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JANVIER 2017 #32

LOLA CRETON

SABRINA OUaZANI

LIANE FOLY / LANGEVIN / PETER HENRY PHILLIPS / CHRISTOPHE BEAUGRAND / CHARLOTTE VALANDREY /


CONTRIBUTEURS

FONDATEUR, DIRECTEUR DE LA REDACTION, REDACTEUR EN CHEF CINEMA & DIRECTEUR DE LA CREATION FR A NCOIS BERTHIER REDACTEUR EN CHEF, REDACTEUR EN CHEF MUSIQUE DINE DELCROIX RÉDACTRICE EN CHEF BEAUTE AUR IA NE BESSON JOUR NALISTES Dine Delcroi x, François Berthier. PHOTOGR APHES François Berthier, Florian Fromentin, Martin Lagardère Nicolas Larrière, Anthony Gomes PRODUCTION PHOTO Dine Delcroix + François Berthier PHOTO DE COU V’ François Berthier Robe noire avec liseret rouge Alon livne CONTACT R EDACTION/PUB theblindmagazine@gmail.com

The BlindMagazine est édité par la société Ten Feet Under / Tous les textes et photos sont soumis par leurs auteurs qui acceptent leur publication et n’engagent que leur responsabilité.



EDITO #29 EDITO#32

Chers lecteurs, chères lectrices, 2017 est une année qui s’annonce riche en changements et en actualités variées. Chaque mois de celle-ci, nous ferons en sorte de mettre en lumière tout ce que vous avez besoin de savoir en prenant soin de faire toujours plus de place aux nouvelles collaborations, aux nouveaux talents à suivre et aux nouveaux noms à retenir. Le reste ne compte pas. Bonne lecture ! L’équipe TheBlindMagazine



JANVIER 2017

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10 L’instant Live

46 CHRISTOPHE BEAUGRAND

10 PETER HENRY PHILLIPS

54 CHARLOTTE VALANDREY

18 LIANE FOLY

62 En couverture SABRINA OUAZANI

26 LANGEVIN 36 LOLA CRETON

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72 La fille qui rend Blind MARGOT BANCILHON



L’INSTANT Live L’instant LIVE

OneRepublic @Le Trianon, Paris 16 dEcembre 2016 Texte : Dine Delcroix / Photo : Boby

Le 16 décembre 2016, OneRepublic était de passage à Paris pour un concert privé au Trianon. Organisé par HP Lounge, cet évènement exceptionnel était l’occasion unique de voir ces artistes américains sur une scène française. Les quelques privilégiés présents ont ainsi eu le plaisir de découvrir en live des morceaux extraits de « Oh My My », le quatrième album du groupe paru en Octobre 2016 et de réécouter les tubes qui ont fait son succès dont Wherever I Go et Apologize. Un instant live rare comme on les aime.



DECOUVERTE MUSIQUE

Peter Henry Phillips

s’est frayé un chemin dans la musique en accompagnant de nombreux artistes sur scène (Jorane, Lewis Furey…), en réalisant plusieurs albums pour d’autres (Sebastien Lacombe, Philippe Brach…) et en composant des bandes originales de films et d’émissions (Le règne de la beauté, Deux flics sur les docks…). C’est aujourd’hui au profit de son propre projet solo que ce canadien met en pratique ses talents d’auteur, compositeur, interprète et multi-instrumentiste. En résulte The Origin, un premier album à la folk très aboutie paru en septembre 2015 au Canada et déjà salué par la critique. Le disque est disponible en France depuis le 20 janvier 2017 et ce n’est qu’un début.


PETER HENRY PHILLIPS Interview : Dine Delcroix

Photos : Antony Gomes assisté par Alexandre de Croupigny


BLIND TEST PETER HENRY PHILLIPS

Ton secret de beauté ? Quand je suis sur scène, j’utilise parfois du maquillage parce qu’il n’y a rien de plus gênant que d’avoir une photo prise par un fan pour les réseaux sociaux sur laquelle on est tout rouge. Mon autre se-

Ta Madeleine de Proust ? Les biscuits David à l’érable trempés

cret de beauté, c’est ma femme qui m’habille.

dans le lait.

Ton antistress ? Le film qui raconte ta vie ? (500) Days of Summer de Marc Webb parce que je suis un grand romantique. Des fois, on a une idée de l’amour et on se fait mal avec un rien.

La

respiration.

C’est

important

de

prendre conscience de notre respiration, de notre corps, comme un genre de mini-méditation n’importe où et n’importe quand. Cela permet d’aller voir à l’intérieur et de calmer des peurs irrationnelles.

Ton livre de chevet ? Du cœur à l’établi de Michel-Olivier Gasse. Cela parle d’un réparateur de guitares et de son amitié avec un vieux militaire qui n’est pas heureux. Je lisais énormément quand j’étais plus jeune mais j’ai beaucoup délaissé la lecture pour l’écriture, ces derniers années. Là, je m’y remets.

La tendance mode que tu détestes ? Le « Lumbersexuel », ce nouveau terme après le Hipster désignant l’homme qui porte une barbe avec une chemise à carreaux de bûcheron. Je trouve cela très drôle d’adopter ce look sans jamais tenir de scie mécanique (rires).




Le détail chic pour toi ?

Le compliment qui t’énerve le plus ?

Les souliers. Les bottes sont de beaux

Quand les journaux me comparent au

accessoires.

groupe Half Moon Run. Je ne comprends vraiment pas la comparaison mais cela reste un compliment parce que ce sont des artistes que j’aime beaucoup.

Ta série du moment ? The OA sur Netflix. C’est génial ! J’ai dévoré cette série en deux jours.

Le pays où tu pourrais immigrer ? Je pourrais déménager dans le Sud de la France.

Ta chanson pour te sentir bien ? All My Friends de LCD Soundsystem. Tout l’album Sound of Silver me met de bonne humeur.

Un autre métier qui t’aurait plu ? Quand j’étais petit, je voulais être neurochirurgien ou avocat mais j’aimais trop la musique. Mes parents m’avaient mis en tête qu’il fallait que je fasse mes sciences

Ton proverbe fétiche ?

si je voulais gagner ma vie mais, à un certain moment, ils ont réalisé que j’allais

« Le moins est le mieux. ».

pouvoir faire mon chemin dans la musique et être capable d’en vivre.

L’insulte que tu préfères ? Je n’aime pas les insultes et je crois que

Qui inviterais-tu à ton dîner idéal ?

je n’insulte pas (rires). Je ne m’énerve ja-

J’aimerais bien dîner avec le composi-

mais.

teur de musique contemporaine Philip Glass et avec Jim Morrison.

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Le défaut que doit avoir une personne pour te séduire ?

La question qu’on ne doit pas te poser ? Je suis ouvert à tout ! Je suis toujours prêt

Moi j’aime bien les gens qui sont mala-

à discuter, toujours prêt à essayer d’éla-

droits. J’adore la maladresse ! Cela crée

borer dans mes capacités. Cela dépend

du mouvement, des évènements.

toujours de la manière dont c’est demandé. Toute question n’est pas bonne à poser. Au Québec, on dit « Pose pas de question si tu veux pas de menteries » (rires).

Le cadeau que tu rêves d’offrir ? Un nouveau président pour les ÉtatsUnis. Hilary Clinton aurait dû démissionner pour donner sa place à Bernie Sanders qui, lui, aurait battu Donald Trump.

Libé ou le Le Figaro ? Libé.

Le disque que tu as honte d’avoir acheté ? Je n’ai pas tant honte mais, ma première cassette, c’était l’album Slippery When Wet de Bon Jovi.

Le talent que tu aimerais avoir ? J’aimerais être danseur.


DECOUVERTE MUSIQUE


LIANE FOLY PAR Dine Delcroix / Photos : DR.

Après

huit années d’absence musicale, Liane Foly a fait son retour dans les bacs l’an dernier avec Crooneuse, un album de reprises sur lequel elle s’approprie de grands titres de la chanson française, allant de Léo Ferré à Johnny Hallyday en passant par Michel Jonasz. En attendant son Crooneuse Tour qui passera par le Casino de Paris le 1er octobre 2017, l’artiste aux multiples facettes sera dès le 15 mars 2017 à l’affiche de Chacun sa vie, le nouveau film de Claude Lelouch.


BLIND TRUTH - LIANE FOLY

Si tu avais une baguette magique, que changerais-tu ? Je trouverais le remède contre toutes les maladies et je nous ferais vivre un peu plus longtemps parce que je trouve qu’on ne vit pas assez pour développer tout ce qu’on doit développer. 150 ans !

