Théâtral magazine - mai juin 2022

Théâtral magazine mai - juin 2022

L’actualité du théâtre Carole Bouquet Pierre Maillet Maëlle Poésy Jacques Bonnaffé Jean-François Balmer James Thierrée Alain Françon Thomas Jolly Dominique Blanc Bénédite Cerutti Jean Bellorini Amir Haddad

Episode #4 Journal d’une prof option théâtre

Philippe TORRETON Dossier Eclairage Théâtral magazine n°93

Qui pour SAUVER le monde ?

M 02434 - 93 - F: 4,60 E - RD En attendant Godot www.theatral-magazine.com

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ommaire Théâtral magazine

N° 93 - MAI / JUIN 2022

04 AGENDA Mai - Juin 2022 06 ACTUALITÉS 07. Edito de François Varlin

08 UNE Théâtral magazine est édité par :

08. Philippe Torreton

Coulisses Editions 7 rue de l’Eperon 75006 Paris France Tél : + 33 1 43 27 07 03

12 À L’AFFICHE

Email : redaction@theatral-magazine.com Site Internet : www.theatral-magazine.com Directrice de la publication : Hélène Chevrier Directeur de la rédaction : Enric Dausset Rédactrice en chef : Hélène Chevrier hc@theatral-magazine.com Rédaction : Hélène Chevrier Marie-Laure Basuyaux Vincent Bouquet Vincent Cespedes Gilles Costaz Enric Dausset Philippe Guyard Igor Hansen-Love Jean-Claude Lallias Jean-François Mondot Jacques Nerson Nathalie Simon Patrice Trapier François Varlin Direction artistique et maquette : Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03 Fabrication impression : SIB Imprimerie - Imprimé en France Tirage : 10 000 exemplaires Distribution : France Messagerie Dépôt légal : date de parution Commission paritaire du journal : 0324 G 89789 Commission paritaire du site : 1122 W 90648 Publicité : Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03 Gestion Flashcodes infotronique.fr : + 33 1 42 18 00 00 Photo couverture : Philippe Torreton © Carole Bellaïche Le prochain numéro sortira en kiosques le 16 juin 2022

ABONNEMENT 1 an = 25 € p. 81

www.theatral-magazine.com

12. Emeline Bayart 14. Laure Loaëc et Frédéric Thibault 15. Jean-François Balmer 16. Tünde Deak 18. Céline Milliat-Baumgartner 20. Julie Duclos 21. Jean Bellorini 22. Camille Boitel

24. James Thierrée 26. Carole Bouquet 28. Pierre Maillet 30. Astrid Bayiha 31. Louise Vignaud 32. Jacques Bonnaffé 34. Gildas Milin 35. Julie Deliquet 36. Sophie Perez

38 TÊTES D’AFFICHE 40 DOSSIER : Qui pour sauver le monde ? avec Vincent Cespedes, Hugues Duchêne, Amir Haddad, Jade Herbulot et Julie Bertin, Thomas Jolly, Mélody Mourey, Arthur Nauzyciel et Stanislas Roquette

52 ECLAIRAGE : En attendant Godot de Beckett 56 EDUCATION :

EAC : Expérimentation dans le Vaucluse ANRAT : Les enfants du siècle prennent la parole Dominique Blanc : une comédienne au Bac Théâtre

62 CHRONIQUE : Journal d’une prof option théâtre #4 64 PORTRAITS : Bénédicte Cerutti, Jeoffrey Bourdenet 68 ZOOM : Les Molières 2022, La Scala Provence 70 FESTIVALS : Théâtre en Mai, Mises en capsules, Festival de la Ruche

74 CAPTATIONS : La plateforme Cyrano 76 PAGES CRITIQUES 82 LE GRAIN DE SEL de Jacques Nerson Théâtral magazine

Mai - Juin 2022

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Spectacles recommandés

Tout feu tout femme, conçu et interprété par Emeline Bayart.

Poche-Montparnasse, 75006 Paris, 01 45 44 50 21

p. 12

depuis mars

La Course des Géants, texte et mise en scène Mélody Mourey Béliers Parisiens, 75018 Paris, 01 42 62 35 00, jusqu’au 29/05

p. 50

depuis avril

Noces de Corail, texte Laure Loäec, mise en scène Frédéric Thibault Le Funambule,75018 Paris, 01 42 23 88 83, jusqu’au 26/06

p. 14

depuis avril

Inavouable, de Eric Assous, mise en scène Jean-Luc Moreau. Comédie des Champs-Elysées 75008 Paris, 01 53 23 99 19, jusqu'au 17/07

depuis avril

Mais n’te promène donc pas toute nue ! de Feydeau, avec Manuel Le Lièvre, Marie Torreton. Théâtre de Poche 75006 Paris, 01 45 44 50 21

depuis avril

Sélectionné, mise en scène Steve Suissa, avec Amir Haddad.

Théâtre Edouard VII, 75009 Paris, 01 47 42 59 92, jusqu’au 1/06

p. 48 p. 76

depuis avril

L’Empire des lumières, mise en scène Arthur Nauzyciel. TNB Rennes 27/04-10/05, La Criée Marseille 20-22/05, MC93 Bobigny 2-5/06

p. 47

2-mai

Les confessions de Beethoven, avec Jean-François Balmer.

Bouffes Parisiens, 75002 Paris, 01 86 47 72 43, du 2/05 au 12/07

p. 15

2-mai

Tünde, texte et mise en scène Tünde Deak. Théâtre des quartiers d’Ivry, Manufacture des Oeillets, 01 43 90 11 11, du 2 au 7 /05

p. 16

3-mai

de Joël Pommerat : Cendrillon, Porte Saint-Martin du 3/05 au 19/07, Le Petit chaperon rouge aux Amandiers-Nanterre, du 18 au 22/05

4-mai

La tendresse, conception et mise en scène Julie Béres.

Bouffes du Nord, 75010 Paris, 01 46 07 34 50, du 4 au 22/05

p. 80

5-mai

Je m’en vais mais l’Etat demeure, de Hugues Duchêne, 5/05 La Ferté Bernard, 14/05 Valenciennes, 21/05 Laon, 7-26/06 Théâtre 13 Paris

p. 46

6-mai

George Dandin ou le Mari confondu, de Molière, mise en scène Michel Fau. Athenée, 75009 Paris, 01 53 05 19 19, du 6 au 29/05

7-mai

Nous, L’Europe, banquet des peuples, de Laurent Gaudé, mise en scène Roland Auzet. L’Atelier, 75018 Paris, 01 46 06 49 24, du 7 au 29/05

p. 45

10-mai

Les Bijoux de pacotille, texte et jeu Céline Milliat-Baumgartner, mise en scène Pauline Bureau. Théâtre 14- Paris, du 10 au 21/05

p. 18

10-mai

Kliniken, de Lars Norén, mise en scène Julie Duclos.

Théâtre de l’Odéon 75006 Paris, 01 44 85 40 40, du 10 au 16/05

p. 20

11-mai

Il Tartufo, de Molière, mise en scène Jean Bellorini, avec le Teatro di Napoli. TNP Villeurbanne 11-15/05, Nanterre-Amandiers 20-27/05

p.21

11-mai

Hamlet à l’impératif ! texte, mise en scène Olivier Py. Comédie de Reims du 11 au 13/05, Comédie de Colmar du 31/05 au 01/06

p. 80

12-mai

Fissure, de et avec Camille Boitel. Cité internationale 75014 Paris, 01 44 16 64 00, du 12/05 au 24/05, puis en tournée

p. 22

12-mai

L’Odyssée, une histoire pour Hollywood, mise en scène Krzysztof Warlikowski, La Colline, 75020 Paris, 01 44 62 52 52, du 12 au 21/05

16-mai

Room, de James Thierrée. La Comédie de Clermont-Ferrand 1622/05,Le Volcan au Havre 26-27/05, Célestins Lyon 9-19/06

4 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

@ dr

depuis février

p. 24

@ Fred de casblanca

é @ Bernard Richeb

A

genda

rbou @ Michel Co

@ Simon Gosselin

@ dr

Ma i - Ju i n 17-mai

Tout Mon Amour, texte de Laurent Mauvignier, avec Philippe Torreton, Rond-Point, 75008 Paris, 01 44 95 98 00, du 17/05 au 5/06

p. 8

19-mai

Festival de la Ruche #2, TnBA, 33800 Bordeaux, 05 56 33 36 80, du 19 au 21/05

p. 71

19-mai

Festival Théâtre en Mai, Théâtre Dijon-Bourgogne, Parvis SaintJean, rue Danton, 21000 Dijon, 03 80 30 12 12, du 19 au 29/05

p. 72

20-mai

Bérénice, de Racine, mise en scène Muriel Mayette-Holtz, avec Carole Bouquet. TNN Nice 20-25/05, La Scala Paris 15/09-28/10

p. 26

23-mai

Mises en capsules, Festival de formes courtes théâtrales Théâtre Lepic, 75018 Paris, 01 42 54 15 12, du 23/05 au 11/06

p. 70

24-mai

Une vie d’acteur, de Tanguy Viel, avec Pierre Maillet.

Théâtre 14, 75014 Paris, 01 45 45 49 77, du 24/05 au 28/05

p. 28

25-mai

Festival Printemps des Comédiens, 178 Rue de la Carriérasse 34090 Montpellier, 04 67 63 66 67, du 25/05 au 25/06

31-mai

Angela Davis, de Faustine Noguès, avec Astrid Bayiha. Paris-Villette du 31/05 au 4/06, Théâtre des Halles Avignon du 07 au 28/07

p. 30

31-mai

Tous des oiseaux, texte et mise en scène Wajdi Mouawad Colline, 75020 Paris, 01 44 62 52 52, du 31/05 au 25/06

p. 80

1-juin

Le Crépuscule des singes, d'après Molière et Boulgakov, mise en scène Louise Vignaud. Vieux-Colombier, 75006 Paris, du 01/06 au 10/07

p. 31

1-juin

L’Oral et Hardi, de Jean-Pierre Verheggen et Jacques Bonnaffé, Théâtre de la Bastille, 75011 Paris, 01 43 57 42 14, du 1er au 24/06

p. 32

1-juin

Les Crapauds fous, texte et mise en scène Mélody Mourey.

Splendid, 75010 Paris, 01 42 08 21 93, à partir du 01 /06

p. 50

2-juin

Festival Les Nuits de Fourvière, Théâtres romains, 6 rue de l’Antiquaille, Lyon, 04 72 32 00 00, du 2/06 au 30/07

4-juin

Henri VI + Richard III, de William Shakespeare, mise en scène Thomas Jolly. Le Quai CDN Angers, 02 41 22 20 20, du 4 au 26/06

6-juin

72e édition du Festival d’Anjou, dirigé par Jean Robert-Charrier, à Angers et environs, du 6/06 au 3/07

9-juin

Cristal de Gildas Milin. Printemps des comédiens, Hangar Théâtre, 34000 Montpellier, 04 67 63 66 67, du 9 au 25/06

p. 34

16-juin

En attendant Godot, de Beckett, mise en scène d’Alain Françon.

Nuits de Fourvière, Lyon, du 16 au 19/06. Reprise saison 2022-2023

p. 52

17-juin

Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres… mise en scène Julie Deliquet, Comédie-Française, du 17/06 au 25/07

p. 35

21-juin

Un soir de gala, un spectacle de Vincent Dedienne Théâtre Marigny, 75008 Paris, 01 86 47 72 77, du 21/06 au 2/07

p. 76

23-juin

La Meringue du souterrain, un spectacle de Sophie Perez.

Grande Halle de la Villette, 75019 Paris, du 23 au 26/06. En tournée

p. 36

p. 44

Théâtral magazine

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Le comédien Michel Bouquet est mort mercredi 13 avril à l’âge de 96 ans. Formé par Maurice Escande, un sociétaire de la Comédie-Française puis au Conservatoire d'Art Dramatique de Paris, il a débuté sa carrière théâtrale en 1944 dans La première étape. Au théâtre, il a joué les auteurs classiques mais aussi contemporains comme Beckett (En attendant Godot et Fin de partie), Thomas Bernhard (Avant la retraite), Ronald Harwood (À torts et à raisons) ou Ionesco (Le roi se meurt).

Très soucieux de transmettre son art, il enseignait au Conservatoire depuis 1977.

Michel Bouquet a aussi marqué l'histoire du cinéma avec des rôles dans des films cultes comme La Sirène du Mississipi, La mariée était en noir, La Femme infidèle, Deux hommes dans la ville, Le Jouet, Poulet au vinaigre, Les Misérables dans la réalisation de Robert Hossein, Les Côtelettes, Comment j'ai tué mon père ou encore Le Promeneur du Champ-de-Mars dans le6 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

quel il interprétait le rôle de François Mitterrand. Il est possible de revoir l'immense acteur de théâtre qu'il était grâce aux magnifiques captations réalisées notamment par la Compagnie des Indes du Malade imaginaire et du Roi se meurt deux pièces mises en scène par Georges Werler, ou du Tartuffe mis en scène par Michel Fau. L’Elysée lui a organisé un hommage national le 27 avril aux Invalides.

LAURENCE DE MAGALHAES ET STÉPHANE RICORDEL A LA TÊTE DU ROND-POINT Jean-Michel Ribes quittera la direction du Rond-Point fin décembre. Il n'aura pas un successeur mais deux : Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel ne sont pas des inconnus, du moins pour les professionnels du théâtre ; ils dirigent avec succès depuis 2009 le Monfort et depuis 2016, le Festival Paris Quartier d’été rebaptisé depuis peu Paris l'été.

Le couple, fondateur de la compagnie de cirque contemporain Les Arts Sauts, prévoit pour le Rond-Point une programmation pluridisciplinaire contemporaine ouverte à l'international.

Il s'agit évidemment de préserver le travail extraordinaire effectué par Jean-Michel Ribes et ses équipes depuis une vingtaine d'années tout en apportant une touche différente notamment à travers la mise en avant de nouvelles formes artistiques.

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ADIEU À MICHEL BOUQUET

@ dr

A

ctualités

ROBIN RENUCCI NOMMÉ À LA CRIÉE À MARSEILLE Le 1er juillet, Macha Makeïeff quittera la direction du théâtre national de la Criée à Marseille où elle a été nommée en 2011.

Ce faisant, elle donnera les clés de ce lieu qu'elle a habité avec passion à Robin Renucci. L'acteur et metteur en scène, qui dirigeait depuis 2011 les Tréteaux de France, a développé depuis 1988 les Rencontres Internationales Artistiques, un festival de théâtre ouvert aux amateurs. Il est aussi professeur au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique. Très impliqué dans l'éducation artistique, Robin Renucci veut faire de la Criée un "grand théâtre populaire".

76E ÉDITION DU FESTIVAL D’AVIGNON Olivier Py quittera la direction du Festival In d’Avignon fin juillet pour laisser la place à l’auteur et metteur en scène portugais Tiago Rodrigues. En attendant, il signe encore la programmation de la 76e édition qui aura lieu du 7 au 26 juillet. Le prochain numéro de Théâtral magazine lui sera largement consacré. https://festival-avignon.com

L’ÉDITO

@ dr

de François VARLIN

ROBERTO ALAGNA JOUERA AL CAPONE Le ténor Roberto Alagna sera à l’affiche en janvier 2023 de la comédie musicale Al Capone, dont il jouera le rôle-titre sur la scène des Folies Bergère face à Anggun et Bruno Pelletier. Produit par Jean-Marc Dumontet, écrit par Jean-Félix Lalanne, le spectacle est une biographie romancée de la vie du chef de la pègre de Chicago pendant la Prohibition.

ANRAT SÉMINAIRE À AVIGNON Fondée en 1983 avec l’appui des ministères de la Culture et de l’Éducation nationale, l’ANRAT - Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale - ouvre un espace de réflexion pour tous les militants de la pratique du théâtre à l’école, artistes, représentants des structures culturelles, enseignants. Depuis 2003, elle organise un séminaire chaque été en juillet à Avignon, en partenariat avec le Festival, occasion pour ses adhérentes et ses adhérents, militants et militantes du Théâtre/éducation, de se retrouver pour partager des expériences sensibles.

Il s’agit en particulier d’apporter des clés de décryptage pour appréhender des spectacles, de renforcer l’appareil critique des stagiaires et les rendre autonomes dans une pratique de passeurs. Cette année, le séminaire aura lieu du 18 au 22 juillet, et prendra appui sur un parcours de spectateur très varié ! https://anrat.net

LES MOLIÈRES RETRANSMIS LE 30 MAI EN PRIME SUR FRANCE 3 La 33e cérémonie des Molières aura lieu le 30 mai 2022 aux Folies Bergère à Paris. L’humoriste Alex Vizorek animera la soirée qui sera retransmise en prime sur France 3. (voir l’interview de Jean-Marc Dumontet le Président des Molières p. 68) TRAM AUTEUR.TRICE.S, LES ÉCRITURES THÉÂTRALES POUR LA JEUNESSE Lancé en 2021, Tram Auteur.trice.s est un nouveau rendez-vous annuel dans la région de Tours, qui fait la part belle aux écritures théâtrales contemporaines pour la jeunesse. La seconde édition a lieu du 1er au 17 juin. L'événement est organisé par la Grande Régie et le Collectif Râ en partenariat avec l’OCCE 37 (Office Central de la Coopération à l'École). On y propose des lectures, des spectacles et des interventions aux arrêts de tramway.

L’événement débute le 1er juin par une journée professionnelle.

Pour y assister, s’inscrire à tramautrices.resa@gmail.com

NOS SCÈNES POUR L’UKRAINE Les scènes françaises multiplient les initiatives de soutien en faveur de l’Ukraine. Des recettes sont reversées aux associations pour la partie financière, indispensable, capitale, essentielle. Mais au-delà, il y a ce geste moral de l’artiste, l’acte du comédien qui engage généreusement son art pour le soutien d’une cause.

J’ai longtemps été surpris, voire dubitatif, lorsque des acteurs dédiaient leur soirée. Le “je vais jouer pour toi” ne me semblait pas une motivation singulière, ni une affirmation très engageante. A bien y réfléchir, il y a dans cette intention, ce geste, comme une mystique, une visée spirituelle. La délicatesse de celui qui offre toute la sensibilité de son jeu au public d’abord, mais livre son effort d’un soir, d’un spectacle, à une personne nommée, peut-être absente, une cause définie même lointaine. Ici un peuple, un pays.

Que l’on dise des textes au théâtre de la Porte Saint-Martin, que l’on fasse le show au Paradis Latin, un concert à l’Opéra de Paris, ou que l’on reverse simplement le recette d’une représentation, on soutient, on pense, on aime. On est en communion. Les théâtres européens se lient pour favoriser l’accueil en résidence de troupes et d’artistes ukrainiens, et notamment programmer le Kiev City Ballet. Sans doute cela ne résoudra rien du conflit, comme déprogrammer les artistes russes soutenant le régime n’arrêtera pas la guerre. Ce sont néanmoins des initiatives de solidarité. Politiques, humanitaires, fraternelles, quelles qu’elles soient, elles allument une espérance et soulignent que nous ne sommes jamais indifférents au drame qui se joue.

Théâtral magazine

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Philippe

L’amour d’un père 8 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

@ Carole Bellaïche

Torreton

TOUT MON AMOUR

Théâtre du Rond-Point - Paris à partir du 17/05/22

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n vient de le voir dans le très beau concert poétique qu’il donnait avec Richard Kolinka et Aristide Rosier Nous y voilà !, à la rentrée il sera aux Bouffes du Nord dans la nouvelle pièce de Fabrice Melquiot, Lazzi, et il prépare Le Funambule de Jean Genet pour 2023. Mais l’actualité de Philippe Torreton, c’est le bouleversant texte de Laurent Mauvignier, Tout Mon Amour qu’il joue avec Anne Brochet au Théâtre du Rond-Point sous la direction d’Arnaud Meunier. Un texte dramatique sur l’absence : une petite fille disparaît de chez son grand-père laissant sa famille désemparée. Dix ans plus tard, à l’occasion de l’enterrement du vieil homme, une jeune fille prétend être la disparue. Cette apparition rouvre un abîme de souvenirs et de douleurs chez ses parents et son frère…

Théâtral magazine : Arnaud Meunier vous a dirigé dans J’ai pris mon père sur mes épaules.

Le rôle que vous jouez dans Tout Mon Amour n’a rien à voir...

Philippe Torreton : Je me souviens d'une discussion où Arnaud me disait "on te voit souvent jouer des personnages un peu forts. J'aimerais bien t'emmener vers des zones de faiblesse." Dans Tout Mon Amour, il m’a confié le rôle du père. C’est un personnage décrit en creux qui ne finit jamais ses phrases. On le devine à travers ses rapports ébauchés avec les autres, sa femme, son fils, la jeune fille et son propre père qui vient de mourir et qui s’impose à lui sous la forme d’un fantôme.

Nous n’avons pas accès à ce qu’il ressent. On devine seulement ce que la disparition de sa fille a dû être pour lui.

Pourtant, c’est lui qui mobilise tout le monde autour de cette

jeune fille qui prétend être leur fille disparue…

Nous n’avons pas accès à sa pensée mais il n’est pas inactif.

Surtout, il n'a pas perdu l’espoir de retrouver sa fille. Alors que la mère, elle, a décidé de ne plus souffrir et de ne plus y croire. Ils avaient d’ailleurs tous fait le serment d’arrêter de croire que c'était possible. Le père aussi mais au fond de lui il ne peut pas. C'est ce qui le rend touchant.

Du côté de la mère, c’est plus compliqué. On pressent qu’elle pourrait avoir une responsabilité dans ce drame...

Mauvignier distille des petits indices sur des choses qui ont une potentialité d'horreur. Mais rien n'est résolu. Ce qui permet de se raconter plein de choses, qu’il y a eu le jour de la disparition un accident, un accès de violence sûrement de cette femme.

Arrêter les recherches, c’est aussi une façon pour eux d’arrêter le temps, et la culpabilité...

C’est pourquoi voir grandir l’autre enfant, celui qui n'a pas disparu, les renvoie à l'absence de la fille, au chagrin. Toutes les étapes de la jeunesse du fils les renvoient à tous les anniversaires de la petite qu'ils ne fêtent plus. C'est une pièce sur l'impossibilité de faire le deuil. C’est ce que raconte le fils quand il dit que ses parents au bout d'un moment ont fait semblant de vivre, en faisant la fête comme on se noie.

Même le grand-père ne parvient pas à faire le deuil ; la disparition de sa petite-fille le retient après sa mort, parce que cela s’est produit chez lui. Il devient un fantôme... Ce chasseur, qui donnait du travail à tout le monde dans la région, qui se vivait un peu comme le châtelain, et qui a dû vouloir éduquer Théâtral magazine

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PHILIPPE TORRETON

"c’est elle mon amour, c’est à elle que je l’ai donné, à son absence, à son manque… tout mon amour c’est ce qui me déchire toutes les minutes de ma vie alors… qu’on donne tout à celui qui reste ?

Mais… je ne peux pas" (extrait de Tout Mon Amour) ses fils à la dure, au point que l'un des deux est parti au Japon, finit lui aussi par être touchant.

Cette histoire montre comment un auteur fait émerger des personnages à travers les mots.

Pendant longtemps je pensais qu’un comédien devait "fournir" quelque chose sur scène. Que je devais donner à voir et à entendre. Et d'une certaine façon c'est vrai. Mais ce n'est pas que ça, loin de là. Parce que nous existons de façon presque intrinsèque au fait d'être sur un plateau. Les mots parlent pour nous et les mots parlent de nous, ceux qui existent, couchés sur le papier, et ceux qui n’existent pas, que le personnage s'empêche de dire, les mots qu’il n’a pas pensés aussi. Il y a les mots présents et les mots absents et il faut penser à ces mots qu'on aurait pu dire et qu'on ne dit pas.

Quand j’étais à la Comédie-Française, j’ai dû remplacer Jean-Yves Dubois dans le garçon d'étage de Huis clos. Claude Régy mettait en scène, il me faisait errer sur le plateau en me disant "pense au mot, à tous ses synonymes. Chaque fois que tu dis un mot, je voudrais que tu me montres que tu as envisagé tous ses synonymes que tu aurais pu dire et que tu ne dis pas." L’absence, le manque, le vide sont, au théâtre des matériaux de construction... Maintenant je commence à comprendre.

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Dans Tout Mon Amour, Laurent Mauvignier n’a pas voulu que l’on sache ce que pensent les personnages, eux-mêmes ne le savent pas, il ne donne que des pistes. La pièce est intéressante de ce point de vue. S'il y a 300 personnes dans la salle, il y aura 300 histoires. Chacun va se l'approprier et ça va résonner différemment chez les uns et les autres.

Comment cela se traduit-il sur scène ?

Par une sorte d’abstraction. On est dans une maison symbolisée, un peu mouvante, avec des volumes qui se déplacent délimités par des transparences qui peuvent s'occulter ou au contraire laisser voir ce qui se passe derrière. Ça joue aussi beaucoup sur les ombres chinoises avec une présence musicale quasi constante qui prend des aspects oniriques, fantasmagoriques par moments mais sans jamais surligner une angoisse. C'est une maison abstraite avec juste quelques petits éléments hyper concrets comme une table en formica, ou deux chaises. Arnaud Meunier a fui un réalisme qui n'aurait pas pu coller avec l’histoire qui ne fait que griffer des bouts de réalité. On voit une petite goutte de sang et puis c'est tout.

Comment Arnaud Meunier vous dirige-t-il ?

Ce que j'aime chez lui, c'est que c'est un grand "regardeur". Il nous écoute et nous regarde. Il laisse venir les choses, il a une façon d'orienter le jeu par touches délicates. Il n'assène jamais, il n'a pas de vérité. Il prend beaucoup de soin à faire sa dis-

tribution. Il accorde un énorme crédit à l'intelligence de chacun et de chacune. On sait dans quelle ambiance on va travailler à partir de la maquette du décor, des bribes de musique, des costumes… tout ce matériau qui peut être constitué dès la première scène ajouté aux discussions qu'on a avant avec lui donne une responsabilité à l'acteur qui sait comment jouer selon l’ambiance. Arnaud est un révélateur. En ce sens je retrouve un peu les mêmes sensations qu'avec Bertrand Tavernier au cinéma. Bertrand était comme ça. Il ne dirigeait pas, il passait beaucoup de temps à choisir ses acteurs et à parler autour du projet. A chaque film avec Bertrand, on se mettait à lire des choses, à écouter des musiques et au moment de l'action, il nous expliquait ce dont il avait besoin. Mais sans jamais chercher à nous apprendre notre métier.

C’est une pièce que vous avez créée devant des professionnels pendant le confinement.

Que vous en reste-t-il ?

Il s'agit presque de tout réapprendre. C'est là que l’on voit que la mémoire au théâtre se cristallise par la représentation. On a beau savoir parfaitement le texte pendant les répétitions, si on n’enchaîne pas sur une série de représentations, il va glisser comme une peinture qui n’accroche pas. L'acte de jouer est vraiment un fixateur. J'ai hâte de voir ce qui aura évolué. Quand on joue un spectacle sur de longues distances, on lâche des petits bouts de volonté. Même si

TOUT MON AMOUR

Théâtre du Rond-Point - Paris à partir du 17/05/22

on y croyait dur comme fer. On fait autrement et c'est souvent mieux, plus simple, plus clair.

C'est pour ça qu'il faut jouer beaucoup. Il faut vivre des situations de jeux différentes et seule la longévité des spectacles permet d’accumuler cette expérience. J’en parlais avec ma fille qui va jouer un Feydeau au théâtre de Poche. Elle me disait que c'était bizarre de ne pas pouvoir venir des heures avant dans sa loge parce qu’elle est occupée par le spectacle d'avant. Et je lui ai dit que c'était bien aussi que nos habitudes soient bousculées.

