terme « bidonvilisation » est d’ailleurs particulièrement utilisé par les Haïtiens et les chercheurs pour décrire cette expansion fulgurante et dynamique des zones les plus pauvres de la ville.

Figure 21 : Pétion-Ville et les bidonvilles sur le flanc de montagne du Morne l’Hôpital.

Source : Photographie prise par Johann-Christian Hannemann, 2014.

Pour plus d’informations sur le sujet, voir https://spherestandards.org/wpcontent/uploads/Sphere_Brochure_FR_442x210_Page_20181204_LR-1.pdf 20

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Tableau 2 : Tentatives antérieures d’aménagement urbain de Port-au-Prince Année 1974–76 1988 1996 1996 1997 1998 1998 1998 1999

Nom du plan Plan de développement de Port-au-Prince et de sa région métropolitaine Plan directeur d’urbanisme de Port au Prince Plan National de logement et de l’habitat Projet d’appui aux municipalités et projet d’appui en aménagement du territoire Plan directeur de circulation pour l’aire métropolitaine de PAP Actualisation de schéma directeur d’eau potable pour l’horizon 2015 Schéma directeur d’assainissement pour la région métropolitaine de PAP Plan de drainage pour la région métropolitaine de PAP Schéma directeur du front de mer de la ville de PAP

2000

Concept général pour le développement de Portau-Prince

2000

Plan d’aménagement de la région nord de Portau-Prince

2003

Plan-programme de développement de la zone métropolitaine de Port-au-Prince

2010

Planification stratégique de métropolitaine de Port-au-Prince

la

région

Développeur PNUD et PACO (compagnie privée) pour le prédécesseur du MPCE UN-HABITAT et Lavalin (compagnie privée) pour MTPTC UN-HABITAT UN-HABITAT MTPTC, Pluram international et Lavalin (compagnies privées) CAMEP et Tractabel Développement (compagnie privée) MTPTC et Groupement SCP-GERSAR-Lavalin (compagnies privées) MTPTC et Lavalin (compagnie privée) MPCE et la Commission pour la Commémoration des 250 ans de la Fondation de la Ville de Portau-Prince Commission pour la Commémoration des 250 ans de la Fondation de la Ville de Port-au-Prince, Université polytechnique de la Catalogne Commission pour la Commémoration des 250 ans de la Fondation de la Ville de Port-au-Prince Jimenez-Pons et Urbanex (compagnie privée) MPCE, Experco International et Daniel Arbour et associés (compagnies privées), financées par la Banque Inter-American Development ?

Source : ONU-HABITAT, 2009 – Ministère haïtien de la Planification et de la Coopération externe, 2010.

Des tentatives de planification urbaine ont donc bel et bien eu lieu au cours des dernières décennies. Le problème semble alors apparaître dans un souci spatial d’ensemble. Bien que la constitution de 1987 institue le département comme échelle pertinente de la planification (Milian & Tamru, 2018), de nombreux schémas directeurs, élaborés depuis les années 1970, sont restés à l’état d’ébauche (MPCE, Planification stratégique de la région métropolitaine de Port-au-Prince, 2010). Le rapport de 2010 du MPCE concernant la planification stratégique de la zone métropolitaine de la capitale constate que le manque de maîtrise foncière, de données fiables et de prise en compte du contexte spatial général a provoqué un tel résultat.

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L’exemple du Morne l’Hôpital Cette zone qu’on appelait autrefois « le réservoir d’eau de Port-au-Prince », ce vaste flanc de montagne arboré et luxuriant, est aujourd’hui une forêt de béton et d’acier qui s’étend sur plus de 2000 hectares (Roberson, 2013). Ces flancs de collines servant de périphérie à la capitale sont recouverts de bidonvilles et habitations. Cependant, ces constructions ne sont officiellement et légalement pas reconnues. En effet, cette zone a été déclarée zone protégée entre les années 1960 et 1980 via de nombreux décrets, mais cela n’a pas arrêté l’évolution urbaine grandissante. Les pentes de ces quartiers naissants n’étaient pas seulement recouvertes de bidonvilles, mais étaient aussi témoins de la construction d’habitations occupées par une population riche désireuse de s’écarter du centre-ville.

Figure 22 : Hauteur du quartier de Déprez. Le 02 février 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

D’une certaine façon, le cas du Morne l’Hôpital représente un microsome du développement global de Port-au-Prince. Ces terres qui étaient d’utilité publique, ne pouvant légalement appartenir à personne, étaient au fur et à mesure en train d’être autoappropriées par des habitants s’autoproclamant propriétaires. Il est donc difficile de savoir réellement à qui appartient tel ou tel terrain. Une analyse du territoire réalisée par le Human Policy Group21 a ressorti qu’un réel marché immobilier s’était établi. Au départ, les occupants se faisaient passer pour des locataires payant une redevance mais continuaient de construire avec des matériaux lourds durables. De fait, leur statut de propriétaire s’affirmait incontestablement pour la communauté. La situation légale de ce genre d’appropriation est encore plus intéressante quand on sait qu’il existe une loi décrétant que « si durant 20 ans, un propriétaire ne cherche pas à contester l’occupant

d’une terre se revendiquant ouvertement « propriétaire », alors le réel propriétaire perd son 21

(Levine, Bailey, & Boyer, 2012)

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droit de le faire » (Levine, Bailey, & Boyer, 2012). En d’autres termes, de nouveaux occupants revendiquent, vendent et achètent des terrains, et de nouveaux quartiers se forment. Il sera dès lors très compliqué pour les autorités de déterminer quand cette période de 20 ans a réellement commencé.

Figure 23 : Quartier Haut-Turgeau, la Cité Georges. Le 02 février 2020.

Aujourd’hui, le territoire du Morne l’Hôpital s’étend sur trois communes et abrite une population d’environ 500 000 habitants (Forsman, 2010). Lors de notre mission, nous avons pu nous rendre sur trois sections communales de ce territoire : Deprez, Haut-Turgeau et Bas-Turgeau. La densité d’habitat est importante. Les rues deviennent de plus en plus étroites lorsque nous nous dirigeons vers les hauteurs de ces différents quartiers. Le tremblement de terre et la vulnérabilité de tels territoires n’ont certainement pas ralenti la progression de l’urbanisation. D’après Mr Charles, leader communautaire de HautTurgeau, les gens continuent à arriver quotidiennement et de nouvelles constructions s’y établissent. Tous les efforts, mis en place par l’aide internationale pour limiter cette expansion, semblent avoir été vains.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

Figure 24 : Contraste entre des constructions précaires et plutôt luxueuses dans le quartier de Déprez et Bas-Turgeau

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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2.2.3. Typologie des quartiers de Port-au-Prince -

Centre-ville

Les trames du centre-ville sont orthogonales et définissent des ilots extrêmement denses. Les bâtiments sont généralement des constructions de 2-3 étages. Nous pouvons remarquer la rigidité des voies de communication par rapport à l’aspect chaotique intra-îlot.

-

Périphérie, quartier résidentiel

On retrouve les mêmes similitudes qu’en centre-ville via les trames orthogonales des rues. Cependant, l’organisation intra-îlot est moins désordonnée. Les constructions montent généralement jusqu’à 2 étages.

-

Périphérie, bidonville

Les accès sont difficiles à trouver. L’organisation de ces habitations informelles semble suivre les courbes de la colline. La densité y est incroyablement élevée. Les bâtiments ne dépassent pas les 2 étages et sont principalement faits en matériaux légers.

Source : Images et schémas retravaillés par Thomas Dupont à partir du travail de Pham Minh & Gachoud, 2012.

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3. Goudougoudou 22 : la colère de la nature Dans la culture haïtienne, l’année 2010 est probablement devenue la plus terrible de l’histoire récente du pays. Elle fut marquée par trois évènements majeurs qui vont indéniablement impacter le futur de la nation dans les prochaines décennies. Le premier est incontestablement le tremblement de terre du 12 janvier. Le deuxième fut l’épidémie de choléra causée par des soldats népalais de la MINUSTAH23, causant l’infection de 800 000 personnes et la mort de 8000 personnes (Farmer, 2012). Le troisième événement est l’ingérence de la Communauté Internationale, de l’ONU et de l’OEA (Organisme des États Américains) lors des élections présidentielles de fin novembre. Ces trois catastrophes ont mis à nu les enjeux politiques internationaux, se trouvant en coulisse, en s’opposant aux règles diplomatiques élémentaires et en imposant un candidat qui ne répond pas à la volonté populaire.

Le 12 janvier 2010 a également mis en évidence une catastrophe supplémentaire pour le peuple haïtien : son bilan d’État-nation. L’écrivaine haïtienne Yanick Lahens décrit ce bilan comme si « l’expérience haïtienne était une matrice » (Lahens, 2017). Une matrice qui correspond dès le début du XIXe siècle à la nature de ce qu’on appellera plus tard les relations Nord-Sud. Figure 25 : Les dégâts du séisme dans une des rues de Port-au-Prince.

Source : https://ici.radio-canada.ca/dossier/1005444/haiti-seisme-dix-ans-argent-victimes-santetemoignages

22 23

Goudougoudou : nom que les haïtiens donnent au séisme du 12 janvier 2010 Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti

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3.1. Un bilan catastrophique Le tremblement de terre a frappé le pays en plein cœur. La ville de Port-au-Prince est complètement dévastée ainsi que les villes de Léogane, Jacmel et Petit Goâve. Une estimation sur le montant de la reconstruction a été réalisée par le gouvernement et la Banque mondiale, le prix étant de l’ordre de 8 à 14 milliards de dollars 24 . Ce bilan effroyable est notamment dû à la densité de la population dans les zones urbaines, mais également à l’utilisation chaotique des sols, l’absence de normes de constructions et surtout la concentration des services au sein de la capitale.

Figure 26 : Niveau d'exposition et population exposée au séisme du 12 janvier 2010.

Source : OCHA, 2010. https://reliefweb.int/organization/ocha

Bien que le séisme ait eu un impact considérable sur l’ensemble du pays, notre étude se concentrera sur les conséquences de celui-ci sur la capitale Port-au-Prince.

Comme dit précédemment, l’impact du séisme sur les infrastructures de la capitale a été immense. En ce qui concerne l’habitat, plus de 100 000 habitations ont été entièrement détruites, et plus de 200 000 endommagées ou déclarées inutilisables (PDNA, 2010).

Sur le plan des infrastructures, c’est plus de 50 hôpitaux et 1300 établissements scolaires qui se sont effondrés (PDNA, 2010). La majorité des infrastructures gouvernementales sont au sol ou inopérantes. Les infrastructures de transports sont fortement endommagées, le port est déclaré inutilisable. En matière de débris, selon l’ONG « Haïti Valérie Rohart, « Coût de la reconstruction en Haïti: 11,5 milliards de dollars », publié sur Radio France internationale (RFI) le 17 mars 2010, disponible sur : <http://www.rfi.fr/contenu/20100317-coutreconstructionhaiti-115-milliards-dollars> 24

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Earthquake », c’est plus de 40 millions de mètres cubes qui ont résulté du le tremblement de terre (PDNA, 2010).

Le séisme, en touchant toutes les institutions du pays, a renforcé les difficultés déjà présentes avant la catastrophe pour l’accès aux besoins vitaux comme la nourriture, l’eau, un abri. Le nombre de ménages en situation d’insécurité alimentaire est passé de 40 à 50% (Nations-Unies, 2010). Le nombre de personnes touchées directement par le séisme est également effarant : environ 1,5 million de personnes, ce qui représente plus ou moins 15% de la population du pays (PDNA, 2010). La zone métropolitaine de Portau-Prince est envahie par toutes ces personnes en recherche de sécurité.

Le séisme a poussé, à terme, plus de 600 000 personnes à quitter les zones sinistrées de la métropole25. Selon les statistiques de l’OIM, environ trois quarts des personnes déplacées sont restés dans la même commune et un quart sont parties dans d’autres communes. Dans l’urgence, la plupart des personnes sont restées à proximité de leur habitat que ce soit sur leur terrain ou dans des camps à proximité. Mme BOUCHEREAU nous l’a confirmé lors de son intervention lors du Workshop Post-Traumatique 26, la priorité pour les sinistrés est de rejoindre au plus vite les éléments qui les rassurent comme leur habitation, leur famille, et ensuite ils se tournent vers les solutions qui leur sont offertes.

Le séisme aura réellement poussé à bout les conditions de vie de la population qui étaient déjà précaires avant la catastrophe. Les problèmes environnementaux comme la pollution n’ont été que renforcés affectant ainsi les nombreuses ressources naturelles du pays. Les décombres ont complètement envahi les espaces publics et les rues, rendant la tâche primordiale du déblaiement particulièrement compliquée. Malheureusement, comme nous le verrons dans les prochains chapitres, les conséquences du séisme ont eu de nombreuses répercussions sur l’aménagement du territoire haïtien et plus spécifiquement sur l’urbanisme de la capitale. Pour de nombreuses personnes, le séisme de 2010 aurait pu être un tremplin pour refonder la nation haïtienne dans de nombreux secteurs.

Figure 27 : La cathédrale Notre-Dame de l’Assomption détruite lors du séisme de 2010.

Source : Photographie prise par Marie Thomas, aout 2018.

25 26

OIM Displacement matrix, 2010. https://haiti.iom.int/node/189/ Workshop qui s’est déroulé du 25 au 29 mars 2019 à la Faculté d’Architecture et d’Urbanisme de Mons

35

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3.2. La réponse humanitaire Une telle catastrophe ne laisse évidemment rien au hasard. Toutes les organisations et institutions, gouvernementales, nationales et internationales qui auraient normalement pu agir et répondre aux divers besoins et nécessités ont toutes été fortement affectées au travers de leurs importantes pertes de personnel et d’équipement.

Heureusement, un effort de secours international massif a été rapidement mis en place malgré une logistique extraordinairement compliquée, en particulier à cause de la destruction des points d’entrée à Port-au-Prince (aéroport, ports, etc.) (PDNA, 2010)27.

Plus de mille ONG ont répondu à l’appel d’aide en Haïti (PDNA, 2010). Toutefois, aucune structure n’était prévue pour canaliser cette aide d’urgence, ce qui n’a évidemment pas facilité la coordination des interventions. Le travail effectué par cette multitude d’acteurs a été extrêmement précieux dans la phase d’urgence.

Le besoin d’une réponse humanitaire continue a été évalué par des experts de l’ONU comme extrêmement élevé en matière d’échelle d’intervention et d’urgence. La population entière de Port-au-Prince nécessitait une assistance humanitaire spécifique à chaque cas.

La plupart des interventions visaient un besoin d’urgence, un besoin de survie, alors que d’autres visaient des communautés en besoin de moyens de subsistance sans être en danger de vie ou de mort.

Comme nous le verrons par la suite, la phase d’urgence humanitaire durera pendant plusieurs mois et fera face à de nombreux problèmes complexifiant de nouveau la coordination des acteurs en place. L’objectif commun de toutes les ONG et acteurs internationaux de l’urgence était de « fournir un environnement sain et sûr pour toute la population affectée jusqu’à ce que la reconstruction restaure les conditions préexistantes » (Nations-Unies, 2010)28.

Comme expliqué plus tôt, le type d’intervention humanitaire a un impact considérable sur la population visée. En effet, en Haïti, la plupart des organisations ont eu un impact ponctuel et sont reparties assez rapidement, laissant derrière elles une population toujours fortement affectée par le désordre créé par le séisme. Comme le remarque A. Corbet, spécialiste des camps de déplacés et de réfugiés, les ONG d’urgence ont débarqué avec des moyens forts et efficaces mais sans réelle connaissance du territoire (Corbet, 2014).

Alors que les ONG visant le développement et la reconstruction ont généralement une meilleure connaissance, une meilleure compréhension des réalités urbaines et du fonctionnement interne des populations.

La phase de développement, elle, sera plus longue et fastidieuse pour les ONG. D’un point de vue local, l’aide internationale a été fortement mise en avant grâce aux actions des ONG, ce qui leur a conféré une véritable influence au fil du temps. Cependant, cette situation a mis les acteurs locaux en position d’infériorité. Il est donc important, lors de partenariats durables et de développement, d’intégrer ces pouvoirs locaux dans les prises de décisions. D’un point de vue plus global, le rôle des politiques locales devra être également pris en compte, car les interventions étrangères qui agissent dans la durée risquent à terme de se substituer à l’État. L’affaiblissement des services publics et la

Gouvernement de la République d’Haïti, Evaluation des dommages, des pertes et des besoins généraux et sectoriels, mars 2010.

28 Nations Unies, Haïti: Humanitarian Appeal, 2010.

27

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difficulté de restauration des services touchés par le séisme peuvent également en être la cause.

On peut donc se poser la question de la pérennité de l’aide humanitaire ainsi que sa légitimité au sein du territoire. Ou alors la question devrait plutôt être quel est le niveau de déresponsabilisation de l’État haïtien pour que l’aide humanitaire se justifie à elle-même ?

Afin de mieux se plonger dans cette problématique, il est nécessaire de comprendre les origines et les fondations du système institutionnel territorial haïtien et du système institutionnel de la coopération au développement en Haïti. La confrontation de ces deux éléments pré et post séisme nous permettra alors d’établir une première hypothèse concernant la place des acteurs nationaux et internationaux dans la réponse posttraumatique en Haïti.

Figure 28 : Discussion avec des habitants du camp Corail 3 lors de notre séjour en Haïti. Le 30 janvier 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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3.3. Standardisation du processus de reconstruction post-traumatique D. Guha-Sapir et Al définissent une catastrophe naturelle comme étant « une situation ou

un évènement qui dépasse les capacités locales, nécessitant une demande d’aide extérieure au niveau national ou international ; c’est un évènement imprévu et soudain qui cause de grands dommages et souffrances humaines » (Guha-Sapir & Femke, 2011).

Les types de catastrophes sont évidemment nombreux et leurs conséquences dépendent de nombreux facteurs comme le terrain, la population et sa capacité de réaction, l’environnement urbain et ses constructions, etc.

La carte ci-dessous reprend les désastres naturels qui ont eu lieu entre les années 2000 et 2010. Bien que les catastrophes soient présentes partout sur le globe, nous pouvons remarquer que la majorité des populations impactées se situent dans des pays en voie de développement. Le nombre de victimes n’est évidemment pas égal par rapport au type de catastrophe d’une part, mais également par rapport à la préparation des populations face à ces épreuves, d’autre part.

Figure 29 : Carte du nombre de désastres naturels de 2000 à 2010.

Source : C. GACHOUD – M-L PHAM, De l’éphémère au permanent, 2012.

On peut donc affirmer que la vulnérabilité du pays en matière d’anticipation catastrophique est un élément important quant à l’impact de ces drames. Nous pouvons souligner que cette force d’anticipation dépend également de la fréquence des désastres. Ils peuvent soit être ponctuels ou cycliques. En général, les pays touchés de façon régulière ne sont pas les mieux équipés et les populations restent alors en danger continu à cause de la mauvaise réponse globale.

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Afin de mieux visualiser les conséquences dévastatrices des catastrophes naturelles ou humaines dans le monde, voici quelques chiffres représentant la réalité de terrain.

Les catastrophes naturelles qui se sont déroulées uniquement en 2010 ont touché 30 millions de personnes, causé 2,5 millions de sans-abris et 360 390 morts. Ces chiffres ont de quoi glacer le sang et cependant des organismes humanitaires travaillent constamment à réduire le nombre de personnes impactées par ces catastrophes, mais tentent également de les prévenir.

La figure ci-dessous représente le modèle « pressure and release »29 réalisé par Ian Davis établissant le fait que le risque de catastrophe augmente à la fois en raison de la progression de la vulnérabilité et de l’exposition aux risques naturels et humains. Le concept de « release » est assimilé au fait de réduire l’impact de la catastrophe en mettant moins de pression sur les vulnérabilités.

Figure 30 : « Pressure and release model »

Source: reconstitution via Ian Davis, « Recovery from disaster », 2015

29

Blaikie et al., 1994.

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3.3.1. Les catastrophes en milieu urbain « En 1950, 30% des humains étaient urbains, la moitié l’était en 2007 et 60% le seront

probablement en 2030, surtout dans les pays en voie de développement qui selon les analystes devraient accueillir 4 milliards d’urbains en 2030 soit 80% des citadins de la planète »30.

Les milieux urbains, par leur urbanité, sont en constante évolution. Il est possible de remarquer que leur croissance est exponentielle et que, les destructions et constructions y prenant place font partie intégrante de cet équilibre dynamique. Le milieu urbain, lorsqu’il subit une catastrophe naturelle doit faire preuve d’une résilience rapide afin de survivre aux différents obstacles multi échelles. On entend par là un impact sur l’environnement urbain en général, mais également vers les individus et les populations citadines.

On peut également souligner les différentes perceptions des populations affectées : si la catastrophe se trouve dans une zone peuplée ou non, ce sera soit un désastre naturel soit un désastre humain.

En ce qui concerne les perceptions globales des pays, nous pouvons remarquer que les pays développés vont mettre en place un processus de gestion du risque pour tenter de contrôler le désastre grâce à des plans d’urgence mettant tout le pays en alerte ou en prévoyant les risques par exemple sismiques en construisant selon des règles parasismiques. Alors que les pays en développement sont souvent sujets à des ressources assez faibles ce qui va conduire à des actions individuelles. Comme le dit Ian DAVIS, « les

territoires développés vont rechercher des solutions matérielles alors que les territoires en développement vont opter pour des mécanismes sociaux ».

Le constat qui suit ces étapes d’urgence est la reconstruction. Comment faire pour reconstruire sur un territoire urbain qui existe depuis des dizaines voire des centaines d’années et en un temps minimal ? Telle est la question primordiale que les institutions gouvernementales ou non se posent dans la phase post-traumatique. En fonction de la taille et de l’importance de la catastrophe, les réponses seront évidemment différentes.

Mais nous pouvons cependant constater que certains comportements sont universels. De manière générale, dans des territoires urbains, nous aurons vite tendance à observer des phénomènes de « villes spontanées ». Ce sont des villes dans les villes, notamment générées par des mouvements migratoires importants des populations vers des zones à moindre risques. Dans le prochain chapitre, nous nous attarderons de manière plus précise à ce phénomène en étudiant le cas précis en Haïti.

3.3.2. Les catastrophes et les communautés À une échelle plus locale, les catastrophes naturelles ont évidemment un impact physique sur les territoires, mais également un impact psychologique et social sur les communautés affectées.

En effet, J. Lagumier nous dit que « les catastrophes vont modifier les habitudes des populations » (Lagumier, 2013) d’un point de vue comportemental principalement. Nous pouvons voir des phases de déni qui marquent la peur quotidienne du danger et de la récidive. Cette peur peut très bien se transformer en volonté de se déplacer dans un endroit qui leur paraît plus sûr.

30

ONU, Banque Mondiale, 2007.

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Nous pouvons également y voir un impact architectural, car lors de tremblements de terre ou d’inondations, les communautés auront plus tendance à renforcer ou reconstruire leur habitation en tenant compte des normes nécessaires pour préserver ce qu’ils ont. En Haïti, après le séisme de nombreux habitants ont eu peur de retourner dans leur habitation par crainte des répliques. Le processus de reconstruction doit alors impérativement prendre en compte l’aspect traumatique individuel afin de pouvoir créer un sentiment de reconstruction durable.

3.3.3. Les phases de reconstruction post-traumatique Les accords entre les organisations nationales et internationales mettent en exergue une reconstruction qui se déroulerait selon un plan divisé en trois phases : l’urgence, la transition et la reconstruction. Cependant, comme nous allons le voir par la suite, il ne s’agit pas d’un phasage linéaire et fini. La reconstruction doit être envisagée comme une évolution constante de ces phases en relation avec la complexité du contexte. On remarque donc une superposition des temporalités qui amène à un besoin vital de résilience urbaine.

Quant à notre question de recherche, il sera intéressant d’analyser la place du relogement dans un phasage pluri-temporel et pourquoi ce dernier est perçu comme un enjeu majeur de la reconstruction d’Haïti, et de Port-au-Prince en particulier.

La phase d’urgence Cette phase est la première mise en place après une catastrophe. Elle est caractérisée par un relogement rapide des sinistrés dans des structures d’accueil ou des tentes. Les espaces publics sont souvent les endroits clés afin de fournir le plus rapidement possible des infrastructures pouvant aider les réfugiés. Cette phase temporaire ne dure qu’un laps de temps plus ou moins court en fonction des circonstances. Elle est générée par un gouvernement local qui peut ainsi prouver qu’il est présent et actif dans l’urgence. On constate également une montée de l’aide internationale par des bailleurs étrangers, des nations étrangères, des ONG privées ou des organismes publics.

La phase de transition Cette phase est entièrement différente en fonction des circonstances, du contexte de chaque situation. La complexité de la temporalité nécessaire vers une reconstruction partielle d’un territoire oblige l’introduction d’une phase transitionnelle permettant un entre-deux. Elle permet de rediriger les enjeux vitaux d’une reconstruction permanente en fonction de la situation. En matière de logement, il s’agit pour les acteurs de la reconstruction de fournir des solutions plus solides pour les utilisateurs. Ce sont souvent des modules préfabriqués en série qui sont amenés sur place. Toutefois, le coût de telles opérations peut être démesuré dans certains cas si on les compare au prix d’une potentielle reconstruction permanente. On comprend alors toute l’importance de la cohérence des enjeux et de leur hiérarchisation dans le temps. Cette phase de transition a une temporalité qui se rapproche du permanent, car ces solutions « temporaires » sont réalisées avec des matériaux plus durables. Ils sont réfléchis dans la plupart des cas pour pouvoir être déplacés, adaptés ou agrandis en fonction des besoins.

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La phase de reconstruction Cette phase est théoriquement l’aboutissement du processus de reconstruction. Les solutions fournies sont élaborées dans le but de perdurer, de fournir un environnement propice au développement d’une communauté, d’une famille, etc. Toutefois, nous pouvons dire que cette phase est entrelacée dans les deux premières car sa longue et lente temporalité en fait le nœud de la problématique du relogement. Son objectif est d’arriver à une résilience réussie du territoire affecté. Nous parlons de reconstruction, mais il peut également s’agir de construction au sens le plus strict du terme. Dans des zones totalement détruites, un mouvement de population peut créer de nouveaux quartiers, de nouvelles communautés, de nouvelles identités, dès la phase d’urgence. Nous verrons ce phénomène plus en détail dans les chapitres suivants.

Figure 31 : Modèle de l’activité de rétablissement post-catastrophe

Source : Vale et Al, 2012

3.3.4. La coopération internationale et la réponse post-traumatique De manière générale, la réponse humanitaire devrait évoluer graduellement en différentes phases, depuis la phase d’urgence vers celle du développement. Toutefois, comme le dit Fabiano SARTORI, architecte-urbaniste pour « United Nations High Comissioner for Refugees » , la réalité est que « les ONG sont obligées de créer et proposer des solutions

pour des problèmes liés à la phase d’urgence, tout en pensant en parallèle à la phase de développement. Ce qui pose de sérieux défis en matière de gestion de crise » (Sartori, 2019).

Cette superposition de phases ne peut se faire via une seule chaîne de commandements, surtout en pleine phase d’urgence où tous les besoins vitaux sont divisés en clusters pour une meilleure efficacité sur le terrain. On peut affirmer que la création de solutions techniques d’urgence dans des contextes marqués par des contraintes constitue déjà un défi. À cela s’ajoute la coordination de tous les acteurs impliqués dans des opérations aussi complexes que les interventions d’urgence.

La clé de tout cela est la coordination entre toutes les parties impliquées dans la gestion de crise, « si les négociations ne se déroulent pas de manière positive, peu importe la qualité de la solution technique, la coordination échouera » (Sartori, 2019).

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Selon F. SARTORI « toute action humanitaire est un cauchemar logistique » (Sartori, 2019). Il est de la responsabilité des États touchés de demander à la Communauté Internationale une coordination globale. Cette coordination est fondamentale car elle permet d’activer tous les scénarios possibles afin de pouvoir anticiper les évènements qui suivent une situation d’urgence.

D’un point de vue opérationnel, la coordination permet une attribution équitable des ressources sur le plan des besoins et des priorités. Celle-ci permet également d’éviter le double emploi ou des omissions lors d’actions d’urgence. De plus, la coordination humanitaire est essentielle dans le respect des protocoles et des normes internationales d’interventions humanitaires.

Malgré tout, l’efficacité de cette coordination semble être un point sensible et demande à être améliorée. Il est compréhensible de voir que toutes les ONG souhaiteraient une coordination efficace, mais aucun organisme ne souhaite recevoir des ordres ; pour la simple et bonne raison que les organismes non gouvernementaux, étant issus du secteur privé, n’ont pas l’obligation de se coordonner pour effectuer leurs projets. C’est bien là que se trouve la faille du système humanitaire.

Le problème majeur du manque de coordination provient principalement de deux contraintes : les contraintes structurelles et les contraintes contextuelles. Premièrement, les contraintes structurelles comprennent par exemple la résistance à la coordination, les connaissances techniques et méthodologiques, les coalitions et associations officielles.

Deuxièmement, les contraintes contextuelles reprennent le choix du moment d’intervention, la politique locale et étrangère, ou encore le manque d’autorité supérieure.

De nombreux cas ont déjà été relatés dans lesquels le manque de coordination entre les différentes aides humanitaires a déjà fait échouer des gestions de crises et d’urgence. En Sicile par exemple, après le tremblement de terre de la Vallée du Belice en 1968, la reconstruction a duré plus de 20 ans (Pham Minh & Gachoud, 2012). Ou encore à Banda Aceh en Indonésie où plus de 200 associations étaient présentes dans la ville alors que les besoins étaient dans les plaines31. Nous pouvons évidemment citer le cas d’Haïti où le pays n’a pas su ingérer toutes les aides disponibles et 10 ans après le séisme, la situation de reconstruction n’a pas beaucoup bougé.

Malgré le fait d’une certaine concurrence entre les différentes ONG, elles ont su prouver leur efficacité grâce à des interventions pour lesquelles l’ONU ou les instances gouvernementales ne pouvaient, ou voulaient, ne rien faire.

Lorsque le besoin de se coordonner est au premier plan, nous voyons que les ONG peuvent et doivent pouvoir parler d’une seule et même voix. Il est capital que cette voix collective soit coordonnée lorsqu’une autorité officielle émerge. C’est alors que cette coordination joue un rôle principal dans les débats nationaux de planification urbaine ou sociale.

L’ONU et les ONG ont une place très importante lorsque le gouvernement local est trop faible ou trop submergé par les besoins et les attentes de sa population. Toutefois, les autorités nationales ont toujours la main mise sur la coordination des actions humanitaires.

Il est logique d’en déduire que plus le nombre d’acteurs actifs lors d’une intervention sera important, plus la coordination sera complexe et prendra du temps avant d’être efficace.

31

C. Deluzarche, Les ratés de l’humanitaire, 2005.

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POINTS CLÉS -

Tremblement de terre le 12 janvier 2010. Conséquences : presque 4 millions de personnes sont touchées de près ou de loin par le séisme - 1,5 millions de sansabris et 300 000 morts.

-

L’organisation d’urgence post-catastrophe a été très compliquée dû au nombre élevé d’acteurs présents sur le terrain.

-

Le tremblement de terre a été dévastateur autant pour la population que pour l’Etat : la majorité des structures du pays étant regroupées dans la capitale, l’Etat s’est retrouvé avec un gouvernement faible et non-décisionnel ce qui a grandement compliqué la coordination et l’organisation de la reconstruction.

-

L’histoire d’Haïti a un impact considérable sur la potentielle reconstruction du pays : l’implication de ses citoyens sur leurs terres est telle que la participation est constamment présente mais utilisée de façon individuelle plutôt que collective.

-

L’informalité préexistante en Haïti a renforcé les vulnérabilités auxquelles les Haïtiens doivent faire face quotidiennement.

-

Les défis haïtiens ont toujours eu une place spéciale dans le réseau international de l’aide au développement.

-

Le manque de réponses adéquates à la crise du logement pour les citadins défavorisés et la classe moyenne a ouvert une voie à la normalité du logement informel.

-

La croissance urbaine de la capitale est demeurée horizontale, avec une densification interne et un étalement périphérique assez important.

-

La crise humanitaire ne peut se réduire à une temporalité unique d’urgence.

-

La standardisation de la réponse de l’aide humanitaire correspond à un phasage limité dans le temps, s’assimilant aux phases d’URGENCE, de TRANSITION et de RECONSTRUCTION.