Lorsque tu te regardes dans la glace le matin, que te dis-tu ? Cela dépend de ce que j’ai fait la veille

Si tu devais emporter une seule chose sur une

(rires). En général, je suis bienveillante.

île déserte, laquelle serait-ce ?

Une journée commence par le réveil et par le premier regard dans une glace. Au-

Ce serait un livre… Robinson Crusoé (rires).

jourd’hui, je me trouve assez en accord avec ce que je suis et ce que j’ai à l’intérieur, justement. Cela a pris du temps mais je crois que plus les années passent et plus je me rapproche de moi-même. J’ai tout fait pour. Je n’ai jamais perdu de vue la femme, en tout cas. J’ai tendance à bien séparer la femme de l’artiste.

Quelle super héroïne aurais-tu aimé être ? Alexandra David-Néel qui était une merveilleuse écrivaine et journaliste. C’est la première femme qui a marché dans la cité interdite à Lhassa, qui a intellectualisé toutes les religions, qui parlait onze langues… Je l’adore depuis très

À qui voulais-tu ressembler quand tu étais enfant ?

22 ans et j’ai lu tout son parcours. Il y a d’ailleurs une fondation Alexandra Da-

Enfant, je voulais ressembler à Cathe-

vid-Néel qui existe là où elle habitait, à

rine Deneuve. J’étais Peau d’âne. Puis,

Digne-les-Bains. C’est une fondation qui

adolescents, c’était plutôt des femmes de

ouvre des écoles au Tibet et qui aide les

caractères comme Marie Curie, Alexan-

gens. J’aime beaucoup cet endroit. Je

dra David-Néel, Camille Claudel, George

m’y ressource.

Sand… Des femmes qui ont fait de vrais choix dans leur vie.

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longtemps. Je l’ai découverte à l’âge de




Quel pouvoir magique aimerais-tu avoir ? J’aurais adoré bien dessiner. J’ai toujours souffert à l’école parce que je dessinais très mal. La seule chose que je fais de mes mains, c’est la cuisine mais je suis tellement maladroite pour le reste...

de tout dans ce magasin, y compris des jouets. Dans les quartier, avec mon frère, on voyait bien que les parents venaient acheter des trucs avant Noël donc on a compris de nous-mêmes. Je l’ai su vers l’âge de 8 ou 9 ans mais il ne fallait rien dire par rapport à mon frère qui était plus petit de 4 ans.

Quel prénom aurais tu-aimé porter ? Quand j’étais petite, j’avais vu « La belle au bois dormant ». Mes parents m’avaient pris la panoplie de la princesse et son nom était écrit en argenté sur la jupe

Que peux-tu me dire de négatif sur toi ? Je suis excessive, impatiente, rancunière, soupe au lait et pas mal de trucs encore.

alors je n’arrêtais pas de leur dire « Pourquoi vous ne m’avez pas appelée Aurore ? » (rires). Et de positif ? Je suis généreuse, amoureuse dans tout, bienveillante, disciplinée et je sais écouQue peut-on entendre comme message d’ac-

ter quand on me parle dans le sens où

cueil sur ta boite vocale téléphonique ?

j’accepte les débats et les critiques.

Quelque chose de sobre et d’assez simple. Par contre, j’ai beaucoup d’amis qui me demandent d’enregistrer leur message d’accueil avec des voix imitées.

Qui veux-tu épater le plus ? Mes parents et, maintenant qu’ils ne sont

Quand et comment as-tu cessé de croire au

plus là, je me dis qu’ils me voient quand-

père Noël ?

même. Après, je dirais mes proches…

Je m’en souviens très bien ! Mes pa-

on a des équipes qui travaillent fort, on

rents étaient commerçants. Ils avaient

a envie d’être à la hauteur. J’ai aussi be-

une droguerie, un bazar, et ils vendaient

soin de m’épater moi-même.

Les gens qui travaillent avec moi. Quand


Que ferais-tu s’il ne te restait que 24 heures

de belles émissions, de beaux films. La

à vivre ?

solitude, je l’apprivoise.

J’aimerais vivre dans la peau d’un garçon pendant 24 heures. J’ai une admiration envers les hommes. As-tu menti pendant cet entretien ? Non, jamais. Je n’ai pas appris le mensonge. C’est une question d’éducation. De quelle question aimerais-tu avoir la ré-

J’ai vécu avec des gens sincères qui disent

ponse ?

les choses telles qu’elles sont. J’aurais

« Y a-t-il un ailleurs ? Y a-t-il un après ? Les extraterrestres ? ». J’aimerais avoir une réponse, surtout dans les sciences occultes. Tout ce qu’on ne voit pas forcément me passionne. Ce qu’on ressent dans l’intuition, la télépathie, les signes qu’on reçoit...

Quel a été ton dernier instant de solitude ? En ce qui me concerne, et je pense qu’on est plusieurs en tant qu’artistes à le savoir, c’est ce déchirement à chaque fois qui se passe entre le ‘trop trop trop’ et le ‘moins moins moins’. Quand on sort de scène, quand on est applaudi, aimé, chéri, puis qu’on rentre à l’hôtel et qu’on se retrouve seul dans sa chambre. Il faut un moment pour redescendre. Cet instant-là entre le chaud et le froid est terrible mais, par moment, j’aime la solitude car on en a vraiment besoin. Tout arrêter, être tranquille, lire, pouvoir voir

pu répondre d’autres choses mais j’ai été assez sincère et c’était bien amusant, en tout cas (rires).


VINCENT MACAIGNE


PREMIERE FOIS


LANGEVIN Scientifique avant tout, Langevin s’est passionné très jeune pour la magie avant de s’y consacrer professionnellement, devenant rapidement un prodige en la matière dans son pays d’origine, le Canada. Après avoir exporté son premier spectacle en France avec deux résidences prospères au Casino de Paris, le créateur d’illusions s’apprête à partir avec le même spectacle en tournée française à partir du 9 mars 2017.

Interview : Dine Delcroix / Photos : Florian Fromentin

LANGEVIN Quand avez-vous eu envie de devenir illusionniste ? Cela remonte à quand j’étais très jeune. Je devais avoir 6 ou 7 ans la première fois que j’ai vu un magicien à la télévision et je le raconte d’ailleurs dans mon spectacle. J’ai immédiatement été fasciné lorsque j’ai vu un homme qui semblait défier les lois de la nature de façon tout à fait naturelle. J’ai tout de suite eu le désir de comprendre comment c’était possible et mon voyage dans le monde de l’illusion a commencé là. Le magicien s’appelait Michel Caillaoux. Il est décédé aujourd’hui. C’était un magicien pour enfants d’origine française et très connu au Québec, là où j’habite. Il enseignait un tour chaque semaine dans son émission à la télévision et ce sont les premiers tours que j’ai appris. Cela venait répondre à un besoin, chez moi, d’attirer l’attention des gens. J’étais un enfant très timide et je cherchais le moyen de faire en sorte qu’on s’inté-

resse à moi. Cela venait répondre aussi à un désir de compréhension. Je suis quelqu’un qui aime comprendre, qui démontait les appareils pour essayer d’en saisir le fonctionnement. C’est un désir qui m’a poussé à aller vers la science un peu plus tard mais vers la magie lorsque j’étais plus jeune C’est donc la magie qui vous a poussé vers la science… En quelque sorte. J’ai eu un intérêt pour la magie avant d’en avoir un pour la science. Lorsqu’on on est enfant et qu’on a un désir de comprendre, la magie est quelque chose de beaucoup plus accessible que la science qui est très académique, plus compliquée et plus difficile d’approche pour un enfant. Vers l’âge de 14 ou 15 ans, là où j’étais justement en mesure de commencer à apprécier un peu la science, j’ai vu dans la science une forme de magie pour personnes matures. Lorsque j’entendais parler de phénomènes physiques, cela me faisait un peu le même effet qu’un tour de magie. Cela générait les mêmes émotions en moi et c’est

