3900 volume 2 - septembre 2013

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Le magazine du Théâtre d’Aujourd’hui Volume 2 septembre 2013 | 3900.ca ISSN 2291-8035

En une Sophie Desmarais par Jimmi Francoeur

Le tour de ville de Sasha Samar par Sophie Cadieux

Petite futurologie politique improvisée par Antoine Robitaille

Entretien avec Luc Picard par Xavier Inchauspé

Classe de maître : Guy Nadon par Guillaume Corbeil

À découvert : Jennifer Tremblay


Rédacteur en chef Sylvain Bélanger Directeur de la publication Philippe U. Drago Comité éditorial Sylvain Bélanger, Philippe U. Drago et Émilie Fortin-Bélanger Éditrice Émilie Fortin-Bélanger Conception graphique Deux Huit Huit Correction Liz Fortin Impression Imprimerie Dumaine Contact info@3900.ca Partenariats et ventes publicitaires Louise Lussier 514 898-7543 — llussier@llcommunication.ca Relations de presse Karine Cousineau Communications 514 382-4844 — karinecousineau@bellnet.ca Tiré à 10 000 exemplaires

le Théâtre d’Aujourd’hui Codirection générale et direction artistique Sylvain Bélanger Codirection générale et direction administrative Suzanne St-Denis Direction de production Annie Lalande Direction des communications Philippe U. Drago Contrôleur et adjoint à la direction administrative Denis Simpson Adjointe à la direction artistique et artiste en résidence Alexia Bürger Adjointe aux communications et responsable du développement des publics Émilie Fortin-Bélanger Gérance André Morissette Direction technique Jean-Philippe Charbonneau Service aux abonnés Luc Brien Coordination aux communications Béatrice Gingras Entretien du bâtiment Alain Thériault Le comité artistique Pierre Bernard, Alexia Bürger, François-Xavier Inchauspé, Olivier Kemeid Le conseil d’administration Harold M. White, Stella Leney, Claude Lavoie, Gladys Caron, Pierre Anctil, Jean Bard, Miguel A. Baz, Sylvain Bélanger, Olivier Kemeid, Nathalie Ladouceur, Lucie Leclerc, Marie-Claude Lortie, Gilles Renaud, Roger Renaud, Suzanne St-Denis

Fournisseurs officiels

Table des matières Nous acceptons les frais par Sylvain Bélanger —p1 6 questions à Marc Beaupré —p4 Le tour de ville de Sasha Samar par Sophie Cadieux —p8 Le chemin parcouru et celui qui reste à faire : entretien avec René Richard Cyr par Sylvain Bélanger — p 13 Petite futurologie improvisée par Antoine Robitaille — p 18 Inspiration : Aude Moreau — p 21 Sortir de l’apathie collective : entretien avec Luc Picard par Xavier Inchauspé — p 25 Les cendres bleues par Jean-Paul Daoust — p 28 Classe de maître : Guy Nadon par Guillaume Corbeil — p 30 À découvert : Jennifer Tremblay — p 34

Partenaires de la saison 2013-2014 du Théâtre d’Aujourd’hui

Futur d'aujourd'hui par le Théâtre du Futur — p 36 Coup d’œil sur la saison 13-14 — p 38

Merci aux grands partenaires de nos Soirées-bénéfice : Bell, SAQ et la Financière Sun Life, ainsi que la Banque Nationale du Canada, Bitumar Inc., l’Équipe Bardagi, le Fonds de solidarité FTQ, le Groupe Germain et ScotiaMcLeod.

Cahier d’abonnement — p 39


— Nous acceptons les frais Sylvain Bélanger Rédacteur en chef, Directeur artistique du Théâtre d'Aujourd'hui J’accepte tous les jours les frais découlant des conditions de vie (fort avantageuses dans leur ensemble) créées par mes ancêtres et prédécesseurs. Mais il y a une reddition collective avec laquelle j’ai beaucoup de difficulté : c’est cet asservissement aux conditions imposées de monopoles et d’industries qui colligent leurs théories et s’entendent pour fixer des prix et frais « afférents » ou « annexés », ou pire « divers », souvent marginaux, et qui font les grandes affaires de certains. J’accepte continuellement les frais au guichet automatique, entre autres.

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Je pourrais jeter toute l’encre de cet éditorial contre certaines industries dictatoriales, contre l’industrie funéraire ou les compagnies qui embouteillent l’eau, mais je me concentrerai plutôt sur ces spécialistes de la haute finance en qui nous avons cru. Croyance aveugle. Comme ceux qui, au début du siècle, ont cru aveuglément à cette illusion qu’un train fonçait réellement sur eux et qui sortaient en panique de l’établissement alors qu’ils assistaient tout simplement à l’une des toutes premières séances de ce qu’on allait appeler le cinéma. Peut-être aussi que la finance a pris une place idéologique vacante dans nos vies depuis quelques décennies, car les grandes idéologies politiques (et les systèmes économiques qui venaient avec elles) s’étaient écroulées et couvertes de désillusion pendant le 20e siècle. L’asservissement est si total que nous sommes allés jusqu’à confier aux spéculateurs les avoirs gagnés durant toute une vie — des sommes d’argent gagnées à la petite semaine et amassées dans le but d’améliorer les conditions de vie de nos enfants —, ces avoirs avec lesquels ils jouent et qu’ils investissent dans des fonds manipulés à l’aveugle avec de l’argent qui n’existe pas.

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Quand j’accepte les frais au guichet automatique ou que je les paie directement sur mes relevés mensuels, il m’arrive constamment de douter de ce que ça paie réellement, ou de ce que ça enrichit. Je me demande si les frais sont justes ou arbitraires. Et ces arbitres sont anonymes, forcément, car il y a trop de responsabilités à couvrir. Mais justement : a-t-on le droit de rester anonyme lorsque l’on facture ces montants, lorsque l’on fait des mises à pied, lorsque l’on achète ou vend une entreprise ? J’ai en mémoire ces gens de l’hôtel Delta, vendu cet été, et je réentends ces employés dire en ondes que leur hôtel avait été acheté et que personne ne savait par qui… Ou comme ce train, sans être humain à bord, qui éventre Lac-Mégantic… Je m’égare, mais à peine : je parle de l’anonymat en tant qu’arme destructrice. Les frais que nous payons sur nos relevés, nos contrats d’achat, sur nos ententes de paiement puent ce pouvoir de l’anonymat, d’un libre arbitre entendu sur du papier par l’infinie minorité de décideurs, qui transigent, qui s’entendent bien entre eux et qui font adopter leurs décisions par une autre minorité dite « officielle » ou « légale ». Le mouvement Occupy, assimilé au mouvement des Indignés qui s’est étendu dans plusieurs villes du monde en 2011 portait un parfum d’une réelle révolution. Alors que les révolutions actuelles -- qui en ont découlé -- sont en réalité des guerres civiles et internes, ce mouvement s’attaquait, dans tout l’Occident, aux inégalités économiques et sociales, à ce qui est entendu, supporté, mais qui pour ses partisans était devenu insupportable : l’emprise des grandes banques d’investissement sur le sort du monde. La crise financière de 2008 a été la goutte de trop. Et le fait que l’aide financière consentie à ces gamblers professionnels de haut niveau provienne de l’État américain lui-même est un acte de générosité qui a fait éclater le goulot de leur tolérance…

Volume 2 septembre 2013


J’espère de tout cœur qu’en 2013, les artistes refuseront ce qu’on décide pour eux. J’espère qu’ils refuseront de payer les frais.

Mais ce mouvement, comme plusieurs révolutions ou mouvements collectifs, s’est… disons… calmé. Comme plusieurs… Malgré l’éveil de conscience, la vie continue en quelque sorte. Nous ne sommes jamais prêts à nous l’entendre dire, mais nous acceptons. Comme si l’anonymat sacré des tireurs de ficelles nous incitait à toujours accepter. À l’usure. Et ça fera toujours l’affaire de quelqu’un, ce silence de quelqu’un d’autre…

Dans plusieurs pièces que je lis, j’ai envie d’y inscrire le sous-titre suivant : Échantillon de l’échec des civilisations. De cet échec naît le théâtre, qui doit témoigner de ce qui ne marche pas. Aurions-nous eu intérêt à étudier davantage les sociétés primitives ? Ou à donner une chance aux fourmis ? (Comme se plait à le dire André Brassard)

Dans ce personnage de Cass, interprété par Sophie Desmarais dans Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël, vous avez là un personnage qui n’accepte plus de payer les frais de l’anonymat. Très maladroite, avec le potentiel de son humanité et malgré ses maladresses et ses hésitations, Cass se débattra de façon épique pour défier quelqu’un qui la garde dans son ombre…

Je me demande si les mesures d’austérité qui font foi de solution à l’aveugle ces jours-ci, un peu partout en Occident (particulièrement en Europe), si ce courant (j’ose dire idéologique) n’est pas qu’un mauvais champignon poussant sur le tronc vieux et fort du capitalisme pour l’enrichir des éléments les plus laids ? Je me demande également si ce n’est pas, encore une fois le signe d’une abdication du potentiel infini, mais encore un peu préhistorique de l’aventure des civilisations.

Avant d’accepter les frais, imaginez-vous avoir la possibilité de pouvoir débattre de leur pertinence avec celui qui les charge. « Impossible et inutile », ditesvous ? Moi je dis que le Nouveau Monde s’y cache, dans ces débats qui n’ont pas lieu.

Comme nous avons chassé le primitif assez facilement et que nous écrasons les fourmis tous les jours, cette histoire se poursuivra et nous aurons toujours besoin du théâtre pour partager l’éternité de notre imperfection.

J’entends souvent deux choses étranges sur le capitalisme et le libéralisme triomphant : « C’est le moins mauvais des systèmes » et malgré les dérives : « C’est le seul qui perdure et marche. On n’a qu’à corriger ses défauts de temps à autre. » Ou bien : « C’est celui qui perdure, car c’est la forme la plus proche des principes dits “naturels”, de cette loi du plus fort, souvent impitoyable. » Ou enfin : « C’est celui qui, d’un côté, rend le rêve de la réussite accessible à tous, mais qui de l’autre, éliminera les plus faibles ». Élimination toute naturelle, donc. Peut-être. Mais pendant ce temps, peine le progrès, et beaucoup d’histoires d’horreur se répètent malgré les leçons de l’Histoire.

Et comme le théâtre est par définition une lumière qui s'éclaire dans la nuit, on trouvera régulièrement grâce à lui certains trésors : le courage de Sasha dans Moi, dans les ruines rouges du siècle, cet enfant et cet amour plus fort que tout et qui traverse les époques et les régimes qui l’ont vu naître et qui ont forgé la Russie. On y trouvera cet humour et cette intelligence qui transgressent la bêtise d’une politique de courte vue dans L’assassinat du président. On y trouvera cette profonde affection identitaire qui transgresse le tabou gênant des Cendres bleues.

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Toujours au théâtre les échantillons sur l’échec des civilisations laissent s’échapper l’éclat lumineux de paroles théâtrales. J’espère de tout cœur qu’en 2013, les artistes refuseront ce qu’on décide pour eux. J’espère qu’ils refuseront de payer les frais. 3900

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6 QUESTIONS À MARC BEAUPRÉ Comédien aguerri, ayant joué tant au théâtre qu’au cinéma et à la télévision, Marc Beaupré se fait remarquer depuis 2008 en tant que metteur en scène. Avec sa compagnie Terre des hommes, il remodèle des pièces du répertoire classique pour les replacer dans un univers plus près du nôtre. Pour ce faire, il utilise le multimédia (Caligula_ remix) ou demande aux spectateurs de tweeter pendant le spectacle (Dom Juan_uncensored). Son regard, bien ancré dans le présent et qui renouvelle le langage théâtral, en fait l’un des metteurs en scène les plus prometteurs de sa génération.

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Que nous dit Michael Mackenzie au sujet de la crise du crédit de 2008 ? Et sur la haute finance en général ? Question délicate. Michael Mackenzie a écrit un thriller : les Instructions1 opposent un patron (NDLR : Luc Picard) à une employée (NDLR : Sophie Desmarais), elles tiraillent l'objet de leur huis clos nocturne entre la survie de l'entreprise et les fins mystérieuses que poursuit la jeune femme. L'aspect essentiel d'un thriller est « le caché ». La qualité et le plaisir de ce genre reposent sur la révélation. Or, je crois que c'est en grande partie au moment des révélations des Instructions que Michaël se prononce sur la crise et sur la haute finance. Délicat. Satisfaire le communicateur, c'est risquer de trahir le conteur. À tout le moins, cette pièce n'est pas un pamphlet, elle ne prend pas position dans la lutte qui oppose - peut-être trop souvent, trop facilement - la classe moyenne aux obscurs aristocrates de la finance. Cette pièce est une métaphore. Ou plutôt elle trouve son sens dans une métaphore. Sans trop me pencher sur la nature de cette métaphore — sous peine de gâcher le plaisir du thriller —, je me contenterai de dire qu'elle fait du patron des Instructions, un de ces Champions des valeurs mobilières et de l'intérêt, un Homme, avant tout; qu'elle le jette au cœur de la crise comme un mortel et non une éminence grise. Cette crise économique qui est au cœur de l'action des Instructions n'est que le prétexte pour nous parler de l'Homme. Nous découvrirons que ce Champion est responsable de la crise, oui — le thème de la corruption fait partie de l'œuvre2 mais d'une part, Michaël Mackenzie motive cette responsabilité : la souffrance, le Champion n'a jamais su conjurer son ressentiment face à l'injustice; d'autre part, on le retrouve dans Instructions, face à sa propre démesure, et hier comme maintenant, il rejoint ceux qu'on perçoit comme des victimes. L'auteur l'humanise au cours du spectacle. Son drame est d'apprendre la sagesse, très tard. C'est triste, mais c'est aussi la matière des grands récits. L'importance est ici : Mackenzie ne condamne pas l'avatar de la haute finance dont il nous parle. Il explicite la déshumanisation, l'individualisation, le sac des valeurs intimes et sociales, mais jamais ne condamne.

1. Pardonnez la contraction, elle s'est imposée rapidement au cours de la création. 2. Attention, je parle de la perversion d'un objet - ici la spéculation par l'avarice, et non de la fraude (aspect envahissant hérité de notre univers municipal).

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― 6 questions à Marc Beaupré

À tout le moins, cette pièce n'est pas un pamphlet, elle ne prend pas position dans la lutte qui oppose - peut-être trop souvent, trop facilement - la classe moyenne aux obscurs aristocrates de la finance.

Nombreux seront ceux d'entre vous qui, assis dans la salle, verront un coupable se démener sur scène. Si, au final, il l'est encore, c'est que j'aurai trébuché quelque part dans l'entreprise d'honorer le regard humaniste que pose Michaël Mackenzie sur la crise économique.