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PARTIE II LA NATURE DU DILEMME INSTITUTIONNEL URBAIN HAÏTIEN Dans ce chapitre, nous tenterons d’analyser comment l’évolution de l’institutionnalisation de la coopération au développement et celle des institutions de la planification et de l’aménagement urbain ont influencé le management territorial post-séisme en Haïti. Pour ce faire, nous analyserons tout d’abord chaque système en étudiant son mode de fonctionnement avant le séisme et comment ce dernier fut un élément charnière dans leur évolution respective. La contextualisation réalisée précédemment nous permettra ainsi de confronter les réalités urbaines à cette institutionnalisation.

L’enjeu de ce chapitre est de pouvoir comprendre les fonctionnements internes des institutions et de pouvoir les transposer aux stratégies de la reconstruction haïtienne. Nous tenterons de comprendre comment, malgré l’implication d’une multitude d’acteurs et d’opérations, la planification post-séisme est devenue une des impulsions d’une urbanisation vulnérable. Nous montrerons alors l’impact de la temporalité et du phasage interventionniste post-séisme sur la croissance urbaine de Port-au-Prince.

1. Haïti et la coopération internationale au développement Dans la mesure où une analyse beaucoup plus approfondie du discours sur le développement et sa critique en Haïti dépasserait de loin la portée de la recherche de ce travail, nous nous concentrerons sur un aperçu historique et sur une brève analyse théorique du milieu du développement. Ensuite, nous mettrons en perspective les contraintes économiques, sociales et politiques de la coopération au développement, de l’aide humanitaire et des pratiques de développement urbain de manière générale et ensuite particulièrement en Haïti.

D’une manière générale, le paradigme du développement est complexe et possède une multitude de facettes et de définitions. Nous pouvons cependant retenir la vision de Aram Ziai 32 , chercheur allemand travaillant sur le contexte du développement. Selon lui l’investissement extérieur et le développement d’infrastructures techniques et de solutions de haute technologie dans des régions et des nations mal desservies peuvent améliorer les conditions de vie et réduire la pauvreté dans les pays du tiers-monde. Il remet alors en question les analyses qui suggèrent que les causes de la pauvreté sont politiques et structurelles (non techniques et géopolitiques) et qu’un changement significatif ne peut venir que par une transformation sociale révolutionnaire. Selon lui, une telle réflexion n’a pas sa place dans le discours du développement et de la coopération car « les agences

de développement n’ont pas pour vocation de promouvoir les réalignements politiques ou de soutenir la lutte révolutionnaire ». Il ajoute qu’« en réduisant la pauvreté à un problème technique, et en promettant des solutions techniques aux souffrances des personnes impuissantes et opprimées, c’est par ce type de discours que la question de la pauvreté est dépolitisée dans le monde d’aujourd’hui » (Ziai, 2013).

32

A. Ziai, Towards a Critique of the Discourse of Development (2013).

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Nous pouvons dès lors nous poser la question de la place de la vision occidentale du développement qui divise notre société contemporaine en pays « développés » et « sousdéveloppés » ou « en développement ». Ce modèle considèrerait donc le monde occidental industrialisé comme autoritaire et que les connaissances expertisées et les élites internationales s’imposent généralement dans les prises de décision.

Cependant, depuis les années 1980, nous avons pu voir une montée particulière de concepts innovants en matière de développement, qu’ils soient théoriques ou pratiques.

Ainsi, nous pouvons parler de l’introduction aux concepts tels que le développement durable, l’autonomisation de la société civile, la participation citoyenne, l’accent mis sur la « propriété » civile et intellectuelle, ainsi que la gouvernance. Nombreuses de ces réflexions remettent en question le processus de décision « Top-Down » et entrent ainsi en collision avec les règles et les motivations du pouvoir existant, tout en exigeant une plus grande participation et autodétermination. Avec la notion de développement durable prenant internationalement le dessus et remettant fondamentalement en question les standards de viabilité dans les nations « développées », nous pouvons entrevoir la possibilité pour les pays « sous-développés » de servir de modèle potentiel vers un développement plus durable.

Le rappel des différentes étapes et formes de l’intervention internationale en Haïti nous permettra de situer le contexte dans lequel les acteurs locaux ont intégré leurs propres stratégies politiques et territoriales. L’analyse de ces comportements et de leurs effets nous permettra d’envisager la recomposition d’une nouvelle « ingénierie politique internationale » (Pouligny-Morgant, 1998).

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1.1. Fondements historiques et théoriques de l’aide au développement Nous pouvons commencer l’histoire moderne de l’aide au développement à la création de l’ONU en 1945, et avec elle la Charte des Nations Unies et ses principes universels, validée sous les lois internationales. Les années 50 montrent la transformation des structures des puissances coloniales en nouveau paradigme de l’aide au développement.

Les interventions internationales suivent alors le principe du développement à travers la croissance : il s’agit de la modernisation et de l’industrialisation financées par des crédits sur le marché mondial. Ce modèle ne fait cependant pas long feu, car à partir de 1969, certains rapports redéfinissent la théorie : la croissance n’est plus considérée comme le but de l’intervention mais comme « le sous-produit de la satisfaction de tous les besoins matériels et immatériels de base » (Sanderson, 2019). C’est alors qu’on voit apparaître la création de programmes pour l’assistance alimentaire (WFP), pour l’habitat (ONUHABITAT), pour la santé (OMS), pour l’éducation (UNESCO), etc.

Dans les années 1980, certaines réformes économiques ont eu des conséquences sur la perte de souveraineté des pays du Tiers-Monde menant aux théories de « postdéveloppement ». En effet, l’aide au développement devient de plus en plus directement liée aux intérêts économiques des pays donateurs et de l’économie privée. En 1987, la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement, liée à l’ONU (communément appelée Commission Brundtland) publie Our Common Future, identifiant que « le développement des ressources humaines en matière de réduction de la pauvreté,

d’équité entre les sexes et de redistribution des richesses est une condition préalable essentielle à la conservation de l’environnement, reconnaissant les limites environnementales à la croissance économique dans les sociétés industrialisées et en voie d’industrialisation, définissant ainsi les principes normatifs du développement durable »33.

Par la suite, le sommet international de Rio de Janeiro34 s’est tenu en 1992 grâce auquel les membres des Nations Unies ont agréé à l’Agenda 21 et ses objectifs ambitieux concernant le développement durable. C’est en 2000 que s’est tenu le plus grand rassemblement des leaders mondiaux, le Sommet du Millénaire, durant lequel les Objectifs du Millénaire pour le Développement ont été signés afin de réduire la pauvreté mondiale.

Récemment, lors du Sommet Mondial de Rio en 2012, le document final Future We Want lance un processus pour développer des Objectifs de Développement Durable (ODD), orientés vers l’action, faciles à communiquer et en nombre limité qui « s’appuient sur les

objectifs du Millénaire pour le développement et convergent avec le programme de développement pour l’après-2015 »35.

Lors de ces conférences et rassemblements, de plus en plus d’ONG et de sociétés multinationales prennent de l’ampleur dans les interventions de développement. Les organisations nationales d’aide au développement se transforment en entreprises fédérales et redéfinissent leur profil de fournisseur exclusivement « d’aide au développement » à « fournisseur mondial de services de coopération internationale pour le développement durable » (Ziai, 2013).

Nous pouvons développer l’exemple de la Coopération Belge au Développement qui s’est engagée tout particulièrement dans 11 pays partenaires considérés comme états fragiles.

ONU, Commission mondiale de l'environnement et du développement (1987).

Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement.

35 Division des Nations Unies pour le développement durable (2014).

33 34

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Dans cette optique de mieux adapter la coopération au développement au contexte, la Belgique met l’accent sur le renforcement de l’état comme objectif fondamental, une coopération à long terme et flexible, et finalement l’alignement sur les priorités locales (CNCD, 2019). Le rapport du CNCD 11.11.11 sur l’aide belge au développement de 2019 argumente le fait que l’aide publique au développement est l’outil le plus adapté pour mettre en œuvre cette approche de fragilité étatique. En effet, celle-ci peut être investie directement dans le renforcement de l’état de droit, elle peut combler temporairement les déficits de financements des états ou elle peut cibler les « personnes laissées de côté » et ainsi combattre les inégalités.

Toutefois, nous pouvons émettre certains doutes concernant l’impact réel de cette aide publique. Selon l’OCDE36, l’aide publique au développement « demeure cruciale dans les

États fragiles car ceux-ci vont nécessiter encore de nombreuses années de disposer d’une diversité d’options de financement potentielles » (OCDE, 2018). Cela voudrait donc dire

que les états fragiles se financent principalement sur base de l’aide mondiale. Cependant, nous pouvons comparer « aide au développement » et « remise des migrants» 37 . À l’heure actuelle, les transferts des migrants seraient évalués de 3 à 4 fois le montant accordé au titre de l’aide au développement mondial (CNCD, 2019). L’aide au développement serait finalement la source de revenu la plus faible. Par exemple, en Haïti, la manne des transferts représente 22% du PIB (Splash, 2020). En matière de volume, les montants sont moins importants vers les pays les moins avancés, mais comme ces pays ont une faible économie, ces transferts représentent une part plus importante de leur PIB. Ces pays sont en fait dépendants de ces remises. Si l’on compare maintenant à une échelle plus globale, les envois de fonds des migrants correspondent à 45% des financements étrangers alors que l’aide publique au développement ne serait que de l’ordre de 28% (OCDE, 2018).

Organisation de coopération et de développement économiques.

Les remises de fonds des migrants sont reconnues comme étant un canal très important par lequel les diasporas contribuent actuellement au développement local et à la réduction de la pauvreté dans leur pays d'origine.

36 37

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1.1.1. La sous-traitance non-gouvernementale Tout d’abord, il est primordial d’établir la définition d’une ONG et de ses différentes déclinaisons. De nombreuses définitions sont apparues au cours de l’histoire, mais toutes se reposent sur de nombreux points communs. C’est le caractère international des interventions qui a notamment posé question quant à la définition même d’une ONG. Nous pouvons cependant établir avec certitude qu’il n’existe pas de définition universelle, notamment dû au fait du caractère international de ces dites ONG. Le Larousse propose comme définition « Organisation Non Gouvernementale (ONG) un

organisme financé essentiellement par des dons privés et qui se voue à l’aide humanitaire sous une ou plusieurs de ses différentes formes (assistance médicale ou technique dans les pays non-industrialisés, aide aux plus démunis dans les pays développés, secours en cas de catastrophe ou de guerre, etc.)» (Larousse, 2019).

Certains auteurs vont plus loin dans cette définition en analysant les critères des diverses unions internationales vis-à-vis de l’attribution du statut international à des associations d’initiative privée donnant ainsi cette définition : « les associations internationales (ONG)

sont des groupements de personnes ou de collectivités, librement créées par l’initiative privée, qui exercent sans esprit de lucre, une activité internationale d’intérêt général, en dehors de toute préoccupation d’ordre exclusivement national » (Bastid, 1950).

Ces définitions pourraient être perçues comme internationales et universelles, cependant chaque organisation étant rattachée juridiquement à son pays d’origine, la définition d’ONG dépend des lois de ce pays, de la zone juridique et des pouvoirs publics mis en place.

La première association internationale, définie comme telle, voit le jour en 1863 grâce au Suisse Henri Dunant qui décide de créer La Croix-Rouge afin de porter assistance à tous les blessés et victimes de la guerre. Cela marque une étape décisive car, en voulant que son association soit universelle, il bouscule tous les codes en s’affirmant indépendant des armées, des états, des religions, etc. Il veut son organisation neutre, impartiale et privée.

Une deuxième grande ONG actuelle va définir un élément important lors d’interventions humanitaires : l’organisation Médecins Sans Frontières (MSF) est créée à la suite de la guerre civile du Biafra en 1970. Elle s’impose comme une nouvelle génération d’organisation en décidant de témoigner des situations dangereuses dans lesquelles vivent les populations, contrairement aux vœux de silence de la Croix-Rouge. Ils décident également de reposer leur organisation sur la contestation de la souveraineté des états via un droit d’ingérence humanitaire. Cependant, toute organisation désireuse de vouloir intervenir sur un territoire doit se faire approuver par les gouvernements locaux. Cette indépendance vis-à-vis des autorités politiques ne doit tout de même pas faire oublier que les pouvoirs publics sont un important soutien au bon déroulement des projets d’ONG, et que celles-ci peuvent agir de pair avec des institutions telles que l’ONU par exemple.

Les ONG comme on les connaît aujourd’hui sont passées de 5 000 en 1985 à environ 30 000 dans les années 2000 38 et se battent pour des causes tant humanitaires qu’environnementales. Leur évolution au cours des années a fait qu’elles sont de plus en plus organisées et professionnalisées, les ONG « peuvent jouer un rôle d’acteur de la

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Chiffres issus des Nations Unies, https://news.un.org/fr/tags/ong

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décision publique sur la scène nationale et internationale » (Larousse, 2019). L’ONU,

ayant essayé de définir et classifier les ONG via des critères précis, a dressé une liste des organisations reconnues comme étant des interlocuteurs de confiance. Il existe actuellement plus ou moins 27 000 ONG possédant le statut consultatif de l’ONU39.

Typologie des ONG Dans notre cas d’étude, nous allons nous concentrer sur les ONG humanitaires qui se regroupent souvent en réseaux ou en plateformes suivant leur domaine d’intervention.

Celles-ci peuvent également être subdivisées en deux domaines d’intervention : • •

Les ONG caritatives qui sont spécialisées dans l’intervention d’urgence.

Les ONG de développement qui, elles, s’engagent sur des interventions à long terme.

Ces dernières sont plus discrètes et moins couvertes par les médias que celles intervenant dans l’urgence. Ceci peut s’expliquer par la ponctualité et l’aspect direct des interventions d’urgence. Les projets de développement demandent un suivi constant et une approche à échelle beaucoup plus humaine.

Mondialisation et professionnalisation des ONG Le système d’aide humanitaire internationale actuel est complexe et est composé d’une multitude d’acteurs agissants chacun sur une échelle particulière, qu’ils soient privés ou publics.

En ce qui concerne les acteurs publics, nous pouvons mettre en avant les organisations internationales comme les agences de l’ONU telles que UNICEF, UN-HABITAT ou HCR (Haut-Commissariat des Réfugiés). Nous pouvons également citer les nations qui effectuent, en fonction des crises et des nations touchées, un « devoir humanitaire d’État ». En ce qui concerne l’Union Européenne, nous pouvons souligner que ses actions en font le premier actionnaire humanitaire au monde (Farmer, 2012).

Nous pouvons donc comprendre de ces affirmations qu’il faut appréhender prudemment le monde des ONG. En effet, ces organisations ont beau porter cette étiquette internationale, leurs origines et leurs buts peuvent être très différents, comme des organisations mises en place par des entreprises ou des privés défendant des intérêts commerciaux.

Malgré le fait que certaines ONG se concentrent sur une efficacité à échelle plus locale et de fait plus humaine, d’autres ONG peuvent, grâce à leur réseau, atteindre un public plus large. La force de la coopération internationale réside également dans l’impact global des interventions, peu importe son échelle. Les actions qui sont réalisées quotidiennement par les ONG, grâce à leur rapidité d’action et leur flexibilité, font de ces mesures des outils bien plus efficaces dans la lutte de l’humanitaire que la bureaucratie des gouvernements et des grandes institutions. On peut également reconnaître la force qu’ont les ONG à mobiliser des dons et des volontaires pour leurs projets. Cette force vient principalement d’un travail de proximité et de valorisation de la confiance entre les acteurs des ONG, les donateurs et les sympathisants.

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Reconnaissance d’une ONG par l’ONU comme interlocuteur valable.

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Ces caractéristiques bien propres aux ONG les ont très rapidement poussées sur la scène mondiale en devenant presque des institutions incontournables lors de négociations ou de situations de crise.

Toutefois, les ONG ne sont pas seulement des outils permettant d’aider les plus démunis, ce sont avant tout des structures sociales qui, avec le temps, se sont professionnalisées en assurant leur pérennité grâce à des Conseils d’Administration, des Assemblées Générales, des équipes de terrain et évidemment des relais locaux. Bien que par définition une ONG ne poursuit pas de but lucratif, elle a besoin de poursuivre des objectifs afin d’assurer sa survie et le maintien des emplois, lorsqu’emplois il y a évidemment. Il est donc normal de comprendre le besoin qu’a une ONG à perpétuer et maintenir ses activités et ses projets. Il est également compréhensible de constater que les stratégies de développement des ONG visent à attirer plus facilement des dons privés en travaillant dans des domaines qui attirent de fait plus d’actionnaires, comme l’aide à l’enfance, l’aide sanitaire ou l’aide d’urgence.

Le risque principal dans ce milieu est de tomber dans un manque de transparence des ONG. Grâce à sa grande expérience sur le terrain, Mr Fautrez affirme « qu’il faut se méfier

de certaines ONG qui ont l’air d’agir pour le meilleur, car derrière, il pourrait y avoir un système opportuniste » (Fautrez, 2019). En effet, à force de chercher des projets pour

survivre ou se développer à tout prix, on risque de tomber alors dans un effet pervers des actions humanitaires qui se transforment petit à petit en business.

La transparence des activités des ONG prouve aux actionnaires et au public une confiance mutuelle. Malgré tout, on retrouve parfois chez certaines ONG qui ont souvent critiqué le manque de transparence des agences gouvernementales et des pouvoirs publics, ces mêmes négligences. En Haïti par exemple, la corruption est en place depuis très longtemps entre certains acteurs du développement local et certaines ONG. Mais il faut comprendre les façons de faire locales pour bien nuancer cette problématique. « La

première fois que nous sommes venus en Haïti en 2013 et que nous avons dit aux communautés locales que nous étions une ONG, ils ont physiquement fait un pas en arrière » (Fautrez, 2019).

L’importance des rapports d’activité des ONG porte alors tout son sens. Cependant, il faut garder l’esprit critique face au positivisme de nombreuses d’entre elles quant au succès de leurs missions. La transparence se résout également par le fait d’admettre que l’aide humanitaire, ce sont aussi des échecs, des situations complexes entre la cohérence des actions de terrain et la coordination des acteurs de développement, mais aussi parfois des projets à abandonner ou à transformer.

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1.1.2. L’action humanitaire comme outil de planification territoriale Dans le secteur de la planification urbaine, le milieu de l’aide au développement est aux prises avec les défis et les opportunités du travail en milieu urbain. Le tremblement de terre en Haïti a été un signal d’alarme sur la nécessité de repenser la réponse humanitaire aux crises urbaines. Depuis lors, un certain nombre d’organisations d’aide (y compris des agences des Nations Unies, des donateurs, le mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, des ONG, des groupes de réflexion et des consultants) ont cherché à « urbaniser » leurs approches, reconnaissant que de nombreuses méthodes de travail traditionnelles découlaient largement de leur programmation (Sanderson, 2019).

Le dynamisme de la ville, avec sa logistique complexe, peut être un défi de taille. Des populations énormes, diversifiées et mobiles compliquent l’évaluation des besoins et une coordination étroite est nécessaire avec d’autres acteurs, souvent inconnus. Une mosaïque d’autorités et d’autres formes de gouvernance urbaine potentiellement prédatrices nécessitent une négociation constante. Ces acteurs ne sont pas simplement des obstacles à surmonter, mais des partenaires clés pour l’engagement lors de toute intervention humanitaire. Qu’il s’agisse de comités de quartier, de gouvernements municipaux ou de groupes communautaires locaux, ils font souvent partie de systèmes de la ville plus étendue. Grâce à leurs connaissances et leurs contacts locaux, ils pourraient souvent agir en tant que premiers intervenants bien avant l’arrivée de la Communauté Internationale.

De nombreuses organisations ont pris des mesures pour adapter leurs approches aux contextes urbains. En pilotant de nouvelles approches, en documentant et en appliquant les enseignements tirés. Selon D. Anderson, l’auteur du document Humanitarian response in urban contexts, « malgré la reconnaissance croissante de la nécessité d’améliorer les

réponses humanitaires dans les zones urbaines, la plupart des praticiens manquent encore de conseils pratiques » (Sanderson, 2019).

L’urbanisme et la coopération au développement La question urbaine lors d’interventions d’aide au développement est devenue au fil du temps une caractéristique fondamentale de planification. Comme nous le verrons plus en profondeur par la suite, les décisions urbaines peuvent avoir un impact considérable sur les communautés, les quartiers visés, en matière d’éducation, de sécurité, de santé, d’accessibilité à l’alimentation et l’eau, de gestion des déchets, etc.

Lors de son analyse sur les stratégies urbaines de développement dans les zones vulnérables dans son livre Four decades of Living on the Edge in Rio de Janeiro, Janice Perlman, membre du projet Mega-Cities, nous explique que souvent, les programmes de rénovation urbaine et de réhabilitation des bidonvilles sont très coûteux et ne modifient pas la réalité de vie pour les communautés touchées, en tout cas pas dans les exactes mesures souhaitées. Elle explique également que de tels programmes peuvent parfois pousser des résidents à se déplacer, car la rénovation urbaine aura causé une hausse de la valeur de leur terrain, qu’ils ne sont pas nécessairement capables de se permettre. Nous pouvons également ressortir que de nombreux projets urbains se focalisent principalement sur la construction, et donc que le budget mis en place se concentre sur le développement de ressources matérielles et sur le système de services centralisé40.

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J. Perlman, Four Decades of Living on the Edge in Rio de Janeiro , Oxford University Press (2011)

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Elle continue en expliquant que l’engagement de la communauté dans l’établissement des priorités et la prise de décision sont souvent réduits au minimum. Le manque de fierté et d’appropriation de la communauté à l’égard des améliorations a tendance à être abandonné et à se détériorer une fois les bureaux du projet fermés et le départ des équipes de construction. Perlman fait référence au fait que « les professionnels les mieux

intentionnés et les plus expérimentés, les administrateurs à but non lucratif ou les dirigeants communautaires ne peuvent pas parler au nom des résidents, et à moins que les résidents aient une voix influente dans le processus et les résultats, ils resteront plutôt des« clients » que « joueurs » ».

Le projet d’amélioration des bidonvilles « Jalousie en Couleurs » à Port-au-Prince peut être pris comme un exemple concret de l’écart existant entre les besoins des habitants et l’intervention des décideurs sur le terrain. Le projet de 6 millions de dollars a suscité une énorme controverse car une grande partie du budget a été dépensé pour la peinture de façades alors que les services de base et la création d’emplois n’avaient pas été inclus dans le projet, restaient sous-financés ou avaient été retardés dans l’exécution. De nombreux Haïtiens et résidents accusent ainsi le projet d’être un « maquillage de la misère ».

Figure 32 : Le bidonville de Jalousie, recoloré par le projet Jalousie en Couleur.

Source : Photographie prise par Pierre Morel, 2014. https://planetevivante.wordpress.com/2016/01/31/haiti-2016-2-reconstruction-rehabilitation-etrelogement-apres-le-seisme-de-2010/

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L’architecte et la coopération au développement Patrick Coulombel, fondateur d’Architectes de l’urgence, explique dans son livre41 que les compétences liées au métier d’architecte sont de plus en plus demandées lors d’interventions d’urgence ou de développement (Coulombel, 2007). En effet, au départ la création d’abris et la planification humanitaire étaient souvent issues d’un passé militaire, certes efficaces mais ne tenaient pas nécessairement compte des réalités du terrain, de sa population et de son urbanisme. Toutefois, l’action humanitaire a considérablement progressé ces dernières années dans de nombreux secteurs pour améliorer la gamme et la qualité des solutions techniques proposées. Néanmoins, la participation concrète des architectes et urbanistes lors d’interventions d’urgence ou de développement humanitaire reste une question ambiguë, car chaque situation/intervention est unique et demande des services ou compétences tout aussi particuliers.

L’architecture éphémère et l’architecture d’urgence deviennent alors sujettes à de multiples concours entre professionnels du milieu, afin d’affiner les structures, d’optimiser les systèmes, etc. Nous pouvons mettre en évidence les travaux de l’architecte japonais Shigeru Ban et ceux de l’architecte français Patrick Coulombel.

Shigeru Ban est connu pour sa pensée innovante, notamment sur ses recherches de nouveaux matériaux tels que le papier et le carton. L’influence traditionnelle japonaise se ressent dans sa démarche au niveau des formes et des méthodes de construction. À la fin de ses études, sa vision du métier change pour être plus axée vers l’aspect humanitaire et écologique. Il explique d’ailleurs que : « depuis la nuit des temps les architectes

travaillent pour les gens privilégiés, des groupes religieux et maintenant pour des compagnies multinationales faisant en sorte que la puissance et l’argent qui sont des concepts invisibles soient perceptibles par l’architecture. Comment pouvons-nous utiliser nos connaissances et nos expériences afin d’aider des personnes dans le besoin ? C’est là que j’ai commencé à m’intéresser à faire des structures temporaires pour les victimes » (Ban, 2014). Son premier travail humanitaire a été de réaliser les abris d’urgence en papier pour le HCR dans un camp de réfugiés au Rwanda en 1999. Les problématiques de durabilité et de coût ont été résolues par l’utilisation de tube en carton pour remplacer ceux en aluminium et garantir la sureté de 50 abris.

Pour l’architecte Patrick Coulombel, l’aspect humanitaire de son travail n’apparaitra qu’après les crues de la Somme dont il est originaire en 2001. Cet évènement fut un déclic qui amena à la création de la fondation Architectes de l’Urgences qui vient en aide aux victimes de catastrophes naturelles. La fondation fut présente sur de nombreuses zones sinistrées : les tremblements de terres de Haïti en 2010 et d’Afghanistan en 2002, le cyclone de Birmanie en 2008 ou encore au Tchad pendant la guerre civile. La fondation intervient dans différents domaines comme l’évaluation cartographique, la reconstruction d’urgence, la mise en sécurité des populations, l’évaluation des terrains et des bâtiments, les formations aux métiers d’urgence. Quatorze ans après sa création, la fondation compte plus de 1600 architectes, ingénieurs et administrateurs à travers le monde.

Afin de mieux visualiser l’impact de ces deux architectes sur le terrain, nous allons analyser et comparer deux de leurs projets respectifs : la Paper Log House de Shigeru Ban et l’abri d’urgence à longue durée de Patrick Coulombel.

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Coulombel, P. (2007). Architectes de l'urgence : un nouveau métier de l'humanitaire. Paris: L'Harmattan.

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Shigeru BAN - Paper Log House En 1995, un tremblement de terre touche le Japon dans la région de Kobe. Ban décide alors d’intervenir afin de répondre à l’urgence de la situation. Il utilise ses propres fonds pour arriver à ses fins, aucune organisation n’était alors responsable d’un tel projet.

L’intervention consistait à construire rapidement 80 abris provisoires recyclables, résistants aux séismes, peu couteux mais gardant un confort supérieur aux tentes communément utilisées. Le quartier fut dédié à une communauté vietnamienne qui avait dû se battre pour rester en vie alors que leurs conditions de vie étaient déplorables.

Le but de son intervention était donc de recréer un sentiment d’appropriation d’un quartier pour une petite communauté. L’extérieur pourtant si simple, propose des espaces communs qui seront gérés en interne afin de favoriser la communication. L’intérieur est un espace ouvert afin de pouvoir le moduler de la façon la plus propice possible au style de vie de l’habitant. La créativité est encouragée afin d’améliorer les conditions de vie. Ce type d’infrastructure marque la création d’un quartier à part entière et favorise la durabilité d’une architecture voulue temporaire.

Ces habitations sont voulues rigides et solides afin de donner un sentiment de chez soi à l’occupant. La communauté est au centre du processus. En effet, Ban a voulu que la réalisation de ce projet soit adaptée à l’environnement dans lequel il sera implanté. Ce sont les habitants, accompagnés de plusieurs étudiants bénévoles, qui montent euxmêmes leurs habitations. Le processus participatif est donc au cœur du projet.

Pour Ban, l’utilisation de rouleaux de papier et de matériaux recyclés ne semblait pas être un choix environnemental, mais plutôt le fruit d’une réflexion bien plus poussée : « je

réfléchissais simplement à comment utiliser dans son état brut un matériau, afin d’éviter un maximum la création de déchets non recyclables » (Ban, 2014). Sa bonne résistance

aux intempéries est due à l’isolation transparente placée autour des poteaux et l’isolation est assurée en partie par du papier journal. Les fondations sont formées grâce à des matériaux recyclés : des caisses de boissons lestées de sable.

Bien que ce projet ait été réalisé en premier lieu lors du tremblement de terre qui a touché Kobe, la conception de ce projet étant modulable, l’architecte a su l’adapter à plusieurs climats et environnements au fur et à mesure des années, par exemple en Turquie, en Inde ou même les Philipinnes.

Figure 33 : Projet Paper Log House.

Source : Takanobu Sakuma, récupéré sur https://www.architectmagazine.com/project-gallery/paper-loghouse-kobe

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Patrick COULOMBEL - tente d’urgence La fondation des Architectes de l’Urgence a toujours travaillé dans l’optique de ne pas créer de nouveaux problèmes dans l’urgence. C’est pourquoi ils s’efforcent de trouver des solutions permanentes et durables. Le but de ce projet était de permettre d’agir vite et bien dans des situations de crises. Pour cela « il s’agit de concevoir des abris optimaux

en termes de coût, d’acheminement, de performances techniques, de facilité de mise en œuvre, de respect de la dignité des bénéficiaires, de respect de l’environnement… Il convient également d’évaluer les besoins et de déployer des mesures adéquates » (Coulombel, 2007).

Cette installation est utilisée dans toutes les missions nécessitant un programme de reconstruction durable afin d’éviter l’usage d’installations transitoires coûteuses, concentrant ainsi tout le potentiel vers la reconstruction qui compte. L’objectif selon Coulombel est de « conserver en permanence un stock de 400 abris, disponibles immédiatement en cas de catastrophe » (Coulombel, 2007).

Les matériaux utilisés pour l’élaboration de cette tente ne sont pas des matériaux de luxes mais bien des matériaux simples et efficaces. Elles sont réalisées en France afin de favoriser les investissements locaux dans l’implication internationale. Ces modules ont été développés afin d’être ultra transportable (légers et compacts) et hautement performant en matière de résistance et de coût. Ces modules sont légers et donc facilement transformables et modulables, de telle facon qu’un espace peut être adapté pour tout type de circonstances. Les dimensions du module permettent l’établissement provisoire de plusieurs fonctions mais ne pourront pas assurer une viabilité continue.

Cependant, la création d’un sentiment communautaire semble plus difficile dans le sens où même si l’infrastructure est identique en tout point, la différence d’utilisation n’est pas marquée par élément quelconque. La durabilité de ce type de projet est, d’une certaine façon, à long terme dans le cas d’une reconstruction programmée, car le but est « de

reconstruire pendant que les sinistrés utilisent ces tentes, afin d’arriver à un résultat en dur, pérène » (Coulombel, 2007).

Figure 34 : Projet abris d'urgence longue durée.

Source : Architectes de l’Urgence, récupéré sur https://www.archi-urgent.com/qui-sommes-nous/notreexpertise/abri-durgence-longue-duree/

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À l’issue de l’analyse effectuée de ces deux manières d’agir sur l’architecture d’urgence, nous pouvons affirmer que la manière dont le concept de l’urgence est étudié semble identique dans les deux cas, mais que les interventions sont radicalement différentes. Ils intègrent tous deux les principes de l’architecture d’urgence tels que : la temporalité éphémère et la modularité.

L’identité de chaque projet est marquée par une volonté commune de communiquer le besoin d’être utile. Pour Ban, il s’agit d’implanter l’idée même du logement au cœur d’une situation de catastrophe et pour Coulombel, il s’agit plutôt de se rendre compte de l’utilité des structures simples comme base solide pour la reconstruction d’un espace et d’une communauté. Les impacts socio-culturels d’une architecture éphémère qui n’est pas laissée entre les mains des occupants peuvent être majeurs. La question de la gouvernance territoriale peut aussi s’appliquer à un aussi petit territoire qu’une maison.

Ainsi, Ban arrive à intégrer ce procédé de participation citoyenne là où Coulombel impose son procédé et le reprendra quand il en aura besoin.

Cependant, leurs interventions sur l’espace et le temps diffèrent. Coulombel a mis au point un système complexe et dynamique afin de pouvoir gérer une crise entière du début à la fin. La richesse d’un tel projet ne réside pas dans la créativité, contrairement à Ban, mais tente plutôt de dépasser le cadre contraignant des politiques interventionnistes afin de pouvoir prodiguer à tout moment les besoins nécessaires pour faire face à une situation de crise. Les liens qui connectent ces deux interventionnistes paraissent clair, aucun n’a hésité à se lancer dans le pari qu’était l’architecture d’urgence à l’époque. Leur désir d’agir était beaucoup trop important que pour laisser les limites traditionnelles dicter leur façon de faire. Ainsi, ils sont arrivés tous deux à produire de nouveaux concepts architecturaux correspondants aux besoins contemporains et futurs.

