Catalogue de vente (version française)

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Judith et Holopherne


Judith et Holopherne

Vente aux enchères Toulouse – 27 juin 2019


Maître Marc Labarbe Hôtel des ventes Saint-Aubin 3, boulevard Michelet 31000 Toulouse Tel. : 00 33 5 61 23 58 78 contact@marclabarbe.com (ou www.thetoulousecaravaggio.com)

Vente aux enchères d’un exceptionnel tableau de

MICHELANGELO MERISI dit

CARAVAGGIO (Milan 1571 – Porto Ercole 1610)

Judith et Holopherne Halle aux Grains, 1, place Dupuy, Toulouse 27 juin 2019 à 18 h

Expert : Cabinet Turquin 69 rue sainte Anne 75002 Paris Tél : 00 33 1 47 03 48 78 eric.turquin@turquin.fr (www.thetoulousecaravaggio.com)

Exposition publique à l’Hôtel des ventes Saint-Aubin à Toulouse du 17 au 23 juin 2019 de 14 h à 18 h Renseignements, photographies et catalogue online : www.thetoulousecaravaggio.com



Sommaire

Avant-propos, Marc Labarbe ...................................................................................................... Le tableau d’une vie, Eric Turquin ............................................................................................ Chronologie d’une redécouverte ............................................................................................... Notice .......................................................................................................................................................... Les Caravage retrouvés, quelques questions tranchées ........................................... Judith et Holopherne : iconographie ....................................................................................... La Judith de Toulouse, Nicola Spinosa ................................................................................. Caravage : histoire de l’art et connoisseurship, Keith Christiansen ................... Journée d’étude à la Brera, Keith Christiansen .............................................................. Analyses scientifiques, Claudio Falcucci ............................................................................ Lecture des analyses scientifiques, Rossella Vodret ................................................... L’allègement du vernis du tableau, Laurence Baron-Callegari .......................... De Caravage à Caravage : dialogues d’images .............................................................. Caravage, éléments biographiques ........................................................................................

p. 13 p. 19 p. 24 p. 30 p. 56 p. 71 p. 95 p. 102 p. 104 p. 111 p. 121 p. 129 p. 132 p. 146

Ill. 1 Ottavio Leoni, Portrait de Caravage, Biblioteca Marucelliana, Florence.

« Il y a aussi un Michel Ange de Caravage, qui fait de merveilleuses choses à Rome. » Karel van Mander (1602)

Remerciements ............................................................................................... p. 152 Conditions de vente ..................................................................................... p. 156 Crédits photographiques .......................................................................... p. 163



Avant-propos Marc Labarbe Commissaire-priseur

Image d’Épinal du métier de commissaire-priseur, la toile de maître endormie dans les secrets d’une cave ou sous la poussière d’un grenier a nourri l’imaginaire de toute une génération d’enfants, dont j’avoue sans mal avoir fait partie. De l’enfance à l’âge adulte, j’aime à croire qu’il n’y a qu’un pas, et les récréations de cour d’école passées à traquer des trésors oubliés ne peuvent être étrangères au choix d’une profession tout entière dédiée à la découverte. Chacun s’est un jour imaginé soufflant sur une toile trouvée au hasard d’une soupente, et si ce cliché usé jusqu’à la corde par l’industrie du rêve et de la publicité a fait son temps, il constitue malgré tout l’horizon lointain et à vrai dire un peu naïf de notre métier. Pourtant, ces choses-là se produisent parfois. Mais pas telles qu’on se les imagine. La découverte n’est pas la révélation instantanée et immédiate que l’on pourrait penser. Elle n’est ni l’observation subite d’une signature, ni la reconnaissance fulgurante d’un artiste génial. La découverte tient davantage de la lente germination, elle est affaire de temps, de patience, de persévérance, et préfère à la chance de l’instant le processus long et rigoureux d’une recherche silencieusement menée. En ce 23 avril 2014, alors que j’arrivais dans la demeure de mon client, je fus invité à monter au grenier (fig. 1) sur le palier duquel le tableau se trouvait installé. J’avais dû repousser le rendez-vous à plusieurs reprises, absorbé par les obligations de la vie courante, et je venais enfin estimer la mystérieuse trouvaille qui roulait dans la tête de son propriétaire depuis plusieurs semaines déjà. J’avais vendu pour son compte des objets très communs en provenance de ce même grenier et c’était à cette occasion, lors du dégagement des combles pour gagner en place, qu’il avait mis la main sur cette toile étrange. Appuyée contre un mur, elle était tout à fait cachée par des entassements de vieux sommiers et matelas, obscurcie sur toute sa surface par un voile grisâtre qui la rendait nébuleuse. Le mot dé-couverte ne pouvait être plus indiqué.

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La découverte s’était-elle produite à ce moment ? Ou fallait-il encore que je dépoussière la toile et en ravive le vernis d’un coup de coton humide pour que celle-ci soit vraiment accomplie ? Car, comme son héroïne, le tableau avait viré mutin et ne se livrait au regard qu’avec mauvaise volonté. Des formes affleuraient çà et là de la nuit du tableau, au hasard d’un contour ou d’une tache de couleur. C’est à grand peine que je distinguai des visages, la peau flétrie d’une vieille servante au goître pesant, la férocité éclatante du regard d’une jeune femme, le râle douloureux d’un homme à la tête tranchée. Il y avait dans ce tableau comme un contraste sourd entre la beauté leste et agile d’une jeune veuve, et l’austérité d’un meurtre tout juste lisible. Quelques secondes après le passage du coton, l’humidité disparue ramenait la scène à son silence de vernis opaque (fig. 2). Il faut dire à ce propos qu’une infiltration d’eau en toiture, réparée quelque dix ans plus tôt, n’avait pas rendu les choses plus simples puisque tout le côté droit de l’œuvre s’était noyé en coulures, transformant la robe de Judith en une masse sombre et informe. « À tout malheur quelque chose est bon », dit le proverbe. C’est cette fuite d’eau qui, pénétrant le plancher jusqu’à l’étage du dessous, força le propriétaire à un colmatage en règle et lui souffla l’idée d’utiliser cet espace et de l’aménager. Le projet prit son temps et deux ans plus tard, des cambrioleurs peu inspirés dépouillèrent le même grenier d’un tas de menus objets. Que ceux-ci s’apaisent s’ils lisent ces quelques lignes, aucun œil, tout en même temps pressé par le forfait, la pénombre et le fatras, n’aurait pu raisonnablement remarquer une toile de maître ici. Car il faut se représenter ce grenier et cette accumulation de choses de peu, tout ce rebut de souvenirs éteints amassés par des générations qui ne jetaient rien : des jouets passés de mode, des montants de lits, de vieux flacons de parfums, des fauteuils aux garnitures éventrées, des robes et leurs jupons, des chapeaux, des papiers, des malles… s’entassaient sous la charpente, les cloisons et les portes en vieux bois. Que serait devenue cette toile si elle avait été volée ? Voilà un fait divers inachevé qui a sans doute privé l’histoire de l’art d’un scandale retentissant. L’histoire, justement, entretient un lien fort avec notre tableau auquel il manquait encore tout un contexte, une provenance, une période, un artiste même. Une découverte sans histoire en est-elle vraiment une ? Rien de moins sûr, et le risque est grand de la voir reléguée au rang de simple trouvaille. À ce sujet, une conversation avec le propriétaire n’apporta que peu d’éclaircissements. Descendant d’un officier au service de Napoléon Ier durant la campagne ­d’Espagne, il pensait mettre – et ce n’était qu’une piste parmi d’autres – la présence du tableau dans son grenier sur le compte d’un aïeul aussi belliqueux que prompt à la possession. L’explication, bien que plausible, laissait tout de même perplexe, car je n’étais sûr que d’une chose : j’avais sous les yeux la plus belle école italienne xviie qu’il m’ait été donné de voir chez un particulier. Bien sûr, les liens politiques entre l’Italie et l’Espagne étaient à considérer, mais l’explication méritait que l’on s’y attarde. Pour pallier ce manque de contexte, je fis appel à l’expert en peinture ancienne avec lequel je travaille depuis plus de vingt ans. Le Cabinet Turquin à Paris reçut donc les photographies du tableau en fin de matinée et, si j’ignorais l’immensité de l’aventure à venir, j’étais certain que cette belle peinture me vaudrait une réponse rapide. L’après-midi même, un coup de téléphone me confirmait que Paris partageait mon sentiment, celui d’une belle œuvre que l’on souhaitait

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Avant-propos

Fig. 1 le grenier où le tableau a été trouvé.

Fig. 2 le tableau en 2014 au moment de sa découverte.

examiner de visu. J’étais satisfait d’annoncer la nouvelle au propriétaire qui pressentait dans la vente à venir une recette aussi opportune qu’inattendue. Mais y avait-il matière à parler de découverte ? Comme convenu le tableau fut envoyé à Paris. S’écoulèrent alors trois mois d’une agitation frénétique au cours desquels Eric Turquin, Stéphane Pinta et Julie Ducher, à qui je veux ici rendre hommage pour leur obstination raisonnée, s’évertuèrent à remonter l’origine du mystère. Trois mois pendant lesquels, à grands coups d’archives, d’entretiens et de comparaisons, ils acquirent l’intime conviction de l’identité de l’artiste : Michelangelo Merisi da Caravaggio dit le Caravage. La découverte avait eu lieu. Entendons-nous, la nouvelle était de taille. Plus un Caravage ne s’était vendu sur le sol français depuis au moins cent ans – du moins sous sa véritable identité, ni a fortiori aux enchères. Si chaque commissaire-priseur se rêve un jour en découvreur, aucun n’est assez fou pour songer à un tel artiste. Caravage, à la fois génie et assassin, dont on ne connaît que soixante-huit toiles dans le monde, hypnotise les foules et suscite l’engouement, au point que la « caravaggiomania » est un mot passé dans le langage courant. Pas une année ne s’écoule sans qu’une exposition ne lui soit consacrée, en France, en Angleterre, en Espagne, en Italie, aux États-Unis, où il ne manque jamais de fasciner. Nous avions découvert la toile d’un peintre de légende. Les recherches continuèrent deux années durant. Nombre de spécialistes apportèrent à notre découverte l’expérience de leur œil et le crédit de leur renommée. Mais notre exigence devait se placer au-delà de la conviction personnelle car tout œil, si exercé qu’il soit, ne perçoit pas toujours la même réalité que celui de son voisin. L’historien Henri-Irénée Marrou tentait en son temps d’extraire l’histoire des griffes de la subjectivité, disant à son propos qu’elle devait être une « connaissance scientifiquement établie du passé ». Pas de

Avant-propos

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découverte sans histoire, pas d’histoire sans vérité, pas de vérité sans science. Nous n’avions d’autre choix, pour accéder à la vérité du tableau, que de soumettre nos intuitions aux lois de la physique. L’enjeu était de taille, et il nous fallait l’aplomb d’une certitude bien ancrée pour oser confronter deux ans d’espoirs et de recherches aux technologies les plus poussées. Plus que jamais, la découverte était en danger. Par chance, la technique de Caravage est à l’image de son artiste : unique. Aussi avons-nous profité du travail immense accompli en la matière par Rossella Vodret et Claudio Falcucci qui ont mis à nu, lors de l’exposition Dentro Caravaggio présentée à Milan en 2018, vingt-trois toiles du maître lombard. Des incisions, des dessins, des sous-couches, des vernis, des pigments, les deux spécialistes ont su percer à jour les mystères. Nous avons donc confié le tableau à leurs bons soins pour une analyse similaire. Nous invitons le lecteur de cette modeste introduction à consulter les conclusions de Claudio Falcucci dans le présent catalogue et à partager la joie immense qui fut la nôtre lorsque nous les avons reçues. Cinq ans de travail me séparent désormais de la première apparition de Judith sur le palier de ce grenier. La route fut longue avant d’en mesurer la portée, et Judith n’en finit pas de nous surprendre comme l’a montré son récent allègement de vernis. Est-elle la découverte magistrale dont rêve sans se l’avouer tout commissaire-priseur ? C’est certain. Mais si une découverte ne se fait pas en un éclair, aucune n’a davantage vocation à rester dans l’ombre et le secret. Elle doit se confronter au monde et s’y faire accepter, dans toute sa grandeur, dans toute sa beauté. L’heure est venue pour notre Judith de retrouver le rang dont l’oubli l’avait un temps privée : celui d’un chef-d’œuvre absolu de la peinture exécuté par l’un des plus grands peintres de tous les temps. 22 janvier 2019

« Écoutez-moi bien … Je vais accomplir une action dont le souvenir se transmettra … d’âge en âge. » Livre de Judith (8, 31-33)

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Avant-propos


Le tableau d’une vie Eric Turquin Expert en tableaux anciens

Ma carrière d’expert en tableaux au service des maisons de ventes a basculé ce 30 avril 2014 à 9 h. Certes je m’attendais à une grande découverte puisque la veille Stéphane Pinta et Julie Ducher m’avaient appelé pour me dire que Marc Labarbe avait déposé « une bombe » au bureau. Mais le visage de Judith m’a immédiatement bouleversé et je n’ai depuis jamais eu un seul moment de doute. La force de son regard, la sensualité de ses lèvres brillantes, l’énergie de son mouvement, la magnificence du rideau rouge qui sert de théâtre à cette scène de meurtre ne pouvaient appartenir qu’au plus grand de tous les peintres, Caravage. Nous savions que Caravage était un artiste qui déchaînait les passions chez les grands connaisseurs comme chez tous les amateurs de destins tragiques et que le seul fait de prononcer son nom allait soulever des tempêtes. Jusqu’en avril 2016 nous avons tenu ce tableau au secret et, pour être sûrs d’éviter les indiscrétions et rumeurs, nous avons profité, ma femme et moi, de la présence de ces fausses noces sanglantes dans notre chambre à coucher. Le secret fut bien gardé – merci aux confrères experts, restaurateurs, marchands de cadres, banquiers, assureurs, photographes, transporteurs, etc. qui ont scrupuleusement respecté le secret professionnel et nous ont permis de travailler sereinement. Nous avons ainsi pu méthodiquement, pendant deux longues années, vérifier que notre première intuition était confortée par les radios et analyses techniques puis par les avis des plus grands spécialistes de l’artiste, notamment Keith Christiansen, Nicola Spinosa, Rossella Vodret puis John Gash. Et bien sûr toute ma reconnaissance va à Jean-Pierre Cuzin, soutien du tableau dès les premiers jours. Caravage est un artiste difficile pour nous tous parce qu’il ne ressemble à aucun autre, toujours en révolution, inattendu dans son traitement des sujets, dans ses mises en scène comme dans son exécution mais avec une constante :

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cette exceptionnelle virtuosité, son sens du détail qui touche le plus profond de nous-mêmes. L’artiste est déroutant par sa peinture tumultueuse comme le fut sa vie et notre tableau se situe à ce moment charnière, à Naples, loin du bouillonnement culturel romain, quand l’artiste développe un nouveau caravagisme, plus personnel, plus épuré, plus sombre. C’est la beauté sauvage de ce tableau qui le rend si difficile à lire pour ceux qui cherchent des références dans la beauté classique des œuvres des premières années. À Milan, notre tableau fut comparé aux œuvres de Finson du musée de Marseille. Judith et Holopherne est resté trois mois accroché à côté de l’immense chef-d’œuvre paisible qu’est Le Repas à Emmaüs de la Brera. Les deux tableaux ont été peints à quelques mois l’un de l’autre. Mais quel contraste entre cette soirée à l’auberge entre trois pèlerins découragés, épuisés par une longue journée de marche où tout est calme et spiritualité et cette autre fin de soirée, théâtre tragique sous sa tente rouge de la mort de l’ennemi du peuple ! Oui, comme me l’a alors fait remarquer Nicola Spinosa, il y a bien plusieurs Caravage, toujours plus grands et c’est ce qui rend leur poursuite si difficile… et si passionnante ! 17 février 2019

« He was, indeed, in many senses the first modern artist; the first to proceed not by evolution, but by revolution. » Roger Fry (1905)

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Le tableau d’une vie



Chronologie d’une redécouverte 2014-2019

23 avril 2014 – Retrouvé dans le grenier d’une propriété toulousaine par Maître

Marc Labarbe, commissaire-priseur à Toulouse. 29 avril 2014 – Envoyé au Cabinet Turquin à Paris. 30 avril 2014 – Identifié par Julie Ducher et Stéphane Pinta, puis Eric Turquin, vite rejoints par Jean-Pierre Cuzin, comme l’original de Caravage dont la copie est le tableau de la Banca Intesa Sanpaolo de Naples publié par Mina Gregori dans sa monographie de 1994 et par Giovanna Capitelli, Antonio Ernesto Denunzio, Giuseppe Porzio et Maria Cristina Terzaghi (2013). Mai 2014 – Le tableau est dépoussiéré et le vernis régénéré. 8 juillet 2014 – Mina Gregori voit le tableau, ne croit pas à l’attribution à Caravage, suggère le nom de Finson. 17 décembre 2014 – Nicola Spinosa est le premier à soutenir l’attribution à Caravage. 22 décembre 2014  – Radiographies du tableau réalisées à l’École vétérinaire de Maisons-Alfort. 9 janvier 2015 – Gianni Papi voit le tableau, qu’il considère comme une belle copie par Finson du Caravage disparu. 27 janvier 2015 – À New York, Keith Christiansen voit les documents photographiques qui lui sont apportés par Eric Turquin. Février 2015 – Premier allègement du vernis du tableau. 4 mai 2015 – Keith Christiansen voit le tableau avec Nicola Spinosa. Fin juin 2015 – Le tableau est montré aux responsables du musée du Louvre : Stéphane Loire, puis Sébastien Allard puis Jean-Luc Martinez. 29 septembre 2015 – 21 octobre 2015 – Le tableau est examiné au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) à la demande du département des Peintures du musée du Louvre. 25 mars 2016 – Le certificat d’exportation est refusé par arrêté de la ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, « pour un tableau attribué

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possiblement à Michelangelo Merisi, dit le Caravage, Judith et Holopherne, huile sur toile 1600-1610, cette œuvre récemment redécouverte et d’une grande valeur artistique, qui pourrait être identifiée comme une composition disparue du Caravage, connue jusqu’à présent par des éléments indirects, méritant d’être retenue sur le territoire comme un jalon très important du caravagisme, dont le parcours et l’attribution restent encore à approfondir ». La toile se trouve ainsi retenue pour trente mois sur le territoire national. 12 avril 2016 – Présentation du tableau à la presse au Cabinet Turquin. 19 mai 2016 – David M. Stone et Sybille Ebert-Schifferer voient le tableau. Avis positif du premier, négatif de la seconde. 9 juin 2016 – Rossella Vodret et Claudio Falcucci voient le tableau, et soutiennent l’attribution à Caravage. 23 juin 2016 – Catherine Puglisi voit le tableau et approuve l’attribution à Caravage. 7 novembre 2016 – 5 février 2017 – Exposition Terzo Dialogo. Attorno a Caravaggio. Una questione di attribuzione : grâce à James M. Bradburne, directeur de la Pinacoteca di Brera, la toile est exposée à Milan à la Brera, accompagnée de la version de la Banca Intesa Sanpaolo, et peut alors être comparée au Repas à Emmaüs appartenant aux collections du musée. Sont confrontées au tableau des toiles assurément de Finson, la copie de la Madeleine en extase de Caravage et Samson et Dalila, deux toiles du musée des Beaux-Arts de Marseille, ainsi qu’une autre copie de la Madeleine de Caravage appartenant à une collection privée. 6 février 2017 – Rapport de Keith Christiansen (Study day at Brera, pp. 104-107). 15 mars 2017 – Rapport de Claudio Falcucci. 13 juin 2017 – Journée d’étude au Louvre, Grande Galerie : réunion de spécialistes à huis clos autour du tableau Judith et Holopherne de Toulouse, des trois tableaux de Caravage du musée du Louvre et de La Flagellation du Christ du musée des Beaux-Arts de Rouen (rencontre signalée par Didier Rykner dans un article du 13 juin 2017 sur www.latribunedelart.com). Décembre 2018 – Ouverture de fenêtres dans le vernis, par la suite agrandies. Janvier 2019 – Allègement du vernis sur la totalité du tableau. 28 février 2019 – Présentation à la presse internationale du tableau nettoyé chez Colnaghi à Londres. 9 mai 2019 – Présentation à la presse américaine à la galerie Adam Williams à New York. 27 juin 2019 – Vente aux enchères du tableau à Toulouse.

Chronologie d’une redécouverte

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MICHELANGELO MERISI dit

CARAVAGGIO (Milan 1571 – Porto Ercole 1610)

Judith et Holopherne Toile. 144 x 173,5 cm. Peint sur deux toiles cousues horizontalement au niveau de la main levée d’Holopherne ; rentoilé en France entre 1790 et 1820, datation que l’on peut assigner à l’actuel châssis à clés en sapin, assurément français.


Provenance Proposé à la vente à Naples par Louis Finson en 1607 pour le prix de 300 ducats. Figure sur le testament de Finson à Amsterdam du 19 septembre 1617, où il revient à Abraham Vinck. Absent de l’inventaire après décès de ce dernier en 1619 à Anvers. Peut-être Anvers, collection du graveur Alexander Voet dès le 15 octobre 1678, puis mentionné dans son inventaire après décès le 18 février 1689 1. Toulouse, collection privée ; d’après la tradition familiale le tableau est à Toulouse depuis 1871, date de l’achat par la famille de la maison où il se trouvait toujours. Exposition Attorno a Caravaggio, Terzo dialogo, Pinacoteca di Brera, Milan, 7 novembre 2016 – 5 février 2017. Bibliographie du tableau perdu, avant avril 2014 • LEONE DE CASTRIS Pierluigi, in Il Patrimonio artistico del Banco di Napoli, Catalogo delle opere, Naples, Edizione Banci di Napoli, 1984, pp. 36-38. (la copie de Naples comme copie du Caravage perdu par Louis Finson) ; • MARINI Maurizio, Caravaggio, Michelangelo Merisi da Caravaggio «pictor praestantissimus» : La tragica esistenza, la raffinata cultura, il mondo sanguigno del primo Seicento, nell’iter pittorico completo di uno dei massimi rivoluzionari dell’arte di tutti i tempi, Rome, Newton Compton, 1987, pp. 59-63. (la copie de Naples comme copie du Caravage perdu) ; • GREGORI Mina, Caravaggio, Milan, Electa, « collection I maestri », n° 1, 1994, p. 152, n° 61 (ill.) : Giuditta decapita Oloferne, (copia), 1607 ; Caravage, traduit de l’italien par Odile Ménégaux, Paris, Gallimard, 1995, p. 152, n° 61 (ill.) : Judith et Holopherne (copie), 1607, Naples, Raccolte del Banco di Napoli. (le tableau de la Banca Intesa Sanpaolo, signalé comme copie du Caravage disparu) ; • PACELLI Vincenzo, L’ultimo Caravaggio : dalla Maddalena a mezza figura ai due san Giovanni (1606-1610), Todi, Ediart, 1994, pp. 54, 58-59. (le tableau de la Banca Intesa Sanpaolo, copie d’après Caravage) ; • PAPI Gianni, « Finson e altre congiunture di precoce naturalismo a Napoli », Paragone Arte, 52 (Ser. 3, 39), septembre 2001, p. 36, fig. 2. (le tableau de la Banca Intesa Sanpaolo, copie d’après Caravage) ; • BOLOGNA Ferdinando, in Caravaggio. L’ultimo tempo 1606-1610, catalogue d’exposition, Naples, Museo di Capodimonte, 23 octobre 2004 – 23 janvier 2005, Caravaggio : the final years, Londres, The National Gallery, 23 février – 22 mai 2005, Naples, Electa Napoli, 2004, n° 26, « Ignoto XVII secolo ». (signalé comme copie du Caravage perdu) ; • GRUBER Gerlinde, in Caravaggio e l’Europa : il movimento caravaggesco internazionale da Caravaggio a Mattia Preti, catalogue d’exposition, Milan, Palazzo Reale, 15 octobre 2005 – 5 février 2006, Vienne, Liechtenstein Museum, 5 mars – 9 juillet 2006, Genève, Milan, Skira, 2005, pp. 404-405, N° VI.1. (la copie de Naples comme Finson d’après Caravage) ; • SCHÜTZE Sebastian, Caravage : l’œuvre complet, Cologne, Taschen, 2009, p. 295, n° 82 (ill. 82 p. 293). (la copie de Naples comme Finson, d’après Caravage) ; • CAPITELLI Giovanna (dir.), Giuditta decapita Oloferne. Louis Finson interprete di

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Caravaggio, catalogue d’exposition, Naples, Gallerie d’Italia, Palazzo Zevallos Stigliano, 27 septembre – 8 décembre 2013, Naples, Arte’m, 2013. (la copie de Naples comme Finson, d’après Caravage).

1. Erik Duverger, Antwerpse Kunstinventarissen uit de Zeventiende Eeuw, Bruxelles, Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België, 2001, vol. 11, p. 531, p. 569. « Une Judith de Michiel Angelo da Caravasio » (sic).

Bibliographie sommaire de notre tableau, après avril 2014 • BLUMENFELD Carole, « Un Caravage inédit retrouvé en France », Le Quotidien de l’Art, 4 avril 2016, n° 1036, p. 8 ; • GUILLON Francine, « L’authenticité du Caravage retrouvé prend corps », Le Journal des Arts, 12 avril 2016 ; • RYKNER Didier, « Le Judith et Holopherne enfin dévoilé », Latribunedelart.com, 12 avril 2016 ; • SAMUEL Henry, « French family stumbles on long lost €120m Caravaggio while mending leaky roof», The Telegraph, 12 avril 2016 ; • VITOLO Espedito, « Trovato a Tolosa il quadro che Caravaggio dipinse a Napoli », Corriere del Mezzogiorno, 12 avril 2016 ; • BANHAM Marc, « Suspected $135 million Caravaggio found in French loft », Private Art Investor, 13 avril 2016 ; • CARVAJAL Doreen, « Art Dealer says painting found in French attic is a Caravaggio », International New York Times, 13 avril 2016 ; • ESPOSITO Vincenzo, « Il Caravaggio napoletano ritrovato. Spinosa: “Sono stato tra I primi a vederlo, è sicuramente autentico” », Corriere del Mezzogiorno, 13 avril 2016. (Interview de Nicola Spinosa) ; • MANE KER Marion, « That Lost Caravaggio You’ve Heard About? Bendor Grosvenor Weighs In », Artmarketmonitor.com, 13 avril 2016 ; • BOUGLE Fabien, « Actualité. Trésor national médiatique », La Gazette Drouot, 22 avril 2016, pp. 22-25. (Interviews d’Eric Turquin, Julie Ducher et Stéphane Pinta) ; • LEOUFFRE Isabelle, « Immense découverte : le dernier des Caravage », Paris Match, 22 avril 2016, pp. 64-67 ; • BIETRY-RIVIERRE Éric, « Caravage : les lois de l’attribution », Le Figaro, 25 avril 2016, p. 32 ; • BROUSSARD Philippe, « Le mystère autour d’un tableau attribué au Caravage bientôt levé ? », M le Magazine du Monde, 1er novembre 2016 ; • SPINOSA Nicola, Brera A Occhi Aperti. Terzo Dialogo. Attorno a Caravaggio. Una questione di attribuzione, catalogue d’exposition, Milan, Pinacoteca di Brera, 7 novembre 2016 – 5 février 2017, Genève, Milan, Skira, 2016, pp. 21-45 ; • BLUMENFELD Carole, « Judith et Holopherne, une affaire pas encore tranchée » & « L’avis de Keith Christiansen », La Gazette Drouot, vendredi 18 janvier 2019, pp. 28-29 ;  • EHRMANN Thierry, « The “Toulouse Caravaggio” on show in London », ARTPRICE, 28 février 2019 ; • DIXON Emily, « Lost Caravaggio painting found in attic could fetch $171 million at auction », CNN, 28 février 2019 ; • GERLIS Mélanie, « Rediscovered Caravaggio goes up for auction », Financial Times, 1er mars 2019 ; • REYBURN Scott, « Is That a Caravaggio? It’ s All in the Details », The New York Times, 5 mars 2019 ; • MOORE Susan, « It is for art historians to decide who painted this picture », Apollo Magazine, 8 mars 2019.

