Low-cost, un nouveau récit du voyage aérien

Low-Cost Un nouveau récit du voyage aérien

Thomas Charly Julo

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Photo de couverture : Stofleth Bertrand, tirée de la série Aéropolis, Aéroport de Paris-Beauvais, 2014 - 2016

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Thomas Charly Julo

LOW-COST

Un nouveau récit du voyage aérien

École nationale supérieure d’architecture de Paris Malaquais Séminaire PASS 2017-2019 Les conditions contemporaines du projet : représentations, narrations… fictions ?

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Avant-propos

L’objet d’étude m’est apparu évident. La recherche exposée cidessous est motivée par un engouement personnel pour les aéroports. Depuis toujours, je partage avec mon frère un attrait pour les transports - qu’ils soient aériens, ferroviaires, terrestres ou nautiques ; malgré nos parcours divergents nous nous retrouvons encore aujourd’hui autour de ces thématiques. Il suit actuellement une formation de pilote de ligne et il me sera, j’en suis certain, d’une aide précieuse dans ce travail.

Chacune des visites - ou devrais-je dire « passages » – dans un aéroport, laisse en moi une impression particulière. Je fais l’hypothèse qu’il en est de même pour chacun d’entre nous, rares sont les personnes insensibles au voyage.

L’aéroport est une expérience en soi. C’est à travers ma pratique du voyage que j’ai pu constater à quel point les perceptions de ces lieux peuvent être différentes. Par exemple, c’est après avoir été bloqué une nuit entière dans l’aérogare de l’aéroport international de Pékin - pour cause d’un refus de visa - que j’ai pris conscience du caractère contraignant que peut prendre un espace de transit. Paradoxalement, l’aéroport se vit parfois comme un événement. Ayant grandi à Paris, j’ai eu la chance de décoller ou d’atterrir à de nombreuses reprises à l’aéroport de Paris Charles de Gaulle. L’architecture du terminal 1 accompagne alors le voyage et vient souligner l’excitation de partir ou la joie de revenir.

Plus récemment, j’ai pu découvrir une toute autre vision du voyage aérien lors d’un vol Belgrade – Paris-Beauvais, opéré par une compagnie low-cost hongroise à la fin de l’été 2016. Ce mode de transport à bas coût m’a fait découvrir une conception nouvelle du voyage, un nouveau récit.

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Introduction

Le 17 décembre 1903, les frères Wright font décoller le premier vol motorisé de l’histoire de l’aviation. Un vieux rêve se réalise enfin : l’Homme est désormais capable de se déplacer dans les airs. Depuis plus d’un siècle, le domaine de l’aviation ne cesse d’évoluer, son développement à l’échelle globale a considérablement changé la géographie du monde et la façon dont nous le percevons. Le transport aérien est devenu commun et très normalisé. En 2017, année la plus sûre de l’histoire du transport aérien, aucun avion de ligne de plus de 20 places n’a connu d’accident fatal.1 Aujourd’hui, voyager en avion peut paraître complètement banal, mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Battre la gravité terrestre a toujours fasciné les Hommes, l’aviation et ses évolutions technologiques ont alors été amplement représentées.

Lorsque l’imaginaire s’empare de cet univers purement fonctionnel, il se charge alors d’une sémantique et d’un esthétisme nouveau. En effet, le voyage en avion peut-être synonyme d’émotion, signifiant un départ en voyage ou un retour chez soi, c’est une expérience marquante, pouvant être vécue comme fascinante, excitante ou bien même traumatisante.

A partir des années 1950, en faisant appel à de nouveaux acteurs (étrangers au monde technique de l’aviation) tels que les designers et architectes, l’univers aéronautique est conçu dans un « design global ». De l’habillement du personnel navigant, aux inscriptions recouvrant les avions, jusqu’à la conception des infrastructures de transport, tout est pensé pour entretenir le récit du voyage.

Cependant, l’industrie aéronautique étant étroitement liée à son contexte économique, les priorités et stratégies des décideurs varient au grès de la demande. Ainsi, l’aviation commerciale a connu de

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D’après le rapport 2017 sur la sécurité du transport aérien par l’Aviation Safety

grands bouleversements ces dernières années avec l’apparition d’un nouveau paradigme, le low-cost.

Si les modes de transports aériens sont très variés et peuvent prendre différentes formes, un facteur reste toutefois intrinsèquement lié à leurs fonctionnements : l’aéroport. Ils se comptent par milliers2 dans le monde, leurs tailles, aspects et fonctionnements sont diverses.

En l’espace d’un siècle, les terrains d’aviations isolés ont progressivement évolué pour donner place à de véritables machines à flux. L’aéroport moderne, tel que nous le connaissons, reste encore en perpétuelle évolution. Auparavant solitaires, excentrés, en périphérie des villes, fonctionnels et monomodaux, les aéroports sont devenus des hubs super connectés. Ces plaques tournantes de l’information deviennent alors de véritables entités urbaines, très attractives et offrant des services variés et de grandes qualités, au point même d’entrer en compétition avec les villes qu’ils desservent.

Cependant, se développe en parallèle un nouveau modèle de transport aérien, aux antipodes de ce que représente ces mégas aéroports mondiaux. L’aviation low-cost introduit un tout nouveau modèle de transport aérien, bouleversant ainsi les prévisions à grande échelle du monde des compagnies nationales, des alliances et de leur hubs, pivots de l’aviation commerciale classique.

Tandis que les compagnies pionnières investissent de plus en plus dans des grandes infrastructures et que les avions transportent de plus en plus de passagers, l’aviation low-cost gagne du terrain en proposant un nouveau système.

En 2016 son poids n’est plus négligeable, le cap du milliard de passagers transporté par an est franchi, soit 28% du trafic mondial.

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On compte plus de 17 000 aéroports commerciaux dans le monde en 2017, selon l’l’organisation de l’aviation civile internationale (OACI).

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Il me paraît aujourd’hui pertinent de s’interroger sur un phénomène récent, en contradiction avec un modèle classique.

Le low-cost modifie nos modes de déplacements, nos habitudes mais surtout notre appréhension du voyage et la perception de la géographie.

Quels récits produit alors cette nouvelle façon de voyager ? Quelles infrastructures accueillent ce mode de transport ? Et enfin, quel rôle joue l’architecture dans ce nouveau système ?

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Méthodologie

Dans un premier temps, je souhaite porter un regard assez large sur la question, pour ainsi maîtriser le sujet dans sa totalité. Ainsi en accumulant des informations venant d’univers différents (littérature spécialisée, culture populaire, expérience personnelle..), j’aurai une compréhension plus juste du monde de l’aviation civile, de son Histoire, son fonctionnement, son iconographie et des facteurs qui l’animent.

L’aéroport est amplement représenté et la communication visuelle y joue un rôle très important, dans ce sens, mon travail rédactionnel s’accompagne de recherches graphiques et visuelles. Les documents analytiques et descriptifs que j’ai produits viennent accompagner et surligner mes propos. Une mise en page particulière rend cette double lecture possible et pertinente.

Pour mettre à jour les divergences qui existent entre deux paradigmes, j’ai sélectionné deux objets d’études, c’est-à-dire deux aéroports m’ayant marqués, et qui représentent à eux-mêmes la dualité entre le monde de l’aviation classique et le low-cost : l’aéroport de Paris Charles-de-Gaulle et l’aéroport de Paris-Beauvais.

Après avoir élaboré une analyse comparée - théorique, mais aussi sensible, appuyée sur une étude in situ - le but est de faire dialoguer ces deux lieux que tout oppose, à travers les récits de voyages qu’ils génèrent. Pour traiter du récit de l’aéroport il me paraît pertinent de créer une narration, d’inventer ou de retranscrire différents récits et expériences afin d’affirmer et d’illustrer ma réflexion.

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État de l’art

A l’image d’autres grandes avancées technologiques qui ont bouleversées l’Histoire, l’aviation continue de fasciner les esprits.

Nombreux sont ceux qui ont écrit et résumé l’évolution de la conquête du ciel. Mon objectif n’est donc pas d’exposer l’histoire de l’aviation, déjà très bien documentée dans l’ouvrage de Jean-Jacques Dufour « Une histoire de l’aviation commerciale » qui dresse le tableau de cette épopée, depuis le début du XXème siècle jusqu’à nos jours.

Ce sujet ayant un fort aspect technique, on dénombre une multitude d’écrits théoriques et scientifiques ayant pour but d’énoncer des procédés de conceptions ou d’expliquer des processus économiques, physiques, mathématiques, etc. Richard de Neufville, ingénieur, théoricien et professeur au MIT est un spécialiste de la question et a donné de nombreux cours sur la conception d’aéroports complexes.

Son ouvrage clé, « Airport Systems » est aujourd’hui une œuvre de référence quant au fonctionnement des aéroports.

D’un point-de-vue sociétal, on citera le livre de Marc Augé, paru en 1992, sur le sujet des espaces de transit et lieux de transports. À travers son anthropologie du quotidien, l’auteur définit des espaces d’anonymat, s’opposant en tous points aux lieux habités.

Le monde de l’aviation est aussi largement représenté dans la culture populaire : l’aéroport y joue un rôle significatif, représentant tantôt un lieu d’évasion, de contrainte, de retrouvaille, d’adieux, de départ ou d’arrivée.

Pour ce qui est du low-cost les écrits sont bien moins abondants, le sujet étant encore trop contemporain et en constante évolution.

Toutefois, on trouve de nombreux articles dans la presse spécialisée ; le thème du transport low-cost y est abordé de manière analytique et scientifique. Alexandre Friederich est à ma connaissance un des seuls auteurs à avoir retranscrit dans son livre « EasyJet » le nouveau récit que génère ce mode de transport.

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Sommaire I. Une histoire aéroportuaire : voyager en avion, des débuts de l’aviation à nos jours

Age d’or de l’aviation, massification des flux et avènement du lowcost Dans cette partie introductive, les bases propices à la compréhension du sujet sont posées. Afin de situer le lecteur dans le contexte, je présenterai une histoire exhaustive de l’aviation commerciale, toujours très liée aux innovations techniques et à l’univers fictionnel qui l’entoure.

En dressant le portrait de certains lieux et acteurs ayant faonné l’image et le mythe aéroportuaire, j’expliquerai les différents paradigmes et fonctionnements de ce monde complexe.

La fin de ce chapitre s’ouvre sur une série de documents graphiques à caractère analytique.

II. Etude de cas : deux objets architecturaux aux antipodes - L’aéroport de Paris Charles-de-Gaulle : le hub - L’aéroport de Beauvais-Tillé : le modèle low-cost

Chacune de ces deux sous-parties portant sur un aéroport se décomposent en deux temps : Premièrement, à travers une analyse architecturale et fonctionnelle je démêlerai la réalité complexe de ces lieux techniques en les plaçant dans leur contexte.

Ensuite, mon attention se portera sur l’aspect fictionnel de ces lieux en développant les notions d’images, de ressenti et d’expérience.

III. L’expérience du voyage et le récit de l’aéroport - Vol TK1828 : Paris Charles-de-gaulle – Istanbul Ataturk - Vol FR4984 : Paris-Beauvais – Venise-Trévise

A l’image d’Alexandre Friedrich dans son livre « easy-jet » je souhaite relater l’expérience du voyage aéroportuaire.

Basées sur mon expérience ou celles de mes proches, deux narrations fictionnelles illustrent ainsi les différents récits que produisent les modes de transports explicités dans cet ouvrage.

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Glossaire

Pour les acronymes ou certains mots de vocabulaire spécialisé l’utilisation du terme anglais est préférée car bien plus rependue dans le domaine de l’aviation. Les termes en anglais apparaissent en italique dans le texte.

ADP : (Aéroport de Paris) Société privée exploitant les aéroports Parisiens dès 1945. Aujourd’hui classé 3ème acteur aéroportuaire mondial, l’entreprise gère 22 plateformes à travers le globe.

Aérogare : Bâtiment de l’aéroport destiné à accueillir les voyageurs.

Aéronautique : Sciences et technologies ayant pour but de construire et faire évoluer un aéronef dans l’atmosphère terrestre.

Aéronef : Moyen de transport capable de s’élever et de se mouvoir dans les aires.

Aéroport : Ensemble des installations techniques et commerciales nécessaires à l’exploitation des transports aériens.

Airlines Deregulation : Loi américaine de dérégulation du transport aérien signée en 1978. En suivant le modèle américain, la libéralisation du ciel européen s’opèrera au courant des années 90.

Airport city : (Ville aéroportuaire en français). Zone située en land-side (voir ci-dessous) à proximité de l’aéroport regroupant des activités commerciales n’étant pas directement liées à l’aviation.

Alliances : Accords de coopération entre compagnies aériennes partenaires partageant leurs hubs et centrales d’achats.

Aujourd’hui trois grandes alliances se partage le marché mondial: Star alliance, Skyteam et Oneworld.

Avitaillement : Procédure consistant à préparer et fournir des vivres, et du carburant à un aéronef stationné au sol.

Charter : Vol commercial organisé en dehors des lignes à horaires réguliers par un avion d'une compagnie aérienne affrété (loué) par un intermédiaire.

Code IATA : L’IATA (voir ci-dessous) assigne des codes de 3 lettres aux aéroports (CDG pour Charles-de-Gaulle par exemple), et des codes de 2 lettres aux compagnies aériennes (AF pour Air France par exemple). Ces codes sont utilisés dans le monde entier afin de faciliter la communication.

Court / moyen / long courrier : On considère un vol court courrier lorsqu’il couvre une distance inférieure à 1000km, moyen courrier jusqu’à 3500km, un vol long courrier peut allez jusqu'à 15 000km. On parle de petit/moyen/grand porteur pour désigner les avions correspondants.

DGAC : (Direction générale de l’Aviation civile). Administration française chargée de réglementer et de superviser les activités de l'aviation civile.

Dutyfree : Zone commerciale se situant en air side (voir ci-dessous) et bénéficiant à ce titre de la législation internationale en terme de taxe.

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Freight : (Fret ou Cargo en français). Ensemble des marchandises transportées, peut s’appliquer au transport d’animaux mais jamais aux passagers (PAX).

Hub : (Plate-forme de correspondance aéroportuaire) Aéroport choisit par une compagnie aérienne pour y installer sa base commerciale, administrative et technique et y opérer l’ensemble de ces correspondances.

Hub to spokes : (littéralement « du moyeu aux rayons » en anglais) Réseau de vols organisés autour d’un hub, toutes les destinations sont ainsi reliées entre-elles par des liaisons transitant par la plateforme de correspondance.

IATA : (International Air Transport Association). Organisation internationale des sociétés de transport aérien créée en 1945.

ICAO : (International Civil Aviation Organisation). Organisation internationale dépendant des Nations-unies. Son rôle est de participer à l’élaboration des normes qui permettent la standardisation et sécurisation du transport aéronautique international.

Land side / air side : Littéralement traduisible par côté terre / côté air.

Le territoire de l’aéroport est ainsi divisé en deux zones. La frontière entre ces espaces est marquée par le passage des contrôles de sécurités et de la douane dans le cas d’un aéroport international. La partie air side est hermétique, elle n’est accessible que par les passagers munis de billet et le personnel de l’aéroport.

Low-Cost : Compagnies aériennes à bas coût apparues suite à la dérégulation du transport aérien.

Mall : Galerie commerçante couverte et climatisée regroupant un grand nombre de magasins et services.

PAX : Désigne les personnes lorsqu'il s'agit d'en connaître le nombre, dans les mondes aéronautique, militaire, du transport et du tourisme.

Point to point : Réseau de vol utilisé par les transporteurs low-cost et fonctionnant directement d’un point à l’autre, sans correspondance.

Rotation : Période entre laquelle un avion arrive à son point de stationnement et le moment où il en repart, une série d’opérations y sont alors effectuées : déchargement et chargement des bagages, inspection de l’avion, avitaillement, nettoyage de la cabine, débarquement et embarquement des passagers.

Tarmac : Surface pavée de l’aérodrome réservée au trafic et au stationnement des avions.

Taxes aéroportuaires : Ensemble des redevances prélevées sur le prix d’un billet d’avion par les compagnies aériennes, puis reversées aux autorités hébergeant l’avion sur son sol. Ces taxes sont dédiées au financement de services et d’infrastructures du milieu aéronautique.

Taxi : Désigne la phase précédant le décollage et suivant l'atterrissage pendant laquelle l'aéronef se déplace au sol en utilisant son propulseur. Sur les grands aéroports les durées de roulage peuvent atteindre une quinzaine de minutes ce qui représente une part non négligeable du carburant consommé par les avions.

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I. Une histoire de l’expérience aéroportuaire : voyager en avion, des débuts de l’aviation à nos jours Age d’or de l’aviation, massification des flux et avènement du low-cost

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Embarquement du premier vol PanAm reliant la Floride à Cuba. Photographie 1928, issue de Pan Am: History, Design and Identity, M. C. Huhne, 2017, Callisto Publishers.

Opérations d’avitaillement et d’embarquement d’un Airbus A380 à l’aéroport de Sydney. Photographie 2007 James Morgan.

Débarquement des passagers d’un vol Ryanair à l’aéroport de Bruxelles-Charleroi. Photographie 2008 Robin Townsend.

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L’invention-spectacle

Comment évoquer la conquête de l’air sans prendre en compte sa médiatisation ? S’opérant dès les premiers décollages, la large diffusion des exploits d’aviateurs est facilitée par un engouement collectif dans une société où se développent les nouveaux médias de masse.

Ouvrant les portes d’un monde qui suscite une fascination éternelle, la révolution aéronautique qui s’engage au début du XXème siècle n’enthousiaste pas seulement les initiés. Nombreux seront les architectes, artistes et penseurs à s’exalter devant les prouesses qui révolutionnent leur époque. Le Corbusier souligna d’ailleurs le caractère prodigieux des exploits aériens français dès 19093.