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Tu as fait beaucoup de recherches sur le sujet pour assimiler le vocabulaire, le transcender et mettre ce langage au service de ton point de vue, plus théâtral. Parle-nous de certaines sources d'inspiration qui t'ont marqué. Les Instructions abordent une extrémité de l'exercice de l'économie : la spéculation et l'intérêt (la richesse de l'entreprise en péril repose sur la dette). Sujets sublimes. Je suis sérieux. Sublimes parce qu'ils dépassent les sens et bien souvent la raison, alors ils effraient, sans manquer de fasciner. À la lecture de Jim Stanford, Petit cours d'autodéfense en économie, j'ai été frappé par ce dilemme de la science économique. — “N'est-il pas problématique de créer de la valeur sur autre chose que le travail ? » — J’ai pensé à l'Église catholique qui a longtemps condamné l'intérêt. Ça se défend. Et puis dans The Inside Job, documentaire de Charles Ferguson sur la crise du crédit de 2008, un intervenant signifie quelque chose comme « Les brokers sont des rêveurs. C'est grisant de savoir que l'ont peut créer à partir de rien du tout. » J'ai pensé à des artistes, j'ai pensé à ce vertige de puissance devant les possibles. Il y a un peu de cela dans les conventions du spectacle : le vide, et comment on décide de le remplir. La spéculation sur la notion de dette s'est emballée et déresponsabilisée au 20e siècle pour créer la crise de 2008. Il serait délicat de la condamner en sachant qu'elle a pourtant contribué à la modernité occidentale, avant même la montée du capitalisme. Se pencher sur cet exercice embête, frustre, effraie, mais hypnotise. J'ai donc écrit : sublime.

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Maintenant, à tous ceux que la simple lecture du mot spéculation suffit à écoeurer, je tiens à dire : les Instructions m'ont fait voir que ma curiosité et la connaissance peuvent être un leurre. J'ai parcouru bien des ouvrages pour affiner mon jugement sur l'économie, mais je constate, et c'est heureux, que la pièce se passe de la compréhension de l'exercice financier pour raconter la chute d'un businessman jouant à Icare et que la spéculation est aux enjeux dramatiques du spectacle ce que la connaissance de l'éthique aristocratique britannique est au drame du film Titanic : un cadre.

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Quel point de vue as-tu choisi de mettre en scène dans les Instructions ? L'univers scénique du spectacle repose sur le personnage de Cass, la jeune employée. J'en ai fait une narratrice, ce que le texte n'implique pas. Plutôt que de planter autour d'elle le décor suggéré par l'action, j'ai mis dans sa bouche quelques mots le décrivant. Des mots, mais surtout des épithètes. Entre ce que ces mots et ces épithètes signifient et ce qui est donné à voir sur scène, il y a un écart. C'est là où je veux emmener l'esprit du spectateur. Pourquoi cette illustration ? Pourquoi cette différence ? Pourquoi cette liberté ? Les réponses, elles se trouvent toutes dans le récit, dans le « caché ». Plusieurs tarderont, oui, et même au final, une maladresse représentationnelle demeure, mais, croyez-moi, elle aussi s'explique. Alors que nous discutions du spectacle, Sylvain Bélanger (NDLR : le directeur artistique du Théâtre d'Aujourd'hui) me signifiait : « Ce que j'aime dans ce texte, c'est que personne n'est en contrôle ». C'est juste. Alors qu'arrive-t-il quand l'histoire échappe à celui qui nous la raconte ? C'est le sens de ma mise en scène. C'est le sens de la liberté que je me suis donné.

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Le personnage de Cass est interprété par Sophie Desmarais que les spectateurs du Théâtre d’Aujourd’hui ont pu remarquer la saison dernière dans Yukonstyle de Sarah Berthiaume. La jeune comédienne de 26 ans travaille à la fois à la télévision, au théâtre et au cinéma. Au printemps dernier, elle se rendait à Cannes pour y représenter non pas un mais deux films et a été nommée par le magazine Indiewire comme l’une des 10 actrices à surveiller sur la Croisette. En plus des planches du Théâtre d’Aujourd’hui, on la verra cet autome au grand écran dans Le démantèlement de Sébastien Pilote et Chasse au Godard d’Abbittibbi d’Éric Morin.

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photo : Jimmi Francoeur


― 6 Questions à Marc Beaupré

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La haute finance n'a pas de visage. Les responsables non plus. On parle donc de pouvoir, d'un acte de foi collectif proche de l'aveuglement, proche de ce qui remplace le culte ou la religion. Ceux qui souffrent en coulisses ont peu de recours. En quoi la pièce est-elle juste sur ce point  ?

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Je ne pense pas que la pièce s'accorde sur l'absence de recours pour ceux qui souffrent en coulisse. En fait, les Instructions ont l'audace de donner un visage bien défini à l'anonymat, celui du patron. Outre que ce choix peut exciter le ressentiment du spectateur — selon la logique assez simple que haïr tient sur ce qu'on peut voir et que craindre repose sur l'imaginaire, donc l'absence —, il permet surtout à Michaël Mackenzie de s'expliquer les causes et effets de la crise et d'y précipiter son homme de pouvoir. Le rapprochement entre foi et spéculation, si vrai et si simple, nous est signifié par le responsable de la haute finance luimême. Tout repose sur la confiance, dit-il. Bien sûr, ces mots sont prononcés par un homme qui, par ailleurs, jouit d'un yacht, d'un jet et de bonis princiers, d'où l'inévitable tentation du ressentiment, mais au-delà de ces caractères propres à ceux que l'on imagine comme les seuls bénéficiaires du système, Michaël nous parle d’un homme ayant pris des risques — on s'éloigne de la déresponsabilisation dont je parlais plus haut — et surtout, surtout, Michaël dénoue un enjeu financier intime où cet homme sera celui qui souffrira le plus. Je ne cherche pas de champion de la souffrance, mais à mon avis, l'image sur laquelle nous laisse le récit nous incite à croire que le destin rattrape tôt ou tard celui qui s'est cru invincible ou intouchable. Ces privilèges sont conférés aux responsables de la crise de 2008 en grande partie par l'anonymat, mais qui sait si à l'instar de notre protagoniste, tous ceux-là n'ont pas vu leur vie intime s'écrouler alors qu'au-dehors, publiquement, leur nom et leur image, pour peu qu'ils soient connus, semblent encore intacts ?

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Qu'est-ce qui est théâtral dans l'œuvre de Michael ? Le langage financier des Instructions est pertinent seulement si on considère la figure bien concrète du bénéficiaire du système, le patron. Au sortir du théâtre, la plupart des spectateurs ne pourront démêler les enjeux économiques de la pièce. Ce qui restera, c'est d'abord l'action d'une jeune employée face à la démesure de son patron, dont je ne parlerai pas ici, et puis l'inexorable « chute » du patron vers cette démesure, à force d'échecs à s'expliquer et à démêler ces enjeux économiques.

Ce qui est théâtral dans les Instructions, c'est d'abord le verbe — vous assisterez à un huis clos où une jeune femme apprend à s'exprimer, avec toute la maladresse de l'inexpérience. Michaël Mackenzie honore la parole. Ensuite, c'est la nature même de l'interprétation que cette jeune femme fait de la situation qui est théâtrale. Si elle s'exprime — et que de la maladresse de cette expression naît un langage singulier et théâtral — c'est aussi ce qu'elle finit par réussir à expliquer qui est éminemment théâtral. Encore là, mystère.

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En quoi ce projet s'inscrit-il dans ta démarche avec le répertoire ? Dans ce que tu aimes montrer au théâtre ? Certains artistes ordonnent le chaos de façon admirable. Cet ordre, ce sens, j'appelle ça la Beauté. Quand un artiste y parvient, je ressens le même sentiment que celui qui tombe en amour. Mon exercice, mon devoir, à partir de là, c'est de représenter cet « amour » pour les Autres, à ma façon. Les Instructions ont un caractère très particulier dans mon parcours. J'en ai fait état plusieurs fois dans cet article — la beauté qu'elles recèlent est cachée. Jusqu'ici, je me suis penché sur des œuvres du répertoire classique pour tirer, au prix de l'irrévérence bien souvent, mon interprétation de leur beauté, mais cette interprétation et cette irrévérence ne vont jamais, je le sais, sans contrastes (je crois savoir quelle image se fait de la Rome antique ou du 16e siècle le spectateur qui s'assoit devant Caligula de Camus ou Dom Juan de Molière, et je sais qu'une part de l'intérêt du spectacle tient autant sinon plus à l'écart qui existe entre le référent et le résultat que dans la différence qualitative qui surgit de cet écart.). Dans Instructions, que de l'inconnu. Pourtant, sachez-le, quelque part se terre une façon admirable d'ordonner le chaos de la finance, et toutes les conventions du spectacle reposent sur ce sens. Je vais même me permettre d'ajouter que le post-modernisme auquel je me suis adonné jusqu'ici (c'est-à-dire le dialogue de quelque chose de moderne avec quelque chose de classique) trouve son compte quelque part dans l'œuvre. 0

Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël de Michael Mackenzie est présenté au Théâtre d’Aujourd’hui du 8 octobre au 2 novembre 2013. Pour en savoir plus : theatredaujourdhui.qc.ca/instructions

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LE TOUR DE VILLE DE SASHA SAMAR

Par Sophie Cadieux

En 2012, le public montréalais a découvert avec émotion, mais aussi beaucoup d’humour, l’histoire singulière de Sasha Samar, comédien québécois d’origine ukrainienne. La pièce Moi, dans les ruines rouges du siècle a connu un tel succès public et critique (prix de la critique 2011) qu’elle est de retour sur les planches du Théâtre d’Aujourd’hui à l’automne. 3900 a demandé à la comédienne Sophie Cadieux de nous faire entrevoir le Montréal de Sasha Samar, à travers une virée des deux complices dans les rues de la ville. Sacha vient me chercher au métro Laurier. En sortant du métro, je constate que je ne visite plus le Plateau autant qu’avant. Que ce coin qui était tant le mien et celui de tous mes amis il y a quelques années change. Pas nécessairement pour le mieux, mais pas nécessairement pour le pire. Juste personne que je connais à l’horizon. Pour le bref temps gris où j’attends…

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- Au métro Laurier

« Mon Montréal à moi commence à la frontière entre le Canada et les États-Unis, à côté de Plattsburgh. Comme j’ai grandi dans l’Union Soviétique, chez nous, quelques kilomètres avant d’arriver à la frontière, c’est déjà une zone interdite. Tu peux te faire arrêter et tirer. J’avais aucune idée c’était quoi la frontière ici alors on est arrivés en autobus jusqu'à Plattsburgh pis après on a pris le taxi. Un ami nous a dit : Si vous voulez traverser comme réfugié, il faut traverser à pied. Alors, on a descendu en taxi jusqu’à quelques centaines de mètres de la frontière. C’était le début du mois d’août. On avait un sac à dos. Lesya avait 19 ans et était enceinte de 3 mois et moi, j’avais 27 ans. Alors on marche à pied et on voit de loin la frontière, on passe à côté et il n’y a personne qui nous arrête.

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― Le tour de ville de Sasha Samar

Personne qui nous tire dessus. Et on se dit : c’est quoi cette affaire ? Quand même, c’est incroyable. Alors on est revenus et on repasse car c’était quand même 3 h du matin. On passe encore et encore il n’y a personne. Finalement, je trouve une petite fenêtre et je frappe. Il y a un officier qui tourne la tête et me regarde : Vas-y passe. Je dis : Non, non I am refugee. Il dit : Quoi ? Quoi ? What ?

- En voiture

Moi : I am refugee. Il m’a dit : Va dans le wagon ici à côté.

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Il a dit ça en anglais. J’ai entendu que la musique était en français à la radio et j’étais vraiment surpris parce que je n'en avais aucune idée qu’on parlait français. Je savais que oui, en général au Canada, quelque part, mais…

Un peu plus tard...

D’ailleurs c’était présent dans nos discussions en Ukraine qui est devenue indépendante. Dans l’Ukraine indépendante, il y a beaucoup de Russes. Pendant l’Union Soviétique, tout le monde parlait russe. Et dès que l’on a eu notre indépendance, on se dit on parle qu’ukrainien et les autres sont devenus un peu mal vus. Mais il y avait des exemples et quelqu’un a dit : Regardez le Canada, c’est formidable, c’est un pays où deux langues vivent ensemble sans aucun problème. Moi, je ne savais pas que c’était sans problèmes. (rires communs)

- J’avais l’impression que… peut-être, là, à gauche…

Surtout, ça m’a échappé vraiment que c’était français.

- La rue Parc est là, elle commence…

Mais je dis : Oh ! C’est assez intense le français ici. Mais après j’ai découvert que c’est juste ici que le français est intense… Mes amis en Ukraine m’ont donné un surnom : le Français. Pour une raison obscure…

- On est sur Querbes. - Querbes ? - Oui…

- Parce que Parc c’est la prochaine… là. - Mais on était sur Parc… presque. - Oui, on a traversé Parc. On était sur Jean-Talon pis on est allés l’autre côté de Parc. - Parce que ça, c’est le complexe… ? - William-Hingston - Non, je ne crois pas. - Il faut surtout pas aller par là… (autres discussions, bruits d’essuie-glaces, temps) - Là, on est sur Bloomfield. - Ça, c’est l’Acadie. - Ce sera une bonne anecdote. J’étais ici. J’avais tellement peur, et tout et tellement peur pour le destin et 15 ans plus tard, tu cherches le lieu et tu ne trouves pas.

Je voulais devenir Américain, mais je suis devenu Français d’Amérique. Quand même.

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- Peut-être qu’il n’a jamais existé, Sacha ? - Peut-être que je ne suis pas un vrai immigrant… - Oh ! C’est ici qu’on était tout à l’heure. On doit voir un chemin de fer… - Je vais trouver, je sais c’est où, sinon, on fait juste une photo comme ça. - Est-ce que c’est ça, le gros building ? - Non, si on passe par là, on va être dans un culde-sac. - Euh… Champagneur… - … de l’Épée, voilà, je crois… non, c’est pas bon… finalement, je voulais tellement me débarrasser de mes souvenirs, j’ai tout effacé… bon, dernière tentative… - Au centre William-Hinston

-C’est ici Toutes ces salles étaient remplies. C’est le lieu où les immigrants attendaient. Maintenant c’est une salle de théâtre, une salle de spectacle. Voilà, ici, on était assis, on attendait, c’est intéressant que maintenant c’est une salle de spectacle et à l’époque c’était une salle d’immigration. J’ai joué ici Comment j’ai mangé du chien, mon premier spectacle solo. J’ai joué ici, dans le même lieu où j’ai raconté toutes sortes d’histoires pour avoir mes papiers…

- Au centre William-Hingston

- Premier appartement   de Sasha et Lesya dans Hochelaga-Maisonneuve

On n’est jamais restés dans les quartiers d’immigrants. On voulait tout de suite être avec les gens d’ici. Dès que l’on a traversé la frontière, mon équipe nationale dans n’importe quel sport était l’équipe Canada. Même si on se battait contre les Russes, les anciens soviétiques. Tous les amis immigrants disaient : Oh ! on a perdu ! Moi : Non, on a gagné ! - Tu prends pour qui ? - Ben, pour le Canada c’est notre pays. Il faut aimer bâtir ici. Ça n’a aucun sens de vivre avec ce que l’on a laissé derrière nous. En tout cas, notre premier quartier était Hochelaga-Maisonneuve parce que c’était pas cher. Le propriétaire de cet appartement, il nous a aidés comme Ukrainiens. Il a fait beaucoup de voyages en Ukraine et finalement, il s’est marié avec la maman de

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― Le tour de ville de Sasha Samar

- Au jardin botanique

Lesya et ils sont ensemble depuis 15 ans. Alors, ce sont les bonnes choses qui arrivent.