Notice

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« Le Seigneur l’a frappé par la main d’une femme ! » Livre de Judith (13, 14-16)

Fig. 1 extrait de la lettre de Frans Pourbus adressée au duc de Mantoue le 25 septembre 1607, archives de Mantoue, E. XXV.

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Notice

1. Stefania Macioce, Michelangelo Merisi da Caravaggio : fonti e documenti 1532-1724, Rome, U. Bozzi ed., 2003, pp. 230-231.

La redécouverte de Judith et Holopherne, un chef-d’œuvre depuis longtemps disparu de Caravage (1571-1610) et recherché en vain, constitue un événement considérable et représente un apport décisif à la reconstruction de l’œuvre d’un des plus grands peintres de l’histoire de l’art mondial. Caravage est en effet aujourd’hui presque un mythe, considéré grâce à sa vision révolutionnaire comme un des génies de la création picturale et devenu même, par son existence aventureuse nourrie d’épisodes violents, un véritable héros de roman. Le sujet de notre tableau est tiré de l’Ancien Testament (livre de Judith), un thème qui apparaît dès le haut Moyen Âge (voir p. 71). Le tableau retrouvé à Toulouse montre dans un grand format en largeur Judith, veuve de Béthulie, tranchant la tête du général Holopherne qui assiégeait la ville et qu’elle était parvenue à séduire. La scène se passe sous la tente d’Holopherne. Contrairement à ce qu’indique le texte biblique, la servante de Judith, Abra, est présente ; elle est au centre et prépare le sac où sera mise la tête d’Holopherne, alors que le texte dit qu’elle attend au dehors ; de la même façon, Judith porte la robe noire et le voile des veuves, alors qu’il est dit dans la Bible qu’elle s’est parée de ses plus beaux atours pour séduire le général. L’historique ancien de la toile présentée ici peut être retracé avec une ­quasi-certitude grâce à plusieurs documents. Le 25 septembre 1607, le peintre flamand Frans Pourbus (1569-1622) écrit de Naples au duc de Mantoue Vincenzo Gonzaga, pour lequel il travaille, qu’il a vu proposés à vendre dans la ville deux tableaux de Caravage qu’il qualifie de « bellissimi », il Rosario (fig. 1), qui n’est autre que la monumentale Madone du Rosaire aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum de Vienne, et « un quadro mezzano da camera di mezze figure et è un Oliferno con Giudita 1», ce que l’on peut traduire ainsi : « un tableau de dimensions moyennes peint pour un intérieur montrant des figures à mi-corps où est représenté un Holopherne avec Judith ». Les prix demandés sont énormes.

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Fig. 2 Caravage, La Madone du Rosaire, Kunsthistorisches Museum, Vienne.

* Ndt. « Quelques choses de bien que Michelangelo Caravaggio a fait ici et qui seront en vente. »

2. Sebastian Schütze, Caravage : l’œuvre complet, Cologne, Taschen, 2009, p. 269.

Fig. 5 extrait du testament du Louis Finson rédigé en 1617, archives d’Amsterdam.

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Fig. 3 Caravage, La Mort de la Vierge, musée du Louvre, Paris.

Fig. 4 Louis Finson, Autoportrait, musée des Beaux-Arts, Marseille.

La Madone du Rosaire (fig. 2) est proposée pour le prix de 400 ducats, Judith et Holopherne pour celui, à peine inférieur, de 300 ducats. Rappelons qu’en avril de la même année le duc de Mantoue avait payé 280 ducats la célèbre Mort de la Vierge (fig. 3), aujourd’hui au musée du Louvre. Différents documents conduisent à penser que les deux toiles sont alors en vente dans l’atelier de deux peintres-marchands associés, alors présents à Naples, Louis Finson (fig. 4), dit aussi Ludovicus Finsonius (1580-1617), originaire de Bruges, et Abraham Vinck (1575-1619), originaire d’Anvers. On peut penser, sans certitude, que c’est Caravage lui-même qui leur avait confié les tableaux. Rappelons que dès le 15 septembre 1607 une lettre d’Ottavio Gentili adressée de Naples au duc de Mantoue, dont il était un des agents, faisait allusion aux deux tableaux de façon plus vague que Pourbus : « qualche cosà di buono di Michelangelo Caravaggio che a fatto qui che si venderanno » *, précisant donc qu’ils avaient été peints à Naples. L’affaire ne se fait pas, puisque l’on va retrouver les deux tableaux dix ans plus tard à Amsterdam, dans le testament de Finson, en septembre 1617 (fig. 5). Celui-ci les lègue à Vinck, qui les possédait déjà à moitié. La Madone du Rosaire sera achetée par un groupe d’artistes mené par Rubens pour en faire don aux Dominicains d’Anvers 2, puis parvient à la fin du xviiie siècle dans les collections de l’empereur Joseph II ; elle se trouve toujours depuis à Vienne. Le sort de Judith et Holopherne à ce moment est inconnu. Il peut s’agir du tableau que l’on trouve à Anvers en 1678 puis en 1689, ce qui pourrait signifier qu’il n’a pas quitté les Pays-Bas avant la fin du xviie siècle. Ce ne sont ensuite que les évidences matérielles, toile de rentoilage et châssis, qui attestent qu’il se trouve en France à la fin du xviiie siècle ou au début du siècle suivant. Judith et Holopherne a-t-il pu passer par Toulouse, peut-être avec d’autres tableaux de Caravage, au moment où Finson séjourne dans la ville en 1614 ? On

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Fig. 6 Louis Finson, Judith et Holopherne, Banca Intesa Sanpaolo, Naples.

retrouve la personnalité fascinante de Louis Finson, peintre et marchand dont le rôle est essentiel dans la diffusion européenne du style de Caravage et du caravagisme en général, aussi bien grâce aux toiles de Merisi qu’il transportait avec lui que grâce à ses propres œuvres qui étaient souvent des copies de celles du maître 3. Le sud-ouest de la France joue un rôle important dans cette diffusion. Une lettre de l’Aixois Nicolas-Claude Fabri de Peiresc du 12 septembre 1614 à Merri de Vic signale le voyage de Finson de la Provence vers Paris passant par Montpellier, Toulouse et Bordeaux. Son séjour à Toulouse à l’automne 1614 paraît avoir été assez long, « certaines affaires » l’y appelant, séjour qu’une maladie l’obligea à prolonger. Bodart indique qu’il y peignit probablement une Annonciation 4. Un document découvert par l’historien de l’art Mickaël Szanto dans les archives municipales de Toulouse, daté de mars 1615, signale un lot de cent soixante peintures figurant dans une loterie itinérante organisée par Finson avec le Bruxellois Pierre de Brun (Peter de Bruyn), parmi lesquels figure un David et Goliath de Caravage (n° 126, estimé 300 sols) 5. Ces loteries étaient appelées des « blanques ». Toulouse, rappelons-le, était au début du xviie siècle un important foyer catholique, dans une région où les guerres de religion avaient apporté de nombreuses destructions et où le protestantisme avait conquis plus d’une ville. La Réforme catholique, dès 1590, sous l’impulsion du cardinal de Joyeuse, fit du diocèse de Toulouse, pour tout un siècle, un centre de renouveau catholique très structuré. Il pouvait sembler opportun d’y vendre des tableaux à sujets religieux. Il existe deux tableaux presque semblables montrant Judith et Holopherne. L’un est celui que nous présentons ici. L’autre appartient aux collections de

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Fig. 8 l’exposition à la Brera, 2016-2017 : à gauche, le tableau de Toulouse, à droite, celui de Louis Finson.

Fig. 7 couverture du catalogue de l’exposition Giuditta decapita Oloferne, Louis Finson interprete di Caravaggio.

3. Voir la lettre de Nicolas-Claude Fabri de Peiresc à Merri de Vic datée du 25 mai 1613 et citée par Didier Bodart, Louis Finson, Bruxelles, Palais des Académies, 1970, p. 55.

4. Voir la lettre de Peiresc à Merri de Vic datée du 12 septembre 1614. Citée par Didier Bodart, op.cit., note 1 p. 27.

5. Mickaël Szanto, « Les “merveilles” d’Anvers au royaume de France ou les loteries de tableaux de Pierre de Brun », in Du baroque au classicisme : Rubens, Poussin et les peintres du xviie siècle, Musée Jacquemart-André, 24 septembre 2010-24 janvier 2011, Bruxelles, Paris, Fonds Mercator, Culturespaces, 2010, p. 54.

6. L’une au musée des Beaux-Arts de Marseille, l’autre dans une collection privée.

la Banca Intesa Sanpaolo à Naples (fig. 6 toile, 140 x 160 cm). Il a fait l’objet d’une excellente et très complète publication en 2013 par Giovanna Capitello, Antonio Ernesto Denunzio, Giuseppe Porzio et Maria Cristina Terzaghi sous le titre Giuditta decapita Oloferne. Louis Finson interprete di Caravaggio (fig. 7), qui prend clairement parti en y voyant une copie par Finson, exécutée à Naples, du tableau de Caravage perdu qui était alors en sa possession, et ce avant, bien sûr, la réapparition du tableau de Toulouse. La comparaison des deux tableaux, réalisée à Milan à la Pinacoteca di Brera en 2016-2017 (fig. 8), montre clairement que celui de la collection Intesa Sanpaolo est une copie très fidèle, mais sèche et appliquée, de celui de Toulouse, dans des dimensions rigoureusement semblables et réalisée comme l’original sur deux toiles de même nature cousues horizontalement au même niveau, comme si elle l’imitait jusque dans sa constitution physique. Cette copie paraît avoir été réalisée immédiatement après l’original, et peutêtre au même moment, dans le même atelier (fig. 9-14). Il est presque certain que cette copie est de Finson, même si aucun document ne l’atteste et si la fidélité même de la démarcation empêche d’y reconnaître la manière très particulière, avec des volumes durs et un peu luisants, du peintre de Bruges. Notons que Nicola Spinosa refuse l’attribution à Finson de cette copie, comme la refusait Ferdinando Bologna (2004). Finson, grand admirateur de Caravage, est un copiste assidu de ses tableaux : il réalise au moins deux versions signées 6 de sa Madeleine en extase (fig. 15) – perdue – et une du Crucifiement de saint André de Cleveland, et reprend de plus la partie supérieure des Sept Œuvres de Miséricorde du Pio Monte della Misericordia dans plusieurs de ses Annonciations. Il est assez logique qu’il ait copié la Judith et Holopherne qu’il possédait.

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Fig. 13 Louis Finson, détail du visage de Judith.

Fig. 9 Louis Finson, détail de la manche de Judith. Fig. 10 Louis Finson, détail du drapé d’Abra.

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Fig. 14 Caravage, Toulouse, détail du visage de Judith.

Fig. 11 Caravage, Toulouse, détail de la manche de Judith. Fig. 12 Caravage, Toulouse, détail du drapé d’Abra.

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Fig. 15 Louis Finson, Madeleine en extase, musée des Beaux-Arts, Marseille.

Fig. 16 Louis Finson, Samson et Dalila, musée des Beaux-Arts, Marseille.

Voir dans le tableau de Toulouse une création originale de Finson apparaît impossible, comme l’a démontré sa confrontation en 2016-2017, à Milan, avec plusieurs toiles du Brugeois comme le Samson et Dalila (fig. 16) du musée des Beaux-Arts de Marseille. Finson, beau peintre mais aux effets répétitifs, est très marqué par Caravage qu’il copie, nous l’avons dit, à plusieurs reprises ; ses volumes puissants ne cachent jamais une certaine raideur et sont traduits par des modelés métalliques assez systématiques. Il est incapable de l’originalité d’invention, de l’intensité dramatique et de la virtuosité d’exécution, si variée d’un morceau à l’autre, de la Judith redécouverte à Toulouse. D’ailleurs, son chef-d’œuvre, Les Quatre Éléments (Houston, Museum of Arts, fig. 17), témoigne d’un style très différent. Tout atteste que le tableau est bien celui que possédèrent Finson et Vinck, tout atteste qu’il est bien un original de Caravage peint par ce dernier au moment de son passage dans la ville entre septembre 1606 et juin 1607. La force dramatique, la violence et la tension de l’expression des visages, jointes à la beauté d’une exécution à la fois décidée, simple et variée, le coloris fort mais subtil, avec les rouges de la draperie, les ocres jaunes, les oppositions de noir et de blanc sont ceux de Caravage. La facture énergique, les très longs coups de pinceaux d’une seule venue comme les réserves de la préparation laissées pour traduire les ombres sont propres à sa technique. La somptueuse qualité des morceaux pris un à un, propre à l’artiste, est évidente grâce à l’état de conservation, rarissime dans les toiles de Caravage parvenues jusqu’à nous, qui permet d’apprécier dans sa vérité la matière picturale, avec un minimum d’usures. Les nombreux repentirs, c’est-à-dire les modifications de contours ou de détails en cours d’exécution, que montrent les radiographies, et dont certains sont visibles à l’œil nu, confirment que l’on a bien affaire à une création

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Fig. 17 Louis Finson, Les Quatre Éléments, Sarah Campbell Blaffer Foundation, Museum of Fine Arts, Houston.

7. Vingt tableaux de Caravage étaient présentés à l’exposition. Claudio Falcucci, “Come dipingeva il Caravaggio”? Forse così Dentro Caravaggio, Milan, Palazzo Reale, 29 septembre 2017 – 28 janvier 2018, Milan, Skira, 2017, pp. 305-326.

originale. Mentionnons par exemple les variantes dans les mains d’Holopherne (fig. 18-19), dans le voile de Judith et dans son décolleté, dans les mains (fig. 20) et le vêtement de la servante Abra, dans la bouche d’Holopherne (fig. 21), dans de nombreux contours repris ou modifiés. L’étude très complète du tableau remise le 15 mars 2017 par Claudio Falcucci, responsable des études de laboratoire réalisées sur les trente-cinq toiles de Caravage et présentées à l’exposition de Milan, Dentro Caravaggio, en 20172018 7, conduit à une concordance complète avec les œuvres du peintre dans sa première période napolitaine de 1606 à 1607 (préparation, étapes de l’exécution). La multiplicité des repentirs démontre à l’évidence qu’il s’agit d’une création originale. Les images radiographiques montrent que dans un premier temps le regard de Judith était dirigé vers Holopherne, et non vers le spectateur, ce que confirme l’allègement du vernis récent (voir le texte de Laurence Baron-Callegari p. 129). Elles indiquent que le visage d’Abra a été repris et ses rides indiquées avec plus de force. Une nouvelle préparation claire ayant été apposée sur cette partie avant cette reprise, sans que le laps de temps entre la première exécution et cet ajout puisse être déterminé, on peut en tirer argument pour une intervention de Caravage lui-même ou, immédiatement, d’un autre artiste. Les documents montrent aussi que dans un premier temps les yeux d’Abra étaient plus grands, comme exorbités, et ont été retouchés ensuite pour parvenir à l’état actuel (fig. 22). On remarque que dans la version de la Banca Intesa Sanpaolo, les yeux d’Abra (fig. 23) sont proches de ceux de l’état primitif de la version de Toulouse, ce qui plaiderait pour une exécution au même moment et dans le même atelier des deux œuvres, ou de reprises sur la toile originale immédiatement postérieures à la copie. On ne peut que remarquer par ailleurs les caractéristiques

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Fig. 18 Caravage, Toulouse, détail de la main gauche d’Holopherne, montrant les repentirs au bout des doigts.

Fig. 19 Caravage, Toulouse, radiographie de la main gauche d’Holopherne, montrant les repentirs au bout des doigts. Fig. 20 Caravage, Toulouse, détail de la main gauche d’Abra, montrant les repentirs dans les doigts. 42

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Fig. 22 Caravage, Toulouse, radiographie du visage d’Abra.

Fig. 21 Caravage, Toulouse, détail du visage d’Holopherne, montrant un repentir au coin de la bouche. 44

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Fig. 23 Louis Finson, le visage d’Abra avec les yeux écarquillés comparables à ce que montre la radiographie du Caravage de Toulouse. Notice

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Fig. 25 Caravage, Toulouse, détail montrant la couture de la toile.

Fig. 24 Louis Finson, détail montrant la couture de la toile.

matérielles semblables des deux tableaux, avec de semblables dimensions et l’utilisation de deux toiles cousues horizontalement au même niveau (fig. 24-25). Le visage d’Abra, avec ses rides alignées de façon insistante et qui paraissaient dures et systématiques avant l’allègement du vernis, au point de laisser soupçonner l’intervention d’une autre main, a retrouvé une nouvelle plénitude, avec des volumes bien construits dans la lumière, sans aucune discontinuité par rapport au reste du personnage. Cet allègement de vernis a clairement révélé la continuité du réseau de craquelures anciennes à travers les rides. Très en relief, ces rides étaient particulièrement encrassées, accentuant un effet de lourdeur. L’hypothèse d’école d’une retouche apportée par un autre peintre, peut-être Finson, auteur probable, même si ce n’est pas l’opinion unanime, de la copie aujourd’hui à Naples, hypothèse énoncée avec précaution par Rossella Vodret et acceptée avec prudence par Keith Christiansen, ne semble pas tenable, les examens de laboratoire pas plus que le dévernissage ne montrant clairement deux temps d’exécution. La question d’une bottega aperta, un atelier ouvert, que Caravage aurait occupé à Naples et dans lequel auraient pu travailler des peintres étrangers, et non seulement Finson et Abraham Vinck, a été posée par Nicola Spinosa, fervent défenseur depuis la première heure de l’attribution à Caravage de la Judith. Elle pourrait aider à comprendre certaines variantes apportées en cours d’exécution, entre l’original et la copie. Mais elle est si contraire à l’idée bien ancrée d’un Caravage solitaire, hostile à toute collaboration et qu’on imagine mal accepter l’intervention d’un autre sur ses œuvres, qu’on doit l’accueillir avec beaucoup de réserve. Rappelons le prix énorme, 300 ducats, demandé pour le tableau en 1607 qui est bien celui d’un original entièrement de Caravage !

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8. La date de la Judith Barberini varie en fonction des historiens de l’art. Tout le monde s’accorde à situer le tableau entre 1597 et 1602, démontrant encore les difficultés à classer les œuvres de cet artiste hors-norme.

Quelle est la place du tableau dans l’œuvre de Caravage ? Il est quasi certain qu’il a été peint en 1606 ou 1607 à Naples. Rappelons que la lettre d’Ottavio Gentili au duc de Mantoue conduit à penser que, comme La Madone du Rosaire (fig. 2), Judith et Holopherne a été peint à Naples. La force quasi sculpturale des volumes, l’effet de saillie devant le fond sombre, l’exécution décidée, à larges coups de pinceau, se retrouvent dans la grande Flagellation de l’église San Domenico Maggiore, aujourd’hui exposée au Museo di Capodimonte (fig. 26), la Crucifixion de saint André du Cleveland Museum of Art et La Flagellation du Christ du musée des Beaux-Arts de Rouen (fig. 27). La traduction des différents tissus, notamment celle des étoffes blanches, est étonnamment voisine de celle des drapés d’Abra (fig. 28). Le tableau apparaît comme un écho de la fameuse Judith (vers 1597, mais cette date n’est pas certaine 8) identifiée par le restaurateur Pico Cellini et publiée par Roberto Longhi en 1951, venant de la collection Vincenzo Coppi, réalisée à Rome pour Ottavio Costa et aujourd’hui à la Galleria Nazionale d’Arte Antica au Palazzo Barberini (fig. 29). L’organisation d’ensemble s’en rapproche, avec les deux femmes aux canons du visage si proches (fig. 32-33) placées à droite du lit, la servante qui était de profil tout à droite occupant maintenant le centre de la composition ; surtout l’attitude d’Holopherne apparaît très voisine, avec le corps arqué vers l’arrière, bras et main droits appuyés sur le lit, directement comparables (fig. 30-31). Ce qui constitue, par parenthèse, un bel argument pour assurer que la Judith de Toulouse est de Caravage : on sait que le tableau de la collection Costa était cachée et rigoureusement inaccessible, et il n’a pu inspirer immédiatement aucun “suiveur”. Seul Caravage pouvait démarquer Caravage ! De la même façon le rideau rouge agité, celui de la tente du général, s’accorde dans les deux toiles aux mouvements des personnages, belle idée plastique développée superbement dans le second tableau.

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Fig. 26 Caravage, La Flagellation du Christ, dépôt au Museo di Capodimonte, Naples.

Fig. 27 Caravage, La Flagellation du Christ, musée des Beaux-Arts, Rouen. Fig. 28 Caravage, Toulouse, détail de la figure d’Abra. 48

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Fig. 30 Caravage, Toulouse, la main droite d’Holopherne.

Fig. 29 Caravage, Judith et Holopherne, Galleria Nazionale d’Arte Antica, Palazzo Barberini, Rome.

Fig. 31 Caravage, Judith et Holopherne, Palazzo Barberini, Rome, détail de la main droite d’Holopherne.

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Fig. 32 Caravage, Judith et Holopherne, Palazzo Barberini, Rome, visage de Judith.

Fig. 33 Caravage, Toulouse, visage de Judith.

« Sa sandale ravit son regard, sa beauté captiva son âme et le cimeterre lui trancha le cou ! » Livre de Judith (16, 9)

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Mais comparer les deux toiles permet surtout de mettre l’accent sur leur complète opposition. D’un côté, dans la toile romaine, ampleur, large respiration, inspiration prise à la statuaire antique, notamment au Laocoon du Vatican, et à la grande Renaissance florentine et romaine pour la Judith, imposante et séductrice dans sa fine robe blanche qui met son corps en valeur. De l’autre côté, tout n’est que tension, crispation et inquiétude, noirceur et cruauté. Ce que la toile romaine contenait d’élégance tendue, son insistance sur les rythmes curvilignes, fait place ici à une concentration nouvelle, avec comme résultat un tableau plus sombre, plus naturaliste, plus acerbe, marquant une étape plus avancée de l’art du peintre. La robe et le voile sombres de l’héroïne qui paraît surgir de l’extérieur, son regard terrible et déterminé, et en même temps détourné – mais rappelons que les documents de laboratoire montrent que dans un premier temps, le regard était dirigé vers Holopherne ! –, diffèrent en tout de ce que montre la toile romaine. Judith semble ici encouragée par la servante à commettre son acte : le dialogue muet entre les deux femmes très rapprochées constitue le centre dramatique de l’œuvre. L’héroïsme de Judith, qui en cet instant sauve son peuple, prend de ce fait un relief encore plus grand. Holopherne est représenté, lui, comme un personnage haïssable, l’envahisseur, sans foi ni loi, avec des ongles noirs, les mains hâlées, et un corps blanc, celui d’un général. Le visage grimace de douleur et les yeux sont déjà révulsés. Ce poids naturaliste et cette insistance sur la force du glaive marquent l’évolution vers un souci de tension dramatique qui atteint un paroxysme presque insupportable. La crispation formelle des figures groupées, dans la partie centrale, avec les mains réunies autour de la tête tranchée, trouve un contrepoint dans les draperies, parmi les plus belles qu’ait peintes Caravage, qui développent en les amplifiant les grands rythmes de la composition : plis du drap blanc traités à larges coups de pinceau ménageant subtilement des nuances froides et chaudes, lourds drapés de la tenture rouge de la tente d’Holopherne, avec son grand nœud qui vient comme un écho au nœud des mains, dans leur mouvement terrible, au centre de la toile. On ne peut pas ne pas évoquer le saisissant rideau qui retombe dans la partie supérieure de La Mort de la Vierge du musée du Louvre (fig. 3), dont l’ample rythme s’accorde à l’ensemble de la composition. On ignore tout de l’éventuel commanditaire de la Judith. La Madone du Rosaire (fig. 2), proposé à la vente en même temps qu’elle, a pu être apporté par Caravage à Rome : on est saisi par une facture très différente de l’un et l’autre tableaux, et par une « sagesse » plus grande de la toile aujourd’hui à Vienne. Il est quasiment certain pour des raisons de style, comme nous l’avons dit, que notre Judith et Holopherne a été exécuté à Naples. On est frappé par l’exécution très particulière, fine et raffinée, avec l’emploi exceptionnel de l’or à la mixtion, de la garde de l’épée de l’héroïne : serait-ce une arme appartenant au commanditaire, que celui-ci aurait souhaité voir représentée par le peintre, en lui conférant, vu le thème, une signification toute particulière ? L’attribution à Caravage de Judith et Holopherne a été très tôt soutenue par Nicola Spinosa (2016-2017, Attorno a Caravaggio, pp. 21-45). Elle est également soutenue par Keith Christiansen qui voit le tableau un peu plus tard. Ce dernier organise le colloque tenu au Museo di Brera à Milan le 6 février 2017 qui réunit de nombreux spécialistes de Caravage (voir Journée d’étude à la Brera,

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pp. 104-107 et son intervention dans La Gazette Drouot, vendredi 18 janvier 2019, pp. 102-103). L’attribution est notamment défendue par Sergio Benedetti, aujourd’hui disparu, jugeant sur photographie, par David M. Stone, Catherine Puglisi, Wolfgang Prohaska (ancien directeur du Kunsthistorisches Museum de Vienne), Rossella Vodret et Claudio Falcucci (organisateurs de l’exposition Dentro Caravaggio au Palazzo Reale de Milan), Guillaume Kientz (conservateur des Peintures européennes au Kimbell Art Museum de Fort Worth), John Gash (Senior Lecturer et chef du département d’Histoire de l’Art à l’Université d’Aberdeen). Ce dernier écrit : « Il y a tout lieu de croire que, sur le plan stylistique et technique, la Judith et Holopherne de Toulouse émane de l’esprit et du pinceau de Caravage, que c’est le tableau original enregistré comme étant à vendre à Naples en septembre 1607, et qui n’était connu auparavant que par la copie de la Banca Intesa Sanpaolo. C’est un remaniement imaginatif de la précédente interprétation par Caravage du thème conservé au Palazzo Barberini, ajoutant de nouvelles perspectives psychologiques, de complexité spatiale et d’éclairage expressif dans un langage hyperréaliste qui frise le grotesque. Cela soulève l’éventualité de collaborations ou d’achèvements restreints en atelier mais, tout compte fait, j’estime que de telles hypothèses sont inutiles et peu probables » (27 janvier 2019). Des voix discordantes se sont élevées au moment de l’apparition du tableau, notamment celle de Mina Gregori, illustre spécialiste de Caravage et responsable de maintes découvertes de premier plan concernant cet artiste, qui n’y reconnaît pas sa main. Elle avait pourtant, dans sa monographie de 1995 consacrée au peintre, publié la toile conservée à la Banca Intesa Sanpaolo comme la copie du Caravage disparu (p. 152, fig. 61). Elle se demande aujourd’hui (voir l’article d’Éric Biétry-Rivierre, « Le mystère du “vrai faux” Caravage », Le Figaro, 10 janvier 2019), tout en continuant d’y voir une œuvre de la plus haute qualité, s’il ne pourrait pas s’agir d’une création d’Artemisia Gentileschi (1593-1652), ce dont la comparaison avec les œuvres de cette artiste, aux thèmes souvent cruels, ne nous convainc pas. De façon tout aussi nette, Gianni Papi, dont les travaux dans le domaine du caravagisme depuis une vingtaine d’années ont tant apporté, refuse l’attribution à Caravage. Il voit dans le nouveau tableau l’œuvre de Finson au contact direct de Caravage copiant l’original disparu du maître ; l’exemplaire de la Banca Intesa Sanpaolo serait pour lui une seconde copie par le même Finson peinte plus tard, moins proche de Caravage dans l’esprit et la technique. On ne peut que faire remarquer que les multiples repentirs et l’exceptionnelle énergie de l’exécution, dans la toile de Toulouse, ne plaident guère en faveur d’une copie. Par ailleurs, d’autres spécialistes comme Francesca Cappelletti et Maria Cristina Terzaghi ont refusé l’attribution du tableau de Toulouse à Caravage. On rappellera simplement ici que chaque nouvelle découverte d’un tableau de Caravage a suscité maints débats, avec des oppositions parfois vives, avant que l’attribution ne soit acceptée de façon majoritaire sinon unanime. Nous donnons dans les pages qui suivent les plus notables contestations, qui se sont toutes conclues par un consensus.