La médiatisation de masse n’aurait pu se faire sans la récupération du caractère spectaculaire de l’univers aéronautique par les médias. On assiste très rapidement à une mise en scène de l’innovation technique dans de grands spectacles sensationnels, « on veut voir pour y croire »4. Les meetings aériens transportent les spectateurs dans un monde s’apparentant à celui des compétitions sportives, les aviateurs et aviatrices vedettes battent des records en public et survolent les villes à l’occasion d’évènements importants (fig.2).

La photographie - en plein essor au début du XXème siècle - s’empare elle aussi de ce phénomène nouveau. Qu’ils soient pris en contreplongée, du sol vers le ciel ou directement depuis le cockpit, les exploits photographiques soulignent les dynamiques vertigineuses des aéronefs en plein vol, et amplifient un nouvel imaginaire planant autour de l’aviation. Jaques Henri Lartigue capturera les avions sillonnant le ciel de l’aérodrome d’Issy-les-Moulineaux, les photos

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Le Corbusier, Sur les quatre routes, l’automobile, l’avion, le bateau, le chemin de fer, 1941, Paris, Denoël, 1970, p.138 4 Roseau Nathalie, 2012, Aerocity, quand l’avion fait la ville, Marseille : Editions Parenthèses, p.21-31

sont publiées dans des journaux spécialisés5 qui rencontrent un franc succès au sein du grand public.

Il faudra plus de 40 ans pour que l’invention aéronautique se développe : l’expansion du réseau de liaisons à l’échelle mondiale, réservé à une clientèle privilégiée ne se fera qu’à la fin des années 1920. Au sortir de la guerre, la diffusion commerciale se fera quant à elle à la faveur des avancés technologiques de l’aviation militaire.

Guerre aérienne et progrès technique

L’aviation fut massivement utilisée lors de la seconde guerre mondiale, arme stratégique ayant permis aux armées de remporter de grandes victoires. La guerre aérienne des bombardements, traumatisante et inégale pour les populations des villes ciblées, causa d’innombrables victimes et destructions et marqua à jamais les esprits. Si l’utilisation d’aéronefs comme arme de guerre déçut ceux qui voyaient en l’aviation une utopie mondialiste de paix universelle, le conflit permit tout de même de rendre la mobilité aérienne à portée de main. A l’image de toutes autres grandes guerres, cette période fut porteuse d’importantes innovations. En l’espace de quatre ans les techniques aéronautiques ont fait un bond considérable6, offrant ainsi de formidables perspectives en ce qui concerne l’avenir du transport aérien.

Le sujet devient rapidement un enjeu de développement primordial pour les politiques des grandes puissances, chacune tentant de se faire une place dans une nouvelle constellation mondialisée.

5 « La vie au grand air », Paris, février 1912.

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Pour en savoir plus à propos de l’histoire de l’aviation, se rapporter à l’ouvrage de Jean-Jacques Dufour, Une histoire de l’aviation commerciale, 2016, Strasbourg: ABD éditions.

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fig.2

fig.1: Le «Whright Flyer» premier biplan des frères Whright à s’envoler sur le terrain d’aviation de l’ «Huffman prairie» , pouvant à ce titre être considéré comme le tout premier aéroport. Photographie et Plan, 1904 tirés de «Aerocity, quand l’avion fait la ville» Roseau Nathalie, 2012, Marseille: Editions Parenthèses.

fig.2 : Première de couverture du Harper’s Weekly, NewYork, 9 Octobre 1909.

A l’occasion des célébrations du 300ème anniversaire de l’entrée de Hudson-Fulton à New-York, Wilbur Wright vol au dessus de la statue de la liberté. L’attraction que représente la parade navale s’efface devant les prouesses de l’aviateur.

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Au sortir du conflit mondial, les infrastructures existantes, pour la plupart endommagées7, sont rapidement remises en état, au service des lignes commerciales. La croissance du trafic est fulgurante ; à Paris, le cap du million de passagers est franchi dans l’aéroport du Bourget en 1951. La demande croissante et les appareils toujours plus performants font alors sentir la nécessité aux autorités aéroportuaires de bâtir l’aéroport moderne.

L’ère du jet

L’arrivée des turboréacteurs à la fin des années 50 va révolutionner le voyage aérien. Plus puissants que les avions à hélices, les « jets » à réaction permettent de transporter plus de passagers, plus vite et plus loin. Désormais, l’océan atlantique peut être franchi en un seul bond : quand un Super Constellation à hélice mettait plus de quatorze heures pour effectuer la liaison Paris – New-York, un Boeing 707 en transporte le double en seulement 8 heures.

Les Caravelles (fig.5), avions mythiques d’Air France, filent sur toutes les lignes de la méditerranée et grâce à elles, en l’espace de dix ans, la compagnie nationale française double son trafic8, le prix d’un billet d’avion devient abordable à un plus grand nombre 9 ; la démocratisation du transport aérien est amorcée.

Orly Sud, vitrine du mythe aéroportuaire

Débutée en 1957, la construction de l’aérogare Sud de l’aéroport d’Orly s’achève en 1961. Lors d’une somptueuse cérémonie où nombre de journalistes sont conviés, le Général De-Gaulle inaugure triomphalement le terminal flambant neuf, véritable vitrine de la France : « Si jamais un ouvrage justifia la fierté de ceux qui l'ont édifié de leur cerveau et de leurs mains, c'est bien celui que voilà, à la rencontre du ciel et de la terre… ».10 Henri Vicariot, architecte et ingénieur des ponts-et-chaussés, est en charge du projet, il revient alors d’un séjour aux États-Unis où il y a étudié les œuvres des architectes modernistes tel que Mies Van der Rohe. Il conçoit ainsi, en s’inspirant des technologies observées en Amérique du Nord, une architecture entièrement métallique.

Jean Prouvé dessine avec lui la « façade rideau » en aluminium suspendue qui fera sensation.

L’architecture d’Orly Sud incarne un monde moderne qui repousse ses limites. L’échelle du hall principal (fig.3) est d’une dimension remarquable, du jamais vu à l’époque pour un bâtiment public. Coté ville se dresse une façade lisse en verre et aluminium (fig.4), faisant écho aux buildings de Manhattan du style international. Côté piste, une série de terrasses (fig.5) offrent une vue imprenable sur les manœuvres du tarmac.

L’aéroport moderne tel qu’on l’imagine dans les années 1960 a pour vocation d’être une vitrine sur le monde complexe de l’aéronautique.

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A Paris, les aéroports du Bourget et de Beauvais, occupés par les Allemands seront endommagés par les combats lors de leur libération en 1945.

8 De 1959 à 1969. En 1963, 3 500 000 passagers voyagent sur Air France, Sources : www.airfranceklm.com/hisoire 9 En 1961, un aller-retour Paris-New York coûte trois fois moins cher qu'en 1956. Sources : www.airfranceklm.com/hisoire

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Roseau Nathalie, 2012, Aerocity, quand l’avion fait la ville, Marseille: Editions Parenthèses

19 fig.3

fig.4

fig.5

fig.3 : Aéroport d’Orly, photographie, 1965, fond d’archive ADP Le hall étincelant de l’aérogare, un savant mélange de matériaux nobles et de hautes technologies. fig.4 : Aéroport d’Orly, photographie, 1965, fond d’archive ADP La façade vitrée «côté ville», vu depuis le parking. A cette époque, l’automobile joue un rôle fondamentale dans le fonctionnement de l’aéroport. fig.5 : Aéroport d’Orly, photographie, 1965, fond d’archive ADP Les dimanches à Orly : la foule observe le décollage des avions depuis les terrasses, sur le tarmac, plusieurs caravelles AirFrance, Photographie, 1965, fond d’archive ADP

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En ce qui concerne l’aménagement intérieur, tout est réfléchi pour entretenir l’expérience inédite du visiteur voyageur ; la décoration en matériaux modernes côtoie les pierres nobles, la douce voix féminine égrenant les destinations exotiques crée une atmosphère sonore apaisante, se distinguant alors de l’ambiance tumultueuse des gares de l’époque.

D’abondantes campagnes de communication assureront le succès de l’aérogare, à tel point qu’en 1963, avec plus de 3 millions de visiteurs - non passagers - Orly se place comme le « monument » le plus visité de France, devant la tour Eiffel.

Gilbert Bécaud rencontrera un franc succès en chantant cet âge d’or de villégiature sur les terrasses de l’aéroport dans sa chanson « Dimanche à Orly » sortie en1963.

L’architecture moderniste de ce lieu emblématique servira aussi de décor au cinéma ; des réalisateurs comme Jacques Tati11 ou Chris Marker12 y dresserons le tableau d’un monde parfois dystopique car trop fortement empreint de technologie.

Le terminal TWA de Saarinen, « Capturer et montrer l’esprit de l’aviation »

De l’autre côté de l’Atlantique, quelques compagnies transcontinentales américaines se livrent à une concurrence exacerbée, mise en scène par l’architecture. En 1956, la Trans World Airlines (TWA) décide d’établir sa base à New-York sur l’aéroport d’Idlewild13 en plein développement.

11 Jacques Tati, PlayTime, 1967 12 Chris Marker, La jetée, 1962 13

Inauguré en 1948, l’aéroport New-Yorkais prendra le nom de JFK en 1963.

Dans l’idée de renforcer son image de marque, la compagnie est à la recherche d’un architecte en vogue.

Venant tout juste de livrer un projet pour General Motors14, c’est Eero Saarinen, fils d’un célèbre architecte finlandais et figure phare du mouvement moderniste américain, qui est choisi. « Capturer et montrer l’esprit de l’aviation » telle est la consigne de Ralph Damon, président de la TWA pour la réalisation de ce qui sera la pièce maitresse de la compagnie15. Eero Saarinen remporte le pari haut la main en se démarquant des terminaux voisins. Grâce à un projet développé principalement en maquette (fig.6) - telle la conception d’un aéronef en soufflerie - il livre une forme sculpturale en béton moulé (fig.7). Une architecture « totale » où façades, enveloppe et sol sont indissociables. L’aérogare constituée uniquement de courbes ne présente pas un seul angle droit et incarne à elle seule la fluidité propre aux mouvements d’un avion dans les airs.

Coté piste, les larges baies vitrées s’ouvrent sur le spectacle du tarmac : le ballet des avions s’élevant dans le ciel. « Le défi consistait à créer un bâtiment qui serait à la fois original et mémorable et de concevoir un bâtiment dont l’architecture elle-même aurait exprimé l’excitation du voyage. Aussi voulions-nous que l’architecture révèle le terminal, non pas comme un espace clos et statique, mais comme un espace de mouvement et de transition. »16 L’idée est donc de créer grâce à une architecture parlante un parcours sémantique qui dès l’entrée, plongera le visiteur dans son voyage.

L’architecture se revêt alors d’une fonction narrative, le voyage est vu comme un rite, le terminal en étant la première étape.

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General Motors Technical Center à Warren dans le Michigan, inauguré en 1956.

15 Roseau Nathalie, 2012, Aerocity, quand l’avion fait la ville, Marseille: Editions Parenthèses p.175 16 Saarinen Captures spirit of flight, TWA news, New-York, 13 novembre 1957

fig.6

fig.7

fig.8

fig.7 : Le terminal TWA, photographie, 1962, Balthazar Korab.

Vue de l’aérogare côté pistes, structure et enveloppe ne font qu’un. Les prouesses techniques que permet le béton armé offrent des formes dynamiques empruntées aux engins volant que sert l’ouvrage.

En arrière plan , la baie vitrée de la salle d’embarquement s’ouvre sur le terrain d’aviation d’Idlewild. fig.6 : Les pieds de l’architecte dépassant d’une maquette de l’aérogare, photographie, 1959 ,Balthazar Korab.

L’atelier et les méthodes de conception utilisées par l’équipe de Saarinen s’apparentent à celles utilisées par les ingénieurs aéronautiques de l’époque.

fig.8: Le terminal TWA, photographie, 1962, Balthazar Korab.

Dans son approche de «design total», l’architecte ne laisse rien au hasard, le mobilier et les matériaux sont pensés et dessinés dans une même approche stylistique, comme ce guichet d’information aux traits aérodynamiques.

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Le mythe PanAm

Si une compagnie aérienne reflète particulièrement cet âge d’or du voyage aérien c’est sans doute la Pan American World Airways.

Pionnière de l’aviation civile américaine, elle fut porteuse d’un grand nombre d’innovations. Dès les années 1930, les premiers hydravions à effectuer des vols transocéaniques abordent fièrement l’étendard bleu et blanc de la PanAm. Le 22 novembre 1935, 25 000 personnes se pressent pour assister au décollage du premier vol transocéanique San-Francisco/Manille. C'est le début d'une ère nouvelle : les hydravions de la Pan-Am traversent le pacifique en seulement six jours contre six semaines en bateau ; des chiffres qui frôlent la science-fiction pour l’époque17. Symboles de modernité et d’universalité, ces avions longs courriers furent de véritables porte-drapeaux américains sillonnant le globe.

Après avoir considérablement participé à l’effort de guerre américain, la compagnie se développe pour devenir le premier transporteur aérien présent sur tous les continents (excepté l’antarctique). On considère les années 1960 comme étant l’apogée de la compagnie : en 1966, ses 150 avions transportaient plus de 6,7 millions de passagers dans 86 pays différents.18 EN 1963, pour asseoir sa notoriété, la compagnie établit son siège à New-York dans ce qui restera longtemps le plus grand immeuble de bureaux au monde (fig.9). Walter Gropius et Pietro Belluschi, chefs de file du mouvement moderniste américain superviseront la conception de l’édifice qui accumulera un grand nombre de critiques de la part

17

The Pan-Am historical foundation (en ligne) consulté le 5 juin 2017, www.panam.org 18 Hist’Aéro, Grandeur et décadence de la Pan Am (en ligne), consulté le 5 juin 2017, www.histaero.blogspot.com

des Newyorkais19. Conçu dans un souci d’efficacité, avec de larges surfaces et l’absence totale d’ornement, le monolithe brutaliste se dresse encore fièrement sur Park Avenue. Un héliport sur son toit permettait aux passagers les plus prestigieux de rejoindre en seulement sept minutes l’aérogare spécialement dédiée à l’aéroport d’Idlewild (fig.10). Worldport, c’est le nom de ce gigantesque terminal au toit elliptique qui inspirera le Stade de France.

Le monde de l’aviation civile doit beaucoup à Pan-Am qui fut porteuse d’un grand nombre d’innovations, telle que l’invention de la classe économique, des billets tour du monde, et plus tardivement de la gestion électronique de ses réservations. En 1964, Pan-Am commande à IBM un ordinateur ultramoderne permettant de traiter électroniquement les commandes de billets d’avions et d’hôtel. Le « PANAMAC » occupera tout un étage du siège New-yorkais.

Mais la PanAm c’est aussi la construction du mythe aéronautique, porté tout d’abord par le personnel navigant (fig.11): c’est aux pilotes de la PanAm, issus du monde de la marine marchande, que nous devons l’emblématique costume bleu foncé surmonté d’une casquette blanche. Les hôtesses de l’air (fig.12) étaient aussi les représentantes de cet idéal : charmantes, éduquées, bilingues et cosmopolites, une série télévisée mettra même en scène leurs vies entre terre et ciel20.

Cependant, suite aux chocs pétroliers successifs, aux investissements et coûts d’exploitations trop lourds et à la dérégulation du marché américain en 1978, la compagnie ne parvient pas à s’adapter aux changements, la situation se détériore ainsi jusqu’à la faillite de Pan-Am en 1991.

19

Richard David, The Buildings New Yorkers Loves to Hate, New York Magazine, New-York, 15 juin 1987, p.30-35 20 Jack Orman, Pan-Am, 2011- 2012

fig.9

fig.11

fig.12

fig.10

fig.9 : Le Pan-Am Building et son héliport, photographie, 1965 , fond d’archives photographique de la Pan-Am. Le service de navette en hélicoptère perdura jusqu’en 1977 date à laquelle un tragique accident causa la mort de 4 personnes. fig.10 : Worldport, photographie, 1970, Dmitri Kessel.

L’aérogare de Pan-Am à l’aéroport JFK concut par Turano & Gardner servira pendant 30 ans avant d’etre racheté par Delta puis détruite en 2013 car ne répondant plus aux normes de l’aviation civile.

fig.11 : Affiche de publicité Pan-Am, 1967.

En plus des uniformes du personnel navigant, toute une gamme d’objets dérivés furent déssinés par la compagnie pour renforcer son image de marque. fig.12 : Photographie promotionnelle «Hollywood airlines», 1981.

Hôtesse de l’attraction «Hollywood airlines» en californie, dans ce simulacre de voyage aérien, des passagers - fictifs - pouvaient s’offrir le temps d’une heure, l’experience d’un voyage dans une cabine de première classe Pan-Am.

23

24

Jumbo jet, rêve supersonique et transport de masse

Au sortir des années 1950, rien ne semble s’opposer à la croissance fulgurante du trafic aérien mondial, en pleine période des trente glorieuses les voyants économiques sont au beau fixe, ni choc pétrolier ou crise économique en vue, le carburant est peu couteux et paraît-être une ressource inépuisable, le progrès technique est infini.

De plus en plus de monde souhaite voyager en avion, la démocratisation du voyage aérien est assurée. C’est dans cette conjoncture que les dirigeants de la Pan American World Airways étroitement liée aux constructeurs d’avions américains – passe commande à Boeing d’un gros porteur capable de transporter deux fois plus de passagers qu’un 707. C’est donc sous la pression du marché aérien que les 50 000 employés de Seattle conçoivent en seulement seize mois les plans de ce qui restera pendant plus de 30 ans le plus gros avion du monde. Le 15 janvier 1970, lors d‘une cérémonie en présence de Pat Nixon, première dame des États-Unis, Pan-Am reçoit son premier « jumbo jet » à l’aéroport de Dulles à Washington. Le Boeing 747, si facilement reconnaissable par sa bosse à l’avant du fuselage (fig.14), est un quadrimoteur gros porteur, pouvant transporter 500 personnes sur 14 000 km.