L’acte de jouer ne dépend pas d’un rituel mais d’un état d’esprit.

Le rituel est une protection qui n’est pas forcément motrice. Je me souviendrai toujours de la naissance de mon fils aîné, je jouais Tartuffe à la ComédieFrançaise. Je suis arrivé au dernier moment, la tête ailleurs, quelque chose de plus fort que tout dans les yeux à mille lieues des préoccupations du personnage et cela a donné une très bonne représentation.

Vous venez de jouer à la Comédie des Champs-Elysées Nous y voilà !, une sorte de concert de poésie. Vous enchaînez avec Tout Mon Amour et vous avez aussi une année très chargée…

Nous allons reprendre Nous y voilà ! dans un an en tournée. À la rentrée de septembre je serais aux Bouffes du Nord dans Lazzi, une nouvelle pièce de Fabrice Melquiot avec Vincent Garanger.

Et parallèlement je travaille Le Funambule de Jean Genet que je vais jouer avec le musicien Boris Boublil et le fildefériste Julien Posada. C'est un long poème en

prose sur l'art du cirque, c’est un peu notre "Duende". J’aimerai raconter à travers ce texte la relation de Genet avec ce funambule, Abdallah Betanga, qu'il a complètement façonné. Ils étaient amants, il l’a fait déserter la guerre d'Algérie, voyager à travers l’Europe, lui a financé des stages dans des cirques prestigieux. Il a fait de lui un fildefériste, il a conceptualisé son numéro, dessiné son costume, son maquillage. Comme un vrai Pygmalion. Et au bout de quelques années Genet est passé à quelqu'un d'autre et Bentaga est tombé dans l'alcool, il a fini par se suicider en se coupant les veines dans son lit en mettant tous les livres de Genet autour de lui, dont le fameux Saint Genet comédien et martyr de Jean-Paul Sartre. Il a mis en scène sa mort.

Pour moi cette histoire symbolise aussi l'écriture de Genet. Ce n'est pas quelqu'un qui attend un retour sur écriture, il jette des pavés. Il solde des comptes.

Toute sa vie, il s'est caché, il a brouillé les pistes, abandonné dès l’enfance il en gardera une méfiance animale à l’égard du monde. Et ça se sent dans son écriture. C’est une écriture qui blesse. C’est impressionniste, sanguin. C'est presque de l'éjaculation. Je peux même enlever le "presque". C'est une éjaculation poétique. Il n'y a pas une introduction un développement une conclusion. C'est comme des coups de pinceau jetés sur une toile. Et ça donne des phrases magnifiques mais dangereuses.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n Tout Mon Amour, texte de Laurent Mauvignier, mise en scène Arnaud Meunier, avec Philippe Torreton, Anne Brochet, Romain Fauroux, Ambre Febvre, Jean-François Lapalus Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris, 01 44 95 98 00, du 17/05 au 5/06

Repères au théâtre 1990-1998 Comédie-Française 1990 Lorenzaccio, d’Alfred de Musset, mise en scène Georges Lavaudant 1990 La Vie de Galilée, de Bertolt Brecht, mise en scène Antoine Vitez 1990 Huis clos, de Jean-Paul Sartre, mise en scène Claude Régy 1994 Hamlet, de William Shakespeare, mise en scène Georges Lavaudant 2003 Le Limier, d’Anthony Shaffer, mise en scène Didier Long, 2005 Richard III, de William Shakespeare, mise en scène Philippe Calvario 2007 Dom Juan, de Molière, mise en scène Philippe Torreton 2013 Cyrano de Bergerac, d'Edmond Rostand, mise en scène Dominique Pitoiset 2016 La résistible ascension d'Arturo Ui, de Bertolt Brecht, mise en scène Dominique Pitoiset 2019 J'ai pris mon père sur mes épaules, de Fabrice Melquiot, mise en scène Arnaud Meunier 2019 La Vie de Galilée, de Bertolt Brecht, mise en scène Claudia Stavisky 2022 Nous y voilà ! sur des textes de Navarre Scott Momaday, Kamal Zerdoumi, Fred Vargas, Charles Baudelaire, Sitting Bull..., de et avec Philippe Torreton, Richard Kolinka et Aristide Rosier

Théâtral magazine

Mai - Juin 2022

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depuis le

12

Février

TOUT FEU TOUT FEMME Théâtre de Poche - Paris

Emeline Bayart

Emeline Bayart (nominée aux Molières dans la catégorie meilleure comédienne pour On purge bébé) ressuscite les chefs-d’œuvre oubliés de la chanson française, dans un récital plein de drôlerie et de folie.

Théâtral magazine : D’où vient cet amour de la chanson à texte ?

Emeline Bayart : De l’enfance. La chanson était très importante dans ma famille. Mon éducation musicale a été notamment marquée par les Fabulettes d’Anne Sylvestre. Un jour j’ai vu mon grand-père, ancien mineur, écraser une larme en écoutant Les Corons de Pierre Bachelet. J’ai alors été saisie par toute la force émotionnelle que peut recéler une chanson. Cet amour de la chanson à texte ne m’a jamais quittée.

Quand je suis entrée au conservatoire de Paris, j’ai continué à suivre des cours de chant, explorant le répertoire d’Yvette Guilbert. Je me suis dit qu’un jour, il faudrait que je fasse quelque chose de cet amour pour les textes et les chansons. Ensuite j’ai été accaparée par mon travail de comédienne.

En 2016, j’ai présenté mon premier récital de caf’ conc’ au RondPoint. Dès lors, mon travail de comédienne et de chanteuse 12 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

@ Caroline Moreau

Récital de Poche

n’ont cessé de se croiser.

Quels sont les auteurs de chansons que vous mettez à l’honneur dans votre récital au théâtre de Poche ?

J’ai déniché une vingtaine de pépites, pour la plupart drôles et irrévérencieuses, signées Jean Richepin, Vincent Scotto, Richard O’Monroy, auteur au début du siècle d’une chanson délicieusement grivoise sur la Tour Eiffel, mais aussi Jean Nohain et Mireille, avec ce petit chef-d’œuvre qu’est Tant pis pour la rime, Colette Renoir, Anne Sylvestre, avec Y a-t-il une vie après le théâtre ?, merveilleux hommage aux comédiens, ou encore Michel Eimer, qui fut le mari de Jacqueline Maillan et un grand parolier…

A part Anne Sylvestre et Brigitte Fontaine, dont je reprends J’suis décadente, on trouvera assez peu de textes écrits dans les années 60 ou 70’s : à ce moment-là, la chanson française semble se détourner de l’art de raconter une histoire.

Qu’est-ce qui vous plaît et vous touche dans toutes ces chansons du début du XXe siècle ?

Précisément cela : l’art et la manière de raconter une histoire en quelques minutes. C’est de l’orfèvrerie. Je trouve qu’on ne rend pas assez hommage aux auteurs de ces textes. On connaît les noms des interprètes, mais pas assez ceux des paroliers. Or tous ces auteurs oubliés sont de vrais poètes. Je voulais les faire découvrir aux jeunes et aux moins jeunes.

Un certain nombre de leurs textes sont très audacieux, très suggestifs, sans jamais tomber dans la vulgarité. Il y a dans toutes ces chansons une vraie dinguerie…

Comment chante-t-on de telles chansons ?

Le travail d’interprétation est aussi profond que pour une pièce de théâtre. Ce sont exactement les mêmes questions : Comment faire apparaître un personnage ? Comment provoquer le rire ? Toutes ces chansons sont une superbe matière pour une comédienne. Le rôle de l’accompagnateur, Manuel Peskine, au piano, est essentiel pour faire entendre la subtilité de ces textes. L’arrangement musical est aussi important que le travail d’interprétation…

Propos recueillis par Jean-François Mondot

n Tout feu tout femme, un spectacle conçu et interprété par Emeline Bayart, avec Manuel Peskine au piano. Théâtre de Poche, 75 boulevard du Montparnasse 75006 Paris, tous les lundis à 19 h, 01 45 44 50 21

Avril

NOCES DE CORAIL Le Funambule - Paris

Elle et Lui s’aiment passionnément depuis des années et leur amour a donné naissance à une petite Agathe. Mais bien vite, du corail se répand dans la tête de la petite fille comme pour calcifier cet amour. Cette pièce sur le couple, toute en poésie et en délicatesse, est la première de Laure Loaëc, et est mise en scène par Frédéric Thibault.

Théâtral magazine : De quoi parlent ces Noces de corail ?

Laure : Du couple. Mais du couple face à l'épreuve tragique la plus difficile qui puisse lui arriver, la perte d’un enfant. C’est ça que j’ai eu envie de passer au crible.

Avec aussi le message que ce qui va compter c'est la façon dont ils vont se relever l'un sans l'autre. Parce qu'il y a des douleurs que l'on ne peut vivre que seul. En tout cas cette douleur-là.

C'est l'enfant de l'amour qui tue le couple.

Laure : On voit ce couple grandir, s'aimer et plus la passion monte, plus la chute va être difficile. J'ai volontairement pris le prétexte le plus violent qu'on puisse imaginer, la maladie d’un enfant.

Mais je ne voulais pas que cette maladie relève d’un vocabulaire purement médical, je voulais la traiter de façon poétique à travers ce corail. D’ailleurs, Agathe ne parle pas de sa souffrance et le médecin dit qu'elle ne s’en rend pas compte.

Le texte est très écrit, très poétique, très chorégraphié. Com14 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

Laure Loaëc & Frédéric Thibault

Amour sans désamour

ment un metteur en scène arrive-t-il à s’immiscer dedans ?

Frédéric : Il fallait justement ne pas faire un spectacle de metteur en scène et laisser l'espace aux acteurs. La première chose que je leur ai dite c’était de ne surtout pas apprendre le texte. Et je ne leur ai pas donné de consignes de jeu ; tout était ouvert. On a beaucoup regardé le travail des TG Stan, de Cassavetes, on a cherché autour de tout ça et la forme s'est imposée à nous.

Laure : J'ai participé à quasiment toutes les répétitions. Il y avait évidemment des grandes lignes de force auxquelles je ne voulais pas toucher dans le texte, la façon dont la maladie est traitée, la façon dont on amène cette rupture qui ne doit pas être violente mais naturelle. J'étais très à l'aise à l'idée de pouvoir supprimer des parties qui ne marchaient pas. Et le texte qui est sorti du plateau est nourri énormément du travail des acteurs.

Un aspect intéressant, c’est que la petite fille malade arbitre la relation de ses parents.

Frédéric : C’est venu au plateau.

C’était mieux qu’elle soit metteuse en scène de son histoire.

Laure : On trouvait ça intéres-

@ dr

13

@ dr

depuis le

sant : comme elle est au milieu de l'histoire de ses parents, elle va devenir leur confidente, les amener à se poser tout un tas de questions et même les faire s'acheminer vers la rupture.

Ce qui est très beau aussi, c’est qu'il n'y a pas de désamour dans ce couple.

Laure : Parce que ce n'est pas un échec. Agathe dit à la fin : "ils ne se sont pas dit les mots qui font qu'on ne peut plus revenir en arrière". Ils se sont respectés, il y a eu de l'amour jusqu'au bout, même quand ils se séparent.

Comment avez-vous chassé le pathos de l’histoire ?

Frédéric : J’ai demandé aux acteurs de ne pas être concentrés mais excentrés. C'est un peu la pensée de Claudel : on se bat contre le monde, pas que l'un contre l'autre.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n Noces de corail, texte Laure Loäec, mise en scène Frédéric Thibault et Zakariya Gouram assistés de Laure Loäec Théâtre Le Funambule, 53 rue des Saules 75018 Paris, 01 42 23 88 83, jusqu’au 26/06

LES CONFESSIONS DE BEETHOVEN

Bouffes Parisiens – Paris

à partir du

2

Mai

Jean-François Balmer

La spiritualité de la musique

@ dr

A partir du 2 mai, au théâtre des Bouffes Parisiens, Jean-François Balmer est Beethoven ! Dans un texte que signe Alexandre Najjar, Les Confessions de Beethoven, le comédien, accompagné au piano par Nicolas Chevereau et mis en scène par Françoise Petit, raconte avec force et passion le compositeur de génie et nous en livre les plus grandes blessures. Un spectacle hommage.

Théâtral magazine : Pour jouer un tel personnage, faut-il se sentir en affinité avec lui ?

Jean-François Balmer : Je trouve le personnage déroutant, émouvant. Un génie ! Moi je n’écoute jamais de musique classique. A tort ! Je ressens maintenant presque le besoin de le faire, de m’y réfugier. La musique est importante dans ce spectacle et quand on sait comme elle lui est venue, c’est extraordinaire. Ça en fait un spectacle capital ! Beethoven dit "quand un son s’élève d’un instrument, il nous élève avec lui bien au-dessus de la bêtise humaine." Cela me donne envie "de la fermer" et d’écouter la musique ! Le spectacle est constitué de moments de musique qui viennent en contrepoint, joués par Nicolas Chevereau au piano sur scène.

Plaigniez-vous Beethoven ?

De sa maladie oui. Le fait de savoir qu’il n’entendait pas sa musique depuis l’âge de 27 ans est saisissant. Poignant. On le regarde autrement, on appréhende son œuvre différemment. Il était très travaillé par la question de Dieu, tenu par une foi vive. Un personnage tellement complexe.

Il est mort à 57 ans après une trajectoire artistique époustouflante. Il était insupportable dans la vie ! Un "air de fou" dit-on en raison de sa surdité, il faisait de grands gestes, banni de l’existence, exilé à l’intérieur de luimême…

Comment allez-nous nous le présenter ?

Je pense qu’il était satisfait de son œuvre. C’est un personnage très contradictoire qui passe de up à down ! On dirait bipolaire de nos jours, à la fois nerveux, rageur. Il était extrêmement orgueilleux. Il passait par des états différents avec une grande rapidité. Il y a souvent des citations de lui dans le spectacle, et je trouve bon d’avoir le texte en main pour le citer plutôt que de placer des intonations qui ne se-

raient pas forcément honnêtes !

Oui je trouve plus honnête de le citer. Je n’ai pas envie de briller, mais d’interpréter juste.

Sent-on dans les compositions de Beethoven ce que l’on découvre de lui par le texte ?

Il y a une spiritualité dans sa musique. Je ne le vois pas, je le sens, je le ressens. C’est tellement ce qui manque actuellement dans nos rapports, la spiritualité ! Depuis le premier confinement, moi qui étais rivé à France Inter, je ne parviens plus à écouter la radio ni la télé, ça me panique ! Et je trouve qu’il y a dans cette musique des moments de grâce que je suis heureux de partager avec les gens. A la fin de sa vie il a composé des œuvres d’une beauté et d’une complexité alors qu’il était complètement sourd. Il entendait tout intérieurement.

Propos recueillis par François Varlin

n Les confessions de Beethoven, texte Alexandre Najjar, mise en scène Françoise Petit, avec JeanFrançois Balmer et Nicolas Chevereau (piano).

Théâtre des Bouffes Parisiens, 4 rue Monsigny 75002 Paris, 01 86 47 72 43, à partir du 2/05

Théâtral magazine

Mai - Juin 2022

15

à partir du

2

Mai

TÜNDE

Théâtre des Quartiers d’Ivry

Tünde Deak

L'autrice et metteuse en scène Tünde Deak, membre de l'ensemble artistique de la Comédie de Valence, se penche sur son prénom, qui signifie Petite Fée en hongrois, mais aux consonances inhabituelles pour des oreilles françaises. En tirant ce fil biographique, elle aboutit à des questions universelles sur l'identité, l'héritage biographique, la manière dont se constitue notre personnalité.

Théâtral magazine : Comment votre prénom est devenu le point de départ d’un spectacle ?

Tünde Deak : A cause des multiples variations et déformations que je l’ai entendu subir ! On m’a appelé Toundé (qui est un prénom africain très courant au Bénin), Dundee, Toundra… J’ai donc essayé d’imaginer quelle aurait été ma vie si je m’étais appelée Toundé, Toundra, ou Dundee.

Derrière ce point de départ ludique se cachent beaucoup de questions sur l’identité : comment notre prénom influencet-il notre personnalité ?

Jusqu’à quel point fait-il partie de nous ?

Quelle est l’origine de ce prénom ?

C’est un prénom hongrois qui se prononce Tundé avec un é ouvert à la fin. Dans le spectacle il y a deux couches narratives très différentes. Dans la première, d’esprit un peu stand-up, je m’amuse des variations mélodiques autour de mon prénom. Dans la deuxième, une narration à la troisième personne raconte l’histoire de mon père, exilé de Hongrie à 14 ans, et les raisons qui l’ont poussé à me donner ce prénom typiquement hongrois. Après un séjour au Bré16 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

sil, mon père est revenu en France, s’est marié avec ma mère, française, avec qui il a eu deux enfants.

A mon frère et à moi, il a voulu donner des prénoms hongrois typiques et assez difficiles à prononcer. Il aurait pu m’appeler Ilona, mais il a choisi Tünde ! A travers ce prénom s’affirme une volonté de me transmettre une part de son héritage et de sa culture. Le paradoxe est que lui-même, dont le prénom était Huba, se faisait appeler Etienne, traduction française de son deuxième prénom hongrois.

Derrière le prénom se jouent des questions essentielles…

Oui, c’est la question de l’héritage familial et de l’identité. Une linguiste a utilisé cette formule que j’aime bien : “Un prénom est un mille-feuille constitué de toutes les fois où nous avons été appelés dans notre vie”. Entre le prénom, imposé de l’extérieur, et nousmêmes s’établit donc peu à peu un lien intime. C’est cette question que je voulais explorer.

Cette question des prénoms est devenue récemment une affaire politique quand Eric Zemmour avait reproché à Hapsatou Sy, entrepreneuse et chroniqueuse à la télévision, de ne pas avoir un

© Christophe Raynaud de Lage

De quoi le prénom est-il le nom ?

prénom français…

Il lui avait même suggéré de prendre comme prénom Corinne, qui est un prénom très connoté sociologiquement, donc on peut y voir une sorte de mépris de classe qui s’ajoute à tout le reste. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que cette question du prénom ne laisse personne indifférent. J’ai animé des ateliers de Théâtre avec des collégiens, à qui je demandais d’imaginer quelle était ma vie, mon histoire, si je m’appelais par exemple Kevin. Cela marchait très bien.

Chacun a l’intuition qu’un prénom n’est jamais neutre. A partir d’un sujet qui peut sembler de prime abord un peu restreint, on peut tirer beaucoup de fils…

Propos recueillis par Jean-François Mondot

n Tünde, texte, mise en scène Tünde Deak, avec Geoffrey Carey, Florence Janas.

Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val de Marne, Manufacture des œillets, 1 place Pierre Gosnat, 94100 Ivry sur Seine, 01 43 90 11 11, du 2 au 7 /05

à partir du

10 Mai

LES BIJOUX DE PACOTILLE Théâtre 14 – Paris

Céline Milliat-Baumgartner Prendre sa place

Théâtral magazine : À quel moment avez-vous eu besoin de faire de ce roman un spectacle et de vous exposer ?

Céline Milliat-Baumgartner : A la parution du livre, j’en ai lu des extraits dans des librairies, et à la Maison de la Poésie et je me suis rendu compte que c'était l'endroit où j'aspirais à être depuis le début. Mais j'avais peur de l'impudeur. En tant qu’actrice, porter mes propres mots me semblait complètement incongru. Je n'aurais pas osé y aller toute seule. Je ne l'ai fait que parce que j'étais accompagnée par Pauline Bureau qui avait été très touchée par le livre. Le fait qu’elle vienne avec son imaginaire a construit beaucoup de protection autour de moi et apporté beaucoup de plaisir. Cela m’a permis aussi de ne pas être impliquée émotionnellement sur scène plus que de raison. Je laisse vraiment la part de l'émotion et même de la thérapie aux spectateurs. L’année dernière à cause de la pandémie, 18 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

j’ai joué devant des collégiens et des lycéens et je vois bien à quel endroit ça marque et ça parle à chacun. Je me rappelle d'un garçon dans un lycée qui ne comprenait pas pourquoi je souriais en racontant cette histoire. Et d’une fille qui m'avait demandé si je n'avais pas peur que ça m'enlève complètement mes parents d'en parler comme ça. Ils osent dire des choses. C'est très constructif.

En décembre 2021, je suis même allée le jouer dans le lycée où j'ai grandi, et où j'ai commencé à faire du théâtre. Ce sont des choses que j'aurais aimé entendre à leur âge.

Votre mère était comédienne, elle a joué dans La femme d’à côté, le film de François Truffaut. Est-ce que ce spectacle n’est pas une façon de lui redonner la notoriété qu'elle n'a pas eue le temps d'avoir ?

Il y a sans doute de ça. C’est aussi prendre ma place à moi dans cette filiation. La disparition de mes parents, et surtout de

@ Marie-Clémence David

1985. Céline Milliat-Baumgartner perd ses parents à l’âge de 8 ans. La faute à un accident de voiture. Son frère et elle sont élevés par leurs oncle et tante. Des années après, devenue actrice comme sa mère, elle éprouve le besoin d’écrire le roman de cette tragédie. Puis de le jouer elle-même sur scène. Comme un hommage à ses parents, et aussi une façon d’éradiquer le chagrin. ma mère actrice, a pris énormément de place quand j'ai commencé à mon tour à faire ce métier. Je n'osais pas forcément exister sans eux. Après ça j'ai écrit un autre spectacle qui s'appelle Marylin, ma Grand-mère et moi que je viens de jouer au théâtre du Petit Saint-Martin où je mets aussi en lumière ma grand-mère maternelle.

Comment Pauline Bureau vous a-t-elle dirigée ?

Avec beaucoup de délicatesse, dans un rapport public très frontal, très adressé. Elle a voulu que ce soit très parlé pour ne pas voler d'émotion au spectateur. Et puis elle a amené cette possibilité de croire que tout était inventé.

Propos recueillis par Hélène Chevrier n Les Bijoux de pacotille, texte et jeu Céline

Milliat-Baumgartner, mise en scène Pauline Bureau Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier 75014 Paris, 01 45 45 49 77, du 10 au 21/05

à partir du

10 Mai

KLINIKEN

Théâtre de l’Odéon - Paris

Julie Duclos L’humour de Lars Norén sur le fil du tragique

A

u théâtre, j’en fais l’expérience à chaque nouveau projet, c’est sur le plateau qu’on découvre la force d’une écriture. C’est le cas avec cette pièce de Lars Norén. Au cours des répétitions, et des premières représentations à Rennes, cette force est devenue de plus en plus évidente” analyse la metteuse en scène Julie Duclos.

Kliniken, pièce chorale, nous présente une galerie de treize personnages enfermés dans un hôpital psychiatrique où ils s’agitent comme des mouches dans un bocal. Il y a Sofia, jeune anorexique, Martin, gagné par la dépression, Markus, atteint de schizophrénie, Roger le skinhead qui insulte et agresse tout le monde…

Tous ces personnages s’agacent, se rapprochent, se heurtent, se cajolent dans une pièce commune où l’on fume et où l’on regarde la télévision. Les personnages sont donc perpétuellement en représentation.

Mais grâce à un dispositif d’images projetées sur les murs, ils apparaissent aussi dans leur 20 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

solitude : “J’ai demandé à un vidéaste de filmer les acteurs en coulisses, dans ce moment très particulier où ils s’abandonnent un peu, où ils sont à mi-chemin entre l’acteur et leur personnage.

Cela crée des moments d’intimité que j’utilise comme contrepoints dans le spectacle” relève Julie Duclos.

Même si la thématique est grave (la folie, la dépression, la mort), Kliniken est portée par une la vitalité qui habite les personnages : “C’est une pièce qui avance et ne s’appesantit jamais sur la détresse des personnages.

Chacun d’eux fait preuve d’une énergie vitale irrépressible. C’est pourquoi le spectacle n’est jamais mortifère malgré les sujets abordés”.

Il y a même dans cette galerie de malheurs, de fragiles étincelles de rire : “L’humour de Norén se joue sur le fil du tragique. Le spectateur se prend à rire d’un personnage qui dit : “De toute façon je n’ai jamais été heureux”, ou “T’es tellement malade que tu vas jamais mourir”, grâce au jeu des acteurs, à leur énergie, à leur manière de prononcer ces phrases.

Toutes ces répliques ne sonnent

jamais comme des mots d’auteur car elles sont portées par un souffle qui vient du réel. Il y a quelque chose de très tchékhovien dans cet aspect du théâtre de Norén. Il réussit à rendre le rythme de la vie, ce qui est pour moi la marque des plus grands”.

A travers cette pièce, dont les aspects documentaires sont transcendés par une langue d’une grande force poétique, Lars Norén brosse un tableau de notre société, de ses jeux de pouvoirs et de compétition. Cet hôpital psychiatrique, c’est bel et bien un miroir qu’il nous tend : “A peu de choses près, nous y serions” résume Julie Duclos.

Jean-François Mondot

@ dr

Julie Duclos met en scène pour la première fois Lars Norén dans Kliniken, où le grand dramaturge suédois explore la folie sans aucun pathos, sans aucun apitoiement, et même avec un humour dévastateur.

n Kliniken, de Lars Norén, mise en scène Julie Duclos. Odéon Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon 75006, 01 44 85 40 40, du 10 au 16/05

IL TARTUFO

TNP Villeurbanne Nanterre-Amandiers

à partir du

11 Mai

Jean Bellorini

Tartuffe à l’italienne

Théâtral magazine : Que va raconter Il Tartufo ?

Jean Bellorini : A l’époque, j'avais rêvé d'un spectacle joyeux, très vivant, à l'italienne, où tout se passe dans une cuisine, avec des personnages qui se préparent vraiment des pâtes. On est dans un univers en hommage au cinéma italien des années 60, je pense à Affreux sales et méchants de Ettore Scola. Ce n'est pas que le personnage de Tartuffe contre la famille ; ils se tiennent tous les uns les autres pour ne pas que ça casse. Dès qu'il y en a un qui fait un faux pas, c'est toute la famille qui prend l'eau.

Vous le montez en italien. Que devient le texte de Tartuffe que l’on connaît ?

C’est une nouvelle traduction. Évidemment il n’y a plus les alexandrins, mais il y a quand même les rimes. Par rapport au français on a peut-être même une rime plus comique ou facile à certains endroits. J'ai l'impression qu'une des difficultés pour être fidèle à Molière c'est d'être en

même temps dans une forme de théâtre cérébral et proche de la commedia. Le pari que je fais, c’est d’oser montrer ces personnages tels qu’ils sont, tous corrompus, et en même temps joyeux de l'être. On est proche d'un esprit mafieux mais qui se plaît et se complaît là-dedans.

Le changement de langue a-t-il un impact sur le sens ?

J'ai envie que le sens soit encore plus ouvert sur l'histoire qu'on a vécue tous. Mais je vais quand même respecter la pièce. Même si pour moi, la langue italienne, joyeuse, rapide reflète plus l'idée que j'ai de Molière, que j’entends mieux en italien.

Il y a beaucoup de mises en scène de Tartuffe en ce moment, celle d’Ivo van Hove, celle de Macha Makeïeff. Comment analysez-vous cet engouement ?

Au TNP on présente le Tartuffe de Macha, dont j’ai fait les lumières et après le mien pour lequel elle a fait les costumes. Je trouve ça intéressant pour un

@ dr

Jean Bellorini, le directeur du TNP de Villeurbanne, devait partir répéter Il Tartufo, Tartuffe en italien, à Naples trois jours avant la fermeture des frontières italiennes fin février 2020. La pandémie a tout arrêté, laissant les acteurs italiens dans le plus grand dénuement, ne bénéficiant pas chez eux d’un régime d’intermittence. Finalement, le spectacle aura bien lieu, d’abord en Italie puis au TNP avant d’être présenté aux Amandiers.

spectateur d'avoir plusieurs lectures. Moi, j'ai envie de le traiter de façon très frontale, très rapide, très primaire. Alors que dans la version de Macha, il y a davantage une quête de complexité.