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un peu de là que le désir de lier la science à la magie est venue mais la science est vraiment arrivée dans un deuxième temps. Vous avez également fait des études dans le domaine de l’optique. Comment passe-t-on de l’optique à la magie ? Ma passion la plus forte a toujours été pour l’illusion. Lorsque je devais faire un choix de cours pour mes études, j’ai appris que je ne pouvais pas aller étudier la magie donc je suis allé dans ce qui, pour moi, était le plus proche de la magie : la science. Je suis allé étudier la physique et j’essayais déjà de gagner ma vie en faisant de la magie. Je faisais des contrats corporatifs, je donnais des spectacles dans des entreprises ou des festivals. J’avais, il faut dire, de bonnes notes à l’école, aussi bien en physique qu’en mathématiques donc c’était naturel aussi pour mes parents de m’encourager à continuer mes études et à décrocher un diplôme. J’ai alors continué mes études en science un peu pour faire plaisir à mes parents même si j’aimais la physique et les mathématiques. Cela m’a amené jusqu’à étudier la physique à l’université où je me suis spécialisé en optique. Je voyais, là, une façon de créer de nouvelles illusions lorsqu’on comprend le fonctionnement de l’œil, des miroirs, des lentilles et des lasers qui sont dans le domaine de l’optique. Pourquoi l’optique, précisément ? C’était un sujet qui m’intéressait. On perçoit le monde majoritairement avec nos yeux donc je voulais comprendre, justement, comment on se crée cette perception-là de notre monde grâce à nos yeux. Cela venait répondre à des questions philosophiques même. Mon intérêt pour l’optique était un peu dans la continuité du désir de comprendre les choses qui nous entourent et, maintenant, c’est un outil formidable pour

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créer des illusions. J’ai fait une maîtrise en optique et j’ai commencé un doctorat que je n’ai pas terminé parce qu’ensuite, ma carrière d’illusionniste a pris le dessus. La magie et la science sont-elles indissociables à vos yeux ? Pour moi, oui (rires). La magie est un art qui existe depuis des siècles. Des principes scientifiques sont utilisés depuis toujours par des magiciens pour créer des illusions mais, habituellement, ils ne le mettent pas en avant et préfèrent laisser croire qu’ils ont des pouvoirs surnaturels ou qu’ils ont un don pour créer la magie qu’ils font. Moi, pour me distinguer, j’ai eu l’idée de le mettre en avant, justement, d’afficher que la science et la magie sont deux choses indissociables donc je mets mes numéros dans un contexte scientifique. Je crée aussi des numéros en prenant certains phénomènes physiques ou scientifiques méconnus par le grand public. C’est donc vraiment devenu une source d’inspiration. Un phénomène scientifique qui n’est pas connu par le grand public, lorsqu’on en fait la démonstration aux gens, s’apparente pratiquement à de la magie. Le lien entre la magie et la science se fait ainsi très facilement. Êtes-vous de nature à tout analyser ? Oui. Je suis un scientifique donc j’ai un esprit très cartésien. J’apprends à me laisser aller à des choses plus intuitives et plus émotionnelles mais, à la base, je suis quelqu’un qui décortique beaucoup. Je crois que c’est ce que doit faire un bon magicien pour créer des nouveaux numéros tout en étant capable de faire rêver et d’être emphatique avec les gens. Il faut soi-même être capable de vivre des émotions et de savoir les transmettre aux gens. J’essaye d’être équilibré mais c’est certain que je viens d’un milieu beaucoup plus cartésien et scientifique et, tranquillement, je


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fais fonctionner l’autre partie de mon cerveau à mesure que j’évolue dans le milieu de la magie. Préférez-vous être qualifié d’illusionniste ou de magicien ? Je préfère « illusionniste » puisque je n’ai pas la prétention d’avoir de vrais pouvoirs. Tout ce que je fais s’explique par des lois tout à fait naturelles. Je donne l’illusion de faire des choses extraordinaires alors que tout est naturel. C’est un reflex que j’ai développé au début de ma carrière. Au Canada, quand j’ai commencé à avoir du succès avec la magie, il y a des gens qui venaient me voir pour se faire guérir d’une maladie incurable qu’ils avaient. Les gens pensaient que j’avais de vrais pouvoir, ce qui m’a vraiment surpris. J’ai donc commencé à utiliser beaucoup plus le terme d’illusionniste pour être très honnête par rapport à ce que je fais. Je trouve que c’est encore plus impressionnant de faire quelque chose d’extraordinaire et de se dire que la personne qui le fait n’a pas de pouvoirs. Peut-on tous être illusionniste ? Je fais partie des gens qui croient que, dans la vie, tout le monde peut réussir ce qu’il veut si on met le travail qu’il faut. Je pense que le succès, à n’importe quel égard, c’est 5% de talent et 95% de travail. Dans cette optique, je crois, effectivement, que n’importe qui peut devenir illusionniste s’il est prêt à travailler pour obtenir les aptitudes et les choses requises. Pourquoi avez choisi votre nom de famille comme nom d’artiste ? C’est une raison purement marketing. On trouvait que la marque Langevin était plus forte que Luc Langevin. C’est un mot qui, esthétiquement, ressortait bien sur l’affiche. On trouvait que cela avait la même connotation que le nom d’un parfum ou qu’un

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grand cru, que cela évoquerait cette espèce de finesse ou de poésie qu’il y a dans mes tours. On voulait établir une marque forte. Vous avez exporté votre spectacle en France. Comment avez-vous vécu cette nouvelle étape dans votre carrière ? C’est euphorisant de traverser l’Atlantique et d’aller en France. C’est mon premier pas vers une carrière internationale. C’est la première fois que j’exporte ce que je fais en dehors de mon pays d’origine donc c’est la poursuite de mon rêve d’apporter de l’émerveillement à la grandeur de la planète. J’ai commencé par Paris qui est une très belle ville avec son architecture, sa notion de perspective et son souci du design. C’est un honneur. Je suis content d’avoir joué au Casino de Paris. C’est valorisant et très stimulant.

Comment faites-vous pour avoir une audience composée autant de jeunes que d’adultes ? Même si la magie que je fais est justement très rationnelle, le but est de faire rêver les gens. La science est un peu le moyen que j’ai choisi pour faire rêver un public adulte. Lorsqu’on est enfant et qu’on voit un magicien qui dit prendre sa baguette magique pour faire apparaitre ou disparaitre des choses, c’est une logique normale pour un enfant. Pour un adulte, il est plus facile de croire à un phénomène scientifique car c’est une explication qui est crédible et qui peut générer de l’émerveillement de la même manière que pour un enfant. Je cherche à faire rêver en utilisant un moyen crédible. C’est une différence de langage.

Vous échangez beaucoup avec le public durant votre spectacle. Cette proximité avec les gens qui viennent vous voir est-elle importante pour vous ? Oui. Cette proximité avec les gens, c’est ce qui


m’a fait connaître au Canada dans les émissions de télévision. Dans ces émissions, je me promenais dans des endroits publiques, je m’adressais aux gens et je leur faisais un tour avec ce qu’ils avaient sur eux donc il y avait une proximité et une communication qui se faisaient avec le public. Lorsqu’on a conçu mon spectacle sur scène, on voulait garder ce contact qui m’a fait connaître donc mon spectacle est très interactif. Je parle beaucoup aux gens, je leur explique et ils peuvent me répondre. Cela tourne souvent au rire non prémédité. C’est un spectacle où on passe par plusieurs émotions.

personne hypnotisée. C’est un peu la raison pour laquelle je n’ai pas beaucoup utilisé l’hypnose dans mes numéros mais j’aime regarder des spectacles d’hypnose. C’est un phénomène tout à fait naturel mais fascinant.

Il y a des références à Jules Vernes dans

C’est très exigeant au niveau du temps, de l’énergie mais aussi au niveau de l’argent. L’argent est la raison pour laquelle peu d’illusionnistes réussissent parce que cela demande un investissement et, souvent, lorsqu’on commence, c’est notre propre argent qu’on doit investir. Il est question de risques financiers. S’il y a une erreur pendant un tour, tout le tour est foutu. Comparativement, si un humoriste a un gag qui ne fonctionne pas ou si un musicien fait une fausse note, ce n’est pas ce que les gens vont retenir. Un numéro de magie, c’est très fragile donc cela prend beaucoup de rigueur et de travail. C’est très long avant d’en arriver à un numéro fini qu’on présente devant un public.

votre spectacle. Avez-vous des influences plus contemporaines ? Je ne peux pas passer à côté de David Copperfield. C’est le premier grand magicien que j’ai vu en spectacle lorsque j’étais tout jeune et je m’en rappelle encore. Cela reste une inspiration pour moi. C’est un grand perfectionniste. Il travaille ses numéros pour que chaque technicien fasse son travail au bon moment. C’est très inspirant de le voir travailler. J’aime aussi beaucoup un mentaliste qui s’appelle Derren Brown. Il est spécialisé dans tous les numéros de lecture de pensée, prédiction de l’avenir, hypnose… C’est une inspiration pour moi parce qu’il fait du mentalisme en utilisant la psychologie. J’ai eu la chance de le rencontrer et c’était vraiment enrichissant.