Dans le même temps, les constructeurs européens font connaître leurs recherches à propos d’un avion commercial supersonique dépassant encore les limites du possible. Après une vingtaine d’années d’élaborations très coûteuses, le Concorde (fig. 15) est opérationnel en 1974. Mais seulement deux compagnies aériennes sont clientes, les autres ayant retiré leurs commandes. En effet la situation économique de l’époque n’est plus aussi favorable, le Concorde n’est pas rentable et pose de nombreux problèmes environnementaux. C’est ainsi qu’il est retiré après 27 années d’utilisation, constat plus que mitigé pour une aventure trop ambitieuse.

CDG, Le troisième aéroport parisien

La France des années 60 est marquée par une politique de modernisation et d’aménagement de son territoire. De grands projets d’infrastructures changeront le visage de la capitale en l’espace de quelques décennies 21 (boulevard périphérique, villes nouvelles et grands ensembles..). C’est dans ce contexte favorable que le projet d’un troisième aéroport parisien prend naissance. On prévoit la saturation prochaine des aéroports d’Orly et du Bourget, le trafic est exponentiel et paraît sans limite. De plus, l’euphorie générale provoquée par les succès technologiques et industriels du Concorde conforte les politiques dans leur choix d’implanter une nouvelle plateforme aéroportuaire, à la hauteur des prouesses que représentent supersoniques et gros porteurs. C’est ainsi que commence en 1966 sur la commune de Roissy en France, au Nord de Paris, le chantier d’un vaste aéroport. L’aérogare 1 est construite en un temps record (8 ans), sans permis de construire, elle est assimilée à un ouvrage d’art. C’est d’ailleurs Paul Andreu, ingénieur des pontset-chaussées qui se chargera de sa conception et de son extension jusque dans les années 2000. « Roissy exprime l’ambition d’un pays qui a voulu, puis appris à épouser son siècle » Tels sont les mots de Pierre Messmer, premier ministre de Georges Pompidou lors de la cérémonie d’inauguration22.

L’aéroport Charles de Gaulle montre en effet les signes d’une nouvelle modernité, un nouveau type d’aéroport qui dénote avec le monument que représente Orly, mais qui s’apparente plus à une machine à flux.

Machine prête à relever les défis que promet une époque paraissant plus incertaine

21

Le numéro spécial de Paris-Match « Paris dans 20 ans » n.952 du 8 juillet 1967 fait l’éloge de ces grands projets images de modernité.

22 Journal La croix, 10 et 11 mars 1974

fig.13

fig.14

fig.15

fig.13 : Chantier du terminal 1 de l’aéroport Charles-de-Gaule, photographie aérienne, 1968, ADP. Creusement et construction des sous-sol et des galeries souterraines reliant l’aérogare principale aux satellites, salons d’embarquements directement situés sur les pistes. fig.14 : Paris Charles-de-Gaulle, photographie 13 mars 1974, Jean Cassan, AFP Le premier avion atterrissant à Roissy 1 est un Boeing 747 de TWA en provenance de New-York.

A son arrivée, six hôtesses accueillent les passagers avec des pancartes portant les initiales des noms présidentiels donnés aux deux aéroports Parisien et New-Yorkais. fig15 : Affiche publicitaire Aérospatiale France, 1976.

De nombreuses campagnes de publicité entretiennent le mythe technologique du Concorde.

On le vente ici deux fois plus performant que les autres avions de lignes, pour asseoir cette suprématie, rien de tel que l’image du terminal 1 en arrière plan.

25

26

Le monde polarisé des hubs

On ne peut évoquer l’essor du marché aérien dans les années 1970 sans expliquer le paradigme économique sur lequel il repose : le hub to spoke, littéralement en français « du moyeu aux rayons ».

Venue des États-Unis, cette configuration de réseau en étoile, et organisé autour d’un nœud, a été expérimentée dés 1955 par la compagnie Delta Airlines dans son hub d’Atlanta, devenu aujourd’hui le plus grand aéroport du monde23.

Un hub est une plateforme de correspondance aéroportuaire, choisie par une compagnie aérienne pour être sa base commerciale et technique ; l’aéroport idéalement situé devient la destination principale de tous ses vols. Ainsi des vols longs courriers en gros porteurs relient les hubs entre eux, les passagers changent ensuite d'avion, et rejoignent leur destination finale à bord d’avions plus modestes. Ce système a l’avantage de permettre des économies d’échelle dans un contexte de massification des flux. La dérégularisation et la démocratisation du transport aérien forceront toutes les grandes compagnies nationales à adopter ce paradigme, en résulte un paysage mondial polarisé par des méga aéroports ultra connectés.

Le système montre cependant ses limites lorsque l’aéroport vient à être saturé ou qu’un vol prend du retard. En effet, avec cette stratégie de centralisation, la moindre défaillance entraine une réaction en chaine. De plus, l’obligation de devoir faire une escale peut être perçue comme une perte de temps par certains passagers, configuration alors contraignante contrairement au système plus direct du point-topoint utilisé par les compagnies low-cost.

« Airport city » ou la ville aéroportuaire

Explicitée dans la littérature anglo-saxonne 24 à partir années 90 la notion d’airport city renvoie à la récente mutation de l’infrastructure des grandes plateformes aéroportuaires mondiales. Dans un souci d’accroissement de leurs revenus, les autorités aéroportuaires opèrent une diversification de leurs activités, l’injection de nouvelles fonctions - n’étant pas directement liées aux activités aériennes confèrent alors aux aéroport un caractère urbain. On définie alors de ville aéroportuaire la zone land-side constitué d’activités commerciales, centre de congrès, mall, hôtels, parkings, etc.

Contenues et limitées dans le territoire saturé de l’aéroport, ces activités tertiaires s’étendent de plus en plus en dehors de la zone aéroportuaire. L’Aérotropolis 25 désigne cette nouvelle typologie urbaine dont le centre ville est remplacé par une plateforme aéroportuaire située à une dizaine de kilomètres de celle-ci.

Contrairement aux aéroports métropolitains, les aéroports en périphérie, opérant des activités low-cost ne connaissent pas cette situation et restent des nœuds monomodales excentrés.

24

23 Plus de 100 millions de passagers par an en 2017 selon l’IATA

Pour approfondir cette notion se référer à l’ouvrage de Mathis Güller, 2003, From airport to airport city, Barcelone: Gustavo Gili 25 Terme explicité par les professeurs Kasarda John et Lindsay Greg dans leur ouvrage Aerotropolis: The Way We'll Live Next, 2012, New-York : Farrar, Straus and Giroux.

fig.16

fig.17

Principaux hubs mondiaux (en 2017 selon l’IATA)

Londres Paris

5

Los Angeles

12

6

15

Chicago

Dallas

1

7 11 Amsterdam 10 14 Francfort Istanbul

Atlanta

3

Millions de PAX (en 2017 selon IATA)

1 2 3 4 5 6 7 8

Atlanta Pékin Dubai Tokyo Los Angeles Chicago Londres Hong-Kong

103 M 96 M 88 M 85 M 84 M 79 M 78 M 72 M

16 New-Dehli

Millions de PAX

Principal opérateur Delta Airlines Air China Emirates Japan Airlines American Airlines United Airlines British Airlines Cathay Pacific

Dubai

(en 2017 selon IATA)

9 10 11 12 13 14 15 16

Shanghai Paris Amsterdam Dallas Canton Francfort Istanbul New-Dehli

70M 69 M 68 M 67 M 66 M 64 M 64 M 63M

8

2 Pekin 4 9 Shanghai 13 Canton

Tokyo

Hong-Kong

Amsterdam

Stockholm

Frankfort

Barcelone

Helsinki

Milan

Londres

Zurich

Principal opérateur China Eastern Airlines Air France KLM Air France KLM American Airlines China Southern Airlines Luftansa Turkish Airlines Air India

fig.18

Vienne

fig.16 : Carte des principaux hubs mondiaux, 2017, production de l’auteur.

Plus d’un milliard de passagers ont transité dans cette quinzaine d’aéroports géants, soit un quart du trafic mondial en 2017. Les continents Africain et Sud-américain sont à la marge alors que la Chine est en pleine expansion avec quatre des 15 plus grandes plateformes aéroportuaires mondiales. fig.17 : Typologies de quelques aéroports européens, diagramme tiré de Güller Güller, 2003, From airport to airport city, Barcelone: Gustavo Gili La zone en rouge représente la ville aéroportuaire. fig. 18 : Photographie aérienne, aout 2017, Johannes van Bentum.

Vue aérienne du centre d’affaires internationales accolé à l’aéroport de AmsterdamSchiphol, un exemple parlant de ville aéroportuaire.

27

28

Le 11 septembre 2001, la mondialisation en question

Mardi 11 septembre 2001, une date qui se suffit à elle-même pour évoquer un tournant majeur de notre siècle.

Les télévisions du monde entier diffusent l’horreur en direct : quatre avions de lignes long porteur - des Boeing 767 et 757 de compagnies nationales américaines – sont détournés pour frapper des cibles civiles et militaires sur le sol étatsunien. Plus de 3000 personnes y perdront la vie.

Ce n’est pas la naissance du terrorisme aérien 26 , mais pour la première fois, l’aviation civile est utilisée comme arme de guerre contre une grande puissance. Ainsi, tout un système d’échange mondialisé est ébranlé, les attentats du 11 septembre marquent l’entrée d’une nouvelle ère en matière de transport aérien. La réponse des autorités américaines - puis internationales - ne tardera pas27.

Une série de mesures drastiques est prise afin de renforcer considérablement la sécurité dans tous les aéroports du monde : d’abord en amont, par le fichage – et filtrage - des passagers (passeports biométriques et communication des compagnies aériennes avec les autorités) et par de nouvelles normes encadrant les droits des passagers (restriction des biens en cabine).

Il convient ensuite d’adapter et de réorganiser l’infrastructure à de nouveaux impératifs de sécurité. L’aéroport comme il est pensé depuis les années 60 ne répond plus aux prérogatives contemporaines du post-11 septembre.

En effet, à l’époque, l’attention des concepteurs semblait bien plus porter sur les qualités spatiales des espaces aéroportuaires que sur leur caractère sécuritaire. En intégrant de nouvelles fonctions restrictives, certaines aérogares n’auront plus grand chose à voir avec leur dessin d’origine ; les terrasses accessibles d’Orly ou la salle d’embarquement totalement ouverte du terminal TWA reflètent bien l’obsolescence d’une infrastructure par rapport à son temps. Les aérogares, auparavant publiques et urbaines, deviennent des espaces clos et sanctuarisés, dont tous les accès sont scrupuleusement filtrés.

Les dirigeant d’aéroports, cherchant à tout prix à combler leurs nouveaux coûts sécuritaires 28 , vont tirer parti des espaces commerciaux nouvellement créés pour dégager des profits non liés à l’aviation. Ainsi les hubs se positionnent en véritables escales marchandes.

26

Dupont-Elleray Michel, Géopolitique du terrorisme aérien : de l’évolution de la menace à la diversité de la riposte, dans Stratégique 2005/1 (N° 85), p.109122.

27 Le 19 novembre 2001 le congrès se réuni et créer une nouvelle instance visant à instaurer des normes de sécurité, la Transportation administration security.

28

Le montant des dépenses de sûreté aéroportuaire en France a explosé : il est passé de 140 millions d'euros en France en 2001 à plus de 678 millions d'euros en 2011. Source DGAC

29 fig.19

fig.21

fig.20

fig.19 : Etat du ciel américain au cours de la journée du 11 septembre, diagrame tiré de Aviopolis : a book about airports, de Fuller Gillian et Harley Ross, 2004, Londres.

Les attentats des tours jumelles ont irrémédiablement bouleversé le trafic aérien, le marché des transporteurs aérien en sortira très fragilisé. fig. 20 : Aéroport de Shanghai-pudong, Photographie 2004, Fuller Gillian et Harley Ross.

Un exemple illustré de la sectorisation de l’espace aéroportuaire. fig. 21 : Photographie SUPERSTOCK/SIPA. Les contrôles toujours plus poussés par les normes sécuritaires peuvent paraître contraignants. Face à la toute puissance des autorités aéroportuaires, l’usager peut se sentir dépossédé de ses droits et de son intimité, comme pour ce passager se retrouvant en sous-vêtements à l’aéroport.

30

L’aéroport « mall », laboratoire capitaliste

Tel que l’apparition au début du XXème siècle de l’air conditionné et des escalators, ont favorisés l’avènement de nouvelles formes architecturales exclusivement dédiées au commerce 29 , le cloisonnement des espaces de transit offre un nouveau champ d’exploration pour les concepteurs d’espaces marchands.

L’aéroport post-11septembre se transforme en centre commercial en huis-clos.

Une fois avoir franchi l’ultime étape - fastidieuse, voir stressante - que représente le poste de filtrage, le passager pénètre enfin dans l’espace air-side, havre de paix... et de shopping.

Laissant derrière lui l’agitation et le stress dus aux formalités d’un voyage en avion, le voyageur se trouve en parfaite condition pour flâner à travers le dédale des étalages de magasins duty-free, le passager change de statut, il devient client.

L’aéroport est le terrain idéal d’expérimentation économique : la clientèle des aéroports internationaux - dont le revenu moyen est plus élevé que la moyenne nationale 30 - est filtrée et quantifiée. Elle constitue un échantillon privilégié pour tester, comparer ou adapter les procédés de ventes, en fonction des destinations ou des passagers.

Plus que jamais, l’aéroport mall se vit comme une expérience à part entière (fig. 24). Seulement, ce n’est plus l’aspect technologique de l’aéronautique qui est le terreau de la fiction, mais le cliché et l’image de la ville desservie – et non pas visitée. Plus besoin d’aller se

29

Crawford Margaret, The World in a Shopping Mall, dans Michael Sorkin, Variations on a Theme Park: The New American City and the End of Public Space, 1992 New York Hill & Wang, p.3-30.

30 L’Aérotropolis : imaginer les villes-aéroports du futur, en ligne, consulté le jeudi 6 avril 2017, www.wsp.com

promener sous la tour Eiffel pour en rapporter une réplique miniature, quand on trouve toute sorte de souvenirs parisiens lors d’un passage à Charles-de-Gaulle.

Les aéroports internationaux, véritables escales marchandes, dessinent un monde polarisé de hubs, ces « villes aéroportuaires », gigantesques et complexes, sous la tutelle de compagnies nationales, regroupées en alliances.

Pour soutenir cette mobilité mondialisée, l’infrastructure et les techniques se perfectionnent et se renouvellent en permanence, afin d’alimenter une machine excessivement gourmande, un système dont la rentabilité et la durabilité ne semble aujourd’hui plus si sûr.

Du point de vue des transporteurs les prévisions futures sont pourtant encourageantes31, de plus en plus de monde souhaite accéder à une mobilité mondiale.

Mais le système classique tel que nous l’avons vu – très couteux et complexe - ne peut permettre une démocratisation totale. C’est la raison pour laquelle de nouveaux systèmes sont nés, révolutionnant une fois encore notre façon de se mouvoir, de voyager, de rêver et d’aménager notre environnement.

31

L’IATA évalue à 7,2 milliards le nombre de passagers qui voyageront en avion en 2035, soit près du double des 3,8 milliards de voyageurs aériens enregistrés en 2016.

31 fig.22

fig.24

fig.23

fig.25 : The Jewel Changhi airport, Singapour, image de concours par Safdie architects, 2014.

Avec ce «biodôme» dont la construction doit prendre fin en 2019, les autorités aéroportuaires de Singapour souhaitent créer l’aéroport de demain. La ville se déplace vers l’aéroport : les programmes et expériences offerts par l’aéroport sont si variés et exceptionnels qu’ils attireront les habitants du centre-ville, qui cohabiterons alors le temps d’une escale avec des voyageurs du monde entier. fig.22 : Entrée de la zone duty-free à l’aéroport de Rome-Fumicino, juste à la sortie des contrôles de sécurité, photographie de l’auteur, 2018.

Passage obligé pour rejoindre la salle d’embarquement. fig.23 : Guide des boutiques de luxe duty-free à l’aéroport de Rome-Fumicino, 2018.

Dans le terminal international de Rome-Fumicino l’expérience shopping est telle qu’un guide est disponible pour en profiter au maximum !

32

La nouvelle donne « low-cost » : grands changements à petits prix

Dans le domaine aéronautique, les compagnies « low-cost » désignent les transporteurs aériens à bas coût apparu suite à la dérégulation du marché aérien. En s’opposant aux pionniers de l’aviation commerciale, ces transporteurs d’un nouveau genre se positionnent sur le créneau du transport aérien à moindre prix, et touchent ainsi une clientèle élargie.

Afin de réduire considérablement les coûts d’exploitations 32 les services annexes au sol et en vol sont extrêmement limités, ou à la charge du passager (réduction du personnel d’accueil, automatisation des tâches, classe économique unique, pas de restauration ni de divertissement, bagage en soute tarifé...). En parallèle, ces compagnies ont adoptées une structure de réseau basée sur les liaisons point-to-point reposant sur une multitude de petits aéroports répondants aux exigences de réductions des coûts.

Cette nouvelle mobilité « bon marché » a ainsi façonnée le modèle d’un nouveau type de lieu de transit : L’aéroport low-cost, situé en périphérie d’une grande agglomération possédant déjà un/ou des aéroport(s) métropolitain(s). La véritable cible n’étant pas la petite ville ou région dans lequel elles sont implantées, les plateformes low-cost adoptent le nom de la destination prestigieuse visée (Paris-Beauvais, Milan-Bergamo, Venise-Trévise, etc). Ces aéroports modestes, nouvellement équipés pour accueillir un nombre restreint de transporteurs low-cost sont souvent d’anciens terrains d’aviation militaires ou aérodromes dédiés à l’aviation de loisir ou privée.

32

Le ratio économique « seat/mile/cost » (prix d’exploitation d’un siège au kilomètre) permet de calculer ce coût. Les compagnies low-cost ont en moyenne des dépenses 40% inferieures à celles des compagnies classiques.