C'est votre première mise en scène d’un Molière. Pourquoi pas avant ?

Cela m'a toujours un peu inquiété de monter Molière, sans doute par crainte de le trahir.

C'est vraiment la langue italienne qui m'a permis d'oser y aller.

En revanche, je l'ai beaucoup fait travailler à mes élèves à l'école.

C’est une barre au sol formidable pour l'acteur.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n Il Tartufo, de Molière, mise en scène Jean Bellorini, traduction en italien Carlo Repetti, avec la troupe du Teatro di Napoli - Teatro Nazionale TNP, 8 place Lazare-Goujon 69100 Villeurbanne, 04 78 03 30 00, 11 au 15/05 Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo-Picasso 92000 Nanterre, 01 46 14 70 00, du 20 au 27/05

Théâtral magazine

Mai - Juin 2022

21

à partir du

12 Mai

FISSURE

Cité internationale - Paris en tournée

Camille Boitel

C

’est la première fois qu’on a créé quelqu’un et pas des événements ou des situations pour parler du monde”, signale-t-il. Fissure réunit tous les défauts de l’être humain : “il a la lourde charge d’avoir des mauvaises réactions aux pires moments, il peut nous soulager de tout ce dont on essaie de se débarrasser. Il est toujours au bout du bout, alcoolique à l’extrême, maniaque, hypocrite, injuste, violent sans raison, hypocondriaque.”

Tout le monde peut s’y identifier à un moment ou un autre : “on parle à l’oreille de personnes qui se sentent concernées, on a tous des défauts. C’est un clown même si on peut en douter, classique, même si à la fin il se travestit lui-même en clown.”

Camille Boitel a collaboré avec sa complice la danseuse Sève Bernard qui apporte un regard averti sur la mise en scène.

“En 27 ans d’expérience, je n’avais jamais eu de metteur en scène, signale ce couteau suisse.

Je fais mes premiers pas de clown, j’ai un peu trop d’idées, elle les organise de façon précise. Elle a un

22 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

Clown débutant

coup de crayon plus juste que moi.” Depuis 6 ans, ils écrivent ensemble. Récemment, ils ont donné en duo Ma, Aïda…, une œuvre puissante qui défiait les lois de la pesanteur.

Fissure ressemble au personnage de L’homme de Hus créé au début des années 2000 : “on était plus sur des situations, là on est plus sur du jeu, observe Camille Boitel. C’est un jeu que je ne connaissais pas. Pour transmettre, il faut que je sois extrême, énorme.” Si Fissure fait un “petit peu” peur, il est visible à partir de 8 ans. Absurde, chaplinesque, il est accessible au plus grand nombre. “On se demande où il veut en venir. Par exemple, il jette une boule en l'air, l'oublie, est terrifié par elle alors qu’une grosse pierre traverse le plancher au même moment derrière lui et qu'il la remarque à peine”, décrit son interprète.

Son goût pour la scène ne date pas d’hier. Né dans le hameau de Traversères (Gers), le jeune Camille suit les traces maternelles. “Ma mère a suivi la

@ limmediat

Camille Boitel a continué à travailler pendant le Covid. L’artiste tout-terrain a mille idées à la seconde, crée des univers dénués des repères habituels, extraordinaires, irréels, poétiques et burlesques. L’idée du personnage de Fissure remonte à l’enfance. A 12 ans, par accident, il s’est retrouvé avec les cheveux rouges. “Ça a transformé ma vie en spectacle”. Avec Fissure, l’auteur, acrobate, comédien, mime, danseur et musicien, ”on aime bien être dans le flou”-, est “complètement” dans le cirque.

troupe du Hanneton de James Thierrée pour la partie technique”, explique l’artiste qui a perdu son père à 4 ans. Enfant timide, il souhaite “juste” être dans la nature, creuse des trous dans une friche. “Mon but était de disparaitre, d’être le plus petit possible”, lâche-t-il. Par bonheur, son instituteur emmène ses élèves au théâtre. Leur demande de jouer une pièce. C’est la révélation pour Camille : “J’étais devenu une boule de feu à l’idée de jouer. Sur scène, on devenait quelque chose, je n‘étais plus enfermé dans une identité sociale.

Bizarrement, j'avais l'impression de pouvoir enfin être normal, de ne plus jouer la pièce parfois si mal écrite de la vie sociale.”

Nathalie Simon

n Fissure, de et avec Camille Boitel, mise en scène Sève Bernard. Cité internationale, 17 bd Jourdan 75014 Paris, 01 44 16 64 00, du 12/05 au 24/05, puis en tournée à Châteauroux les 4 et 5/10, Elbeuf les 14, 15 et 16/10, à Romainville le 19/11, etc.…

à partir du

16 Mai

ROOM

La Comédie de Clermont-Ferrand Le Volcan – Havre Célestins – Lyon

James Thierrée

@ Fred de Casablanca

La passion du démantèlement

James Thierrée ne compte plus ses spectacles ; Room est pourtant déjà son huitième en 24 ans et il compte bien continuer de nous surprendre. "Un savoir-faire peut devenir l’ennemi si l’on cherche à maintenir une flamme comme au tout début. J’ai envie de mettre mes jetons en jeu, de provoquer une turbulence, un remue-ménage pour engager du lien avec les spectateurs qui ne soit pas juste une sorte d’affection du temps passé”. Ne pas rôder dans les mêmes parages, recréer un objet scénique libre, fantasque, inattendu, ouvrir un nouveau chapitre de sa création en explorant la musique et le chant au cours d’une longue tournée.

24 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

Théâtral magazine : Qu’est-ce que Room ? Un lieu ?

James Thierrée : C’est précisément le sujet du spectacle. Le sens, le non sens ? Une pulsion ?

Une boîte crânienne ? Oui c’est un lieu, une chambre ; elle est le personnage émotionnel, l’héroïne de ce spectacle. Je voulais que cela respire à l’intérieur de quatre murs, que ce soit un objectif artistique : des artistes se réunissent dans une chambre, creusent, volent et se laissent aller. Il y a l’absolu du lieu, à l’intérieur il y a des corps, des instruments et une forme de voyage un peu labyrinthique.

Pourquoi vouloir réinventer toujours un rapport aux objets, aux espaces, défier des lois ?

C’est une forme de passion du démantèlement. La construction et la déconstruction des choses me passionnent. Ça a été mon grand sujet à travers ces huit spectacles, la déconstruction des objets du quotidien, des décors, de la musique. Peut-être un plaisir d’enfant que j’essaye de partager avec d’autres... Si on regarde bien sur Terre, on ne fait que ça, démolir et échafauder immédiatement. Moi, au théâtre, mon propos de situe dans cette zone-là. Depuis le début je dirige, conçois mes spectacles à l’intérieur du chaudron. Ça me rend à la fois aveugle et clairvoyant.

Explorez-vous dans ce spectacle une zone nouvelle ?

J’ai eu envie de creuser la musique comme j’avais creusé le corps. D’être basique, primaire, de dire "si la musique était un corps que pourrais-je en faire ? ". Room est vraiment ce nouveau champ d’expérimentation, et j’ai rajouté la voix puisque je chante. C’est une prolongation du corps, de la danse et de l’acrobatie que je faisais avant ; maintenant il y a des sons qui sortent du corps. Durant 24 ans je n’ai pas ouvert la bouche et voilà que je balance des chansons ! Le public est un peu déporté. Il y a quelque chose d’un spectacle qui voudrait s’échapper dans Room. Ça part à gauche, ça revient à droite, ça creuse sous les pieds, on part dans une chanson, on revient sur une chorégraphie, le décor s’éclipse… Je n’ai pas voulu rentrer dans un format qui rassurerait tout le monde, le rire amène une ouverture d’esprit, une acceptation du non sens. Un chaos joyeux que j’assume.

Propos recueillis par François Varlin n Room, spectacle de James Thierrée Du 16 au 22/05 La Comédie de ClermontFerrand, du 26 au 27/05 Le Volcan au Havre, du 9 au 19/06 aux Célestins, 4 rue Charles Dullin 69002 Lyon

à partir du

20 Mai

BÉRÉNICE

Théâtre National de Nice La Scala - Paris

Carole Bouquet Leurres justes

L’entretien avec Carole Bouquet commence par une forme esthétique de fatigue et de froideur professionnelle (“Qu’est-ce qui vous épuise de la sorte ?”

— “Ça ne vous regarde pas”). Il a fini par une discussion enthousiaste sur les femmes philosophes et écrivaines : Madame de Staël (“J’en ai fait une lecture avec mon oncle, Marc Bonnant, au château de Coppet !”,) Olympe de Gouges (“Extraordinaire !”), Marina Tsvetaïeva (“J’ai tout lu ! Tragique et sublime !”), Anne Dufourmantelle (“Magnifique et stupéfiant, et sa fille a un talent comme c’est pas permis !”). Entre temps : Bérénice, la tragédie historique de Jean Racine. Bérénice aura donc réussi à briser la fatigue et la glace. Sans doute parce que, quelles que soient la mise en scène et l’époque, “ça nous regarde” encore et toujours. De très près.

Théâtral magazine : Bérénice relate la souffrance de la séparation amoureuse entre l'empereur Titus et la reine de Judée, répudiée par celui-ci sous la pression du peuple romain hostile à son projet de mariage.

Quelle fut votre première rencontre avec cette histoire ?

Carole Bouquet : Par moimême, très jeune, éprise du verbe de Racine. Petit prodige de la langue française, le texte me fascine parce qu’il n’y a pas de morts ; le tragique réside dans le renoncement, dans la privation de l’autre de façon volontaire. Et le texte lui-même porte l’émotion. C’est d’une telle musicalité ! Si l’on joue l’anecdote, il ne reste plus rien, cela devient un mauvais fait divers. Il y a très peu de mots chez Racine : c’est la 26 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

répétition des mots, des sons, qui en fait la force. Quelque chose du clavier bien tempéré de J.-S. Bach joué par Glenn Gould…

Les gens autour de moi ne s’en lassent pas, d’ailleurs.

Cette pièce vous bouleverse plus que les autres pièces de Racine ?

Indéniablement. Parce que je trouve que le sacrifice est plus grand, pour les trois protagonistes. Il y a l’abandon de soimême, et de ceux que l’on aime, pour leur laisser leur liberté ; c’est pire que de mourir ! Et Muriel Mayette-Holtz a resserré tout ça.

C’est-à-dire ?

Jean-Claude Carrière, qui avait fait la première adaptation que j’ai jouée, avait déjà coupé dedans – notamment les tirades immenses de Paulin, très politiques,

dissertant sur le pouvoir. Quand je jouais la pièce avec Lambert Wilson, c’est son père, Georges, qui interprétait Paulin. Comme il avait une mémoire défaillante, il nous sautait cinquante vers de temps en temps… Ça consternait Lambert, mais ce n’était pas si mal ! (Rires). Ça permettait de ne pas perdre les spectateurs, notamment les jeunes.

Une langue difficile à apprendre ?

Non, tout le contraire. C’est plus facile à apprendre qu’En Thérapie, par exemple (pas un texte en soi qui porte l’émotion, mais un texte psychanalytique qui dépend de ce que vous en faites). Avec Racine, le rythme, les rimes, le dialogue donnent des repères qui aident énormément.

L’acteur et slameur burkinabè Jacky Ido en Antiochus, c’est un

© Chanel

choix “woke” ?

Pas du tout, quelle horreur !

(Rires). Non, ça, ça m’énerverait le plus possible !… Je vais tout le temps à la Royal Shakespeare Company à Londres. Devant le travail de Peter Brook, par exemple, jamais je ne me suis posé de questions quant à la présence de comédiens de différentes couleurs de peau ou de différentes origines. Je n’y prête tout simplement pas attention, mais c’est vrai qu’en France, ce n’est pas encore ça, et c’est bien regrettable… Jacky Ido vient de loin, mais il a adopté la langue de Racine de façon fulgurante, juste et passionnée. Son personnage, Antiochus, va parler ; ce qu’il n’aurait jamais dû faire, car il sera sommé de s’éloigner.

Quelles différences faites-vous entre cinéma et théâtre ?

Au théâtre, le corps joue plus qu’au cinéma. Il doit être présent en permanence. L’investissement physique est central. Il faut faire la paix assez vite avec qui l’on est – que l’on soit Dustin Hoffman, Jacques Weber, Michel Blanc, Josiane Balasko ou Gérard Depardieu… Ne surtout pas se gommer soi-même. Être en partie soi, et dire le texte de l’autre. La langue, aussi, est souvent plus travaillée au théâtre. Il suffit alors de dire le texte. On risque de l’abîmer et de casser l’émotion si l’on appuie trop, si l’on met des phrases en exergue…

Comment évolue-t-on dans cette “paix” avec soi-même ?

En se débarrassant de la peur… La peur peut être très bonne conseillère dans la vie, mais au théâtre, elle amoindrit, rabougrit, entrave.

Il faut entrer sur scène en se disant que l’enjeu n’est pas si grave, et en ayant confiance en soi, avec un

metteur en scène qui sait rester modeste face au texte.

Vous avez aussi joué Phèdre…

Un rôle d’une telle violence ! Elsa Lepoivre l’a remarquablement bien jouée, mais ce n’est vraiment pas fait pour moi. Bérénice, en revanche, est “taillée” pour moi (Rires). Et taillée pour l’époque ! Je suis née après la Seconde Guerre mondiale, j’ai bien connu Stéphane Hessel, Lucie Aubrac, le “Plus jamais ça !”. S’ils vivaient encore, ils seraient ivres de rage face à l’extrême droite triomphante ! Ils diraient : “On ne s’est pas battus pour en arriver là !” J’ai lu un texte dans la cour du Louvre pour les anciens résistants ; ils seraient tellement choqués d’entendre l’immonde discours d’Éric Zemmour – impensable pour eux ! J’ai aussi connu l’insouciance, l’absence de préoccupation pour le lendemain. Et l’époque actuelle nous pousse à des renoncements dramatiques sur toutes ces choses.

Comme tout le monde, j’ai très mal vécu ce confinement. J’ai besoin de peintures, de musiques, d’altérité… Et ce masque qui brouille les

paroles ! Jusqu’aux chanteurs de l’opéra ! Je suis très myope, et je lis beaucoup sur les lèvres sans m’en rendre vraiment compte. Le masque a dévoré l’expressivité même. On a tous besoin par moment de leurres, dans la vie. Les trois protagonistes de Bérénice ont besoin de se leurrer.

Ils savent déjà ce qui va leur arriver, mais ils doivent le vivre et le dire. Et c’est dans cette parole à vivre que réside la tragédie. C’est un travail de deuil sans morts. Renoncer quand vous avez imaginé que c’était possible. Renoncer à ceux que l’on aime : quoi de plus généreux, bon, grandiose… et terrible ?

Propos recueillis par Vincent Cespedes n Bérénice, de Jean Racine, mise en scène Muriel

Mayette-Holtz, avec Augustin Bouchacourt, Carole Bouquet, Frédéric de Goldfiem, Jacky Ido, Ève Pereur.

Théâtre National de Nice, salle La Cuisine, 155 bd du Mercantour Nice, 04 93 13 19 00, du 20 au 25/05.

Puis à la Scala Paris, 13 Bd de Strasbourg 75010 Paris, 01 40 03 44 30, du 15/09 au 28/10

Théâtral magazine

Mai - Juin 2022

27

à partir du

24 Mai

UNE VIE D’ACTEUR Théâtre 14 - Paris

Pierre Maillet

Les films de sa vie

@ Sol Espeche

Dans un texte écrit par Tanguy Viel, l’acteur joue des moments clefs de sa vie par le prisme des longsmétrages qui ont jalonné sa vie et son parcours de comédien, sous la direction d’Émilie Capliez.

Théâtral magazine : C’est une drôle d’idée de faire une pièce de théâtre sur son amour du cinéma…

Pierre Maillet : Oui, c’est vrai.

Mais ce n’est pas la mienne, je n’aurais jamais osé ! Je suis d’une pudeur maladive. C’est une commande qui a été faite à l’auteur Tanguy Viel (Article 353 du Code pénal, La Fille que l’on appelle…, ed. Minuit), par la metteuse en scène du spectacle Émilie Capliez…

Un spectacle pour raconter votre vie.

C’est ça, ma vie par le prisme du cinéma. J’ai grandi à Narbonne.

28 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

À l’époque, le théâtre était inaccessible là-bas. J’ai découvert le plaisir du jeu grâce au film Tootsie de Sydney Pollack, à 10 ans. Et ma vie a changé.

C’est un film féministe qui célèbre les acteurs, avec un comédien incroyable, Dustin Hoffman. Grâce à lui, j’ai compris qu’il n’était pas nécessaire d’avoir le physique de Marlon Brando pour faire du cinéma. Les gens ordinaires, comme moi, peuvent y prétendre… Et c’est comme ça que j’ai découvert ma vocation. La pièce raconte les films qui ont jalonné mon parcours, que je réinterprète seul en

scène, et ma vie aussi, ma famille, mes origines, mes passions, mes rencontres, mes déboires et mes joies…

Comment avez-vous travaillé avec Tanguy Viel ?

Il m’a interviewé, tout simplement. Et il est devenu mon ami.

Nous partageons la cinéphilie. J’ai pris l’habitude de mettre en scène des œuvres de réalisateurs : Pasolini, Fassbinder… Et lui, il a beaucoup écrit sur la question. Même si nous ne n’avons pas tout à fait les mêmes références : il adore les polars des années 50 et 60. Je suis plutôt un enfant des années 80. Le résultat est la rencontre entre son univers et le mien. Il se raconte à travers moi, en quelque sorte.

La metteuse en scène Émilie Capliez a fait le choix de ne pas montrer d’images, ou de vidéos. Était-ce une difficulté ?

Non, au contraire. C’est ainsi que le théâtre peut s’emparer de son sujet, sinon le cinéma vient cannibaliser le travail sur les planches.

Et même s’il s’agit de mon parcours dans cette pièce, j’ai matière à jouer. Je me sens autre, sur scène. Je m’aborde comme un personnage de fiction.

Qui verriez-vous incarner votre rôle au cinéma ?

Quelle belle question… Vous me posez une colle… Je dirais Dustin Hoffman, mais il n’est pas Français !

Propos recueillis par Igor Hansen-Love

n Une vie d’acteur, de Tanguy Viel, mise en scène Émilie Capliez, avec Pierre Maillet.

Théâtre 14, 20 av. Marc Sangnier 75014 Paris, 01 45 45 49 77, du 24/05 au 28/05

31 Mai

ANGELA DAVIS

Théâtre Paris-Villette

FREE

Astrid Bayiha @ JeremieLevy

à partir du

La comédienne et autrice Astrid Bayiha incarne Angela Davis dans un spectacle politique et musical consacré à l’icône protestataire des années 70.

A

vec sa silhouette immédiatement reconnaissable, coupe afro et dents du bonheur, Angela Davis fut l’une des grandes figures protestataires du début des années 70, au croisement du féminisme et du mouvement noir. C’est à cette icône que Faustine Noguès a consacré un texte qu’interprète Astrid Bayiha.

“Ce n’est pas un biopic, précise-t-elle, c’est un monologue avec des parties poétiques slamées qui traversent l’engagement politique d’Angela Davis. Il n’aborde pas sa vie intime mais retrace les événements marquants qui ont nourri son militantisme.

C’est vraiment une intellectuelle.

Elle étudie à l’université de San Diego, puis enseigne à l’université de Californie. Elle se passionne pour le marxisme et la philosophie de Marcuse ou de Sartre. Cette dimension intellectuelle est capitale. Cela explique l’impact de sa parole” souligne Astrid Bayiha.

l’affaire des Frères de Soledad au début des années 1970 qui va la rendre mondialement célèbre. Trois prisonniers noirs sont accusés (sans preuves) d’avoir tué un gardien dans la prison de Soledad. Angela Davis prend la tête de leur comité de soutien. En août 1970, un des frères des prisonniers tente de kidnapper le juge pour faire libérer les “trois de Soledad”. L’affaire tourne au désastre quand la police intervient. Il y a quatre morts.

L’une des armes utilisées par le ravisseur appartenait à Angela Davis qui dès lors est impliquée.

En cavale, traquée par le FBI, elle est arrêtée en octobre 1970, et accusée de conspiration, meurtre, enlèvement, alors qu’aucune preuve autre que ce revolver ne la relie à l’affaire. C’est alors qu’elle devient un symbole, et que la jeunesse américaine et européenne manifeste pour sa libération. Celle-ci sera obtenue en mars 1971.

Angela Davis est ce qu’on appelle à l’époque une activiste : elle adhère au Parti communiste et devient membre des Black Panthers. C’est

Que reste-t-il d’Angela Davis aujourd’hui ? Pour Astrid Bayiha, les idées d’Angela Davis demeurent d’une actualité brûlante : “Très tôt, elle a mis en avant une

30 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

idée qu’on entend de plus en plus aujourd’hui : la convergence des luttes. Elle refusait de séparer son engagement anti-raciste de son engagement féministe et communiste. Elle disait que le patriarcat était le fruit du capitalisme. Pour elle, tout était lié, c’est une position dans laquelle je me reconnais et qui me touche beaucoup” explique Astrid Bayiha.

Pour pouvoir incarner le rôle, l’actrice a effectué un travail spécifique sur les parties slamées : “Il se trouve que je chante par ailleurs, mais le slam, et le rap, sont deux pratiques très différentes.

C’est un autre endroit de prise de la parole. J’ai été coachée par Blade MC AliMBaye qui m’a appris à me familiariser avec une loop station”. Pour elle, le rôle d’Angela Davis a une signification particulière : “Sur scène je n’essaie pas de l’imiter, mais simplement de faire entendre sa pensée, et je considère cela comme un honneur”.

Jean-François Mondot n Angela Davis, une histoire des Etats-Unis, texte Faustine Noguès, mise en scène Paul Desveaux, avec Astrid Bayiha.

Du 31/05 au 4/06, Théâtre Paris-Villette, 211 avenue Jean Jaurès 75019 Paris, 01 40 03 72 23. Du 07 au 28/07/2022 Théâtre des Halles, Avignon, 14h

à partir du

1er

LE CRÉPUSCULE DES SINGES

Vieux-Colombier – Paris

Grand admirateur de Molière, Mikhaïl Boulgakov lui a consacré plusieurs écrits dont le fameux Roman de monsieur de Molière. Louise Vignaud a imaginé, avec l’autrice Alison Cosson, une rêverie autour des deux auteurs pour la saison Molière de la Comédie-Française.

Théâtral magazine : Que signifie ce titre Le Crépuscule des singes ?

Louise Vignaud : Cette pièce est vraiment née pour moi d'une rêverie sur Boulgakov et Molière, un peu comme Boulgakov rêvait sur Molière. On raconte deux crépuscules, deux fins de vie celles de Molière et de Boulgakov. Et le rapport de ces artistes au pouvoir qui est parfois violent.

Avez-vous trouvé des points communs entre leurs deux vies ?

Oui. C'est même assez troublant.

L'idée du projet est venue du Roman de monsieur de Molière écrit par Boulgakov. Dedans, il y a des petites phrases, des petits mots qui font qu’on se dit qu’il ne parle pas que de Molière mais aussi de lui. Dans les années 30 et 40, c'est le début des purges en Russie. Boulgakov est interdit dans toutes les bibliothèques. Parler de Molière et parler du rapport au pouvoir c'est une façon de parler de lui. Comme un besoin de dialogue avec un autre auteur. Et on se rend compte qu’il y a beaucoup de similitudes entre eux notamment sur la fin de leurs deux vies.

Molière s'est battu pour que son Tartuffe ait lieu et cela a ouvert un

@ Rémi Blasquez

Louise Vignaud

Juin

Molière versus Boulgakov

nouveau chapitre jusqu'à sa mort.

Boulgakov c'est un peu pareil. Il a voulu écrire une pièce sur Molière et sur le Tartuffe qui a été interdit en Russie. Après il écrit une biographie qui a aussi été interdite. Tous les deux sont dans un rapport au pouvoir complexe. Ils sont protégés, Molière par Louis XIV et Boulgakov par Staline, et pourtant, à la fin, ils n'ont plus rien et ne peuvent plus rien faire. Et puis, ils sont tous les deux malades du poumon. D'un point de vue théâtral et poétique c'est fabuleux, ils n'arrivent plus à respirer alors que ce sont des hommes de théâtre et du souffle.

Boulgakov était-il vraiment fan de Molière ?

Oui surtout de l'homme et de son parcours, plus que de ses pièces. En tout cas, Molière faisait partie de ses modèles. Bougakov disait toujours qu'il voulait aller à Paris voir la statue de Molière rue de Richelieu. Il y a quelque chose de l'ordre du fantasme. Molière était pour lui un modèle d'immortalité ; il était là, il avait sa statue comme une forme de survivance de l'art après les échecs.

Comment passez-vous d’un siè-

cle à l’autre sur scène ?

L'idée qui domine la pièce, c'est le rêve. Quand on rêve, on ouvre une porte et on se retrouve au bord de la mer. On ne se pose pas de questions. C'est un peu cette ouverture des portes vers des possibles qu’on cherche à rendre : Boulgakov et Molière sont au centre du spectacle, chacun avec sa cour. On essaie de faire en sorte qu'il y ait une correspondance entre la Russie et le XVIIe siècle français. La plupart des acteurs joue un personnage du XVIIe et du XXe. C'est un patchwork entre nos rêveries, les rêveries de Boulgakov et de Molière. Ils parlent peu entre eux sauf de la difficulté de dire et de survivre. Au fond, c'est l'histoire de deux échecs. À la mort de Boulgakov, ses amis ont quand même écrit "c'est un génie mais c'est une vie ratée".

Propos recueillis par Hélène Chevrier n Le Crépuscule des singes, d'après les vies et œuvres

de Molière et Boulgakov, texte Alison Cosson et Louise Vignaud, mise en scène Louise Vignaud.

Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier 75006 Paris, 01 44 58 15 15, 1er/06 au 10/07 Théâtral magazine

Mai - Juin 2022

31

à partir du

1er Juin

L’ORAL ET HARDI

Bouffes du Nord - Paris

@ Carle Bellaiche

Jacques Bonnaffé

Dans la transe du langage

Théâtral magazine : Pourquoi avoir décidé de reprendre L’Oral et Hardi plus de dix ans après sa création ?

Jacques Bonnaffé : Tout d’abord, parce qu’on me le redemande avec insistance. A chaque fois que les gens me parlent de ce spectacle, ils me disent : “Ça fait du bien !”. Cela me surprend toujours car il constitue, avant tout, une tentative d’asphyxie par le discours qui ne se prive d’aucun point aliénant, de la liste infinie à l’hermétisme en passant par l’accent local. Toutefois, cette possibilité d’énoncer les choses dans leur mélopée même donne naissance à une langue qui libère, qui permet d’entendre à nouveau ces mots trop souvent masqués par différents tons – l’un pour la météo, l’autre pour le journal télévisé, et ainsi de suite. En somme, L’Oral et Hardi est un spectacle qui parle beaucoup et qui fait du bien, alors qu’on pourrait penser que c’est de silence dont nous avons besoin aujourd’hui.

Une joie communicative sans doute liée, aussi, au côté “décalé” de Jean-Pierre Verheggen 32 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

Dix ans après sa création, le comédien et metteur en scène reprend L’Oral et Hardi au Théâtre de la Bastille. L’occasion, pour lui, de replonger, avec gourmandise, dans la langue de JeanPierre Verheggen.

