Storefront Gallery, Au croisement des domaines de la création

Page 1



Elève_ Sylvain Totaro Professeurs_ Alain Dervieux Jean-Paul Midant Dominque Hernandez Philippe Villien

StorE front gALLErY

Au croisement des domaines de la création

De la white box au storefront 2018 ENSAPB

D’un lieu d’art À un lieu public



Intro duction

La conception moderne de l’espace d’exposition aspire à ce que celui-ci se fasse discret, voire absent. Il doit s’effacer au profit de l’expression de l’art qu’il contient. La reconnaissance de ce précepte a atteint son apogée dans la glaciale neutralité de la « white box ». Dans sa recherche d’environnements aussi inexpressif que possible, la « white box » ambitionne de protéger l’œuvre des perturbations sémantiques du monde extérieur qui pourraient nuire à la bonne réception du message de l’artiste. L’espace d’exposition tend à rompre tout lien avec son environnement proche et devient acontextuel. Cette course vers l’éradication de « La galerie idéale retranche de l’œuvre d’art tous notions étrangères à celles portées par l’œuvre a fait, consciemment, muter les lieux d’art les signaux interférant avec le fait qu’il s’agit d’ ” en de complexes « machines à exposer ». Le projet de cette métamorphose est de générer art ”. L’œuvre est isolée de tout ce qui pourrait une atmosphère idéale focalisée sur la réception de l’expérience sensitive émanent de nuire à son auto-évaluation.[…] Une galerie est l’art. L’espace intérieur se referme sur lui-même pour devenir hyper-controlé, ajustable, construite selon des lois aussi rigoureuses que paramétrable, suivant les exigences des pièces qui composent la collection. Tandis celles qui présidaient à l’édification des églises que l’enveloppe du bâtiment n’a plus que pour unique au Moyen Âge. Le monde extérieur ne doit pas y pénétrer - aussi les fenêtres en fonction de séduire, de susciter l’attention, d’interpeler, sont-elles généralement condamnées ; les murs sont peints en blanc ; le plafond de faire publicité pour le lieu. Elle devient un support de se fait source de lumière. » communication. Brian O’Doherty, p.36-37 de White Cube, L’espace de la galerie et son idéologie.

Ronnie Self énonce la dimension symbolique et iconique que tend à revêtir le musée : « Museums […] are seen as opportunity to create a monument, a sign, an iconic presence. Visibility and recognition are important. » Ronnie Self, Introduction, The Architecture of Art Museums. 1


La normalisation et l’homogénéisation excessive des « whites box » est extrêmement limitante dans le travail de l’architecte. Ainsi, devant le monopole de la configuration moderne de l’espace d’exposition, celui-ci tente de réaffirmer son droit d’exister et sa légitimité dans le processus d’élaboration des lieux d’art.

Ainsi, lorsque l’intérieur se calfeutre et que l’extérieur retrouve une indépendance fonctionnelle en tant que figure de proue, l’espace d’exposition et l’icône urbaine ne sont plus nécessairement liées. Le bâtiment prend alors une épaisseur multiple. Il peut être définit par une agrégation de « white boxes », plus ou moins bien organisées entre elles, unifiée par une enveloppe sculpturale.

Dans l’ouvrage précédemment mentionné, Ronnie Self évoque la multiplicité de En réponse à cette fracture entre le monde de l’art fonctions qui est aujourd’hui sollicitée dans et son contexte on relève certaines propositions les lieux d’exposition institutionnels : « The d’architectes allant au-delà du programme élémentaire museum program of the 21st century had, des espaces d’expositions. Ils offrent des édifices plus for the most part, been set as well : gallery poreux (visuellement et physiquement), qui cohabitent, spaces, a library, a restaurant, administrative interagissent et même intègrent leur and curatorial offices, meeting rooms, contexte. Produisant ainsi des morceaux conservation and photo labs, a loading dock, delivery de villes et pas uniquement d’ostensibles and reception areas, art storage and general storage, a objets creux dont le but avéré est d’attirer freight elevator, workshops, break rooms. Though, not le visiteur à l’intérieur des « machines à listed, auditoriums […] a museum gift shop […] educational exposer ». department […]. » L’espace de la galerie n’est plus a priori autonome, et dépend d’une constellation d’autres usages.


Le Storefront gallery de New York illustre l’une des atteintes à la suprématie de la « white box » et de la « machine a exposer », modèles souvent appauvrissants. Cette galerie ne cherche pas à rompre avec le contexte, pourtant contraignant, du quartier de Soho à New York. Au contraire, le dispositif de façade mis en oeuvre, et maintenu depuis presque 25ans, admet pleinement l’intrusion de l’environnement, avec les perturbations qui lui sont associées. Les architectes commissionnés pour l’élaboration de cette façade ont pris le parti de briser la « white box » et ainsi de rompre avec les codes préétablis de l’espace d’exposition idéal, héritage moderne. Ils ont focalisé davantage leur attention sur l’accueil du public et l’adaptabilité d’un espace très restreint (notamment en terme de surface) afin d’assumer l’éventail d’usages pour lequel la galerie a été créée. Outre le désir ardent des protagonistes de lutter contre l’uniformisation des lieux d’art, la posture radicale de leur proposition est clairement évocatrice des valeurs que portent l’institution pour laquelle ils oeuvraient. Ainsi, ils ont pu créer plus qu’un lieu d’art, un lieu pour le public, un lieu d’événements, un morceau de ville et un icône emblématique pour la scène de l’art NewYorkaise.

3


PROBLEM ATIQUES

Quels sont les facteurs qui ont permis au projet de façade du Storefront Gallery de prendre une telle force, et de générer un espace au statut ambivalent, à la fois galerie et une icône, lieu de contemplation et lieu d’expression ; un emblème de New York, désormais indéracinable de son espace triangulaire de Soho?

Quels sont les fondements théoriques et pratiques qui ont motivé les architectes à rompre la « white box » par le « storefront » ? Qu’est ce qui justifie de sacrifier une part de l’exigence liée à la contemplation artistique au profit d’un lieu plus orienté vers le rapport au public? Le Sstorefront est-il de nos jours principalement perçu comme un lieu d’art? Ou est-il associé à d’autres notions? Le lieu d’art s’est-il transformé en lieu public?


I. Une façade identitaire qui convoque un référentiel éclectique II. Le Storefront se constitue en tant qu’oeuvre par le concept du « Hinged spaces »

a. Héritage du 51 Prince Street. b. Nouvel espace au 97 Kenmare Street, la façade est interrogée à nouveau. c. Des dispositifs scénographiques empruntés à Carlo Scarpa. d. Un système ouvert, une oeuvre en mouvement. e. Storefront et ses parallaxes multiples. f. Analyse phénoménologique des qualités de perception générées par « les galleries ».

a. Une alternative au déconstructivisme. b. L’intervention du corps. c. Au service d’une rupture avec la sacralisation du lieu d’exposition. d. Richesse spatiale controversée moteur de création. e. La façade prend une valeur d’oeuvre avec certaines limites.


I. Une façade i d e n t i t ai r e QUI convoque un référentiel éclectique



a. Heritage du premier espace d’occupation du Storefront

Symboliquement une vitrine est un élément constitutif des En 1982, Kyong Park 1 crée le Storefront paysages urbains. La transparence qui la caractérise initie for Art and Architecture. La galerie prend une relation visuelle entre l’univers intérieur du « store » et le place dans un ancien espace commercial du reste de la ville à l’extérieur. Privilégier cette interaction entre quartier de Soho. Ce local se situe à la jonction le monde de l’art contenu par la galerie et l’espace public des quartiers Soho, Chinatown et Little Italy. va être un pilier fondamental parmi les Une zone regroupant une Le terme Storefront signifie littéralement principes qui animent la Storefront Gallery. population particulièrement « vitrine ». Cette dénomination est héritée cosmopolite et hétéroclite. Dès le début de son du premier espace que la galerie a occupé Le choix de cette activité, les valeurs que à savoir une boutique au 51 Prince Street. implantation est d’ors et déjà l’organisation énonce Dès le début de son activité la galerie se le reflet de l’engagement préfigurent une volonté définie au travers de cette « façade sur sociétal que le Storefront forte de réunir les domaines rue ». Ce terme a été retenu car il exalte la revendiquera. de l’art et du public. singularité de l’endroit, ainsi que les valeurs de l’organisation.


1_ Kyong Park est un architecte, artiste, théoricien de la ville, activiste, dont les recherches et les pratiques artistiques se focalisent sur les paysages urbains et la géographie sociale contemporaine. Son premier projet a été la création du Storefront for Art and Architecture à New York, qu’il dirigea entre 1982–98. https://www.pcah.us/people/kyong_park


1_ Édouard Boubat, né le 13 septembre 1923 et mort le 30 juin 1999 à Paris, est un photographe français. Il fait partie des trois photographes principaux de la revue Réalités de 1957 à 1970. Il est, avec Brassaï, Willy Ronis, Robert Doisneau, Izis, l’un des principaux représentants de la photographie humaniste française. Son œuvre empreinte de poésie fera dire de lui à Jacques Prévert : « Boubat, un correspondant de paix ».


Édouard Boubat 1, A Gentle Eye, photographie, Boulevard Saint-Germain, Paris, France, 1948

11


Extrait du flyer de la première exposition rétrospective que tient le Storefront gallery dans le nouvel espace du 97 Kenmare Street, 20 Novembre 1986 : « Storefront of Arts and Architecture, an organization in pursuit of synthesis the creative arts and public world ».

Photographie prise à l’occasion de l’ouverture du premier espace du Storefront for Art and Architecture, 51 Prince Street, NewYork, USA, entre 1982.


Série de photographies à l’occasion des différentes expositions tenue dans le premier espace du Storefront for Art and Architecture, 51 Prince Street, NewYork, USA, entre 1982 et 1986.

13


Cohérente avec cette intention, la façade A la différence d’un musée où les œuvres transparente, qui laisse apparaître les exposées ont pour seule intention de s’offrir installations artistiques directement depuis aux regards des visiteurs, la Storefront la rue, devient un élément emblématique du Gallery, par le moyen de sa vitrine, voudrait Storefront. Comme une fenêtre ouverte entre que les visiteurs puissent posséder cet l’espace public et le monde art, à l’instar d’un espace Cette « désopacification » du contenant est artistique. Une véritable mise marchand classique. La atténuée par la présence affirmée du signe en vitrine de l’art. galerie joue ainsi sur ce « STOREFRONT ART & ARCHITECTURE » paradoxe car c’est une qui vient redonner une présence physique à organisation à but non la façade de la galerie. L’estampille devient lucratif, « not-for-profit architecture, renvoyant directement aux organization » comme observations de Learning From Las Vegas elle se définie dans le flyer de Robert Venturi, Denise Scott Brown et précédemment évoquée, à Steven Izenour 1. l’allure de boutique.

Le Storefront se constitue intentionnellement comme une « devanture de la boutique » qui donne à voir un univers intérieur. Le terme met en évidence la notion de contemplation très fortement liée à la manière dont l’art a traditionnellement l’habitude d’être consommé. Toutefois, la galerie donne de l’épaisseur au concept de vitrine. Si la vitrine représente généralement une surface, une paroi, limite entre un intérieur et un extérieur, dans ce cas elle représente un espace, une entité en 3 dimensions qui, par ce procéder de « voir au travers de la façade de la galerie », invite le simple passant à entrer dans un univers, et d’en apprécier la pièce d’art proposée sous différents angles de vues.


1_ Learning From La Vegas, essai des architectes Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour, 1972, USA, MIT Press.


1_ L’événement inaugural Storefront for Art and Architecture, intitulé Performance A–Z, commença le 18 Septembre 1982, au 51 Prince Street, dans l’emplacement original de la galerie. Chacun des 26 participants était assigné à une lettre de l’alphabet ; chaque soir à 19h, durant 26 nuits consécutives, un artiste devait proposer une performance dans la galerie ou sur le trottoir adjacent. Toute les performances étaient gratuites et ouvertes au public.


Le terme « Storefront » renvoie au modèle de galerie qui a fait la singularité et la réputation de New York dans le monde de l’art. Ces lieux mythiques se définissent comme des vitrines de l’avant-garde artistique, protagonistes importants de l’émergence des nouvelles voix de la scène artistique. Ils faut toutefois les différencier des « Store Galleries » où l’art est considéré On peut constater la ferme intention de comme un produit de consommation au faire déborder l’espace de la galerie sur profit des « Art Sellers » . l’espace publique, d’outrepasser cette « vitrine » afin que le domaine de l’art ne soit plus si radicalement disjoint du reste du monde. Dès l’ouverture du Storefront, les premières expositions, intitulées « Performance A-Z » 1 expriment cette ambition. Elles se regroupent en une série de performances tantôt à l’intérieur de la galerie tantôt sur l’espace public devant celle-ci. 17


Série de photographies prises à l’occasion de performance A - Z, Storefront for Art and Architecture, 97 Kenmare Street, NewYork, USA, du 18 Septembre au 13 Octobre 1982.

Malgré cette expansion conceptuelle de la notion de « vitrine » ou « Storefront », la façade vitrée qu’elle présente au trottoir matérialise bel et bien une limite physique palpable entre l’espace publique de la ville et l’espace privée du local. Ainsi, bien que la barrière visuelle soit abolie entre les œuvres et le public, La « vitrine » se dilate spatialement à l’intérieur et à la distinction intérieur / extérieur reste l’extérieur. Elle outrepasse ses caractéristiques habituelles. marqué par l’obstacle physique. Dans ce cas, le « Storefront » désigne une entité volumétrique tridimensionnelle qui comprend l’intérieur de la galerie et l’espace public en vis à vis.


Les créations sont soit contenues dans l’espace de la galerie pour des expositions de longue durée, soit au dehors de la vitrine lorsqu’il s’agit de performance artistiques ponctuelles. Ainsi, une double lecture du « Storefront » s’opère. Dans un sens, sa transparence et l’investissement de la rue par les activités de la galerie dilate le « Storefront » : La « vitrine » devient un volume. Dans l’autre sens, sa physicalité intangible réaffirme sa présence : La « vitrine » reste un obstacle.

Photographie prise à l’occasion de l’ouverture du premier espace du Storefront for Art and Architecture, 51 Prince Street, NewYork, USA, entre 1982.

19


b. Demenagement dans un nouvel espace, la façade est interrogee a nouveau

Tel qu’il se présente dans son état d’origine, le rezde-chaussée du 97 Kenmare Street offre une façade complètement opaque sur la rue. Aucune interaction n’est Ce nouvel espace présente alors envisageable avec le public au dehors, contrairement une configuration à la au précédent emplacement de la galerie. Le Storefront fois très différente du est privé de ses dispositions à gommer les limites précédent mais également conventionnellement admises de l’espace très singulière: son plan de forme trianglede la création artistique. La frontière entre rectangle très allongé lui confère une l’espace public et le monde de l’art est de longue façade sur rue (environs 28.5m). nouveau palpable et se matérialise plus que Toutefois, la faible profondeur de l’espace jamais par cette longue façade aveugle. (environs 6m au maximum) contraint un des angles à prendre une forme très aiguë. Ceci pouvait difficilement être imaginable au Storefront gallery qui se définie comme « organization as a unique public service, distinct from organizations of convention and conformity. » 1

A partir de 1986, le Storefront déménage définitivement au 97 Kenmare Street.


1_ Extrait du flyer de la première exposition rÊtrospective que tient le Storefront gallery dans le nouvel espace du 97 Kenmare Street, 20 Novembre 1986.


1_ Plan type « nolli » de l’espace public du quartier de SoHO, centré sur le Storefront for Art & Architecture.


A ce moment là, le Storefront semble Malgré cela, l’espace se revêtir une dynamique de galerie plus présente sous une forme conventionnelle. Lieu clos, opaque au triangulaire très singulière contexte, dont les murs blancs et aveugles qui en fait sa caractéristique constituent des supports idéaux aux principale durant la période créations présentées et aux précédent le remaniement cartels d’explication de la façade. En effet, la physionomie aiguë d’un des angles exagère l’effet de perspective de l’espace jusqu’à provoquer sur le visiteur une sensation d’aspiration visuelle. Spécificité qui n’a pas échappé aux scénographes et aux artistes qui s’en amusent. Elle est récurremment intégrée dans les mises en scène ou les scénographies ou même dans les processus artistiques en tant que sujet de réflexion à l’œuvre finale. 1.

Photographie prise à l’occasion de l’exposition du travail de l’artiste Steve Barry, intitulée « Poseidon », en 1988.

23


1.

3.

2.


1_ Photographie de l’exposition du travail de Gordon Gilbert, Taeg Nishimoto & Kyong Park, intitulée « Existence » , en 1987. 2_ Photographie prise à l’occasion de l’exposition du travail de l’artiste Hi-No-Maru Yukinori Yanagi, en 1990. 3_ Photographie prise à l’occasion de l’exposition du travail de Diller+scofidio, intitulée « Bodybuildings » en 1987.



Photographies de l’exposition du travail de l’artiste Mel Chin, intitulée « Degrees of Paradise The State of Heaven », en 1991.


2.

1. 3.


1_ Photographie de l’exposition du travail de l’artiste Sandy Gellis, intitulée « Earth,Air and Water Studies », en 1989. 2_ Photographie de l’exposition du travail de l’artiste Michele Saee, intitulée « Body Object Landscape », en 1993. 3_ Photographie prise à l’occasion de l’exposition du travail de l’artiste Russell Epprecht, intitulée « Mexican visions », en 1987.



Photographie prise à l’occasion de l’exposition du travail de l’artiste Bente Stokke, intitulée « The ship », en 1989.

31


Face à ce nouveau lieu pour le moins hermétique et Dès lors, les réflexions contraignant, la réaction des artistes est sans appel. artistiques à propos de la La façade devient alors la cible, et parfois même la façade vont au-delà du matière première, d’installations ou d’expérimentations simple cadre. artistiques. Ce questionnement de la paroi et de la limite qu’elle constitue semble réinvoquer les Si dans le premier espace du Storefront Gallery la façade considérations préliminaires de la galerie vitrée servait de « porte-estampille » pour l’organisation à être une entité avant tout tourné vers le au travers duquel les productions artistiques pouvaient public. être visuellement apprécié depuis la rue, elle constituait néanmoins une barrière physique entre l’œuvre et le spectateur. Au nouveau Storefront, les œuvres transpercent la façade aveugle, et commencent à déborder sur l’espace public. Certains artistes intègrent même la façade à leur création, conférant à celle-ci un aspect versatile digne d’intérêt.

Photographie prise à l’occasion de l’exposition du travail de l’artiste Mark West, intitulée « Pressure buildings and blackouts », en 1992.


Et on peut constater que dans un premier temps c’est l’art qui va proliférer hors du Storefront et qui va montrer son aspiration à contaminer l’espace public. Le questionnement de la limite entre l’espace d’exposition et l’espace public redevient une préoccupation majeure pour la galerie.

Porosité ou opacité entre ces deux espaces? Le monde de l’art peut-il se confronter à l’espace public sans mise à distance, sans filtre, sans protection?

Photographie de l’exposition du travail de l’artiste James Keyden Cathcart, Frank Fantauzzi, and Terrence Van Elslander, intitulée « Unprojected habit », en 1992.

33


Ainsi, lorsqu’en 1993 le projet pour le design de la nouvelle façade du Storefront Gallery est confié à Steven Holl et Vito Acconci, ces réflexions seront au cœur des débats.

Photographie prise lors du montage de la façade du Storefront for Art and Architecture, Steven Holl & Vito Acconci, 97 Kenmare Street, NewYork, 1993.

A l’image des plus grands théoriciens du Bahaus 1, l’œuvre de Steven Holl rend compte de la recherche d’une certaine synthèse des arts dans ses propositions architecturales. Si Vito Aconcci réfute Peinture, musique, astronomie, biologie, chimie, physique, toute paternité dans sa philosophie ect. L’architecte ne pose aucune limite à production, Steven Holl son référentiel. On peut constater son large spectre assume les influences qui d’intérêt à la fois dans ses recherches fondent son travail. phénoménologiques 2 sur l’espace, dans « L’impulsion donnée à un projet - et pratiquement ses prospections à propos de l’incidence son concepteur - est le lieu et la situation (dans de la couleur, de la lumière ou du temps l’idéal nos projets n’ont aucun trait stylistique qui sur la perception. Même jusque dans les relient entre eux, comme dans une famille. » ses techniques de représentations, qui constituent une exploration stylistique et Acconci Vito, Quadern d’architectura sensible en sois.


1_ Bahaus : école d’art allemande, fondée en 1919 à Weimar (Allemagne) par Walter Gropius. Par extension, Bauhaus désigne un courant artistique concernant, notamment, l’architecture et le design, la modernité mais également la photographie, le costume et la danse. Ce mouvement posera les bases de la réflexion sur l’architecture moderne, et notamment du style international. 2_ Phénoménologie : courant philosophique qui se concentre sur l’étude des phénomènes, de l’expérience vécue et des contenus de conscience. Edmund Husserl, est considéré comme le fondateur de ce courant, dans sa volonté de systématiser l’étude et l’analyse des structures des faits de conscience. Maurice Merleau-Ponty, souvent cité par Steven Holl, est également un philosophe influent qui se reconnaît dans ce courant.



Science

Ar t

gy

lo

no

ch Te

Cela fait écho à la citation qu’il emploi pour expliciter le concept du « Tripleness » qu’il cherche à éprouver dans les recherches et réflexions entreprises pour le Bellevue Art Museum de Washington « Tripleness, The intersection of art, science, and technology »

Bien que Steven Holl se présente comme un architecte en crise avec les théories architecturales qui prévalent à son époque, son travail reste toutefois fortement inspiré de grands penseurs, théoriciens, architectes ou artistes qui lui sont contemporains. Ces influences sont perceptibles dans la plupart de ses réalisations, notamment le projet Steven Holl, p.284, parallaxe. pour la Storefront Gallery. Questionnant les notions de limite entre l’art et le public, de porosité, d’impermanence, d’usage, de perception, le tout dans le cadre d’un projet pour une galerie multidisciplinaire, l’intervention de Holl et Acconci a pris une dimension de manifeste bâti sur un référentiel solide et éclectique. Diagrammes montrant le concept de « Tripleness », réalisés dans le cadre des réflexions pour le projet Bellevue Art Museum, Washington, 2000.

37


c. Des dispositifs scenographiques empruntes a Carlo Scarpa

Carlo Scarpa, architecte scénographe vénitien (1906 et 1978) concevra Carlo Scarpa et Steven Holl essentiellement sur le territoire Italien. Cependant, son implication en tant partagent des sensibilités que scénographe pour la Biennale de Venise de 1942 à sa mort lui vaudra communes qui sont une reconnaissance mondiale dans l’art de la mise en scène. Son statu de perceptibles à différents muséographe / scénographe renommé, lui permet de développer une niveaux de leur travail. certaine familiarité avec le registre artistique qu’il emploi volontiers au sein En effet, si les compositions de ses dispositifs architecturaux. Jeux de matière, de couleurs, de lumières, architecturales de Scarpa d’ombres, de compositions de formes géométriques, de dynamiques se nourrissent ouvertement (équilibre, bascule, coulissement), de temporalité (végétations vouée de l’oeuvre de l’architecte à recouvrir les édifices) ses créations débordent d’outils de stimulation Franck LLoyd Wright 1, il sensorielles qui chargent ses lieux d’interventions d’une bouleversante est aussi vrai que Steven mélancolie. Il développe une approche moderniste singulière extrêmement Holl a une forte tendance maniérée, en partie héritée de sa carrière de conseiller artistique pour le à puiser dans le registre créateur verrier Cappellin. L’extrême expressivité de son organique et teinté de références orientales architecture, la richesse des propriétés tactiles et visuelles (notamment Japonaises) du maître Nord ainsi que le soin qu’il accorde au traitement du détail tout Américain. au long de sa carrière lui vaudra d’être accueilli en grand maître lors de son dernier voyage à Sendai, Japon.


1_ Frank Lloyd Wright (1867 - 1959) est un architecte et concepteur américain. Il est l'auteur de plus de quatre cents projets réalisés, musées, stations-service, tours d’habitation, hôtels, églises, ateliers, mais principalement des maisons qui ont fait sa renommée. Il est notamment le principal protagoniste du style Prairie et le concepteur des maisons usoniennes, petites habitations en harmonie avec l’environnement où elles sont construites. En 1991, il a été reconnu par l'Institut des architectes américains comme le plus grand architecte américain de l’histoire.



Lorsque Steven Holl ouvre son agence en 1976, Carlo Scarpa est à l’apogée de sa carrière. En cette période où les édifices culturels fleurissent, le vénitien devient une référence importante pour les architectes. De plus, Holl explique dans son ouvrage Questions of perception, Phenomenology of Architecture, qu’il réalisa, au cours de l’année 1970, un voyage d’étude à Rome. A l’issue de cette expérience, il confie s’être adonné à un périple à travers l’Europe afin d’étudier les réalisations de l’architecture moderniste. Cette expérience l’a sans nul doute rapprochée de Carlo Scarpa, maître du détail.

Un des thèmes commun manifeste aux deux architectes est le travail sur la découpe. Les percements, les bords des pans, la fin d’un élément d’architecture, l’événement qui permet à deux éléments de valeurs différentes de se rencontrer, qui autorise la matière à se retirer pour laisser place au vide, ces moments ponctuels d’une construction sont toujours très expressifs et sublimés par les deux architectes. Le soin dans leur traitement leur procure une dimension narrative puissante. Ainsi un mur ne peut se contenter de terminer sur une simple ligne verticale. Une tension doit imposer ce mouvement de haut en bas à l’encontre de la paroi qui court le long de l’horizon. Alors, la ligne d’interruption ou la fente se tord et change de direction à angle droit. Parfois répétés plusieurs fois. Elle crée un motif singulier en creux et pleins qui redessine les limites de l’élément tout entier, et lui donne un dynamisme, une existence, une vie. Photographie prise au cimetière Brion Véga, entre l’entrée et la chapelle des parents.

41


Ce travail sensible sur l’expressivité des découpes est extrêmement visible dans le cimetière Brion Véga réalisé par Scarpa dans la dernière partie de sa vie. Certains pans de murs, comme ceux qui orientent la marche du visiteur vers le propylée, se terminent en une sorte de révérence géométrique figée. Le dessin singulier des limites de la paroi rend compte de l’importance que cet élément prend dans la composition totale du dispositif spatial que le scénographe cherche à mettre en place, et plus précisément, de l’importance spécifique de ces arrêtes. Ce mouvement de retrait soigné permet de sublimer l’accès vers le propylée.

Photographie prise au cimetière Brion Vega, proche du Propylée.


Scarpa adoptera une posture similaire dans le traitement des découpes et des ouvertures au palazzo Querini Stampalia qu’il restaura entre 1959 et 1963. Notamment celles présentes sur les panneaux habillant le poêle de chauffage.

Les empiècements géométriques entrent dans un rapport de composition plastique avec la trame des panneaux qui enclosent le système de chauffage. Ces ajournements permettent d’alléger les parois minérales de manière croissante à mesure que l’élément de plaquage est placé haut. Ils crées ainsi des porosités dans la matière opaque qui permettent d’entrevoir les parois de verre placées directement derrière le revêtement minéral, jouant ainsi sur un rapport bi-matériel opaque/transparent, rugueux/lisse, mat/ réfléchissant. Les ouvertures produisent également une série de fenêtres à l’esthétique complexe, offrant des vues cadrées sur le mécanisme de chauffage. La géométrie des trous se juxtapose à celle des éléments de plomberie. Le tout présente une composition en plusieurs plans, qui joue avec la profondeur de champ, et ainsi génère des assemblages de formes variés en fonction de la localisation de l’observateur. Photographie du poêle de chauffage du palazzo Querini Stampalia, au niveau de l’entrée.

43


Dans ce cas la porosité reste uniquement Une seconde porte est visuelle. En effet, le vitrage en seconde peau dissimulée dans un des ne permet pas de passer physiquement au pans de mur. Elle est du travers des percements. Un travail similaire même matériaux minéral de découpes géométriques libres peut que le revêtement du mur. également être observé sur certaines En position fermé, elle portes du palazzo Querini Stampalia. Une s’aligne parfaitement avec des portes se compose d’un assemblage le reste des panneaux de de deux pièces géométriques identiques, marbre ce qui permet une s’emboitant l’une dans l’autre en une intégration quasi parfaite construction symétrique. de l’ouverture dans la paroi. L’architecte a ainsi souhaité traiter ce percement comme un élément à part entière du complexe mur. Un empiècement mobile qui offre une porosité physique à travers la surface minérale verticale.

Ce dispositif rappelle trait pour trait celui qui a été utilisé et décliné par Steven Holl et Vito Acconci pour la façade du Storefront à NewYork. La similitude est tenue jusque dans le motif orthogonal singulier de la ligne de découpe des éléments mobiles. Leurs irrégularités les débarrassent du registre conventionnel des éléments de constructions. Ils s’élèvent au dessus des qualificatifs conventionnels de portes, fenêtres, lucarnes. En position fermée, ils se confondent dans la paroi, et seul le joint creux permet de les différencier du reste de la cloison. En position ouverte, leur géométrie ciselée se déploie dans l’espace tel une sculpture abstraite. Photographie d’une des portes du palazzo Querini Stampalia.