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Les Caravage retrouvés Quelques questions tranchées

Sans prétendre refaire ni poursuivre l’admirable livre d’André Berne-Joffroy, Le Dossier Caravage (1959) 1, il faut rappeler combien la reconstitution de l’œuvre de Caravage, jugé aujourd’hui l’un des plus grands peintres de l’histoire, a été ardue, difficile, nourrie de controverses, d’enthousiasmes et de déceptions. On ne citera que quelques cas, sans mentionner les “redécouvertes” qui n’ont pas été cautionnées par la majorité des historiens de l’art et par le marché de l’art.

1. André Berne-Joffroy, Le Dossier Caravage : psychologie des attributions et psychologie de l’art (deuxième édition), Paris, Flammarion, collection « Champs arts », 2010. Avant-propos par Yves Bonnefoy. Préface et notes par Arnauld Brejon de Lavergnée. (Première édition : 1959.)

Fig. 27 Caravage, La Flagellation du Christ, musée des Beaux-Arts, Rouen.

« An unpredictable and always surprising artist. » Keith Christiansen (2019) La Flagellation du Christ (fig. 27) du musée des Beaux-Arts de Rouen, achetée en 1955 comme un Mattia Preti (1613-1699), reconnue comme un original de Caravage en 1960 par Roberto Longhi qui avait précédemment cru autographe un tableau d’une collection privée de Lucques. Denis Mahon, jusqu’à sa mort en 2011, considérait comme l’original un tableau d’une collection privée suisse. Aujourd’hui considéré unanimement comme un chef-d’œuvre de Caravage.

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Les Caravage retrouvés

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Fig. 34 Caravage, Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste, National Gallery, Londres.

Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste (fig. 34) de la National Gallery de Londres, venant de France, identifié par Longhi, signalé en 1970 par Mahon à la National Gallery qui l’achète, non sans susciter de vives réticences de la part des responsables du musée, dont le directeur Michael Levey, qui le laissent longtemps en réserve ; aujourd’hui unanimement accepté.

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Fig. 35 Caravage, Portrait d’un chevalier de l’ordre de Malte, Palazzo Pitti, Florence.

Portrait d’un chevalier de l’ordre de Malte (fig. 35) du Palazzo Pitti de Florence, donné à Caravage par Mina Gregori en 1970, alors qu’il était confiné dans les réserves du musée, attribution longtemps discutée et aujourd’hui largement acceptée.

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Fig. 37 Caravage, La Conversion de Marie-Madeleine, Detroit Institute of Arts, Détroit.

Fig. 36 Caravage, Saint François en méditation, Pinacoteca Civica, Crémone.

Le Saint François en méditation (fig. 36) de la Pinacoteca Civica de Crémone, considéré d’abord comme une copie par Longhi, puis réhabilité par Mahon, Longhi lui-même, Mina Gregori et Keith Christiansen. Aujourd’hui très largement considéré comme un magnifique original.

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La Conversion de Marie-Madeleine (fig. 37) du Detroit Institute of Arts, acquise en 1973 à l’initiative de Frederick J. Cummings, après un échec en vente publique en 1971 en partie dû à l’opposition de Michael Levey et dont l’autographie, soutenue par Mahon et Maurizio Marini, fut discutée. L’attribution au maître est aujourd’hui très largement acceptée.

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Fig. 38 Caravage, Le Reniement de saint Pierre, Metropolitan Museum of Art, New York.

Fig. 39 Caravage, Le Crucifiement de saint André, Cleveland Museum of Art, Cleveland.

Le Reniement de saint Pierre (fig. 38) du Metropolitan Museum acquis en 1997, venant d’une collection suisse, attribué à Caravage par Longhi et publié par Maurizio Marini en 1973 sans convaincre immédiatement les spécialistes. Considéré par tous aujourd’hui comme un admirable original tardif.

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1. Ann Tzeutschler Lurie & Denis Mahon, « Caravaggio’s Crucifixion of Saint Andrew from Valladolid », The Bulletin of the Cleveland Museum of Art, vol. 64, n° 1, 1977, pp. 2–24.

Le Crucifiement de saint André (fig. 39) du Cleveland Museum of Art, acquis en 1976, dont Alfonso Pérez Sánchez refusait l’attribution à Caravage comme l’original commandé par le comte de Benavente. Aujourd’hui unanimement reconnu après la très complète publication d’Ann Tzeutschler Lurie et Denis Mahon en 1977 1.

Les Caravage retrouvés

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Fig. 40 Caravage, L’Arrestation du Christ, National Gallery of Ireland, Dublin.

L’Arrestation du Christ (fig. 40), appartenant à une communauté religieuse et déposée à la National Gallery of Ireland de Dublin, belle découverte de Sergio Benedetti en 1993, qui a détrôné la version, décidément une copie, conservée à Odessa. Unanimement accepté aujourd’hui.

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Les Caravage retrouvés

Fig. 41 Caravage, Les Tricheurs, Kimbell Art Museum, Fort Worth.

Les Tricheurs (fig. 41) du Kimbell Art Museum de Fort Worth, longtemps disparus, achetés à l’initiative d’Edmund P. Pillsbury, objet de nombreuses incrédulités avant qu’un désentoilage ne révèle le sceau Del Monte, au revers de la toile d’origine. Une des œuvres essentielles de l’artiste.

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Fig. 42 Caravage, Le Martyre de sainte Ursule, Banca Intesa Sanpaolo, Naples.

Le Martyre de sainte Ursule (fig. 42) de la Banca Intesa Sanpaolo de Naples, acquis en 1973 comme un Mattia Preti, longtemps discuté, brillamment défendu par Mina Gregori et aujourd’hui admiré, malgré son état, comme une des dernières créations de Caravage.

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Les Caravage retrouvés



Judith et Holopherne : iconographie

1. Les citations sont tirées de la Bible de Jérusalem éditée par l’École Biblique de Jérusalem (1973), consultable en ligne : https://www. fichier-pdf.fr/2015/07/18/bible-dejerusalem/bible-de-jerusalem.pdf (pp. 412-424).

Récit biblique de quelques pages, le livre de Judith n’a cessé d’inspirer écrivains et artistes. En s’écartant de faits historiques, il est devenu intemporel et l’Europe chrétienne se réfère volontiers à l’héroïne chaque fois qu’une situation politique met en péril les libertés. Judith, modèle de vertu hérité du haut Moyen Âge incarne tout à la fois l’humilité, la chasteté, la tempérance, la force, la prudence et la foi, qui s’opposent victorieusement aux vices que sont l’orgueil, la luxure et la concupiscence. À l’aube du xviie siècle, Caravage fige l’instant de cette victoire en peignant deux Judith et Holopherne, le premier vers 1597, le second vers 1607. Des treize chapitres que compte le livre de Judith, les sept premiers décrivent l’avancée vers l’Ouest des armées de Nabuchodonosor « qui régna sur les Assyriens à Ninive la grande ville (1, 1) 1 ». Pour vaincre Arphaxad, roi des Mèdes ayant fortifié la ville d’Ecbatane, il chercha l’alliance des peuples libres et autonomes de la région. Bien qu’aucun n’ait répondu à son appel il vainquit Arphaxad et, l’ayant tué, se retourna contre ces peuplades insoumises (fig. 1). Décidé à se venger de leur affront, il fit « appeler Holopherne, général en chef de ses armées et son second (2, 4) …Sorti de chez son souverain, [celui-ci] convoqua tous les princes, les généraux, les officiers de l’armée d’Assur, puis dénombra des guerriers d’élite, conformément aux ordres de son maître : environ cent vingt mille hommes plus douze mille archers montés… Il prit ensuite des chameaux, des ânes, des mulets en immense quantité pour porter les bagages, des brebis, des bœufs, des chèvres sans nombre pour le ravitaillement… puis, avec toute son armée, il partit en expédition devant le roi Nabuchodonosor afin de submerger toute la contrée occidentale de ses chars, de ses cavaliers, de ses fantassins d’élite… (2, 14-19) » (fig. 2). Ce faisant, il pilla les terres jusqu’à la côte, détruisant partout sanctuaires et arbres sacrés « pour obliger les peuples à ne plus adorer que le seul Nabuchodonosor

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Fig. 1 France, Lyon ?, Combat entre un soldat assyrien et un soldat mède, vers 1275-1300, Lettrine d’Arphaxad Prologue du livre de Judith, B.M. Lyon, 0411 (0337), f.017.

Fig. 2 Espagne, Pampelune, 1197 : Holopherne et son armée chevauchant vers Béthulie, livre de Judith, Amiens, B.M., 0108, f.143v.

et forcer toute langue et toute race à l’invoquer comme dieu » (3,8). Apprenant ces faits, les Israélites établis en Judée qui venaient tout juste de rebâtir le temple de Jérusalem, déjà pillé et brûlé par le roi de Babylone en 586 av. J.-C., s’organisèrent, fortifiant les villes, occupant les sommets et se préparant à tenir un siège. « Le grand prêtre Ioakim, alors en résidence à Jérusalem, écrivit aux habitants de Béthulie [que le récit situe au nord de Jérusalem],… pour leur dire d’occuper les hautes passes de la montagne, seule voie d’accès vers la Judée, [leur précisant qu’il leur serait] aisé d’arrêter les assaillants, l’étroitesse du passage ne permettant d’y avancer que deux de front » (4, 6-7). Pour s’assurer la victoire, dans toute la Judée et à Jérusalem on jeûna de longs jours, on offrit des sacrifices. Le peuple d’Israël implora son Dieu. Face à cette insoumission renouvelée, Holopherne entra « dans une très violente colère… – Quel est ce peuple qui demeure dans la région montagneuse ?… en quoi résident sa puissance et sa force ?… Pourquoi a-t-il dédaigné de venir au-devant de moi ?… » (5, 2-4). Achior, général ammonite et mercenaire au service d’Holopherne, avança que s’il restait fidèle à Dieu, ce peuple resterait puissant parce que protégé par Lui. Faisant fi de sa réponse, l’assemblée des notables et la foule s’écrièrent : « Qu’avons-nous donc à craindre des Israélites ?… Allons donc ! Montons et ton armée n’en fera qu’une bouchée, ô notre maître, Holopherne ! » (5, 23-24). Ayant rétorqué à Achior : « Tu prétends que leur Dieu les protégera ? Qui donc est dieu hormis Nabuchodonosor ? » (6, 2), le général assyrien le livra aux habitants de Béthulie, lui promettant la mort sous les assauts de la cité par les Assyriens. Bien que d’une peuplade ennemie, Achior fut épargné par les habitants de Béthulie auxquels il révéla les plans d’Holopherne. « Alors le peuple se prosterna, adora Dieu et cria : – Seigneur, Dieu du ciel, considère leur orgueil démesuré… En ce jour tourne un visage favorable vers ceux qui te sont consacrés » (6, 18-19).

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Judith et Holopherne : iconographie

Le lendemain Holopherne monta vers Béthulie avec une armée de « cent vingt mille fantassins et douze mille cavaliers, sans compter les bagages et la multitude considérable des gens de pied mêlés à eux (7, 2)… Le deuxième jour… [il] déploya toute sa cavalerie sous les yeux des Israélites qui étaient à Béthulie… reconnut les sources d’eau, les occupa (7, 6-7)… Tentes et bagages formaient un campement d’une masse énorme car leur multitude était considérable… Durant trente-quatre jours, l’armée assyrienne, fantassins, chars et cavaliers, les tint encerclés. Les habitants de Béthulie virent se vider toutes les jarres d’eau et les citernes s’épuiser » (7, 18-21). Pris de désespoir, ils implorèrent les chefs de la ville de se rendre : « nous serons esclaves sans doute, mais nous vivrons et nous ne verrons pas de nos yeux la mort de nos petits… » (7, 27). Ozias leur demanda d’attendre encore cinq jours. Si, passé ce délai, Dieu n’etait pas intervenu en leur faveur, alors il suivrait leur avis. Ce n’est qu’au chapitre 8 qu’est présentée Judith, première femme à intervenir dans le récit. Son nom signifie « la Juive ». Sa généalogie sur seize générations, l’une des plus longues de celles que la Bible cite pour ses rois et héros, atteste qu’elle est fille d’Israël. « Devenue veuve,… [elle] vécut en sa maison durant trois ans et quatre mois. Sur la terrasse elle s’était aménagé une chambre haute. Elle portait un sac sur les reins, se vêtait d’habits de deuil et jeûnait… Or elle était très belle et d’aspect charmant. Son mari Manassé [lui-même fils d’Israël] lui avait laissé de l’or, de l’argent, des serviteurs, des servantes, des troupeaux et des champs, et elle habitait au milieu de tous ses biens sans que personne eût rien à lui reprocher, car elle craignait Dieu grandement » (8, 4-8). Reconnue pour sa sagesse et son intelligence, elle ne s’était pas jointe au peuple mais était informée des événements. « Alors, elle envoya la servante préposée à tous ses biens appeler… [deux] anciens de la ville. Quand ils furent chez elle, [sûre que Dieu sauvera les habitants de Béthulie, la cité qui protège les lieux saints], elle leur dit : – … Vraiment vous avez eu tort… de vous engager contre Dieu, en faisant serment de livrer la ville à nos ennemis si le Seigneur ne vous portait secours dans le délai fixé… Appelons-le plutôt à notre secours » (8, 10-11 et 17). « Et maintenant, frères, mettons-nous en avant pour nos frères, car leur vie dépend de nous, et le sanctuaire, le Temple et l’autel reposent sur nous » (8, 24). Ozias, reconnaissant « l’excellence » de son cœur, lui demanda : « Et maintenant, puisque tu es une femme pieuse, prie le Seigneur de nous envoyer une averse qui remplisse nos citernes… – Écoutez-moi bien… Je vais accomplir une action dont le souvenir se transmettra… d’âge en âge. Vous, trouvez-vous cette nuit à la porte de la ville. Moi, je sortirai avec ma servante et, avant la date où vous aviez pensé livrer la ville à nos ennemis, par mon entremise le Seigneur visitera Israël » (8, 31-33). Ayant prié le Dieu de ses pères en ces termes : « Voici les Assyriens,… Regarde leur outrecuidance, envoie la colère sur leurs têtes, donne à ma main de veuve la vaillance escomptée… Brise leur arrogance par une main de femme (9, 7-10)… Et fais connaître à tout peuple et à toute tribu… que le peuple d’Israël n’a d’autre protecteur que toi » (9, 14), Judith appela sa servante et descendit de sa chambre haute pour se préparer. « … Quittant ses habits de deuil, elle se baigna, s’oignit d’un généreux parfum, peigna sa chevelure, ceignit un turban et revêtit le costume de joie qu’elle mettait du vivant de son mari Manassé. Elle chaussa ses sandales, mit ses colliers, ses anneaux, ses bagues, ses pendants

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Fig. 3 Royaume latin de Jérusalem (Acre), vers 1260-1270, Judith conduite devant Holopherne, Dijon, B.M., 0562, f.151v.

Fig. 4 Abbaye de Cîteaux, vers 1100, Le Banquet d’Holopherne, Dijon, B.M. 0014, f.158.

d’oreilles, tous ses bijoux, elle se fit aussi belle que possible pour séduire les regards de tous les hommes qui la verraient. Puis elle donna à sa servante une outre de vin et une cruche d’huile » (10, 3-5) ainsi que des provisions et toutes deux sortirent de Béthulie, « suivie[s] du regard par les gens de la ville pendant toute la descente de la montagne jusqu’à la traversée du vallon. Puis ils ne… [les] virent plus » (10, 10). Arrêtée par un avant-poste assyrien, Judith se fit passer pour une fuyarde préférant livrer des informations à Holopherne pour lui permettre d’entrer dans Béthulie sans combat plutôt que de périr sous ses coups. On lui donna donc une escorte de cent hommes pour l’introduire dans la tente d’Holopherne et « on ne se lassait pas d’admirer son étonnante beauté, et d’admirer par contrecoup les Israélites (fig. 3). – Qui donc pourrait encore mépriser un peuple qui a des femmes pareilles ? » (10, 19) « Holopherne reposait sur un lit placé sous une draperie de pourpre et d’or, rehaussée d’émeraudes et de pierres précieuses » (10, 21). Il sortit et la première rencontre se fit sous l’auvent de la tente. Troublé par la beauté de Judith, le général fut mis en confiance par ses propos qui vantaient les mérites de Nabuchodonosor « roi de toute la terre », ayant su déceler chez Holopherne un être « … singulièrement capable, riche en expérience, étonnant dans la conduite de la guerre » (11, 8). Judith lui exposa le châtiment qui attendait les habitants de Béthulie si, poussés par la faim et la soif, ils se défiaient de leur Dieu et péchaient contre Lui en consommant les boissons consacrées. Abandonnés par Lui, alors ils devraient se rendre. Convaincu, Holopherne offrit une tente à Judith, afin qu’elle puisse attendre que son Dieu l’avertisse du moment opportun pour prendre la ville et Jérusalem. Elle y demeura trois jours, sortant chaque nuit dans le ravin pour prier. Le quatrième jour, Holopherne donna un banquet et invita Judith car « ce serait une honte… de laisser partir une telle femme sans avoir eu commerce avec elle »

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Fig. 5 Giorgio Vasari (1511–1574), Judith et Holopherne, Saint Louis Art Museum.

Fig. 6 Jacques Stella (1596–1657), Judith et la tête d’Holopherne, collection privée.

(12, 12). Judith s’y rendit, précédée de sa servante et parée « de ses vêtements et de tous ses atours féminins… le cœur d’Holopherne en fut tout ravi et son esprit troublé (fig. 4). Il était saisi d’un désir intense de s’unir à elle… Holopherne était sous son charme, aussi but-il une telle quantité de vin qu’en aucun jour de sa vie il n’en avait tant absorbé. Quand il se fit tard, ses officiers se hâtèrent de partir… [on] ferma la tente de l’extérieur,… et Judith fut laissée seule dans la tente avec Holopherne effondré sur son lit, noyé dans le vin. Judith dit alors à sa servante de se tenir dehors, près de la chambre à coucher, et d’attendre sa sortie comme elle le faisait chaque jour [pour prier]… Debout près du lit Judith dit en elle-même : – Seigneur, Dieu de toute force, en cette heure, favorise l’œuvre de mes mains pour l’exaltation de Jérusalem. C’est maintenant le moment de ressaisir ton héritage et de réaliser mes plans pour écraser les ennemis levés contre nous. Elle s’avança alors vers la traverse du lit proche de la tête d’Holopherne, en détacha son cimeterre, puis s’approchant de la couche elle saisit la chevelure de l’homme (fig. 5) et dit : – Rends-moi forte en ce jour, Seigneur, Dieu d’Israël ! Par deux fois, elle le frappa au cou de toute sa force, et détacha sa tête. Elle fit ensuite rouler le corps loin du lit et enleva la draperie des colonnes. Peu après elle sortit et donna la tête d’Holopherne à sa servante, qui la mit dans la besace à vivres (fig. 6) et toutes deux sortirent du camp comme elles avaient coutume de le faire pour aller prier. Une fois le camp traversé elles contournèrent le ravin, gravirent la pente de Béthulie et parvinrent aux portes » (12, 15-13, 10). On lui ouvrit les portes et elle exhorta les siens : « Louez Dieu ! Louez-le ! Louez le Dieu qui n’a pas détourné sa miséricorde de la maison d’Israël, mais qui, cette nuit, a par ma main brisé nos ennemis. Elle tira alors la tête de sa besace et la leur montra (fig. 7) : – Voici la tête d’Holopherne, le général en chef de l’armée d’Assur, et voici la draperie sous laquelle il gisait dans son ivresse ! Le Seigneur l’a frappé par la main d’une femme ! Vive le Seigneur qui m’a gardée dans mon

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entreprise ! » (13, 14-16). Après s’être prosternés pour adorer Dieu et le louer, les habitants de Béthulie suspendirent la tête d’Holopherne au rempart de la ville et sortirent. Aussitôt, les Assyriens partirent avertir Holopherne mais, le découvrant décapité, jeté sur le seuil de sa tente et la tente de Judith vide, couverts de honte, ils s’enfuirent, laissant la victoire aux Israélites. Le grand-prêtre Ioakim et les anciens vinrent de Jérusalem saluer Judith (fig. 8) : « Tu es la gloire de Jérusalem… Bénie sois-tu par le Seigneur Tout-Puissant dans la suite des temps ! » (15, 9-10). « La population pilla le camp [des Assyriens] trente jours durant. On donna à Judith la tente d’Holopherne, toute son argenterie (15, 11)… Au milieu de tout Israël, Judith entonna ce chant d’action de grâces et tout le peuple clama l’hymne [avec les tambourins et les cymbales] (15, 14)… : – Assur descendit des montagnes du septentrion, il vint avec les myriades de son armée (16, 3)… mais c’est Judith, fille de Merari, qui l’a désarmé par la beauté de son visage (16, 6)… Sa sandale ravit son regard, sa beauté captiva son âme et le cimeterre lui trancha le cou ! (16, 9)… Quand ils furent arrivés à Jérusalem, tous se prosternèrent devant Dieu… Judith voua à Dieu… tout le mobilier d’Holopherne donné par le peuple et la draperie qu’elle avait elle-même enlevée de son lit. La population se livra à l’allégresse devant le Temple, à Jérusalem, trois mois durant, et Judith resta avec eux… Ce temps écoulé, chacun revint chez soi… [Judith] atteignit l’âge de cent cinq ans. Elle affranchit sa servante puis mourut à Béthulie » (16, 18-23). Beaucoup de controverses ont existé sur l’historicité du livre de Judith qu’Émile Mâle classe dans les « héroïnes légendaires de la Bible » 2. En effet, Nabuchodonosor n’a pas régné sur Ninive mais sur Babylone, aucun roi des Mèdes nommé Arphaxad n’est connu et la ville d’Ecbatane a été conquise par Cyrus le Grand en 554 av. J.-C. Aucune trace archéologique ne confirme l’existence de la ville de Béthulie, « la maison de Dieu », pourtant présentée comme un point stratégique pour la défense de Jérusalem. Il faut voir dans ce récit le résultat de traditions orales reprises dans un roman historique que l’on s’accorde à dater du iie siècle av. J.-C., quand le judaïsme doit s’affirmer face à l’hellénisation de la Judée. Le récit trouverait donc son origine dans la révolte des rois Maccabées contre Antiochus IV (167-164 av. J.-C.). Dans la tradition juive, la figure de Judith reste associée à la fête de Hanoukka qui commémore cet événement : les femmes allument les bougies pour rappeler que la libération des Juifs est due à une femme. C’est aussi au temps des Maccabées que les juifs d’Alexandrie, soucieux de disposer d’écrits dans leur langue, établissent une traduction grecque de la Torah, livre qui retrace l’histoire des Hébreux de la création du monde à la mort de Moïse. Ils y ajoutent des livres directement écrits en grec. Utilisée par les premiers chrétiens, la Septante qui en a résulté reste la source des Bibles catholique et orthodoxe. À la fin du ier siècle de notre ère, les rabbins de Palestine reprennent la Septante et ne gardent que les écrits nés en hébreu, exempts de toute marque d’inculturation hellénistique. Même si le livre de Judith, qui nous est parvenu en grec, n’a pas été inclus dans ce canon hébraïque, le récit s’en est transmis dans les milieux juifs. Des manuscrits hébraïques, qui ne sont pas des traductions des textes grecs connus des juifs d’Alexandrie, circulaient au Moyen Âge. Judith devint alors un modèle de résistance aux oppresseurs, croisés ou autres, et à la législation discriminante adoptée par le concile du Latran en 1215.

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Fig. 7 Salomon de Bray (1597–1664), Judith offrant la tête d’Holopherne, Museo del Prado, Madrid.

2. Émile Mâle, Iconographie de l’art chrétien, t. II, vol. 1 : Iconographie de la Bible, Ancien Testament, pp. 329-335.

3. Les textes apocryphes ont consigné des traditions orales concernant des personnages ou des événements bibliques, des figures du christianisme ou de la tradition juive,… ce sont des écrits de genres variés, d’époques et de provenances diverses, conservés dans de nombreux manuscrits, en toutes sortes de langues (cf. : Écrits apocryphes chrétiens, ss la dir. de François Bovon et Pierre Geoltrain, Paris, 1997, t. I, p. 9). Nés entre le iie siècle et le Moyen Âge dans une aire géographique allant de l’Égypte à la Syrie, ils ont été largement repris par les artistes. 4. Martin Luther, Biblia/das ist/ die gantze Heilige Schrifft Deutsch, Wittemberg, 1534, Leipzig, 1983, t. II, p. 1.

Fig. 8 Francesco Curradi (1570–1661), Le Triomphe de Judith, musée des Augustins, Toulouse.

Saint Jérôme, missionné en 380 par le pape pour traduire la Septante grecque en latin, dit avoir utilisé pour sa traduction du livre de Judith des traductions latines préexistantes et un texte araméen, disparu, qui pourrait en être la version originale. Il traduit « la servante » par « abra », nom commun assimilé par la suite au prénom Abra, vraisemblablement quand le livre de Judith fut adapté au théâtre et à l’opéra. En 1522, Luther, qui prépare une traduction de la Bible en allemand, remet en cause l’exactitude historique du livre de Judith. Il inclut néanmoins cette « fiction religieuse » dans les textes apocryphes 3 « qu’il est quand même utile et bon de lire 4 ». À sa suite les protestants ne retiennent dans l’Ancien Testament que les textes rédigés en langue hébraïque, c’est-à-dire la Bible juive, et placent les apocryphes grecs entre l’Ancien et le Nouveau Testament. La situation ne changera pas jusqu’à l’essor des Sociétés bibliques au début du xixe siècle. Oeuvrant pour une large diffusion de la Bible, elles considèrent inutile d’imprimer ces écrits apocryphes peu utilisés qui disparaissent ainsi de l’usage courant. En 1546, le concile de Trente (1545-1563), convoqué pour répondre aux critiques faites à l’Église catholique, réaffirme la canonicité du livre de Judith. Il le conserve, bien que rédigé en grec et tardif, dans les écrits de l’Ancien Testament. Citée par Dante, Boccace ou Pétrarque, Judith possède les vertus qui sont celles d’un « bon gouvernement » tandis qu’Holopherne figure parmi les orgueilleux dans le premier cercle de l’Enfer. Quand Ambrogio Lorenzetti, autour de 1340, orne les murs de la salle des représentants de la République siennoise d’une fresque sur ce thème, il représente la Justice sous les traits d’une femme tenant une épée dont le pommeau repose sur la tête d’un homme barbu décapité, référence évidente à Judith et Holopherne (fig. 9).

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Fig. 9 Ambrogio Lorenzetti (vers 1290– 1348), Allégorie du Bon Gouvernement, détail, Palais Communal, Sienne.

Vers 1450, on trouve le Mystère de Judith dans les Mystères du viel Testament, version théâtralisée des chroniques patriotiques du peuple de Dieu. Rédigés en français, les mystères assurent un rayonnement populaire à l’héroïne dont l’image est véhiculée par les miniatures puis les gravures des Bibles historiées et des ouvrages de théologie. Judith est considérée comme une figure préfiguratrice de la Vierge. Traduit en plusieurs langues, le poème latin Speculum salvationis Humanae (Miroir de la rédemption de l’Homme) diffuse largement cette notion d’exégèse, commune jusque dans le courant du xviie siècle (fig. 10). Comme Judith s’en est remise à Dieu pour vaincre Holopherne et sauver son peuple, Marie s’en remet à Dieu pour vaincre le mal et sauver l’humanité. Ozias accueillant Judith qui revient à Béthulie avec la tête d’Holopherne est mis en parallèle avec Élisabeth accueillant Marie lors de la Visitation. Assimilée à une prophétesse, Judith est volontiers associée à son pendant masculin, David. Le petit que Dieu a choisi pour vaincre par l’épée le géant Goliath est vu comme un symbole de la victoire du Christ sur le mal. Quand Giorgione représente Judith vers 1505 (fig. 11), il reprend l’iconographie de la Vierge dominant le serpent de l’Apocalypse. Comme celle-ci pose le pied sur la tête du serpent, Judith, jeune femme à la beauté idéale, pose le pied sur la tête d’Holopherne. Le muret de briques évoque le jardin clos des vierges médiévales, image du jardin intérieur qu’est l’âme. Il met en avant la jeune femme et la préserve d’une chute dans le ravin qui la sépare de Béthulie. La ville apparaît dans le lointain avec son enceinte fortifiée et, au-delà, le lac de Tibériade que les Juifs nomment « la mer » 5. Le contraste entre sa jambe nue et celle qui est drapée traduit l’ambigüité du personnage. Tandis qu’elle joue de séduction, prête à dénouer sa ceinture, Judith masque une épée démesurée pour elle derrière la draperie rouge sang

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Fig. 11 Giorgione (1477– 1510), Judith, musée de l’Ermitage, SaintPétersbourg.