Verheggen n’est effectivement pas un humoriste politique classique. Il y a quelque chose de rêveur chez lui, à la manière de Raymond Devos, un peu “à côté”, mais jamais “en l’air”. Il nous dit : “Venez voir, c’est intéressant, venez découvrir ma Belgique sauvage !”. A priori, on pourrait penser que les choses dont il nous parle sont de second ordre, mais il explore en fait, grâce à sa langue des tripes, des sous-territoires du langage qui ont un versant sauvage. Or, contrairement à ce que certains pensent, il n’existe pas une langue unique pour communiquer, mais une multitude, et j’aime bien m’intéresser à l’ensemble de ces langues sauvages qui nous sont nécessaires pour dépasser la novlangue et accéder, réellement, à la communication.

Comment faites-vous pour traduire un tel foisonnement au plateau ?

La langue de Verheggen est naturellement désireuse de la scène, et si l’on veut se planter avec lui, il suffit de se prendre au sérieux. Ce n’est pas à propre-

ment parler un boute-en-train, mais il y a, chez lui, une invitation à se frotter la bedaine comme dans le Nord, un hommage à toutes les difformités du rire qui, à la manière de Rabelais, donne une clairvoyance : il dit beaucoup d’énormités et, tout à coup, surgit une fulgurance. Verheggen ne monte pas sur un tonneau pour dire des choses supérieures, mais cela ne l’empêche pas de pointer les mystères de la rhétorique en considérant, par exemple, le parler creux avec beaucoup de sérieux ou en s’interrogeant sur l’utilisation de mots que l’on ne comprend pas. C’est une opération de tournis qui a lieu et qui crée une transe inévitable. Ma mission est donc de pousser cette transe collective jusqu’au bout et de montrer à quel point la force des mots peut être jubilatoire.

Propos recueillis par Vincent Bouquet n L’Oral et Hardi, textes de Jean-Pierre Verheggen et Jacques Bonnaffé, avec Jacques Bonnaffé.

Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, 75011 Paris, 01 43 57 42 14, du 1er au 24/06

à partir du

9

Juin

CRISTAL

Printemps des Comédiens – Montpellier

Gildas Milin

Mesure pour mesure

Théâtral magazine : Quand certains donnent leur corps à la science, Cristal offre, dans votre pièce, son âme aux scientifiques. Quel est le but de cette opération ?

Gildas Milin : Elle se prête à la mesure des mesures, au suivi de la sortie de son âme – que l’on peut aussi appeler potentiel d’action électrique – depuis son corps à l’instant de sa mort. Audelà du mythe des 21 grammes, on sait qu’au moment du décès d’une personne de l’énergie est évacuée, mais on ne sait pas encore exactement vers où. Intègre-t-elle l’un des quatre champs énergétiques connus ? Conservet-elle les informations de la vie précédente ? Ces questions rejoignent les mythes, les religions, les expériences aux frontières de la mort. Cristal tente de représenter ce moment précis où l’énergie va ailleurs, où il existe une interchangeabilité entre le passé, le présent et le futur.

Pourrait-on rapprocher cela d’une expérience de mort imminente ?

Au départ, Cristal est diffractée en quatorze personnes qui l’in34 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

carnent toutes, puis on assiste, dans un espace en quadrifrontal, à l’intrication de trois lieux différents : un cube en carbone amorphe où, à huit kilomètres sous terre, les scientifiques essaient de mesurer l’ensemble des perturbations liées à la mort ; le plateau de tournage d’un film où Cristal a joué lorsqu’elle était jeune et où le tango occupait une place prépondérante ; et une fabrique artistique et scientifique du scandale, dans une sorte d’hommage à Brecht. Dans cet endroit, au cœur des années 2050, deux producteurs ont compris que le monde était une scène constituée de 50% d’acteurs et de 50% de spectateurs, avec une relation constante aux interprètes. Ils proposent donc aux artistes des contrats sur leurs intuitions fondamentales et leur demandent de rester, pendant un an, sous le regard permanent d’un public – réel et numérique – et de se soumettre aux mesures des scientifiques. Si, malgré les effets psychologiques de cette expérience, ils respectent le contrat, ils seront alors produits pour toute leur vie. A travers eux,

@ Audrey Anselmi

Au Printemps des Comédiens, le patron de l’ENSAD embarque ses élèves-comédiens dans un voyage cristallin aux confins de la vie et de la mort, où l’art, le tango, les rêves et la physique s’entremêlent. se développe une réflexion sur les coulisses de l’art, davantage que sur l’art lui-même, et, par l’intrication kaléidoscopique des lieux, une appréhension des mesures, des mesures de mesures et du caractère mesurable, ou non, des choses.

Et l’on imagine que certaines ne sont pas mesurables…

L’impact vibratoire des personnes, par exemple, n’est pas mesurable et le titre de la pièce, Cristal, a tout à voir avec l’aspect vibratoire de cette matière particulière. Ce texte vient, en somme, nous dire que l’être humain n’est pas réductible à un système organique, mais qu’il est, sans doute, l’événement le plus complexe existant dans l’univers. Or, toutes les cases dans lesquelles les Hommes sont pris en ce moment ne rendent pas justice à ce statut de merveille.

Propos recueillis par Vincent Bouquet

n Cristal, de Gildas Milin. Printemps des Comédiens, Hangar Théâtre, 3 rue Nozeran 34000 Montpellier, 04 67 63 66 67, du 9 au 25/06

JEAN-BAPTISTE, MADELEINE, ARMANDE ET LES AUTRES…

Comédie-Française - Paris

à partir du

17

Juin

Julie Deliquet La directrice du Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis met en scène sa troisième pièce au Français. Dans Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres, elle raconte les coulisses de la création d’une œuvre qui passera à la postérité.

Théâtral magazine : Pourquoi avez-vous choisi de raconter un spectacle autour de la vie de Molière plutôt que de mettre en scène l’une de ses pièces ?

Julie Deliquet : Au départ, la proposition du directeur du Français, Éric Ruf, était libre : il m’a demandé de faire quelque chose autour de Molière, en salle Richelieu… Et c’est tout ! Naturellement, je préférais ne pas m’atteler à l’une de ses pièces, qui sont déjà tellement montées, mais plutôt raconter sa troupe et leur façon de faire du théâtre ensemble. C’est un fonctionnement très particulier, aussi stimulant que démocratique, où la place accordée à la femme était importante, en dépit des pratiques de l’époque. Réaliser une telle création avec les acteurs de la Comédie-Française me paraissait pertinent. Parmi les huit membres de la troupe, cinq d’entre eux allaient devenir les premiers sociétaires de la maison.

Vous avez choisi de traiter les années 1662-63. Pourquoi ?

J’ai suivi les conseils d’Éric. Cette époque correspond au succès de L’École des femmes, qui fut vive-

ment critiquée, puis à La Critique de l’école des femmes, écrite en réaction au scandale, et L’Impromptu de Versailles, où Molière se met en scène dirigeant une répétition. Cette trilogie, dont il sera question sur scène, me permet de raconter les coulisses : comment leur vie privée s’imbrique dans la création de leur œuvre.

Sur quels documents vous êtesvous appuyés pour reconstituer leur quotidien ?

Nous nous sommes documentés sur le Paris de l’époque. Pour le reste, à l’inverse d’un biopic, je me suis intéressée aux manques historiques justement, que j’ai comblés en les fantasmant. Ce sont des histoires de couples, de bébés malades et de vie quotidienne. Je déshabille Molière pour montrer des hommes et des femmes de 40 ans - mon âge en fait - qui ne se rendent pas compte que leur travail passera à la postérité.

Comment avez-vous choisi de les faire parler ?

Comme dans un film. Nous nous sommes servis d’un dictionnaire pour que les mots correspondent à ceux de l’époque. Mais l’objectif

@ B. Cruveiller

Molière mis à nu

consistait à ne pas les sur-employer. Je voulais faire tomber la frontière entre eux et nous.

Quel rapport entretenez-vous avec Molière ?

C’est un auteur que j’ai rencontré à l’école, que j’ai étudié et joué petite fille, en débutant le théâtre. C’est l’enfance pour moi, ça fait partie de mon ADN en quelque sorte.

C’est votre troisième pièce au Français. Quel rapport entretenez-vous avec la troupe ?

Je n’aurais jamais pu faire le spectacle sans avoir fait les précédents, qui m’ont permis d’expérimenter et d’apprendre à les connaître. Et puis ça fait très longtemps que je n’avais pas travaillé avec une si petite troupe.

C’est un vrai plaisir.

Propos recueillis par Igor Hansen-Love

n Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres… mise en scène Julie Deliquet, avec Florence Viala, Elsa Lepoivre, Hervé Pierre, Serge Bagdassarian, Clément Bresson…

Comédie-Française (salle Richelieu) 1 Place Colette 75001 Paris, 0 825 10 16 80, du 17/06 au 25/07

Théâtral magazine

Mai - Juin 2022

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à partir du

23

Juin

LA MERINGUE DU SOUTERRAIN

Grande Halle de la Villette – Paris Et tournée

Sophie Perez Théâtre brut

@ dr

Chacun des spectacles du Zerep pose la question de l’art dans le théâtre. Avec La Meringue du souterrain, Sophie Perez, la fondatrice de la compagnie, interroge cette fois l’art dans le théâtre brut.

C’est à dire un théâtre sans perspective de public.

Entre créativité non maîtrisée, immaturité revendiquée et acteurs sans limite.

Théâtral magazine : Qu’est-ce que La Meringue du souterrain ?

Sophie Perez : Un spectacle qui parle du geste artistique. Une sorte d'oratorio sur le plaisir et la difficulté d'y être. Pendant le confinement, nous avons beaucoup répété avec Sophie Lenoir et Stéphane Roger. Au Zerep, on fait toujours un peu ce qu'on veut.

Mais là, c’était finalement plus simple puisqu’il n’était pas question encore de monter une pièce.

Donc nous avons travaillé sur des notions qui nous concernent. Mais 36 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

des gens qui travaillent et dont on ne voit jamais les pièces, cela donne quoi ? On parle toujours d’art brut mais jamais de théâtre brut. Ces théâtres fermés, cela mettait en perspective la propension qu'on a à envisager le plateau comme un terrain d'expérimentation artistique. Donc on est parti sur cette idée de théâtre brut avec Sophie et Stéphane, sachant qu'ils sont des piliers du Zerep, qu’ils sont comédiens mais aussi chanteurs, musiciens, et qu’ils peuvent être peintres, poètes ; on a cherché à déployer cette espèce de monde complexe qui les constitue.

L’art au théâtre, ça se traduit comment ?

Pour moi, l'objet théâtral est une œuvre en elle-même.

L’art, c'est aussi ce que je vais toujours chercher en tant que spectatrice, un moment qui me concerne, qui me déstabilise, qui me renvoie à des choses très intimes et formelles. C’est une question très peu évoquée au théâtre. D’ailleurs, on a fait un quiz pour les spectateurs. Ça part de Shakespeare, ça

finit par Zappa et Picabia en passant par Richard Brautigan. La scénographie de façon très invasive sort du plateau et déborde dans la salle. Les spectateurs doivent l’enjamber avant de s'asseoir. C'est comme si la création avait pris la place de tout dans ce moment suspendu du confinement.

Avez-vous l'impression que cette période vous a modifiée ?

J'étais encore plus libre, c'était plus doux, plus paisible ; c'était très intéressant de travailler sans se poser la question du spectateur. D'être au plus près de soimême. Cette création parle aussi des filles parce qu'on a toutes 50 ans maintenant. Mais quand Sophie Lenoir joue les DJ avec son bonnet en laine, on a l'impression qu'elle en a 25. Il y a cette inexorable immaturité dans l’histoire du Zerep. Dans une interview, Federico Fellini évoque l’idée du mensonge pour arriver à la vérité.

Et c'est cela que j'essaye de faire au théâtre, comment va-t-on accéder à une vérité avec des acteurs, des lumières, des décors dont on sait tous depuis que c’est du faux. Donc oui ça me modifie parce qu’après La Meringue du souterrain, je vais adapter Titus Andronicus de Shakespeare. Derrière l’immaturité, il y a la conscience de la mort qui rôde.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n La Meringue du souterrain, un spectacle de Sophie Perez, avec Sophie Lenoir, Stéphane Roger. Grande Halle de la Villette, 211 avenue Jean Jaurès 75019 Paris, 01 40 03 77 01, du 23 au 26/06 La Criée Marseille du 5 au 7/10/2022 L’Arsenic Lausanne du 19 au 22/012023

T

e h c i f f a ’ ê tes d

Philippe Torreton joue Tout mon amour au Théâtre du Rond-Point -> p. 8

Sarah Biasini joue dans Un visiteur inattendu, Artistic Théâtre

Michel Boujenah joue L’Avare aux Variétés jusqu’au 15 mai

Eric Elmosnino joue dans 1h22 avant la fin à La Scala Paris jusqu’au 18 juin

Amir Haddad joue dans Sélectionné au Théâtre Edouard VII -> p. 48 et 76

Christophe Barbier joue Elysée au Petit Montparnasse jusqu’au 15 mai

Victoria Abril joue dans Drôle de genre à la Renaissance -> p. 76

Barbara Schulz joue dans Comme il vous plaira à la Pépinière jusqu’au 5 juin

Carole Bouquet joue Bérénice sous la direction de Muriel Mayette au Théâtre National de Nice -> p. 26

Guillaume de Tonquédec joue dans Times Square au Théâtre Montparnasse jusqu’au 14 mai

Julie Deliquet monte Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres... à la Comédie-Française -> p. 35

Stéphane Plaza et Valérie Mairesse - Un couple magique de Laurent Ruquier aux Bouffes Parisiens

Vincent Dedienne reprend Un soir de gala, au Théâtre Marigny -> p. 76

Jean-François Balmer joue Les confessions de Beethoven aux Bouffes Parisiens -> p. 15

Jacques Bonnaffé joue L’oral et Hardi au théâtre de la Bastille -> p. 32

Jean Bellorini monte Il Tartufo aux Amandiers et au TNP -> p. 21

James Thierrée crée sa nouvelle pièce Room en tournée -> p. 24

Alain Françon monte En attendant Godot aux Nuits de Fourvières -> p. 52

Thomas Jolly reprend Richard III et Henry VI au Quai d’Angers -> p. 44

Michel Fau joue et met en scène George Dandin à l’Athenée du 6 au 29/05

Wajdi Mouawad reprend Tous des oiseaux à la Colline -> p. 80

D

> Nous, l’Europe, Banquet des peuples, mise en scène Roland Auzet 40 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

@ RDL

ossier

QUI

pour sauver le monde ?

D

ans le contexte actuel, de pandémie, de guerre, de violences et de montée des extrêmes, difficile de ne pas s’inquiéter de l’état du monde. Et de fait, de nombreux spectacles interrogent nos institutions politiques.

Roman(s) national, Nous, l’Europe, banquet des peuples ou Je m’en vais mais l’Etat demeure en dressent un constat morne. Tandis qu’au Quai d’Angers, Thomas Jolly remonte en miroir Richard III et Henry VI de Shakespeare deux figures du pouvoir aussi antagonistes qu’inadaptées à diriger. Voilà sans doute ce qu’il nous manque, des héros pour nous guider, génies ou modèles de courage, un Jack Mancini ou un Alfred Nakache. Personnages authentiques ou romancés, ils incarnent un rêve. C’est peut-être ça qui nous manque : une utopie pour échapper au mal-être distillé par une réalité qui dépasse la fiction. Or le théâtre est l’endroit pour reconstruire un récit d’utopie nous dit le philosophe Vincent Cespedes. C’est peut-être de là que la vie va repartir.

Hélène Chevrier

Dossier réalisé avec les interviews exclusives de Vincent Cespedes, Hugues Duchêne, Amir Haddad, Jade Herbulot et Julie Bertin, Thomas Jolly, Mélody Mourey, Arthur Nauzyciel et Stanislas Roquette

Théâtral magazine

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D O S SIE R

Vincent Cespedes Sauver l’humain de l’humain Dans un monde malade d’inconscience, d’endormissement, de découragement, la voie de l’émancipation et du salut viendra pour le philosophe Vincent Cespedes d’un théâtre populaire.

On voit bien que le monde va mal.

Comment peut-on le sauver ?

Vincent Cespedes : La question eschatologique, c'est la question de l'humain. Qu'est-ce qu'il y a à sauver d’autre que l’humain dans le monde ? Sauver le monde, ce n’est pas sauver la Terre notre bien ; il ne faut plus concevoir la Terre comme une propriété de l'être humain, mais comme la propriétaire des êtres humains. Il faut éviter cette force d'entropie qui détruit tout. Sauver le monde, c’est sauver l'humain de l'humain, curer l'humain de sa tendance à la déshumanisation et à l'écocide.

Dans l’idée de sauver le monde, il y a quelque chose qui partirait en live et qu’il faudrait consolider avec des rustines. Pour moi sauver le monde, c’est réinventer un rêve, une utopie. Et ça passe par la morale. Jusqu’ici, on a fait de la morale une sorte d'éthique, une garantie pour continuer la prédation humaine sur ce monde. Il faut une morale de l’émancipation, un récit d’utopie. Dans Lettre à Sergej Nečaev du 2 juin 1870 (in Œuvres Complètes de Bakounine, vol. 5, Paris, Éditions Champ Libre, 1977 (p. 236), Michel Bakounine écrit "Comment moraliser ce monde ? En éveillant en lui franchement et consciemment et en attisant dans son esprit et dans son cœur l’unique et l’omniabsorbante passion de l’émancipation du peuple entier et de toute l’humanité.

42 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

C’est là une religion nouvelle et unique, au moyen de laquelle on peut remuer l’âme et créer une force collective et salutaire."

C’est ce que fait le théâtre, mais pas le théâtre selon Aristote. La catharsis, c’est la purge des passions. Le but est de calmer nos ardeurs. Moi je suis pour un théâtre bakouninien qui réinjecte de la passion et de la passion morale. Moraliser le monde, ce n’est pas vider le diable de l'Homme, c’est mettre Dieu dans l'Homme.

C'est un théâtre qui doit évidemment s'intéresser aux choses qui se passent, et ne doit pas être trop intellectuel pour pouvoir toucher le peuple.

Aujourd’hui, le théâtre que fait Thomas Jolly, c'est exactement ça.

Quand on en sort, on emporte avec soi le spectacle. C’est comme un concert de rock. Le concert de rock est bakouninien. On ne sort pas d'un concert de rock satisfait de reprendre le cours de sa vie. Non. On a envie de changer de vie. Aristote ne veut pas que le théâtre change la vie. Il en fait une sorte de défouloir social, d'exutoire dans un monde où il faut marcher au pas. Avec Thomas Jolly, ce n’est pas ça. Dans Richard III, il dialogue avec la salle. La débauche de technique sert à impliquer le spectateur qui va haïr Richard III, ou l'adorer. Ça charge le public d'une puissance critique, d'une vitalité,

d'une cohérence.

Dans Nous, l'Europe, banquet des peuples, le texte est magnifique.

Mais on est plus dans un meeting, une sorte de célébration de l'Europe comme le seul salut possible, la solution à tous nos problèmes. Une célébration mais à sens unique. Parce que l'Europe c'est aussi la Shoah, le sort qu'on réserve aux migrants... Il y a une volonté de moralisation, sans passer par la passion, par le doute, par la critique. Diaboliser ou encenser au théâtre, ça s’appelle faire de la propagande. Or la théâtralité passe par la dialectique. Deux personnages ne sont pas d'accord mais ils participent l'un de l'autre, ils n'existent que l’un par l'autre.

Je m'en vais mais l'État demeure pose la question des institutions.

Peut-on avoir confiance en elles ?

Oui si on les remet en question. On a tendance à fétichiser l'institution, à la verrouiller sur elle-même. Mais l'institution qui se protège de la critique devient un enfer. Le salut ne vient pas des institutions mais de la passion morale. L'institution intervient en fin de parcours. Ça commence de façon très basique dans une dialectique du bien et du mal, c'est-à-dire où est le bien où est le mal ; le bien qu'on croit bien est en fait mal et le mal qu'on croit mal est en fait bien. C’est la dialectique de la

QUI P O U R S AU VE R L E M ON DE ?

Les héros comme Alfred Nakache sont-ils des modèles ?

Ce sont des figures magnifiques de courage. Il faut insister sur la dignité de cet homme plus que sur l’exploit sportif. Être digne, c'est être digne d'être libre, d'être aimé. La vraie valeur de l'amour ce n'est pas l'amour qu'on vous porte, mais la certitude que si on vous aime, vous le méritez.

Or ce sentiment vacille aujourd'hui.

C'est pour ça que le théâtre doit aussi montrer des gens pris dans des complications. Dans L'Empire des lumières, on sent bien qu'on est dans la complexité, dans du subtil. J’ai fait un podcast qui s'appelle La Voie subtile avec la philosophe vietnamienne Hà Giang, où on interroge la subtilité, cette façon d’être efficace dans le long terme, dans l’élégance. "Ce n’est pas parce que la vie se montre inélégante qu’il faut se comporter comme elle" nous dit Sarraute. C'est ça la dignité. Ce n'est pas une question de politesse, c’est une question de subtilité. Et l'être humain sort de l'animalité quand il est capable de subtilité.

Et ce qui est génial avec la dignité c'est que la classe sociale, l'argent, le niveau d'éducation ne comptent pas.

Des gens pauvres sans éducation sont magnifiquement dignes.

gent vers un point, qu’on va appeler téta, qui serait l'abolition de tout ce qui va prétendre être un intermédiaire à nos présences. Le théâtre purifie la rencontre. C'est une utopie, ce n’est pas juste j’ai un rêve, c’est j’ai un rêve et il me fait agir. Il oriente l'éducation, les politiques, les programmes. Bakounine répétait souvent que le mouvement c'est la vie, l'immobilité c'est la mort. Or le théâtre remet en mouvement et donc remet en conscience. Dans les années 2000 Jacques Attali prédisait que tout le monde allait devenir nomade mais on voit bien avec le confinement et la cyber modernité, qu’on ne va pas du tout vers le déplacement des corps. On ne bouge plus, on a même des applis qui comptent nos pas. Bientôt, on n’ira plus au cinéma. Le théâtre est le seul endroit où on se déplace encore. Les comédiens comme les spectateurs. Il y a une vraie rencontre. C'est un pôle de résistance énorme. Mon ami Richard Texier, le peintre, parle d’élastogenèse, le processus même qui va étirer les formes, remettre de la souplesse, de l'agilité au mouvement dans tout ce qui pourrait être enkysté, figé. Eh bien, il faut retrouver l’élastogenèse du vivant. Reparticiper à cette vie mouvante, fluide, qui s'étire. Il faut rendre les relations humaines élastogéniques, vivantes. Ne pas s'enfermer dans des rôles, dans des assignations à résidence, à identité.

Participer à cette grande chorégraphie vivante. @ Ernest de Jouy

dignité que le théâtre doit mettre en scène. La dignité, c'est pouvoir se regarder en face et dire avec toute sincérité, je me tiens droit dans ce monde malgré les difficultés, les errances, les douleurs, les peines, les maladies, les peurs, l'ego. C'est ça le cœur palpitant qui peut nous sauver. Il faut retrouver une boussole morale pour que chacun puisse construire sa propre dignité avec ses actes, ses comportements, ses gestes, ses mots.

Peut-on compter sur les savants pour sauver le monde ?

La science c'est à la fois le remède et le poison, ça peut sauver et tuer encore plus. Encore une fois c'est la morale qui peut guider la science. Parce que la science c’est aussi Mengele, le Docteur Folamour... “Science sans conscience n'est que ruine de l’âme” disait Rabelais. Et le théâtre augmente la conscience. La conscience c’est la présence à soi. Il faut être conscient de là où on est, des enjeux de l'époque, de ce qui se dit, de l'histoire et du récit commun. L'abstention aujourd'hui montre que les gens sont dans une sorte de somnolence inconsciente quasiment sur tout, ça ne les concerne pas, ils ne peuvent rien changer. Et ça sert le fascisme.

Le fascisme a besoin d'un peuple non réveillé politiquement, désabusé. Le fascisme n'a pas besoin d'un peuple qui vote fasciste, le fascisme a besoin d'un peuple qui ne s'occupe plus de politique et du coup les fascistes sont les seuls à voter. L’inconscience est la maladie cyber moderne par excellence. Et le théâtre est un instructeur de conscience, un booster. Mais pour y arriver, nous devons pouvoir désobéir. C'est pour ça que je cite Bakounine. C’est un anarchiste. Et l'anarchiste propose une utopie, l’anarchie, c’est non seulement la disparition de l’Etat, mais aussi de l’argent, du travail, des hiérarchies. Pour cela il a besoin du théâtre, tout théâtre est d’essence anarchiste ; tous les théâtres conver-

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n www.vincentcespedes.com Théâtral magazine

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D O S SIE R

Henry VI + Richard III

@ dr

Thomas Jolly

"Célébrer la vie et l’Histoire, regarder ensemble l’état du monde qui se délite", Thomas Jolly l’affirme, le théâtre brasse pertinemment les grandes questions qui nous agitent aujourd’hui. Le metteur en scène use de ce miroir tendu vers le monde pour mettre en lumière de grandes questions. Il propose une expérience théâtrale, proche du binge watching dit-il, un spectacle marathon de 24h au mois de juin en son CDN d’Angers, la seconde tétralogie de Shakespeare : Henry VI suivi de Richard III et questionne le type de figure apte à conduire les hommes.

Notre vie politique à la lumière de Shakespeare Qui sont ces rois ?

Thomas Jolly : Henry VI est un roi frappé par le destin car son père meurt quand il a 9 mois et il hérite des deux royaumes de France et d’Angleterre. Son pouvoir est accaparé par ses oncles, et son règne sera frappé par la Guerre de Cent Ans et la Guerre des Deux-Roses qui ensanglante l’Angleterre. Il travaille vainement à rétablir la paix et la prospérité, se tourne vers la philosophie et la religion. Un roi lunaire, symbolique, pondéré. Un roi normal comme nous parlions du "président normal" ! A côté de lui Richard III est la démonstration d’un mécanisme politique qui permet d’accéder à la plus haute marche du pouvoir sans aucune pensée politique ni programme, en ne se servant que de la peur, des rumeurs, de l’anxiété pour s’élever. Une ascension sidérante d’actualité !

Qu’est-ce que cela nous enseigne ?

La tétralogie nous présente un 44 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

royaume puissant qui petit à petit va se déliter dans son territoire comme dans son unité. Shakespeare nous apprend que le conflit des puissants retombe toujours sur les peuples et gangrène tous les êtres. De plus, lorsque l’on est sujet à la peur et à un avenir flou, il est souvent facile de nous manipuler pour nous rassurer et permettre à des monstres, des inconscients, des incompétents de s’asseoir sur le trône. Dans les heures très noires que nous traversons, politiques, écologiques, économiques, nous les peuples devons rester une force, ne pas céder à l’effroi, garder notre capacité de discernement, veiller à ce que que les programmes politiques soient des idées qui puissent s’incarner.

Quelles sont donc les qualités pour exercer le pouvoir ?

Shakespeare nous dit que le conflit ne mène nulle part. Mais Sénèque donne peut-être un début de solution : la seule issue pour sortir de la boucle in-

fernale de la vengeance est le traité d’indulgence mutuelle. Pour moi, les démocraties ne sont jamais acquises, vivre ensemble est compliqué, composer avec l’ensemble des envies, désirs, ambitions, égos, nécessite un travail au quotidien. Mais le dialogue, le travail forcené d’une démocratie permettra d’aller vers le mieux. Le théâtre en est l’outil. Je ne sais pas qui, mais à la tête de l’Etat c’est le travail qu’il faudrait savoir faire. Henry VI est dans une volonté de dialogue et de conciliation, malheureusement cela ne fonctionne pas mais sa posture est une belle posture de roi.