Photographie de la façade du Storefront for Art and Architecture, NewYork.

Photographie d’une des portes du palazzo Querini Stampalia.

45


La mise en œuvre est soignée et revêt une Au premier abord ces dimension narrative forte. 7 des 12 éléments découpes soudaines présentent des formes de découpe semblent être le résultat qui semblent décrire un quadrilatère à d’une dichotomie entre l’origine mais dont la forme pure aurait été la volonté de déployer la perturbée par la volonté de dialoguer avec façade autant que possible d’autres éléments constructifs déjà présent en 3 dimensions et la avant l’intervention des architectes sur la réalité des éléments de façade. structure verticaux présent à l’intérieur de la galerie qui gêneraient cette ambition. En effet, lorsque l’on prend connaissance de l’intérieur de la galerie, on comprend que certaines des encoches permettent aux panneaux d’être manipulés sans jamais percuter les poteaux en acier.

Toutefois, une seule des trois pièces concernées a réellement l’utilité de cette découpe supplémentaire car sa rotation interfèrerait avec la présence du poteau et rendrait impossible son positionnement horizontal. Les deux autres sont trop court pour être gêné par les poteaux. Il semble donc que ces découpes soient issues d’une volonté esthétique de faire apparaitre la présence de ses éléments de structure verticaux dans le motif global des découpes de la façade opaque. De même, 2 éléments présentent un coin manquant permettant de faire ressortir en façade un élément de tuyauterie provenant des autres étages de l’immeuble. Un dialogue s’instaure ainsi entre les éléments anciens de l’espace et le projet de façade.

Photomontage réalisé par l’agence Steven Holl architects lors de l’élaboration du projet de façade pour le Storefront for Art and Architecture.


De plus, le soubassement de la paroi, dont la finition béton Dans le cas du palazzo Querini Stampalia, désactivé se distingue du reste du mur, est échancré à l’architecte vénitien ne souhaitait pas un endroit produisant une marche à demie hauteur du confondre totalement l’ouverture dans soubassement. Cette marche permet de reprendre le le reste du mur. Une série de partis pris niveau, plus haut, du sol de la pièce suivante. Malgré formels permettent ainsi à l’élément de cet perturbation ponctuelle, Scarpa choisi de conserver s’exprimer même en position fermée. Une baguette métallique rainurée, ayant l’alignement du panneau amovible avec le reste des panneaux de marbres qui le bordent, générant ainsi un jour fonction de cimaise, court sur toute la d’une dimension exagérée (un demie soubassement). Par longueur du mur à hauteur ce procédé, les deux espaces ne sont jamais complètement déconnectés. d’oeil. Elle sépare le pan marbré dans la hauteur Une porosité partielle reste perceptible en permanence, même si l’élément est en position rabattue. Bien que la différence de niveau des deux en deux bandes égales, et espaces amène une notion de seuil, le dispositif de jour évoque une idée s’interrompt seulement au de continuité d’un espace à l’autre, de prolongement d’un parcours. La niveau de la découpe du fermeture d’un espace à l’autre se veut donc plutôt visuelle, sans qu’elle pan mobile. soit nécessairement totale. Photographie d’une des portes du palazzo Querini Stampalia.

47


Cette idée de porosité constante complètement assumée est également renforcée par un percement de forme rectangulaire qui est à cheval entre la partie mobile de la paroi et la partie fixe. Ce détail affirme l’idée que le vantail fait parti du complexe de mur car il reçoit le même traitement que le reste de la paroi. Le geste perforant se prolonge de l’un à l’autre sans distinction. Cet empiècement supplémentaire complexifie encore la géométrie de la découpe de l’ouvrant, abstractisant l’élément mobile à un degré supérieur, l’affranchissant définitivement du système porte, pour le rapprocher des constructions spatiale du sculpteur Jorge Oteiza 1.

Dans le cas du Storefront, la matérialité uniforme, l’épaisseur constante entre les parties fixes et mobiles ainsi que le choix de ne jamais prolonger les empiècements jusqu’aux bords de la façade, plaident clairement pour une un désir de confondre les éléments rotatifs avec le reste de la paroi. Toutefois, ces éléments retrouvent une certaine forme d’autonomie dans l’expression en façade des cadres métalliques qui ferment la périphérie Pour citer Jorge Oteiza : « l'expression du vide, de chacune des pièces l'occupation active de l'espace, doit se former pivotantes ainsi que des par l'intermédiaire de la fusion d'unités formelles tranches sur la partie légères, celles-ci sont, dynamiques ou ouvertes statique en vis à vis de ces et non par l'inoccupation physique d'une masse. » éléments.

Photographie d’un détail de la façade du Storefront for Art and Architecture, NewYork, 2016.


1_ Jorge Oteiza (1908 - 2003) est un sculpteur mais aussi ĂŠcrivain et designer basque espagnol.



Photographie l’œuvre de Jorge Oteiza intitulée «Retrato de un gudari armado llamado Odiseo (Variante de Homenaje a Mallarmé)», 1958.

Ici l’artiste défini son approche de la constitution du vide dans une oeuvre, thème qu’il approfondira une large partie de sa vie dans ses sculptures. Cette citation semble faire écho à la manière dont Holl et Acconci ont généré un espace qui puisse laisser place à l’expression d’un contenue artistique. En effet, la façade du Storefront se compose d’une série d’éléments légers et mobiles. Les pièces prennent leur dynamisme à la foi par la liberté de rotation qu’elles ont, ainsi que par l’irrégularité de leurs découpes. Une fois activé par l’action physique d’un utilisateur, la façade prend l’aspect d’une composition sculpturale abstraite faite de surfaces solides découpées. Les porosités épidermiques laissent entrevoir l’espace intérieur de la galerie qui devient un espace actif occupé tel que le défini le sculpteur basque, Oteiza. Photographie l’œuvre de Jorge Oteiza intitulée «Caja vacía con gran apertura», 1958.

51


Photographie d’un détail de la façade du Showroom Gavina, Carlo Scarpa, Bologne, Italie, 1961.


Photographie d’un détail de la façade du Storefront for Art and Architecture, NewYork, 2016.

53


Le travail du joint est une autre forme d’attention au détail que l’on peut apprécier chez Scarpa comme chez Holl. Bien que chacun d’eux développe des dispositifs qui leurs sont propre, dans les deux cas, cette minutie de la jonction sert à mettre en valeur la rencontre de deux éléments juxtaposés ou à magnifier les motifs de découpes dont l’esthétique, chez Holl et Scarpa, est approchante. Comme évoqué précédemment, les découpes des panneaux du Storefront gallery sont soulignées par des cadres en acier apparents d’un demi centimètre d’épaisseur, alors que le recouvrement de ces cadres structurels par les panneaux de fibro-ciment aurait également pu être une finition possible. En effet, il aurait été convenu de donner l’illusion d’un mur opaque et uniforme qui cache une série de fonctions secrètes, dissimulées dans son épaisseur, que l’on actionnerait presque par accident.

Photographie d’un détail de la façade du Storefront for Art and Architecture, NewYork, 2016.

Mais le choix s’est porté sur l’expression des motifs géométriques abstraits des pièces mobiles. De plus, un jour régulier d’environs 3 cm a été laissé tout autour des pièces rotatives entre les deux finitions acier (fixes et mobiles). Le jour permet avant tout aux éléments, relativement épais, de pouvoir pivoter sans que les bords fixes constituent un obstacle. Toutefois, la totalité de la périphérie des empiècements a été traité de manière similaire, alors que seul les bordures qui sont exempt de pivots auraient nécessité cette particularité. Le vide généré vient se juxtaposer aux bords métalliques apparents et constitue une épaisseur supplémentaire dans le complexe du joint creux, renforçant le dessin des motifs coupés.

Photographie d’un détail de la façade de la Banca Popolare di Verona, Carlo Scarpa, Verone, Italie, 1978.


Un complexe travail sur les découpes, sur la composition des structures de vitrage, sur l’intégration des éléments de mobilier, sur le tramage des unités de matériau, sur l’expression des joints, des plinthes… sont des obsessions partagées par Holl et Scarpa. Cette minutie permet aux éléments mis en valeur de prendre une certaine autonomie vis à vis du système global auquel ils font parti. D’apparaître pour lui et non pas pour la seule fonction qu’il rempli au sein de l’ensemble.

Ainsi, au Storefront Gallery, dans l’abstraction de la géométrie des empiècements, les ouvertures deviennent des motifs uniques. Lorsqu’ils sont basculés, le jeu d’assemblage de plans qui se produit donne une telle force expressive à la composition plastique générée que la fonction de base des panneaux se dissipe.

Photographie d’un détail de la façade du Storefront for Art and Architecture, NewYork, 2016.

55


Un autre thème rapprochant les deux architectes est la Dans ce sens on peut citer l’assemblage singulier réalisé persévérance dans le choix de produire une architecture au niveau des poteaux de la partie couvrante du pavillon en mouvement. L’un comme l’autre se refusent de générer de l’eau au cimetière Brion Véga. En effet, les supports des volumes figés, sculptures inertes produites par une verticaux de la toiture du pavillon sont interrompus au architecture désirant flatter la vue avant d’être vécue. Dans tiers de leur hauteur. Ils trouvent une continuité auprès le cas de Scarpa, peu d’éléments sont actionnables ou d’éléments verticaux du même type accolés et fixés sur manipulables, l’architecte traite les masses comme si elles une des faces du premier élément. Cette composition avaient le potentiel de se mouvoir. particulière des poteaux de la structure donne l’impression que cette boite flottante aurait la possibilité de coulisser verticalement. Certes, l’action est fictive, l’idée du mouvement est seulement suggérée, mais ce genre de procéder provoque chez l’observateur un sentiment d’impermanence, de dynamisme, de mobilité programmée de la structure tout entière. Photographie du pavillon de l’eau au cimetière Brion Vega, Carlo Scarpa, San Vito d’Altivole, Italie, 1978.


Photographie du pavillon de l’eau au cimetière Brion Vega, Carlo Scarpa, San Vito d’Altivole, Italie, 1978.

Ces jeux de suggestion d’un potentiel de mise en action d’éléments architecturaux peuvent être relevé en de nombreux endroits des bâtiments de Scarpa. Comme pour la tombe des parents au cimetière Brion Véga, au niveau duquel l’architecte a basculé un volume cubique de béton servant de toiture. Ainsi, ce hochement permet au volume de s’aligner avec le mur d’enceinte du cimetière auquel le tombeau est accolé. En effet, le mur étant incliné, ce procéder a permis à l’architecte d’inscrire son ouvrage dans un prolongement de mouvement.

Ainsi, 5 des 6 faces du volume cubique que suggère la toiture du tombeau suivent parfaitement l’orthogonalité du mur incliné. Cela donne l’impression que les deux éléments, un linéaire, l'autre épisodique, ont été conçu avec le même dessein. Toutefois, l’horizontalité des marques de planches de coffrage sur le béton du volume créée rappellent à l’ordre et rompent cette impression de bascule fictive. Elles réaffirment l’espace orthogonal (horizontal/vertical comme directrices) dans lequel s’inscrit la totalité du bâtiment.

Photographies de la tombe des parents au cimetière Brion Vega, Carlo Scarpa, San Vito d’Altivole, Italie, 1978.

57


Pour Scarpa, le mouvement reste suggéré Mouvement rotatif et effets de bascules sont et fictif, tandis que pour Holl l’architecture des notions récurantes dans le vocabulaire architectural de Scarpa. Toujours, au devrait atteindre un potentiel dynamique dans une réalité tangible. Le mouvement cimetière Brion Véga, les « sarcophagi » contenant l’époux et l’épouse Brion est essentiel au projet et doit être plus qu’insinué. L’architecture de Holl a vocation s’inclinent l’un vers l’autre dans un élan passionné éternel. L’architecte a souhaité à prendre vie et s’affranchir de son aspect créer un événement, un moment ponctuel statique pour permettre une multitude de situations. Principes que l’on peut lire au pour lequel il s’affranchit des règles de Storefront galerie, où un jeux de panneaux composition orthogonale au profit d’une éloquence rotatifs composent la façade principale de l’édifice. Parmi les 12 éléments mobiles 7 peuvent pivoter horizontalement narrative plus soutenue. et 5 verticalement. Leur rotation est permise sur quasiment 360 degré autour de leur axe respectif, offrant à l’espace de la galerie une infinité de configuration.

Photographies des sarcophagi contenant les deux époux au cimetière Brion Vega, Carlo Scarpa, San Vito d’Altivole, Italie, 1978.


Plan du Storefront for Art and Architecture montrant le potentiel mobile de certains ĂŠlĂŠments, Steven Holl & Vito Acconci, 97 Kenmare Street, NewYork, 1993.

59



Visualisation des façades superposées du Storefront dont les panneaux sont disposés à différents degrés d’ouverture (-90°, -60°, -45°, -30°, 0°, 30°, 45° et 90°).


En effet, si l’on s’appuie sur un exemple La notion de « mouvement » s’accompagne nécessairement concret, pour une personne qui lèverait de celle de « temporalité ». son bras puis le remettrait à la même On peut affirmer qu’un objet place qu’initialement, si l’on considère entre en action lorsque la uniquement l’état initial et l’état final on comparaison d’au moins ne peut pas attester d’un changement, d’une quelconque dynamique deux états capturés à des du système, car le bras a moments différents rendent compte d’un repris la même position qu’au changement sur le sujet d’étude. Toutefois, début, pourtant il y a bien on en vient à parler de mouvement eut mouvement du bras. Cet seulement lorsqu’on est capable de exemple image la nécessité de mettre bout à bout ces états présents prendre en compte la notion afin de pouvoir observer une évolution, de « durée » dans l’analyse ou une variation de l’objet au cours d’une l’élaboration d’un système en durée déterminée. Ce que ne permet pas mouvement. complètement le recours à la notion de « moments ». Photographie stroboscopique prise par le professeur Harold Edgerton, intitulé ”Densmore Shute Bends the Shaft”, 1938.

Cette prise en compte de la durée a fait l’objet d’une attention particulière à la fois du côté de Scarpa et du côté d’Holl. Tout d’abord, Scarpa a développé tout au long de sa vie un architecture extrêmement scénographiée, et cela même en dehors des commandes pour les espaces d’exposition. Dans tout les cas, la mise en scène est soignée. Une attention particulière est apportée au parcours, à la progressions, au déplacement du visiteur. L’architecte tient ainsi compte de la variation de la position d'un sujet percevant, et ceux tout au long de son expérience. Le travail de compréhension des mouvement de déambulation de l’observateur, de captation du regard, d’incitation à certains rapports sensoriel entre l’architecture et le sujet sont les rudiments de l’élaboration d’une architecture phénoménologique.


Un second niveau de lecture à propos de l’oeuvre de Scarpa permet de relier son travail avec la notion de durée. En effet, on peut trouver dans les croquis préliminaires pour le cimetière Brion-Véga, l’introduction d’éléments végétaux qui colonisent l’architecture. Ces estampes suggèrent que l’architecte souhaitait vivement inscrire son édifice dans la durée. Les éléments sculpturaux en béton brut offrent une porosité suffisante pour qu’ils deviennent support à la vie, et moyens pour le bâtiment de s’intégrer dans son lieu sur une temporalité longue.

Croquis réalisés lors du développement du projet du cimetière Brion Vega, Carlo Scarpa, San Vito d’Altivole, Italie, 1978.

63


Le premier argument montre la volonté de Scarpa d’inscrire son architecture dans une pluralité de temps immédiats, en jouant sur la scénographie des perceptions instantanées du visiteur. Le second argument s’emploi à rendre compte de la considération particulière de l’architecte au vue de l’inscription de son édifice dans une durée longue, par production d’une imagerie projective sur le devenir du bâtiment. La troisième conception du temps que l’on peut relever par l’étude du travail de Scarpa est la définition d’une science de l’événement, du phénomène perceptible lors d’un moment spécifique.

Photographie prise dans l’une des salles de la Gipsoteca canoviana, Extension Carlo Scarpa, Possagno, 1957.

En effet, à la Gipsoteca canoviana de Possagno, où l’architecte est intervenu dans le cadre de l’extension du musée en 1957, un travail extrêmement savant et sensible a été réalisé au niveau des ouvertures. Les percements, remarquablement mis en oeuvre, génèrent un stimulant dialogue entre la lumière naturelle, l’espace et les statues exposées. L’un des espaces est une pièce de forme carré en plan dont les 4 coins supérieurs sont perforés. Ainsi, au fur et à mesure de la journée, au gré de l'ensoleillement du site, la lumière naturelle inonde la pièce en se réfléchissant sur les murs blanc.


Ponctuellement, les rayons lumineux viennent frapper les statues d’une manière extrêmement franche et dramatique. Ces phénomènes sont rendus possible par le minutieux dessin des découpes d’angle hautes qui génèrent des événements particuliers. Ces derniers s’établissent sur des temporalités différentes (journée, mois, saisons, années…) permettant ainsi de faire varier l’expérience du lieu, de ses espaces et de ses collections. L’évolution de la course du soleil et des conditions météorologiques conditionnent l’atmosphère lumineuse de la pièce. Le contraste sur le marbre en relief des statues s'en trouve également changé. Cette mise en relation de l’espace du musée avec l’environnement extérieur, et plus particulièrement le ciel, assure une expérience unique à chaque moment.

Photographie prise dans l’une des salles de la Gipsoteca canoviana, Extension Carlo Scarpa, Possagno, 1957.

65


Photographie prise dans l’une des circulations de la Gipsoteca canoviana, Extension Carlo Scarpa, Possagno, 1957.


On peut ainsi affirmer que Scarpa élaborait une architecture dans les 4 dimensions, avec le temps qui compte pour une part importante de sa réflexion. Toutefois, à l’époque de sa production, seul des moyens empiriques étaient à sa disposition. Il a certainement du avoir recourt à l’observation patiente ou aux modèles physiques afin de pouvoir élaborer des dispositifs architecturaux aussi éloquents. En effet, l’ajustement de ce genre de système réclame une étude approfondie sur l’évolution des conditions lumineuse de l’environnement du projet, des moyens de simulations qui rendent compte des phénomènes espérés d’une manière suffisamment fidèle, ainsi que d’une grande précision dans la mise en œuvre finale du projet.

67


Ce dernier procéder n’est pas sans rappeler les recherches développées par James Turrell en 1966, soit une dizaine d’année plus tard, à l’hôtel Mendota d’Ocean Park California. Turrell s’embarqua alors dans une série de travaux artistiques explorant la capacité de la lumière à modeler les perceptions d'un espace. Il groupa ses travaux sur des panneaux catégorisant leurs similitudes structurelles et leurs effets sur la perception. Dans Afrum I (White) 1967, un des premiers travaux de la série que Turrell a nommé Cross Corner Projections, le visiteur rencontrait un cube luisant flottant à l’angle d’une pièce. Ce qui apparaissait d’abord comme étant un objet solide s’avérait être, après une inspection plus poussée, de simples plans de lumière. The Single Wall Projection Prado (White) 1967, semblait dématérialiser l’espace, dissolvant le mur et créant un passage vers un monde inconnu. The Shallow Space Construction Ronin 1968 renversait cet effet. La lumière émanant de l'angle de la pièce faisait apparaître une fissure verticale dans le bâtiment comme un plan solide, dématérialisant ainsi le mur sombre bordant l’ouverture.


Steven Holl évoque ce travail dans Question of perception, Phenomenology of architecture, où il énonce la relevance de l’étude des phénomènes liés à la lumière naturelle en architecture. Il écrit à la p.63 :

« It is not surprising that some architects have written that the entire intention of their work revolves around light, just as some painters have focused completely on the properties of color. The perceptual spirit and metaphysical strength of architecture are driven by the quality of light and shadow shaped by solids and voids, by opacities, transparencies, and translucencies. Natural light, with its ethereal variety of change, fundamentally orchestrates the intensities of architecture and cities. What the eyes see and the senses feel in questions of architecture are formed according to conditions of light and shadow. A primary concern with light, shadow, time and space, emerged in the 1960’s as a characteristic of many artists’ work, and continues most intensely today in the work of artists such as James Turrell and Robert Irwin. The raw material of James Turrell’s sculptural works, is not clay, stone, or metal, but light itself. An early example of this work can be seen in his Mendota Stoppages, 1968-70. » Photographie prise à l’hotel Mendota, installation intitulé ”Afrum I (White)”, James Turell, Ocean Park, Californie, 1966.

69


Dans la continuité de cette pensé sur la manière dont la lumière sculpte l’espace et génère des phénomènes perceptibles qui renforcent l’éloquence d’un espace, on peut se rappeler de l’énoncé de Steven Holl aux pages 76-77 de Question of perception, Phenomenology of architecture, où les auteurs de l’ouvrage présentent une série de photographies d’étude sur la manière dont les rayons de lumière naturelle produisent des phénomènes différents au cours du temps.

« Au Palazzo del Cinema diagrammes de 1990, le temps était imaginé comme l’analogie entre l’architecture et le cinéma. Dans un “ Panthéon cubique “ le passage du temps était mesuré et observé par une précise raie de lumière du soleil qui tout doucement produisait différentes réflexions lorsqu’il passait au travers du sol noir brillant ».


Diagrammes photographiques au palazzo del Cinéma, tirés de Questions of Perception, Phénoménology of Architecture.

71



On retrouve cette sensibilité dans la série d’analyses que l’architecte a produit dans « Properties of light also provide the organizing concept for the le cadre du design du musée pour la ville de Museum of the City we designed for Cassino, Italy. We attempted Cassino en Italie. L’architecte admet avoir to model the light on computers and quickly realized physical tenté, dans un premier temps, de générer models were necessary. In fact, light should be modeled full size un modèle de calcul des phénomènes as it falls off a wall at the square of its distance to the source. liés à l’ensoleillement naturel par voies The galleries are organized in interlocking light sections. Between informatiques sans succès. Il a finalement each section is an interval, which is the equivalence of silence in eut recourt au modèle music and which forms a reversible sequence physique afin d’élaborer Ceci nous donne la mesure de la that can be “played” by bodily movement. un système d’évaluation sensibilité de Steven Holl pour l’étude des Each exhibition area begins as neutral space comparative des différents phénomènes liée à la pénétration de la individuated through its specific quality of light. » dispositifs et de leurs lumière naturelle dans un espace et de la effets sur les perceptions variation de ces phénomènes au cours du Steven Holl p.119 de Parallax spatiales. temps.

Études lumineuses dans le cadre du développement du projet de musée pour la ville de Cassino, Steven Holl Architects, Italie.

73


Dans le cadre du Storefront Gallery, l’étude de la lumière Nous avons ainsi produit une analyse naturelle est d’autant plus complexe car le système de solaire paramétrique, montrant l’impact de façade mis en œuvre à la galerie est un dispositif libre, l’action des panneaux rotatifs de façade sur non figé. En effet, chacun des 12 panneaux composant la l’atmosphère intérieure et extérieure de la façade est capable de pivoter à quasiment 360° de manière galerie. autonome. Cela multiplie le panel de On peut ainsi constater la typologie de façade que l’on peut générer. Les diagrammes qui suivent représentent variation de cet indice au De la même manière, la proportion de les résultats de simulations numériques cours de l’année, du fait des porosité que la paroi offre entre l’espace de la quantité de lumière naturelle masques du contexte ainsi d’exposition intérieur et l’environnement directe reçue par la façade et par la partie que par le déplacement des extérieur peut être ajustée. Et de fait, intérieure du Storefront, au cours des panneaux de façade autour la variété des atmosphères lumineuses journées de solstice (21 Juin, 21 Décembre) de leurs axes verticaux et également. Certains modèles permettent et d’équinoxe (20 mars, 22 Septembre) de horizontaux. de simuler, d’analyser et ainsi de projeter l’année 2017. ces phénomènes.

Études d’ensoleillement réalisée dans le cadre du développement du projet Makuhari Housing, Steven Holl Architects, Japon, 1996.


Equinoxe printemps / automne

Solstice d'été

Solstice d'hiver

20 Mars / 22 Septembre

21 Juin

21 Décembre

75



+

20 Mars equinoxe de printemps 0° Unités ensoleillées Temps d’ensoleillement par unité Temps maximum d’ensoleillement

2 / 34 495 4.8316e-6 h/u. 1 h/u.

Scores du niveau d'ensoleillement capté par l'intérieur de la galerie



+

20 Mars equinoxe de printemps 45° Unités ensoleillées Temps d’ensoleillement par unité Temps maximum d’ensoleillement

3 836 / 34 495 0.013861912 h/u. 5 h/u.

Scores du niveau d'ensoleillement capté par l'intérieur de la galerie



+

20 Mars equinoxe de printemps 90° Unités ensoleillées Temps d’ensoleillement par unité Temps maximum d’ensoleillement

4 390 / 34 495 0.015395951 h/u. 5 h/u.

Scores du niveau d'ensoleillement capté par l'intérieur de la galerie



+

21 Juin solstice d'ete 0° Unités ensoleillées Temps d’ensoleillement par unité Temps maximum d’ensoleillement

0 / 34 495 0 h/u. 0 h/u.

Scores du niveau d'ensoleillement capté par l'intérieur de la galerie



+

21 Juin solstice d'ete 45° Unités ensoleillées Temps d’ensoleillement par unité Temps maximum d’ensoleillement

2 167 / 34 495 0.007065758 h/u. 6 h/u.

Scores du niveau d'ensoleillement capté par l'intérieur de la galerie



+

21 Juin solstice d'ete 90° Unités ensoleillées Temps d’ensoleillement par unité Temps maximum d’ensoleillement

2 500 / 34 495 0.009297966 h/u. 6 h/u.

Scores du niveau d'ensoleillement capté par l'intérieur de la galerie



+

22 Sept. equinoxe d'automne 0° Unités ensoleillées Temps d’ensoleillement par unité Temps maximum d’ensoleillement

2 / 34 495 4,8316X10-6 h/u. 1 h/u.

Scores du niveau d'ensoleillement capté par l'intérieur de la galerie



+

22 Sept. equinoxe d'automne 45° Unités ensoleillées Temps d’ensoleillement par unité Temps maximum d’ensoleillement

3 780 / 34 495 0.013770112 h/u. 5 h/u.

Scores du niveau d'ensoleillement capté par l'intérieur de la galerie



+

22 Sept. equinoxe d'automne 90° Unités ensoleillées Temps d’ensoleillement par unité Temps maximum d’ensoleillement

4 447 / 34 495 0.016021646 h/u. 4 h/u.

Scores du niveau d'ensoleillement capté par l'intérieur de la galerie



+

21 decembre solstice d'hivers 0° Unités ensoleillées Temps d’ensoleillement par unité Temps maximum d’ensoleillement

0 / 34 495 0 h/u. 0 h/u.

Scores du niveau d'ensoleillement capté par l'intérieur de la galerie



+

21 decembre solstice d'hivers 45° Unités ensoleillées Temps d’ensoleillement par unité Temps maximum d’ensoleillement

331 / 34 495 0.001066177 h/u. 1 h/u.

Scores du niveau d'ensoleillement capté par l'intérieur de la galerie



+

21 decembre solstice d'hivers 90° Unités ensoleillées Temps d’ensoleillement par unité Temps maximum d’ensoleillement

1 179 / 34 495 0.003797652 h/u. 1 h/u.

Scores du niveau d'ensoleillement capté par l'intérieur de la galerie


7h 6h

75%

75 h/pt

21 Aout 21 Juin

5h

50%

50 h/pt

25%

25 h/pt

(Moyenne h de soleil par pt) X 1000

8h

Heure Max Ensoleillement

9h

100 h/pt Ratio Pts Light

100%

10h

22 Septembre 21 Mars

4h 3h 2h 1h 0% -90°

22 Septembre 21 Mars 21 Aout 21 Juin 21 Décembre

21 Décembre Angle de rotation -60° -45° -30°

30°

45°

60°

90°

0% -90°

Angle de rotation -60° -45° -30°

30°

45°

60°

90°

21 Aout 22 Septembre 21 Mars 21 Juin 0 h/pt -90°

Angle de rotation -60° -45° -30°

30°

45°

60°

21 Décembre 90°


Ensoleillement direct de l'interieur du Storefront A l'étude des résultats de cette analyse, on peut observer certains phénomènes qui se mettent en place par l'action des panneaux rotatifs.