Fig. 10 Alsace, xive, Vierge Marie combattant Satan et Mort d’Holopherne, Speculum salvationis Humanae, Paris, BnF, Latin 511, fol.30v.

Fig. 12 d’après Ambrosius Benson, Judith, musée de Grenoble.

qui prouve son meurtre. Ainsi, la partie la plus sensuelle du tableau est-elle celle qui révèle l’horreur du motif. Si la tête d’Holopherne semble anecdotique au premier regard, c’est bien vers elle, objet du crime, que nous guident le regard de Judith et la courbe de son corps. Son teint blafard contraste avec la couleur vive de la robe.

6. Geneviève Breerette, Bruges, portrait d’une ville au xvie siècle, in « Le Monde », 4 septembre 1998.

5. Jan Bialostocki, Judith: the story, the image, and the symbol in The message of images, Vienne, 1988, pp. 113-131.

Ambrosius Benson, arrivé de Milan à Bruges, ville ouverte aux idées humanistes, va plus loin en peignant en 1531 une Judith aussi séductrice qu’une Vénus, « un étonnant tableau où la meurtrière nue en impose avec ses seins géométriques aussi lourds que ceux dont Michel-Ange dote parfois ses allégories 6 » (fig. 12). La tête d’Holopherne qui, seule, permet d’identifier la belle, est reléguée dans l’ombre et l’épée est juste évoquée par son pommeau. Le voile de pudeur et le lourd manteau de velours rouge lèvent toute équivoque sur ce qui s’est passé dans la tente d’où elle sort. Cette vision allégorique de la foi victorieuse des sens sera reprise par toute l’Europe maniériste. Cranach, et à sa suite, les peintres de l’Allemagne luthérienne et les nordiques iront jusqu’à représenter Judith entièrement nue. Mettant au service de Dieu sa beauté voulue par lui, elle ne saurait concevoir de désirs et peut donc exposer en toute pudeur son innocence pour mettre Holopherne à l’épreuve. Tout différents sont les portraits de dames en Judith peints par Cranach autour de 1530. Représentées à mi-corps, richement vêtues en courtisanes contemporaines, les modèles regardent le spectateur avec calme. Entre elles et lui, un parapet sur lequel est posé ce qui doit être vu comme une mise en garde : la tête d’Holopherne dont elles saisissent la chevelure de la main gauche tandis que de la droite, elles tiennent une épée martiale (fig. 13). Ces femmes sont représentées en femmes fortes et vigilantes dans un siècle qui a vu Louise de Savoie, Marguerite de Parme, Catherine de Médicis, Amalia van Salms, Élizabeth Ire et

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Fig. 13 Lucas Cranach (1472–1553), Portrait de dame en Judith, Kunsthistorisches Museum, Vienne.

Fig. 14 Donatello (vers 1386–1466), Judith et Holopherne, Palazzo Vecchio, Florence.

Fig. 15 Sandro Botticelli (1445–1510), La Découverte du cadavre d’Holopherne et Le Retour de Judith et sa servante à Béthulie, Galleria degli Uffizi, Florence.

d’autres encore s’entourer de cours érudites et remodeler l’Europe par le jeu des alliances politiques. Elles se présentent avec les qualités de la vefve chaste et virile craignant Dieu avec une ferme confiance, exemple promu par Le Miroir des vefves : Tragédie sacrée de Holopherne et Judith écrite par Pierre Heyns et jouée à Anvers en 1582. Dans les exemples cités, Judith apparaît seule. Les peintres se sont attachés à rendre sa beauté et son éclat, valorisant sa perfection plus que son action. Représenter son geste fatal n’est pas anodin dans l’Europe chrétienne des xvie et xviie siècles. À l’heure où les libertés communales se heurtent aux prétentions de pouvoirs centralisateurs, les guerres se succèdent. L’épopée de Judith, actualisée et mise en poèmes, connaît alors un regain d’intérêt qui s’accompagne d’une lecture plus politique. Le mouvement commence à Florence, où Donatello, entre 1453 et 1460, réalise pour les jardins de Côme de Médicis un bronze grandeur nature représentant Judith et Holopherne (fig. 14). Holopherne a déjà le cou tranché et Judith s’apprête à porter le second coup. Le sujet est clairement explicité par les inscriptions du piédestal « REGNA CADUNT LUXU/SURGENT VIRTUTIBUS URBES/CAESA VIDES HUMILI COLLA SUPERBA MANU * ». Judith, symbole de la cité-État de Florence, triomphe de ses ennemis représentés par Holopherne. Cinquante ans plus tard, en 1494, après l’entrée du roi de France Charles VIII dans Florence, la ville chasse les Médicis et s’organise en république. La statue de Donatello est déplacée dans l’espace public et on grave dans le granit l’inversion des rôles : EXEMPLUM SALUTIS PUBLICAE CIVES POSUERE 1495 *, Judith devient le symbole de la République triomphant des tyrans Médicis.

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7. Patricia Lee Rubin in [Expo. Londres,1999] Renaissance Florence, the Art of the 1470s, p. 331.

* Ndt. « Les royaumes tombent par la luxure / les villes s’élèvent par la Vertu / voici le cou de la Fierté coupé par la main de l’Humilité. »

* Ndt. « Les citoyens ont érigé cet emblème de la patrie délivrée. »

Les Florentins méditent le livre de Judith en s’aidant, au besoin, de peintures dont le format réduit indique bien un usage privé. Un inventaire Médicis de 1492 7 mentionne ainsi parmi les gemmes, médailles et camées d’un cabinet une Judith avec la tête d’Holopherne, « tavoletta » peinte par Squarcione (1395vers 1470). Après l’assassinat de Julien de Médicis et alors que Savonarole prêche dans la cité contre le luxe excessif des Médicis, la contemplation du motif au milieu de ces objets précieux peut rappeler combien il est risqué d’utiliser le bien public à son profit personnel. À la même époque, Botticelli (vers 1444-vers 1510) conçoit un petit diptyque (31 x 25 cm chaque panneau) qui présente en vis-à-vis La Découverte du cadavre d’Holopherne et Le Retour de Judith et sa servante à Béthulie (fig. 15). La composition savante des deux scènes guide la méditation par un va-etvient entre les deux images. D’un côté, le corps nu d’Holopherne, mis en valeur par les contrastes de couleurs, expose au premier plan sa vigueur et sa jeunesse avec une connotation érotique. La courbe du torse attire le regard et amène à constater le châtiment sanglant qui attend ceux qui tombent dans la luxure et la concupiscence. Le contraste est grand avec les traits de la tête que porte la servante sur l’autre panneau, qui est celle d’un homme d’âge mûr. Démembré jusqu’à ne plus être représenté sur un seul et même panneau, le corps ­d’Holopherne devient l’image d’une cité divisée par les rivalités. Si Botticelli a bien représenté Judith en sandales et Abra portant du vin et de l’huile, il s’est éloigné du texte biblique en plaçant la tête d’Holopherne, non pas dans une besace, ce qui ne nous permettrait pas de constater le châtiment, mais enroulée dans un linge et posée dans une corbeille. Dans l’espace clos de la tente plantée devant le camp assyrien se pressent les hommes d’armes d’Holopherne. Ceux qui se prosternaient devant Nabuchodonosor ne peuvent que se lamenter, tandis que Judith et sa servante se hâtent vers Béthulie d’où

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Fig. 16 Michel-Ange (1475–1564), Judith et sa servante, Zacharie, David et Goliath, chapelle Sixtine, Vatican.

sortent les habitants venant à leur rencontre. Jetant un dernier regard sur le corps d’Holopherne, Judith avance, un rameau d’olivier en signe de paix dans une main et le cimeterre de la discorde dans l’autre. Celui qui la regarde devra assumer le choix qu’elle lui propose. Quelques années plus tard, en 1511, c’est au Vatican qu’une nouvelle image de Judith est dévoilée de façon magistrale, au milieu des figures de l’Ancien Testament de la chapelle Sixtine. Lorsque le pape Jules II entre dans cet édifice dédié à l’Assomption de la Vierge Marie et lève les yeux, il découvre, face à lui, le prophète Zacharie étudiant les Écritures, dans l’écoinçon de gauche, Judith et sa servante sortant de la tente d’Holopherne et dans celui de droite David s’apprêtant à décapiter Goliath qui tente de se relever (fig. 16). Zacharie fut prophète au temps de la prise de Jérusalem et de l’exil du peuple juif à Babylone par Nabuchodonosor, roi de cette ville (587-583 av. J.-C.). Il exhorta son peuple découragé par les mauvaises récoltes et les dissensions internes à lutter contre l’oppresseur, en lui prédisant qu’avec le soutien de Dieu, il l’emporterait. Il annonçait ainsi les actions de Judith et David qui sont ici une mise en garde pour la papauté impliquée dans des guerres de conquête.

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Michel-Ange emprunte plusieurs éléments à Botticelli : le contraste entre l’obscurité de la tente d’Holopherne et la luminosité des deux femmes dont les vêtements indiquent le statut social, leur complicité et le dernier regard de Judith vers la tente d’Holopherne. Il pose la tête du général sur un plateau, motif qui sera souvent repris, menant à des confusions entre Judith et Salomé. Dans les années qui suivent la remise en cause du livre de Judith par Luther (1522), les réformés allemands font de Judith une allégorie de la résistance à opposer aux incroyants. Elle devient alors, pour les uns, le symbole de l’Église catholique romaine qui décapite l’hérésie luthérienne représentée par Holopherne ; pour les autres, le symbole de l’hérésie luthérienne qui décapite l’Église catholique romaine. Au château d’Ancy-le-Franc, en Bourgogne, bâti pour Antoine III de Clermont-Tonnerre par Sebastiano Serlio, un cycle de neuf peintures murales qui raconte l’histoire de Judith l’illustre de façon intéressante. Daté des années 1573-1574, juste après le massacre de la SaintBarthélemy (24 août 1572), il ornait les murs de la chambre qui devait recevoir Henri III arrivant de Pologne. Judith y voisine avec les déesses (Diane, Junon, Minerve, Cérès) et les héroïnes antiques (Lucrèce se suicidant, Médée tuant

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Fig. 17 attribué à Nicolas de Hoey (1547–1611), Le Triomphe de Judith, château d’Ancy-le-Franc.

un de ses fils, Porcia) retenues pour les médaillons du plafond, le mélange de sujets païens et de sujets bibliques étant alors courant. Marie Houllemare 8 montre que cette iconographie « féministe » est un hommage à Diane de Poitiers, figure du catholicisme intransigeant. Le peintre aurait donné ses traits à Judith et ceux de Coligny à Holopherne. La maîtresse du roi Henri II était en effet la sœur de Françoise de Poitiers, épouse d’Antoine de Clermont-Tonnerre, il lui devait sa réussite et sa fortune. Le cycle, unique par l’importance qu’il accorde aux suites de la déroute des Assyriens, représente les deux trophées de Judith : la tête d’Holopherne et la draperie de sa tente (fig. 17). On peut y voir une double mise en garde à l’intention d’Henri III : considéré comme responsable des massacres qui se multiplient, le nouveau roi de France devra, comme Judith, non seulement faire triompher la vraie foi sur l’hérésie, mais aussi limiter ses ambitions personnelles pour préserver le bien commun. Le même Henri III devient Holopherne sous les coups de Jacques Clément, dominicain qui venge l’assassinat du duc de Guise par celui du roi le 1 août 1589. Pour justifier son geste à son procès post mortem, on « prescha que celui qui avait tué le feu Roy, qui estait un vrai tiran, devoit estre annobli avec toute sa race ; qu’il avoit fait un acte plus généreux que Judith, qui tua Holopherne ; qu’il faloit nécessairement se desfaire de cestui-ci 9 ». À la même époque, dans les Pays-Bas, toute une rhétorique biblique est élaborée et propagée par les prédicateurs calvinistes. La figure de Judith devient ainsi un formidable élément fédérateur de la première République de Hollande, née de la résistance menée par Guillaume Ier d’Orange-Nassau dit le Taciturne, stadhouder en 1559. En 1579, les États des Pays-Bas s’organisent pour défendre ensemble les privilèges de chacun d’eux face à l’Espagne dont les armées prennent à la

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Fig. 18 Rembrandt (1606–1669), Judith au banquet d’Holopherne, Museo del Prado, Madrid.

8. Marie Houllemare, Une femme en guerre : l’iconographie de Judith à la Renaissance in « Les femmes et la guerre de l’Antiquité à 1918 », Paris, 2010, ss la dir. de Marion Trevisi et Philippe Nivet, pp. 77-90.

10. Cf. Simon Schama, L’embarras des richesses, la culture hollandaise au Siècle d’Or, Paris, 1991, pp. 101 et 134.

9. Cité par Marie Houllemare, op. cit., note 58, p. 13.

Fig. 19 Véronèse (1528–1588), Judith et Holopherne, musée des Beaux-Arts, Caen.

gorge, dans tous les sens du terme, bourgeois et paysans. Très attachés à leur souveraineté et leurs usages locaux, ils ne se dotent ni d’une constitution, ni d’une langue commune. Ce qui les unit n’est pas plus une réalité géographique, c’est leur refus d’un État qui déciderait à leur place, c’est le sentiment d’être les gardiens de la waare vrijheid, la vraie liberté. Comme les Hébreux fuyant l’esclavage et l’idolâtrie, éprouvés, ils se réfugient librement dans la dévotion pour vivre et proclamer le dessein que Dieu a conçu pour le monde à travers leur destinée, dans l’honneur, la prospérité et la gloire, aussi longtemps qu’ils se soumettront à Ses commandements. « Dans cette addition néerlandaise à l’Ancien Testament, les Provinces-Unies apparaissaient telle la nouvelle Sion, Philippe II en roi ­d’Assyrie et Guillaume le Taciturne comme le pieux capitaine de Juda 10 ». Quelques années plus tard, en 1634, Judith représentera la République batave victorieuse, honorée et comblée de richesses sous le pinceau de Rembrandt (fig. 18). Venise n’échappe pas à ce mouvement. Ses trois grands peintres : Titien, Tintoret et Véronèse ont traité le sujet. Dans les années 1580, Véronèse (15281588) sollicite Judith pour défendre les libertés d’une cité gouvernée par un conseil des Dix, comme Béthulie est gouvernée par un conseil des anciens. Il inclut Judith et Holopherne (fig. 19) dans un cycle de quatre grandes toiles dédiées aux héroïnes de l’Ancien Testament. L’aigle bicéphale des Habsbourg sur l’étendard dressé à l’entrée de la tente d’Holopherne et repris dans les motifs de la dentelle qui borde son drap ne laisse aucun doute sur la teneur du message. La servante, de manière inédite, a des traits africains, détail qui souligne le rôle que Venise joue et revendique au cœur de la Méditerranée. Sa position d’intermédiaire privilégié vis-à-vis des Ottomans, sa présence sur les côtes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient suscitent la jalousie de Philippe II, assimilé de nouveau à Holopherne. À titre personnel, Véronèse a quelque

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Fig. 20 Caravage, Judith et Holopherne, Galleria Nazionale d’Arte Antica, Palazzo Barberini, Rome.

raison de lui attribuer ce rôle, ayant été inquiété en 1573 par l’Inquisition. Au terme d’un procès qui l’accuse de transformer La Dernière Cène en un fastueux banquet inconvenant pour le sujet, il est contraint d’en modifier le titre qui devient Le Repas chez Lévi. Ainsi, toute l’Europe débat du tyrannicide. Les tenants d’une autorité fondée sur le droit des peuples s’opposent aux « machiavélistes », défenseurs de la tyrannie. C’est dans ce contexte que Caravage représente deux fois le meurtre du tyran Holopherne, la première fois vers 1597 (fig. 20) pour Ottavio Costa, banquier du milieu ecclésiastique et mécène. Il semble mettre en images les vers chrestiens de Gabrielle de Coignard édités en 1594. La poétesse toulousaine, illustre à son époque, transcrit ainsi les versets 9 et 10 du chapitre 13 du livre de Judith : « Elle prent les cheveux d’une teste aassoupie, [puis]/Criant à Dieu tres haut, je te pry’ ceste fois/Exauce les souspirs de ma dolente voix,/Puis assenant son coup de la lame pointuë,/ Ayant frappé deux fois le tyran elle tuë,/Tranchant avec le fer tous les conduicts vitaux,/Qui de sang bouillonnant ouvrirent les canaux./Il change son sommeil en la nuict éternelle,/ Vomissant le venin de son ame cruelle,/ Qui s’en va recevoir le loyer de son mal,/Au gouffre tenebreux du manoir infernal 11 ». Face à cette terrible réalité, Judith reste « d’une étonnante beauté ». Dans les deux versions elle n’a comme bijou, signe de sa richesse personnelle, que la précieuse perle en goutte d’eau qu’elle porte en pendant d’oreille. On retrouve le même bijou parmi ceux qu’abandonne la Marie-Madeleine repentante peinte en 1595/96 (fig. 9 p. 142, toile, 122,5 x 98,5 cm, Galleria Doria-Pamphilj, Rome). Si, en 1597, Caravage suit le texte biblique en habillant Judith d’une robe de brocart coloré et d’une chemise au plissé ample, bien que laissant deviner la

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12. Stefano Zuffi, Le Caravage par le détail, Paris, 2016, p. 59.

11. Gabrielle de Coignard, L’Imitation de la victoire de Judith. Œuvres chrétiennes, de feue dame Gabrielle de Coignard, vefve à feu monsieur de Mansencal, Sieur de Miremont, President en la cour du Parlement de Tholose. Édition de 1595 transcrite par Bérénice Mauguil-Bellucci, 1301-1311, consultable en ligne.

pointe de ses seins, il la revêt dix ans plus tard d’une robe de satin simple et de couleur sombre. Elle en a arrangé le corsage de façon à mettre en valeur sa poitrine pour séduire Holopherne et a gardé son voile de deuil qui laisse apparaître une coiffure soignée, conformément au texte qui précise qu’elle « peigna sa chevelure ». S’en étant remise à Dieu en ces termes : « Donne à ma main de veuve la vaillance escomptée (9, 9) », « Favorise l’œuvre de mes mains (13, 4) », Judith saisit les cheveux du tyran de la main gauche, tandis que de la droite elle le décapite sans le regarder : conduite par le Dieu de son peuple, elle va frapper le second coup. Elle tient fermement une épée, attribut traditionnel de la Justice, et non le cimeterre du texte biblique que Caravage avait peint vers 1597. L’arme, effectivement utilisée par les armées assyriennes dans d’autres épisodes de l’Ancien Testament, a une lame et un pommeau richement damasquinés. Elle est semblable à celle que tient David dans un autre tableau peint en 1607, David avec la tête de Goliath (toile, 90,5 x 116,5 cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum). Symbole de la puissance d’Holopherne, elle confirme le luxe dans lequel vit le général assyrien qui reçoit Judith « précédé de porteurs de flambeaux d’argent » (10, 22) avant de la faire « introduire là où était disposée sa vaisselle d’argent » (12, 1). Quand, de retour à Béthulie, Judith recevra sa part de butin, on lui donnera « la tente d’Holopherne, toute son argenterie, sa literie, ses bassins et tout son mobilier » et il lui faudra une mule et des chariots pour amonceler le tout (15, 11). La pointe de la lame étincelle et fascine, renvoyant vers les cieux la lumière qui en tombe sur le visage et la main de Judith. Il faut imaginer le peintre, déambulant à Rome avec les miliciens du quartier du Champ de Mars. Il connaît leur chef, frère de Ranuccio Tomassoni, celui qu’il a tué d’un coup d’épée au cours d’un duel. Tous sont armés et Caravage connaît bien le scintillement des armes blanches éclairées par les torches dans les ruelles qu’il arpente une fois la nuit tombée. Il est arrêté plusieurs fois pour port d’armes illégal : le 4 mai 1598, on lui reproche de posséder une épée et le 28 avril 1605, il est arrêté par la police du Capitole en possession d’une épée et d’un poignard 12. Le contraste entre les deux mains de Judith traduit les deux facettes de son personnage. Tandis que l’une apparaît délicate et en pleine lumière, l’autre guidée par Dieu, vigoureuse et dans l’ombre, tue le tyran. Comme dans sa première version, Caravage s’éloigne du texte quand il représente la servante de Judith à ses côtés. Sans doute s’agit-il de celle qui a toute sa confiance et que la Bible définit comme « préposée à tous ses biens ». Les Écritures précisent que la tente était « fermée de l’extérieur », que « Judith fut laissée seule » et qu’elle « dit alors à sa servante de se tenir dehors ». En l’introduisant dans la tente, le peintre ancre le texte sacré dans la réalité du peuple. Il a pris pour modèle une femme âgée qui a pu voir naître Judith. Ici, la servante a quitté le premier plan. Elle tient ouverte une besace en cuir, celle que Judith avait remplie « de galettes de farine d’orge, de gâteaux de fruits secs et de pains purs » (10, 5) qui lui ont permis de refuser les nourritures d’Holopherne et de respecter les interdits alimentaires juifs, elle se tient prête à y faire disparaître la tête du tyran. Le jeu des contrastes de lumière, la laideur des rides et du goître, la différence des générations sont autant d’éléments qui opposent les deux femmes agissant pourtant à l’unisson. Sa servante admire Judith et

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l’encourage du regard. Son insistance force le spectateur à se tourner vers celle qui l’interpelle avec autorité : « Écoutez-moi bien… Je vais accomplir une action dont le souvenir se transmettra… d’âge en âge » (8, 32). Dans la version du Palazzo Barberini, Judith, qui regarde Holopherne, n’a ni cette détermination ni cette autorité. La somptuosité de la tenture pourpre, encore plus présente ici que dans la première version, mérite que l’on s’arrête sur cet élément. Il s’agit, bien sûr, de la tente d’Holopherne dont un pan est noué à gauche, un autre étant rabattu à droite sur un piquet, probablement celui sur lequel Holopherne avait pendu son arme. Le récit biblique donne quelques détails sur cette tente, précisant qu’ « Holopherne reposait sur un lit placé sous une draperie de pourpre et d’or, rehaussée d’émeraudes et de pierres précieuses » (10, 21) et que la première rencontre eut lieu « sous l’auvent ». Ce qui importe ici est l’utilisation de la tenture dans le récit : immédiatement après avoir détaché la tête d’Holopherne, Judith « fit… rouler le corps loin du lit et enleva la draperie des colonnes » (13, 9). De retour à Béthulie, alors qu’il faisait encore nuit, elle tira de sa besace, non seulement la tête d’Holopherne mais, pour preuve supplémentaire, la draperie si impressionnante ici, disant : « Voici la tête d’Holopherne, le général en chef de l’armée d’Assur, et voici la draperie sous laquelle il gisait dans son ivresse ! Le Seigneur l’a frappé par la main d’une femme ! Vive le Seigneur qui m’a gardée dans mon entreprise ! » (13, 15-16). Le récit se poursuit par le pillage du camp assyrien. Comme part du butin, on attribua la tente d’Holopherne à Judith qui « voua à Dieu… tout le mobilier d’Holopherne donné par le peuple et la draperie qu’elle avait elle-même enlevée de son lit » (16, 19). Par ce geste, elle s’opposa à l’abus de pouvoir des tyrans qui s’octroient toutes richesses, y compris les biens publics. Même si Caravage repense l’image classique du visage d’Holopherne, souvent plus allongé et avec une plus longue barbe, il en garde une abondante chevelure bouclée, une barbe et une moustache. Fidèle à son souci de réalisme, il est le premier à le représenter surpris dans son sommeil, mais véritablement présent. Les artistes qui jusqu’alors avaient choisi de le montrer encore vivant le représentaient endormi, noyé dans l’ivresse et inconscient de ce qui allait advenir. L’Holopherne de Caravage tente encore, lui, de se redresser alors que tout est joué. Même si on peut encore juger de sa puissante musculature, le sang gicle. Nu et désarmé sur son lit, les yeux écarquillés, parvient-il encore à laisser échapper un cri ? Judith ne le regarde pas et il n’a que le temps d’un dernier sursaut pour se tourner, peut-être, vers le Divin. Lui seul pourrait le sauver de l’enfer car un corps mutilé ne ressuscite pas. Très vite, d’autres artistes reprennent l’idée d’un Holopherne surpris dans son sommeil et tentant de se débattre. Artemisia Gentileschi a quatorze ans quand Caravage peint sa seconde version de Judith et Holopherne à Naples. Elle en a dix-huit et Caravage vient de mourir quand elle se met au défi d’en faire sa propre version. Il en sortira une œuvre originale d’un réalisme saisissant qui fut un temps attribuée à… Caravage lui-même. Dans une mise en scène plus ramassée que celle du Caravage auquel elle reprend l’idée de la position des bras de la servante, Artemisia se concentre sur le premier coup d’épée et l’inévitable bain de sang, quitte à s’écarter du texte biblique qui ne consacre qu’un seul verset à la décapitation. Plus proche d’une adaptation pour le théâtre, elle montre deux femmes du même âge mais de

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Fig. 21 Artemisia Gentileschi (1593–1654 ?), Judith et Holopherne, Museo di Capodimonte, Naples.

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Fig. 24 Maître de l’Incrédulité de saint Thomas (Jean Ducamps ?, actif à Rome au xviie siècle), Judith et Holopherne (avec l'aimable autorisation de la galerie Porcini). Fig. 22 Artemisia Gentileschi, Judith et Holopherne, Galleria degli Uffizi, Florence.

Fig. 23 Valentin de Boulogne (1591–1633), Judith et Holopherne, Musée national des Beaux-Arts, La Valette.

conditions sociales différentes, conjuguant leurs efforts pour maîtriser le tyran (fig. 21). Le format vertical, rare pour le sujet, renvoie à l’oeuvre que Rubens a peinte peu avant, perdue, et que nous connaissons par la gravure. Après cette première version peinte en 1612/13, elle reprend la composition vers 1620 (fig. 22), vraisemblablement pour Côme II de Médicis (1590-1621). Antonio Tempesta a dédicacé en 1613 au grand-duc une série de planches représentant vingt-quatre batailles de l’Ancien Testament : Comme les chefs d’Israël, ses ancêtres se sont illustrés au combat avec la protection de Dieu et lui-même suit cette voie grâce à la même faveur du ciel. Le Meurtre ­d’Holopherne qui arrive en fin du cycle met en garde Côme alors qu’il s’engage aux côtés des Espagnols dans différents conflits. Plus tumultueuse que la précédente, cette version de Judith et Holopherne est mentionnée en 1774 comme une œuvre de Caravage. La lame de l’épée que Judith tient fermement accroche la lumière comme celle peinte par Caravage vers 1607. La robe de Judith reprend le brocart que Caravage lui attribua en 1597. Artemisia représente, pour la première fois avec exactitude, le sang qui jaillit et coule sur les draps blancs. Ce qu’elle gagne en réalisme, la scène le perd en intériorité. En s’éloignant du texte biblique, Artemisia fait de Judith une femme qui, malgré ses atours et ses richesses, ne peut vaincre seule le tyran. D’autres peintres, travaillant un peu plus tard, entre 1620 et 1630, restent plus fidèles à l’invention de Caravage. Valentin de Boulogne (1591-1633), le plus grand des caravagesques français, peint Judith et Holopherne vers 1626 (fig. 23). Il opte pour un éclairage similaire à celui de Caravage, mettant en valeur le décolleté de Judith, la musculature d’Holopherne et le drap du lit. Sa jeune Judith a, elle aussi, choisi des perles en gouttes d’eau comme pendants d’oreilles. Son calme et la vérité de son geste, d’inspiration divine, impressionnent. Holopherne la supplie du regard mais rien ne la détournera de sa mission. Comme Caravage, Valentin

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Fig. 25 Filippo Vitale (1589/90–1650), Judith et Holopherne, collection privée, Paris.

donne à la servante de Judith les traits d’une femme âgée. Légèrement en retrait, plus inquiète que Judith, elle veille à ce que rien ne vienne compromettre son dessein et se tient prête à recevoir le précieux trophée. La galerie Porcini de Naples a présenté récemment une autre Judith et Holopherne similaire, sur un fond noir (fig. 24). Elle s’ajoute au corpus du Maître de l’Incrédulité de saint Thomas, identifié par plusieurs historiens d’art comme Jean Ducamps (Cambrai, vers 1590 – Madrid, 1648), artiste arrivé à Rome vers 1610. La position et l’expression de Judith, ainsi que la main droite d’Holopherne sont directement reprises du tableau que nous présentons. Filippo Vitale (1589/90-1650) a toujours travaillé à Naples. L’importance qu’il accorde à la tenture rouge est un souvenir du tableau que nous présentons et qu’il aura vu à Naples avant le départ de Caravage pour Rome (fig. 25). Vers 1597-vers 1607 : dix ans séparent les deux versions de Judith et Holopherne peintes par Caravage. La plupart des têtes coupées que nous lui connaissons datent de cette période. Hormis le bouclier orné de la tête de la Méduse, hommage à la vaillance du grand-duc de Toscane Ferdinand de Médicis, les autres s’inscrivent dans des récits de l’Ancien Testament : David tenant la tête de Goliath, Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste, Judith et Holopherne. La seule signature qu’il ait laissée sur une toile est tracée dans le sang de la tête de saint Jean-Baptiste en 1608 (La Décollation de saint Jean-Baptiste, cathédrale de La Valette). Le choix de ces sujets montre sa proximité avec les milieux de la Contre-Réforme. N’oublions pas qu’il logeait à Rome chez le cardinal Del Monte, que son frère était prêtre : il ne pouvait ignorer les débats contemporains autour du fait religieux auxquels il participe, à sa manière, en revisitant les grands récits bibliques.