C’est ainsi que le métier d’architecte humanitaire a vu le jour. Bien que de nombreuses définitions ont été établies à ce sujet, « l’architecture dans l’action humanitaire ce n’est pas seulement une architecture de l’urgence » raconte Samuel Bonnet (chef de la construction au CICR). L’architecte humanitaire doit savoir utiliser ses compétences de médiateur afin de pouvoir gérer des situations complexes sur le terrain. Car la réalité est celle-ci, l’architecte humanitaire doit pouvoir assimiler une dimension sociale et politique à la pure pratique de la construction. Comme le dit Mr Schmeddind, « l’architecte ne peut

plus être le seul développeur et designer qui essaie d’imposer à la réalité du terrain des solutions structurelles ou formelles préconçues. Les architectes doivent pouvoir travailler en tant que modérateur dans un large éventail de processus décisionnels ».

Il s’agit donc d’intégrer des processus participatifs ouverts où les acteurs décisionnels sur le territoire entreprennent une planification pour et avec les futurs utilisateurs, « sans

itinéraire prescrit et sans solution finale […] introduisant une pluralité d’objectifs et d’actions dont les résultats ne peuvent être prévus » (Sanderson, 2019). C’est dans ce

cadre que le rôle du design contemporain entre en jeu. Dans la mesure où il devra produire un cadre conceptuel, capable de prévoir de nouvelles stratégies à long terme : viser un équilibre entre le contrôle dynamique de la ville future et permettre une évolution naturelle.

En conséquence, ne serait-il pas envisageable d’émettre l’hypothèse suivante : les acteurs du management territorial, tels que les architectes, les ingénieurs ou les urbanistes deviendraient de véritables bénéficiaires de la coopération au développement lors d’un processus de reconstruction post-traumatique.

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1.2. Institutionnalisation de la coopération au développement en Haïti La faiblesse étatique d’Haïti a propulsé un collectif d’acteurs internationaux en avant ces 30 dernières années : les ONG. Ces organisations non-gouvernementales transnationales (ONGAT) ont actionné un système en transformant cette faiblesse en force pour leurs activités sur le territoire haïtien. Cet effet pervers en Haïti est l’expression d’une charité qui ne peut constituer le moteur des relations internationales.

De plus, en répondant aux crises endogènes d’Haïti, la Communauté Internationale devient malgré elle l’un des principaux acteurs du jeu politique haïtien. Comme le montre la polémique des élections de 201042, cette lutte du pouvoir et ces défis politiques semblent être le noyau central de l’aide internationale. Or tellement de besoins de tous ordres sont présents, et tant que cela restera le cas, le pays ne bénéficiera que d’accalmies.

Face à ce système politique, Haïti découvre une dépendance étrangère grandissante sur le plan économique. Dépourvu d’un système fiscal efficace, l’État fragilisé n’arrive à créer que 10% des ressources dont il a besoin pour survivre. Entre en jeu alors le modèle rentier de l’aide internationale. Cette dernière arrive formellement en Haïti par l’intermédiaire de mécanismes comptables. Elle revient rapidement dans les pays donateurs les plus influents à travers l’achat de biens et de services. Selon Seitenfus, le paradigme haïtien provoqué par la coopération internationale satisfait ainsi tous ses acteurs : « le

gouvernement dispose d’une source sûre de ressources, les pays donateurs récupèrent la quasi-totalité des donations, l’élite haïtienne reçoit une protection, la bureaucratie des organisations internationales peut bénéficier d’avantages salariaux car elles interviennent prétendument dans une région conflictuelle » (Seitenfus R. , 2015). Pour Pierre Léger, le système « Food for the poor » est « une structure permettant d’alimenter la plus grande industrie du monde qui n’est autre que la pauvreté »43. Cela ne fait donc que grandir l’incompréhension de la nature première de la crise haïtienne.

1.2.1. De l’isolement aux interventions internationales Comme nous l’avons vu précédemment, l’histoire haïtienne est marquée d’un grand coup de fer rouge par la Communauté Internationale. Haïti a connu deux siècles de solitude généralisée sur la scène internationale. Deux siècles d’occupations militaires, de relations tumultueuses entre le monde occidentalisé et la république noire déclarée turbulente.

Deux siècles de complexité politique, économique, sociale, ont finalement amené une Communauté Internationale, ne comprenant pas la nature première de la crise haïtienne, à intervenir décisivement avec ses militaires sur les sujets internes du pays (Seitenfus R. , 2015).

L’effet des différents embargos de l’aide étrangère sur les gouvernements haïtiens dans les années 1990 et 2000 illustre l’influence de la Communauté Internationale en Haïti.

Une déstabilisation politique profonde après un coup d’état qui a destitué le président Aristide en septembre 1991 et qui a conduit au blocus de l’aide. En raison de la situation politique instable et des embargos sur les exportations haïtiennes jusqu’en 1995, le produit intérieur brut haïtien chute considérablement, entraînant un chômage d’environ les trois quarts de la population. La réélection d’Aristide en 2000 étant largement contestée, la Banque Mondiale, l’Union Européenne, La Banque Interaméricaine de Développement,

42 43

Voir Partie I : contexte historique, politique et territorial.

Cf Le Nouvelliste, 29 janvier 2014. P. Léger est un fervent défenseur du secteur agricole haïtien.

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les États-Unis, le Canada, la France et les Pays-Bas bloquent toute aide au gouvernement haïtien. La suspension de l’aide se poursuit jusqu’à la destitution du président Aristide en 2004 (Farmer, 2012).

Le virage contemporain de l’aide au développement réside dans la décision de la Communauté Internationale de soutenir les ONG plutôt que les gouvernements haïtiens potentiellement corrompus ou indésirables. En effet, comme le déclare Martin Hartberg d’Oxfam lors d’une interview pour le journal The Guardian en 2011 : « depuis les années

1980, la communauté des donateurs a eu tendance à fournir une assistance directement par le biais des Nations Unies et des ONG haïtiennes et internationales afin de contourner les institutions publiques corrompues et inefficaces » (The Guardian, 2011). Cependant,

cela a, à son tour sapé la capacité de l’État à remplir sa fonction. Jusqu’à la veille du tremblement de terre dévastateur de 2010, le gouvernement haïtien n’avait pas suffisamment de budget opérationnel ni de personnel qualifié pour assurer et fournir les services les plus nécessaires tels que l’approvisionnement en eau et en nourriture, les soins de santé publique, l’éducation de base (Farmer, 2012).

Le pouvoir international a toutefois l’intention de rester le temps qu’il faudra pour « normaliser » un pays considéré comme anormal, pour stabiliser un système politique qui repose sur l’instabilité, pour intégrer un système international à une économie qui survit grâce à l’aide extérieure (Seitenfus R. , 2015). Il s’agit évidemment d’un programme plus qu’ambitieux. Dans son article traitant de l’intervention de l’ONU dans l’histoire politique récente d’Haïti, Béatrice Pouligny-Morgant explique qu’« Haïti est révélateur du rôle

croissant que tend à jouer l’ONU dans l’accompagnement des démocratisations, à travers notamment la surveillance d’élections ou dans le cadre d’opérations plus lourdes comme les missions polyvalentes de maintien de la paix » (Pouligny-Morgant, 1998). Une analyse plus profonde dans ce domaine montrerait probablement qu’Haïti n’est cependant pas un cas unique et que des phénomènes très similaires sont observables dans d’autres cas d’intervention internationale. Dès lors, nous pouvons en ressortir l’importance d’intégrer à la compréhension globale d’une situation interventionniste la compréhension du local, dans sa diversité même.

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1.2.2. « La République des ONG » Au cours des semaines qui ont suivi le tremblement de terre, Haïti a obtenu une aide et un soutien international considérables. Le secteur public international a promis, lors d’une conférence internationale à New York, des dons de 10 milliards de dollars pour les secours humanitaires et la reconstruction jusqu’à la fin de l’année 2012 (Peck, 2013). Un an après le tremblement de terre, Seitenfus témoigne que la Communauté Internationale « a

trop souvent sapé une gouvernance et un leadership efficaces en contournant le peuple haïtien, le gouvernement local et les ministères lors de la reconstruction après le séisme » (Seitenfus R. , 2010).

Fin 2012, un peu plus de 50% seulement des dons promis avaient été décaissés (Peck, 2013). Alors que les ONG et les entrepreneurs privés semblent être les principaux bénéficiaires intermédiaires du financement, le gouvernement haïtien a reçu moins de 10%. Moins de 1% est allé directement aux ONG et entreprises haïtiennes (Peck, 2013).

Ce qui vaudra à Haïti le surnom révélateur de « République des ONG ».

Dans son livre L’échec de l’aide humanitaire en Haïti, Ricardo Seitenfus décrit les efforts internationaux entrepris avant et après le tremblement de terre. Il élabore, de son point de vue en tant qu’envoyé spécial de l’Organisation des États Américains pour Haïti, une image très diversifiée du système dysfonctionnel de l’aide humanitaire, « un système qui,

mis à part les bonnes intentions, est devenu un autre obstacle au redressement et à la souveraineté d’Haïti » (Seitenfus R. , 2015). Un de ses points clés concerne le fait que

seul le gouvernement haïtien peut être la seule entité à détenir le pouvoir de servir la société haïtienne avec ses services publics afin de combattre la précarité extrême.

Toutefois, nous pourrions remettre cela en perspective lors de la phase d’urgence, car comme nous l’avons vu auparavant, la majorité des ministères étaient détruits ainsi que la perte du personnel y travaillant. Le gouvernement et l’État haïtien furent lourdement atteints pendant les premiers mois. « Le manque de directives et de décisions venant d’en

haut a provoqué un mouvement incroyable parmi les organisations nongouvernementales » qui y ont vu une opportunité de pouvoir faire ce qu’ils voulaient comme ils l’entendaient (Lespinasse, 2020). Pendant la période d’urgence, nous pouvons supposer que certains règlements soient mis de côté car la priorité est de sauver le plus de vies possible. Dans ce cadre-ci, les actions prises par les ONG dépendaient donc principalement de la bonne volonté des acteurs en place.

De plus, limitées en légitimité pour l’action publique, ainsi qu’en capacité, les ONG suivent une méthodologie de travail qui s’adresse et défend les groupes cibles et est largement fondée sur les intérêts des donateurs. Conjuguée au manque de coordination et de coopération, ceci fait que l’action reste dispersée localement et limitée socialement. Lors de notre séjour, nous avons pu voir précisément les conséquences de cette réalité. En effet, dans les hauteurs du quartier du Haut-Turgeau se trouve une plaine de jeux réalisée en pneus usagés qui a été construite en 2012 mais qui est entièrement entourée de grillages. Nos deux accompagnateurs, Mr Rabel et Mr Desravines, tous deux coordinateurs du GRET44 nous ont expliqué que la communauté, malgré le fait que le projet ait été réalisé en partenariat avec elle, ne s’est pas approprié l’espace créé . Il s’agissait pour elle d’un

Groupe de Recherche et d’Échange Technologique. Le GRET est présent en Haïti depuis 1995 et intervient dans cinq domaines : agriculture; eau potable, assainissement et déchets; gestion des ressources naturelles et énergie; santé et nutrition; villes et décentralisation.

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choix imposé par l’ONG, par les donateurs, comme si ce projet faisait partie d’une longue liste de programmes à absolument réaliser dans un contexte comme celui d’Haïti. À cela s’ajoute le fait que le projet était à l’époque située sur les hauteurs du quartier, donc difficile d’accès pour le public visé. Le résultat est flagrant, cette plaine de jeux n’a jusqu’à aujourd’hui pas encore été utilisée depuis sa construction. Alors que le quartier de BasTurgeau continue de s’étendre au-delà des anciennes limites imposées par le gouvernement qui amène ainsi une nouvelle population qui préfère utiliser un espace annexe en chantier plutôt que ce projet.

Figure 36 : Projet de plaine de jeux réalisée par le GRET en Figure 35 : Passage fréquent des habitants à côté du 2012 dans le quartier de Bas-Turgeau. projet.

Source : Photographies prises par Fabrice Sobczak, 2020.

Le documentaire Assistance Mortelle de Raoul Peck, ancien Ministre haïtien de la Culture, aggrave encore les accusations contre la Communauté Internationale en montrant une vision controversée des efforts et des réalisations de la campagne du « Build Back Better ».

Cette critique a révélé des problèmes majeurs dans les opérations de secours, notamment le fait qu’en novembre 2010, c’est plus de dix millions de mètres cubes de débris des bâtiments endommagés qui restaient à Port-au-Prince, entravant les travaux de secours et les efforts de reconstruction, en partie en raison d’un manque d’une stratégie commune d’élimination des débris et de lignes directrices similaires (Peck, 2013).

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Lors de notre rencontre avec Anne Lespinasse, directrice des programmes de l’ONG GOAL45, celle-ci nous expliquait qu’une des premières actions de leur organisme avait été de déblayer les routes afin d’avoir un impact primordial dans la reconnectivité de certains quartiers. Cependant, elle affirme que peu d’organisations se sont concentrées sur ce nettoyage de débris « dépourvu de prestige », alors qu’il s’est avéré que d’autres travaux sur lesquels beaucoup se sont concentrés ont été effectués deux fois. À différentes échelles, que ce soient des chemins, des routes ou même des balisages, « ce travail n’a pas été assimilé à 100% à l’effort de reconstruction » (Lespinasse, 2020).

« Haïti en 2010 était déjà un modèle d’État effondré, d’État failli. Sauf que c’était toujours une métaphore lorsque nous parlions de faillite de l’État. Là, la fiction avait été rejointe par la réalité. Le pays s’était physiquement effondré.

Le palais présidentiel, la plupart des ministères également de sorte qu’il n’y avait donc plus d’interlocuteurs. Je pense que si l’argent a été si mal utilisé, c’est tout d’abord parce qu’il n’y avait pas d’ancrage, pas d’institutions capables d’accueillir, de recevoir cette aide. Ce qui fait qu’au lieu d’être dirigé vers la satisfaction des besoins réels et urgents de la population, cet argent a percolé dans les poches des responsables haïtiens et étrangers. » (Théodat, 2020)

ONG irlandaise présente en Haïti depuis 2010 et est actuellement dans une phase de transition stratégique entre urgence, transition et développement en adoptant dans l'ensemble de ses programmes une démarche basée sur l'engagement et la participation communautaire. Cette ONG intervient dans trois domaines principaux : la reconstruction et la gestion des risques; l'eau, l'hygiène et l'assainissement (WASH) et le développement économique.

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2. Gouvernance des institutions haïtiennes de la planification territoriale, de l’aménagement urbain et du logement L’objectif de ce chapitre est de comprendre comment fonctionne l’État haïtien au niveau de l’aménagement du territoire, afin de créer un organigramme des acteurs permettant par après de constater quelles sont les branches pouvant poser problème lors d’interventions post-traumatiques. Cette démarche permettra de mieux visualiser la place de l’architecte/urbaniste face à une urbanité spontanée post-traumatique ou non.

Les politiques et le cadre juridique des questions foncières sont dispersés, contradictoires et, dans la plupart des cas, non appliqués. Même s'il existe plusieurs niveaux d'administration mis en place pour gérer différentes procédures juridiques concernant les terres, il n'y a pas de cadre plus large et de politiques générales sur la façon dont les terres doivent être administrées et gérées (Forsman, 2010).

Les acteurs de l'urbanisme et des interventions foncières dans la région métropolitaine de Port-au-Prince sont tous les individus, groupes et institutions qui peuvent affecter ou être affectés par l'urbanisme, le développement urbain et la gestion des terres. Ces acteurs comprennent également les bénéficiaires potentiels ainsi que ceux qui pourraient être affectés négativement.

« Les institutions politiques, judiciaires et de sécurité d’Haïti ont été déchirées par la dictature, l’intervention militaire et l’instabilité, et restent extrêmement faibles.

Les structures politiques sont en proie à l’ambition personnelle et au factionnalisme des politiciens, tandis que le système judiciaire souffre de ressources inadéquates, d’inefficacité et de corruption. » (Economist Intelligence Unit, 2006)

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2.1. La décentralisation étatique Prenant en compte la complexité de la situation haïtienne, nous devons garder en mémoire que la faiblesse de l’État et l’histoire d’un système autoritaire influencent continuellement le système politique et décisionnel. À la suite du régime dictatorial de Duvalier, de nombreux questionnements se sont présentés concernant la capacité de l’État à gérer les disparités sociales, à fournir les services de base aux populations. C’est dans ce cadre qu’est apparu le constat de la rareté des institutions au niveau local d’où découlent des problèmes fondamentaux tels que la dégradation de l’espace, tant urbain que rural (Dormer, 1998). Comme nous l’avons vu précédemment, l’État haïtien a fortement été influencé par la Communauté Internationale. L’apport du concept de décentralisation étatique pourrait être considéré comme exclusif par certains, mais il s’agit pour les Haïtiens « d’aller plus loin qu’une mode importée 46» (Dormer, 1998).

Par définition, la décentralisation est « un processus d’aménagement de l’État unitaire qui consiste à transférer des compétences administratives de l’État vers des entités (ou des collectivités) locales distinctes de lui »47. Bien que ce concept fut prévu par la Constitution de 1987, il aura fallu attendre 1997 pour que soient organisées les élections la permettant (Dormer, 1998). C’est grâce aux élections de 2006 qu’une certaine stabilité fût trouvée et que la Décentralisation est devenue la responsabilité du Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales (MICT).

Les objectifs visés par la décentralisation sont : -

Un réaménagement des pouvoirs et des responsabilités qui permet une meilleure gestion de l’espace national ; Un rapprochement des citoyens des centres de décision ; Une valorisation de l’autorité des responsables locaux ; Des moyens efficaces pour les autorités locales de s’acquitter de leurs tâches.

-

C’est dans l’intégration de ces objectifs qu’apparaît la recherche du cadre idéal de regroupement, de mobilisation et de participation de la population dans une perspective de développement. En Haïti, durant les années 1991 à 1996, de nombreux débats ont eu lieu concernant le découpage pertinent pour le choix d’une collectivité territoriale (Dormer, 1998). Une fois la décentralisation implantée, et selon la division politicoadministrative de la constitution, le territoire devrait être constitué de trois niveaux d’autorités locales et régionales appelées « Collectivités Territoriales » : -

Le Département La Commune La Section Communale

Toutefois, l’informalité joue ici encore un rôle particulier avec deux niveaux supplémentaires, non officiels, que sont les arrondissements et les quartiers. Cet aspect informel nous pousse donc à formuler deux questions : quelles sont les collectivités de base effectives et quelles sont les autorités reconnues par ces collectivités ?

Par un long processus de décentralisation, la France, qui était un État unitaire très centralisé, est aujourd'hui un État déconcentré et décentralisé (loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, dite "loi ATR") 47 https://www.vie-publique.fr/fiches/20168-la-decentralisation-definition 46

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Selon la lecture de la constitution par la Commission nationale pour la réforme administrative, le département devrait assumer le rôle politique, les communes devraient avoir des responsabilités opérationnelles et les sections communales devraient représenter et défendre les intérêts des citoyens (République d’Haïti et PNUD 2005).

Chacune de ces trois Collectivités Territoriales aura des Conseils et des Assemblées (voir tableau ci-dessous). Le Conseil aura le rôle exécutif et l’Assemblée aura un rôle consultatif et délibératif. En réalité, presque aucune Assemblée n’a été établie, mais les Conseils sont en place dans la plupart des autorités locales et fonctionnent aussi bien au niveau des communes que pour les sections communales, surtout compte tenu de leur situation financière difficile.

Tableau 3 : Structures administratives en Haïti.

Nom du niveau

Nombres

Département

10

Statut de Collectivité Territoriale (CT) Oui

Arrondissement Commune

41 140

Non Oui

Quartier Section Communale

568

Non Oui

Fonctions principales

Les délégués supervisent les CT de niveau inférieur au nom de l’État. Les départements accueillent les niveaux départementaux des ministères nationaux. Le Conseil départemental et l’Assemblée départementale ne sont dans la plupart des cas pas en place.

Le vice-délégué représente le délégué.

Responsable de certaines collectes d’impôts, des Tribunaux de la Paix, de certaines tâches décentralisées des ministères de tutelle. Le conseil municipal et le maire existent dans la plupart des municipalités et sont normalement opérationnels, mais l’Assemblée municipale, qui devrait comprendre des représentants des services communautaires, n’est dans la plupart des cas pas mise en place.

Tribunal de Paix.

Le Conseil de quartier communautaire (CASEC) existe dans de nombreux quartiers, mais surtout en tant qu’arbitre informel pour les conflits locaux et non pour maintenir les infrastructures locales et diriger le développement local, comme cela était prévu dans la constitution. L’Assemblée de paroisse communautaire (ASEC) n’a pas été mise en place.

Source : (Forsman, 2010) Figure 37 : Organigramme général des communes dans Port-au-Prince.

Source : Schéma réalisé à partir des informations de la Mairie de Carrefour, (Tribouillard, 2016).

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2.2. Les interactions institutionnelles 2.2.1.

Les institutions sectorielles

Lors d’un rapport de 2016 du 11e FED européen dirigé par Clémentine Tribouillard, le document établit un diagnostic institutionnel du secteur de l’aménagement urbain et du logement afin de mieux orienter l’utilisation des fonds disponibles dans le cadre du Programme d'appui à la reconstruction et l'aménagement de quartiers (PARAQ)48.

Dans un rapport de l’ONU-HABITAT de 2009, ses auteurs reprennent une citation du Ministère de la Planification (MPCE) : « plus de 50 institutions se partagent la responsabilité de la gestion de la métropole de Port-au-Prince ».

Toutefois, dans son rapport C. Tribouillard étudie les principales institutions et en a ressorti les caractéristiques majeures. Comme nous allons le voir, ces institutions haïtiennes travaillent sur de nombreux niveaux. Nous établirons ensuite un organigramme afin de mieux comprendre ces différentes interactions. Afin de conserver un esprit synthétique, nous nous contenterons d’expliquer le rôle de chacune assez brièvement.

- Les Mairies, qui ont dans leurs attributions la planification et la gestion de leur territoire, sous les angles de l’urbanisme, du foncier, de la construction et de l’entretien. C’est également le relais principal avec la population.

- Le Ministère des Travaux Publics, Transports et Communications (MTPTC) et en particulier la Direction des Travaux Publics (DTP), de par son rôle clé en planification et gestion urbaine. Il a pour mission de définir et concrétiser la politique du pouvoir exécutif concernant entre autres les domaines de travaux publics, de transports, de communications, d’eau potable et d’énergie.

- Le Ministère de l'Intérieur et des Collectivités Territoriales (MICT) et en particulier la Direction des Collectivités Locales, fondamentale en matière d’encadrement et renforcement des capacités des Mairies. Il a également pour mission de définir et d’exécuter la politique du pouvoir exécutif concernant les collectivités territoriales, l’immigration, l’émigration et la protection civile.

- Le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE) et en particulier la Direction d’Aménagement du Territoire, Développement Local et Régional, qui intervient sur le cadre méthodologique des outils de planification. Il se voit d’établir un Plan Stratégique de Développement d’Haïti comme cadre pour la planification, la programmation et la gestion de développement à long terme.

- Le Ministère des Affaires Sociales et du Travail (MAST) définit et exécute la politique sociale du Gouvernement, assure la protection des travailleurs, établit un régime de sécurité sociale pour tous et une assistance sociale, mène une lutte contre la pauvreté de manière générale.

- Le Centre Nationale de l’Information Géospatiale (CNIGS) qui est un organisme public de référence en matière de production, d’exploitation, d’archivage et de diffusion des données spatialisées sur le territoire haïtien.

Pour une recherche plus approfondie sur le sujet, voir le rapport de C. Tribouillard : Tribouillard, C., et coll. Étude pour l’identification et la formulation du programme de développement urbain du 11ème FED en Haïti, (2016).

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- Le Laboratoire National du Bâtiment et des Travaux Publics d’Haïti (LNBTP) est une institution autonome publique chargée du contrôle de la qualité des infrastructures en construction tant à travers des études géotechniques que des recherches concernant les matériaux de construction.

- L’Entreprise Publique de Promotion de Logements Sociaux (EPPLS) dans le sous-secteur du logement social, qui est notamment chargé de la gestion du parc locatif social.

- La Direction Générale des Impôts (DGI) et l’Office Nationale du Cadastre (ONACA), qui règlent tous deux le sous-secteur foncier.

- Le MEF et la BRH, sur le sous-secteur des finances et du crédit.

- Les institutions responsables de sous-secteurs spécifiques de l’aménagement urbain, comme la DINEPA, l’EDH, le SMCRS. Ce travail de diagnostic est fortement influencé par une réalité de terrain des acteurs du FED. Il existe donc une différence entre les attributions théoriques et les activités dans la pratique. Toutefois, cette différence, comme l’explique C. Tribouillard dans son introduction, « s’explique la plupart du temps par un manque de moyens, en ressources financières, humaines et matérielles » (Tribouillard, 2016). On peut également souligner un chevauchement des compétences, qu’elle soit théorique ou dans la pratique de ces institutions, certaines sortent parfois de leurs missions initiales « soit par disponibilité d’un financement, soit par raisons politiques ou soit par ressources qualifiées » (Tribouillard, 2016).

Figure 38 : Schéma de la répartition des institutions haïtiennes au sein du système foncier.

Source : A. Forsman, 2009

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2.2.2.

Les institutions transversales

Lors de notre rencontre avec Mr Jacques Bienaimé, directeur de la relocalisation et de la réhabilitation des quartiers précaires à l’Unité de Construction de Logements et de Bâtiments Publics (UCLBP), nous avons pu discuter de la coordination des différents acteurs présents post-séisme. Il met surtout en lumière le manque de communication et de coordination de ces différents acteurs. Il nous explique qu’ « au cours de la première

année de la crise du déplacement, il y a eu une crise de coordination pour la reconstruction. Plusieurs agences gouvernementales, plusieurs agences des Nations Unies, Organisations internationales, des centaines d’ONG travaillent sur plusieurs domaines : gestion de camp, construction de logements, aménagement urbain, eau, assainissement, services de base, etc. Après son élection en mai 2011, le Président Martelly a mis en place une agence de logement et de reconstruction chargée de coordonner la reconstruction et la politique d’assistance aux personnes déplacées, dénommée UCLBP » (Bienaimé, 2020).

Le Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire (CIAT)

« Créé par arrêté du Premier Ministre en date du 30 janvier 2009, le Comité Interministériel

d’Aménagement du Territoire (CIAT), est présidé par le Premier Ministre, et réunit les Ministères suivants : Ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales, Ministère de l’Economie et des Finances, Ministère de la Planification et de la Coopération Externe, Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural, Ministère des Travaux Publics, Transports et Communications et Ministère de l’Environnement. Le CIAT a pour mission de définir la politique du gouvernement en matière d’aménagement du territoire, de protection et de gestion des bassins versants, de gestion de l’eau, de l’assainissement, de l’urbanisme et de l’équipement. Cette institution a été créée en réponse à un constat alarmant et à la nécessité d’actions cohérentes et coordonnées en matière d’aménagement du territoire »49.

Selon les dispositions légales, les attributions du CIAT sont : -

Coordonner et harmoniser les actions du gouvernement Assurer la révision du cadre légal, règlementaire et institutionnel de l’aménagement du territoire Garantir une répartition des ressources humaines, techniques et financières nécessaires Assurer la supervision, le contrôle et le suivi/évaluation des actions en cours sur le terrain

Celui-ci est également divisé en trois cellules principales ayant chacune un point d’ancrage plus spécifique sur la question de l’aménagement du territoire.

1. La cellule Urbanisme et Habitat qui a une réflexion structurelle visant à mettre en place des réformes en améliorant la performance. C’est le lieu d’élaboration des schémas directeurs des grands centres urbains ainsi que de la définition de référentiels nécessaire à l’élaboration de tout plan d’aménagement urbain, en concertation avec les différentes instances concernées.

2. La cellule Législations, Institutions et Foncier qui travaille principalement sur le renforcement du cadre réglementaire institutionnel et technique du secteur foncier.

49

Extrait du site web du CIAT : http://ciat.gouv.ht/

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Elle travaillera donc principalement avec la Direction Générale des Impôts (DGI) et l’Office Nationale du Cadastre (ONECA) 3. La cellule Aménagement du Territoire et Équipements qui a pour objectif de faciliter le passage de l’étude à l’action par la mise en œuvre de projets pilotes déclencheurs servant à promouvoir les bonnes pratiques s’inscrivant dans les cadres définis précédemment.

Figure 39 : Organigramme du Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire.

Source : CIAT, http://ciat.gouv.ht/

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L’Unité de Construction de Logements et Bâtiments Publics (UCLBP) « L’UCLBP est un organisme étatique rattaché à la Primature, créé par arrêté présidentiel

du 1er juillet 2012. Un comité de pilotage définit ses orientations stratégiques, qui est composé du Premier ministre (président), du Ministre de l'Economie et des Finances (1er vice-président), du Ministre des Travaux Publics, Transports et Communications (2ème vice-président), du Ministre de l'Intérieur et des Collectivités Territoriales (membre), du Ministre de la Planification et de la Coopération Externe (membre), du Représentant de la Présidence (membre) et du Gouverneur de la Banque Centrale (membre) »50.

L’Unité de Construction de Logements et Bâtiments Publics est organisée en 3 cellules, appelées Divisions, dont les fonctions sont les suivantes :

50 51

-

« La Division Bâtiments Publics est responsable de la planification et de la coordination des projets de reconstruction des édifices administratifs et institutionnels de l'État haïtien. À cet effet, elle assure la mise en œuvre de la construction de la Cité administrative de Port-au-Prince dans les espaces déclarés d'utilité publique au centre-ville. Cette division s'occupe également de la mise en place d'autres infrastructures publiques dans plusieurs régions du pays, dont plusieurs places publiques en rénovation.

-

La Division Logement coordonne plusieurs programmes d'aménagement de quartiers informels de Port-au-Prince et le suivi de projets de construction de logements à travers le territoire. Ces projets, à l'instar du « Village Lumane Casimir » à Morne-à-Cabris, garantissent l'établissement d'une communauté dynamique en mettant à la disposition des familles des infrastructures adéquates et des services de proximité. L'UCLBP, à travers la DL, assure également le leadership d'une Table sectorielle du logement (TSL) qui est un espace de débats, de production d'analyses et de recommandations entre des acteurs nationaux et internationaux concernés. Ce forum doit faciliter une meilleure planification, coordination et exécution des interventions décidées et programmées par le gouvernement dans le secteur.

-

La Division Relogement et Réhabilitation assure la gestion du Projet 16/6, de Jalousie en couleurs, de PREKAD 2, de la Réhabilitation de la zone du Champs de Mars et du Projet d'hébergement des familles sinistrées. Cette division coordonne également les interventions de toutes les agences nationales et internationales mettant en œuvre des programmes de retour des familles déplacées à la suite du séisme. Plus particulièrement, le Projet 16/6 a combiné un processus de retour des populations déplacées avec celui du logement et de la réhabilitation des quartiers tout en facilitant la création d'activités génératrices de revenus et de mobilisation communautaire. »51

http://uclbp.gouv.ht/pages/3-structure-organisationnelle.php Ibid.

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De plus, l’UCLBP développe activement une réflexion sur l’évolution de l’institution car son mandat initial était strictement lié à la reconstruction. Dans le cadre où, 10 ans après, celle-ci est toujours en cours, certains changements sont alors à considérer. Lors de notre rencontre avec Guerline Jean, coordinatrice de programmes à l’UCLBP, celle-ci nous a confirmé « que dans l’arrêté de création de l’UCLBP ils ont mentionné que c’était

seulement dans le cadre de la reconstruction, que ce bureau serait provisoire et qu’une fois la tâche de reconstruction terminée, soit elle devrait évoluer, soit elle devrait disparaitre » (Jean, 2020).