Du point de vue temporel, on peut établir Du point de vue du dispositif, le mouvement des panneaux décrit une rotation autour d'un axe, ainsi les phénomènes que la période qui a lieu entre le solstice évoluent suivent une tendance exponentielle et non linéaire, d'été et l'équinoxe d'automne (21 aout) est la plus favorable pour la quantité de lumière comme on pourrait si attendre dans le cas d'un dispositif coulissant. En effet, lorsque le panneau quitte sa position naturelle directe que l'espace intérieur de la fermée (O°), le niveau d'éclairement naturel augmente très galerie capte. A cet instant le soleil est suffisamment haut dans le ciel pour que les rayons ne soient pas obstrués par les rapidement, puis il se stabilise progressivement jusqu'à atteindre son niveau maximum en position totalement bâtiments élevés au proche de la galerie, et suffisamment ouverte (-90° ou 90°). bas pour qu'ils ne soient pas bloqués par l'imposte de la façade. Les rayons peuvent ainsi pénétrer Les panneaux ne sont pas de forme Le soleil étant positionné en hauteur, profondément dans la galerie. La mise symétrique par rapport à leur axe de les panneaux opposent un obstacle en scène de certaines œuvres pourrait rotation. De plus, certains sont incapable minimum lorsqu'ils pivotent dans les tirer profit de ces observations afin de de pivoter d'un angle équivalent en positif valeurs négatives. Ainsi, ceux qui tournent planifier une valorisation périodique des et en négatif. Ainsi, le taux d'éclairement horizontalement peuvent s'aligner avec pièces exposées. Recours à l’événement, à direct à l'intérieur de la galerie n'évolue pas l'angle d'incidence du soleil et bloquent les l'image des procédés d'éclairage naturels de manière similaire lorsque les panneaux rayons seulement de leur tranche. Pour un zénithaux que Carlo Scarpa dessine pour la sont actionnés dans un sens ou dans l'autre. maximum atteint à -45°. Gipsoteca canoviana. 101


d. Un systeme ouvert, une œuvre en mouvement

L’étude du travail de Steven Holl nous permet d’affirmer que l’architecte porte un intérêt particulier pour les productions, ainsi que les théories des artistes précurseurs de l’art abstrait s’inscrivant dans la période moderne. Dans le cadre des recherches liées à ce mémoire, nous nous sommes concentrés sur Paul Klee et Wassily Kandinsky, « l’abstraction, au début afin de croiser l’analyse de leurs idéologies avec la culture propre à la peinture, théorique de Steven Holl. Le choix de rapprocher les influencera l’architecture (le deux maîtres du Bahaus, enseignants en peinture, avec mur nu, etc.), la sculpture, la l’architecte américain, est justifié par l’apparente similitude danse, la poésie. Le théâtre esthétique de leur production, ainsi que : rien que des tentures, par d’étroits rapprochements idéologiques. pas d’accessoires, etc. Les objets usuels : Le but étant de mesurer l’implication des linge, rideaux, vêtements, etc. La publicité : théories des deux artistes dans l’élaboration typographie et absence d’illustrations. » du projet pour le Storefront. Wassily Kandinsky p.42-42 de Cours du Bahaus.

Cette citation montre la légitimité de notre approche. En effet, il est clair que les préoccupations des peintres abstraits ont fini par contaminer les autres domaines de la création, et notamment l’architecture. L’étude de préceptes émis par des théoriciens de l’art, et plus précisément de la peinture, abstrait(e) parait être une piste porteuse afin de comprendre la composition formelle signée par Holl pour la façade du Storefront.


« Les ornements sont exclus aujourd’hui, non pas à cause de leur inutilité, mais parce qu’une forme simple, actuellement est plus expressive (l’ornement diminue l’expression de l’objet simple). Exemple : l’architecture moderne à Berlin est dépouillée, l’expression est “ cool “. Caractéristiques : 1. pas d’objets inutiles mais matériaux et outillage pour la peinture ; 2. pas d’espace suggéré mais un espace illusoire et transcendant ; 3. des plans, mais transformés en espace illusoire, par exemple, par une fracture qui abolit la surface matérielle.»

Dans le cadre d’une galerie d’exposition, où l’on a tendu, plus vite que dans les autres espaces, à dépouiller l’architecture de symboles ou d’ornements, dont l’éloquence aurait pu interférer avec le contenu sensible des œuvres, le choix d’un recours aux « Question : Pourquoi l’ornement est-il rejeté valeurs théoriques de l’art aujourd’hui ? abstrait semble d’autant Pas à cause de son inutilité pratique, mais parce plus pertinent. qu’il cache la forme simple, qui, aujourd’hui, nous suffit. (La nature dans la peinture), “ expression tempérée “. »

Donner plus de place aux œuvres pour s’exprimer, ne pas interférer avec le message de l’artiste, forcer le dialogue entre l’œuvre et le spectateur par une abstraction complète et maximale du contexte, penser l’architecture des lieux d’exposition comme un fond neutre et inexpressif sur lequel, par contraste, les pièces d’art exposées exaltent leur message. Ces considérations ont conduit les architectes vers un recours quasi systématique à la célèbre « White Box ».

Paul Klee p.183 de Théorie de l’art moderne

Paul Klee p.176 de Théorie de l’art moderne

103


Cette typologie d’espace aseptisé, nettoyé, purifié de toute référence à la réalité de sa matérialité et de son contexte détient une « dimension sacramentelle » permettant d’exacerber les valeurs plastiques de n’importe quel objet placé en son sein.

« Inside the White Cube » pointe cette condition implicite de l’art moderne qu’est l’espace neutralisé, comme suspendu hors du temps et de l’espace, de la galerie : “ la galerie est construite selon des lois aussi rigoureuses que celles qui présidaient à l’édification des églises au Moyen Âge. Le monde extérieur ne doit pas y pénétrer - aussi les fenêtres en sont-elles généralement condamnées. Les murs sont peints en blanc. Le plafond se fait source de lumière […]. L’art y est libre de vivre sa vie. Peut-être un bureau discret pour seul élément de mobilier. Dans ce contexte, un cendrier à pied devient un objet sacré, tout comme un manche d’incendie dans un musée d’art moderne n’évoque pas tant un manche d’incendie qu’une énigme esthétique “. “ Chambre esthétique “ dotée d’une dimension sacramentelle “, la galerie blanche est “ la seule convention majeure à laquelle l’art [moderne] ait dû se soumettre".

Au Storefront, le signe disparaît. Aucun ornement. L’espace se contente uniquement de ce qu’il a besoin pour exister dans une sobriété et une neutralité résolument fonctionnelle : tous les murs intérieurs sont blanc. Le sol, gris sombre, porte les stigmates des bouches d’aération sur un relief minimum. L’éclairage ainsi que le matériel sonore sont disposés sur une série de rails fixés au plafond blanc. Un seul pilastre contre le mur du fond rompt la linéarité de cette face. Un lieu neutre proposant un fond idéalement muet accueillant les productions artistiques les plus diverses.

L’architecte semble résolument en rupture avec les règles de composition classique d’une façade. A première vue, pas d’ordonnancement, pas d’apparente répétition, pas de claire hiérarchie, pas d’ornementation, pas même d’ouverture. Seule un mur continu, gris et aveugle qui accueille le signe « Storefront for art & Architecture » s’étirant d’un bout à l’autre de la façade sous une surprenante corniche placée à l’origine, entre le rez-de-chaussée et le premier étage.


Lorsque l’on est face à la galerie, on peut deviner une série de 12 panneaux aux formes orthogonales mais néanmoins abstraites, qui se détachent du reste de la façade par un joint creux périphériques et un double cadre d’acier. Aucun rapport de proportion évident n’est décelable La première posture radicale prise par l’architecte qu’il dans ces découpes, mais des imbrications en apparence convient de souligner est le choix de mettre à disposition aléatoires. On comprend assez rapidement que ces pans un dispositif dynamiques et non une forme figée. Tout sont mobiles et qu’ils ont la capacité de pivoter librement d'abord, bien que les panneaux actifs ont chacun une autour d’un axe horizontal ou vertical selon disposition, une proportion et un découpage singulier, les cas. Ces panneaux, dont l’épaisseur est leur forme n’appelle pas forcément une fonction précise et définit. De par parfaitement équivalente à celle du reste du leur hauteur ou leur dimension, une fois manipulés, certain d’entre eux mur, peuvent, au choix, s’affirmer en saillie peuvent évoquer l’idée qu’un usage leur a été assigné : chaise, table, banc… du mur à la manière de pièces articulées, Néanmoins, ces fonctions ne sont que des potentiels intrinsèques, car il ou se fondre totalement dans la façade, suffit de les positionner dans une position différente pour qu’ils changent offrant ainsi un espace d’exposition clos et d’utilité et deviennent un autre objet. Ainsi, l’architecte propose un système opaque. Ces parties amovibles constituent ouvert et dynamique qui récuse la staticité et la pré-programmation. les éléments actifs de la façade. Photographie de la façade fermée du Storefront for Art & Architecture

105


Diagramme présentant le concept de « Hinged Space » pour le XYZ apartement


La notion de mouvement tient une place fondamentale dans l’expression du dispositif proposé par Steven Holl. En particulier le mouvement pivotant auquel sont contraint les pièces mobiles de la façade en question. Cette dynamique a fait l’objet de plusieurs études dans le cadre d’autres projets antérieurs de l’architecte. Par exemple, XYZ Apartement projet de 1985, situé dans la MoMA Tower de New York. Holl produit un diagramme représentant les potentiels de dynamiques que contient le projet.

Dans ces projets, la somme des systèmes qui suggèrent un potentiel de mise en mouvement des éléments, sont autant d’incitations au passage à l’acte de la part des usagers. Et cet acte se veut créatif. En effet, Paul Klee définit le mouvement comme élément indispensable de l’œuvre d’art à la fois pour la produire mais également pour l’apprécier.

« [...], l’œuvre, qu’il s’agisse de production ou de réception, est mouvement (durée). Dans l’ordre producteur ceci tient à la limitation manuelle du créateur (il n’a que deux mains). Dans l’ordre récepteur, ceci tient à la limitation de l’œil. La limitation de l’œil est son incapacité de voir simultanément avec une égale acuité tous les points de la moindre surface. L’œil doit «brouter» la surface, l’absorber partie après partie, et remettre celles-ci au cerveau qui emmagasine les impressions et les constitue en un tout. L’œil suit les chemins qui lui ont été ménagés dans l’œuvre. » Paul Klee p.96 de Théorie de l’art moderne

« L’oeuvre d’art nait du mouvement, elle est elle-même mouvement fixé, et se perçoit par le mouvement (muscles des yeux). » Paul Klee p.38 de Théorie de l’art moderne

107


D’une certaine manière, le procéder élaboré par Holl, confère à la façade, une fois manipulée, une valeur d’œuvre d’art. Lorsque l’un des panneaux vient à être actionné, l’action du protagoniste va être formellement exprimée par Holl récuse le formalisme statique d’une le positionnement dudit panneau d’une manière différente façade conventionnelle, au contraire, il à sa position de repos (c’est à dire parallèle au reste du fait l’apologie du mouvement comme mur), produisant ainsi un relief, une porosité, une ombre acte créateur en mettant à disposition sur le panneau ainsi que sur le mur. Une composition un système ouvert et dynamique qui esthétique commence alors à se produire. convoque l’intervention d’un individu afin L’intervention d’un individu extérieur de s’exprimer plastiquement. En effet, comme il a déjà été permet aux formes chahutés des panneaux évoqué, les formes abstraites des panneaux s’affirment de s’affirmer sur le fond lisse du reste de pleinement et prennent toute leur force expressive lorsque la façade du Storefront. Celle-ci devient l’on commence à les manipuler, que par l’action du corps un outil de création, comme un nouveau ces pièces constitutives du mur opaque sortent de leur état médium. de repos et de planéité. Ce phénomène est parfaitement en lien avec la citation de Klee qui s’oppose au formalisme dans l’art abstrait, et au contraire, glorifie le mouvement comme source de vie dans l’œuvre.

« Le formalisme c’est la forme sans la fonction. […] Ils font l’admiration des non-initiés : les formalistes. Tout à l’opposé : la forme vivante. L’initié pressent le point originel de vie. Il possède quelques atomes vivants, il possède cinq pigments vivants : les éléments de forme, et sait un petit endroit gris d’où peut réussir le saut du chaos à l’ordre. Il pressent ce qu’est la création. Il a quelques idées sur l’acte originel. Il s’entend à faire entrer les choses dans le mouvement de l’existence et, mobilisé lui-même, à les rendre visibles. Elles retiennent la trace de son mouvement, et c’est la magie de la vie. Et pour les autres, la magie de revivre cela. » Paul Klee p.54-55 de Théorie de l’art moderne


Il condamne l’art pour la forme, qu’il qualifie de mort. Le but de l’art n’est pas de proposer une forme qui n’aurait rien de plus à apporter au monde que ses propres valeurs plastiques et/ou figuratives. Pour Klee la finalité d’un acte créatif ne doit pas se limiter à sa forme. Il doit ouvrir vers un ailleurs, contenir l’énergie suffisante pour qu’il perdure en tant que mouvement et ainsi qu’il entraine la genèse de nouvelles pensées créatives. L’art se veut fécond et non fini, achevé pour lui-même.

« Nulle part ni jamais la forme n’est résultat acquis, parachèvement, conclusion. Il faut l’envisager comme genèse, comme mouvement. Son être est le devenir et la forme comme apparence n’est qu’une maligne apparition, un dangereux fantôme. Bonne donc la forme comme mouvement, comme faire, bonne la forme en action. Mauvaise la forme dont on s’acquitte comme un devoir accompli. La forme est mort. La formation est vie. »

Le Storefront est une application quasi littérale de cette aspiration des artistes abstraits. La façade en elle-même est une métaphore tangible des préceptes évoqués par Klee. Chaque élément du dispositif mis en œuvre par Holl dispose à tout moment d’un potentiel de mobilité. Ainsi, d’un point de vue fictif l’œuvre n’est jamais statique, elle ne peut être formellement figée, établie ou achevée. Par ce système dynamique, la façade a l’ambition de vivre, et ceux, grâce l’intervention physique du monde du vivant.

Telle un médium d’expression, elle encourage l’intervention extérieure : l’acte créatif. L’action d’une personne génère une forme singulière qui produira des perceptions différentes en fonction des caractéristiques de l’environnement (ensoleillement, utilisation de la rue frontale, vent…) ainsi que des propriétés du spectateur (position, taille, sensibilité…).

Paul Klee p.60 de Théorie de l’art moderne

109


« Géométrie : Dans son cours pour le Bahaus, Kandinsky développe l’idée du mouvement comme acte créatif d’un point de vue formel ou géométrique. En effet, considérant le point comme élément de base de tout système, l’élaboration de tout autre forme partant de cette entité originelle, nécessite une action dynamique localisée sur ce dernier donc un mouvement. Ceci est valable dans n’importe quel cas même pour des figures basiques telles qu’une ligne ou un plan, et ceux jusqu’au volume.

3, 2, 1 : mensuration de corps à trois dimensions, du plan et de la ligne. Le point n’est pas mesurable. Il définit un lieu de l’espace mais ne prend pas de place. Un moment déterminé désigne le moment mais n’a pas de durée. Les corps : leur coupe produit un plan ; le plan : sa coupe produit une ligne ; la ligne : sa coupe produit un point. Le chiffre 3 : trois mensurations, trois coupes finissent par le point. le mouvement d’un point produit une ligne ; le mouvement d’une ligne produit un Plan ; le mouvement d’un plan produit un corps ; le mouvement d’un corps produit d’autres corps (axiome). » Wassily Kandinsky p.147-148 de Cours du Bahaus.

Photographie de la façade ouverte du Storefront for Art & Architecture


Odile Decq, Rolling Doors, 2013



Simulation volumetrique de la revolution des panneaux autour de leurs axes

Suivant l’affirmation de Kandinsky « le mouvement d’un corps produit d’autres corps », on peut se demander quel serait le produit plastique de l’application littérale d’une telle formule sur la façade du Storefront. Dans cette incitation permanente à la mise en action des panneaux de façade dans un mouvement rotatif horizontal ou vertical, une série de volumes fictifs peuvent être imaginés. Ils seraient le résultat formel de la révolution des panneaux autour de leur axe.



Façades fictive du Storefront dont les panneaux auraient subi une extrusion en rÊvolution autour de leurs axes de rotation


Selon Kandinsky, la constitution de toute forme, et ainsi d’un espace, requiert l’application du mouvement sur un élément de base fondamentalement statique à savoir le point. Ainsi, l’élaboration d’un espace, comme l'élaboration d’une œuvre, convoque la notion de temporalité. Un point étant statique détermine un moment, un instant précis, une temporalité ponctuelle. La constitution de tout autres figures nécessite l’application d’un mouvement s’inscrivant sur une durée.

« Car l’espace aussi est une notion temporelle. Le facteur temps intervient dès qu'un point entre en mouvement et devient ligne. De même lorsqu’une ligne engendre une surface en se déplaçant. De même encore pour le mouvement menant des surfaces aux espaces. Un tableau naît-il jamais d’une seule fois? Non pas! Il se monte pièce par pièce, point autrement qu’une maison. Et le spectateur, est-ce instantanément qu'il fait le tour de l’œuvre? (Souvent oui, hélas). » Paul Klee p.37 de Théorie de l’art moderne

A l’image de cette citation de Kandinsky, tout au long de la mise en œuvre de son système, Holl s’évertue à garder un maximum de flexibilité, de mobilité, d’imprédictibilité à la fois sur la forme « La pluralité d’une œuvre n’est de la façade mais également sur l’usage pas un défaut (des détails et l’appropriation. Ce rejet de la préindéterminés ne sont point programmation de la façade passe à la sans “ raison d’être “), mais fois par la mobilité du système tout entier, une qualité permettant à tout qui refuse le caractère froid, inerte et/ un chacun de retenir ce dont ou immatériel d’une façade de galerie il a besoin. » conventionnelle, mais également par l’abstraction de la forme des panneaux. Wassily Kandinsky p.139 de En effet, aucune fonction n’est clairement Cours du Bahaus. évoquée ou perceptible dans le traitement esthétique des pièces mobiles. Seulement des figures monolithiques cintrées de cadre en acier plat, souvent irrégulières, mais toujours orthogonales.


Certaines semblent être exactement disposée à hauteur d’une assise, ou d’une table, d’autres semblent être des portes, mais pour tous le même aspect lisse, bi-matériel et d’une épaisseur semblable à celle du mur. Hormis leur proportion, et leurs caractéristiques ergonomiques De plus, les échancrures, qui rompent la sommaires, rien ne rend compte d'une fonction forme primaire dans laquelle les pièces particulière. Ni poignée, ni accoudoir, pas d’empreinte mobiles s’inscrivent, renforcent la valeur d’assise ou de dossier. Seule une série de surfaces planes plastique des panneaux au détriment de la qui sont capables de pivoter à la verticale définition d’une fonction. Cette attention graphique finit ou à l’horizontale, laissant ainsi un de dissimuler les potentiels éléments de mobilier au travers immense champ de possibilité en terme d'une série de volumes abstraits. Ces irrégularités exaltent d’usage, mais également d'arrangement la forme propre des panneaux et parasitent l’intelligibilité spatial pour la galerie et de composition d’une quelconque fonction établie, au profit d’une plus esthétique pour la façade. grande liberté d’appropriation de l’usage de la façade. Les panneaux deviennent des figures plastiques, abstraites, qui prennent place sur la toile vierge que constitue la façade elle-même.

Ainsi, les formes des panneaux proposent une composition plastiques à la hauteur de ce que Klee établissait comme composition abstraite. C’est à dire, un dispositif visuel qui ne présente aucune référence au monde vécu, hors de toute figuration. Ce qu’il appelle l’œuvre « autonome » quand il fait référence au travail de Robert Delaunay (en opposition avec le travail de Picasso).

« chez Picasso, lorsqu’ils sont dépecés en motifs isolés distribués ensuite selon les besoins de l’idée plastique. Destruction par amour de la construction? Indifférence à l’égard de l’objet et en même temps réclamé pour lui par le mauvais traitement qu’on lui fait subir? Il y a là une contradiction à laquelle l’artiste qui s’y est le plus appliqué, Robert Delaunay, un des meilleurs esprits de l’époque a donné une solution d’une radicalité saisissante en créant le type du tableau autonome, vivant sans motif de nature d’une existence plastique entièrement abstraite. Un organisme formel avec sa respiration vivante, presqu’aussi éloigné d’un tapis _il faut le souligner_ que l’est une fugue de Bach.» Paul Klee p.12 de Théorie de l’art moderne

117


Ainsi, Holl traite la façade du Storefront comme une toile de peinture abstraite. Il propose sa propre composition de figures lisses et inertes dans un premier temps, mais dont l’expression et l’activation est permise par provocation physique d’un intervenant extérieur. L’architecte s’intéresse donc à cette idée du mouvement comme acte créatif développée par les théoriciens de l’art abstrait. Parler de mouvement dans l’œuvre peut renvoyer à l'acte créatif tangible, ou bien aux tensions contenues dans l’œuvre ellemême. Ces tensions sont générées par les relations qu’entretiennent les éléments de la composition entre eux. Leur étude nécessite une compréhension aboutie des recherches des artistes abstraits sur la composition.

« Tensions = la force plus ou moins active inhérente aux éléments. […] Composition = la somme des tensions voulues et ordonnées. […] La force de la tension se mesure par la sonorité relative, donc au moins deux éléments.»

« Quel est le matériau de tous les arts ? Les tensions ! Sous quel aspects retrouvons-nous les tensions dans la peinture? Comme couleur, forme et plan. […] Qu’est ce que c’est qu’une œuvre ? Une composition organique et efficace des tensions. »

« Cette possibilité s’ouvre, si nous découvrons les tensions invisibles des éléments visibles, et si nous nous servons exclusivement de ces tensions, comme éléments de la composition. Les tensions inhérentes des éléments sont des forces statiques, qui attendent des rencontres leur permettant de devenir actives = dynamiques. Les tensions entre deux lignes l’emportent sur les petites tensions initiales et créent une pulsation. Dès que nous percevons cette pulsation, les tensions initiales deviennent secondaires.

Wassily Kandinsky p.85 de Cours du Bahaus.

Wassily Kandinsky p.239 de Cours du Bahaus.

Ces tensions simples et primaires d’un élément à l’autre créent Ie rythme. Il est évident que le rythme définit l’œuvre, qu’une œuvre sans rythme est inconcevable. Mais le rythme n’est pas une répétition plus ou moins simple mais la composition des tensions entre éléments = la composition des rapports. Cette définition explique la construction “ invisible “. » Wassily Kandinsky p.226 de Cours du Bahaus



1_ BĂŠla BartĂłk, (1881 - 1945) est un compositeur et pianiste hongrois.


Au sein de ses cours, Kandinsky développe une véritable science de la composition plastique. La libération de toutes contraintes figuratives se veut être au service d’une Cette aspiration à tirer parti des autres expression claire de ces lois fondamentales. En effet, les domaines de la création artistique est, peintures de Kandinsky n’ont pas pour sujet le monde, pour Kandinsky, légitime car toutes la société ou les individus, mais la peinture elle-même. les disciplines qui cherchent à établir Chaque tableau est l’expression d’un désir d’équilibrer les un rapport particulier au domaine des masses picturales, d’activer des tensions ou des détentes perceptions et du sensible ont recourt à entre les formes afin de parvenir à susciter des émotions ou des subterfuges analogues afin de stimuler des sensations spécifiques lorsque le regard du spectateur les sens. se promène sur la toile « en suivant les chemins laissés par l’artiste ». L’analyse élargie de l’œuvre de Steven Holl nous permet de déceler un usage récurent de règles semblables à celles élaborées par les théoriciens de l’art abstrait. La Stretto House à Dallas construite en 1991 en est un exemple éloquent. Dans ce projet, Holl emprunte un vocabulaire et des méthodes de composition provenant du domaine de la musique et non de celui de l’architecture.

« Dans chaque composition : le rythme, dans la musique, dans la poésie et avant tout dans la danse. Dans la peinture le rythme est inhérent, dans la sculpture et l’architecture il est dans l’espace. Wassily Kandinsky p.225 de Cours du Bahaus.

Le principe de composition formelle qui régit l’ensemble du projet est tiré d’une interprétation matérialiste de la composition musicale de Béla Bartok1 intitulée « Musique pour Cordes, Percussions et Célestas » écrite en 1936. La pièce est divisée en quatre mouvements et se caractérise par des chevauchements entre les instruments de percussion (lourd) et à cordes (léger). De puissants mouvements rythmiques et les divisions irrégulières nous font osciller tantôt vers la sensation que le temps s’arrête, tantôt qu’il accélère. Ce jeu rythmique a, par la suite, été à l’origine du nom du projet. En musique le « Stretto » désigne une partie d’une partitions au cours de laquelle le mouvement doit devenir plus rapide.

121


Holl réinterprète ainsi les préceptes structurants l’œuvre du compositeur en langage architectural. La pièce musicale est organisée selon une disposition spatiale précise entre les instruments aux sonorités « lourdes » et les instruments aux sonorités « légères ». Elle propose une superposition de valeurs auditives différentes et un arrangement des degrés de gravité. Au même titre, l’architecte compose avec les matériaux, les volumes et les espaces afin de charger l'édifice en contenu sensible.

« Architecture’s expression of mass and materials according to gravity, weight, bearing, tension, and torsion reveal themselves like the orchestration of musical instruments. Material is made more dynamic through the contrast of heavy (bass, drums, tuba) Il poursuit en faisant le and light (flute, violin, clarinet). The contrast in mass of the bass parallèle avec le projet instruments in Béla Bartok’s “Music for Strings, Percussion, and Stretto House lui-même, Celeste" is emphasized by the physical separation of the light expliquant de qu’elle and heavy instruments on stage during the performance of the manière ce parti pris piece. The materiality of music is resonantly conveyed via the esthétique a pu engendrer instruments to aural temporal experience. A heavy and light une nouvelle manière de materiality is Iikewise conveyed via the structure, material, and composer les éléments, les spatial experience of architecture. » masses et les volumes, afin qu’ils produisent un ensemble expressif, Steven Holl p.255 de Parallax. qui vibre avec le paysage alentour.

« The Stretto House we built in Dallas, Texas, in 1991 was an experiment in parallel to the Bartok composition. The composition in four movements alternates from the heavy “spatial dams” of concrete block to the billowing, tubeframed, Iightweight roof structures. The house flows Iike the adjacent stream as it merges with the Iandscape laterally. The center of the composition is a “flooded room" where the waterscape fuses with the building. The heavy and light tectonic concept aims toward a new field of Iandscape merging with architecture. » Steven Holl p.255 de Parallax.


Le bâtiment s’affirme ainsi dans un assemblage de volumes minéraux massifs et rigides, qui ponctuent l’élévation sur un rythme constant. Des volumes intermédiaires plus découpés et bâtis avec un autre minéral constituent un remplissage partiel des vides laissés par la première série de volumes. Ces derniers viennent en renfort des éléments verticaux filaires en acier qui soutiennent les complexes toitures morcelées à double courbes qui flottent et ondulent au dessus des espaces de vie. Le découpage des éléments vitrés produit un niveau supplémentaire de rythmes qui, avec le tramage des modules de pierre, viennent s’ajouter à la composition d’ensemble. Ces jeux de masses, d’épaisseurs, de matériaux, de subdivisions, prennent place dans une hiérarchie compositionnelle claire et rigoureuse. Cela rend le projet riche et dynamique.

Ces jeux rythmes, la modularité, la compositions hiérarchique des éléments entre eux est une méthodologie structurante que l’on peut également déceler dans la façade du Storefront. En effet, une analyse bidimensionnelle de l’élévation nous permet de comprendre les règles plastiques qui ont générées les proportions et le dessin des découpes, à l’apparence pourtant abstraite, du Storefront.