Pratiquez-vous l’hypnose ?

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Ce n’est pas quelque chose que j’ai fait beaucoup. Je n’ai jamais trouvé le moyen de faire rêver les gens comme je le fais dans mes numéros en utilisant l’hypnose. Lorsqu’on fait de l’hypnose, on fait vivre quelque chose à une personne qui va être sous hypnose et tout le reste du public est témoin de ce qui se passe sans vivre la même chose que la

Avez-vous déjà été sous hypnose ? Oui, quelques fois, mais purement à des fins thérapeutiques, jamais en spectacle.

Qu’exige de vous un spectacle comme celui que vous jouez en ce moment ?

Comment s’organise votre quotidien pendant la période de préparation des tours ? Au quotidien, je passe, entre autres, beaucoup de temps à écrire les textes, à écrire ce que je vais dire aux gens. Comme la vraie magie n’existe pas, il faut guider l’imaginaire des gens et cela passe beaucoup par les mots. Je passe près de 70% de mon temps à écrire le texte et à répéter la façon dont je vais le livrer pendant le numéro. Il y a aussi beaucoup de conception d’accessoires qu’il faut ensuite tester et s’assurer que l’il-


lusion fonctionne de tous les angles de vue. Il y a également un grand processus créatif pour trouver un numéro que les gens n’ont pas encore vu à la télévision ou ailleurs. Une journée de travail d’un magicien n’a pas vraiment de routine car c’est un processus créatif qui change beaucoup en fonction des tours. Sur vos tours, travaillez-vous seul ou en équipe ? C’est souvent un travail d’équipe. J’engage d’autres magiciens qui m’aident à créer. Si c’est un spectacle sur scène, on a, évidemment, un metteur en scène, un scénographe et un musicien qui va créer la musique et l’ambiance. Si on travaille pour la télévision, on va travailler avec un réalisa-

teur, un éclairagiste... C’est un échange et les numéros se construisent en équipe où chacun apporte un peu son expertise. En moyenne, combien de temps de travail nécessite un numéro ? Pour un numéro sur scène, c’est un mois ou deux en moyenne. Pour un numéro à la télévision, c’est trois ou quatre semaines. Cela va plus vite en télévision car les délais sont plus courts et on a souvent plus de moyens pour la télévision. Cela reste très variable. Il y a des numéros sur scène qui m’ont pris des années et d’autres, à la télévision, qui m’ont pris quelques heures. La fourchette est très large.


Qu’est-ce qui inspire le plus souvent vos tours ? Je m’inspire beaucoup de ce que je vis. À chaque fois que je vis une émotion forte, j’essaye de trouver le moyen de créer un tour de magie qui va exprimer cette émotion et la faire vivre aux gens. Il y a parfois un sous-texte, une leçon de vie, une analogie ou une critique de la société que je cherche à exprimer. Ensuite, le processus commence. Quels sont les ingrédients nécessaires à la réussite d’un tour ? D’abord, il faut que ce soit un numéro dynamique. Il faut que les gens soient toujours en train de suivre une histoire. Souvent, il se passe quelque chose seulement à la fin d’un tour et tout le processus avant est une mise en place pour le final. Il faut donc trouver une manière de rendre ce processus intéressant en racontant une histoire ou en ayant beaucoup d’humour et en ayant une présence sur scène très développée. Il faut ensuite que la fin soit forte, qu’elle prenne de la surprise et de l’émerveillement. Il faut également qu’il y ait une notion de plaisir dans ce que l’on voit. Cela dépend et varie en fonction du type de numéro.

Un de vos tours a-t-il déjà mal tourné ? Oui (rires). Cela arrive souvent mais, la beauté de la magie, c’est que les gens ne savent pas où le numéro va aller ni comment il va se finir. Si, pendant un numéro, je vois que les choses ne vont pas comme j’avais prévu, je vais bifurquer et improviser en allant ailleurs pour terminer le numéro autrement et les gens n’en auront pas connaissance. Il y a des choses sur lesquelles on a le contrôle et inversement. On fait avec et on continue d’avancer quand même.

Avez-vous déjà été confronté à une situation dangereuse pendant un numéro ? Oui, pendant un tournage où je faisais un numéro de lévitation. Soudainement, je suis tombé et tout ce qui lévitait est tombé au sol. C’était devant une personnalité connue au Canada et j’ai dû présenter mes excuses et expliquer que j’avais perdu ma concentration. J’ai rapidement improvisé sur un autre numéro avec les objets qui étaient à ma disposition. La personnalité qui vivait le tour a su que quelque chose n’avait pas fonctionné mais elle a quand même passé un bon moment.

Lorsque quelque chose vous ennuie, vous le faites disparaitre ? J’aimerais que ce soit si facile (rires). Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas mais j’essaye, oui, de le faire disparaitre de mon champ de vision ou de mon esprit, du moins.



RENCONTRE


LOLA CRETON par Dine Delcroix / Photos : François Berthier

Révélée par Mia Hansen-Løve dans Un amour de jeunesse en 2011 puis confirmée par Olivier Assayas dans Après mai en 2012, Lola Créton est une jeune comédienne pleine d’avenir. Depuis le 18 janvier 2017, elle est à l’affiche de Corniche Kennedy, le nouveau film de Dominique Cabrera dans lequel elle incarne une adolescente en quête de liberté, d’aventures et de sensations fortes.


Te souviens-tu de la première fois que tu

LOLA CRÉTON

as mis les pieds sur un plateau de tournage ? Maquillage et coiffure : Noémie Masselin

Toute petite, mes parents m’emmenaient déjà aux répétitions donc je ne sais pas si je me rappelle de la première fois mais je sais que j’ai connu très tôt les plateaux, les fils, les machinistes, les équipes électro…

Depuis le 18 janvier 2017, on peut te voir en salles dans le film Corniche Kennedy. Comment t’es-tu retrouvée dans ce long métrage ? La réalisatrice, Dominique Cabrera, m’a appelée parce qu’elle m’avait vue dans Un amour de jeunesse. Elle a pensé à moi pour ce rôle-là et on s’est rencontré dans un café, très simplement. Qu’est-ce qui a fait naître en toi l’envie d’être actrice ? Mes parents sont comédiens. Plus jeune, j’étais extrêmement timide

et

c’est

une psychologue qui leur a conseillé de me confronter aux autres pour vaincre ma timidité. Les sachant comédiens, elle leur a dit que les castings et le théâtre seraient une bonne approche et cela a marché petit à petit puisque le seul endroit où je me sentais bien et en sécurité, c’était sur un plateau. 38

Il n’y a donc pas eu de casting ? Non et c’est un peu de cette manière que cela se passe pour moi, en général. C’est souvent une rencontre à l’issue de laquelle il peut y avoir des essais mais je n’ai jamais réussi à faire un film juste en passant un casting. Je passe toutefois des castings mais cela ne marche pas. Il y a peut-être quelque chose qui bloque et




qu’il faudrait que je débloque d’ailleurs

Suzanne est une jeune fille qui a une vie

(rires).

un peu réglée. Au départ, c’est un personnage qui est très solitaire. Elle est impressionnée par ces jeunes et elle a envie de les connaître. Elle les voit sauter tous ensemble, aller tous vers le même élan,

Que savais-tu du film au moment où tu

se livrer tout en honnêteté et elle a be-

as accepté d’en faire partie ?

soin de cela. C’est ce qui l’attire et c’est ce qui fait qu’elle les aime avant de les

J’avais eu le scénario pour le lire avant

connaître.

ma rencontre avec Dominique Cabrera. Je savais que c’était une adaptation du roman de Maylis de Karangal, que l’histoire se passait à Marseille et qu’il y aurait des sauts. Ensuite, Dominique Cabrera m’a parlé du travail effectué de son côté directement à Marseille avec les jeunes qu’elle a rencontrés sur la corniche. Elle a réécrit tous les dialogues avec eux.

Dans ce film, tu es entourée de jeunes qui n’ont jamais joué. Est-ce plus compliqué de donner la réplique à des acteurs non professionnels ? Je ne sais pas si c’est plus compliqué ou pas. C’est, en tout cas, une autre manière de travailler. C’est une question de nature. Il y a des professionnels

As-tu jugé nécessaire de lire le roman

avec lesquels il est très difficile de travail-

pour bien incarner ton personnage ?

ler et inversement. Là, ce sont des non professionnels qui ont été choisis et ils

Non, je n’ai pas lu le roman. Le scénario

étaient dirigés comme on dirige des pro-

m’a suffit. C’était un beau scénario, une

fessionnels.

belle histoire et je ne voyais pas la nécessité de lire le roman. Je sais qu’il y a des réalisateurs qui conseillent de lire ou de regarder des choses mais si on ne me le dit pas, je n’en éprouve pas le besoin.