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La Judith de Toulouse Nicola Spinosa Ancien conservateur en chef du Museo di Capodimonte de Naples

Le 14 juin 1607, Caravage quittait Naples, où il se trouvait depuis le 6 octobre 1606, après avoir fui Rome pour avoir tué Ranuccio Tomassoni le 28 mai de la même année, à la suite d’une rixe due à une dette de jeu. Il s’arrêta quelque temps à Zagarola, Palestrina et Paliano, fiefs des Colonna, pour enfin s’installer à Naples puis à Malte (il y est mentionné depuis le 22 juillet) où il sera au service des Chevaliers de l’Ordre de saint Jean. Durant le premier séjour napolitain – il y serait retourné entre 1609 et 1610, après avoir fui Malte et s’être arrêté à Messine et Syracuse –, le peintre avait réalisé, entre autres, Les Sept Œuvres de Miséricorde de l’église du Pio Monte, La Flagellation pour la chapelle Franchis de la basilique San Domenico Maggiore (exposée au Museo di Capodimonte) et, pour le vice-roi de Naples (1603–1610) Don Juan Alfonso Pimentel Enriquez, comte de Benavente, Le Crucifiement de saint André conservé au Cleveland Museum of Art. Toutefois, avant son départ pour Malte, Caravage avait laissé en dépôt deux toiles – La Madone du Rosaire et Judith et Holopherne – (peut-être pour les mettre en vente), dans l’atelier napolitain de Louis Finson, peintre originaire de Bruges répertorié à Naples entre 1604 et 1605, ainsi que son associé Abraham Vinck, né à Anvers et présent dans la capitale méridionale entre 1598 et 1599. Ce dernier est reconnu dans certaines sources comme étant déjà à Rome « très ami » de Caravage. En effet, les deux toiles sont signalées pour la première fois comme des œuvres du peintre lombard dans une lettre datée du 15 septembre 1607 adressée à Vincenzo Ier Gonzaga, duc de Mantoue, par Ottavio Gentili, son agent à Naples. Dans cette lettre, les deux toiles – sans que soient précisés les sujets – sont répertoriées comme étant en possession d’un peintre flamand (dont le nom n’est pas stipulé) ; Gentili suggère qu’on peut les acheter respectivement 300 et 400 ducats. Quelques jours plus tard, soit le 27 septembre, le peintre flamand Frans Pourbus est à Naples pour authentifier les

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tableaux du prince de Conca et adresse une missive au duc de Mantoue où il y conseille l’achat des toiles vues dans l’atelier de Finson et de Vinck : « J’ai vu ici deux tableaux splendides de la main de Michelangelo de Caravage : l’un, qui représente un rosaire, est destiné à un retable : il mesure 18 palmes de côté et ils ne le donneraient pas à moins de 400 ducats : pour l’autre, un tableau de dimensions moyennes, conçu pour un intérieur et représentant en demi figures un Holopherne et une Judith, ils ne le céderaient pas à moins de 300 ducats » (fig. 1 p. 32). Les deux toiles sont à nouveaux mentionnées dans le testament en date du 19 septembre 1617 rédigé par Finson à Amsterdam, où il s’était rendu après son séjour en Provence afin de rejoindre son ami et partenaire Abraham Vinck, qui y était déjà depuis quelque temps. Dans le testament, le peintre franco-flamand léguait à Vinck tous ses biens, y compris deux tableaux dont ils étaient conjointement propriétaires depuis quelque temps : La Madone du Rosaire, que Finson avait lui-même copiée, toile ensuite vendue en 1631 par le marchand Charles de Koninck, et la Judith. À la mort de Finson, suivie par celle de Vinck, La Madone du Rosaire fut mise en vente peu après 1619 par les héritiers de ce dernier et achetée pour 1 800 florins par un comité de peintres et d’amateurs flamands – dont Peter Paul Rubens faisait partie – pour l’église des Dominicains d’Anvers. C’est plus tard en 1781 que l’empereur d’Autriche Joseph II de Habsbourg, en visite dans la ville, put l’admirer. En 1786, elle fut offerte ou vendue à ce dernier, pour entrer, dans un premier temps, dans les collections impériales, puis dans celles du Kunsthistorisches Museum de Vienne. Datée récemment du moment du premier séjour napolitain de Caravage, à partir de comparaisons stylistiques et grâce à l’identification possible du personnage agenouillé à gauche avec le vice-roi comte de Benavente (Denunzio, 2009, pp. 175-194), la monumentale toile de La Madone du Rosaire se situe plutôt – comme l’a proposé Prohaska (Prohaska Swoboda (2010), pp. 71-84) – parmi les compositions réalisées par Caravage peu avant sa fuite de Rome (pour la documentation d’archives sur les deux toiles laissées à Naples par Caravage, voir en particulier Bodart (1970), pp. 10-16, 50-56 et Macioce (2010), pp. 236 et 279). Il est probable qu’elle ait été ensuite transférée à Naples par le peintre lombard lui-même et laissée en dépôt dans l’atelier de Finson et de Vinck tout comme la Judith réalisée au même endroit au moment où le peintre exécute Le Crucifiement de saint André de Cleveland – avant son départ pour Malte, pour le comte de Benavente. Malheureusement, alors même que les localisations successives de La Madone du Rosaire sont connues, à Naples en 1607, à Amsterdam en 1617, à Anvers après 1619 et à Vienne à partir de 1786, aucune trace ne restait de la Judith depuis le décès de Finson et de Vinck. Ces dernières années, toutefois, il a été proposé d’identifier comme une copie de ce dernier tableau la toile d’une collection privée napolitaine connue vers le milieu du xxe siècle et parvenue dans les collections de la Banca Intesa Sanpaolo 1. Tel est l’état des connaissances jusqu’en 2014, date à laquelle est apparue au Cabinet Eric Turquin à Paris une toile, une Judith et Holopherne – provenant d’une demeure ancienne à Toulouse – en tout point identique à la copie de la Banca Intesa Sanpaolo. Elle diffère seulement par ses dimensions (144 x 173,5 cm par rapport aux 140 x 160 cm de la toile de Naples) et présente les mêmes solutions iconographiques et la même composition, ainsi qu’un assemblage

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1. Longtemps considérée comme une œuvre d’un peintre caravagesque anonyme, cette Judith a depuis été attribuée à Finson entre 1607 et 1613 (années pendant lesquelles il gagne la Provence), ou au pseudo Maître des pèlerins d’Emmaüs de Pau (une toile de ce sujet appartient aux collections du musée des Beaux-Arts de Pau, (voir Navarro, Naples (1991-1992), pp. 261-262 ; Bologna, Naples (2004), pp. 166167). Par la suite, Giuseppe Porzio a suggéré une attribution, discutée, au napolitain Filippo Vitale dans sa période naturaliste au contact de Caravage (Porzio in Paris 2012, pp. 14-23). L’attribution à Finson de la Judith de la Banca Intesa Sanpaolo a été récemment confirmée par Gianni Papi et Maria Cristina Terzaghi. Cependant, il faut prendre en considération les différences évidentes dans le rendu pictural qui apparaissent lorsque l’on compare la Judith avec les œuvres du peintre de Bruges, comme par exemple la toile de 1611, Allégorie des quatre éléments, aujourd’hui à la Blaffer Foundation, Houston, également avec ses copies connues – certaines signées et datées – d’après des originaux de Caravage (tel Le Crucifiement de saint André dont des copies se trouvent au musée des Beaux-Arts de Dijon – attribué également à Vinck – et dans la collection Back-Vega à Vienne, cette dernière considérée de façon peu crédible comme étant une réplique de la propre main du peintre lombard). Tout comme la Madeleine en extase peinte par Caravage au moment de son second séjour napolitain et destinée à être offerte, en même temps que deux Saint Jean, au cardinal Scipione Borghèse et dont on connaît une copie signée au musée des Beaux-Arts de Marseille et une autre signée et datée 1613, dans une collection privée à SaintRémy-de-Provence, ou encore la Résurrection du Christ de la chapelle Fenaroli à Sant’Anna dei Lombardi dont on peut considérer comme une copie, probablement avec des variantes, un tableau du peintre de Bruges (église Saint-Jean de Malte, Aix-en-Provence).

identique de toiles « à trame large » de fabrication napolitaine. Ces deux toiles sont toutes deux unies par une couture qui court horizontalement à partir de la main gauche d’Holopherne et de la main droite de Judith. Au moment de la découverte, le tableau se présentait dans un état de conservation satisfaisant mais très sale avec d’infimes chutes de matière picturale et couvert de plusieurs couches de vernis abondamment oxydées ; il présentait sur le côté droit des traces superficielles d’eau, probablement de pluie et d’humidité. Après un premier nettoyage de la surface picturale, le tableau fut exposé en 2016 à la Pinacoteca di Brera à Milan pour une confrontation avec Le Repas à Emmaüs appartenant à ce musée – peint par Caravage à Paliano après la fuite de Rome –, avec la Judith et avec deux des innombrables copies jusqu’ici connues (celle signée par Finson du musée des Beaux-Arts de Marseille et une autre d’une collection privée) de la Madeleine en extase perdue, réalisée, comme le soutient également Gianni Papi, durant le second séjour du peintre lombard à Naples. En revoyant le tableau à l’occasion de sa confrontation à la Pinacoteca di Brera, il m’est apparu évident, tout comme la première fois que je l’ai vu au Cabinet Eric Turquin, que la Judith de Toulouse, pour des raisons de maîtrise picturale, était d’un niveau qualitativement supérieur à la version Intesa Sanpaolo, attribuée de manière contestable à Finson, mais aussi qu’elle différait en tout point des compositions qui étaient attribuées à ce dernier. Ce qui permet de confirmer, à condition de n’être pas victime d’un quelconque préjugé, l’hypothèse déjà énoncée de sa probable identification avec l’original laissé par Caravage en 1607 dans l’atelier napolitain de Finson et de Vinck en même temps que La Madone du Rosaire, original réapparu en 1617 à Amsterdam et depuis perdu. Cette hypothèse avait déjà été avancée par certains chercheurs lorsque le tableau fut présenté pour la première fois au Cabinet Eric Turquin et trouve aujourd’hui une base plus solide grâce au nettoyage de la surface du tableau : une intervention qui a mis en évidence les très hautes qualités originelles du rendu pictural qui confirment les concordances stylistiques très poussées avec certaines compositions réalisées par Caravage à la fin du séjour romain (en particulier La Mort de la Vierge aujourd’hui au musée du Louvre et La Madone du Rosaire de Vienne), à Paliano lorsqu’il fut sous la protection des Colonna (Le Repas à Emmaüs de la Pinacoteca di Brera) et à Naples entre 1606 et 1607 (notamment Le Crucifiement de saint André de Cleveland). Qualités qui se retrouvent pleinement aujourd’hui dans la Judith de Toulouse avec son rendu pictural intense, aussi évident dans le traitement de l’événement tragique que dans le traitement des différents morceaux. Comme par exemple dans le rendu de la somptueuse étoffe rouge de la tente d’Holopherne, qui rappelle un rideau de théâtre (tout comme dans La Mort de la Vierge du Louvre et La Madone du Rosaire de Vienne) et qui amplifie la toile en apparence et en vraisemblance. Le traitement savant du vêtement raffiné porté par Judith en est un autre exemple. Le rendu chromatique de l’humble vêtement d’Abra et du voile qu’elle porte sur les épaules fait écho aux deux toiles précédemment citées de la Pinacoteca di Brera et du Cleveland Museum of Art. Le récent nettoyage a permis de mettre en valeur aussi bien la poignée de l’épée finement décorée d’or avec laquelle Judith tranche définitivement la tête d’Holopherne, que l’enchevêtrement savant, quasi inextricable, des mains d’Abra et de la main gauche de Judith, agrippée aux cheveux d’Holopherne.

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De plus, grâce à ce récent allègement de vernis, d’autres éléments sont apparus qui permettent de considérer définitivement la Judith de Toulouse comme le tableau laissé par le peintre – sur le point de partir pour Malte – dans l’atelier napolitain de Finson et Vinck, avec La Madone du Rosaire. Il s’agit notamment de la découverte de repentirs qui étaient invisibles auparavant : ces repentirs s’observent dans le raccourcissement des doigts de la main gauche d’Holopherne, de celle Judith ainsi que de celle de la servante mais aussi dans le traitement de l’ourlet de la chemise recouvrant le sein de l’héroïne. À l’inverse, en ce qui concerne le traitement chromatique du drap blanc, sur lequel gît un Holopherne hurlant, l’on pouvait initialement croire qu’il s’agissait des conséquences d’un nettoyage antérieur de la superficie originelle. Au contraire, il apparaît aujourd’hui qu’il s’agit du résultat d’une méthode picturale bien particulière utilisée par Caravage, que l’on retrouve également dans d’autres de ses toiles postérieures à sa fuite de Rome : Le Couronnement d’épines du Kunsthistorisches Museum de Vienne, le Saint Jérôme méditant du musée de Montserrat, le Saint Jean Baptiste du Nelson-Atkins Museum of Art de Kansas City, La Madone des pèlerins de l’église Sant Agostino, Le Repas à Emmaüs de la Pinacoteca di Brera, la Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste du Palacio Real de Madrid et Le Crucifiement de saint André du Cleveland Museum of Art. On sait qu’en 1602, Caravage avait déjà peint à Rome pour le banquier génois Ottavio Costa, pour lequel il réalisa peu après le Saint Jean-Baptiste aujourd’hui à Kansas City, une Judith et Holopherne – épisode tiré du livre de Judith (13, 1-10) et plusieurs fois représenté dans la peinture et la sculpture depuis le début du Quattrocento. Judith, une jeune et belle citoyenne de Béthulie devenue veuve, s’était proposé de tuer Holopherne, le général de l’armée assyrienne qui assiégeait la ville. Après avoir approché et séduit le général durant un festin qu’il lui avait offert dans sa tente et avec l’aide de la servante Abra, Judith, alors ­qu’Holopherne gisait ivre sur son lit, lui tranche la tête ; celle-ci est ensuite mise dans un sac et brandie triomphalement devant les Béthuliens. La Judith de Costa, passée dans les collections des ancêtres de Vincenzo Coppi et entrée en 1971 dans celles de l’État italien grâce aux fonds de la Galleria Nazionale d’Arte Antica du Palazzo Barberini, diffère sensiblement tant par les choix iconographiques que par le rendu pictural de la toile retrouvée à Toulouse. Dans la version du Palazzo Barberini, Caravage a cherché à souligner la beauté de l’héroïne biblique en la revêtant d’une ample chemise blanche moulant son sein tout en l’exaltant, mais aussi en mettant en évidence son air triomphant et dédaigneux contrastant ainsi avec un Holopherne hurlant, dans le dernier instant de sa vie. De cette manière, le peintre accentue le contraste avec l’aspect quasi grotesque de la vieille servante qui se trouve à côté (et restée en dehors de la tente d’Holopherne selon le texte biblique), vue de profil, le nez marqué, la gorge proéminente et le visage sillonné par de profondes rides. En revanche, dans la toile de Toulouse – en opposition avec la solution choisie dans la version du Palazzo Barberini –, la représentation de la mort violente d’Holopherne se trouve plongée dans une atmosphère aux tons sombres et austères, comme dans les tragédies shakespeariennes : la scène est fixée dans l’instant de tension physique et émotif maximal vécu par les trois protagonistes. Abra souffre d’un goître tout comme la vieille femme qui apparaît en bas à gauche du Crucifiement de saint André du Cleveland Museum of Art. Surprise et effrayée, elle se tourne désormais vers une Judith fière qui a accompli avec

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détermination son acte violent. Judith porte une robe noire, référence à son veuvage. Bien qu’elle conserve son entière beauté, elle n’est plus aussi jeune que la Judith du Palazzo Barberini. Maintenant, elle se tourne vers nous et non plus vers Holopherne, comme pour nous rendre complices de son geste épouvantable et témoins de son acte héroïque. Quoi qu’il en soit, la scène entière diffère de la version du Palazzo Barberini, non seulement par les choix iconographiques et les solutions picturales mais aussi dans l’expression même de la condition humaine, de l’être et de l’existence qu’elle traduit. Éléments que le peintre lombard a distillés dans d’autres de ses compositions notamment à Malte, à Messine, à Syracuse et durant son bref second séjour napolitain, qu’il a progressivement mûris depuis la réalisation à Rome de La Mort de la Vierge et du Repas à Emmaüs à Paliano et qu’il pousse à son paroxysme d’abord à Naples ; en particulier avec La Flagellation aujourd’hui à Capodimonte, Le Crucifiement de saint André pour Benavente et avec cette Judith désormais retrouvée à Toulouse. À la lumière de ces remarques stylistiques, il est évident qu’il faut placer chronologiquement la Judith de Toulouse entre d’un côté Le Repas à Emmaüs de la Brera, et de l’autre Le Crucifiement de saint André de Cleveland, datant d’avant le départ du peintre pour Malte. Lorsqu’il embarqua sur un des navires de Fabrizio Colonna en direction de La Valette, Caravage fut contraint de laisser La Madone du Rosaire et la Judith entre de « bonnes mains » dans l’atelier de ses deux amis Louis Finson et Abraham Vinck.

Éléments bibliographiques : • D. BODART, Louis Finson (Bruges, avant 1580 – Amsterdam, 1617), Bruxelles, 1970. • P. LEONE DE CASTRIS in Il patrimonio artistico del Banco di Napoli, N. Spinosa, Naples, 1984. • F. NAVARRO in Battistello Caracciolo e il primo naturalismo a Napoli, catalogue d’exposition, F. Bologna, Naples, 1991. • F. BOLOGNA, « Caravaggio, l’ultimo tempo (1606-1610) », in Caravaggio. L’ultimo tempo 16061610, catalogue d’exposition, N. Spinosa, Naples, 2004. • A. E. DENUNZIO, Per due committenti di Caravaggio a Napoli: Nicolò Radolovich e il viceré VIII conte-duca di Benavente (1603-1610), in Nápoles y España. Coleccionismo y mecenazgo virreinales en el siglo XVII, colloque, J. L. Colomer, Madrid, 2009. • W. PROHASKA – G. SWOBODA, Caravaggio und der Internationale Caravaggismus, Cinisello Balsamo, 2010. • S. MACIOCE, Michelangelo Merisi da Caravaggio. Documenti, fonti e inventari 1513-1875. II edizione corretta, integrata e aggiornata, Rome, 2010. • G. PORZIO, « Filippo Vitale,  La Cène à Emmaüs ou les Pèlerins d’Emmaüs », in Regards croisés. Sur quatre tableaux caravagesque, R. Morselli e altri, Paris, 2012. • M.-C. TERZAGHI in Giuditta decapita Oloferne. Louis Finson interprete di Caravaggio, catalogue d’exposition, G. Capitelli, A. E. Denunzio, G. Porzio, M. C. Terzaghi, Naples, 2013. • Attorno a Caravaggio. Una questione di attribuzione. Dialogo a cura di Nicola Spinosa, catalogue d’exposition, J. M. Bradburne, Milan, 2016.

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Caravage : histoire de l’art et connoisseurship Keith Christiansen Directeur du département des tableaux européens au Metropolitan Museum of Art, New York

Extrait de la Gazette Drouot, 18 janvier 2019, p. 29 Propos recueillis par Carole Blumenfeld « La première fois que j’ai vu le tableau, en mai 2015, j’ai tout de suite été convaincu de son authenticité, mais j’ai aussi compris qu’il s’agissait d’une de ces œuvres qui ne font pas consensus parmi les spécialistes. Nous souhaiterions tous que nos avis fassent l’unanimité, mais au fond de nous, nous savons que ce n’est pas le cas. Je me souviens avoir été surpris de découvrir que le Portrait de Maffeo Barberini à Florence – un tableau de la collection Corsini hérité des Barberini, dont l’historique est connu jusqu’au début du xviie siècle – n’avait pas été tout de suite accepté comme un ajout majeur au corpus de Caravage, lors de sa présentation dans l’exposition de Florence (j’étais l’auteur de la notice). Pour moi, cela semblait couler de source : l’œuvre, dont l’attribution semblait si évidente et paraissait s’intégrer de manière manifeste à un moment précis de sa carrière, n’aurait pas porté à discussion une fois mise de côté l’erreur de Roberto Longhi de l’avoir rejetée, dans un célèbre article de 1963. Au lieu de cela, il y eut des réticences significatives. De fait, je ne suis guère étonné qu’un tableau beaucoup plus difficile, la Judith de Toulouse, ait suscité de telles circonspections. À mon sens, l’histoire de l’art et le connoisseurship (les deux ne se confondent pas, bien qu’ils soient intimement liés) se distinguent de la science. Dans de nombreux cas, la preuve empirique d’une attribution fait défaut. C’est pourquoi les données techniques prennent parfois une place si importante. Il est bon de rappeler que pendant des années, Le Couronnement d’épines de Vienne était considéré avec scepticisme (il l’était encore lors de l’exposition « The Age of Caravaggio » en 1986). Même parmi ceux qui l’acceptaient, le style plutôt heurté, que certains jugeaient grossier, conduisait à des positions très diverses dans la datation de l’œuvre. Or, nous savons maintenant que le tableau provient de la collection Giustiniani, et il est de fait unanimement accepté et considéré comme

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de la période romaine, et non napolitaine. De la même façon, si vous reprenez la littérature qui faisait « autorité » au sujet de La Conversion de saint Paul de la collection Odescalchi – la première version de Caravage pour la décoration de la chapelle Cerasi à Santa Maria del Popolo –, vous constaterez qu’elle avait un temps été rejetée par Roberto Longhi, Denis Mahon et Walter Friedlander, qui le décrivait ainsi dans sa monographie de 1955 : « Il y a décidément des éléments caravagesques dans l’œuvre, tels que la tête de l’ange soutenue par le Christ, qui présente des similitudes évidentes avec celui de L’Amour victorieux ou d’Isaac dans Le Sacrifice d’Isaac. Cependant, toute la composition est encombrée et composée de diagonales qui s’entrecroisent, comme chez les peintres d’Italie centrale, tel que Federico Barocci (…). Qu’il s’agisse réellement ou non de la première version par Caravage pour la chapelle est extrêmement difficile à affirmer ». Personne aujourd’hui ne s’accorderait avec cela, puisque le tableau est considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de l’artiste. Les débats, désormais, portent sur les raisons pour lesquelles il fut substitué, et autour de la datation d’une version par rapport à l’autre (les documents suggèrent maintenant qu’elles n’auraient pas été peintes concomitamment). Enfin, je souligne aussi que, si un tableau aussi connu que l’Ecce homo de Gênes est classé sous le nom de Caravage dans absolument tous les ouvrages sur l’artiste, j’ai toujours eu l’impression que l’attribution ne pouvait être soutenue ni d’un point de vue stylistique ni sur des bases techniques, et moins encore à partir de sources documentaires. Son acceptation n’est que la conséquence du poids d’une longue tradition, qui semble avoir interdit toute réévaluation critique. Bien entendu, les observations qui précèdent ne signifient en rien que ceux qui rejettent l’attribution du tableau de Toulouse se trompent. Le temps nous dira quelles opinions auront prévalu. Mais je rappelle qu’il s’agit d’un artiste ne pouvant pas être mis dans une boîte et dont le travail exige constamment de renouveler son regard. »

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Journée d’étude à la Brera Compte rendu de Keith Christiansen

Lundi, au lendemain de la fermeture du Terzo Dialogo ayant eu lieu à la Brera à l’occasion de l’exposition du tableau Judith et Holopherne attribué à Caravage, tableau récemment découvert et objet de nombreux débats, un groupe de spécialistes et conservateurs invités se sont réunis pour une matinée de discussion et un après-midi de débats autour du tableau et de sa copie, propriété de la Banca Intesa Sanpaolo à Naples. Comme le souligne James M. Bradburne dans ses observations liminaires, si un musée n’est pas le lieu per facilitare lo studio e la conoscenza, le lieu où l’on peut aprire e facilitare il discorso, alors il n’a pas répondu aux attentes du public et n’a pas rempli son devoir qui est d’approfondir notre connaissance des œuvres réalisées par les grands maîtres. Ce qui suit n’est pas tant un résumé qu’un compte rendu des principaux points abordés durant cette journée. Commençons par rappeler aux lecteurs que l’extrême intérêt porté au tableau tient au fait qu’en septembre 1607 – seulement quelques mois après le départ de Caravage pour Naples – le duc de Mantoue fut informé qu’il y avait sur le marché qualche cosa di buona di Michelangelo Caravaggio che ha fatto qui. Dix jours après, nous apprenons que ces qualche cosa di buona à Naples étaient : doi quadri bellissimi di mano de M. Da Caravaggio. L’uno e d’un Rosario et era fatto per un’ancona et e grande da 18 palmi et non vogliono manco di 400 ducati ; l’altro e un quadro mezzano da camera di mezze figure et e un Oliferno con Giudita, et non dariano a manca 300 ducati. Nous pouvons suivre l’histoire de ces deux tableaux, qui étaient en la possession de Louis Finson jusqu’en 1617, date à laquelle le peintre qui se trouvait à Amsterdam (après avoir travaillé à Aix-en-Provence et Toulouse) rédigea un testament par lequel il léguait ces deux tableaux à son collègue Abraham Vinck. On peut retracer sans interruption jusqu’à nos jours l’histoire de la Madone du Rosaire qui se trouve au