Façades de la Stretto House, Steven Holl, 1991, comparée à la composition de Béla Bartok, musique pour quatre cordes

123


r d’o t

g an c Re

t c Re

c Re

le

r d’o n ta

g an

gle

le

d’o

d’o le

t

ai

rf

Pa

Re

t

r

r

r d’o le g an

ng a ct

ar

c Re

C

2.21m 7pieds 1/4

3.96m 13pieds

2.21m 7pieds 1/4

3.35m 11pieds

2.21m 7pieds 1/4


Carré Long

4.57m 15pieds

rf

2.21m 7pieds 1/4

t

t

3.96m 13pieds 2.21m 7pieds 1/4

Re

0.15m - 1/2pied

0.15m - 1/2pied 2.21m 7pieds 1/4

2.43m 8pieds

le ng a ct

r

r d’o

r d’o

r d’o

r d’o

le ng ta c Re

Re

le

d’o

gle

le ng a ct

c Re

ai g an

c Re

Pa 0.15m - 1/2pied

é 0.15m - 1/2pied

rr n ta

Ca 0.61 2pieds


Largeur_ 13 pieds Hauteur_ 8 pieds

Largeur_ 11 pieds Hauteur_ 8 pieds

Largeu 15 pied Hauteu 8 pieds

r

Re

2.21m 7pieds 1/4

le

ng

a ct

d’o

3.96m 13pieds

2.21m 7pieds 1/4

3.35m 11pieds

2.21m 7pieds 1/4


0.61 2pieds

ur_ ds ur_ s

Largeur_ 13 pieds Hauteur_ 8 pieds r

d’o

2.43m 8pieds

gle

0.15m - 1/2pied

c Re

0.15m - 1/2pied

n ta

0.15m - 1/2pied 0.15m - 1/2pied 4.57m 15pieds

2.21m 7pieds 1/4

3.96m 13pieds

2.21m 7pieds 1/4

2.21m 7pieds 1/4


Largeur_ 6 pieds Hauteur_ 3 pieds

Largeur_ 9 pieds Hauteur_ 3 pieds

2.20m 7pieds 1/4

3.96m 13pieds

2.20m 7pieds 1/4

3.35m 11pieds

2.20m 7pieds 1/4


0.61 2pieds 2.43m 8pieds

Largeur_ 6 pieds Hauteur_ 6 pieds

0.15m - 1/2pied

0.15m - 1/2pied

Largeur_ 3 pieds Hauteur_ 6 pieds

0.15m - 1/2pied 0.15m - 1/2pied 4.57m 15pieds

2.20m 7pieds 1/4

3.96m 13pieds

2.20m 7pieds 1/4

2.21m 7pieds 1/4


2.20m 7pieds 1/4

3.96m 13pieds

2.20m 7pieds 1/4

3.35m 11pieds

2.20m 7pieds 1/4


0.61 2pieds 2.43m 8pieds 0.15m - 1/2pied

0.15m - 1/2pied 0.15m - 1/2pied 0.15m - 1/2pied 4.57m 15pieds

2.20m 7pieds 1/4

3.96m 13pieds

2.20m 7pieds 1/4

2.21m 7pieds 1/4


Réglées sur l’unité du pied, la totalité des figures découpées s'inscrivent sur une bande rectangulaire de 8 pieds (2.43m) situées à 1/2 pied (0.15m) au dessus la ligne référence de hauteur du sol, et 2 pieds (0.61m) en dessous de la ligne haute de la façade, juste en dessous de l’enseigne de la galerie.

On peut tout d’abord souligner la mise en place d’un rythme régulier de 4 éléments forts ou lourds, pour reprendre les termes de Holl, qui règlent la composition générale de la façade. Ils ont des dimensions et des formes différentes, mais se basent tous sur une géométrie stricte et orthogonale. Leurs mensurations sont des modules de l’unité du pied.

« Moyens rythmiques : a) répétition de la même forme (réflexion), b) répétition de la même forme (réflexion réduite), c) répétition de la même forme dans une autre position (réflexion désaxé), d) répétition de la même forme dans une autre position et réduite (réflexion désaxé et réduite), e) répétition de la même forme dans une autre couleur (réflexion plus chaude ou plus froide), f) répétition de la même forme mais déformée, par exemple, une forme géométrique transposée en forme libre (réflexion vibrée). » Wassily Kandinsky p.123 de Cours du Bahaus.

« Rythmes : a) addition simple d’éléments simples; b) addition simple d’éléments doubles; c) addition compliquée avec intervalles accrus; d) addition simple avec poids divers. » Wassily Kandinsky p.233 de Cours du Bahaus.

Peinture de Paul Klee intitulée Hauptweg und Nebenwege, 1929


Une analyse aboutie de la façade nous a permis de déceler des outils de composition classique permettant d’obtenir des constructions aux proportions harmonieuses. Ceuxci sont habituellement employés dans le dessin d’édifices sacrés tels que les temples, les églises, les palais ou autres bâtiments prestigieux. Les figures que l’on a pu mettre en avant sont principalement le rectangle d’or dont le rapport de longueur sur la largeur est le nombre d’or lui-même, mais également le carré long qui présente une longueur deux fois supérieure à la largeur (donc deux carrés inscrits), le carré triple qui présente une longueur trois fois supérieure à la largeur (donc trois carrés inscrits), ainsi que des carrés parfaits. Ce phénomène renforce de manière importante le caractère d’œuvre d’art contenu dans la façade du Storefront.

En effet, symboliquement le temple est un « carré long », c’est-à-dire un double carré, soit un rectangle dont les côtés sont dans le rapport 2 par 1, ou bien un rectangle d’or, soit encore un rectangle construit d’après le Nombre d’or. L’architecture sacrée se manifestait par la « projection » dans le plan de deux carrés parfaits juxtaposés l’un à l’autre. Le carré, qui présente quatre côtés isométriques, symbolise tantôt le cosmos, tantôt la terre.

Les parties intermédiaires, de dimensions égales, générées par le vide laissé entre les 4 blocs forts, présentent les proportions d’un rectangle d’or de 7 pieds 1/4 (2.21m) en largeur par 11 pieds 3/4 (3.58m) en hauteur. Dans ce cas 11.75 / 7.25 ~ 1.62 (soit le nombre d’or). Ces rectangles s’inscrivent entre la ligne référence On peut dans un premier temps admettre de hauteur du sol et la ligne haute de que les éléments lourds, que l’on a révélé l’enseigne au niveau de la corniche. Ainsi, par leur dimension importante et leur pas une succession de rectangles d’or peuvent régulier, peuvent produire un premier être perçu d’un bout à l’autre de la façade, découpage de la façade, le premier niveau sur un pas qui varie en fonction de la d’un schémas directeur de la composition largeur des éléments lourds intermédiaires. totale. Ces 4 éléments ont des proportions différentes de l’un à l’autre, mais ils sont disposés sur un pas régulier. Ainsi l’espace qui les sépare est constant tout au long de la façade.

133


La surface sur laquelle s’inscrit les panneaux forts suivent également un logique proportionnelle très rationnelle. Soit pour rompre avec la monotonie avérée d’un rythme régulier à 4 temps, soit dans le but de faire écho aux nombre de bow-windows des étages supérieurs, l’architecte a regroupé les panneaux en question par L’espace résiduel, qui paires. Leur mise en relation se produit par des similitudes termine la façade à son proportionnelles. En effet, les deux éléments lourds des extrémité droite se trouve extrémités prennent place sur une surface également avoir les « picturale » dont la proportion peut être proportions d’un rectangle d’or unique. ramenée à la fusion de deux rectangles d’or Toutefois, l’élément léger qu’il contient en position verticale. Les deux éléments ne lui permet pas de rejoindre la catégorie plus centraux s’inscrivent sur des carrés des parties structurantes aux sonorités parfaits de 11 pieds de côtés. Pour lire ce lourdes. Ces figures trouvent leur place carré, il convient de soustraire la largeur entre la ligne référence de hauteur du sol de « la porte d’entrée » à l’élément lourd et la ligne basse de l’enseigne au niveau de central droite, à savoir 4 pieds (1.22m). la corniche.

Deux rectangles d’or à chaque extrémité des figures lourdes, soit deux formes spirituelles disposées à la verticale et réunies pour former un rectangle horizontal de part et d’autre. Puis, deux carrés parfaits qui affirment plus de stabilité et d’équilibre au centre de la composition. Et enfin, une verticale franche affirmée par « la porte d’entrée ».

Après s’être intéressé au schémas directeur de la façade, et aux proportions Au Storefront, si l’on s’en des portions de façade sur tient à la classification lesquels prennent place des types de rythmiques les panneaux on peut que Kandinsky a établi, le commencer à approfondir premier niveau structurant l’analyse en direction de de la façade est proche la logique qui règle la d’une réflexion désaxée proportion des panneaux et réduite. Ces éléments eux-mêmes. lourds de la composition étant de hauteur égale mais de largeur différente, ils prennent des poids différents dans le système global. Toutefois, ils sont séparés d’un pas constant de 7 pieds 1/4 (2.21m), ainsi ils rejoignent les rythmes en addition simple et poids divers évoqué par Kandinsky.


Les deux éléments structurants positionnés au centre De plus, on peut souligner que les deux varient du reste. Le bloc central le plus à droite, d’une pièces fortes les plus périphériques largeur de 15 pieds (4.57m) par 8 pieds (2.43m) de haut sont inscrites dans des rectangles aux est le bloc qui dispose de la largeur la plus importante. Sa proportions exactement identiques, à L’élément le plus à gauche, la porte, forme très horizontale est minimisée par son découpage savoir 13 pieds (3.96m) de large pour 8 pieds présente des proportions de carré long en deux sous-blocs de dimensions variées. Tout à gauche, (2.43m) de hauts. Ce rapport correspond (carré double). En effet, sa hauteur est un élément élancé de 4 pieds (1.23m) de large par 8 pieds également à celle d’un rectangle d’or. Dans deux fois supérieure à sa largeur. Lorsque (2.43m) de haut. Il constitue la porte d’entrée officielle, ce cas 13 / 8 ~ 1.62 (soit le nombre d’or). l’on soustrait l’espace de la porte à la l’élément le plus définit dans son usage, et Ces 2 figures sont donc inscrites dans un totalité du reste du bloc, il nous reste un l’unique ayant un axe de rotation désaxé. rapport de proportions harmonieuses espace résiduel de 11 pieds (3.35m) de large par 8 pieds Sa direction très verticale réaffirme un qui confirme l’attention particulière de (2.43m) de haut. Ceci correspond aux dimensions exactes rapport à la spiritualité qui balance avec Steven Holl pour les règles de composition de la découpe du dernier élément fort, le plus petit, en l’horizontalité dominante du sous-bloc de esthétique. deuxième position des éléments structurants principaux en droite mesurant 10 pieds 1/2 (3.20m) de large et 8 pieds partant de la gauche de la façade. Ainsi, ces deux éléments (2.43m) de haut. Chacun d’eux est un rectangle régulier. forts centraux (porte d’entrée exclue) ont des proportions Ni l’un ni l’autre ne présente une forme perturbée par des identiques. découpes.

Un rectangle d’or à chacune des extrémités des figures lourdes, soit une forme spirituelles disposées de part et d’autre. Puis, deux rectangles. Le plus long de la composition est découpé en deux panneaux : un carré long très vertical et l'autre moins étiré mais toujours horizontal. Il contrebalance le poids affirmé de l’élément fort adjacent.

135


Pour finir, ces éléments, définis comme structurant de par leur sonorité lourde, sont les seuls qui pivotent autour d’un axe vertical.

Si l’on s’intéresse aux espaces interstitiels entre les parties lourdes, on peut mettre en exergue l’existence d’éléments secondaires de la composition, aux sonorités moindre, mais qui suivent des logiques de proportions tout aussi radicale. Ces panneaux se basent également sur l’unité du pied et ses sousmultiples. De plus, on peut constater que chacun d’eux utilise la figure du carré parfait comme module proportionnel.

L’élément le plus à gauche se développe horizontalement sur un carré triple de 9 pieds (2.74m) en largeur par 3 pieds (0.91m) de haut, en s’appuyant sur la ligne de référence de hauteur du sol. Il vient s’imbriquer dans l’élément fort le plus à gauche afin de chahuter la régularité du rectangle d’or dans lequel il s’inscrit. Ce rapport particulier d’un élément à l’autre conduit à la mise en œuvre d’une échancrure à l’angle en bas à droite du panneaux fort en question. Le deuxième le plus à gauche démarre de la ligne basse de l’enseigne (ou ligne haute de la façade), et s’étend de 3 pieds vers le bas (0.91m) et 6 pieds (1.83m) en largeur, produisant ainsi un carré long (ou carré double). Le suivant part de la ligne de référence de hauteur du sol et s’étire verticalement en s’inscrivant sur un carré long de 6 pieds (1.83m) de haut et 3 pieds (0.91m) en largeur. Les deux éléments qui suivent sont les plus réduit de la composition. Ils se présentent sous la forme de carrés longs verticaux de 3 pieds (0.91m) de haut et 1 pied 1/2 (0.46m) de large. Ces derniers sont inclues sur la surface de l’élément lourd le plus à droite, et contrarient la perfection du rectangle d’or dans lequel il s’inscrit pour produire deux échancrures aux angles bas du rectangle. Un autre élément de ce type prend place tout à droite de la composition. Mais avant celui-ci, un élément s’inscrivant dans un carré parfait de 6 pieds (1.83m) de côtés s’appuie sur la ligne de référence de hauteur du sol.

La totalité de ces éléments, définis comme secondaires de par leur sonorité plus légère, représentent tous les éléments qui pivotent autour d’un axe horizontal.


En dernier lieux, il s’agit de comprendre la stratégie géométrique qui a été utilisée pour définir les irrégularités A ce point, il convient assez aisément de ces panneaux, qui pourtant sont inscrit dans des figures d’assimiler la façade du Storefront au géométriques répondant à des règles strictes et régulières. Plan Originel, base de toute composition On a déjà évoqué la cause de certaines de ces découpes picturale, qui est décrit par Kandinsky dans qui sont le résultat de l’imbrication d’éléments secondaires ses cours. qui empiètent sur les panneaux principaux. Une autre « Le plan originel : Après avoir analysé les éléments. raison, que l’on a déjà évoqué dans le chapitre précédent, est la présence Le plan originel = limitation délivrée d’une portion d’éléments structuraux pré-existant dans la galerie, qu’il convient de de l’univers sur laquelle la composition se fera. conserver bien qu’il ont une incidence sur la géométrie des éléments de En analysant les éléments les plus “ simples “ façade. Ainsi, les poteaux structurels, positionnés juste derrière la façade, (éléments originels) la constatation que le vraiment contraignent certains éléments à s’interrompre prématurément ou à “ simple “ n’existe pas - chaque élément originel se fendre. Ceci est le cas pour 4 des 12 panneaux. De plus, deux tubes est un phénomène sommaire compliqué. De coudés sont utilisés pour ventiler les espaces sous-terrains du bâtiment et même pour le plan originel.» ressortent en façade, forçant 2 panneaux de plus à s’affranchir d’un de ses angles bas. Wassily Kandinsky p.75 de Cours du Bahaus.

Ainsi, l’artiste souligne la complexité d’une composition plastique ou chaque élément, même les plus basiques, ont une place déterminante dans les phénomènes sensibles que génère l’ensemble de l’œuvre.

« Le rythme propre du P.O. ne saurait être écarté, car le P.O. a son rythme propre en ab - bc - cd - ad : format en largeur = sonorité matérielle ; format en hauteur = sonorité spirituelle. » Wassily Kandinsky p.123 de Cours du Bahaus.

137


« Tensions de l’élément + Les propriétés du plan originel (essentiellement proportions poids de l’élément + tensions hauteur/largeur) sont décisive pour l’expression sensible du P.O. = 3 facteurs de la d’une création artistique. Dans le cas d’un tableau, le composition. peintre à la primeur du choix du format qui convient le mieux à son dessein. Il choisira ainsi d’accentuer la Remarques : une ligne qui sonorité matérielle en largeur ou spirituelle en hauteur touche les limites du P.O. suivant ses aspirations. Au Storefront, les dimensions de perd sa tension. Sa tension la façade étaient déjà établies du fait de la physionomie s’accroît, dès qu’elle s’arrache du site d’intervention. Ainsi, le format des limites du P.O. Cette loi coïncide avec la loi était déjà fixé, avec un élancement dans la générale qui veut que l’on évite de s’approcher largeur, accentuant les sonorité matérielle, des limites (Lessing). » et un tassement vertical, minimisant les sonorités spirituelles de la composition Wassily Kandinsky p.87 de Cours du Bahaus. esthétique de la façade du Storefront.

Au Storefront, une attention particulière semble avoir été porté sur l’application de cette règle observée par Gotthold Ephraim Lessing. En effet, toutes les ouvertures sont disposées hors des limites de la façade. Au minimum, 1/2 pied (ou 15cm) à l’intérieur des limites, ce qui représente l’espace qui a été laissé entre chaque panneaux adjacents, et qui est probablement la résultante de l’épaisseur des tubes d’acier structurels à l'intérieur de la façade, supports du dispositif. Cette dimension se reporte également au niveau de la lisse basse de la façade. Ce qui peut être surprenant car cette volonté « graphique » produit une marche, une sorte de seuil marqué entre l’intérieur et l’extérieur de la galerie. La fonction d’entrée des panneaux rotatifs est ainsi reléguée au second plan face à l’expressivité forte de la composition esthétique des figures, suivant des règles graphiques élaborées par les peintres abstraits.


Nous évoquions dans le chapitre précédent « la tripleness », notion chère à Steven Holl, qu’il a eut l’occasion de développer au sein de différents projets, mais qu’il a spécifiquement formalisé dans le cadre du projet pour le Bellevue Art Museum de Washington. Au travers de sa proposition, l’architecte exprime la nécessité de fusionner, réunir les différents domaines de la compréhension et de la représentation du monde afin de les confronter en un lieu de culture pour qu’ils finissent par générer un pensée synthétique absolue. L’acte créatif qui s’en suivrait se voudrait être enrichie des 3 axes de compréhension du vivant, ce qui lui conférerait une force théorique et expressive transcendantale.

Cette aspiration à réunir les disciplines de réflexion sur le monde est fondamentale dans l’idéologie du Bahaus. En effet, elle est l’un des piliers idéologiques de l’école et de son enseignement. Ceci est largement exprimé par Kandinsky lors de ses cours au Bahaus. Il insiste sur la nécessité de réunir tous les champs de pensées autour d’un vocabulaire commun, de notions comparables ou complémentaires. Il évoque également à plusieurs reprises le but idéologique avéré de l’enseignement du Bahaus, à savoir la « grande synthèse » de la raison (les sciences, les techniques) et de l’âme (les arts), dans le but d’engendrer l’avènement de « l’homme nouveau ».

« Je réponds que les grands principes sont immuables, nous ne connaissons que des variantes, en ce moment nous vivons une synthèse de la raison et de l’âme. »

« Notre tâche est de créer l’ “ atmosphère “ pour l’avènement de l’homme nouveau, supérieur. »

On a déjà pu constater que la tendance idéologique en faveur de la réunification des champs de pensée était partagée par l’architecte Wassily Kandinsky p.204 de Wassily Kandinsky p.225 de Steven Holl. Déjà pour Cours du Bahaus. Cours du Bahaus. le projet de la Stretto House, évoqué plus haut, il s’imprègne du domaine de la musique. « La qualité indispensable de l’homme “ nouveau Il emploie notamment les méthodes de “ est l’union de la pensée précise (analyse composition ainsi que le vocabulaire de et synthèse) et de l’émotion libérée, de la “ l’orchestre comme vecteur conceptuel sensibilité “ : restreint et ample à la fois. » et base de l’élaboration de son projet architectural. Wassily Kandinsky p.239 de Cours du Bahaus.

139


A plusieurs reprises Holl cherche à mettre en relation étroite plusieurs domaines de la création ou de la pensée scientifique. On peut également attester de cette tendance dans son livre Parallax où de nombreux phénomènes architecturaux sont assimilés à d’autres phénomènes provenant de domaines d’étude différents.

Storefront for Art & Architecture, comme son nom l’indique, se veut être une plateforme pluridisciplinaire. En effet, tel que l’organisation se présente sur son site internet, son intention est de proposer un espace de débat, de collaboration ou d’expérimentation afin d’instaurer un dialogue entre les différents domaines qui influencent, affectent ou questionnent l’environnement bâti.

« Storefront for Art and Architecture advances innovative and critical ideas that contribute to the design of cities, territories, and public life. Storefront’s exhibitions, events, competitions, publications, and projects provide alternative platforms for dialogue and collaboration across disciplinary, geographic, and ideological boundaries. Since its founding in 1982, Storefront has presented the work of over one De cela ressort une apparente sensibilité thousand architects and artists.[…] Storefront commune dans le mixage et la confrontation is committed to spatial experimentation des domaines d’étude du vivant. Depuis les and innovation, and remains one of the only peintres du Bahaus, en passant par Holl et platforms focusing primarily on the intersection jusqu’au Storefront gallery, chacun essaye of architecture, art, and design. » d’étendre les limites de leur domaine d’activité, d’enrichir les débats en croisant Site internet du Storefront for Art & Architecture. les points de vue et les sensibilités. Le but étant de réunir de manière prolifique les domaines du sensible et de la raison.


Un autre thème majeure de l’art abstrait, qui a fait l’objet d’une étude approfondie de la part de Klee et Kandinsky, est la question de la couleur. Ce sujet est d’autant plus délicat qu’il s’agit ici de l’étude d’une galerie et donc d’un lieu d’exposition qui est un type d’espace pour lequel la thématique de l’atmosphère est fondamentale. Ainsi, dans les cours que Kandinsky donna au Bahaus, celui-ci revient sur la pertinence des problématiques liées à la couleur (notamment en matière de perception des formes et des espaces) et sur la complexité latente de l’étude des phénomènes qui lui sont liés.

« Dans la peinture, la mensuration n’est possible que pour Ici, Kandinsky rappelle l’hégémonie de la forme sur la les formes et cela de façon incomplète. Mais la forme paraît couleur. En effet, il admet que tout ce qui est de l’ordre du différente selon sa couleur (plus grande, plus petite), selon perceptible n’est que forme et couleur, toutefois il précise sa position (direction) ; (exemple : un rectangle horizontal ou qu’une forme « incolore » peut se concevoir, alors que vertical). Ces effets optico-psychiques ne peuvent se mesurer. l’inverse est impossible. Plus loin dans ses cours, l’artiste […] Dans l’architecture, l’effet de la couleur, reconnait la couleur comme un des outils de l’aménagement intérieur, des ouvertures. « La couleur : Forme : 1) couleur + 2) graphisme de composition fondamental, au même (La même pièce semble différente vue par des conformes aux lois naturelles. Dans la nature titre que la forme et le plan, car elle génère portes opposées, etc.). Des particularités que comme dans l’art tout est FORME et COULEUR. des tensions. nous ne saurions mesurer, sont décisives. La La forme devient lisible par la couleur, ou par grande conception, le schéma, le squelette clair-obscur qui sont, en fin de compte, aussi (la construction) sont vie en soi, vibrent par les des couleurs. particularités. Le sentiment obtient ce que la En principe, on peut concevoir une forme raison ne saurait obtenir. Donc : ET. » « incolore », une couleur sans forme, par contre n’est qu’imaginaire. ( “ Au début était la tache “, Wassily Kandinsky p.36-37 de Cours du Schmarson.) » Bahaus. Wassily Kandinsky p.51 de Cours du Bahaus.

141


« Quel est le matériau de tous les arts ? Les tensions ! Sous quel aspects retrouvons-nous les tensions dans la peinture? Comme couleur, forme et plan. Quelles sont les relations entre couleur et forme ? Y a-t-il des identités ? Non, mais des parallèles! Non pas = mais. Qu’est ce que c’est qu’une œuvre ? Une composition organique et efficace des tensions. »

L’étude de l’œuvre de Holl nous permet de mettre en évidence un intérêt particulier de l’architecte pour les problématiques liées à la couleur. On retrouve cela à la fois dans ses bâtiments construits mais également dans ses productions graphiques en phase d’élaboration du projet tels que des croquis conceptuels, ou perspectives d’ambiances à l’aquarelle.

Wassily Kandinsky p.51 de Cours du Bahaus.

Série de croquis préliminaires pour l'élaboration du projet Storefront, Steven Holl, 1993


Il semble qu’au travers de ses dessins Holl Dans sa série de croquis pour le Storefront gallery, Steven cherche à rendre matériel certains éléments Holl propose plusieurs compositions formelles présentant de l’immatériel. Ainsi, les dynamiques ou les des degrés de figuration ou d’abstraction plus ou moins mises en actions envisagées sont figurées important selon les cas. Ces croquis semblent évoquer par des formes de rails extrudés, les rayons la mise en action de portion de la façade, le contrôle de lumineux paraissent être évoqué par des ces mouvements. Ils semblent aussi traiter de jeux avec la lumière naturelle. De plus, on peut observer des réflexions tubes jaunes, rappelant l’idée d’un faisceau lumineux. Cette particularité n’est pas sans préliminaires sur la matérialité de la façade qui semblait, rappeler la citation de Kandinsky sur la à ce moment là, être constituée de tôles ondulées. La genèse des formes à partir de géométries notion de « participating wall » est déjà présente dans certains croquis. L’ambition de ré-interroger la limite entre basiques grâce au mouvement. l’espace d’exposition et le monde extérieur « le mouvement d’un point produit une ligne ; est perceptible. Cette idée est soulignée le mouvement d’une ligne produit un Plan ; par le débordement d’un halo jaune qui le mouvement d’un plan produit un corps ; semble partir de l’intérieur de la galerie et le mouvement d’un corps produit d’autres corps s’étire sur le trottoir, telle une aura céleste (axiome). » provenant du monde de l’art et illuminant l’espace public. Wassily Kandinsky p.147-148 de Cours du Bahaus. 143


D’autres projets de l’architecte, antérieurs ou ultérieurs au Storefront, font également état de cette sensibilité pour les réflexions chromatiques et plastiques portées par les peintres abstraits tels que Klee, Kandinsky ou même Mondrian. Cela se perçoit à plusieurs niveaux : dans le graphisme caractéristique de ses aquarelles, dans les palettes chromatiques employées à la fois dans les peintures de l’architecte mais également dans ses édifices bâtis. Cela vient s’ajouter à toutes les autres sensibilités déjà évoquées plus haut tels que l’attachement aux rythmes, aux règles de compositions esthétiques, le recours aux formes abstraites dans les découpes, ainsi que dans le dessin des éléments de vitrage.

(Gauche) Croquis de Holl pour la chapelle à Port Ludlow, 1991, (Bas) photographie de Chapel of St. Ignatius, Holl, 1997

Klee énonce ainsi les principes qui établissent la conception moderne de la grande thématique de la couleur dans l’art : « Premièrement, les énigmes de la série finie sont résolues, c’est-à dire qu’elles ne se posent plus. Le nouveau mouvement, conforme à une continuité sans fin, se rapporte au contour du cercle. Nous l’appellerons donc échelle périphérique des couleurs. L’autre aspect de la nouveauté réside sur les trois diamètres permettant de relier les six couleurs et de les grouper, de les articuler en trois couples. On a donc d’une part un mouvement sur la circonférence, de l’autre des échelles diamétrales de couleurs. Ces mouvements diamétraux vont et viennent du rouge au vert, du jaune au violet et du bleu à l’orange. De plus, les trois diamètres se recoupent en un point (le centre du cercle chromatique). » Paul Klee p.68 de Théorie de l’art moderne


Klee rationalise la complexité des valeurs chromatiques en établissant des groupes de couleurs élémentaires qui prennent place sur un « cercle théorique ». Cette organisation géométrique des couleurs permet d’énoncer une série de règles de mise en relation harmonieuse des couleurs entre elles. Kandinsky s’attache a comprendre la charge émotionnelle et sensible contenue dans les couleurs. L’objectif est de comprendre l’impact des couleurs sur la perception (consciente ou inconsciente). Une telle approche opticopsychologiques lui permet d’expliquer, avec un certain pragmatisme, les tensions émotionnelles qui prennent place au sein de ses œuvres.

« positif-excitant = rouge-orange-jaune; négatif-calmant = vertbleu-violet ; Rouge = le plus excitant, gai, vivace, irritable, méchant. Rose = semblable, mais plus calme. Rouge foncé = pareil. Rouge pourpre = lugubre, effrayant, insupportable. Jaune = se trouve isolé au centre du spectre. Jaune verdâtre = passage vers l’influence négative, par contre jaune orangé = les effets excitants du rouge, mais équilibré. Des êtres sains. Jaune = allègre, chaud, joyeux ( “ rayon de soleil “ ). Rouge = des êtres jeunes et Primaires (paysan russe). Rouge brun = calmant, convient aux savants et dans les bibliothèques (rouge foncé). Jaune verdâtre = le plus neutre, indifférent. Les couleurs “ négatives “ ont, plus elles s’approchent du violet, un effet calmant et finalement pesant. Vert = calmant, mais a la longue déprimant, indispose, rend indolent. Bleu = calme les excites, mêne à la mélancolie la rêverie. En général : plus les ondes sont courtes, plus l’effet est désagréable, au maximum pour le violet.»

Pour son projet D.E. Shaw & CO. Offices à New York, en 1991-92 (contemporain aux études pour la façade du Storefront), Steven Holl a recours à une approche phénoménologique de la couleur. Il utilise une palette de couleur et un dispositif semblable à ce que le Corbusier a pu mettre en œuvre pour l’église Saint Pierre de Firminy.

Wassily Kandinsky p.70 de Cours du Bahaus.

145


Holl propose un espace totalement blanc (sol exclue), percé de motifs géométriques abstraits assez semblables à ceux que l’on peut voir au Storefront. Dans un second temps, les parties masquées du contour des ouvertures en façade sont peintes de couleurs différentes, puis les percements sont obstrués par des panneaux lisses, en ménageant toutefois un interstice pour laisser passer la lumière naturelle entre les panneaux et la façade. Ainsi, les rayons lumineux qui pénètrent dans l’espace rebondissent une première fois sur les parties colorés pour ensuite se répandre sur le panneaux réflexif. La lumière naturelle vient ainsi activer la couleur, et lui donne vie en la projetant sur le panneau en vis à vis. Les éléments colorés entre en interaction avec la lumière naturelle et ses variations avant d’inonder l’espace intérieur.