Sur le tournage, as-tu eu envie de partager ton expérience en donnant des conseils à ces talents en herbe ? Non, pas du tout. Je déteste qu’on fasse

Comment décrirais-tu le personnage de

cela avec moi, qu’on se permette de me

Suzanne que tu interprètes dans ce film ?

donner des conseils. Ce n’est pas du tout 41


ma place. Je suis actrice, je ne suis pas

mètres quand les trois personnages sont

metteur en scène donc je n’ai aucune di-

sur la corniche. Dans la vie, je n’avais ja-

rection à donner. Ils étaient libres de me

mais sauté.

demander tout ce qu’ils voulaient mais il n’y avait pas ce rapport-là. C’était un échange, en fait. Comment t’es-tu préparée pour ces sauts ? Je me suis préparée à Paris avec quelqu’un Le film est tourné uniquement en exté-

qui m’accompagnait. J’avais extrême-

rieur. Est-ce déstabilisant de jouer ainsi ?

ment peur et j’avais beaucoup de mal à

Non et je préfère jouer en extérieur. Je

vide. Heureusement, les sauts ne sont ja-

trouve cela génial parce qu’on peut vrai-

mais filmés à la suite du jeu. Ensuite, je

ment se nourrir de tout ce qu’il y a au-

me suis entraînée à la mer à Marseille.

tour. Néanmoins, il y a des risques. Cor-

C’est bizarrement plus rassurant de s’en-

niche Kennedy est censé se passer en été

traîner dans la mer. On s’est entraîné

mais on tournait pendant une saison

avec Lionel Franc qui est plongeur pro-

froide donc il faisait froid et il y avait du

fessionnel et champion du monde de

vent. Du coup, le planning a beaucoup

haut vol. La rencontre avec lui m’a aidée

changé et il fallait s’adapter à chaque

pour tout le film. Il me rassurait énormé-

fois. Ce sont les risques des tournages

ment.

maitriser ce moment où on est dans le

en extérieur. Il en était de même pour les sauts car s’il y a trop de vent, cela peut être dangereux. Le fait de rester en maillot de bain nous donnait froid. On mettait parfois des doudounes entre les

Que ressens-tu personnellement lorsque

prises (rires).

tu sautes ? Moi, j’ai l’impression que je suis en train de mourir. Je n’aime pas du tout sauter, je trouve cela terrifiant.

Les sauts dans la mer font partie intégrante du film. As-tu été doublée pour ces scènes ?

42

Je saute dans toutes les scènes du film

Comprends-tu que l’on puisse prendre

à l’exception du deuxième saut de treize

du plaisir dans cet exercice ?


43


Oui, bien sûr. C’est de l’adrénaline.

Qu’aimerais-tu concrétiser dans ta car-

Les garçons du film sont bons là-de-

rière d’actrice ?

dans et c’est génial de se sentir bon dans quelque chose.

C’est un métier tellement dur, aléatoire et abstrait que le rêve serait d’en vivre toute ma vie, de durer. J’aimerais vraiment pouvoir continuer. Même les actrices qui ont des dizaines d’années de

Avais-tu le sentiment de prendre des risques pour ces scènes malgré ta préparation et la présence d’un champion ?

chain film quand elles finissent un tournage. J’ai des envies de théâtre, des envies de réalisateurs et j’aimerais surtout

Il y a toujours un risque quand on fait

qu’on continue à me faire confiance et

ce genre de choses et c’est d’ailleurs ce

qu’on me laisse la chance d’aller là où on

que nous répétait Lionel Franc.

ne m’attend pas.

Tu fais également de la moto sans casques dans ce film... À Marseille, personne n’a de casque (rires). Le métier de comédienne, c’est aussi cela. J’avais entièrement confiance en mes partenaires et en l’équipe qui nous entourait.

Es-tu de nature à prendre des risques dans la vie ? Non, je n’ai jamais pris de risques dans la vie.

44

carrière ne savent pas s’il y aura un pro-


45


Christophe Beaugrand

a publié L’éloge de la loose aux éditions Larousse, un livre où il raconte de manière anecdotique les situations drôles et parfois gênantes dont il a été témoin de près ou de loin tout au long de sa carrière dans les médias. Un recueil qu’il a pris soin d’illustrer lui-même par quelques petits dessins qui imagent à merveille ces moments de solitude dont il fait l’éloge. Entre deux émissions pour la télévision et la radio, le journaliste et animateur nous raconte ses premières fois.


CHRISTOPHE BEAUGRAND Interview : Dine Delcroix / Photos : Antony Gomes assisté par Geoffroy Cretien


L’INTERVIEW ‘PREMIÈRE FOIS CHRISTOPHE BEAUGRAND

tamment été marqué par la carte météorologique avec des aimants en formes de soleil, de nuage… J’étais fasciné !

Grooming : Angie Moulin pour B Agency Merci à l’Hôtel du Temps (Paris)

Premier souvenir ? Mon papa avait un voilier sur la Bassin d’Arcachon et je me souviens que j’avais une petite écope en plastique rouge pour écoper quand il y avait de l’eau dans le bateau. Je devais avoir 4 ou 5 ans.

Premier baiser ? C’était une catastrophe ! Je devais avoir 14 ou 15 ans donc je n’étais vraiment pas très en avance de ce côté-là. C’était avec une fille prénommée Sandrine. J’avais trouvé cela gluant et dégoûtant et je me souviens que j’avais eu une réaction de rejet. Je crois qu’elle a eu des enfants depuis (rires).

Premier amour ? Première voiture ? C’est l’Opel Corsa Viva de ma maman que je squattais. Elle était noire avec des petites bandes de couleurs mais c’était synonyme de liberté puisque j’habitais la banlieue parisienne.

Ma première histoire d’amour a duré presque dix ans, de mes 19 à mes 29 ans. C’était très fort ! On s’était rencontré via une petite annonce sur Radio FG.

Premier rapport sexuel ?

Premier métier que tu voulais faire ? J’ai toujours voulu faire de la télévision et de la radio donc je n’ai jamais fait un autre métier que celui que je voulais. La première fois que j’ai vu un plateau de télévision, c’était quand ma classe de maternelle avait été invitée à assister à une émission de télévision locale. Je me souviens en détails du plateau et j’avais no48

J’avais 17 ans, je rentrais de chez mon orthodontiste avec un appareil dentaire monstrueux et un mec m’a observé dans le métro de manière très insistante. Il est ensuite passé à côté de moi pour sortir du métro tout en laissant tomber un papier avec son numéro de téléphone dessus. Je n’avais pas de téléphone portable à l’époque donc je lui ai téléphoné depuis une cabine téléphonique. Ensuite, on s’est vu et puis voilà ! Je ne l’ai jamais


49


50


revu mais c’était sympa. C’était une première fois totalement sans amour mais rigolote. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on trouve.

Premier concert ? Je crois que c’était Prince au Palais omnisports de Paris-Bercy.

Premier chagrin d’amour ? C’était après mon histoire de près de 10 ans donc cela a été un peu difficile d’autant que c’est moi qui me suis fait larguer.

Premier film culte ? Le père Noël est une ordure que je revois avec un plaisir sans nom.

Premier animal de compagnie ? Ma grande sœur avait un chat quand je suis né mais mon premier vrai animal de compagnie, c’est ma chienne, Colby, dont je suis absolument fou amoureux. J’ai aussi eu un chat qui est mort à l’âge de 18 ans. C’était un chartreux que j’avais appelé Poppers parce que c’était l’année des « P ».

Premier livre culte ? Le Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo. C’était la première fois que je pleurais en lisant un livre. Je l’avais lu au lycée et j’avais été beaucoup touché. Il y avait une réflexion sur la peine de mort qui était hyper intéressante. Ce genre de lecture ouvre l’esprit à une certaine humanité.

Premier disque acheté ? Mes premiers 45 tours, c’était des disques de Dorothée parce que j’étais fan. Après, ma première cassette 2 titres, c’était Crucified de Army of Lovers. Puis, mon premier CD single, c’était This Used To Be My Playground de Madonna.

Premier prof détesté ? Un professeur de maths et physique qui était très méchant. J’étais en classe de Troisième, je ne comprenais rien du tout et ce professeur était très agressif avec ceux qui ne comprenaient pas.