Ainsi, l’infrastructure y est minimale, l’architecture de ces aérogares purement fonctionnelle et dépouillée de tout ornement - n’a pas grande chose à voir avec celle des grands aéroports métropolitains, et ce, même si la quantité de passagers qui y transitent n’est pas négligeable33. Situés dans des zones péri-urbaines et étant exploités par des entreprises privées, ces aéroports ne disposent souvent pas de connexions efficaces avec un réseau de transport public. Cette tâche revient donc à des transporteurs privés, généralement par voie routière. Le coût et les désagréments générés par ce transport, comparé aux avantages d’un voyage en avion devient alors considérable, et joue pour beaucoup dans la construction d’un nouveau récit, propre au low-cost.

Le nom d’une compagnie irlandaise permet particulièrement d’évoquer cet univers bon marché : Ryanair, symbole et leader du lowcost en Europe. Pourtant négligeable il y a 30 ans34, cette compagnie a réussi à imposer son modèle aux petits aéroports en marges des grandes agglomérations européennes. Dans ce système bien rodé, le transporteur dicte ses règles (standardisation et restriction des services, matériel et personnel), l’infrastructure s’adapte, au risque de ne plus être desservie.

33

2.5 millions de passagers transitent chaque année à l’aéroport de Beauvais, ce qui le place à la 10ème place des aéroports français. Chiffres DGAC 34 De 700 000 passagers au début des années 1990, Ryanair en transporte 117 millions en 2017, se qui place la compagnie en première place européenne (en terme de PAX). D’après le rapport annuel de l’OAIC en 2017.

fig.28

fig.25

fig.26

fig.29

fig.27

fig. 25 : Hangar de maintenance à l’aéroport de Windsor au Canada, photgraphie Glos Associates Inc (architectes) 2017. fig. 26 : Terminal low-cost «billi» à l’aéroport de Bordeaux, photographie Marjan Hessamfar & Joe Vérons architectes associés, 2017

fig.28 : Aéroport Charles-de-Gaulle, terminal 2G, photographie Emilie Luider, 2016.

fig. 27 : Terminal 2 de l’aéroport de Paris-Beauvais, photographie Gallois Dudzik architectes associés, 2016.

On retrouve dans tous ces projets les mêmes éléments architecturaux (charpente métallique légère et apparente et revêtement en tôle ondulée), des techniques propres à l’architecture industrielle.

fig. 29 : Aéroport Charles-de-Gaulle, terminal 3, photographie Commission du Film IDF, 2015.

L’aéroport Charles-de-Gaulle possède lui aussi deux terminaux desservant des compagnies à bas-coût ou charter, ces aérogares reprennent tout les codes et usages de la «recette low-cost».

33

34

De même que l’aviation commerciale classique, le low-cost s’est construit à travers une iconographie très forte (fig. 30). Pour séduire, se faire connaitre et attirer le potentiel client, les directeurs marketings ont misé sur une communication visuelle tape-à-l’œil : couleurs criardes et contrastées, typographie simple et ronde, nom court et logo facilement compréhensible.

Un langage particulier s’applique également à l’architecture accueillant ce nouveau mode de transport. En empruntant les techniques constructives propres aux bâtiments industriels ou logistiques (fig. 27), les aérogares low-cost se caractérisent par des formes simples, des structures légères et des matériaux bruts (fig.

25-29). Ces caractéristiques leurs permettant d’êtres construites rapidement et à faible coût, tout en étant extrêmement évolutives et flexibles, prêtes à s’adapter aux fluctuations du marché aérien.

L’aérogare low-cost, environnement dénué d’éléments à fonction narratives construit un tout autre récit architectural du voyage aérien.

Et ce particulièrement lorsque que l’on compare cette architecture modeste et élémentaire à l’univers des hubs et villes aéroportuaires.

Malgré une inévitable hybridation et récupération de certains éléments du low-cost par l’aviation classique35 (fig. 25-26), les récits opposés que génèrent deux modes de transports aux antipodes semblent s’amplifier mutuellement.

35

Afin de ne pas perde de part de marché, de nombreuses compagnies nationales ont optées pour le lancement de leur propre filière à bas prix : Air France à par exemple lancé Transavia en 2012.

Plus l’aviation low-cost offre une mobilité accessible à tous - prendre l’avion devenant un acte banal, au même titre qu’un transport terrestre - plus l’aviation classique, incarnée par de grandes compagnies nationales, offre une expérience unique et exclusive, se suffisant à elle-même, voir allant jusqu’à concurrencer la visite même de la destination. Ainsi l’écart se creuse entre les deux modèles, il existe bien deux narrations, deux approches opposées, deux façons d’appréhender le voyage dans les airs.

fig.30

35

fig.31

fig.33

fig.32

fig.31 : Grève des pilotes Ryanair à l’aéroport de Francfort le 12 avril 2018, photographie Der Spiegel.

«Arrêtez de presser votre équipage» : le personnel navigant s’adresse au PDG de Ryanair Michael O’Leary, lui reprochant d’imposer des cadences de travail insupportables, toujours dans une volonté de réduire les coûts au maximum.

fig.30 : Habillages d’Airbus A319 appartenant à différentes compagnies aériennes, photographie, www.planephoto.net, 2015-18.

Les compagnies nationales (Air France et Alitalia) adoptent des couleurs nobles et des lignes épurées, une communication visuelle s’opposant en tout points au matraquage publicitaire des low-cost.

fig. 32 : le siège Skyrider 2.0, photographie promotionnelle, Aviointerior, 18 avril 2018.

Une compagnie italienne à mis au point ces sièges d’avion ultra-légers en position semi-assise. En transportant des passagers debout les compagnies low-cost pourraient embarquer 20% de voyageurs en plus. Une facon d’acroitre leurs profits et de proposer des billets encore moins cher, certes au détriment du confort. fig. 33 : Affiche publicitaire OuiGo, agence Rosapark avril 2017.

En adoptant le modèle low-cost initié dans le milieu aérien, de nombreux transporteur terrestre ont développés des offres à bas-coût. On retrouve les mêmes caractéristiques, organisationnels comme iconographiques.

36

hub vs low-cost Il existe aujourd’hui deux modèles prédominant dans le secteur du transport aérien mondialisé: - Le système des hubs : les compagnies nationales regroupées en alliances desservent de grandes plateformes de correspondances mondiales. Les profits et coûts d’exploitations sont colossaux, tout comme l’infrastructure et les technologies engagées.

- La formule low-cost: une aviation commerciale à bas coût, qui dépends une infrastructure secondaire et minimale et des appareils plus économes. Ce schéma économique simplifié et plus efficace permet d’être accessible au plus grand nombre.

Ces deux systèmes reposent sur des paradigmes qui s’opposent en tout points et à tous les niveaux : avions utilisés, aéroports empruntés, procédures d’embarquement , système de liaisons, réseau de destinations...

Il me parait donc intéressant de mettre à jour ces discordances à travers un travail graphique. Pour ce faire j’utilise une communication visuelle percutante empruntée à la signalétique et l’iconographie du monde aéroportuaire.

Sommaire : Cinq analyses comparées qui illustrent la dualité hub - lowcost : 1. Deux avions : l’Airbus A380 et le Boeing 737 2. Deux Aéroports : Paris Charles-de-Gaule (CDG) et Beauvais-Tillé (BVA) 3. Deux Procédures d’embarquement : Paris CDG et Beauvais BVA 4. Deux systèmes de liaisons : le hub-to-spokes et le points-to-points 5. Un réseau formé de deux types d’aéroports : les airport-city et les aéroports low-cost.

37

Airbus A380 10 appareils

AirFrance 15 200 km

800 PAX 2.9L

Boeing 737 Principal opérateur Distance franchissable

Ryanair 3 400 km

300 appareils

Capacité (PAX)

170 PAX

Consommation en carburant (L/PAX/100km)

2.3L

33m

72m

29m

79m

1 Passerelle / escalier 2 Carburant 3 Restauration 4 Netoyage / WC / Air conditionné 5 Bagage 6 Fret 7 Remorquage 1. Deux avions : l’Airbus A380 et le Boeing 737

38

CDG

BVA

Charles-de-Gaulle

Roissy-en-France

Beauvais-Tillé

25km

70km Distance de Paris

3 euros

30min

€

10 euros

60min

11 euros

35min

€€

60min

11 euros

€€

€€€

80min

17 euros

€€

€€€

120min

16 euros

70

Transports

PAX (million/an)

0

20km

3200 25m2 700 90

2. Deux Aéroports : Paris Charles-de-Gaule (CDG) et Beauvais-Tillé (BVA)

3.6 5 compagnies

152 compagnies 329 destinations

Beauvais - Tillé

Liaisons

Superficie hectares

Surface Pax/m2

Entreprises

Emplois direct

60 destinations

230 3m2 35 4750

0

40km

CDG

BVA

La plateforme aéroportuaire (hub)

L’aéroport low-cost

EMBARQUEMENT

EMBARQUEMENT

SATELLITE

SALLE D’EMBARQUEMENT

AIR-SIDE CONTRÔLES

LAND-SIDE

CONTRÔLES

AIRPORT CITY

MALL

CHECK-IN

AEROGARE

AEROGARE

i

GARE ROUTIERE

NOEUD INTERMODALE

CENTRE VILLE

3. Deux Procédures d’embarquement : Paris CDG (le hub) et Beauvais BVA (l’aéroport low-cost)

CENTRE VILLE

39

40

Lille

Metz-Nancy

Paris

Brest

Strasbourg Lorient

Strasbourg Brest

Rennes Mulhouse

Nantes

Limoges Bordeaux

Lyon Clermont- Lyon ferrand

Rodez Biarritz

Toulouse

Nantes

Montpellier

Bordeaux

Nice

Biarritz

Nice

Toulouse

Marseille

Hub-to-spokes système des hubs

4. Deux systèmes de liaisons : le hub-to-spokes et le points-to-points

Marseille

Points-to-points système low-cost

41

Stokholm

Copenhague

Berlin Londres Bruxelles Paris

Francfort

Aéroports

Londres

LHR - Heathrow LPL - Luton

22km 46 km

77.9 M 15 M

Paris

CDG - Charles de Gaulle BVA - Beauvais Tillé

23km 70km

69.5 M 4.7 M

Francfort

FRA - Frankfurt Rhein Main HHN - Frankfurt Hahn

12 km 120 km

64.5 M 2.5 M

Madrid

MAD - Adolfo Suarez CQM - Ciudad real central

13 km 200 km

53.4 M /

Barcelone

BCN - Barcelona El Prat GRO - Girona Costa Brava

12 km 92 km

47.3 M 1.6 M

Munich

MUC - Franz JosefStrauss FMM - Memmingen

28.5 km 110 km

44.6 M 1.2 M

Rome

FCO - Fumicino CIA - Ciampino

35 km 12 km

40.9 M 5.4 M

Copenhague

CPH - Copenhague MMX - Malmo

8 km 55 km

29.1 M 2.1 M

Stokholm

ARN - Arlanda NYO - Skavsta

37 km 100 km

27 M 2.1 M

Bruxelles

BRU - Brussel Zaventem CRL - Charleroi

12 km 46 km

24 M 7.6 M

Milan

MXP - Malpensa BGY - Bergamo

49 km 45 km

22M 10.4 M

Berlin

TXL - Tegel SXF - Schoefeld

8 km 18 km

21 M 11.6 M

Munich

Milan

Barcelone

Ville desservie

Rome

Madrid

5. Un réseau formé de deux types d’aéroports : les airport-city et les aéroports low-cost.

Distance de la ville

PAX en 2017

42

II. Étude de cas : deux objets architecturaux aux antipodes

43

O

L’aéroport de Paris Charles-de-Gaulle (CDG)

2km

O

L’aéroport de Paris-Beauvais (BVA)

1km

44

L’aÊroport de Paris Charles-de-Gaule : le hub

45

CDG - Paris Charles de Gaulle

Chennevières les Louvres

Louvres

Légende :

Réservoir de carburant

Champs

Champs

Zone boisée

H Hotel (s’adressant

Zone habitée

P

aux voyageurs)

Parking déstiné aux voyageurs

Zone commerciale Territoire de l’aéroport

Piste 1 2700m

H

Piste 2 4200m

P

Zone technique

P H CDG val

Roissy en France

H

H

H

Terminal 3 (Low-cost)

Terminal 1

P

Roissypôle

P

Le Mesnil Amelot

Zone technique *

H N

P

Gare RER

H

P H

P

H

P

Terminal 2 (A,B,C,D,E,F)

P

Gare TGV Piste 3 4142

Zone fret

Piste 4 2700

H H

Paris 23km

Champs

H

H

ZAC * Paris Nord

Champs

Tremblay en France

1km

Lexique :

Terminal 2G

H

O

Mitry Mory

- ZAC (zone d’activité commerciale) : territoire reservé par les politiques publiques pour l’implantation d’infrastructures et d’activités commerciales (zone non residentielle et industrielle).

La ZAC Paris-Nord qui regroupe 550 entreprises et leurs 20 000 employés s’inscrit dans zone de rayonement économique de l’aéroport, les activités présentes (principalement du domaine tertiaire) s’adressent aux usagers et personnels de l’aéroport.

Il en est de même pour Roissypole, cette zone commerciale constitue l’airport city - Zone technique : zones non-accessibles aux passagers, rassemblant les organes techniques de l’aéroport (centrale éléctrique, eau, chauffage).

46

Situé à 23 kilomètres au nord-est de Paris, sur la commune de Roissy-en-France, dont il occupe la moitié du territoire, l’aéroport Paris Charles-de-Gaulle est la première plateforme aéroportuaire de France, seconde en Europe, et dixième mondiale. En 2017, près de 70 millions de personnes y ont transité, sa capacité maximale annuelle s’élève à 80 millions.

Imaginée dès les années 50, la première aérogare est mise en fonction en 1974, depuis, l’aéroport n’a cessé d’être en perpétuel développement. C’est d’ailleurs cette capacité à évoluer qui le caractérise, aptitude rendue possible par un système modulaire pensé par son concepteur Paul Andreu.

Paul Andreu (10 Juillet 1938 – 11 octobre 2018) est un architecteingénieur formé à l’école des ponts-et-chaussées et diplômé des Beaux-arts de Paris en 1969. La conception de l’aéroport Charles-deGaulle à seulement 29 ans marque le début de sa carrière architecturale. Fort de son expérience avec ADP - exploitants des aéroports parisiens - Paul Andreu dessinera plus de 20 aéroports à travers le monde (Jakarta, Abu Dabi, Tokyo, Shanghai...), toujours en appliquant la même rigueur architecturale qu’à CDG. « Chaque fois que je pense un projet, je ne crée pas une boîte pour y organiser du mouvement, mais je conçois les murs en fonction du mouvement que les gens effectueront à l'intérieur. »36 Paul Andreu.

L’ensemble qui compose Charles-de-Gaulle est un système organique, complexe et évolutif. Une multitude de modules, remplissant chacun une fonction bien précise et s’inscrivant dans un intense réseau de liaisons (routes, pistes, passerelles, voies ferrées

36

Puech Benjamin, « Décès de l'architecte Paul Andreu, le bâtisseur de Roissy et de la Grande Arche de la Défense », Le Figaro, 12 octobre 2018

automatisées). Parmi ces modules ont peut citer les organes principaux tel que les aérogares, la ville aéroportuaire (Roissypôle), le module d’échange, les zones techniques, la zone de fret...

Compte-tenu de l’échelle gigantesque et de la technicité du mécanisme aéroportuaire, je ne trouve pas pertinent ici d’en décortiquer chaque élément et d’en faire un fastidieux inventaire. Tout au contraire, je focalise plutôt mon attention sur les lieux de transit accueillant les usagers. Seuls espaces accessibles qui nous permettent - nous voyageurs - de saisir la complexité aéroportuaire à travers l’expérience du voyage.

Les récits que véhiculent chacun de ces lieux peuvent parfois proposer une expérience passagère bien différente. La narration architecturale de ces ouvrages peut tantôt transparaitre directement de l’âme du bâtit, où bien être construite de toute pièces par une mise en scène orchestrée par ses gestionnaires.

L’aérogare peut ainsi être la fenêtre à travers laquelle est dévoilée un univers technique et impalpable, ou bien le médium de l’image rêvée d’un voyage dans les airs, ou de la visite d’un lieu retranscrit.

fig.34

fig.35

fig.36 fig.36

fig.34 : CDG, Le terminal 1, photographie aérienne, ADP 1975. fig. 35 : CDG, Le terminal 2 A&B, photographie aérienne, ADP 2000. fig. 36 : Paul Andreu à l’aéroport Charles-de-Gaule, photographie GianAngelo Pistoria, 1996.

L’architecte consacra une partie importante de sa carrière à l’aéroport parisien, jusqu’en 2004 ou un défaut de conception du terminal 2E causa l’effondrement du toit. Paul Andreu, très affecté par cet événement ne construira des lors qu’à l’étranger.

47

48

Le terminal numéro 1, la machine à flux

Le terminal numéro 1 est la première pierre de l’édifice Roissy Charles-de-Gaulle. Bientôt 50 ans après sa mise en service, l’aérogare circulaire reflète toujours les prouesses et la splendeur de l’aviation.

Lorsqu’elle est réalisée, l’architecture du terminal 1 incarne à elle seule l’aéroport moderne, qui malgré un contexte de massification des flux, permet d’offrir une expérience individuelle et inédite au passagervisiteur.

Dès son inauguration, l’objet choque et fascine, la brutalité expressive d’un ouvrage d’art sans façade dénote avec une intériorité lisible et palpable, les parcours induit par un système en spirale sont à la fois terriblement efficaces et sensationnels. Tel un cœur ou une pompe, le terminal traite, trie et distribue les flux de passagers, marchandises et véhicules. C’est grâce à une architecture circulaire, intrinsèquement liée à la géométrie d’un système d’organisation radioconcentrique que ces déplacements peuvent se faire en toute fluidité. L’architecture de Paul Andreu trouve donc sa forme dans la technicité et la complexité de son programme, et c’est cet aspect - clairement mis à jour par l’architecte - qui façonne l’image symbolique du lieu et fabrique du voyage. Paul Andreu laisse voir ce qui est caché d’ordinaire (structure apparente, gaines techniques et matériaux bruts) pour occulter ce que l’on exposerai d’ordinaire (revêtements décoratifs et habillage). Il dit de son architecture qu’elle est celle de la vérité.