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Et puis pour moi, tout à coup, le Canada est devenu un pays où il y a beaucoup de misère. Ta vie est dure : pas de travail, pas de langue pas de compréhension. Ni grand-chose. On a trouvé notre territoire de sauvetage, c’était le Jardin botanique. On est allés là avec petit Vlace dans sa poussette. Là c’était cool avec Accès Montréal, tu peux être là le jour au complet pour rien et nous, on a passé tous les jours là-bas, l’automne, l’hiver, l’été évidemment et j’ai même mangé des fruits là-bas. Parce que c’était gratuit en fait. Lesya a dit pourquoi personne ne prend ça ? Juste une petite cerise. Des fois, encore, je croise quelqu’un qui attend pour ses papiers ou qu’il faut qu’il aille à l’entrevue à l’immigration.

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Est-ce qu’ils vont rester ici ou ils vont être expulsés parce qu’ils sont réfugiés parce qu’ils n’ont pas leur green card ?

Nous avons passé l’après-midi derrière le pare-brise à rouler, avec les essuie-glaces qui balayaient sans cesse la pluie.

Il y a toute une réalité que j’ai vécue et que j’ai oubliée complètement. C’est comme une fille qui accouche un enfant et après, Lesya regarde et dit je ne me souviens de rien. Je sais que c’était douloureux et après c’était cool, et après c’était encore douloureux parce que tu dors pas et que tu te bats contre ton corps, mais tu oublies.

Tout avait le rythme scandé du voyage de l’eau sur le parebrise : ce qu’on voyait, ce que Sacha connaissait, ce que je connaissais pas, les rues qui passaient, les gens qui attendaient aux feux. Comme une impression changeante, mouvante.

C’est la même chose. C’est un bon aspect de notre cerveau. Aspect ? Caractéristique ? Je ne suis pas certain. Parce que des fois, j’utilise les mots juste parce que je les trouve beaux ». Je débarque de la voiture avec le bruit des essuie-glaces qui me suivra pendant que je monte les marches de ma maison. Ma maison à moi dans cette ville. Avec mes meubles, mes souvenirs. Mes ancrages.

J’ai songé à ce que je voyais entre deux battements de lames d’essuie-glaces. Un moment, tout m’était familier et clair et l’instant d’après, je ne reconnaissais plus rien, oui, des formes, des couleurs, mais dans le trouble de l’eau. Je n’arrivais plus momentanément à lire les pancartes dans les rues. Cet après-midi, j’étais un peu à Montréal et beaucoup ailleurs… Momentanément perdu avec Sacha. Autour du métro Parc. 0

Moi, dans les ruines rouges du siècle d’Olivier Kemeid est présenté en reprise au Théâtre d’Aujourd’hui du 10 au 21 septembre 2013.  Pour en savoir plus :  theatredaujourdhui.qc.ca/ruinesrouges

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Une symbiose harmonieuse entre une région extraordinaire pour produire des raisins, une passion pour la vigne, le respect du raisin lors de la vinification et le talent de l’assemblage et de l’élevage ;

C’est le style Paul Mas


LE CHEMIN PARCOURU ET CELUI QUI RESTE À FAIRE.

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Le magazine du théâtre d’aujourd’hui

Entretien avec René Richard Cyr par Sylvain Bélanger

C’est pour traiter d’une histoire qui se poursuit avec le spectacle BellesSœurs, mais aussi pour échanger avec lui sur les relations entre un metteur en scène et le public et du lien entre le théâtre québécois et le projet culturel et social du Québec que je rencontrais un René Richard Cyr en belle forme. Je désirais cet échange entre deux metteurs en scène, deux lecteurs, entre deux directeurs artistiques, passé et présent. C’est donc pendant près de trois heures, dans son appartement du Vieux-Montréal, sur fond de voie maritime du SaintLaurent que j’ai fait une rencontre approfondie avec un prédécesseur, collègue, un homme de théâtre pour qui l’humanisme et le destin de notre culture sont des priorités. Né tout d’abord d’un désir de créer avec Daniel Bélanger, ensuite de cette idée de Marie-Thérèse Fortin de souligner leur 40e anniversaire, le projet de recréation des Belles-Sœurs de Michel Tremblay, René Richard Cyr l’a tout de suite entendu, en rouvrant le petit livre des Belles-Sœurs, avec cette musique de l’écriture. « J’y ai vu une structure, des monologues, des choeurs », mais bien plus que d’y voir l’œuvre musicale, René Richard Cyr a cru important de revisiter l’œuvre. « Pour la perspective historique qu’elle offre » dit-il. « Quand Les Belles-Sœurs ont été créées dans les années soixante, il y avait sur scène et dans notre société une misère qu’on avait l’horrible possibilité d’ignorer. Mais je me posais la question : en 2010, quoi montrer des Belles-Sœurs ? Moi, je les voulais belles, colorées, vivantes, parce que moi, ce que je salue, c’est la combativité de ces femmes-là. C’est ce qui m’émeut, cette combativité. C’est ce qu’on peut voir aujourd’hui de cette pièce-là. Belles-Sœurs parle de jalousie, d’individualisme, mais toute ma

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mise en scène dit le contraire et parle de solidarité. C’est pourquoi il y a cette omniprésence des chœurs et cette présence de toutes les actrices sur la scène, tout au long du spectacle. On se déchire, mais on revendique la même chose ! » René Richard Cyr dira plus tard dans notre entretien, mais en d’autres termes, que c’est à cette question qu’il souhaite répondre, entre lui et le public, entre les créateurs et entre les générations, en posant plusieurs fois cette belle question : « Où peuton être ensemble ? » Cette question, il tente d’y répondre dans son dialogue avec le spectateur, de qui il devient l’éclaireur dans sa propre salle de répétition. Il la posera avec l’un de ses successeurs au Théâtre d’Aujourd’hui en ma présence. Il se la pose en songeant à ces jeunes créateurs dont il admire chez certains l’incroyable intelligence de la transgression qui suscite réflexion chez le spectateur. Cette question l’habite, ne le quitte jamais. Alors moi qui tentais ce jour-là de l’entendre parler de ses intuitions, qui en faisais un homme capable de fabriquer avec flair et expertise un théâtre dit « populaire », je me suis rapidement rendu compte que c’était me tromper dans mon souci de nommer avec lui la profonde incarnation qui l’unit au public. On ne parle pas avec René Richard Cyr d’un simple souci du public ou d’un rapport à établir entre la scène et la salle avec des trucs et une recette. Avec lui, on se rend vite compte en l’écoutant, qu’il ne quitte jamais la salle en s’acharnant à développer ce qui se passe sur scène. Pour l’avoir vécu de près moi-même en tant qu’acteur dans 24 poses, de Serge Boucher, spectacle qu’il a mis en scène au Théâtre d’Aujourd’hui en 1999, je peux dire que sa faculté d’observation de l’humanité, dans ses détails comme dans ses grands destins, est exceptionnelle. Je lui parle de cette qualité, que je trouve trop rare chez nos metteurs en scène. Sa réponse : « J’ai une théorie là-dessus, qui est en fait toute l’aventure de l’art contemporain. Disons que je veux faire le portrait de ma mère, avec toute cette grande histoire de l’art qui me précède. J’ai tout un défi, car j’aurai le souci de ne pas faire comme eux. Je veux réinventer l’art, alors je décide de faire un carré blanc et je l’appelle Portrait de ma mère. Il y a alors un danger : que le public arrive devant mon tableau et ne voit pas le portrait de ma mère... Il peut donc y avoir, si notre souci est de réinventer l’art, un fossé qui se crée entre l’émetteur et le récepteur. Moi, ma position par rapport à ça, c’est de nuancer le tout en disant : Ça a déjà été fait, mais moi je l’ai pas fait ! » Autrement dit : J’aime dire les choses, les nommer telles qu’elles sont, mais à ma façon. « Je veux être sûr de bien me faire comprendre », dit-il.

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Où peut-on être ensemble ?

Sylvain Béjanger : « Parlons tout de même de cette étiquette de théâtre populaire. Crois-tu qu’il existe encore un snobisme associé à cette notion-là ? » René Richard Cyr : « Sans hésitation, je te dis oui ! Comme si l’adhésion du plus grand nombre entraînait inévitablement une notion de compromission de la part du créateur. Comme si ton pouvoir de créateur avait fait des concessions en fonction du public auquel tu allais t’adresser ! Moi, je revendique la notion de théâtre populaire puisque j’ai le souci de comprendre moi-même. Malgré l’exigence de l’œuvre théâtrale, mon travail est de créer le couloir. Je me tiens sur la ligne : je me plais à dire que je suis le plus intello des populos et le plus populo des intellos (rires). Mais la chose importante à rechercher pour moi c’est le principe, comme dans l’œuvre de Genet, de se l’entendre dire. » Que le public s’entende dire des choses sur scène alors qu’il est resté dans la salle. Ce fort sentiment d’appartenance c’est en réalité un rare sentiment de reconnaissance qui nous permet de mesurer collectivement le chemin parcouru et celui qui reste à faire, notamment sur le féminisme, dans Belles-Soeurs. On pourrait s’étendre sur cette importance du répertoire, de l’opportunité de nous réactualiser qu’il offre, et du fait qu’en Europe ce même répertoire est encore à la fois prédominant et qu’il est essentiel pour les metteurs en scène d’avant-garde de se frotter à des œuvres maintes fois faites, mais « qu’eux n’ont pas encore fait », pour reprendre les mots de René Richard Cyr. Ce rapport avec un repère du passé sert bien le présent. C’est bien connu. Et en l’écoutant, je consolidai la conviction que j’ai eue en arrivant au Théâtre d’Aujourd’hui : que ce théâtre, pour porter ce nom avec clarté devra répondre, malgré la jeune histoire de sa nation, à une sorte de fuite en avant de la création à tout prix, provoqué par cet attrait de la nouveauté, ce réflexe de vouloir sans cesse passer à autre chose. Je consolide une intuition qui me disait qu’en s’affirmant comme un lieu de perspective historique également, que les recréations de certaines oeuvres bien choisies de notre répertoire québécois, mises en dialogue avec le présent et mises en phase avec l’art théâtral de nos metteurs en scène, pourraient

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― Le chemin parcouru et celui qui reste à faire.

dans les prochaines années être forts révélateur de ce qu’« aujourd’hui » est fait. Ces œuvres permettraient de réaliser certains aspects qui jonchent le chemin à parcourir collectivement. SB : « J’ai l’impression qu’avec les différents rôles que tu as remplis (directeur artistique, metteur en scène, acteur, professeur...), tu as un recul intéressant et un esprit critique à partager sur notre pratique, sur notre théâtre qui vit, disons-le, une crise multiple : certains parlent d’une crise du sousfinancement, d’autres d’une crise morale, d’autres des défis intergénérationnels, d’un formatage des modes de production, d’un déséquilibre dans l’écologie du milieu, etc. Quelle est ta lecture de la situation actuelle ? »

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Sa réponse : « J’ai peur du fossé qui peut se créer entre la pratique et le public, entre la pratique et la critique, entre le populaire et la recherche. Ces distances multiples ont sans doute toujours existé, mais j’ai l’impression que le fossé est plus large maintenant. Je crois que le défi sera toujours de marier l’avancement de notre art sans perdre le contact avec le public : à la fois brasser et séduire, séduire pour brasser, etc. Avant, les théâtres avaient des missions socioculturelles définies. C’était très clair et ça permettait une fidélisation du public, une sauvegarde, une mémoire. Différents publics étaient associés aux différentes directions artistiques et une fois fidèles, il y avait place, de temps en temps, pour des prises de risques qui allaient frapper l’imaginaire collectif. (Ex : Les fées ont soif, Les oranges sont vertes, Belles-Sœurs, etc.). Mais l’échiquier était beaucoup plus petit, alors c’était plus facile de sauvegarder son public. » SB : « Dirais-tu que l’influence, et j’ose l’appeler cette distraction, venant de l’industrie du spectacle a miné la clarté des directions artistiques ? » RRC : « Absolument. On s’est condamnés à vouloir créer l’événement à chaque spectacle. On mélange les répertoires des uns et des autres en se disant que nous aussi on a le droit. » SB : « On s’est éloignés des mandats, tu crois ? » RRC : « Oui, et là on a perdu en chemin toute une génération qui ne s’est pas senti avoir droit d’aller au théâtre. » Il enchaîne sur un autre facteur social qui a pu contribuer à l’éclatement ainsi qu’à une explosion de l’offre théâtrale : « Ma génération voulait débarquer la précédente. La jeune génération d’aujourd’hui ne veut pas nécessairement débarquer l’autre pour

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prendre la place, mais faire SA place. Comme si on se disait qu’au lieu de défoncer une porte, il fallait s’en créer une autre à côté. » SB : « Socialement, je trouve que le souci de la réussite personnelle est très puissant et ma génération est entrée éperdument dans ce panneau. Se sentir légitime, être pareil, avoir une place au lieu d’affronter, etc. » RRC : « Ce qui est étonnant dans ce que tu dis, c’est que j’y entends en filigrane, dans ce réflexe générationnel, des gens qui se disent : Je n’arriverai jamais à défoncer les portes, je vais m’en créer une autre… On multiplie et le public se retrouve devant un buffet. Il goûte un peu à tout au lieu de se dire : Ça, c’est bon ! Et là, notre défi est de trouver les voix qui perdurent. C’est alors difficile, surtout au moment où toute la ville te dit que tu manques quelque chose ailleurs. Dans cette conjoncture, il est difficile de fidéliser comme de créer l’événement ! Comment faire ? » Cette escalade de l’offre théâtrale et les défis qu’elle provoque pour nos théâtres ont engendré selon lui, une menace, qui s’est imposée : « Ce danger de créer une norme, de formater, est partout ! Nos théâtres n’y sont pas à l’abri. » Pour répondre encore une fois à cette question fondamentale : où peut-on être ensemble ? Pour la perspective historique encore une fois, mais pour favoriser également l’émulsion au sein de nos institutions, favoriser le progrès social et pour profiter du dialogue souhaitable entre les générations, René Richard ne cesse de me dire : « Construis pas CONTRE. Construis POUR ! Propose pour partir un débat. Propose à la limite de mauvaises solutions, mais propose ! C’est ce que je désire de ta génération. Ceci dit, je crois qu’on peut bâtir quelque chose en refusant quelque chose, mais j’entends beaucoup de prêchi-prêcha entre convertis, j’entends beaucoup de quoi vous êtes contre, mais j’ai envie de commencer à entendre ce que tu veux davantage que ce que tu refuses. Sinon, on avance pas… » Il ajoute : « J’ai l’impression qu’au théâtre, on se donne le beau jeu en disant simplement que nous posons des questions, que c’est notre rôle. » SB : « Je me disais justement en arrivant au Théâtre d’Aujourd’hui qu’un gros défi consisterait à commencer à esquisser des réponses, à faire comme le scientifique qui élabore à tort ou à raison, une théorie pour faire avancer la recherche… »

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Être ensemble, ça ne veut pas dire se fondre. Le choc des différences, l’échange, est souhaitable pour tous.