51


Premier prof adoré ?

Premier job ?

Un professeur d’allemand qui était très drôle et qui faisait tout le temps des blagues.

J’ai travaillé dans un entrepôt pour ranger du matériel électrique parce que je voulais me payer des vacances. Mon père m’avait trouvé ce petit job pour m’apprendre la valeur de l’argent. C’était très tôt le matin et j’en profitais pour écouter RTL dans mon petit walkman qui faisait radio. Vingt ans plus tard, quand je me suis retrouvé à présenter le « RTL Petit Matin » de 5h à 6h30 durant deux été de suite, je me suis mis à la place du gamin qui écoutait la radio dans son walkman.

Premier choc dans la vie ?

Mon premier vrai choc, c’est la mort de mon père. Il est mort d’un cancer quand j’avais 24 ans. Le côté positif, c’est que j’ai pu m’acheter une maison (rires). Je m’étais fait huer dans Les Grosses Têtes quand j’avais dit cette blague mais elle aurait fait marrer mon père. En tout cas, on envisage la vie très différemment Premier vote ? après un tel événement... C’était pour l’élection présidentielle française de 1995 et j’ai voté pour Lionel Jospin. Premier voyage ? Le premier voyage que j’ai fait tout seul, c’était une croisière aux Caraïbes vers l’âge de 19 ans. J’avais gagné ce voyage en participant en tant que candidat avec d’autres animateurs à l’émission Sous vos applaudissements de Jacques Martin sur France 2.

Premier péché ? La gourmandise. J’étais extrêmement gourmand quand j’étais gamin et j’étais très gros car je bouffais tout le temps. J’ai perdu 15 kg à l’âge de 18 ans. Maintenant, je suis passé à la luxure. 52

Premier sentiment de fierté ? C’était en 1999, j’avais 22 ans et j’étais en stage à LCI la première fois qu’un reportage que j’avais fait a été diffusé et que le présentateur a dit mon nom. J’étais fier alors j’avais enregistré le sujet pour le montrer à mes parents qui étaient fiers et contents aussi.


53


CHARLOTTE VALANDREY

La

comédienne et romancière Charlotte Valandrey vient de publier Bombay mon amour, inspiré de son séjour humanitaire en Inde en janvier 2014 aux côtés de Valérie Trierweiler, alors Première dame de France blessée par une rupture sentimentale de grande envergure. Un livre aux allures dramatiques qui s’avère plein d’espoir, faisant la part belle au dépaysement, aux amitiés triomphantes et à l’amour puisqu’il en faut toujours.

Interview : Dine Delcroix Photos : Antony Gomes assisté par Geoffroy Cretien


BARBER SHOP QUARTET


BLIND TRUTH

Je me suis sentie touchée parce que j’ai, moi aussi, été humiliée dans ma vie. Du coup, cela a fait écho en moi.

CHARLOTTE VALANDREY Grooming : Angie Moulin pour B Agency Merci à l’Hôtel du Temps (Paris)

Dans la préface du livre, vous précisez que vous avez romancé certains passages. Est-ce pour éloigner le lecteur de l’histoire vraie qui a inspiré votre récit ? Quand on écrit un roman, il y a toujours des choses qui sont vraies. On est inspiré par quelqu’un qu’on a croisé ou par une chose qu’on a entendue. Après, en effet, ma liberté, c’est de romancer toute cette histoire sans avoir à préciser ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans le récit. J’avais envie de faire quelque chose de romanesque avec trois drôles de dames, trois femmes dans la rupture amoureuse. J’aime l’idée qu’on ait des amis avec qui on peut rigoler de ce qui nous arrive, se réconforter et s’entraider. Il y a énormément de choses dans ce livre entre

Comment est né ce nouveau livre ? Ce livre est né suite à un voyage humanitaire que j’ai fait avec Valérie Trierweiler

le côté politique, le cœur des femmes, les ruptures… Je voulais faire passer un bon moment au lecteur et le faire réfléchir, en même temps, à des causes.

qui était une femme blessée et humiliée à l’époque. Lorsque nous sommes arrivées à l’aéroport, elle s’est retrouvée dans sa

Dans l’amitié décrite entre ces femmes, il y a

voiture avec beaucoup de gens autour.

un côté Sex and the City. Est-ce sur ce ton

Je l’ai vue saluer par la fenêtre et j’ai eu

que vous aimeriez que votre livre soit perçu ?

l’impression que cet amour autour la

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rendait heureuse malgré la blessure in-

Oui, c’est ce que j’aimerais que les gens

térieure. C’est cette image-là qui m’est

retiennent même si je pense que c’est,

venue plus tard en me disant que Valé-

peut-être, un peu troublant par rapport à

rie Trierweiler pourrait être une héroïne.

l’histoire de Valérie Trierweiler. Parfois, les gens ont un peu de mal à mettre Valé-




rie Trierweiler de côté qui est Diana dans

remettre en question et à ne pas vouloir

le livre. Ce livre, c’est surtout un voyage,

forcément rejeter les choses sur l’Autre.

une envie de vivre, une envie d’amour et

Après ma greffe de cœur, j’ai passé des

une envie de s’éclater malgré les sujets

années seule.

qui peuvent être plus profonds. J’avais aussi envie de sexualité… Quand je relis ce livre, je le relis un peu avec ce côté Sex and the City et j’espère que les gens vont l’entendre aussi comme cela.

Dans ce livre, vous dites « Qui peut être amoureux et raisonnable ? ». L’amour constitue-til une forme de déraison à vos yeux ? Quand on a un coup de cœur, il faut

Les femmes de votre livre semblent se suffire à elles-mêmes. Avez-vous délibérément choisi de mettre la figure masculine au second

vivre les choses et prendre des risques pour que cela marche. Parfois, on a peur d’être heureux. Quand quelque chose

plan de cette histoire ?

se produit avec quelqu’un, il ne faut pas

Deux des femmes du livre sont dans la

j’étais dans la survie pendant des années

rupture et, à 40 ou 45 ans, c’est compliqué.

donc, maintenant, pour moi, vivre est

Dans le côté solidarité féminine, j’avais

vraiment très important.

le laisser passer. C’est cela, vivre. Moi,

envie de dire à tout le monde que les amis restent. Quand un homme part, il ne faut pas laisser ses amis de côté pour autant. Mon personnage, la narratrice,

Vous semblez plus en phase avec la vie…

vit une histoire avec un homme même si

Je suis beaucoup plus dans l’instant pré-

elle a une méfiance envers lui. Il y a tou-

sent. Je pense enfin me trouver une légi-

jours eu des histoires d’amour dans mes

timité d’être comme je suis. Cela ne fait

livres et je n’ai rien contre les hommes.

pas longtemps que je me suis dit que j’ai fait fort pour traverser toutes ces années de solitude et être encore là. Évidement,

Vous expliquez la douleur d’une rupture par le retour à nos propres erreurs. Êtes-vous de celles qui se remettent en question après une

on oublie le côté mauvais mais il m’arrive encore d’avoir des bas. J’ai une névrose affective alors dès qu’on ne me rappelle

rupture sentimentale ?

pas ou que je me sens ignorée, c’est très

Je me suis toujours remise en question,

J’ai d’ailleurs ressenti cela il n’y a pas si

trop, je pense. On est deux dans une re-

longtemps et je me suis dit que c’est ce

lation. Ces dernières années, j’ai dû me

que j’ai dû ressentir pendant des années

protéger pour souffrir le moins possible

après ma greffe de cœur lorsque je n’avais

mais j’ai passé beaucoup d’années à me

pas de vie sociale, pas d’amoureux… J’ai

dur pour moi mais je travaille dessus.

59


trouvé cela insupportable comme état et il ne faut plus que je sois comme cela. Je suis en train d’accepter les difficultés que j’ai eues et d’accepter ce que cela a fait de moi.

Vous évoquez le fait qu’une œuvre puisse « échapper à son auteur ». Avez-vous le sentiment d’avoir perdu le contrôle de certaines de vos œuvres ? Mon premier livre, « L’Amour dans le sang », n’a pas été tout à fait bien compris mais c’est peut-être parce que je ne me suis pas tout le temps bien exprimée. De toute manière, je ne demande à personne de se mettre à ma place pour comprendre ce que j’ai vécu. Dans mes livres, j’ai toujours essayé d’éviter de parler de choses trop dures afin de rester sur le côté optimiste et faire de la dérision sur moi-même. Ce dernier livre m’échappe peut-être aussi… Je me pose des questions, en tout cas.