Le haut niveau de détail, l’entremêlement des parcours, la fluidité des axes, tous ces éléments composent un ensemble compact qui tisse le lien entre terre et ciel.

Le terminal numéro 2, l’aérogare extensive

A la demande des autorités aéroportuaires (ADP) et pour répondre aux estimations croissantes des flux de passagers, l’étude d’une seconde aérogare est lancée dès 1969. A la différence du terminal 1 entité finie et indépendante - le terminal 2 est pensé comme un projet extensible. L’architecture du module 2A & 2B (inauguré en 1982) n’est pourtant pas en contradiction avec celle du terminal 1, la courbe est toujours un élément fondateur, elle est ici traitée horizontalement autour d’un axe principal, elle dessine une succession d’anneaux indépendants se divisant en deux parties, sur lesquels peuvent s’ajouter d’autres modules en extension. Paul Andreu imagine l’aéroport comme un système organique en perpétuelle évolution, il faut donc que l’infrastructure puisse « pousser » ou qu’un de ses « membres » se renouvelle, sans que le reste du « corps » ne soit affecté par les travaux. Cette analogie de la croissance végétale a permis au terminal 2 de s’étendre et de relever le défit qu’impose la croissance du marché aérien, aujourd’hui on compte six aérogares à la suite, les travaux de rénovation des halls A & B prennent bientôt fin.

49 fig.37

fig.38

fig.39

fig.40

fig.37 : Plans du terminal 1, Paul Andreu, 1974 La géométrie du cercle est déterminante à toutes les échelles du terminal 1, du plan masse (à gauche) à l’atrium central (à droite). fig. 38 : Plan masse du terminal 2, Paul Andreu, 1982 On peut lire la croissance du terminal de gauche à droite, le module d’échange au centre sépare les premières aérogares A,B,C,D et les plus tardives E et F. fig. 39 : Rampe d’accès au terminal 1, photographie Paul Maurer, 1988.

Le caractère technique, les masses imposantes et la matérialité brut du béton donne au terminal 1 un caractère singulier propre aux ouvrages d’art de son temps. fig. 40 : L’atrium du terminal 1 et les «travelators», photographie Paul Maurer, 1988. fig. 41 : Interieur du terminal 2F, photographie Christophe Menager, 2010.

Le langage architectural change avec le terminal 2. Dans cette jetée du 2F réalisée en 1989 la structure métalique toujours apparente donne un aspet aérien et leger à l’aérogare. fig.41

50

Le module d’échange, nœud intermodal entre la ville et les airs

Inauguré en 1995, le module d’échange - tel que l’a surnommé Paul Andreu son concepteur - est une gare intermodale au cœur du terminal 2. Sont rassemblés en son sein une gare TGV, une station RER, une station de la ligne interne reliant les autres terminaux (Roissy-val) et une gare routière, ainsi que d’autres programmes annexes comme un hôtel et une salle de réunion.

En connectant divers modes de transports (routier, ferroviaire et aérien), le module est un pont entre liaisons urbaines, nationales et internationales. L’aéroport s’insert alors dans un réseau européen d’infrastructures routières et ferroviaires. Ainsi désenclavé et intégré à son territoire l’aéroport perd son caractère périphérique, sa fonction n’est plus seulement de faire décoller et atterrir des aéronefs, il devient un véritable pôle intermodal.

A l’image des autres ouvrages de l’aéroport, l’architecture du module d’échange est clairement lisible. Si les différents programmes sont liés, ils conservent cependant des caractéristiques spatiales et techniques propres à chacun. La gare TGV par exemple - conçue en étroite collaboration avec Jean Marie Duthilleul, architecte en chef de la SNCF - est pensée comme une gare de train urbaine. Sa halle métallique, propre aux ouvrages de son type dénote dans l’univers de béton. Il en est de même pour l’Hôtel Hilton qui domine l’ensemble ou de la gare RER souterraine, enfouie sous les quais du TGV. A l’échelle du territoire de l’aéroport, le module d’échange sépare le terminal 2 en son centre, il s’abstrait de la géométrie circulaire et vient créer une séparation spatiale entre deux anneaux. En temps que point de rupture et de croisement, il agit comme médiateur entre deux séries d’aérogares, engagées dans des temporalités différentes, leurs donnant ainsi une totale autonomie architecturales.

Roissypôle, la ville aéroportuaire

En plein cœur de l’aéroport, une zone adjacente au module d’échange et enserrée entre les deux paires de pistes forme le « quartier » Roissypôle. Cette bande urbaine rassemble de nombreux services tels qu’une multitude d’hôtels de différentes catégories, des restaurants et des bureaux (siège d’Air France et d’ADP). Son emplacement au centre de l’infrastructure lui procure une très bonne connectivité, que se soit vers l’intérieur (l’aéroport), que l’extérieur (la ville).

Au sein de Roissypôle, la circulation est fluide et douce, la très grande offre de parking permet aux usagers de garer leur véhicule en périphérie pour continuer leur parcours à pied, ou à bord d’une navette électrique, autonome et gratuite qui tourne en continue dans la zone.

Le traitement de l’espace public est lisse et propre, récent et bien entretenu. Cet échantillon de ville aéroportuaire « verte et intelligente » à donc tous les abribus pour faire figure de cité parfaite, rien ne venant troubler l’efficacité d’un fonctionnement aéroportuaire bien rodé garantissant une rentabilité constante.

Cependant, si on retrouve ici quelques ingrédients indispensables à la recette d’une certaine urbanité, ils ne suffisent pas pour autant à créer un lieu vivant, donnant l’impression d’être habité. Roissypôle apparait comme un lieu transitoire et déconnecté du réel, une ville fantôme en dehors des heures de pointes qui ne laisse place à aucune spontanéité et ne fabrique pas d’espace public. Le pari des aménageurs aéroportuaire n’est donc remporté qu’à moitié.

fig.42

fig.44

fig.43

fig.42 : La gare TGV, photographie agence Paul Andreu, 1995.

Des deux cotés de la structure métallique qui couvre la gare, deux grands pans de façade vitrée laissent rentrer la lumière dans l’ouvrage. Les voies de RER se trouvent en dessous de celles destinées aux TGV. fig. 43 : la gare RER du terminal 1, photographie Alan Tansey, 2017.

Achevée en 1976, la gare RER est constituée de piliers parasols en béton, le langage n’est pas sans rappeler la matérialité du terminal 1 à proximité. fig. 44 : L’hôtel Sheraton, photographie ADP, 1995 Le losange étiré en béton surplombe le module d’échange, à sa base il est traversé par les voies du réseau «Roissyval» qui relie les différents terminaux. La construction d’un hôtel au dessus d’une gare posa d’importantes questions structurelles.

51

52

« La galerie parisienne » l’expérience shopping à la française

« La réussite technique de la Galerie parisienne répond à la réussite technique de l'A380, j'y vois la preuve que la France a en main tous les leviers d'une grande, d'une forte politique industrielle. » Tels sont les mots prononcés par Nicolas Sarkozy, président de la république, lors de l’inauguration du troisième satellite de l’aérogare 2E en juin 2007.

Le satellite S3, base du puissant hub Air-France-KLM, est annoncé comme étant la plus grande salle d’embarquement d’Europe.

L’aérogare à une capacité maximale de 8.5 millions de passagers, le hub Air-France-KLM traite plus de 21 000 connexions par semaines, effectuées en moins de deux heures. 37 Spécialement conçu pour accueillir les « jumbo jets », six A380 peuvent opérer simultanément (nécessitant chacun 3 passerelles amovibles).

Situé en zone air-side et relié au hall 2E par un métro automatique, la salle d’embarquement hors-normes offre un nombre de services commerciaux jusqu’alors inédit dans un aéroport. Les 5000m2 de commerces, restaurants et hôtels enrichissent ainsi l’expérience commerciale de ce que les concepteurs on surnommé la Galerie parisienne (faisant référence aux passages parisiens du XIXème).

En s’inspirant des verrières parisiennes, l’aérogare vitrée de 750m de longueur bénéficie au maximum de la lumière naturelle. Ainsi la tradition du béton brut et des volumes pleins et massif est rompue.

L’architecture du S3 est simple et claire, elle dénote avec les formes et concepts audacieux de Paul Andreu. Les architectes des bureaux

37 Graff Pierre, 28 Mars 2008, La Galerie Parisienne: A centrepiece of the

Paris-Charles de Gaulle hub, International airport review, n.2

d’ADP (Jean-Michel Fourcade, Christine Frémont, Gilles Goix et Louis Fachin) ont plutôt imaginés une grande surface libre à l’habillage sobre, facilitant l’orientation et l’aménagement commercial. Le long couloir est ainsi organisé par des bandes de commerces, séparées des lieux d’attentes par des cloisonnements vitrés aux couleurs acidulés.

« Instant Paris », un chez-soi parisien le temps d’une escale

Situé au cœur de la galerie parisienne, « Instant paris » est un espace immersif visant à offrir aux passagers de l’aéroport le temps d’un instant, l’expérience d’un vrai séjour parisien.

Le dispositif imite l’intérieur d’un appartement haussmannien (fig. 45) (moulures, corniches et cheminées) et se décline en une dizaines d’alcôves, offrants chacune une expériences inédite et créant ainsi un parcours narratif. Le but étant d’offrir au voyageur en transit la possibilité de palper l’essence même de la vie parisienne, et ceci le temps d’une escale, alors même qu’il n’a pas débarqué de la zone confinée de l’aéroport air-side.

On trouve ainsi une bibliothèque consacrée à l’histoire de Paris et une cinémathèque où sont diffusés des courts métrages français ou des évènements sportifs ou culturels en direct. Une série de dispositifs virtuels (fig. 46-47) enrichissent également l’illusion d’être dans un univers bien différent à celui de l’aérogare.

fig.44 : La galerie parisienne, photographie 2017, ADP. Le nom de l’enseigne officielle des magasins duty-free de l’aéroport est assez évocateur «Buy Paris», plus besoin de visiter Paris pour «l’acheter». fig.45 : Salon d’ «instant Paris», photographie 2017, ADP. « Un lieu unique, qui reprend les codes d’un intérieur parisien chic, twistant classicisme et high-tech» Laure Baume, communiqué de presse ADP, 14 avril 2017. fig 46 : Aéropolis, série photographique, Stofleth Bertrand, 2017.

Les fenêtres virtuelles de la galerie ne s’ouvrent pas sur le balais des avions mais sur la tour Eiffel en temps réel. fig 47 : Borne de réalité virtuelle, photographie 2017, Timescope.

Un voyage immersif dans 5 lieux phares de la capitale est proposer aux passagers.

Dépaysement garanti...

fig.44

fig.45

fig.47

fig.46

53

54

L’espace musée, une parenthèse culturelle pour s’échapper de l’aéroport

L’aéroport de Paris Charles-de-Gaulle est le premier à proposer à ses visiteurs un musée en libre accès. Situé dans le nouveau hall M d’embarquement du terminal 2, l’espace musée occupe une surface de 250m2, et accueil entre1 500 et 2000 personnes par jour.

Deux expositions sont organisées tous les ans, avec des œuvres prêtées par les plus grands musées parisiens et français (musée Rodin, centre Pompidou...), la direction artistique est assurée par Serge Lemoine, ancien président du musée d'Orsay.

L’aménagement scénographique et l’architecture du lieu sont pensés pour offrir une expérience inédite et immersive. Son concepteur l’architecte Nelson Wilmotte décrit l’ensemble comme étant un voyage dans le voyage: « Le voyageur se laisse happer par le cône tout en verre de l'entrée du musée, et accepte cette douce invitation à embarquer pour une visite culturelle. » L’aéroport Paris Charles-de-gaule se place ainsi comme une escale culturelle et marchande, une véritable vitrine de la France. Son architecture n’est plus seulement au service de l’aviation mais elle se dote de nouveaux programmes et significations.

fig.48

fig.49

fig. 50

fig.48 : affiche de l’exposition «l’art abstrait des années 1950, février 2018, ADP. fig. 49 : L’entrée de l’espace musée dans la galerie parisienne, photographie 2018, ADP. fig. 50 : Intérieur de l’espace musée, photographie 2018, ADP.

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L’aéroport de Beauvais-Tillé : le modèle low-cost

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BVA - Beauvais Tillé

Amiens 60km

Rieux

Légende : Champs

La lio ve

tte

Champs

P

Champs

Piste 2 (708m)

Tillé

P B

V

P

Terminal 2

Morlaine

Ancienne tour de contrôle

Pompiers

Zone habitée

H

ZAE *

V de voiture

Territoire de l’aéroport

P Parking

Hotel Agence de location

Champs

Champs

N

Hangar IGN *

H

B Gare routière

Aéroclub

Terminal 1

ZAE Les Censives

Zone boisée

O

500m

Lexique :

Nouvelle tour de contrôle

P Piste 1 (2430m) Champs

Bassin de rétention

ZAE Les Censives

H Champs

Beauvais Paris 70km

- ZAE (Zone d'Activités Economiques) : Espaces réservés par les collectivités locales aux activités économiques des entreprises. On distingue parmi elles les zones industrielles (ZI), les zones artisanales (ZA) et les zones commerciales (ZAC).

La «ZAE des Censives» située à proximité de l’aéroport de Beauvais ne rassemble pas des activités particulièrement liées au activités aéroportuaires : grandes surfaces, garage auto, administrations, archives départementales...

- IGN (Institut national de l'information géographique et forestière) : Etablissement public ayant pour mission d'assurer la production de l'information géographique du territoire Francais.

L’IGN possède une base sur l’aéroport de Beauvais depuis mars 2017. Les quatres avions présents servent aux relevés photographiques aériens.

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Les premières activités de l’aérodrome remontent aux temps héroïques de l’aviation. Le plateau dégagé jouxtant le village de Tillé en Picardie, à 4 km de Beauvais et 70km au nord-ouest de la capitale, constitue dès la première guerre mondiale une situation géographie privilégiée pour les escadrilles de l’armée de l’air française. Vers 1930, durant l’Entre-deux-guerres, le terrain d’aviation accueillit ensuite les premiers hangars en bois de l’aéro-club du Beauvaisis, encore très actif aujourd’hui.

Aérodrome militaire à l’entrée en guerre, il fut pris par les Allemand en 1940, qui en feront une de leurs places fortes autour de la capitale, en construisant deux pistes pavées. L’Air Force américaine pris la suite de la Luftwaffe38 à la fin des conflits en 1944, et entreprit des travaux de réfections des pistes endommagées par les combats.

L’aérodrome servira ensuite de terrain d’entrainement pour les pilotes d’Air France ou de piste de replis en cas de brouillard sur les autres aéroports Parisiens.

Un gène low-cost présent dès les débuts

C’est à partir de l’année 1954 que l’aviation commerciale commence à s’intéresser à l’aéroport de Beauvais-Tillé, et l’on note que le gène low-cost est présent dans son ADN dès le commencement. En effet, la compagnie britannique Skyways of London est à la recherche d’un aérodrome proche de Paris, et situé du bon coté - nord-ouest - afin de limiter la distance de vol, et ainsi le prix de la traversée Paris-Londres (via l’aéroport de Lympne, situé non loin de Douvres). La formule bus-

38 Armée de l’air Allemande

avion, à la fois inédite et originale consistait à proposer un trajet à prix réduit et ainsi d’élargir le transport aérien à un plus grand nombre de personnes. En vertu des bons résultats de ce pari risqué, la Chambre de commerce et d’industrie de l’Oise (CCIT) obtient la concession définitive de l’aéroport. En surfant sur cette démocratisation débutante du transport aérien, elle mènera la modernisation de l’aéroport.

Au début des années 70, Beauvais s’élève au 10ème rang des aéroports français en terme de mouvement international, le trafic annuel atteint les 200 000 passagers39. Les baraquements en bois (fig. 51) bordant la piste ne sont plus suffisants : en période de haute saison l’aérodrome voit défiler jusqu’à 2600 passagers en deux heures. Le choix de bâtir une nouvelle aérogare est donc pris en 1977. C’est Robert Antoine Montier, l’architecte de l’aérogare de Toulouse Blagnac40 qui sera chargé de sa conception.

Le terminal 1 est inauguré en 1980, il est toujours en activité aujourd’hui. Mais à l’inverse de la tour de contrôle, bâtie en 1962 et classée au patrimoine architectural de l’Oise, l’aérogare a connue de nombreux remodelages au fil du temps, et il est difficile de lire aujourd’hui, sous le bardage de tôles ondulées, les lignes du projet initial.

39 40

Archives départementales de l’Oise, rapport d’exploitation de la CCIT Conçut en 1974, puis réhabilité et étendue à de nombreuse reprises.

59 fig.51

fig.53

fig.52

fig 51 : deux Douglas DC3 en stationement près des barraquements de l’aérodrome de Beauvais-Tillé, photographie aérienne, 1960. fig 52 : bus opérant la liaison Beauvais-Paris, photographie 1960 fig 53 : prospectus publicitaire de la compagnie Skyways ventant les prix des traversées Londres-Paris via Lympe et Beauvais, 1967.

60

Le monopôle Ryanair La «succes-story » de l’aéroport de Beauvais aurait pu continuer ainsi, si en mars 1974, l’arrivée d’un concurrent de taille à seulement 50km de là n’allait pas lui porter un coup critique.

En effet, l’activité de l’aéroport international Charles-de-Gaulle provoque dans les années 80 une diminution drastique du trafic à Beauvais, seuls quelques vols charters en direction de l’Europe du nord sont encore assurés. La demande locale ne permet pas d’attirer les transporteurs nationaux, et ce malgré les installations modernes de l’aéroport. Beauvais ne parvient pas à s’imposer non-plus comme un aéroport métropolitain face à CDG et Orly. Dans les années 90, Le projet de développement d’une troisième plateforme aéroportuaire à Beauvais restera dans les cartons41.

