TASCHEN Magazine Hiver 2014/15 (Édition française)

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Hiver 2014

photos de groupe L’album photo officiel des Rolling Stones Page 82

Marvel 75 ans déjà… De l’âge d’or des comics à l’ère des blockbusters Page 100

derrière le mur La culture visuelle de l’ex-RDA Page 134

le ciel et l’enfer La vision dantesque de William Blake au service de la Divine Comédie Page 22

Photo de David Bailey

Est. 1980 Variety is the spice of life!


cartier.com

Panthère de Cartier New Collection


EACH AND EVERY TASCHEN BOOK PLANTS A SEED! TASCHEN affiche un bilan carbone neutre. Chaque année, nous compensons nos émissions de CO2 avec l’Instituto Terra, un ­programme de reforestation de l’État du Minas Gerais, au Brésil, fondé par Lélia et Sebastião Salgado. Pour plus d’informations sur ce partenariat environnemental, rendez-vous sur : www.taschen.com/zerocarbon

Inspiration : illimitée. Empreinte carbone : nulle.



Chers dévoreurs de livres,

Los Angeles, novembre 2014

Cette saison, TASCHEN cède à l’hyperbole et se frotte à une légion de super-héros, de superdingos et de super-méchants ! Voici deux parfaits exemples à ranger dans la première catégorie. Après trois ans et demi de gestation, Stan tient enfin son nouveau-né dans les bras. Son soutien a été crucial dans la production de cet ouvrage sur 75 années de publications Marvel (p. 100). Et ce n’est qu’un début : un GROS livre de Stan Lee est en préparation ! Keith, lui, a pu dédicacer LE livre de référence sur le plus grand groupe de rock de tous les temps à Philadelphie. Il aura fallu quatre années, mais il est finalement là, signé par les quatre membres du groupe et prêt à temps pour Noël. Désolé si je donne l’impression d’en faire trop, mais je frôle la rockextase : pour moi ce livre est un miracle (p. 82) ! Et puis il y a ce truc de fou ! Quand le psychédélisme est parti en vrille, le baron super-dingo du porno Michael Thevis est monté au créneau. Il fut suivi, surtout par le FBI (pour meurtre) et par les pervers qui dévoraient des yeux les jeunes filles en fleur et sans tissus de ses magazines… Stan Lee, la légende de Marvel, Aujourd’hui c’est au tour ouvre le premier exemplaire de notre opus magnum, de TASCHEN d’offrir 75 Years of Marvel, Beverly Hills, octobre 2014 aux experts en mauvais goût la bible du porno des années 1970 (p. 118). Des heures sombres surgit le Dark Vador Rouge, le superméchant Erich Honecker, qui dirigea l’ex-Allemagne de l’Est d’une main de fer. 25 ans après la chute du Mur de Berlin, Justin Jampol, un jeune Américain futé et dynamique, a entrepris de rassembler les débris de la force obscure pour créer la plus vaste collection au monde d’objets et de documents de la RDA. Grâce à elle, nous avons pu retracer l’histoire du Rideau de Fer dans un volume de 904 pages (p. 134). Voilà, mes amis. Je n’aurais pas cru que les gars, les filles et les esprits qui ont façonné l’homme que je suis me permettraient de vous proposer ces super-bouquins. Alors amusez-vous, achetez-les et pimentez votre vie ! Merci de votre inlassable fidélité. Peace,

Benedikt Taschen

Keith perpétue le mythe et écrit une page de l’histoire de TASCHEN.

Philadelphie, 2013. Photo prise par son agent, Jane Rose


Est. 1980

Never bore, always excite!

30

Couverture : Mick Jagger, Londres, 1973 © David Bailey. Toutes les ­ hotos © TASCHEN GmbH sauf mention contraire : 16/17 © Colécción p Alejandro Fernández de Araoz, Madrid ; photo : Fernando Maquieira, Madrid ; 18, 19b, 22 © Museo Nacional del Prado, Madrid ; 20 © 2014 Kimbell Art Museum, Fort Worth, Texas / Art Resource, New York / Scala, Florence ; 21 © Photo : Wildenstein Institute, Paris ; 23hd © Wallace Collection, Londres / Bridgeman Images ; 24/25, 30, 31h+dr © National Gallery of Victoria, Melbourne, Australie / Bridgeman Images ; 27 © Tate, Londres 2014; 28/29 © Birmingham Museums Trust ; 64/65, 66, 67hd+cd+b © 2014 Atelier Robert Doisneau, Paris; 72/73 © Henri Dauman/daumanpictures.com. Tous droit réservés ; 74h © Robert Houston/AP/Corbis 96, avec l’aimable autorisation de JFKL, Boston ; 74b, 75t © Bill Everheart ; 77b (crédit non identifié) 77h © Estate of Jacques Lowe ; 78h © Hank Walker/Time & Life Pictures/Getty Images;

79 © Stan Wayman/Time & Life Pictures/Getty Images ; 80 © International Center of Photography/Magnum Photos/Agentur Focus ; 81h © Photo : Lawrence Schiller, copyright © Polaris Communications, Inc. Tous droits réservés ; 81b, 78b © Paul Schutzer/Time & Life Pictures/Getty Images 112/113, 117h+bd © Lawrence Schiller ; 114, 115b, 116 © Steve Schapiro ; 122/123, 131hd © Volker Hinz ; 124/125, 129bg © Neil Leifer/Sports Illustrated/Getty images ; 126 © L’équipe/Offside Sports Photography ; 127 © Press Association Images ; 128b © Terry O’Neill/Getty Images ; 128hg © Roger Parker/Fotosports International ; 129hd © Imago/Kicker/Metelmann ; 130 © Popperfoto/Getty Images ; 131bg © Frans Hemelrijk/Witters ; 156, 157h © Portman & Sommerschield ; 157hd, 159bc © Avanto Architects Ltd ; 157b © 2by4architects ; 158, 159bg © Martin Müller ; 159h © Pasi Aalto ; 159cg © TYIN tegnestue Architects

Anne Le Bot, Alice Petillot et Arnaud Briand Conception : Andy Disl et Benedikt Taschen Coordination : Florian Kobler et Jonas Scheler Production : Claudia Frey et Ute Wachendorf Directed and produced by Benedikt Taschen Imprimé en Allemagne Publié par TASCHEN Hohenzollernring 53, D–50672 Cologne Tél. : +49-221-20 18 00 – contact@taschen.com Contact publicité : media@taschen.com

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mon livre préféré

Les coups de cœur des célébrités

mars contre vénus

Les genres à l’épreuve des faits

le peintre des peintres

La monographie XL sur Velázquez

SymétrIE et opulence

Carnets de voyage d’un pionnier de l’égyptologie

22

Les grands esprits se rencontrent

Les illustrations de William Blake pour la Divine Comedie – 750e anniversaire de la naissance de Dante

30 première

mondiale au pays des songes

La première reproduction complète des 549 épisodes de Little Nemo

22 40 jeux

134

interdits à hollywood

Les années 1930 sous la férule de la censure

46

48

146

150

52

pépettes à gogo(s)

Le juteux business des pin-ups

64

paris sera toujours paris

ma cabane au fond des bois

72

112

l’ère de la grandeur

barbra sans fard

L’enfant chérie de Broadway et son ascension hollywoodienne

118 Love,

Sex & Drugs

Dernier sex-trip avec Dian Hanson

122

LE FOOTBALL DES ANNéES 1970

La chouette époque du ballon rond

132

D’ELVIS à NIRVANA

134

DERRIèRE LE MUR Tour d’horizon complet de la culture visuelle en RDA

13 histoires pour les veillées d’hiver Une approche intimiste de la campagne de JFK en 1960, par Norman Mailer

75 ans déjà…

De l’âge d’or des comics au 7e art

Les pochettes d’album qui ont écrit l’histoire du rock

droit au butt

Le magazine gay chaleureusement cru et cochon

162

10 religions, 100 icônes, 100 prières

d’hiver

Cabanes à l’architecture créative

164

68 Contes

100 Marvel,

objectif lune

156

La publication la plus complète sur l’œuvre de Doisneau

L’album photo autorisé des Rolling Stones au format SUMO

La planète mise en pages

Les paysages nocturnes immortalisés par Darren Almond

160

le continent perdu du tiki

L’Amérique rêve son paradis polynésien

Ladies and gentlemen…

Un atlas visuel de notre fragile Terre

Photographies rares du conflit qui a transformé le monde

122

la grande guerre en couleurS

82

Ancienne sagesse, nouveau monde

la COLLECTION Rousseau

Un collectionneur nous ouvre les portes de sa vaste bibliothèque TASCHEN

100

10


Mon livre TASCHEN préféré, c’est… Les coups de cœur des célébrités Illustrations : Robert Nippoldt

« Le livre TASCHEN que je préfère en ce moment, Homme/ femme, est tellement amusant ! Ce petit fascicule de Yang Liu déborde d’esprit et de subtilité, et c’est un fascinant sujet de conversation pour le dîner, en particulier avec votre douce moitié ! »

Ellen von Unwerth Renzo Piano « Ce livre incroyable est la lettre d’amour de Salgado à la planète. Moi aussi, j’aime la planète. Regardez ces icebergs, ces montagnes, ces forets, ces fleuves : ils sont à couper le souffle. Mais je suis un architecte, et j’aime mettre au défi cette beauté immense et effrayante en bâtissant des abris pour les êtres humains. »

Robert Crumb

« J’aime le livre Circus parce que toutes ces belles grandes photos criardes expriment bien la bizarrerie et le grotesque des cirques. J’y suis allé quand j’étais gosse. Cette expérience m’a submergé, et le livre capte tout ça. Oh, et il y a de magnifiques reproductions de vieilles affiches de cirque, très hautes en couleur aussi. »


Jeremy Scott « C’est le livre sur John Lautner. Peut-être un peu par égocentrisme, pour montrer des photos de ma maison construite en 1947 par le maître en personne. » « Avant toute chose, je suis heureux que Benedikt Taschen existe pour fabriquer ces livres et que nous puissions les posséder. Jeanne-Claude et moi avons rencontré en 1960 Gio Ponti, le fondateur du magazine Domus. À titre personnel, mon livre TASCHEN préféré est la réédition de tous les numéros de Domus, 1928–1999. »

Christo

JULIAN SCHNABEL « J’ai le livre sur Neo Rauch, parce qu’il ressemble à un vrai livre. » « Bordel de Dieu ! C’est vraiment un putain de bon dessinateur. Une célébration totale et débridée de la sexualité masculine. J’ai reçu le livre et cinq ans plus tard, j’ai acheté un dessin. »

MARK GROTJAHN


Info ou intox ? Homme/femme, mode d’emploi, ou comment explorer les clichés sexistes en quelques pictogrammes. Interview de l’auteure Yang Liu.

Vous avez vécu en Chine, en ­Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis. Quelles différences ­avez-vous remarquées entre tous ces pays ? La conception traditionnelle des origines de l’humanité varie selon les cultures. En Chine, on pense que l’humanité a été créée par une déesse plutôt amicale envers les humains. Dans la culture chrétienne, c’est un dieu que l’on prie. C’est très significatif d’un état d’esprit qui s’est plus ou moins perpétué jusqu’à aujourd’hui. La Chine n’a pas connu de mouvement féministe comparable à celui de l’Allemagne, mais dans la pratique, le processus d’émancipation est quelque

la soirée idéale

part plus abouti. Voilà plus de soixante ans que les femmes sont financièrement indépendantes, si bien que ma génération ignore tout du rôle social de la femme au foyer, qui a tout bonnement disparu. En soixante ans, le rôle des femmes au sein de la société s’est rapidement renforcé. Dans des ­métropoles comme Pékin ou Shanghai, il est ­courant depuis la génération de mes parents que le ménage soit presque exclusivement tenu par les hommes et que les femmes, même jeunes, occupent des postes de responsabilité. En Allemagne, il faut encore distinguer l’est et l’ouest. À l’ouest, le chemin de l’émancipation a été long et mouvementé, et pour ce qui est de l’égalité juridique, l’Allemagne est sans doute en pointe à bien des égards.

Pourtant, énormément de femmes effectuent encore la plupart des tâches ménagères, en particulier en ce qui concerne la garde des enfants. À l’est, en revanche, la situation est semblable à celle de la Chine, sans doute à cause du passé politique : les femmes sont beaucoup plus indépendantes et moins cantonnées dans des rôles traditionnels. Malgré tout, on s’étonne encore beaucoup de voir des femmes (en parti­culier des jeunes) à des postes de responsabilité.

Ce livre est-il le reflet de votre propre expérience ? Comme pour le précédent ouvrage East meets West, j’ai essayé d’aller au-delà de mes


bagage

expériences personnelles. Ce n’est pas un autoportrait, plutôt le reflet de mes perceptions dans ce domaine. La question n’est pas de savoir si je m’identifie à ces stéréotypes, mais si ces sujets sont pertinents.

En quoi consisterait pour vous ­l’égalité des sexes ? Si nous étions vraiment égaux, chacun pourrait être soi-même sans adopter un comportement artificiel. Les gens ne devraient pas être perçus en fonction de leur sexe. Dans mon livre, l’homme qui assume une position très dominante vis-à-vis d’une femme est traité de macho, alors qu’une femme qui en fait autant vis-à-vis d’un homme est saluée comme une femme forte. À première vue, c’est très drôle, mais cela reflète une inégalité de perception. Un homme devrait pouvoir porter une jupe sans qu’on trouve cela bizarre, et une femme devrait pouvoir aller à une réunion en robe plutôt qu’en tailleurpantalon sans craindre pour sa crédibilité.

Combien de temps avez-vous ­ consacré à ce livre ? Je l’ai commencé il y a six ou sept ans, après la parution de mon précédent ouvrage. J’ai choisi ce thème parce qu’il est universel et que c’est un sujet de préoccupation pour moi et mes amis, qui sont éparpillés aux quatre coins du monde. Dans toutes les grandes métropoles, les femmes et les hommes se plaignent et se moquent des mêmes problèmes. Lorsque mes propres conditions de vie ont évolué, me permettant d’aborder différents thèmes sous un autre angle, les contours de ce livre sont devenus de plus en plus nets. Tout comme dans le précédent ouvrage, je ne veux en aucun cas être moralisatrice. Si mes lecteurs pouvaient rire d’eux-mêmes grâce à ce livre, j’en serais ravie. C’est une condition essentielle pour pouvoir considérer son prochain d’un autre œil.

D’où vous vient ce goût pour les ­pictogrammes ? Dans toutes les cultures, les pictogrammes sont le moyen de communication le plus ancien. L’écriture s’est développée à partir d’images simples qui se sont progressivement transformées en symboles, puis en caractères tels que nous les connaissons aujourd’hui. Je voulais que les supports visuels soient aussi épurés que possible afin de mettre le contenu en avant. Dans la culture traditionnelle chinoise, l’art suprême consiste à représenter un contenu extrêmement profond avec le moins de

moyens possible. Cela m’a sans doute inconsciemment influencée.

Vous jouez avec les clichés et les ­stéréotypes. Quel est l’intérêt ? Ces thèmes sont aussi présents et perti­­­­­­­­nents aujourd’hui qu’il y a trente ans ou plus. Pour moi, ce ne sont donc pas vraiment des clichés ni des stéréotypes, mais plutôt des vérités que notre époque rechigne à voir ou à admettre. À travers ce livre, j’espère provoquer des rapports plutôt humoristiques entre les sexes. On peut être conduit à rire de soi-même, puis à prendre un peu de recul pour faire preuve de plus de tolérance dans ses rapports avec autrui.

Yang Liu. Homme/femme, mode d’emploi Relié, 128 pages € 12


Le peintre des peintres Lumière, couleur et portraits pénétrants de l’artiste phare de l’Âge d’or espagnol

Je serai satisfaite aussi ­ longtemps qu’il sera glorifié Le portrait de Mère Jerónima de la Fuente (détail, 1620), l’un des rares tableaux de femme mystique contemporaine à Velázquez, représente la religieuse de l’ordre des Franciscains, qui fut la fondatrice et la première abbesse du couvent de Santa Clara à Manille, Philippines.




Pour Manet, il était « le plus grand de tous les peintres ». Son chef-­ d’œuvre Les Ménines a inspiré Picasso au point que celui-ci en a réalisé 44 variations. Pour tant de génies de l’art moderne comme Monet, Renoir, Corot, Courbet, Degas, Dalí et Francis Bacon, Diego Rodríguez de Silva y Velázquez était – et est resté – à la fois une référence et une source d’inspiration. Maître de la technique, Velázquez excellait dans l’art de confondre la couleur et la lumière, le trait et le volume pour fixer même le plus infime détail sur la toile. Il sublima l’art du portrait en saisissant le pathétique et la vérité humaine de chaque visage, qu’il s’agisse d’un roi, d’un pape ou d’une vieille femme en train de faire cuire des œufs.

« Il est bien vrai que Velázquez propagea ce qu’il y a de plus mystérieux dans son art sur les nains, les idiots et les bouffons qu’il a peints comme si c’étaient des dieux ou, mieux encore, comme des êtres chez qui le divin resplendit. » — María Zambrano

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Ésope (détail), vers 1639–1641

Velázquez peint Ésope, l’auteur grec des Fables, comme un personnage en chair et en os, qui malgré ses vêtements misérables – en allusion à son état original d’esclave – rayonne de présence humaine et d’énergie.

Le bouffon Calabacillas, vers 1637–1639

Bouffons, nains et autres fous offraient un divertissement très prisé à la cour de Philippe IV et insufflaient un peu de gaieté à un monde soumis à une étiquette rigide. Dans son Bouffon Calabacillas, Velázquez confère à son modèle dignité et sensibilité.


Don Pedro de Barberana y Aparregui, 1631–1632

En 1630, Don Pedro de Barberana y Aparregui reçut le titre de chevalier de l’Ordre de Calatrava et fit sans doute la commande de ce portrait peu de temps après. Velázquez représente Don Pedro exhibant la croix rouge de l’Ordre sur son pourpoint et sa cape. Page ci-contre

Philippe IV dans son âge mûr (détail), vers 1651–1654

Durant sa carrière de peintre de cour, Velázquez exécuta divers portraits de Philippe IV, documentant ainsi le vieillissement du roi au fil des années qui passent. Cette toile est l’un de ces derniers portraits et représente Philippe aux alentours de la cinquantaine.

« Ce qui m’a le plus ravi en Espagne, et ce qui, à lui seul, vaut le voyage, c’est l’œuvre de Velázquez. C’est le peintre des peintres. » — Édouard Manet




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Doña Antonia de Ipeñarrieta y Galdós et son fils don Luis (détail), 1631–1632

Doña Antonia de Ipeñarrieta était une dame de compagnie de haute noblesse auprès de la reine Isabelle II d’Espagne. Elle se maria deux fois, d’abord avec Don García Pérez de Araciel, chevalier de l’Ordre de Santiago, puis, après la mort de ce dernier, avec Diego del Corral y Arellano, auquel elle offrit six enfants.

La Dame à l’éventail, vers 1635

L’identité de la célèbre Dame à l’éventail demeure une énigme, mais des recherches récentes laissent supposer qu’elle pourrait être française. La documentation de la toile commence au début du xixe siècle, alors qu’elle était hébergée dans la collection du prince Lucien Bonaparte, frère de Napoléon.

XL

« L’œuvre la plus magistrale ­consacrée à Velázquez. » — El País, Madrid

Velázquez. L’œuvre complet Wildenstein Institute, José López-Rey, Odile Delenda Relié, 416 pages, pages dépliantes € 99,99 — 17 —


Carnets de voyage de la Vallée des rois L’art et l’architecture de l’Égypte ancienne à travers les illustrations éblouissantes ­ d’Émile Prisse d’Avennes


Tombeau de la vallée d’El-Assassif, à Thèbes

Représentation peinte d’un tombeau de cette vallée riche en monuments funéraires. Dans leurs hypogées, les Égyptiens n’ont jamais cessé d’entourer leurs morts d’êtres ou d’objets qui leur avaient été chers pendant leur vie sur Terre.