Propos recueillis par François Varlin

n Henry VI + Richard III (spectacle de 24h) pièces de William Shakespeare, mises en scène Thomas Jolly.

Le Quai CDN Angers Pays de la Loire, Cale de la Savatte 49100 Angers, 02 41 22 20 20 Le 4 /06 l’intégrale, le 11-12, 18-19 ou 2526/06 en deux parties

Q UI PO UR S AU VE R LE M O NDE ?

Stanislas Roquette Utopie en marche

Après sa création au festival d’Avignon 2019, le spectacle de Roland Auzet écrit par Laurent Gaudé, Nous, l’Europe, banquet des peuples revient au Théâtre de l’Atelier, réactualisé et avec une distribution modifiée. Stanislas Roquette est de la partie.

A quand remonte l’idée de l’Europe ?

Laurent Gaudé fait le choix de la situer en 1848, au moment du Printemps des peuples. Les peuples cherchent alors à s’affranchir de l'asservissement imposé par les anciennes dynasties pour aller vers la liberté, en particulier celle de se gouverner. Mais avec la révolution industrielle et la colonisation, le pire s'est produit et a totalement dévoyé ces idéaux.

Peut-être parce que l’Europe, à l’inverse des Etats-Unis, est faite d’un patchwork de pays, de peuples, de cultures, de langues différentes.

Oui mais c’est cette diversité qui dessine l’universalité du projet européen, et c'est pourquoi Roland Auzet a voulu mettre sur le plateau

Nous, l’Europe, banquet des peuples

Propos recueillis par Hélène Chevrier

@ dr

Quelle est la philosophie de ce spectacle ?

Stanislas Roquette : C’est de dire que l'Europe a besoin d'un récit qui fédère. Aujourd’hui, elle existe essentiellement comme une sorte d'accommodement économique, mais elle met de côté la philosophie qui devrait la porter. Laurent Gaudé a voulu lui redonner avec lyrisme ce récit qui lui manque, pour raconter à la fois les errances, les drames, les tragédies et les crimes des pays européens, mais aussi les enchantements, les révolutions, les utopies et les espoirs qui les ont reliés. La rencontre entre l’ombre et la lumière. Pour en parler, nous accueillons chaque soir des grands témoins, personnalités politiques ou artistiques.

des nationalités et des langues différentes. Une comédienne ukrainienne va d’ailleurs nous rejoindre pour cette série, afin de témoigner à sa manière de son désir d’Europe, dans le contexte tragique que l’on sait. Il y a aussi toute la diversité musicale du continent, du lyrique au metal fusion, des chants révolutionnaires à la pop des Beatles...

L’Europe a-t-elle une chance un jour de dépasser la simple utopie ?

Paradoxalement, j’ai envie de croire que la guerre en Ukraine pourrait renforcer l'idée européenne, en contribuant à plus de solidarité entre les pays. Soudainement, des choses impensables encore il y a quelques mois ont eu lieu : une réflexion commune sur les questions migratoires, la question énergétique, les sanctions communes...

Comment le public reçoit-il le spectacle ?

Certains spectateurs ont été très bouleversés en réalisant qu'ils étaient européens. Personne ne se dit spontanément européen ; on se présente comme français, breton ou basque… mais jamais européen. On n’a pas ce sentiment d'appartenance. En 1944, Camus dit : "l’Europe est une aventure commune que nous continuerons de faire, malgré vous, dans le vent de l'intelligence".

Parce qu’il y a des migrations à cause des guerres et des changements climatiques, le mouvement de mélange des peuples et des populations est totalement irréversible. Ce projet théâtral est un élan poétique nécessaire pour se relier à quelque chose de plus grand que nous. n Nous, L’Europe, banquet des peuples, de Laurent Gaudé, mise en scène Roland Auzet.

Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin 75018 Paris, 01 46 06 49 24, 7 au 29/05 Théâtral magazine

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D O S SIE R

Hugues Duchêne Etat des lieux

@ dr

Hugues Duchêne est comédien. Cet ancien élève de l’Académie de la Comédie-Française a créé une pièce en six épisodes sur la situation politique pendant le quinquennat d’Emmanuel Macron. Avec ses anciens camarades de l’Académie, ils retracent ainsi l’élection de 2017, les grandes affaires judiciaires qui ont suivi, la situation parlementaire, le rôle des médias, la crise pandémique et l’actualité électorale.

Je m’en vais mais l’Etat demeure

La pièce porte sur la situation politique récente… Pourquoi ?

Hugues Duchêne : Parce que ces dernières années ont été très intéressantes. Si on avait fait la même chose sous le quinquennat de François Hollande, il y aurait beaucoup moins de choses à raconter. Les crises sous Macron ont été beaucoup plus nombreuses et plus révélatrices.

Faites-vous aussi de la politique ?

J’étais membre du mouvement des jeunes socialistes quand j'étais ado.

Je n'y suis plus depuis plus de 10 ans.

Je ne fais plus de politique, même si je passe mon temps à aller sur le terrain, à me mouiller un peu pour es-

46 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

sayer de comprendre les évolutions politiques.

Pensez-vous que le théâtre puisse changer les choses ?

Non, sinon cela deviendrait très rapidement moralisateur. Je perdrais pas mal de spectateurs dès la première heure parce qu'ils auraient compris à peu près mon point de vue et la suite ne les intéresserait pas. Je voudrais au contraire qu’ils sortent de la pièce en comprenant mieux leur désarroi et en ressentant toute la complexité du monde politique. Il s'agit de comprendre ce qui a changé, ce qui s'est passé. Je ne fais pas œuvre de propagande. Si on veut changer le monde,

on fait des vidéos sur YouTube.

Quelle est la part de fiction ?

J’invente très peu. Mais je ne dis pas ce qui peut être vrai ou faux. Je ne veux pas être un artiste engagé, je veux être un artiste le plus dégagé possible. Sinon je ferais du journalisme politique.

Vous avez quand même fait un travail d’enquête journalistique. Vous avez même rejoint en mode espion le Rassemblement National à Dunkerque dans l’épisode 3.

C'est de l'enquête. Je ne change pas mon nom quand je fais ça. Mon but est d'expliciter et pas de révéler. Je ne suis pas lanceur d'alerte. C'était des scènes pas forcément agréables à vivre mais je suis content de les avoir vécues.

Il y a aussi des moments drôles, notamment les interventions de Stéphane Braunschweig à l’occasion des célébrations de mai 68, ou d’Emmanuel Macron…

Il y a des petites choses qui résonnent étonnamment aujourd’hui, comme quand Macron se met pas à parler à la ComédieFrançaise de son déjeuner avec Trump, ou Gaspard Gantzer qui me parle de Zelensky sachant qu’à ce moment là personne n’en avait entendu parler… Et d’autres événements qui deviennent trop longs comme l'affaire Benalla qui durait quinze minutes et qu’on a réduite à cinq minutes après le mouvement des gilets jaunes. Ce qui compte dans cette affaire c'est Macron qui dit : "s'ils veulent un responsable, il est devant vous, qu'ils viennent me chercher."

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n Je m’en vais mais l’Etat demeure, conception et mise en scène Hugues Duchêne, 5/05 Centre Culturel Athéna à La Ferté Bernard, 14/05 Le Phénix à Valenciennes, 21/05 Maison des Arts et des Loisirs à Laon, 7 au 26/06 Théâtre 13 Glacière à Paris

Q UI PO UR S AU VE R LE M O NDE ?

Arthur Nauzyciel

L’Empire des lumières, roman culte de l’écrivain sud-coréen Kim Young-ha raconte l’histoire d’un espion dormant envoyé par la Corée du Nord en Corée du Sud. Vingt ans après son intégration, il est rappelé. Déchiré entre son devoir et la fausse vie qu’il a construite, il erre dans Séoul.

Arthur Nauzyciel a adapté ce roman avec Valérie Mréjen et l’a créé à l’invitation du Théâtre National de Corée à Séoul, en 2016. Il le reprend au TNB de Rennes dont il est le directeur depuis 2017 et en tournée.

De quoi parle L’Empire des lumières ?

Arthur Nauzyciel : C’est l’histoire d'un espion dormant, envoyé par la Corée du Nord en Corée du Sud. Après 20 ans d'intégration à la société sud-coréenne, où il a un travail et une famille, il reçoit un message qui lui enjoint de retourner au Nord.

Pendant 24 heures, on suit la dérive de cet homme, de sa femme et de leur fille dans Séoul. Dans l’adaptation que j’ai faite avec Valérie Mréjen, on a supprimé la fille adolescente, pour se concentrer sur le couple comme une image de la scission qui existe déjà dans le pays et se prolonge jusque dans l'intime.

Quel est l’enjeu pour cet espion ?

Il s'est bien intégré à la société sudcoréenne, et il hésite entre son sens du devoir et ce qu'il a construit à Séoul, même si son mariage n'est pas très heureux. Ces 24 heures d'hésitation sont aussi nourries de tout son passé. On n'a pas pu tout garder mais c'est assez fascinant sur ce que ça raconte de son enfance en Corée du Nord, de l'entraînement, de la fabrication de l'espion, du men-

songe, de son arrivée à Séoul, de son intégration à l'université dans un milieu très politique. Et puis comment cet événement du retour fait exploser ce qu'il pensait être stable. Parce que sa femme réalise qu’elle lui servait de couverture. Ce qui n'empêche pas que des sentiments se soient développés entre eux. Mais ils s'aperçoivent qu'ils n'ont pas vécu la même vie pendant 20 ans. Et cette illusion qu'on connaît l'autre, c'est quelque chose de très universel. On découvre toujours qu'il y a des zones d'ombres, des angles morts qui nous ont échappés.

Comment parvient-il à vivre tant d’années dans le mensonge ? Ça finit par devenir son personnage.

Sachant qu'il a passé autant de temps dans le Nord que dans le Sud. Et ça fait écho chez nous à la question de l'acteur. Ce sont des jeux de double et de miroir qu'on essaie de raconter à travers le spectacle et un film qu’on a tourné à Séoul. L'image filmée vient renforcer cette idée de savoir qui on est et amène quelque chose de Séoul qui est aussi un personnage important du roman. Et

L’Empire des lumières

@ Philippe Chancel

La réalité, mieux que la fiction

avec Valérie Mréjen, on s'est dit que ce serait bien d'écouter les acteurs évoquer leurs liens avec les deux Corée et on a intégré leurs témoignages au spectacle. Il y a chez eux quelque chose de brûlant sous une apparence beaucoup plus réservée.

Et j’aime beaucoup cette réserve d'incarnation qui coïncide avec l'histoire de gens qui se cachent. C'est une façon d'habiter le corps qui donne aussi quelque chose d’élégant. Ça m'a fait beaucoup penser à la série de Netflix, The spy, où le personnage que joue Sacha Baron Cohen trouve sa vie d’espion plus intéressante que la réalité. Mais pour nous en ce moment, entre le Covid et la guerre en Ukraine, c’est la vie qui est plus démente. Et je pense que les gens ont du mal à revenir à la fiction.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n L’Empire des lumières, d'après le roman de Kim Young-ha, mise en scène Arthur Nauzyciel TNB, 1 rue Saint-Hélier 35000 Rennes, du 27/04 au 10/05. La Criée, 30 quai de Rive Neuve 13007 Marseille, du 20 au 22/05.

MC 93, 9 Bd Lénine, Bobigny, du 2 au 5/06

Théâtral magazine

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D O S SIE R

Amir Haddad Le lieu de tournage de son premier clip J’ai cherché porte ce nom : la piscine Alfred Nakache. Intrigué par ce patronyme, le chanteur Amir découvre qu’il s’agit d’une figure de notre histoire sportive et nationale. Un champion de natation, représentant la France aux JO de Berlin de 1936, juif d’origine algérienne qui a vécu la déportation en camp de concentration, avant de revenir récupérer son titre et participer aux JO de Londres en 1948. Amir Haddad, lui-même nageur de triathlon, incarne cette figure fascinante sur scène dans un monologue qui lui redonne vie. Depuis le 26 avril, il est sur la scène du Théâtre Edouard VII.

Un héros qui n’est pas surhumain

Alfred Nakache est-il un héros ?

Amir Haddad : Il est un héros sans pour autant être surhumain. Il l’est justement en gardant sa part d’humanité dans un monde où on essaye de la lui arracher. Son mental hors du commun lui a permis de surmonter sa tragédie personnelle ; sa projection dans une humanité demain meilleure peut en cela servir d’exemple. Il a commencé tard le sport, a dépassé une phobie de l’eau, n’a pas reçu d’éducation sportive dans sa jeunesse, est devenu le meilleur grâce à sa volonté plus que par sa force physique, sa capacité à aller jusqu’au bout pour rejoindre l’autre rive. Le modèle de pensée Alfred Nakache est ici.

Sa vie fait-elle écho à la vôtre ?

Ce personnage avait une énergie, une étincelle. Il est une forme d’idéal humain. En analysant le personnage qu’il est, je me suis retrouvé dans ce que j’ai envie d’être

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et que j’essaye d’être au quotidien.

Reproduire sa vie chaque jour sur scène me permet de me sentir proche de lui. Un message de quelqu’un qui doit exister dans nos mémoires.

Vos origines, votre foi vous aidentelles à mieux le comprendre ?

J’ai été conquis par les points universels qui peuvent tous nous sensibiliser, le personnage et ce qu’il reflète. Mais incarner une personne qui elle aussi vient d’Afrique du Nord, est de confession juive, a les mêmes sensibilités pour les drames collectifs d’un peuple, a été pour moi plus naturel. Des facilités supplémentaires en découlaient.

Dans notre époque troublée, comment une grande figure comme celle-ci peut-elle nous guider ?

Ce n’est pas Alfred Nakache qui aurait pu changer le monde mais des histoires comme la sienne peuvent atteindre beaucoup de gens, les

faire réfléchir, changer quelque chose en eux. Ma vie ne sera plus la même après avoir connu son histoire. Il est possible d’avoir un parcours hors du commun dans les hauts comme dans les bas, sportif adulé il est devenu moins que rien dans un camp de travail et des conditions de vie pires que celles de animaux. Quelqu’un qui malgré ces chocs, ces cycles de vie improbables, continue à y croire, peut nous inspirer. Lui donner vie dans un spectacle vivant a beaucoup de pertinence. C’est comme si on le ressuscitait devant les yeux des gens. Un livre, un film, une chanson n’auraient pas suffit.

Propos recueillis par François Varlin

n Sélectionné, texte Marc Elya, mise en scène Steve Suissa, avec Amir Haddad.

Théâtre Edouard VII, 10 place Edouard VII 75009 Paris, 01 47 42 59 92, jusqu’au 1/06

@ Ruben Shazon

Sélectionné

Q UI PO UR S AU VE R LE M O NDE ?

Jade Herbulot et Julie Bertin co-fondatrices du Birgit Ensemble co-signent une fiction futuriste autour d’une élection présidentielle : on suit les derniers jours de la campagne d’un candidat idéal perturbée par des fantômes du passé…

Le projet de Roman(s) national at-il été inspiré par le contexte électoral ?

Jade : Pas vraiment. L’idée nous est venue en 2019 au moment où on faisait à la Comédie-Française Les Oubliés (Alger-Paris), un spectacle autour de l'articulation de la fondation de la Ve République et la guerre d'Algérie. C’était extrêmement flou.

On savait qu'on allait travailler sur une campagne présidentielle, mais on voulait plonger dans la fiction. Il s'agissait plutôt de construire un monde qui ressemble au nôtre dans un futur proche pour offrir un espace de réflexion, de délibération.

Julie : Tout ce qui semble faire écho directement à l'actualité est le fruit du hasard. On a juste été rattrapées par la réalité. On avait déjà écrit et improvisé avec les comédiens autour d'une grande catastrophe quand le premier confinement est arrivé, puis plus tard le référendum en Nouvelle-Calédonie sur la question de son indépendance ou Edouard Philippe qui lance son parti Horizon, du même nom que le parti de notre personnage.... Et puis le report des dates des représentations a fait

Jade Herbulot & Julie Bertin Roman(s) national

qu'on a finalement joué en pleine année présidentielle. C’est devenu une pièce d'actualité.

La pièce montre que les politiciens sont des pions, à peine décisionnaires, soumis à la dictature des réseaux sociaux, à l’image, à la com. Croyez-vous au pouvoir de la politique ?

Jade : Ça questionne les limites de nos institutions françaises aujourd'hui et la façon dont l'exécutif a pris de plus en plus de poids par rapport au législatif. La pandémie a accentué ça avec le Conseil de défense composé de cinq ou six personnes qui décidaient de tout et nous qui acceptions tout. Le spectacle ne dit pas qu'il faille détruire toutes les mythologies, mais se demande quel récit on peut construire tous ensemble qui permettrait de nous sauver.

Un homme providentiel comme ils en rêvent dans la pièce peut-il exister ?

Jade : Non. Sinon ce serait JésusChrist (rires). On a beau ne pas y croire, c'est étrange d'être dans l'attente de ça. On est incité constamment à y croire, les politiciens eux-mêmes jouent ce jeu là dans la communication. C’est pour ça qu’ils

@ Simon Gosselin

L’homme providentiel

essayent de faire du candidat, Paul Chazelle, un mythe qui coïncide avec l'image de celui qu'on attend, de celui qui va nous sauver. Mais cette vision est obsolète. On voit bien qu’on est dans un moment de tension entre des formes militantes, associatives qui imaginent d'autres manières de distribuer le pouvoir et des forces anciennes qui persistent et se rigidifient à la faveur d'un contexte géopolitique violent, de la menace terroriste, de la pandémie et maintenant de la guerre en Ukraine.

Julie : L'effet boomerang de ça, c'est que les citoyens eux-mêmes se méfient de plus en plus de la classe politique. La version la plus extrême, c'est le développement de tous les mouvements complotistes. Pourquoi y a-t-il tant de personnes qui se mettent à devenir paranoïaques et à imaginer qu'on leur ment en permanence ?

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n Roman(s) national, conception, texte, mise en scène Julie Bertin et Jade Herbulot, par le Birgit Ensemble Théâtral magazine

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D O S SIE R

Le mariage de la petite et de la grande histoire

Mélody Mourey Autrice et metteuse en scène, Mélody Mourey est à l’origine de La Course des géants, sur la conquête spatiale aux États-Unis et Les Crapauds fous, l’histoire vraie de deux médecins qui ont risqué leur vie pour en sauver d’autres. Prolongés en raison de leur succès, ses spectacles évoquent des personnages engagés sur fond d’Histoire. La trentenaire parle de mondes qui ont du sens.

A travers vos deux spectacles, pensez-vous transmettre un message sur l’état du monde ?

Mélody Mourey : Quand j'écris, je pense en priorité à mes personnages, à leurs désirs, aux épreuves qu'ils vont surmonter et aux grands dilemmes moraux auxquels ils vont être confrontés. J'aime qu'ils aient à faire des choix difficiles entre leurs désirs personnels et l'intérêt général par exemple, et souvent leur décision finale traduit ce qui me semble être juste. Mes deux spectacles s'inscrivent donc dans des contextes historiques forts avec des enjeux vitaux évidents : la Seconde Guerre mondiale pour Les Crapauds Fous, et la Guerre Froide pour La Course des Géants. On est assez loin de sujets contemporains, mais l'histoire ayant tendance à se répéter, certaines scènes résonnent très fortement avec l'actualité, sans que ce soit une volonté de ma part.

Est-ce que ce ne sont pas des personnages comme les vôtres qui sauveront le monde ? Ou au moins le changeront …

En effet, les héros de mes deux pièces sont idéalistes, persévérants et prêts à tout pour accomplir ce qui 50 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

leur semble juste. Les Crapauds Fous s'inspire d'ailleurs de l'histoire vraie de deux médecins polonais qui ont sauvé des milliers de vies au péril de la leur. La supercherie incroyable qu'ils ont mise en place était un véritable château de cartes qui aurait pu s'écrouler sur eux à tout moment. Je trouve leur histoire et le courage dont ils ont fait preuve magnifiques et très inspirants. La pièce rend hommage à ces hommes, et à tous ceux qui comme eux, dans les pires moments de l'Histoire, ont réussi à se battre au nom de valeurs humanistes, en refusant de suivre le mouvement. C'est aussi ce qui a motivé le choix du titre de la pièce : on appelle “crapauds fous”, les quelques crapauds qui migrent dans le sens inverse des autres sans qu'on puisse expliquer ce comportement marginal. En cas de catastrophe, lorsque la majorité des crapauds est menacée, c'est sur eux que reposent la survie de l'espèce...

En quoi le personnage de Jack Mancini croise un univers plus grand que lui et que la petite histoire influe sur la grande ?

Dans La Course des Géants, Jack

Mancini, un jeune des quartiers pauvres de Chicago, rêve de devenir astronaute et assiste avec fascination aux premiers pas de la conquête spatiale. La petite histoire de ce jeune rebelle est donc intrinsèquement liée à la grande histoire de cette conquête, ses ambitions personnelles croisant les ambitions nationales. Il prend part à la course à laquelle se livrent les deux Géants, les Etats-Unis et l'URSS, sans pour autant s'intéresser à ces enjeux politiques. Il est animé par un désir d'exploration, par l'envie folle de repousser les limites de l'homme et par une passion pour la science.

Mais d'autres personnages de la pièce ont davantage conscience des enjeux géopolitiques de la conquête spatiale. Ils se retrouvent donc face à un dilemme moral fort, leur amitié pour Jack entrant en conflit avec des intérêts politiques.

Est-ce que la pandémie et/ou la guerre en Ukraine pourraient vous influencer pour votre prochaine pièce ?

Peut-être inconsciemment, mais je ne me sentirais absolument pas légitime pour traiter frontalement de sujets aussi graves à chaud. J'aime mélanger la comédie et le drame et je serais bien incapable d'écrire la moindre réplique drôle sur des sujets aussi terribles en ce moment.

Pour moi, c'est la distance qui permet la comédie.

Propos recueillis par Nathalie Simon

n Les Crapauds fous, au Splendid, 48 rue du Faubourg Saint-Martin 75010 Paris, 01 42 08 21 93, à partir du 1er /06 n La Course des Géants, Théâtre des Béliers Parisiens, 4 bis rue Sainte-Isaure 75018 Paris, 01 42 62 35 00, jusqu’au 29/05

les meilleures pièces de théâtre sur vos écrans

CYRANOTV.com

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En attendant Godot

Alain Françon @ Michel Corbou

Beckett est, pour Alain Françon, un auteur familier dont il a monté Fin de partie et La Dernière Bande.

On ne l’attendait pas face à Godot.

Mais si. Ce sera l’un des événements des prochaines Nuits de Fourvière.

Du “blanc-sombre” au “noir-clair” Théâtral magazine : Pourquoi montez-vous Godot aujourd’hui ?

Alain Françon : C’est une idée du Printemps des comédiens, à Montpellier, il y a deux ans. Mais cela ne s’est pas fait. Nous la réalisons pour les Nuits de Fourvière, à partir de la distribution que nous avions imaginée : Gilles Privat (Vladimir), André Marcon (Estragon), Philippe Duquesne (Pozzo). Seul, Micha Lescot n’est plus libre et est remplacé par Eric Berger dans le rôle de Lucky.

Nous montons la dernière version établie par Beckett et non pas le texte français qu’on peut trouver aux éditions de Minuit. Je bénéficie du concours de Nicolas Dautey, un grand beckettien.

Vous n’utilisez pas le texte que nous connaissons ?

Beckett a modifié le texte jusqu’à la fin, notamment lorsqu’il a mis en scène lui-même Godot au Schiller à Berlin et à Saint-Quentin aux EtatsUnis. Il a laissé des cahiers de régie et des cahiers de dessins, qui ne sont pas publiés en France et auxquels je 52 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

me réfère. Je tiens compte aussi de la correspondance de Beckett. On peut dire que Beckett metteur en scène interroge Beckett auteur. Il élimine l’aspect clownesque, qui ne l’intéresse plus. Il fait des changements concrets et sombres, d’une intelligence prodigieuse. Il propose un espace qui est un non-lieu, ou bien une cage. Il fonctionne sur l’oxymore : “blanc-sombre”, “noir-clair”.

Voilà le décor que nous devons imaginer avec Jacques Gabel !

On retrouve cependant les clochards au chapeau melon que nous avons toujours vus.

Les deux mises en scène de Godot que j’ai préférées, c’est celle avec Jean-Paul Roussillon et Michel Aumont et celle de Jean-Pierre Vincent. Oui, l’image de clochards célestes est attachée à la pièce.

Mais est-ce la bonne image ? On pourrait se passer de chapeau. Mais ce serait difficile. Estragon est un homme de la terre obsédé par ses chaussures. Vladimir est un homme des arbres qui a des problèmes avec

son chapeau. On doit se poser beaucoup de problèmes. Les représentations de Godot sont souvent lentes. Or Beckett a donné beaucoup d’indications sur le rythme et la vitesse. On doit sentir le temps qui passe, mais il faut qu’il passe vite !

Pas de modernisation, de relation à l’actualité ?

Non, je ne ferai pas quatre migrants.

Le contemporain, c’est l’inactuel. Je voudrais arriver à une production exacte du texte, à une précision diabolique. L’un des enjeux de la pièce repose sur la question : qui aura le dernier mot ? Ce n’est pas si désespéré que ça, après tout.

Propos recueillis par Gilles Costaz

n En attendant Godot, de Beckett, mise en scène Alain Françon, avec Gilles Privat, André Marcon, Philippe Duquesne, Eric Berger. Création aux Nuits de Fourvière, Odéon 6 rue de l’Antiquaille 69005 Lyon, 04 72 32 00 00, du 16 au 19/06 reprise saison 2022-2023

par Gilles Costaz

En attendant Godot de Roger Blin à Philippe Adrien en compagnie de Bruno Putzulu “Route à la campagne, avec arbre” : à partir de cette définition sommaire du décor d’En attendant Godot des mises en scène très variées auraient dû fleurir.

Mais, en fait, Samuel Beckett imposait sa rigueur, exigeant une fidélité stricte à ses didascalies. Dès qu’une équipe ne respectait pas totalement les indications scéniques, l’auteur et son éditeur, Jérôme Lindon, faisaient savoir qu’ils pouvaient interdire la pièce. Donc les représentations mirent longtemps à évoluer, même si, au fil des ans, Beckett lui-même corrigea le texte et inventa de nouvelles solutions quand il mit en scène Godot tardivement et hors de France. Avant d’entrer dans l’histoire de la mise en scène française de cette métaphore de l’attente, rappelons que Beckett fit filmer par Walter D. Asus sa mise en scène, conçue pour la télévision (France 3 et Arte) et non pour le théâtre, en 1989. Les comédiens en étaient Jean-François Balmer (Estragon), Rufus (Vladimir), Roman Polanski (Lucky), Jean-Pierre Jorris (Pozzo) et Philippe Deschamps (l’enfant). Polanski fit savoir plus tard qu’il était fort mécontent de son interprétation !

