
EN ROUTE VERS DE BEAUX LENDEMAINS
THÉÂTRE

LE PRINCE
LA DOMESTIQUE
LE JOURNALISTE
LE MAJORDOME
LE DOMESTIQUE 1
LE DOMESTIQUE 2
Deux jours après la cérémonie de mariage. Salle à manger. Sandra entre, elle aide le personnel de service à mettre la table. Puis elle s’assoit. Le prince, à moitié endormi et encore en pyjama entre. Sandra se lève rapidement.
LA PRINCESSE : Oh ! Tu es déjà là ! Tu as bien dormi ?
LE PRINCE : (Baillant en ouvrant un ordinateur portable) : Pas terrible.
LA PRINCESSE : Ah bon ? Pourquoi ? (Silence).
LE PRINCE : Tu disais ?
LA PRINCESSE : Je t’ai demandé pourquoi tu n’avais pas bien dormi.
LE PRINCE : Tu t’es retournée sans arrêt dans le lit. (Quelques secondes de silence). Regarde, il y a un article sur notre mariage.
LA PRINCESSE : Oh montre ! (Sandra se lève et regarde l'ordinateur portable par-dessus l’épaule du prince). Tu es très beau sur cette photo.
LE PRINCE : Je sais, mais je suis plus beau de profil. (Sandra, un peu gênée, s'assoit).
LA PRINCESSE : Tu as des plans pour aujourd'hui ? J'ai pensé que tu pourrais me faire visiter, me montrer
comment ça fonctionne ici. J’ai besoin de m’habituer à mon nouveau chez moi.
LE PRINCE : Je n’ai pas le temps aujourd'hui. Et de toute façon, il y le personnel de service pour ça. Anna te montrera tout.
LA PRINCESSE : Et tu vas faire quoi pendant ce temps ?
LE PRINCE : J'ai beaucoup de travail. En plus, tu as besoin de savoir quoi ? Tu es une princesse, et l’essentiel, c’est que tu présentes bien avant tout.
LA PRINCESSE : Comment ça que je présente bien ? Tu penses vraiment que mon rôle se résume à ça ?
LE PRINCE : Ce n’est pas ce que je pense, c'est comme ça, c’est tout. Tu dois être belle et te comporter décemment quand les projecteurs sont tournés vers toi. Après, pour le reste, tu es libre, tu peux faire ce que tu veux...
LA PRINCESSE : Alors c'est comme ça que c'est censé fonctionner ? Je suis juste là pour la déco ?
LE PRINCE : Si tu savais le nombre de celles qui voudraient être à ta place. Tu veux quoi de plus ?
LA PRINCESSE : J’avais imaginé les choses différemment. Je ne suis pas faite pour ne rien faire. Je veux agir, sentir que ma présence a un sens...
LE PRINCE : Laisse ça aux autres et profite de ce que tu as.
LA PRINCESSE : Et nous alors ?
LE PRINCE : Nous ?
LA PRINCESSE : Je suis ta femme maintenant, tu ne veux pas me connaître ?
LE PRINCE : Maintenant ? On verra ça plus tard. J'ai beaucoup de choses importantes à l'esprit en ce moment tu sais. (Il continue à observer l’écran de son ordinateur portable, tout en mangeant).
LA PRINCESSE : Oui, je vois ça...
LE PRINCE : Pardon ?
LA PRINCESSE : Rien, rien. Alors, occupe-toi de ces choses si importantes. De mon côté, je vais visiter les lieux toute seule. (Elle se lève lentement de table).
LE PRINCE (regardant ses ongles) : Albert, arrange-moi un rendez-vous avec l’esthéticienne ! Mes ongles sont dans un état lamentable !
Intérieur du château. Sandra est assise sur une chaise. De chaque côté d'elle se trouvent deux domestiques qui lui proposent leur aide pour accomplir différentes actions
LE DOMESTIQUE 1 : Que voulez-vous pour le déjeuner ?