C’est dans ce cadre-là et sous la direction de l'UCLBP, que les récents programmes de reconstruction d'Haïti et la nouvelle Politique Nationale du Logement et de l'Habitat52 montrent les premiers ajustements vers un nouveau paradigme de développement urbain en intégrant la construction de logements sociaux, ainsi que l’(auto-)construction assistée et rénovation de quartiers existants mal desservis. Face à l'ampleur de la crise sur le marché du logement en Haïti et aux restrictions budgétaires du gouvernement haïtien, les processus de mise à niveau communautaire des logements existants et mal desservis resteront la seule possibilité d’améliorer la relation entre les autorités chargées de la planification et les résidents. Il s’agit pour l’UCLBP de reprendre le contrôle du processus d'urbanisation d'Haïti sans provoquer d'agitation sociale.

Les institutions internationales Comme nous l’avons vu précédemment, l’histoire d’Haïti est marquée par l’intervention des organisations internationales. L’aménagement du territoire en fait également partie.

L’implication de chacune dépend évidemment du niveau de pouvoir, de l’échelle d’intervention et surtout des acteurs locaux agissant en collaboration avec l’une ou l’autre.

L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) s’est fortement agrandie au lendemain du séisme pour répondre à l’importante demande en termes de construction et gestion des camps de réfugiés. Ils agissent également dans la relocalisation des populations dans leurs quartiers d’origine ou dans les quartiers reconstruits.

Le Bureau des Nations Unies pour les services d'appui aux projets (UNOPS) a comme rôle l’amélioration de la qualité de vie des habitants, aide à instaurer la paix dans le pays et tente de parvenir à un développement durable.

L'Organisation Internationale du Travail (OIT) établit des normes internationales et élabore des politiques afin de promouvoir le travail pour tous. L’un de ses projets en Haïti, en association avec l’UNICEF, est la lutte contre le travail des enfants.

Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a pour mission d’aider les pays en développement à gérer l’aide efficacement en encourageant la protection des droits de l’Homme, le développement des capacités de chaque population et l’autonomisation des femmes.

52

UCLBP, Politique Nationale du Logement et de l’Habitat : résumé exécutif (2013)

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2.2.3.

Les outils de planification et réglementation urbaine

Comme l’explique l’ouvrage Le droit de l’aménagement du territoire – Analyse et perspective, la législation urbaine haïtienne est assez confuse concernant la création de ces outils. L’auteur liste les principaux outils suivants : -

Les schémas d’aménagement communaux (décret du 1er février 2006 sur la décentralisation), de la compétence de la commune, approuvés par l’assemblée municipale Les projets d’extension, d’aménagement et d’embellissement des villes (loi du 29 mai 1963), de la compétence du MTPTC Les plans directeurs pour les centres urbains et ruraux (décret du 18 octobre 1983), de la responsabilité du MTPTC

Toutefois, il explique également que dans la pratique, les institutions haïtiennes parlent de : -

-

Plan Communal de Développement, tel que formulé dans le guide édité par le MPCE décrit plus haut : il correspond dans l’idée au schéma d’aménagement communal du décret de 2006, et probablement au plan directeur de centre urbain du décret de 1983 (qui a été rédigé avant la dynamique de décentralisation) Plan d’aménagement urbain ou plan d’aménagement de quartier, tel que décrit dans le guide du professionnel édité par le CIAT également cité plus haut : il correspond à une échelle plus restreinte et est validé par un Comité Technique composé de la Mairie, le MICT, le MTPTC, l’UCLBP et le CIAT. Il est complété par un plan programme qui correspond à un plan d’action opérationnel.

Ces documents sont souvent liés à un phasage d’une vision de territoire situé sur 10 ou 20 ans, et ce à une échelle macro/commune ou micro/quartier. C. Tribouillard sort de son étude que sur le plan des compétences, c’est principalement au sein des Communes et du MTPTC que se place le rôle des institutions. Le tremblement de terre a été l’occasion pour ces institutions haïtiennes de s’essayer à l’exercice des outils de planification, principalement dans un rôle d’encadrement plus que de conception (Tribouillard, 2016).

2.2.4.

Synthèse des principaux acteurs

Après avoir établi ces différents acteurs et leurs missions, C. Tribouillard dresse trois types d’actions qui seraient légitimes dans le cadre d’une meilleure collaboration et coopération dans le secteur de l’aménagement du territoire : 1. Des actions à court terme à vocation majoritairement opérationnelle, permettant la continuité de validation des schémas directeurs, grâce à des acteurs tels que le CIAT 2. Des actions à moyen terme d’approfondissement de certains sous-secteurs particulièrement complexes mais fondamentaux, comme les instruments de gestion urbaine, le financement du logement ou le foncier, grâce à des acteurs comme l’UCLBP et le CIAT 3. Des actions à long terme à vocation structurelle de renforcement des institutions clés responsables de l’aménagement urbain et du logement, grâce à un ciblage plus particulier sur des acteurs comme les mairies et les communes

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De son diagnostic, C. Tribouillard met en évidence les caractéristiques principales de chaque acteur, repris sous forme du tableau ci-dessous.

Figure 40 : Rôles et mandats des acteurs de l’aménagement urbain et de l’habitat en Haïti.

Source : (Tribouillard, 2016)

Ce tableau récapitulatif montre bien la multitude d’acteurs présents et actifs dans le secteur de la planification territoriale. Cette vision synthétique du système haïtien n’a cependant été réalisée qu’en 2016, soit six ans après le séisme. Cela renforce une fois de plus le manque de coordination entre toutes ces institutions et organismes car un tel réseau ne peut pas fonctionner de manière idéale si ses propres intervenants ne comprennent pas quel type de liens les unis les uns aux autres.

Cependant, nous pouvons souligner l’importance que chaque acteur apporte à chaque mission. Nous pouvons d’autant plus mettre en avant la multiplicité de missions de certains ministères comme le MTPTC ou le MICT par exemple.

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2.3. Les enjeux sectoriels Comme nous l’avons vu précédemment, l’architecture institutionnelle de l’aménagement urbain et du logement est très complexe, entourée de nombreux acteurs avec des intérêts bien spécifiques à chacun. De nombreuses zones d’ombre sont exprimées par C. Tribouillard dans son rapport concernant les recoupements de compétences ou des activités développées par certaines institutions. Elle ressort deux cas de figure de situation qu’elle appelle « institutionnellement délicate » : -

-

« Les institutions disposant d’un cadre légal fort, leur attribuant des compétences claires et importantes, mais qui n’exercent pas ou peu leur mandat par manque de ressources : c’est typiquement le cas du Service de Planification Urbaine (SPU) dépendant du MTPTC, dont tous les acteurs reconnaissent la légitimité, mais déplorent l’absence totale de capacités Les institutions disposant d’un cadre légal fragile, créées par arrêté issu d’une initiative politique, qui dans les faits peuvent disparaître du jour au lendemain à cause d’un changement de Gouvernement, mais qui disposent de moyens forts (ressources financières et/ou qualifications techniques) : c’est le cas de l’UCLBP ou du CIAT » (Tribouillard, 2016)

Chaque institution légitime ses choix et ses prises de décisions en fonction de leur propre cadre légal et des compétences internes qu’elles possèdent. C. Tribouillard dénonce de nombreuses situations de concurrence notamment entre l’UCLBP et le MTPTC sur les bâtiments publics, entre le CIAT et le MPCE sur l’aménagement du territoire, l’UCLBP et l’EPPLS sur la production de logements, l’UCLBP et le CIAT sur l’habitat, le MTPTC et le MPCE sur la réalisation de documents d’urbanisme, rendant le travail inter-institutionnel délicat.

Figure 41 : Niveau de pouvoir et d'intérêt institutionnel. Les positions des différents groupes montrent où ils sont aujourd'hui et les flèches montrent où ils devraient idéalement être. Cercles clairs = acteurs nationaux. Cercles foncés = acteurs internationaux.

Source : (Forsman, 2010)

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2.3.1.

Fragmentation des compétences

Le séisme a provoqué la naissance d’un nouveau schéma d’aménagement lancé par le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE). Comme nous l’avons vu précédemment, ce dernier tient une place centrale dans la planification et la gestion territoriale d’Haïti. Cependant, les difficultés relevées par le rapport du PNUD en 2015 lors de l’application de ce nouveau plan sont principalement dû à la multiplicité des acteurs et la faiblesse d’action publique (PNUD, 2015) 53 . En effet, au MPCE s’ajoutent le Ministère des Travaux Publics, Transports et Communications (MTPT), le Ministère de l’Intérieur des Collectivités Locales (MICT), ainsi que les structures transversales comme le CIAT et l’UCLBP. La décentralisation ayant pris forme en 2006, celle-ci rajoute les administrations des départements, des communes et des sections communales.

Comme l’explique Raoul Peck, « le millefeuille administratif a entraîné un éparpillement des moyens et une gestion désordonnée » (Peck, 2013), alors que les opérations sectorielles à échelle plus locale, notamment effectuées par les nombreuses organisations nongouvernementales ont connu une véritable expansion dans la période post-séisme.

Dès lors, nous pouvons nous poser la question suivante : quelle place a réellement l’architecte dans un système si complexe, mais surtout, quel impact notre vision de l’architecte/urbaniste occidental « humanitaire » pourrait-elle avoir sur l’aménagement du territoire et sur ses institutions ?

Figure 42 : Organigramme de la coordination des acteurs de la planification urbaine post-séisme.

Source : Schéma réalisé par Thomas Dupont à partir des informations fournies par Jacques Bienaimé, UCLBP. PowerPoint « Displacement induced by natural disasters ». http://www.ht.undp.org/content/haiti/fr/home/operations/projects/democratic_governance/amenageme nt-du-territoire.html 53

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En 2013, la collaboration entre le CIAT, l’UCLBP et le MTPTC a permis de rédiger un document appelé Guide du professionnel – les étapes de la planification urbaine. L’objectif de ce rapport est de « donner des lignes directrices pour aider à développer des approches

communes, des documents complets et homogènes, et généraliser la démarche de travail conjointe avec les autorités responsables de l’aménagement urbain » (CIAT, Guide du

Source : (CIAT, Guide du professionnel, les étapes de la planification urbaine, 2013)

Figure 43 : Les étapes de la planification urbaine

professionnel, les étapes de la planification urbaine, 2013). Nous pouvons souligner que dans ce plan, l’architecte ne se retrouve qu’à la fin du processus de projet, dans la phase de construction, alors que l’urbaniste se retrouve impliqué dès la phase de diagnostic urbain.

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3. Stratégies de la reconstruction haïtienne Nous pourrions définir une catastrophe comme une perturbation grave du fonctionnement d’une communauté ou d’une société, impliquant des pertes humaines, économiques ou environnementales conséquentes et dépassant la capacité de cette communauté affectée à surmonter seule cette catastrophe.

Ignorance ou déni ?

Aux vues du grand nombre de rapports sur la question, la vulnérabilité du territoire haïtien est connue de nombreux spécialistes, politiciens, économistes, scientifiques. Ce métabolisme naturel silencieux est parfois si lent qu’il sert de prétexte à la passivité ou d’excuse à l’ignorance. Le déni que cela crée permet aux autorités de se dérober de leur pouvoir, de leur devoir. Cette impuissance face à la prévention, ce n’est pas simplement Haïti qui devrait s’en mordre les doigts. C’est notre société entière qui a oublié que la Terre vit.

Ce déni nous le trouvons en Haïti face aux problématiques politiques, économiques, sociales et urbaines : exode rural accéléré, paupérisation, dégradation de la production agricole, etc. Mme Lahens trouve les mots justes quant à ce phénomène : « si la lenteur

des phénomènes souterrains nous a forcés à l’oubli, c’est paradoxalement la vitesse de ceux qui se déroulent en surface qui nous contraint à l’esquive et nous conduit au même déni » (Lahens, 2017).

Figure 44 : La catastrophe avait fait 300 000 morts et détruit la capitale Port-au-Prince. 1,5 million de personnes étaient devenues sans-abris. Qu’en est-il des stratégies de reconstruction ?

Source : https://www.24heures.ch/monde/amer-anniversaire-dix-ans-seisme/story/25014200

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3.1. Gestion de l’urgence Le séisme a provoqué de nombreux bouleversements dans la sphère décisionnelle haïtienne et internationale. La première initiative du gouvernement haïtien est d’élaborer un Plan d’Action pour le Relèvement National d’Haïti54. L’objectif de ce document est de proposer une vision à long terme de refondation de la Nation haïtienne en transformant la catastrophe du 12 janvier 2010 en une opportunité pour qu’Haïti devienne un pays émergent d’ici 2030 (PDNA, 2010). Le plan prévoit trois phases : « une période

d’opérations d’urgence, une période d’implantation avec des projets déclencheurs en particulier privés et enfin une période de concrétisation de la refondation et de la reconstruction menant à moyen terme vers une économie émergente » (PDNA, 2010).

Parallèlement à cela, la Communauté Internationale s’organise à travers un forum international pour la reconstruction et le développement d’Haïti. Des sommes colossales sont promises par les nombreux pays présents autour de la table. Au total, c’est presque 5 milliards de dollars qui sont promis sur les 18 premiers mois et 11 milliards de dollars sur 5 ans (Peck, 2013). Pour gérer tout cet argent, la scène internationale et le gouvernement haïtien créent une nouvelle institution qui devait répondre à l’ambition de développement portée à l’échelle du pays entier : la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH) 55 . Il s’agissait au départ d’une véritable campagne de guerre contre la misère, contre des décennies de l’échec au développement.

Figure 45 : Membres actifs de la CIRH, 2010.

Source : Schéma réalisé depuis le documentaire Assistance Mortelle (Peck, 2013).

Ce document est référencé dans ce travail sous sa traduction anglaise Post Disaster Needs Assemsment ou PDNA 55 Les membres de cette assemblée sont les plus grands bailleurs ayant promis au moins 100 millions USD. Ce sont 26 participants qui se trouvent autour de la table, 13 haïtiens et 13 internationaux.

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Toutefois, de nombreuses réserves sont émises au fur et à mesure autour de cette commission. Trois mois après sa création, elle avait déjà pris du retard dans ses plans et objectifs fixés, notamment concernant le déplacement des débris causés par le séisme.

Le coût était estimé entre 500 millions et 1 milliard USD pour effectuer ce déblaiement (Farmer, 2012). Or, seulement 80 millions ont été reçus (Farmer, 2012). En effet, les donateurs trouvent les décombres peu séduisants, les résultats ne sont pas assez visibles.

Tous souhaitent construire, avoir un impact sur le secteur de l’éducation ou le logement.

De nombreux questionnements et incompréhensions sont alors apparus concernant la répartition rationnelle de l’aide. Joël Boutroue, coordinateur humanitaire de l’ONU explique « qu’il y avait cette bulle humanitaire, d’un point de vue politique et stratégique qui vivait

dans un monde parallèle, un autre univers que la réalité de l’État et du Gouvernement haïtien » (Peck, 2013). Une apparente confusion régnait déjà autour de questions essentielles, autour du côté technique des interventions, des équipes. Dans ce cas, nous pouvons supposer que le problème d’Haïti ne vient pas d’un quelconque problème technique qui n’aurait pas encore été résolu. La présence de la Communauté Internationale et de son argent jouent alors le rôle de tampon protecteur, empêchant la situation réelle d’exploser.

Figure 46 : Conférence internationale des donateurs vers un nouvel avenir pour Haïti. New York, 2010. De gauche à droite : Mme Hillary Clinton, Mr Ban Ki-moon, Mr René Préval, Mr Bill Clinton.

Source : https://pappost.com/index.php/2020/01/11/pour-lhistoire-et-la-verite-les-membres-de-la-cirh/

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3.1.1.

Définir les besoins et les nécessités

Le plan d’envergure nationale (PDNA) sera également soutenu par la Communauté Internationale qui a développé dans son « Revised Humanitarian Appeal », un plan stratégique détaillé de l’aide humanitaire. Celui-ci aura pour but d’assister les 3 millions de personnes affectées par le séisme en agissant dans différents secteurs afin de réduire les vulnérabilités du territoire. « Les objectifs généraux de ce plan sont les suivants : -

-

Fournir toute la gamme nécessaire d’aide humanitaire aux 1 200 000 personnes ayant besoin d’un abri et d’autres services de base ; en particulier les besoins en eau / assainissement / hygiène, soins de santé, aide alimentaire, appui nutritionnel et protection, etc.

Poursuivre le renforcement de la capacité du gouvernement en matière de coordination à tous les niveaux, Mettre en place une planification de préparation et de réduction des risques de catastrophe en prévision de l’aggravation des conditions. » (Nations-Unies, 2010)

Le contexte humanitaire en Haïti et la multiplicité d’acteurs et d’échanges rendent le besoin de mécanismes de coordination particulièrement pressant. Pour orienter efficacement la planification et les interventions humanitaires avec les acteurs nationaux et internationaux, les différentes institutions ont décidé de travailler sur la base d’une approche de Clusters sectoriels. On y retrouve donc les différentes agences des NationsUnies, des ONG, la Croix-Rouge et le Gouvernement Haïtien. Dans le cadre de ce travail et de sa problématique, nous nous focaliserons donc sur deux Clusters : le premier, Abris d’urgence et besoins non-alimentaires et le second, Groupe de Coordination et de gestion des camps (CCCM). Ces derniers ont pour objectifs communs de fournir leur support de façon temporaire aux différents camps, à la problématique du logement d’urgence et de façon plus permanente au relogement de la population.

Figure 47 : Tableau des besoins/contributions par Cluster.

Source : Nations Unies, Haïti : Humanitarian Appeal, 2010.

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Cluster Abris d’urgence et besoins non-alimentaires Après le tremblement de terre, les gens ont cherché refuge chez des gens qu’ils connaissaient ou non, ou ont construit eux-mêmes des abris d’urgence. À cause de la densité de la ville, les gens ont cherché à rejoindre des campements spontanés principalement situés dans des espaces publics. Mme Bouchereau, ayant vécu le tremblement de terre, a cependant dû se débrouiller seule pendant plusieurs jours. Ne sachant pas où aller ou vers qui se tourner, « en attendant que l’aide humanitaire arrive, il fallait bien survivre en s’aidant les uns les autres » (Bouchereau, 2019).

Il existe trois catégories de personnes en recherche d’un abri : -

Les personnes qui ne se sont pas déplacées et qui sont restées près de leur habitation Les personnes qui sont parties dans des familles d’accueil Les personnes qui se sont instinctivement réfugiées dans des sites urbains

Le cluster est alors responsable de la coordination entre les ONG pour fournir du matériel utile aux sinistrés. Il est dirigé par la Fédération Internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC) (Nations-Unies, 2010). Nous parlons ici bien évidemment de ressources telles que des tentes d’urgence, mais également des matériaux de base pour des abris de fortune. C’est de leur devoir également de fournir une assistance aux personnes ayant une habitation endommagée mais trop dangereuse pour pouvoir y rester. « Les objectifs généraux de ce cluster sont de parvenir à fournir un abri sûr et digne pour

les familles affectées, directement ou non par les tremblements de terre. Deux phases principales ont été identifiées ainsi qu’une phase de reconstruction : -

-

-

Phase 1 : fournir dans les trois premiers mois de la phase d’urgence un abri imperméable à l'eau pour ceux qui ont des maisons dangereuses / détruites ou ceux qui hébergent d'autres familles Phase 2 : parvenir à fournir des abris transitoires dans les 12 mois qui suivent la catastrophe pour ceux qui vivent dans des abris avec une espérance de vie de 3 ans.

Phase 3 : supporter la reconstruction durable » (Nations-Unies, 2010)

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Cluster Groupe de Coordination et de Gestion des camps (CCCM) Le cluster CCCM, dirigé par l’OIM, se concentre sur les populations qui se sont instinctivement réfugiées dans des sites urbains. Un mois après la catastrophe, l’OIM avait recensé 800 sites occupés par 1 500 000 individus. Un an après, il restait 550 000 personnes qui vivaient dans 500 sites dits « de déplacés » (OIM, 2013).

Au départ, le cluster se concentrait sur l’assistanat aux PDI56 directement là où ils étaient.

Cependant, ils ont vite remarqué que les conditions critiques de certains espaces envahis et la surpopulation de ceux-ci posaient de gros problèmes. Une nouvelle stratégie a alors été envisagée. Il s’agissait de se concentrer sur la décongestion des sites urbains via une relocalisation. Un exemple frappant est le cas du terrain de golf de Bourdon : Mr Théodat affirme « que ce terrain qui était parfait pour l’établissement d’un camp a été le premier site à être évacué » notamment dû à sa surpopulation, car celui-ci « était situé dans le

quartier américain, et les personnes habitant ces quartiers voulaient retrouver cet espace d’habitabilité » (Théodat, 2019).

Toutefois, selon les normes SPHERE, et pour relocaliser toute la population, il faudrait 45 hectares de terrains. Le cluster avait, en 2010, déjà implanté 9 sites reconnus par l’État haïtien comme camps destinés à devenir des espaces de transition (Nations-Unies, 2010). Il était donc fondamental de trouver de nouveaux espaces stratégiques à l’établissement de camps, mais également de définir les organisations responsables de l’organisation de ces sites.

Les actions étant plus d’ordre urbanistique et organisation territoriale, le CCCM a agi en considérant toujours la phase de développement comme élément fédérateur. « Leurs

actions comprennent donc : -

L’aide aux ONG du cluster CCCM pour l’identification, la planification et l’établissement de camps ; L’aide aux ONG du cluster CCCM pour une gestion efficace des camps et également, si nécessaire, pour une consolidation ou fermeture de sites ; L’organisation d’exercices de profilage pour comprendre les intentions des personnes touchées afin de soutenir leur processus de solutions durables ; Le travail en collaboration avec l’État haïtien pour identifier les sites permettant de décongestionner les sites surpeuplés existants, etc. » (Nations-Unies, 2010)

Personnes ou groupes de personnes qui ont été forcés ou obligés de fuir ou de quitter leur domicile ou leur lieu de résidence habituelle, en raison ou pour éviter les effets d'un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l'homme ou catastrophes naturelles ou d'origine humaine.

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3.2. Enjeux et problématiques clés de la reconstruction Dans ce chapitre, au travers de différents programmes mis en place lors de la reconstruction, nous tenterons de dresser les enjeux de la planification urbaine afin d’identifier la place des nombreux acteurs actifs dans la reconstruction et de leurs méthodes visant une amélioration du cadre urbain. Afin de capter le maximum d’informations, le facteur temporel servira de ligne directrice tout au long de notre analyse.

Nous verrons ainsi que ce dernier, quoique théorisé et standardisé par l’histoire du développement, apparaît bien plus complexe dans un contexte comme celui d’Haïti. Notre volonté n’est pas de critiquer ce qui a été bien fait ou non, mais plutôt de comprendre quelle a été la faille dans un système interventionniste humanitaire censé être dynamique et adaptable. Nous garderons ainsi un autre fil conducteur au cours de notre réflexion au travers de l’impact des différents corps de métier de la planification et de la reconstruction urbaine.

3.2.1.

Stratégies territoriales pour la reconstruction

Dans son rapport de mars 2010 HAÏTI DEMAIN, Objectifs et stratégies territoriales pour la reconstruction, le CIAT a mené une réflexion d’urgence globale sur les enjeux nationaux de la reconstruction. Son objectif principal est d’établir une planification permettant de transformer la catastrophe en opportunité, tant sur la dimension urbaine qu’environnementale. Les stratégies pour la reconstruction seront ainsi intégrées dans quatre temporalités. Premièrement, l’urgence qui verra l’État et les agences internationales apporter les services de base. Deuxièmement, la transition qui sera le levier pour une transformation urbaine pérenne dans les deux ans après le séisme. Troisièmement, la reconstruction grâce à des projets structurants et à de nouvelles infrastructures étalés sur une période de 10 ans. Et enfin, une phase transversale qui devrait permettre une transformation sociale à l’échelle d’une génération complète.

Cette planification à échelle globale exploite le travail d’aménagement territorial de la zone métropolitaine de Port-au-Prince tout en prenant en compte les relations avec le territoire national. La place de l’aide internationale dans ce projet est de pouvoir adapter leurs programmes afin qu’ils puissent s’intégrer dans les stratégies nationales haïtiennes. Il s’agit de sortir de la spirale infernale de la vulnérabilité territoriale, sociale, économique, internationale grâce à une planification de la reconstruction réfléchie. Le rapport démontre surtout les nécessités en matière d’infrastructures publiques, d’équipements stratégiques dans une démarche territoriale, de réseau routier, de connexion des différentes villes afin de supporter le développement des économies régionales et locales. L’objectif de notre travail n’étant pas d’analyser ces problématiques en profondeur, il est toutefois important de comprendre l’échelle nationale du plan de reconstruction.

De plus, il est intéressant de ressortir de ce rapport la volonté de l’État de reprendre progressivement la « maîtrise des villes ». En effet, nous pouvons remettre en question cette démarche de « maîtrise » dans un pays fonctionnant en grande partie sur une base informelle. Les logiques de « bonnes pratiques », d’encadrement forcé, d’affirmation de la présence de l’État pourraient donc être remises en compte en confrontant le facteur temporel court (10 ans) à l’ensemble des problématiques qui semblent, pour l’État, freiner le développement du pays.

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Sur le plan des actions urbaines, le rapport met en exergue l’importance que l’État devra jouer au fur et à mesure des phases de la reconstruction. Notamment en réhabilitant ou en reconstruisant les centres-villes, en garantissant la sécurité antisismique des infrastructures publiques, en introduisant des projets déclencheurs, etc. Ces derniers peuvent devenir l’image concrète de la reconstruction en étant le lien entre l’urgence et le long terme. En effet, la matérialisation de la présence de l’État en créant des points de contacts avec la population semble importante afin d’apporter aux communautés un maximum de services et de besoins vitaux. La mise en place de chantiers pilotes ou prototypes par des institutions gouvernementales ou internationales peut être créatrice d’une pédagogie des risques et de la reconstruction dans un contexte vulnérable. En créant une transversalité entre ces projets, nous pourrions également y voir une manière d’éviter les logiques sectorielles qui peuvent être une conséquence naturelle de l’urgence post-catastrophe.

Le rapport du CIAT met en avant une volonté pour chaque typologie d’occupation urbaine, d’intervenir avec des méthodes d’intervention adaptées. En s’inspirant de modèles de reconstruction et d’aménagements internationaux, « il n’y aura pas une solution, mais un ensemble de solutions permettant de stabiliser la ville et de réguler son développement » (CIAT, 2010). Le CIAT met l’accent sur 7 chantiers illustrant l’idée de projet déclencheur de la reconstruction : -

Les lieux de rencontre et de sociabilité : points de services intégrés aux quartiers informels.

Les lieux d’échange : structuration des grands marchés et des pôles d’intermodalité dans les villes.

Les pôles de développement Les projets intégrés : le secteur du parc de Martissant des mornes à la mer.

L’urbanisme et l’habitat formel : reconstruction du « damier » de Port-au-Prince.

La question de la bande littorale : reconstruction de la frange maritime de Port-auPrince.

L’architecture symbolique : reconstruction du Champ de Mars57.

Comme le montrent les points précédents, la standardisation du processus de reconstruction n’a pas épargné les volontés stratégiques d’Haïti. Pour l’État et les organismes internationaux, le phasage URGENCE-TRANSITION-RECONSTRUCTION paraît inévitable, même dans un contexte aussi particulier que celui d’Haïti. Lors de la phase d’urgence, cela semble logique de visualiser une temporalité de 10 ans pour une reconstruction. Cependant, en Haïti, ce n’est pas le phénomène de reconstruction qui était visé, mais plutôt une refondation complète de la nation. Le phasage en lui-même et les interventions qu’il implique peuvent dès lors être remis en question.

« L’un des enjeux majeurs dans ce phasage de la reconstruction est lié à la gestion des temporalités considérant que la politique de reconstruction s’inscrit sur une dizaine d’années (et probablement même bien au-delà) tandis qu’à très court terme se posent les problèmes liés aux personnes installées, ou s’installant dans des zones à risques ou vivant aujourd’hui encore dans des camps de déplacés ».

(Noël, 2012) Pour aller plus loin dans l’analyse de ces projets déclencheurs, voir https://www.pseau.org/outils/ouvrages/ciat_haiti_demain.pdf 57

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3.2.2.

Les camps

Les conditions d’urgence post-séisme ont bouleversé jusqu’à aujourd’hui les moyens de survie d’une majorité de la population de la capitale. En effet, la situation d’urgence a provoqué une importante fuite de la population des constructions vers des espaces libres et ouverts, à la recherche d’un abri temporaire. Dès le lendemain de la catastrophe, de nombreux camps spontanés se sont érigés précairement dans les parcs, les places publiques, les cours d’école, les parkings, les terrains de sport, et même dans des espaces privés. Ceux-ci ont vu grandir une organisation interne en communauté de quartier. Les abris temporaires sont construits à partir de matériaux légers soit récupérés dans la rue tels que du bois ou de la tôle, soit par l’intermédiaire des ONG présentes sur place qui distribuent des bâches par exemple.

Figure 48 : Regroupement de population sur la Place Saint-Pierre suite au séisme de 2010.

Source : Timo Luege/IASC Shelter Cluster, https://www.haitilibre.com/galeries-photos-haiti/album.php?page=6&cat=1

Nous pouvons soulever deux types principaux d’occupation : les camps spontanés ou informels et les campements formels qui sont caractérisés par une planification et une aide de diverses ONG. L’aide internationale apporte ainsi des services nécessaires à une population dans le besoin et attire même des personnes dont les habitations ne sont pas nécessairement détruites afin de bénéficier de ces services ou infrastructures. Toutefois, c’est là que l’effet pervers de l’aide peut s’avérer crucial : la « gratuité » des services fournis par l’aide n’ont fait que renforcer la permanence des camps. La population y trouve une sorte de remède face à la lutte pour le droit au logement digne. Les conséquences sont visibles encore trois ans après le séisme de 2010, 347 284 déplacés occupent 450

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camps (Corbet, 2014) 58 . Ce phénomène de persistance dans ces camps doit attirer l’attention des aides internationales et du gouvernement concernant la manière dont les réfugiés prennent possession de ces espaces en tant que lieu de vie. Alice Corbet, anthropologue française ayant travaillé sur la thématique des déplacés et des réfugiés en Haïti, appelle ce phénomène « l’encampement ».

Dès lors, les autorités savent que ces occupations ne peuvent pas durer plus longtemps que la phase d’urgence. Le nombre de personnes déplacées à cause du séisme est selon l’OIM de 1,3 million d’habitants (Farmer, 2012). Bien que certains tenteront de retourner dans leurs quartiers d’origine, la majorité va se retrouver délocalisée. Le besoin de relogement devient alors une question primordiale dans la gestion de l’urgence. De nombreux projets de relocalisation et de relogements provisoires sont alors mis en œuvre afin de prodiguer à la population un abri dans une zone sécuritaire et équipée (eau, nourriture, mesures d’hygiène).

Le projet qui va, selon Raoul Peck, écrire une des pages emblématiques de l’histoire de la reconstruction est celui de la relocalisation du gigantesque terrain de golf privé, situé sur les hauteurs de Pétion-Ville. La Communauté Internationale se posait beaucoup de questions concernant la population qui occupait les camps dans le centre-ville de la capitale. Ils devaient déménager car ils risquaient leur vie à cause de la saison cyclonique.

Le gouvernement et le pouvoir exécutif haïtien se sont retrouvés dans une position de crise où il fallait absolument agir. Dans ce plan, étaient présents les plus grandes agences internationales, les plus grandes ONG, et l’État haïtien (Peck, 2013). Comme nous le verrons en profondeur dans le chapitre suivant, ainsi est né le projet Corail-Cesselesse, une zone aride située à 15km de la ville. Cette zone fut immédiatement mise à disposition de la Communauté Internationale pour agir et construire des abris de première nécessité.

Figure 49 : Camp du Club de Golf de Pétion-Ville, 2010.

Source : Timo Luege/IASC Shelter Cluster. https://www.haitilibre.com/galeries-photoshaiti/album.php?page=6&cat=1 Ces chiffres sont issus de la matrice des déplacements développée par le comité inter-agences de l’ONU. Il faut toutefois considérer ces chiffres avec précaution car ils ne prennent pas en compte les camps non répertoriés.

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Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan Figure 50 : Carte représentant les dégâts du séisme et les emplacements des camps à Port-au-Prince. 2010.

Source : (Pham Minh & Gachoud, 2012), carte réalisée à partir des données de l’OIM, SERTIT, Nations Unies, NOAA. Figure 51 : Carte représentant l'ensemble des camps et des PDI après le séisme. 2010.

Source : (Pham Minh & Gachoud, 2012), carte réalisée à partir des données de l’OIM, SERTIT, Nations Unies, NOAA.