Tout commence en 1953, au théâtre de Babylone, à Paris, avec une mise en scène de Roger Blin. L’oeuvre lui a été signalée par Tristan Tzara et il la monte avec Pierre Latour (Estragon), Lucien Raimbourg (Vladimir), Jean Martin (Lucky), en se réservant le rôle de Pozzo. Ces vagabonds que rejoignent, un instant, deux autres passants dans l’espoir de voir arriver l’énigmatique Godot n’attirent pas la foule, mais, même dans une salle parfois déserte, le spectacle ne passe pas inaperçu. Dans le magazine Arts, Jean Anouilh applaudit ce qu’il dépeint comme “Les Pensées de Pascal jouées par les Fratellini”. En effet, dans leurs tristes oripeaux, les acteurs privilégient un jeu clownesque. Comme le précise Alain Satgé dans son essai En attendant Godot (Puf, 1999), le décor de Serge Gerstein participe à “la touche baroque” à laquelle tient Roger Blin ; il se compose d’une toile de fond faite de tissus rapiécés et un arbre qui est un portemanteau recouvert de papier.

L’arbre conçu par Giacometti, ce sera pour plus tard (en 1961, exactement, toujours pour une reprise de la mise en scène de Roger Blin).

Cet objet théâtral inconnu finit par s’imposer. Les acteurs de la créa-

tion la jouent 400 fois, certains rôles pouvant changer d’interprète (l’auteur-chanteur Pierre Louki sera l’un des post-créateurs du rôle de Lucky).

Ce ne fut donc pas tout à fait un triomphe. Mais le monde entier suivit, avec des mises en scène dans la sphère anglophone et bien au-delà. En France, des équipes modestes, comme la péniche de Mireille Laroche donnant Godot en 1976 avec Jean-Paul Farré et JeanJacques Moreau, amplifièrent le mouvement. La consécration arriva avec l’invitation faite à Roger Blin de présenter la première pièce de Beckett à la Comédie-Française en 1978. Dans un décor et des costumes de Matias, ce fut une fête du jeu donnée par Jean-Paul Roussillon (Estragon), Michel Aumont (Vladimir), François Chaumette (Pozzo) et Georges Riquier (Lucky).

En cette même année de 1978, une autre mise en scène élargit la vision du texte. C’est au festival d’Avignon. Le metteur ne scène tchèque Otomar Krejca fait jouer Godot sur un cercle blanc avec Rufus (Estragon), Georges Wilson (Vladimir), Michel Bouquet (Pozzo) et André Burton en alterThéâtral magazine

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nance avec José-Maria Flotats (Lucky). C’est noir et inquiétant.

Dans leur Histoire du festival d’Avignon (Gallimard, 2007), Emmanuelle Loyer et Antoine de Baecque résumeront ainsi l’événement qui eut lieu dans la Cour d’honneur : ”… le texte et le jeu minimalistes, comme déposés sur un simple décor en forme de soucoupe blanche pensée, surprennent entre des murs généralement condamnés au lyrisme”.

Il reste à une nouvelle génération de s’emparer de Godot à sa façon – dans les limites du respect exigé (Beckett n’a-t-il pas fait interdire un Godot uniquement par des femmes ?). Une inspiration différente vient avec Joël Jouanneau et surtout Philippe Adrien. Jouanneau, en 1991, à Nanterre-Amandiers, a fait appel à Philippe Demarle (Estragon), David Warrilow (Vladimir), Claude Melki (Lucky) et Raymond Jourdan en alternance avec Christian Ruché et Jouanneau (Pozzo). L’optique est portée sur la fin des idéologies et le retour de l’esprit guerrier. Une voie est ouverte : en 1993, pendant la guerre de Serbie, Susan Sontag fait retentir la pièce jouée par des comédiens yougoslaves, comme le rappelle Alain Satgé.

Un peu plus tard, Philippe Adrien vint. En 1993, il donne un extraordinaire coup de jeune à En attendant Godot à la Tempête et aux Chantiers de Blaye. Pour Bruno Putzulu, qui y jouait Vladimir, ce fut “le spectacle qui l’a le plus marqué“. Les cinq acteurs, Putzulu, Eric Caravaca (Estragon), Gildas Milin (Lucky), Cyril Dubreuil (Pozzo) et 54 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

Jean-Luc Orofino (l’enfant) occupent un immense espace de sable où se dresse un arbre. Le jeu est très sensible. Putzulu se souvient des répétitions pendant lesquelles Adrien laisse les comédiens chercher en leur expliquant qu’il est normal de ne pas trouver de solutions, que le théâtre se pratique ainsi, sans vision préméditée et sans certitude de réussite. “J’entre comme un boxeur sonné par le combat, se souvient Putzulu. Caravaca arrive en Estragon portant un sac à dos d’où dépasse une croix. Je me sens en larmes, la détresse du personnage se confond avec celle du comédien. Je découvre qu’Eric est en larmes lui aussi. On se serre l’un contre l’autre et c’est ainsi qu’on a commencé à conquérir cet immense espace. A la fin de la séance, Adrien nous a dit : “ce n’est pas si difficile que ça mais c’est aussi difficile que ça. Cette pièce, c’est un désastre mais qui vous rend heureux des découvertes que vous faites.”

Pour Adrien et ses acteurs, le “En avant !” de Pozzo et le “Alors, on y va ?” final de Vladimir sont le résumé de la vie. L’être humain ne se suicide pas parce qu’il reste le plaisir de jouer avec les mots. Et cet enfant qui arrive, interprété par un nain, c’est, selon ce que le metteur en scène dit à Putzulu, “notre enfance qui vient à nous.” Rarement l’immobilité de la pièce aura été aussi vivante et trépidante.

L’œuvre, ensuite, sera surtout montée comme le classique qu’elle est devenue. Plus comme une tentative effrontée de jeune compagnie mais comme une production ambitieuse et souvent coû-

teuse. En 1997, le Rond-Point de Marcel Maréchal réunit une affiche magnifique : Pierre Arditi (Vladimir), Maréchal (Estragon), Robert Hirsch (Pozzo) et Jean-Michel Dupuis (Lucky). Et c’est très intelligemment mis en scène par Patrice Kerbrat. En 1998, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Luc Bondy fait un pari assez proche en réunissant François Chattot (Pozzo), Gérard Desarthe (Lucky), Roger Jendly (Estragon) et Serge Merlin (Vladimir) dans un décor de Gilles Aillaud enneigé et glacé Parmi les nombreux Godot français du début du XXIe siècle on pourra retenir celui que conçut Bernard Lévy en 2009, d’une grande pâte humaine, celui mis en scène conjointement en 2014 par Marcel Bozonnet, Jean LambertWild et Lorenzo Malaguerra où les deux rôles principaux sont confiés à des acteurs de couleur, les excellents Fargass Assandé et Michel Bohiri, ainsi que celui finement mis en scène par Jean-Pierre Vincent en 2015. Les Godot vus par Serge Noyelle (2013), Yann-Joël Collin (2015) et Laurent Fréchuret (2015) ne manquent pas de qualité, tout comme le spectacle où Laurent Vachet, en 2014, place la pièce dans le contexte d’une cité industrielle déshéritée.

Une place à part peut être faite au travail de Jean-Claude Sachot, qui nous a quittés en 2017. Sachot s’inspire partiellement du style de Roger Blin, revient à une clownerie non continue mais en à-coups : on se tape un peu dessus, on est au bord du croc-enjambe, on glisse un ou deux gags.

En attendant Godot mise en scène Jean-Pierre Vincent

@ Raphael Arnaud

Deux générations s’opposent ; les deux acteurs qui jouent Vladimir ne sont pas jeunes. Dominique Ratonat et Philippe Catoire sont des personnages burinés, ils ont les blessures de la vie sur le visage.

Comme leur jeu est entier, vif, bourru, passionné, ils sont particulièrement convaincants. Mal fringués, dépenaillés, ces deux malheureux ont l’air d’avoir attendu Godot pendant des années et des années ! Leurs gestes affectueux de l’un à l’autre peuvent laisser supposer qu’Estragon et Vladimir sont un peu amoureux l’un de l’autre. Pourquoi pas ? Les interprètes de Lucky, Guillaume van't Hoff et Pozzo, Jean-Jacques Nevest, sont jeunes mais semblent abîmés par leur errance. Le rôle de l’enfant est confié à une marionnette parlante conçue par Nadine Delannoy, le tour est bien joué !

mise en scène Jean Lambert-Wild

@ dr

Le prochain Godot par Alain Françon partira sur d’autres voies, en s’appuyant sur les modifications que l’auteur a faites au fil du temps. Trouver de nouveaux chemins est un impératif évident, même si le chef-d’œuvre de Beckett n’opère plus comme le tremblement de terre qu’il effectuait dans les années 50-60 (combien d’écrivains, tel Tom Stoppard, ont changé leur écriture en encaissant le choc de la pièce !). Bruno Putzulu n’ira peut-être pas voir la mise en scène de Françon. ”Je vais rarement voir les pièces que j’ai jouées, confiet-il. Et Godot, c’est trop d’émotion”…

Gilles Costaz

@ dr

mise en scène Philippe Adrien Théâtral magazine

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ducation Education au spectacle vivant Expérimentation dans le Vaucluse

Affirmée comme une priorité interministérielle depuis plusieurs années, la généralisation de l’éducation artistique et culturelle est un objectif dont on ne peut que saluer l’ambition. L’exemple d’expérimentations en Vaucluse menées ces dernières années permet de mieux prendre conscience des freins et des conditions de réussite d’un tel projet.

En 2014, un collectif d’acteurs impliqués dans l’éducation artistique et culturelle du département du Vaucluse s’est réuni pour essayer de repérer les blocages à la généralisation de l’EAC dans le domaine du spectacle vivant, et de proposer des solutions. Le projet était porté conjointement par des chercheurs du Laboratoire Culture et Communication de l’Université d’Avignon et initialement par les responsables de quatre structures culturelles : la scène conventionnée Éveil artistique des Jeunes Publics (devenue depuis le Totem) et le Théâtre des Doms à Avignon, le Vélo Théâtre à Apt, La Garance, scène nationale à Cavaillon, rejoints l’année suivante par Éclats de Scènes (devenu depuis le Centre Dramatique des Villages du HautVaucluse) et l’Orchestre régional Avignon Provence.

56 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

Une analyse du contexte sociodémographique et culturel du territoire (population relativement jeune, peu diplômée et socio-économiquement fragile, un fort déséquilibre territorial dans la répartition des lieux de spectacles) conduisait à s’interroger sur la possibilité de construire un projet d’éducation au spectacle vivant, et ce dans un contexte pouvant paraître favorable dans le milieu scolaire, avec des parcours d’EAC prônés par les ministères de l’Éducation et de la Culture et le fait qu’en théorie les projets d’établissements des collèges et lycées doivent comporter un "volet culturel".

Cette recherche-action a abouti à l’élaboration de différents paramètres à prendre en compte pour réussir un parcours : • l’adaptation au territoire (exemple : par des propositions ci-

blées pour un territoire donné, prenant en compte la question des transports), • la continuité du parcours (exemple : en améliorant les passerelles entre établissements scolaires), • la complémentarité entre les temps (scolaire, périscolaire, extrascolaire et familial) et entre les lieux (exemple : en améliorant la circulation des jeunes entre structures culturelles, éducatives, sociales ne proposant pas les mêmes formes d’action culturelle), • la diversité et la cohérence des contenus (en respectant les trois pôles de l’EAC : voir, faire/pratiquer, interpréter et s’approprier les connaissances), • l’individualisation des parcours (quel accompagnement de l’enfant, du jeune ? quel outil de suivi ?), • la coopération entre tous les acteurs sur un même territoire : structures culturelles, représentants des services déconcentrés de l’État, élus, responsables de l’Éducation nationale, acteurs de l’éducation populaire et responsables de centres sociaux.

Le Réseau vauclusien pour l’éducation au spectacle vivant (Réseau REVES) s’est ainsi constitué en 2016, et a décidé de poursuivre le travail par la mise en place, pour une étude plus approfondie, de 4 parcours sur des territoires du département, plus ou moins grands,

Education artistique et culturelle

en milieu rural et/ou urbain : "L’art dans ma ville 2" sur le territoire d’Avignon, un projet de parcours à Cavaillon, "Les arts sur le pont" dans la communauté d’agglomération du Grand Avignon, et enfin "Parlons d’amour en haut-Vaucluse" dans trois intercommunalités du Nord du Vaucluse. Chacun de ces projets devait être suivi par un groupe d’observation à l’occasion d’entretiens réguliers menés avec tous les acteurs concernés : enseignants, artistes, structures…

Le 2 février dernier, une journée de restitution et de bilan de ces quatre projets pluriannuels expérimentaux était organisée par le réseau REVES à la Garance, scène nationale de Cavaillon, et a permis de dégager des éléments riches d’enseignements dans la perspective d’une généralisation.

Quelques lignes de force y ont été dégagées. De tels projets ne peuvent aboutir sans la collaboration et l’implication dans la durée de tous les acteurs concernés, qu’ils soient éducatifs, artistiques et culturels, politiques et sociaux. Une telle implication est nécessaire à la fois pour résoudre les problèmes de financement (des interventions artistiques, des parcours de spectateurs, des transports, question d’autant plus sensible quand le territoire est vaste, mais aussi du portage global qui peut nécessiter l’emploi d’une personne à temps plein), de formation, de cohérence des actions menées. Pour que la collaboration de tous s’inscrive dans la durée, chaque acteur doit pouvoir mesurer les capacités d’action, les priorités, les attentes et besoins de

chacun des autres acteurs - ce qui est très loin d’aller de soi ne seraitce que pour se mettre d’accord sur le territoire d’action- et être prêt à des adaptations dans le temps. Dès qu’un des acteurs change au cours de l’expérimentation, le projet global peut être fragilisé.

L’exemple du projet mené sur le territoire de Cavaillon a été éclairant par les difficultés rencontrées.

Le territoire en question n’était pas, loin s’en faut un désert pour l’EAC : de nombreuses actions y étaient menées, en particulier par la scène nationale La Garance avec des établissements scolaires classés REP+ (Réseaux d'éducation prioritaire) autrement dit des collèges et écoles rencontrant des difficultés sociales très significatives. L’ambition ici était de mieux coordonner les actions menées par la Garance mais aussi les autres acteurs de l’EAC intervenant sur le territoire, et de construire des "parcours culturels cohérents de la maternelle au lycée" sur le territoire cavaillonnais, ce qui supposait de réunir tous les acteurs éducatifs, culturels et politiques : inspecteur de l’Éducation nationale, chefs d’établissement, collectivités locales, référents des structures socioculturelles et culturelles locales. Or dès le départ certains de ces acteurs n’ont pas donné suite, et plus encore les questions du pilotage et de la définition exacte du territoire concerné (quartier en REP+ ou ville dans son ensemble, ou communauté d’agglomération voire au-delà) n’ont pas fait l’objet d’un consensus, ce qui a fini par fragiliser puis stopper cette expérimentation.

L’un des autres principaux apports de cette journée de travail a été de dégager le rôle finalement essentiel d’un groupe d’observation dans la réussite des projets. Les temps de rencontre régulièrement organisés par le groupe pour chacune des expérimentations ont fini par jouer le rôle d’une observation formatrice, à savoir que les questions posées permettaient à chaque acteur de faire régulièrement le point et de réfléchir à ses pratiques, aux conditions de réussite d’un projet en partenariat, et en particulier la prise en considération des objectifs des autres partenaires, sur ce qui s’y engageait individuellement et collectivement et de voir comment réorienter l’action au fur et à mesure de son déroulement pour l’adapter et réagir avec pertinence aux difficultés rencontrées.

Plus que jamais peut-être, l’éducation artistique et culturelle, particulièrement dans le champ du spectacle vivant, est une priorité et une urgence par ce qu’elle induit dans l’acceptation de soi et des autres, d’ouverture sur le monde, de réalisation et d’engagement individuel dans le cadre d’un projet collectif, et ainsi dans la construction de la citoyenneté, du tissu social et de la démocratie. Pour autant, c’est à l’échelle des territoires qu’elle ne peut que s’incarner, et c’est à cette échelle qu’elle doit devenir la priorité de tous.

Philippe Guyard

Théâtral magazine

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L’actualité de l’ANRAT

Les enfants ont pris la parole

À l’occasion de la journée mondiale du théâtre, l’ANRAT (Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale), a organisé pour la quatrième année consécutive l’opération Le 27 mars, les enfants du siècle prennent la parole. Il nous paraissait essentiel d’écouter et de faire entendre au plus grand nombre les témoignages des enfants et des jeunes qui en bénéficient. En effet que disent-ils ?

Au terme d’un projet conduit en partenariat avec Côté cour, scène conventionnée jeune public de Besançon, des élèves de l’école des Marronniers de Damprichard sont revenus sur leur expérience et leurs propos sont éloquents. “Dire ce que j’ai appris, ce serait trop dur vu qu’il y en a bien trop”, “Tout ce que j’ai fait, c’était miraculeux” et “le théâtre, c’est pas de la rigolade”. Ces trois exemples révèlent combien les enfants eux-mêmes perçoivent le théâtre comme un apprentissage qui mêle exigence et plaisir ludique.

L’an dernier, des élèves de 6e du collège Lamartine de Villeurbanne étaient impliqués dans un projet mené par la compagnie Le lien théâtre, dans le cadre du programme Artistes à l’école. Cette année, à l’occasion de l’opération les enfants du siècle prennent la parole, ils se sont adressés aux nouveaux 6e pour témoigner de ce parcours. Si certains doutaient encore des apports essentiels de la pratique théâtrale en ces 58 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

années de préadolescence et d’adolescence dans l’acceptation de soi et des autres, dans la construction de son regard et l’apprentissage du collectif, voici leurs paroles : "Le théâtre demande du travail mais c’est beau à voir", "À force de faire du théâtre on s’habitue à être regardé, ce n’est pas si facile", "Le théâtre m’aide à avoir confiance en moi, il m’aide à gérer mon stress", "Le théâtre permet de mieux connaître notre classe, et de mieux me connaître moi-même", "Le théâtre m’a libéré de mes émotions", "Grâce au théâtre je sais comment m’exprimer", "Faire du théâtre m’apporte de ne plus avoir honte devant les autres. On a moins peur de leur regard", "Le théâtre m’a aidé à comprendre que si une émotion devait venir, je devais la laisser parcourir mon corps pour mieux la gérer.", "Au théâtre, je me sens libre, et personne ne se moquera de moi", "Au théâtre, je me sens bien. J’ai l’impression d’être moi-même".

Dernier exemple, les propos de lycéens qui suivent un enseignement théâtre, pour certains en partenariat avec le Théâtre Dijon-Bourgogne et pour d’autres avec la scène nationale Châteauvallon-Liberté, révèlent à la fois la continuité de certaines problématiques à travers les âges mais aussi combien la pratique peut permettre à certains de mieux traverser ces temps, en particulier parce qu’ils perçoivent combien l’apprentissage du théâtre se construit sur une approche pédagogique renouvelée : “Ça m’a fait prendre confiance en moi, ça m’a fait avancer”, “Pour moi, le théâtre c’était une façon de ne plus être timide, et petit à petit, c’est devenu l’endroit de tous les possibles, où on n’est pas jugé, où l’on peut essayer des choses ; c’est aussi à nous de proposer. Ça a été une façon de grandir”, “J’ai voulu très vite trouver un échappatoire à mes pensées, et puis travailler avec le corps, avec la voix, le regard est pour moi quelque chose de très important”, “Le théâtre nous rend riche car il est généreux”, “Plus que jamais, on a besoin du théâtre parce qu’on est souvent renfermés “…

Ce ne sont là que quelques exemples de paroles recueillies à l’occasion de cette session 2022 de l’opération Le 27 mars, les enfants du siècle prennent la parole. Il est possible de les retrouver, ainsi que bien d’autres sur le site 27marsanrat.net Philippe Guyard

n https://anrat.net

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www.cyrano.education

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ducation

Dominique Blanc

Le parcours d’une comédienne exceptionnelle au programme du Bac Théâtre en 2023 Au-delà des grands rôles qu’elle a joués, Dominique Blanc, Sociétaire de la Comédie-Française, évoque ici les aspects de son parcours qu’elle aimerait faire partager aux élèves et célèbre les écritures théâtrales pour la Jeunesse.

Vous allez être en 2023 l’objet d’une innovation au baccalauréat Théâtre puisque les élèves auront à travailler et à s’intéresser pour la première fois à un parcours de comédienne, c’est-à-dire le vôtre. Qu’est-ce que vous aimeriez que les élèves découvrent à travers votre parcours ?

Dominique Blanc : Je suis en pleine réflexion, et je n’ai pas encore choisi. Je pense bien sûr à Phèdre qui a été une sorte de nombre d’or entre Patrice Chéreau et moi, entre lui et la distribution, entre nous et le public, car nous avons joué pendant plus de six mois, ce qui est énorme pour une tragédie racinienne. Je suis heureuse de savoir que les élèves peuvent voir aussi des traces audiovisuelles de la merveilleuse mise en scène du Mariage de Figaro par Jean-Pierre Vincent. Après, ce que je vais choisir, ce sont probablement les périodes les plus difficiles de ma carrière, parce que je pense qu’on 60 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

a besoin d’être encouragés. Ce métier est très difficile, et être une comédienne est encore plus difficile.

Surtout quand on essaye d’avoir une famille, de gagner sa vie avec ce métier. Je vais donc choisir les moments les plus durs, sûrement ceux des débuts où j’ai été rejetée un nombre incalculable de fois. Je voudrais transmettre le goût de l’effort et aussi le fait que personne ne vous attend. Que personne n’a envie de vous choisir et que c’est probablement ce qu’il y a de plus douloureux. L’adolescence est une période très fragile, et se faire rejeter systématiquement pour des questions de physique (et parfois de mauvaise foi), c’est d’une violence extrême. Je recommande la lecture de Françoise Dolto, Paroles pour adolescents, ou Le Complexe du homard. C’est un livre magnifique, un grand livre d’histoire, et presque d’ethnologie. Quand on est comédienne, il faut survivre à tout cela et il faut le raconter aux plus

jeunes pour qu’ils ne soient pas effrayés.

S’il y avait d’autres livres que vous leur recommanderiez de lire, de méditer, d’avoir pour compagnon régulier, lequel proposeriez-vous ?

Je crois que je leur recommanderais des livres sur la méditation.

C’est un outil précieux pour la concentration. Les adolescents d’aujourd’hui avec les portables, les écrans risquent de ne plus avoir d’espace pour soi. Je recommanderais donc Une Chambre à soi de Virginia Woolf dans la traduction de Marie Darrieussecq. Et aussi le livre du Docteur Corinne Isnard Bagnis La Méditation de pleine conscience dans la collection Que sais-je ?

Il est important que les élèves découvrent combien le travail de comédienne consiste à se mettre totalement au service du personnage, et vos rôles dans Angels in America sont à ce sujet une sorte d’absolu du jeu, puisque dans les différents rôles on ne vous reconnaît pratiquement pas !

J’adore ça ! Ce fut un grand bonheur, et aussi la rencontre avec Arnaud Desplechin qui ne vient pas du théâtre. Pour nous, comédiennes, aborder des rôles d’hommes est encore du domaine du rêve, ou une conquête. Et c’est important d’en parler. Il faut évidemment que cela se fasse avec in-

telligence. Dans Angels in America, l’auteur Tony Kushner voulait que la personne qui joue les trois hommes joue aussi les trois femmes, c’est à dire six rôles ! C’est merveilleux !

Quel conseil donneriez-vous à tous ces élèves des classes Théâtre sur la façon d’approcher le travail d’acteur, ce qui vous paraît le plus essentiel ?

L’Auteur. Et le texte. C’est évident.

Les improvisations c’est très bien quand on est lycéens, nous en faisons aussi à la Comédie-Française !

Mais il faut le faire dans un certain cadre, bien précis, et ce n’est pas toujours le cas. En réfléchissant à mon parcours, quand je regarde mon CV, je m’aperçois que j’ai eu la chance de travailler avec des artistes exceptionnels, dont beaucoup sont hélas disparus : Patrice Chéreau, JeanPierre Vincent, Luc Bondy.

Mais il n’y a pas de théâtre sans les auteurs ou les autrices. Quand on est jeune, je pense qu’il faut s’affronter à un texte. C’est à travers les grands auteurs que le théâtre nous fait du bien et nous fait grandir. Quand on est dans le voisinage d’un auteur, qu’on connaît sa vie, comment il a écrit ses pièces, c’est là qu’on apprend à grandir. Sans Grumberg, Molière, Duras, on n’est rien ! A l’automne je suis heureuse de retrouver Marguerite Duras pour La Douleur.

Vous avez participé récemment à une soirée de lectures d’extraits d’œuvres de Jean-Claude Grumberg à la BNF en compagnie d’Hervé Pierre. Comment avezvous découvert les œuvres de Jean-Claude Grumberg, et qu’aimez-vous dans son écriture ?

La première découverte, il y a fort longtemps, c’était L’Atelier. Je n’avais pas vu la pièce mais je l’ai lue quand j’étais au cours Florent.

Elle m’avait emballée. J’avais extrait une des scènes que j’ai travaillée pour le concours du Conservatoire. Et cela ne m’a porté chance ! J’ai d’ailleurs raconté l’anecdote à Jean-Claude Grumberg, parce que j’ai raté un certain nombre de fois l’entrée au Conservatoire. Ce qui m’a frappée à l’époque et qui me frappe encore aujourd’hui à travers toutes ses pièces, c’est l’immense humanité qui transpire à travers son écriture.

L’être humain, les hommes et les femmes, y sont saisis à tous les âges de la vie, puisqu’avec les pièces pour la jeunesse comme Moman on remonte assez tôt, jusqu’à la petite enfance ! Cette humanité me touche beaucoup. Et aussi la simplicité de son écriture, qui n’est bien sûr qu’une apparence !

Car il y a dans chaque pièce une construction précise qui s’appuie sur des années d’écriture. Cette apparente fluidité est formidable pour la jeunesse parce que ce n’est pas du tout intimidant…

A la BNF, vous avez lu une des dix pièces intitulées 10 Fois Moman publiée aux éditions Actes Sud Papiers, et vous en ferez à nouveau la lecture pour le 1er juin des Ecritures théâtrales Jeunesse. Vous paraît-il important de défendre et célébrer ce nouveau répertoire ?

Bien sûr, c’est même tout à fait essentiel. C’est comme lorsque la littérature a commencé à s’intéresser à l’enfance, et même à la petite enfance, avec les livres et albums de l’Ecole des loisirs. Cela n’existait pas

@ Stéphane Lavoué

Bac Théâtre 2023

de mon temps quand j’étais enfant.

Nous avions des livres beaucoup plus rébarbatifs ! Je pense que ces textes sollicitent merveilleusement leur imaginaire. Et une vie d’imagination est tout à fait essentielle pour la jeunesse. On peut jouer tous les âges, du plus petit enfant au vieillard. On peut tout jouer et on a envie de tout jouer dans ce théâtre des enfances !

Propos recueillis par

Rendez-vous Le 1er Juin des écritures théâtrales Jeunesse Rencontre filmée à la Librairie Canopé. Dominique Blanc et Hervé Pierre liront Moman j’ai poeur en présence de JeanClaude Grumberg Lundi 30 mai de 10h30 à 12h30 3 rue du Four 75006 Paris

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ournal d’une option théâtre

La vie d’une option théâtre dans un lycée parisien, épisode 4.

Nous avons travaillé toutes les scènes de notre montage sur Féminines de Pauline Bureau au moins une fois, il est temps d’essayer de les enchaîner et de réfléchir plus précisément aux costumes.

Lundi 14 février : Cahiers de bord (revenir sur le spectacle de Nathalie Béasse) "Madame, on ne va tout de même pas faire de compte rendu sur ça ? " : c’est Amir qui me pose la question au sujet de la pièce de Nathalie Béasse que nous venons de découvrir le mardi précédent au Théâtre de la Bastille.

Je demande rarement aux élèves s’ils ont aimé ou pas un spectacle lorsque nous sortons d’une salle, j’évite en général de leur sauter dessus à la fin de la pièce et je préfère attendre notre retour en cours pour mener avec eux une analyse "chorale" à la manière de Yannick Mancel.