LE DOMESTIQUE 2 : Faut-il déjà commencer à planifier un bal ?
LE DOMESTIQUE 1 : Vous n'avez pas trop chaud ?
LE DOMESTIQUE 2 : Vous voulez que je vous ouvre une fenêtre ?
LE DOMESTIQUE 1 : Vous voulez que je vous apporte quelque chose à boire ?
LE DOMESTIQUE 2 : Quand souhaitez-vous rencontrer le personnel de service ?
LE DOMESTIQUE 1 : Vous voulez faire une promenade ?
LE DOMESTIQUE 2 : Vous voulez que je vous fasse couler un bain ?
LE DOMESTIQUE 1 : Vous voulez un massage des pieds ?
LE DOMESTIQUE 2 : Ou des mains ?
LA PRINCESSE : Assez ! Stop ! Je peux me débrouiller toute seule voyons !
LE DOMESTIQUE 1 : Mais Madame, nous sommes justement là pour que vous n’ayez pas à vous débrouiller toute seule.
(Les domestiques quittent la pièce. La Princesse se retrouve alors seule).
Oh mon Dieu ! J'en ai assez. Tout le monde me traite comme une enfant !
La princesse va dans sa chambre. Une domestique la suit. Une fois qu’elles sont toutes les deux à l’intérieur, la domestique prend la parole.
LA DOMESTIQUE : Est-ce que tout va bien Madame ?
LA PRINCESSE : Ça suffit les « Madame » ! Qu'est-ce que je fais ici ? C'est absurde ! Tout le monde m’envie mais même mon propre mari ne veut pas me connaître ! En plus, je ne peux plus rien décider toute seule et aux yeux des gens, je ne suis plus qu'une poupée qui doit se contenter de sourire sur les photos des journalistes.
(La princesse commence à faire les cent pas nerveusement).
Je devrais être heureuse peut-être ?... Ou alors, il y a quelque chose qui ne va pas chez moi...
LA DOMESTIQUE : Non, Madame, ce n'est pas ça… (la Princesse l'interrompt) :
LA PRINCESSE (explosant de colère) : Je t'ai déjà demandé de ne pas m'appeler Madame ! (La domestique a l'air surprise et légèrement effrayée).
LA PRINCESSE : Je suis désolée... Je me suis laissée emporter inutilement, mais ne m’appelle plus Madame, s’il te plaît..
LA DOMESTIQUE : Comme tu voudras. Quoi qu’il en soit, je suis là pour toi.
LA PRINCESSE : Dommage que mon mari, lui, ne le soit pas.
LA DOMESTIQUE : Peut-être qu'il changera d'attitude avec le temps.
LA PRINCESSE : Qu’est-ce que je dois faire pour l'intéresser ? Je devrais me cacher le visage avec un miroir pour qu'il puisse se regarder peut-être ? (Toutes deux éclatent de rire).
LA DOMESTIQUE : Peut-être que vous devriez passer plus de temps ensemble.
LE PRINCE : Sauf qu'il ne veut pas, lui ! Au lieu de ça, il préfère prendre soin de ses ongles.
LA DOMESTIQUE : Il ne pourra pas toujours t’éviter.
LA PRINCESSE : Et si j’organisais un bal ? Alors, il faudra bien qu’on danse ensemble, non ?
LA DOMESTIQUE : Bonne idée !
La Princesse attend le Prince pour une interview en commun avec un journaliste. Le Prince étant absent, un majordome s'approche et s’entretient avec la Princesse. Leur conversation est écoutée discrètement par le journaliste qui est dans la même pièce.
LE MAJORDOME : Votre Majesté, malheureusement le Prince ne sera pas présent pour l'interview d'aujourd'hui.
LA PRINCESSE : Mais pourquoi ? Il s'est passé quelque chose ?
LE MAJORDOME (gêné) : Sa visite s'est prolongée... chez l'esthéticienne.