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Le projet 16/6 Le 20 mars 2011 se déroule le 2e tour des présidentielles haïtiennes. Michel Martelly est élu nouveau président d’Haïti avec 67% des suffrages, mais seulement 1 électeur sur 4 est allé voter (Peck, 2013). Un résultat qui annonce une politique complexe et tortueuse.

La CIRH s’empresse de financer un grand projet présidentiel : le projet « 16/6 ». Il consiste en la réhabilitation de 16 quartiers et le relogement de déplacés de 6 camps « les plus vulnérables ». En retour, Martelly promet d’appuyer le renouvellement de la CIRH pour une durée de 12 mois. Ce projet est lancé le 21 septembre 2011 en collaboration avec trois agences des Nations Unies59 et l’OIM et bénéficiera d’un budget alors estimé à 92 millions de dollars US (Deprez & Labattut, 2011).

Ce projet fut considéré comme prioritaire par les autorités responsables de la gouvernance urbaine. Les nouvelles stratégies engendrées par ce projet visent à fournir un cadre homogène dans les futures opérations de reconstruction. D’une part, il implique directement l’État dans l’amélioration de quartiers informels, et d’autre part, il marque l’importance stratégique de travailler simultanément les camps et les quartiers afin de résoudre la crise de l’urgence. Les ambitions de ce projet sont principalement de « renforcer les communautés par la création et le soutien aux activités génératrices de

revenus, améliorer le cadre bâti et la gestion des risques, proposer aux sinistrés plusieurs solutions de relogement adaptées et durables » (Deprez & Labattut, 2011).

Figure 52 : Localisation des quartiers et des camps ciblés par le projet 16/6.

Source : (Deprez & Labattut, 2011)

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Le PNUD, l’OIT et l’UNOPS.

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Les agences onusiennes ont eu pour mission de mobiliser et accompagner les ONG dans la réalisation des programmes spécifiques. Chaque secteur d’intervention sera piloté par une agence particulière60 et la coordination entre les différentes ONG permettra de réaliser les différentes phases du projet au sein de chaque quartier. Via cette démarche innovante, les autorités espèrent fournir une logique alternative à celle des clusters qui semble peu pertinente pour la gestion de projets urbains.

Face à de tels enjeux, de nombreux acteurs de l’aide internationale s’interrogent alors sur la pertinence de leur présence respective à long terme en Haïti. Leurs stratégies d’action et leurs domaines d’expertise sont remis en question, car le contexte haïtien ébranle leur propre recherche de développement et de renforcement. Les problématiques d’urbanisme et d’aménagement du territoire impliquées dans ces projets sont souvent méconnues des organisations humanitaires et les ont forcées soit à se désengager, soit à renforcer leurs domaines d’actions et leurs compétences (Corbet, 2014).

Ce projet a porté un rôle de catalyseur dans la sensibilisation de la population et dans l’implication des différents organismes dans le processus de la reconstruction. D’un point de vue urbanistique, il a montré la vitalité de l’intégration de l’aspect durable dans une phase d’urgence en valorisant l’environnement, la restructuration des voiries et des axes importants, mais surtout en impliquant les habitants dans l’appropriation des espaces et des méthodes de construction durables. Cependant, faute de moyens techniques et financiers, les institutions n’ont pas su prolonger ce processus pourtant dynamique. Ce sont finalement plus des six camps annoncés qui ont réussi à être fermés, environ 11 000 familles relocalisées, 8 plateformes communautaires créées et validées61.

Figure 53 : Exemples de projets réalisés dans le cadre du "16/6" - Projet pilote du Morne Hercule et passerelle reliant Morne Hercule et Nerette.

Source : https://www.undp.org/content/dam/haiti/docs/Prevention%20des%20crises/UNDP_HT_fact%20sheet_% 20projet16-6_201312.pdf

Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et l’Organisation International du Travail (OIT) collaborent à la coordination des moyens de subsistance. Le Bureau des Nations Unies pour les Services d’appui aux Projets (UNOPS) a pour mission de mettre en place la construction et la réparation des maisons. L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) reste en charge de la coordination des camps.

61 Pour plus d’informations sur le projet 16/6, voir file:///C:/Users/Admin/AppData/Local/Temp/UNDP_HT_fact%2520sheet_%2520projet166_201312.pdf 60

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Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan

3.2.3.

Le foncier, l’habitat et la prévention des risques naturels

L’impact destructeur du séisme a bousculé les besoins en nouveaux logements. En effet, avant le séisme on estimait à 300 000 le déficit de logements, dans la phase d’urgence post séisme ce chiffre aurait atteint les 500 000 logements (Deprez & Labattut, 2011).

Le défi est de taille pour les acteurs de l’aide humanitaire qui favorisent l’échelle des quartiers pour leurs projets d’amélioration urbaine. La reconstruction et la rénovation de l’habitat apparaissent alors comme des enjeux primordiaux dans le processus de réhabilitation urbaine.

L’informalité foncière étant une partie structurante du système urbain haïtien, l’occupation des parcelles et des maisons a été un défi de taille pour les autorités de l’urgence. Nous pouvons particulièrement souligner l’efficacité de l’outil lancé par le MTPTC visant à évaluer l’état structurel des bâtiments afin de les préparer à la reconstruction. Ce travail d’envergure a permis le classement des bâtiments suivant trois catégories : - Bâtiments verts : ceux qui n’exposent leurs occupants à aucun danger. Ils représentent 54% de l’ensemble des bâtiments soit 205 539 édifices.

- Bâtiments jaunes : ceux qui présentent des problèmes structurels mais peuvent être réparés ; 26% du total (99 043 bâtiments) - Bâtiments rouges : ceux qui sont structurellement instables ou qui sont menacés par des bâtiments adjacents menaçant de s’effondrer ; le cas de 20% des édifices soit 77 674 (Deprez & Labattut, 2011).

Ces constats ont permis de rendre visible l’impact du séisme sur les constructions.

Cependant, l’absence de cadastre, de référent légal ou encore les occupations illégales ont grandement retardé le démarrage des interventions de démolition et de reconstruction (Corbet, 2014). Dans un contexte tel qu’en Haïti, la dynamique de reconstruction ne peut attendre la résolution de la problématique de la légitimité ou de la reconnaissance de propriété par des documents légaux. C’est ainsi qu’après le séisme, l’OIM en partenariat avec le CNIGS et ONU-Habitat, ont été chargés d’établir un plan d’occupation du sol en vue de reconnaître les usages (Deprez & Labattut, 2011). Toutefois, afin de couvrir rapidement l’ensemble des zones affectées par le séisme, les trois partenaires ont tenté une approche participative avec la communauté. Celle-ci consistait à combiner le processus de recensement « classique » à l’énumération participative. Nous savons, grâce à notre rencontre avec Mr Jadotte, ingénieur pour ONU-Habitat, que ce processus a été étendu récemment sur le territoire de Canaan 62 . L’élaboration d’un cadastre et la normalisation de l’occupation de la terre sont pour des acteurs comme le GRET 63 ou l’urbaniste haïtien Paul-Émile Simon « des étapes indispensables à la reconstruction de Port-au-Prince » (Deprez & Labattut, 2011). Le séisme se transforme alors en opportunité pour les acteurs de la planification urbaine de retrouver une certaine forme de contrôle sur l’insaisissable problématique foncière, tout en permettant aux plus démunis d’accéder à la propriété.

62 63

Pour plus de détail sur le projet, voir Carnet d’interview, entretien avec Louis-Edouard Jadotte.

Groupe de Recherche et d’Échange Technologique.

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Le processus de reconstruction post-traumatique en Haïti

Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan Figure 54 : Bâtiments endommagés à Port-au-Prince, évaluation réalisée par bloc urbain, 2010.

Source : GeoEye 2010, DLR. Traitement d'image, carte réalisée le 18/01/2010 par SERTIT dans le cadre de GMES SAFER. https://disasterscharter.org/fr/web/guest/activations/-/article/earthquake-in-ha-12

L’outil de classement du MTPTC a permis de fournir des informations non négligeables sur l’état précis du bâti. Toutefois, ce premier diagnostic ne résout pas le type d’intervention nécessaire sur chaque habitat (structurel, amélioration du cadre de vie, etc).

Les solutions de relogement devaient dès lors prendre en compte le facteur risque et la vulnérabilité du territoire afin d’éviter de nouvelles formations de quartiers formels ou informels dans des zones à risques, notamment les ravines. Les acteurs de la reconstruction ont ainsi pu réellement se projeter vers différentes opportunités que pouvait offrir une vision durable de la reconstruction.

De plus, comme nous l’avons vu dans la contextualisation, les quartiers informels peuvent intégrer les dynamiques « classiques » du marché immobilier formel64. Il apparaît donc possible d’intégrer la souplesse d’un secteur privé omniprésent dans les quartiers informels. Permettre une telle implication pourrait réduire les programmes de reconstructions standardisés des agences internationales qui « semblent se révéler toujours incapables de recréer un tissu urbain de qualité » (Deprez & Labattut, 2011).

Néanmoins, pour une raison qui échappe à beaucoup d’Haïtiens, les professionnels de la reconstruction ont considéré Haïti comme une ardoise vierge sur laquelle on peut projeter les idées les plus folles et non seulement en matière de logement, mais également dans les secteurs de l’éducation, de la santé, etc.

64

Louer, construire, agrandissements, etc.

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Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan

Les actions Design-Build : les projets de constructions expérimentales En novembre 2010, le ministère haïtien du Tourisme a lancé un concours international de construction de logements « Building Back Better Communities » soutenu par la Fondation Clinton et le programme Haïti Sustainable Development (HSD). Le but visé était de construire des maisons économiques, durables et à l'épreuve des catastrophes pour la communauté haïtienne. Neuf mois plus tard et après quelques retards consécutifs, ce sont plus de 360 professionnels qui y ont participé et environ 70 ont été retenus afin d’exposer leurs résultats à échelle humaine dans une zone située au nord de la capitale, le quartier des Zoranjé.

L'initiative s'est heurtée cependant à des critiques concernant la nature et la qualité du travail présenté, notamment en termes de durabilité ou de prise de conscience du contexte culturel et économique haïtien. Compte tenu de l’objectif imposé par la CIRH qui était de proposer un design pouvant s’étendre à la construction de 400 habitations en 100 jours, nous pouvons nous interroger quant à la nature de la mise en œuvre de cette étape finale.

En effet, les directives du concours étaient simplement « d’encourager » le partenariat avec des entreprises locales.

Le journaliste Rene Bruemmer de la Gazette de Montréal était présent lors de l’inauguration et relève dans son article « que la majorité des modèles sont issus d’entrepreneurs étrangers venant principalement des États-Unis ou d’Europe » (Bruemmer, 2011). Sur les 59 unités finalement exposées, seulement 7 ont été construites par des entreprises haïtiennes selon Fauresmy, ingénieur de construction travaillant pour le projet. Il rajoute que malheureusement, de nombreux projets dépendaient de matériaux importés et mettaient donc le facteur local de côté (MacDonald, 2011). Afin d’impliquer les communautés locales, de refléter leurs valeurs culturelles et de stimuler leur économie, le partenariat avec les entreprises locales aurait peut-être dû devenir une condition préalable à la soumission de projets. L'idéal aurait été que les Haïtiens reconstruisent et fournissent les matériaux, bien que le pays manque de ressources pour répondre à ses énormes besoins. Les entreprises étrangères et leurs conceptions préfabriquées ont alors pris les devants en pensant pouvoir combler cette absence.

Figure 55 : contraste entre à gauche un prototype étranger, la "pole-house", et à droite un prototype haïtien, construit en parpaing et en béton armé d'acier.

Source : Natash Fillion, The Gazette, 2011.

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L’architecte haïtien Leslie Boulos ayant participé au projet, explique lors d’une interview pour le journal Le Nouvelliste que « si l'objectif est de créer des logements permanents, la rentabilité n'est pas la seule chose dont ils (les décideurs du projet) ont besoin » (Daudier, 2013). Mr Boulos a par exemple adopté une conception locale, mais qui prendrait inévitablement trop de temps pour être produite en masse, à savoir un maximum de 200 maisons en 8 mois.

Toutefois, ce projet a lui aussi subi les promesses non abouties de la part des autorités.

Mr Boulos explique qu’après avoir dépensé 22 000 USD pour la réalisation de son prototype, il n’a reçu aucune nouvelle concernant la suite des opérations (Daudier, 2013).

Si l’on s’intéresse de plus près à la situation réelle, on se rend compte que ce sont des ONG qui auraient dû racheter les prototypes afin de les projeter sur certains quartiers.

Cependant, elles possédaient déjà leurs propres modèles de logement comme les TShelters ou des logements transitoires standardisés. Les autorités avaient donc une réelle opportunité de construire un village exemplaire en mettant en évidence les pratiques optimales pour la reconstruction de logements tout en encourageant des idées novatrices.

Lors de notre séjour en Haïti, nous avons pu traverser ce quartier des Zoranjé. Nous étions accompagnés de Karine Bouchereau, architecte haïtienne, qui nous expliquait que le quartier avait connu plusieurs phases après le séisme, que l’appropriation de la population ne s’est pas faite dans l’urgence 65 . En effet, après le concours et l’exposition des prototypes, ceux-ci sont longtemps restés inoccupés voire dégradés (voir figure 57) (Hannemann, Cooperative Neighborhood Action in Onaville, Haiti, 2014). L’intérêt porté pour la construction des habitations et non pour le développement du quartier lui-même montre un manque crucial de suivi de la part du gouvernement et de l’aide internationale.

Toutefois, aujourd’hui, bien que le manque d’infrastructures publiques y soit toujours flagrant, il semble que de nouveaux projets d’habitation aient été réalisés et qu’une réelle appropriation ait été effectuée par la population (voir figure 56). Bien que ce quartier soit excentré dans une plaine inondable à 10km de la capitale, on peut aujourd’hui y retrouver une école, certaines voiries en bon état, des espaces publics informels et formels, etc.

Figure 56 : Nouvelles habitations du quartier Zoranjé, 2013

Source : Photographie prise par Johann-Christian Hannemann, 2014.

65

Voir carnet d’interview, retranscription rencontre avec Karine Bouchereau.

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Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan Figure 57 : Dégradation de l'exposition, quartier Zoranjé, 2013.

Source : Photographie prise par Johann-Christian Hannemann, 2014.

Figure 58 : Habitat mitoyen avec surface commerciale au rez-de-chaussée construit après le séisme. La zone centrale est un terrain de sport qui semble être toujours utilisé. Quartier Zoranjé, le 31 janvier 2020.

Source : Photographie prise par Thomas Dupont, 2020.

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Le renforcement des acteurs haïtiens Le contexte urbain de Port-au-Prince avec son tissu urbain informel et dense a poussé les acteurs de la reconstruction à repenser leurs stratégies. En effet, les opérations de constructions massives et standardisées étant difficilement exécutables dans un tel milieu, cela implique une mise en œuvre plus souple, laissant plus de liberté aux bénéficiaires et impliquant le secteur privé formel ou informel haïtien.

Tout d’abord, dans une approche plus globale, les acteurs de la reconstruction doivent être capables de remettre en question leurs actions et leurs choix, tout en s’inspirant de projets ayant réussi à l’étranger. Nous pouvons prendre l’exemple du quartier d’Iquique au Pérou, où l’agence d’architecture chilienne Elemental a proposé à une communauté informelle des « demi-maisons » (voir figure 59). Le concept du projet est de fournir aux habitants la base la plus difficile à réaliser en auto-construction, c’est-à-dire les fondations, le gros œuvre, une structure résistante, etc. La particularité est que chaque unité peut accueillir une extension réalisée par les habitants eux-mêmes au fil du temps. Ils peuvent donc s’adapter à leurs propres besoins tout en anticipant les possibilités futures.

Figure 59 : Le projet d’Iquique construit par l’agence Elemental : la maison appropriée.

Source : Cristobal Palma, https://www.darchitectures.com/qui-est-vraiment-alejandro-aravena-laureat2016-du-pritzker-prize-a2848.html

Un autre point d’accroche pour les acteurs de l’aide internationale a été de travailler au renforcement des capacités des acteurs locaux de la construction afin d’agir de manière durable sur la qualité du bâti. Nous pouvons prendre l’exemple de l’ONG Build Change66.

Cette dernière, en se concentrant sur la diffusion de savoirs constructifs adaptés et sur la formation des ingénieurs, boss maçons, ouvriers et propriétaires haïtiens, va pouvoir utiliser les capacités du secteur privé afin d’assurer une certaine sécurité aux quartiers informels. C’est en permettant d’apporter des réponses adaptées à chaque situation, aux besoins de chaque famille ou communauté que de tels programmes agissent sur l’amélioration de la qualité générale de l’habitat, et de fait sur le développement des capacités locales.

66

Pour plus d’informations concernant l’ONG, voir https://buildchange.org/tag/haiti/

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Le facteur économique est grandement mis à contribution dans de tels types d’opérations.

En effet, la rapidité de la mise en place de ce type de formations a permis de redynamiser les savoir-faire professionnels déjà présents, impactant directement l’appropriation des logements pas les bénéficiaires (Levine, Bailey, & Boyer, 2012). Dans cette optique socioéconomique, le PNUD a établi son programme d’urgence d’aide économique sur le fait que « le secteur de la construction sera le plus sollicité lors des prochaines années et, s’il

est convenablement renforcé et soutenu, il peut devenir un moteur pour le développement économique national » (Deprez & Labattut, 2011). Le PNUD est également responsable, avec d’autres acteurs, de la coordination du développement économique du projet « 16/6 », présenté dans le point précédent. En effet, leur objectif principal est de pouvoir, au travers de diverses formations, donner aux différents acteurs locaux de la construction la chance de s’investir dans un premier temps à la reconstruction de leur communauté pour ensuite élargir leurs possibilités.

Dès lors, nous pouvons ressortir de cette analyse que les programmes de reconstruction basés sur le renforcement des capacités des acteurs locaux de la reconstruction et des bénéficiaires tendent à garantir une vision stratégique de la reconstruction plus durable.

Figure 60 : Résultats des nombreuses missions effectuées par l'ONG Build Change après le séisme de 2010.

Source : https://buildchange.org/tag/haiti/

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Les lieux de concentration des risques Comme nous avons pu le voir précédemment, la zone métropolitaine de Port-au-Prince est constamment soumise à des risques naturels, ceux-ci affectant différemment les quartiers selon la localisation. Ainsi, les communautés des quartiers informels, par l’absence de services de base, par leur pauvreté et leur exposition naturelle aux risques, ont été parmi les plus touchées par le séisme. Ces zones sont devenues après le séisme un des nœuds principaux concernant les enjeux de la réduction des risques.

Vouloir intervenir sur la gestion des risques peut se faire à plusieurs échelles : prodiguer un habitat sécuritaire, fournir des équipements publics résistants aux aléas, mais la plus importante selon Johann-Christian Hannemann, chercheur allemand en planification participative, est l’amélioration des connaissances des risques et des moyens de les réduire (Hannemann, Cooperative Neighborhood Action in Onaville, Haiti, 2014). Bien que les habitants d’une zone à risque ne puissent pas gérer à eux seuls l’ensemble des nécessités en matière de prévention, la sensibilisation pourrait jouer un rôle primordial face à une situation de catastrophe.

Selon le rapport Deprez et Labattut sur les interventions d’urgence après le séisme en Haïti, de nombreuses organisations humanitaires ont travaillé pour une amélioration de cette sensibilisation des risques. Nous pouvons notamment souligner le travail du GRET dans les quartiers de Deprez et de Haut-Turgeau. Dans le quartier de Deprez, l’organisme humanitaire est intervenu de manière localisée dans le but de stabiliser des terrains en forte pente grâce à la réutilisation de pneus usagés. Ces travaux ont été réalisés en partenariat avec la communauté afin de les intégrer au processus de prévention des risques. Cependant, bien que ce mur de pneus soit efficace en empêchant les mouvements de terrain, celui-ci est rempli de déchets jetés par les habitants ou amenés par les mouvements de pluies.

Figure 61 : Utilisation de pneus usés pour renforcer les pentes d'une des ravines du quartier de Deprez. Cette installation permet de stabiliser le terrain, mais également de ralentir l'écoulement de l'eau lors des fortes pluies. Le 2 février 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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Il ressort du rapport de Deprez et Labattut que les interventions de réduction des risques dans les quartiers informels de Port-au-Prince, sont principalement dirigés vers les zones les plus vulnérables, c’est-à-dire les berges des ravines. Selon eux, les ouvrages d’ingénierie de consolidation ou d’assainissement que les acteurs humanitaires mettent en place sont complexes et coûteux mais indispensables (Deprez & Labattut, 2011).

Toutefois, le simple fait de consolider ne rendra pas la zone plus qualitative qu’auparavant, alors que des actions telles qu’aménager un espace communautaire ou intégrer un franchissement de la ravine pour connecter deux communautés pourraient grandement renforcer l’impact social d’un projet.

Ce type de projet a été réalisé par le GRET en collaboration avec d’autres organismes dans le quartier de Haut-Turgeau. Dans le but de favoriser un développement local, le projet vise en premier lieu à renforcer le dialogue entre les organisations de la société civile et les autorités locales. En réalisant des actions de sensibilisation aux risques et à l’environnement, cela a ouvert la voie à des relations plus horizontales entre les différents acteurs du territoire. Cela a notamment permis une meilleure conception des projets et une meilleure gestion des espaces. Turgeau étant une des communes les plus peuplées de Port-au-Prince, le projet a notamment bénéficié d’un financement de l’Union Européenne ayant permis la création de liens inter-quartiers grâce à des passerelles entre la Cité Georges et la Cité Lucien. Le projet a été complété avec un aménagement des berges de la ravine en différents paliers servant tantôt de placette, de lieu de rencontre, de rampe ou même encore de terrain de sport (voir figure 63). L’appropriation par les habitants y est totale. L’inclusion sociale et la gouvernance urbaine dont fait preuve ce type de projet peuvent devenir une réelle ambition d’intervenir positivement sur le développement urbain d’un quartier.

Ainsi, chaque intervention, qu’elle soit isolée ou non, peut avoir le potentiel d’être intégrée à un projet urbain global. Mener des projets intégrés doit pouvoir mobiliser plus largement une communauté en les impliquant davantage sur des problèmes qui ne les touchent pas directement, mais qui amélioreront leur cadre de vie, comme le montre l’exemple des paliers appropriés. En agissant de telle manière autour de la ravine, en incluant une circulation de part et d’autre et en intégrant un ensemble de solutions et pas nécessairement liées à l’habitat, ce projet a contribué en partie au désenclavement du quartier de Haut-Turgeau. Toutefois, de tels projets prennent du temps à être mis en place. Ils nécessitent une mise en réseau de compétences, de connaissances et de savoirfaire de nombreux acteurs qui les mèneront certainement sur plusieurs mois voire plusieurs années. Mais ces projets permettent néanmoins de mettre en œuvre des stratégies de lutte contre tous les aspects de la pauvreté.

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Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan Figure 62 : Consolidation de la ravine Georges avec des bassins pour la rétention de la charge de débris réalisée par le GRET. Problématique : les travaux de consolidation se sont arrêtés à un moment, mais pas l'étalement urbain vers le haut du quartier. Le 02 février 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

Figure 63 : Aménagements dans la ravine Georges. Passerelle permettant la connexion entre la Cité Georges et la Cité Lucien. La ravine est travaillée en palier avec des aménagements publics comme des placettes ou même un terrain de basketball. Le 02 février 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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3.2.4.

La Planification Urbaine Stratégique

Comme nous l’avons précédemment vu 67 , de nombreux projets de planifications stratégiques ont été développés avant le séisme. Bien que ceux-ci aient certains dénominateurs communs comme la croissance démographique amenant de nouvelles zones à urbaniser, ou encore des programmations cohérentes de relocalisation des populations, bons nombre d’entre eux sont restés à l’état de projet ou ont à peine été entamés (MPCE, 2010). Une analyse de ces différents projets, menés par le MPCE, a permis de déterminer les facteurs qui les ont empêchés d’aboutir (MPCE, 2010).

- L’absence de prise en compte du développement économique réel - La méconnaissance récurrente du nombre réel d’habitants impliquant des -

projections peu fiables L’absence des mécanismes d’encadrement et de suivi de ces plans (pas de structures maîtrisant l’urbanisme et le domaine foncier) L’absence de concertation avec les bénéficiaires Le manque d’insertion des projets dans un cadre plus large de l’aménagement du territoire au niveau national

La planification stratégique est un processus nécessaire et de longue durée, mais il est important de distinguer le court-terme du long-terme. L’urgence dans laquelle s’est retrouvée Haïti après le séisme demande un processus adapté et accéléré quant aux besoins de reconstruction, à la multiplicité d’acteurs et aux propositions de programmes et projets. Cette planification stratégique doit cependant prendre en compte que l’urgence peut accélérer le processus, mais s’il le domine entièrement, il perd son caractère stratégique. Nous pouvons prendre l’exemple des camps planifiés de réfugiés qui sont une nécessité dans l’immédiat mais qui ne peuvent constituer une solution à long-terme.

Les quelques exemples présentés auparavant montrent que la planification ne peut tout considérer ni tout contrôler. Cependant, elle peut permettre d’exprimer les valeurs et les visions d’une société qui permettront de structurer une reconstruction équitable respectant les contraintes du contexte. Ainsi, elle pourrait fournir des clés de compréhension pour favoriser la prise de décision et clarifier les responsabilités des différents acteurs pour leur mise en œuvre.

Figure 64 : Comparaison entre le schéma de planification standardisé et le schéma de planification d'urgence.

Source : (MPCE, Résultats de l'atelier de lancement n°1 du 29 au 31 juillet 2010 et travail futur, 2010) 67

Voir Partie I, Bidonvilisation de Port-au-Prince.

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Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan

Prenant en compte les échecs des plans précédents, le MPCE a ainsi proposé dans la phase d’urgence une nouvelle Planification Urbaine Stratégique permettant aux politiques publiques de l’agglomération de Port-au-Prince de s’orienter dans le secteur de l’aménagement territorial au cours des prochaines décennies. Ainsi, à chaque échelle territoriale (zone métropolitaine, les communes et les sections communales) correspondrait un cadre institutionnel permettant une certaine autonomie tout en conservant le pouvoir de contrôle.

Cette Planification Urbaine Stratégique est basée sur un processus divisé en plusieurs temps. Elle est initiée par une période de consultation des nombreux acteurs de la ville comme les groupes communautaires, les associations, les professionnels, les municipalités et évidemment les habitants. Cette consultation doit permettre de spatialiser et formaliser un plan urbain qui pourra être réadapté en fonction de l’avancée des projets. Cela permettra également de maintenir une cohérence entre la stratégie globale et l’évolution des réalités urbaines.

En effet, dans un contexte urbain comme celui de Port-au-Prince, la vision de l’urbanisme « top-down » semble peu cohérente étant donné les dynamiques informelles qui ont construit la ville et qui continuent de la transformer. Il faut donc repenser les dynamiques et la production de la ville. Le CIAT explique dans son rapport de 2010 qu’ « il ne s’agit

plus d’imposer des transformations à l’aide de plans figés et rigides, mais d’en faire un processus plus démocratique, souple, évolutif et attentif aux dynamiques urbaines » (CIAT, 2010).

Figure 65 : Représentation schématique des processus décisionnels Top-down et Bottom-up.

Source : Schéma réalisé par Thomas Dupont, 2020.

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La planification participative Lors d’interventions humanitaires, les organismes prônent bien souvent d’agir grâce à des « approches participatives » ou « approches intégrées » afin de faire comprendre aux bénéficiaires et aux donateurs que les projets sont réalisés en collaboration avec les communautés locales. Cependant, nous pouvons remettre en question la légitimité de cette terminologie lorsque celle-ci, à force d’être employée, commence à être vidée de son sens. Spécifiquement lors d’interventions urbaines, planifier la ville demande de développer une approche systémique, d’intégrer l’interdépendance des réseaux, des équipements, de l’habitat, des espaces partagés, etc. L’utilisation d’une approche participative demande donc de s’extraire des fonctionnements sectoriels qui peuvent modifier l’équilibre global. Cette approche force donc les organisations du développement à repenser leurs modes de fonctionnement en « élargissant leurs domaines de

compétence ou en multipliant les partenariats et les coopérations avec des spécialistes de secteurs complémentaires et les habitants » (Deprez & Labattut, 2011).

De plus, des programmes de développement en milieu urbain visant à la réhabilitation de quartiers peuvent mettre des projets d’urbanisme au cœur de leurs interventions. Nous devons garder à l’esprit que dans un contexte comme celui d’Haïti, agir sur la ville ne suffit pas. Les projets urbains intégrés doivent pouvoir apporter des programmes efficaces contre l’exclusion urbaine des zones et des personnes vulnérables.

Dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, ces zones vulnérables correspondent aux nombreux quartiers informels. Bien qu’au premier coup d’œil, la précarité de l’habitat et l’étroitesse des rues de ces zones peuvent sembler chaotiques et anarchiques, il n’en est rien si on s’intéresse en profondeur aux différents modes de fonctionnements. Pour illustrer nos propos, le rapport de Deprez et Labattut expose l’expérience vécue par une ONG après le séisme. Celle-ci désirait améliorer les conditions de travail des vendeurs de rues en fournissant des échoppes, mais celles-ci sont restées inoccupées car l’ONG n’avait pas pris en compte le fonctionnement et les règles propres au quartier. La rue est l’espace social par excellence en Haïti. Notre propre expérience sur place nous l’a également prouvé avec des rues étant devenues des drive-in où l’on peut trouver de tout sans sortir de sa voiture68. Dès lors, nous pouvons conclure de cette expérience qu’il est important de comprendre et de prendre en compte les différents usages d’un espace lors d’interventions. Un espace aussi accessible qu’une rue peut se dévoiler être le cœur de la coexistence de nombreux usages. En Haïti, nous nous sommes rapidement rendu compte qu’il fallait mettre de côté la normalisation de nos pratiques et de nos usages, tel que celui de la rue destinée à la circulation, le trottoir aux piétons et les espaces privés à la vente.

Nous pourrions très bien étendre l’incompréhension du fonctionnement de la rue à l’échelle d’un quartier, à l’échelle d’une communauté. Consulter la population permettrait de se rendre compte des obstacles potentiels que pourrait rencontrer tel ou tel projet lors de la phase opérationnelle. Inclure la participation au cœur de la planification urbaine apparaît alors comme une évidence dans les quartiers informels de Port-au-Prince.

Dû aux récents problèmes dans le pays, nous étions cependant dans des conditions où la sécurité était primordiale. Cependant, notre accompagnatrice, Mme Bouchereau, nous a expliqué que ça a toujours fonctionné de la sorte.

68

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Le processus de reconstruction post-traumatique en Haïti

Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan

Nous pouvons prendre l’exemple de l’agence d’architecture haïtienne SODADE69 qui a notamment travaillé à la réhabilitation du quartier de Delmas 32 après le séisme. En tant que l'une des rares entreprises de planification détenues et exploitées par des Haïtiens dans le pays, elle favorise les techniques d'enquête, de workshops communautaires et de rétroaction afin d’intégrer les voix des nombreuses parties prenantes dans le processus de planification. Selon leur mode d’action, dans chaque contexte, les formes de participation doivent être adaptées aux particularités de la situation et des personnes impliquées. La réhabilitation du quartier de Delmas 32 constitue un ensemble diversifié d'outils et de modes d'enquête, mis à profit pour tenter de saisir la vision d'une communauté.

Figure 66 : Une vue post-tremblement de terre de Delmas 32, un quartier dense situé de chaque côté d'un ravin escarpé au centre de Port-au-Prince, 2011.

Source : Photographie prise par Addly Célestin, SODADE.

La dimension humaine de leur approche reposait essentiellement sur l'intégration des communautés locales dans le processus de diagnostic, dans la compréhension du projet et des étapes à atteindre. La participation effective de la population locale, des autorités locales et des dirigeants communautaires à travers l'organisation de groupes de discussion ou de groupes de travail thématiques a été essentielle pour identifier les forces de la zone et les défis à relever. Ces groupes de travail thématiques ont notamment travaillé via l’application du système de « cartes mentales »70 dans le but de symboliser la perception qu’avaient les habitants de leur quartier. Ils ont ainsi permis d’établir les limites du quartier, les repères urbains, les espaces communautaires, les rues principales, etc. L’agence a ensuite confronté les informations afin d’en ressortir une série de projets correspondant à chaque thématique préalablement établie71.

Société d’Aménagement et de Développement Processus développé par Kevin Lynch, urbaniste américain des années 1960 71 Pour plus d’information, voir (Brisson & Min Soo Chun, 2015) 69 70

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Le processus de reconstruction post-traumatique en Haïti

Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan Figure 67 : La première étape du processus de planification a impliqué la collecte et la compilation de données cartographiques officielles avec les commentaires des groupes de discussion communautaires.

