Monographie de Marc PETIT, sculpteur

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encore dans sa gaucherie, dans l’infirmité même de ses gestes, que ce corps – mais ceci vaut pour l’ensemble des créatures peuplant l’exposition – accède à une vie des plus insolites : nulle trace d’académisme dans ces mouvements sans éloquence ; ils sont l’ultime défi à la raideur du cadavre, tête luttant contre son poids, épaules repliées comme des ailerons malingres, membres chétifs que seule leur peau flétrie rattache encore à leur tronc. Ils ont tous l’allure grotesque que donnent aux mouvements des pieds devenus trop lourds, des articulations minées par la sclérose, des muscles atrophiés. Marc Petit les scrute dans les actions élémentaires auxquelles se résume leur existence : mettre une pièce de vêtement, qui fera ressortir plus crûment encore leur dénuement ; se lever, ou bien tenter, au risque d’une chute fatale, un demi-tour. Mais le plus souvent il les laisse assises, soit au pied d’un escalier, soit sur un banc, soit pire encore, sur leur lit ; et ces ébauches de mobilier soulignent leur solitude, annoncent que ces corps sont parvenus à l’heure d’une dernière confrontation avec le monde ; leur parenté avec le bois, leur nature ligneuse se fait plus visible, laissant prévoir une rigidité définitive. Cette intime similitude, l’artiste l’a toutefois évoquée à maintes reprises par un symbolisme des plus clairs : corps adossés à des arbres, membres amputés au point de ne plus pouvoir distinguer un moignon de bras d’une branche brisée. On sait depuis longtemps le parti qu’a su tirer, de l’incomplétude de la silhouette humaine, la figuration picturale ou plastique ; l’art gagne parfois par l’élision, se fait plus éloquent par l’allusion que par la reproduction intégrale. Or cette absence, qui chez d’autres sert à souligner, conserve chez Marc Petit ce sens strict d’une amputation. Troncs humains troués, crevassés, troncs d’arbres éventrés se confondent, de même qu’écorces ou chairs béantes devant lesquelles l’oeil hésite à s’aventurer. L’artisan de cette boucherie semble en proie à une rage d’effractions, de fractures, d’éventrations. Comme s’il importait d’arracher à cette chair déjà tant malmenée un dernier secret : déchirer, ouvrir, y aurait-il donc à attendre, de ces opérations, une quelconque révélation ?

Le temps de la terreur et de la pitié On objectera : ces agressions sont loin de constituer une nouveauté ; n’ont-elles pas atteint, chez Germaine Richier, chez Picasso ou Giacometti, à une puissance pathétique autrement terrifiante ? Que dire de ces membres devenus ciseaux, couteaux ou épées dans la Montagne de Germaine Richier ? Et l’on passera sous silence les éruptions d’organes, les tremblements telluriques de la chair chez Francis Bacon ! Mais précisément : Marc Petit ne désire pas s’arrêter au seul spectacle de la terreur. Si la présence, dans une seule exposition, de plu-

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