LA PRINCESSE : J'aurais dû m'y attendre.
LE MAJORDOME : Je suis vraiment désolé. (Il part).
LE JOURNALISTE : Nous pouvons commencer ?
(la Princesse s’assoit à contre-cœur et l’interview commence).
LE JOURNALISTE : Bonjour, Votre Majesté ! Comment vous sentez-vous dans votre nouveau rôle de princesse ?
LA PRINCESSE (essayant d'être professionnelle) : Ça va maintenant, mais au début c'était un peu difficile comme nouvelle réalité. Avec le temps, je m'y habitue.
LE JOURNALISTE : Et où est votre nouveau mari ? Il ne sera pas avec nous aujourd’hui ?
LA PRINCESSE : Malheureusement, il n'a pas pu venir, il a beaucoup de choses importantes à faire…
LE JOURNALISTE : Ne vous sentez-vous pas délaissée ? Dites-moi tout, il ne veut pas être vu avec sa nouvelle femme, c’est ça ?
LA PRINCESSE : Les affaires du Royaume sont prioritaires.
LE JOURNALISTE : Comme ses ongles par exemple ?
LA PRINCESSE (se sentant déstabilisée) : À part ça, vous avez des questions importantes à me poser ?
LE JOURNALISTE : Comment vivez vous votre nouvelle réalité ? Après tout, il n’y a pas si longtemps, vous étiez vous-même au service de tout le monde et maintenant tout le monde est à votre service. Ce n'est pas bizarre pour vous ça ?
LA PRINCESSE : Pour être honnête, oui, ça me gêne un peu. J'aimerais faire les choses par moi-même et ne pas me faire servir sans cesse.
LE JOURNALISTE : Voyez-vous ça… Malgré le changement de décor, l'intérieur reste le même... Bon mais revenons au sujet du Prince. Puisqu’il n'est pas là, peut-être que vous pourriez me dire comment ça se passe entre vous ?
LA PRINCESSE : En général, tout va bien, mais le Prince a beaucoup de travail. Et on continue à s’apprivoiser et à se connaître.
LE JOURNALISTE : On dirait qu’il se préoccupe de tout sauf de vous...
LA PRINCESSE : Vous ne pensez pas qu'il est un peu tôt pour en arriver à ce genre de conclusions ?
LE JOURNALISTE : Oh vous savez, il y a des choses qu’on voit tout de suite. Donc, je suppose que vos efforts pour avoir un enfant sont également au point mort ?
LA PRINCESSE : Je préfèrerais garder ce genre de choses pour moi.
LE JOURNALISTE : Bien sûr, mais vous savez, la question du prochain héritier de la Couronne, c’est
aussi l’affaire du Royaume. Vous n’avez pas peur que si vous n’y mettez pas un peu du votre, le Prince ira voir ailleurs ?
LA PRINCESSE (se levant brusquement) : Quelle insolence ! (Elle quitte rapidement la pièce).
Le Prince frappe à la porte de la chambre de la Princesse. Cette dernière est assise sur son lit et regarde dans le vide, devant elle.
LE PRINCE : Je te dérange ? (Silence. Le prince renchérit).
On peut se parler ?
LA PRINCESSE : On a quelque chose à se dire ?
LE PRINCE : Je suis au courant pour l’interview.
LA PRINCESSE : Tu es au courant ? Tu aurais dû être là.
LE PRINCE : Je suis désolé que tu te sois retrouvée avec un journaliste aussi peu professionnel. Il ne reviendra pas, je te le promets.
LA PRINCESSE : Bien sûr, c’est la faute des autres, pas la tienne.
LE PRINCE : Je ne comprends pas ce que tu veux dire.
LA PRINCESSE : C'était supposé être notre première interview ensemble. Tu le savais, et pourtant, c’est justement à ce moment-là que tu as décidé d’aller te faire les ongles. Tu m'as laissée seule et le journaliste en a profité. On dirait que personne ne me prend au sérieux quand je ne suis pas avec toi.