Photographies de l'église St Pierre de Firminy, Le Corbusier, 1973-2006

Ce type de système permet à une couleur unique de s’exprimer de manière extrêmement variée en fonction des conditions de l’environnement. Suivant le moment de la journée, la couleur change en intensité, en tonalité, même en teinte lorsqu’elle se mélange à une autre couleur projetée. Renvoyant à la citation de l’architecte :

« What the eyes see and the senses feel in questions of architecture are formed according to conditions of light and shadow. » Steven Holl p.63 de Question of perception, Phenomenology of architecture.


Bien que le traitement de la couleur soit un des thèmes qui lie le travail de Steven Holl à ceux des deux artistes, dans le cadre du Storefront Gallery, la réflexion sur couleur n’a pas été au-delà des croquis préliminaires de l’architecte. En effet, l’architecte a préféré privilégier la neutralité des éléments architecturaux afin de rehausser, par contraste, l’expressivité des œuvres montrées. Un parallèle étroit s’instaure entre la façade du Storefront et l’image d’une toile vierge sur la laquelle les artistes apposent leur œuvre, un « White Canvas ». Que ce soit une œuvre matérielle, une performance éphémère ou la simple utilisation des éléments mobiles par un visiteur, la façade offre le potentiel de composer et d’interagir avec elle.

Photographies D.E. Shaw & co. offices, Steven Holl, 1992

147


Cette réflexion nous renvoie à la notion du Plan Originel qui a une place fondamentale dans n’importe qu’elle composition esthétique. « Première partie : Les étudiants répondent à mes questions : quel était le contenu des cours de ce semestre ? Le plan comme lien entre les éléments et la construction ; il est le “ terrain “, donc le début de la construction (étendue et masse), mais il est aussi un élément, porteur de tensions. Ici aussi tout se tient. » Wassily Kandinsky p.168 de Cours du Bahaus.

Dans la théorie Kandinskienne de la couleur, le blanc est une couleur privilégiée car elle est capable de s’assortir avec toutes les couleurs sans ajouter de tensions particulières autres que celles contenues par les éléments déjà présent au sein de la composition.

Sa neutralité avérée serait un argument décisif dans la justification du choix du blanc comme couleur de prédilection des espaces d’exposition et notamment ceux dédiés à l’art moderne. Et l’intérieur du Storefront, ne manque pas à cette homogénéisation stylistique. On se rappelle de ce que Brian O’Doherty énonce à propos de l’espace de la galerie dans son ouvrage sur le White Cube.

« Une harmonisation est facile par addition de blanc, car toutes les couleurs accueillent le blanc sans que leur tension initiale soit profondément changée. Une harmonisation par le noir est plus difficile car le noir, ajouté à certaines couleurs, crée de nouvelles tensions (par exemple : jaune + noir). Wassily Kandinsky p.98 de Cours du Bahaus.

« L’image qui vient à l’esprit est celle d’un espace blanc, idéal, qui, mieux que n’importe quel tableau, pourrait bien constituer l’archétype de l’art du vingtième siècle ; il s’éclaire au fil de l’inéluctable nécessité historique qui semble attachée à l’art qu’il contient. La galerie idéale retranche de l’œuvre d’art tous les signaux interférant avec le fait qu’il s’agit d’ ” art ”. L’œuvre est isolée de tout ce qui pourrait nuire à son auto-évaluation. […] Le monde extérieur ne doit pas y pénétrer - aussi les fenêtres en sont-elles généralement condamnées ; les murs sont peints en blanc ; le plafond se fait source de lumière. […] Cet espace sans ombre, blanc, propre, artificiel, est dédié à la technologie de l’esthétique. Les œuvres d’art y sont montées, accrochées, distribuées pour étude. » Brian O’Doherty p.36 de White Cube, L’espace de la galerie et son idéologie.


Toutefois, Klee énonce la couleur grise comme la couleur la plus pure car elle se trouve au centre du cercle chromatique. Le gris est le résultat de l’assemblage de toute les couleurs. Cette couleur correspond à celle des panneaux de fibro-ciment composant la façade de la galerie.

Kandinsky aussi évoquera le statut particulier de la couleur grise lors des cours du Bahaus. En effet, il affirme qu’elle fait partie de la gamme de couleur au fondement d’une composition absolue. Pour lui, les différents stades du clair-obscur produisent le contenu spirituel d’une œuvre d’art.

« Etablir un point dans le chaos, c’est le reconnaître nécessairement gris en raison de sa concentration principielle et lui conférer le caractère d’un centre originel d’où l’ordre de l’univers va jaillir et rayonner dans toutes les dimensions. Affecter un point d’une vertu centrale, c’est en faire le lieu de la cosmogénèse. A cet avènement correspond l’idée de tout Commencement (conception, soleils, rayonnement, rotation, explosion, feux d’artifice, gerbes) ou, mieux : le concept d’œuf. »

« Peinture-musique :

“ Dans la composition absolu (le spirituel) s’exprime par la ligne droite et les plans en non-couleur (noir, blanc, gris), cependant que le relatif (le naturel) trouve son expression dans les plans de couleurs et le rythme“ (Mondrian). Couleur-sonorité, non couleur-bruissement. L’illimité est dans la ligne droite, dans les plans rectangulaires et dans les couleurs primaires. Les lignes courbes et voûtées limitent. Cela est valable aussi pour l’architecture + la musique. »

Plus loin dans ses propres notes de cours, il présente la couleur grise comme « l’équilibre parfait » des deux extrémums du clair-obscur. « Si le jaune, le rouge et le bleu sont éliminés et si le blanc et le noir sont superposés, le gris prend naissance. L’équilibre parfait du blanc et du noir produit le gris parfait, qui est né de deux silences et il est le silence résultant de la résistance invincible, autant que du manque de résistance. » Wassily Kandinsky p.112 de Cours du Bahaus.

Wassily Kandinsky p.45 de Cours du Bahaus.

Paul Klee p.56 de Théorie de l’art moderne

149


Ainsi, une série de facteurs ont conduit à une certaine sacralisation de l’objet façade élaborée par Holl et Acconci. Malgré l’échelle réduite de cette intervention architecturale, on peut distinguer une complexité de mise en œuvre qui renvoie à une importante culture artistique, esthétique ainsi qu’une fine maitrise des La posture stylistique qui a motivé les sciences de la forme. A plusieurs niveaux, concepteurs a choisir le gris comme cet élément architectural peut être perçu couleur de la façade semble trouver une comme une œuvre d’art dynamique, légitimité forte dans les théories sur la interactive et anticonformiste. Elle assume couleur des peintres abstraits du Bahaus son caractère accusateur condamnant à la Klee et Kandinsky. Les projets de Holl fois le formalisme statique des productions paraissent s’inscrire dans le prolongement du courant déconstructiviste, ainsi que de l’idéologie des artistes de ce courant. l’agonie inerte du white cube moderne.

Photographie de la façade du Storefront for Art & Architecture.


Peinture de Paul Klee, (gauche) GerĂźst eines Neubaues 1930, (haut) Harmonie der nĂśrdlichen Flora, 1927

151


e. Storefront et ses parallaxes multiples La modification de la position d’un observateur, et/ou de sa ligne de vision, dans un référentiel spatial établi est défini par la parallaxe.

En premier lieu, il convient d’expliquer le concept de parallaxe, qui est une notion empruntée aux sciences de l’optique mais dont la définition de base a pu être métaphoriquement étendue à d’autres domaines, ce qui lui confère plusieurs niveaux de compréhension. On la rencontre le plus souvent dans le domaine de l’astrologie ou les autres sciences de l’observation du lointain car elle fut utilisée comme un outil méthodologique afin d’estimer la distance qui sépare un observateur d’un point physiquement inaccessible. Steven Holl illustre le concept de parallaxe par recours au récit d’Homer dans l’Odyssée.

« Odysseus on his homemade raft faced a sea horizon wrapping 360 degrees. He would hold up one finger against the horizon, look at it first with one eye and then with another. His finger’s two positions bracketed a piece of the horizon. When he fully extended his arm and tried this exercise again, a smaller piece of the horizon was bracketed… the parallax was changed! Astronomers long used the same phenomena to measure the distance to the stars. The Earth’s orbit around the sun, 186 million miles, was the parallax basefine. » Steven Holl p.349 de Parallax.

Diagramme expliquant le phénomène de parallaxe


Steven Holl nous offre ici une définition au premier degré de la notion. Ainsi on comprend que le parallaxe implique intrinsèquement la rencontre d’une somme de composantes, à savoir : un référentiel d’étude, un observateur, un sujet observable et un déplacement (soit de l’observateur, soit du sujet, soit du référentiel). Dans le cas de l’anecdote de Steven Holl, Ulysse balance son regard en se concentrant tour à tour sur un œil puis l’autre (faisant abstraction de déplacement très lent de l’embarcation).

On peut considérer que le point de l’observation se déplace d’un œil à l’autre. Le référentiel se compose du paysage en face d’Ulysse que l’on peut juger fixe. Celuici est soumis à la mesure du doigt dont la position varie. Le phénomène parallactique correspond ainsi à cette modification du résultat de la perception visuelle par déplacement du doigt, comme objet de mesure de l'expérience, dans l’espace.

Dans un deuxième ouvrage, Holl ainsi que deux autres écrivains, Juhani Pallasmaa, Alberto et Pérez-Gomez, font état de l’impact de ce phénomène du parallaxe sur notre expérience visuelle du monde, plus particulièrement dans un contexte urbain. La conception classique de l’horizon lointain, perdant consistance à mesure qu’il s’étire au loin du regard, a disparu dans la ville moderne. Etant le modèle d’organisation socio-spatiale privilégié de notre ère, densité et efficacité sont de vigueur. L’épaisseur des bâtiments a cessé de croître lorsque le besoin de lumière naturelle de ses usagers est devenue trop importante.

De ce fait, on étire la ville vers le haut, on ferme l’horizon. Les vides entre les bâtiments sont des espaces programmés, dont les dimensions répondent avant tout à des gabarits fonctionnels : trottoirs, arbres, stationnement, voies de circulation, le tout dupliqué en miroir jusqu’à la façade en vis à vis. L’effervescence de l’espace public est simulée, pré-calculée afin d’attribuer une surface légitime à telle ou telle fonction. Le but étant de concilier l’usage et la rentabilité. Le vide est optimum, le plein est dense.

153


« These spatial experiences are openended. They form a network of overlapping perspectives. The old conditions of linear perspective with its vanishing points and horizon line, disappear behind us as modern urban life presents multiple horizons, hovering horizons, and multiple vanishing points. » Steven Hol, Juhani Pallasmaa, Alberto PérezGomez p.48 de Questions of perception, Phenomenology of architecture.

« Within the experiential continuum of enmeshed space, we understand distinct objects, distinct fields, as a “ whole ”. Our experience of a city can only be, however, perspectival, fragmented, incomplete. This experience - unlike a static image - consists of partial views through urban settings, which offer a different kind of involvement or investigation than the bird’s eye view, which is typically used by architects and planners. »

Comme l’exprime ici les 3 auteurs, l’expérience que nous avons de la ville actuelle est étroitement liée au phénomène de parallaxe. Notre esprit recompose une image mentale de l’environnement urbain, comme une contraction de l’ensemble des perceptions éprouvées et assimilées tout au long de nos ballades quotidiennes. Ces images se superposent les unes aux Steven Hol, Juhani Pallasmaa, Alberto Pérezautres à la manière des photographies Gomez p.48 de Questions of perception, surrimprimées de Frank Machalowski 1. Phenomenology of architecture Elles s’additionnent, s’enrichissent, se complètent offrant une sorte de panorama urbain subjectif en constante redéfinition.


1_ Frank Machalowski, est un artiste photographe allemand qui focalise son travail sur la ville et la campagne. Il utilise beaucoup la technique de surrimpression.



Paysages urbains en photographies surrimprimĂŠes de Frank Machalowski

157


« l'immobilité d'un édifice est l’exception ; le plaisir est de se déplacer jusqu'à le mouvoir et à jouir de toutes les combinaisons que donnent ses membres, qui varient : la colonne tourne, les profondeurs dérivent, des galeries glissent, mille visions s'évadent du monument, mille accords. »

De plus, si dans le passé le déplacement horizontal du piéton était l’une des seules manières envisageable pour qu’un observateur parcoure la ville, les innovations successives ont offert une variété de nouvelles manières de concevoir Paul Valéry p.89 de Introduction à la méthode la mobilité urbaine : vélos, voitures, bus, de Léonard De Vinci. tramways, métros, trains, téléphériques, avions, drones… Mais également de nouvelles formes de mobilités internes aux édifices : escalators, ascenseurs, moving walk… Cette ouverture du champ des possibles offre des points de vues inaccessibles auparavant, des vitesses de déplacement variés, des translations horizontales mais également verticales, diagonales… Et de fait, une quantité de nouveaux parallaxes ont été rendu accessible.

« Our perception develops from a series of overlapping urban perspectives, which unfold according to angle and speed of movement. While we might analyze our movement along a specific path at a given speed, we can never enumerate all possible views. The partially described paths through urban geometries remain in doubt, always changing. A series of views from a stationary position is layered upon perceptions La multiplication des parallaxes along a horizontal, diagonal, or vertical axis of envisageables pour un observateur est movement. » donc à l’origine d’un enrichissement de l’expérience d’un environnement. Le Steven Hol, Juhani Pallasmaa, Alberto Pérezspectre de nos perceptions s’étoffe, se Gomez p.55 de Questions of perception, complète et se complexifie. La ville et Phenomenology of architecture. l’architecture sont éprouvées, ressenties, perçues différemment.


Le phénomène de Parallaxe est directement lié au mouvement du corps de l’observateur, à sa capacité de pouvoir changer de position ou d’angle d’observation par rapport au sujet qui suscite son attention et qu’il perçoit. Le mouvement pouvant se définir par le déplacement d’un corps inscrit dans un référentiel donné d’une position 1 à une position 2 sur une durée t, ainsi les variations de l’expérience visuelle sensible liées à la parallaxe engage nécessairement le facteur temps.

Un premier rapport au temps peut être entendu dans le mouvement de l’observateur. Un second transparaît par les effets de son écoulement sur les conditions atmosphériques de l’environnement d’observation. En effet, au cours d’une année, d’un mois, d’une journée, d’une heure ou même d’une minute, une multitude de facteurs qui interviennent dans la définition des qualités d’un milieu peuvent varier, altérant ainsi l’expérience sensible des individus qui y sont confrontés. De ce fait, un observateur, même statique, peut enregistrer une modification de sa perception personnelle d’un objet. Ainsi, les phénomènes cumulés du passage du temps, du mouvement et de la parallaxe entrent simultanément dans la constitution du contenu émotionnel et sensible d’un objet, d’un espace ou d’un lieu.

« The edges, contours, and surfaces of the structures that define urban spaces (redefined in parallax) are revealed in dynamic perception and in light. Mere geometry or the idea of “ facade ” is too limiting. The experience of urban space generated by the slight rotation of individual planar walls is inseparable from the parabola of sunlight grazing its boundaries. The movement of sunlight exerts relational forces on spatial definition, engaging the body of a stationary building. The silver light of the sun, the tree-cast shadow, and the glossy surface of concrete walls interact in a shadow play with the body’s movement through them. City spaces at night embrace us with ellipses of projected light, glowing glass facades, and transformations induced by mists and rain. A dense complex of blocks, cut by a canyon street by day, is redefined by night as a shimmering prism of lights in a Chiaroscuro of projected shadows. There are astonishing effects of fog vapors at night when clouds of white light surround the tops of lighted towers, or golden gauzelike ribbons radiate into the night sky. The spatial definitions of the city interlock in a web of movement, parallax, and light. » Steven Holl p.31 de Parallax.

159


Photographies de Richard Silver tirĂŠes de sa sĂŠrie Time Slice qui traite du passage du temps sur les paysages urbains.


« Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne m’interroge, je le sais; si je veux répondre à cette demande, je l’ignore. et pourtant j’affirme hardiment, que si rien ne passait, il n’y aurait point de temps passé ; que si rien n’advenait, il n’y aurait point de temps à venir, et que si rien n’était, il n’y aurait point de temps présent. […] c’est en toi, mon esprit, que je mesure le temps. Ne laisse pas bourdonner à ton oreille: comment? comment? et ne laisse pas bourdonner autour de toi l’essaim de tes impressions; oui, c’est en toi que je mesure l’impression qu’y laissent les réalités qui passent; impression survivante à leur passage. elle seule demeure présente; je la mesure, et non les objets qui l’ont fait naître par leur passage. c’est elle que je mesure quand je mesure le temps : donc, le temps n’est autre chose que cette impression, ou il échappe à ma mesure. » Augustin d’Hippone, p.194-202, Livre XI de Confessions.

Une citation d’Augustin d’Hippone (qui L’auteur philosophe Slavoj figure également dans le livre Questions Žižek, dans son livre Vivre of perception, Phenomenology of la fin des temps développe architecture déjà évoqué) évoque l’idée sur la notion de parallaxe que le temps n’est concevable que parce dans un passage intitulé « que l’homme est capable de capter du La parallaxe architecturale réel. Ce mécanisme le rend capable de ». Il en profite pour étendre faire évoluer sa conscience du monde qui son explication de la l’entoure. La captation fait intervenir la notion vers les valeurs transformation de ce qui est ressenti en plus philosophique du émotion. La mémoire se charge ensuite de terme. L’écrivain nous le fixer et de le conserver jusqu’à ce qu’une offre ainsi une définition nouvelle perception n’altère l’entendement relativement exhaustive du du souvenir pré-existant. concept de parallaxe. Et finit par évoquer le rapprochement de cette notion avec la théorie de la peinture cubiste.

161


« La ” parallaxe ” , selon sa définition commune, est l'apparent déplacement d’un objet (la modification de sa position dans un cadre défini) causé par un changement du point d'observation qui procure une nouvelle ligne de vision. Bien sûr, la nuance philosophique qu'il convient d'ajouter tient à ce que la différence observée n'est pas simplement ” subjective ”, étant donné que le même objet qui existe ” là ” se trouve observé de deux positions ou points de vue différents. En langue hégélienne, on dirait que le sujet et l'objet sont en fait intrinsèquement ” médiatisés ”, si bien qu'un changement ” épistémologique ” dans le point de vue du sujet traduit toujours un changement ” ontologique ” dans l'objet lui-même.

Par conséquent, l'écart parallaxique ne relève pas uniquement d’un déplacement de perspective (d'un certain point de vue, un immeuble offre un certain aspect - si je bouge un peu, il semble différent) ; les choses deviennent intéressantes à partir du moment où nous remarquons que l'écart est inscrit dans l'immeuble ” réel ” lui-même - comme si l'immeuble, dans son existence matérielle même, portait l'empreinte de perspectives différentes et mutuellement exclusives. Ainsi, lorsque nous réussissons à identifier un écart parallaxique dans un immeuble, l'écart entre les deux perspectives ouvre un espace pour un troisième immeuble, virtuel celui-là. De cette façon, nous pouvons également définir le moment créatif de l'architecture : ce moment ne concerne pas seulement ni d'abord l'immeuble réel, mais essentiellement l'espace virtuel des nouvelles possibilités qu'il ouvre. De plus, l'écart parallaxique, dans un contexte architectural, signifie que la disposition spatiale d'un immeuble ne peut être comprise sans référence à la dimension temporelle : l'écart parallaxique est l'inscription de notre expérience temporelle changeante à l'approche et à l’entrée d'un immeuble. C'est un peu comme une peinture cubiste, qui présente le même objet à partir de différentes perspectives et condense dans la même surface spatiale une extension temporelle. A travers l'écart parallaxique dans l'objet lui-même ” le temps se fait espace ” (ainsi Claude Lévi-Strauss définit-il le mythe). »

« la réflexion cubiste repose essentiellement sur la réduction de toutes les proportions et aboutit à des formes projectives primordiales comme le triangle, le rectangle, et le cercle. » Paul Klee p.12 de Théorie de l’art moderne

Slavoj Zizek 1 de Vivre la fin des temps.


1_ Slavoj Zizek (1949) est un philosophe slovène de tradition continentale. Il est connu pour son utilisation des travaux de Jacques Lacan sous l'angle de la culture populaire ainsi que pour ses analyses de Hegel.



Dans la conception cubiste le but est de s’affranchir de la figuration et du réalisme dans la représentation picturale en proposant d’une part une représentation du sujet réduite à des formes primaires, comme l’explique Klee, et d’autre part de présenter l’espace et les volumes sous la forme d’une déconstruction du processus perceptif. La réduction géométrique est très en lien avec la modernité qui prône une économie de moyen au profit d’une plus grande efficacité et clarté dans l’expression du dessein de l’artiste.

La seconde aspiration du cubisme est directement en lien avec la notion de parallaxe, comme l’évoquait Slavoj Zizek. Le mouvement cherche à rompre avec les représentations classiques de la volumétrie des objets et de la perspective. Cela est en partie dû à la confrontation des artistes aux « La forme idéale : le maximum inéluctables limites que présente la peinture, notamment d’effet avec le minimum d’effort face à la photographie. Dans son aspiration classique (économie). » à représenter le réel, le moment capturé est ponctuel fugace, alors que l’acte de peindre est long et fastidieux. Wassily Kandinsky p.112 de Peindre n’est donc pas adaptée à la captation fidèle du Cours du Bahaus. réel. A la place, les peintres cubistes sont animés d’une volonté de dilater la notion de temps au sein de leurs tableaux. Pour cela, ils produisent une image abstraite du réel perçue depuis différents points de vue, différentes perspectives, à différents moments. Donnant l’effet d’un déroulé panoramique géométrisé du sujet. Le temps et l’espace se condensent au sein de la surface plane de la toile.

Les productions de Steven Holl ne rendent pas compte d’une application littérale du premier principe cubiste énoncé par Klee. En effet, il est impossible d’attester, au vue de ses productions, d’une quelconque démarche de réduction des formes qu’il convoque dans l’élaboration de ses bâtiments. Au contraire, on assiste plutôt à une complexification des géométries provoquée par une aspiration viscérale à exalter les phénomènes sensibles liés à l’édifice.

165


Cependant, une sensibilité particulière de l’architecte vis à vis du mouvement cubiste reste perceptible. On peut notamment en faire état dans le design qu’il a proposé pour le College of Art and Art History, à l’université de l’Iowa, Iowa City en 2000, qui s’inspire de manière assez éloquente de la sculpture de Pablo Picasso intitulée Guitare, 1912-1913.

« We made our initial study models in a sequence of planar constructions. Six months into the experimental process we began to recognize dynamic geometrical aspects similar to those in PabloPicasso's rusted sheet metal sculpture Maquette for Guitar of 1912. We paused for a morning and built a model version of the sculpture in scaled sequence. Then we moved on to work out the functions further in the hybrid planar architecture. Perhaps the cable-stay steel rods of the bridge in our final design still linger as an “instrument” inspiration. Steven Holl p.323 de Parallax.

Modèle d'étude pour le projet College of Art and Art History, par Steven Holl, Iowa City en 2000


De plus, comme on l’a déjà évoqué dans la partie précédente, la démarche projectuelle de Steven Holl aspire définitivement à la « We have reached a marvelous pluridisciplinarité, et notamment à la prise moment in architecture en compte des conceptions élaborées au in which determinant sein des différents domaines de l’art. Ceci developments can occur from est pour lui une évolution de l’architecture any discipline. Architecture, contemporaine. no longer limited to beginning in architecture, can be inspired by music, poetry, sculpture, or scientific phenomena - hundreds, thousands of beginnings. »

Chaque projet est une occasion de tester une nouvelle entrée, un point de départ différent, une autre base théorique, un autre parallaxe. Au travers de cette citation on comprend que la notion de parallaxe pour Steven Holl constitue aussi bien un principe de modification optique qu’une notion de translation, de repositionnement théorique ou philosophique. Il affirme que l’architecture contemporaine s’est libérée de cette pesante contrainte de devoir se considérer comme une discipline isolée, qui peut puiser que dans un référentiel constitué par les réflexions qui la regarde, et qui sont issues du même domaine. Cette mise en quarantaine de la réflexion architecturale est, pour lui, à présent révolue.

Steven Holl p.174 de Parallax. Sculpture intitulée Guitar, Picasso, 1913

167


Désormais, l’architecte est autorisé à puiser dans un champ réflexif plus varié, il peut prendre de nouvelles postures, convoquer de nouveaux points de vue et ainsi changer de parallaxe.

Dans son ouvrage parallax, Steven Holl énonce la réorientation idéologique de l’architecture contemporaine, qui a dorénavant le droit de se positionner hors des brides dogmatiques de l’architecture classique et moderne. A la clarté, la précision, l’exactitude, la stabilité, la pureté fonctionnelle, l’architecte oppose l’intermittence, l’hybridation, le dynamisme et l’interaction avec l’usager.

« Today the absolute is displaced by the relative Ces principes renvoient directement au and by the interactive. Instead of stable systems, projet de façade du Storefront, où un effort we work with dynamic systems. Instead of particulier a été fait sur la mise en oeuvre simple and clear programs, we engage diverse d’un système ouvert et dynamique, qui and contingent programs. We work with, se veut inclusif et non exclusif comme instead of precision and exactness, intermittent peuvent l’être certains espaces d’exposition crossbred methods and combinative systems. moderne. A l’image de la citation de Brian The dynamic and interactive are qualities of O’Doherty dans White Cube p.37 : contemporary architecture that set it apart from « Cette éternité confère à la galerie un statut the clarity of the classic and the functional purity comparable à celui des limbes ; pour se trouver of the modern.[…] We desire an architecture là, il faut être déjà mort. De fait, la présence that will inspire the soul. » de ce meuble bizarre, votre corps, apparaît superflue, c’est une intrusion. Si, dans cet espace, les yeux et l’esprit sont les Steven Holl p.174 de Parallax. bienvenus, on se prend à penser que les corps ne le sont pas - ou ne sont tolérés qu’en tant que mannequins kinesthésiques, pour complément d’enquête. »


Le projet de façade pour le Storefront Gallery prend place dans une série de projets particuliers que Steven Holl a regroupé sous le terme de Hinged Space. Ce concept présume que la production d'espaces qui répondent au dynamisme de la vie contemporaine repose sur des dispositifs dynamiques, ajustables qui donnent la possibilité de reconfigurer et de reprogrammer ces espaces. Ainsi, l’architecte développe pour le Storefront un système inclusif de « mur participatif » qui exprime son désir de stimuler l’interaction des usagers avec l’espace.

Le dispositif de façade luimême peut finalement être perçu comme une représentation tangible du concept de parallaxe exploré par les artistes du mouvement cubisme.

En effet, comme on l'a déjà évoqué, l’architecte en collaboration avec Vito Acconci, propose une façade lisse et uniforme, présentant 12 empiècements de tailles et de formes variées, qui ont la capacité de pivoter verticalement ou horizontalement autour d’un axe central. Ces éléments sont libres d’être basculés et maintenues à n’importe quel degré d’ouverture. Chaque panneau peut alors être assimilé à un gouvernail qui oriente les flux de toute sorte. Depuis l’intérieur vers l’extérieur ou inversement, les échanges physiques et visuels entre l’espace de la galerie et l’espace « participating walls are a hybrid of fixed and publique sont conduits, dirigés, orientés ou bloqués au hinged walls. Space becomes dynamic and travers des « hinged walls ». Suivant la position qu’il leur a contingent. » été donné, le niveau de porosité de la galerie ainsi que les parallaxes disponibles changent. Tantôt la façade donne Steven Holl p.226 de Parallax. à voir généreusement l'intérieur, tantôt elle s'entrouvre timidement, ou bien elle préserve jalousement. L’espace unique de la galerie peut ainsi offrir un nombre de configurations morphologiques et parallactiques infinies sur la ville ainsi que sur les œuvres qu’elle abrite.

« Rather than moving geometries that were static in realization, these geometries moved altering experiences of space, changed in parallax. » Steven Holl p.230 de Parallax.

169


Photographies du Storefront for Art & Architecture montrant les porositĂŠes visuelles int/ext


La morphologie extrêmement particulière de l’espace de la galerie, à savoir un triangle rectangle très long (environs 28.5m), pointu et peu profond (environs 6m maximum), a poussé la galerie à outrepasser les limites de sa façade. Les contraintes spatiales relatives à ce volume atypique produisent une embarrassante pauvreté dans les arrangements possibles, les parcours, les points de vue et ainsi les expériences envisageables. En effet, dès que l’on entre on a immédiatement vue sur tout. Ainsi, les deux protagonistes ont choisi d’élaborer un dispositif qui permet de multiplier les points de vue, de produire des parallaxes multiples, afin d’enrichir l’expérience visuelle et sensible, de l’intérieur vers l’extérieur et inversement.