Nous avons déjà vu un certain nombre de spectacles avec ce groupe depuis le début de l’année, Illusions perdues, Pour Autrui, Les Démons, Rambuku, Une Télévision française, Entre Chiens et loups, mais manifestement la pièce de Nathalie Béasse, qui repose sur une succession de tableaux sans lien apparent et contient très peu de texte, les a un peu déstabilisés.

Plutôt que de commencer par notre traditionnel tour de table, je leur demande de rejouer par groupes les moments du spectacle qu’ils ont gardés en mémoire. À l’issue de ce temps de plateau, chacun expose ce qui constitue pour lui le fil directeur de cette pièce : le rapport de 62 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

l’individu au groupe, la force du collectif, la difficulté à s’entendre.

Ils sont lancés. La suite, ils l’approfondiront dans leur cahier de bord.

Lundi 7 mars : MGI : enchaînements (travailler les transitions) Belle séance en perspective : les élèves rentrent de vacances, nous allons jouer dans le studio de la MGI et Isabelle Rivoal, la comédienne qui accompagne notre travail, dirige notre séance.

Ces conditions favorables nous rendent ambitieuses, Isabelle et moi : nous décidons qu’il est temps d’essayer de mettre bout à bout toutes les scènes de Féminines que nous avons explorées pour construire une première traversée de la pièce de Pauline Bureau.

Notre ambition est rapidement douchée : une grande partie des choses que nous avions installées ont disparu, nous avançons péniblement d’une scène à l’autre, même le haka dont nous étions si fières ne fait plus peur à personne.

Tout s’est rétréci. Est-ce l’effet des vacances ?

Laborieusement, nous travaillons à retrouver la singularité de chacune des joueuses, l’énergie des scènes collectives, la précision des ralentis. À la fin de la séance, nous n’avons traversé que 7 scènes sur 14.

Nous sommes encore loin du filage...

Lundi 14 mars : COVID (composer son costume) Cette semaine, c’est à mon tour d’être positive à la COVID, le cours est annulé. Moi qui pensais finir aujourd’hui notre première traversée de la pièce, c’est raté.

Pour avancer malgré tout, je demande aux élèves de travailler sur leurs costumes. Ils ont commencé à faire des propositions dans leur cahier de bord sous la forme de petits écrits d’analyse, de tableaux d’inspirations, de croquis. Certains ont commencé à apporter quelques éléments de costume au fil des séances, mais maintenant il s’agit de construire une proposition complète. À chacun de se débrouiller, d’emprunter à ses parents ou à ses amis des vêtements et des accessoires.

Rendez-vous lundi pour voir le résultat.

Lundi 21 mars : Rose, numéro 5 (le cadeau de Sophie) Plus de masques ! Je découvre le bas du visage de mes élèves que je n’ai encore jamais vu alors que nous travaillons depuis six mois ensemble. Il me faut quelques minutes pour m’habituer à leur visage complet. J’imagine qu’il en est de même pour eux, ils m’avaient sûrement imaginée autrement.

Le défilé commence, chaque élève

monte sur le plateau et commente ses choix. Ceux qui incarnent les entraîneurs marquent des points : jogging rouge éclatant de Sarah, lunettes de soleil de Manon, casquette, veste et cravate de Valérie.

Du côté des joueuses, on a soigné les accessoires : bandeau d’Esther, lunettes vintage et chaussures à talons de Lou, sac à main d’Ilona.

Mais c’est Sophie qui nous réserve la plus belle surprise : elle nous dévoile un magnifique T-shirt bleu roi, sur lequel elle a fait imprimer le nom de son personnage, "Rose", et son numéro.

Elle remporte la palme.

Lundi 28 mars : La catastrophe (le costume de Sarah a disparu) Sarah est effondrée : nous avons cherché partout, impossible de mettre la main sur son costume. C’était un cadeau, un survêtement coûteux, et c’était surtout son costume pour la pièce. Il faut se rendre à l’évidence : quelqu’un l’a volé. Par solidarité, une collecte est lancée dans le groupe.

Nous avons du mal à nous remobiliser pour commencer la séance. Tant bien que mal, nous essayons de travailler le dernier quart de notre texte mais le coeur n’y est pas.

La dernière scène, qui devrait être un moment d’exaltation collective, se révèle laborieuse, Ilona a mal à la gorge, elle ne peut forcer sur sa voix, et plusieurs élèves peinent à se concentrer.

La séance se termine, je me sens un peu abattue.

Lundi 4 avril : Résiste (une bande son "vintage") Pour effacer le souvenir de la séance précédente qui manquait

@ Marie-Laure Basuyaux

#épisode4

d’énergie et pour retrouver l’esprit de notre projet sur Féminines, nous commençons par retravailler toutes les scènes collectives en guise d’échauffement.

Isabelle Rivoal nous aide à regonfler notre haka et insiste pour que les élèves donnent "du son". Félix et Amir lancent des cris gutturaux qui sont repris par tout le groupe à chaque nouveau geste : "Ha ! Ha !

Ha ! Kamaté, kamaté kamaté !".

Nous encourageons les élèves à mieux se synchroniser, à nous regarder dans les yeux pour nous impressionner comme si nous étions l’équipe adverse.

Eye of the tiger : ils enchaînent avec un échauffement sportif dirigé avec beaucoup d’humour par les six entraîneurs. Les élèves ont choisi euxmêmes les chansons qui ponctueront

ces moments collectifs : c’est sur Résiste de France Gall qu’ils mettent la table tous ensemble pour une grande fête et sur Footlose qu’il finissent par danser tous ensemble.

Tout au long de la séance, Sen et Sophie assurent la régie son, tandis que Félix et Ilona sont aux lumières.

J’admire leur capacité à jongler entre leur rôle de comédien et leur rôle de régisseur.

Une fois de plus, nous n’allons pas au bout de ce que nous avions prévu de faire. Lundi 18 avril sera férié, ensuite ce seront les vacances, je commence à me demander si nous serons prêts à temps pour la restitution du 16 mai.

Marie-Laure Basuyaux

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ortrait Bénédicte Cerutti Offrir du présent sur scène

Ancienne élève de l’école du TNS, la comédienne alterne depuis vingt ans classiques et textes contemporains. Ses derniers rôles dans Girls and Boys et Médée ont impressionné par l’intensité d’incarnation de femmes aux extrémités de la vie.

Fin mars, Bénédicte Cerutti en terminait avec l’aventure de Médée mise en scène par Tommy Milliot pour emprunter de nouveaux chemins, la reprise des Serpents de Marie N’Diaye sous la direction de Jacques Vincey et une nouvelle collaboration avec Chloé Dabert autour d’un texte de l’Anglaise Lucy Kirkwood, Le Firmament. Le théâtre est un mouvement permanent. “Je reste longtemps peuplée par des sensations et des mots que j’ai joués, c’est comme après un rêve dont on ne distingue pas la part réelle et la part fantasmatique”, confie Bénédicte Cerutti. L’exercice du portrait ne lui est pas familier. Elle écoute chaque question, réfléchit intensément avant de lancer des bribes de réponse entrecoupées de nouveaux silences, Bénédicte Cerutti est à la poursuite de vérités éparpillées.

Comment évoquer ce qui vous a construit sans livrer un petit tas de secrets pathétiques ? La comédienne songe au metteur en scène Thomas Ostermeier : “Le privé ne l’intéresse pas. Ce qu’il recherche, c’est l’intime.” Il faut lire les propos 64 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

de Bénédicte Cerutti en imaginant son souffle et ses hésitations, prendre le temps d’écouter les zébrures d’une pensée qui cherche sans forcément trouver. Cette incertitude, c’est le propre du spectacle vivant.

De la mine à la banlieue Enfant, je ne comprenais rien au monde qui m’entourait. Tout me paraissait étrange, arbitraire. Je viens d’un milieu assez prolétaire.

J’ai vécu en banlieue, mes parents sont originaires de Saône-et-Loire, des familles de mineurs. J’ai été bercée par l’idée qu’on ne venait pas tous du même milieu. J’ai tellement entendu mes parents dire qu'il fallait réussir, je savais qu’il y avait quelque chose à conquérir et que, quoi qu’on fasse, on ne serait jamais des bourgeois.

Entourée de silence Quand j’ai écrit Les sentinelles après une commande du CDN d’Orléans, l’histoire d’une île minuscule où vit une tribu “non approchée”, un souvenir m’est revenu : mes parents m’ont laissée très jeune chez ma

grand-mère qui ne m’a pas adressé la parole pendant plusieurs semaines. J’ai vécu entourée de silence. C’était une enfance protégée mais pas très simple. Il était difficile pour moi de créer des ponts en direction des autres. Avec le temps, des choses plus vivantes se sont mises en mouvement. Le théâtre m’a permis d’apprendre à nommer et à accéder aux choses.

Vie matérielle Enfant, je ne lisais pas beaucoup, soit je restais à l’extérieur des livres, soit j’étais emportée par des sentiments trop puissants. Le langage des mathématiques, du dessin et de la danse m’allait mieux. J’ai aussi joué de la harpe, un instrument que je n’aimais pas spécialement mais qui m’a fait découvrir la vibration.

J’ai étudié l'architecture, cette forme de vie matérielle passionnante et poétique comme dans le livre de Marguerite Duras. On étudie le cadre, le regard, la perspective, comment se placer et du coup comment avoir une place.

Le théâtre par hasard Je suis arrivée dans un cours de théâtre en suivant un copain. Je ne savais pas pourquoi j’étais là mais j’ai eu immédiatement le sentiment que je me reconnectais à quelque chose. J’ai pensé à ces journées entières enfermée dans un studio de danse, en dehors du temps, à côté du monde. Je me suis aussitôt dit :

Pas de psychologie J’ai une passion pour la psychanalyse mais au théâtre, cela n’est d’aucune utilité. Les metteurs en scène avec lesquels j’ai aimé travailler, Chloé Dabert, Michel Cerda, Eric Vigner ou Thomas Ostermeier et d’autres, se foutent royalement de la psychologie. C’est comme en architecture, on ne va pas demander si la couleur du papier peint nous rappelle un souvenir. Un comédien n’a besoin d’aucune explication, d’aucune intention. Pour Ostermeier la psychologie, c’est un couple qui s’étreint, ce sont des gestes et des regards…

c'est ça ! J’ignorais ce que je nommais, j’étais dans un état plutôt fou. J’ai passé des auditions pour des conservatoires d’arrondissement. Un jury m’a demandé pourquoi je voulais faire du théâtre, je ne savais quoi répondre, j’ai dit que je voulais faire du théâtre pour moi. J’ai ressenti le mépris qui m’était renvoyé. Je voulais juste dire que je sentais que ma place était là et nulle part ailleurs.

J’aime le théâtre parce qu’il n’y a pas de preuve, pas de trace, juste l’empreinte de ce qu’on a voulu faire. J’aime le théâtre parce que c’est organique...

Ma place sur scène J’ai dû vaincre une peur maladive, faire de l’orthophonie. J’ai mis du temps à me sentir à ma place sur scène. Il a fallu que je rencontre des gens qui m’accordent leur confiance. Accepter aussi de se placer dans la dépendance du jugement de l’autre. Pour ma part, j’essaie de faire au mieux mais il n’y

a rien d’absolu au théâtre. Avec certains, mon travail résonne. Pas avec d’autres, c’est pourquoi ce métier est dur, mouvant, subjectif, irrationnel. J’aime le théâtre parce qu’il n’y a pas de preuve, pas de trace, juste l’empreinte de ce qu’on a voulu faire. J’aime le théâtre parce que c’est organique.

@ dr

Le TNS dans un état second J’ai raté tous les concours des grandes écoles sauf le dernier, le TNS de Strasbourg, que j’ai présenté dans un état second. Les premières années ont été difficiles, la pression était trop forte. Il fallait travailler sur un outil que je connaissais mal, mes propres émotions. J’essayais de répondre aux attentes alors que sur un plateau, un comédien doit plutôt apprendre à résister. La question de la légitimité était en jeu. Je ne comprenais pas que ma parole soit autant dévalorisée, parce que j'étais une jeune femme et que ce que j’exprimais ne cadrait pas avec ce qu'on fait d'habitude.

Créer du présent J’essaie d'être dans une vérité, une sincérité. De produire du présent, il n’y a que ça au fond qui m’intéresse.

Gorger le texte d’émotions, pas dégoulinantes, et de pensée sensible.

Offrir du présent chaque soir, ce n’est pas si facile. Une représentation, c’est comme avec l'hypnose, on ne sait pas où on va. Il y a des moments de sécheresse et d’autres instants où cela vibre. Cette résonnance, c’est ce que j’attends comme spectatrice. Sinon, mieux vaut aller au cinéma !

Propos recueillis par Patrice Trapier

n Les Serpents, de Marie N’Diaye, mise en scène Jacques Vincey, avec Hélène Alexandridis, Bénédicte Cerutti, Tiphaine Raffier.

Théâtre des Quartiers d’Ivry du 19 au 23/04 TNS de Strasbourg du 27/04 au 5/05 Théâtral magazine

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ortrait Jeoffrey Bourdenet

Ne vous y trompez pas, avec son look de jeune premier, Jeoffrey Bourdenet n’en est pas à ses balbutiements au théâtre. Ce jeune quadra, co-administrateur et co-directeur artistique du Théâtre Hébertot à Paris, est comédien et metteur en scène. D’un naturel optimiste, il joue de toutes les cordes de son arc, administrant le théâtre, répétant l’après-midi, jouant parfois deux spectacles par jour et veillant continuellement à la maintenance de sa salle. Il est à l’affiche du Fil à la Patte de Feydeau ce printemps, tout en continuant de jouer 12 hommes en colère sur le fameux plateau d’Hébertot.

Formé par Raymond Acquaviva, c’est grâce à ce dernier qu’il fait les bonnes rencontres : assistant de grands metteurs en scène comme Didier Long et Ladislas Chollat sur une trentaine de projets. Pascal Guillaume lui confiera la mise en scène de Paprika en 2018, avec Victoria Abril au Théâtre de la Madeleine.

Un succès. Depuis Pascal Héritier pour son Théâtre Tête d’Or de Lyon le choisit pour le montage d’une à deux comédies par an ; dont, actuellement, Vive le marié.

Depuis 5 ans Francis Lombrail, le directeur du Théâtre Hébertot, le retrouve chaque soir en scène dans 12 hommes en colère. A l’automne dernier il n’hésite pas à reprendre en quelques heures le rôle d’Arnaud Denis gravement accidenté à la jambe dans L’Importance d’être Constant. "Soit nous arrêtions dix jours, soit je reprenais ce rôle qui cor66 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

respondait à mon emploi". Quelques raccords plus tard, il était en scène à 21h texte en main : "J’y suis allé sans réfléchir. Le matin je m’occupais du théâtre, l’après-midi je faisais les allers-retours à Lyon pour mes répétitions, j’apprenais mon texte dans le train, le soir je jouais. Au bout de 10 jours j’ai lâché la brochure. Si on commence à avoir peur dans ces cas-là : on est mort !". Il poursuivra l’aventure dans la reprise de la pièce en septembre prochain. En attendant, il a répondu oui à Christophe Lidon qui lui a proposé les rôles des trois valets du Fil à la patte. Toujours ouvert et disponible. "Christophe Lidon me faisait un cadeau. C’est toujours une chance d’être en scène, comme co-diriger un théâtre et je dois à Francis Lombrail, qui m’a fait confiance, le privilège de pouvoir le faire".

Un moment, il a pensé changer de métier. Lors du premier confine-

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Le théâtre, comme une maison

ment, la profession est dans l’angoisse ; il a donc monté une entreprise de nettoyage de copropriétés, bureaux, théâtres... "Au début, je m’y suis collé, y compris à Hébertot ! Désormais il y a des salariés. J’ai beaucoup appris de Stéphanie Bataille en l’observant diriger le Théâtre Antoine ; elle le gère comme moi un jour – si j’ai la chance d’en diriger un – j’aimerais le faire ; comme une maison, un foyer où ceux qui y viennent et y travaillent s’y sentent bien, comme chez eux".

François Varlin

n 12 Hommes en colère, texte Reginald Rose, mise en scène Charles Tordjman. n Un Fil à la patte, texte Georges Feydeau, mise en scène Christophe Lidon > Théâtre Hébertot, 78 bis bd des Batignolles 75017 Paris, 01 43 87 23 23 n Vive le marié, de Jean-Marie Chevret, mise en scène Jeoffrey Bourdenet. Théâtre Tête d’Or, 60 av. du Maréchal de Saxe 69003 Lyon, 04 78 62 96 73

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LES MOLIÈRES 2022

aux Folies Bergère et sur France 3 Lundi 30 mai

La fête du théâtre

Jean-Marc Dumontet

@ dr

La cérémonie des Molières aura lieu lundi 30 mai aux Folies Bergère. Cette 33e édition sera présentée par Alex Vizorek, et retransmise en prime sur France 3. Explications de Jean-Marc Dumontet, le président de l’événement.

Après une année sans à cause du Covid, comment s’annonce cette cérémonie ?

Jean-Marc Dumontet : J'ai la prétention de penser qu'on peut en faire une véritable fête. Elle rencontre d’ailleurs un vrai succès d'estime depuis 2014. Et chaque année, on marque des points supplémentaires. Le but étant qu'on parle du théâtre à la télévision et qu'on élargisse nos audiences.

Comment expliquez-vous cette réussite ?

On y travaille beaucoup. On a eu la bonne idée de choisir des maîtres de cérémonie qui se sont mis à chaque fois au service de la soirée en amenant leur propre univers, que ce soit Zabou Breitman, Nicolas Bedos, Alex Vizorek ou Alex Lutz.

On a aussi des exigences éditoriales et artistiques. Je pense qu'on a été 68 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

à peu près pertinents dans le choix des invités, des remettants et des sketches qui sont proposés. On a essayé d'en faire une cérémonie rythmée, dynamique, et surtout destinée au public. Elle n'est pas faite pour les gens qui sont dans la salle, mais pour les téléspectateurs. C'est une émission de télévision donc elle doit répondre aux codes de la télé. Si je veux faire du théâtre à la télé, je ne réussirais pas. Si en revanche je me dis que c'est une émission de télé, j'ai plus de chance d'avoir au final un spectacle global satisfaisant.

Qu’est-ce que cela représente comme travail ?

C’est énorme. Il faut d'abord identifier toutes les pièces éligibles, environ 300, être pour cela en relation avec tous les producteurs privés et publics, avec les compagnies aussi

parce que parfois ce sont les compagnies qui produisent et s’assurer que les spectacles correspondent aux critères. Par exemple, il faut justifier de 30 représentations dans le secteur public et de 60 dans le secteur privé. Et pour l'humour, on impose de faire 10.000 entrées à Paris. Une fois les spectacles éligibles recensés il faut dévoiler les résultats du premier tour puis organiser la cérémonie. L’autre point qui nous accapare beaucoup, c'est le renouvellement des membres de l'académie des votants. On ne vote pas à vie aux Molières ; si on n’a plus d'activité, on ne vote plus au bout de cinq ans.

Comment la reprise se passe-telle ?

Notre rapport au monde a sans doute évolué avec cette crise mais je crois que les recettes sont toujours les mêmes : on doit avoir l’obsession d'offrir des spectacles de grande qualité et le plus innovants possible. Il y en a plein qui marchent très bien et prouvent que cela redémarre. Il y a des accidents bien sûr parce que sinon on serait tous milliardaires. Mais on a entre nos mains les clés de nos futurs succès. Moi je travaille énormément à lire et à imaginer des spectacles.

Dans l’équipe nous avons Antoine Mory qui travaille à plein temps sur l’écriture des projets. C’est comme ça que Cristiana Reali a pu créer Simone Veil ou les combats d’une effrontée, ou Isabelle Carré Les Amants de la Commune. Et on lance une très grosse comédie musicale en janvier 2023 aux Folies Bergère sur Al Capone avec Roberto Alagna.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

LA SCALA PROVENCE nouveau lieu de création en Avignon

Le coup de cœur d’Avignon

Frédéric Biessy

"A Paris, le projet que nous avions avec Mélanie ma femme c'était de faire un lieu de création. On avait une salle de répétition et une grande salle. Or on a beaucoup axé notre programmation sur l'émergence dans tous les domaines, en musique contemporaine, en jazz, en théâtre, en stand-up, et la grande salle s’est avérée inadaptée. Un artiste émergent ne réunit pas 500 personnes et d’ailleurs ce serait trop impressionnant pour lui. Donc on a profité du premier confinement pour transformer la salle de répétition en salle de spectacle. Et on a bien fait parce que c'est vraiment devenu le rendez-vous de tous les artistes. Mais du coup, il nous manquait un lieu de répétition. Donc je me suis mis à chercher. Et c'est Jean-Paul Capitani, le directeur d’Actes Sud, qui m’a parlé du Pandora, ce cinéma historique d'Avignon. J'ai pris un train et je suis tombé amoureux".

Le lieu est grandiose : 3000 m2 quatre salles, de 600, 200, 100 et 60 places, cinq studios pour héberger

gratuitement les artistes en résidence, de l’espace pour aménager des cuisines, un immense escalier. "Il est monumental. Mais j’aime la place perdue, elle est nécessaire". Il garde tout. Fait quand même d’importants travaux, retire les couches successives pour retrouver de la hauteur, découvre de l’amiante, nettoie, côté design demande à Richard Peduzzi une réplique de l’univers bleu de la salle parisienne et fait aussi restaurer la façade, classée.

La Scala Provence sera donc un lieu de représentations l’été et de résidences le reste du temps. Au programme des quatre salles, il y aura du théâtre mais aussi de la musique.

Avec des artistes d’exception comme Renaud Capuçon. "J’aime ce que Luc Bondy avait écrit dans son édito en arrivant à l'Odéon : “je veux programmer des artistes dont je suis jaloux". "On a créé un label il y a quelques mois qui s'appelle Scala musique ; on fait des enregistrements et on créé des albums de musique classique, de jazz… " Les quatre

@ dr

Après leur coup de cœur en 2016 pour la salle de la Scala à Paris, l’ancien multiplex de cinéma porno qu’ils ont sublimé pour en faire un haut lieu du spectacle vivant, Mélanie et Frédéric Biessy se sont laissés séduire par le cinéma le Pandora à Avignon. Ils y ont fait d’importants travaux, et le lieu, restauré et rebaptisé La Scala Provence, ouvrira ses portes pour le Festival. salles sont équipées du même système audio Amadeus qu’à Paris.

Côté financement, on imagine bien qu’un tel chantier doit être un gouffre. "C’est un quart du prix de Paris", tempère Frédéric Biessy. Mais comme pour la salle parisienne, la Scala Provence a profité du succès du fonds d’investissement créé en 2008 par Mélanie Biessy (Antin Infrastructure Partners une société éthique de capital-investissement qui gère des fonds dédiés aux infrastructures en Europe).

Ils ont aussi créé une fondation de spectacle vivant regroupant leurs deux théâtres et le label musique.

Histoire que le projet leur survive. Si un jour les Scalas n'arrivaient plus à s'auto-suffire, elles seraient léguées à l'État pour un euro avec une impossibilité de réversion. "J’ai une femme très douée", reconnaît Frédéric Biessy.

Hélène Chevrier

n La Scala Provence, 3 rue Pourquery Boisserin 84000 Avignon Théâtral magazine

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MISES EN CAPSULES festival de formes courtes théâtrales du 23 mai au 11 juin

Benjamin Bellecour Annulé deux fois de suite à cause du Covid, le festival Mises en capsules revient pour la quatorzième fois plus riche que jamais. “On devrait être à la 16e édition”, observe Benjamin Bellecour, l’ancien directeur avec Salomé Lelouch du Théâtre Lepic où se déroule ce rendez-vous emblématique de la création artistique. Du 23 mai au 11 juin, le public peut découvrir cinq spectacles d’environ trente minutes par soir. Chaque année, le théâtre reçoit entre 250 et 300 propositions.

Mises en capsules “On a perdu des projets en route, on en a retrouvé d’autres, c’est un festival très vivant, c’est joyeux de revenir maintenant, reprend celui qui est également producteur. De nombreux auteurs nous sollicitent, avant c’était davantage des compagnies. Ils veulent montrer leur travail quelque part.” Parmi eux, des artistes confirmés ou qui changent de casquette comme Victoire Berger-Perrin qui a adapté En attendant Bojangles, le livre d’Olivier Bourdeaut. La pandémie n’est pas traitée. “Comme la peste en son temps, c’est tellement admis qu’on n’en parle pas, quand on l’a vécu, il n’y a pas grand-chose à en dire”, estime Benjamin Bellecour.

En revanche, il constate des tentatives de partis pris “plus tranchés” avec un théâtre documentaire, de la comédie romantique ou de l’absurde 70 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

à travers une comédie familiale. “On essaie avec quatre autres acteurs du théâtre de varier les tons et les thèmes abordés et différentes formes, du seul en scène à la pièce chorale”, signale celui qui produit et La Métamorphose des cigognes, et Les Producteurs d’Alexis Michalik. Qui ajoute : “il y a les premières productions de jeunes compagnies, on est un terrain d’essai, c’est intéressant de les voir dans un endroit où ils n’ont pas encore été”.

Notamment des thèmes d’actualité. “Il y a quelque chose qui se dégage sur l’incommunicabilité et les rapports sociaux, on se parle beaucoup, mais on ne dit rien, explique Benjamin Bellecour. On a un vrai champ de réflexion de la part des auteurs, ils évoquent deux mondes, intime et public. On a lu beaucoup de textes sur le consentement des

femmes, MeToo, mais aussi sur la séduction comme Jolie fleur d’Amelle Chahbi et Kamel Ouali, Tu vas voir comme je t’aime de Pierre-Antoine Durand, sur la zone grise dans le couple ou Envole-moi de Marie-Julie Baup, autour d’une femme qui propose sa virginité tardive au sein du monde du travail.”

La petite équipe de “jurés” ne s’attendait pas à un tel succès avec ses Capsules. “Au début, on devait supplier les gens pour qu’ils y participent”, se souvient Benjamin Bellecour qui, faute d’engouement, devait lui aussi faire des propositions. “On avait 25, 26 ans avec Salomé Lelouch et Pierre-Antoine Durand, je me dis : c’est chouette de ne pas se tromper quand on est jeune”. Mieux, cette manifestation a révélé des talents comme Alexis Michalik, Pierre Niney, Camille Cottin, Camille Chamoux, Mikaël Chirinian, Julie Davis et son collectif L’Avantage du doute, Jonathan Cohen ou même Salomé Lelouch.

En parallèle, des cadors comme Niels Arestrup et Patrick Chesnais ou encore Sarah Forestier ont joué le jeu. Et des spectacles comme La machine de Turing de Benoit Solès ou La main de Leïla d’Aïda Asgharzadeh et Kamel Isker sont nés aux Capsules. “Le festival ne rapporte pas argent, mais il permet de repérer des artistes, rappelle Benjamin Bellecour. C’est bien qu’un jeune créateur puisse rater sans se ruiner ! Les artistes doivent pouvoir oser et rester libres de leurs envies.”

Nathalie Simon

n Mises en capsules, Théâtre Lepic, 1 avenue Junot 75018 Paris, 01 42 54 15 12, du 23/05 au 11/06

FESTIVAL DE LA RUCHE #2 Le TNBA pour tous du 19 au 21 mai

Catherine Marnas Depuis bientôt dix ans qu’elle est à la tête du TNBA à Bordeaux, Catherine Marnas n’a cessé de favoriser la création en multipliant les artistes associés autour d’elle. Et l’effervescence de cette ruche, comme elle surnomme son théâtre, elle a souhaité la partager avec le public à travers un nouveau festival.