Indigène du pays de Pount (XVIIe dynastie)

Cet Asiatique aux traits masculins, indigène de ce pays de Pount qu’on assimile à l’Arabie heureuse, vêtu d’un simple pagne et armé d’un bâton, pousse devant lui un âne chargé de couffes remplies. Ce joli tableau de genre a été sculpté et peint sur la muraille extérieure du temple d’El-Assassif, sous le règne du dernier roi de la XVIIe dynastie.


un pionnier de l’égyptologie Par Salima Ikram

Au cours du xixe siècle, nombre de voyageurs ayant découvert l’Égypte ont été tellement séduits par ses merveilles et ses monuments qu’ils consignaient tout soigneusement dans des ­carnets, des journaux et des dessins. Grâce à ces saisissants comptes rendus, ces ­voyageurs sont devenus les premiers ­égyptologues, dont certains ont eu une influence notable, bien avant la naissance de l’égyptologie comme discipline. Achille-Constant-Théodore-Émile Prisse d’Avennes (1807–1879) était l’un d’eux. Observateur passionné, Prisse ne s’est pas limité à l’Égypte ancienne, mais s’est intéressé à l’étude de l’art et de l’architecture de l’Égypte jusqu’à la période islamique. Sous son pseudonyme égyptien, Edris Effendi, c’est en 1836 qu’il s’est lancé dans ses premières explorations de sites de la vallée du Nil datant de nombreuses époques. Prisse publie pour la première fois ses notes, dessins et moulages au papier dans Les Monuments égyptiens (Paris, 1847), modeste recueil de 51 planches qui est néanmoins accueilli avec un grand enthousiasme, tant par les cercles intellectuels que par le grand public. Encouragé par ce succès, Prisse retourne en Égypte à la fin des années 1850 afin de poursuivre ses recherches. Ses grandes œuvres ultérieures, L’Histoire de l’art é­gyptien (Paris, 1878–1879) et L’Art arabe (Paris, 1869–1877), proposent un panorama véritablement complet de l’art de l’Égypte. Même lorsqu’on les compare aux réalisations des grandes expéditions d’État en Égypte entreprises à son époque, ces œuvres demeurent le plus grand ensemble illustré de l’art égyptien signé par un seul homme. Par sa précision et sa sensibilité, l’œuvre de Prisse marque une rupture totale avec son temps. Son projet de grande ampleur recouvre l’architecture, le dessin, la sculpture, la peinture, l’artisanat et les arts mineurs. Les sections, plans, détails architecturaux et ornementations de la façade de chaque monument sont rendus avec perfection. Outre son talent artistique, l’œuvre de Prisse témoigne de sa compréhension des questions historiques, sociales et religieuses. Aussi sensible et précise qu’encyclopédique, son entreprise colossale est inestimable et inégalée dans l’étude de l’Égypte ancienne.

Pouvez-vous nous dire comment Prisse est parvenu à réaliser ces ­expéditions et ces publications extraordinaires ? Salima Ikram : Prisse était un homme hors du commun, ambitieux et aventurier. C’est

consacré à l’architecture comprend des images d’édifices, mais aussi de représentations de ces édifices datant elles-mêmes de l’Égypte ancienne, en particulier celles qui ont été découvertes sur les parois des tombeaux d’Amarna. L’intérêt que porte Prisse aux motifs ornementaux est tout à fait précieux pour l’histoire de l’art de l’Égypte ancienne, car l’explorateur a pu retrouver l’origine des variations de ces motifs en fonction de l’époque et de la géographie. Il évoque aussi l’idée, dont les érudits débattaient depuis longtemps, de la circulation de registres de motifs antiques dans toute l’Égypte, qui ont influencé les plans et la décoration des monuments.

Quelle a été l’influence de l’œuvre de Prisse ? ce qui l’a poussé à entreprendre ses propres expéditions en Égypte. Seul ou avec peu de compagnons, il a réussi à parcourir de vastes régions et à rendre compte d’un très grand nombre de constructions appartenant à toutes les époques. Sa connaissance du pays, de ses coutumes et de sa langue l’a beaucoup aidé, ainsi que d’importants contacts locaux, comme Henry Abbott au Caire, avec lequel il fonda un cercle littéraire dont les membres discutaient de l’art et de l’histoire de l’Égypte. C’est aussi grâce au personnage égyptien qu’il s’était inventé, Edris Effendi, qu’il a pu voyager aussi facilement et visiter des lieux auxquels les Occidentaux n’avaient habituellement pas accès.

Quel est l’intérêt des albums de Prisse d’un point de vue artistique ?

SI : Le travail de Prisse est net, sans fioritures et plus fidèle aux images de l’Égypte ancienne que les travaux d’autres artistes voyageurs de l’époque, qui persistaient à donner à leurs représentations une touche de classicisme ou qui peignaient l’Égypte de façon excessivement naïve. C’est aussi le fait que toutes les illustrations définitives et la réalisation de ses publications ont été supervisées par un seul hommme qui donne à l’œuvre de Prisse l’unité harmonieuse qui manque à d’autres travaux du xixe siècle. On remarque avec intérêt que le chapitre — 21 —

SI : Il ne fait aucun doute que les publications de Prisse ont inspiré les tendances et le goût pour les objets et les thèmes égyptiens qui furent en vogue dans toute l’Europe au cours de la seconde moitié du xixe siècle. Son catalogue était tout particulièrement intéressant pour ceux qui travaillaient dans la création. Ils s’en sont servis comme d’un modèle pour les arts décoratifs européens, du vivant de Prisse. Par leur souci du détail, ces images d’une grande richesse ont pu aussi avoir une influence, au tournant des xixe et xxe siècles, sur le mouvement artistique britannique Arts and Crafts et sur l’Art nouveau français.

XL

Émile Prisse d’Avennes. Art égyptien Relié, 424 pages € 99,99


Les flammes de l’imagination à l’occasion du 750e anniversaire de la naissance de Dante, découvrez les illustrations visionnaires de la Divine Comédie signées William Blake


Capanée, le blasphémateur

Pendant leur périple à travers le troisième anneau du septième cercle de l’Enfer, Dante et Virgile rencontrent Capanée, un des sept rois partis assiéger Thèbes. Dans son immense orgueil, il avait défié Jupiter, qui l’avait foudroyé. Capanée semble insensible à lapluie de feu.


L’art de l’au-delà Dante, Blake et la vision épique du Ciel et de l’Enfer Par Sebastian Schütze

William Blake (1757–1827), l’utopiste sociorévolutionnaire, mystique ésotérique et prophète visionnaire, fait partie des grandes figures de l’art anglais autour de 1800. Comme poète, dessinateur, illustrateur et créateur de livres, il fut tenu en haute estime par ses amis artistes Johann Heinrich Füssli et John Flaxman, alors que la plupart de ses contemporains ne voyaient en lui qu’un marginal excentrique. Dans une lettre du 25 octobre 1833, l’écrivain Edward Fitzgerald le décrit ainsi comme un « génie qui ne tourne pas rond » déambulant sur la corde raide entre génie et folie. Entre 1824 et 1827, Blake réalise autour de la Divine Comédie de Dante Alighieri (1265–1321) 102 dessins qui comptent parmi les interprétations les plus saisissantes du célèbre poète toscan. Bien qu’il n’ait jamais visité l’Italie, Blake a eu une connaissance approfondie de l’ouvrage de Dante, dans les vers duquel il percevait une âme parente. Unanimement célébrée comme un chefd’œuvre de la littérature mondiale, la Divine Comédie, achevée en 1321, est considérée comme la grande œuvre littéraire de langue italienne. Au fil de 33 chants et 14 233 vers, Dante y décrit son voyage en Enfer, au Purgatoire et au Paradis, et – à un niveau plus profond – le cheminement symbolique de l’âme vers Dieu. La conception que nous avons de l’au-delà est due en bonne partie à l’audace et à la puissance créatrice de Dante. Sa représen-

« Notre conception de l’au-delà se doit en bonne partie à l’audace et à la puissance créatrice de Dante. » tation détaillée de l’Enfer ne s’inspire d’aucun modèle, pas plus littéraire que théologique. Plongé dans une profonde obscurité souterraine, l’Enfer décrit par Dante est situé sous la ville de Jérusalem et descend jusqu’au centre de la Terre. Il s’agit d’un monde du châtiment sévère, bien organisé, où tous les péchés s’inscrivent dans une hiérarchie ­précise et sont punis selon un sys-

tème de mesures de rétorsion élaboré jusqu’en ses moindres détails. La langue de Dante vit de la puissance de ses images et de sa faculté d’instaurer l’évidence, de sorte que le lecteur voit défiler très concrètement devant ses yeux l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis, et que ce qui pouvait sembler abstrait et inconnu apparaît soudain sous un jour familier. L’imagination

« Comme beaucoup d’autres artistes, il s’est particulièrement attaché à décrire les affres infernales. » du poète puise pour cela à de nombreuses sources, combinant vécu personnel, lectures étendues et un vaste univers d’images. Ainsi, la pente escarpée de la montagne de la purification est comparée à la Pietra di Bismantova, un plateau rocheux cerné de parois abruptes situé dans l’Apennin du Nord, tandis que les motifs de la robe multicolore et mouchetée d’écailles de Géryon, le gardien du huitième cercle de l’Enfer, rappellent les tapis des Tatares ou des Turcs. Quant à l’extrême tension corporelle du géant Antée, qui dépose les deux visiteurs de l’Enfer sur le Cocyte, Dante la compare au mât d’un navire ployant sous le vent, et qui va se redresser d’un coup l’instant d’après. La puissance de ces images littéraires et les références à des œuvres concrètes des arts plastiques ne pouvaient manquer d’enhardir tout particulièrement les artistes à traduire la Divina Commedia en images réelles. C’est sans doute ce qui explique qu’aucun texte des Temps modernes n’ait été aussi fréquemment illustré. Il suffit de songer aux œuvres de Botticelli, Raphaël, Michel-Ange, Doré, Delacroix ou Rodin. Plus que tout autre, Michel-Ange, qui s’est intéressé toute sa vie à Dante, fut considéré comme son interprète le plus influent au xvie siècle. C’est en 1824 que le peintre paysagiste John Linnell commande à Blake des illustrations de la Divina Commedia. Jusqu’à sa mort en 1827, Blake réalise alors 102 dessins dont sept seront traduits en gravures au trait res— 24 —

tées inachevées. Des contemporains de l’artiste ont témoigné qu’un Blake presque septuagénaire acquit alors en un temps étonnamment court la maîtrise de l’italien pour pouvoir lire Dante dans le texte. Pendant les dernières années de sa vie, les rares personnes qui lui rendent visite dans son appartement du 3, Fountain Court, à Londres, le trouvent généralement assis dans son lit, « tel un patriarche antique ou un Michel-Ange mourant », travaillant aux illustrations de Dante. Les vers de la Divina Commedia sous les yeux, il remplissait une à une les feuilles d’un grand carton de papier Kent relié au format 53 x 37 cm. Toutefois, Blake n’a nullement voulu créer une illustration équilibrée des différentes parties de l’œuvre, et moins encore une illustration systématique de chaque chant. Comme beaucoup d’autres artistes, il s’est particulièrement attaché à décrire les affres infernales : 72 feuilles sont consacrées à L’Enfer, 20 au Purgatoire et 10 au Paradis. Pour Blake, le plus important était la confrontation directe avec le texte poétique, la possibilité d’en sonder le potentiel expressif avec des moyens plastiques et d’en rendre fécondes les images littéraires. Considérés un à un, les dessins présentent des états d’achèvement extrêmement variables. Les degrés d’exécution vont d’ébauches sommaires aux feuilles intégralement achevées, offrant ainsi un aperçu global du mode de travail de l’artiste. Grâce à la souveraine maîtrise de ses moyens techniques, Blake a su épuiser toute la palette des expériences existentielles – des sombres tourments de l’Enfer à la rayonnante félicité du Paradis. Dans une lettre du 25 avril 1827, quelques semaines avant sa mort, il écrivait encore à Linnell, son commanditaire : « Je suis trop occupé par Dante pour vraiment songer à autre chose. »

Le pape simoniaque

Le troisième fossé est réservé aux simoniaques, c’est-à-dire ceux qui achètent ou vendent des charges et des titres ecclésiastiques contre de l’argent. Dans les murs et dans le sol du troisième fossé sont creusés de grands trous qui rappellent des fonts baptismaux. Dans chaque trou, un simoniaque est enfoncé tête en bas : seules en dépassent les jambes aux plantes de pieds en feu.


« La conception détaillée de l’Enfer de Dante ne s’inspire d’aucun modèle, pas plus littéraire que théologique. »



Le Cercle des luxurieux

Dante souhaite savoir qui sont les âmes sans fin des luxurieux poussés par cette puissante tempête. Virgile lui montre alors quelques grandes figures historiques et littéraires comme Sémiramis, Cléopâtre, Didon et Hélène, mais aussi Achille, Pâris et Tristan. Dante souhaite ensuite s’entretenir avec un des couples d’amants infortunés. Il s’agit des contemporains de Dante, Francesca da Rimini et Paolo Malatesta. Francesca expose au poète son histoire d’amour malheureuse avec un tel pathos que celui-ci perd connaissance et s’effondre à terre, subjugué par la pitié.



Le Styx et les âmes batailleuses des coléreux

Dante et Virgile poursuivent leur descente, qui les conduit dans le cinquième cercle de l’Enfer. Ils atteignent alors le marais du Styx. Les âmes des coléreux sont profondément enfoncées dans la fange insalubre et se querellent. Elles se frappent les unes les autres de leurs mains, de la tête, de la poitrine et des pieds, et se déchirent de leurs dents. Virgile indique à son compagnon que les pécheurs indolents et oisifs sont embourbés sous la surface de l’eau, comme le montrent les petites bulles d’air remontant à la surface.

Saint Pierre et saint Jacques avec Dante et Béatrice

Dante a passé avec succès l’examen de saint Pierre. Saint Jacques se manifeste dans les airs pour l’interroger sur la deuxième vertu théologale, l’espérance. Les deux puissants apôtres sont cernés de flammes et flottent l’un vers l’autre comme pour se donner une poignée de mains.

XL

« La Divine Comédie est considérée comme la plus grande œuvre littéraire de langue italienne. Dante y décrit son voyage en Enfer, au Purgatoire et au Paradis. »

William Blake. Les dessins pour la Divine Comédie de Dante Sebastian Schütze, Maria Antonietta Terzoli Relié, 324 pages, 14 pages dépliantes € 99,99


Bienvenue au Pays des songes : les aventures complètes de Little Nemo au format géant !


« La clé du monde magique de McCay qui manquait jusqu’à ce jour, même dans l’Amérique. » — Timur Vermes, Welt am Sonntag



Little Nemo est de retour Le triomphe d’un des artistes les plus illustres du xxe siècle Par Alexander Braun

Des lits qui marchent ? Des cités-dortoirs martiennes surpeuplées ? Des effets de zoom longtemps avant l’invention de ce type d’objectif ? Le crayon de Winsor McCay (1869–1934) ne connaissait aucune limite en ce tournant du siècle. Il lui suffisait d’imaginer quelque chose pour le traduire en une image qui deviendrait réalité aux yeux de millions de lecteurs. À une époque où tout paraissait possible, une énergie folle jaillissait des dessins de ce petit New-Yorkais fluet, dans un disegno débordant de fantaisie et d’effets spéciaux. On ne peut s’empêcher de voir en Winsor McCay un génie du xxe siècle. Grâce à ses innovations graphiques, il a hissé la bande dessinée à un niveau extraordinaire en divisant le récit en épisodes successifs et a inventé le film d’animation pour le développer grâce à des inventions techniques restées d’actualité jusqu’à une période avancée

anglais en 1913, puis en français en 1926. L’obsession de notre bédéiste pour la représentation de l’inconscient est stupéfiante – et l’incurie des historiens de l’art scandaleuse, qui continuent à ignorer le premier surréaliste du xxe siècle. Toute anthologie du surréalisme devrait commencer avec Winsor McCay, et non avec André Breton et son premier Manifeste du surréalisme de 1924. Vingt ans avant ce dernier, le dessinateur américain avait décrit la fantastique

« Toute anthologie du surréalisme digne de ce nom devrait commencer avec Winsor McCay. » de l’ère Walt Disney. Les thèmes abordés étaient d’une grande originalité pour son temps. Ses principales séries, Little Nemo in Slumberland et Dream of the Rarebit Fiend racontent des rêves ou des cauchemars. Elles occupent une place majeure dans l’histoire de la BD : la première compte 549 épisodes en couleur, la seconde plus de 900 en noir et blanc, un total de 1 500 rêves imaginés en deux décennies ! Notre artiste a conçu ses premières aventures extravagantes en 1904, presque au moment où Sigmund Freud publiait son Interprétation des rêves (peu avant 1900). Aucun de ces deux pionniers n’a eu connaissance des travaux de l’autre ; le livre de Freud n’a exercé une réelle influence qu’avec sa première édition parue en Double-page précédente : The New York Herald (toutes les images), 8 septembre 1907 Page ci-contre : 22 septembre 1907 Ci-contre : 31 juillet 1910 Double-page suivante : 26 juillet 1908 — 33 —

mécanique du rêve en images évocatrices de la puissance destructrice des pulsions refoulées. Pourquoi l’histoire de l’art passet-elle sous silence les œuvres de notre artiste ? Parce qu’il ne s’agit que de bandes dessinées et non de peintures à l’huile ? En ce début de siècle, loin d’être une manifestation marginale de l’industrie du divertissement, la BD constituait un média de référence. Avec la photographie, elle était le premier média de masse à base d’images,




contribuant pour une part essentielle à la démocratisation de celles-ci. Tandis que le cinéma, dont la naissance fut quasi

« Les lecteurs jetaient leur dévolu sur telle ou telle gazette, non pas en fonction de la qualité des pages sportives ou des dernières actualités culturelles, mais de leurs dessinateurs préférés. » contemporaine de celle du 9e art, peinait à surmonter ses moyens techniques limités et le nombre restreint de spectateurs, les comics touchaient chaque jour des millions de lecteurs. La presse à sensation découvrait le pouvoir de séduction des cases dessinées. L’éditeur qui proposait à ses lecteurs les vignettes les plus spectaculaires

pouvait dépasser ses concurrents en termes de tirage et engranger le maximum de recettes publicitaires. Les journaux pouvaient rapporter gros, grâce aux suppléments BD. Les lecteurs préféraient telle ou telle gazette, non en fonction de la qualité des pages sportives ou des dernières actualités culturelles, mais de leurs dessinateurs favoris. La série de l’époque était une œuvre d’auteur, non un produit marketing. Les personnages appartenaient à leur créateur et, en cas de succès, ils faisaient la gloire et la fortune de ce dernier. D’origine modeste, ayant grandi dans un village de bûcherons près des Grands Lacs et appris le dessin en autodidacte, Winsor McCay résidait avec sa femme et ses deux enfants dans une élégante demeure au sud de Brooklyn, quelques années après son arrivée à New York ; il possédait aussi une automobile avec chauffeur et avait engagé une femme de ménage et une cuisinière. Il ne tarda pas à acquérir une maison de vacances à Coney

Island pour les vacances d’été. Et quand, les bourrasques de l’Atlantique soufflaient trop fort, la famille louait une confortable suite dans un hôtel de Manhattan. Les métropoles américaines accueillaient 2 000 immigrants par jour ! Arrivés du Vieux Continent, tous voulaient du pain, du travail et un toit. Lorsque ces besoins essentiels étaient satisfaits, ils cherchaient à se distraire. Que pouvaient-ils trouver à une époque sans Internet ni télévision ? Même la radio n’était pas encore inventée et le cinéma n’était toujours qu’une attraction foraine. Musées et théâtres étaient entre les mains d’une élite bourgeoise. Le sous-prolétariat n’y avait pas sa place, et n’avait pas les moyens de prendre part à la vie culturelle. Il ne lui restait que les cabinets de curiosités (connus sous le nom de dime museums), les music-halls, les expositions de monstres humains, les parcs d’attractions et… les bandes dessinées ! Les meilleures presses d’alors, les rotatives les plus coûteuses et les plus performantes n’étaient pas vouées à la confection de catalogues d’exposition ou de livres d’images pour connaisseurs, mais à la publication de comic strips. Le tirage d’un journal d’une grande maison d’édition pouvait atteindre 1,5 million d’exemplaires par jour ! Dans la seule ville de New York, vers 1900, 15 rédactions se disputaient les faveurs du

« La BD évoluait aux ­frontières de l’anarchie et s’autorisait, tant du point de vue du contenu que de la forme, des libertés que les autres genres ne pouvaient en aucun cas se permettre, au risque d’entacher leur réputation. » public. Des images en couleur attractives et populaires à un prix modique, c’était du jamais vu dans l’histoire de l’humanité. Les comic strips ont su profiter des opportunités de l’époque : une atmosphère de ruée vers l’or accompagnait l’engouement pour cette nouvelle expression artistique que ne limitait aucune convention. Les éditeurs n’avaient pas d’exigences vis-à-vis de leurs dessinateurs, car personne ne savait exactement quels thèmes pourraient séduire les lecteurs. Ce nouveau média appartenait à un genre éloigné de la vie culturelle bourgeoise traditionnelle. Cela le marginalisait et en faisait un merveilleux Ci-contre : 12 juin 1910 Page ci-contre : 23 september 1906 — 36 —




levier artistique, les canons des divertissements du type « pages culturelles » – littérature, musique ou théâtre – n’étant pas de mise ici. La BD évoluait aux confins de l’anarchie et s’autorisait des libertés que les autres genres ne pouvaient pas se permettre, au risque d’entacher leur réputation. Les comics représentaient la liberté ;

« L’œuvre de Winsor McCay’s n’est pas qu’une explosion de créativité, de fantaisie surréaliste, de merveilles Art déco, elle offre aussi un tableau fascinant des mœurs d’une société en mutation. » celle de la main du dessinateur. Et, en tête, devançant tous les autres, se trouvait Winsor McCay. L’œuvre de cet artiste est une explosion de créativité, de fantaisie surréaliste, de merveille Art déco et un tableau fascinant des mœurs d’une société en mutation. Plus haut, plus vite, plus loin : les débuts du e xx siècle étaient marqués par les superlatifs. Les expositions universelles battaient Page ci-contre : 10 juillet 1910 Ci-dessous : 27 décembre 1908

des records d’affluence ; devant les inventions nouvelles, la Grande Roue ou la couveuse électrique pour prématurés, les gens restaient sans voix. À Coney Island, les parcs d’attractions laissaient les spectateurs béats d’admiration. Les théâtres de Broadway étaient les plus grands du monde, on pouvait transformer leur scène en bassin pour éléphants ! La comédie musicale Little Nemo de Winsor McCay fut le spectacle scénique le plus grandiose de tous les temps. Pourtant, malgré son importance commerciale d’alors et ses retombées sur notre société de communication multimédia d’aujourd’hui, les archives de ce média risquent de disparaître. Les magnifiques pages en couleurs des éditions dominicales des grands journaux américains du début du xxe siècle n’ont plus que quelques d’années d’espérance de vie et leur papier jauni s’effritera irréversiblement. Peu de grandes initiatives ont été lancées pour sauver les premiers témoignages de cet art, les restaurer, les replacer dans leur contexte historique et rendre accessible aux générations futures cet immense héritage culturel ! En voici cependant une : l’édition complète de Little Nemo in Slumberland de Winsor McCay ! Pour la première fois depuis sa parution d’origine, il est possible de découvrir en totalité la plus célèbre série de cet

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artiste. L’ensemble des 549 épisodes créés de 1905 à 1927 a été restauré avec des couleurs rectifiées (pour correspondre le plus exactement possible à celles d’origine) et reproduit en grand format, afin qu’aucun détail ne manque. Enrichi de plus de 600 illustrations et de dessins originaux, un important texte d’accompagnement permet de retracer la vie de l’auteur et de son œuvre. Davantage de McCay, davantage de Little Nemo, impossible ! Un triomphe tardif pour l’un des plus importants représentants de l’art du xxe siècle, qui a laissé une empreinte majeure dans le paysage des beaux-arts.

