Hommes d'affaires italiens au moyen âge (notes de lecture années 2000)

Page 1

« Les hommes d'affaires italiens du Moyen-Age », Yves Renouard, Diderot éditeur, 1968. 

Les hommes d’affaires grecs du 4° siècle avant Jc au 5° siècle après Jc connaissent les formes primaires du crédit : la vente à terme, le prêt à intérêt, le dépôt irrégulier, le contrat de change, la lettre de change et la garantie de paiement de celle-ci par un tiers, le prêt à la grosse aventure ou prêt maritime (c'est-à-dire prêt consenti par un capitaliste à un entrepreneur de transports maritimes ou à un commerçant en vue d’une opération déterminée de commerce maritime, avec des intérêt considérables en cas de réussite, mais pas de remboursement exigé en cas d’échec) ; ce prêt à la grosse aventure facilite à la fois le commerce d’importation et d’exportation et l’entretien des navires, mais c’est aussi un procédé qui permet de transférer des fonds d’une place à l’autre, alors qu’il joue en outre pour l’entrepreneur le rôle d’une assurance. Grecs ou macédoniens semblent même être arrivés à l’idée de l’assurance à prime ; Antimène organise à Babylone au temps d’Alexandre un système d’assurance contre la fuite des esclaves avec la participation de tous les propriétaires d’esclaves, au moyen du versement d’une prime. La presque totalité du legs scientifique de la Grèce est développé par la suite de manière magistrale à Antioche et surtout à Alexandrie. En revanche, les romains ne semblent pas s’y être intéressés, au contraire des arabes ; or les finances exigent la connaissance de l’arithmétique.

Les « hommes d’affaire » sont au Moyen-Age désignés par le terme de « mercatores » ; ils ont toujours l’esprit tourné hors du marché local ; ils sont des commerçants intéressés par le marché mondial des matières premières et par les débouchés extérieurs ; par opposition aux boutiquiers revendeurs, ils sont les gros commerçants importateurs et exportateurs ; par opposition aux petits prêteurs « à la petite semaine », ils sont de gros banquiers ; la plus grande audace, le plus vif esprit d’initiative les caractérisent. Au Moyen-Age, les personnage de ce type ont surtout été actifs en Italie. Au lendemain des invasions germaniques, quand dans tout l’occident prédomine l’économie fermée et domaniale, l’homme d’affaire est à peu près un « exclu » ; il n’en subsiste quelques-uns dans la péninsule italienne demeurée au contact de l’orient. Peu à peu, mais grâce surtout à l’exceptionnelle occasion que leur donnent les croisades, ils se multiplient ; ils prennent dès le 12° siècle une place de plus en plus importante dans la civilisation occidentale, en suscitant la croissance des villes qu’ils animent. Des hommes d’affaire apparaissent progressivement dans tous les pays d’Occident, mais ils ne sont longtemps que les élèves de ceux d’Italie qui leur on tracé la voie et enseigné les techniques. c’est la découverte de l’Amérique qui permet à des hommes d’affaire occidentaux de se hisser au niveau des italiens avant de prendre la prépondérance à la période moderne. Les hommes d’affaire italiens, au cours du millénaire qui s’écoule entre la chute de l’empire romain d’occident et l’ouverture de l’océan atlantique au grand commerce, ont dominé la vie des échanges : ils ont conservé et développé les techniques commerciales et bancaires de l’antiquité hellénistique ; et ce faisant, ils sont à l’origine de l’esprit qui anime la Renaissance. Par leur action, une civilisation où prédominaient une culture rurale, collectiviste et religieuse s’est transformée en une culture urbaine, individualiste et laïque.