LE PRINCE : Mais...
LA PRINCESSE : Tu m'as vraiment fait de la peine. Tout est nouveau ici pour moi. Toi, bien sûr tu ne sais pas ce que c'est. Tu n'as aucune idée de ce que je ressens et d’ailleurs tu ne cherches même pas à le savoir.
LE PRINCE : Attends, quand j’ai appris l’histoire avec le journaliste, je suis sorti de chez l’esthéticienne en quatrième vitesse figure-toi. Du coup, ces ongles, elle n’a pas eu le temps de les finir...
LA PRINCESSE : Non mais tu t'entends ou quoi ?
LE PRINCE : Tiens, pour te prouver que je tiens à toi, j’ai ça pour toi. (Il sort de sa poche une boîte avec un collier à l’intérieur). Ce sont les perles les plus chères du monde. (Il sort le collier et essaie de le mettre au cou de la Princesse).
LA PRINCESSE (jetant le collier dont les perles tombent sur le sol et s’éparpillent) : Tu essaies de m’acheter en plus ? C'est vraiment tout ce que tu as trouvé ?
LE PRINCE : Tu pourrais quand même être un peu reconnaissante...
LA PRINCESSE : De quelle reconnaissance tu me parles ? Pourquoi je devrais t’être reconnaissante ? Je
ne veux pas de tes perles, je ne veux rien de toi tant que tu n'auras pas changé d'attitude envers moi et le reste du monde !
LE PRINCE : Changer d'attitude envers toi et le reste du monde ? En faisant quoi ?
LA PRINCESSE (criant) : Je te l’ai déjà dit !
LE PRINCE : Écoute, calme-toi, je veux bien essayer d’y mettre du mien, mais pour l'instant je ne vois pas ce que tu attends de moi. En plus, je ne voulais pas t’acheter. C’est juste qu’à chaque fois que mon père se disputait avec ma mère, il s'excusait auprès d'elle de cette façon...
LA PRINCESSE : Réfléchis donc à qui je suis pour toi et si ton père est un exemple que tu veux suivre.
LE PRINCE : Tu penses que mon père n’était pas un bon mari pour ma mère ?
LA PRINCESSE : Je pense que pour l’instant, toi, tu ne l’es pas pour moi et que tu devrais peut-être suivre ta propre voie au lieu d’imiter éternellement ton père.
NARRATEUR: Fatiguée d'être seulement considérée comme un « objet » aux yeux du Prince, la Princesse décida de s'opposer à certaines de ses valeurs qu'elle considérait comme vides et superficielles. Quant au Prince, il prit peu à peu conscience de ce que la Princesse attendait de lui. Il entamèrent une thérapie, où ils se rendirent ensemble pour parler de leurs peurs et de leurs rêves. Ce furent des moments où ils purent tous deux apprendre à accepter leurs imperfections mais également à se familiariser avec certaines valeurs comme l'égalité, le respect et l'amitié dans une relation de couple. Au fil du temps, ils parvinrent tous les deux à créer un lien nouveau et profond, grâce auquel ils purent s’épanouir dans leur mariage en s'aimant et en se soutenant mutuellement.
« Et ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants... ». Combien de fois n'avons-nous pas entendu cette phrase stéréotypée dans les contes lus par nos parents ? Elle concernait en général un prince et le plus souvent une héroïne d'extraction pauvre, devenue princesse par la force des choses. Mais que se passe-t-il vraiment pour cette même princesse après sa lune de miel d’avec son prince ? Son bonheur est-il inscrit dans le marbre ?
Magdalena Gucwa, Maja Kołodziej et Kamila Paulewicz sont toutes trois étudiantes au département de Philologie Romane de l’Université de la Commission Nationale de Cracovie. « En route vers de beaux lendemains» est leur première pièce de théâtre.