Source : Photographie prise par Addly Célestin, SODADE.

Cette première approche participative a grandement aidé les architectes et urbanistes de SODADE qui ont, grâce à toutes les informations récoltées, élaboré deux plans urbains.

L’un représente les projets prioritaires liés à la reconstruction, l’autre avec les ambitions de la communauté concerne la vision « utopique » de leur quartier, et de la ville de manière générale. Leur processus participatif a donc fait naître un investissement non négligeable de la part de la population. Cette dernière, en guidant et hiérarchisant dans le temps ses espoirs, pourra poursuivre le travail lorsque les interventions urbaines auront diminué.

Dans le cas de Delmas, le rôle de la municipalité et particulièrement du maire a été d’une grande aide dans l’élaboration de ces plans d’aménagement. En effet, bien que ce soit le MTPTC qui ait engagé SODADE en 2009 pour définir un schéma directeur pour la commune, c’est bien la municipalité qui, après le séisme, a souhaité que l’agence continue son travail en le recentrant sur Delmas 32, une zone qui concentrait alors de nombreux acteurs de l’aide internationale. Cet engagement a permis d’amorcer une concertation, un dialogue entre les habitants et les autorités municipales, qui sera fondamental après le départ des acteurs de l’aide internationale.

La planification participative montre ainsi qu’il est possible d’aller au-delà de la seule justification de l’opération urbaine en enrichissant la dynamique grâce au dialogue qu’elle crée entre les habitants, les élus et les professionnels,

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3.3. Entre urgence et développement La réponse à la problématique de la reconstruction a rapidement été proposée par le Gouvernement haïtien via son Plan d’Action pour le Relèvement et le Développement d’Haïti. Nous pouvons remettre en question la légitimité de ce plan car la reconstruction d’une nation après un tel désastre, surtout dans de graves conditions précaires prétraumatiques, ne peut être entièrement planifiée en deux mois. En affirmant que ce plan aura des temporalités finies, les autorités publiques haïtiennes supposent à l’avance que la phase d’urgence sera terminée et donc la mobilisation humanitaire aussi. Or cela n’a pas été le cas. La crise humanitaire ne peut se réduire à une temporalité unique d’urgence.

Au travers de notre précédente analyse, nous pouvons ressortir que le système d’aide humanitaire a une bureaucratie et un mode de fonctionnement réfléchissant en matière de conséquences prévisibles de la fourniture de l’aide. Cela amène indubitablement à penser que les populations et les gouvernements affectés par les crises sont des destinataires plutôt que des aides stratégiques actives qui connaissent leur propre système, aussi chaotique soit-il, et qui peuvent utiliser l’aide de la façon qu’ils estiment être la plus efficace. Cela crée une tendance à essayer de micro-manager les vies des populations affectées et donc de s’occuper des politiques locales de la même façon. Ces tendances se combinent pour créer un système d’aide qui se définit par des solutions techniques, pour lesquelles des problèmes sont identifiés, plutôt que par la façon dont les personnes touchées par la crise vivent ou dont les gouvernements fonctionnent.

La Coopération Internationale a principalement vu dans l’urgence des opportunités d’intervenir et de fournir de l’aide là où c’était nécessaire. Mais il s’agissait avant tout de fournir des ressources non-matérielles qui permettront une reconstruction humaine.

L’abondance de ressources, de biens matériels a certes été nécessaire et grandement utile dans l’urgence, mais la plupart des organismes ayant fourni ces ressources n’ont laissé aucune ouverture au développement des populations lorsqu’elles ont quitté Haïti.

Ainsi le cluster des Abris et Camps d’Urgence, par exemple, a transformé sa méthodologie d’intervention en mettant en évidence le processus des interventions plutôt que le produit de celles-ci. Bien qu'une approche basée sur les processus encourage la reconstruction des abris et des logements à travers les communautés locales soutenues par des moyens techniques et financiers minimaux, la stratégie traditionnelle basée sur les produits fournit également un soutien matériel nécessaire lors d’interventions humanitaires d’urgence.

Figure 68 : Représentation schématique des processus et productions de l'aide internationale

Source : Schéma réalisé par Thomas Dupont, 2020.

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Chacun des acteurs, de l’humanitaire et du développement, a ses compétences propres.

L’enjeu de la planification entre ces deux institutions est la reconnaissance des compétences, des limites et des raisons d’être de chacun. Les actions d’urgence répondent à des besoins humains et à des compétences liées à la rapidité de l’intervention.

Les actions de développement, elles, ont une capacité de planification plus large liées au territoire qu’elles couvrent.

Aujourd’hui encore, Haïti ressent les répercussions de l’absence de l’implication des acteurs locaux dans les réflexions et les décisions concernant la reconstruction. Les crises humanitaires ont cet aspect contradictoire de renforcer les relations humaines et sociales tout en poussant les sinistrés au bord du gouffre de la précarité. De nombreux quartiers comme celui de Bourdon n’ont pas eu la chance de bénéficier d’une planification comme celle de Delmas 32, notamment à cause des trop grands risques de glissements de terrain.

Après le séisme, la communauté de ce quartier s’est donc vue déplacée par l’État dans le camp de Tabarre Isa. Bien que l’aide internationale ait prodigué des ressources dans la phase d’urgence, ainsi que quelques shelters de transition construits par des ONG, à l’heure actuelle la communauté a cessé d’espérer l’aide du gouvernement et ne compte plus sur les instances étatiques pour améliorer ses conditions de vie72. La communauté s’organise donc de manière informelle grâce à des comités de quartier chargés de prendre les décisions régulant la vie dans ces zones.

La faiblesse des institutions étatiques et les trop nombreuses promesses invisibles aux yeux des Haïtiens des institutions internationales, au lendemain du séisme jusqu’à aujourd’hui, ont renforcé la méfiance des habitants. Les actions des ONG sont trop souvent remises en question par rapport à l’élaboration de leurs solutions ayant suivi un besoin immédiat et non par rapport à une réflexion durable à long terme. Leurs méthodes d’intervention standardisées ont causé des planifications non adaptées au contexte haïtien. En retournant à la question de gestion de l’aide internationale, nous pouvons en conclure qu’Haïti n’a pas eu le choix d’accepter cette aide, car les moyens financiers ont été gérés par les institutions internationales et non pas par l’État lui-même. Cette problématique de gouvernance s’est donc encore plus imposée dans les questions de responsabilisations territoriales.

L’article Urbanisme, reconstruction de Port-au-Prince, écrit par Martial Seide en 2015, relate la volonté grandissante de la population à s’auto-gérer (Seide, 2015). L’absence d’encadrement, de décisions fortes, de fonds publics nécessaires, semble pousser de nombreuses communautés vers une prise en main citoyenne à la réhabilitation concrète de leurs quartiers.

72

Plus d’information, voir (Thomas, 2018)

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Source : Photographie prise par REUTERS/Carlos Garcia Rawlins

Figure 70 : A Port-au-Prince, le 15 janvier 2010.

Source : Photographie prise par REUTERS/Carlos Garcia Rawlins

Figure 71 : Jérémie, Grand'Anse, Haïti. Photographie prise le 8 octobre 2016, cinq jours après le passage de l'ouragan Matthew.

Source : Schéma réalisé par Thomas Dupont, 2020.

Figure 69 : Dates clés post-séisme

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Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan

POINTS CLÉS -

« En réduisant la pauvreté à un problème technique, et en promettant des solutions

-

Il faut appréhender prudemment le monde de la coopération au développement.

En effet, ces organisations ont beau porter une étiquette internationale, leurs origines et leurs buts peuvent être très différents, comme des organisations mises en place par des entreprises ou des privés défendant des intérêts commerciaux.

-

Lors d’interventions humanitaires, il est important d’intégrer à la compréhension globale d’une situation interventionniste la compréhension du local, dans sa diversité même.

-

Dans un système de planification territoriale si complexe, quelle place a réellement l’architecte dans un système si complexe, mais surtout, quel impact notre vision de l’architecte/urbaniste occidental « humanitaire » pourrait-elle avoir sur l’aménagement du territoire et sur ses institutions ?

-

Les objectifs visés par la décentralisation sont : un réaménagement des pouvoirs et des responsabilités qui permet une meilleure gestion de l’espace national ; un rapprochement des citoyens des centres de décision, une valorisation de l’autorité des responsables locaux ; des moyens efficaces pour les autorités locales de s’acquitter de leurs tâches.

-

Le séisme a provoqué la naissance d’un nouveau schéma d’aménagement lancé par le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE). Ce schéma tient une place centrale dans la planification et la gestion territoriale d’Haïti. Cependant, les difficultés relevées par le rapport du PNUD en 2015 lors de l’application de ce nouveau plan sont principalement dû à la multiplicité des acteurs et la faiblesse d’action publique (PNUD, 2015).

-

Dans le processus de planification urbaine établit par le CIAT en 2013, l’architecte ne se retrouve qu’à la fin du processus de projet, dans la phase de construction, alors que l’urbaniste se retrouve impliqué dès la phase de diagnostic urbain.

-

Les programmes de reconstruction basés sur le renforcement des capacités des acteurs locaux de la reconstruction et des bénéficiaires tendent à garantir une vision stratégique de la reconstruction plus durable.

-

La planification stratégique est un processus nécessaire et de longue durée, mais il est important de distinguer le court-terme du long-terme. L’urgence dans laquelle s’est retrouvée Haïti après le séisme demande un processus adapté et accéléré quant aux besoins de reconstruction, à la multiplicité d’acteurs et aux propositions de programmes et projets.

-

La Coopération Internationale a principalement vu dans l’urgence des opportunités d’intervenir et de fournir de l’aide là où c’était nécessaire. Mais il s’agissait avant tout de fournir des ressources non-matérielles qui permettront une reconstruction humaine.

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techniques aux souffrances des personnes impuissantes et opprimées, c’est par ce type de discours que la question de la pauvreté est dépolitisée dans le monde d’aujourd’hui » (Ziai, 2013).

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PARTIE III VERS UNE TRANSITION URBAINE HUMANITAIRE : LE CAS DE CANAAN Ricardo Seitenfus déclarait lors d’une interview réalisée en décembre 2010 par Arnaud Robert pour le journal suisse Le Temps qu’« il y a 200 ans, Haïti a illuminé l’histoire de

l’humanité et celle des droits humains, il faut maintenant laisser une chance aux Haïtiens de confirmer leur vision » (Seitenfus R. , 2010). Ces mots ne pouvaient s’avérer plus juste

9 ans après sa parution. Le peuple haïtien s’est souvent nourri d’un secteur informel grandissant et évoluant quotidiennement. Faute d’avoir un gouvernement suffisamment solide que pour prendre des décisions fortes et cohérentes, c’est dans ce flou général que le territoire de Canaan a vu le jour. Cet exode urbain a offert à un nombre considérable de réfugiés une opportunité de pouvoir tenter leur chance, la possibilité d’un vivre meilleur.

Ils ne voyaient pas en Canaan un eldorado promis par l’État, mais une ouverture pour s’approprier un bout de terre et d’une certaine manière, en devenir possesseur. La notion de propriété en Haïti est ancestrale et fait écho à son combat incessant pour la liberté.

C’est cette même quête de liberté que les habitants de Canaan recherchent.

Lors de notre séjour en Haïti, un de nos objectifs était d’aller à la rencontre d’une communauté qui depuis 2010 se bat pour survivre. Leur processus d’autoconstruction/auto-développement se révèle être un véritable laboratoire pour des acteurs de la planification urbaine. Notre questionnement à travers ce chapitre est de comprendre comment le développement urbain durable et l’amélioration des conditions de vie dans un contexte de croissance informelle, ne deviennent possibles que lorsque la communauté est considérée comme l’acteur principal d’un processus coopératif et multipartite. À travers notre projection dans l’étude du cas de Canaan, ce chapitre tentera de comprendre également comment une communauté organisant son cadre de vie dans un contexte de défaillance étatique essaie d’arriver à une gestion informelle du territoire. Cette réflexion permettra de confronter les mécanismes classiques de gestion urbaine post-traumatique à une approche alternative du développement durable basée sur la communauté.

Figure 69 : Étalement urbain des plaines jusqu'au flan des montagnes de la zone est de Canan. Janvier 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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1. Conséquence de la stratégie de la reconstruction Nous pouvons voir en Haïti une reconstruction sur deux grands volets. Comme nous l’avons vu précédemment, le premier serait le centre historique de la ville de Port-auPrince, devenant la future vitrine de la reconstruction et le second serait l’apparition d’agglomérations émergentes telles que Canaan.

Dans un premier temps, le centre-ville à la suite du tremblement de terre a été complètement dévasté. C’est un territoire où le bâti était complètement délabré, ou en friche représentant un danger pour la population. Et à l’heure d’aujourd’hui, ce centre-ville fonctionne de façon informelle (Théodat, 2019). En effet, l’État insuffle de l’argent pour reconstruire son pouvoir, pour montrer à la population que la reconstruction a bien commencé. Là, s’érigent neuf méga-buildings (à l’échelle de Port-au-Prince) qui affirment la puissance de l’État. Cependant, selon Mr Théodat, le secteur privé semble avoir du mal à suivre, il ne revient pas dans le centre car il n’y a aucun service présent. C’est donc une reconstruction pour une vie informelle. Deuxièmement, le territoire de Canaan est un exemple fascinant d’agglomération émergente informelle. Érigée par la population et pour la population, c’est un territoire « bottom-down » avec ses services, ses habitations, ses quartiers et surtout sa population de 300 000 habitants73.

On se retrouve donc face à deux types de reconstructions, l’une est informelle avec l’État et l’autre formelle avec la population. Il y a un réel paradoxe entre ces deux modes d’intervention. Cependant, afin de comprendre sur quelles dynamiques elles sont fondées, il faut se rendre compte de l’énorme potentiel que chaque scénario propose, car dans chaque cas, de l’énergie est dépensée. D’un côté, il y a l’intervention de l’État et des forces internationales, et de l’autre, il y a la volonté et l’argent des citoyens.

Figure 70 : Localisation de Canaan dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince.

Source : Google Earth, Capture d’écran effectuée le 09 avril 2020.

Le nombre total de la population présente à Canaan est difficile à établir car les flux de déplacements de population entre Canaan et Port-au-Prince sont tellement importants. (OIM, 2013) 73

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1.1. La dynamique de relocalisation Deux mois après le tremblement de terre, la problématique des camps était devenue extrêmement préoccupante. Les quelques 1500 camps aménagés progressivement par les habitants ou les ONG, commençaient à essuyer de graves problèmes concernant la distribution d’eau, de nourriture, d’abris, de soins médicaux, etc (OIM, 2010). Les autorités étatiques, poussées par une Communauté Internationale omniprésente, ont pris la décision de procéder à une relocalisation massive d’habitants venant des camps saturés de Port-au-Prince. Le motif principal de cette relocalisation était de prévenir de futurs risques d’inondation et de glissement de terrain provoqués par la saison des pluies qui allait bientôt s’abattre sur le pays. Un des camps visés était prioritaire, celui du Club de Golf de Pétionville.

1.1.1. Des camps planifiés …

Afin de relocaliser les habitants présents dans ce camp, la Communauté Internationale a bénéficié d’une zone aride située à 15 km au nord de la capitale, afin d’y construire des camps de transition (Noël, 2012)74. Cependant, la pertinence de la planification de tels camps dans cette zone posait question. En effet, outre le fait qu’elle soit éloignée de la capitale, de ses infrastructures et de ses opportunités d’emplois, la zone désignée comprenait une partie hautement inondable. L’organisme responsable de développer ce projet est l’American Refugee Committee (ARC) 75. Cette dernière sous-traite avec de nombreuses ONG internationales comme Oxfam, World Vision, Entrepreneurs du Monde afin qu’elles s’occupent des différentes conditions nécessaires à un certain niveau de vie dans les camps. Bryan Castro, gestionnaire du camp Corail secteur 4 pour l’ONG ARC, explique la gestion des camps à Raoul Peck dans Assistance mortelle : « originalement, il

y avait 4 secteurs […] l’idée était que le secteur 4 devait être un secteur de transition […] une fois que les habitations provisoires en dur seraient construites dans le secteur 1, les gens se déplaceraient du secteur 4 vers ce dernier » (Peck, 2013).

Comme le préconisent les nombreux guides réalisés par l’UNHCR et le NRC, les modalités de construction et de gestion des camps sont basées sur des critères fonctionnels76. Un ensemble de règles sont établies afin de fournir aux réfugiés une certaine qualité de vie : un découpage du camp en blocs regroupant un même nombre de foyers, une zone allouée par famille avec un nombre de mètres carrés précis, des infrastructures publiques, etc (NRC, 2008). L’organisation spatiale des camps Corail a suivi de manière très rationnelle ces « toolkits » de gestion des camps standardisés. Toutefois, nous pouvons remarquer dans la planification de ce camp, l’absence de la considération de l’habitat vernaculaire haïtien, le lakou. Originellement, le lakou désignait l’espace commun à un ensemble d’habitations familiales. Le nom de lakou vient de « la cour », cet espace central généralement autour du patriarche, était le nerf des activités communes. Bien que cette configuration a été spontanément recréée dans certains camps informels de la capitale, un tel agencement a été mis de côté pour privilégier la fonctionnalité que prodigue l’alignement.

Voir figure 72.

L’American Refugee Committee est une ONG internationale créée en 1979 dédiée à l’aide des réfugiés et des déplacés internes à travers le monde.

76 Pour plus d’informations, consulter les guides du UNHCR (United Nations High Commissioner for Refugees) : Handbook for emergencies, Genève, UNHCR, 2007, ou du NRC (Norwegian Refugee Council), Le toolkit de gestion de camp, Oslo, NRC, 2008.

74 75

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Le processus de reconstruction post-traumatique en Haïti

Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan Figure 71 : Représentation schématique de l'agglomération de Port-au-Prince.

Source : Schéma réalisé par Thomas Dupont, 2020.

Figure 72 : Tracé des quatre camps originellement prévus dans la zone de Canaan, 2010.

Source : Schéma réalisé par Thomas Dupont sur base des informations de l’UCLBP et de l’ONG ARC. 2020.

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Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan

Le camp Corail-Cesselesse est déclaré ouvert en avril 2010 avec l’apparition progressive des abris transitoires plus connus sous le nom de T-Shelters. Ces unités d’habitations sont le fruit d’une réflexion des ONG et des organisations internationales dans le but de fournir un habitat plus solide que des abris d’urgence mais avec un objectif de transition de l’habitat vers le relogement permanent. Selon ONU-Habitat, ces cellules de logements devraient servir pour une durée de 4 ou 5 ans (Corbet, 2014). Ces blocs sont construits en dur avec un minimum d’ouverture vers l’extérieur. Cependant, ils n’ont ni accès à l’eau potable, ni à l’électricité, pas de sanitaires, pas de cuisine. Il n’y a aucun aménagement intérieur pour imaginer une maison confortable décente.

En ce qui concerne la budgétisation et l’impact des ONG, un rapport de l’Observatoire des Politiques Publiques et de la Coopération Internationale datant de 2013 a affirmé que 80% des fonds distribués en Haïti avaient été investis dans la construction de T-Shelters (CERFAS, 2013). Comme vu précédemment, les ONG majoritairement présentes entre 2010 et 2012 étaient des organisations d’urgence qui avaient pour objectif principal de fournir le plus rapidement possible un abri à un maximum de gens. Une analyse de l’aide au développement en Haïti réalisée par le CERFAS ressort qu’il aurait potentiellement été plus économique d’investir dans la reconstruction durable ou la réparation de maisons (CERFAS, 2013). Cela aurait eu un impact beaucoup plus important dans l’implication réelle, sociale et physique des Haïtiens et de la communauté réfugiée en général.

Entre 2010 et 2012, l’OIM a relaté la construction de 110 000 T-Shelters en Haïti (cf. tableau ci-dessous). Dans son rapport de 2010 sur les T-Shelters, G. Salomé nous affirme que « ces unités qui étaient destinées au départ pour de la transition font maintenant partie intégrante du paysage ». En effet, l’aide internationale a rendu les populations d’une certaine façon « dépendantes » en fournissant ces abris sans réelle collaboration préalable avec les acteurs locaux. Malgré une envie de pousser les réfugiés à auto-construire leurs habitations, ceux-ci se sont tout de même sentis mis à l’écart quant aux options de ces logements de transition. Cette mise à l’écart s’est ressentie à la fois dans la structure urbanistique, mais également dans la gestion quotidienne du camp. L’apport des infrastructures et surtout des ressources vitales par les acteurs humanitaires a provoqué certaines attentes de la part de la communauté du camp. De fait, l’intervention humanitaire basée sur des critères plus organisationnels que sociaux renvoie à une forme de vie de dépendance, ou comme le dit Alice Corbet, « de bénéficiaires » (Corbet, 2014).

Tableau 4 : Estimation des fonds attribués aux différentes solutions de logement, mai 2012.

Type de logement

Nombre réalisé en mai 2012

Estimation des coûts moyens/unité 4 226 USD

Estimation des coûts totaux

% des fonds attribués

Abris provisoires 109 070 460 929 820 79,2% (T-shelters) 18m² USD Réparations de 13 198 5 465 USD 72 127 070 USD 12,4% maisons (Re-)construction 4887 10 000 USD 48 870 000 USD 8,4% de maisons permanentes +/-30m² Source : Centre en Population et Développement, Cahiers du CEPODE : population et habitat., p.98.

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Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan

Figure 73 : Vue aérienne du camp Corail Secteur 4, son organisation sectorielle et les abris temporaires, juillet 2010.

Source : Photographie prise par Giovanni Cassanni, OIM, http://chicago.urbdezine.com

Figure 74 : T-Shelter dans le camp Corail Secteur 4

Source : Photographie prise par Yves Perrier, 2015. http://guideperrier.ca/haiti-et-t-shelters-les-abris-detransition-sont-ils-la-solution/

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La majorité des ONG travaillant en Haïti un an après le séisme étaient des institutions d’urgence (Corbet, 2014). Les ONG qui ont construit les T-Shelters semblent alors tout simplement ne pas avoir les compétences qu’exigeait une étape de transition comme celle-là. D’une certaine façon, nous pouvons dire qu’elles ont vraiment été prises au dépourvu et que la majorité a sous-estimé l’ampleur des dégâts en Haïti. Nous pouvons remettre en question leur calcul sur les fonds nécessaires et se demander si les fonds ont été utilisés à bon escient, en tout cas concernant des éléments qui n’étaient pas voués à être durables. Un habitant de Corail 4 explique à Raoul Peck que si elles avaient pris le temps et le soin de poser les bonnes questions, aux personnes impliquées, aux personnes dans le besoin, le résultat des shelters aurait pu être différent. Le scénario que certaines personnes auraient voulu voir émerger était la prise de pouvoir du peuple haïtien, mais il semble aujourd’hui qu’il était malheureusement trop concentré sur sa survie.

D’une manière générale, Corail a été victime d’une mauvaise capacité de réponse face à la catastrophe. Jean-Michel Dorville, un représentant de Corail secteur 4 dénonce dans Assistance mortelle, que les autorités leur « ont présenté Corail comme un paradis

comparé au terrain de golf où l’insalubrité était énorme […] ils nous ont promis des logements, du travail, des services de santé, des écoles » (Peck, 2013). Daniel Wordsworth de l’American Refugee Committee, explique à Raoul Peck qu’ils auraient pu procéder d’une manière légèrement différente au niveau de la planification. Ils n’avaient pas prévu une planification à long terme de ce terrain, il n’y avait que quelques visions potentielles mais rien de concret (Peck, 2013). Jean-Michel Dorville continue en expliquant « que leurs discours (organisations humanitaires) semblent changer, ils veulent nous faire sentir que ce provisoire est définitif ». En effet, les autorités savaient dès le début que ces abris transitoires finiraient par devenir permanents. Nous pouvons donc remettre en question la pertinence de l’utilisation des « toolkits » standardisés. Leur manque d’adaptabilité et de flexibilité après la phase d’urgence ressemble étrangement à une forme de contrôle informel empêchant les habitants de reconstruire de manière autonome leur propre vie.

Figure 75 : Découverte du camp Corail Secteur 4. Les T-Shelters originels sont toujours présents, mais la population commence à construire en dur autour des abris temporaires. Janvier 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan

1.1.2. … à l’émergence de Canaan En avril 2010, les autorités étatiques ont pris la décision de relocaliser 6000 personnes du camp du Club de golf de Pétionville vers les camps Corail Secteur 3 et 4. Le 22 mars 2010, environ un mois avant l’ouverture de ces camps, le Gouvernement haïtien avait annoncé l'expropriation pour usage public de 5000 hectares de terres77. Selon JeanChristophe Adrien de ONU-Habitat, les autorités ont au travers de Canaan « ouvert une boîte de Pandore » (HGW, 2013). Le développement informel a immédiatement commencé, provoqué par diverses motivations de la part de nouveaux arrivants. Une première vague de familles déplacées et affectées par le tremblement de terre a spontanément occupé des terres dans la zone désertique de Canaan pour échapper aux conditions difficiles des camps et des bidonvilles de la capitale. D'autres ont profité de la situation pour obtenir des terres de manière informelle, ce qui a favorisé la participation à des spéculations sur l'immobilier dans l’agglomération naissante (Noël, 2012). C’est ainsi que se sont érigées bon nombre d’habitations précaires, de tentes, de petites constructions en tôles, mais sans la planification de routes ni d’infrastructures publiques.

En 2013, un bilan de l’OIM réalisé grâce à la Displacment Tracking Matrix sur la zone de Canaan rapporte que la population vivant dans les camps Corail secteur 3 et 4 était estimée à environ 10 000 personnes, alors que ce sont plus de 14 000 familles et donc environ 65 000 personnes qui se seraient établies autour de ces deux zones initiales (OIM, 2013). Cependant, ces chiffres restent des estimations car les mouvements de population restent difficiles à analyser et à interpréter. Ainsi, lors d’une visite de Canaan effectuée en 2013, le Premier Ministre de l’époque Laurent Lamothe estime qu’environ 300 000 personnes vivent à Canaan78.

Lors de notre séjour à Canaan, notre guide Salma Siméus, leader communautaire du quartier ONAVILLE, nous explique que la problématique du nombre réel d’habitants à Canaan reste d’actualité encore aujourd’hui. Tous les jours, de nouvelles familles viennent s’installer, augmentant la pression sociale, urbaine et environnementale. Toutefois, l’habitat à Canaan n’est pas une problématique née uniquement du séisme. En effet, dans les années 1990, l’entreprise haïtienne NABATEC S.A. avait initié le projet d’une Zone Economique Intégrée (ZEI) de plus de 1000 hectares. Celle-ci devait intégrer des clusters industriels, commerciaux, administratifs et résidentiels dans un master-plan appelé Habitat Haïti 2020 (IFC, 2011). La mise en œuvre avait été planifiée par un partenariat publicprivé entre NABATEC, des investisseurs externes et le gouvernement d'Haïti. Au cours de cette même période, l'ONA (Office National de l'Assurance vieillesse) a mis en œuvre le projet de logement « Village ONA » pour les employés du gouvernement dans la partie la plus orientale du territoire de Canaan (Hannemann, Hauck, & Werthmann, 2014).

Cependant, les terrains de NABATEC sur Canaan ont été expropriés dans le cadre du décret déclarant l’utilité publique de la zone le 19 mars 2010, laissant le gouvernement et les agences humanitaires dans une situation délicate. En effet, ces derniers se sont retrouvés confrontés à l'énorme tâche d'arrêter la bidonvilisation à Canaan, tout en devant faire face à une indemnité d'expropriation estimée à plus de 64 millions de dollars (HGW, 2013). L’indemnité d’expropriation de 64 millions d’euros n’a jamais été payées par l’Etat.

77

La déclaration du Décret d'Utilité Publique a été publiée au Journal Officiel de la République d'Haïti, Le

Moniteur, le 19 mars 2010. Voir annexes.

La conférence de presse du 17 juin 2013 est accessible https://soundcloud.com/laurentlamothe / point-de-presse-du-premier-7 78

via

le

site

web

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Le processus de reconstruction post-traumatique en Haïti

Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan Figure 76 : Le projet du Village ONA au pied des pentes abruptes de Morne-à-Carbis. Haut-Onaville, avril 2013.

Source : Photographie prise par Johann-Christian Hannemann, 2013.

Figure 77 : Même localisation mais en janvier 2020. Nous pouvons voir que les pentes raides ont été envahies progressivement.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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Le processus de reconstruction post-traumatique en Haïti

Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan

Au départ, quelques ONG intervenaient grâce à des projets ponctuels dans la zone de Canaan, mais une grande majorité s’est alors retirée une fois la phase d’urgence dépassée (Corbet, 2014). La problématique foncière haïtienne a fortement joué son rôle là-dedans, car tous les acteurs attendaient que les autorités de la planification urbaine donnent plus d’indications sur le devenir du territoire. L’indétermination de la régularisation a provoqué au fil du temps de nombreuses revendications de la part de propriétaires, mais bien souvent sans documents légitimes. Cela n’a cependant pas empêché les habitants de Canaan de créer leur propre appartenance et en la marquant notamment grâce aux différentes dénominations des quartiers. Ainsi, Canaan est constitué aujourd’hui des quartiers de Canaan I, II, III, IV, V, Jérusalem, Onaville, etc (voir carte Canaan, annexe 3).

Dès le lendemain du séisme, de nombreuses interventions humanitaires ont permis de favoriser l’émergence des leaders communautaires qui favoriseront la connexion et la transmission d’informations à la population (Corbet, 2014). À Canaan, ces leaders communautaires sont apparus sans l’aide nécessaire des acteurs humanitaires. De plus, de nombreux comités ont été créés afin de favoriser la gestion du territoire. Nous pouvons citer (Noël, 2012) : -

OCDC : Organisations des Citoyens pour le Développement de Canaan COSC : Coordination des organisations pour la sauvegarde de Canaan ORICOS : Organisation Inter-Caribéenne pour la Coopération sociale CDSRC : Comité de Développement des Citoyens Stables pour la Reconstruction de Canaan OSE-ASSEZ : l’Organisation pour la Sauvegarde de l’Environnement HAP : Haïti en Action pour le Progrès

Cette volonté de se réunir et de créer des organismes ayant chacun une tâche particulière montre la conscientisation de certains habitants aux enjeux liés à l’urbanisation exponentielle de Canaan. Cette gestion en comité ou en tab-travay, peut sembler prendre une certaine forme d’indépendance face aux interventions humanitaires. Cela semble par ailleurs se confronter à la dépendance des camps Corail.

Dès lors, nous pouvons ressortir que les habitants de Canaan, tentent tant bien que mal, de créer une sorte de localité. L’anarchie urbaine qui semble prédominer cache derrière un système certes compliqué à décrypter, mais qui pallie une structure officielle décadente.

C’est pourquoi nous pouvons établir que Canaan est un territoire situé entre l’autonomie de fait et la dépendance aux décisions sur sa planification.

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1.1.3. Implication de la coopération au développement Au travers des agences humanitaires comme l'OIM, World Vision et l'American Refugee Committee « la Communauté Internationale aura dépensé plus de 10 millions de dollars pour la mise en place des deux secteurs du Camp Corail » (HGW, 2013). L'ARC et l'OIM ont tous deux joué un rôle de premier plan dans la fourniture de services de base et la gestion des camps. L'ONG World Vision a été l'un des principaux acteurs de la transformation de Corail en finançant la construction des abris temporaires, différents terrains de jeux, une école publique, mais également en réalisant de petits programmes sociaux comme l'établissement de six comités d'organisation communautaire (World Vision, 2020).

Toutefois, si on écoute attentivement les nombreux témoignages venant de voix haïtiennes, comme dans le reportage Assistance Mortelle de Raoul Peck ou bien dans les enquêtes réalisées par Haïti Grassroots Watch (HGW, 2013), nous pouvons entrevoir de nombreuses accusations envers les institutions nationales et internationales.