Winsor McCay. The Complete Little Nemo Alexander Braun Relié, 2 volumes, 708 pages € 150


Les couleurs du désastre La Grande Guerre redécouverte au fil d’autochromes d’époque

« […] une réalité humaine saisissante qui éclaire l’un des grands soubressauts de l’Histoire… » — Charley’s War, Londres


Paris, rue Greneta, septembre 1915

Léon Gimpel réalisa une série d’autochromes montrant des enfants qui jouaient à la guerre devant son objectif. Les images témoignent de la haine éprouvée pour l’agresseur mais aussi de la facilité avec laquelle la guerre s’emparait des enfants. Cette photo est intitulée Remise d’une décoration aux troupes sur le front. Photo : Léon Gimpel


La Grande Guerre comme si c’était hier Par Peter Walther

Beaucoup de gens ignorent que la Guerre de 1914-1918 fut le premier conflit mondial immortalisé en photographie couleur. Seuls quelques milliers de clichés sont parvenus jusqu’à nous, conservés dans des archives du monde entier, si bien que la plupart d’entre nous ne se représentent les événements historiques, la vie quotidienne et les horreurs de cette tragédie qu’en noir et blanc. Les images des tranchées, des troupes et des 16 millions de vies perdues dans cette « guerre pour mettre fin à la guerre » sont toutes monochromes dans notre conscience collective, détachées de notre réalité actuelle par les années écoulées, mais aussi par l’absence de couleur. L’évolution du procédé Autochrome, autrefois une niche muséographique pour spé-

cialistes et passionnés, nous permet aujourd’hui de redécouvrir la Première Guerre mondiale dans toutes ses teintes, vives, éblouissantes. Breveté en 1904 par les frères Lumière, l’Autochrome consiste en une plaque de verre dont une face était couverte de grains de fécule teints dans les trois couleurs primaires, qui servaient de filtre et conféraient aux clichés un aspect particulièrement esthétique, comparable à la peinture pointilliste. Pendant toute la Première Guerre mondiale, la photo sert des objectifs militaristes, propagandistes et personnels dans tous les camps. À elle seule, l’Allemagne dépêche à l’automne 1916 pas moins de 400 hommes pour photographier le terrain et interpréter les clichés aériens. Dans les territoires occupés

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par l’Allemagne, des centaines de milliers de photos d’identité sont aussi collectées. Pour la première fois au cours d’une guerre, des particuliers prennent aussi des millions de photographies, pour se souvenir, témoi-

« Pour la première fois au cours d’une guerre, des particuliers prennent des millions de photographies. » gner et montrer aux familles restées au pays la vie sur les lignes de front. Comparée aux hordes de photographes amateurs, la légion de photojournalistes officiels ou accrédités semble bien maigre : ils sont


15 dans l’armée française, 19 côté allemand, 16 avec les soldats britanniques, trois avec les forces armées australiennes et néozélandaises, et deux avec les troupes canadiennes. Cette guerre ayant aussi été dès le départ une guerre des mots – un conflit verbal qui portait sur l’interprétation même de termes comme « culture » ou « barbarie » – la valeur propagandiste de la photographie a initialement été sous-estimée de part et d’autre. Mais plus le conflit s’enlise et s’envenime, plus l’opinion publique pèse lourd dans la balance diplomatique. Dès lors, les armées n’hésitent plus à recourir au pouvoir de l’image. Le travail photographique et cinématographique commence à être institutionnalisé à partir de 1915 au sein des structures militaires. Churchill, ministre de la Marine, comprend tôt l’importance de la propagande. Après la défaite des armées britannique et française lors de la bataille de Gallipoli en avril 1915, il est envisagé pour la première fois de rattacher des photographes officiels aux forces armées britanniques. Le choix se porte sur Ernest Brooks (né en 1878), qui a autrefois travaillé au Daily Mirror. La population doit être apaisée par les photographies et non terrorisée par les horreurs réelles de la guerre. Si l’on compare la quantité de photos en couleurs réalisées durant la Première Guerre mondiale au nombre de toutes celles qui ont été prises, elle semble ­négligeable : environ 4 500, la plupart ­réalisées par Castelnau, Cuville, GervaisCourtellemont et Tournassoud. C’est moins d’un millième de toutes les photographies en noir et blanc prises dans le même temps. Quelle part de la réalité ces images nous transmettent-elles ? Il faut tenir compte des conditions dans lesquelles

« Plus le conflit s’enlise et s’envenime, plus les armées n’hésitent plus à recourir au pouvoir de l’image. » les photos ont été prises et de leur finalité. Ce qui vaut pour la plupart des photos en noir et blanc est d’autant plus valable pour les autochromes : il ne s’agit pas d’instantanés spontanés mais de mises en scène minutieuses, dans lesquelles des considéraCi-dessus : Soldats allemands dans une rue de Sommepy, 1915. Photo : Hans Hildenbrand Page ci-contre : Prisonniers de guerre ­autrichiens en Carélie, près de Kiappeselga, en 1915. Un soldat des Empires centraux sur quatre est mort en captivité aux mains des Russes. Photo : Sergeï Prokoudin-Gorski

tions techniques et esthétiques jouent autant un rôle que le message photogra­ phique lui-même. Il n’existe guère de photographies prises sur le front par un opérateur au péril de sa vie. Rien que le caractère encombrant de l’équipement qui pesait jusqu’à 15 kilos avec les plaques, le pied et les divers objectifs, ne le permettait pas. Les temps d’exposition relativement longs des plaques d’autochromes – les personnes photographiées devaient rester immobiles six secondes par ciel couvert, et tout de même une bonne seconde si le soleil brillait – empêchaient la réalisation d’instantanés. Le mouvement était difficile à fixer de cette manière. Un siècle plus tard, la couleur semble insolite en même temps qu’elle rend les événements redoutablement proches. Si l’on tient compte des intentions des opérateurs de l’époque et du fragment spécifique de la réalité immortalisé sur les photos, ces — 43 —

documents uniques nous donnent des ­aperçus étonnants d’un monde disparu pour toujours, témoignant des luttes matérielles et idéologiques de la Première Guerre mondiale.

La Grande Guerre en couleurs Peter Walther Relié, 384 pages € 39,99



Et la couleur fut… Quand les premières photographies couleur ont-elles été prises ?

Il y a eu des tentatives individuelles dès le xixe siècle. À partir de 1902, le système de trichromie est utilisé pour la reprographie professionnelle en couleur à destination de l’édition et de la presse. Parmi les amateurs, la photo couleur apparaît avec l’introduction du procédé Autochrome, en 1907, mais la photographie en couleurs sur papier ne se démocratise que bien plus tard, en 1941 aux États-Unis, en 1950 en Europe de l’Ouest.

Qu’est-ce que qui distingue les photographies en couleur des photos en noir et blanc colorées à la main ? À ce jour, une photo couleur est en fait la superposition de trois photos en noir et blanc. Chacune contient l’information chromatique d’une des trois couleurs primaires qui, combinées, peuvent former n’importe quelle autre couleur. Ces données peuvent être stockées de différentes manières : sur trois plaques photographiques séparées (tr­ichromie), en points juxtaposés (comme

l’Autochrome et les capteurs des appareils numériques) ou superposées (sur les trois couches d’une pellicule couleur). Chacune de ces méthodes permet de transcrire les couleurs authentiques. Les reproductions en couleur de photos en noir et blanc, en revanche, sont colorées à la main d’après le souvenir ou l’imagination.

à quoi ressemblent les autochromes ?

Les autochromes sont des images transparentes sur des plaques de verre, qui rappelle des diapositives. Ils sont placés dans des visionneuses spéciales ou projetés pour des visionnages en groupe.

Pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour exhumer ces autochromes ?

Ces clichés ne sont jamais vraiment tombés dans l’oubli, mais ils étaient en si piteux état que nous ne pouvions pas en faire grandchose. Ce n’est que grâce aux progrès de la technologie numérique moderne que nous Page ci-contre : Machines rouillées d’une usine détruite, rue des Trois Raisinets, Reims, 28 mars 1917. Photo : Fernand Cuville En haut : Un abri en Champagne, été 1915, ­autochrome stéréoscopique. La photographie stéréoscopique est née dès le milieu des années 1850. Photo : Hans Hildenbrand Ci-dessus : San Francisco après le tremblement de terre, 1906 ; moitié d’un cliché ­stéréoscopique trichromique. Photo : Frederic Ives Ci-contre, à gauche : La Peterstraße pendant la Foire de Leipzig, au printemps 1914. La méthode trichromique consistait à exposer trois plaques l’une après l’autre avec des filtres différents, ce qui rendait difficile la photographie de sujets en mouvement. Photo : Franz de Grousilliers, Rudolf Hacke Ci-contre, à droite : Noël à Nikolskoye, Russie, 1911. Le sapin orné de petits drapeaux de papier des différentes nations symbolise l’espoir de l’entente des peuples à une époque où l’horizon politique s’assombrissait déjà. Photo : Piotr Vedenisov — 45 —

avons pu scanner les plaques originales et obtenir des reproductions de qualité. Des originaux d’apparence banale et très fanée se sont révélés des photos vibrantes de couleur. Le numérique nous a bien sûr aussi donné accès à des archives photographiques du monde entier.

Quelle vision particulière de la Première Guerre mondiale ces photos offrent-elles ?

Comme la plupart des photos prises en temps de guerre, ces images répondaient souvent à des exigences propagandistes. Les limites techniques de l’Autochrome font aussi que les photographes ne peuvent saisir que des scènes isolées et statiques. Ces clichés n’en restent pas moins d’une valeur inestimable, puisqu’ils sont la version la plus vivante que nous ayons de cette guerre. En couleur, les gens, les paysages et les mille détails du conflit deviennent plus présents, malgré le temps écoulé.


Jeux interdits Hollywood et la censure dans les années 1930

Il réglait à l’amiable les litiges entre studios et rassurait les esprits conservateurs du pays (beaucoup de gens voyaient dans Hollywood une nouvelle Babylone). C’est dans cet esprit qu’en 1927, Hays rédigea son code avec des représentants des studios : le code Hays consistait en onze interdictions et vingt-six mises en garde. Ne pouvaient être représentés au cinéma : le blasphème, la nudité (y compris en ombres chinoises), les stupéfiants, la perversion sexuelle, la prostitution, les rapports sexuels entre race noire et race blanche et les accouchements. Le nom de Hays est néanmoins considéré à tort comme synonyme de censure cinématographique. Son code ne fut en effet réellement appliqué qu’en 1934, quand il nomma directeur de la censure le catholique irlandais Joe Breen. Aucun film ne pouvait être produit sans que le scénario eût été préalablement approuvé par Breen. Il y a quelques années, au moment de la sortie de la version restaurée du film Tarzan and his Mate (Tarzan et sa compagne, 1934), elle provoqua la surprise même parmi les connaisseurs les plus émérites. On pouvait y voir la star du cinéma et de la natation Johnny Weissmuller court vêtu exécuter quelques brassées sous l’eau devant une caméra sous-marine – tendrement flanqué de Jane. Mais en y regardant bien, la naïade en costume d’Ève n’était pas Maureen O’Sullivan, mais sa doublure, Josephine McKim, championne olympique comme Weissmuller. Le jour du tournage de la

Hollywood dans les années 1930 Daniel Kothenschulte, Robert Nippoldt Relié, 160 pages € 39,99

scène, l’habilleuse devait avoir son jour de congé. Certes les scènes de nu n’allaient pas de soi dans le film grand public de l’époque classique d’Hollywood, et on avait depuis longtemps oublié qu’au début du cinéma parlant, les cinéastes prenaient parfois d’étonnantes libertés. L’année de réalisation de Tarzan et sa compagne (1934) marque aussi la fin de ce court printemps.

Films Pre-Code et autre histoires captivantes de l’usine à rêves hollywoodienne

Le naturisme paradisiaque de Tarzan n’allait pas être seul à se voir enterré pour plusieurs décennies. Hollywood s’était dès lors plié au code de bonnes mœurs. C’est seulement dans les années 1990 que les films réalisés avant cette date furent redécouverts. Depuis, ils vivent une deuxième vie sous l’appellation de Pre-Code movies (films de l’avant-Code) dans des festivals et en DVD, et jouissent du statut de films cultes auprès de nombreux cinéphiles. En même temps, le nom du politicien conservateur du cinéma William Hays célèbre lui aussi son come-back. Pendant deux décennies, Hays allait représenter de manière réellement fructueuse les intérêts de la jeune industrie à Washington. Aucun film ne pouvait sortir en salle sans avoir eu son « label ». Si un distributeur tentait quand même l’aventure, aucune salle de cinéma affiliée à l’association officielle n’était autorisée à le projeter. Une amende de 25 000 dollars confirmait qu’il n’y aurait désormais plus de passe-droits. Le premier exemple fut fait avec Mae West –

qui s’y serait mieux prêté ? –, dont le film It Ain’t No Sin, radicalement édulcoré par la censure, porta dès lors le titre bénin Belle of the Nineties (Ce n’est pas un péché, 1934). Mais beaucoup de films d’avant 1934 passèrent eux aussi sous le scalpel de Breen quand les studio avait décidé de les rediffuser. Ces coupes irréversibles étaient réalisées à même le négatif, ce qui explique la narration lacunaires des premiers films du cinéma parlant. On a longtemps considéré les films antérieurs à 1934 comme théâtraux et gâchés par leurs longueurs. Mais c’est tout le contraire. Il s’agit dans bien des cas de films menés tambour battant qui doivent souvent leur brio à des personnages féminins hauts en couleur. Ils étaient joués par des stars comme Jean Harlow, Clara Bow, Constance Bennett, Miriam Hopkins ou Norma Shearer, qui s’affranchis­saient des barrières imposées par la morale. Aujourd’hui encore, les restaurateurs recherchent d’anciennes copies dans lesquelles les parties censurées sont encore présentes.


« Attention, censure ! » 1 Meurtre, vengeance 2 Effeuillage provocateur 3 Lingerie affriolante 4 Brutalité 5 Drogues et trafic de stupéfiants 6 Abus d’alcool 7 Décolleté plongeant 8 Jeux de hasar 9 Pistolet pointé 10 Pistolet mitrailleur Thompson



Le continent perdu du tiki Par Marc Lambron

Il conduit sa Ford d’une main sûre sur les freeways de L.A. Sven Kirsten, 59 ans, pourrait être un personnage de John Ford revu par les frères Cohen : l’un de ces Américains impavides qui circulent au milieu d’un univers dézingué, avec en eux la certitude et la fêlure que donne l’Amérique éternelle à ses enfants héroïques. On le considère ici comme le pape du Tiki, l’homme qui a ressuscité par son abnégation d’ethnologue spontané tout un pan de la culture populaire nationale. Reconnaissance parisienne, il est accrédité commissaire de la grande exposition que le musée du quai Branly organise sous le titre de « Tiki Pop ». Sven Kirsten gare la Ford devant un restaurant de Glendale à l’enseigne de Damon’s. « Aloha, bienvenue dans notre petit atoll », sourit-il en poussant la porte. à l’intérieur, statuettes océaniennes d’époque Eisen-

hower, pirogues en suspens et carte de cocktails exotiques pour hommes d’affaires à la Mad Men, du Mai Tai au Lapu Lapu. Sommes-nous en 1954 ? Allons-nous rencontrer Angie Dickinson ou Jack Lemmon ? Et pourquoi ce décor de Polynésie plastifiée dans le Los Angeles de Rihanna et Matthew Mc Conaughey ? Toute la question Tiki est là.

« Sexe et vacances sont les mots d’ordre de la vague Tiki. » — Sven Kirsten « Le style Tiki, explique ce Champollion des lagons en sirotant au bar un “Blue Hawaiian”, c’est le paradis perdu de la Page ci-contre : Une grande prêtresse et une flamboyante statue de l’île de Pâques gardent les portes d’un autre monde. Ci-dessus : La mascotte M. Bali Hai du restaurant à San Diego, nommé d’après le tube insolite éponyme. Ci-contre : Le barman du Kahiki, George Ono, est fier de présenter ses créations.

dolce vita américaine. Dès les années 1930, cet éden artificiel qu’était Hollywood s’est emparé de l’exotisme polynésien. Que l’on pense à The Hurricane de John Ford, avec Dorothy Lamour dans le rôle d’une vahiné fatale. Dans le contexte de la guerre, la souffrance des GI’s revenant de l’enfer du Pacifique est sublimée et refoulée par la représentation d’une Océanie rêvée. On voit alors fleurir des bars avec plafonds en bambou, meubles en rotin, d’extravagants restaurants avec cascades intérieures, jungles artificielles, tableaux d’idylles à la Gauguin… C’est l’âge d’or du Tiki, entre mccarthysme et naissance de la culture hippie (1955-1965). » Tiki, c’est le premier homme, l’Adam maori, mais aussi un symbole phallique autant que le dieu des artistes. En 1910, Picasso était propriétaire d’un Tiki des Marquises. Holly­­wood en fit autre chose. La vague Tiki d’après-guerre est née d’un film, South Pacific, adaptation d’une comédie musicale inspirée par le best-seller de l’écrivain — 49 —


Ci-dessus : La figure du « Goof » était l’emblème du Christian’s Hut avant celle du tiki. Ci-dessous : « Miss Tacoma Home Show 1964 » pose avec des idoles décoratives modernes.

films sucrés qu’Elvis Presley tournera plus tard à Hawaii. Parallèlement, le monde entier se passionne pour l’épopée du « KonTiki », un radeau de type précolombien qui

« Ce que j’aime dans ces objets, c’est leur humour, leur noirceur de films fantastiques de série B.  » — Sven Kirsten

voguera du Pérou à la Polynésie pour prouver que le Pacifique avait été peuplé par les Indiens d’Amérique. Hollywood s’annexe le capitaine de l’expédition, Thor Heyerdahl, en lui décernant l’oscar 1951 du Meilleur documentaire. « Dès lors, commente Sven Kirsten, l’orgie Tiki pouvait commencer. » Le style Tiki sévit d’abord chez les idoles familières des palmes dorées. Frank Sinatra sirotait des Mai Tai. Marlon Brando, envoûté par les charmes locaux sur le tournage des « Révoltés du Bounty », achète une île en Polynésie et épouse l’actrice tahitienne du film. Le merchandising peut commencer : dans le Tiki américain, il s’agit moins de scrupule ethnologique que de projection de sa propre vie en Technicolor. Le réel est une île dont vous êtes le héros. Des restaurateurs épicuriens, Don the Beachcomber ou Trader Vic, exploitent bientôt sous licence des établissements Tiki à travers les états-Unis, avec ananas, fleurs en plastique et hôtesses accortes. On y sert des cocktails inspirés du punch — 50 —

planteur ­jamaïcain ou du daïquiri cubain, le Vicious Virgin, le Shark’s Tooth, et même le Martiki, réponse polynésienne au Martini dry. à Los Angeles, le propriétaire du Tiki Ti déclarait à propos de ses 72 cocktails : « C’est de l’évasion. C’est du bidon. » Le Tiki Pop serait-il un Tikitsch ? Avec un sourire, Sven Kirsten commente : « Sexe et vacances sont les mots d’ordre de la vague Tiki. On a construit des complexes de loisirs sur le modèle polynésien, le village rêvé à la Gauguin devenant le village de vacances de l’Américain moyen. Cet article a été publié dans Le Point.

Tiki Pop. L’Amérique rêve son paradis polynésien Sven Kirsten Relié, 384 pages € 39,99


GRADUATE

F A L K E • P.O.BOX 11 09 - D-57376 SCHMALLENBERG / GERMANY


J’espère que les gars ne tireront pas la courte paille ce soir Gil Elvgren pour les calendriers Brown & Bigelow, 1946.