RRC : « J’aime mieux à la limite proposer des mauvaises solutions pour ouvrir un débat, plutôt que de laisser le sens ouvert, continuellement. » Nous nommons ensemble quelques œuvres théâtrales qui se terminent toutes par des affirmations fortes, des propositions. Elles datent toutes des années soixante et soixante-dix, lui fais-je remarquer… « Il faut le faire », me dit-il. Il cite Miron : « Ça ne pourra pas toujours ne pas arriver… » Je rejoins René Richard dans ce désir de sortir l’artiste de ce sentiment de prêcher essentiellement aux convertis. Il ajoute : « Il faudra un jour affronter ce paradoxe d’un peuple qui a le cœur à gauche et le portefeuille à droite ! » La question belle et fondamentale qu’il pose dans son travail, en disant : « Le défi est dans la salle », mais aussi dans cette méfiance des ghettos intellectuels et culturels de toutes sortes, en face des différences et des paradoxes des uns et des autres, c’est celle-ci, encore une fois : « Où peut-on être ensemble ? » En d’autres termes : « Où est l’adhésion ? Et pourquoi ? C’est troublant. » Dans cette recherche de l’idéal de l’adhésion, René Richard est limpide : j’y vois à la fois le metteur en scène qui veut « bien se faire comprendre », l’artiste qui recherche avidement les occasions de débattre de propositions provenant des générations plus jeunes que la sienne, et le Québécois qui recherche avec impatience la cohérence du projet social québécois. L’adhésion pour lui, que ce soit dans une salle de spectacle, entre les générations d’une communauté artistique ou pour l’ensemble des habitants de notre territoire, est le signe vivant, à différentes échelles, du progrès collectif souhaitable. La métaphore qui cristallise cet idéal est suggérée par ce scénario classique qu’il me propose d’un match de tennis opposant deux joueurs au style diamétralement opposé, qui offrent un match superbe, créé par le ballet incessant provoqué par ce choc des styles et qui au terme de cet échange épique seraient ravis, l’un et l’autre.

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« Être ensemble, ça ne veut pas dire se fondre. Le choc des différences, l’échange, est souhaitable pour tous ». Cet échange fructueux et souhaitable entre les différences, il le souhaite entre créateurs de différentes générations. Il le souhaite également pour les Québécois et leur diversité culturelle. Quand je lui demande ce qu’il voit souvent, sur nos scènes, il parle de ce « quatrième mur trop épais » entre la scène et la salle, d’un effet monologuiste : « Même quand ils sont dix-huit sur scène. Ce que je vois rarement, c’est une liberté, une transgression. Quand je vis l’un de ces échanges galvanisant dans une salle, j’applaudis. Cette intelligence m’émeut ! » Ce qu’il voit rarement sur nos scènes : « L’ennui. Je trouve toujours quelque chose qui suscite mon intérêt. » Je lui demande s’il a un souhait pour notre théâtre. Il me corrige tout de suite : « Pour NOS théâtres ! Il faut favoriser les différences. Il ne faudrait pas que le théâtre devienne une seule affaire. » C’est la même chose pour une société pourrait-on dire. Pour le Québec aussi. Pour reprendre cette métaphore des deux joueurs de tennis, on pourrait dire, selon l’avis de René Richard que c’est justement grâce à ces différences, qu’ils ont vécu et offert un match extraordinaire. C’est un peu ce que je me disais moi-même sur cet échange passionnant, en sortant de chez lui… Et je pose mon regard vers ce fleuve devant moi, connu et reconnu par l’Histoire, maintes fois parcouru et raconté… 0

Après avoir été présenté devant plus de 300 000 spectateurs,   Belles-Soeurs est de retour à Montréal et dans plusieurs villes québécoises à l'automne 2013. Pour en savoir plus : belles-soeurs.ca

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PETITE FUTUROLOGIE POLITIQUE IMPROVISÉE par Antoine Robitaille Éditorialiste au Devoir

3900 a demandé à Antoine Robitaille, le chevronné éditorialiste du Devoir, de se livrer à un difficile exercice d’anticipation et de nous présenter ses réflexions sur le Québec de 2022. Il fait ainsi écho à la démarche du Théâtre du Futur, compagnie qui entame cette saison une résidence de deux ans à la salle Jean-Claude-Germain avec leur création L’assassinat du président qui met en scène le Québec de 2022.

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Comment évoluera la politique au Québec dans les 20 prochaines années ? En 2033, à quoi ressemblerat-elle ? Aux yeux de l'observateur politique que je suis, ces questions que vous me posez, vous, de la revue 3900, ont l'allure de pièges sadiques. Une sorte de jeu de roulette russe ! Car il n'y a sans doute rien de plus périlleux que la prédiction en politique. Le cliché québécois selon lequel « six mois en politique est une éternité » est d'une criante vérité. Imaginez 20 ans... L'erreur est garantie. Un exemple : l'auteur-compositeurinterprète Claude Gauthier, dans son magnifique « Plus beau voyage » des années 1960, ne chante-t-il pas que le Québec souverain est « prévu pour l'an 2000 » ? Il reste qu'en politique, on ne peut se passer de prédictions, de prévisions. Toute la vie démocratique est basée sur des prospectives, des hypothèses, souvent contradictoires, à propos de l'avenir. Selon l'expression fétiche de Max Weber, la politique doit même être « le goût de l'avenir ». Le goût de quelque chose qui n'existe pas. Dans la bouche des acteurs politiques, des observateurs, des experts, s'enchevêtrent donc, à propos du futur, les souhaitables et les possibles, les rêves et les cauchemars, les utopies et les dystopies. De ce choc des prédictions catastrophes (« Ce sera la fin du Québec ! ») avec les projections roses (« Dans dix ans, le Québec se hissera au sommet des sociétés où il fait bon vivre »), de la confrontation entre prospectives tronquées et études approfondies, de l'affrontement des perspectives et volontés contradictoires, émane l'évolution politique. Il en va en somme de la politique comme de la météo et du climat : à court terme, certaines modestes prévisions sont possibles. À long terme, les interactions sont tellement complexes, il s'agit d'un chaos si total, que la raison humaine ne peut arriver à prédire quoique ce soit avec certitude. Raymond Aron va jusqu'à affirmer  : « Le chef de guerre, l’homme politique, le spéculateur, l’entrepreneur, ont rarement de la conjoncture un savoir qui autorise la combinaison rigoureuse de moyens en vue de fin. Ils parient et ne peuvent pas ne pas parier » (voir L'opium des intellectuels, Hachette Littérature, 1955). Nulle surprise que nombre de politiciens soient aussi des gageurs invétérés ! (On connaît la passion de René Lévesque pour le poker par exemple.)

Vieillissement Mais tentons de gager. De jouer le jeu. Pour être cartésien, que sais-je avec certitude à propos de 2033 ? Personnellement, si (déjà un « si »...) je suis

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― Petite futurologie polique improvisée

encore de ce monde, ce sera l'année où j'atteindrai l'âge de la retraite ! Du moins tel que défini dans les années 1960. Ce qui risque de changer... Oh, voilà évoquée une première et fondamentale donnée des deux prochaines décennies : le vieillissement de la population, auquel je pourrais donc participer activement. Si… Depuis 30 ans, on en parle et reparle. Dans les 20 prochaines années, nous le vivrons de manière plus intense que jamais. Dès 1984, l'économiste Georges Matthews s'inquiétait du Choc démographique (Boréal) à venir en raison de la chute des taux de fécondité des Québécois. Pour le refaire augmenter, les gouvernements prendront certaines mesures : « bébé bonus » du gouvernement de Robert Bourassa; garderies à 5, puis à 7 $ du gouvernement de Bouchard; congés parentaux, complétés sous le gouvernement Charest. L'ensemble a eu un effet, semble-t-il : le fameux taux a légèrement augmenté. Portés par l'enthousiasme, certains ont parlé de « minibabyboom ». Mais on n'inverse pas une tendance aussi facilement. Et avec l'espérance de vie qui s'améliore, la pyramide des âges a tranquillement pris l'allure d'une sorte de poire qui conditionne —, et ce beaucoup plus qu'on veut le croire — le débat public.

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Nulle surprise que la priorité des Québécois selon les sondages soit la santé. Une société, comme un individu qui vieillit, s'inquiète pour sa santé. Pourquoi a-t-il fallu un tel effort de mobilisation de la part des mouvements étudiants pour bloquer une simple hausse des frais de scolarité à l'université ? En grande partie parce que la poire démographique que nous sommes a davantage le réflexe santé (celui des vieux) que celui de la formation (propre aux jeunes). L'augmentation des frais de vieillesse annoncée par le gouvernement Marois et baptisée « assurance autonomie » pourrait bien, à court terme, susciter un refus considérable, surtout si les générations privilégiées de notre société (dont les baby-boomers) y voient un autre impôt. Pour le dire dans les mots de la CIA, dans son rapport sur « Le monde en 2030 » (Éditions des Équateurs, 2013)  : « Les pays vieillissants devront lutter farouchement pour maintenir leur niveau de vie. » En effet, et les débats à ce propos s'annoncent difficiles, déchirants, surtout au Québec alors que le phénomène de vieillissement sera aigu. Bien sûr, des percées majeures en matière de santé pourraient survenir et bouleverser totalement les prédictions en ces matières. Les révisionnistes qualifient ceux-ci de « cygnes noirs ». Dans une interview pour mon livre Le Nouvel homme nouveau (Boréal, 2007), le chercheur de Cambridge Aubrey de Grey soutenait que le vieillissement devait être traité comme une maladie. Il fallait, a-t-il dit, y « trouver un remède global le plus vite possible ». Et affirmait que ce serait possible d'y arriver « dans les

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20 ou 30 prochaines années » (soit 2024 ou 2034 !), entre autres grâce au décryptage du génome humain et aux superordinateurs. Mais ces quasi-fontaines de jouvence — si jamais elles sont mises au point, ce qui serait surprenant — auraient un coût considérable, sinon prohibitif, pour nos systèmes de santé. Des solutions techniques engendrent souvent d'autres problèmes.

Une politique de l'entretien Au reste, sur le plan politique, les Québécois continueront encore longtemps d'entretenir une nostalgie romantique pour la Révolution tranquille, non seulement parce que c'est là le mythe fondateur du Québec moderne, mais aussi, et surtout, parce que ce fut « le début d'un temps nouveau ». Tout était à imaginer, construire, bâtir. Donc exaltant. Aujourd'hui, tout est à entretenir, réparer, voire rebâtir. Le Québec aurait besoin d'une politique de « l'entretien » et de gestion d'une sorte de « décroissance », ce qui n'a pas l'heur de susciter ni grands transports ni exaltations. Et ça se comprend. Le vieillissement de la population, l'avènement d'une société de retraités pourraient faire en sorte que les finances publiques du Québec seront de plus en plus difficiles à boucler. Des thèmes comme l'âge de la retraite à repousser, la fermeture de certains villages, voire de régions dévitalisées, les compressions draconiennes dans les programmes sociaux et la fonction publique pourraient bien s'imposer. Les pressions seront fortes pour améliorer l'allure de la colonne des revenus : les débats sur l'opportunité ou non d'exploiter les ressources se multiplieront : gisements de pétrole de schiste à Anticosti; de pétrole traditionnel dans le golfe du Saint-Laurent et en Gaspésie; exploitation commerciale des ressources d'eau potable; des multiples minerais que recèle le nord du Québec. Les environnementalistes s'y opposent et s'y opposeront encore. Certains changements climatiques pourraient bien donner du poids à leurs arguments.

Décrochage national Chose inquiétante pour la démocratie, il est probable que plusieurs Québécois cessent de se considérer comme membres de la « nation québécoise » dans les prochaines décennies. Le concept de nation, consubstantielle à la démocratie, est travaillé au corps, à notre époque, par plusieurs facteurs. Un des principaux est peutêtre « médiologique» (pour reprendre un mot au philosophe français Régis Debray). L'invention de

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À long terme, les interactions sont tellement complexes, il s'agit d'un chaos si total, que la raison humaine ne peut arriver à prédire quoique ce soit avec certitude.

l'imprimerie au XVIe siècle, les médias qui en sont nés (maisons d'édition, revues, journaux, etc.) ont favorisé l'apparition des nations modernes telles qu'on les a connues. L'apparition d'autres médias (radio, télévision) ont certes modifié la donne, mais ont grosso modo préservé, sinon renforcé, la notion de nation. Aujourd'hui, l'Internet a avalé tous les médias et les transforme graduellement. Si bien que plusieurs dans les nouvelles générations, nés dans le cybermonde se sentent souvent d'emblée appartenir à des groupes humains transnationaux. Ils ne sont Québécois, Canadiens, qu'après coup. Il se peut que l'avenir nous surprenne, mais déjà, aujourd'hui, dans ce contexte dénationalisant, on perçoit une désaffection d'une partie des Québécois pour leur langue, pour ce caractère distinct si courageusement défendu par nos ancêtres en ce continent. Alors que les révolutions médiatiques ont souvent eu pour effet de ressouder les liens nationaux et la langue de la nation — considérons par exemple l'effet de la télé au Québec —, l'Internet impose un monde surtout anglophone. Si ces tendances s'accentuaient, il pourrait être bien difficile aux mouvements souverainiste et nationaliste de se maintenir. Les nouvelles règles de financement des partis politiques combinées à un certain éclatement idéologique auront probablement comme effet de multiplier les gouvernements minoritaires. Peut-être qu'une coalition nationaliste reviendra un jour au pouvoir, mais il se pourrait bien que le Parti québécois, lui, n'y revienne plus jamais. La possibilité de sa disparition, à la suite de sa défaite probable aux prochaines élections, n'est pas à écarter. La Coalition Avenir Québec pourrait profiter d'une baisse du sentiment national. Encore faut-il qu'elle devienne, aux yeux des électeurs, un parti en mesure d'exercer le pouvoir. Chose certaine, elle pourrait perdre son chef vers 2021, puisque François Legault a annoncé, lorsqu'il est revenu en politique en 2011,

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qu'il y serait pour 10 ans seulement. Le Parti libéral du Québec souffrirait peut-être d'un déclin des courants nationalistes puisqu'il s'est cimenté ces dernières décennies autour du refus de tout courant national afin de consolider sa base électorale dans l'ouest de l'île de Montréal et des populations anglophones, lesquelles croîtront sans doute. Bien qu'il ne soit pas à l'abri de menaces sérieuses, il a l'avantage d'avoir été depuis la fin du XIXe siècle le parti naturel du pouvoir. Tous ces éléments d'avenir sont bien aléatoires; centrés sur certaines de mes propres inquiétudes et ma vision s'en trouve sans doute déformée. Mais j'ai tenté d'éviter la posture catastrophiste de Jacques Godbout, qui déclarait en 2006  : « L’Actualité de l’an 2076 pourra probablement annoncer la disparition de la société québécoise. Mais d’ici là, personne ne va s’en rendre compte… » Non. L'histoire est remplie de revirements inattendus, de sursauts nationaux. Notamment cette « survivance canadienne-française » qui s'est muée au fil des ans en « dur désir de durer » québécois. 0

L'assassinat du président d'Olivier Morin et Guillaume Tremblay   est présenté à la salle Jean-Claude-Germain du 3 au 21 septembre 2013. Pour en savoir plus : theatredaujourdhui.qc.ca/assassinat

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INSPIRATION : AUDE MOREAU 21

À surveiller La Galerie de l’UQAM a présenté SORTIR à Montréal, Charlottetown (Centre des arts de la Confédération), Providence (Flickers : Rhode Island International Film Festival), Brooklyn (Interstate Projects) et New York (Anthology Film Archives). Elle exposera également à l’automne 2013 au Fresnoy (Studio national des arts contemporains) et au Centre culturel canadien à Paris dans le cadre de la Nuit Blanche.