171


Notre actuel rapport à la ville implique un mouvement multidirectionnel quasiconstant dans l’espace urbain, ce qui conduit à une variation permanente des parallaxes. Ainsi, afin d’étudier cette notion, il convient d’avoir recours à l’outil informatique. Toutefois, Steven Holl insiste sur les limites avérées de la simulation digitale des qualités urbaines ou architecturales d’un espace. Il la juge non représentative de l’expérience à échelle réelle.

« Through the phenomenological study of cities, we seek ways of incorporating this incomplete, perspectival, experience of space, into our vision and fabrication of architecture. A “multipleperspectives » approach to urban planning is facilitated by using the computer in the design process to find precise plan dimensions within perspectival views, and to test speed, angles of motion, and peripheral vision. However the pixelated digitized cannot simulate qualities of material, light and other sensations of full-scale urban experience. » Steven Hol, Juhani Pallasmaa, Alberto PérezGomez p.55 de Questions of perception, Phenomenology of architecture.

Nous avons réalisé un modèle numérique en 3D du Storefront Gallery et de son contexte proche. Nous l'avons ensuite L’analyse suivante propose une soumis à des variations paramétriques représentation en 3D de l’indice modifiant l'angle d'inclinaison des d’isovisibilité (ou niveau de visibilité) en panneaux rotatifs. De cette manière nous fonction des différentes configurations des avons été capable d’élaborer une analyse panneaux rotatifs composant la façade du comparative quantifiée de l’évolution Storefront Gallery. de certains indices qualitatifs liés aux perceptions visuelles. On peut observer les résultats de la simulation du degré d’exposition visuelle directe de la partie intérieure du Storefront pour une personne se déplaçant le long du trottoir faisant face à la galerie avec une hauteur d’œil de 1,65m.


Impact de la rotation sur la visibilite 0° Moyen de TestsPoints Vues Maximum de TestsPoints Vues Minimum de TestsPoints Vues

0.07 % 41.94 % 0%

Axo

Plan


Impact de la rotation sur la visibilite -30° et 30° Plan

Axo

Moyen de TestsPoints Vues Maximum de TestsPoints Vues Minimum de TestsPoints Vues

9.76 % 83.87 % 0%


+

Niveau de visibilité de l'intérieur de la galerie

8.23 % 77.42 % 0%

Extremums de la visibilité de l'intérieur de la galerie

Axo

Plan


Impact de la rotation sur la visibilite -45° et 45° Plan

Axo

Moyen de TestsPoints Vues Maximum de TestsPoints Vues Minimum de TestsPoints Vues

10.63 % 77.42 % 0%


+

Niveau de visibilité de l'intérieur de la galerie

8.52 % 67.74 % 0%

Extremums de la visibilité de l'intérieur de la galerie

Axo

Plan


Impact de la rotation sur la visibilite -90° / 90° Plan

Axo

Moyen de TestsPoints Vues Maximum de TestsPoints Vues Minimum de TestsPoints Vues

11.51 % 74.19 % 0%


+

Niveau de visibilité de l'intérieur de la galerie

11.45 % 58.07 % 0%

Extremums de la visibilité de l'intérieur de la galerie

Axo

Plan



Isovisibilite de l'interieur du Storefront On peut ainsi constater que l’inclinaison plus ou moins prononcée des panneaux à un impact important sur la perméabilité visuelle de la galerie. De l’espace public vers l’intérieur de la galerie, et inversement.

Similairement à l'étude précédente, les phénomènes évoluent suivent une tendance exponentielle et non linéaire, comme on pourrait si attendre dans le cas d'un dispositif coulissant. En effet, lorsque le panneau quitte sa position fermée (O°), l'isovisibilité augmente très rapidement, puis il se stabilise progressivement jusqu'à atteindre son niveau maximum en position totalement ouverte (-90° ou 90°). On peut relever que les La hauteur du regard est relativement zones les plus exposées aux haute, surtout comparée à l'altitude des regards des piétons sont éléments pivotants horizontaux. Ainsi, les endroits très proche lorsqu’ils sont actionnés, seuls les angles des axes de rotation. Le négatifs permettent au panneaux de se positionnement d'objets à positionner de telle façon qu'un regard plongeant pourra ces endroits contraindrait percevoir l'intérieur de la galerie. Pour les angles positifs, le la galerie à figer les pans. panneaux constitue un obstacle opaque.

La gestion de ce paramètre a un enjeux particulièrement important dans le cas de l'élaboration d'une galerie d'art. En effet, la vue joue un rôle fondamental pour l'usage qui est fait de ces lieux. La compréhension et la maitrise de l'isovisibilité permet des jeux subtils de replis ou d’ouvertures. Certaines portions d’espace peuvent être soustraite à la vue des passants et revêtir un degré d’intimité important, ou à l’inverse, se confronter frontalement aux perceptions visuelles extérieures. De cette manière la galerie a les moyens de mettre en œuvre différentes stratégies afin d’interpeller le public et de susciter la curiosité des passants par la mise en scène du contenue plus que du contenant. L'irrégularité de la forme des panneaux entraine une non-symétrie des résultats pour les angles de rotation positif et négatif.

181


Dans les années 1980, Steven Holl publia deux manifestes qui ambitionnaient de reconstruire la ville en prônant le recours à une méthodologie basée sur l’interprétation des types. D’après ses propres mots « a zero ground of architecture ». Dans son ouvrage Parallax, l’architecte remet en question la pertinence d’une approche typologique. Il lui reproche d’être incapable de pouvoir tirer des conclusions universellement applicable, de ne jamais permettre une synthèse au terme de l’analyse.

« the change in my thinking from the typological to the topological. The problem with a theory of architecture that begins in type is the impossible gap between analysis and synthesis. With the reflective capacities of phenomenology, an intrinsic understanding of space, and a pure passage from the sign to the signified, it is possible to move from the particular to the universal. The seer and the architectural space were no longer opposites ; the horizon includes the seer. A new topological openness in the form of a field that extends to a “horizon-structure” became my theoretical frame (no longer simple morphology-typology). » Steven Holl p.302 de Parallax.

« But the paradox of parallax remains in the seeing self who, in moving, changes the perspective… that is, changes the things seen. Without distrusting the rational potential of thought the senses reveal another world. Ainsi l’architecte passe d’une conception This phenomenal world is typo-morphologique vers un approche the transfigured world of phénoménologique de l’architecture. D’un architecture. » point de vue métaphorique on pourrait dire que le parallaxe de Steven Holl a Steven Holl p.349 de Parallax. radicalement évolué au cours de sa carrière. Et que ce changement a été motivé par un intérêt particulier pour la phénoménologie.


Photographies du Storefront for Art & Architecture montrant les porositĂŠes visuelles int/ext

183


f. Analyse phenomenologique des qualites de perception generees par « les galeries »

Dans un premier temps, il convient d’établir Steven Holl revendique avoir été très fortement influencé que la totalité des rapports qu’un être est par les théories du philosophe Maurice Merleau-Ponty 1 sur la phénoménologie. Nous avons donc porté notre capable d’entretenir avec le monde qui attention sur cette doctrine afin de tenter de déceler et l’entoure est conditionné par son existence de comprendre le contenu phénoménologique du travail physique et matérielle : par son corps. de l’architecte. Les notions développées dans l’ouvrage de Pour exister en tant « qu’être-au-monde Merleau-Ponty intitulé Phénoménologie de la perception, », ce corps ne se limite pas à sa nature ainsi que les écris de Marc Richir 2 titrés phénoménologie substantielle ou tangible. Pour cela, la et architecture, constituent phénoménologie entend le noyau dur de notre le corps comme un corps La phénoménologie est un courant compréhension à l’égard vivant, mouvant, ressentant philosophique, dont la paternité est de cette idéologie et de son et doté d’une conscience attribuée à Edmund Husserl 3, qui se rapport avec l’architecture. (le leib de Husserl). concentre sur l'étude des phénomènes, de l’expérience vécue et des contenus de conscience. L’objectif de cette philosophie est de comprendre l’impact des phénomènes sur un individu, les voies de réceptions de ces derniers et leur implication dans notre rapport au monde.


1_ Maurice Merleau-Ponty (1908 -1961) est un philosophe français principalement connu pour avoir théoriser étudier les structures du comportements et les mécanismes impliqués dans la perception sur la base des théories d'Husserl. 2_ Marc Richir (1943 -2015) est un philosophe phénoménologue belge. 3_ Edmund Husserl (1859 - 1938) est un philosophe et logicien autrichien de naissance, puis prussien, fondateur de la phénoménologie, qui eut une influence majeure sur l'ensemble de la philosophie du xxe siècle.



« la phénoménologique de Husserl, à la réflexion, est la mise au jour de ce que l’homme est au monde et de ce que cet être-au-monde est indissociable de son corps, non pas son corps physique (Körper) quasi-extérieur, mais son corps vivant ou de chair, son Leib. »

Ainsi, l’étude des phénomènes dans leur rapport aux perceptions de l’individu implique une compréhension des mécanismes corporels qui interviennent dans la captation ou réception de ces phénomènes, ainsi que dans la traduction de ces produits du monde en perceptions.

Marc Richir, p.43 de Phénoménologie et architecture. « Le corps est le véhicule de l’être au monde, et avoir un corps c'est pour un vivant se joindre à un milieu défini, se confondre avec certains projets et si engager continuellement. »

« The encounter of any work of art implies a bodily interaction. A work of art functions as another person, with whom we converse. Melanie Klein’s notion of projective identification suggests that, in fact, all human interaction implies projection of fragments of the self to the other person. The painter Graham Sutherland expresses the same view in regards to his own work, “ In a sense the landscape painter must almost look at the landscape as if it were himself - himself as a human being.” In Paul Cézanne’s view the landscape thinks through him and he is the consciousness of the landscape. »

Toutefois, Merleau-Ponty ouvre la voie vers le désaveu de l’approche scientifique, ou objective récusant leur méthodologie empirique à vouloir traiter de la thématique de la perception. En effet, on peut se demander si l’approche causale, ou le recours à l’expérience scientifique est réellement adaptée à l’entendement des mécanismes du lieb liés aux perceptions. L’approche phénoménologique qui fait cas du monde tel qu’il apparait au sujet n’estelle pas plus légitime pour en arriver à une pensée transcendantale de ces questions ?

Juhani Pallasmaa p.36 de Questions of perception, Phenomenology of architecture. Maurice Merleau-Ponty p.111 de Phenomenologie de la perception.

187


« […] la conscience est enfermée dans le corps et subit à travers lui l'action d'un monde en soi, on est conduit à décrire l'objet et le monde tels qu'ils apparaissent à la conscience et par là à se demander si ce monde immédiatement présent, le seul que nous connaissions, n’est pas aussi le seul dont il y ait lieu de parler. »

Il est pourtant vrai que dans le cadre de l’étude des phénomènes, et de leur impact dans le champ perceptif de l’homme, plusieurs approches ou méthodologies sont considérées comme étant Maurice Merleau-Ponty p.87 de Phenomenologie légitimes. Et, celle qui de la perception. semble le plus irréfutable est l’approche rationnelle et empiriste de la science. En effet, l’homme a développé un certain nombre d’outils de mesure, d’unités, d’indices et de lois dans le but d’étudier, quantifier, comparer les phénomènes qui interviennent dans le monde du vivant.

« Cette première consigne que Husserl donnait à la phénoménologie commençante d’être une ” psychologie descriptive ” ou de revenir ” aux choses mêmes ”, c’est d’abord le désaveu de la science. Je ne suis pas le résultat ou l’entrecroisement des multiples causalités qui déterminent mon corps ou mon ” psychisme ”, je ne puis pas me penser comme une partie du monde, comme le simple objet de la biologie, de la psychologie et de la sociologie, ni fermer sur moi l’univers de la science. Toute ce que je sais du monde, même par science, je le sais à partir d’une vue mienne ou d’une expérience du monde sans laquelle les symboles de la science ne voudraient rien dire. […] La science A cela Merleau-Ponty reprend les termes n’a pas et n’aura jamais le même sens d’être que le monde perçu d’Husserl en affirmant que l’origine de pour la simple et bonne raison qu’elle en est une détermination ou toute connaissance, y compris celles qui une explication. » constituent les lois fondamentales des sciences, tient de la capacité de l’homme Maurice Merleau-Ponty p.8-9 de Phenomenologie de la à pouvoir éprouver, ressentir, observer le perception. monde et exprimer ce qu’il constate au travers de sa conscience.


La pensée scientifique ne doit son existence et sa consistance qu’à la capacité de l’individu doté de conscience de pouvoir faire l’expérience des phénomènes. Ainsi, « L’expérience des phénomènes n’est donc Merleau-Ponty évoque l’existence d’une pas, comme l’intuition bergsonienne, l’épreuve pensée pré-scientifique qui est rendu d’une réalité ignorée, vers laquelle il n’y a pas possible par la perception consciente d’un de passage méthodique, _ c'est l’explicitation phénomène. ou la mise au jour de la vie pré-scientifique de la conscience qui seule donne leur sens complet aux opérations de la science et à laquelle celles-ci renvoient toujours. Ce n’est pas une conversion irrationnelle c’est une analyse intentionnelle. »

« Les atomes du physicien paraitront toujours plus réels que la figure historique et qualitative de ce monde, les processus physico-chimiques plus réels que les formes organiques, les atomes psychiques de l’empirisme plus réels que les phénomènes perçus, les atomes intellectuels que sont les «significations » de l’École de Vienne plus réels que la conscience, tant que l’on cherchera à construire la figure de ce monde, la vie, la perception, l’esprit, au lieu de reconnaitre comme source toute proche et comme dernière instance de connaissances à leur sujet, l’expérience que nous en avons. »

Maurice Merleau-Ponty p.86 de Phenomenologie de la perception.

Maurice Merleau-Ponty p.47 de Phenomenologie de la perception.

Par recours à l’analyse phénoménologique on a accès à certains indices ou concepts pour lesquels l’analyse empirique n’a pas de prise. Cet argument démontre la limitation du champ objectif à vouloir expliciter ce qui constitue le champ de la perception.

189


« Définissant une fois de plus ce que nous percevons par les propriété physiques et chimiques des stimuli qui peuvent agir sur nos appareils sensoriels, l’empirisme exclut de la perception Ia colère ou la douleur que je lis pourtant sur un visage, la religion dont je saisis pourtant l'essence dans une hésitation ou dans une réticence, la cité dont je connais pourtant la structure dans une attitude d’agent de ville ou dans le style d’un monument. » Maurice Merleau-Ponty p.47 de Phenomenologie de la perception.

L’empirisme ne se limite qu'à considérer la sensation affaiblie et n’a pas la possibilité de se représenter une sensation élevée au rang de perception. Ceci est due au fait qu’il base son analyse sur une représentation figurative du réel, un modèle ou une image du monde. Il est d’avantage préoccupé de prouver la réalité d’un phénomène, son caractère tangible au vue des lois qu’il connait, qu’il comprend et qu’il admet comme porteuses de vérité.

« Que le fond continue sous la figure, qu'il soit vu sous la figure, alors que pourtant elle le recouvre, ce phénomène qui enveloppe tout le problème de la présence de l'objet est lui aussi caché par la philosophie empiriste qui traite cette partie du fond comme invisible, en vertu d’une définition physiologique de la vision et la ramène à la condition de simple qualité sensible en supposant qu’elle est donnée par une image, c’est à dire par une sensation affaiblie. Plus généralement les objets réels qui ne font pas partie de notre champ visuel ne peuvent plus nous être présents que par des images, et c’est pourquoi ils ne sont que des “possibilités permanentes de sensations“. » Maurice Merleau-Ponty p.48 de Phenomenologie de la perception.

« La prise de conscience intellectualiste ne va pas jusqu’à cette touffe vivante de la perception parce qu’elle cherche les conditions qui la rendent possible ou sans lesquelles elle ne serait pas, au lieu de dévoiler l'opération qui la rend actuelle ou par laquelle elle se constitue. » Maurice Merleau-Ponty p.64 de Phenomenologie de la perception.




« La science n'a d'abord été que la suite ou l’amplification du mouvement constitutif des choses perçues. De même que la chose est l’invariant de tous les champs sensoriels et de tous les champs perceptifs individuels, de même le concept scientifique est le moyen de fixer et d'objectiver les phénomènes. La science définissait un état théorique des corps qui ne sont soumis à l’action d'aucune force, définissait par là même la force et reconstituait à l'aide de ces composantes idéale les mouvements effectivement observés. Elle établissait statistiquement les propriétés chimiques des corps purs, elle en déduisait celles des corps empiriques et semblait ainsi tenir le plan même de la création ou en tous cas retrouver une raison immanente au monde. La notion d'un espace géométrique, indifférent à ses contenus, celle d'un déplacement pur, qui n'altère pas par lui-même les propriétés de l’objet, fournissaient aux phénomènes un milieu d’existence inerte ou chaque événement pouvait être rattaché à des conditions physiques responsables des changements intervenus, et contribuaient donc à cette fixation de l’être qui paraissait être la tâche de la physique. »

La représentation du réel et des phénomènes sur laquelle se base la méthode empirique est une abstraction, un modèle réduit à ce qui est nécessaire pour comprendre les conditions relatives au monde qui permettent à un phénomène de pouvoir être. Cette forme de pensée linéaire (cause/effet) admet que la production d’un phénomène ne peut être que le résultat d’une seule combinatoire satisfaite au sein de l’expérience. Mais était-ce là bien ce qu’il nous importe de savoir ? Nous faut-il réellement traduire le phénomène en langage scientifique, en formules arithmétiques, en valeurs numériques quantifiables pour pouvoir l’étudier et pour affirmer qu’il est bien réel ? Est-il légitime d’avoir recours à ces méthodes de remodelage du réel pour comprendre la manière dont-il est perçu par l’individu ?

« La nature n’est pas de soi géométrique, elle ne le paraît qu’à un observateur prudent qui s’en tient aux données, macroscopiques. » Maurice Merleau-Ponty p.83 de Phenomenologie de la perception.

Maurice Merleau-Ponty p.80-81 de Phenomenologie de la perception.

193


« Si le comportement est une forme, où les ” contenus visuels ” La pensée causale, que propose la méthode et ” les contenus tactiles ”, la sensibilité et la motricité ne figurent objective, est irrecevable dans l’étude de qu’à titre de moments inséparables, il demeure inaccessible à la perception des phénomènes car ce la pensée causale, il n'est saisissable que pour une autre sorte processus n’est pas linéaire, il ne répond de pensée - celle qui prend son objet à l'état naissant, tel qu'il pas à des relations de causes à effets, ni apparaît à celui qui le vit, avec l'atmosphère de sens dont il est à des réactions de proche en proche, qui alors enveloppé, et qui cherche à se glisser feraient passer l’appareil sensoriel pour un L’hypothèse de constance, soutenue dans cette atmosphère, pour retrouver, derrière simple conducteur d’information. Au contraire, celui-ci par la pensée objective, proclame qu’un les faits et les symptômes dispersés, l'être est impliqué dans des mécanismes bien plus complexes phénomène transmet aux organes de sens totale du sujet, s'il s'agit d'un normal, le trouble d’interprétation et de réorganisation des informations des messages qui doivent être portés, puis fondamental, s'il s'agit d'un malade. » sensorielles (ou stimuli). déchiffrés, de manière à reproduire en nous le texte original. Produisant ainsi un schémas de fonctionnement Maurice Merleau-Ponty p.152 de comparable à celui d’un système récepteur-transmetteur, où une Phenomenologie de la perception. connexion constante a lieu entre le stimulus et la perception élémentaire. La phénoménologie réfute l’hypothèse de constance et affirme que dès l’instant où le phénomène est ressenti par le corps, « même dans les zones les plus périphérique de l’être », le message sensitif se trouve remanié.

« Le sensible est ce qu’on saisit avec les sens, mais nous savons maintenant que cet « avec » n’est pas simplement instrumental, que l’appareil sensoriel n’est pas un conducteur, que même à la périphérie l’impression physiologique se trouve engagée dans des relations considérées autrefois comme centrales. » Maurice Merleau-Ponty p.32 de Phenomenologie de la perception.


Le corps, en tant que leib, est impliqué dans « la mise en forme » ou l’élaboration de la perception telle qu’elle sera éprouvée par le sujet. Ainsi, la perception ne dépend pas uniquement du phénomène qui a lieu en dehors du corps. En effet, il découle aussi de la manière dont le corps, et notamment la conscience, se positionne par rapport à lui. Merleau-Ponty évoque un exemple qui démontre que la conscience elle-même, par l’intention d’une action, peut engendrer la création, la modification ou l’altération d’une perception chez le sujet.

« Quand j’ai l’intention de regarder vers la gauche, ce mouvement du regard porte en lui comme sa traduction naturelle une oscillation du champ visuel : les objets restent en place, mais après avoir vibré un instant. Cette conséquence n’est pas apprise, elle fait partie des montages naturels du sujet psycho-physique, elle est, nous le verrons, une annexe de notre “schéma corporel“, elle est la signification immanente d’un déplacement du “regard“. Quand elle vient à manquer, quand nous avons conscience de mouvoir les yeux sans que le spectacle ne soit affecté, ce phénomène se traduit par un déplacement de l’objet vers la gauche. Le regard et le paysage restent collés l’un à l’autre, aucun tressaillement ne les dissocie, le regard, dans son déplacement illusoire, emporte avec lui le paysage et le glissement du paysage n’est au fond rien d’autre que sa fixité au bout d’un regard que l’on croit en mouvement.»

« C'est dire que ” la qualité sensible ”, les déterminations spatiales du perçu et même la présence ou l'absence d'une perception ne sont pas des effets de la situation de fait hors de l’organisme, mais représentent la manière dont il vient au devant des stimulations et dont il se réfère à elles. […] Le cerveau devient le lieu d'une ” mise en forme ” qui intervient même avant l'étape corticale, et qui brouille, dès l'entrée du système nerveux, les relations du stimulus et de l’organisme. L'excitation est saisie et réorganisée par les fonctions transversales qui la font ressembler à la perception qu'elle va susciter. » Maurice Merleau-Ponty p.103 de Phenomenologie de la perception.

Maurice Merleau-Ponty p.74 de Phenomenologie de la perception.

195


A ce point de notre explication des mécanismes du leib impliqués dans la perception d’un phénomène, il convient de différencier certains termes essentiels. La phénoménologie proclame la distinction sémantique entre Sensation et Perception. En effet, La sensation est périphérique au système qui engendre une perception. Elle correspond à une étape préliminaire de l’action d’un stimuli sur le leib. La perception est l’aboutissement des mécanismes de conductions, transcriptions « Pour recevoir en elle-même une signification et réorganisation structurelle du message qui la pénètre vraiment, pour s’intégrer dans un sensoriel ou stimuli. La perception se « contour » lié à l’ensemble de la « figure » et construit, elle s’élabore au travers de la indépendant du « fond », la sensation ponctuelle conscience, en se basant sur un vécue, des devrait cesser d’être une coïncidence absolue expériences, des perceptions antérieures. et par conséquent cesser d’être comme La perception a donc nécessairement sensation. » recours aux souvenirs, aux données de la mémoire. Maurice Merleau-Ponty p.37 de Phenomenologie de la perception.

« percevoir c’est se souvenir » Maurice Merleau-Ponty p.42 de Phenomenologie de la perception.

Peinture de Mark Rothko intitulée No. 10, 1950


Percevoir s’est aller audelà de ses souvenirs. C’est la mise en lien, le rapprochement par la conscience du contenu sensible d’un phénomène, tel qu’il est perçu par le sujet, avec le sens renfermé par certaines données de la mémoire.

« Percevoir n’est pas éprouver une multitude d’impressions qui amèneraient avec elles des souvenirs capables de les compléter, c’est voir jaillir d’une constellation de données un sens immanent sans lequel aucun appel aux souvenirs n’est possible. Se souvenir n’est pas ramener sous le regard de la conscience un tableau du passé subsistant en soi, c’est s’enfoncer dans l’horizon du passé et en développer de proche en proche les perspectives emboitées jusqu’à ce que les expériences qu’il résume soient comme vécues à nouveau à leur place temporelle. Percevoir n’est pas se souvenir. » Maurice Merleau-Ponty p.46 de Phenomenologie de la perception.

« Puisque j’éprouve dans l’attention un éclaircissement de l’objet, il faut que l’objet perçu renferme déjà la structure intelligible qu’elle dégage. Si la conscience trouve le cercle géométrique dans la physionomie circulaire d’une assiette, c’est qu’elle l’y avait déjà mis. » Maurice Merleau-Ponty p.51 de Phenomenologie de la perception.

« Mais aussi le jugement, introduit pour expliquer l'excès de la perception sur les impressions rétiniennes, au lieu d’être l'acte même de percevoir saisi de l’intérieur par une réflexion authentique, redevient un simple " facteur " de la perception chargé de fournir ce que ne fournit pas le corps, — au lieu d’être une activité transcendantale, redevient une simple activité logique de conclusion. […] le jugement perd sa fonction constituante et devient un principe explicatif […]»

Le Jugement peut être considéré comme une réflexion intérieure, un positionnement personnel à propos d’un phénomène ressenti. Il est un acte de conclusion ou d’explication qui a valeur de vérité pour moi-même. Il est annexe à la perception, qui elle est la captation d’ « un sens immanent au sensible ».

Maurice Merleau-Ponty p.58 de Phenomenologie de la perception.

197


« […] percevoir dans le plein sens du mot qui l’oppose à imaginer, ce n'est pas juger, c’est saisir un sens immanent au sensible avant tout jugement. Le phénomène de la perception vraie offre donc une signification inhérente aux signes et dont le jugement n'est que l'expression facultative. »

« La perception une fois comprise comme interprétation, la sensation, qui a servi de point de départ, est définitivement dépassée, toute conscience perceptive étant déjà au-delà. »

« La configuration sensible d’un objet ou d’un geste, que la critique de l’hypothèse de constance fait paraître sous notre regard, ne se saisit pas dans une coïncidence ineffable, elle se “comprend“ par une sorte d’appropriation dont nous avons tous l'expérience quand nous disons que nous avons “trouvé“ le lapin Maurice Merleau-Ponty p.62 dans le feuillage d'une devinette, ou que nous Maurice Merleau-Ponty p.60 de Phenomenologie de Phenomenologie de la avons “attrapé“ un mouvement. Le préjugé perception. des sensations une fois écarté, un visage, de la perception. une signature, une conduite cessent d’être On peut donc considérer la perception comme une de simples “données visuelles“ dont nous aurions à chercher élévation de la sensation. La sollicitation d’un référentiel dans notre expérience intérieure la signification psychologique et sensible contenu dans la mémoire de l’individu qui psychisme d’autrui devient un objet immédiat comme ensemble intervient dans la transfiguration de la sensation afin que épargné d’une signification immanente. » le produit de ce processus s’ajoute à, et parfois modifie, la structure générale de l’esprit. Maurice Merleau-Ponty p.84-85 de Phenomenologie de la perception.

L’attention aux phénomènes correspond à l’acte de la conscience qui la rend capable de créer de la pensée. Ce processus consiste en une série d’actions qui ont lieu dans un temps quasi-immédiat. Il part de la captation sensible de phénomènes, leur rapprochement avec certains contenus de conscience déjà présent dans la mémoire (des conceptions anciennes d’un objet), puis la destruction et/ou l’actualisation de ces contenus pré-existants par le produit de la perception nouvelle. Le champ perceptif, en relation avec les phénomènes, est donc impliqué dans les processus constitutifs de l’esprit et de la pensé de l’être. Ils sont à l’origine de sa construction et de son développement sensible, affectif mais également intellectuel.


« Le miracle de la conscience est de faire Merleau-Ponty parle de « sédimentation de apparaître par l'attention des phénomènes qui nos opérations mentales », qui constitue le rétablissent l'unité de l'objet dans une dimension socle de perceptions et ainsi de jugements nouvelle au moment où ils la brisent. Ainsi ou de réflexions ultérieurs. Cette base de l'attention n'est ni une association d’images, donnée est disponible a tout moment pour ni le retour à soi d'une pensée déjà maîtresse ma conscience et elle se nourrie sans cesse de ses objets, mais la constitution active d’un de mes pensées actuelles. Ainsi, comme objet nouveau qui explicite et thématise ce l’exprime le philosophe « elles m’offrent du qui n'était offert jusque-là qu’à titre d’horizon sens et je leur rends ». indéterminé. En même temps qu'il met en marche l’attention, l’objet est à chaque instant ressaisi et posé à nouveau sous sa dépendance. […] Ce passage de l’indéterminé au déterminé cette reprise à chaque instant de sa propre histoire dans l’unité d’un sens nouveau, c’est la pensé même. » Maurice Merleau-Ponty p.55 de Phenomenologie de la perception.

« Il y a de la même manière un ” monde des pensées ”, c'est-à-dire une sédimentation de nos opérations mentales, qui nous permet de compter sur nos concepts et sur nos jugements acquis comme sur des choses qui sont là et se donnent globalement, sans que nous ayons besoin à chaque moment d'en faire la synthèse […] De même mes pensées acquises ne sont pas acquis absolu, elles se nourrissent à chaque moment de ma pensée présente, elles m'offrent un sens, mais je leur rends. En fait notre acquis disponible exprime à chaque moment l'énergie de notre conscience présente. » Maurice Merleau-Ponty p.163 Phenomenologie de la perception.