Quelqu’un reprendra du cheesecake ? Une bonne tranche de glamour

« Le livre est un régal pour les yeux — mais aussi le cerveau grâce à sa grande richesse d’informations. » — Lui magazine, Paris


L’improbable prince des Pin-ups Par Dian Hanson

de la ruée vers l’or ; et en 1910, il était à National, dans le Nevada, une ville minière où l’or abondait autant que les malfrats. Là, il vola du précieux minerai aux compagnies minières pour s’envoler au Mexique, où, avec un ami, il rejoignit la révolution de Pancho Villa. Peu lui importait la cause paysanne, il admirait l’extravagant Villa qui lui laissait les peaux du bétail qu’il volait pour nourrir ses troupes. Ward les revendait au Texas, empochant 70 000 dollars en trois ans. Il quitta le Mexique à la mort de son ami, en 1916, et claqua son argent. Il fit la fête durant deux ans, atterrissant à ­Denver, où, arrêté pour trafic de cocaïne, il se ruina pour sa défense. Il fut condamné à dix ans dans une prison à sécurité maximale. Lorsque Bigelow arriva à Leavenworth, Ward y était bien installé, en caïd avec moult amis et privilèges. En apprenant que le riche businessman était malmené par ses codétenus, il le fit transférer dans sa cellule. Là, il lui offrit un marché : il le protégerait en échange d’un travail à sa sortie. Bigelow accepta et Charlie le prit sous son aile jusqu’à sa sortie en 1925. Lorsque Ward se présenta plus tard chez lui à Saint Paul, Bigelow ne fut pas ravi de le voir. Échouant à s’en débarrasser avec de l’argent, il lui offrit un poste subalterne et Bigelow voyait loin et sut vite tirer parti des progrès de l’imprimerie, mais il était aussi froid et arrogant, avec un sens aigu des privilèges. En 1923, il fut condamné pour évasion fiscale à une peine de deux ans à la prison de Leavenworth. C’est ici qu’entre en scène Charles Ward, prédestiné à Leavenworth. Né en 1886 dans le quartier chaud de l’arsenal de ­Bremerton, près de Seattle, il rendait des menus services pour des bars locaux à 14 ans. À 16 ans, il entraîna un chien de combat qui tua le champion de la marine dans un combat truqué, lui rapportant 1 000 dollars. Avec la moitié, il offrit un croc en or à son chien. Au fil des ans, il finit par arborer lui aussi un étincelant râtelier complet. Ward vénérait l’or. En 1903, il en chercha en Arizona ; en 1906, ce fut en Alaska lors — 54 —

éreintant. À sa surprise, Ward travailla dur et apporta des idées innovantes. Il monta rapidement en grade. Il ne quittait pas Bigelow, « son meilleur ami ». Nul ne saura ce que pensait Bigelow d’être flanqué d’un tel acolyte mais, en 1930, Ward était devenu directeur et vice-président de la société. Ce fut Charlie qui fit de Rolf Arm­ strong l’artiste de pin-up le mieux payé des États-Unis ; lui qui, en 1937, embaucha

« Il offrit un croc en or à son chien. Au fil des ans, il finit par arborer lui aussi un étincelant râtelier complet. » Earl Moran à 10 000 dollars par an, plus la location de son atelier et les honoraires de ses modèles ; lui qui débaucha Gil Elvgren de chez Louis F. Dow en 1944, l’attirant avec 2 000 dollars la peinture. Contraireà gauche : Une « combinaison gagnante », créée par Rolf Armstrong en 1945 pour célébrer la victoire alliée dans la Seconde Guerre mon­ diale dans ce calendrier 1946. Ci-dessous : échantillon d’une carte de vœux dépliante produite par Brown & Bigelow, illustrée par Bill Medcalf, vers 1948.


L’extravagant ancien détenu – et PDG de l’entreprise de calendriers Brown & Bigelow – Charlie Ward,

réputé pour ses fêtes d’antho­ logie, ses voitures exotiques ses dents en or massif et ses superbes calendriers de pin-ups.



ment aux rumeurs, ce ne fut pas lui qui fit chavirer le canoë d’Herbert Bigelow sur le lac Basswood le 19 septembre 1933, le laissant se noyer pendant que son guide nageait jusqu’à la rive. Ce fut Charlie qui hérita de la société et d’un tiers de la fortune de Bigelow, selon un testament rédigé peu avant l’accident. On ne sut jamais qui avait recruté le guide de Bigelow. Ainsi débuta le règne de Ward et l’âge d’or de B&B. Charlie se mit aussitôt à recruter d’anciens détenus et aidait en douce des hommes en prison. Dans son livre John Dillinger Slept Here, Paul Maccabee raconte qu’en 1933, Ward donna au gangster Bugsy Siegel 100 000 dollars pour aider deux tueurs de la mafia à s’évader d’une prison du Minnesota. Compte tenu de l’année, on ne peut que faire le lien avec l’« accident » de Bigelow. À son honneur, Ward traitait les ex-détenus comme tout employé, les harcelant, récompensant les plus performants avec des primes et des peintures de pin-up originales, virant les autres. Le turn-over était tel que ses anciens employés devinrent vite ses plus Page ci-contre et ci-dessous : L’artiste Gil Elvgren photographiait ses modèles et travaillait à partir de ces clichés, comme les études de nu pour Elegance, peints en 1950 pour ce calendrier Brown & Bigelow de 1952. à droite : Après trois années passées à fouiller les caves et les greniers du Midwest, l’éditrice Dian Hanson est fière de présenter le premier exemplaire, avec son classieux boîtier transportable.

grands concurrents, ainsi de la compagnie Shaw-Barton. S’il était impitoyable avec ses représentants, Ward payait ses artistes mieux que quiconque, loin devant les magazines. En 1939, George Petty recevait 100 dollars par pin-up publiée dans Esquire, alors que B&B le payait 1 000 dollars pour une peinture similaire. Tous les illustrateurs rêvaient de signer chez B&B. Ward donnait également d’une façon si ostentatoire à des organismes caritatifs que Life le baptisa « l’homme le plus généreux du monde ». Ceux au fait de la comptabilité de B&B rétorquèrent que Charlie Ward était d’abord généreux envers lui-même, estimant en 1955 que son train de vie coûtait un million de dollars par an à la société. Il possédait plusieurs propriétés, dont une ferme de 810 hectares avec bisons dans le Wisconsin, un ranch de 32 375 hectares en Arizona et une maison sur la côte de Californie pour bronzer nu. Il voyageait partout avec domestiques et assistants. Il possédait une flotte de voitures de luxe avec vitres pare-balles ; des holsters faits sur mesure ; donnait des fêtes pour des centaines d’invités qu’il couvrait de cadeaux précieux et nourrissait de gibier rare ; avait des briquets en or à son nom plein les poches, qu’il distribuait comme pourboire ; portait plus d’or et de diamants qu’une star du rap des années 1990. Au cas où son sourire ne serait pas assez clinquant.

« En 1939, George Petty recevait 100 dollars par pin-up publiée dans Esquire, alors que B&B le payait 1 000 dollars pour une peinture similaire. » Sa dernière folie fut pour le soixantième anniversaire de la compagnie en 1956. Quelque 1800 représentants, artistes et leurs familles grimpèrent à bord du plus gros avion civil de l’histoire de l’aviation américaine pour une bacchanale de quatre jours à Saint Paul, avec fontaines à champagne, cochons rôtis, faisans et bisons… Pourtant, les affaires ne marchaient pas fort. Ward avait fait entrer la société en bourse en 1948. Quelques années plus tard, son train de vie ruineux fit chuter les valeurs de B&B. Lorsqu’il mourut dans son sommeil dans une chambre d’hôtel de Beverly Hills le 26 mai 1959, à l’âge de 73 ans, il n’y avait personne pour assurer la relève de son

règne autocratique. Craignant une nouvelle chute des actions, B&B se vendit à la Standard Packaging Corporation, qui effectua un dégraissage draconien avant de la revendre à Saxon Industries en 1970. Cette dernière fit établir un catalogue de toutes les peintures de pin-up de B&B. Plus de 1 000 œuvres signées Armstrong, Buell, Elvgren, MacPherson, Moran, Mozert, Munson et Runci furent mises en vente entre 25 et 300 dollars… puis le reste fut bradé à 100 dollars le lot de dix. Saxon, en faillite en 1983, fut rachetée en 1988 par William Smith Sr., un ancien représentant de Ward. Smith dirige toujours B&B avec ses deux fils. Bien que les originaux soient partis et que les calendriers ne soient plus le produit phare de la société, les Smith ont conservé ses archives ainsi que les droits d’auteur correspondants, délivrant les autorisations d’utilisation des images de Gil Elvgren, Earl Moran, Rolf Armstrong, Zoë Mozert et d’autres.

XL

The Art of Pin-up Dian Hanson Relié, 544 pages € 150


« L’œuvre joyeusement fantaisiste d’Art Frahm présente de jeunes et jolies épouses au teint frais qui essaient de tracer leur route dans ce bas monde et se retrouvent la culotte aux chevilles. » — Sarahjane Blum, Grapefruit Moon Gallery

The Shakedown, une des 12 illustrations d’Art Frahm pour un calendrier sur le thème

de l’« embarras », où une jeune femme chargée de provisions se trouve trahie par ses sous-vêtements devant tout le monde, 1955.

Come and Get It, de Gil Elvgren,

fait partie dans le livre d’un dépliant de quatre pages consacré au pin-ups cowgirls d’Elvgren ; d’autres dépliants figurent dans les chapitres sur George Petty et Alberto Vargas.

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Calendrier pour les pneus Kelly Springfield par Bill Medcalf,

édité par Brown & Bigelow. Medcalf, qui travaillait à plein temps pour B&B, était aussi doué avec les voitures qu’avec les femmes, si bien qu’il récupérait tous les contrats en rapport avec l’automobile. La Monument Valley offre ici un arrière-plan spectaculaire, vers 1954.

Tableau d’Earle Bergey, célèbre artiste qui réalisa moult illustrations de couverture, notamment pour Silk Stocking Stories et High Heel Magazine, vers 1935.

Miss Janvier, par George Petty

pour le calendrier 1952 des outils RIDGID. Petty, le célèbre dessinateur de pin-ups du magazine Esquire, illustre les calendriers RIDGID en 1952 et en 1953. Ils sont aujourd’hui, et de loin, les plus recherchés des 80 calendriers édités par l’outilleur entre 1935 et aujourd’hui.

« Pourquoi ces chaussons de danse ? Contrairement au téléphone, fort pratique pour caser les légendes, Petty n’a jamais expliqué leur présence récurrente. » — Dian Hanson

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Le Voile, d’Alberto Vargas,

est daté de 1924, mais nous savons ­maintenant que Vargas a repris ses œuvres précoces des années plus tard pour y rajouter des dates, souvent fausses. La technique employée pour ce nu le place dans sa période Twentieth Century Fox, entre 1930 et 1939.

Quand Vargas travailla pour Esquire, le rédacteur en chef

lui demanda de raccourcir son nom et de signer Varga. Quand il se libéra de son contrat avec le magazine, en 1948, il publia son propre calendrier de pin-ups sous le nom de Varga, présenté ici, et fut aussitôt attaqué en justice par Esquire, qui avait déposé son pseudonyme.

Toile de Peter Driben, pour la une d’octobre 1950 de Wink,

magazine créé en 1944. Wink fait partie des six célèbres magazines publiés par Robert Harrison dans les années 1940 et 1950, avec Beauty Parade, Eyeful, Titter, Flirt et Whisper, dont les unes portent toutes la signature de Driben.

« La vie d’Alberto Vargas a été une histoire d’amour. Il adorait sa mère, il adorait sa femme, il adorait les femmes et il adorait peindre. » — Theron Kabrich, San Francisco Art Exchange

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Paris sera toujours paris La collection la plus exhaustive jamais publiée sur Robert Doisneau et l’œil magistral qu’il posa sur l’expérience humaine


« Je fais un reportage sur Saint-Germain-des-Prés – les caves, la faune, et les artistes, enfin tout ce qui constitue l’extrême pointe de la civilisation occidentale. » — Robert Doisneau

Chez Inès, Saint-Germaindes-Prés, 1949


Le vélo de Tati, Paris, 1949

Jacques Tati fait partie des nombreux artistes photographiés par Doisneau, qui maîtrisait autant le portrait que les photos de groupe.

« C’est l’artiste le plus minutieux que je connaisse. Tati a démonté lui-même pendant deux heures la vieille bicyclette. Il a la même patience avec toutes les mécaniques : le gag n’est rien d’autre qu’un mouvement d’horlogerie. » — Robert Doisneau


Mademoiselle Anita, La Boule Rouge, Paris, 1951

C’est en se promenant à pied dans les banlieues de Paris que Doisneau a réalisé nombre de ses clichés aujourd’hui mythiques, comme ce portrait de M ­ ademoi­selle Anita, le manège de Monsieur Barré ou les Bouchers musiciens.

Bal rue de Nantes, juillet 1955

On distingue le poète Jacques Prévert, ami de Doisneau, dans le coin droit.

Robert Doisneau Jean Claude Gautrand Relié, 540 pages € 49,99

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L’illustratrice d’origine hollandaise Beatrice Braun-Fock

quitte Amsterdam pour Munich avec sa famille à l’âge de treize ans. Elle publie son premier livre illustré en 1919. Elle collabore avec nombre de célèbres auteurs de littérature enfantine, comme Paul Alverdes et James Krüss, et illustre plus de cinquante recueils entre 1919 et 1960. Les illustrations qu’elle réalise pour L’Hiver et les enfants sont frappées au coin de l’humour et de la liberté.


« Le livre idéal pour les veillées autour d’un chocolat chaud et de chamallows moelleux. »

Contes étincelants pour la belle saison d’hiver Récits d’hiver du monde entier


la

Moufles

Les enfants des lumières boréales

des neiges

Écrit par Florence Slobodkin et illustré par Louis Slobodkin (1958)

Écrit et illustré par Ingri et Edgar Parin d’Aulaire (1935)

Écrit par Tadeusz Kubiak et illustré par Zbigniew Rychlicki (1968)

Les jumeaux ont perdu une moufle rouge, et tout le quartier la recherche.

Un frère et une sœur lapons racontent un hiver dans le Grand Nord scandinave.

Un mystérieux visiteur met fin à l’hiver du Roi des Neiges.

à foison

le

Ballade du roi

Le voyage au Pays

Noël du cow-boy

des Biscuits de Noe¨l

Écrit et illustré par Joan Walsh Anglund (1972)

Écrit et illustré par Einar Nerman (1939)

Un garçon et son ami imaginaire, Ours, se préparent pour le grand jour.

Un frère et une sœur vivent un voyage magique.

L’hiver et les

enfants

Neuf

jours jusqu’à

Noël

Le voyage de Petite

MARILENA

Écrit par Hilde Hoffmann et illustré par Beatrice Braun-Fock (1959)

Écrit par Marie Hall Ets et Aurora Labastida et illustré par Marie Hall Ets (1957)

Écrit et illustré par Sibylle von Olfers (1905)

Quand la première grosse neige tombe sur la capitale, l’école est fermée.

Une petite fille attend avec impatience sa première posada, une fête traditionnelle de Noël en Amérique latine.

Les flocons de neige font une surprise à Petite Marie en la conduisant jusqu’à la Reine des Neiges.


Nos amis les bêtes

Écrit par Laura Nelson Baker et illustré par Nicolas Sidjakov (1957) Dans l’étable, les animaux choisissent leurs cadeaux en attendant la naissance de Jésus.

La Nuit avant Noël

le

cheval rouge

Écrit par Clement C. Moore et illustré par Jessie Willcox Smith (1912 ; texte de 1822)

Écrit et illustré par Elsa Moeschlin (1935)

Saint Nicolas et ses rennes répandent la joie sur leur passage dans ce grand classique de Noël.

les douze jours de Noël Écrit par un auteur anonyme et illustré par Ilonka Karasz (1949) Le célèbre chant de Noël d’origine médiévale revu et illustré.

Un garçon reçoit comme cadeau de Noël un cheval de Dala magique.

Moy Moy Écrit et illustré par Leo Politi (1960) Une petite sœur aide la famille à préparer le Nouvel An chinois.

Malgré ses paysages dépouillés et le froid qui y règne, l’hiver a inspiré quelques-uns des récits les plus chaleureux et les plus magiques de l’histoire. Autour du monde, cette saison de fête, de glace et de neige, de religion, de traditions et d’aventures a donné naissance à des classiques comme le poème C’était la nuit de Noël, un peu avant minuit de Clement Moore ou des récits pittoresques comme la relation d’une procession de l’Avent à Mexico. Les Contes d’hiver de TASCHEN rendent hommage à la grande variété de récits d’hiver, à travers treize histoires datant de 1823 à 1972. Dus à des auteurs et illustrateurs d’Allemagne, des ­ États-Unis, de Hongrie, d’Italie, du Mexique, de Russie et de Scandinavie, ces contes évoquent, entre autres, la joie des premiers flocons, la première sortie à ski ou la perte de moufles, les préparatifs pour accueillir le Père Noël ou le Nouvel An chinois. Les contes de ce recueil ont été choisis avec soin pour leurs illustrations enchanteresses et leurs intrigues émouvantes. Ils fourmillent d’histoires ancrées dans les différentes cultures.

Contes d’hiver. 13 histoires pour les soirées d’hiver Noel Daniel (éd.) Relié, couverture entoilée, 324 pages € 29,99


9 novembre 1960. Il est 11 h du matin, heure de la côte Est, le lendemain du scrutin, et Nixon n’a toujours pas reconnu la victoire

de son adversaire, à qui il manquerait le soutien de onze grands électeurs pour l’emporter définitivement, mais qu’une chaîne de TV a déjà annoncé vainqueur. 90 minutes plus tard, les résultats du Minnesota donnent un avantage définitif à JFK, qui reçoit peu après le télégramme suivant : « Je vous réitère dans ce câble les félici­tations et les meilleurs vœux que je vous ai adressés la nuit dernière à la télévision. Je sais que vous avez le soutien de tous les Américains unis derrière vous, tandis que vous conduirez ce pays en défendant la cause de la paix et de la liberté au cours des quatre prochaines années. » Herb Klein lit ce même texte en direct devant les caméras : Nixon a enfin admis sa défaite. Photo : Henri Dauman


Le feuilleton numéro un de l’Amérique


Superman débarque au supermarché La campagne présidentielle de Kennedy en 1960 sous l’œil acéré de Norman Mailer

Personne ne doutait trop que Kennedy allait être désigné comme candidat, mais s’il était élu il deviendrait le plus jeune Président jamais choisi par l’électorat et, de surcroît, marié à la Première dame la plus classiquement belle de toute notre histoire. De ce fait, le mythe allait nécessairement refaire surface une nouvelle fois puisque la politique nationale allait devenir aussi le film préféré des Américains, leur feuilleton numéro un, leur grand best-seller. On pense ici au talent d’écrivains tels que Taylor Caldwell ou Frank Yerby. Ou bien le travail de l’auteur de ces lignes risquait même d’être invoqué ? « Eh bien, tu as ici ton hipster en chef », dira un écrivain qui fait partie de ses connaissances croisé à la convention, « Sergius O’Shaugnessy né dans une famille riche ! », et on serait tenté de hocher la tête car cela ne parait pas si faux : un héros de la guerre – et dans son cas l’héroïsme est avéré, et même exceptionnel –, un homme qui a vécu avec la mort, qui grièvement blessé dans le dos a accepté de subir une opération qui pouvait le tuer ou lui redonner sa puissance, qui a choisi d’épouser une jeune dame dont le visage pourrait s’avérer trop troublant pour une démocratie affectionnant les Premières dames expertes en vie domestique, qui flirte avec le suicide politique en décidant de se risquer à briguer la nomination de son parti quatre, huit

ou même douze ans avant que ses aînés politique ne le jugent prêt pour ce faire, qui proclame une semaine de l’ouverture de la convention que les jeunes sont mieux équipés que les vieux pour donner un sens à l’histoire…Cela retient l’attention, certainement. Celui-ci n’est pas le candidat habituel, qui répond à chaque défi en consultant son manuel de sécurité politique. (« Oui », fait Nixon, naturellement mais épuisé une heure après sa propre nomination, « Oui, je voudrais dire… que les capacités que je pourrais avoir… je les dois à ma mère… » Un silence fatigué qui se veut être maladroitement emphatique, puis : « …et à mon père… et à mon école, et à mon église. » Des gens pareils sont capables de tout.) Les jours qui suivirent, on a eu l’occasion d’observer un peu Kennedy. Pour les conférences de presse, il a déployé un style intéressant. Bien que modérément apprécié des journalistes – trop proche en âge et néanmoins trop difficile à suivre, il n’a pas obtenu le quart des applaudissements qu’ils ont réservé à Eleanor Roosevelt, à Stevenson, à Humphrey, ou même à Johnson – , il a manifesté une aisance tranquille qui paraissait indifférente aux acclamations, son attitude était comparable à celle d’un

bon boxeur, les mains vives, le rythme précis et toujours à deux pas de son corner quand la cloche sonnait la fin du round. Il y avait une légèreté sagace dans ses réponses, le brio sec d’un ancien de Harvard et un vrai sens des proportions quand il esquivait les questions difficiles, donnant à chaque fois une réponse techniquement suffisante sans pour autant s’exposer à une autre qui aurait pu l’entrainer plus loin que la première. Cela étant, il y avait quelque chose d’évasif et de détaché dans tout son comportement. On ne le sentait pas présent de tout son poids et de tout son esprit dans la pièce. Johnson, lui, vous donnait tout de lui, c’était une bête politique qui respirait et transpirait comme telle, et il était clair qu’il s’investissait tout entier dans la complexité des manœuvres et des faits politiques, alors que Kennedy faisait parfois penser à un jeune professeur qui, tout en étant présent