Depuis les années 2000, Aude Moreau développe un corpus d’œuvres combinant sa double formation en scénographie et en arts visuels. Ses installations ont été présentées au Québec, en France, aux ÉtatsUnis et au Luxembourg. Artiste multidisciplinaire, ses œuvres, souvent monumentales, sont chargées d’une sensibilité poétique et portent un regard critique sur la société. Son travail fait partie de la collection du Musée d’art contemporain de Montréal, de la collection Prêt d’œuvres d’art du Musée national des beaux-arts du Québec et de la Banque d’œuvres d’art du Canada. Des comptes rendus critiques sur sa pratique ont été publiés dans les revues Esse, Espace et Art Le Sabord. Détentrice d’une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal, elle est récipiendaire de la bourse en art contemporain Claudine et Stephen Bronfman 2011 ainsi que du prix Powerhouse de la Centrale Galerie Powerhouse, 2011.

Une importante exposition monographique d’Aude Moreau sera présentée à la Galerie de l’UQAM en 2015.

Le portfolio Inspiration a été réalisé avec la collaboration de la Galerie   de l’UQAM galerie.uqam.ca

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SORTIR, 2010 Intervention, Tour de la bourse, Montréal L’intervention a été réalisée en sélectionnant les lumières des bureaux qui devaient rester allumées et celles qui devaient être éteintes afin de faire apparaître le mot « Sortir » sur la Tour de la bourse à Montréal. Intégrée à la programmation de la Nuit blanche de Montréal, et de celle d’Art Souterrain, l’intervention était visible pendant deux fins de semaine consécutives jusque sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent. Cette inscription, construite à partir du signal qu’émet la lumière du bureau, utilise la production énergétique déjà existante de la ville illuminée pour en rejouer le spectacle. La dynamique de cette démarche privilégie l’angle sous lequel l’intervention artistique agit de l’intérieur de la production urbanistique pour se réapproprier l’espace symbolique de la ville.

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SORTIR, 2010 Vidéo, 4 min 32 s Cette œuvre vidéographique, conçue au départ comme un film documentant l’intervention « Sortir » mime la facture broadcast de l’image cinématographique. Le mouvement giratoire de l’hélicoptère qui survole le centre-ville de Montréal, au moment de la captation des images, engendre une boucle à l’intérieur de laquelle le mot SORTIR se reproduit égal à lui-même. Le décalage ainsi produit entre la valeur sémantique du mot qui indique un passage du dedans au dehors et la boucle décrite par l’hélicoptère suggère une impasse.

Crédits Directeur photo/caméraman : Jean-Philippe Bernier Aide-caméraman : Daniel Duranleau Machiniste : Michel Robitaille Pilote hélicoptère : Pierre Demon /Hélicraft Monteur image : Pascal Grandmaison Monteur sonore : Mathieu Beaudin Directrice de production : Dominique Dion Assistants de production : Amélie Huard, Sylvie Nadeau, Pavel Pavlov

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SORTIR DE L’APATHIE COLLECTIVE

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Entretien avec Luc Picard Par Xavier Inchauspé Docteur en philosophie, di recteur général adjoint de Sibyllines et membre du comité artistique du Théâtre d’Aujourd’hui

On ne l’a pas assez vu au théâtre ces dernières années, mais il remonte sur les planches du Théâtre d’Aujourd’hui cet automne dans une pièce de Michael Mackenzie traduite par Alexis Martin. C’est Marc Beaupré qui l’a approché et Luc Picard n’a pu dire non à ce duo rythmé comme il les aime. Il incarne un courtier de Wall Street confronté à sa propre fin.

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photo : David Ospina

L’histoire d’une crise donc, mais pas tellement celle de la crise bancaire et financière de 2008 qui ne serait que le contexte de la pièce selon Luc Picard. C’est surtout leur crise personnelle à eux, celle de son personnage et de celui incarné par Sophie Desmarais, « alors que tout leur univers se détruit en un soir », dit-il. C’est malgré tout l’occasion pour nous de faire un tour d’horizon sur ce qui l’allume ou l’exaspère dans notre société où le mot « crise » est sur toutes les lèvres. Parler de « crise » a toujours ceci de paradoxal : c’est le plus souvent une manière de ne pointer personne du doigt, de dire que la culpabilité est partagée. Le problème est général et donc la faute est collective. Et c’est entre cette idée et la volonté d’invoquer les responsabilités individuelles, plutôt qu’abstraitement collectives, que Luc Picard oscille. Comme moi d’ailleurs, comme d’autres probablement. Or pour cette crise bancaire, il faut bien responsabiliser ceux qui ont été trop loin. Les exemples, et même aujourd’hui plusieurs

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témoignages recueillis sous serment, ne manquent pas. « À AIG à Londres, ils étaient quelques centaines de courtiers et en quelques années, avant la crise, ils ont fait des milliards. C’est pas les banques qui ont fait de l’argent, ce sont les employés des banques. C’est pas les banques qui ont volé le monde, c’est le gérant de banque ». Étrange renversement quand même pour tous ces courtiers, fiscalistes, comptables qui faisaient autrefois dans l’imagerie populaire des petits métiers et qui sont devenus depuis une quinzaine d’années, les nouveaux rois. « Mais les rois ce sont toujours les mêmes : ceux qui veulent faire de l’argent à n’importe quel prix. Et peut-être qu’en ce moment, le meilleur moyen d’y arriver, c’est d’être broker. Comme c’était peut-être de vendre de l’alcool en 1920. Mais c’est le même genre de monde. Des chasseurs. Ces gars-là mesurent la valeur de leur propre existence au succès qu’ils ont, au pouvoir qu’ils ont. Et s’ils perdent ça, ils ont l’impression d’être inintéressants. C’est vrai, ce sont les nouveaux rois. » Ces « gars-là », parce que oui, c’est surtout un monde d’hommes : un véritable « boys club ». Mais le plus étonnant de cette crise bancaire et financière n’est pas tellement l’espace qu’on avait alors laissé à ceux-là pour manœuvrer, pour créer des produits dérivés ultra-complexes et, au bout du compte, toxiques. Le plus étonnant est qu’on ne semble pas avoir fondamentalement corrigé la situation. « On n’apprend rien. On est passé proche d’une espèce d’abîme économique. C’est très abstrait. C’est difficile à comprendre. Mais il ne s’est rien passé après. Peut-être que ces gars-là sont plus prudents. Mais le système n’a pas changé. Aux ÉtatsUnis, Obama n’a pas fait beaucoup. Le système est toujours aussi complexe ». Il devient alors difficile de les surveiller ou des les encadrer. Difficile surtout de prévoir ce qui nous attend et d’anticiper ou de prévenir les futures crises. Et voilà qu’il apparaît clair que la faute n’en incombe pas à ces seuls « gars-là ». C’est justement à partir de là que la responsabilité devient collective. En fait, on semble pris dans un cercle vicieux qui mêle les forces sociales, les forces économiques et les forces politiques. Pour Luc Picard, personne ne semble faire son travail au-delà du strict minimum : les citoyens ne s’impliquent pas suffisamment, les médias nous informent mal, les politiciens se contentent trop souvent du statu quo. Même les artistes n’osent plus tellement se mouiller, sauf peut-être pour la cause environnementale. Une cause « fondamentale, c’est vrai », mais « safe » malgré tout. C’est pourtant bien le rôle des artistes ou d’autres qui prennent la parole : « nous mettre la face dedans, dans ce qui est injuste, dans ce qui fonctionne pas. Humblement. Jamais pancartiste bien sûr. Pancartiste, ça c’est fatigant ».

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Aussi, on semble bien tous embarqués dans le cercle vicieux. « De mon vivant, je n’ai jamais vécu une époque aussi apathique. Et c’est pas seulement au Québec. C’est partout en Amérique du Nord. Je ne sais pas pour l’Europe qui a une longue tradition de militantisme. Ils ont l’habitude de surveiller les pouvoirs, probablement à cause des souffrances vécues, à cause des deux guerres entre autres ». Évidemment, tout n’est pas noir et l’avenir n’est pas si sombre. « C’est vrai qu’il y a eu des petits réveils. Il y a eu Occupy Wall Street ou les casseroles ici. Même si on ne savait pas exactement c’était quoi, ça faisait du bien à entendre. Qu’il y ait quelque chose. Qu’il y ait encore de la vie ». « La jeunesse, c’est toujours celle qui va bouger le plus. Par principe. Eh oui, il y a une jeunesse intelligente et articulée. Mais démographiquement, en Occident, cette jeunesse est vraiment minoritaire. Ils n’ont pas le poids électoral que la jeunesse avait en 1968 par exemple. On fait moins d’enfants, c’est peutêtre ça aussi. On s’est peut-être ankylosé. Parce qu’il y a plus de boomers ou de gars, plus jeunes comme moi, qui sont peut-être un peu fatigués ». Mais au-delà du poids démographique des « peut-être plus fatigués », il n’en demeure pas moins que le problème est plus structurel que simplement générationnel. Et au cœur de ce cercle apathique, certaines structures ont clairement décliné selon Luc Picard. Au premier rang, il y a la presse d’information. « Les médias d’information sont devenus une industrie du spectacle ». Ils font dans le sensationnel. « Si un sénateur envoie la photo de son pénis. Ça devient la nouvelle. En quoi c’est si important ? Ça change pas la vie des gens ! » Il parle des médias de masse surtout, car il existe bien une presse spécialisée « et pas seulement de gauche », ici comme ailleurs, qui informe en profondeur, cerne des problématiques et fait avancer la réflexion. Mais leurs articles sont en marge ou peu nombreux et parfois difficiles à trouver. « Il faut creuser ». Pour le reste, le problème reste entier. Quand ces médias d’information ne remplissent pas leurs pages ou leur temps d’antenne d’histoires spectaculaires ou de brèves nouvelles glanées chez les agences de presse, ils font dans le commentaire. Les journalistes de terrain ou d’enquête ont été remplacés par des chroniqueurs et des éditorialistes. À ceux-ci, « on demande d’avoir des opinions colorées sur les choses. Comme disait Pierre Falardeau, comment est-ce que tu peux avoir une opinion sur l’extrémisme religieux, puis le lendemain sur l’avortement, puis le lendemain sur les barrages ? C’est impossible. Personne ne peut être expert dans tout ça ».

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― Sortir de l'apathie collective

« Je m’attends à plus de la presse d’information. En même temps, je les comprends un peu. Ils veulent survivre et les gens aiment bien les chroniqueurs. Ça vend. Ça semble plus accessible, plus humain. Je veux pas vraiment savoir ce qui est arrivé, je veux lire ce que Foglia en pense ou ce que Martineau en pense. Individuellement, on ne peut pas leur reprocher de faire leur travail ». Ils font ce qu’on attend d’eux et de toute façon « il nous en faut des columnistes, mais peut-être pas à pleines pages ». Encore une fois, le problème est plus structurel. Il n’est pas nouveau non plus, mais il est vrai qu’on semble récemment avoir atteint des sommets. « Parfois ils donnent leur opinion sur l’opinion du journaliste du New York Times. À la radio, on peut entendre un journaliste qui interviewe un autre journaliste. Même à la télé, ils s’interviewent entre eux. Ils deviennent des stars. C’est pas normal ».

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Pessimiste alors ? Il s’en défend vivement. « Non. Je ne suis pas pessimiste. Je suis en tabarnak ! Je ne suis pas fâché, pas pessimiste. Il va bien falloir que quelque chose pète quelque part. Ça peut pas être plate comme ça tout le temps ». En fait, c’est même l’inverse. Il se dit optimiste. Les choses vont bien finir par bouger. « On a tous besoin d’idéaux, besoin de batailles, besoin de communier. De faire partie d’un groupe, d’une communauté. On a tous besoin de ça. On a tous envie de ça. Ça va revenir à la mode d’avoir une solidarité sociale, une conscience sociale, d’avoir une curiosité ». Mais on n’y est pas encore. « On dirait qu’on met l’ignorance à la mode. L’intelligence va redevenir sexy, mais en ce moment, c’est pas tellement ce que je vois. C’est pas ce que je sens. Collectivement, on est un peu complaisant, je pense ». Le meilleur exemple est chez nos voisins américains. « Les gens ont élu Georges Bush parce qu’il était comme eux. Il ne sait pas où est l’Irak. C’est donc un gars régulier, accessible, pas compliqué. On ne se pose par trop de questions. Il est comme nous. Lui, c’est un vrai ! », dit-il en levant le pouce comme le faisait Olivier Guimond dans les pubs de 50. Mais les Américains n’ont pas grand-chose à nous envier. Malgré un bilan qu’il juge désastreux, « le Parti libéral du Québec a presque été réélu l’automne dernier ! » À partir du moment où tu peux gagner des élections, « seulement parce que tu n’es pas souverainiste », les choses ne peuvent que mal tourner. « Si tu peux gagner des élections par défaut, par définition, il y a des gens médiocres qui vont se retrouver au pouvoir. S’ils sont assez nombreux, alors il n’y a rien qui peut se passer ». Pas pessimiste Luc Picard, d’accord, mais clairement insatisfait. En fait, il regrette qu’il n’y ait personne qui l’inspire actuellement en politique. Oui, certains politiciens se dévouent et il respecte les sacrifices que doivent faire ceux qui s’engagent en

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politique. Mais aucun ne l’inspire véritablement. « Ils sont trop technocrates. C’est la télé qui a fait ça. Ils sont scrutés à la loupe, donc ils se surveillent. Tout est calculé ». Le moindre geste déplacé ou le plus petit lapsus va passer en boucle à la télévision. « C’est pas ce que tu veux dire qui est important. C’est ce que tu as dit. Même si tout le monde sait que tu voulais dire autre chose, tu vas avoir besoin d’un spin doctor pour t’en sortir ». Pour Luc Picard, c’est pourtant ce qui nous manque. On aurait bien besoin d’être inspiré. On aurait bien besoin que quelqu’un nous bouscule pour nous sortir de notre torpeur. « L’an dernier, on a un trois ou quatre mois où quelque chose se passait. Après, on était presque mort. Après un automne de révélations de corruption jusqu’ad nauseam, on a été assommé. On ne réagit pas vraiment. On est engourdi ». Pourtant, il y a parfois « des moments en politique où certains discours dépassent la partisanerie et viennent te chercher. Il y aurait dû en avoir cet automne avec la corruption et tous les maires qui se faisaient arrêter. Je trouve que Mme Marois a manqué là l’occasion de se lever et de parler à la nation. C’est dommage. Il y avait là un speech à faire, selon moi ». On aurait eu besoin, et d’ailleurs on a encore besoin, de ce genre de discours qui d’abord nous soufflent, puis nous poussent à l’action. « C’est comme l’incarnation de quelque chose qui est là collectivement et qu’on n’arrive pas à exprimer. Et là quelqu’un arrive, et hop, il réussit à prendre tout ça et à rendre en émotion et en mots » un problème public et à ouvrir une perspective nouvelle pour nous permettre d’en sortir. En disant cela, il a bien sûr en tête certains discours de Michel Chartrand, mais aussi de Pierre Bourgault, « le meilleur orateur qu’on ait eu ». Et alors que Luc Picard reproduit devant moi l’accent improbable et l’intonation unique de Bourgault, je le revois prononcer ces mots devant un René Lévesque tendu et visiblement agacé : « La démocratie telle que nous tentons de la vivre, ce n’est pas la sécurité. C’est dur. C’est agaçant. C’est harassant par moments. Mais c’est ça aussi un parti qui se veut libre1 ». Bourgault dit « parti », mais on pourrait tout aussi bien dire « c’est ça aussi une société qui se veut libre ». Et je me mets à penser comme Luc Picard que parfois « le discours qui enflamme ou qui réveille peut nous sortir de l’apathie ». 0

Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël de Michael Mackenzie est présenté du 8 octobre   au 2 novembre 2013.   Pour en savoir plus : theatredaujourdhui.qc.ca/instructions 1. Pierre Bourgault, « Sécurité, solidarité et respectabilité », Discours lors de l’élection du comité exécutif du Parti québécois, 2 février 1971

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La première fois que j’ai croisé Jean-Paul, c’était dans un bar de la rue Sainte-Catherine. C’était la première fois qu’on se voyait. Nous étions dans un de ces lieux à thème, celui qui rappelle une célèbre chanson de Barbara. Ni lui ni moi ne cadrions dans le décor, nous avions de toute évidence oublié nos costumes. Chaque fois que je vais là bas, je me dis que les temps ont changé, qu’il y a dans ce décor pour hommes seulement quelque chose de suranné, une frontière que je ne ressens plus nécessaire. Autres temps, autres mœurs. De visu j’ai compris qu’entre Jean-Paul et moi il y avait des différences notables. Je préfère les t-shirts aux écharpes. Il préfère le lustré au mat. Il préfère chanter en public, moi dans la douche. Les époques nous ont forgés autrement, mais tout cela est sans importance, nous nous reconnaissons dans le choc du sentiment amoureux.