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Kunsthistorisches Museum. Le second tableau, celui qui nous intéresse, disparaît après 1617 bien qu’en 1697, il soit fait mention d’une Judith et Holopherne dans la collection parisienne de François Quesnel ; il est impossible de savoir s’il a quelque chose à voir avec le tableau qui nous occupe. L’apparition de cette œuvre perdue du grand maître lombard ne serait restée que pure spéculation s’il n’y avait eu la présence à Naples du tableau de Judith et Holopherne que de nombreux spécialistes ont identifié comme étant une copie du tableau perdu de Caravage emporté par Finson à Amsterdam. Ce tableau fait aujourd’hui partie de la collection de la Banca Intesa Sanpaolo et a été, à plusieurs reprises, attribué à Finson dont on sait qu’il a copié de nombreux tableaux de Caravage. Il était donc possible de voir dans la découverte du tableau de Toulouse la résurgence d’un chef-d’œuvre perdu de Caravage. Tableau d’une qualité indéniable, il comporte néanmoins des détails qui ­d’emblée ont paru trop crus aux spécialistes pour être de la main de Caravage. Trois hypothèses ont été avancées ; 1) Le tableau de Toulouse est bien une toile perdue de Caravage mais avec des détails qui requièrent une explication (notamment les rides concentriques sur le visage de la vieille servante ainsi que les traits brutaux d’Holopherne). 2) Le tableau n’est pas l’œuvre de Caravage mais celle d’un autre artiste, le meilleur candidat étant Louis Finson (Gianni Pappi a soutenu que Finson était à la fois l’auteur du tableau de Toulouse et de celui de Naples mais à un intervalle de plusieurs années, cela afin d’expliquer la différence de qualité de réalisation entre les deux, celle de Naples étant incontestablement inférieure). 3) Les deux tableaux sont des copies d’après une toile de Caravage qui reste à découvrir. 4) Aucun des deux tableaux n’est basé sur le Caravage perdu. Ceux qui défendent ces positions étaient présents lors de la journée d’étude et ont eu tout loisir de faire valoir leur point de vue. La matinée a débuté avec une présentation de Claudio Falcucci et Rossella Vodret qui avaient été invités à faire un examen diagnostique du tableau et qui rendaient leurs conclusions. Il faut espérer qu’elles soient publiées dans leur intégralité. À ce stade, on peut dire que : 1) La technique du tableau de Toulouse est tout à fait conforme au travail de Caravage à l’exception des rides concentriques sur le visage de la vieille servante qui ont été peintes sur une base claire plutôt que sur une base brunâtre à laquelle on aurait pu s’attendre s’agissant de Caravage; 2) L’utilisation d’un pigment rouge pour abbozzo est une caractéristique des œuvres napolitaines du maître lombard. Cependant, il est également apparu qu’à la fois la peinture de Toulouse et celle de Naples étaient réalisées sur deux toiles présentant une différence de trame, cousues ensemble de la même manière, au même endroit et que de plus la typologie des toiles est similaire ; plus surprenant encore, les mêmes intentions d’origine visibles aux rayons X et modifiées ensuite dans le tableau de Toulouse sont également présentes dans la peinture de Naples. Parmi ces modifications de composition, il est à noter qu’à l’origine, la vieille servante avait les yeux exorbités et que le regard de Judith était dirigé vers Holopherne et non en direction du spectateur. Cette

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caractéristique partagée n’est possible que si les deux toiles ont été peintes simultanément dans la même bottega et côte à côte. De plus, le fait que les rides concentriques de la vieille servante soient peintes sur une couche claire fait émerger l’hypothèse selon laquelle le tableau aurait été achevé par une autre main. Ce point est soulevé avec précaution par Rossella Vodret. Les résultats de l’examen jusqu’alors inconnus ont eu un impact sur les discussions du reste de la journée car ils ont soulevé des points qui n’avaient pas été envisagés auparavant. Premièrement, il n’est plus possible de considérer que la toile de Toulouse et celle de Naples aient pu être peintes par le même artiste à des années d’intervalle. Deuxièmement, des tableaux d’une qualité d’exécution aussi différente ne peuvent pas être du même artiste. Troisièmement, certains détails troublants présents dans le tableau de Toulouse peuvent résulter de l’intervention d’une seconde main. Enfin, la caractéristique technique du tableau de Toulouse, les différents repentirs, la présence d’un abbozzo… nous oblige à le considérer comme la version originale. Autrement dit, l’idée selon laquelle les deux tableaux seraient la reproduction d’une œuvre toujours perdue doit être abandonnée. Pour certains membres du groupe, les preuves fournies par Claudio Falcucci et Rossella Vodret renforcent la thèse selon laquelle le tableau de Toulouse serait bien l’œuvre perdue de Caravage, l’intervention d’une seconde main étant considérée comme possible. Cette conclusion partagée par l’auteur du présent texte ajoute cependant un nouvel élément aux études déjà effectuées sur Caravage, à savoir que lors de son arrive à Naples, celui-ci aménagea un atelier qu’il partagea avec au moins un autre peintre. La possibilité d’une bottega aperta a été reprise par Nicola Spinosa lors de son intervention. Le fait qu’Abraham Vinck, proche collaborateur de Louis Finson, devenu ensuite propriétaire du tableau Judith et Holopherne, fût dépeint dans une lettre datée de 1763 comme amicissimo di Caravaggio est d’un intérêt manifeste. Spinosa accepte l’attribution de la peinture de Toulouse à Caravage et pense que la copie de Naples a été réalisée par un artiste nordique autre que Finson. Pour sa part, Gert Jan van der Sman, expert de Finson, souligne que ce dernier partageait avec Caravage certains de ses clients. Il pointe également le fait que le passage aux rayons X du tableau de David portant la tête de Goliath, qui se trouve au Kunsthistoriches Museum de Vienne, une œuvre généralement mais pas unanimement attribuée à Caravage, révèle que celui-ci a été peint d’après une composition de Mars, Venus et Cupidon par un peintre nordique, ajoutant ainsi un autre élément au problème des relations qu’entretenait Caravage avec les peintres nordiques travaillant à Naples. De plus Van der Sman fait état de nombreuses copies par Finson d’après Caravage et du rôle extrêmement actif de ce même Finson comme marchand. Lui, croit que la peinture de Naples est de Finson, la peinture de Toulouse, celle d’un artiste vicino a Caravaggio et émet l’hypothèse, en dépit des preuves irréfutables présentées par Claudio Falcucci et Rossella Vodret, que les deux tableaux puissent provenir d’une œuvre encore perdue de Caravage. Lors du déjeuner, la conversation fut animée et les échanges passionnés.

trouver face aux œuvres, fut celle de la représentation de la Judith avec ses vêtements noirs, ceux d’une veuve, ce qui va à l’encontre des textes bibliques qui décrivent Judith se débarrassant de son costume de veuve et revêtant une parure afin de séduire Holopherne. Cela pourrait-il expliquer certaines des différences dans le traitement des têtes ? Judith étant la plus soigneusement représentée et la plus présente physiquement avec son regard qui interpelle ou plutôt défie le spectateur ? L’idée que Caravage ait pu laisser la Judith inachevée lorsqu’en juillet 1607, il partit pour Malte, a été évoquée, bien qu’il soit difficile de croire qu’un tableau comportant une décoration avec oro di conchiglia sur l’épée ait pu être jamais considéré comme inachevé. Un tel ornement aurait été ajouté à la toute fin du déroulement pictural et n’est présent que dans deux autres œuvres de Caravage : l’amor vincit omnia à Berlin et L'Amour endormi à Florence, deux peintures luxueuses. Il reste ceux, parmi lesquels Gianni Papi, qui continuent à croire que le tableau de Toulouse est de Finson. Gianni Papi a présenté un PowerPoint illustrant sa conviction. En résumé, aucun consensus n’a émergé bien que tous se soient accordés sur la profonde transformation des bases de la discussion. À la fin de la journée, le tableau a été transporté dans la cour de la Brera à la lumière du jour, ce qui a eu pour effet de magnifier ses qualités. C’est un tableau qui révèle vraiment toute sa qualité uniquement à la lumière naturelle. À cet instant, il a été admis par tous, abstraction faite de son attribution, qu’il s’agit indéniablement d’une œuvre majeure, pleinement digne des controverses qu’elle a suscitées. Nous estimons que cette journée fut une occasion rare de confronter les points de vue contradictoires et de progresser dans la compréhension du tableau. Milan, le 6 février 2017

Pour l’auteur du présent texte, l’idée la plus intéressante qui a germé au cours de l’après-midi, alors que nous étions dans la galerie avec l’avantage de se

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Analyses scientifiques Claudio Falcucci M.I.D.A. (Metodologie d’Indagine per la Diagnostica Artistica)

Le tableau est réalisé sur deux toiles, cousues à l’horizontale au niveau de l’oreille gauche d’Holopherne, à peu près à 100 cm de la limite supérieure du tableau et à environ 44 cm de la limite inférieure. La radiographie montre, tout autour du tableau, deux choses : les déformations dues à la tension de la toile sur son châssis avant l’application de la préparation et un contour de couleur sombre (moins opaque à la radio) dû à la préparation, moins épaisse lorsqu’elle correspond au châssis. On peut donc en déduire que la toile a été tendue sur un châssis sans traverse horizontale ou verticale – qui aurait dû produire aux rayons X des traces sombres comme celles produites par les montants extérieurs du châssis – et que la préparation a été appliquée sur la toile tendue sur ce châssis. Nous pouvons par ailleurs affirmer que le tableau a gardé au cours du temps son format original et qu’il n’a pas subi de coupures importantes. La toile se trouve actuellement sur un châssis qui n’est pas celui d’origine et qui est constitué selon des typologies qui ne peuvent être antérieures au début du xixe siècle (possibilité de tension de la toile dans deux directions, montants constituant le périmètre du châssis assemblés en queue d’aronde, chanfreins avec un angle de 45° le long du périmètre extérieur). Ce châssis a probablement été posé au moment du rentoilage du tableau. Cela étant, il est probable que la toile à ce moment-là – au début du xixe siècle – n’était déjà plus sur son châssis d’origine mais sur un autre qui ressemblait, dans ses mesures, au présent (il était autrefois muni de montants horizontaux et verticaux moins larges que les montants actuels). La mauvaise opération de tension qui a été faite sur ce châssis intermédiaire, cause principale des chocs de la toile contre les montants, est responsable de micro-lacunes de peinture que l’on peut signaler dans la bande horizontale à la hauteur de la main gauche de la servante et dans celle verticale, au niveau

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du visage d’Holopherne. La toile a subi, à l’époque moderne, un rentoilage des marges inférieure et gauche au moment d’une nouvelle opération de tension sur le châssis actuel. Les deux toiles cousues ensemble qui constituent le support du tableau présentent à la radiographie une trame différente. La radiographie n’a pourtant pas permis de mieux définir les caractéristiques de ces deux trames à cause d’une substance opaque aux rayons présente sur le verso du support qui empêche une lecture plus précise des fils. Soit cette substance a été appliquée au moment du rentoilage du tableau, soit elle était déjà présente sur la toile d’origine, sur laquelle elle avait probablement été appliquée en guise de protection, en utilisant le mélange de la préparation, selon une pratique très répandue à Naples au début du xviie siècle. La radiographie est toutefois en mesure de distinguer les trames des deux toiles, notamment en termes de densité (environ 7 x 10 fils / cm2 dans la partie inférieure et 8 x 11 dans la partie supérieure) : les deux parties ont en effet absorbé de manière différente la préparation et sont donc plus ou moins ­opaques à la radiographie. Une lecture attentive des lacunes montre que la toile supérieure présente un tissage « sergé » et celle du bas une armure « toile ». La préparation est appliquée en une seule couche. De couleur brunâtre, elle est composée principalement de terres, blanc de plomb en petite quantité, noir de carbone ; elle est lourdement enrichie en carbonate de calcium, ce qui rend la surface assez rugueuse. L’analyse par fluorescence X a identifié un pigment contenant du cuivre. Sur la préparation, la composition est tracée à l’aide de diverses techniques graphiques. La réflectographie dévoile des traces sous-jacentes du pinceau qui délimitent les visages de Judith et de la servante, les doigts et les bras ­d’Holopherne et la main gauche de Judith. Dans la figure de la servante, ces coups de pinceau insistent sur la position du nez, des yeux et de la bouche pour définir complètement la physionomie du visage. La lecture de ce dessin préparatoire du visage de la servante est aujourd’hui modifiée par les reprises de certains contours sur la superficie picturale. L’analyse détaillée de la surface peut relever d’autres éléments incisés : un trait rapide est esquissé sur le dos de la main gauche de Judith, parallèle à la ligne d’ombre qui indique la jonction entre le poignet et la main. Un ­deuxième trait, perpendiculaire à celui analysé, se prolonge en direction des doigts, jusqu’aux phalanges du petit doigt et de l’annulaire. Une petite incision semble délimiter la ligne des cheveux sur le front de Judith, au-dessus de l’œil gauche ; une autre se trouve sous le sourcil du même œil, et une incision plus longue, presque invisible à la lumière rasante mais visible dans la radiographie, se trouve le long du profil extérieur du bras droit d’Holopherne. C’est aussi à la phase de mise en place de la composition qu’appartiennent certains traits de pinceaux esquissés, particulièrement évidents là où l’exécution n’a pas repris fidèlement le projet initial. En observant de près la main gauche de la servante, on peut distinguer des traits préparatoires de couleur rouge pour le pouce (qui était plus long) et probablement pour un autre doigt dont l’orientation fait penser qu’à l’origine la main devait être représentée de manière différente (ce trait part de la première phalange de l’annulaire vers le petit doigt, voir p. 110). De même, l’observation de la toile à l’œil nu, la radiographie et la réflectographie X, montrent une esquisse de l’index de la main gauche d’Holopherne, qui

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à l’origine devait se prolonger jusqu’à son avant-bras droit, et qui a finalement été redimensionné (pp. 116-117). De couleur rouge, lui aussi, un trait dessine la bouche d’Holopherne (voir p. 44, fig. 21), dont une partie est laissée visible dans le prolongement du côté gauche du visage, jusqu’à la barbe. Ce type d’esquisse de couleur rouge est probablement présent dans plus d’un détail de la composition, comme en témoignent les zones des joues et de l’oreille d’Holopherne. L’artiste utilise au contraire un trait préparatoire plutôt clair correspondant à l’ombre entre l’œil et le sourcil gauche de Judith, peut-être afin d’éviter le contraste avec la tonalité plus claire du visage. La réflectographie et la radiographie (voir pp. 114-117) montrent de nombreux changements entre la préparation, les différentes étapes de réalisation et la surface du tableau. La comparaison entre la radiographie et les images obtenues par macrophotographie montre comment ce contour sombre résulte en réalité de l’union de deux traits distincts : un premier réalisé sur la préparation – avant la réalisation du rideau – et un second peint sur le tissu rouge. Le premier trait est irrégulier, plus large et d’une tonalité légèrement plus claire à l’infrarouge par rapport au deuxième ; le trait peint sur le rideau est au contraire un vrai contour, large d’environ 2 cm, peint avec un pigment de nature terreuse et de couleur brunâtre bien évident dans les images macrographiques. Ces deux couches ont vraisemblablement deux fonctions différentes : la première couche sert à définir le clair-obscur du rideau, en délimitant sur la préparation les profils d’Holopherne et de la servante, qui sont les figures les plus proches du rideau ; Judith n’est pas concernée en raison de sa position plus éloignée, du fait qu’elle est éclairée par le haut, et ne semble pas cernée d’ombres. Quant au second trait, il semble avoir le rôle d’amplificateur de contraste entre les figures éclairées et le rouge du rideau pour donner une troisième dimension à la scène : le peintre n’a bien évidemment pas voulu inclure dans cette organisation la figure de Judith qui joue un rôle différent de contraste avec le rideau. Nous avons déjà parlé des repentirs concernant la main gauche de la servante, la main gauche et la bouche d’Holopherne mais la radiographie montre que des changements ont été apportés également à l’autre main de la servante et aux doigts (index et majeur) d’Holopherne. L’expression du visage d’Holopherne a subi elle aussi une modification : le sourcil gauche s’étend vers le nez – prolongation qui donne au visage une expression plus lugubre ; le nez, légèrement agrandi, cache ainsi une partie du visage qui se contracte encore plus. La figure de Judith présente de nombreux repentirs, dans le visage tout comme dans les vêtements : Judith regardait primitivement Holopherne et elle fixe maintenant le spectateur ; son expression devait sembler plus concentrée sur l’acte de violence comme en témoignent – dans les réflectographies infrarouge – les yeux à moitié fermés et avec les pupilles orientées plus vers le bas et à droite que dans la version finale (visibles dans les radiographies des yeux) ; la manche gauche de l’habit, actuellement fermée jusqu’à la manchette de dentelle, était à l’origine ouverte jusqu’à l’avant-bras (voir la réflectographie (pp. 116-117) et laissait voir un élément circulaire – un bracelet ? – successivement réutilisé pour dessiner un des plis du tissu. La radiographie de la figure de la servante montre comment le peintre procédait dans la réalisation des tissus : le voile est rendu grâce à différentes couches superposées, et les plus superficielles sont appliquées sur les plus profondes

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Fig. 1 Caravage, Toulouse, Judith et Holopherne, radiographie. 114 Analyses scientifiques

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Fig. 3 Caravage, Le Couronnement d’épines, Kunsthistorisches Museum, Vienne, détail de la réflectographie.

Fig. 4 Caravage, Sainte Catherine d’Alexandrie, Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid, détail de la réflectographie. Fig. 2 Caravage, Toulouse, Judith et Holopherne, réflectographie. 116 Analyses scientifiques

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en les cachant. Ainsi certaines parties du voile disparaissent complètement (par exemple le détail qui partait de la tête et descendait sur l’épaule droite, éclipsé par l’extension du rideau rouge). Selon la même méthode est peint le sac en tissu dont les plis qui échappent à la prise de la servante ont été modifiés (voir radiographie). La variante plus significative dans la figure de la servante, bien visible dans la radiographie (voir p. 45, fig. 22), concerne les yeux : ils étaient grand ouverts, presque exorbités – un symptôme parfaitement cohérent avec la maladie thyroïdienne évoquée par le goître – alors que dans la version actuelle le regard de la servante se fait plus rassurant à l’égard de  Judith. On peut noter d’autres modifications ultérieures : le voile qui descend à droite de la tête de Judith vers son sein, et cache une partie de l’épaule de la servante ; une retouche de la manche noire de Judith qui couvre en partie le bras et la robe ocre d’Abra. La radiographie montre en outre que les plis de la robe de la servante étaient déjà peints avant que la manche droite de Judith, devenue large, ne les fasse disparaître. Cette superposition ne prouve pourtant pas que la figure de la servante a été réalisée avant celle de Judith : la robe d’Abra semble s’arrêter brusquement le long d’une ligne qui délimitait le premier espace occupé par Judith, dont la robe noire a été ensuite agrandie – afin de redéfinir la figure de la servante – grâce à la manche devenue plus large et au voile, vraisemblablement peint à ce moment. L’analyse stratigraphique sur un fragment de couleur prélevé à côté d’une lacune présente sur le voile noir de Judith, au niveau du sein, renforce l’hypothèse d’un voile peint après la figure : sous la couche noire de celui-ci s’en trouve une blanche, moins épaisse, probablement liée à la présence d’une chemise (partiellement visible dans le petit morceau de tissu qui couvre le sein de Judith). La palette du tableau, analysé de façon non invasive par fluorescence des rayons X, est composée de cette manière : cinabre et laques rouges pour le rideau et les jets de sang (respectivement clairs et sombres) du cou ­d’Holopherne ; blanc de plomb presque pur pour le drap ; ocre pour la robe de la servante. La robe de Judith, actuellement noire, contient un pigment à base de cuivre, vraisemblablement de couleur bleu clair (selon l’observation au microscope de la superficie) qui devait donner au velours une tonalité davantage bleu nuit que noire, due peut-être à l’altération du pigment. De même, le sac tenu par la servante a subi une altération de couleur similaire ; il est actuellement de couleur marron mais il était probablement verdâtre, car il contient un pigment vert à base de cuivre (vraisemblablement acétate de cuivre). Signalons également la présence de l’or, utilisé dans la garde de l’épée de Judith. Les carnations sont réalisées au blanc de plomb et avec des terres, en laissant perceptible la préparation brunâtre. Dans le visage de Judith par exemple, la préparation est restée visible pour mieux accentuer les ombres entre la bouche et le menton et celle sous le nez. Quand il s’agit d’ombres encore plus accentuées, par exemple celles des yeux, le peintre a appliqué sur la préparation brune un léger glacis de couleur sombre, presque noire. La préparation est laissée également apparente dans les zones du dos de la main qui tire les cheveux d’Holopherne et dans l’ombre de sa main droite projetée sur le drap, dans sa barbe et sa moustache. La préparation correspond aussi à différents fonds, comme par exemple entre le sein de Judith et le voile blanc, ou dans l’avant-bras d’Holopherne.

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La figure de la servante semble être réalisée différemment. Le turban présente un profil réalisé de manière similaire à la partie autour du sein de Judith ou dans l’avant-bras d’Holopherne mais le visage est peint de façon complètement différente. Au lieu de laisser la préparation seule visible, le peintre procède par l’application de divers glacis directement sur la préparation ou alors en les appliquant sur les lumières déjà peintes. Sur ces lumières et sur les glacis appliqués à la préparation, intervient sèchement le pinceau, pour dessiner les rides. Dans la zone des rides a été prélevé un échantillon de couleur (c17 / 017) dont la stratigraphie montre que la composition de la couche plus superficielle, relative à la ride, est légèrement différente par rapport à celle sous-jacente : les deux sont à base de blanc de plomb et de terres mais la fluorescence due à la radiation ultraviolette de la couche plus superficielle est plus intense par rapport à celle en-dessous, et de couleur orange. Cela prouve l’utilisation d’un liant différent entre les couches, ou bien un rapport différent entre liant et pigment, et que la couche plus superficielle est composée d’un pigment de couleur rouge vif absent dans la couche sous-jacente. Ces observations, unies au fait qu’au moment du prélèvement le fragment s’est défait selon la ligne de séparation entre la couleur de la carnation de base et la couche comprenant la ride (ce qui montre une mauvaise cohésion entre les deux couches), pourraient indiquer une reprise du visage de la servante. Il est probable qu’originairement les rides n’étaient pas présentes sur le visage et que ce dernier a été modifié ensuite pour le rendre plus « vieux », sous le regard primitif et inquiétant, avec ses yeux d’hyperthyroïdienne que l’on peut voir sur la radiographie. 15 mars 2017

Examens réalisés : Techniques employées pour l’expertise scientifique du tableau : • Documentation photographique et macrophotographique • Réflectographie infrarouge 1 650-1 800 nm • Radiographie • Analyse de la fluorescence des rayons X (XRF) • Stratigraphie sous lumière • Spectrophotométrie

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Lecture des analyses scientifiques Rossella Vodret Storico dell’Arte già Soprintendente Speciale per il Polo museale romano

J’ai eu la possibilité d’étudier à plusieurs reprises la Judith et Holopherne retrouvée à Toulouse, tant à Paris (au Cabinet d’Eric Turquin et au Louvre) qu’à Milan, à la Brera, au cours de la confrontation d’études qui s’est déroulée le 6 février 2017, où le tableau, d’une grande force et d’une grande qualité stylistique comme l’a souligné Keith Christiansen, a été comparé à sa copie conservée au Palazzo Zevallos à Naples. Au début de cette journée, j’ai présenté certaines considérations techniques et stylistiques élaborées sur la base des renseignements recueillis lors du diagnostic établi par Claudio Falcucci, que j’ai par la suite proposées à nouveau, avec certains approfondissements, lors de la rencontre qui s’est déroulée au Louvre le 13 juin 2017. À cette occasion, la Judith a été exposée à côté des chefs-d’œuvre conservés dans le grand musée français. Ce texte constitue la synthèse de mes deux interventions présentées lors des journées d’études de Milan et Paris. 1. Les résultats de cette recherche ont été publiés dans R. Vodret, G. Leone, M. Cardinali, M.B. De Ruggeri, S. Ghia, Caravaggio Opere a Roma. Tecnica e stile, 2 vol. Cinisello Balsamo, 2016. 2. Les résultats de cette campagne d’analyses ont été publiés dans Dentro Caravaggio, catalogue d’exposition, R. Vodret, Milano Palazzo Reale, 2017. Cf. en particulier l’ebook joint au catalogue. 3. Toutes les analyses ont été exécutées selon les mêmes principes qualitatifs fixés par l’ISCR (Institut supérieur de la conservation et de la restauration).

Relations entre la Judith décapitant Holopherne de Toulouse et la technique d’exécution de Caravage Grâce aux campagnes d’analyses qui se sont déroulées entre 2009 et 2012, sur les vingt-deux toiles de Caravage toujours conservées à Rome 1 et, en 2017, sur les treize œuvres prêtées lors de l’exposition Dentro Caravaggio 2, nous avons aujourd’hui à notre disposition des examens techniques comparables 3 entre eux portant sur trente-cinq tableaux de Caravage, répartis tout au long de son activité, soit environ la moitié de ceux qui lui sont attribués de manière fiable. Sur la base des études jusqu’ici réalisées, il est ainsi possible d’établir quelques comparaisons entre la technique d’exécution de la Judith et celle du grand maître lombard. Ces comparaisons mettent en évidence la présence dans l’ensemble du tableau de plusieurs éléments de la technique de Caravage jusqu’ici connus.

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La toile tissée en sergé 4, sur laquelle est peinte la partie supérieure de la Judith 5, est utilisée par Caravage dans toutes les œuvres connues datant de son premier séjour napolitain. La préparation brune, composée de gros grains de carbonate de calcium qui rendent la superficie granuleuse, faisant ainsi vibrer la lumière, est similaire en couleur et en composition à celle des autres œuvres de Caravage. Citons par exemple la préparation semblable du David avec la tête de Goliath de la Galleria Borghese à Rome. La large bande de contour – renforcée par un mince rajout postérieur – qui délimite les figures d’Holopherne et de la vieille servante (réflectographie pp. 116-117), utilisée pour définir la place des deux figures et pour faire ressortir le contraste avec le fond et la tridimensionnalité, est un élément présent lui aussi dans diverses toiles de Caravage de la dernière période romaine et de la première période napolitaine. À titre d’exemple, cela est visible dans la Madone des palefreniers de la Galleria Borghese et dans Le Couronnement d’épines du Kunsthistorisches Museum de Vienne. L’emploi d’un fin dessin au pinceau est largement utilisé par Caravage sur une préparation claire dans ses œuvres de jeunesse. Lorsque la préparation devient foncée, l’utilisation du dessin au pinceau, devenu peu visible, diminue (mais ne disparaît pas) et de ce fait s’associe aux tracés esquissés et aux incisions. Même dans la toile ici étudiée, certains traits de dessin au pinceau sont visibles sur la tête et dans les mains de la servante ainsi que dans les mains d’Holopherne et dans le contour du visage de Judith. Dans la toile de Toulouse, les tracés de mise en place au pinceau sont largement présents, traités par des indications claires ou rougeâtres, et sont employés par Caravage pour définir sa propre composition sur la préparation foncée. Des traits esquissés similaires à ceux employés par Caravage sont présents ici dans les trois figures de la toile de Toulouse : une esquisse claire, relative à la première position de l’œil gauche, a été trouvée entre le sourcil et l’œil gauche de Judith, alors que des traits rougeâtres se trouvent sur les magnifiques mains de la vieille servante et sur les lèvres, la pommette et l’oreille d’Holopherne 6. Des traits rougeâtres analogues se trouvent, entre autres, dans Le Crucifiement de saint André du Cleveland Museum of Art, œuvre faisant écho à son premier séjour napolitain, et dans La Flagellation du Christ du Museo di Capodimonte à Naples. Nombreuses sont également les incisions, traits gravés sur la préparation plus ou moins fraîche 7, pour définir certaines parties de la composition. Les incisions sont visibles uniquement sur les figures de Judith et d’Holopherne. Deux sur la main de Judith, une sur son sourcil gauche et une autre sur son front pour marquer la naissance de l’implantation capillaire. Une incision plus large court le long du bras droit d’Holopherne. Les incisions ne sont pas visibles sur la figure de la vieille servante. Ce sont surtout des incisions brèves, similaires en nombre et en dimension à celles que Caravage utilise après sa fuite de Rome. Nous notons une large utilisation dans cette toile de la technique dite de l’économie des contours, a risparmio, à savoir l’utilisation singulière de la préparation foncée apparente ou à peine voilée pour délimiter les zones de couleur et pour l’exécution des ombres. Une pratique déjà utilisée par Caravage dans les dernières années du Cinquecento et mise au point dans les toiles de la chapelle Contarelli de Saint-Louis-des-Français. La préparation a risparmio est constamment utilisée dans les œuvres postérieures, jusque dans les conclusions

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extrêmes du Martyre de sainte Ursule, dans lequel la préparation est quasiment prépondérante par rapport à la partie peinte. Dans la toile de Toulouse, nous trouvons la préparation visible utilisée à la fois comme risparmio du contour et pour réaliser les ombres : dans l’ombre des yeux, du nez et du menton de Judith, dans la main, dans la barbe et la moustache d’Holopherne et dans un détail du turban de la vieille servante. Cependant, il n’y a pas de trace d’utilisation de la préparation foncée dans le visage de la servante où les ombres du visage, ainsi que les rides, sont peintes en glacis sur une base claire peut-être déjà sèche. De ce qui précède, il est évident que toutes les plus importantes caractéristiques typiques de la technique picturale de Caravage sont présentes dans ce tableau. Si la reprise de certains traits propres à Caravage par certains de ses suiveurs est connue (surtout les incisions), au stade des recherches actuelles la présence concomitante de tant d’éléments techniques n’a été identifiée que dans les œuvres autographes du grand génie lombard.