Particulièrement à Canaan et à Corail, de nombreux services n'ont pas été achevés comme promis, certains programmes sociaux et économiques étaient arrivés à leur terme assez rapidement, de nombreuses infrastructures étaient détériorées après le départ des ONG. Depuis janvier 2011, l’ONG ARC revendiquait la mise en place d’une phase de transition, afin de donner plus d’importance à la population et au gouvernement local. Un an après le séisme, l’ONG était arrivée à un moment où elle devait quitter le terrain mais en essayant de laisser une certaine structure en place. Il y a eu un transfert des outils utilisés par l’ONG, il s’agissait simplement de deux livrets : le guide de la gestion des camps et le dossier Corail pour 2011 (Peck, 2013). En 2013, HGW rapporte que « l'OIM, l'ARC et World

Vision se sont tous retirés en clamant leur succès et en prétendant avoir préparé une transition vers les autorités locales » (HGW, 2013). Cependant, la réalité est tout autre

lorsque dans le même document, HGW confronte les rapports officiels de ces institutions aux avis des habitants des camps et de Canaan. Nous pouvons extraire de ce rapport qu’entre 2011 et 2013, la majorité des acteurs internationaux avaient quitté les camps, laissant ses 10 000 résidents, leurs comités et le reste de la population de Canaan seuls avec le manque continu de services de base. « Tant d’énergie sincère, tant de dévouement

individuel, gaspillé par une machine qui dépasse les acteurs. D’un côté l’usure, de l’autre la colère, la frustration » (Peck, 2013).

Cette frustration est également causée par le fait que les ONG n’ont la capacité de ne supporter qu’une minorité de personnes affectées par le séisme. Ce ciblage de populations visées a provoqué une concentration de l’aide étrangère dans les camps offrant aux populations déplacées de Corail des abris et des services de base. Alors que d’autres victimes du séisme n’ayant pas eu la chance d’être parmi cette population visée, ont dû s’installer dans la partie non planifiée de Canaan et n’ont pas eu accès à cette aide florissante (Hannemann, 2014). Cependant, de nombreuses leçons ont été tirées par les institutions internationales, les acteurs de la planification et le gouvernement haïtien au lendemain du tremblement de terre de 2010. Comme nous l’avons vu précédemment, un tournant dans l’aide au développement a eu lieu en Haïti en 2012. L’exemple de la création de l’UCBLP démontre la mise en place de différentes plateformes multipartites dans lesquelles les acteurs internationaux peuvent acheminer des fonds vers des institutions haïtiennes (Hannemann, Hauck, & Werthmann, 2014).

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1.2. Les enjeux de Canaan 1.2.1. L’étalement urbain de Canaan

Source : Google Earth. Captures d’écran effectuées le 01 mai 2020.

Figure 84 : 17 février 2019, plus de 9 ans après le séisme, presque l'entièreté de la zone est habitée, s'apparentant de plus en plus à une ville à part entière.

Figure 83 : 16 janvier 2012, deux ans après le séisme, les parcelles se multiplient, la densité et l'urbanisation s'accentuent

Figure 81 : Le 12 janvier 2010, la zone apparait délaissée

Figure 82 : 31 octobre 2010, le camp Corail a été créé et déjà des milliers de personnes ont envahi l'espace

Bien que l’étalement urbain de Canaan soit une conséquence directe du séisme de 2010, le déplacement des populations a été provoqué par deux évènements majeurs. Le premier est l’arrêté présidentiel publié le 22 mars 2010 déclarant la zone de Canaan d’Utilité Publique et le deuxième est l’ouverture officielle des camps Corail en avril 2010.

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L’émergence de Canaan est certainement l’un des reflets les plus frappants de la réalité en matière d'urbanisme, de logement et de politique environnementale en Haïti. Comme nous l’avons vu précédemment, le manque de réponse concernant le logement abordable pour les citadins pauvres et la classe moyenne a ouvert la voie à une normalisation du logement informel dans le développement urbain d'Haïti. Ce qui a provoqué un manque d’accessibilité aux infrastructures de base et aux services publics pendant des années pour ces habitants défavorisés. Différentes institutions gouvernementales et principalement l’UCLBP ont affirmé la nécessité indispensable de fournir des infrastructures de base à la zone de Canaan. Néanmoins, différents problèmes tels que le statut juridique et le manque de budget pour une planification initiale, ont jusqu'à présent ralenti les interventions (Bienaimé, 2020).

Aujourd’hui, le territoire de Canaan se trouve à la croisée des chemins entre la possibilité de soulager la pression d'urbanisation de Port-au-Prince, d'une part, et la menace de continuer à rester un territoire mal desservi, d'autre part. Bien que le tremblement de terre ait fortement renforcé le processus, Canaan représente une image supplémentaire de la capacité de la société haïtienne à développer son propre environnement et son propre habitat par auto-construction. Ces capacités d'auto-assistance auraient-elles pu être mieux soutenues au lendemain du séisme et pourraient-elles être mieux soutenues à l'avenir pour développer un environnement de vie saine à Canaan?

Figure 78 : vue de l’étalement urbain de Canaan depuis les hauteurs du quartier de Haut-Jérusalem, janvier 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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1.2.2. Enjeux environnementaux liés à l’urbanisation de Canaan Situé à l'interface entre les plaines fertiles de la plaine du Cul-de-Sac et les pentes abruptes de la chaîne de montagnes de Chaîne des Matheux, Canaan s'étend aujourd’hui sur environ 20 km² et est divisé entre trois communes : Croix-des-Bouquets, Thomazeau et Cabaret. À l'ouest, l'urbanisation est limitée par la baie de Port-au-Prince et au nord, les pentes abruptes du Morne-à-Cabris forment une barrière physique. En raison de la spéculation foncière, cette frontière est déjà érodée, ce qui a conduit à l'occupation des pentes plus abruptes et malheureusement plus sujettes aux glissements de terrain. La dégradation de la couche arable et le manque de végétation haute dans les bassins versants ont diminué le potentiel d'infiltration et de rétention, augmentant les risques naturels d'inondations et de glissements de terrain79.

Canaan est naturellement divisé par une rivière éphémère appelée Ravine Madaniel, qui capture les eaux de ruissellement provenant des versants des montagnes du nord. Étant une conséquence immédiate des tempêtes tropicales locales, des ouragans ou des cyclones, la ravine représente un risque majeur d'inondation et d'érosion pour Canaan et le camp Corail (Hannemann, 2014). Ainsi, Canaan est grandement exposé aux risques environnementaux tels que les inondations, les glissements de terrain, sans oublier les périodes de sécheresse. L’évolution croissante de ces risques est une menace supplémentaire à la croissance urbaine. Cependant, une plus grande résistance aux risques pourrait être anticipée via par exemple, l’amélioration de l’utilisation de la végétation dans la structure urbaine.

Figure 79 : la ravine Madaniel est aujourd'hui utilisée comme une artère de communication lorsqu'elle est asséchée.

L'extrusion exponentielle de la ravine inquiète les habitants de Canaan comme notre guide Salma Simeus. Janvier 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

79

Voir carte des risques d’inondation à Canaan - annexe 6

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Les acteurs de la planification pour une transition urbaine humanitaire, le cas de Canaan Figure 80 : La ravine Madaniel, 2013.

Source : Photographie prise par Johann-Christian Hannemann, 2013.

Figure 81 : La ravine Madaniel, 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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1.2.3. Impact des collectivités territoriales sur Canaan Au-delà de leur recherche de propriété, c’est une crise identitaire qui atteint aujourd’hui la communauté cananéenne. En établissant le territoire de Canaan sur trois communes, l’État a de nouveau prouvé que sa gestion territoriale semble être parfois douteuse et mal réfléchie. Bien que cela ne soit pas une volonté propre de l’État, cela ne facilite toutefois pas la tâche aux habitants. Une annexe de la mairie de Croix-des-Bouquets a cependant été installée le long de la route nationale 1. Lors de notre séjour en Haïti, Mr Simeus a plusieurs fois remis en doute l’autorité dont la mairie semble faire preuve.

De surcroit, la décentralisation étatique provoque une complexité supplémentaire dans le cadre légal de l’accessibilité aux structures étatiques. La réalité de vie de nombreux habitants de Canaan démontre une vulnérabilité due au manque d’infrastructures publiques comme l’accès aux soins de santé, l’eau potable, des sanitaires corrects, ainsi que la protection contre des risques environnementaux. La politique de gouvernance se trouve maintenant dans un dilemme entre la prévention de la bidonvilisation, acceptant ainsi en partie l'occupation illégale de terres, et la négligence avec pour conséquence qu'à l'avenir, des centaines de milliers d’habitants continueront de vivre dans des conditions où la spéculation et la croissance se poursuivent sans entraves. Si l’on compare le contrôle et la planification de Corail à celle de Canaan, nous pouvons ressortir que ces derniers sont à l’opposé l’un de l’autre. En effet, là où le fonctionnement interne de Corail empêchait l’implication citoyenne, pour Canaan ce fut tout autre chose. Comme l’explique Johann-Christian Hannemann, chercheur allemand en planification participative en Haïti, « les autorités étatiques de la planification urbaine ont été dépassées par la question de la zone d’utilité publique » (Hannemann, Hauck, & Werthmann, 2014). Leur attitude noninterventionniste sur Canaan renvoie à leur incapacité de coordonner des interventions audelà de cadres spécifiques de l’agglomération de la capitale.

Par conséquent, les enjeux majeurs de Canaan sont aujourd’hui plus politiques et urbanistiques qu’humanitaires. Comme nous le verrons par après, certains projets de planification urbaine ont été proposés au fil du temps, notamment poussés par la Communauté Internationale et ses questionnements sur le devenir du territoire de Canaan.

L’évolution de Canaan montre bien que sur un territoire où un exemple de planification urbaine aurait pu naitre, les autorités ont laissé une fois de plus la bidonvilisation prendre forme. Cette forme de « laisser-aller » semble être symptomatique des pouvoirs haïtiens, et comme l’exprime R. Noël dans son rapport sur Canaan de 2012, « nous sommes face

à la concrétisation physique de la stratégie nationale de la reconstruction basée sur l’autoconstruction » (Noël, 2012).

« Pour moi Canaan, c’est la transposition et en accéléré d’une situation préexistante à Port-au-Prince. Les inégalités urbaines, les inégalités sociales, les inégalités spatiales se retrouvent aujourd’hui concentrées et en accéléré dans un espace exigu. » (Théodat, 2019)

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1.2.4. Les programmes de développement urbain Face à l'ampleur de la crise du marché du logement en Haïti et aux limites budgétaires du gouvernement haïtien, les processus communautaires d'amélioration des quartiers existants et sous-équipés semblent rester une des seules possibilités d'améliorer la relation entre les acteurs de la planification et les habitants dans le but de reprendre le contrôle du processus d'urbanisation d'Haïti. La structure urbaine de Canaan n'étant pas encore consolidée, cette possibilité unique mais extrêmement courte demeure jusqu'à ce que la densité urbaine atteigne un niveau auquel il n'y a tout simplement plus d'espace pour intervenir.

Cependant, de récents programmes pour la reconstruction d'Haïti, principalement dirigés par l’UCLBP, ont vu le jour. Par exemple, la Politique Nationale du Logement et de l'Habitat, développée en 2013, montre les premiers ajustements vers un nouveau paradigme de développement urbain. L’objectif est de montrer que les autorités nationales et locales, soutenues par des partenaires internationaux, sont capables de reprendre un rôle de premier plan dans la planification urbaine en parvenant à transposer à plus grande échelle les projets pilotes prometteurs et en réduisant ainsi le fossé entre les quartiers formels et informels en Haïti (UCLBP, Politique Nationale du Logement et de l'Habitat (PNLH), 2013).

Plus récemment, The Urban Development Initiative (UrDI) voit le jour en 2016 grâce à une collaboration entre l’UCLBP, USAID et ONU-Habitat. L’objectif de ce plan est de s'appuyer sur un processus participatif large et continu impliquant toutes les parties prenantes. L'initiative a travaillé simultanément avec une approche « top-down » et « bottom-up », rassemblant des ministères et des municipalités, des organisations internationales et des ONG, des universitaires, des experts en planification, des groupes communautaires et des résidents pour élaborer une stratégie d'orientation composée de projets concrets qui sont facilement réalisables malgré des circonstances politiques difficiles (UCLBP, 2016).

Figure 82 : Processus multi-scalaire de l'initiative de développement urbain de l'UCLBP.

Source : (UCLBP, Urban Development Initative in the northern area of Port-au-Prince, 2016)

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2. Exploiter le développement urbain spontané 2.1. Confrontation des dynamiques de réhabilitation Dans l’histoire et l’évolution de Canaan et du camp Corail, nous pouvons voir une remise en question de l’appropriation de l’espace par la population. Dans un sens, nous pouvons nous demander si la dynamique rationnelle de Corail se retrouve en échec face à la spontanéité de Canaan. L’appropriation informelle qui s’est développée dans ce dernier s’apparente à une genèse urbaine, de par l’émergence d’un sentiment d’appartenance à un même endroit, une même cause. Comme le dit A. Corbet dans son rapport, « les

relations sociales établies lors de la prise de possession ont créé un territoire et donc un esprit collectif » (Corbet, 2014), ce qui s’est immédiatement ressenti lors de la dénomination et la hiérarchisation sociale des différents quartiers par exemple.

La délimitation et la planification préalables de Corail par une autorité remettent donc en cause la problématique de déplacement et la confronte à celle de l’emplacement. En effet, le fait de figer une communauté dans une situation où les habitants sont uniquement perçus comme des bénéficiaires rend compliqué le développement d’initiatives personnelles visant à faire évoluer le camp. Les organismes humanitaires, actifs dans cette planification, expriment souvent ce besoin de s’identifier à un esprit communautaire grâce à un territoire que l’espace créera (Corbet, 2014). Or, l’exemple du camp Corail montre bien qu’en imposant une structure formelle, les personnes n’étant pas venues d’ellesmêmes, n’ayant pas de rapport entre elles auparavant n’ont pas vraiment eu la possibilité de gérer leur espace de vie. Ce n’est que maintenant, dix ans après le séisme que les habitants des camps commencent à construire en dur et tentent de réaliser leur propre transition urbaine. Mais les abris temporaires n’ayant pas été prévus pour une durée permanente, l’espace les entourant commence à faire ressentir une forme d’écrasement, en s’étalant un peu plus chaque jour sur l’espace supposé public.

Figure 83 : Délimitation des parcelles grâce aux matériaux réutilisés comme des bâches ou des tôles dans le camp Corail secteur 4. Janvier 2020

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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En comparant cela à la dynamique spontanée de Canaan, nous pouvons affirmer que le séisme a, d’une certaine façon, légitimé la présence des habitants, bien qu’il n’ait pas été le seul élément déclencheur de ces déplacements de population. Cependant, le droit à la possession de terre quant à lui, pourrait être remis en question. Toutefois, le territoire a été perçu comme une opportunité collective, une ouverture à l’autonomie qui s’exprime physiquement, notamment au travers d’une transition architecturale : les bâches bleues humanitaires font alors place aux blocs de ciment locaux. L’histoire collective de ce lieu a fait naître un processus d’appartenance, avec un système urbanistique et social essayant tant bien que mal de prodiguer aux habitants un certain cadre de vie. Nous pouvons de nouveau comparer cela avec les infrastructures de base que les camps Corail ont fournis aux réfugiés comme des latrines, l’accessibilité à l’eau, des espaces publics, une école, etc. Mais le simple exemple de la permanence des T-Shelters renvoie toujours au statut provisoire du camp. La gestion formelle humanitaire a, d’une certaine manière, isolé la population et de fait, le territoire en lui-même.

La confrontation des réalités de Canaan et de Corail nous rappelle que les dynamiques de réhabilitation et de relogement sont finalement menées par la façon dont les habitants s’investissent ou non, par l’adaptabilité ou non de l’appareil humanitaire et du système étatique. L’exemple de Corail montre que la gestion humanitaire n’est pas allée au bout de sa planification standardisée. Alors que si l’on jette un regard au-delà de la pure matérialité et de la pure logistique des camps, les acteurs de la planification y verront un lieu évolutif et dynamique avec une possibilité pour les habitants de se projeter dans le futur, sans sentiment d’imposition par un phasage standardisé. L’exception que représente Canaan est le délaissement particulier de l’État face aux nombreuses stratégies spatiales de la reconstruction. Le territoire de Canaan est donc situé dans un entre-deux juridique qui d’une certaine manière en fait une force d’attraction et se ressent dans la revendication de l’espace, mais surtout, dans l’ouverture du champ des possibles. La vulnérabilité et la précarité engendrées par le territoire ne réduisent en rien le sentiment d’appartenance à la communauté, au contraire c’est de ce partage commun que peut se définir la citoyenneté. Nous pouvons donc nous poser la question suivante : est-ce que cette citoyenneté engendrée aurait pu être freinée par la formalité du dispositif humanitaire et de la systématisation de la planification urbaine ?

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2.2. La permanence d’une urbanité vulnérable Nos recherches permettent de mettre en évidence que dans la phase d’urgence, les structures intergouvernementales et les autorités étatiques se sont retrouvées face à un réel problème de coordination concernant les grands thèmes et les grands projets de la reconstruction. Toutefois, la création des clusters a permis aux organismes nongouvernementaux d’essayer de créer une certaine horizontalité entre eux, alors que les relations verticales avec les autorités étatiques sont cependant souvent restées négligées.

La structure institutionnelle territoriale haïtienne a permis aux ONG de réaliser des projets à l’échelle des quartiers en s’appuyant directement sur les responsables des sections communales.

Cependant, le manque de coordination entre les différents échelons des pouvoirs publics et la multiplicité des actions ponctuelles de reconstructions sans concertation provoquent la permanence d’une urbanisation vulnérable dans la zone métropolitaine de Port-auPrince. En effet, face à ces problématiques récurrentes, la population a choisi d’occuper à nouveau des zones vulnérables comme les ravines ou à favoriser l’auto-construction comme solution temporaire. Sans oublier les nombreuses opportunités apportées par la construction des camps de réfugiés dans les zones périphériques. Le phénomène de transition urbaine doit être réfléchi à la taille de la zone métropolitaine de Port-au-Prince.

La faiblesse des institutions publiques décentralisées et le manque de formation des collectivités territoriales nous poussent à réfléchir à la maîtrise du processus de gestion territoriale lors d’une phase d’urgence. La remise en question des fonctionnalités, des réseaux et des relations apparaît alors comme une piste d’ouverture potentielle.

2.2.1. Vers un développement inclusif En tenant compte de l’évolution de notre travail, nous pouvons en retirer que Canaan peut probablement être considéré comme l'un des exemples les plus urgents d'Haïti où l'urbanisation informelle s'accompagne de risques environnementaux. Ce type d’urbanisation semble donc être la conséquence logique de l’incapacité de l’État et de la Communauté Internationale à fournir une offre de logements suffisante, que ce soit avant ou après une catastrophe telle que le séisme de 2010. Dans la situation actuelle de problématique foncière peu claire, l’auto-construction et l’auto-planification semblent être les seuls moyens pour les Haïtiens de surmonter leur pénurie de logements à court et moyen terme.

D’une manière plus générale, nous pouvons voir cette problématique sous le regard du concept de la « ville inclusive », tel que l’ONU-Habitat le décrit dans son rapport The Global Campaign on Urban Governance. L’agence décrit cette ville utopique comme « un endroit

où chacun, indépendamment de sa richesse, de son sexe, de son âge, de sa race ou de sa religion, sera capable de participer de manière productive et positive aux opportunités que les villes ont à offrir » (ONU-HABITAT, 2002). En comparant ceci avec la réalité de

Port-au-Prince, nous pouvons établir que la ville est plutôt à caractère exclusif de par son manque d’accessibilité adéquate aux infrastructures sociales, éducatives, économiques et sanitaires. En effet, une majorité de la population vit dans l’informalité et est de plus en plus poussée vers la marginalité. Cela se ressent spatialement lorsque les habitants les plus vulnérables privés des droits fondamentaux des citoyens et des services de base se retrouvent extrêmement exposés aux risques environnementaux des ravines ou des flancs abrupts de montagnes.

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De plus, dans un tel système, l’aspect économique joue également un rôle important.

Comme nous l’avons vu précédemment, de nombreux programmes internationaux ont été réticents concernant un financement géré par des institutions haïtiennes. Priscilla Phelps, responsable du secteur « logements » de la CIRH affirme que « l’une de nos préoccupations

principales est comment surmonter les réticences de la Communauté Internationale à l’idée de verser l’argent directement aux quartiers et aux communautés ? » (Peck, 2013).

Ne serait-il pas envisageable de demander aux différentes ONG actives sur place si elles seraient prêtes à faire une proposition de projet où elles ne seraient que les coordinateurs et pas les commanditaires? Ainsi, des personnes de confiance seraient là pour superviser mais l’argent irait directement dans les communautés. Avec ce type de système, des solutions plus rapides et plus adaptées aux Haïtiens auraient peut-être pu être trouvées.

Toutefois, la peur de la corruption, de la disparition d’argent dans les poches d’Haïtiens, restent un vrai frein à de telles idées.

Nous sommes donc en mesure de nous poser la question suivante : quel aurait été le résultat si on avait divisé tout l’argent promis à la reconstruction et qu’on l’avait donné aux familles affectées ? Mieux ou pire ? De ce que nous avons pu analyser précédemment, il est clair que les donateurs prétendent que les institutions haïtiennes sont trop faibles, mais ils ne leur permettent ni de changer ni de devenir plus fortes. Dès lors, comment un tel processus d'inclusion sociale pourrait-il être encouragé à Canaan, pour en faire un lieu de vie viable et productif ? La structure des territoires en Haïti exprime bien cette différence de systématisation de la planification territoriale. Entre une planification ordonnée ou une spontanée, comment élaborer des initiatives connectant de manière multipartite des systèmes « top-down » et bottom-up » ? En d’autres termes, cela impliquerait une planification concertée et flexible, variant constamment entre une vision globale et une vision spécifique.

Figure 84 : Représentation de la systématisation des processus top-down et bottom-up, amenant à un processus d'auto-gestion comme à Canaan.

Source : Schéma réalisé par Thomas Dupont, sur base du concept de (Pham Minh & Gachoud, 2012).

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En confrontant les différentes analyses précédentes, il semblerait que les entités de planification luttent jusqu'à présent à Canaan avec la complexité de la coordination et de l'échange d'informations. Les habitants manquent cruellement d'informations viables sur l'état actuel des projets. Il leur est de facto impossible de participer, à un moment donné, au processus de planification concernant leur quartier. Pour guider le processus de modernisation dans une telle zone à risques, un cadre de développement pourrait être élaboré selon une approche multipartite, qui pourrait réunir les acteurs suivants.

- Les principaux acteurs des autorités nationales et des instances gouvernementales concernées par la planification urbaine et environnementale : en fournissant les lignes directrices, les autorités nationales pourraient assumer la responsabilité en tant qu'initiateur de tout processus de développement et de modernisation à Canaan.

- Les autorités municipales et locales telles que les maires et les entités municipales de planification : en les intégrant avec les acteurs nationaux et internationaux, cela pourrait permettre d'ouvrir la voie à la future prise de décision locale et à la gouvernance décentralisée.

- Les comités locaux, les leaders communautaires et les habitants : en s’intégrant au processus par le biais des entités de planification municipales et nationales, elles pourraient assumer une forme de responsabilité en élaborant un Plan d'Action Communautaire. Un « Plan d'Action Communautaire (PAC) est l'une des méthodes

utilisées pour renforcer la capacité des membres de la communauté à prendre des mesures correctes en fonction des problèmes, des besoins et du potentiel des ressources de la communauté » (ONU-HABITAT, 2002). Si l'action ou l'initiative du gouvernement échouait, le PAC pourrait assurer un certain succès car les comités et les dirigeants communautaires seraient dotés des compétences nécessaires pour gérer les conflits de manière indépendante.

- D'autres parties prenantes, telles que des professionnels du secteur urbain (architectes, urbanistes, planificateurs, etc.), des organismes de financement et de mise en œuvre issus d'ONG, de l'économie privée et du monde académique : dans le contexte de Canaan, les ONG pourraient adapter leur rôle principal en facilitant l'échange d'informations et en agissant comme agent entre les parties défavorisées de la société et les parties décisionnelles locales et nationales. Le monde académique pourrait jouer un rôle d'intermédiaire entre la communauté, les ONG ou d'autres acteurs, afin de proposer une médiation entre la réflexion technique et la réflexion conceptuelle.

En conclusion, trois aspects indispensables semblent alors apparaître. Un plan d'action doit lancer un processus de développement démocratique et participatif, ouvert à tous les acteurs concernés et incluant particulièrement les habitants de Canaan. Des plateformes de projets pourraient être installées à différents niveaux afin de créer une communication et un échange d'informations améliorées, permettant un cadre de programme commun et transparent pour les interventions. Enfin, nous pensons que la clé de l'amélioration à long terme des conditions de vie ne peut être trouvée que par des solutions locales intégrées et intelligentes entre les disciplines de la conception urbaine, de la planification environnementale, de l'éducation et de l'économie.

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Dans le guide Action Planning for Cities, les auteurs argumentent que la principale préoccupation lors de la planification d’un processus de reconstruction est la mise en œuvre d’interventions au travers de la communauté (Goethert & Hamdi, 1997). En effet, l’exemple d’Haïti et particulièrement de Canaan nous montre que le secteur professionnel des décideurs et des planificateurs a tendance à dominer le processus au lieu d’apporter leurs compétences et savoir-faire dans le but d’aider au mieux une communauté. Dès lors, nous pouvons préconiser l’implication de la communauté de telle sorte que le rôle des acteurs de la reconstruction soit périphérique au processus de planification.

D’un point de vue pratique, aucun guide ne pourra réellement prescrire une manière systématique d’intervenir lors d’une catastrophe. Cependant, le modèle de participation « conventionnel » pourrait être remis en question dans le sens où ceux-ci pourraient représenter des leviers communautaires à différentes étapes d’un projet. Ainsi, il serait envisageable de lever l’ambiguïté du moment et dans quelles mesures les communautés devraient participer.

Figure 85 : Représentation de la boucle infinie du processus décisionnel. Lorsqu'un territoire évolue dans ce cycle, les acteurs peuvent réagir en se concentrant sur la passion, la raison ou le pouvoir.

Source : Schéma réalisé par Thomas Dupont, 2020.

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2.2.2. De l’architecte humanitaire à l’architecte du développement La place du métier d’architecte dans un contexte de crise tel que la reconstruction posttraumatique peut sembler utopiste car les priorités qu’amène une situation d’urgence pourraient difficilement légitimer l’appel des compétences de notre métier. Cependant, cette utopie est plus proche de la réalité que les différents stéréotypes de l’architecte humanitaire réalisant « simplement » des abris temporaires. L’utilisation des nombreuses casquettes que le métier d’architecte peut offrir semble pertinente dans la recherche de transmission des connaissances que la situation d’urgence provoque. Nous pouvons alors voir émerger la naissance d’une réelle mise en œuvre collective, refoulant les caractéristiques de l’omniprésence de l’architecte occidental.

Ainsi, face à une situation complexe, cernée par des acteurs divers, avec des objectifs différents, quels pourraient être les différents rôles de l’architecte ? Est-il fataliste ? Écologiste ? Cornucopien80 ? Humaniste ? Quelle est la responsabilité de l’architecte dans l’emploi de la technique au détriment du savoir-faire humain, particulièrement dans un contexte de l’urgence ? La problématique que cela implique est comment construire aujourd’hui avec la possibilité d’un potentiel effondrement dans le futur.

L’ILLUSTRATEUR L’architecte possède, grâce à sa formation graphique, quelque chose qu’il partage avec peu de métiers, il s’agit de la notion de projet. C’est-à-dire la capacité à se projeter dans un état des choses non encore existant et de le restituer. Ce rôle-ci est actif. Si nous considérons l’Histoire comme un chaos comme le dit Harari dans SAPIENS, l’architecte aurait une responsabilité dans le chaos d’ordre 2 (Harari, 2015). Sachant que le chaos d’ordre 1 ramène au fait que les choses sont imprévisibles, le chaos d’ordre 2 explique que non seulement les choses sont imprévisibles, mais simplement le fait de les prévoir, modifie la trajectoire que l’on va emprunter. L’architecte en proposant une dystopie ou une utopie, va permettre de se rapprocher d’un scénario ou de s’en éloigner grâce à des alternatives aux différentes versions.

LE SERVITEUR L’architecte pourrait très bien s’affirmer sur une position ou une autre, croire ou non à tel ou tel scénario, et ainsi pouvoir le servir au mieux. Nous pouvons prendre l’exemple des systèmes de planification standardisés ou les projections territoriales.

LE MÉDIATEUR Par sa capacité à communiquer avec les différents acteurs, il pourrait réussir à mettre en relation différents récits, différentes parties de l’histoire. Pouvoir fournir un travail de dédiabolisation entre les différentes parties afin de trouver des points de convergence pour servir des intérêts communs via des projets transversaux.

Personne qui estime que les innovations technologiques permettront à l’humanité de subvenir éternellement à ses besoins matériels, eux-mêmes considérés comme sources de progrès et de développement.

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LE PARI L’architecte ferait un pari. Faire des choix comme si telle situation allait réellement se produire et ainsi construire en conséquence. On parle plus ici de croyance car la situation étant tellement complexe sur un territoire comme celui de Canaan, qu’il est impossible, pour quiconque, dans un système et une économie informelle, de prétendre avoir tout compris et de prédire le futur précis du pays ou même de la capitale.

Le rôle de l’architecte serait de dire que l’on vit peut-être une période de décadence, la fin d’une ère mais le début d’une nouvelle. Prenons l’opportunité du séisme pour reconstruire une architecture réfléchie et globalisée. Profitons-en pour apprendre des erreurs passées et de mettre sur le côté certains éléments qui auront été utiles à un moment mais qui semblent aujourd’hui obsolètes. Voyons nos actes comme un stock, un stock de matériaux, de déplacements de matière ou d’utilisation d’énergie.

Notre travail a permis de prendre conscience que finalement, seule la communauté ellemême a le pouvoir d’affirmer sa volonté de se reconstruire. L’aide extérieure en soulageant les besoins matériels, donne une impulsion au processus de reconstruction En allant audelà de la conception matérielle d’un projet, la réflexion de l’architecte peut ainsi permettre une transition entre la technicité et la planification. Son rôle dans la recherche de développement d’une communauté peut s’apparenter au fait que la construction d’un projet n’est en fin de compte jamais terminée, il y a toujours un élément non abordé ou un point de vue négligé.

Figure 86 : Discussion avec des habitants du camp Corail secteur 4. Janvier 2020.

Source : Photographie prise par Fabrice Sobczak, 2020.

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2.2.3. L’impact du phasage interventionniste Si nous reprenons notre hypothèse de départ, l’objectif du travail était de confronter la théorie du secteur de l’aide au développement à la réalité de terrain en Haïti. En établissant en premier lieu le phasage standardisé du processus de reconstruction, nous avons pu comprendre l’importance pour la Communauté Internationale de s’investir lors de la phase d’urgence mais sur une période limitée dans le temps. La force de ce phasage URGENCETRANSITION-RECONSTRUCTION, réside dans l’apport massif d’aide dans la première phase, mais apporte moins d’importance à la transition vers le développement des communautés impactées.

L’analyse du cas de Canaan et la comparaison des dynamiques de réhabilitation en Haïti nous montrent que le phasage standardisé de la réponse post-traumatique n’est donc pas limitée à l’urgence, la transition et la reconstruction. Ces phases avec leurs temporalités finies ne représentent pas un système censé être dynamique et adaptable. Bien que l’urgence soit bien caractérisée par des risques et des vulnérabilités, le chemin menant à la résilience urbaine ne se résume pas à la reconstruction de l’ancien système. En réhabilitant des communautés grâce à une transition réfléchie avec elles, que ce soit suivant des enjeux territoriaux, sociaux ou environnementaux, l’impact des acteurs de la planification pourra avoir comme conséquence une recherche de développement.

L’importance de l’adaptation d’un système ayant subi un traumatisme en répondant de façon spontanée ou anticipée va permettre à ce système de reconnaître sa vulnérabilité.

De ce fait, si l’on assimile cela à un territoire, la reconnaissance des enjeux liés à sa réhabilitation lui permettra de se développer en donnant naissance à un système sensiblement différent du précédent, permettant ainsi une transition vers une résilience territoriale et sociale.

Figure 87 : Représentation cyclique des phases du processus de reconstruction.

Source : Schéma réalisé par Thomas Dupont, réalisé sur base du schéma de systémogénèse de J. Cenci vu dans le cours de Résilience Urbaine, Faculté d’Architecture et d’Urbanisme de Mons.

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POINTS CLÉS -

Nous pouvons voir en Haïti une reconstruction sur deux grands volets. Comme nous l’avons vu précédemment, le premier serait le centre historique de la ville de Port-au-Prince, devenant la future vitrine de la reconstruction et le second serait l’apparition d’agglomérations émergentes telles que Canaan.