Extrait du texte

Nous sommes liés par son fabuleux récit, presque deux mille vers d’amour précoce, de confessions sans complexes. Son point de vue étonne, dérange parce qu'il transgresse nos limites. J’y vois là un geste nécessaire. Dans un monde où les repères sont en pleine mutation, la transgression m’apparaît alors comme un moyen d’identifier ces limites, de nommer ce qui nous entoure, de raconter aujourd’hui. Transgresser c’est redéfinir. Créer la friction, c’est chercher la lumière. Jean-Paul fait ça tout le temps, si bien, qu’il transcende les étiquettes. -Philippe Cyr

Vitrine

Je l'aime encore plus

Les pluies

Quand je lui ramenais mes exploits de pêche

À regarder le temps passer

Des perchaudes des crapets parfois des achigans

Celui-là même qui nous a vus Parce qu'il m'aimait Que je l'aimais Mais je n'avais que six ans et demi Lui vingt ans Comment peut-on aimer plus que ça À six ans et demi À relire maintenant les grands livres Les grandes histoires

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Sa voix à mon oreille Qui me chatouillait Il m'enlevait pour quelques heures Ou était-ce des secondes Il m'emmenait à son pays de l'amour Ses yeux en amande Où le ciel copiait des poses Les poses de la lumière


de Jean-Paul Daoust

Dans l'eau bleue de ta sueur Quand tu n'en pouvais plus de m'aimer À la grandeur de ton corps Un grand lac Bleu et chaud Quand dans l'interstice des planches se faufilaient

Notre histoire aura été celle de soleils couchants Tu voulais que j'en saisisse toutes les teintes Pour des lendemains en reliques Il y a des corps qui marquent On se souvient de leurs surprises

Des rayons où flottaient des poussières d'ange

De leurs étonnements

Comme tu disais

Comme le sien

Ces feuilles mortes que le vent nous jetait méchamment

Un dépouillement d'arbre de Noël

J'ai encore peur de leurs bruits Mais tes caresses excitaient la lumière mourante

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Puisqu'aimer c'est aller publiquement à sa perte Les cendres bleues de Jean-Paul Daoust est présenté à la salle JeanClaude-Germain du 22 octobre au 9 novembre 2013. Pour en savoir plus : theatredaujourdhui.qc.ca/cendres

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photo : Ulysse del Drago


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CLASSE DE MAÎTRE : GUY NADON

― Classe de maître : Guy Nadon Le goût du fromage

Le goût du fromage Entre deux entretiens avec Guy Nadon par Guillaume Corbeil Guy Nadon m’a donné rendez-vous chez lui. Au téléphone, le timbre de sa voix a sonné de façon familière, mais aussi étrange. Pour moi, il appartient davantage à la fiction qu’à la réalité, et j’entre chez lui avec l’impression de traverser l’écran. Je note pour une éventuelle introduction : je pénètre dans l’antre d’une créature mythologique, mais avant que j’arrive au bout de la phrase, il m’offre un café, me demande comment se passe mon déménagement… Je suis devant un homme en chair et en os. On passe au salon et la machine part : il me parle pendant deux heures, me raconte ses quarante ans de métier avec une impudeur et une générosité qui me donnent l’impression que nous nous connaissons depuis des années. J’enregistre tout ce qu’il me dit et, de retour chez moi, le retranscris et le mets en forme dans

une espèce de long monologue, un peu comme j'avais déjà fait avec la biographie d’André Brassard. Trois jours après que je lui ai envoyé le texte, il me téléphone : « Ça ne va pas du tout. Il faut tout recommencer. » Une phrase qui me rentre dedans comme un placage de son fils Arnaud, joueur de ligne, anciennement du Rouge et Or. Cet entretien devait paraître dans le premier numéro de 3900, il est remis au second. Un mois plus tard, je retourne chez lui, déçu et peut-être amer. « Veux-tu un autre café ? », me demande-t-il en éclatant de rire, conscient qu’il m’a mis au tapis. « Je veux traiter l’art avec tout le sérieux que ça demande, m’explique-t-il. Les gens avec qui je travaille me trouvent sans doute parfois difficile, mais c'est les exigences qu’on s’impose et qu’on essaie tant bien que mal de satisfaire, dans les conditions souvent pas idéales qui nous sont données, qui font en sorte que, au bout du compte, on est fier de ce qu’on présente. » J'avais imprimé mon texte, je pensais que nous le traverserions ensemble pour voir quelles parties il fallait changer, mais nous n’en parlons pas – nous continuons sur la piste des exigences : « Monter sur scène n’est pas un droit : c’est un privilège. Il faut que tu l’acceptes avec humilité, que tu t’en montres digne. Tu défends quelque chose de plus grand que toi. Quand un jeune acteur me souhaite de m’amuser au moment de monter sur scène, je me demande si nous faisons le même métier. Pour moi, un spectacle relève davantage du débarquement en Normandie : ils sont huit cents à nous attendre ! Baisse la tête, fonce et prie que tu n’y passes pas ! » Il éclate de rire et se blottit dans son fauteuil, l’œil qui brille. Je profite de ce petit silence pour lui rétorquer que le spectateur vient voir l’acteur, est-ce que les deux camps ne signent pas une sorte de pacte ? Je ne suis pas comédien, mais il me semble que j’ai souvent entendu parler d’un échange entre les deux, d’une complicité qui s’installerait durant la représentation. Lors de notre premier entretien, j'avais compris que Nadon aime répondre en passant par la bande, pour ne jamais éclairer ses idées de face ou les saisir bêtement avec le flash d’un Polaroïd – il maîtrise l’art du détour : « Vers la fin de ma vingtaine, je pensais connaître Duke Ellington, mais au fond je ne le connaissais pas. Parce qu’il fallait bien commencer quelque part, je suis allé voir un documentaire à son sujet au Festival de Jazz. À l’écran, le journaliste se croyait malin et lui a demandé combien de spectacles, sur les trois cents qu’il donnait par année, pouvaient être considérés comme du jazz. — Peut-être trois ou quatre. — Alors monsieur, qu'est-ce que vous faites le reste du temps ? — Well, my dear, we try to be elegant  !

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...le théâtre, c'est un jeu de société, voire le jeu de société par excellence : tu racontes à tes contemporains qui tu es, toi. Du même coup, tu leur racontes qui ils sont, eux.

« Les acteurs ne sont pas des génies. Il suffit de lire les biographies des plus grands pour se rendre compte qu’ils ignorent pourquoi certains soirs, la magie opère, d’autres pas. En fait, j’imagine que le génie comme on l’entend, ça n’existe pas : il n’y a que des gens qui travaillent fort. Notre travail, c'est ça : s’assurer d’être élégant pour faire en sorte que le spectateur ne se rende pas compte qu’il n’assiste pas à l’un des trois ou quatre concerts de véritable jazz. » Si mon hôte a prêté serment envers le travail, il m’avoue que ça n’a pas toujours été le cas. Alors qu’il étudiait à l’École nationale de théâtre du Canada, il s’en remettait beaucoup à son instinct et à ses habiletés naturelles. « J’ai fini par comprendre qu’être acteur, c'est 10 % de talent, 90 % de sueur. » Aujourd'hui, il profite de chaque occasion qui se présente pour peaufiner son instrument, même lorsqu’il va à la salle de bain : « J’en profite pour répéter certaines phrases plus difficiles à se mettre dans la bouche. J’appelle ça des répliques de chiottes ! » À l’École nationale, où chaque année il introduit les apprentis acteurs à l’univers de Shakespeare, c'est le principe qu’il s’attelle à transmettre : « Oscar Peterson disait qu’il pouvait jouer du jazz parce qu’il pouvait jouer du classique. » Nadon continue de tisser la métaphore musicale : « Jouer un personnage est aussi compliqué techniquement que d’être un bon musicien. Ça exige une souplesse, mais surtout un naturel : plus c'est compliqué, plus il faut que ça ait l’air simple. Le meilleur des virtuoses ne nous en met pas plein la vue : il nous donne l’impression que nous pourrions faire la même chose. Que ça coule, que c'est facile… On n’est pas là pour se flatter la bedaine, mais pour ravir le public. » Autre éclat de rire. Mon interlocuteur aime pousser ses images jusqu’à leur limite, pour leur faire tremper l’orteil dans la piscine de la démence. C'est ce plaisir que je lis dans sa pupille brillante : la jubilation.

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Depuis tout à l’heure, je n’enregistre rien. En fait, ce moment passé avec lui que j’essaie maintenant de raconter ne devait être que la parenthèse entre le premier et un deuxième entretien, qui n’aura finalement jamais lieu. Comme j’ai peur d’oublier quelque chose, je sors mon enregistreuse, mais il m’arrête : « Un verbatim, c'est figé : il faut que tu me représentes comme toi tu me saisis, pas ta machine. Oui, c'est un portrait, mais parce que c'est toi qui écris, le texte doit parler de toi aussi. J’imagine que l’écriture, c'est comme le jeu. Un sujet, ce n’est jamais suffisant – il faut que tu te l’appropries, que tu le fasses passer à travers ton corps. Il faut que tu y laisses un bout de peau.  »

L’école de la création Nadon a été formé à l’École nationale dans les années 70, en pleine période d’ébullition culturelle occidentale : c’étaient les années de Woodstock et, ici, de l’Osstidcho et de Les belles-sœurs. Dans les murs de l’institution de la rue St-Denis, André Pagé devenait le premier Québécois à être nommé directeur. Il entamerait de grands bouleversements qui aiguilleraient l’École nationale sur le théâtre de création. « J’ai eu la chance de croiser la route de professeurs extraordinaires, notamment Victor Lévy-Beaulieu et Gaston Miron. L’auteur de L’homme rapaillé nous donnait un cours de contextualisation historique; il voulait nous amener à prendre conscience, à partir de textes, de ce que signifie être un francophone en Amérique. Je me rendais compte que je m’inscrivais dans une longue marche, que ma génération représentait le nouveau maillon d’une chaîne qui remontait jusqu’à Papineau, et plus loin encore. » À sa sortie, trois ans plus tard, Nadon était pris sous l’aile de son ancien directeur et du dramaturge Jean-Claude Germain. De 1974 à 1981, il a joué au moins une fois par saison au Théâtre d’Aujourd'hui. À l’époque, les locaux étaient encore situés sur la rue Papineau : « C’étaient des conditions extrêmes. Lors de la première lecture, le texte de Germain devait

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― Classe de maître : Guy Nadon Le goût du fromage

faire vingt pages. Le soir de la première, il en faisait cent vingt ! Il écrivait pendant les répétitions. C'était anxiogène, mais c'était aussi très excitant : nous cherchions à mobiliser le public politiquement, pour provoquer une accélération historique. » Nous parlons un bon moment de ces années, de la relation privilégiée qu’il a entretenue avec André Pagé et Jean-Claude Germain entre les murs du Théâtre d’Aujourd’hui. Il me confie que c'est la raison pour laquelle il m’a forcé à recommencer son portrait : « Parce que c'est important pour moi. Parce que c'est une institution qui m’a bien traité, en fait elle m’a carrément vu naître en tant qu’acteur ! Je veux que la trace que je vais y laisser soit à la mesure de l’amour que je ressens pour elle. » Pour le jeune Nadon, le Théâtre d’Aujourd’hui représentait une patrie, le symbole des valeurs qu’il défendait : « Longtemps la création et le répertoire m’ont paru en contradiction. Et moi j'avais choisi mon camp : je ferais de la création. Que je sois devenu un acteur de répertoire, c'est un peu ironique en ce sens-là ! »

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Après l’échec référendaire de 1980, le Québec ne voulait plus entendre parler de lui-même : « La blessure était trop vive. » Jean-Claude Germain a quitté la direction artistique et, un an plus tard, André Pagé se suicidait. « Mes deux pères symboliques avaient disparu, l’un de la scène québécoise, l’autre de la surface de la terre. » Pour faire revenir leur public, les théâtres ont dû programmer des classiques. Lui qui s’était fait chevalier du théâtre de création s’est retrouvé apatride : « Pour continuer à exercer le métier, il fallait s'adapter coûte que coûte. Quitte à faire un second rôle dans un Labiche ! Je ne comprenais pas pourquoi nous jouions ça : pour moi, ça ressemblait plus à un exercice en pâtisserie française. »

Pour Nadon, tout théâtre, que ce soit de la création ou du répertoire, demande un investissement personnel de la part des acteurs, du metteur en scène, de l’éclairagiste, du scénographe… Tous les créateurs doivent agir comme des boîtes de résonnance pour faire entendre le texte à travers leur imaginaire, et vice-versa : « Dans son Petit organon pour le théâtre, Brecht dit qu’un acteur est d'abord un ancien spectateur. Il vient de la salle. Il descend l’allée jusqu’au premier rang, il monte les escaliers et, une fois sur scène, il se retourne pour faire face au monde d’où il vient et s’adresser à lui en tant que l’un des siens. » Comme Brecht, Nadon voit le théâtre comme un lieu privilégié pour cette relation : « Une bactérie demande un milieu spécifique pour donner un bon fromage. Si on prend la bactérie d’un Bleu d’Auvergne et qu’on la transfère dans une culture de Oka, je ne suis pas sûr que le goût nous ravisse. De la même façon, un acteur vient avec une société. En fait, le théâtre, c'est un jeu de société, voire le jeu de société par excellence : tu racontes à tes contemporains qui tu es, toi. Du même coup, tu leur racontes qui ils sont, eux. » Le but du jeu, au fond, c'est de découvrir ensemble le goût du fromage. 0

Moi qui croyais qu’on avait dérivé de notre sujet vers un parcours biographique, Nadon boucle la boucle et me prouve que, même si sa parole s’emballe comme un cheval dans une tempête, elle ne perd jamais de vue sa destination : « De la même façon qu’il faut que tu t’appropries qui je suis pour réaliser ton portrait, il faut mettre notre griffe sur le répertoire. Le faire passer à travers notre corps, notre imaginaire et notre sensibilité pour en faire du théâtre québécois. J’aborde les classiques de la même façon que du théâtre de création. Notre identité surgit de l’architecture sensible et de l’infrastructure émotive. Le Québec, c'est plus qu’un accent, plus que des élisions, plus que des ruelles sur le Plateau MontRoyal : c'est une manière de comprendre le monde et, donc, de l’exprimer. Que tu joues du Molière ou Cyrano, tu dois trouver l’angle qui va te permettre de parler de toi. »

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photo : Ulysse del Drago

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à découvert ― 3900

Je suis une auteure qui boite. par Jennifer Tremblay Je suis une auteure qui boite. Il me faut beaucoup de temps pour franchir la distance qui me sépare de la ligne d’arrivée. Je ne peux pas m’obliger à courir. Je boite, je vous dis. Le mot « prolifique » me terrorise. Il me semble qu’il faudrait que je le sois. Mais dès que j’essaie d’accélérer le rythme, je trébuche. Autrefois, j’arrivais à argumenter, développer, expliquer. On m’avait appris ça à l’école. Mais le temps a fait de moi une boiteuse. Je ne peux plus dire « je suis sûre que… ». Je me contente de commencer mes phrases par « j’ai l’impression que... ». Je pense à Renoir qui n’y voyait plus rien et qui a peint le flou que lui donnaient à voir ses yeux malades, que lui donnaient à peindre ses mains malades. Les contours, les lignes, les frontières ont peu à peu complètement disparu de ses tableaux. Il y a une si grande douceur dans ses oeuvres. Cette douceur me fait plus mal que n’importe quelle image de guerre.