Du 5° au 10° siècle : la disparition de l’empire d’occident en 476 marque conventionnellement le début du Moyen-Age. L’invasion des germains, le développement de la piraterie qui l’accompagne, la disparition progressive de la clientèle urbaine, provoquent un profond affaiblissement de la vie économique au 5° siècle. Il existe du fait de la situation historique peu de sources sur ces temps ; mais les hommes d’affaires de l’époque pratiquaient le grand commerce maritime avec l’Orient (importation de produits de luxe pour la Cour et la classe riche des hauts fonctionnaires, armement, transports maritimes et terrestres), mais surtout des activités financières (ferme des impôts, ferme de l’exploitation des domaines publics et des mines, change, prêt à intérêt aux collectivités urbaines et aux particuliers, contre lesquels s’élèvent déjà des Pères de l’Eglise comme St Ambroise, peut-être même la banque publique). On peut ainsi imaginer comme à la période de l’empire, ces capitalistes du 5° siècle, chevaliers romains exploitant le monde conquis, s’associant pour affermer un impôt, exploiter une mine, prêter à une cité. Sous cette caste de patriciens, des commerçants de moindre envergure, probablement pour la plupart orientaux, juifs et surtout syriens. Les hommes d’affaire romains connaissent probablement les techniques les plus simples, telles que le dépôt régulier, la vente à terme et le prêt à intérêt, peutêtre le dépôt irrégulier. Ils connaissent aussi le prêt à la grosse aventure, ainsi que le contrat de société. Au 5° siècle, sont importés d’Orient soieries, épices, pierres précieuses, reliques depuis l’étatisation du christianisme ; les voies de ce trafic sont essentiellement maritime, passant par Constantinople, Antioche et Alexandrie vers Ravenne et Rome. De même, on sait peu de choses sur les hommes d’affaires dans les 4 premiers siècles du Moyen-Age (6° au 9° siècle), qui sont pour l’Italie des siècles d’invasion (gothique à la fin du 5°, reconquête byzantine contre les goths durant le 6° siècle ; i,nvasion lombarde à la fin du 6° ; puis après le calme relatif du règne de Charlemagne, invasions sarrasines tout au long du 9° siècle, les sarrasins parvenant à prendre pied en Sicile, en Calabre et dans les Pouilles. Mais la ruine italienne de cette période est aussi liée à la ruine de la clientèle d’Europe occidentale, qui connaît elle aussi des vagues d’invasions, comme en Gaule (sarrasins, normands). On assiste à une raréfaction de la monnaie d’or de type occidental, avant sa disparition complète au lendemain du règne de Charlemagne, qui établit dans son empire un monométallisme argent. La balance commerciale déficitaire de la métropole romaine dans ses relations avec son empire agonisant, puis les tributs versés aux « pillards normands », aux « envahisseurs barbares », les objets précieux emportés après chaque razzia accroissent cette hémorragie. Il n’est plus possible alors de frapper des monnaies d’or, ce qui explique la politique monétaire de Charlemagne. Les seules monnaies d’or qui circulent alors en occident sont les monnaies byzantines et arabes. Trop faibles, les Etats chrétiens d’occident n’ont pas le prestige nécessaire à la diffusion d’une monnaie. Il semble que le monde carolingien ait été pourtant en étroite relation avec le monde abbasside et que les échanges orient occident restent actifs aux 8° et 9° siècles. Quand Charlemagne après la conquête du royaume des lombards tente d’y imposer sa monnaie, il y trouve une forte opposition, les populations préférant continuer à se servir des sous d’or lombards, du besants, des mangons et des tarins. Il reste cependant en Italie quelques points d’échange nettement définis : Venise et les ports de Campanie, en relation avec Constantinople, dont toutes ces villes maritimes continuent à dépendre politiquement, et à l’intérieur, les rives même du Pô et Rome où s’écoulaient les produits importés par ces deux fenêtres entr’ouvertes sur l’orient. Des traités étaient conclu entre Venise et ses voisins lombards ; Venise exportait ainsi dans les plaines du Pô le sel de la lagune, des produits de luxe importés d’orient (drogues, épices, soieries, joyaux, ornements) et recevait de l’intérieur des esclaves provenant de razzias faites en pays germain et slave, aux confins de l’empire franc, par des professionnels de la chasse à l’homme. Ces esclaves, ainsi que du bois d’Istrie et de Dalmatie étaient vendus aux musulmans d’Orient, particulièrement d’Egypte. On raconte ainsi l’équipée légendaire des marchands Buono et Rustico qui ravissent à Alexandrie les reliques de St Marc en 828. Le commerce des esclaves est alors à double sens, entre esclavage musulman et occidental, par des ports comme Venise, Alexandrie et Constantinople. Ces échanges permettent l’accumulation d’or excédentaire lié aux échanges à Venise. Les revenus des biens fonciers de Terre Ferme permet à de grands patriciens de lancer le grand commerce maritime de Venise en confiant des fonds, sans doute en « commenda » aux marins partant pour Alexandrie ou Constantinople. Les biens importés d’orient se retrouvent dans le royaume lombard, notamment à Pavie, la capitale. Les marchands qui vendent les soieries importées font partie de la classe des « negociantes », marchands lombards, dont les lois d’Aistolf révèlent l’existence vers 750. A Naples, lors de l’arrivée de Bélisaire et des troupes byzantines au 6° siècle, Procope signale l’existence d’un marchand syrien, Antiochus, chef du parti byzantin local. L’activité de ces commerçants


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.