-

Face à la permanence des abris transitoires, nous pouvons remettre en question la pertinence de l’utilisation des « toolkits » standardisés. Leur manque d’adaptabilité et de flexibilité après la phase d’urgence ressemble étrangement à une forme de contrôle informel empêchant les habitants de reconstruire de manière autonome leur propre vie.

-

Les habitants de Canaan tentent tant bien que mal de créer une sorte de localité.

Canaan est un territoire situé entre l’autonomie de fait et la dépendance aux décisions sur sa planification.

-

Dans l’histoire et l’évolution de Canaan et du camp Corail, nous pouvons voir une remise en question de l’appropriation de l’espace par la population. Dans un sens, nous pouvons nous demander si la dynamique rationnelle de Corail se retrouve en échec face à la spontanéité de Canaan.

-

Est-ce que la citoyenneté engendrée à Canaan aurait pu être freinée par la formalité du dispositif humanitaire et de la systématisation de la planification urbaine ?

-

Canaan peut probablement être considéré comme l'un des exemples les plus urgents d'Haïti où l'urbanisation informelle s'accompagne de risques environnementaux.

-

La clé de l'amélioration à long terme des conditions de vie ne peut être trouvée que par des solutions locales intégrées et intelligentes entre les disciplines de la conception urbaine, de la planification environnementale, de l'éducation et de l'économie.

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PARTIE IV CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES Marcel Roncayolo, urbaniste et géographe français, souligne dans son ouvrage « La ville et ses territoires » que « la ville, territoire particulier ou combinaison de territoires, est le produit d’un entrelacement de l’espace et du temps » (Roncayolo, 1997) 81 . Sa planification et sa gestion quant à elles, résultent théoriquement de l’action politique, des autorités publiques et de multiples acteurs aux intérêts divergents. Dans la société occidentale que nous connaissons aujourd’hui, l’urbanisme visant à aménager et à planifier la ville découle historiquement d’une croissance urbaine originellement ordonnée.

Toutefois, dans les pays en voie de développement faisant face à une croissance urbaine effrayante comme Haïti, cette gestion des politiques urbaines s’avère être un défi considérable. L’invasion ingérable de territoires dans un contexte économique, social et politique complexe semble marquer le dépassement d’un système de planification urbaine censé être efficace. L’analyse du phénomène urbain en Haïti par Clémentine Tribouillard énonce clairement que « la croissance rapide des villes haïtiennes s’est majoritairement

opérée de manière spontanée et désorganisée, en dépit des dispositions légales prévues et des plans ou schémas de développement, rarement ou partiellement mis en œuvre » (Tribouillard, 2016).

Ainsi, le séisme de 2010 a exposé la vulnérabilité et l’inefficacité des structures publiques haïtiennes en matière d’aménagement, de gestion et de planification urbaine. L’État haïtien fut fortement influencé par une Communauté Internationale qui a généré un sentiment global de supervision contrôlée. Or, le manque de gouvernance et de collaboration entre tous les acteurs du développement humanitaire contribuèrent à la création d’un vaste « bidonville » au nord de Port-au-Prince. Canaan est aujourd’hui un territoire de plus de 27 km² abritant 300 000 personnes livrées à elles-mêmes (Corbet, 2014). Cependant, au vu du peu d’initiatives des autorités publiques, la communauté de Canaan continue de grandir grâce à l’élaboration d’une structure communautaire de base veillant à l’organisation générale de l’espace et des besoins vitaux de ses habitants (Simeus, 2020).

De plus, en Haïti, l’aide internationale a été de manière générale axée sur le développement des infrastructures matérielles plutôt que sur l'investissement et le renforcement des capacités humaines. La population ne compte en grosse partie sur les ONG que pour résoudre les problèmes face à l'incapacité du gouvernement haïtien. Par ailleurs, Ricardo Seitenfus souligne dans son ouvrage « L’échec de l’aide internationale à Haïti », que « la charité ne peut pas être le moteur de l’aide internationale » (Seitenfus R. , 2015). Les Haïtiens ont bien compris que même si la Communauté Internationale se présente comme porteuse de nouvelles opportunités pour l’État, celle-ci est de manière informelle considérée comme une vache à lait dont il faut absolument tirer profit au maximum. Dans notre culture occidentale, l’humanitaire a toujours été perçu comme un don de soi pour une communauté dans le besoin. Qu’il s’agisse de pauvreté, de catastrophe humanitaire, de problèmes politiques, notre société reçoit et traduit cette information de façon impersonnelle. L’opportunité de pouvoir se plonger dans une société qui fonctionne de manière informelle nous a alors ouvert de nombreuses pistes de réflexion.

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Roncayolo, M. La ville et ses territoires, 2e éd., Paris, Folio Essais – Gallimard (1997)

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Sur base de la situation actuelle de la reconstruction en Haïti et particulièrement celle de Canaan, ce sont moins des réponses que des questionnements qui ressortent de notre travail. Est-ce que l’action communautaire, avec les habitants jouant un rôle clé dans la prise de décision, pourrait améliorer les conditions de vie amenant ainsi une véritable coopération au développement ? Est-ce qu’en étant intégrés dans un cadre multipartite, les outils et les stratégies de planification pourraient être utilisés, d’une part, afin de créer des logements abordables et résilients, et d’autre part, afin d’anticiper la continuité de l’occupation de zones à risques ?

L’implication des communautés au travers d’initiatives de quartiers semble être une opportunité grandissante afin d’impacter le changement sociétal haïtien. Évidemment, cette transformation ne peut être résolue uniquement par les architectes, les ingénieurs ou les planificateurs urbains. Intégrés dans un cadre plus large d'interventions sociales, éducatives et économiques locales, il est possible que les projets pilotes urbains puissent avoir un effet catalyseur sur le développement social d'une communauté. Ainsi, ces interventions urbaines locales peuvent créer un sentiment de responsabilité et d'appropriation à l'égard des infrastructures et de l'espace de vie, déterminant à long terme le succès ou l'échec d'un projet.

Cependant, nous nous devons de rester pragmatiques et la réalité d’un tel processus dépend évidemment des financements et d’un minimum de volonté politique. La question se pose alors de savoir si le gouvernement haïtien peut devenir un des principaux promoteurs de ce changement sociétal et s'il sera en mesure de réunir les fonds nécessaires à la mise en place de partenariats public-privé pour lancer un tel processus de développement à Canaan. Le tremblement de terre aura permis de mettre au point de nombreux outils et stratégies, qu’ils soient à échelle locale ou nationale. Ceux-ci semblent en voie d’intégrer de plus en plus les déficits frappants du pays en matière de développement urbain et environnemental. Dix ans après la catastrophe, il est important pour tous de savoir si les autorités étatiques sont désireuses et capables d'adopter une ligne de conduite transparente et proactive afin d’assurer à l’ensemble de la population haïtienne un meilleur accès aux services de base et une meilleure préparation aux catastrophes.

Une des questions principales au départ de l’élaboration de ce travail était de comprendre l’impact que pourrait avoir l’architecte en proposant ses compétences dans des situations d’urgence et de reconstruction post-traumatique. Ce questionnement a profondément évolué tout au long des recherches, des nombreuses remises en question, mais surtout lors de la confrontation de la théorie à la réalité. Une chose est sûre, lorsque l’on parle d’un sujet aussi délicat que la recherche de développement d’un territoire, d’une communauté, de l’habitant, l’apport continuel de solutions innovantes ou de nouvelles méthodologies de planification reste un élément à nuancer. En effet, ce travail aura permis une remise à niveau sur l’importance de l’humain avant tout autre chose. Peu importe la quantité des ressources mises en place, peu importe le nombre d’acteurs présents sur le terrain, si l’on n’agit pas en pleine conscience que chaque décision peut avoir un impact sur des êtres humains, alors notre place est sûrement autre part que dans le monde de la coopération au développement. En fin de compte, s’il y a bien une chose à retenir de ce travail, c’est qu’il n’est pas nécessaire de faire partie des grands, des imposants, des décideurs pour avoir un réel impact positif. Il suffit de faire en sorte que, peu importe l’échelle d’intervention, chaque chose que nous mettons en place compte.

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« Le problème du logement continuera certainement à fasciner indéfiniment les concepteurs et les étudiants, mais pour vraiment progresser dans ce domaine, ils doivent commencer par réaliser que leur but est d'aider ou de s'associer aux personnes en question. Et cela est impossible à réaliser sans un contact étroit avec la population défavorisée. Ce contact rendra obsolètes de nombreuses idées ingénieuses développées dans les confortables studios de design de Londres et de New York ».

(Davis, 1981)

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TABLE DES ILLUSTRATIONS Figure 1: Vue aérienne de Port-au-Prince, Haïti en 2020. ..................................................... 7 Figure 2 : Épicentre et intensité du séisme du 12 janvier 2010. ......................................... 1 Figure 3 : Canaan vu depuis Jérusalem 7. ................................................................................ 3 Figure 4 : Schéma méthodologique du travail .......................................................................... 5 Figure 5 : Dates clés de l'Histoire d'Haïti .................................................................................. 8 Figure 6 : Situation géopolitique d'Haïti. ................................................................................... 9 Figure 7 : Vue sur la plaine de la capitale depuis les hauteurs de Pétion-Ville, le 27 janvier 2020. ............................................................................................................................................ 10 Figure 8 : Augmentation de la population de Port-au-Prince, 1790-2010. ...................... 11 Figure 9 : Topographie d'Haïti. ................................................................................................. 12 Figure 10 : La ravine Madaniel située à Canaan s'agrandit de jour en jour, mettant en danger les constructions situées aux abords. Le 30 janvier 2020. .................................... 13 Figure 11 : Carte schématique des risques et aléas en Haïti. ............................................. 14 Figure 12 : Utilisation de pneus usés sur les pentes du quartier de Deprez pour créer un escalier tout en ralentissant l'écoulement de l'eau lors de fortes pluies. ........................... 16 Figure 13 : Déversement des déchets dans le quartier de Deprez. ................................... 16 Figure 14 : Déversement des déchets dans la ravine Georges. .......................................... 16 Figure 15 : Manifestation dans les rues de la capitale lors de Peyi Lock. ......................... 18 Figure 16 : Denses bidonvilles de Morne l'Hôpital, Port-au-Prince, 2013. ....................... 21 Figure 17 : Terrain à vendre sur les hauteurs de ONAVILLE, Canaan. Le 30 janvier 2020. ....................................................................................................................................................... 23 Figure 18 : Bien que la zone de Canaan soit un terrain d'État, nous pouvons voir de nombreux terrains à vendre par des particuliers. Par exemple ici, sur les hauteurs de ONAVILLE. Canaan. Le 30 janvier 2020. ............................................................................... 24 Figure 19 : Proximité et contraste entre l’informalité d’un bidonville et les pentes habitées de Pétion-Ville, 2020. ................................................................................................................. 25 Figure 20 : Évolution de la tâche urbaine entre 1980 et 2016 de la zone métropolitaine de Port-au-Prince. (Voir annexe 2) ......................................................................................... 26 Figure 21 : Pétion-Ville et les bidonvilles sur le flanc de montagne du Morne l’Hôpital. 28 Figure 22 : Hauteur du quartier de Déprez. Le 02 février 2020. ....................................... 30 Figure 23 : Quartier Haut-Turgeau, la Cité Georges. Le 02 février 2020. ........................ 31 Figure 24 : Contraste entre des constructions précaires et plutôt luxueuses dans le quartier de Déprez et Bas-Turgeau ......................................................................................................... 31 Figure 25 : Les dégâts du séisme dans une des rues de Port-au-Prince. ......................... 33 Figure 26 : Niveau d'exposition et population exposée au séisme du 12 janvier 2010.34 143

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Figure 27 : La cathédrale Notre-Dame de l’Assomption détruite lors du séisme de 2010. ....................................................................................................................................................... 35 Figure 28 : Discussion avec des habitants du camp Corail 3 lors de notre séjour en Haïti.

Le 30 janvier 2020..................................................................................................................... 37 Figure 29 : Carte du nombre de désastres naturels de 2000 à 2010.............................. 38 Figure 30 : « Pressure and release model » ............................................................................ 39 Figure 31 : Modèle de l’activité de rétablissement post-catastrophe ................................. 42 Figure 32 : Le bidonville de Jalousie, recoloré par le projet Jalousie en Couleur. ............. 53 Figure 33 : Projet Paper Log House. ....................................................................................... 55 Figure 34 : Projet abris d'urgence longue durée. .................................................................. 56 Figure 36 : Passage fréquent des habitants à côté du projet.............................................. 61 Figure 35 : Projet de plaine de jeux réalisée par le GRET en 2012 dans le quartier de BasTurgeau. ........................................................................................................................................ 61 Figure 37 : Organigramme général des communes dans Port-au-Prince. ......................... 65 Figure 38 : Schéma de la répartition des institutions haïtiennes au sein du système foncier. ....................................................................................................................................................... 67 Figure 39 : Organigramme du Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire. .... 69 Figure 40 : Rôles et mandats des acteurs de l’aménagement urbain et de l’habitat en Haïti. .............................................................................................................................................. 73 Figure 41 : Niveau de pouvoir et d'intérêt institutionnel. Les positions des différents groupes montrent où ils sont aujourd'hui et les flèches montrent où ils devraient idéalement être. Cercles clairs = acteurs nationaux. Cercles foncés = acteurs internationaux............................................................................................................................... 74 Figure 42 : Organigramme de la coordination des acteurs de la planification urbaine postséisme. .......................................................................................................................................... 75 Figure 43 : Les étapes de la planification urbaine ................................................................. 76 Figure 44 : La catastrophe avait fait 300 000 morts et détruit la capitale Port-au-Prince.

1,5 million de personnes étaient devenues sans-abris. Qu’en est-il des stratégies de reconstruction ? ........................................................................................................................... 77 Figure 45 : Membres actifs de la CIRH, 2010. ...................................................................... 78 Figure 46 : Conférence internationale des donateurs vers un nouvel avenir pour Haïti. New York, 2010. De gauche à droite : Mme Hillary Clinton, Mr Ban Ki-moon, Mr René Préval, Mr Bill Clinton. .............................................................................................................................. 79 Figure 47 : Tableau des besoins/contributions par Cluster. ................................................ 80 Figure 48 : Regroupement de population sur la Place Saint-Pierre suite au séisme de 2010. ............................................................................................................................................ 85 Figure 49 : Camp du Club de Golf de Pétion-Ville, 2010..................................................... 86 Figure 50 : Carte représentant les dégâts du séisme et les emplacements des camps à Port-au-Prince. 2010. ................................................................................................................. 87 144

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Figure 51 : Carte représentant l'ensemble des camps et des PDI après le séisme. 2010. ....................................................................................................................................................... 87 Figure 52 : Localisation des quartiers et des camps ciblés par le projet 16/6. ............... 88 Figure 53 : Exemples de projets réalisés dans le cadre du "16/6" - Projet pilote du Morne Hercule et passerelle reliant Morne Hercule et Nerette. ....................................................... 89 Figure 54 : Bâtiments endommagés à Port-au-Prince, évaluation réalisée par bloc urbain, 2010. ............................................................................................................................................ 91 Figure 55 : contraste entre à gauche un prototype étranger, la "pole-house", et à droite un prototype haïtien, construit en parpaing et en béton armé d'acier. .............................. 92 Figure 56 : Nouvelles habitations du quartier Zoranjé, 2013 ............................................. 93 Figure 57 : Dégradation de l'exposition, quartier Zoranjé, 2013. ...................................... 94 Figure 58 : Habitat mitoyen avec surface commerciale au rez-de-chaussée construit après le séisme. La zone centrale est un terrain de sport qui semble être toujours utilisé. Quartier Zoranjé, le 31 janvier 2020. ..................................................................................................... 94 Figure 59 : Le projet d’Iquique construit par l’agence Elemental : la maison appropriée. ....................................................................................................................................................... 95 Figure 60 : Résultats des nombreuses missions effectuées par l'ONG Build Change après le séisme de 2010. ..................................................................................................................... 96 Figure 61 : Utilisation de pneus usés pour renforcer les pentes d'une des ravines du quartier de Deprez. Cette installation permet de stabiliser le terrain, mais également de ralentir l'écoulement de l'eau lors des fortes pluies. Le 2 février 2020. ............................ 97 Figure 62 : Consolidation de la ravine Georges avec des bassins pour la rétention de la charge de débris réalisée par le GRET. Problématique : les travaux de consolidation se sont arrêtés à un moment, mais pas l'étalement urbain vers le haut du quartier. Le 02 février 2020. ................................................................................................................................ 99 Figure 63 : Aménagements dans la ravine Georges. Passerelle permettant la connexion entre la Cité Georges et la Cité Lucien. La ravine est travaillée en palier avec des aménagements publics comme des placettes ou même un terrain de basketball. Le 02 février 2020. ................................................................................................................................ 99 Figure 64 : Comparaison entre le schéma de planification standardisé et le schéma de planification d'urgence. ............................................................................................................ 100 Figure 65 : Représentation schématique des processus décisionnels Top-down et Bottomup. ............................................................................................................................................... 101 Figure 66 : Une vue post-tremblement de terre de Delmas 32, un quartier dense situé de chaque côté d'un ravin escarpé au centre de Port-au-Prince, 2011. .............................. 103 Figure 67 : La première étape du processus de planification a impliqué la collecte et la compilation de données cartographiques officielles avec les commentaires des groupes de discussion communautaires. ............................................................................................. 104 Figure 68 : Représentation schématique des processus et productions de l'aide internationale............................................................................................................................. 105 145

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Figure 69 : Étalement urbain des plaines jusqu'au flan des montagnes de la zone est de Canan. Janvier 2020. ............................................................................................................... 109 Figure 70 : Localisation de Canaan dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. ... 110 Figure 71 : Représentation schématique de l'agglomération de Port-au-Prince. .......... 112 Figure 72 : Tracé des quatre camps originellement prévus dans la zone de Canaan, 2010. .................................................................................................................................................... 112 Figure 73 : Vue aérienne du camp Corail Secteur 4, son organisation sectorielle et les abris temporaires, juillet 2010. .............................................................................................. 114 Figure 74 : T-Shelter dans le camp Corail Secteur 4 ......................................................... 114 Figure 75 : Découverte du camp Corail Secteur 4. Les T-Shelters originels sont toujours présents, mais la population commence à construire en dur autour des abris temporaires.

Janvier 2020. ............................................................................................................................ 115 Figure 76 : Le projet du Village ONA au pied des pentes abruptes de Morne-à-Carbis.

Haut-Onaville, avril 2013. ....................................................................................................... 117 Figure 77 : Même localisation mais en janvier 2020. Nous pouvons voir que les pentes raides ont été envahies progressivement. ............................................................................ 117 Figure 78 : vue de l’étalement urbain de Canaan depuis les hauteurs du quartier de HautJérusalem, janvier 2020. ......................................................................................................... 121 Figure 79 : la ravine Madaniel est aujourd'hui utilisée comme une artère de communication lorsqu'elle est asséchée. L'extrusion exponentielle de la ravine inquiète les habitants de Canaan comme notre guide Salma Simeus. Janvier 2020. ............................................... 122 Figure 80 : La ravine Madaniel, 2013. ................................................................................. 123 Figure 81 : La ravine Madaniel, 2020. ................................................................................. 123 Figure 82 : Processus multi-scalaire de l'initiative de développement urbain de l'UCLBP. .................................................................................................................................................... 125 Figure 83 : Délimitation des parcelles grâce aux matériaux réutilisés comme des bâches ou des tôles dans le camp Corail secteur 4. Janvier 2020 ............................................... 126 Figure 84 : Représentation de la systématisation des processus top-down et bottom-up, amenant à un processus d'auto-gestion comme à Canaan. ............................................. 129 Figure 85 : Représentation de la boucle infinie du processus décisionnel. Lorsqu'un territoire évolue dans ce cycle, les acteurs peuvent réagir en se concentrant sur la passion, la raison ou le pouvoir. ............................................................................................................ 131 Figure 86 : Discussion avec des habitants du camp Corail secteur 4. Janvier 2020. .. 133 Figure 87 : Représentation cyclique des phases du processus de reconstruction. ....... 134 Figure 88 : Délimitation des quartiers de Canaan réalisées par l'UCLBP. ...................... 152 Figure 89 : Zonage des risques d'inondation de la zone est de Canaan, 2013. .......... 153

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Tableau 1 : Missions des Nations Unies en Haïti (1993-2014). ....................................... 17 Tableau 2 : Tentatives antérieures d’aménagement urbain de Port-au-Prince.................. 29 Tableau 3 : Structures administratives en Haïti. ..................................................................... 65 Tableau 4 : Estimation des fonds attribués aux différentes solutions de logement, mai 2012. ......................................................................................................................................... 113

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INDEX LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS ARC CCCM CI CIAT CIRH CNIGS HCR MEF MICT MINUSTAH MPCE MTPTC NRC OCB OCDE OCHA OEA OMS ONG ONGAT ONU OSM PARAQ PARDNH PDI PNUD SILQ UEH UCLBP UNESCO UN-HABITAT UNHCR URD USAID

American Refugee Committee Groupe de Coordination et de Gestion des Camps Communauté Internationale Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire Commission Intérimaire pour le Reconstruction d’Haïti Centre National de l’Information Géospatiale Haut-Commissariat pour les Réfugiés Ministère de l’Économie et des Finances Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriale Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti Ministère de la Planification et la Coopération Externe Ministère des Travaux Publics, Transports et Communications Norwegian Refugee Council Organisation Communautaire de Base Organisation pour la Coopération et le Développement Économique Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies Organisation des États Américains Organisation Mondiale de la Santé Organisation Non Gouvernementale Organisation Non Gouvernementale Transnationale Organisation des Nations Unies Open Street Map Programme d'appui à la reconstruction et l'aménagement de quartiers Plan d’Action pour le Relèvement et le Développement National d’Haïti Personnes Déplacées Intérieurement Programme des Nations Unies pour le Développement Système d’Information sur le Logement et les Quartiers Université d’État d’Haïti Unité de Construction de Logements et de Bâtiments Publics Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture United Nations Human Settlements Program United Nations High Commissioner for Refugees Groupe Urgence et Réhabilitation Agence des États-Unis pour le Développement International

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LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES BIEN-AIME Jacques, UCLBP – Directeur Division Relogement et Réhabilitation de Quartiers.

BOUCHEREAU Karine, praticienne architecte en Haïti, formation supplémentaire en aménagement du territoire, enseignante à la Faculté des Sciences section Architecture de l’Université d’État d’Haïti.

COGELS Serge, sociologue et anthropologue belge.

FAUTREZ Jean et Christine, architectes de formation, praticiens en Belgique, depuis 1992 responsables de l’ONG belge d’auto-développement OCIRIZ, architectes humanitaires en Haïti depuis 2012.

GUERRIER Kelly, ingénieur en génie civil, doctorant et professeur à l’UEH. HANNEMANN Johann-Christian, architecte paysagiste allemand ayant travaillé sur Canaan et particulièrement Haïti.

JADOTTE Louis-Edouard, ingénieur en génie civil, ONU-Habitat JEAN Guerline, urbaniste haïtienne, travaille pour l’UCLBP dans la Division Relogement et Réhabilitation de Quartiers.

LESPINASSE Anne, directrice des programmes pour l’ONG GOAL. SIMEUS Salma, leader communautaire de Onaville.

THÉODAT Jean-Marie, géographe, professeur à l’Université d’État d’Haïti, responsable du master URBATER (urbanisme résilient en territoire à risque).

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ANNEXES Annexe 1 : Schéma méthodologique du travail Source : Réalisé par Thomas Dupont, 2020.

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Annexe 2 : Évolution de la tâche urbaine entre 1980 et 2016 de la zone métropolitaine de Port-au-Prince

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Source : Production personnelle, sur base des données de l’UCLBP, 2020.

Figure 88 : Délimitation des quartiers de Canaan réalisées par l'UCLBP.

Annexe 3 : Carte des délimitations des quartiers de Canaan

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Annexe 4 : Carte des risques d’inondation dans la zone est de Canaan Figure 89 : Zonage des risques d'inondation de la zone est de Canaan, 2013.

Source : Johann-Christian Hannemann, 2013.

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Annexe 5 : Extrait du livre de Yannick Lahens Failles Dans son roman Failles, l’écrivaine haïtienne Yanick Lahens décrit l’informalité du peuple haïtien au lendemain du séisme comme ceci :

« Je ne peux savoir quelle forme prendra ce déplacement de population, exode vers les provinces certainement, mais, dans l’espace urbain, je ne sais pas. Ce dont je suis certaine, c’est que ces femmes et ces hommes lâchés le long des routes ont un flair, un nez bien à eux. Cela fait deux siècles qu’ils ne croient plus ni aux gouvernements ni aux promesses des hommes politiques, ni à celles des pouvoirs économiques, ni à celles des intellectuels, ni à moi, ni à vous. Quand il leur est arrivé de croire, ils ont toujours vite déchanté. La défiance est aujourd’hui endémique, structurelle. Et pour cause. Cela fait deux siècles qu’ils ont pris le pli d’avancer seuls dans l’histoire. Sans personne pour leur tenir la main pour leur indiquer un chemin. Cela fait deux siècles qu’ils esquivent tous les gouvernements, tous les hommes politiques, tous les pouvoirs, avant même que ces gouvernements, ces pouvoirs ou ces hommes les ignorent. Ils ont cette longueur d’avance-là qui fait qu’ils les prennent tous toujours de court. Aujourd’hui, plus aucun gouvernement, plus aucune instance internationale, plus aucune ONG, ne peut les rattraper. Ils sont réfractaires à toute prise ? Ce flair est bien plus qu’une posture, mieux qu’une stratégie, c’est un savoir. Ce savoir ne repose sur aucun espoir dans les pouvoirs ou dans des lendemains qui chanteront. Son postulat premier est précisément que l’espoir n’est pas la seule réponse. Si l’exclusion a donné les résultats que nous connaissons, ce savoir-là peut-il être une issue aujourd’hui ? » (Lahens, 2017)

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Annexe 6 : Hymne de Canaan Version originale : Mme Lubin Traducteurs : David Douyon et James Saint-Cyr DicT: Douyon Interpretation Consulting translation & Travelling VERSION ORIGINALE CRÉOLE Nou menm pèp Kanaran, nou jire devan lemonn n ap batay jiska sa kaba pou peyi nou ka devlope, nou jire devan lemonn nou pa vle esklav ankò, toupatou sou latè pa gen ti pèp pa gen gwo pèp.

An nou fè yon sèl chemen menm si nou diferan pa gen yon lòt sinans ki pou klere pou fè n konnen se sinans lamizè, konplo, imilyasyon ; ki rann nou kokobe depi ayè jouk jodi a.

Fanm tankou gason, jèn tankou timoun, an nou mete vayan sou nou pou lòt nasyon ka respekte n an nou fè yon blòk solid an nou mache men nan lamen, tras zansèt yo te trase a fòk nou pa kite yo disparèt.

Kanaran se pou nou fòk nou pa di nou pa mele okontrè lè n libere se yon viktwa, se yon lonè.

An nou fè yon sèl chemen menm si nou diferan pa gen yon lòt sinans ki pou klere pou fè n konnen se sinans lamizè, konplo, imilyasyon ; ki rann nou kokobe depi ayè jouk jodi a.

Nou menm pèp Kanaran k ap mache anba drapo Desalin ak Katrin Flon te sakrifye pou akouche li a, nou deklare libète oubyen lanmò, fòk Kanaran libere pou tout moun kab viv alèz.

An nou fè yon sèl chemen menm si nou diferan pa gen yon lòt sinans ki pou klere pou fè n konnen se sinans lamizè, konplo, imilyasyon ; ki rann nou kokobe depi ayè jouk jodi a.

TRADUCTION FRANCAISE Nous, peuple de Canaan, Nous jurons devant le monde de nous battre jusqu’à notre dernière souffle pour le développement de notre communauté. Nous jurons devant le monde de ne plus être esclave, d’ici ou d’ailleurs, sur cette terre, il n’y a pas de peuple supérieur à un autre.

Refrain Faisons la route ensemble même si nous sommes différents. Il n’y a pas d’autres obstacles qui peuvent nous éclairer et nous faire connaitre la voie, c’est sont les obstacles de la misère, du complot et de l’humiliation qui nous handicapent depuis toujours.

Les femmes comme les hommes, les jeunes comme les enfants, Faisons front commun pour nous faire respecter. De l’aide ou des imposteurs ne doivent pas nous empêcher de voir ce système qui nous détruit. Faisons front commun, marchons main dans la main, en suivant les traces de nos ancêtres pour qu’elles ne disparaissent pas. Canaan est à nous, il ne faut pas dire que nous ne sommes pas concernés au contraire, sa libération sera notre victoire, notre honneur.

Faisons la route ensemble même si nous sommes différents. Il n’y a pas d’autres obstacles qui peuvent nous éclairer et nous faire connaitre la voie, c’est sont les obstacles de la misère, du complot et de l’humiliation qui nous handicapent depuis toujours.

Nous, peuple de Canaan, qui marchons sous l’ombre du drapeau de Dessalines et de Catherine Flon, qui se sont sacrifiés pour nous accoucher cette belle victoire, nous déclarons la liberté ou la mort, il faut que Canaan soit libéré pour que tout le monde puisse vivre dignement.

Faisons la route ensemble même si nous sommes différents. Il n’y a pas d’autres obstacles qui peuvent nous éclairer et nous faire connaitre la voie, c’est sont les obstacles de la misère, du complot et de l’humiliation qui nous handicapent depuis toujours.

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Annexe 7 : Carte de la densité du bâti en 2010 Source : CNIGS

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Annexe 8 : Carte montrant l’évolution de la tâche urbaine entre 1998 et 2014 Source : CNIGS

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Annexe 9 : Texte inspirant de A. Maugard, D. Marchand, E. Bailly. Biodiversité urbaine pour une ville vivante, Levallois-Perret, 2019.

« DM : La nature peut aussi se montrer dévastatrice. Il faut faire attention à ne pas tomber dans le piège d’une nature idéalisée, d’une vision intellectualisée purement positive et restauratrice. Ce serait oublier que nous sommes depuis toujours exposés aux tempêtes, aux éruptions volcaniques, aux inondations et aux tremblements de terre. L’une des premières quêtes de l’être humain n’a-t-elle pas été de trouver un abri ?

L’habitat est né du besoin d’un espace refuge contre les agressions extérieurs comme la chaleur et le froid. Une vaste littérature en psychologie du risque montre que la nature est aussi une source de peurs archaïques liées à ces menaces. Les risques naturels font d’autant plus l’objet d’inquiétudes qu’ils sont amenés à s’aggraver avec l’urbanisation et le dérèglement climatique.

Les personnes confrontées à la destruction de leur habitat à la suite d’une catastrophe naturelle subissent une perte violente et profonde. C’est là toute la problématique de la résilience : la reconstruction personnelle doit se faire avec la reconstruction de l’espace de vie. Au-delà) de leur dimension morbide et des dégâts provoqués dans le « chez-soi », la destruction d’un espace personnel est une agression violente qui fait perdre une partie de soi-même. Ces risques font partie de la nature.

AM : Nous avons effectivement tendance à oublier à quel point la nature peut parfois se montrer dévastatrice. Face à l’expression de ses forces, urbains et ruraux affichent un tempérament différent. Dans nos campagnes, on observe une forme de fatalisme face à ce que nous dépasse. Les habitants appellent rarement à l’aide en cas de coup dur. Ils se débrouillent et ne sollicitent les pouvoirs publics que dans les cas les plus graves. La réaction est tout autre en ville, dans cet espace artificiel que l’urbain pense totalement maitriser. Dans l’esprit des citadins, la ville ne doit jamais subir le moindre aléa. Si la voirie n’est pas immédiatement déneigée, c’est la catastrophe.

En s’exprimant parfois violemment, la nature remet les urbains à leur place. Elle les renvoie à la condition d’Homme, impuissant face aux forces de la nature.

Même dans l’optique louable de la ville résiliente, il me semble que l’Homme devrait conserver une forme d’humilité face aux forces de la nature. A l’image des habitants des iles tropicales exposées aux cyclones qui acceptent cette fatalité et s’organisent pour souffrir le moins possible. Je ferai une exception concernant l’attitude face au risque sismique : là, l’Homme essaie de contenir les risques, de résister même coute que coute.

Tokyo, Santiago du Chili, les villes californiennes et bien d’autres encore adoptent une position offensive vis-à-vis du risque sismique. » (Maugard & Marchand, 2019)

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