Je fais l’inventaire du plus large tiroir de ma table de travail. Endroit secret (qui ne l’est déjà plus) que personne n’a le droit d’ouvrir. Il y a : — Une trousse contenant mon passeport, de la gomme, trois euros, un canif suisse. — Quelques photos piquées dans les albums des autres, conservées dans une enveloppe jaune. Parmi ces photos, il y a un poney à la robe brune, le vent dans la crinière. Un bébé dans son cercueil. Une voiture accidentée. Mon père en chemise blanche, des cigarettes dans la poche. (Il rigole. On dirait un réveillon de Noël.) — Une pile de quelques minuscules carnets de voyage. Tous entamés. Certains noircis d’un couvert à l’autre. Une phrase pigée au hasard : « Voilà, je suis de retour. Heureusement qu’il y a les bras tendus de mes fils qui m’attendent. Si ce n’était pas de ça… je ne suis pas certaine que j’aurais le courage de revenir. » — Un article de presse racontant le décès, à Montréal, d’une mère de famille nombreuse. Six enfants. La dame était d’origine africaine. Elle est morte en couche. Erreur médicale.

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― À découvert : Jennifer Tremblay Je suis une auteure qui boite.

Un texte, j’ai l’impression que c’est un cassetête que l’on tente d’assembler pour arriver à illustrer l’image qu’on a dans la tête. Mais je n’en suis pas certaine. — Un article découpé dans le cahier tourisme de La Presse au sujet des trains de luxe et de légende. Parmi ceux-ci le Blue Train. Le Transsibérien. Le Eastern & Oriental Express. — Cinq lignes écrites à la hâte, sur un bout de papier jaune, après la millième lecture de Maria Chapdelaine : « Ma chère enfant/Ma chère enfant/Ce sont tes pleurs que j’entends/Ou le vent/Ou le vent. » — Une photocopie du poème Le carrousel de Anne Hébert. À donner.

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— Une jolie carte reçue de Bernard Émond, après que je lui ai moi-même écrit. Si j’étais cinéaste, je ferais des films de Bernard Émond. Le contraire de verbeux. Le contraire de complaisants. Qui d’autre que lui pourrait arriver à m’émouvoir avec un plan fixe sur une lampe de salon ? — Une carte postale achetée à New Orleans. Une photo d’immigrants créoles dans un décor de misère. — Une liste d’endroits où aller danser à Montréal. — Des écouteurs en forme de papillons. Mon fils m’a offert ça pour mes quarante ans. En Amérique du Sud, je me suis fait plein de petites amies grâce à ces écouteurs farfelus. Ça me donne un air cool, j’imagine. Ou ridicule, peut-être. — Une feuille lignée pliée en deux avec une idée de pièce et quelques répliques griffonnées à la hâte. Je ne comprends plus cette idée. Elle ne me dit plus rien. Mais je n’ose pas la jeter. — Un roman de Stephen Zweig annoté, passages surlignés, quelques coins de pages pliés. — Un cahier à dessin très chic. Achat ostentatoire. Acheté dans le but de commencer un éventuel projet d’envergure. On ne peut pas entamer un pareil cahier sans être habité par un élan sérieux, une énergie formidable. Le papier crème rugueux. Il faut une plume noire. Au début, j’ai eu envie d’écrire dans ce cahier des choses dures et cruelles,

Le magazine du théâtre d’aujourd’hui

des phrases terribles. Déjà dix pages noircies. Mais il n’y a encore que de la douceur. Après une relecture sérieuse du matériel, je ne garde qu’une phrase : « Il suffisait que tu sois là pour que j’apprenne quelque chose. Même silencieux, même immobile, même endormi, tu m’apprenais quelque chose. » — Un cahier à dessins pour enfants. Papier brouillon et reliure molle. Il tombe en morceaux. Je l’ai trainé partout, partout. Au bord de la mer. En promenade sur la montagne. Au travail. Au café. Au resto. À la bibliothèque. Je l’ouvre au hasard. Une réflexion sur Le carrousel : « Qu’est-ce qui provoque l’émotion ? Les contrastes vie/mort. Mouvement vertical. Réminiscence. Chagrin antérieur à la naissance reçu en héritage. Champ lexical du carrousel : enfance, joie, musique, animaux, chevaux, fête, mouvement, miroirs, fioritures, billets, manège. » Plus loin, une réflexion sur ma prochaine pièce, La délivrance : « Pourquoi cette femme s’adresse-t-elle à Jésus ? Parce que c’est Jésus qui la lie et la relie à l’enfance. Quand elle était petite, Jésus était le seul interlocuteur en qui elle avait confiance. Elle lui parle d’égal à égal, comme à un autre mort, comme à sa grand-mère morte... » Je ne sais pas ce que je ferai de ces morceaux épars. Ils trouveront bien leur place, se glisseront au bon endroit. Un texte, j’ai l’impression que c’est un casse-tête que l’on tente d’assembler pour arriver à illustrer l’image qu’on a dans la tête. Mais je n’en suis pas certaine. Parce que je suis une auteure qui boite. Le jour est tombé quand je franchis la ligne d’arrivée. Les médailles sont remises. Le champagne est bu. Heureusement, mes enfants m’ont attendue, les bras tendus. 0

Le carrousel de Jennifer Tremblay est présenté au Théâtre d’Aujourd’hui  du 14 janvier au 8 février 2014. Pour en savoir plus :  theatredaujourdhui.qc.ca/carrousel

Volume 2 septembre 2013


par le Théâtre du Futur qui nous présente sa vision du Québec en 2022 avec L'assassinat du président à la salle Jean-Claude-Germain

Une journée… pas comme les autres ! par Guillaume Tremblay, originaire de Cowansville dans les Eastern Townships (REUTERS) Le 7 juillet 2012, j’avais offert un cadeau de fête formidable à mon père : un tour d’hélicoptère, acheté sur Groupon, donc payé 40 fois moins cher. Le genre de rabais qui contribue à envoyer n’importe quelle PME à la faillite si on utilise trop de coupons la même journée. J’avais passé la nuit précédente à écrire une lettre de remise en contexte à Gilles Duceppe, avec Olivier Morin, par rapport au mini scandale entourant le titre original de la pièce L’assassinat de Gilles Duceppe. En gros, on lui proposait de changer le titre de la pièce pour L’assassinat du Président en lui expliquant qu’il n’était pas question de sa vie personnelle, mais qu’on utilisait plutôt sa légende pour parler d’assassinat politique, à savoir « Pourquoi dès qu’un leader indépendantiste s’amène en avant, il se fait mettre des bâtons dans les roues par ses pairs ou par ses ennemis ? ».

-Oui, je veux pas brimer la création. - On changera rien dans le texte... Allez-vous venir, monsieur Duceppe ? - Ben oui, envoyez-moi l’invitation ! - Monsieur Duceppe, c’est tout un honneur, mais faut vraiment que je vous laisse, JE VIENS D’ARRIVER À L’AÉROPORT RÉGIONAL de Saint-Hubert. - Au revoir ». Je raccroche en sortant de la voiture et cours vers l’hélicoptère à 30 mètres. La tête baissée sous les hélices, mon père et mon frère me font signe d’entrer vite, je suis 2 minutes en retard. J’entre dans la nacelle. L’hélicoptère décolle à toute vitesse et monte au-dessus du mont Saint-Hilaire, 10 secondes après avoir raccroché avec le futur président de la République. À 1000 mètres d’altitude, au-dessus de Montréal, je mange une banane. Vu d’en haut, c’est beau le Québec. Mais c’est à qui ? Aux francophones ? Aux anglophones ? Aux autochtones ? Les petites voitures vont très vite sur le circuit Gilles-Villeneuve. Aujourd’hui, le Québec est à Bernie Ecclestone.

Avant de partir pour Saint-Hubert, je regarde la presse « Une pièce de théâtre sur Gilles Duceppe fait scandale ». Je le lis en x, et je pars à toute vitesse. Je suis presqu’à Saint-Hubert, je roule à 90 km/h (très rapide pour ma Toyota sport 1995). Le téléphone sonne, je réponds. - « Hey Guillaume, c’est Gilles Duceppe. Comme ça vous allez changer le titre de la pièce ? - Euh, oui, on aime les deux titres … du président ou … de Gilles Duceppe, on s’en fout un peu, tant qu’on peut mettre votre photo avec des chars qui explosent en arrière. -OK, parfait ! -Vous savez on est des jeunes, on crée pis c’est ça que ça a donné.

― 3900

L'assassinat du président est présenté à la salle Jean-Claude-Germain  du 3 au 21 septembre 2013. Pour en savoir plus :  theatredaujourdhui.qc.ca/assassinat

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Courrier du futur

Bientôt en DVD

Cher Théâtre du Futur, j’ai vu un documentaire vraiment triste sur YouTube avec des ours polaires en équilibre sur une mini banquise qui fondait aussi vite qu’un carré de beurre sur un blé d’Inde de saison. La musique était très dramatique et les ralentis me fendaient le coeur. Qu’est-ce qu’on peut faire pour sauver les ours polaires ? » - Mélanie « Chère Mélanie, inutile de gosser tes proches avec ça, il est déjà trop tard. Mais c’est pas une raison pour être défaitiste. Il faut simplement regarder la chose autrement qu’avec notre damnée nostalgie. Un de perdu, dix de retrouvés comme on dit. Qui va à la chasse perd sa place. Les adages se suivent et se répètent pas mal. L’ours polaire va s’éteindre complètement en 2025, mais fera place à l’ours des abysses, un sympathique mammifère sous-marin à la chair délicieuse et dont la peau est en lycra mauve phosphorescent. Enfin, je pense... » -Théâtre du Futur

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« Je suis né à Trois-Rivières, mais suis convaincu que je pourrais me réincarner un jour en pharaon, ou peut-être même en pégase. Est-ce que je rêve en couleur ? » - Bernie « Cher Bernie, d’abord, Bernie, c’est un vrai nom  ? Tu t’appelles Bernard  ? Bertrand  ? Anyway, slacke doucement l’opium mon Bern : la réincarnation n’existe pas, du moins pas dans le sens romanesque et intrigant dont les voyants abusent. Mais elle se commercialisera bientôt, d’où l’importance de décider assez vite en quoi tu voudrais te réincarner. Pour un clonage standard (copie conforme), c’est assez dispendieux, mais pour quelques dollars de plus (8,75 $ + TXS), un maquilleur des Galeries de la Capitale pourrait transformer ta copie en zèbre, en clown, en papillon nacré ou en tout autre corps de métier de tes rêves. » - Théâtre du Futur

«Les histoires de voitures qui volent, ça me tape sué nerfs.» - Giancarlo « Cher Giancarlo, à quoi bon être hostile au progrès ? On ne peut pas empêcher l’inéluctable. Les voitures volantes feront leur apparition, mais la question c’est « tu voleras en Honda ou en Porche  ? » Commence tout de suite à ramasser tes sous si tu veux pas te ramasser à voler en Jet Pack dans les pistes cyclables du ciel. » - Théâtre du Futur

Le magazine du théâtre d’aujourd’hui

Jean-Luc Mongrain contre les Étoiles Synopsis : En 2025, le jour de l’inauguration du nouveau boulevard Notre-Dame, le maire de Montréal Léo Bureau-Blouin est interrompu dans son discours par un vaisseau spatial. Raël n’est pas le vieux cochon barbu que l’on croyait être. Tout ce temps il avait raison : nous descendons des Élohims, ces êtres extraterrestres très sensuels venus de l’espace. Malgré leur passion commune pour le BBQ , les humains et les Élohims ne s’entendent pas du tout. Le Québec décide par référendum de dé-cryogéniser le seul homme qui puisse ramener la paix : Jean-Luc Mongrain. Il usera du seul moyen qui puisse apporter paix et lumière à un peuple divisé sur un si grand territoire : la ligne ouverte.

Autres sorties cinéma à surveiller — L’amour en démérite : Poursuivi par un policier cyborg déguisé en borne-fontaine, un jeune musicien homosexuel se fait coller à répétition des contraventions à vélo fondées sur d’obscurs règlements de la route datant de l’époque où la SAAQ contrôlait les calèches. Beaucoup de nudité. — Bigras, entre la rue et le piano incliné : Film biographique et onirique sur la vie du chanteur de Tue-moi et de 3 petits cochons qui s’en allaient. Ses chansons, sa voix, ses shows du Refuge. Louise Portal, déjà en nomination dans le rôle de la Fée des camisoles, restera pyrogravée dans vos mémoires.