C’est en réalité grâce au processus de déréglementation du transport aérien, progressivement engagé par les autorités européennes, à partir de 1987 et achevé en 1997, que l’aéroport de Beauvais-Tillé trouvera son salut. En 1997, la compagnie aérienne Irlandaise Ryanair choisit Beauvais comme base pour desservir Paris, l’aéroport officiellement nommé « Beauvais-Tillé » est alors surnommé « ParisBeauvais » Le transporteur à bas coût jaune et bleu dicte ses lois et l’aéroport se spécialise dans le low-cost. S’en suit alors une évolution très rapide de l’activité qui porte le trafic à 2.5 millions de passagers en 2009 et replace Beauvais dans le "top ten" des aéroports français42.

41

« Bilan et perspectives de l'aéroport de Beauvais », journal télévisé France 3 Picardie du 7 juin 1990.

42 Rapport sur le trafic aérien en France, DGAC 2009.

Un aéroport low-cost typique

La gestion de l’aéroport change de main, et passe du public au semiprivé, le Syndicat Mixte de l’aéroport de Beauvais Tillé est créé en 2008. S’en suivent de nombreux travaux de modernisation et la construction d’une nouvelle aérogare pour accueillir les 6 compagnies aériennes assurant la liaison avec 60 destinations, majoritairement situées en Europe de l’est.

C’est une agence locale, Gallois Dudzik et Associés, qui est mandatée pour la conception de cette nouvelle infrastructure.

Le terminal 2 est un exemple parlant d’ « architecture low-cost » : en reprenant le système constructif très simple des bâtiments industriels et en utilisant des matériaux peux onéreux, les architectes conçoivent un hangar sans fenêtre offrant une surface libre de 9000m2. Les volumes des quelques programmes organisent ensuite l’espace intérieur.

N’offrant pas de qualités spatiales remarquables, l’espace capable de l’aérogare à au moins le mérite de traiter efficacement le flux de voyageur. Extérieurement, sa masse horizontale en tôle grise compose un ensemble rationnel, ce qui n’est pas le cas du terminal 1.

En effet, pour répondre à l’accroissement constant du trafic aérien, l’aérogare a subie de nombreux travaux d’agrandissement. Pour donner un semblant de cohérence à ce collage informe on a entièrement recouvert le bâtiment d’un bardage métallique. Les ouvertures sont rares en façades, contrairement aux dents creuses ouvrant sur des espaces résiduels : gaines techniques, bouches d’aération ou sorties de secours. Extérieurement, l’ensemble donne à voir une architecture bien chaotique.

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fig 54 : Aéroport de Paris-Beauvais, terminal 1, photographie de l’auteur, avril 2018.

On peut lire « #visitBeauvais » sur une publicité placardé sur la façade en tôle, à l’arrière plan, l’ancienne tour de contrôle en brique rouge. fig 55 : Aéroport de Paris-Beauvais, le terminal 2, photographie de l’auteur, avril 2018. fi. 56 : Aéroport de Paris-Beauvais, la nouvelle gare routière. fig. 57: Plans officiel des terminaux 1 & 2.

Tout oppose l’organisation des deux aérogares l’une est difforme et rapiécé (t1), l’autre rectiligne et régulière (t2).

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L’organisation intérieure pâtie également de ce rafistolage : les programmes paraissent disséminés aléatoirement et ne fabrique pas de parcours fluide. Suspendue au plafond, la signalétique se confond parfois avec les gaines techniques et les canalisations apparentes.

D’un point de vu plus global, le territoire du petit aéroport s’apparente d’avantage à une zone commerciale ou industrielle qu’à un espace aéroportuaire. Majoritairement goudronné, l’espace consiste en un grand parking à ciel ouvert ponctué par des lampadaires. Des voies d’accès bordées de jeunes arbres délimitent avec des grillages les différentes zones. Les bâtiments partagent un même langage architectural : des formes simples dénuées de tout élément superflu, un revêtement métallique gris et bleu pour les aérogares et des panneaux colorés en pvc pour les autres programmes. Au centre, sur le parking de la gare routière, le balai des bus blancs rythme la vie de l’aéroport.

La dictature du bas coût

Construite en 2015, la gare routière joue un rôle majeur dans la vie de l’aéroport low-cost. Les navettes relient Beauvais à l’ancienne gare de bus international au bord du périphérique parisien, à porte Maillot.

Il faut compter 17 euros et approximativement 1h30 pour un allez simple. Ce prix, comparé à celui d’un billet d’avion Ryanair peut paraitre très élevé. En effet, les gains engendrés par ce système de transport représentent 50% des profits générés par l’aéroport.

C’est d’ailleurs grâce à cette activité pourtant non liée à l’aviation que l’exploitant (La SAGEB) arrive à maintenir la cadence imposée par les

transporteurs low-cost. Face à Ryanair qui opère plus de 80% des vols à Beauvais, l’exploitant ne peut que céder à un chantage économique très stricte : la compagnie irlandaise négocie des ristournes toujours plus importantes, elle est de plus exemptée de toutes taxes d’escales dans l’aéroport picard43.

C’est notamment en dictant les règles de négociations très serrés que ces transporteurs low-cost arrivent à baisser constamment leur prix.

Il est donc difficile pour un petit aéroport, dépendant d’une compagnie privée, de développer son infrastructure et d’investir dans des services de qualité44.

Cette pression économique permet également d’expliquer la mauvaise connexion de l’aéroport au réseau de transport public pourtant existant : une ligne Ter relie quotidiennement la gare de Beauvais à la gare du Nord à Paris. Cependant, les horaires de celle-ci ne sont pas adaptés aux besoins des usagers de l’aéroport, tout comme ceux de la navette reliant l’aéroport à la gare SNCF de Beauvais. Ainsi, le service de bus de l’aéroport est la seule réelle option pour relier l’aéroport à la métropole.

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Collet Valérie, Les arrangements entre Ryanair et l'aéroport de Beauvais dénoncés par la Cour des comptes, publié le 19/06/2017, le Figaro en ligne.

44 Prandi Massimo, Ryanair, le cadeau empoisonné de Beauvais, publié le 06/05/2014, les Echos en ligne.

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fig 58 : Aéroport de Paris-Beauvais, terminal 1, accès aux avions, photographie de l’auteur, juin 2016.

Qu’importe la météo, le chemin menant aux avions se fait en exterieur, directement sur le tarmac. fig 59 : Aéroport de Paris-Beauvais, salle d’arrivée du terminal 2, photographie service communication de l’aéroport de Beauvais , 2017.

L’architecture intérieure est tout autant dépouillé que les espaces extérieurs.

En résulte un lieu de transit, froid où rien n’invite à rester ou à profiter de son passage. fig. 60 : Publications Instagram postées avec le hashtag #beauvaisairport, @take2promotions et @audecreme, avril 2016.

«Faire la queue tout au long du retour à la maison, merci Ryanair et l’aéroport de Beauvais !» ; «Désépoir» ; «Dur! Bon courage»; sur les réseaux les usagers se plaignent du low-cost.

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L’aéroport low-cost, un aéroport local ?

Paradoxalement à la très faible connectivité avec son territoire, l’aéroport est vanté par ses gestionnaires comme étant un pôle de transport desservant la région picarde. Cependant, l’immense majorité des passagers atterrissant à Beauvais sont en réalité en transit pour Paris, pour beaucoup ils n’ont pas connaissance de l’existence même de la ville de Beauvais et des sites touristiques alentours. Dans ce sens, les compagnies aériennes surnomment d’ailleurs l’aéroport « Paris-Beauvais ».

Pour répondre à cette situation et essayer de tirer parti du grand nombre de touristes potentiels, la région picarde et le département de l’Oise ont misés sur une campagne de communication visant à promouvoir les richesses culturelles locales. Des affiches publicitaires sont placardées tout le long de la façade du terminal 1, l’application mobile « destination Beauvais » a été lancée et un office du tourisme miniature a ouvert ses portes dans le terminal 2.

Si parmi les 4 millions de passagers annuels, certains profitaient ainsi de leur passage à Paris-Beauvais pour faire une escale culturelle dans les alentours, alors l’aéroport changerai effectivement de statut. Mais la réalité est toute autre, et l’idée même que Beauvais et sa région puisse devenir une destination principale pour des touristes étrangers est complètement utopique.

La faute revient peut-être aux gestionnaires de l’aéroport, qui peuvent voir dans le développement du tourisme local une éventuelle baisse des gains si précieux que génère les liaisons vers Paris. Ainsi, l’alternative à la capitale n’est pas vraiment mise en valeur : chacune des affiches présentant une attraction locale est surplombée d’une autre, indiquant la direction des navettes vers Paris.

De même, l’office du tourisme situé dans un coin du terminal 2 est quasiment laissé à l’abandon, ses écrans tactiles en panne et sa vitrine poussiéreuse ne risquent pas d’attirer grand monde ... Rien ne laisse croire ainsi à une évolution du statut de l’aéroport, devenant une plateforme de tourisme local.

L’aéroport et le village Dans l’environnement proche de l’aéroport on ne peut manquer le village de Tillé, reconnaissable par le clocher de son église et ces vielles maisons en briques rouges. Ce petit bourg typique de la région rassemble un millier d’âmes.

L’expansion de l’aéroport a gagné du terrain, les installations de l’aéroport bordent maintenant les premières habitations. Certains jardins des pavillons les plus récents touchent ainsi directement un parking ou une gare routière. La promiscuité des ces deux fromes urbaines aux échelles disproportionnées est troublante. D’autant plus qu’ici rien ne marque réellement la frontière entre résidentiel et industriel, mis à part un grillage ou une clôture opaque.

A Beauvais, deux mondes mitoyens cohabitent en faisant complètement abstraction l’un de l’autre. Il est cependant plus aisé d’occulter la présence d’un paisible village que d’un aéroport international.

Dans ce sens, les autorités aéroportuaires se doivent de mettre en place des mesures pour contrôler et diminuer au maximum les nuisances que génère l’activité des avions pour les habitants du village.

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fig 61 : Aéroport de Paris-Beauvais, photographie aérienne, 2018.

Sur le même tableau cohabitent des paysages ruraux et industriels, au premier plan le tarmac des taxiways, les aérogares et les parkings. A gauche, le village de Tillé. En arrière plan les champs. fig 62 : Plan de gène sonore de l’aérodrome de Beauvais-Tillé, Ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, 2011.

Ce plan délimite trois zones de gènes sonore (définit par l’indice Lden), de «très forte» à «gène modérée». Certaines habitations du village de Tillé se trouvent en zone intermédiaire.

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Ainsi l’aéroport communique abondement sur sa politique de vivreensemble et de respect de l’environnement. Des bornes de mesure acoustique et de la qualité de l’air sont installées aux abords de l’aéroport et dans le village. Les habitants à proximité peuvent également demander une aide aux travaux d’insonorisation.

De plus, il convient de noter qu’une telle activité sur le territoire d’une petite commune rurale comme celle de Tillé représente forcement des avantages fiscaux. La réduction des impôts locaux et le financement de quelques équipements permettent donc une cohabitation relativement tranquille.

Cependant les liens entre l’activité aéroportuaire de Paris-Beauvais et la campagne environnante restent quasi inexistants. Il n’y à pas à ce jour de retombées directes en termes d’activité et d’infrastructure.

L’embryon de zone commerciale aux abords des parkings vides est bien loin du phénomène de ville aéroportuaire que connaissent les grands aéroports métropolitains.

A ce stade, l’aéroport low-cost ne reste qu’un satellite hors métropolitain, profitant de la saturation des hubs parisiens. Son entière dépendance aux compagnies aériennes met en péril sa durabilité. L’aéroport n’arrive pas à devenir réellement attractif, au niveau local comme global, son architecture dépouillée ne contribue en rien à fabriquer un récit positif du voyage en avion.

En définitif, le faible coût du billet d’avion reste le seul argument de séduction pour un aéroport low-cost comme Beauvais.

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fig.65 fig.63 : Aéroport de Paris-Beauvais, «Aéropolis» série photographique de Bertrand Stofleth, 2014 2016.

Aux portes du territoire aéroportuaire: les pavillons les plus récents dans la périphérie du village de Tillé. Des jardins, à peine délimités par les haies fraîchement plantées on entends et ont voit les avions et les voitures de l’aéroport. Aucune limite physique ou traitement urbain ne fait office de frontière entre la zone pavillonnaire et l’infrastructure de transport. fig.64: Aéroport de Paris-Beauvais, «Aéropolis» série photographique de Bertrand Stofleth, 2014 2016.

La piste trace une bande bitumeuse en plein milieu des exploitations agricoles. Au second plan un avion Ryanair décolle devant la nouvelle tour de contrôle en construction, au fond on devine les grands ensembles de la banlieue de Beauvais. fig.65 : Beauvais, «la promenade» série photographique de Andrej Vasilenko, 2016.

Les avions et leurs désagréments sont partie intégrante du paysage péri-urbain qui entoure le noyau historique de Beauvais, situé à seulement quelques dizaines de kilomètres de l’aéroport.

Pourtant rien ne laisse deviner la présence d’un aéroport dans ce contexte urbain résidentiel.

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III. L’expérience du voyage et le récit de l’aéroport

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Vol TK1828 : Paris Charles-de-Gaulle – Istanbul

Vol FR4984 : Paris-Beauvais – Venise-Trévise

Aéroport Paris Charles-de-Gaulle, accès aux «travelators», les galeries aériennes qui traversent l’atrium du terminal 1, photographie de l’auteur, septembre 2018.

Aéroport Paris-Beauvais, portiques électroniques menant aux contrôles de sécurité et douane, photographie de l’auteur, décembre 2018.

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Mercredi 26 septembre 2018, vol Turkish Airlines TK1828 en partance de Paris Charles-de-Gaulle terminal 1, à destination de Istanbul Atatürk.

3 heures de vol, 285 euros, 1 valise enregistrée, 1 repas servi à bord.

La berline noire serpente sans décélérer à travers les derniers embranchements menant au terminal. Mon chauffeur, imperturbable face à la profusion de panneaux signalétiques, est assurément un habitué des lieux. Heureusement, car l’approche de Roissy à la mauvaise réputation d’être un casse tête pour automobilistes nonavertis. Face à la complexité du réseau, les dessinateurs du tracé se sont inspirés d’un modèle routier anglo-saxon qui paraît-être déstabilisant pour les français. Le conducteur doit continuer à rouler sans jamais bifurquer tant qu’une indication ne l’incitera à emprunter la sortie de sa destination.

Au dernier embranchement, une pente douce s’enfonce dans l’entrelacement de courbes pour enfin arriver au niveau « départ ». De ce point de vue en contre-plongée, le cylindre en béton gris estampillée « terminal 1 » nous domine fièrement. Nous pénétrons dans le cercle, ou plutôt sous lui, évoluons entre les pylônes en V disproportionnés qui soutiennent le monolithe. La circulation est fluide, il suffit de faire le tour de l’ouvrage jusqu’à trouver une place où se garer en épi.

Nous y voilà, bienvenu dans le ventre de la bête.

L’entresol profite d’une dimension gigantesque propre aux ouvrages d’art, certes édifiés par l’Homme, mais où le corps ne parvient pas à trouver sa place dans l’espace. Le territoire de l’aéroport est en grande majorité composé de sol dégagé - non construit - mais exclusivement réservé aux mouvements de machines géantes.

L’espace pédestre bien délimité par un marquage au sol est généreux.

Un quai circulaire encerclant la base du terminal permet de faire le

tour complet de l’édifice. Suffisamment en avance, je profite du spectacle : Le quai permet le va-et-vient des passagers sans aucune friction, cohabitent ici les attendus et les attendants. Un homme parlant une langue étrangère fait les cents pas au téléphone ; un autre prend le temps de choisir l’endroit propice où fumer une dernière cigarette ; deux amoureux en uniforme prennent leur pause au soleil couchant. La scène - très photogénique - est sublimée par les rayons du soleil rasant, qui tracent de longues ombres fuyantes entre les piliers de béton. Entre les silhouettes fixes, un passager pressé cours à perdre haleine vers sa destination, il suit strictement la courbe régulière du terminal, à tel point que l’on croirait un coureur sur une piste d’athlétisme. A l’image des voitures et des bus, il semble se déplacer en orbite autour du terminal.

La matérialité de l’édifice joue également pour beaucoup dans le récit que façonne le lieu. La masse de béton au dessus de ma tête, m’évoque une caverne souterraine. Le béton, travaillé comme de la pierre ne fait pas juste office de mur porteur, il est tantôt le sol, le ciel, une falaise ou un pic.

Mon regard est attiré par d’étranges bas reliefs en béton brut, ils représentent des Hommes de tous les continents dans un dessin naïf empruntant presque le style d’une peinture rupestre. J’imagine la matière remplissant les coffrages et figeant à jamais les traces d’une technique constructive, si propre aux années 70.

Comme au fond de la grotte que je me figure, chaque bruit trouve son écho, donnant ainsi l’impression de venir d’un lointain recoin. Les quelques sons émis par les passagers ne parviennent pas à combler le vide sous l’immense structure. L’ambiance sonore est constituée d’une série de bruits sourds et métalliques propres au fonctionnement de divers véhicules et mécanismes. On se croirait maintenant dans un parking souterrain ou au fond d’une calle de paquebot.

Soudain, un vrombissement assourdissant casse cette mélodie monotone. Le bruit vient du tarmac, à quelques mètres au dessus de

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nous, entre l’arrête du toit et les barbelés clôturant le sommet d’un talus, la où on aperçoit une portion de ciel bleu, parfois strié par la trace d’un avion, Le responsable de cet intrigant vacarme est un Boeing 737 d’un blanc étincelant sur lequel on peut lire « ANA, Inspiration of Japan ».

En approchant si près de cette formidable machine, j’ai l’impression d’être un spectateur privilégié, je touche du doigt l’univers aéronautique qui me fascine, et qui, je suppose, ne laisse personne de marbre. Le voyage commence ainsi, dès les premiers pas dans l’aéroport...