« Il manifestait une aisance tranquille qui semblait indifférente aux acclamations et son attitude était comparable à celle d’un bon boxeur, les mains vives, le rythme précis et toujours à deux pas de son corner quand la cloche retentissait. » à son cours, avait clairement la tête accaparée par la rédaction de sa thèse de doctorat. Il était comme un acteur choisi pour tenir le rôle de candidat, bon mais non excellent

Toutes les illustrations © Edwin Fotheringham — 74 —


puisque vous ressentiez en permanence que le rôle et la personne ne collaient pas vraiment. C’était que l’acteur paraissait un brin trop distant pour se fondre dans son rôle. Toutefois, on avait du mal à décider s’il fallait aimer cette nature insaisissable du personnage ou s’en inquiéter. Etait-on en présence d’une sensibilité remarquablement honnête,ou d’un être détaché qui n’était pas entièrement en accord avec soi-même ? Quand Johnson parlait, on séparait aisément le faux du vrai, de ses réels sentiments. Il aurait été un acteur aussi bon que Broderick Crawford ou Paul Douglas : on lisait dans ses émotions, ou en tout cas on avait l’illusion de le faire. La voix de Kennedy, en revanche, était simplement une voix claire, trop flûtée, presque stridente, avec la sécheresse métallique d’un criquet, elle était plus impersonnelle que l’homme lui-même et se muait donc en l’élément le moins impressionnant d’un visage, d’un corps, d’un choix de langage et d’un style de mouvement qui au total offraient une présentation plus que passable, meilleure qu’on ne l’aurait attendu. […] Son apparence dégageait une intensité subtile, presque impossible à décrire, peut-être le signe d’une chaleur sèche refoulée en luimême. Ses yeux étaient son attribut le plus impressionnant au point de choquer presque, grands, les pupilles grises, le blanc remarquable, des yeux d’alpiniste. Son aspect extérieur se modifiait en fonction de son humeur, de façon saisissante, et c’était ce trait qui le rendait toujours plus intéressant que ce qu’il était en train de dire. À un moment, il paraissait plus âgé qu’en réalité, quarante-huit ou cinquante ans, un professeur à la taille élancée et à l’agréable visage tanné et buriné par le soleil ; cinq minutes plus tard, lors d’une conférence de presse sur sa pelouse, son apparence semblait

« Kennedy avait une douzaine de visages. Bien que leurs personnalités n’aient rien en commun, cette particularité rappelait quelqu’un comme Brando… » avoir subi une métamorphose puisqu’il ressemblait à nouveau à une star de cinéma. Kennedy avait une douzaine de visages. Bien que leurs personnalités n’aient rien en commun, cette particularité rappelait un Marlon Brando, dont l’expression varie rarement mais dont l’apparence semble passer d’une individualité à une autre en

« Le mythe allait nécessairement refaire surface une nouvelle fois puisque la politique nationale allait devenir aussi le film préféré des Américains, leur feuilleton numéro un, leur grand bestseller. »

quelques instants. Or, à l’instar de Brando, la caractéristique principale de Kennedy est son air lointain et solitaire, l’air d’un homme qui a traversé seul un terrain d’expérience ardu, qui a perdu et gagné, qui a vu la mort de près et que tout cela a contribué à isoler de la masse. […] En m’entretenant avec une personne qui avait vu Kennedy à sa résidence de Hyannis Port une semaine avant la convention, j’ai appris se ­trouvait dans un état d’extrême fatigue. « Ah bon, mais il n’avait pas l’air fatigué à la convention », a-t-on observé, et la réponse : « Oh, il a eu trois jours de repos, et trois jours de repos pour lui, c’est comme six mois pour nous… » On repense à ces trois miles nautiques franchis à la nage avec cette courroie dans la bouche et McMahon cramponné à elle derrière lui. Il y a des pestilences qui s’installent dans la bouche et pourrissent les dents, et durant ces cinq heures combien de son psychisme a dû être refait, hurler la douleur dans ses mâchoires et cependant se servir de cette rage pour sauver une vie… il n’y a pas tant d’hommes à avoir cette notion apocalyptique que l’héroïsme est le meilleur docteur. Si l’on avait une critique sérieuse envers Kennedy, c’était que son esprit public était trop conventionnel, mais au final cela paraissait moins important que le simple fait qu’un tel homme accède à la charge ­présidentielle, car les lois de la vie politique étaient devenues tellement mornes et grises que seul un esprit conventionnel — 75 —

était en mesure de gagner une élection. Aucune politique capable de réchauffer les cœurs n’était possible tant que le pays n’aurait pas retrouvé son son appétit pionnier pour l’inattendu et l’incalculable. L’espoir résidait dans les changements qui viendraient peut-être après. Avec un tel homme au pouvoir, le mythe national serait à nouveau convoqué, et le fait qu’il soit catholique suffirait à envoyer une première onde de conscience existentielle dans le cerveau du Protestant blanc. Pour la première fois dans notre histoire, les Protestants seraient exposés, dans une proportion certes très minime, à l’effort et au luxe créatif de se sentir comme une minorité, et c’était là une expérience qui était susceptible d’acquérir une valeur incommensurable pour les meilleurs d’entre eux.

XL

Norman Mailer, JFK. Superman Comes to the Supermarket Relié, 370 pages € 99,99



11 juillet 1960. Si les ressources de JFK sont aussi nombreuses que variées, le rôle joué par les femmes du clan Kennedy est essentiel, à commencer par Jackie et jusqu’à la doyenne, Rose, en passant par les sœurs – Eunice (ici à gauche), Jean et Pat – et les belles-sœurs, Joan (au centre) et Ethel (à droite). Toutes se dévouent à la cause. Photo : Jacques Lowe

Mai 1960. JFK, qui lisait les journaux avec avidité, se tient sous la lumière

faiblarde d’un hall de Butler Aviation (LaGuardia Airport, New York) pour s’informer des derniers commentaires de la presse pendant sa campagne des primaires. Photo : Ed Clark

« S’il était élu, il deviendrait le plus jeune président jamais choisi par l’électorat et, de surcroît, marié à la Première dame la plus classiquement belle de toute notre histoire… » — Norman Mailer

21 octobre 1960. Quatrième et dernier « grand débat »

aux studios new-yorkais d’ABC. Un sondage dans vingt-trois villes importantes du pays conclut à un match nul. Photo : Cornell Capa


Env. 9-13 juillet 1960. Des partisans de Kennedy à l’hôtel Knickerbocker

d’Hollywood. La convention attirant de quarante-cinq à cinquante mille personnes, tous les hôtels du centre affichent complet. Si les principales manifestations vont avoir lieu au stade durant l’ultime suspense ­précédant la nomination, les activistes tiennent des rassemblements et improvisent des défilés un peu partout dans la ville au cours des journées précédant le vote final. Photo : Hank Walker

Automne 1960. En roulant à travers l’Illinois, le photographe Paul Schutzer tourne son appareil vers ses collègues reporters. L’idée aujourd’hui répandue que les médias étaient dans l’adulation de Kennedy est démentie en partie par Norman Mailer, qui affirmera que JFK n’était « pas terriblement populaire chez les journalistes : trop contemporain d’eux et en même temps trop ­difficile à comprendre… ». Photo : Paul Schutzer

5 avril 1960. Le soir des primaires dans le Wisconsin, Kennedy est interviewé

par une station de télévision locale. Des seize ­consultations démocrates de ce printemps, il en a retenu dix, évitant de se présenter dans des États comme l’Ohio, la Californie et la Floride, où des « fils préférés » (gouverneurs ou sénateurs du cru) sont les favoris. Sans consulter les experts du parti démo­crate, l’équipe de JFK a conçu une stratégie qui consiste à s’adresser directement aux citoyens, estimant qu’un nombre suffisant de victoires aux primaires dans des États-clés démontrera qu’il est capable de surmonter le handicap de sa jeunesse et de son catholicisme avant la Convention de juin. Et, de fait, ses succès dans le Wisconsin et en Virginie occidentale vont avoir un effet cumulatif important, le plaçant en position de remporter toutes les consultations suivantes. Photo : Stan Wayman

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« Son apparence semblait avoir subi une métamorphose puisqu’il ressemblait à nouveau à une star de cinéma. » — Norman Mailer

19 octobre 1960. Les Kennedy empruntent triomphalement

le « Canyon des héros » de New York sous un déluge de serpentins et de confettis. Photo : Cornell Capa

8 novembre 1960. Dans son ­discours télévisé depuis l’hôtel

Ambassador, avec Pat en larmes à ses côtés, Nixon déclare : « Quand je regarde le tableau des résultats ici, même s’ils ne sont pas encore complets (…), dans le cas où la tendance actuelle se maintient, le sénateur Kennedy sera le prochain Président des États-Unis. » Comme Herb Klein, l’un de ses conseillers l’explique ensuite, ce n’est pas une reconnaissance explicite de sa défaite mais une admission conditionnelle, qui reste ouverte à une surprise de dernière minute. Photo : Lawrence Schiller

20 janvier 1961. Des cinq bals d’investiture organisés le soir à

Washington, le plus couru est celui qui se tient à l’Armurerie nationale. Là, rapporte un témoignage, « une immense étendue de fans de Kennedy attendent au coude-à-coude ». Photo : Paul Schutzer — 81 —


Une édition taille SUMO qui fera date, tirée à 1600 exemplaires, autorisée et signée par Mick, Keith, Charlie et Ronnie

également disponible en édition XL.



Page 83

Variation sur la pochette classique

de l’album Between the Buttons. Le photographe Gered Mankowitz explique la technique utilisée pour cette photo : « J’ai mis au point un filtre avec du carton noir, de la vaseline et du verre que j’ai attachés à la lentille de 50 mm de mon Hasselblad. J’ai ainsi donné à mes images leur aspect étrange, éthéré et légèrement psychédélique, les sujets disparaissant à l’arrière-plan telles des formes abstraites. » Gered Mankowitz. Primrose Hill, Londres (édition d’art nos 151 à 225)

Mick Jagger, New York, 2014 Photo : Brigitte Lacombe


TROIS ANS, QUATRE STONES, SOIXANTE VOYAGES AUTOUR DU GLOBE : 1 600 EXEMPLAIRES SIGNÉS Compiler la biographie officielle illustrée du plus grand groupe de rock du monde n’est pas seulement une entreprise créative hors du commun. C’est aussi un extraordinaire exploit logistique. Imaginez quatre stars internationales, quatre globe-trotters vivant et travaillant aux quatre coins du monde. Pour que chacun des 1 600 exemplaires soit signé par chaque membre du groupe, les feuilles à parapher ont été transportées de l’un à l’autre dans une trentaine de boîtes en aluminium spécialement conçues, jusqu’à ce que chacune porte la signature de Mick, Keith, Charlie et Ronnie. Une sacrée expédition : parcourant trois continents et des milliers de kilomètres, cette cargaison d’une valeur inestimable a accompagné les Stones en tournée à travers l’Europe et les États-Unis et a connu en chemin quelques péripéties, comme l’interception inexpliquée de plusieurs centaines de pages par les services de douane norvégiens. Au total, il aura fallu trois ans et deux tours du monde pour que les 1600 exemplaires recueillent la signature des quatre membres des Stones. Puis, les pages ont été expédiées à notre relieur en Italie, qui les a entreposées dans une chambre forte digne de Fort Knox jusqu’à ce que cet ouvrage historique soit imprimé, relié et enfin prêt. Une véritable odyssée pour la page la plus convoitée de la biographie officielle des Rolling Stones. Un motif de… satisfaction !


ladies and gentlemen…

Les Rolling Stones en photos

Variation sur un portrait de Mick Jagger pour la couverture de l’album Goats Head Soup David Bailey. Londres (Édition d’art nos 1 à 75) — 86 —


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« Ce livre, ce n’est pas que du rock’n’roll, c’est dévaler 50 années de souvenirs comme sur des montagnes russes ! » — Keith Richards

pierres qui roulent…

En décembre, TASCHEN inaugurera sa galerie à Hollywood, 8070 Beverly Boulevard, avec un événement exceptionnel: It’s just a shot away: A celebration of the greatest rock’n’roll band in photographs. À l’occasion de la sortie du livre, nous avons monté une exposition spéciale rassemblant des œuvres de David Bailey, Anton Corbijn, Ethan Russell, Gered Mankowitz, Bent Rej, Dominique Tarlé et plusieurs autres artistes majeurs. L’édition limitée et les tirages dédicacés seront proposés à la vente.

Ayant un peu de temps devant lui, Keith se met au piano.

« Chaque nouvelle chanson nous excite pendant un temps, puis on s’en lasse et on en écrit une autre. Mais quand on va en discothèque et qu’ils passent un de nos morceaux (généralement tout un album), ça nous fait un drôle d’effet. Au début, nous ­écrivions beaucoup pour les autres. Désormais, nous ne composons plus que pour nous. » Keith Richards, Melody Maker, 24 septembre 1966 Bent Rej. Copenhague (édition d’art nos 76 à 150)



Keith et Mick dans les coulisses

du Forum de Los Angeles. Ethan Russell. Los Angeles (édition d’art nos 301 à 375)


« C’est un boulot. C’est un boulot de mec, et c’est un boulot à vie. Et si y’a un connard pour le prouver un jour, j’espère que ce sera moi. » — Keith Richards


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Cette série de portraits des Stones en 1965 annonçait déjà leur flirt

avec le mouvement psychédélique, un an avant que la communion avec la nature ne devienne à la mode. Cette photo provient du shooting de l’enregistrement de la compilation Big Hits (High Tide and Green Grass). Guy Webster. Franklin Canyon Park, Los Angeles (édition d’art nos 226 à 300) — 93 —


« Nous avons eu la chance de travailler avec certains des plus grands photographes du monde, qui ont immortalisé beaucoup de moments magiques de notre carrière. Le livre rassemble des clichés incroyables pris sur cinquante ans. » — Mick Jagger

Détente après un concert au Népstadion le 8 août 1995, pendant la tournée Voodoo Lounge.

« Le nouvel album éponyme du groupe sent la rage et la gloire, et exsude l’essence même du Rock’n’roll qui porte l’emprunte des Stones depuis plus de 30 ans. » Barbara O’Dai, Rolling Stone magazine Anton Corbijn. Budapest, Hongrie (Édition d’art nos 376 à 450)



Produit en collaboration avec le groupe et signé par ses quatre membres, ce livre format SUMO retrace la remarquable histoire et le style de vie outrageusement cool des Stones, grâce à un accès sans précédent à leurs archives. Outre de nombreuses illustrations et un avantpropos du président Bill Clinton, ses quelques 500 pages comptent des clichés étonnants de David Bailey, Cecil Beaton, Anton Corjibn, Annie Leibovitz, Helmut Newton, Norman Parkinson, Albert Watson et plus de 60 autres photographes.




Tirage limité à 1 600 exemplaires au format SUMO, numérotés et signés par les quatre membres du groupe édition d’art*

nos 1 à 75 : David Bailey, Mick Jagger, 1973 (p. 87) € 12  000 nos 76 à 150 : Bent Rej, Keith playing the piano, 1965 (p. 88–89) nos 151 à 225 : Gered Mankowitz, Smiling Buttons, 1966 (p. 83) nos 226 à 300 : Guy Webster, Big Hits, 1966 (p. 92–93) nos 301 à 375 : Ethan Russell, Mick and Keith “laugh”, 1972 (p. 90–91) nos 376 à 450 : Anton Corbijn, Like a Rolling Stone, 1995 (p. 94–95) chaque exemplaire : € 8  000

édition collector

nos 451 à 1 600 : € 4  000 Disponible également en édition XL 33 x 33 cm : € 99,99

Rolling Stones éd. Reuel Golden Relié sous coffret de luxe, pages dépliantes, pages d’ouverture de chapitres sérigraphiées, 50 x 50 cm, 518 pages

SUMO Size


© 2014 Marvel, marvel.com

« Une pièce de collection fascinante et d’une folle beauté. » — Junot Díaz



Une histoire de puissants Bâtir la « Maison des Idées » Par Roy Thomas

C’est à Stanley Lieber, devenu « Stan Lee », que Goodman demanda de tenir la boutique au poste de rédacteur en chef, jusqu’à ce qu’il eût trouvé à Simon un digne successeur. Lee, qui avait à peine 19 ans, s’y attela avec enthousiasme.

« On parle de l’“industrie du comic book”, mais le mot “industrie” traduit mal la course folle qui voit tant d’entrepre­neurs, de spéculateurs, de commerçants, d’imprimeurs et de dessinateurs alimenter ce marché en plein boom… » — Gerard Jones

Namor, The Angel, The Masked Raider, ­Ka-Zar… Ces sacrés durs à cuire sont les illustres aïeuls de la pléiade de héros et de « vilains » Marvel qui se comptent aujourd’hui par milliers. Déjà, ils avaient la rage au cœur, et ils voulaient changer le monde. Eh bien vous savez quoi ? Ils y sont presque parvenus.

L’Âge d’or de Marvel Comics

Retour en 1934 : l’éditeur Martin Goodman publie déjà un certain nombre de magazines, sous différentes enseignes commerciales, dont Timely Comics. Dans une ­interview donnée en 1937 à la revue professionnelle Literary Digest, il résume ainsi sa philosophie éditoriale : « Si vous avez un titre qui marche, alors ajoutez-en quelquesuns, et attendez-vous à un joli bénéfice. » Ce credo sera le sien jusqu’à son dernier jour. En 1939, il découvre les comic books, ou plutôt ils se révélent à lui… Avant la parution de Captain America no 1, Timely accueille un nouvel employé :

­Stanley Lieber. Pour cesser de l’avoir dans les pattes, le rédacteur en chef Joe Simon lui propose alors de rédiger une nouvelle pour Captain America no 3. Le récit de deux pages intitulé « Captain America Foils the Traitor’s Revenge! » (« Captain America déjoue la revanche du traître ») qui en résultera sera la première histoire signée « by Stan Lee », et sa toute première collaboration avec Jack Kirby, auteur des dessins accompagnant le texte. Stanley Lieber, à l’instar de Jacob Kurtzberg et d’autres talents de la bande dessinée d’alors, préférait garder son vrai nom pour les grandes choses à venir. Double-page précédente : Amazing Spider-Man no 1. Couverture. Dessin, Jack Kirby ; encrage, Steve Ditko. Mars 1963. Ci-dessus : U.S.A. Comics no 1. Publicité interne. Dessin, Bill King (incertain). Août 1941. Ci-contre : Marvel Comics no 2. Essai de couverture. Aquarelle et gouache, Bill Everett. 1939. Page ci-contre : All Winners Comics no 4. Couverture. Dessin et encrage, Al Avison. Printemps 1942. — 102 —

Goodman se met alors à empiler les nouveaux titres, comme si le temps allait soudain lui manquer. Sa ligne Atlas ne tarde pas à devenir l’un des éditeurs de bande dessinée les plus prospères du pays : la moitié des comics semble arborer en couverture la petite sphère blanche, et cette nouvelle



« L’histoire monumentale d’un royaume tout en rouge, en bleu et en jaune, magnifiquement retracée dans un volume somptueux. Une restitution magistrale et captivante de tous les trésors forgés par les rêveurs qui nourrirent de leurs larmes et de leur passion l’influence inégalée de Marvel sur 75 ans de culture populaire. » — Glen David Gold


masse de titres asphyxiait littéralement les éditeurs plus modestes. Mais une menace plane, dont on put craindre qu’elle engloutirait Goodman et la totalité de l’industrie de la bande dessinée : l’indignation croissante d’une partie du public face à certaines tendances dérangeantes dans les comics. Au printemps 1954, année au cours de laquelle il se publia plus de comic books que

jamais auparavant, une sous-commission sénatoriale ouvre une enquête. Ses séances sont télévisées. En guise de témoin-vedette, elle entend le plus acharné de tous, le psychiatre Fredric Wertham. Lors de son audition, William M. Gaines, le patron d’EC, aggrave la situation en défendant une couverture qui montre un homme brandissant une hache sanguinolente et une tête de femme décapitée. C’est peu de dire que les éditeurs attendent avec angoisse les conclusions de l’enquête.

Le monde ne sera plus jamais comme avant !