Volume 2 septembre 2013


Coup d'œil sur la saison 13-14 SALLE PRINCIPALE

SALLE JEAN-CLAUDE-GERMAIN

Moi, dans les ruines rouges du siècle

L’assassinat du président

du 10 au 21 septembre 2013 une production de Trois Tristes Tigres texte et mise en scène Olivier Kemeid avec Sasha Samar, Annick Bergeron, Sophie Cadieux, Geoffrey Gaquère et Robert Lalonde

du 3 au 21 septembre 2013 une production du Théâtre du Futur en résidence à la salle Jean-Claude-Germain texte Olivier Morin et Guillaume Tremblay mise en scène Olivier Morin avec Navet Confit, Catherine Le Gresley, Olivier Morin, Mathieu Quesnel et Guillaume Tremblay

Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël

Les cendres bleues

du 8 octobre au 2 novembre 2013 une production du Théâtre d’Aujourd’hui texte Michael Mackenzie traduction Alexis Martin mise en scène Marc Beaupré avec Sophie Desmarais et Luc Picard

du 22 octobre au 9 novembre 2013 une création de L’Homme allumette en résidence à la salle Jean-Claude-Germain texte Jean-Paul Daoust mise en scène Philippe Cyr avec Sébastien David, Jonathan Morier et Jean Turcotte

Le carrousel

Les petits orteils

du 14 janvier au 8 février 2014 une création du Théâtre d’Aujourd’hui texte Jennifer Tremblay mise en scène Patrice Dubois avec Sylvie Drapeau

décembre 2013 une production du Théâtre de Quartier texte Louis-Dominique Lavigne mise en scène Lise Gionet avec Martin Boisclair, Jeanne Gionet-Lavigne et Sylvain Hétu

As is (tel quel)

Chlore

du 11 mars au 5 avril 2014 une création du Théâtre d’Aujourd’hui et de Simoniaques Théâtre texte et mise en scène Simon Boudreault avec Geneviève Alarie, Félix Beaulieu-Duchesneau, Patrice Bélanger, Denis Bernard, Marie Michaud, Jean-François Pronovost, Catherine Ruel

du 28 janvier au 15 février 2014 une production du Théâtre du Grand Cheval texte et mise en scène Florence Longpré en collaboration avec Nicolas Michon interprétation Samuël Côté, Annette Garant, Mélanie Lebrun, Debbie Lynch-White et Claude Poissant

Descendance du 11 au 29 mars 2014 une création de La Messe Basse en résidence à la salle Jean-Claude-Germain texte Dany Boudreault texte et mise en scène Maxime Carbonneau avec Martin Faucher, Annette Garant, Rachel Graton, Julien Lemire, Audrey Talbot et Louise Turcot

Alfred du 15 avril au 3 mai 2014 une création du Théâtre d’Aujourd’hui idée originale Alexia Bürger et Emmanuel Schwartz texte et interprétation Emmanuel Schwartz

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SAISON 2013-2014

A b N ou on ve ne au 30 me  ! ou ans nt s é e t ud t m ian oin ts* s

Abonnez-vous ! Le Théâtre d’Aujourd’hui s’adresse à vous

Créez votre saison

La saison pose une réflexion sur certains aspects de notre héritage collectif. Avec ses quatre créations, ses résidences, ses accueils et ses évènements rassembleurs, le Théâtre d’Aujourd’hui inscrit son activité au sein des enjeux historiques, personnels et sociaux des héritiers et porteurs de mythes que nous sommes. La saison 13-14 célèbre une parole qui s’inscrit dans une actualité sociale et théâtrale, avec originalité, et qui vous propose un dialogue franc sur la nature des enjeux collectifs qui nous animent.

Aller au théâtre, c’est créer un moment, un moment pour aller à la rencontre de soi et des autres. Assurez-vous de ne rien manquer et prenez rendez-vous avec les auteurs d’ici. * Nouveauté : un abonnement pour les 30 ans et moins ou étudiants ! Pour une culture ouverte à tous et toujours plus accessible, le Théâtre d’Aujourd’hui propose une nouvelle formule d’abonnement élargie aux 30 et moins : des tarifs exceptionnels pour assister à nos spectacles et des avantages chez nos partenaires. Moins de 18 $ par spectacle dans le cadre de l’abonnement fou !

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THÉÂTRE D’AUJOURD’HUI — SAISON 2013-2014

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3 créations du Théâtre d’Aujourd’hui

Encore plus d’avantages !

Provoquez les rencontres

Grâce à votre carte d’abonné, accédez à des rabais chez nos nombreux partenaires culturels et gourmands :

Pour enrichir votre expérience théâtrale, assistez à l’une ou l’autre des deux soirées spéciales qui s’imposent maintenant comme une véritable tradition au Théâtre d’Aujourd’hui.

à partir de

22 $ le spectacle

4 créations du Théâtre d’Aujourd’hui à partir de

20 $ le spectacle

8 spectacles 1 Abonnement

-20 % En vous abonnant, vous profitez de rabais substantiels sur les spectacles. Et parce que votre fidélité nous tient à cœur, dès la deuxième année, réabonnez-vous pour un tarif encore plus avantageux ! Les abonnés qui veulent découvrir toujours plus d’auteurs bénéficient de tarifs réduits pour les spectacles de la salle Jean-Claude-Germain.

Partenaires culturels

— TOHU 15 % de rabais 2 — Musée des Beaux-Arts de Montréal 15 % de rabais 2 — Danse Danse 15 % de rabais 2 — Orchestre Métropolitain 15 % de rabais 2 — Opéra de Montréal 10 % de rabais 2 3 Dès la quatrième année consécutive, accédez au statut d’« ami » du Théâtre d’Aujourd’hui.

— Bière ou verre de vin offert par le théâtre (ou une boisson non alcoolisée) — Vestiaire gratuit — Recevez chez vous 3900, le nouveau magazine du Théâtre d’Aujourd’hui (lancement du premier numéro le 13 mai) 2

À l’achat de billets à prix régulier. Le Théâtre d’Aujourd’hui et ses partenaires se réservent le droit de modifier leurs ententes. 3

Soyez privilégiés L’abonnement vous permet aussi de profiter de multiples avantages. Des petits plus qui changent tout ! — Changez de date sans frais (à 48 h d’avis, selon la disponibilité des sièges) — Ayez accès aux meilleures places disponibles — Recevez vos billets par la poste 1

Quantité limitée

À l’exception du Gala 18e édition et de la production de l’Atelier lyrique.

*Mouvements de foule À l’issue d’une représentation, échangez avec l’auteur ainsi que des invités d’horizons divers, qui avec leur regard, leur histoire et leur sensibilité s’interrogeront avec vous sur le sens du spectacle. Ces discussions publiques seront animées par Xavier Inchauspé, nouveau coordonnateur de l’action sociale du Théâtre d’Aujourd’hui. Ces rencontres privilégiées avec le public seront mises sur pied en partenariat avec différents organismes (revues spécialisées, chaires de recherche, départements universitaires, groupes communautaires). François-Xavier Inchauspé sera un interlocuteur de choix pour réfléchir aux enjeux soulevés par le contenu de nos créations. Une occasion de dialoguer et de pousser plus loin les réflexions engendrées par un spectacle.

**Les soirées rencontre Lors de ces soirées, c’est avec les artisans du spectacle que vous pourrez échanger à la suite d’une représentation. Avec les comédiens, metteurs en scène, auteurs ou collaborateurs, ces rencontres permettent d’en savoir plus sur les processus de création qui ont mené aux spectacles et de connaître ce qui se cache derrière le rideau. Voir calendrier pour les dates.


FORMULAIRE D’ABONNEMENT — SAISON 2013-2014

L’abonnement sera au nom de  Mme  M.

Prénom et nom :

Tél. jour  : Tél. soir  : Adresse : Ville  : Code postal  : Je veux recevoir les bulletins aux abonnés

 Par la poste

 Par courriel

Courriel : Noms des coabonnés : Besoins spécifiques : Abonnement 3 créations : Instructions… + Le carrousel + As is (tel quel)

Régulier

Jeunes  1 Ainés 2 Total x 87 $

x 64 $

x 69 $

=

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Abonnement 4 créations : Instructions… + Le carrousel + As is (tel quel) + Alfred (salle JCG)

Régulier

Jeunes  1 Ainés 2 Total x 112 $

x 80 $

x 89 $

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Abonnement 8 pièces Instructions…+ Le carrousel + As is (tel quel) + Alfred + L’assassinat du président + Les cendres bleues + Chlore + Descendance

Régulier

Jeunes  1 Ainés 2 Total x 190 $

x 140 $

x 145 $

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Ajoutez à votre abonnement Moi, dans les ruines rouges du siècle :

Régulier

Jeunes  1 Ainés 2 Total x 29 $

x 21 $

x 23 $

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Ajoutez à votre abonnement ces pièces à tarif réduit : Salle Jean-Claude-Germain Régulier

1 Jeunes  Ainés 2

Total

L’assassinat du président

x 22,50 $

x 18 $

x 18 $ =

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Les cendres bleues

x 22,50 $

x 18 $

x 18 $

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Chlore

x 22,50 $

x 18 $

x 18 $

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Descendance

x 22,50 $

x 18 $

x 18 $

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Sous-total =

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J’appuie le théâtre par un don 3 de  : Je suis un étudiant de 30 ans et moins ( )

Je suis étudiant ( )

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NB : Tous les prix comprennent la TPS, la TVQ et les frais de service. Nous ne pouvons vous garantir les mêmes places tout au long de la saison.

1.  Sur présentation d’une preuve d’âge (30 ans et -) ou d’études à temps plein. 2. Sur présentation d’une preuve d’âge (60 ans et +). 3. Un reçu fiscal sera remis pour tout don supérieur à 20 $.


CALENDRIER D’ABONNEMENT — SAISON 2013-2014

EN LIGNE theatredaujourdhui.qc.ca/abonnements

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L’ABONNEMENT FOU ! JEUNES2

RÉGULIER

190 $

AINÉS 3

140 $

(moins de 24 $ par spectacle)

145 $

(moins de 18 $ par spectacle)

(moins de 19 $ par spectacle)

Salle principale

Salle Jean-Claude-Germain

Hors abonnement Moi, dans les ruines rouges du siècle O. Kemeid

Instructions... M. Mackenzie

Le carrousel J. Tremblay

As is(tel quel) S. Boudreault

(Création du Théâtre d’Aujourd’hui)

(Création du Théâtre d’Aujourd’hui)

Mar

10 sep 19 h

8 oct 19 h

14 jan 19 h

Mer

11 sep 20 h

9 oct 20 h

Jeu

12 sep 20 h

Ven

13 sep 20 h

Sam

14 sep 20 h

avant-première

avant-première

Les cendres bleues J.-P. Daoust

Chlore F. Longpré

Descendance D. Boudreault M. Carbonneau

Alfred E. Schwartz

(Création du Théâtre d’Aujourd’hui)

L’assassinat du président O. Morin G. Tremblay

11 mars 19 h

3 sep 19 h

22 oct 19 h

28 janv 19 h

11 mar 19 h

15 avr 19 h

4 sep 20 h première

23 oct 20 h première

29 janv 20 h

12 mar 20 h

16 avr 20 h

avant-première

avant-première

avant-première

avant-première

avant-première première

avant-première première

(Création du Théâtre d’Aujourd’hui)

avant-première avant-première

16 jan 20 h

13 mars 20 h

5 sep 20 h

24 oct 20 h

30 janv 20 h

13 mar 20 h

Complet

11 oct 20 h

17 jan 20 h

14 mars 20 h

6 sep 20 h

25 oct 20 h

31 janv 20 h

14 mar 20 h

18 avr 20 h

12 oct 20 h

18 jan 20 h

26 oct 20 h

1 fév 20 h

15 mar 20 h

19 avr 20 h

15 mars 20 h

7 sep 20 h

Mar

17 sep 19 h

15 oct 19 h

21 jan 19 h

18 mars 19 h

10 sep 19 h

29 oct 19 h

4 fév 19 h

18 mar 19 h rencontre**

22 avr 19 h

Mer

18 sep 20 h

16 oct 20 h

22 jan 20 h

19 mars 20 h

11 sep 20 h

30 oct 20 h

5 fév 20 h

19 mar 20 h

23 avr 20 h

31 oct 20 h

6 fév 20 h

20 mar 20 h

24 avr 20 h

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Jeu

19 sep 20 h

17 oct 20 h

23 jan 20 h

20 mars 20 h

12 sep 20 h

Ven

20 sep 20 h

18 oct 20 h

24 jan 20 h

21 mar 20 h

13 sep 20 h

1 nov 20 h

7 fév 20 h

21 mar 20 h

25 avr 20 h

Sam

21 sep 20 h

19 oct 20 h

25 jan 20 h

22 mar 20 h

14 sep 20 h

2 nov 20 h

8 fév 20 h

22 mar 20 h

26 avr 20 h

26 jan 15 h

23 mar 15 h

27 avr 15h

Dim

20 oct 15 h

Mar

22 oct 19 h

28 jan 19 h

25 mar 19 h

29 avr 19 h

Mer

23 oct 20 h

29 jan 20 h

26 mar 20 h

30 avr 20 h

Jeu

24 oct 20 h

30 jan 20 h

27 mar 20 h

1 mai 20 h

Ven

25 oct 20 h

31 jan 20 h

28 mar 20 h

2 mai 20 h

Sam

26 oct 20 h

1 fév 20 h

29 mar 20 h

3 mai 20 h

rencontre**

Dim

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Quantité limitée. Sur présentation d’une preuve d’âge (30 ans et -) ou d’études à temps plein. Sur présentation d’une preuve d’âge (60 ans et +).

4 mai 15 h


M E RCI  !


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Les petits orteils

une production

avec Martin Boisclair, Jeanne Gionet-Lavigne et Sylvain Hétu

de Louis-Dominique Lavigne

da Silva Charbonneau-Brunelle lumières | Martin Sirois costumes | Nadia Bellefeuille accessoires | Antoine Laprise direction de production | Benoît Brodeur régie et assistance à la mise en scène | Diane Fortin mise en scène |

Du 9 au 30 décembre 2013

Lise Gionet

scénographie | Patrice

musique | Joël

Pour les tout-petits dès 3 ans À la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d'Aujourd'hui 3900, rue St-Denis, Montréal

Billetterie «familiale»

Billetterie «scolaire»

514-282-3900

514-528-7336


Si vous souhaitez soutenir la candidature de l’auteur pour le Prix auteur dramatique BMO Groupe financier, déposez votre billet de spectacle* dans l’urne prévue à cette effet, en fonction de votre degré d’appréciation (,  ou ). * billets payants uniquement

BMO Groupe financier s’associe au Théâtre d’Aujourd’hui pour décerner ce prix annuel – doté d’une bourse de 10 000 $. Les auteurs en lice sont : — Olivier Morin et Guillaume Tremblay pour L'assassinat du président — Michael Mackenzie pour Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste… — Jean-Paul Daoust pour Les cendres bleues — Florence Longpré pour Chlore — Dany Boudreault et Maxime Carbonneau pour Descendance — Simon Boudreault pour As is (Tel quel) — Emmanuel Schwartz pour Alfred Le gagnant du Prix sera dévoilé à la rentrée culturelle de l’automne 2014. Pour consulter les règlements du Prix, rendez-vous au theatredaujourdhui.qc.ca/prixbmo

Qu’avez-vous pensé du spectacle de ce soir  ? Faites-nous part de vos commentaires et courez la chance de gagner un abonnement double pour la prochaine saison du Théâtre d’Aujourd’hui.

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Ajoutez mes coordonnées à la liste d’envoi du Théâtre d’Aujourd’hui. Le deuxième lundi du mois de juin, un tirage au sort sera fait parmi toutes les cartes reçues pendant la saison. La personne gagnante sera avisée par téléphone et par courriel le jour même.

Théâtre d'Aujourd'hui 3888, rue Saint-Denis Montréal QC H2W 2M2


cinquAnTe millions de dollArs pAr Année, c’esT un AphrodisiAque irrésisTible… Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël Du 8 octobre au 2 novembre 2013 une création du ThéâTre

Aujourd’hui

Texte Michael Mackenzie Traduction Alexis Martin Mise en scène Marc Beaupré Interprétation Sophie Desmarais et Luc Picard Collaborateurs Julien Véronneau, Simon Guilbault, Marc Sénécal, Éric Champoux, Alexander MacSween et Jean Gaudreau

insTrucTions

www.theatredaujourdhui.qc.ca/

Informations et réservations 3900, rue Saint-Denis Montréal (Québec) 514 282-3900


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