Vient le moment de rentrer dans le terminal. Je passe au travers d’un des sas qui débouche sur la première couronne de l’engrenage CDG. Cette coursive circulaire dessert les guichets d’enregistrement des compagnies aériennes. Situé devant chaque porte entrée, un panneau digital indique les vols et numéros de guichets correspondants.

Egrainer les destinations et compagnies aériennes me plonge depuis toujours dans une rêverie de voyage. Je me rappelle d’ailleurs d’un jeu, que nous avions inventé avec un compagnon de voyage, et dont le but consistait à nous faire partir au hasard vers une des destinations présente dans la liste en fonction d’un chiffre choisit aléatoirement. Ce soir je partirai donc à... Doha, 21h30, Qatar Airways.

De retour dans le vrai monde, mon numéro de guichet en tête, il convient de parcourir la courbe dans le sens croissant ou décroissant des chiffres correspondants. C’est le moment de préparer mon passeport et boucler pour de bon ma valise, avant de la confier au tapis roulant qui l’avalera dans les entrailles souterraines de la machine aéroportuaire.

Dans ce premier anneau de l’aéroport, sans début ni fin, tous les passagers se croisent, qu’importent leur destination, compagnie aérienne ou classe économique. Avant de se ranger dans les files d’attentes, le flux ininterrompu d’usagers ne me paraît pas hiérarchisé.

En prêtant attention à la foule qui peuple l’aérogare, je remarque que nous ne sommes pas tous voyageur. Hormis les divers accompagnateurs et personnels de l’aéroport, on trouve ici une population qui dénote avec le reste. Ces « intrus », hétéroclites, ont tous pour point commun de tirer profit des possibilités informelles de l’aérogare : racoleurs de taxis clandestins, mendiants, pickpockets, sans abris... De part l’absence de filtre, l’aérogare land-side semble très peu réglementé par rapport à l’image que l’on se fait d’un aéroport international, stérile, hermétique, contrôlé, aseptisé. Avec surprise j’aperçois dans un interstice de l’aérogare, un petit groupe de personnes sans-abris installés en campement mobile, s’appropriant même des éléments trouvés sur place (chariots, bancs, valises égarées, gilets jaunes...). Ce lieu de transit m’apparaît pour la première fois comme un espace bien urbain, un prolongement de la ville. Ainsi, comme un échantillon de Paris, l ‘aérogare land-side est un avant goût de se qui attend les touristes dans les lieux de transit de la métropole.

Cependant, l’ignorance des passants envers ces sans-abris est encore plus marquée que dans les espaces publics métropolitains.

Toutes ces personnes s’apprêtant à partir, semblent déjà conditionnées, concentrées sur leur voyage, rien ne peut les distraire sur la portion du trajet qu’il leur reste à parcourir avant d’embarquer dans l’avion.

Une fois enregistré, délesté de mon bagage, ma carte d’embarquement en main - véritable sésame du voyageur - je cherche le chemin vers ma porte d’embarquement. Je me laisse guider par la signalétique. Comme dans un engrenage, on saute d’une couronne à l’autre. Au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans la spirale, l’ambiance s’apaise, comme pour favoriser le moment des derniers adieux, ou se préparer à la discipline imposée par l’embarquement. Seul les passagers munis de ticket pourront passer

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le portique électronique menant aux boyaux de la machine. Ce premier filtre marque le point de non-retour : le tapis roulant sur lequel il débouche impose une direction à sens unique. L’architecture de la galerie de verre, le puits de lumière au cœur du terminal, l’entrelacement des tubes contenant les voyageurs, cette scène est comme l’allégorie du voyage en avion, le corps se laisse porter par la machine. A travers la vitre j’observe le chahut inaudible de l’aéroport.

Me sortant de mes songes, une voix ressemblant à celle d’une hôtesse de l’air indique la fin imminente de l’ascension.

Je débarque sur un nouveau plateau, orientant les passagers vers les zones sous douanes (vers ou hors Union-européenne). L’endroit n’est pas adéquat pour faire une pause, c’est un pur espace de transit, l’ambiance est calme, le champ de vision dégagé, les couleurs vives des panneaux signalétiques se distinguent sur le fond terne du béton et de l’acier. Rien ne vient perturber le flux de voyageurs.

Le moment est venu de montrer « patte blanche » afin d’avoir accès à l’aérogare air-side. Après avoir attendu dans un zigzag de barrières amovibles, je m’en remets complètement aux indications du personnel de sécurité. « Monsieur, ligne numéro 3 s’il-vous-plait » « Pas d’objet électronique ? » « Rien dans les poches ? » « Nous allons procéder à un contrôle aléatoire ».

Plus qu’au cours des autres étapes du processus aéroportuaire on reconnaît ici immédiatement les habitués des voyages en avions pour qui la fouille n’est qu’une formalité. Pour les autres, familles ou voyageur occasionnel, les nombreuses tâches qu’impose la fouille sont souvent source de stress.

Seulement, ici tous le monde est traité à la même enseigne, les voyageurs d’affaires doivent donc prendre sur eux et attendre que la personne ayant oubliée d’enlever sa montre repasse une troisième fois sous le portique.

Comme pour profiter de notre docilité passagère, les filtres de contrôles sont regroupés à la suite. D’une file d’attente je passe à une autre.

Le guichet de la police aux frontières, en verre et acier inoxydable, hermétique et stérile, ressemble curieusement à un vivarium. On croirait qu’il est fait de sorte à éviter tout contact humain entre la personne contrôlée, et le policier en contres-bas. Je ressens une certaine compassion pour l’agent de la police aux frontières travaillant à ce poste, cet environnement me paraît bien morose. L’espace est méthodiquement hiérarchisé, chaque pas est guidé par une ligne au sol, et tout écart fait l’objet d’une remise en garde. Un panneau indique l’enregistrement vidéo et audio de la scène. C’est un lieu stressant, qui a pour unique but de contrôler, filtrer et empêcher le moindre débordement.

Une fois le contrôle effectué - simple formalité pour un détenteur de passeport européen - je me faufile entre l’espace étroit et froid formé par deux rangs de parois en aluminium, et j’arrive dans un tout autre univers.

La galerie commerçante dénote en tout point avec la zone de contrôle : belle hauteur sous plafond, couleurs ocres apaisantes, lumières douces et indirectes, matériaux nobles et brillants... Rien n’est laissé au hasard, rien ne vient perturber la boulimie de shopping auquel s’adonnent les passagers-clients. On trouve toutes sortes de services « bien-être » comme pour récompenser les voyageurs d’avoir traversé les étapes fastidieuses du voyage aéroportuaire ou calmer le stress lié au vol.

A cet instant, nous ne somme plus dans un aéroport, on quitte la machine à flux - fenêtre sur le monde technique de l’aviation - pour rentrer dans une expérience commerciale. L’espace est fait d’images, de clichés et de produits nourrissants l’imaginaire d’un lieu transposé.

En se laissant bercer par la balade légère de Yann Tiersen diffusé dans les hauts parleur, les touristes du monde entier passent de

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Ladurée à MaisonPradier, les plus fortunés emprunteront les ascenseurs privés qui montent au café Eiffel.

La parenthèse se ferme quand la douce voix électronique annonce la fin du tunnel.

Même si cette euphorie de consommation ne m’excite pas particulièrement, il me faut parcourir le dédale commercial et subir malgré moi - les images et slogans le temps d’atteindre ma prochaine étape. Le mall n’est autre qu’un filtre de plus, il convient donc de le passer en se laissant porter par la marée humaine.

Le nom évocateur de satellite me fait penser à un objet volant. L’effet qu’il donne n’en est pas si loin : posé sur le tarmac, c’est un petit vaisseau tout vitré qui parait graviter autour du navire principal : le terminal. J’arpente les lieux en longeant les baies vitrées, tel un poste d’observation, le satellite offre une vue panoramique sur le balai des avions. J’observe depuis ma tour de contrôle fictive les derniers préparatifs au sol de mon appareil, un airbus A330 blanc et rouge.

Toujours guidé par la signalétique, j’aperçois la bouche du tunnel menant a mon satellite, étrange espace où semblent se séparer les flux. Seulement les passagers se rendant à leur avion empruntent ces passages correspondants. Ces voies souterraines, disposées régulièrement sur la couronne de duty-free s’apparentent à des veines ou canalisations secondaires rejoignant une voie majeure.

Le tunnel est séparé en deux parties, deux sens opposés, départ/arrivée. Je me lance. On s’enfonce tout d’abord dans le sol, le rythme du tapis est doux, le degré de la pente également. L’intérieur est un espace très architecturé, à l’image des passerelles vitrées de l’atrium, c’est un passage important, un lieu de transition chargé en symbolique qui nous rapproche une fois encore de l’aéronef. Plus que les autres espaces clos de l’aéroport, le tunnel plonge dans une abstraction complète et coupe le passager du monde extérieur.

La lumière indirecte qui s’échappe d’une fente au sol et qui rase les murs blancs semble venir d’un entresol. L’effet est tel que le tapis paraît voler, dans cet espace paradoxalement clos et souterrain. La traversée est longue, silencieuse et calme, le rythme de l’éclairage disposé régulièrement renforce la perspective linéaire, rappelant une piste de décollage.

Comme un sanctuaire, le tunnel est propice à la méditation, un peu à l’image du temps de préparation qui précède une apnée, excepté qu’ici on s’apprêtent à s’élancer vers les airs et non pas sous la mer.

L’ambiance est douce et feutrée, le satellite est un véritable salon où il fait bon de se relaxer en attendant l’embarquement. Les passagers semblent repus par la frénésie de shopping et las d’avoir franchis toutes les étapes du processus aéroportuaire, l’ascenseur émotionnel de Roissy 1. La plupart se reposent sur leur fauteuil en contemplant le couché de soleil sur les pistes, certains prennent un café au bar central. Seuls quelques enfants infatigables jouent et courent entre les rangées de fauteuils. Les parents les laissent faire, ainsi ils dormiront mieux pendant le vol.

Vient le moment d’embarquer, lorsque la douce voix d’une l’hôtesse retenti dans la petite aérogare. J’empreinte la passerelle vitrée, dernier espace conditionnant le passager à embarquer dans l’appareil volant. Une fois installé dans mon siège, à travers le point de vue privilégié qu’offre le hublot, je ne peux décoller mon regard du spectacle que laisse voir le manège de l’aéroport.

Enfin l’avion décolle, nous quittons concrètement la surface du sol.

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Mardi 18 décembre 2018, vol Ryanair FR4984 en partance de l’aéroport de Paris-Beauvais terminal 1, à destination de l’aéroport de Venise-Trévise.

1 heure 30 de vol, 30 euros, un bagage cabine autorisé.

Le jour ne s’est pas encore levé lorsque je sors de la station de métro Porte Maillot. Rien n’indique la direction à prendre pour trouver la navette reliant Paris à l’aéroport de Beauvais. Je m’en remets donc à suivre les seuls piétons - munis de valises à roulettes - dans un environnement conçu pour les engins motorisés ; la porte Maillot se résume en un immense échangeur routier assiégé en son centre par des travaux de construction titanesques.

Après avoir franchis un pont autoroutier et traversé une voie rapide j’arrive à mon but : un parking enserré entre le boulevard périphérique et l’imposante façade aveugle du palais des congrès. Des barrières de chantier barricadent les abords d’une gare routière improvisée, je me faufile entre celles-ci en suivant les panneaux « déviation ».

Aucune indication ne signale explicitement la nature du site, mis à part le rassemblement de tant d’individu à une heure si matinale et dans un lieu si incommode. La gare routière - si l’on peut l’appeler ainsi est constituée par deux rangées de petites cahuttes préfabriquées, revêtues de tôle et de plastique, dans lesquelles sont percés ponctuellement d’étroites fenêtres grillagées. Toutes paraissent inoccupées, excepté une où la lumière blafarde d’un guichet indique un signe de vie. Des toiles tendues couvrent la surface libre entre ces deux bandes où se forme déjà une queue de voyageur attendant le bus. Ce préau, bien que couvert, est balayé par le vent qui s’engouffre entre les éléments préfabriqués, l’atmosphère est affreusement bruyante en raison de l’intense circulation des voies rapides alentours.

Une petite centaine d’individus, bien emmitouflés et encore engourdis par une nuit sûrement trop courte attendent calmement sous les spots lumineux, billets électronique et valises à roulettes en main.

Ryanair préconise sur ses billets un départ de Paris au minimum 3 heures avant le vol. Les navettes sont donc indexées sur des plages horaires correspondantes. Mon vol est un des premiers de la journée, les avions suivant feront route pour la Roumanie, la Bulgarie et la Géorgie. En tendant l’oreille dans la fille d’attente j’écoute les discussions, et je reconnais les langues à consonance slave.

J’observe discrètement les retrouvailles de personnes faisant sûrement partie d’une même communauté d’immigrés.

Outre le guichetier, je ne compte qu’un autre membre du personnel, un agent de sécurité. Sur le parking : un bus et un taxi. Le conducteur supervise seul l’embarquement et composte les billets. Le trajet ParisBeauvais me revient plus cher que mon billet d’avion ! L’aller-retour en bus coûte 34 euros et dure approximativement 1h30.

Sur le car est inscrit en caractère gras le prix très attractif de 9 euros, suivit de la mention « Beauvais : plus tranquille, plus vite, moins cher ».

En y regardant de plus près il s’avère que ce tarif est uniquement applicable au moins de douze ans…

Après 30 minutes, lorsque le chauffeur nous fait signe, tout le monde se presse en troupeau pour obtenir une place, rien n’indiquant le nombre de sièges encore disponibles. Le bus se remplit rapidement et lorsque chaque place est occupée, le chauffeur démarre le moteur.

Sur le parking vide il ne reste alors qu’un vieil homme venu accompagner un proche. Il est 6 heures du matin, nous partons.

Nous roulons un certain temps à travers la banlieue parisienne, bercé par le ronronnement du moteur et le paysage monotone, je m’assoupis rapidement.

A mon réveil, une heure plus tard, je découvre à travers la fenêtre un monde tout à fait différent : le jour se lève doucement sur un paysage agricole pris dans un épais brouillard. A mesure que nous roulons sur l’autoroute, défilent les champs bien verts et les terres labourées,

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trempées par la rosée du matin. Les bâtiments agricoles et leurs hauts silos à grains ressemblent d’avantage à des usines qu’aux fermes bucoliques que j’aime m’imaginer. Ils se confondent presque avec les masses grises recouvertes de bardages métalliques des entrepôts logistiques regroupés à chaque sortie d’autoroute. Seuls éléments, qui avec les lignes à hautes tensions trahissent la proximité de l’immense agglomération Parisienne. Face à un tel dépaysement, j’ai l’impression d’être déjà loin de chez moi, En somme toute, ce trajet en bus est un premier voyage dans mon voyage.

J’essaie de me mettre à la place d’un étranger n’ayant jamais visité Paris, et qui pensant débarquer dans les faubourgs de la capitale atterrit en rase campagne picarde. Etrange façon de débuter son circuit touristique...

A la sortie de l’autoroute, le car ralentit, tourne autour d’un rond point et s’engage dans la direction « aéroport ; zone d’activités ». Le long de la route départementale défile un paysage générique, propre aux périphéries des villes moyennes françaises : magasins franchisés, enseignes de grandes distributions, restaurants à thèmes et concessionnaires autos. Mon œil guette les indices révélant la présence d’un aéroport mais je ne détecte pas même un hôtel, une agence de location de voiture ou un centre de séminaire. J’aperçois enfin, entre le McDonalds et le Décathlon, une dérive d’avion sur laquelle est estampillé le logo jaune et bleu de Ryanair. Nous poursuivons notre route, entre un talus gazonneux bordant les pistes et les pavillons bien alignés. Arrivé au dernier rond-point avant l’entrée de l’aéroport, un panneau indique les commerces du village de Tillé : artisan boucher, pâtissier-boulanger etc. Depuis le siège surélevé du bus, je distingue les pelouses bien tondues et les jeunes arbres des jardins pavillonnaires.

Un entrepôt bleu marque le début du territoire aéroportuaire. La présence de tracteurs verts équipés de pelles de déneigement ou de

tondeuses à gazon, en donne un premier aperçu quelque peu saugrenu.

Le terminal 1 suit dans la foulée, dans le même habillage de tôle. Sur sa façade est accroché un grand panneau, on peut lire « welcome to Beauvais ».

Le bus se gare, la porte s’ouvre, un flot de passagers débarque. Sur la bordure métallique du parking quatre écriteaux bien visibles indiquent successivement « SORTIE » et « EXIT ». On pénètre ainsi dans l’aéroport en poussant une porte de sortie grillagée. Un petit écran de télévision indique ensuite les vols et terminaux correspondants : il convient de prendre à droite où a gauche. La horde se sépare en deux.

Le bruit d’une centaine de petites valises à roulettes sur le bitume créé un vrombissement considérable, ajouté au brouhaha des réacteurs d’avions et à l’odeur acre de kérosène on se croirait déjà sur le tarmac.

Une route à sens unique dessert les deux terminaux disposés à quelques dizaines de mètres l’un de l’autre, elle n’est empruntée que par des véhicules de service roulant au pas. Le territoire de l’aéroport land-side n’étant pas très vaste la circulation des voyageurs se fait à pied, en extérieur. Je marche sur le large trottoir en direction du terminal 1. Sur ma gauche j’observe l’espace entre les deux aérogares. Le lieu n’est pas vraiment défini. C’est un ensemble plutôt chaotique uniquement organisé par des grillages. Autour d’un parking destiné aux véhicules d’employés de l’aéroport, cohabitent les bouches d’aérations (cheminées fumantes), les préfabriqués de chantier, les bâtiments techniques et les anciens bâtiments en briques rouges dont l’ancienne tour de contrôle. Dans la continuité, le terminal 1 ne fait pas meilleur effet. L’aérogare est formée par un amas de volumes sans aucune concordance, on lit bien dans ce patchwork de pièces rapportées l’évolution qu’a dû subir le bâtiment au grès des variations du trafic aérien. Ainsi une façade discontinue

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est ponctuellement ouverte sur des espaces de logistique résiduels : une porte ouverte laisse entrevoir ici et là l’arrière d’une boutique, ou la cuisine d’un bistrot. Le seul élément donnant un semblant d’harmonie à ce rafistolage architectural est la couleur bleue pâle de la tôle utilisée. Pour habiller cet ensemble disgracieux les aménageurs de l’aéroport, ont installé des panneaux publicitaires donnant à voir les attraits touristiques de la région picarde : « Enjoy and discover a farrytale at the Pierrefonds fortress ». Un logo indique que l’attraction se trouve à seulement 1h30 de la tour Eiffel. Pour ceux que l’image n’a pas convaincu, une flèche rouge indique la direction des navettes pour Paris.