Presque aussitôt après la mise en vente début août 1961 du Fantastic Four no 1 (daté de novembre), Lee et Goodman prennent conscience qu’ils ont touché une corde sensible. Les premiers chiffres ne sont pas tombés que les lettres d’éloge affluent dans les bureaux de Timely ! Leurs expéditeurs : des enfants, des préadolescents et même des adultes. Oh, il y a bien quelques récriminaPage ci-contre : The Incredible Hulk no 1. Couverture. Dessin, Jack Kirby ; encrage, Jack Kirby (attribution). Septembre 1962. Ci-dessus : Avengers Annual no 2 Intérieur. Scénario, Roy Thomas ; dessin, John Buscema ; encrage, Bill Everett. Été 1968. Ci-contre : Strange Tales no 89 Intérieur. « Fin Fang Foom! » Scénario, Stan Lee et Larry Lieber (attribution) ; dessin, Jack Kirby ; encrage, Dick Ayers. Octobre 1961. — 105 —

tions, certains lecteurs exigeant le rhabillage des héros en costumes ad hoc. […]

« Croyez-moi : faire partie de cette équipe, c’était le meilleur boulot du monde. » — Herb Trimpe

Mais dans l’ensemble, les commentaires sont furieusement positifs. Les lecteurs s’avouent bluffés par les interactions entre les personnages, tellement plus réalistes que dans Superman ou Batman. Même l’infâme Homme-Taupe suscite leur sympathie : quel gosse, quel adolescent ne se serait identifié à un être rejeté et haï parce qu’il ne trouve pas sa place au sein de la société ? Peut-être le parti pris d’écriture plus élaborée de Stan Lee était-il en train de payer. Bien sûr, le punch des dessins de Kirby est aussi un élément déterminant du succès. Quant à l’idée de fabriquer un héros à partir d’un monstre ridicule, c’est, à l’évidence, le coup le plus génial. Naturellement, Goodman se met en tête de décliner Fantastic Four. Puisque le personnage le plus réussi du magazine est Ben Grimm, le deuxième nouveau titre accueille non pas un superhéros en costume moulant mais une autre bizarrerie. The Incre­dible Hulk combine ainsi des éléments de


À gauche : X-Men no 4. Couverture. Dessin, Jack Kirby ; encrage, Paul Reinman. Mars 1964. Ci-contre : Fantastic Four no 59. Couverture. Dessin, Jack Kirby ; encrage, Joe Sinnott. ­Février 1967. Page ci-contre : Amazing Fantasy no 15. Dessin original, Steve Ditko. 1962.

­Frankenstein et de Docteur Jekyll et Mr Hyde. Lee aime écrire, au côté du dessinateur et coscénariste Steve Ditko, de courtes histoires fantastiques qui s’achèvent par un coup de théâtre (dans la veine de la série Twilight Zone). Aussi demande-t-il à Goodman de changer le titre et le format de Amazing Adventures. Trois semaines après Fantastic Four sort Amazing Adult Fantasy n° 7 (daté de décembre). Les huit parutions de AAF laissent un vibrant souvenir – mais pas les ventes. Alors, à partir du no 15 (été 1962), décision est prise d’en modifier à nouveau le titre, réduit cette fois à Amazing Fantasy, et d’y introduire un superhéros adolescent : Spider-Man. En deux ans, Lee et Ditko intègreront à la série un formidable ramassis de vilains en tout genre : le Vautour, Sandman, le Lézard, Électro, Docteur Octopus (Doc Ock pour les intimes). Mais ce sera surtout la tension entre les deux faces du héros — Peter Parker et Spider-Man — qui fera du magazine un succès immédiat. Sur les trois ans à venir, il ne cessera de monter en puissance jusqu’à devenir le deuxième comic book le plus vendu de l’entreprise, juste derrière Les Quatre Fantastiques.

La Nouvelle Génération

À l’été 1966, un jeune auteur-dessinateur (et ancien magicien) du nom de Jim Steranko se présente chez Marvel. Quand il en ressort, il a dans la poche une mission : dessiner S.H.I.E.L.D. Il commence en se basant sur les ébauches de Kirby puis prend très vite en charge l’intégralité du dessin et même de l’écriture de la série. Très influencé par Kirby, Steranko apporte néanmoins une ­inspiration visuelle héritée du cinéma, de

l’op art, du pop art et du surréalisme tendance Dalí. L’étoile montante, c’est lui. Il est aussi le premier nouveau dessinateur recruté par l’entreprise de Goodman en plus d’une décennie. En 1970, même si Kirby, son principal dessinateur, a quitté le navire, Marvel n’en est pas moins sur le point de dévoiler un nouveau genre… Les lecteurs de Marvel réclament à cor et à cri le lancement d’un magazine d’heroic fantasy. La fin des années 1960, en effet, a vu le succès impressionnant d’une ­succession de livres de poche reprenant les « pulp stories »

« Je crois que les comic books sont des contes de fées pour adultes… » — Stan Lee

écrites dans les années 1930 par Robert E. Howard et consacrées à un barbare nommé Conan le Cimmérien. L’initiative avait ­suscité moult imitations. À l’été 1970, Conan the Barbarian no 1 déboule dans les kiosques. Le scénario revient à Thomas et les dessins à Barry Smith. Après un lent démarrage, Conan sera l’un des ­best-sellers de Marvel dans les années 1970 et au début des années 1980. Fin 1972, Marvel, pour la première fois, dépasse DC en termes de diffusion, et devient le premier éditeur de bande dessinée de la planète. En dix ans, Marvel a peu à peu refait son retard sur son rival grâce aux innovations apportées depuis 1961 par Lee, Kirby, Ditko et Cie. La mé­­thode Marvel a fini par payer. Stan Lee n’écrivant plus de série régulière, des perspectives nouvelles s’ouvrent pour — 106 —

nombre de jeunes scénaristes : Steve Englehart signe des intrigues aussi décalées que captivantes dans The Avengers. Avec le dessinateur Sal Buscema, il refait de Captain America un titre phare, grâce à un feuilleton inspiré de l’affaire du Watergate. Len Wein, désigné par Thomas pour introduire dans Incredible Hulk un Canadien trapu et bouillant nommé Wolverine, travaille avec le dessinateur Herb Trimpe (et les élucubrations graphiques de Romita). Leur créature carnassière sera l’un des nouveaux superhéros les plus populaires des années 1970. Steve Gerber démontre un réel talent pour composer les histoires de L’Homme-Chose, qui tournent autour de personnages excentriques. Son invention la plus notable reste toutefois Howard le Canard : non seulement il deviendra la star de son propre périodique extravagant, mais il se présentera à l’élection présidentielle de 1976 ! Autre multitalent à émerger : Jim Starlin. D’abord dans Iron Man puis sur Captain Marvel, il introduit, en tant que dessinateur puis très vite comme scénariste, une ribambelle de personnages, héros et vilains. Frank Miller, jeune fan de BD du Vermont, devient dessinateur vacataire pour Marvel un an après avoir vendu ses premières œuvres à Western et à DC. Rétrogradé bimensuel, Daredevil boit la tasse. Son dessinateur attitré, Gene Colan, ne tarde pas à émigrer chez DC. Dès qu’il s’en occupe (no 158, mai 1979), Miller applique à l’un des héros Marvel les plus humains son style très personnel issu du film noir, qui fera rapidement du titre l’un des plus brûlants et des plus sombres de la famille Marvel. Il y a décidément du changement dans l’air. Et les années 1980 viennent à peine de commencer. Bientôt, le monde entier ouvrirait les yeux sur Marvel Comics.

XL

75 Years of Marvel Roy Thomas (éd.) Relié, 720 pages, avec frise chronologique en accordéon € 150




« Les deux ténors de l’édition qui s’associent pour créer un ouvrage de référence sur la bande dessinée ? Je fonce ! Tant que TASCHEN ne l’a pas couvert (littéralement), on ne peut pas dire d’un sujet qu’il a été complètement traité. J’adore leurs livres et ce Marvel XL est envoûtant. Sensationnel, même ! » — Kevin Smith

A Marvel-Ous Evening…

Affiche. Dessin et encrage, George Delmerico. 1972. Coup de jeune sur Carnegie Hall, à New York, ­devenu Maison des Idées le 5 janvier 1972 (« Un soir seulement ! »), avec Stan Lee, Spider-Man et consorts, l’équipe créative Marvel, en présence du metteur en scène Alain Resnais, de l’écrivain Tom Wolfe, du Beach Boy Dennis Wilson et du batteur de jazz Chico Hamilton. Le modernisme de l’affiche de Delmerico fit fureur.

Silver Surfer no 4

Couverture. Dessin, John Buscema ; encrage, Sal Buscema. Février 1969. « Comme Jack Kirby avant lui, John était un dessinateur qui voyait grand, mais alors que l’imagination de Jack ne connaissait pas de limites, John ancra toujours la sienne dans une réalité très tangible. Son trait était superbe, ses découpages et narrations efficaces autant qu’exubérants, et il savait créer des mondes aussi solides que le sol sous nos pieds. » — Gerry Conway

Conan The Barbarian no 4

Couverture. Dessin et encrage, Barry Smith. Avril 1971. Le découpage trahit encore l’influence de Kirby mais à partir de ce quatrième numéro de Conan, Barry Smith va donner libre cours à une inspiration foisonnante, source de trouvailles d’une constante subtilité. Son passage sur le personnage témoigne d’un processus de maturation parmi les plus impressionnants que la BD ait connus. À Archie Goodwin il confiera en 1981 : « Pour moi, Conan […] fut un pur coup de chance. N’importe qui aurait pu hériter du boulot… J’ai lu les Conan parce que Roy [Thomas] me l’a demandé. Avant je ne savais pas qui c’était. Les trois premiers numéros, ce ne sont guère que des histoires de superhéros en pagne. »

Nick Fury, Agent Of S.H.I.E.L.D. no 4

Couverture. Dessin et encrage, Jim Steranko. Septembre 1968. Pour qualifier son graphisme hors du commun, Steranko préférait au terme rebattu de « psychédélique » une expression nouvelle et de son cru : le zap art. C’était bien choisi car il savait créer un univers très contemporain en utilisant des techniques puisées à diverses sources – photographie, collage, affiches de cinéma, publicités… — 109 —


Nick Fury, Agent Of S.H.I.E.L.D. no 1

Intérieur. « Who is Scorpio ? ». Scénario et dessin, Jim Steranko ; encrage, Joe Sinnott. Juin 1968. Quand il avait 15 ans, Jim Steranko vit le film de Jules Dassin Du rififi chez les hommes, l’histoire d’un braquage de bijouterie exécuté dans le plus parfait silence des acteurs et en l’absence totale de musique de fond. Steranko s’en inspirera pour créer le climat, imposer le rythme et faire monter le suspense de cette histoire sans utiliser un seul mot de dialogue ou de narration, ni le moindre effet sonore.

Aux manettes

Photographie. Vers 1982. Stan Lee joue au jeu vidéo Spider-Man sur la console Atari 2600. Spidey triomphe, le Bouffon Vert enrage et les kids se préparent au prochain défi.

« “Roy le Rascal” et l’équipe de TASCHEN ont façonné avec minutie un livre d’histoire éblouissant… Ici, les vrais croyants parlent aux vrais croyants ! Tout est dit. » — Stan Lee

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Le style si particulier de Streisand

inaugura une nouvelle ère dans la mode marquée par l’acceptation et la célébration d’un glamour non conventionnel. Cette nouvelle tendance contribua à établir son image publique et la plaça à l’avantgarde de la mode à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Photo : Lawrence Schiller

Accord parfait De Funny Girl à Une étoile est née, l’ascension fulgurante de Barbra Streisand


Streisand dans le costume « coquin » de La Chouette et le Pussycat. Le portrait en couleurs fut utilisé pour les ­publicités du film, avec la légende : « Dans le métier de Doris, il faut savoir se vendre. » Photo : Steve Schapiro


La dernière diva Par Patt Morrison

Combien de photos ont été prises de Barbra Streisand ? Des dizaines de milliers ? Chaque cliché n’a pu capturer qu’un instant de sa vie trépidante, comme un arrêt sur image, un fragment de film. Pourtant, il est un portrait qui saisit les qualités les plus tenaces de Streisand. Ce n’est pas la Babs des années 1980 avec sa crinière de boucles dorées, ni la Barbra à l’impeccable carré, arbitre des élégances et figure politique de ce début de xxie siècle. Non, cette image de Steve Schapiro la montre le visage à demi dans l’ombre, avec le délicat accroche-cœur d’une ingénue, un regard de sibylle perdu dans le lointain et ce nez… le nez de l’empereur Hadrien, qui imprima

sa volonté sur le vaste monde (p. 116). Streisand se métamorphose aussi, à Holly­ wood, sous le regard de Lawrence Schiller. Schapiro et Schiller nous montrent une Streisand énigmatique, hiératique, exultante, songeuse qui, parfois, redevient la brave fille joviale de Brooklyn. L’idole d’une génération est le ringard de la suivante. Le temps, les circonstances, la chance et la force de volonté se sont donnés la main pour placer Streisand en dehors de toute mode. Seule Sarah Bernhardt, elle aussi jolie laide à l’attrait hors norme, juive qui fit de son statut de marginale la source de son pouvoir et devint son propre impresario, peut rivaliser avec Streisand dans la

maîtrise combinée de sa vie privée et de sa carrière. Au cinéma, quelques femmes ont tenté d’en faire autant. Mary Pickford, la première star de cinéma mondiale, forma United Artists en 1919 avec son mari Douglas Fairbanks, Charlie Chaplin et D. W. Griffith. Cinquante ans plus tard, Streisand fonda la société de production First Artists avec Sidney Poitier et Paul Newman. Si la victorienne Pickford, farouche adversaire du pantalon féminin, a

Scène un, première prise :

« J’étais ravi à l’idée d’immortaliser le tout premier clap de la carrière d’actrice de Barbra. » — Steve Schapiro, 11 juillet 1967.


Barbra Streisand avec une boucle d’oreille en perle, Los Angeles. Toujours prompte à se moquer d’elle-même, Streisand se qualifiait souvent de vilain petit canard. Le film Funny Girl et les photographies de Steve Schapiro durant le tournage brisèrent ce mythe. Photo: Steve Schapiro


regardé la cérémonie des Oscars à la télévision en 1969, on a sûrement dû la ranimer avec des sels lorsque Streisand est montée sur scène dans son ensemble à paillettes osé et spirituel. C’était la première lauréate d’un Oscar à se présenter en pantalon. Le col Claudine était le seul détail sage de sa tenue. Streisand indiquait clairement ses inten-

sur tous les aspects de son travail, plutôt que charmante et réservée, elle savait qu’elle s’exposait aux piques et aux bons mots cinglants. Qu’ont pensé les nababs d’Hollywood de cette diva de Brooklyn décidée à faire du cinéma selon ses propres règles ? Où était passée l’autre fille, celle qui jouait dans des comédies loufoques et se moquait d’elle-

Tirage limité à 1 200 exemplaires numérotés et signés par Steve Schapiro et Lawrence Schiller Salut, beauté ! Sur les plateaux, sur les routes et dans les studios, les photographes Steve Schapiro et Lawrence Schiller ont immortalisé l’ascension hollywoodienne de l’enfant chérie de Broadway. Cet ouvrage révèle plus de 100 images inédites – et l’envers des clichés.

édition d’art nos 1 à 100

édition limitée à 100 ex. numérotés, chacun accompagné d’un tirage gélatinoargentique Barbra for Harper’s Bazaar (1972) signé par Steve Schapiro, 40 x 30 cm

édition d’art nos 101 à 200

édition limitée à 100 ex. numérotés, chacun accompagné d’un tirage gélatinoargentique Streisand En Route to London (1969, voir pages 112-113) signé par Lawrence Schiller, 30 x 40 cm tions à Hollywood : je fais les choses à ma manière. Le premier album de Streisand sortit en février 1963, alors que paraissait le livre galvanisant de Betty Friedan, La Femme mystifiée. L’arrivée de Streisand sur la scène nationale coïncida ainsi avec la naissance du mouvement féministe moderne, qui demandait aux hommes de cesser de juger les

« [Ils] montrent une Streisand énigmatique, hiératique, exultante, songeuse qui, parfois, redevient la brave fille joviale de Brooklyn. » femmes sur leur allure et de les juger sur leurs compétences. Changer ce nez ? Pas question. Streisand ne cherchait sans doute pas à inciter les autres femmes qui n’avaient pas des mensurations parfaites à prendre autant d’assurance que leurs consoeurs cover-girls, mais ce fut pourtant le cas. Rétrécir ce nez eut été la mutilation la plus cruelle. Son visage intact était sa fortune. Si elle a avoué une phobie des scalpels, elle n’a en revanche jamais craint les poignards de Hollywood. Qu’ils viennent ! En se montrant franche et directe

même avant les autres. À cette époque, comme aujourd’hui, les qualités masculines étaient des défauts féminins. Un homme était déterminé ; une femme, tyrannique. Un homme avait l’esprit critique ; une fem­ me était un chameau. Mike Wallace, journaliste vedette de l’émission 60 Minutes, accusa Streisand d’être « totalement égocentrique ». Elle demanda pourquoi « les hommes ont le droit d’être obsédés par leur travail, alors que les femmes n’ont le droit d’être obsédées que par les hommes ». Après avoir été une des dix plus grandes têtes d’affiche durant une décennie, elle est passée derrière la caméra pour Yentl et Le Prince des marées. Les Oscars ont honoré son travail, mais pas la femme. Il fallut attendre 2010 pour que la statuette du Meilleur réalisateur revienne à une femme, et Streisand était là pour la remettre à Kathryn Bigelow. Cinquante ans se sont écoulés depuis la première de Funny Girl à Broadway ; depuis que, en l’espace de trois semaines, Streisand a fait la couverture de Time et de Life. Dans une critique parue le lendemain de la première, une légende sous sa photo déclarait : « Barbra Streisand imite une star ». L’encre du journal n’avait pas fini de sécher que le verbe n’était déjà plus le bon. Depuis cet instant et jusqu’à aujourd’hui, Barbra Streisand est une star.

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édition limitée à 1 000 exemplaires ­numérotés, chacun signé par Steve Schapiro et Lawrence Schiller

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Barbra Streisand by Steve Schapiro and Lawrence Schiller Relié sous coffret, 340 pages


Scarface, Ed Wood & l’été de L’amour

Kalendoscope, 1968

« Une série d’études de nu, extension artistique du fondamental naturiste... », comme par exemple projeter des cercles concentriques sur une paire de fesses.


Lorsque le pire cinéaste du monde devint psychédélique

Par Dian Hanson

sa maison, voyant que Playboy lui rapportait plus que Newsweek, il remplit ses rayons de revues explicites qu’il se procurait auprès du propriétaire d’un sex-shop local, Kenny Hannah, dit « le Jap ». En 1965, il était riche. Il s’associa avec le gangster Roger Dean Underhill et inventa la cabine de peep-show, qui fit sa fortune. La même année, il se lança dans la presse magazine. En 1970, il distribuait environ 40 % de la pornographie aux États-Unis dans quelques 500 sex-shops et cinémas X. On peut s’étonner que l’homme qui tua Kenny Hannah en 1970, Roger Underhill en 1978 et, entre les deux, un employé qui avait eu le mauvais goût de demander une

Ci-dessus : L’affiche de Michael Thevis diffusée par le FBI sur la liste des 10 criminels les plus recherchés. Le descriptif qui l’accompagne explique son surnom de « Scarface du porno ». En haut, à droite : Suck-Em-Up (1971) se veut un magazine vaguement spécialisé dans le plaisir oral et soutenu par les plaidoiries tordues d’Ed Wood Jr. En bas : Collage en double-page du magazine Groove, 1970.

Il suffit d’ouvrir un exemplaire de Balling ou de Way-Out pour comprendre quelle fascination la culture hippie a exercé sur les hétérosexuels à la fin des années 1960. Plus précisément, le sexe débridé et ces psychotropes qui, disait-on, provoquaient des extases inconnues du commun des mortels. De quoi rendre fou l’honnête homme qui, effaré puis curieux, finit par céder à son excitation extrême. Certains n’hésitèrent pas à exploiter cette concupiscence souvent inavouée. Michael Thevis, surnommé le « Scarface du porno », publia les plus extravagants des magazines de sexe psychédélique. Avec leurs nus écartelés sur fond tie-and-die, ils semblent ne pouvoir être l’œuvre que de vrais hippies, pourtant l’homme qui alimenta ainsi la contreculture américaine n’était autre qu’Ed Wood, le réalisateur de Plan 9 from Outer

Space, Glen or Glenda ou La Fiancée du monstre, films illustres pour leur nullité hilarante. Lorsqu’il débarque chez Thevis, Pendulum, Calga et Gallery, ses articles s’avèrent aussi désopilants que ses films. Pendant quinze ans, Thevis se démena pour élever trois enfants avec les maigres revenus d’un kiosque à journaux d’Atlanta. Au début des années 1960, quand on vint saisir

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« Belle ironie que l’homme inscrit sur la liste des 10 criminels les plus recherchés par le FBI décide de faire fortune avec la paix et l’amour. » augmentation, ait choisi d’investir dans le « Peace & Love ». Mais recruter un alcoolique pour rédiger des trips sous LSD dans Balling, Belly Button, Skin & Bones ou Wild Couples n’était pas non plus dépourvu d’ironie. Ed Wood travaillait pour Bernel Associates, l’éditeur des titres psychédé-


liques Nude Rebels et Cougar, avant de suivre son patron Bernie Bloom chez Thevis. Bloom admirait Wood, ce « génie fou », qui « osait faire ce que tout le monde avait peur de faire » et écrivait selon lui bien mieux ivre que la plupart des auteurs sobres. Wood a 44 ans quand il rejoint Pendulum. Ancien combattant connu pour avoir porté des sous-vêtements féminins au front, il n’a rien d’un hippy, mais ses élucubrations cadrent bien avec les motifs tourbillonnants et les filles aux jambes écartées de Wild Couples. À quoi servaient les textes, puisque les hommes n’achetaient ces revues que pour mater les filles ? La loi l’exigeait. Avant l’instauration du test de Miller en 1973, une œuvre prise dans son ensemble devait n’avoir aucune qualité littéraire, artistique, politique ou scientifique pour être jugée obscène. Les délires de Wood, ses critiques de films bourrées de sous-entendus, ses

« Wood écrivait mieux ivre que la plupart des auteurs sobres. » nouvelles et ses éditoriaux constituaient donc la valeur sociale de Balling. En 1968, Thevis publia même des versions illustrées de ses romans violents, Bye Bye Broadie et Raped in the Grass, avant de comprendre que tout ce qui était écrit n’était pas forcément de la littérature. Pour blanchir les bénéfices réalisés avec ses peep-shows, Thevis se diversifia et devint producteur de cinéma, finançant notamment Le Sang du dragon (1973) et le premier long-métrage À droite : Quatrième de couverture de Gallery, 1969, publié par Michael Thevis. Ci-dessous : Le premier numéro de Wild Couples, 1969, publié par Michael Thevis chez Pendulum, avec des textes d’Ed Wood Jr.

d’Oliver Stone, La Reine du mal (1974), mais aucun des trois films pornographiques d’Ed Wood. Ce dernier se garda de s’en plaindre : l’employé abattu par Thevis ­travaillait pour sa société Cinematics. Wood fut congédié en 1974, mais Pendulum continua à publier sa prose jusqu’à sa mort à 54 ans, en 1978. Cette même année, Michael Thevis apparut sur la liste des dix personnes les plus recherchées du FBI après s’être évadé de la prison où il purgeait huit ans pour tentative d’incendie criminel. Roger Underhill l’avait balancé à la police et, avant que le FBI ne le rattrape, Thevis se présenta chez lui et l’abattit d’un coup de fusil, tuant par la même occasion un ami de passage. Rapidement arrêté et condamné à la prison à vie, il mourut le 20 novembre 2013 au pénitencier Stillwater, dans le ­Minnesota, à 81 ans. Edward D. Wood Junior fut immortalisé dans le film Ed Wood (1994) et devint une icône culturelle. — 120 —

Il est désormais la divinité suprême d’une religion cybernétique, The Church of Ed Wood. Way-Out, Wild Couples, Nude Rebels, Balling et les autres continuent de vivre à travers les pages du nouvel album de TASCHEN, ­Psychedelic Sex.