Le festival de la Ruche. La première édition en 2021 s’est déroulée devant des professionnels, la seconde accueille enfin le public.

Festival de la Ruche En quoi consiste le festival de la Ruche ?

Catherine Marnas : On est un CDN avec trois salles en plus de celles de l'école. On a énormément d'artistes associés. Les compagnies se croisent, il y a une effervescence permanente dans nos bâtiments. C’est pourquoi je dis toujours que ce théâtre est une ruche. Mais le public ne s’en rend pas compte. D’où l’idée de lui ouvrir les portes pour qu’il vienne voir par lui-même comment cela se passe avec les gens qui travaillent avec nous. Il s’agit de montrer que c'est une fabrique.

Donc, on ne fait pas des présentations de travaux finis mais d’étapes de travail. Par exemple, l'année dernière j'étais au tout début du travail sur Herculine Barbin, je n'avais pas commencé les répétitions et j’ai présenté des extraits du texte, des pas-

sages joués, je parlais des problèmes que je pouvais avoir moi en tant que cisgenre…

Et par rapport à ma création de la saison prochaine qui est Le rouge et le noir, on va demander aux gens d’écrire sur un papier ce qu'ils gardent comme souvenir du roman, ou ce que ça évoque pour eux s'ils ne l'ont pas lu. A partir de là, on tire un fil entre littérature et fait divers, puisque Stendhal est parti d’un fait divers pour raconter cette histoire.

La forme finale du spectacle peutelle dépendre de cette rencontre ?

Bien sûr. Je vais voir ce qui reste de cette exégèse. On ne peut pas rendre compte de la totalité du roman entre ce qu'il raconte sur le clergé, sur Napoléon, sur l'époque, sur l'amour et socialement sur le désir de réussite. Soit on fait un spectacle de 12 heures soit on passe par

l'exégèse pour trouver des pistes d'entrées. C’est une façon d'essayer, d’expérimenter avec le public.

Il y a aussi des projets qui ont été repris l’année dernière tels qu’ils ont été présentés alors que c'était des impros absolues. Comme le Candide de Julien Duval : il est parti de la dernière phrase de Candide “il faut cultiver son jardin”, et il en a tiré une petite forme entre la fausse conférence, le jeu et l'installation, et cela a séduit des programmateurs qui l’ont choisi pour tourner dans des lieux où il n'y a pas d'équipement.

Cela rejoint mon désir de démocratisation du théâtre. Parce que ce n’est pas de la consommation. D’ailleurs, un spectateur abonné n'est pas un consommateur : il s'engage les yeux fermés sur quelque chose qui n'existe pas encore. C'est un partenaire. On le rend complice de nos créations.

Fin décembre 2023, vous quitterez le TNBA. Que retiendrez-vous de cette aventure ?

Que c'était passionnant. Mais la direction est compliquée. Je ne saurais que trop recommander de venir en tandem. Il faut pouvoir s'appuyer sur quelqu'un parce que la création risque d'en pâtir. Après je repartirai en compagnie. Je suis avant tout une nomade, j’ai travaillé énormément à l'étranger, au Mexique, au Cambodge, en Chine, au Brésil. Et j'ai besoin de retourner voir ailleurs.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n Festival de la Ruche #2 TnBA, 3 place Pierre Renaudel 33800 Bordeaux, 05 56 33 36 80, du 19 au 21/05

Théâtral magazine

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THÉÂTRE EN MAI “nouvelle formule” au TDB du 19 au 29 mai

Maëlle Poésy La directrice du Théâtre Dijon-Bourgogne profitera de cette 32e édition de Théâtre en Mai pour faire se rencontrer les artistes associés à son projet et le public dijonnais.

@ Jean-Louis Fernandez

Théâtre en Mai

Pour Maëlle Poésy, la 32e édition de Théâtre en Mai, qui se tiendra du 19 au 29 mai, aura la saveur des premières fois dans sa manière de “donner le coup d’envoi du nouveau projet du Théâtre Dijon-Bourgogne” qu’elle dirige depuis le 1er septembre 2021. “Les écritures contemporaines dans toute leur diversité, plastiques, chorégraphiques et textuelles, en seront le cœur battant.. Audelà de la question des identités qui résonnera très fortement, l’accent sera mis sur des histoires du présent qui nous aident à creuser l’époque, à la comprendre, à la réfléchir car je suis convaincue que le théâtre peut être, à la fois, porteur de pensée et de joie.”

L’occasion est aussi belle pour la nouvelle directrice de faire se rencon72 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

trer le public dijonnais et les nouveaux artistes associés – au-delà de Julie Bérès dont le dernier spectacle, La Tendresse, a déjà été joué au TDB cette saison. Parmi eux, les metteurs en scène Yngvild Aspeli, Tamaraa Al Saadi et David Geselson qui présenteront Dracula Lucy’s Dream, Brûlé.e.s et Le Silence et la Peur, mais aussi les auteurs Julie Ménard, Gustave Akakpo et Kévin Keiss qui donneront L’Âge de nos pères pour la première, La diversité est-elle une variable d’ajustement pour un nouveau langage théâtral non genré, multiple et unitaire ? pour le second et participeront tous les trois, en compagnie de Nathalie Fillion, à la mise au point du Bal littéraire. Avec la Radio en Mai, cette initiative s’impose comme l’une des plus singulières de cette

32e édition, une rencontre participative où “autour des textes qu’ils viennent d’écrire, les autrices et les auteurs convoqueront une playlist sur laquelle les spectateurs seront invités à venir danser”, résume Maëlle Poésy.

Au-delà de l’émergence à qui il réservera toujours une place de choix, ce Théâtre en Mai “nouvelle formule” ouvrira davantage ses portes aux artistes internationaux, venus d’Espagne (Lucia Miranda) et du Portugal (Teresa Coutinho, Tiago Rodrigues), de Belgique (Miet Warlop) et des Pays-Bas (Roshanak Morrowatian), et développera plus de projets hors-les-murs, dans le Parc du Château de Pouilly, qui accueillera La Spire de Chloé Moglia, ou dans la Cour de Bar du Palais des Ducs, où prendra place la nouvelle création de Maëlle Poésy, Gloire sur la Terre.

Une fois cette édition “de transition” achevée, Maëlle Poésy a déjà quelques idées pour l’avenir.

“Chaque année, commande sera passée à l’un des artistes associés d’inventer une forme en collaboration avec les habitants de la région, dont le fil rouge sera ‘Histoire des lieux, histoire des gens’, détaille-t-elle. Cette œuvre, dont le médium est libre, aura pour lieu de restitution Théâtre en Mai, comme aboutissement de cette année de résidence passée par les artistes sur le territoire”. Façon, pour elle, d’inscrire le festival dans la durée plutôt que dans l’éphémère.

Vincent Bouquet

n Festival Théâtre en Mai, Théâtre Dijon-Bourgogne, Parvis Saint-Jean, rue Danton, 21000 Dijon, 03 80 30 12 12, du 19 au 29/05

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Le Malade imaginaire

Michel Bouquet Michel Bouquet a tiré sa révérence le 13 avril de cette année. Agé de 96 ans, il a joué pour la dernière fois en 2017 dans Le Tartuffe de Molière mis en scène par Michel Fau. Cyrano TV vous propose de revoir l'immense acteur qu'il était dans Le Malade imaginaire de Molière, et dans Le Roi se meurt de Ionesco, toutes deux mises en scène par Georges Werler, deux pièces cultes qu'il reprenait régulièrement comme s'il n'avait jamais fini d'en explorer le sens. Un grand homme de théâtre nous a quittés.

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@ dr

@ dr

Pourquoi faut-il voir ces pièces ?

Le Roi se meurt

[ Bouquet, un malade touchant ] texte de Molière, mise en scène Georges Werler, avec Michel Bouquet, Juliette Carré... Enregistré au Théâtre de la Porte Saint-Martin en 2009

[ Bouquet Souverain ] texte de Ionesco, mise en scène Geioges Werler, avec Michel Bouquet, Juliette Carré... enregistré aux Amandiers à Nanterre en 2005

Un classique irrésistible du répertoire français, dominé par Michel Bouquet. L’acteur, qui interprète le Malade pour la 3e fois de sa carrière à 83 ans, en saisit les différentes facettes, la beauté comme la laideur. Sa fragilité donne au personnage une innocence touchante.

Le spectacle est construit autour de Michel Bouquet, qui occupe, dans son fauteuil de souffreteux le centre de la scène, mais l’ensemble est joué avec une belle gaieté et se termine dans un grand final, splendide, qui nous relie aux problématiques d'aujourd'hui par temps de Covid.

Écrit en 1962, Le roi se meurt relate de façon burlesque la dernière heure et demie de l'existence du roi Bérenger Ier. Eugène Ionesco a créé une pièce d'une irrésistible drôlerie sur ces étrangetés que sont la vie et la mort. Michel Bouquet pendant plus de 20 ans a joué et rejoué ce rôle fétiche pour lequel il a été récompensé en 2005 par le Molière du comédien dans la version ici présentée. Son interprétation de ce roi déclinant est à la fois particulièrement émouvante – l'acteur est en effet vieillissant, et l'omniprésence de la mort renforce encore sa fragilité – et extrêmement malicieuse.

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Joyeuses Pâques

Cochons d’Inde

Biographie sans Antoinette

[ Boulevard du rire ] texte de Jean Poiret, mise en scène Bernard Murat, avec Pierre Arditi, Barbara Schulz, Caroline Sihol, enregistré au Théâtre des Variétés en 2001.

[ Cochons dingues ! ] texte de Sébastien Thiéry, mise en scène Anne Bourgeois, avec Patrick Chesnais, Josiane Stoléru, Sébastien Thiéry..., enregistré en 2010.

[ Et si vous pouviez rejouer votre vie ? ] de Max Frisch, mise en scène HansPeter Cloos, avec Thierry Lhermitte, Sylvie Testud...enregistré en 2009

Des acteurs excellents, un auteur brillant, une mise en scène admirable. Bref, le cocktail parfait pour une pièce drôle et bien rythmée. Le thème est simple, voire éculé, encore une histoire d'adultère, trame de la plupart des comédies de boulevard. Mais quand elle est écrite par Jean Poiret et servie par Pierre Arditi, Catherine Sihol et Barbara Shultz, l'amusement se traduit par des fous rires continus. Pierre Arditi au sommet de son art est plus roublard que jamais, Catherine Sihol superbe, raffinée et très drôle, Barbara Schultz est totalement craquante. Humour garanti

Cochons d’Inde est l’une des premières pièces de Sébastien Thiéry et elle pose déjà ce qui fait l’adn de son théâtre : un bourgeois confronté à une situation absurde qui remet en question les fondements de son existence. Dans le cas présent, Patrick Chesnais ne peut ni effectuer un retrait à sa banque ni même ressortir de l’agence qui le retient. On rit beaucoup des personnages, on enrage aussi de les voir empêtrés dans des noeuds impossibles à démêler ; au final c’est un peu nous qui combattons avec Patrick Chesnais le sort qui l’accable. C’est la force de ce théâtre, en plus de nous distraire follement.

Présentée comme une grande répétition menée par un metteur en scène des plus diaboliques, cette Biographie sans Antoinette est un petit bijou : l’idée même de rejouer des morceaux de sa vie pour les améliorer tient du fantasme pour tout le monde, la structure de la pièce a quelque chose de scientifique de par sa précision et sa technicité, les acteurs, Thierry Lhermitte et Sylvie Testud, sont aussi inattendus dans le couple qu’ils forment que très séduisants. Et en plus de toutes ces qualités, il y a le fait que l’on nous parle d’une grande histoire d’amour : car la vérité c’est que sans Antoinette, la vie n’est pas envisageable…

ED

HC

HC

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PAGESCRITIQUES

Un soir de gala

@ Fabienne Rappeneau

@rubenshazon

@ Guillaume Malheiro

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Sélectionné

Drôle de genre

[ Un sacré tour de force ! ] un spectacle de Vincent Dedienne Théâtre Marigny, 75008 Paris, 01 86 47 72 77, du 21/06 au 2/07 Comme son titre ne l’indique peut-être pas tout de suite, ce spectacle où l’intelligence le dispute à la drôlerie est empreint de nostalgie (Gala, un mot “vintage” comme il dit). L’ex-chroniqueur de télévision et de radio se dédouble. D’un côté, il se livre. D’un autre, il incarne une galerie de personnages décalés, mal dans leur peau et leur tête dans une mise en scène pleine de trouvailles de sa comparse Juliette Chaigneau. Mélancolique à souhait, Vincent Dedienne replonge dans son enfance en déplorant le temps qui file à toute allure et le poids des souvenirs. Il fait oublier un passé révolu à travers des êtres souvent cruels. Ainsi, une fillette qui ne parvient pas à accepter la nouvelle femme de son père, un journaliste vantard et dictatorial (tiens, tiens), obsédé par l’audience, un redresseur de chansons -Francis Cabrel doit avoir les oreilles qui sifflent-. Ou encore une femme dans son agence de voyage qui croit parler à Xavier Dupont de Ligonnès. L’humoriste ne cède à aucune facilité. Se surpasse même dans le registre absurde et grinçant. A la fois, on rit beaucoup et on est ému. Un sacré tour de force !

[ La gloire et l'enfer ] de Marc Elya, avec Amir Haddad Théâtre Edouard VII, 75009 Paris, 01 47 42 59 92, jusqu’au 01/06 La figure d’Alfred Nakache est peu connue du grand public. Ce "Français israélite de la colonie" comme on disait à l’époque, né en 1915 à Constantine, surmontera sa phobie de l’eau pour devenir champion olympique de natation. Déporté à Auschwitz avec sa femme et leur fille, il en reviendra seul… Doué d’une capacité de résilience exemplaire, il reconquiert alors ses titres sportifs. Voilà en peu de mots la vie de cet homme d’exception qu’Amir Haddad – que l’on connait pour son succès de chanteur – ressuscite dans un seul en scène au théâtre Edouard VII. Il s’empare du plateau quasi dépouillé avec simplicité, presque discrétion, et d’une voix claire au débit coupant et précis parle à la première personne au nom du champion que l’on appellera le "nageur d’Auschwitz". Les mots tombent pourtant graves : Pétain, Vel d’Hiv, zone libre, rafles, marche de la mort… La qualité de son interprétation est de dire le drame sans le dramatiser, avec mesure. Il nous touche par la vie de cet homme qui est une suite de sélections, des plus belles aux plus glorieuses jusqu’aux plus noires et cruelles.

Nathalie Simon

François Varlin

[ Cherchez la femme ! ] avec Victoria Abril, Lionnel Astier...

Théâtre de la Renaissance, 75010 Paris, 01 42 08 18 50, jusqu’au 17 mai La comédie de Jade-Rose Parker est culottée ! Gonflé en effet, à l’heure du politiquement correct, de vouloir faire rire avec un sujet de société et de souffrance de l’individu qu’est le transsexualisme pour mieux flinguer le fantôme de l’intolérance. Il fallait oser. Voyez plutôt cette femme, épouse d’un candidat aux élections municipales qui apprend qu’elle souffre d’un cancer de… la prostate. Car elle est née homme, Carlos, avant de devenir Carla et de se marier. 30 ans de mariage plus tard, la nouvelle laisse son mari dans une colère noire. Le public rit de bon cœur. Il faut dire que ce règlement de compte familial et conjugal a de quoi éveiller l’hilarité par son traitement joyeux et les répliques cinglantes que les personnages se balancent. Victoria Abril bondissante joue les hispanismes à fond, force la gravité de sa voix et l’hyperféminité de sa mise ; Lionel Astier assène ses colères efficacement afin de doper le comique des situations. Tous deux jouent avec la salle en s’adressant au public pour provoquer sa prise de position dans le délicat débat. Et ce n’est pas l’arrivée de leur fille enceinte (Jade-Rose Parker) et de son fiancé (parfait Axel Huet) qui calme la situation !

François Varlin

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PAGESCRITIQUES

@ dr

@ Bernard Richebe @ RDL

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Lawrence d’Arabie [ Une réussite théâtrale ] De Eric Bouvron et Benjamin Penamaria Théâtre du Gymnase Marie Bell, 75010 Paris, 01 42 46 79 79, jusqu’au 22/05 Le spectacle s’éveille dans une lumière et une musique superbes. Eric Bouvron fait le pari de nous conter la vie du fameux Lawrence d’Arabie. 1h50 durant, nous partons sur les pas de l’officier britannique Thomas Edward Lawrence au cœur du Moyen-Orient. Un challenge qui n’effraie pas le metteur en scène ; sans chercher à en mettre plein la vue, avec peu de choses – quelques cantines de métal, deux tapis mais sous quelles lumières toniques ! – ce sont des mondes qui s’ouvrent à nous pour cette saga historique. Accompagnée de deux musiciens géniaux et d’une chanteuse envoûtante, la fresque est portée par une distribution solide de huit comédiens. Parmi eux, Kevin Garnichat en Lawrence fait preuve d’une force de conviction dramatique particulière, et Slimane Kaciouci en fidèle serviteur apporte une savoureuse drôlerie par sa présence vive et pétillante. Avec ses interprètes, Eric Bouvron lève une armée d’une soixantaine de personnages et prouve une fois encore sa maîtrise exemplaire du plateau et de la direction d’acteurs qui, tous, jouent cette partition en chœur. Ils aiment et savent faire du théâtre, et cela se voit !

François Varlin

Berlin Berlin [ Un bloc de rires ] de Patrick Haudecoeur et Gérald Sibleyras Théâtre Fontaine, 10 rue Pierre Fontaine 75009 Paris, jusqu’au 31/05 Voici la pièce la plus drôle de cette drôle de saison ! Nous sommes à Berlin Est dans les années 1980. Un marteau et un croissant de lune ornent la tapisserie qui recouvre les murs de l’appartement de Werner Hofmann, un agent dévoué de la Stasi (Maxime d’Aboville dans un rôle inhabituel). Emma (Anne Charrier pétillante) sonne à la porte.

Elle vient s’occuper de la vieille mère de Werner. Enfin, officiellement. En réalité, en l’absence du propriétaire, elle creuse un tunnel avec son amoureux Ludwig (Patrick Haudecoeur irrésistible en nigaud) pour s’échapper de l’autre côté du mur. Evidemment, tout ne se passe pas comme prévu. José Paul met en scène une cascade de quiproquos tous plus absurdes et rocambolesques les uns que les autres. Sous les costumes de Juliette Chanaud, chaque comédien apporte sa pierre à l’édifice. On se croirait dans un film de Charlie Chaplin. Le public a les larmes aux yeux à force de rire, se pousse presque du coude pour partager sa joie. Patrick Haudecoeur (FrouFrou les bains, Thé à la menthe ou t’es citron…) s’est associé à Gérald Sibleyras pour concocter une comédie qui se déroule en pleine guerre froide. Cela fait chaud au cœur.

Nathalie Simon

Nous, l’Europe, banquet des peuples

[ Un banquet festif ! ] de L.Gaudé, mise en scène Roland Auzet L’Atelier, 1 place Charles Dullin 75018 Paris, 01 46 06 49 24, du 7 au 29/05 Un spectacle festif, une Europe joyeuse.

Roland Auzet propose un spectacle sur l’Europe qui évite avec talent l’ennui et les poncifs qu’inspirent trop souvent ce sujet. La question est pourtant sérieuse : qu’est-ce qui définit l’Europe ? Que veut dire se sentir européen ? Quelle Europe désirons-nous ? Roland Auzet et sa troupe y répondent en revisitant des moments - clés de l’histoire européenne : les années folles, le krach de 29, le Printemps de Prague, la guerre en Yougoslovie, la chute du mur de Berlin…Il y a aussi un moment plus politique avec l’intervention sur scène d’une personnalité qui est interpellée sur sa vision de l’Europe. Mais ce spectacle est loin d’être du théâtre documentaire ou politique, c’est une véritable démarche artistique qui embarque le public dans un flot frénétique de musique, poèmes, chansons, scansions, performances, déclarations pour nous faire découvrir, redécouvrir et aimer cette Europe faite du meilleur comme du pire, faite de chair et de sang… une Europe-Babel qui malgré les abymes qui semblent séparer les peuples qui la composent, nous rend fiers de cette formidable aventure humaine et humaniste. Un spectacle complet qui mériterait la Cour d’Honneur ! (Vu au festival d’Avignon) Enric Dausset

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PAGESCRITIQUES

Hamlet à l’impératif ! [ A voir impérativement ! ] Texte et mise en scène Olivier Py Comédie de Reims du 11 au 13/05 Comédie de Colmar du 31/05 au 01/06 Dans son livre Hamlet à l’impératif ! paru l’an dernier, Olivier Py questionne la pièce emblématique du théâtre mondial, Hamlet. Des comédiens y rejouent les rôles au regard de l’exégèse des grands penseurs qui se sont succédés dans les siècles qui ont suivi la pièce.

Lors du précédent festival d’Avignon, Olivier Py avait adapté ce livre sous forme de feuilleton théâtral, en 10 épisodes et 5 représentations de la pièce.

Désormais, il propose un condensé de cette aventure, un onzième épisode indépendant qui traverse les cinq actes de la pièce en près de 2h. On redécouvre un texte sans égal à partir duquel se sont déployées de multiples réflexions – politiques, philosophiques, psychanalytiques – sur la condition humaine.

Servi par d’excellents comédiens, Bertrand de Roffignac ou Céline Chéenne qui transcendent leur texte, le spectacle ouvre les esprits sur de multiples questionnements. On est transporté par l’intelligence qui circule entre les comédiens et par l’énergie qui les habite. A voir impérativement !

Hélène Chevrier

La tendresse [ Masculin pluriel ] conception et mise en scène Julie Béres Bouffes du Nord, 37 bis bd de La Chapelle, Paris 10e, 01 46 07 34 50, du 4 au 22/05 Julie Bérès est allée y voir de plus près, du côté de l’envers de ce décor qu’elle avait planté, voilà quelques années, avec Désobéir. Après avoir interrogé la façon dont des jeunes femmes traçaient leur propre voie, en dépit du carcan familial, social et patriarcal, la metteuse en scène se penche, dans La Tendresse, sur le vécu et le ressenti de jeunes hommes aux prises avec une masculinité moins facile à vivre que d’aucuns le supposent, pétrie d’images et de représentations virilistes, d’impératifs endogènes et exogènes, et d’injonctions contradictoires.

Avec la complicité renouvelée de Lisa Guez et Kevin Keiss, elle fait sortir la jeunesse masculine de sa tanière pour ausculter, tout à la fois, son rapport aux femmes, aux autres hommes et à ses pères, à qui elle ne veut plus ressembler.

Dans un style théâtral performatif dopé à l’audace scénique, elle se joue des codes et des idées préconçues, explose les clichés, et révèle les doutes, les fragilités et les paradoxes sous l’épaisse cuirasse virile. En chœur ou en solo, ces jeunes hommes font alors montre d’une énergie, d’une sincérité et d’une sensibilité rares qui les rendent, en définitive, plus attachants, et puissants, que jamais.

Vincent Bouquet

80 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

@ Simon Gosselin

@ RDL

@ Axelle de Russe

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Tous des oiseaux [ Magic Mouawad ] texte et mise en scène Wajdi Mouawad Colline, 15 rue Malte-Brun 75020 Paris, 01 44 62 52 52, du 31/05 au 25/06 Wajdi Magic Mouawad est de retour.

Créée en 2018 et récompensée du Grand Prix de la Critique, Tous des oiseaux signe le retour de Wajdi Mouawad aux vastes épopées trans générationnelles et trans frontalières. Quand Wahida d’origine palestinienne et David d’origine juive tombent amoureux dans une librairie à New-York, c’est l’Histoire qui est convoquée et qui pénètre au coeur de leur vie.

Et comme une bombe qui exploserait au ralenti, les rêves, les croyances, les secrets de famille et les identités volent en éclats et se télescopent avec l’actualité. Avec sa mise en scène polyphonique mêlant lumières, musiques, corps, texte et espaces, Wajdi Mouawad nous emporte dans un grand tourbillon d’émotions, de sensations et surtout de questionnements. Car avec Tous des oiseaux, c’est aussi l’écrivain qui se déploie. Le texte est d’une rare densité ; chaque mot, chaque phrase ouvre un espace de réflexion qui vient s’ajouter aux déjà très nombreux tiroirs de la narration. D’une simple histoire d’amour, Wajdi Mouawad a construit une pièce totale !

Enric Dausset

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MON GRAIN DE SEL par Jacques NERSON

Le sommeil de l’injuste critique Il n’y a pas longtemps, un directeur de théâtre s’en est pris à moi, sauvagement, par mobile interposé. Il disait m’avoir surpris en train de pioncer pendant une représentation. Hélas ! il ne se trompait pas, j’avoue avoir piqué du nez. Malheureusement pour moi, quand ça m’arrive, je ne dors pas du sommeil du juste, je m’endors quelques secondes, puis je me réveille, ce qui n’a rien de réparateur.

Je ne prétendrai pas pour ma défense que l’hypnagogie (l’état qui précède l’endormissement) soit un signe de vigilance. Bernard Dort, l’illustre brechtien, pionçait, lui, systématiquement pendant les spectacles. Il assurait que c’était bon signe, ça prouvait qu’il se sentait bien.

Un de mes confrères, sans doute narcoleptique, passait l’essentiel des représentations paupières closes. Le plus surprenant, c’est que ses articles n’en étaient pas moins argumentés et intéressants, ce qui laisse à penser que quelque chose du spectacle parvenait jusqu’à sa conscience.

Une de mes consœurs avait également pour habitude de roupiller. Elle avait mis au point une tactique très maligne : primo, elle s’immobilisait dans la pose du Penseur de Rodin, penchée en avant, le menton posé sur la main ; secundo, elle portait des lunettes à verres fumés dont les branches épaisses ne permettaient pas de voir, même de côté, si elle avait les yeux ouverts ou fermés.

Pas besoin d’être critique pour s’endormir. Que celui d’entre vous qui ne s’est jamais assoupi au théâtre, au concert, au cinéma, devant la télévi-

82 Théâtral magazine Mai - Juin 2022

sion ou en bouquinant, me jette la première pierre. Mieux vaut, c’est entendu, rester éveillé quand on exerce la fonction de journaliste. Mais pour être critique, on n’en est pas moins homme.

Au moins n’ai-je pas eu le toupet d’écrire un article sur ce spectacle soporifique. Je connais certain critique qui a dormi à poings fermés du début à la fin d’un spectacle, accroché à la rambarde des gradins métalliques comme un enfant aux barreaux de son lit. Et ça ne l’a pas empêché de le recommander dans le journal du surlendemain.

Est-ce l’âge qui rend somnolent ? Pas nécessairement. Je me rappelle être descendu en voiture au festival d’Avignon par une chaleur à crever. Il y avait eu sur la route des bouchons effroyables. Le soir même, j’allais voir une pièce au Palais des papes. C’était il y a longtemps, la Cour d’honneur était à l’époque garnie de sièges baquets en plastique qui basculaient en avant quand ils étaient inoccupés. Et je suis littéralement tombé de sommeil, fendant en deux, comme une hache, le couple devant moi, à savoir Pierre Marcabru, le grand critique du Figaro, et son épouse. La honte m’a tenu en éveil jusqu’à la fin.

Je ne suis pas particulièrement fier de ma somnolence de l’autre jour. Je ne peux cependant m’empêcher de penser que l’agressivité du directeur en question vient de ce que je n’ai pas aimé un précédent spectacle qu’il a lui-même mis en scène.

Pour me dédouaner, je boirai désormais plus de café. Alphonse Allais dit que c’est une boisson qui fait dormir… quand on n’en prend pas.