Vous qui avez été révélée par le cinéma, quel regard portez-vous sur le métier d’actrice, aujourd’hui ? Jusqu’à mes 33 ans, j’ai eu la chance de travailler et je pense que c’est un des plus beaux métiers du monde quand on travaille. C’est néanmoins un métier qui brûle aussi quand on n’est plus dans la lumière, quand on n’est plus rien du tout à un moment donné. 60


61


RENCONTRE

SABRINA OUAZANI Lorsqu’Abdellatif Kechiche confiait son premier rôle à Sabrina Ouazani dans L’Esquive en 2004, il ne se doutait pas qu’il allait réveiller en elle une sérieuse ambition d’actrice. Depuis, la jeune femme a construit une filmographie solide, tant dans les films d’auteurs que dans la pure comédie, devenant un élément notable du cinéma français de ces dernières années. Actuellement dans les salles avec Ouvert la nuit d’Édouard Baer, elle sera dès le 15 mars 2017 dans le film L’embarras du choix d’Éric Lavaine aux côtés d’Alexandra Lamy et d’Arnaud Ducret.

Interview : Dine Delcroix Photos : François Berthier Stylisme : Gayanée Pierre (Le Choix du Style) Maquillage : Emilie Peltier / Coiffure : Stephane Bodin


Robe Natargeorgiou


SABRINA OUAZANI

aller à la rencontre d’artistes. Un artiste revendique son côté unique et c’est ce qui me plaît aussi.

Tu t’es également intéressée aux arts du cirque. Comment t’es venu cet engouement pour le cirque ? C’est venu alors que j’étais assez jeune. Est-ce vrai que tu voulais être journa-

Une petite troupe de cirque était pas-

liste avant de découvrir le métier d’actrice ?

sée près de chez moi et je me souviens de sœurs jumelles asiatiques qui

Oui, c’est quelque chose qui m’attire

étaient contorsionnistes et qui m’avaient

énormément et encore plus depuis que

impressionnée en touchant leur tête

je suis actrice. Il y a pas mal de mauvais

avec leurs pieds. J’ai trouvé cela complè-

journalistes qui restent sur leurs pe-

tement dingue et j’ai eu envie de faire

tits acquis, sur les questions un peu

comme elles. Quand je suis rentrée chez

banales et faciles. Moi, ce qui me plaît

moi, j’ai essayé de faire la même chose

dans ce métier, c’est la rencontre avec

jusqu’à y parvenir au bout de quelques

les autres, la découverte de nouvelles

semaines. Après, c’est resté dans un coin

personnes, de nouveaux univers et d’al-

de ma tête. Puis, il y a trois ans, on est

ler chercher les questions qui n’ont pas

venu me proposer de participer au Gala

forcément été posées. C’est de l’investi-

de l’Union des Artistes qui est un gala

gation. il faut essayer aussi de retrans-

de cirque à but caritatif réunissant un

crire au mieux les propos de celui qui est

certain nombre d’artistes qui doivent ap-

interviewé. C’était la voie que je voulais

prendre un numéro de cirque et contri-

suivre si je n’avais pas été actrice.

buer à un spectacle, le plus souvent au Cirque d’Hiver de Paris, afin de récolter des fonds pour une association. J’ai tout

Quelle spécialité aurais-tu choisi si tu avais continué dans cette voie ?

ner à l’École Nationale du Cirque. C’est

Le cinéma, maintenant (rires). J’aime être

vers circassien. J’ai ainsi appris un nu-

sur le terrain mais je ne sais pas si j’au-

méro de tissu aérien en un mois et demi

rais été assez courageuse pour être re-

et cela fait maintenant trois ans que je

porter de guerre, par exemple. J’aurais

continue.

choisi l’art au sens large, la culture, pour 64

de suite été partante et j’ai été m’entraîlà que j’ai réellement découvert l’uni-



Es-tu sensible aux conditions de vie des ani-

d’Abdellatif Kechiche, merci à la vie et

maux dans le milieu du cirque ?

merci à Abdellatif Kechiche. Il faut le

Bien sûr que les conditions de vie des animaux m’interpellent et, auprès des circassiens que je connais, elles sont très bonnes. On m’en a beaucoup parlé. Je suis très amie avec Pierre Cadéac qui est l’un des plus grands dresseurs d’animaux en France. Je suis aussi proche de Franck Gastambide qui était

faire d’aller chercher toute la distribution d’un film dans un casting sauvage car cela demande plus d’investissement quand on est auprès de non professionnels. Je n’avais pas le métier d’actrice en tête avant de faire ce film et je ne pensais pas cela possible pour quelqu’un qui, comme moi, vient de la banlieue.

dresseur d’animaux avant de devenir réalisateur. Du coup, je vois les conditions dans lesquelles vivent et grandissent les animaux. J’ai posé la question et on m’a expliqué qu’il s’agit d’animaux domestiques qu’on ne peut pas remettre dans la nature au risque de les voir se faire tuer et qu’il aurait fallu remonter plusieurs dizaines d’années en arrière pour essayer de changer ce mode de fonctionnement. Je ne sais pas comment tous les animaux des cirques sont traités mais je sais, par exemple, que Pierre Cadéac traite ses animaux de manière formidable de même que Désiré Rech qui est le « papa » de Tibby, la femelle chimpanzé avec laquelle je joue dans « Ouvert la nuit ». Il en prend le plus grand soin.

Selon toi, qu’est-ce qui a le plus changé dans l’industrie du cinéma depuis tes débuts ? J’ai commencé à une époque où la place des maghrébins ou des banlieusards dans le cinéma n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui. Quand je suis arrivée, il n’y avait ni Hafsia Herzi, ni Leïla Bekhti. Du coup, on me proposait beaucoup de rôles stéréotypés et hyper cliché. En quinze ans, les choses ont évolué et les rôles qu’on nous donnent aujourd’hui ne sont pas en fonction des origines ou du milieu social donc finalement, cela a évolué dans le bon sens.

Tibby, c’est une enfant de star puisque sa maman était dans la publicité de la lessive OMO (rires).

Quelle rencontre a été la plus décisive pour ta carrière ? Il y en a plusieurs mais ma plus grande

Dirais-tu que tu es arrivée dans le milieu du

rencontre fut Yasmine Belmadi. C’est

cinéma par accident ?

un acteur qui m’a montré une autre ma-

Oui, carrément. Merci à Maman de m’avoir inscrite au casting de L’Esquive 66

nière de voir ce métier, d’appréhender les rôles, de jouer avec un truc un peu instinctif, un peu vital. Sur le tour-


nage de Adieu Gary, j’ai beaucoup ap-

rendu compte en jouant la pièce de théâtre

pris artistiquement et humainement par-

« Amour sur place ou à emporter » pendant

lant à son contact. J’y pense à chaque fois

pratiquement un an. Ce métier est l’occa-

que je tourne un film, ce qui m’aide à me

sion de vivre mille vies en une seule. Mes

surpasser. Il y a aussi mon premier agent,

refus peuvent aussi, parfois, être liés à la

Ghyslaine Zay, qui a été ma deuxième ma-

présence de scènes de nudité ou de sexe…

man. Elle m’a connue sur L’Esquive alors qu’elle s’occupait de Sara Forestier et elle a cru en moi avant même la sortie du film. Elle a été attentive à beaucoup de choses et a été là pour moi pendant très longtemps. Je ne travaille plus avec elle aujourd’hui mais on garde toujours un contact très fort.