De l’autre coté, la route est bordée par un parking, derrière les voitures, à quelques dizaines de mètres on distingue le toit des pavillons. Un peu plus loin, mais bien visible, un clocher dépasse.

Ayant suivit les recommandations de Ryanair, il me reste 1h30 avant mon vol. Je ne suis pas très enthousiaste à l’idée de passer ce temps enfermé dans l’aérogare, je succombe donc à la curiosité d’aller voir ce village d’un peu plus près. En continuant la petite route bordée d’arbres par laquelle je suis arrivé, je parviens rapidement à l’entrée de l’aéroport, marquée par le hangar aux tracteurs. Sur ma droite, une bande de terre dessine un étroit sentier dans un parterre de gazon. Je l’emprunte et sort du territoire de l’aéroport, le chemin serpente entre des haies et une clôture opaque, des lors que l’on franchit cette fine barrière, le décor change instantanément.

Je découvre une petite place fleurie, délimitée par une voirie impeccable, quelques pavillons proprets quasiment identiques, y sont disposés en arc de cercle. Leur crépi beige immaculé et impeccable, ainsi que les jeunes haies fraîchement plantées laissent deviner qu’ils ne sont pas là depuis bien longtemps.

Les abords des maisons sont nets et propres, devant chaque entrée, à coté de l’emplacement réservé à la voiture un petit muret définit l’emplacement des poubelles et des boîtes aux lettres.

Quelques éléments de mobilier extérieurs ou jeux pour enfants en plastique sont disposés dans les jardins à la vue de tous.

Ce petit îlot de vie bien lisse et calme paraît complètement replié sur lui même. On oublierai presque l’extrême proximité d’un aéroport international et ses dix milles passagers journaliers. Mais ce serait en faisant abstraction du bruit ininterrompu des avions, et des bus blancs qui dépassent de la clôture en bois.

Le temps passe, je dois me hâter afin de continuer mon exploration, je prends la direction du clocher, je m’enfonce d’avantage dans l’agglomération. En observant l’architecture des autres maisons, je commence à comprendre la morphologie du bourg. A l’image des peaux d’un oignon, je décortique à mesure de mon parcours les différentes couches qui révèlent la croissance du petit village : après les habitations les plus récentes - facilement reconnaissables par leurs formes simples et leurs couleurs claires - succède une série de pavillons, datant probablement des années soixante-dix. Un revêtement en pierre de façade et une entrée couverte ornementée les distingue des premiers. Puis j’atteins le cœur du village historique, la brique rouge prédomine ici, j’apprécie les quelques vieux corps de fermes, et les bâtisses du début du siècle dernier épargnées par la guerre. Enfin, autour de la petite mairie, et de la vieille église on trouve d’anciennes demeures moyenâgeuses, en torchis et toits de chaume, toutes biscornues.

Une fois dans le centre bourg, je reprends la direction de l’aéroport, à ma droite sa silhouette se distingue déjà au bout de la rue du vieux moulin. Quelle vision ubuesque que ce panorama ! Sur le chemin, je fais un bref détour par le vieux cimetière, j’y vois des tombes abandonnées vieilles de deux siècles pour les plus anciennes. En sortant par le vieux portail en brique, je tombe face à un groupe d’oies

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grises qui jacassent en m’apercevant. Elles partagent leur enclos avec quelques carcasses de voitures abandonnées.

La basse-cour aux allures de terrain vague est le seul filtre entre l’imperméabilité du parking à avion et les jardins des pavillons. Cet espace tampon est caractéristique des no mans land qui définissent les frontières. Ici les mondes ruraux, urbains et industriels cohabitent, sans pourtant tisser de lien.

Plongé dans la contemplation de ce paysage singulier, je me laisse surprendre par un petit groupe d’hommes parlant à haute voix dans une langue étrangère. Ils me dépassent en avançant dans la direction de l’aéroport.

Je comprends en me retournant, qu’une voiture vient juste de les déposer, elle est encore garée devant un petit bâtiment de service en crépis blanc. Ces gens sont assurément des habitués des lieux, ils préfèrent stationner dans la petite agglomération pour ne pas payer le parking, il ne faut pas plus de dix minutes pour rejoindre l’aérogare depuis l’endroit où nous nous trouvons.

La scène que j’observais n’en est que plus grotesque avec ces gens trainant leurs valises presque à travers champs vers les avions aux couleurs vives des compagnies low-cost.

Je leur emboîte le pas, et les suis à travers les parkings vides jusque dans l’aéroport.

La courbe jouxtant l’entrée de l’aérogare compose l’unique surface vitrée du bâtiment. Seul élément architecturé, ce semblant de façade est un des rares vestiges du projet originel des années 80.

Je pénètre dans l’aérogare, l’espace est dénué d’habillage architectural. Tout est laissé à voir : structure, gaines et canalisations.

J’apprécie d’ordinaire le dépouillement qui laisse entrevoir le fonctionnement d’un bâtiment, cependant, ici l’effet est négatif, la faible hauteur sous-plafond rend l’ensemble disparate et étouffant.

Suspendus, la signalétique et l’éclairage se confondent dans l’entremêlement des éléments techniques.

Je continue ma progression dans l’aérogare. Les formes et proportions intérieures ne sont pas harmonieuses. Aux deux extrémités des angles bien trop aigus forment des espaces résiduels.

Le dessin de l’aérogare à du être adapté à posteriori afin de répondre aux normes sécuritaires : une cloison divise le bâtiment dans toute sa longueur pour séparer l’air-side du land-side. Aux trois-quarts de sa hauteur, elle est grossièrement découpée pour laisser passer des tuyaux d’aérations. A travers les interstices entre chaque panneau de contreplaqué on pourrait presque communiquer avec les passagers de l’autre côté.

Trois commerces animent l’aérogare, un kiosque à journaux, une sandwicherie et un bar à bière où sont diffusés en continu des matches de boxe et des parties de football. Dans le pub décoré aux couleurs d’une célèbre bière verte sont attablés des groupes d’hommes parlant fort une langue slave, certains ont déjà une bière à la main, bien que la vente d’alcool dans l’aéroport ne soit officiellement autorisé qu’à partir de midi. Il s’agit sans doute de travailleurs expatriés qui rentrent auprès de leur famille pour les fêtes de fin d’année.

L’odeur de bière au petit matin ne m’attirant pas spécialement, je passe mon chemin et me dirige vers les bornes automatiques qui filtrent l’accès à la douane et aux contrôles de sécurités. Un peu comme pour contrôler du bétail, des barrières recouvertes de publicités sont boulonnées au sol pour former un entonnoir.

Aucune ligne au sol n’organise la file, tout le monde s’entasse donc en attendant de passer au compte-goutte. Les cages en verre de la police aux frontières sont vides, les vols s’effectuant tous dans l’espace Schengen.

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Une fois passé les contrôles, tout s’enchaine très vite, j’arrive dans une salle d’attente en longueur, ouverte par des portes fenêtres sur les pistes et seulement aménagée par du mobilier métallique fixé au sol et des distributeurs de boissons.

L’embarquement a déjà commencé, je traverse la galerie et pénètre sur le tarmac. Malencontreusement c’est à ce moment précis qu’une averse s’abat sur nous. Il me faut donc parcourir les trois cent mètres qui me séparent de l’aéronef sous une pluie battante. S’ajoute à ce désagrément le bruit que produisent les avions en mouvement, et les opérations d’avitaillement autour de nous.

Une file de passagers se forme déjà au pied du petit escalier métallique menant à l’avion, tout le monde souhaiterait embarquer au plus vite, seulement, le grand nombre de bagages cabine à ranger dans les compartiments retarde la manœuvre.

Une fois assis dans mon siège, certes un peu mouillé mais content d’être enfin dans l’avion, je ferme les yeux et espère m’assoupir au plus vite, dormir restant la meilleure façon de passer un vol Ryanair.

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Conclusion

Je fais partie de la génération low-cost. J’ai grandi dans une Europe sans frontière, où le transport aérien à bas coût à permis d’effacer une des dernières barrières que représentait encore le prix d’un billet d’avion.

Ainsi, s’envoler pour une ville européenne le temps d’un week-end n’a plus rien d’exceptionnel. Easy-jet et Ryanair font maintenant partie du paysage usuel. Se déplacer dans les airs à bord d’un avion low-cost est devenu un acte banal pour un européen moyen. Nous ne prêtons peut-être plus vraiment attention à la signification même du voyage dans les airs.

C’est pourquoi, j’ai voulu me pencher sur l’univers fascinant de l’aéronautique. Au cours de mon travail j’ai parcouru différents lieux, véhiculant des imaginaires bien différents, des récits qui en s’opposant, semble s’augmenter mutuellement.

Il y a bien, aujourd’hui deux genres de voyageurs qui partagent le même ciel, mais qui ne se croiseront jamais. Il en est de même pour les employés, travailler dans l’univers low-cost n’étant sûrement pas considéré au même titre que dans un grand aéroport ou une compagnie aérienne nationale.

En effet, le low-cost banalise le voyage et fait abstraction de la prouesse aéronautique, l’aviation classique s’attarde elle au contraire sur l’aspect sensoriel du voyage et cherche à développer une expérience commerciale unique, et personnalisée. L’architecture des aéroports joue un rôle majeur dans cette narration. C’est à travers elle que l’on façonne l’univers envoutant qui conditionne le voyageur avant le décollage. Le low-cost dans sa démarche de rentabilité a évincé cet enchantement du voyage.

Jusqu’où mènera la politique de réduction des coûts des transporteurs de masse ? Voyagerons-nous bientôt debout dans un avion, sans accès aux toilettes le temps du vol ?

Par surcroit d’avoir désacralisé le mythe aéroportuaire, le transport low-cost à engendré de profondes et irrémédiables transformations dans notre système monde. La façon même dont nous percevons la géographie est impactée. Aujourd’hui, l’accès à cette nouvelle mobilité permet à des populations jusqu’alors laissées pour compte, de profiter encore un peu plus dans la mondialisation.

De nos jours, jamais nous n’avons autant pris conscience de la nécessité de réduire notre impact environnemental, pourtant nous continuons paradoxalement à vouloir toujours voyager plus, pour moins cher, et sans mauvaise conscience.

A travers ce mémoire, j’ai pu dépasser la fascination et l’excitation que provoquait en moi ce monde technique sans limite. C’est maintenant avec un certain recul que je reconsidère le sujet, je le vois plus comme le système débridé qu’il est : bien trop gourmant en énergie et en ressource, polluant, et reposant sur des bases fragile et périssable.

Malgré les discours progressistes des firmes aéronautiques, et la promotion de technologies toujours plus performantes et moins polluantes, il me paraît difficile à croire que la mobilité aérienne, étendue à l’échelle de la planète puisse-être réellement durable. En effet, si en Europe le low-cost a ouvert les portes du ciel à un plus grand nombre d’individus, il est envisageable que d’autres parties du monde souhaitent accéder elles aussi à ce droit. Cependant, en considérant l’état actuel de la planète, ce futur ne paraît pas aussi sûr que les estimations croissantes du trafic aérien.

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Face à l’urgence du changement climatique, poussant certaines populations à fuir leurs territoires, la mobilité aérienne – si elle se mondialise et se généralise réellement - pourrait être une réponse profitable à la cohabitation des peuples.

Ainsi, nous ne nous mouvrons sans doute plus dans les airs de la même façon, ou du moins à la même fréquence. Car même si le prix d’un billet low-cost paraît aujourd’hui insignifiant, il nous faut nous poser la question, et méditer sur le véritable coût - écologique - de la croissance exponentielle du trafic aérien. Il nous faut donc assurément adopter dès maintenant une mobilité plus raisonnée, sans succomber à l’euphorie du low-cost.

Le futur architecte que je suis se doit alors d’avoir un regard éclairé sur cette situation complexe. L’architecture de cette infrastructure, est amenée à se développer, et à se révolutionner une fois encore, en changeant de programme ou en adoptant de nouvelles fonctions.

Un nouveau récit de l’aéroport reste ainsi à écrire.

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Bibliographie Thématique L’aéroport et son architecture (Littérature technique, historique et anthropologique, analyses et recherches) :

- Andreu Paul, 1990, Métamorphoses du cercle, Paris : Electa Moniteur.

- Augé Marc, 1992, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris: Seuil.

- Brian Edward, 1998, The modern terminal : new approaches to airport architecture, Londres: E&FN Spon.

- Conway Hobart McKinley, 1920, The airport city, Atlanta: Conway Publication inc.

- De Neufville Richard et Odoni Amedeo, 2003, Airport System, New York: McGraw-Hill.

- Dufour Jean-Jacques, Une histoire de l’aviation commerciale, 2016, Strasbourg: ABD éditions - Drevet-Demettre Lucie Emmanuell, 2015, Quand l’aéroport devient ville : géographie d’une infrastructure paradoxale, Université Michel de Montaigne - Bordeaux III. - Favargiotti Sara, 2016, Airport on-hold, Rovereto: Listlab - Roseau Nathalie, 2012, Aerocity, quand l’avion fait la ville, Marseille: Editions Parenthèses - Tim Cresswell et Mikael Lemarchand, 2015, Ne pas dépasser la ligne ! Fabrique des identités et contrôle du mouvement dans les lieux de transit, La plaine Saint-Denis: forum vie mobiles.

- Urlberger, Andrea. (dir.). 2012, Habiter les aéroports. Paradoxes d’une nouvelle urbanité, Genève: MétisPresses.

Recherches graphiques et ouvrages illustrés :

- Baur Rudy, projet de communication visuelle pour l’aéroport de Köln-Bohn, 2003-2005, ww.irb-paris.eu - Bonsh Robert, 2013, Vie metamorphosis, the extension and transformation of Vienna airport, Vienne: Springer - Fuller Gillian et Harley Ross, 2004, Aviopolis : a book about airports, Londres: Black Dog edition - Güller Güller, 2003, From airport to airport city, Barcelone: Gustavo Gili - Vitra Design Museum, 2004, Airworld. Design and architecture for air travel, catalogue d’exposition

Le récit et l’expérience de l’aéroport :

- Depardon Raymond, Le tour du monde en 14 jours, 7 escales, 1 visa, 2008, Paris : édition Points.

- Estevez Daniel, Aéroports, représentations et expérimentations en architecture, 2012, Paris: L’Harmattan - Friederich Alexandre, easyJet, 2014, Paris: Allia - Marker Chris, La jetée, 1962, 28min, France - Ratman Jason, In the air, 2010, 110min, Etats-Unis - Spielberg Steven, The Terminal, 2004, 128min, Etats-Unis - Tati Jacques, Playtime, 1967, 124min, France

L’aéroport de Paris Charles-de-Gaulle, Terminal 1 :

- ADP, Paris Aéroport (en ligne), consulté en janvier 2018, http://www.parisaeroport.fr/ - Andreu Paul, 1998, J’ai fait beaucoup d’aérogares, les dessins et les mots, Paris: Descartes & Cie - Andreu Paul et Roseau Natalie, 2014, Paris CDG1, Paris: éditions B2

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Le low-cost et l’aéroport de Paris-Beauvais :

- Aéroport Paris Beauvais (en ligne), consulté en janvier 2018, https://www.aeroportparisbeauvais.com - Brehm denise, 2008, Flexible design in aiports essential for courting low-cost airlines, MIT :Civil and environnemental Engineering, 18/6 - Brunnquell Frédéric, 2012, Nos vies discount, 52min, France - De Neufville Richard, 2008, Low-Cost Airports for Low-Cost Airlines: Flexible Design to Manage the Risks, Transportation Planning and Technology, 31/1, p.35-68 - Holbrook Chris, 2016, Airports, designed for everyone but the passenger, The New york times, 6/4, p.5-7

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Remerciements

Il m’est agréable de remercier les personnes qui mon aidé dans la rédaction et l’élaboration du sujet : Ariela Katz pour m’avoir suivi tout au long de ce travail ; Susan Dunne pour sa vision éclairée et critique ainsi que sa connaissance de l’infrastructure ; Marceline Viltard pour son active relecture ; ma famille : Corinne Julo, à qui je dois la première intuition du sujet et Mattéo Julo pour partager sa passion des transports avec moi.

Low-Cost

Un nouveau récit du voyage aérien «Au dernier embranchement, une pente douce s’enfonce dans l’entrelacement de courbes pour enfin arriver au niveau départ. De ce point de vue en contre-plongée, le cylindre en béton gris nous domine fièrement. Nous pénétrons dans le cercle, ou plutôt sous lui, évoluons entre les pylônes disproportionnés qui soutiennent le monolithe. La circulation est fluide, il suffit de faire le tour de l’ouvrage jusqu’à trouver une place où se garer en épi.»

«A la sor tie de l’autoroute, le bus ralentit et s’engage dans la direction «aéroport-zone d’activités».

Le long de la route départementale défile un paysage générique, propre aux périphéries des villes moyennes françaises: magasins franchisés, enseignes de grandes distributions, restaurants à thèmes et concessionnaires autos. Mon œil guette les indices révélant la présence d’un aéroport mais je ne détecte pas même un hôtel, une agence de location de voiture ou un centre de séminaire. J’aperçois enfin, entre le McDonalds et le Décathlon, une dérive d’avion sur laquelle est estampillé le logo jaune et bleu de R y a n a i r. »

Low-cost, un nouveau récit du voyage aérien met en exergue l’expérience aéropor tuaire que génère différents modes de transport aux antipodes.

Thomas Charly julo