4. La toile tissée en sergé est constituée de l’enchevêtrement de la chaîne de trame avec un rapport d’au moins 1:2 (dans lequel le fil de trame passe sous deux fils de chaine) qui donne un rendu diagonal, avec un endroit et un envers. 5. La Judith et Holopherne de Toulouse est peinte sur deux pièces de toiles unies par une jointure vers le bas. La partie supérieure, de dimension plus importante, est une toile en sergé. Voir le rapport écrit de Claudio Falcucci dans ce même volume (pp. 110-119).

6. Le visage de la vieille servante ne présente aucun trait esquissé.

7. Il existe une variété de typologies des incisions utilisées par Caravage au cours de sa production artistique. C’est une pratique reprise par certains de ses suiveurs.

8. Lettre de Naples écrite le 25 septembre 1607 par Pourbus, au service de la cour de Mantoue au duc Vincent Ier de Mantoue : « J’ai vu ici deux tableaux splendides de la main de Michelangelo de Caravage : l’un, qui représente un rosaire, est destiné à un retable ; il mesure 18 palmes de côté et ne coûte pas même 400 ducats ; pour l’autre, un tableau de dimension moyenne, conçu pour un intérieur et représentant en demi figures un Holopherne et une Judith, ils ne le céderaient pas à moins de 300 ducats ». Cf. S. Macioce, Michelangelo Merisi da Caravaggio. Documenti fonti e inventari 1513–1875, II edizione corretta, integrata e aggiornata, Rome, 2010, p. 236. 9. D’autres repentirs portent sur la manche droite de la robe de Judith qui avait une forme différente avec la manchette ouverte et une partie du bras découvert. Le bras était orné d’un bracelet en forme de gros anneau qui sera ensuite réutilisé pour créer un pli de la manche.

Les modifications de composition Le plus important élément technique que les analyses du tableau mettent en évidence est le nombre conséquent de modifications de la structure de sa composition – non pas de simples ajustements, mais des changements substantiels de la composition – qui démontrent que la Judith de Toulouse est un tableau original et non une copie : en effet, par définition, seules les œuvres originales comportent des repentirs dans la composition. Ainsi, de mon point de vue, il faut écarter l’hypothèse proposée par certains chercheurs selon laquelle la Judith de Toulouse est une copie de l’original perdu de Caravage cité dans la lettre de Pourbus écrite le 25 septembre 1607, à peine deux mois après la fuite du peintre à Malte 8. Comme le prouvent les infrarouges et la radiographie, les modifications de composition les plus importantes concernent les trois figures du tableau : Judith, Holopherne et la vieille servante. En ce qui concerne Judith, elle est la figure clef de tout le tableau, dont la qualité stylistique se rapproche le plus de celle de Caravage. Le repentir le plus significatif porte sur les yeux de Judith, qui originellement ne se dirigeaient pas vers le spectateur, mais étaient tournés vers le bas en direction d’Holopherne, exactement comme dans la Judith Barberini 9. D’autres rapprochements intéressants avec le chef-d’œuvre romain peuvent être trouvés dans certains éléments morphologiques, tels que la vue de trois quarts du magnifique visage : le rapport entre le nez, les yeux et les oreilles de la Judith Barberini est très proche, presque identique, à celui de la Judith de Toulouse. Au-delà des différences stylistiques évidentes, dues au laps de temps qui les sépare, les deux visages coïncident même dans certaines de leurs caractéristiques d’exécution, comme par exemple le léger double menton, éclairé par un coup de lumière, l’éclairage du nez et des lèvres de Judith, la position de la bouche, le reflet de la lumière sur les paupières, l’ombre entre le menton et la lèvre inférieure, et la lumière sur le cou. Certaines différences peuvent cependant être notées dans la partie gauche du visage de la Judith de Toulouse, plus rond et éclairé par des lumières différentes par rapport à la Judith Barberini, dont les lèvres sont plus charnues. Une telle coïncidence morphologique est tout à fait étrange et présuppose, selon moi, que l’auteur de la toile de Toulouse connaissait extrêmement bien la Judith romaine, peinte pour Ottavio Costa probablement en 1602, dans la

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mesure où il en reprend les yeux et le regard. Un détail difficilement explicable si l’on suppose que la Judith de Toulouse a été peinte par un autre artiste que Caravage, en particulier si l’on considère la singulière attention que le banquier Costa accordait à ce tableau, chef-d’œuvre de sa collection, qu’il tenait caché derrière un rideau. Quant à Holopherne, la radiographie montre différentes modifications dans sa main gauche. Tous les doigts ont été raccourcis, corrigés et déplacés : une correction très semblable à celle que nous trouvons dans les doigts des mains de la figure de Marie de Cléophas dans La Mise au Tombeau aujourd’hui aux Musées du Vatican. Une autre modification de la composition se trouve dans le pouce de la main gauche d’Holopherne, à l’origine beaucoup plus dirigé vers le thorax. Ce premier pouce a ensuite été supprimé en l’incluant dans le thorax et en le recouvrant par un coup de pinceau lumineux. Enfin la vieille servante a été la figure la plus rectifiée. Il y a plusieurs modifications, notamment les yeux, les mains, le voile et le sac. La plus importante porte sur les yeux, qui dans la première version étaient vraiment impressionnants : complètement écarquillés, reflétant ainsi l’aspect réel des malades du goître thyroïdien. Ce détail a par la suite été très atténué, jusqu’à le faire disparaître. D’autres modifications concernent l’orientation de la figure : dans la radiographie, il apparaît clairement que la servante « envahissait » avec son épaule et son bras gauche l’espace réservé à Judith 10. Le rôle prédominant et inhabituel joué par la figure centrale de la servante a été, peut-être dans un second temps, en partie redimensionné : le voile noir et la manche gauche de la robe de Judith ont été agrandis de manière à cacher l’épaule et le bras gauche de la servante. L’élargissement du voile et de la manche gauche de Judith est clairement identifiable par son opacité (la ligne rouge délimite la partie originale), mais aussi par l’interruption des coups de pinceau, donnant des accents de lumière, originaux présents sur la manche. Cette correction a en partie rééquilibré le rapport de proportions entre les deux figures féminines, qui reste tout de même confus et mal résolu. Le surprenant agencement des rides très insistantes est l’élément de composition et de style le plus étranger au reste du tableau et au style même de Caravage 11. Les analyses montrent non seulement que les rides claires ont été réalisées dans une couleur différente (pigment et liant) de celle du teint sous-jacent, mais aussi qu’elles n’ont pas de lien avec la couche picturale sur laquelle elles ont été peintes. Lors du prélèvement stratigraphique, la surface colorée contenant les rides s’est nettement détachée de celle sous-jacente 12. Cela conduit à penser que les rides ont été peintes dans un second temps, sur une base de teinte claire déjà sèche. Cela explique aussi pourquoi, contrairement aux deux autres figures, il n’y a sur le visage de la servante ni esquisse, ni incision, ni une quelconque utilisation de la préparation foncée comme contour ou comme ombre 13, ce qui est logique dans la mesure où la couche picturale sous-jacente est claire. Conclusions sur la Judith décapitant Holopherne de Toulouse De ces éléments nous pouvons conclure que les figures de Judith et ­d’Holopherne ont été exécutées selon une technique qui présente tous les éléments les plus significatifs de la technique d’exécution de Caravage (le type de toile et de préparation, les incisions, les esquisses, le dessin, l’utilisation de

124 Lecture des analyses scientifiques

10. L’épaule et le bras de la servante ainsi que le drap jaune qui le recouvre avaient déjà été complétés avant l’élargissement du voile et de la manche gauche de Judith.

11. L’exécution des rides est complètement différente par rapport à d’autres toiles de Caravage, celles-ci étant en général tirées de la préparation foncée et non superposées à une base claire. 12. Se reporter au rapport de Claudio Falcucci dans ce volume (p. 110-119).

14. C. Falcucci, C. Maura, Le indagini diagnostiche, in Giuditta decapita Oloferne. Louis Finson interprete di Caravaggio, catalogue d’exposition, Naples 27 septembre-8 décembre 2013, rédigé par G. Capitelli, A. E. Denunzio, G. Porzio, M.-C. Terzaghi, Naples, Arte’m, 2013, pp. 75-80. Les deux toiles sont agrandies d’une pièce (fil de chaîne et de trame différents), cousue plus ou moins au même endroit à environ 40 cm de la marge inférieure. 15. Les préparations de la Judith de Toulouse et de la Judith de Naples sont pratiquement identiques par la couleur et par la granulométrie.

la préparation a risparmio, les ombres, etc.). Il apparaitrait bizarre que de tels éléments se retrouvent tous rassemblés dans un tableau qui n’aurait pas été peint par Caravage. Il faut tout de même prendre en considération le fait que l’œuvre semble avoir été « corrigée » ou complétée par l’élargissement du vêtement et du voile de Judith et par les rides sur le visage de la vieille servante, qui sont étrangères à la pratique et au style de Caravage. Mon opinion est que Caravage, qui partait de Naples pour Malte (juin-juillet 1607), a peut-être confié à vendre La Madone du Rosaire et la Judith à Finson et Vinck, avec qui il était manifestement en rapport (utilisait-il leur atelier à Naples ?). Cela expliquerait pourquoi, seulement deux mois plus tard, en septembre 1607, les deux toiles sont à vendre à Naples, où Pourbus les voit et en donne une description à Vincenzo Gonzaga. Selon cette hypothèse, il est possible que la Judith ait été « corrigée », après le départ de Caravage pour Malte, par un autre peintre (Finson ?) pour rééquilibrer le rapport entre les deux figures féminines, pour ajouter ces rides serrées et peut-être même pour atténuer certains détails impressionnants comme les yeux écarquillés de la vieille femme. On pourrait identifier l’auteur « des corrections » de la Judith de Toulouse avec celui de la modeste copie de Naples, un peintre qualitativement inférieur, qui pourrait, à mon avis, être Louis Finson. La copie napolitaine, bien qu’elle soit dépourvue en grande partie des caractéristiques stylistiques et surtout des qualités d’exécution de Caravage, semble avoir suivi de près la réalisation du tableau de Toulouse, comme si le copiste avait eu la possibilité de voir ce dernier en cours de réalisation et en avait repris certains détails techniques, ensuite devenus « invisibles », recouverts par la couche finale (le format et la typologie de la toile 14, le type de préparation 15, les bandes sombres autour des figures, les yeux écarquillés de la vieille servante, etc.) 16. Ces détails sont trop précis pour relever de la simple coïncidence. L’hypothèse serait que les deux Judith (Toulouse et Naples) aient été peintes simultanément par deux peintres différents dans le même atelier, probablement celui de Finson à Naples que Caravage avait peut-être à sa disposition au cours de son premier séjour napolitain. La provenance du même atelier pourrait aussi expliquer l’utilisation de cette utilisation étrange de la même typologie de toile choisie pour les deux tableaux. On peut se demander si Caravage et Finson avaient conclu un accord selon lequel, en échange de la mise à disposition de son atelier, Finson avait obtenu l’autorisation de copier les précieux originaux de Caravage. Cette hypothèse expliquerait l’existence de tant de copies par Finson des œuvres napolitaines du grand peintre lombard.

16. L’analyse du rapport entre la Judith de Toulouse et sa copie napolitaine est très complexe et je l’analyserai en détail plus tard.

13. Uniquement sur certaines parties du turban de la vieille servante peut-on remarquer la préparation a risparmio.

N. B. La récente restauration de la Sainte Catherine de la collection Thyssen-Bornemisza a mis en évidence, au moyen de la radiographie infrarouge, les mêmes traits de construction autour de la roue, à gauche du tableau, ainsi qu’à droite le long de la robe, en limite du fond (voir p. 116 fig. 3-4 et Descubriendo a Caravaggio, Discovering Caravaggio, Madrid, Museo Nacional ThyssenBornemisza, catalogue par Ubaldo Sedano Andrés Sànchez Ledesma et Suzana Pérez).

Lecture des analyses scientifiques 125



L’allègement du vernis du tableau Laurence Baron-Callegari Restauratrice de peintures

Lorsqu’il a été découvert, le tableau était enseveli sous plusieurs couches épaisses de vernis brun. Des coulures d’eau avaient provoqué, à droite, des chancis profonds donnant localement un aspect blanchâtre aux vernis. Les films de vernis brun, en assombrissant les blancs et en réduisant la profondeur des noirs, atténuaient les contrastes et faisaient disparaître les demi-teintes. La lecture du tableau en était profondément modifiée. Dans un premier temps, il fut décidé de décrasser la couche picturale et de régénérer les vernis afin qu’ils retrouvent leur transparence. La lecture, même si elle se trouvait améliorée, restait insuffisante. En 2014, après de nombreuses concertations, il fut décidé de faire des essais d’allègement de vernis pour évaluer la faisabilité et l’opportunité d’effectuer un tel travail sur l’ensemble de l’œuvre. Ces essais furent probants. L’intervention étant importante, nous avons procédé avec beaucoup de prudence à d’autres essais, suivis d’autres concertations pour décider finalement, fin décembre 2018, d’alléger modérément les vernis et de retirer des repeints sur l’ensemble de l’œuvre. Les vernis oxydés étaient très anciens (du xixe sans doute) et probablement chargés d’huile. Le résultat spectaculaire nous a confortés sur le bien-fondé de cette décision : la puissance des contrastes, la virtuosité de l’écriture et la subtilité des modelés ont été révélées. La transformation fut importante dans le visage de la servante Abra. Recouvertes de vernis brun, les rides apparaissaient raides et systématiques. L’allégement des vernis oxydés a permis de retrouver les demi-teintes qui adoucissent les contrastes. Les vernis sombres sédimentés dans l’anfractuosité de la matière modifiaient légèrement le dessin des rides, en les durcissant. L’allègement du vernis est un moment privilégié pour observer minutieusement la matière et sa mise en œuvre. Notre observation fut solidement étayée par l’imagerie et les analyses détaillées de M. Claudio Falcucci. Les nombreux repentirs témoignent d’une composition mise au point et repensée pendant l’exécution. Ces repentirs sont si déterminants pour la

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Fig. 1 Caravage, Judith et Holopherne, Toulouse, état 2014.

composition qu’ils ne peuvent être dus à l’hésitation d’un copiste corrigeant une erreur de dessin. Les deux repentirs les plus marquants sont ceux du regard de Judith, qui dans une première version se tournait vers Holopherne et que le peintre a modifié pour le diriger vers le spectateur, le prenant comme témoin de la scène. La modification du positionnement de la main gauche d’Holopherne ne relève pas d’un simple ajustement de forme en cours de travail mais d’une modification délibérée de sa mise en place dans l’espace. La technique d’exécution est très particulière. En divers endroits, l’artiste laisse volontairement visible la préparation brune. Il s’en sert comme d’un ton local dans l’élaboration des modelés du drap blanc ou comme tonalité propre, par exemple dans l’ongle du pouce de la main droite d’Abra. L’ombre du menton de Judith est indiquée grâce à une réserve laissant la préparation jouer de sa tonalité dans l’élaboration du modelé. Sur la préparation laissée en réserve une touche noire dessine le creux du menton sous la lèvre inférieure. En de nombreux endroits, l’artiste souligne le modelé par une ligne sombre. Il fut décidé que nous ne ferions pas la réintégration des petites lacunes et usures. Nous avons seulement patiné les anciens mastics afin d’affaiblir l’impact de leur contraste. La partie basse souffre de nombreuses pertes de matière provoquées probablement par un excès d’humidité dans la zone lors du dégât des eaux. Dans l’ensemble, on note de rares et petites lacunes, profondes et peu déterminantes. On note des usures superficielles dans les carnations. La zone relativement la plus endommagée est celle du drap blanc. L’usure superficielle a localement fait disparaître la douceur des passages entre les accents clairs et les ombres profondes. La jupe de Judith est légèrement usée. Aucune lacune ou usure ne nécessitera une interprétation formelle lors de la réintégration de ces altérations. Le tableau est dans son ensemble en excellent état pour un tableau de cette époque.

Fig. 2 Caravage, Judith et Holopherne, Toulouse, état après premier allègement de vernis.

Un rapport de condition est disponible sur demande.

Fig. 3 Caravage, Judith et Holopherne, Toulouse, état après dernier allègement de vernis, janvier-février 2019.

130 L’allègement du vernis du tableau

L’allègement du vernis du tableau 131


De Caravage à Caravage Dialogues d’images

Fig. 2 Caravage, Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste, National Gallery, Londres.

Fig. 1 Caravage, Judith et Holopherne, Toulouse.

Fig. 3 Caravage, Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste, Palacio Real, Madrid.

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De Caravage à Caravage 133


Fig. 4 Caravage, Les Sept Œuvres de Miséricorde, Pio Monte della Misericordia, Naples.

134 De Caravage à Caravage


Fig. 5 Caravage, La Décollation de saint Jean-Baptiste, cathédrale Saint-Jean, La Valette, Malte.

Fig. 6 Caravage, Le Repas à Emmaüs, Pinacoteca di Brera, Milan.

De Caravage à Caravage 137


Fig. 7 Caravage, Portrait d’Alof de Wignacourt, musée du Louvre, Paris.

138 De Caravage à Caravage


Fig. 8 Caravage, Portrait de Fillide Melandroni, autrefois Ă Berlin, dĂŠtruit pendant la seconde guerre mondiale.

De Caravage Ă Caravage 141


Fig. 9 Caravage, Marie-Madeleine repentante, Galleria Doria-Pamphilj, Rome.

142 De Caravage Ă Caravage


Fig. 10 Caravage, Les Sept Œuvres de Miséricorde, Pio Monte della Misericordia, Naples.

144 De Caravage à Caravage


Caravage  Éléments biographiques

1600 Reçoit la commande des tableaux de la chapelle Cerasi à l’église Santa Maria del Popolo. 1603-1604 Plusieurs démêlés judiciaires pour calomnies, injures, port d’armes illégal. Réalisation de tableaux d’autel pour les églises Sant’Agostino et Santa Maria in Vallicella. 1605 Après d’autres querelles, doit quitter Rome pour Gênes où il reste quelques semaines. 1606 8 mai – Au cours d’un violent affrontement, blesse mortellement Ranuccio

Tomassoni. Blessé lui-même, doit s’enfuir et se réfugier sur les terres des Colonna dans le Latium. Est condamné à mort par contumace. Septembre ou octobre – Se rend à Naples.

1571

1607 Décide de quitter Naples malgré de nombreuses et prestigieuses commandes. 12 juillet – Débarque à Malte, avec l’intention de devenir chevalier de l’Ordre.

29 septembre – Naissance à Milan de Michelangelo Merisi.

Son enfance se passe à Caravaggio, à quelques kilomètres de Bergame ; son père est au service de Francesco Sforza, marquis de Caravaggio. 1584 Entre dans l’atelier de Simone Peterzano (1540-1599), un des peintres les plus en vue de Milan. 1592 Quitte probablement Milan après avoir renoncé aux biens qui lui revenaient en héritage, et part peut-être alors pour Rome. Selon des publications récentes, l’installation à Rome ne serait pas antérieure à 1595. Fin 1595 – début 1596 Entre à Rome dans l’atelier de Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d’Arpin (15681640). Réalise des tableaux montrant des scènes de la vie quotidienne ou des figures de jeunes gens.

1608 14 juillet – Après une année de noviciat, est fait chevalier de l’ordre de Saint-Jean

de Jérusalem. Peu de temps après, est radié de l’ordre et emprisonné. S’évade et s’embarque pour la Sicile où, à Syracuse, il est accueilli par son ami Mario Minniti. 1609 Jusqu’en septembre, voyage en Sicile et travaille à Syracuse, Messine et Palerme. Regagne Naples. Est presque immédiatement blessé lors d’une rixe. 1610 Embarque pour Rome où il souhaite plaider sa grâce. Est arrêté et jeté en prison à Palo Laziale où il fait escale. Libéré, il est privé de ses effets et de ses derniers tableaux qui ont quitté le port sans lui. Tente de rejoindre Rome par d’autres moyens. 18 juillet – Meurt à Porto Ercole à moins de trente-neuf ans alors que la grâce papale vient de lui être accordée.

1597 Juillet – Des documents attestent qu’il est au service du cardinal Francesco

Maria Del Monte. 1599-1600 Travaille pour de grands collectionneurs outre Del Monte : le marquis Vincenzo Giustiniani ou le banquier Ottavio Costa. Reçoit la commande des tableaux de la chapelle Contarelli à l’église Saint-Louis-des-Français.

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Caravage éléments biographiques 147


68 tableaux de Caravage sont localisés dans le monde dont 5 en mains privées :

Italie et Malte : 40 Reste de l'Europe : 20 États-Unis : 8

St-Pétersbourg : 1

Détroit : 1 Cleveland : 1 Hartford : 1 New York : 3

Kansas City : 1

Dublin : 1 Londres : 4 Rouen : 1 Paris : 3 Nancy : 1

Forth Worth : 1

Berlin : 2

Vienne : 3

Milan : 2 Crémone : 1 Florence : 6 Montserrat : 1 Madrid : 3

Rome : 22 Vatican : 1 Naples : 3 Messine : 2 Syracuse : 1 La Valette : 2

148

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Remerciements

pendant ces cinq longues années ; Me Philippe Gaultier par le soin apporté à la rédaction des conditions de vente ; l’agence de presse Art et Communication et tout particulièrement Sylvie Robaglia et ses correspondants Julian Roup et Mozell Miley-Bailey ; Christian Baraja, grand professionnel de la photographie ; Antoine Béchet, marchand de cadres et excellent voisin qui nous a fourni le cadre romain ; mais aussi l’ensemble des équipes de l’étude Labarbe et du cabinet Turquin, qui, d’une manière ou d’une autre, chacun dans son rôle, a contribué à l’aboutissement de ce projet : Ludovic Barbe, Jean-Bernard Bley, Agathe Cabau, Véronique Castagné, Me Camille Chabroux, Clothilde Delemar, Marie-Agnès Denis, Sandrine Favarel, Josie Ferrere, Valérie Gavard, Giulia Giustiniani, Adriane Grünberg, Julien Labarbe, Brigitte Bougard-Lekieffre, qui a rédigé la magnifique notice iconographique du catalogue, Chloé Letiévant, Jérôme Montcouquiol, Christine Petit, Candida da Silva, Laure Soules, Daniel Teixeira et Valérie Vieux. Nous remercions tout pareillement les stagiaires, James Astley Birtwistle, Marcos Eliades, Foulques de La Grandière, Camila Pedraza, Sophie Tiercelin, George Wills, qui furent aussi les petites mains de cette extraordinaire entreprise. Merci à Monsieur le maire Jean-Luc Moudenc et aux services de la mairie de Toulouse d’avoir mis à disposition la Halle aux Grains pour la vente aux enchères, ainsi qu’au Crédit municipal de Toulouse pour sa collaboration.

Me Marc Labarbe et Eric Turquin souhaitent exprimer ici leur plus profonde gratitude à tous ceux qui ont rendu ce catalogue de vente possible, par leur travail, leur énergie et leur implication. Au premier chef, nos remerciements vont aux propriétaires de cet incroyable tableau qui, malgré les difficultés, nous ont toujours accordé une confiance sans limite. Nous assurons aussi de toute notre gratitude les auteurs de ce livre, soutiens de la première heure, et sans qui cette longue aventure aurait été bien plus pénible et mouvementée : Nicola Spinosa, ancien directeur du Museo di Capodimonte de Naples, qui fut le premier à prendre position en faveur de Judith ; Keith Christiansen, conservateur en chef des peintures européennes du Metropolitan Museum of Art de New York, que rien n’aura jamais fait douter ; Rossella Vodret, ex-directrice du Palazzo Barberini de Rome et Claudio Falcucci, ingénieur nucléaire, dont les analyses scientifiques ouvrent le champ des possibles pour l’histoire de l’art ; Jean-Pierre Cuzin, ancien directeur des peintures du Louvre, dont l’œil autant que la sympathie nous ont été précieux ; Laurence Baron-Callegari, restauratrice de peintures, qui a su patiemment dévoiler la Judith sous son meilleur jour.

Nous adressons aussi nos remerciements à Henri Julien pour nous avoir mis en contact avec les éditions de la Table Ronde ; à Nolwen Lauzanne et Lucie Baudin ; à notre traductrice, Angela Randall, qui a connu quelques nuits laborieuses, traduisant du français à l’anglais ; à Pascale Letiévant pour la dernière traduction de l’anglais au français ; aux agences de communication Bronx et Artcento qui nous ont été d’un grand secours. Enfin, et peut-être aurions-nous dû commencer par là, grâce soit rendue à nos proches et nos familles de nous avoir supportés pendant cette aventure si passionnante. Marc Labarbe et Eric Turquin

Nous remercions aussi la Pinacoteca di Brera de Milan et tout particulièrement son directeur James M. Bradburne qui, dès 2016, a permis d’exposer pendant trois mois notre tableau dans le plus grand musée de la ville de Caravage, ainsi que Marco Galateri di Genola. Nous remercions également Stéphane Mathelin-Moreaux et la banque Neuflize OBC pour avoir cru en ce projet depuis le début et nous avoir soutenus

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Remerciements 153



Conditions de vente

directement entre vendeur et adjudicataire, à l’exclusion de la société MARC LABARBE. Il appartient à la personne désirant enchérir, comme à l’enchérisseur ou l’adjudicataire de fournir toutes précisions sollicitées par la société MARC LABARBE conformément aux dispositions légales et règlementaires applicables et aux présentes conditions générales. INSCRIPTION À LA VENTE Pour pouvoir participer à la vente aux enchères organisée par la société Marc LABARBE, toute personne doit impérativement s’enregistrer en tant qu’enchérisseur au moins 15 jours avant la vente en prenant contact à l’adresse suivante : contact@marclabarbe.com afin de compléter un formulaire d’inscription et de fournir tous les renseignements et documents appropriés (justificatif d’identité etc.). La participation aux enchères suppose notamment la présentation d’une garantie bancaire payable à première demande et valablement souscrite auprès d’un établissement bancaire établi sur le territoire français, aux fins et dans les conditions détaillées par le formulaire d’inscription. Dans le cas où la procédure d’inscription ne serait pas intégralement respectée, la société MARC LABARBE se réserve de refuser votre participation aux enchères.