The Psychedelic Sex Book Dian Hanson Relié sous coffret, 408 pages € 49,99


Collage photo psychédélique réalisé en 1967 par Bill Graham,

l’inventeur du rock business qui programmait des spectacles psychédéliques au Filmore, à San Francisco.


Le football des annĂŠes 1970

The beautiful game


Pelé et Beckenbauer dans les douches après leur match contre les Strikers de Fort Lauderdale, en Floride. Le fait que le photo­graphe ait pu immortaliser ce moment montre la différence entre les joueurs vedettes des années 1970 et ceux, surprotégés, d’aujourd’hui. Photo: Volker Hinz, Fort Lauderdale, 1977.


Dino Zoff, le gardien de but italien,

s’interpose pour repousser une attaque des Néerlandais, qui remportent ce match de poule du second tour sur le score de 2–1 et atteignent ainsi la finale aux dépens de l’Italie. Photo: Neil Leifer, 21 juin 1978


UN BUT, ET UN BEAU ! « Ces photos, aujourd’hui patinées par le temps, montrent surtout l’innocence de cette période, la magie et la puissance des pionniers de ce sport. » — Der Spiegel, Hambourg, Allemagne


Paillettes, chrome et rouflaquettes Ou comment le football s’est intégré à la culture pop des années 1970 sans perdre sa pureté Par Barney Ronay

journaux spécialisés dans toute l’Europe et en Amérique, conjuguée à une multiplication des droits de retransmission télévisée, sans oublier le fulgurant engouement de l’industrie du divertissement en général. Les footballeurs sont à la mode. Lib.r.s des vieilles structures clivées propriétaire/président/entraîneur, ils jouissent d’un nouveau statut qui se nourrit d’une idolâtrie assez adolescente. Le coup d’envoi de cette transformation est donné par la Coupe du Monde de 1970, au Mexique (la première retransmise en mondovision et en Technicolor), électrisée par le football imaginatif de

« Une nouvelle race de joueurs hollandais et allemands intelligents, charismatiques, souvent opiniâtres, influencent de façon déterminante la stylisation du football, sur les pelouses et en dehors. »

Johan Cruyff arrive à la douane française.

Son équipe de l’Ajax bat Marseille 2–1 lors du match aller du second tour de la Coupe d’Europe. Photo: Anonyme, Marseille, 20 octobre 1971.

Le football connaît dans les années 1970 une mue dont il renaît plus fluide, en adéquation avec son époque, revêtu d’un vernis de modernité où persiste l’empreinte du passé récent. Il donne l’impression d’une transformation sans déperdition, attisée par le vent d’innocence qui fait la magie de cette grande décennie. Le coup d’envoi de cette transformation est donné par la Coupe du Monde de 1970 au Mexique (la première retransmise en mon-

dovision et en Technicolor), électrisée par le football imaginatif de Pelé, Gérson et Jairzinho. L’Amérique du Sud établit les bases d’un certain glamour, mais c’est en Europe, giron des superpuissances du jeu, que la mue s’accélère. Les machines à gloire, avides d’icônes éphémères, étendent leur convoitise au-delà des bastions établis de la musique et du cinéma. Le facteur déterminant du changement fut l’expansion rapide des magazines et des — 126 —

Pelé, Gérson et Jairzinho. L’Amérique du Sud .tablit les bases d’un certain glamour, mais c’est en Europe du Nord, giron des superpuissances du jeu, que la mue s’accélère. Une nouvelle race de joueurs hollandais et allemands intelligents, charismatiques, souvent opiniâtres, influencent de façon déterminante la stylisation du football, sur les pelouses et en dehors. Dans ses stratégies tactiques aussi, le football européen d’élite est intellectuellement cohérent, tandis que s’installe la notion de « football total » selon laquelle, dans une équipe parfaite, tous les joueurs, à la fois solistes et rouages d’une machine admirablement huilée, doivent pouvoir jouer à tous les postes. Avec le football total, les joueurs prennent le pouvoir et déploient un style ambitieux, réfléchi, une sorte de théorie footballistique collectiviste. Mêmes les tenues de football combinent pureté et efficacité. Les équipes adoptent des couleurs franches, vierges de tout nom de sponsor ou de joueur. Pour la première fois, les maillots sont ajustés et modernisés,


Best, en 1970, devant sa boutique de vêtements,

un des magasins qu’il possède à Manchester. Il ouvre aussi une agence de voyage et deux boîtes de nuit, mais le succès commercial n’est pas au rendez-vous. Photo: Anonyme, 1970.

« J’ai claqué beaucoup d’argent dans l’alcool, les filles et les voitures de sport. Le reste, je l’ai gaspillé. » — George Best


afin d’accompagner au mieux les mouvements de joueurs exceptionnellement doués. Souillé par le délire combiné des équipementiers et des publicitaires, le football n’aura plus jamais la même allure. Les meilleurs de ces joueurs – causeurs, stratèges et entrepreneurs sans complexes –

arborent parfois une arrogance digne d’ambassadeurs de plein droit. Johan Cruyff est sans doute le premier de cette nouvelle génération de footballeurs européens branchés. Né à Amsterdam, formé à la pouponnière de l’Ajax avant de devenir le héraut du football total, Cruyff est aussi célèbre pour

ses aphorismes que pour sa combativité. […] Le capitaine de l’équipe de RFA, Franz Becken­­bauer, est tout aussi marquant. Né dans les ruines de Munich, il révolutionne le rôle du défenseur central par ses remontées de ballon. Footballeur à forte personnalité typique des années 1970, une sorte de cadre sup en short, incarnation de la maîtrise et de l’autorité, ce fils de facteur est devenu en 50 ans de carrière un emblème mondial du sport et le symbole d’une Allemagne qui a su se relever du marasme. Dans les années 1970, le footballeur alpha ressemble moins à un beatnik qu’à un publicitaire californien. Veste en cuir à larges revers, grosse médaille arborée au premier degré sur poitrail nu, voitures de luxe et meubles de créateurs, tels sont les attributs du nouveau joueur superstar, encouragé dans sa démesure par la collision entre des médias de masse et un sport qui se popularise. Le sponsoring devient pratique couEn haut : Les épouses de quatre joueurs anglais encouragent leur équipe qui affronte le Brésil : Kathy Peters (femme de Martin), Judith Hurst (Geoff), Tina Moore (Bobby) et Frances Bonetti (Peter). Photo: Anonyme Roger Parker, Guadalajara, 7 juin 1970. Page ci-contre, en bas : Supporters à la Coupe du Monde, en Allemagne. Photo: Neil Leifer, 1974.

Les David et Victoria Beckham de l’époque :

Bobby Moore et sa femme Tina, qui porte ici le maillot de son époux. Photo: Terry O’Neill, 1972.


rante, surtout depuis que Pelé a retardé la finale de la Coupe du Monde 1970 pour relacer ses crampons Puma. Franz Beckenbauer et Kevin Keegan font la promotion de l’eau de toilette Brut. Lorsqu’il débarque à Hambourg en 1977, Keegan est le joueur le plus médiatisé au monde. Premier footballeur à exercer son droit à l’image, il signe un raz-de-marée de contrats publicitaires pour son propre compte et fait même une incursion dans la musique, avec le single « Head over Heels ». En Allemagne, Günter Netzer fait l’expérience d’une version plus contrôlée du football de haut niveau. Lorsqu’il ne joue pas pour le Borussia Mönchengladbach ou le Real Madrid, ce milieu de terrain talen-

Günter Netzer en tenue d’entraînement de l’équipe ouest-allemande

avant le match amical contre la Grèce. Il ouvrira la marque et la RFA l’emportera 3–1. Photo: Anonyme, Le Pirée, Grèce, 20 novembre 1970.

« Dans les années 1970, le look du footballeur en mâle dominant ressemble moins à un beatnik avec un ballon qu’à un cadre d’agence publicitaire californien. » tueux, créatif, beau et blond gère un bar et collectionne les Ferrari. En France, « l’Ange vert » Dominique Rocheteau dégage lui aussi un charisme allemand délicat mais indéniable. La collusion entre football, mode et célébrité atteint son apogée dans la North American Soccer League, alors une start-up à la devanture tape-à-l’œil qui compte parmi ses simili franchisés l’équipe de Hawaii, le Chicago Sting, les San Diego Jaws, et bien sûr le regretté et inégalable Cosmos de New York. Pendant les deux années où le Cosmos se produit devant les 80 000 spectateurs du

stade des Giants, le show-business défile dans les vestiaires, et Pelé comme Beckenbauer arborent fièrement le maillot dessiné par Ralph Lauren. L’équipe du Cosmos, fondée en 1970 par deux cadres de la Warner, et le championnat dans la foulée, vit une mue radicale avec l’arrivée de Pelé pour un salaire record, et les Aztecs de Los Angeles enrôlent George Best et Johan Cruyff. Tout cela ne pouvait durer éternellement. Pelé prend sa retraite en 1977 et la NASL plie bagage sept ans plus tard, alors que les

années 1970 se dissolvent dans un monde plus carnassier. Depuis, le football s’est transformé sous nos yeux éblouis en une usine à divertissement mondiale, un univers sportif cohérent et froid, où ne transparaissent que de façon presque subliminale les racines boueuses et l’essence même de ce sport, réminiscence fugace de ce qu’il fut dans les années 1970, sa dernière décennie de réelle innocence.

Un splendide ouvrage ! — L'équipe

The Beautiful Game. Le football des années 1970 Reuel Golden (éd.) Relie, 300 pages € 39,99 — 129 —


Pelé exhibe sa Mercedes,

dont la plaque d’immatriculation rend hommage aux 1 000 buts qu’il a marqués au cours de sa carrière, la plupart avec Santos. Photo: Anonyme, 1970.


Confidences de vestiaires Une interview du photographe Volker Hinz par Reuel Golden

Vous avez eu la possibilité de photographier au plus près Franz Beckenbauer, à la fois en Allemagne et aux États-Unis. Comment cette relation privilégiée a-t-elle commencé et s’est-elle développée ?

Deux gars sympas se sont rencontrés. Le magazine Stern m’a commandé un reportage sur le transfert de Franz Beckenbauer de son club historique du Bayern à l’équipe des Cosmos de New York. Dans les années 1970, les vedettes étaient beaucoup plus faciles à approcher. Stern était le plus important magazine hebdomadaire allemand et m’ouvrait toutes les portes. Depuis, je l’ai photographié un grand nombre de fois, et avec lui les choses se font et se sont toujours faites facilement, en douceur.

Kevin Keegan dans les vestiaires

de Hambourg, 1978. Petit (à peine plus d’1,70m) mais costaud, il est surnommé « Mighty Mouse » lorsqu’il joue en Allemagne. Photo : Volker Hinz.

Quel genre de modèle était-il ?

Franz Beckenbauer est, aujourd’hui encore, un être attentionné et agréable. Quand nous nous croisons, il est toujours cordial : « Salut, Volker, comment va ? Ça fait plaisir de te revoir. »

Faut-il une approche particulière pour photographier des vedettes du football ?

Ce qui m’intéresse le plus, dans la photographie, ce sont les gens. Je ne suis pas un spécialiste du sport mais de l’humain. J’aime observer, décrypter mon sujet, et j’essaie que mes photos révèlent leur personnalité aussi fidèlement que possible.

Plus tard, quand Franz Beckenbauer est parti jouer en Amérique, vous avez immortalisé l’équipe et l’entourage des New York Cosmos, notamment, bien sûr, Pelé. Cette époque était passionnate ? Comment était Pelé ? Pelé et Beckenbauer sont deux types charismatiques, ; par conséquent, c’était un véritable régal de les observer. J’ai eu la chance d’être assez près d’eux pour le faire à chaque instant. J’essaie toujours d’être « invisible ».

Et trouvez-vous des différences entre la façon dont vous travailliez avec les sportifs emblématiques des années 1970 et photographier ceux d’aujourd’hui? À l’époque les stars étaient beaucoup plus relax. Aujourd’hui il y a une nuée d’agents et de RP autour d’eux. Les joueurs deviennent des produits, avec la sensibilité en plus.

Ce qui nous amène à la plus célèbre photo de foot que vous ayez prise : Pelé et Beckenbauer sous la douche. Racontez-nous l’histoire de cette photo incroyable.

Il suffisait d’être là ! Rester discret, faire le point, déclencher, disparaître. Pas un mot. Il n’existe que trois négatifs de cette scène, et le cliché parfait se trouve parmi eux. Pelé a un corps magnifique et Beckenbauer un beau petit cul. Ils étaient tous les deux très naturels, parce qu’il n’y avait aucun photographe dans le coin !

Le courrier adressé aux joueurs du Bayern de Munich

s’accumule au centre d’entraînement de la rue Säbener, pendant la saison 1976–1977. Le club y a ses quartiers depuis 1949. Photo : Volker Hinz. — 131 —


« Quand on pense à ses albums préférés, on revoit tout de suite leur pochette. Rock Covers rend hommage à cette discipline artistique avec ce recueil de 750 pochettes de disque qui ont jalonné l’histoire de la culture populaire. »


Rock Covers Robbie Busch, Jonathan Kirby, Julius Wiedemann ReliĂŠ, 2 volumes, 552 pages â‚Ź 39,99


DERRIÈRE LE RIDEAU DE FER Pendant 40 ans, la Guerre froide a dominé la scène mondiale. Les Allemagnes de l’Est et de L’Ouest se tenaient en première ligne de cette confrontation, incarnée par l’infâme Mur de Berlin, qui sépara tant d’amants, d’amis, de familles, de collègues et de compatriotes. Dédié à la période qui a mené à la chute du mur et aux années qui ont suivi, le Wende Museum de Los Angeles conserve et expose plus de 2 500 objets et documents, créations de designers ou d’industriels, extraits de la collection est-allemande. Le musée a été créé en 2002 pour rendre compte de la culture matérielle et visuelle de l’ancien bloc de l’Est, et pour ouvrir diverses perspectives sur son histoire polysémique, qui continue à façonner notre monde. Cadeau diplomatique, 1969

en commémoration du 20e anniversaire de la République Démocratique d’Allemagne. D’abord reconnue par les seuls pays du bloc de l’Est, la République populaire de Chine et la Corée, la RDA lance dans les années 1950 une campagne pour rétablir des relations diplomatiques avec d’autres régions du monde. Le dirigeant estallemand Erich Honecker se rend dans 38 pays et reçoit 50 délégations étrangères entre 1971 et 1989. De précieux présents étaient souvent échangés à l’occasion de ces rencontres officielles.

Plaque commémorative « Jour de la Libération », 1970

Porcelaine de Wallendorf. Après la Seconde Guerre mondiale, les manufactures de porcelaine comme Meissen opèrent au profit des réparations soviétiques et se regroupent plus tard en VEB (Usines du Peuple). Outre les services à thé, la vaisselle, les vases et les figurines délicates, ces manufactures produisent des plaques commé­moratives sous contrat avec le gouvernement de la RDA.


« Bons baisers de Moscou / du Chili / de l’enfer ? »

Affiche modifiée montrant Erich Honecker, le secrétaire général du Parti socialiste unifié d’Allemagne de l’Est, 1989. À la suite de la Révolution pacifique et de la chute du mur de Berlin, Honecker s’enfuit à Moscou. Après un bref passage en prison à Berlin, il termina sa vie au Chili.


Maquette du poste frontière entre Friedrichstrasse et Zimmerstrasse, années 1980

Stasi, département central VI, Berlin. À l’intersection de la Friedrichstrasse et de la Zimmerstrasse, non loin de Potsdamer Platz, se trouvait le poste frontière de haute sécurité réservé aux étrangers, aux membres du corps diplomatique et des armées occupantes (américaine, britannique et française), et à certains voyageurs munis d’autorisations. En face, côté Ouest, le long bâtiment blanc abritait le poste de garde des alliés, « Checkpoint Charlie ». Côté Est, la frontière se matérialisait sur six pâtés de maison rasés par les bombardements, où se dressaient miradors et barrages.

Le Mur longeant le quartier frontalier de Berlin-Neuköln, 1961

Aux premières heures du 13 août 1961, des équipes d’ouvriers de RDA escortées par des miliciens des Kampfgruppen (groupes de combat) posent les fondations de ce qui deviendra le Mur de Berlin. Plus de 160km de barbelés et de blocs de béton, jalonnés de miradors et balayés par des projecteurs, cernent Berlin Ouest et la coupent de la RDA.

« Ceux qui entraient à Berlin Est en face de Checkpoint Charlie devaient souvent faire la queue sous la pluie pour obtenir un visa d’une journée où faire viser leur passeport. En 1985, la moitié Est du poste était couverte et configurée de façon à rappeler un poste de douane international, comme le montre cette maquette compliquée, aussi utilisée pour l’entraînement des gardes frontières. »

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« La célèbre saillie de Mirabeau sur la Prusse des Hohenzollern (“La Prusse n’est pas un État qui possède une armée, c’est une armée ayant conquis la nation”) semble avoir un corrélatif est-­allemand : une police secrète ayant conquis la nation. »

Brochure sur « Les caractéristiques physiques des populations », 1970

Stasi, département central VI. Dépourvus de systèmes numérisés, les employés préposés au contrôle des passeports recevaient une formation intensive en reconnaissance faciale, étudiant notamment ces spécificités physiques difficiles à modifier (oreilles, fossettes, narines, paupières etc.).

Documents de reconnaissance faciale, matériel de formation des garde-­ frontières, 1970

Stasi, département central VI. La Stasi a tous pouvoirs : le courrier est ouvert, les domiciles sont placés sur écoute, les citoyens sermonnés et les dissidents emprisonnés pour « attitude négative hostile » ou « activités non-conformistes ». La Stasi accumule au fil du temps quelque 180km de dossiers, un million de photos et 200 000 bandes pour contrôler la population. Les oreilles et les yeux de l’État semblent être partout.

« Pour assurer à la Stasi (la police secrète) un accès à ce que la technologie offrait de meilleur, les agents estallemands récupéraient les appareils employés par leurs homologues de l’Ouest et leurs alliés soviétiques afin de les étudier, de les utiliser, et parfois de les détourner. »

Plateforme de communication de la Stasi, années 1960

Produite en URSS. La Stasi disposait d’un large éventail d’outils pour espionner à domicile et à l’étranger : appareils d’écoute, d’enregistrement et de communication, générateurs électriques… Cet équipement à l’allure lourdaude était alors à la pointe de la technologie. — 137 —


« L’histoire économique de la RDA se raconte aussi à travers les plans économiques lancés à partir de 1949. À l’image ce qui se passe en URSS, les planificateurs est-allemands assoient leur autorité en fixant des quotas, à la fois pour remonter le moral des masses et pour mesurer les progrès accomplis. »

Affiche « La reconstruction progresse si vite qu’aucun mensonge ne nous atteindra », 1954

Nombre d’affiches et de tracts politiques sont imprimés pour promouvoir le premier plan quinquennal de la RDA, qui se veut une riposte au Plan Marschall.

Affiche « 2e rencontre des Jeunes Pionniers », 1955

Rares étaient les parents prêts à stigmatiser leurs enfants en leur refusant de porter le foulard bleu des Junge Pioniere (Jeunes Pionniers), une organisation similaire aux scouts, lorsqu’ils étaient en âge d’entrer à l’école. Plus de neuf jeunes sur dix juraient ainsi de servir l’État, entraient ensuite aux Pionniers de Thälmann à 10 ans, puis à la Freie Deutsche Jugend (Jeunesse Libre d’Allemagne) au lycée.