Certains rôles te sont-ils justement passés sous le nez à cause de ton refus de jouer des scènes montrant de la nudité ? Oui, il y en a beaucoup mais ce ne sont pas des choses que je regrette. J’ai parfois essayé de faire l’amorce en jouant le début

Ta filmographie est faite autant de drames que de comédies. La diversité des rôles que tu inter-

d’une scène d’amour mais cela a été douloureux le peu de fois où je l’ai fait… J’ai,

prètes est-elle un choix personnel de carrière ?

par exemple, été tellement angoissée lors de

C’est vraiment un choix. Après L’Esquive,

lasse que je n’ai pas dormi les deux nuits

on m’a tout de suite proposé des rôles

qui ont précédé le tournage. Le lendemain

très proches de celui que je jouais dans ce

du tournage de cette scène, je me suis ré-

film, c’est à dire une jeune banlieusarde

veillée avec cinq boutons de fièvre donc ce

un peu grande gueule au fort caractère.

n’est vraiment pas un caprice. Pour moi,

Je ne voyais pas l’intérêt de reproduire la

la nudité n’est pas nécessaire dans les films

même chose. Rien n’est plus jouissif pour

sauf si le film traite d’un sujet spécifique et

une actrice que de faire des choses diffé-

pour lequel ce serait indispensable. Dans

rentes. Je me suis donc évertuée à refuser

90% des cas, ces scènes sont gratuites.

les rôles qui ressemblaient trop à ce que

C’est ma vision des choses mais je ne jette

j’avais déjà fait. Après, j’ai eu aussi énor-

pas la pierre à celles qui le font et je ne

mément de chance qu’on me donne l’im-

les montre pas du doigt. Moi, je n’en suis

portunité de passer d’un registre à un

pas capable et je connais mes limites.

ma scène avec Jalil Lespert dans De guerre

autre, de faire des choses différentes. Je suis chanceuse d’avoir ce luxe-là et j’essaye de le construire par des refus et en prenant, parfois, des risques. J’aime être dans des films engagés qui font réfléchir et qui éveillent les consciences mais j’aime aussi faire rire. Je m’en suis notamment

Tu es actuellement à l’affiche du film Ouvert le nuit d’Édouard Baer. Comment t’es-tu retrouvée dans ce projet ? Mon agent a organisé une rencontre avec

67


Édouard Baer qui cherchait une ac-

j’aime beaucoup. C’est aussi l’école Ab-

trice pour son film mais pour un autre

dellatif Kechiche. C’est dans cela que

rôle que celui que j’ai fini par interpré-

j’ai évolué et c’est de cette manière que

ter. Nous avons déjeuné ensemble et

j’ai appris les bases de mon métier. Sur

notre tête à tête a duré plus longtemps

L’Esquive, Abdellatif Kechiche ne nous

que prévu. Je suis tombée amoureuse de

faisait pas lire le scénario. On découvrait

son univers. C’est quelqu’un de passion-

la scène qu’on allait tourner dans la jour-

nant avec qui je peux parler des heures

née en arrivant le matin. Depuis quinze

et des heures. Il a une imagination com-

ans, j’ai toujours fait cela, je n’ai jamais

plètement folle au point que le person-

appris mon texte. Je l’apprends le matin

nage que j’interprète dans le film était,

au maquillage pour être plus spontanée

à la base, écrit pour un garçon. Il s’ap-

et être réellement dans la scène. Pour le

pelait Arthur. Du coup, quand Édouard

coup, avec Édouard Baer, cela ne pas-

Baer m’avait proposé l’autre rôle, j’avais

sait pas. Il m’a dit « Tu es une grosse fei-

accepté tout de suite parce que j’aimais

gnante, alors arrête ! » (rires). En même

le scénario. Puis, au fur et à mesure

temps, s’il y a bien un tournage sur le-

des répétitions et des séances de travail,

quel je n’allais pas m’aventurer à im-

il me demandait d’essayer le texte d’Ar-

proviser, c’était bien celui de « Ouvert

thur pour finir par me proposer d’être

la nuit » parce qu’Édouard Baer a l’art

son « Arthurette » (rires). J’étais bou-

du verbe. Il a toujours les bons mots

leversée de voir qu’il croyait en moi au

avec un vocabulaire dingue, une perti-

point de réécrire un personnage en fonc-

nence et une répartie. Du coup, je me

tion de moi.

suis dit que je n’allais pas me lancer avec

Y as-tu vu un clin d’œil au côté garçon manqué qu’on peut parfois te prêter ? Je ne sais pas (rires). Je suis un peu garçon manqué de toute façon donc je ne vais pas me mentir. Pour le coup, Édouard Baer aimait chez moi le fait que

lui dans l’improvisation. Il fallait que je sache mon texte sur le bout des doigts car mon personnage est quelqu’un qui anticipe tout à l’avance, qui prévoit, qui programme tout. C’était donc important qu’il n’y ait aucun moment de doute ou d’hésitation dans le texte.

je ne minaude pas. À partir du moment où je joue, je ne me regarde pas et je ne cherche pas à être belle. Sur ce tournage, as-tu pu faire de l’improvisation au niveau de ton texte ? L’improvisation est quelque chose que 68

L’histoire du film se déroule la nuit. Qu’estce qui a été le plus difficile dans le fait de tourner de nuit ? Ce qui a été difficile, c’était de tourner de nuit pendant huit semaines parce


Robe Courreges


que j’étais totalement en décalage avec

Serais-tu capable de revivre une telle aven-

mes amis et avec ma famille. Je rentrais

ture, aujourd’hui ?

me coucher quand les gens commençaient leur journée. L’autre difficulté, c’était de tourner en huit semaines ce qui est censé se passer en une nuit. Pour la continuité du personnage en

Peut-être par amour. Je suis prête à tout pour mes amis et pour ma famille. Peutêtre que je le referais mais je râlerais un peu plus (rires).

termes d’émotions, c’est assez délicat mais Édouard Baer, en tant que réalisateur, a été très attentif et il me por-

Quel est, à ce jour, ton plus beau souvenir de

tait énormément. Dans la direction,

tournage ?

c’est quelqu’un de très bienveillant qui a toujours envie que tout le monde soit

Le premier qui me vient en tête, c’est

bien sur son tournage, que les gens se

une scène avec Yasmine Belmadi dans

sentent à l’aise tout en étant quelqu’un

Adieu Gary. C’est la première scène où

de très discipliné. Avant chaque scène,

je le rencontre au bar. On devait tom-

il me remettait dans un contexte pour

ber amoureux dans cette scène, ne pas se

me re-situer et me remettre dans l’émo-

connaître et se découvrir sauf que j’étais

tion du personnage.

déjà complètement folle amoureuse de lui et que j’avais du mal à tenir mes sentiments. Nassim Amaouche, le réalisateur,

As-tu déjà vécu des virées nocturnes avec une mission précise comme ton personnage dans le film ? Oui, bien sûr. Avec Nanou, ma meilleure amie, la mission était d’accompagner notre amie d’enfance, Sonia, à Goussainville pour qu’elle aille voir un mec dont elle était folle amoureuse. On a pris le RER et on ne se rendait pas compte à quel point cela pouvait être dangereux. Quand on a voulu repartir, on a raté le dernier train. Du coup, on a dormi sur un banc en attendant le premier RER (rires).

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nous disait : « Vous ne vous connaissez pas, vous ne vous aimez pas donc, Sabrina, quand tu le vois arriver, tu ne le regardes pas avec tes grands yeux d’amoureuse ! ». On a eu des fous rires à cause de cette scène.


Quel a été ton plus grand sentiment de fierté

Y a-t-il des réalisateurs ou des réalisatrices

en rapport avec ton métier d’actrice ?

qui tu aimerais rajouter à la liste de tes col-

Ma mère et mon père quand je sais com-

laborations ?

ment ils parlent de moi à leurs amis ou

Maïwenn ! Mon métier dépend du désir

à leurs collègues de boulot. Je ne sais

de l’autre et j’aimerais qu’elle me désire.

pas si, un jour, je serai fière de moi. Je

J’aime ce qu’elle raconte, sa manière de

suis davantage fière de moi quand j’ac-

raconter les choses, sa façon de filmer,

complis des choses. Peut-être que j’étais

ce qu’elle dénonce… J’aime aussi beau-

fière quand j’ai acheté une maison à

coup Nadine Labaki.

mes parents. Ils le méritent tellement que j’avais envie qu’ils aient un chez eux. J’étais fière de pouvoir leur rendre un tout petit peu la pareille par rapport à tous les sacrifices qu’ils ont faits pour moi. Un autre moment où j’étais très fière, c’est quand je suis rentrée chez moi le lendemain de la cérémonie des Césars en 2011. Des hommes et des dieux, dans lequel je jouais, venait de remporter le César du Meilleur Film. Je suis arrivée chez mes parents et la table du salon était un peu bancale. Quand j’ai demandé pourquoi, on m’a dit que mon père, qui avait regardé la cérémonie la veille, était tellement content d’entendre le réalisateur du film, Xavier Beauvois, me remercier qu’il a crié de joie en tapant sur la table (rires). J’étais fière de le rendre aussi fier. Je m’épanouis à travers mon métier et à travers le regard de mes parents.

Style gayanee pierre / Le choix du style Hair @stephanebodin Make up @Emilie Peltier

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LA FILLE QUI REND BLIND

ALEXANDRIA MORGAN

Par François Berthier Photos : François Berthier Alexandria Morgan

est une mannequin americaine qui a notamment fait parlé d’elle dans des campagnes pour Tom-Tom ou Guess. Elle a posé pour nous à New York



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