VENTE AUX ENCHÈRES PUBLIQUES DU JEUDI 27 JUIN 2019 À 18 HEURES À LA HALLE AUX GRAINS (place Dominique Martin Dupuy, 31000 Toulouse)

GÉNÉRALITÉS La vente aux enchères publiques du tableau est soumise aux présentes conditions générales de vente et à toute règle qui est réputée en faire partie, en particulier celles ressortant du formulaire d’inscription. Les personnes désirant enchérir sont appelées à en prendre connaissance avec attention, la société MARC LABARBE, son commissaire-priseur de ventes volontaires, son personnel et l’expert, le Cabinet ERIC TURQUIN EXPERTISE SAS, se tenant à leur disposition pour leur fournir toute précision. Les présentes conditions générales sont accessibles en français et en anglais sur le site www. thetoulousecaravaggio.com. Les indications ressortant des présentes conditions comme de manière générale toutes les mentions communiquées avant la vente sont susceptibles de modifications jusqu’à l’ouverture des enchères. Les modifications sont le cas échéant affichées dans la salle de vente et portées à la connaissance du public par le commissaire-priseur avant l’ouverture des enchères. Elles sont portées au procès-verbal de la vente aux enchères signé par le commissaire-priseur. La société MARC LABARBE intervient en tant que maison de ventes volontaires aux enchères publiques, déclarée pour opérer à ce titre sous le numéro 2002-279. Elle présente les garanties déontologiques et d’organisation correspondantes et agit en qualité de mandataire du vendeur. Par conséquent, le contrat de vente conclu aux enchères emporte ses effets

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PRÉSENTATION DU TABLEAU ET EXPOSITION PRÉALABLE Les indications sur le tableau sont données en l’état des connaissances existantes à la date à laquelle elles sont communiquées au public, compte tenu des informations fournies par le vendeur et des connaissances historiques, artistiques, scientifiques et techniques à disposition. Le tableau est expertisé par l’expert en tableaux anciens, le Cabinet ERIC TURQUIN. S’agissant d’une œuvre ancienne de plusieurs siècles, les enchérisseurs acceptent nécessairement un certain aléa. Un rapport de condition détaillé sur l’état du tableau présenté à la vente peut être demandé à la société MARC LABARBE et à l’expert, le Cabinet ÉRIC TURQUIN. Une exposition préalable est organisée aux dates prévues sur la couverture du catalogue pour permettre aux enchérisseurs de procéder à l’inspection personnelle du tableau et d’en apprécier les caractéristiques, ses éventuelles réparations et restaurations. Il leur incombe de bien l’examiner, au besoin en se faisant accompagner d’un expert ou d’un restaurateur de leur choix. Tout enchérisseur est réputé avoir examiné le tableau. Les dimensions sont données à titre indicatif. Le tableau est vendu en l’état où il se trouve au moment de la vente avec ses éventuels défauts et imperfections. Aucune réclamation ne sera possible relativement aux usures, petits accidents, restaurations d’usage et mesures de conservation. Les estimations sont susceptibles d’être modifiées jusqu’à l’ouverture des enchères. DÉROULEMENT DES ENCHÈRES Tout personne est admise à enchérir sur le tableau en adhérant aux présentes conditions de vente et sous la seule réserve d’avoir au préalable justifié de sa solvabilité dans le cadre de l’inscription requise.

Conditions de vente 157


Les enchères sont conduites en euros. Le commissaire-priseur a la police de la vente. Il est maître du déroulement des enchères et fixe librement les paliers d’enchères. Il peut retirer le tableau dans l’intérêt du vendeur. En cas de double enchères, priorité sera donnée le cas échéant à celle de la salle. À défaut, le commissaire-priseur reprendra les enchères de manière à départager les enchérisseurs. La société MARC LABARBE ni son commissaire-priseur ne sont responsables des incidents techniques susceptibles d’affecter le déroulement des enchères. Les enchères peuvent être portées de différentes manières. Elles supposent nécessairement une inscription préalable. Les enchères peuvent être portées en salle. Elles peuvent également l’être par téléphone. Elles peuvent enfin l’être au moyen d’un ordre d’achat écrit. Enchères en salle Pour pouvoir enchérir en salle, il est nécessaire lors de votre inscription de demander un panonceau personnel, porteur d’un numéro identifiant l’enchérisseur. Enchères téléphoniques Pour pouvoir enchérir par téléphone, il convient de réserver une ligne téléphonique, dans la limite du nombre de lignes disponibles. Il s’agit d’une facilité destinée à permettre aux personnes qui ne peuvent être présentes en salle d’enchérir. La société MARC LABARBE ne peut garantir l’efficience de cette modalité d’enchères et ne peut être tenue pour responsable pour n’avoir pu joindre la personne inscrite par téléphone pour quelque raison que ce soit. Dans le seul but d’assurer la sécurité de l’opération, les conversations téléphoniques sont susceptibles d’être enregistrées et conservées par la société MARC LABARBE pour les seuls besoins de la vente et de ses suites. Enchères par représentant Il est possible d’enchérir par l’intermédiaire d’un représentant dument déclaré. Toute personne est personnellement responsable de l’enchère qu’elle porte. Celle qui s’inscrit pour le compte d’un tiers doit justifier à l’occasion de son inscription être titulaire d’un mandat écrit spécial l’y habilitant, qui devra être remis en original à la société MARC LABARBE. Même en ce cas, la personne qui porte l’enchère est solidairement responsable de son enchère avec le tiers qu’elle déclare représenter. En cas de contestation de la personne représentée, la personne qui a porté l’enchère pourra être tenue d’en répondre seule. Ordre d’achat écrit Pour pouvoir être pris en compte, un ordre d’achat écrit doit nécessairement mentionner un montant maximal d’enchère, expressément exprimé en toutes lettres et en chiffres. La société MARC LABARBE exécutera l’ordre d’achat en faisant tous les efforts possible afin d’acquérir le bien au plus bas montant possible, sans jamais dépasser la limite prévue. ADJUDICATION L’adjudicataire est la personne qui a porté la plus haute et dernière enchère constatée par le commissaire-priseur de ventes volontaires. Il est dès

158 Conditions de vente

l’adjudication prononcée propriétaire du tableau et tenu des obligations de l’acheteur. Le procès-verbal signé du commissaire-priseur est irrévocablement réputé faire foi de l’adjudication en tous ses éléments à l’égard du public. Dès l’adjudication, le tableau est aux risques et sous l’entière responsabilité de l’adjudicataire. L’adjudicataire est lui-même chargé de faire assurer son acquisition, et la société MARC LABARBE décline toute responsabilité quant aux dommages que le tableau pourrait encourir, et ceci dès l’acquisition prononcée. PRÉEMPTION L’État français peut exercer un droit de préemption sur les œuvres d’art mises en vente publique. L’État se substitue alors au dernier enchérisseur en formulant sa déclaration auprès du commissaire-priseur aussitôt l’adjudication prononcée. Pour être effective, la décision de préemption doit être confirmée dans un délai de quinze jours. PAIEMENT Aussitôt l’adjudication effectuée, l’adjudicataire est de plein droit redevable de toutes sommes à sa charge à savoir le prix au marteau, augmentée de la commission acheteur fixée à 20% hors taxes du prix au marteau, et de toutes taxes, droits ou frais dus par celui-ci. L’intégralité des sommes dues par l’adjudicataire est payable au comptant, c’est-à-dire sans délai. L’adresse de facturation est celle communiquée par l’adjudicataire et figurant à son dossier d’inscription. Ni le nom de la personne inscrite ni son adresse ne pourront être modifiés après l’adjudication. L’adjudicataire payera en euros et pourra y procéder par virement bancaire, par chèque de banque ou chèque. Un paiement en espèces n’est en l’occurrence pas possible dès lors qu’il n’est possible de payer en espèces que jusqu’à 1 000 € (sauf si l’adjudicataire justifie qu’il n’a pas son domicile fiscal sur le territoire français et qu’il n’agit pas pour les besoins d’une activité professionnelle auquel cas il peut payer en espèces jusqu’à 15 000 euros). La société MARC LABARBE est adhérente au Registre central de prévention des impayés des Commissaires-Priseurs auprès duquel les incidents de paiement sont susceptibles d’inscription. Les droits d’accès, de rectification et d’opposition pour motif légitime sont à exercer par le débiteur concerné auprès du Symev (15 rue Freycinet 75016 Paris). La TVA en vigueur au jour de la vacation est perçue sur la marge : elle est assise sur le montant de la commission acheteur. La TVA applicable en France est actuellement de 20%. La TVA est de droit ajoutée au montant de ladite commission et ne ressortira pas sur le bordereau d’adjudication émis au nom de l’adjudicataire. La TVA pourra être remboursée aux conditions suivantes : Si l’adjudicataire est un professionnel ressortant d’un autre pays de l’Union européenne et disposant d’un numéro de TVA intracommunautaire, il lui appartient dans le mois suivant la date de la vente de justifier à la société MARC LABARBE de cette immatriculation et de tous justificatifs appropriés du transport effectif des biens de France vers un autre État membre, selon les modalités administratives et fiscales applicables.

Conditions de vente 159


Si l’adjudicataire est non-résident de l’Union européenne, la TVA sur la marge sera remboursée pour autant qu’il ait fait parvenir à la société MARC LABARBE l’exemplaire du document d’exportation, visé par les douanes au recto et au verso, et que l’exportation du tableau soit effectivement intervenue dans un délai de deux mois à compter de la date de la vente aux enchères. DÉLIVRANCE DU TABLEAU Il appartient à l’adjudicataire de prendre possession du tableau dans les meilleurs délais à la suite de l’adjudication dont il est bénéficiaire et de son paiement. La remise effective du tableau à l’adjudicataire ne pourra intervenir qu’après complet paiement de toutes sommes dues par lui, notamment le prix d’adjudication augmenté de la commission à sa charge, et toutes taxes, droits ou frais applicables. L’attention des enchérisseurs est attirée sur le fait que le tableau ne pourra être délivré qu’après l’encaissement définitif et irrévocable de l’intégralité des sommes dues selon les conditions applicables, encaissement qui peut prendre de plusieurs jours à plusieurs semaines. L’adjudicataire est seul responsable du moyen de paiement qu’il retient et dont dépend le délai de délivrance. La société MARC LABARBE se réserve d’entreposer le tableau en tout endroit sécurisé de son choix, aux frais, risques et périls de l’adjudicataire. En toutes hypothèses, l’adjudicataire sera de plein droit redevable des frais de magasinage et d’assurance postérieurs à l’adjudication. Le tableau sera remis à l’adjudicataire, ou à toute personne mandatée par lui à cette fin et justifiant d’une procuration spéciale l’y habilitant, au lieu désigné par la société MARC LABARBE. L’enlèvement du tableau a lieu aux frais et sous la responsabilité de l’adjudicataire. EXÉCUTION FORCÉE – RÉSOLUTION DE PLEIN DROIT – RÉITÉRATION DES ENCHÈRES En cas de défaillance de paiement par l’adjudicataire, la société MARC LABARBE lui adressera une mise en demeure. Si celle-ci reste infructueuse : le vendeur pourra choisir de remettre en vente le bien sur réitération d’enchère. Le tableau sera alors présenté à nouveau aux enchères. Si le prix atteint par le tableau lors de cette nouvelle vente est inférieur au prix atteint lors de l’enchère qui n’a pas été honorée, le premier adjudicataire défaillant sera tenu de payer la différence entre l’enchère initiale et la nouvelle enchère, en ce compris toute différence dans le montant de la commission d’achat ainsi que la TVA applicable, augmentée de tous les frais résultant de la remise en vente ; si le vendeur n’opte pas dans le délai de trois mois suivant la date de la vente, pour la remise en vente du tableau sur réitération d’enchère, la société MARC LABARBE pourra sans préjudice de tous les droits dont dispose le vendeur en vertu de la loi soit notifier à l’acquéreur défaillant la résolution de plein droit de la vente (la vente sera alors résolue et l’adjudicataire défaillant sera tenu à dommages-intérêts), soit poursuivre l’exécution forcée de la vente et le paiement du prix d’adjudication augmenté de tous les frais, commission et taxes à sa charge.

160 Conditions de vente

En toutes hypothèses, le montant de la garantie souscrite sera acquis à la société MARC LABARBE conformément à l’engagement souscrit lors de l’inscription. FORMALITÉS DOUANIÈRES L’exportation de tout bien hors du territoire national ou l’importation dans un autre pays peut être soumise à l’obtention d’autorisations d’exporter ou d’importer. Il incombe à l’acheteur d’obtenir toute licence et/ou certificat d’exportation ou d’importation, ainsi que toute autre documentation requise. Il est rappelé aux enchérisseurs que le tableau est payable au comptant. Le fait qu’une autorisation requise soit refusée ou que l’obtention d’une telle autorisation prenne du retard ne pourra en aucun cas justifier ni l’annulation de la vente, ni aucun retard dans le paiement du montant total dû. Le certificat d’exportation pour un bien culturel a été délivré par le service compétent du Ministère de la Culture pour le tableau. Il sera remis à l’adjudicataire avec celui-ci. DROIT APPLICABLE ET COMPÉTENCE JURIDICTIONNELLE Le simple fait de s’inscrire suppose l’acceptation des présentes conditions générales et la reconnaissance que le droit français est seul applicable, ce que tout enchérisseur admet expressément. Tout litige portant sur l’interprétation, la validité ou l’exécution de la vente aux enchères du tableau sera, en l’absence de solution amiable, de la compétence des Tribunaux de Toulouse. Si l’une des clauses des présentes conditions générales était déclarée nulle ou inapplicable, cela n’affectera pas la validité des autres clauses qui demeureront applicables en vertu d’un principe d’indépendance des unes à l’égard des autres. En cas de divergence entre la version française des présentes et une version dans une autre langue, la version française fait foi. Toute action en responsabilité à l’égard de la société MARC LABARBE et de l’expert, ERIC TURQUIN EXPERTISE SAS, se prescrit par cinq ans à compter de l’adjudication.

Conditions de vente 161


Crédits photographiques et copyrights

Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Judith et Holopherne, © Cabinet Turquin, photo © Droits Réservés : couverture, recto et verso ; pp. 6-7 ; pp. 10-11 ; p. 12 ; p. 15 ; p. 17 ; p. 18 ; p. 21 ; pp. 22-23 ; dépliant recto et verso ; p. 36 fig. 7 ; p. 37 fig. 8 ; p. 38, fig. 11, fig. 12 ; p. 39, fig. 14 ; p. 42, fig. 18, fig. 19 ; p. 43, fig. 20 ; p. 44, fig. 21 ; p. 45 : fig. 22 ; p. 47, fig. 25 ; p. 49, fig. 28 ; p. 51, fig. 30 ; p. 53, fig. 33 ; p. 67 ; pp. 6869 ; p. 70 ; pp. 92-93 ; p. 94 ; pp. 100-101 ; pp. 108109 ; p. 110 ; pp. 114-115 ; pp. 116-117, fig. 2 ; p. 120 ; pp. 126-127 ; p. 128 ; p. 130, fig. 1, fig. 2, fig. 3 ; p. 132 ; fig. 1 ; p. 135 ; p. 136 ; p. 139 ; p. 140 ; p. 143 ; p. 145 ; pp. 150-151 ; pp. 154-155 ; p. 163. Ottavio Leoni (1578-1630), Portrait de Caravage, 1621, Biblioteca Marucelliana, Florence © Fine Art Images / Archivi Alinari, Florence, photo © Fine Art Images : p. 8. Extrait de lettre de Frans Pourbus au duc de Mantoue, 1607 © Archives de Mantoue, E.XXV : p. 32, fig. 1. Extrait du testament de Louis Finson, 1617 © Archief.Amsterdam : p. 34, fig. 5. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), La Madone du Rosaire, 1604-1606 © KHM-Museumsverband, photo © Droits Réservés : p. 35, fig. 2. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), La Mort de la Vierge, 16051606 © Musée du Louvre, Paris, RMN GrandPalais, photo © Droits Réservés : p. 35, fig. 3.

Louis Finson (vers 1580-1617), Autoportrait, BA464 © Ville de Marseille, Dist. RMN-Grand Palais / Jean Bernard Marseille, musée des Beaux-Arts, Palais Longchamp, RMN : p. 35, fig. 4. Louis Finson (vers 1580-1617), Judith et Holopherne, environ 1607 © Galleria d’Italia – Palazzo Zevallos Stigliano, collection Intesa Sanpaolo, Naples : p. 36, fig. 6 ; p. 38, fig. 9, fig. 10 ; p. 39, fig. 13 ; p. 45, fig. 23 ; p. 46, fig. 24. Louis Finson (vers 1580-1617), Madeleine en extase, copie de La Madeleine en extase (d’après) le Caravage (dit) (vers 1571-1610) © Ville de Marseille, Dist. RMN-Grand Palais / Gérard Bonnet-Magellan : p. 40, fig. 15. Louis Finson (vers 1580-1617), Samson et Dalila, Marseille, musée des Beaux-Arts © Ville de Marseille, Dist. RMN-Grand Palais / Jean Schormans : p. 40, fig. 16. Louis Finson (vers 1580-1617), Les Quatre Éléments, Houston, Museum of Fine Art © Sarah Campbell Blaffer Foundation, Houston : p. 41, fig. 17. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), La Flagellation du Christ © Museo Nazionale di Capodimonte, Naples, photo © Droits Réservés : p. 48, fig. 26. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), La Flagellation du Christ

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© Musée des Beaux-Arts, Rouen, photo © Droits Réservés : p. 48, fig. 27 ; p. 57, fig. 27. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Judith et Holopherne © Galleria Nazionale d’Arte, Palazzo Barberini, Rome, photo © Droits Réservés : p. 50, fig. 29 ; p. 51, fig. 31 ; p. 52, fig. 32 ; p. 86, fig. 20. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste © National Gallery, Londres, photo © Droits Réservés : p. 58, fig. 34. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Portrait d’un chevalier de l’ordre de Malte © Palazzo Pitti, Galerie Palatine, Florence, inv n°776, photo © Droits Réservés : p. 59, fig. 35. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Saint François méditant © Pinacoteca Civica, Cremone, photo © Droits Réservés : p. 60, fig. 36. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), La Conversion de MarieMadeleine © Detroit, The Detroit Institute of Arts, photo © Droits Réservés : p. 61, fig. 37. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Le Reniement de saint Pierre © The Metropolitan Museum of Art, New York City, photo © Droits Réservés : p. 62, fig. 38. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Le Martyre de saint André, 1606-1607 © Cleveland, Ohio, The Cleveland Museum of Art, Leonard C. Hanna, Jr. Fund 1976.2, photo © Droits Réservés : p. 63, fig. 39. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), L’Arrestation du Christ ©Dublin, National Gallery, inv.14702, photo ©Droits Réservés : p. 64, fig. 40. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Les Tricheurs © Kimbell Art Museum, Fort Worth, Texas, Dist. RMN-Grand Palais/ image Kimbell Museum : p. 65, fig. 41. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Le Martyre de sainte Ursule © Galleria d’Italia – Palazzo Zevallos Stigliano, collection Intesa Sanpaolo, Naples, photo © Droits Réservés : p. 66, fig. 42.

Judith conduite devant Holopherne, Acre, vers 1260-1270, BM Dijon, Ms 562, f.151v ©BM DijonCliché : IRHT-CNRS : p. 74, fig. 3.

Attribué à Nicolas de Hoey (1547-1611), Le Triomphe de Judith © Château d’Ancy-leFranc : p. 84, fig. 17.

Le Banquet d’Holopherne, Cîteaux, vers 1100, BM Dijon, Ms 14, f.158 © BM Dijon-Cliché : IRHT-CNRS : p. 74, fig. 4.

Harmensz van Rijn Rembrandt (1606-1669), Judith au banquet d’Holopherne © Madrid, Museo Nacional del Prado, Dist.RMN-GP / image du Prado : p. 85, fig. 18.

Giorgio Vasari (1511-1574), Judith et Holopherne © Saint Louis Art Museum, Friends Fund and funds given in honor of Betty Greenfield Grossman, 2:1982 : p. 75, fig. 5. Jacques Stella (1596-1657), Judith et la tête d’Holopherne © Cabinet Turquin, photo © Droits Réservés : p. 75, fig. 6. Salomon de Bray (1597-1664), Judith offrant la tête d’Holopherne, © Museo Nacional del Prado, Madrid, Dist. RMN-Grand Palais/image du Prado : p. 77, fig. 7. Francesco Curradi (1570-1661), Le Triomphe de Judith © Toulouse, musée des Augustins, © photo Daniel Martin : p. 77, fig. 8. Ambrogio Lorenzetti (vers 1290-1348), Allégorie du Bon Gouvernement, 1338-1348, détail © Archivi Alinari, Firenze : p. 78, fig. 9. Vierge Marie combattant Satan et Mort d’Holopherne, Speculum salvationis Humanae, Latin 511, fol. 30v, Paris, © BnF : p. 78, fig. 10. Giorgione (1477-1510), Judith, 1504 musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg © C. Alexei/ Iberfoto/Alinari Archives, Florence : p. 79, fig. 11. Copie d’après Ambrosius Benson, Judith, Ville de Grenoble / Musée de Grenoble – J.-L. Lacroix : p. 79, fig. 12. Lucas Cranach (1472-1553), Portrait de dame en Judith, Kunsthistorisches Museum, Vienne © KHM-Museumsverband, Vienne : p. 80, fig. 13. Donato di Niccolo di Betto Bardi dit Donatello (vers 1386-1466), Judith et Holopherne, 14451460, Palazzo Vecchio, Florence © Archives Alinari, Florence, Dist. RMN-Grand Palais / Raffaello Bencini : p. 80, fig. 14.

Lettrine d’Arphaxad, Lyon ?, vers 1275-1300 © Bibliothèque municipale de Lyon, ms 411, f.17-Cliché : IRHT-CNRS : p. 72, fig. 1.

Sandro Botticelli (1444/1445-1510), La Découverte du cadavre d’Holopherne et Le Retour de Judith, 1472-1473, galleria degli Uffizzi, Florence © Archives Alinari, Florence, Dist. RMN-Grand Palais / Nicola Lorusso CSE Alinari Archives, Florence : p. 81, fig. 15.

Holopherne et son armée chevauchant vers Béthulie, Espagne, 1197 © Cliché : IRHT-CNRS, Bibliothèques d’Amiens Métropole, Manuscrit 0108, f.143v : p. 72, fig. 2.

Michel-Ange (1475-1564), Judith et sa servante, Zacharie, David et Goliath, chapelle Sixtine, Vatican, Foto © Musei Vaticani : pp. 82-83, fig. 16.

164 Crédits photographiques

Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), La Décollation de saint JeanBaptiste, cathédrale Saint-Jean, La Valette, Malte, photo© Archives Alinari, Florence, Dist.RMN-Grand Palais/Raffaello Bencini : p. 137, fig. 5.

Paolo Calliari dit Véronèse (1528-1588), Judith et Holopherne ©Musée des Beaux-Arts de Caen © Photo M. Seyve : p. 85, fig. 19.

Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), La Cène à Emmaüs, Pinacoteca di Brera, Milan, photo© Archives Alinari, Florence, Dist.RMN-Grand Palais/ Raffaello Bencini : p. 137, fig. 6.

Artemisia Gentileschi (1593-vers 1654), Judith et Holopherne, 1625-1630, Naples, Museo Nazionale di Capodimonte © Archives Alinari, Florence, Dist. RMN-Grand Palais / Luciano Pedicini : p. 89, fig. 21.

Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Portrait d’Alof de Wignacourt © Musée du Louvre, Paris, photo © RMNGrand Palais (musée du Louvre)/Mathieu Rabeau : p. 138, fig. 7.

Artemisia Gentileschi (1593-vers 1654), Judith et Holopherne, galleria degli Uffizzi, Florence : p. 90, fig. 22.

Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Portrait d’une courtisane (Fillide Melandroni), tableau détruit au Kaiser Friedrich Museum, Berlin en 1945 © Fototeca Zeri : p. 141, fig. 8.

Valentin de Boulogne (1591-1633), Judith et Holopherne, La Valette, National Museum of Fine Arts © 2019. SCALA, Florence : p. 90, fig. 23. Maître de l’Incrédulité de saint Thomas (Jean Ducamps ?), actif à Rome au xviie siècle, Judith et Holopherne, © Foto Archivio dell’Arte - Luciano e Marco Pedicini fotografi, Courtesy: Porcini : p. 91, fig 24. Filippo Vitale (1589/1590-1650), Judith et Holopherne, collection privée, Paris, courtesy Maurizio Nobile, CREDITO FOTOGRAFICO © STEFANO MARTELLI – STUDIO BLOW UP : p. 91, fig. 25. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Le Couronnement d’épines, Kunsthistorisches Museum, Vienne © KHMMuseumsverband, Vienne : p. 116, fig. 3.

Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Marie-Madeleine repentante, Palazzo Doria-Pamphilj, Rome © DeA Picture Library, licensed by Alinari Photographer: Pirozzi V. De Agostini Picture Library : p. 142, fig. 9. © Droits Réservés : p.15, fig. 1, fig. 2 ; p. 37, fig. 8. L’étude Marc Labarbe, le Cabinet Turquin et l’éditeur tiennent à remercier les musées, galeries, archives et photographes pour leur aimable autorisation de reproduire les œuvres qui figurent dans ce livre. L’étude Marc Labarbe, le Cabinet Turquin et l’éditeur ont mis tout en œuvre pour contacter les détenteurs de droits, mais si certains ont été oubliés par mégarde, ils se hâteront de réparer l’erreur à la première occasion.

Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Sainte Catherine d’Alexandrie © Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid, photo © Droits Réservés : p. 116, fig. 4. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste © National Gallery, Londres, photo © Droits Réservés : p. 133, fig. 2. Michelangelo Merisi Caravaggio, dit Caravage (vers 1571-1610), Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste © Palacio Real, Madrid : p. 133, fig. 3. Michelangelo Merisi Caravaggio dit Caravage (vers 1571-1610), Les Sept Œuvres de Miséricorde, Pio Monte della Misericordia, Naples © 2019. Photo SCALA, Florence : p. 134, fig. 4 ; p. 144, fig. 10.

Crédits photographiques 165


Taille des illustrations : Les pourcentages d’agrandissement ou de réduction par rapport à la taille réelle du tableau ont été arrondis. Couverture : 40 % de réduction 4e de couverture : 90% de réduction Avant 4e de couverture (drapé) : 50 % de réduction Verso de la couverture (nœud rouge) : 40 % de réduction pp. 6-7 : 50 % de réduction pp. 10-11 : 100 % d’agrandissement p. 12 : 40 % de réduction p. 15 : 95 % de réduction p. 17 : 100 % d’agrandissement p. 18 : 40 % de réduction p. 21 : taille réelle pp. 22–23 : 40 % de réduction pp. 26-27 (tableau et châssis) : 85 % de réduction p. 38 (fig. 11-12) : 50 % de réduction p. 39 (fig. 14) : 50 % de réduction p. 42 (fig. 18) : 60 % de réduction p. 43 : 65 % d’agrandissement p. 44 : 45 % d’agrandissement p. 47 : 75 % de réduction p. 49 : 40 % de réduction p. 51 (fig. 30) : 30 % de réduction

p. 53 : 50 % de réduction p. 67 : 40 % de réduction pp. 68-69 : 40 % de réduction p. 70 : 60 % de réduction pp. 92-93 : 40 % de réduction p. 94 : 50 % de réduction pp. 100-101 : 30 % de réduction pp. 108-109 : 30 % de réduction p. 110 : 400 % d’agrandissement p. 115 : 85 % de réduction p. 117 : 85 % de réduction p. 120 : 700 % d’agrandissement pp. 126-127 : 45 % d’agrandissement p. 130 : 95 % de réduction p. 132 : 60 % de réduction p. 135 : 50 % de réduction p. 136 : 40 % de réduction p. 139 : 45 % de réduction p. 140 : 110 % d’agrandissement p. 143 : 65 % d’agrandissement p. 145 : 40 % de réduction pp. 150-151 : 150 % agrandissement pp. 154-155 : 140 % d’agrandissement p. 162 : 20 % d’agrandissement

Notes de traductions : • La Judith de Toulouse, Nicola Spinosa : traduit du texte original en italien qui doit être considéré comme la version faisant foi.

• Analyses scientifiques, Claudio Falcucci : traduit du texte original en italien qui doit être considéré comme la version faisant foi.

• Caravage : histoire de l’art et connoisseurship, Keith Christiansen : traduit du texte original en anglais qui doit être considéré comme la version faisant foi.

• Lecture des analyses scientifiques, Rossella Vodret : traduit du texte original en italien qui doit être considéré comme la version faisant foi.

• Journée d'étude à la Brera : traduit du texte original en anglais qui doit être considéré comme la version faisant foi.

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CATALOGUE Maître Marc Labarbe Hôtel des ventes Saint-Aubin 3, boulevard Michelet 31000 Toulouse 05 61 23 58 78 contact@marclabarbe.com www.thetoulousecaravaggio.com Cabinet Turquin 69 rue Sainte-Anne 75002 Paris 01 47 03 48 78 eric.turquin@turquin.fr Identité graphique et couverture par Artcento

Ce catalogue est diffusé par LA TABLE RONDE

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Ce catalogue a été réalisé par l’équipe du département des partenariats éditoriaux Flammarion Henri Julien et Lucie Baudin partenariats@flammarion.fr Conception graphique Nolwen Lauzanne Correction Aurélie Sallandrouze Fabrication Corinne Trovarelli Photogravure Arciel

© Étude Marc Labarbe © Éditions de La Table Ronde, Paris 2019 N° d’édition : 355648 ISBN : 9791037104540 Dépôt légal : avril 2019 Cet ouvrage a été achevé d’imprimer en avril 2019 sur les presses de Graphius, Belgique


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