« De sorte qu'on ne peut pas dire que l'homme voit parce qu'il est Esprit, ni d'ailleurs qu'il est Esprit parce qu'il voit, voir comme un homme voit et Esprit sont synonymes. Dans la mesure où la conscience n'est conscience de quelque chose qu'en laissant traîner derrière elle son sillage, et où, pour penser un objet il faut s'appuyer sur un monde de pensée, précédemment construit, il y a toujours une dépersonnalisation au cœur de la conscience. » Maurice Merleau-Ponty p.171 Phenomenologie de la perception.

de

de

199


Ainsi, les notions précédentes d’accumulation d’un savoir issu d’expériences au sein d’une mémoire qui peut être convoquée par ma conscience à tout moment, renvoient aux problématiques de la temporalité de l’être. De ce point de vue, le corps physique et sensible peut être considéré comme la composante « présent » de l’être. Son esprit lui permet de maîtriser l’écoulement du temps. Grâce à sa mémoire il a connaissance et préserve le passé. Sa conscience lui permet de se projeter, d’imaginer, de configurer un avenir.

« D'une manière générale, Bergson a bien vu que le corps et l'esprit communiquent par la médiation du temps, qu’être un esprit c’est dominer l'écoulement du temps, qu'avoir un corps, c’est avoir un présent. Le corps est, ditil, une coupe instantanée sur le devenir de la conscience. (Matière et Mémoire p.150) » Maurice Merleau-Ponty p.107 de Phenomenologie de la perception.

« Après avoir reconnu l’originalité des phénomènes à l’égard Nous nous sommes, jusque là, attaché du monde objectif, comme c’est par eux que le monde objectif à démontrer la légitimité du champ nous est connu, elle est amenée à leur intégrer tout objet phénoménal. L’approche objective étant possible et à rechercher comment il se constitue à travers eux. seulement permise par notre capabilité, Au même moment le champ phénoménal devient le champ en tant que leib, à percevoir le monde, à transcendantal. Puisqu’elle est maintenant le foyer universel des en faire l’expérience sensible, et de là, en connaissances. […] C'est pourquoi seul de toutes les philosophies générer un savoir cumulé, en constante la phénoménologie parle d'un champ transcendantal. Ce mot actualisation. Ainsi, on est capable, à ce signifie que la réflexion n'a jamais sous son regard le monde entier point de la démonstration, de reconnaitre et la pluralité des monades déployés et objectivés et qu'elle ne une valeur transcendantale à la pensée dispose jamais que d'une vue partielle et d'une puissance limitée. phénoménologique. C'est aussi pourquoi la phénoménologie est une phénoménologie, c'est-à-dire étudie l'apparition de l'être à la conscience au lieu d'en supposer la possibilité donnée d’avance. » Maurice Merleau-Ponty p.87-88 de Phenomenologie de la perception.


Du point de vue de la doctrine phénoménologique, l’acte de perception n’est possible que s’il trouve résonance dans un référentiel déjà constitué et accessible par la En effet, Merleau-Ponty déclare que tout conscience du sujet. Et de même, la phénoménologie mouvement, action ou perception prend affirme que toute perception est indéracinable de son « place sur un fond dont-il est impossible de champ perceptif », du contexte dans lequel s’affranchir. D’un point de le phénomène sera rencontré et éprouvé « Le « quelque chose » perceptif est toujours au vue phénoménologique, par le leib. La prise en compte de ce champ milieu d’autre chose, il fait toujours partie d’un l’abstraction contextuelle perceptif est primordiale dans l’étude des « champ ».[…] Cette tache rouge que je vois sur est donc inconcevable conditions d’élaboration d’une perception. le tapis, elle n’est rouge que compte tenu d’une car le milieu s’inscrit Il défini un arrangement particulier des ombre qui la traverse, sa qualité n’apparaît qu’en trop profondément données du réel, d’un point de vue subjectif rapport avec les jeux de la lumière, et donc dans l’expression d’un mais également intersubjectif, qui va comme élément d’une configuration spatiale. » phénomène, et ainsi, il conditionner l’élaboration de la perception devient décisif dans la chez le sujet. Maurice Merleau-Ponty p.26 de Phenomenologie perception d'un sujet de la perception. sensible.

« Chaque mouvement volontaire a lieu dans un milieu, sur un fond qui est déterminé par le mouvement lui-même (…) Nous exécutons nos mouvements dans un espace qui n'est pas ” vide ” et sans relation avec eux, mais qui au contraire, est dans un rapport très déterminé avec eux : mouvement et fond ne sont, à vrai dire, que des moments artificiellement séparés d’un tout unique. Dans le geste de la main qui se lève vers un objet est enfermé une référence à l'objet non pas qu'on objet représenté, mais comme cette chose très déterminé vers laquelle nous projetons, auprès de laquelle nous sommes par anticipation, que nous hantons. » Maurice Merleau-Ponty p.172 de Phenomenologie de la perception.

201


Il convient toutefois de souligner que le champ perceptif Ce caractère intersubjectif de la perception est la résultante détient à la fois une composante subjective : une du fondement culturel et communautaire du leib. Ainsi le perception se référant sans cesse à une intériorité, un lieb ne peut se comprendre et s’étudier que dans son état référentiel sensible déjà constitué dans l’être, contenu symboliquement institué, c’est à dire en tenant compte du fait qu’il repose dans la mémoire et disponible pour la conscience sur une base institutionnelle ou culturelle communautaire. En étendant ce ; mais également une composante propos, comme on la déjà évoqué, la seule manière que l’être « la dimension immédiatement intersubjective ou communautaire intersubjective, faisant intervenir une a de percevoir les phénomènes liée au monde se fait par le de ce qui en relève, en vertu de laquelle l'incarnation l'est toujours pluralité de sujets et de consciences. C’est biais du leib. En admettant que ce leib est nécessairement d'un être-avec-autrui et d'un être-pour-autrui, coextensifs, déjà du ce que Marc Richir appelle l’ « institution ». institué, alors on ne peut concevoir l’espace et donc monde et du tremblement phénoménologique de l'espace - qui l’architecture que de manière institué. Donc l’architecture n'est pas l'espace géométrique. […] L’être-corps n'est donc pas l'être-Ie-corps ne prend du sens que lorsqu’elle est perçue en relation (Körper) de la psychophysique, mais l'être un autre corps qui, étant symbolique ou avec l’institution symbolique dans laquelle elle se place. culturel, est nécessairement déjà, à sa façon, ” intersubjectif ”, communautaire ou Selon ce propos, une décontextualisation de l’architecture social - nous disons : symboliquement institué, quelles que soient les difficultés de est donc inconcevable. cette institution. » « il revient à Husserl d'avoir montré, au niveau le plus élémentaire, qu'il n'y a pas d'espace qui ne soit du fait même communautaire ou intersubjectif. » Marc Richir, p.44-45 de Phénoménologie et architecture. Marc Richir, p.46 de Phénoménologie et architecture.


« Parallèlement, on pourrait dire, concernant l’architecture, quelle qu’elle soit, du plus humble au plus monumental, qu’elle est faite par et pour ce Leib debout sur un sol inamovible et avec le ciel audessus de la tête : elle est érection de la verticalité, construction d’un toit, constitution d’un dedans et d’un dehors, et doit, en ce sens, pour être fiable, se plier aux contraintes physiques les plus élémentaires de ce qu’on appelle la statique des solides. Il n’y a pas d’architecture sans technè, art architectural, mais c’est ici, on le sait, c’est-à-dire aussitôt, que les choses se compliquent considérablement, puisqu’il y a autant d’architectures que de cultures, et même, puisque, dans les sociétés historiques, il y a autant d’architectures que de phases historiques, sans que, pour autant, l’évolution technologique puisse être désignée comme la seule responsable de ces changements. Autrement dit, et dans nos termes : il n’y a pas d’architecture sans institution symbolique, donc, aussi pas d’habiter humain sans institution symbolique. » Marc Richir, p.48-49 de Phénoménologie et architecture.

Le rôle de l’architecte est de produire des D’un point de vue spatial, l’intervention espaces qui répondent à certaines attentes, de l’architecte sera déterminante. De qui exaltent certains usages, qui satisfont part l’implication phénoménologique de certaines valeurs. On attend de lui qu’il l’espace, l’architecte est responsable de génère des lieux de vie, de communauté, l’orchestration des phénomènes qui se des espaces pour le leib. En effet, par produisent dans le lieu pour lequel il est toutes les caractéristiques, tangibles ou commandité. Compte tenu de la place intangibles, qu’on lui reconnait, l’espace fondamentale du champ phénoménal dans est irrémédiablement impliqué dans la constitution de la connaissance, de l'esprit la définition des caractéristiques d’un et ainsi de la pensée, l’architecte est donc phénomène. parti prenante dans la constitution de l’environnement qui va conditionner le développement de l’esprit des individus qui sont amenés à éprouver l’espace qu’il aura généré. Il est le chef d’orchestre des phénomènes, et à ce titre il est chargé du produit sensible et spirituel qui se dégage du lieu.

« Il [l’architecte] participait au contraire de l’œuvre collective en tant que celui qui devait rendre visible, dans les édifices dont il dressait le plan, l’élaboration symbolique du sens de la vie en communauté, en société. Et cela, même dans le cas où, au service des pouvoirs en place, il devait donner aux palais, aux temples, aux églises, tout l’apparat de la puissance. » Marc Richir, p.54-55 de Phénoménologie et architecture.

203


En cela, l’architecte doit avoir une démarche phénoménologique, s’incarner dans autrui. Il doit également convoquer les données de ses expériences phénoménologiques propres afin de projeter, d’anticiper les phénomènes qui seront assujettis à sa réalisation, prendre la mesure de leurs incidences sur le champ perceptif d’un être. Il doit « Similarly, an architect internalizes a building in pressentir l’architecture qu’il génère, entrer his body ; movement, balance, distance and dans un dialogue sensible avec cet espace scale are felt unconsciously through the body imaginaire. Par ce lien entre le corps de as tension in the muscular system and in the l’architecte et le bâtiment, un dialogue se positions of the skeleton and inner organs. As crée également avec le corps de l’usager. the work interacts with the body of the observer the experience mirrors these bodily sensations of the maker. Consequently, architecture is communication from the body of the architect directly to the body of the inhabitant. » Juhani Pallasmaa p.36 de Questions of perception, Phenomenology of architecture.

D’où l’impossibilité de décontextualiser. En effet, comme l’exprime Marc Richir, faire abstraction du contexte c’est vider l’espace et donc l’architecture de son sens. Et du fait de la responsabilité de l’architecte dans la constitution du leib, le fond neutre comme base de l’architecture ne peut conduire qu’à la perte de notre humanité.

« la ” table rase ” est une abstraction désincarnée, un ” désert symbolique ” où l’élaboration symbolique dégénère en jeu arbitraire de construction parce que de rien, on ne peut faire que du rien, de l’insignifiant ou du dérisoire, où nous sommes amenés à perdre notre humanité, notre Leib et notre Leibhaftigkeit, à nous désincarner dans un point géométrique. Car il n’y a d’élaboration symbolique que comme élaboration des questions de sens laissées pendantes par l’institution symbolique, et il n’y a chair phénoménologique de l’expérience que dans cette élaboration elle-même. » Marc Richir, p.57 de Phénoménologie et architecture.


L’exaltation d’un rapport privilégié entre l’espace architectural et son contexte est le cœur de la théorie des « Enmeshed space » élaborée par Steven Holl. Il reconnait l’aspect déterminant du champ perceptif, subjectif comme intersubjectif, dans lequel l’être fait l’expérience d’un phénomène. L’architecte parle de l’importance de reconnaitre l’existence du contexte, dans sa réalité physique comme culturelle ou institutionnelle.

« Beyond the physicality of architectural objects and the necessities of programmatic content, enmeshed experience is not merely a place of events, things, and activities, but a more intangible condition that emerges from the continuous unfolding of overlapping spaces, materials, and detail. This “ in-between reality " is analogous to the moment in which individual elements begin to lose their clarity, the moment in which an object merges with its field. »

Au Storefront, le dispositif est ouvert et il laisse le choix. Il interroge sur le statut et la définition de l’espace de la galerie. Celle-ci peut être close, ou extrêmement ouverte suivant l’angle de rotation des panneaux rotatifs. Ainsi, l’espace peut décider de son rapport au contexte urbain qui l’entoure : soit lui tourner le dos, soit se laisser pénétrer librement, ou même un compromis. Ce système permet d’ajuster le degré de fusion entre l’espace public de la rue et l’espace privé de la galerie, suivant les exigences des événements contenus.

Le corps (leib) est le moyen par lequel l’être a accès aux perceptions. Il constitue donc la voie d’ouverture du sujet au monde. Toutefois, il convient également d’ajouter que le corps est la cause de la limitation des perceptions. En effet, du point de vue d’un observateur, un objet n’est jamais entièrement visible. L’individu vivant et sentant n’a accès qu’aux objets qu’il peut percevoir et qui viennent à son corps : ce qu’il peut voir, toucher, entendre, sentir, goûter.

Steven Holl p.56 de Parallax.

205


« Pour Husserl, lorsque nous percevons une chose, nous la percevons comme Leibhaft da, ” présente en chair et en os ” comme traduit bien Ricoeur, et cependant, nous ne la percevons jamais en totalité, mais seulement à travers ses Abschaitunget, ses ” profils ”, ou plutôt, ses ” adombrations ” (adumbratio =/ skiagraphia, technique par laquelle les peintres grecs faisaient paraître le volume par des jeux d’ombre et de lumière). Car d’une chose, nous ne percevons jamais tous les aspects ou tous les côtés, mais seulement l’avant qu’elle nous présente, avec son volume propre, et pas l’arrière, qui nous demeure caché. » Marc Richir, p.45 de Phénoménologie et architecture.

En effet, un retour sur la notion de parallaxe nous permet « S'il est vrai que j'ai de comprendre que le changement de point d’observation, conscience de mon corps à allié aux capacités de synthèse de mon esprit me permet travers le monde, qu’il est, au d’embrasser un objet dans sa totalité en faisant le tour. Et à partir de centre du monde, le terme cela, de me constituer une image mentale complète de l’ensemble. inaperçu vers lequel tous les Une représentation volumétrique et même dynamique, objets tournent leur fasse, il Toutefois, si les limitations liées au corps, superposant l’ensemble des parallaxes rencontrés au long est vrai pour la même raison telle que la perspective, constitue une de mon parcours sensitif. que mon corps est le pivot barrière à la perception de certaines du monde : je sais que les objets ont plusieurs « La structure objet-horizon, c'est-à-dire la parties du réel, mon corps, étant mobile et faces parce que je pourrais en faire le tour, et en perspective, ne me gêne donc pas quand je répondant à ma conscience me permet de ce sens j'ai conscience du monde par le moyen vois l’objet : si elle est le moyen qu’ont les objets surmonter ces limitations. de mon corps. » de se dissimuler, elle est aussi le moyen qu’ils ont de se dévoiler. » Maurice Merleau-Ponty p.111 de Phenomenologie de la perception. Maurice Merleau-Ponty p.96 de Phenomenologie de la perception.


A ce point, notre compréhension de l’approche phénoménologique nous permet d’établir certaines valeurs, certains potentiels ou certaines limitations intrinsèques à nos sens. La reconnaissance de ces caractéristiques nous donnent à comprendre les conséquences liées à un dispositif spatial sur notre appareil sensible, et par voie de fait, d’établir quel type de perception pourrait être convoquée.

« The eye is the sense of separation and distance, whereas touch is the sense of nearness, intimacy and affection. During overpowering emotional states we tend to close off the distancing sense of vision ; we close our eyes when caressing our loved ones. »

Juhani Pallasmaa p.34 de Questions of perception, Phenomenology of architecture.

Une considération particulière est attribuée au sens optique. En effet, bien que la vision est le « sens de la distance et de la séparation », contrairement au touché qui engage un contact physique, haptique avec l'objet, les dispositions liées à la vue sont pérennisées dans le temps long par la mémoire, et sont celles que l’on convoque le plus souvent dans le souvenir. Il est vrai que lorsque l’on cherche à se rappeler d’un événement, l’image est ce qui remonte le plus rapidement. Un lien privilégié est donc instauré naturellement entre la conscience et le sens de la vue.

« Le rapport de la matière et de la forme est celui que la phénoménologie appelle un rapport de Fundierung : la fonction symbolique repose sur la vision comme sur un sol, non que la vision en soit la cause, mais parce qu'elle est ce don de la nature que l'Esprit devait utiliser au-delà de tout espoir, auquel il devait donner un sens radicalement neuf et dont cependant il avait besoin non seulement pour s’incarner, mais encore pour être. » Maurice Merleau-Ponty p.159 Phenomenologie de la perception.

de

207


Dans sa morphologie variable, la façade de la galerie met à disposition un champ phénoménologique extrêmement varié et complexe. En effet, jouant à la fois sur des effets d’épaisseur morphologique : affirmation ou retrait de la façade ; mais également sur des fluctuations de niveaux de porosité : plus ou moins opaque aux vues, aux flux, au contexte ; sur un usage indéfini : aucune « S'il doit parvenir à une parfaite densité, en fonction n’est formellement figée sur les d'autres termes s'il doit y avoir un objet absolu, panneaux ; sur une composition esthétique il faut qu'il soit une infinité de perspectives abstraite mais rigoureuse : libre dans les différentes contractées dans une coexistence jeux d’interprétation mais fidèle aux règles rigoureuse. » de l’harmonie ; ce dispositif de façade offre un espace au potentiel phénoménologique Maurice Merleau-Ponty p.98 de Phenomenologie infini. de la perception.

Ainsi, selon Merleau-Ponty, un objet parfait est celui qui déploie une « infinité de perspectives dans une coexistence rigoureuse ». Cette définition semble faire directement écho au dispositif spatial que Steven Holl a élaboré au Storefront Gallery.

L’action des panneaux permet d’avoir une action presque paramétrique sur la mise en place des qualités spatiales (le paramètre variable étant le degré de rotation des panneaux). D’un volume totalement clos, mécaniquement contrôlable en terme d’ambiance, jusqu’à un indice de porosité de presque 45%, la galerie propose une richesse immense dans les schémas d’arrangement. Cela conditionne un univers perceptif et spirituel presque sans limite.

Cette analyse de la pensée phénoménologique nous a permis de comprendre la légitimité de l’application d’une telle démarche de pensée dans le domaine de l’architecture. D’autant plus lorsqu’il s’agit de la réalisation d’une galerie d’art, espace pour lequel la maitrise parfaite du champ perceptif est fondamentale.


209


II. Le Storefront se constitue en tant qu’œuvre par le concept de « Hinged Space »



a. Une alternative au deconstructivisme

« even though the entire budget of this project equaled that of one custom carpet for a luxury apartment! » Steven Holl, p.234 de parallax

En 1993, Kyong Pak conservateur en chef Néanmoins, ce projet est fortement imprégné des du Storefront gallery va commissionner le duo Steven Holl et Vito Anconcci pour idéologies croisées de repenser le design de la façade principale Steven Holl, Vito Aconcci de la galerie. Ce projet, censé redonner une et des valeurs que porte le âme au Storefront, doit se contraindre à un Storefront gallery. Cette budget extrêmement limité. façade devient un travail manifeste de la collaboration entre un De ce budget minimum artiste et un architecte au service d’une le projet final tire une organisation qui prône l’abolition des esthétique cru, sans frontières interdisciplinaires des domaines artifice, pour laquelle les de la création. Elle devient ainsi une concepteurs n’ont gardé métaphore construite de la fusion du que l’essence de leur monde de l’art et de l’architecture. réflexion.

Photographie du Walt Disney Concert Hall, Frank Gehry, 1989

L’élaboration du projet de façade pour le Storefront s’inscrit dans une période durant laquelle un courant de pensé, basé en partie sur les principes philosophiques de Jacques Derrida 1, ébranle l’architecture mondiale.


1_ Jacques Derrida (1930 - 2004) est un philosophe français. Professeur à l'École normale supérieure, puis directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, il a créé et développé l'école de pensée autour du déconstructionnisme. Dans la lignée de Freud et de Heidegger, Derrida remet en question la phénoménologie et la métaphysique traditionnelle et introduit une nouvelle manière de penser les sciences humaines.


1_ Architecte, Pierre Grenier habite à Montréal (Canada). Il a complété ses études universitaires à Lyon, architecte diplomé d'État (DPLG) en France, il est également titulaire d'une maîtrise en architecture de l'Université de Montréal. Ses champs d'intérêt couvrent l'architecture, les arts visuels, la sémiologie. 2_ Frank Owen Goldberg, dit Frank Owen Gehry (1929) est un architecte américano-canadien. Professeur d’architecture à l’Université Yale, il est considéré au début du xxie siècle comme un des plus importants architectes vivants. Ses constructions sont généralement remarquées pour leur aspect original et « tordu ».


Comme le défini Pierre Grenier 1 « le terme déconstructivisme appliqué à l'architecture ne représente pas un mouvement ou un style et n'est pas synonyme non plus de destruction ou de démolition. Par l'intermédiaire de procédés de décomposition les concepteurs expriment dans leurs bâtiments les contradictions, les dilemmes ou les conflits de la ville, reflets de la société et de la culture actuelles. Ces situations complexes sont exposées à travers une recherche formelle expressive. Les formes sont pensées de façon à révéler et non dissimuler, elles ont la capacité de déranger la façon habituelle de percevoir les configurations spatiales. »

La pensée déconstructiviste ne se présente donc pas comme un discours fermé, un système clos, construit sur des principes édictés et rédigés dans un manifeste. Au contraire, ce courant de pensé intervient a une époque post-moderne avec pour ambition d’ouvrir des portes, d’apporter un point de vue analytique nouveau sur les thèmes de la société, de la ville, de l’espace et de l’art. La production qu’on lui reconnait est donc chargée d’une dimension critique très forte, dont la géométrie expressive porte les postulats de leurs concepteurs.

Parmi les chefs de file de la pensé déconstructiviste un architecte américain va initier un tournant important dans la conception des lieux d’exposition. En effet, en Juillet 1991 F.O. Gehry 2 gagne le concours du musée Guggenheim à Bilbao. Les travaux débutent en 1993, conduisant à l’ouverture du musée en 1997. Dans une période concomitante au développement du projet du Storefront, l'ouvrage sort de terre et devient l’emblème d’une attitude nouvelle des architectes face aux ouvrages recevant de l’art. Celle d'un expressionnisme exacerbé de l’enveloppe. Ce sculpturalisme effréné qui tend à concevoir les édifices architecturaux comme des œuvres d’art devient source de débat.

C’est en 1988 que Philip Johnson et Mark Wigley organisent une exposition au musée MOMA à New York intitulée : « deconstructivist architecture ». A ce moment là, le public découvre le travail des architectes Frank Gehry, Peter Eisenman, Zaha Hadid, Rem Koolhaas, Daniel Libeskind, CoopHimmelb(l)au, Bernard Tschumi, qui se fonde sur l’emploi d’un même registre de formes non conventionnelles et déstabilisantes. Photographie du Guggenheim museum de Bilbao, Frank Gehry

215


Bien que basé sur un discours théoriquement recevable, comme l’énonce Pierre Grenier « Le vocabulaire structural est aussi utilisé de telle façon qu’il génère des espaces interstitiels. Ces espaces non programmés pour une fonction précise sont ouverts aux usages fluctuants. »

On lui reproche de nombreux torts souvent liés aux préoccupations formalistes des architectes. A savoir, des justifications trop légères ou parfois inexistantes concernant des déformations ou des percements onéreux ainsi qu'une déconnexion partielle ou totale entre l'endroit et l'envers de l’enveloppe. En effet, la richesse des expérimentations en façade ne se répercute pas systématique sur les espaces intérieurs. Ces constructions ont trop souvent tendance à tendre vers de monumentales sculptures dont l'échelle est justifiée par leur fonction d'édifice.

En réponse à cette tendance de plus en plus populaire dans le domaine de l’architecture, Steven Holl prend le contre pied de cette démarche.

« The then-current polemics of “deconstruction“ led other designers to create twisted grids, shards of walls, and tortured folds. When their geometries were built, space was frozen into a caricature of the dynamic. » Steven Holl, p.230 de parallax

Aux « formes dynamiques figées » du déconstructivisme en vogue à cette époque Steven Holl propose un nouveau type d’architecture dynamique, et de fait, un nouveau type d’expérience spatiale non statique. Il qualifie cela d' « Hinged space » qu’il défini comme un « espace combinatoire dynamique ». « Rather than moving geometries that were static in realization, these geometries moved altering experiences of space, changed in parallax. » Steven Holl, p.230 de parallax

Vito Acconci et lui-même proposent alors, au travers du projet du Storefront, « a new type of dynamic, urban, and interactive space. » (Parallax p.234)


« Nulle part ni jamais la forme n’est résultat acquis, parachèvement, conclusion. Il faut l’envisager comme genèse, comme mouvement. Son être est le devenir et la forme comme apparence n’est qu’une maligne apparition, un dangereux fantôme.

« At that moment, in deconstruction there were Le Storefront gallery devient un manifeste a lot of jagged lines in the plan, and somehow, de la pensé qui anime les réflexions de you would going to the space it would be jagged Steven Holl à propos de la phénoménologie space but it was static, it was dead. And the dans l'architecture. Et cela se met en place thing in with this project is, it would move. […] dans un contexte de forte Dans son état fermé, la façade proposée par Bonne donc la forme comme mouvement, comme faire, bonne It was a project or a kind of manifesto of, what popularité du courant les deux concepteurs se présente comme la forme en action. Mauvaise la forme dont on s’acquitte comme could be phenomenological architecture where déconstructiviste. une paroi totalement lisse et opaque. Par un devoir accompli. La forme est fin, mort. La formation est vie. » the sens of the space in dynamic relation to the la rotation des empiècements mobiles body was key, and not some empty formal sort qui ponctuent la façade sur toute sa longueur, celle-ci of shape that just seat there. […] A long time ago, a Chinese professor travelled Paul Klee, p.60 de Théorie de l’art moderne est capable de changer d’apparence afin de proposer along the US and he made a presentation about american architecture. He started des percements de formes et de tailles variées. Chaque the lecture with brackets and he said : [the most with the least, and the least with élément mobile étant indépendant, les compositions the most] money-wise. The most with the least was Storefront and the least with possibles sont infinies. Ce changement morphologique the most was Gehry museum that just opened. That was the context where we génère alors une multitude d’expériences possibles au sein operate in.» du même espace. Steven Holl, video interview pour l'Architecture Fondation 42'40.

217


Les vertus positives de ce nouveau type d’espace à la fois versatile, évolutif, adaptatif, proposant une richesse spatiale à la hauteur de l’intérêt plastique qu’il présente, sont résumées de manière élogieuse par les rédacteurs de Cosa Mentale n°3 dans un article au sujet du projet de ce façade pour le Storefront gallery « Leur intervention se limite au dessin de la façade mais n’a pourtant rien en commun avec les dérives du façadisme. […] Contre la dictature des formes architecturales justifiées par leur valeur plastique, le schéma ici présenté isole les qualités d’une déformation plus dynamique de l’architecture, par l’action du visiteur ou comme pour la Storefront gallery, par la capacité de la construction à évoluer au rythme de son environnement. » p.63 de Cosa Mentale n°3

Photographie de la façade du Storefront for Art & Architecture



b. L’intervention du corps

Comme indiqué dans l’extrait du n°3 de Cosa Mentale, les éléments mobiles du projet pour la façade du Storefront sont censés pouvoir être manipulés par les visiteurs afin que le public lui-même puisse influer sur sa propre expérience durant la visite de la galerie : choix de l’entré, choix du niveau d’éclairement, du niveau d’interaction entre la rue et l’espace de la galerie, le tout défini par le basculement des parties mobiles de la façade.

Photographie de la façade du Storefront for Art & Architecture, 1993

Une des grandes ambition des concepteurs était de faire en sorte que l’expérience spatiale fasse intervenir tous les sens. Et ainsi, qu’à la dimension contemplative puisse s’ajouter un rapport direct (physique ou haptique) entre le corps et le lieu d'exposition. « The body is linked to the wall forms in the crude way that the shoulder is needed to push space out or pull it in. » Steven Holl, p.234 de parallax



1_ L'art corporel (appelé parfois body art pour qualifier un courant avant-gardiste) est un ensemble de pratiques et de dispositifs qui placent le langage du corps au centre d'un travail artistique. Dans certains cas, l'artiste fait de son corps une œuvre d'art à part entière. Les concepts entre autres de performance, d'installation, de contextualisation nourrissent ces créations qui transforment profondément l'art contemporain à partir des années 1950. 2_ Seedbed, performance artistique réalisée par Vito Acconci du 15 au 29 janvier 1972 à la Sonnabend Gallery de New York City.