Mascotte de la Foire de Leipzig, 1964

La Seconde Guerre mondiale avait interrompu une des grand-messes allemandes : la Foire de commerciale de Leipzig. Cette institution marchande inaugurée en 1165, une des plus anciennes foires d’Europe, est ravivée en 1946 sous occupation soviétique. Après la formation de la RDA, en 1949, il devint évident que la Foire servirait désormais de vitrine à l’industrie du bloc de l’Est. Habituellement paranoïaques à l’égard des visiteurs étrangers, les autorités est-allemandes montraient un visage tout différent pendant la Foire, au printemps et à l’automne. — 138 —


Ouvriers d’une usine de métallurgie posant devant un panneau où sont affichés les résultats et la progression vers l’objectif fixé par le gouvernement. Oderbruch, Brandenburg, 1990. Photo : Harald Hauswald



Extrait de Histoire de notre Entreprise – Un chapitre de l’amitié germano-soviétique, 1981-1982 Œuvre collective du « Cercle Peinture et Graphisme » dirigé par Karl-Erich Koch, Teltow


« Les Allemands de l’Est voyageaient souvent à l’intérieur de leur pays, pour passer du temps dans les nombreux établissements de santé et de loisirs mis à disposition par l’État. Les déplacements en dehors de la RDA, mais toujours au sein du Bloc de l’Est, n’étaient autorisés qu’aux citoyens qui avaient prouvé leur loyauté et à ceux qui participaient à des visites de groupe dans d’autres pays communistes. »

Album de famille, 1966

En RDA, la cellule de base était rarement l’individu dans le sens occidental du terme, mais plutôt la « collectivité », la famille, l’équipe, le syndicat des copropriétaires, l’entreprise, ou la brigade. Les albums, qu’ils soient privés ou financés par l’État, montrent comment souvenirs individuels et collectifs ont évolué en RDA sur plus de 40 ans.

Carte postale, Hôtel Pomorie, Bulgarie, 1984 Piscine sur le pont du « MS Völkerfreundschaft »,

le luxueux bateau de croisière réservé aux dignitaires du parti et aux privilégiés du régime, 1983 — 142 —


Menu du milk-bar « Penguin » à Leipzig, années 1960

Très similaire au Eiscafé, le Milchbar rencontre un grand succès dans les deux Allemagnes au lendemain de la guerre. Il séduit les jeunes couples et les familles avec enfants. Certains sont des commerces indépendants, d’autres ouvrent dans les grands hôtels, les gares et les centres commerciaux.

Clichés extraits de la collection Hoffman, 1958–1969

Cette collection est composée de 31 films ­réalisés en 8mm par des amateurs à l’occasion d’anniversaires, de vacances, de fêtes et d’autres événements familiaux.

Profitez de contenus multimédia en bonus avec votre smartphone ou votre tablette. Téléchargez l’appli gratuite Blippar, scannez les images identifiées avec l’icône ci-dessus. Furetez, feuilletez, fantasmez !

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L’histoire visuelle de la RDA Aucun livre n’avait jusqu’alors présenté autant d’œuvres, d’archives et de souvenirs matériels de l’Allemagne de l’Est communiste : symboles officiels et expressions dissidentes, le spectaculaire ou le quotidien, l’industriel et l’artisanal, l’amusant et le tragique.

Uniformes de l’Armée nationale du peuple de la RDA, 1956–1986

Beyond the Wall. Art and Artifacts from the GDR Justinian Jampol Relié, 904 pages, avec un facsimilé de 56 p. d’un album de famille est-allemande € 99,99 (anglais/allemand)

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REFLECTING THE NEWS ABOUT THE ART WORLD FROM ANTIQUITY TO CONTEMPORARY SUBSCRIBE NOW AT WWW.THEARTNEWSPAPER.COM/SUBSCRIBE William Cobbing, Bamiyan Mirror Series 215, Afghanistan, 2009 (detail)


La planète mise en pages Un atlas visuel de notre fragile et remarquable monde

Depuis les toutes premières peintures rupestres, les humains ont observé leur monde, cherché à le reproduire et à le comprendre. Grâce aux nouvelles techniques de traitement des données, les magiciens de l’infographie peuvent aujourd’hui saisir toutes les subtilités de notre environnement, qu’il soit technologique, économique, social ou culturel, sous des formes toujours plus esthétiques, afin d’en dresser une représentation fascinante.


Les années de guerre

Sur la base des données de l’AKUF (communauté de recherche sur les causes des guerres, basée à Hambourg), ce graphique recense le nombre de guerres répertoriées dans le monde depuis 1945. Est considéré comme une guerre un conflit de masse impliquant des actions militaires suivies, auxquelles participent au moins deux forces armées dont les opérations permettent de reconnaître un certain de niveau d’organisation tactique. Depuis 1945, ce nombre a été en constante augmentation, avec un apogée au début des années 1990. Design : Ole Häntzschel. Recherche : Martina Stolz, Frederike Milbrandt, 2011

Pages 148/149 :

La folle histoire de la marque à la pomme

Les produits du géant de l’informatique Apple ont souvent été considérés comme précurseurs, tant par leur design que par l’exploration de nouveaux modes d’utilisation et de nouvelles cibles marketing. Cette « Histoire d’Apple » présente tous les produits de la firme de 1976 à 2012 – classés par logiciels (vert), périphériques d’entrée et de sortie comme les souris, écrans, etc. (jaune), ordinateurs de bureau (orange), ordinateurs tout en un (rouge), ordinateurs portables (bleu foncé) et appareils mobiles comme les smartphones ou les tablettes (bleu clair). Design : Pop Chart Lab, 2013

XL La face invisible de la ville

Dans les mégapoles grouillantes, les populations cohabitent dans des espaces très réduits, ce qui représente un énorme défi pour les administrations municipales. La Ville de New York gère une ligne téléphonique réservée aux cas qui ne sont pas des urgences, le 311. Cette illustration montre les motifs d’appel les plus fréquent au cours d’une semaine de septembre 2010 – depuis les nuisances sonores, problème majeur, jusqu’aux nids-de-poule, en passant par la présence de rongeurs, le programme d’aide au logement de la municipalité ou l’évacua­ tion des appareils contenant du CFC. Design : Pitch Interactive, Wired Magazine, 2010

Understanding the World Sandra Rendgen, Nigel Holmes Relié, 456 pages € 49,99




Flatford@Fullmoon, Royaume-Uni 2000.


Objectif Lune La poésie des paysages nocturnes de Darren Almond

Fullmoon est la rencontre du conceptuel et du poétique : l’artiste britannique Darren Almond fixe des archétypes naturels et des paysages silencieux dans des photographies prises sous la pleine lune, l’obturateur restant ouvert plus d’un quart d’heure. Ce long temps d’exposition illumine le paysage comme au lever du jour, mais l’atmosphère qui s’en dégage est unique en son genre. Une douce et légère lueur ressort des ombres, des traînées d’étoiles qui traversent le ciel, et l’eau recouvre la terre comme une écume brumeuse. La lumière de la lune ainsi rehaussée donne aux images un aspect fantomatique ; il se dégage alors de ces paysages un sentiment de malaise typique de notre époque, approche ­­ con­­temporaine du sublime.


« Les images de Darren Almond vous incitent à réfléchir au sens des mots paysage et nature dans un monde où les bouleversements environnementaux sont si rapides que les deux réalités auxquels ils renvoient seront bientôt ravalés au rang de mythes et de souvenirs. »

Shan Shui Fullmoon, Chine 2008

— The Guardian, Londres

Fullmoon@Moonbow, Cap-Vert 2013

Darren Almond. Fullmoon Hans Werner Holzwarth (éd.) Relié, 400 pages € 49,99 — 152 —


« Quand on choisit un long temps de pose, on ne peut jamais voir ce qu’on prend en photo. Mais on laisse plus de temps au paysage pour s’exprimer. » — Darren Almond

Fullmoon@Rügen V, Allemagne 2004 — 153 —


Darren Almond. Fullmoon édition d’art, format XXL

édition limitée à 3 x 60 exemplaires numérotés, chacun accompagné d’un tirage signé par Darren Almond

Relié, couverture entoilée, sous coffret de luxe en carton gaufré, 48 x 48 cm, 400 pages ; chaque exemplaire est signé par Darren Almond. Accompagné d’un tirage C-Print original signé ; taille des pages 47 x 47 cm. Fullmoon@Moonbow (2011), photographié depuis la rive brésilienne des chutes d’Iguazu par une nuit de pleine lune (p. 152). Fullmoon@Porto Mosquito (2013) photographié au milieu des roches volcaniques noires des côtes du Cap-Vert par une nuit de pleine lune.

Fullmoon@Porto Mosquito, Brésil 2011

Fullmoon@Horseshoe Bend (2012), photograhié depuis les rives du Colorado par une nuit de pleine lune. chaque exemplaire € 1 500

XXL

Fullmoon@Horseshoe Bend, Arizona 2012 — 154 —


lutrin en acrylique transparent

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“A manifesto for anyone who cares about art” HANS ULRICH OBRIST

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Vivre dans les bois Cabanes à l’architecture créative

La Four-cornered Villa est bien isolée et chauffée par un poêle à bois.

« L’idée de base, expliquent les architectes, est de créer un exemple de maison durable, contrairement aux cottages finlandais qui sont normalement chauffés toute l’année à l’électricité afin d’éviter le gel des canalisations. »


Four-CORNERED VILLA AVANTO ARCHITECTS

La situation insulaire de cette maison, à Virrat, en Finlande, a donné aux architectes l’idée d’ouvrir quatre vues différentes – trois vers le lac, une vers la forêt, à l’ouest. Ainsi, la lumière du matin éclaire la table du petit-déjeuner, celle de midi la salle à manger et celle du soir le salon. Il n’y a pas l’eau courante et la seule énergie électrique disponible est fournie par le soleil.

ISLAND HOUSE 2by4-architects

Située sur une île étroite dans la région lacustre de Loosdrechtse Plas, cette petite maison vise à « créer une interaction avec l’environnement ». La façade vitrée et une face de bois sombre peuvent s’ouvrir entièrement sur une terrasse en bois posée sur l’eau. L’orientation est-ouest permet à la maison de capter à la fois la lumière du matin et celle du soir.

— 157 —


STORKHOUSE

TERENOBU FUJIMORI Cette maison d’hôtes en chêne, bois brûlé, roseaux, briques et béton est ouverte au public depuis avril 2013 à Raiding, au sud de Vienne. Elle doit son nom aux cigognes qui nicheraient, dit-on, sur son toit au printemps et en été. Le mobilier a été spécialement concu pour les lieux par l’architecte et réalisé à la main. La Maison de la cigogne, caractéristique du travail de Terunobu Fujimori, s’inspire de la tradition japonaise de façon originale et moderne, légèrement excentrique.


BOATHOUSE TYIN

Ce hangar à bateaux fut restauré en conservant la simplicité et les matériaux de la structure d’origine datant du xviiie siècle. Les murs sont en épicéa, mais des éléments de l’ancien hangar ont été récupérés pour l’habillage des surfaces intérieures. « Le bâtiment reste fidèle au patrimoine historique et culturel des régions côtières de Norvège tout en apportant des réponses aux usages contemporains. » Les fenêtres en cascade qui courent du toit jusqu’au sol laissent entrer la lumière naturelle à l’intérieur et les façades, recouvertes de toiles en coton rétro-éclairées, s’ouvrent verticalement pour laisser apparaître le squelette de la cabane, en guise d’intermédiaire entre le dehors et le dedans.

« Est-il vraiment utile de bâtir des maisons contemporaines de plus en plus grandes ? Les petits espa­ces ne seraient-ils pas plus en phase avec le monde tel qu’il est ? » — Philip Jodidio

Cabins Philip Jodidio Relié, 468 pages € 49,99 — 159 —


droit au butT Le meilleur du magazine gay BUTT, de 2001 à aujourd’hui

« À lui seul, Butt a inventé le concept du magazine gay élégant, cultivé, mais aussi très sale. Butt compte. Butt comble un vide. » —Bruce LaBruce


Les forces motrices du magazine BUTT ont toujours été un enthousiasme sincère et une insatiable curiosité. Ce qui avait commencé comme un petit projet d’article s’est mué en 29 numéros imprimés, un site Internet, un calendrier à feuillets annuel et de fréquentes réunions déjantées entre membres du mouvement mondial des potes de BUTT. Ce livre maousse a été conçu dans une fièvre festive similaire. Les reportages les plus fascinants, des photos fabuleuses et des entretiens sans tabou tirés des archives de BUTT de 2001 à aujourd’hui, vous trouverez tout cela et plus encore dans FOREVER BUTT. Forever Butt Gert Jonkers, Jop van Bennekom Relié, 536 pages € 29,99


bouddhisme

Comme un roc solide n’est pas ébranlé par le vent, le sage n’est pas agité par a louange ou le blâme. Qu’il soit touché par le bonheur ou la peine, le sage demeure serein comme un lac tranquille. La plupart des gens montent et descendent la rive, mais ceux qui suivent le Dhamma franchiront la rivière de la confusion et atteindront l’éveil.

protestan­ tisme

catholicisme

Maintenant, je m’allonge pour dormir, Je Te prie, Seigneur, de garder mon âme ; Que Ton amour reste avec moi dans la nuit et me réveille avec la lumière du matin. Amen.

Cher saint Georges, Vous avez combattu vaillamment le dragon de l’orgueil, du mensonge, de la duperie. Ni l’épée ni la mort ne pourraient vous séparer de l’amour du Christ. Je vous en supplie avec ferveur, au nom de cet amour, aidez-moi par votre intercession à vaincre les tentations qui m’entourent, et à supporter courageusement les épreuves qui m’oppriment, afin que je puisse patiemment porter la croix qui est posée sur moi, et que la couronne puisse vaincre.

Islam

shintoïsme

Je cherche protection auprès du Seigneur des hommes, le Souverain des hommes, le Dieu des hommes, contre le mal du mauvais conseiller, furtif, qui souffle le mal dans les poitrines des hommes, qu‘il soit un djinn ou un être humain

Que Leurs bénédictions vous suivent, quand vous effectuez votre voyage quotidien. Que Leurs bénédictions vous suivent aussi, dans l’obscurité ou dans la lumière brillante. Avec Leur grâce céleste, puissent-ils guider votre esprit, soulager vos fardeaux, Et vous accorder une protection éternelle. — 162 —


kabbale

De chaque être humain s’élève une lumière qui atteint directement le ciel. Et quand deux âmes qui sont destinées à être ensemble se trouvent, leurs flux de lumière coulent ensemble, et une seule lumière plus vive va de l’avant à partir de leur être uni.

Faites vos prières

confucianisme

10 religions. 100 cartes pour l’âme et l’esprit

La véritable erreur est de commettre des erreurs et de ne pas changer.

judaïsme

Accorde-nous la paix, Ton cadeau le plus précieux, ô Toi source éternelle de la paix. Que règnent le contentement à l’intérieur des nations, la santé et le bonheur dans leurs maisons. Renforce les liens d’amitié et de fraternité entre tous les habitants de nos terres. Plante la vertu dans chaque âme et que l’amour de Ton nom puisse sanctifier chaque maison et chaque coeur. Inscris-nous dans le livre de vie, et accorde-nous une année de prospérité et de joie. Béni sois-Tu, ô Seigneur, Dispensateur de la paix. Amen.

candomblé brésilien

hindouisme

Om. Nous Te vénérons et T’adorons, ô Toi qui a Trois Yeux. Tu es la joie douce, le parfum de la vie, qui nous nourrit, rétablit notre santé, et nous fait prospérer. Comme, en temps voulu, la tige du concombre s’affaiblit et la courge est libérée de la plante, libère-nous de l’attachement et de la mort, et ne retiens pas l’immortalité.

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Puissant orixá qui fleuris avec exubérance, oh Seigneur Obaluayê, fais que la santé soit toujours intense et présente dans ma maison.

Say a Little Prayer. 10 religions, 100 prières. Giovanni Bianco € 29,99


Mes livres, mon amour

Le collectionneur belge RenÊ Rousseau nous ouvre les portes de sa vaste bibliothèque TASCHEN et nous confie sa passion des livres


Qui a eu cette idée ? Qui a publié ça ? C’est ce petit livre, offert par mon père en 1997, qui a suscité mon intérêt pour Benedikt Taschen. Le livre sur Jan Saudek. Un extraordinaire mélange de sexe et de déchéance, une longue descente de la jeunesse vers la vieillesse, de l’éclosion vers la décrépitude. La première fois que je l’ai feuilleté, j’ai rougi de la tête aux pieds. Était-ce de la honte ? De la gêne ? De l’excitation ? Ou la stupéfaction que quelqu’un ait eu le cran de publier ça ? Qui était cet homme ?

La collection TASCHEN de René Rousseau : 179 éditions collector et éditions d’art, et plus de 650 éditions grand public – du format mini au XXL. Une décennie plus tard, en 2007, j’ai vent d’un ouvrage sur Vanessa del Rio, également publié par TASCHEN. J’ai découvert Vanessa dans mon adolescence. Dans un obscur cinéma d’Amsterdam, cette star du porno latino m’a offert mon premier film X. Une impression inoubliable. Et voilà qu’elle revient dans ma vie ! Cela vaut bien un coup de fil au siège de TASCHEN à Cologne. Je parle au responsable des ventes, qui me convainc d’acheter ma première édition collector. Quelques jours plus tard, Vanessa sonne à ma porte, emmitouflée dans du carton et du papier kraft, n’attendant que d’être dévoilée. En l’effeuillant délicatement, j’ai les mains qui Page ci-contre : Le grand collectionneur René Rousseau et le livre à l’origine de son amour pour TASCHEN. Ci-dessus : Vanessa – tendres souvenirs visuels… et tactiles d’une jeunesse vulnérable. Ci-contre : Au centre de sa bibliothèque s’étend une vitrine de huit mètres de long munie de profonds tiroirs.

tremblent comme si j’avais seize ans. La reliure est en imprimé léopard et l’intro­ duction m’allume d’un baiser rouge sang et d’un clin d’œil aguicheur. Je me transforme en papillon hypnotisé par la flamme de TASCHEN. Je rappelle Cologne pour savoir s’ils ont dans leur catalogue autre chose d’aussi osé, d’aussi beau et captivant. Il s’ensuit une longue conversation sur l’édition, les artistes et leur art, les formats extrêmes, les collectionneurs, les techniques et les méthodes de travail. Mon appétit de collectionneur s’éveille. TASCHEN m’envoie un certain nombre de « teasers », les amuse-gueule du monde de l’édition. Et ça marche : les teasers sont des œuvres d’art à part entière. Je me dis que rien chez TASCHEN n’est éphémère ; je commence à conserver tous les emballages, les papiers, les enveloppes, les boîtes en carton. Comme si Benedikt fabriquait ces livres spécialement pour moi. Cela tourne à l’obsession. Un beau jour, alors que je tiens entre mes mains l’encyclopédie de l’artiste conceptuel islando-danois Olafur Eliasson, je comprends que j’ai atteint le point de non-retour. Avec sa couverture en relief reproduisant l’impact des gouttes de pluie sur une flaque d’eau, ce volume demeure l’un de mes favoris. Dès lors, tout va très vite. Les éditions d’art se succèdent à ma porte. Parmi mes ouvrages préférés figure celui consacré à l’œuvre de l’artiste Walton Ford. L’édition collector contient une gravure représentant des colibris pris au piège dans les fleurs qu’ils butinent, image qui illustre parfaitement ma collection TASCHEN. Le long des murs, sur les tables, sous les tables, sous les lits, partout où il y a de la place, des livres TASCHEN se sont accumulés. Un vent de révolte se lève chez ma femme et nos neuf enfants. Il devient évident que ma collection doit être rassemblée en un lieu unique, mais que chaque ouvrage mérite une attention particulière. Par la fenêtre, je regarde dans le parc la remise à calèches

— 165 —

du xixe siècle où j’ai longtemps élevé des oiseaux exotiques, et j’ai soudain une illumination : ce sera mon musée TASCHEN. Mon panthéon ! Après les travaux de rénovation qui s’imposent pour des ouvrages de cette valeur, ma bibliothèque TASCHEN prend vie dans la volière. Quoi de plus adapté pour les colibris de Walton Ford ? De superbes vitrines, des créations en acier et en verre trempé accueillent mes ouvrages de prédilection. Sur une table ancienne de plus de quatre mètres de long est posé un magnifique support dessiné par l’architecte Tadao Ando. C’est sur cet « autel » que reposent les sublimes photographies de Sebastião Salgado. Un livre sacré, celui-ci. Retrouvez l'intégralité sur taschen.com.

PARTAGEZ VOTRE PASSION POUR TASCHEN ! Intimes ou SUMO, chics ou coquins, vintage ou flambant neufs, parlez-nous des ouvrages TASCHEN qui ont conquis votre cœur ou changé votre vie.


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« Il s’agit sans conteste d’un des ouvrages les plus galvanisants que j’ai acquis depuis des années. » — Thesartorialist.com


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« TASCHEN est un miracle de rafinement dans le monde de l’édition… Ses publications, d’une qualité constante tant sur le fond que sur la forme, posent sur le présent et le ­passé un regard éclairé et ­ nécessaire. » — Matt Weiner

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