Cette aspiration à faire du corps de l’artiste l’entité La recherche d’un lieu conférant des expériences spatiales matérielle porteuse du message artistique est clairement variées mettant en jeu le corps du visiteur est étroitement liée aux pratiques de l'art que Vito Acconci a poursuivi depuis perceptible dans les performances que Vito Acconci a ses débuts. En effet, comme l’explique l’article de Maurizio élaboré dans les début de sa carrière. Comme par exemple Vitta au sujet d’Acconci Studio pour l’Arca international, les Seedbed 2. L’artiste propose alors une réflexions de l’artiste ont émergé dans la série d’expérimentations « L’œuvre d’Acconci s’est réalisée dans le filon veine du Body Art 1, pour lequel le corps de enregistrées et retransmises, du body Art sur l’idée de dissolution de l’œuvre, l’artiste est considéré comme le médium parfois même en direct, lors de dépassement de sa “présence“, remplacée privilégié de l’expression artistique. desquelles le corps entre en par celle de l’“artiste“ qui, en tant que “corps“, scène par tous les moyens se chargeait de résumer dans la narration de que ce médium permet de soi - l’événement, la performance, le happening le faire, afin de délivrer le - toute signification possible de la proposition message de l’artiste dans esthétique. » une considération pour les notions de lieu et de temp. p.36 de Arca international n°75

Photographie de la performance intitulée Seebed par Vito Acconci, 1972

223


Cette prise de conscience pousse alors Même si, par cette démarche, le corps prend une place Vito Acconci à reconsidérer son médium majeure dans la manière dont l’art est exprimé ou rendu au public, on reste toujours dans un rapport contemplatif à de prédilection. Et, plutôt que de proposer des dispositifs de perceptions à distance, l’œuvre d’art. Ce changement de conception ne concerne que l’œuvre et l’artiste, mais pas l’espace d’exposition l’artiste souhaite tendre vers des œuvres plus immersives et participatives. Il aspire ni le public. En effet, le spectateur est simplement invité à percevoir l’œuvre à à ce que l’expérience artistique ne soit plus simplement distance et l’espace dans lequel se déroule perçue à distance mais également vécue de manière extrêmement proche. Dès lors, il s'attache à ce que le la performance reste un simple contenant résultat de la réflexion artistique ne soit plus porté par le de la scène qui s’y déroule. corps de l’artiste mais par l’espace d’exposition lui-même. La présence physique de l’artiste s’efface au profit du lieu qui se charge en tension, en expressivité. Des symboles sont mis en scène dans l'espace par l’artiste afin que le public les perçoive tout au long de son expérience sensorielle.

Les réflexions sur lesquelles se portent le travail de l’artiste concernent dès lors l’espace en tant que tel. Vito Acconci évoquera lui même l’évolution que prend son travail dans la parabole « de l’espace du corps au corps de l’espace. »

« Au début, l’espace fut considéré comme un conteneur du protagonisme d’un corps qui se dressait sur la scène dans la pure dénonciation d’une mort de l’art annoncée, invoquée, célébrée, grâce à laquelle la légitimité de l’oeuvre, considérée dans son objet essentiel, était destinée à refluer vers la figure même de l’artiste, dans sa corporéité, sa gestualité, pour y rester suspendue dans l’attente du jugement dernier. Il s’agissait surtout de l’espace de la galerie ou du bureau, ou de l’espace de la simple communication, qui transformait l’événement en un fait accompli par le seul fait d’avoir été communiqué ; mais surtout l’espace du corps, de son mouvement, de sa pérégrination, de sa torsion, de son récit, dans un égocentrisme désespéré dans lequel se reflétaient les soubresauts épileptiques d’une société qui pressentait instinctivement le changement sans arriver à lui donner un nom, une physionomie. » p.36 de Arca international n°75


A partir des années 80, Vito développe une série de projets qui interrogent la notion d’espace autour de cette convention socialement admise qu’est la partition public / privé. « C’est ainsi qu'après la disparition progressive de toute présence physique de l'artiste, apparaissent, dans le milieu des années quatre-vingt, des pièces comme House of Cars, Houses up the Wall ou encore Bad Dream House, où c'est le corps du spectateur, et non plus celui de l'artiste, qui " se frotte " à ces conventions socialement et culturellement signifiantes que sont la voiture ou la maison. »

Ce glissement idéologique conduit alors Vito à se rapprocher de la pratique architecturale « qui fait de l’espace un thème conceptuel et non plus un fond neutre pour l’émergence du corps dans son existence immédiate » comme il l’explique lui-même dans une interview à Elena Carlini. « L’espace architectural est un espace organisé, structuré, fonctionnel, par lequel le corps entre dans un dialogue serré, harmonieux ou âpre selon les circonstances. » p.36 de Arca international n°75

p. 10-18 de Art Press n°166 Oeuvre de Vito Acconci intitulée House of cars, 1988

225


Afin d’initier la rupture définitive avec la dimension contemplative de l’œuvre d’art il met en place des dispositifs qui incitent le corps du visiteur à intervenir physiquement afin de modifier l’espace. Proposant ainsi une multitude d’expériences plutôt qu'une seule expérience figée. En ce sens, les intérêts de l’artiste Vito Acconci rencontrent ceux de Steven Holl dont les ambitions pour ce projet se portent sur une nécessité d’aller au delà d’une simple caricature de la dynamique que propose les constructions qualifiées de déconstructivistes.

Le projet Mobi Linear City de 1991, est un exemple prégnant de l'intérêt qu'a Vito pour ses problématiques. Réalisé à une période faiblement antérieure à l’élaboration de la façade de la galerie, on peut facilement supposer que les réflexions propres à ces deux projets ce sont croisées.

Oeuvre de Vito Acconci intitulée Mobil Linear City, 1991


De ce fait, le projet pour le Storefront Gallery semble fortement inspiré des mêmes motifs que l’installation artistique précédemment évoquée. En effet, on retrouve dans les deux projets le même jeu d’éléments pivotants qui sont censés engager le public à interagir avec l’architecture, afin de créer des situations variées au sein du même espace et donc des expériences spatiales singulières pour chaque visiteur.

En s’intéressant aux projets antérieurs des deux protagonistes on peut relever une tendance qui s’installe dans les productions de Vito à proposer des ensembles architecturaux constituées d’éléments qui ont vocation à être utilisé comme des objets de mobiliers. En effet, dans certain cas les éléments d’architecture qui génèrent l’espace sont pliés, tordus, torturés, façonnés de façon à ce que leur morphologie finale propose une certaine ergonomie, permettant une situation d’usage directement liée au corps.

(Haut) Roof like a flung over the plaza, Memphis, 2004 & (Gauche) Armory booth for kenny schachter, New York, 2003

227


Dans d’autres cas, les éléments d’architectures mis en œuvre se dotent d’une certaine mobilité afin que ces éléments déplaçables, une fois mis en sailli, revêtent une fonction de mobilier.

Le but semble être de confondre les éléments de mobilier dans l’architecture afin de créer une interaction physique entre le corps de l’usager et l’espace qui soit motivée par la volonté d’utiliser ce mobilier dissimulé. Dans tous les exemples évoqués, les pièces mobiles sont capables de pivoter autour d’un axe horizontal ce qui leur permet de passer d’un plan vertical à un plan horizontal et ainsi de prendre la fonction d’assise, de table ou autre.

Concernant les autres projets de Steven Holl, l'architecte ne souhaite pas rendre mobile des parties dans le but de rajouter des fonctions supplémentaires aux éléments architecturaux. Ce dernier semble plutôt concerné par une modification des caractéristiques spatiales afin de proposer une autre expérience de cet espace dans son ensemble, ou un autre usage.

« What threw me away from Art and turns in Architecture was that I realized, I had no interest in viewers. I had interest in users, participants and habitants. And for me, what meant a project is, what can people do here? […] When you design a space, you are also designing people behaviors in that space. » Vito Acconci, video interview pour l'Architecture Fondation 39’45

Hinged space housing, Fukuoka, Japan, 1989 - 1991


L’expérience spatiale peut ainsi être modifiée par le corps de l’usager qui actionne des éléments pivotant exclusivement autour d’un axe vertical. « The virtual body, as a system of nerves and senses, is “oriented“ in space. […] The body is at the very essence of our being and our spatial perception. […] It is precisely at the level of spatial perception that the most powerful architectural meanings come to the fore. » Steven Holl, p.13 de parallax

On relève ici un attachement aux perceptions sensorielles plus qu'aux pratiques du corps. Son travail s'oriente sur l'effet d'un espace sur les sens, sur le ressenti (dans le sens sensoriel, psychophisiologique) du corps en relation avec un espace.

« At that time, architecture was, in a way, becoming sort of iconic and empty. There were a lot of formal moves in the world of architecture. And, what it exited about the Storefront is the connection with the body, the connection with the actual phenomena, the action of turning inside-out the space. » Steven Holl, video interview pour l'Architecture Fondation 41’30

Concernant la façade du Storefront gallery, on pourrait ainsi supposer que l’axe de rotation vertical aurait d’avantage été défendu par Holl dans une volonté de multiplier les parallaxes, les perceptions, les entrées, les parcours, les phénomènes d'ambiance… alors que l’axe de rotation horizontal est plutôt tenu par Aconcci afin de créer des éléments de mobilier pour un usage direct du public. 229


A l'observation de ces croquis préliminaires de Steven Holl et Vito Acconci, on peut juger de l'importance que chacun d'eux porte à l'intégration d'usages liés au corps. Ces préoccupations sont notables dès les phases préliminaires du projet et se retrouvent tout au long de son élaboration.

Croquis d'étude pour le Storefront for Art & Architecture, Steven Holl, 1993


Croquis d'ĂŠtude pour le Storefront for Art & Architecture, Vito Acconci, 1993


c. Au service d’une rupture avec la sacralisation du lieu d’exposition

D’un point de vue conventionnel, le lieu d’exposition apparait comme une d’institution sacralisée, un lieux clos, réservé à l’art, au sein duquel les règles de conduite, le parcours des visiteurs ainsi que la gestion des atmosphères se plient aux exigences des D’une part elle se fonde sur la réduction, dans l’esprit collectif, de l’idée du lieu d’exposition œuvres exposées. à la figure du musée. Et pour cause. Dès Bien que nombre de lieux l’institutionnalisation des musées, leur d’art ou de manifestations popularité n’a cessé d’augmenter et avec culturelles contemporaines elle le nombre de constructions d’édifices cherchent à questionner publics dédiés à l’art. Ils deviennent très le rapport entre l’art et le rapidement le lieu privilégié de la rencontre public, l'image du lieu d’art entre l’art et le public. exclusif reste encrée.

La période de développement du musée en tant qu’institution public dédiée à l’art débute au 18ieme siècle. Deux événements fondamentaux de la scène culturelle à cette époque sont les découvertes des sites majeurs de Pompei et Herculanum. Ils ont fortement marqué l’orientation prise par les réflexions architecturales et artistiques de l’époque. A cette période, le style architectural admis concernant l’élaboration des édifices publics est d'inspiration classique.


L’émergence du musée comme institution public est liée à la révolution. En effet, cet événement a entraîné la mise à disposition pour les citoyens des œuvres d'art des collections royales ainsi que celles confisquées aux nobles et congrégations religieuses. Dans les premiers temps du musée, on place ces œuvres dans les édifices impériaux. Ces bâtiments vont ainsi constitué les modèles de références de l’architecture de ces nouvelles institutions. L’art est placé dans ces lieux d’élites dont l’apparence ostentatoire se réfère aux temples ou aux palais. Une limite commence à s'établir entre le monde extérieur du public et le monde intérieur réservé au sacre de l’art. Ce phénomène de divinisation des œuvres a participé à l’élaboration d’une image sacralisée des lieux d’art du point de vue du public, et n’a pas été dans le sens d’une ouverture du monde de l’art au public.

Cette scission s’est renforcée avec les réflexions de la période moderniste à propos des lieux d’exposition qui ont conduit vers une reconnaissance généralisée du « White Cube » comme type d'espace privilégié pour la mise en valeur des œuvres d’art. Le but étant « d’isoler l’œuvre de toute contingence en recherchant une maîtrise maximale des interférences possibles, sachant qu’on ne peut jamais toutes les supprimer. L’espace blanc neutralisé sert à valoriser les œuvres ou à éviter une interprétation erronée. C’est pour cela que le modèle du White Cube est assez séduisant : il présente l’œuvre dans un espace comme un événement unique, autonome. » tel qu’il l’est expliqué dans la revue marges. Ce fond neutre permet aux œuvres de s’exprimer pleinement, sans aucune interférence liée au contexte dans lequel elles prennent place.

L’art impose ses propres règles spatiales : les murs blancs et opaques ont pour seule fonction de préserver l’œuvre d’art du monde extérieur, de couper, de la manière la plus franche et efficace, l’œuvre de la ville. Le sol lisse, dans certains cas couvert de moquette, sert à atténuer le bruit des pas des visiteurs. Le plafond blanc ferme la boîte et illumine l’espace grâce aux systèmes lumineux qu’il supporte. Il peut éventuellement revêtir des dispositifs de correction acoustiques voués à diminuer l’incidence de la présence des visiteurs sur la neutralité du « White Cube ». Dans sa recherche de l’environnement idéal de réception d’une œuvre d’art, le lieu d’exposition moderne cherche à occulter, voire même à effacer la présence du contexte et des visiteurs. Ainsi, il se coupe totalement du monde qui le contient, et symboliquement, il se coupe du public.

233


De plus, la place importante que certaines œuvres occupent dans l’histoire de l’art leur a conféré une valeur élevée. Leur conservation nécessite que celles-ci soient traitées avec un soin méticuleux et attentif vue d’assurer leur pérennité au fil du temps. Les équipements employés Les moyens mis en place dans la protection de ces pièces (vitrage de protection, au service des créations signal sonore, environnement fermé et contrôlé) sont sont tels que cela impose autant de mise à distance entre l’œuvre et le public. A que l’accès au musée et à ces dispositifs techniques s’ajoute les gardiens de musée. l’expérience de l’art se fasse La garde rapprochée de l'art. Ils sont de manière payante. En ces lieux, l’œuvre enclins aux réprimandes dans le cas d’un est privilégiée, intouchable, privatisée par comportement du visiteur non adéquat ces mêmes institutions, qui à l’origine, aux règles d’effacement de sa présence avaient pour vocation de redonner l’art au qu’impose le musée, mais la plupart du peuple comme un héritage qui lui revient temps, sont incapable de donner des de droit. informations complémentaires sur l’œuvre.

Ajouter à cela, le tournant abstrait que l’art a pris et qui suscite autant d’intérêt chez les personnes au fait des problématiques artistiques que d’incompréhension chez les autres. Pourtant, ces derniers représentent une signifiante majorité. Ainsi, l’art tend à revêtir un caractère exclusif, sacré, divin, replié sur lui-même et déconnecté du monde qui l’abrite et qui constitue sa matière première pour exister.

Dès le début de son activité, Kyong Park, fondateur du Storefront Gallery, a pour ambition affirmée de rompre avec cette conception traditionnelle de l’espace d’exposition comme sanctuaire de l’adoration de la création artistique. Il cherche, au contraire, à réunir les mondes de l’art et du public. « Storefront of Art and Architecture, an organization in pursuit of synthesis of creative arts with the public world […]“ suivi de “[…] our organization as a unique public service, distinct from organization of convention and conformity. » Flyer de la première exposition rétrospective du Storefront gallery au 97 Kenmare Street


Des années plus tard, ce parti pris semble perdurer parmi les grands principes qui définissent le Storefront Gallery. « Storefront was founded in 1982 by Kyong Park as an experimental forum and exhibition space for activating and engaging emerging voices and promoting public discourse around issues effecting, influencing and challenging the built environment. »

Dans le choix de ces termes, la galerie clame l’importance qu’elle accorde au fait d’être un lieu d’expression artistique qui refuse d’exclure la voix du public. Au contraire, elle cherche à intégrer l’interaction du visiteur avec les installations artistiques proposés comme une donnée essentielle de sa démarche. Soucieuse de Le Storefront Gallery cherche à rompre générer le débat au sujet des problématiques avec le rapport traditionnel de l’art au liées à l’environnement bâti. public, où seule l’œuvre a pleinement les moyens de s’exprimer, alors que le public a pour seule fonction de recevoir l’information. Cette conception traditionnelle du lieu d’exposition initie un discours unidirectionnel où l’artiste est le seul a avoir la possibilité de faire valoir son point de vue sur le monde au travers de ce qu'il expose. Le public ne dispose pas des mêmes moyens institutionnels pour mettre en avant les réactions qu’il peut avoir au sujet de la prise de position de l’artiste. Il doit rester dans un rapport contemplatif à l’art.

Dans le cas du Storefront Gallery, Kyong Park cherche à développer une structure au sein de laquelle l’exposition soulève la question, la galerie sert alors de lieu de débat. Son souhait est de proposer un lieu dont la richesse spatiale puisse générer les conditions nécessaires à ce que le dialogue entre le monde de l’art et le public puisse s’installer.

Site Web du Storefront for Art & Architeture

235


Cette ambition est clairement visible dans le choix du Storefront gallery de programmer et d’abriter des séries d’événements de type conférences, débats, colloques… qui ont pour vocation de faire de la galerie un lieu privilégié de l’expression des artistes autant que de la voix du public. « The Storefront Series is comprised of artist talks, lectures, panel discussions, and other events to engage with architects, artists, students, and academics in the fields of art, architecture, and design and offer educational opportunities for the general public. » Site Web du Storefront for Art & Architeture

Supporté par l’idéologie de la galerie, le projet pour le Storefront a été interprété, par les deux concepteurs commissionnés, comme étant une opportunité pour réinterroger, d’un point de vue critique, le rapport que l’art entretien avec le monde.

« Acconci and Holl challenged this symbolic border which underlines the exclusivity of the art world, where only those on the inside belong. » Site Web du Storefront for Art & Architeture « The interactive dynamic of the gallery argued for an inside-out facade, which adresses insular art and turns it out to the public street. » Steven Holl, p.234 de parallax

Plusieurs dispositifs sont mis en œuvre à ce propos dans le design de la façade de la galerie. Une série de 12 éléments mobiles pivotants permettent un changement d’état de la façade rendant possibles diverses formes d’interactions entre l’intérieur de la galerie et la ville à l’extérieur. Ces porosités restent toutefois contrôlables suivant les besoins en jouant sur le degré d’inclinaison de ces éléments.


Etude ratio Plein - Vide

Les panneaux ne sont pas de forme symétrique par rapport à leurs axes de rotation. De plus, certains sont incapable de pivoter d'un angle équivalent en positif et en négatif. Ainsi, le ratio plein / vide n'évolue pas de manière exactement similaire lorsque les panneaux sont actionnés dans un sens ou dans l'autre.

Nous avons souhaité simuler le pourcentage de porosité que permet la façade ainsi que l'influence de l'action des panneaux sur ce paramètre. En se basant sur une modélisation 3D numérique de la façade du Storefront, nous avons fait varier le degré d'inclinaison des panneaux, puis nous avons projeté perpendiculairement les surfaces inclinais sur le plan vertical de la façade pour évaluer l'obstacle qu'elles génèrent vis à vis des ouvertures. Pour finir, nous avons évalué un ratio plein / vide par rapport à l'ensemble de la surface de la façade.

De manière quasiment analogue aux autres études, on peut observer que les phénomènes évoluent suivant une tendance exponentielle et non linéaire. En effet, lorsque le panneau quitte sa position fermée (O°), le niveau de porosité augmente très rapidement, puis il se stabilise progressivement jusqu'à atteindre son niveau maximum en position totalement ouverte (-90° ou 90°). 237


-90째

-60째

-45째

-30째


0째

30째

45째

60째


Tel qu’il se présente après l’intervention d’Acconci et Holl, le Storefront se traduit à la fois comme une caricature du lieu d’exposition traditionnel et comme sa propre critique. En effet, en position fermée, la galerie offre à voir à la rue un mur unique, lisse, opaque, complètement clos, qui disparaît progressivement en décrivant un mouvement courbe à l’extrémité du block. Faite d’un unique matériau d’aspect béton, cette façade brute à l’apparence hermétique semble préserver le monde intérieur de l’art de toutes perturbations dues à l’agitation de la ville à l’extérieur. L’absence d’ouverture implique une gestion totale de l’ambiance de manière artificielle (éclairage, ventilation…). L’unique porte d’entrée permet de contrôler les flux et propose un seul parcours simplifié en boucle fermée.

A l’inverse, en version ouverte une multitudes de porosités physiques ou visuelles se mettent en place entre l’intérieur et l’extérieur, ouvrant ainsi un champs des possibles illimité en terme d’interactions entre la ville et le monde de l’art qui n’est, à présent, plus contenu par l’espace fermé de la galerie, mais se répand sur l’espace public.

« L’espace concret » de la ville est ainsi préféré à « l’espace neutre » de la White Box. Ou plutôt, le choix est laissé à la fois aux artistes mais également, de façon inédite, au public d’interagir avec l’espace de la galerie. Chaque sujet peut être acteur de sa propre expérience au sein de l'espace de la galerie.

Dans l’idéologie de projet qu’il énonce dans l’ouvrage Parallax, Steven Holl porte l’ambition de faire fusionner l’objet architectural avec son environnement. Ce qu’il parvient à faire au Storefront, où l’intervention sur la façade vient brouiller les limites entre les espaces et leur fonction.


« Beyond the physicality of architectural objects and the necessities of programmatic content, enmeshed experience is not merely a place of events, things, and activities, but a more intangible condition that emerges from the continuous unfolding of overlapping spaces, materials, and detail. This “ in-between reality " is analogous to the moment in which individual elements begin to lose their clarity, the moment in which an object merges with its field. » Steven Holl p.56 de Parallax

Par la mobilité des empiècements de la façade les concepteurs laissent le statu de cet espace indéfini volontairement. Si les besoins le nécessitent, l’espace neutre, clos et minimal de la White Box peut être obtenu. Une porte bien réelle est prévue pour cette configuration. Elle constitue l’unique pièce mobile dont l’axe de rotation est déporté. Elle marque l’entrée de la galerie dans sa forme la plus traditionnelle. Centrée sur la façade elle permet un parcours unique et linéaire, en boucle, où l’on sort de l’espace par le même percement qui nous a permis d’y entrer.

Photographie de la « porte d'entrée » du Storefront Gallery

Outre cette entrée « officielle », 4 pièces mobiles sur les 12 au total ont des dimensions suffisantes pour servir de potentielles entrées pour le public. Ces porosités physiques, rendues possibles entre la rue et l’espace d’exposition, décuplent le nombre de manières différentes de pénétrer dans l’espace de la galerie, ainsi que d’en sortir, mais également la variété des parcours de visite envisageables. Ce paramètre laissé, volontairement indéfinis par les concepteurs, souligne le profond rejet d’un espace figé, statique, au profit d’un lieu où l’initiative du visiteur devient déterminante dans l’expérience vécue par ce dernier. 241


Ces 4 éléments se distinguent des 8 autres par leurs dimensions (ils présentent les plus grandes mesures en hauteur et en largeur), ainsi que par leur axe de rotation vertical, centré sur chaque élément. Une fois actionnés dans un sens ou dans l’autre, ils se positionnent en sailli de la façade. Leur débordement sur l’espace piéton oppose un plan vertical et opaque à Les 7 autres éléments sont capables la course naturelle des piétons. D’une part, de pivoter autour d’un axe de rotation ce phénomène invite le visiteur à entrer. horizontal. Ils ont ainsi la possibilité de L’élément s’arrache de la façade pour venir proposer une série de plans horizontaux accompagner et guider le visiteur. D’autre qui permettent un tout autre type d’usage. part, il agit comme une dérive orientant à Les fonctions induites, dans le cas de ces la fois le début du parcours du visiteur ainsi éléments, semblent être plutôt tournées que la direction des regards qui fuient au vers une utilisation de type mobilier. travers de la façade.

En effet, deux de ces éléments sont capables de pivoter afin d’obtenir un élément plat et horizontal à une hauteur de 92cm, permettant un usage de table ou de présentoir. 4 autres éléments du même type pivotent pour atteindre une totale horizontalité à environs 47cm du sol de référence intérieur. Ils permettent ainsi une utilisation d'assise, qui est favorisée par la proximité directe de ces éléments et des « tables ». Le dernier d’entre eux est placé relativement haut sur la façade. L’axe de pivot étant à 2m de hauteur et le niveau inférieur de l’ouverture se trouvant à 1m54, ce module peut être utilisé en lucarne, offrant des vues, de la lumière et de la ventilation naturelle.


On peut ainsi extraire quatre catégories d’éléments en fonction des usages directs qu’induit leurs caractéristiques propres. Et, comme sur une partition de musique, la hauteur que l’élément atteint sur la façade rend compte de la catégorie fictive dans lequel on peut le classer. Les entrées : 5 éléments s’inscrivent dans la plus grande amplitude en terme de hauteur. Ils présentent tous des axes de rotations verticaux permettant qu’un jeu de parallaxe s’installe au travers de la façade. Les tables : 2 éléments bénéficiant d’un axe de rotation horizontal qui permet de les faire pivoter horizontalement à une hauteur de table conventionnelle.

Les assises : 4 éléments s’inscrivent dans la plus faible amplitude de hauteur. Ils bénéficient d’un axe de rotation horizontal qui permet de les faire pivoter horizontalement à une hauteur d’assise conventionnelle. La lucarne : 1 élément propose une faible amplitude mais est placé au même niveau que l’extrémité supérieure des « éléments portes ». Il pivote horizontalement en partie haute de la façade et semble permettre de ventiler l’espace ou d’y faire entrer de la lumière naturelle.

Porte

Porte Table Assise

Porte

Assise

Porte

Lucarne

Porte Table

Assise

Assise

Façade explosée du Storefront Gallery & usages des panneaux

243


Dans tous les cas, ces fonctions sont induites et non figées. Elles sont une interprétation personnelle basée sur leur caractéristiques propres. La forme abstraite des découpes n’exprime aucune fonction prédéfinie et laisse place à n’importe quelle forme d’appropriation et d’usage.

Le choix de centrer de manière aussi précise l'axe de rotation des éléments semble revêtir une autre valeur symbolique. Lorsque ceux-ci prennent une position ouverte, il se déploie autant à l’intérieur de l’espace de la galerie qu’à l’extérieur de celui-ci. L’action d’un élément dans une direction conduit inévitablement à l’action opposé du même élément à son autre extrémité. Ce choix rend compte d’une volonté forte des concepteurs de faire empiéter cette façade de manière égale sur l’espace public à l’extérieur et sur l’espace d’exposition à l’intérieur. On peut alors y voir l’ambition de ce projet de façade de relier ces deux univers, d’apparaître comme un trait d’union entre l’art et le public.

L’acte, entrepris par Acconci et Holl, de « déconstruire » cette mythique façade du Storefront Gallery par le concept énoncé du « Hinged space », prend une dimension extrêmement symbolique, engagée et politisée. Cela participe à la revendication des engagements qu’exprime la galerie à faire de cet espace un lieu d’expression des protagonistes du monde de l’art mais également du public.

« Storefront’s physical location and façade can be understood as a reflection of its mission and practice, not only blurring the boundary between interior and exterior but enabling an endless possibility of panel configurations which encourage artists and visitors to create their own experience of entry, navigation, and absorption in the gallery space. » Site Web du Storefront for Art & Architeture


Par l’intervention de l'artiste et de l’architecte, la façade de la galerie devient un porte drapeau de l’idéologie du Storefront Gallery.

Ce dispositif ouvert, mobile, variable permet d’engager différentes formes d’appropriations en faveur d’une expérience singulière pour chaque visiteur. Il se trouve également être un facteur « No wall, no barrier, no inside, no outside, ne inspirant pour les créations space, no building, no place, no institution, no artistiques proposées au art, no architecture, no Acconci, no Holl, no sein du Storefront. storefront (no money). » Kyong Park, lettre à Steven Holl et Vito Acconci

« Déploiement » & « Absorption », photographies du Storefront for Art & Architecture

245


Photographies de l'intĂŠrieur et de l'extĂŠieur du Storefront for Art & Architecture



d. richesse spatiale controversee moteur de creation

Si l’on étudie le dispositif de façade mis en place sur le plan des qualités d’usage, on peut admettre que la fonction d’espace d’exposition a due faire certaines concessions à l’égard des autres fonctions.

La façade telle qu’elle se présente, ouvre un large champ de possibilités d’usage ainsi qu’une immense richesse du point de vue des expériences sensibles. Toutefois, sa rupture avec un certain nombre de codes esthétiques propre à l’espace d’exposition conventionnel est une prise de position qui ne permet pas à n’importe quel type d’art de prendre place dans ce lieu.

En fonction des événements proposés par la galerie, le monde de l’art vient contaminer l’espace public ou c’est la ville qui s’étire au travers du Storefront. En effet, la galerie détient, grâce à sa façade unique, un potentiel versatile qui lui permet de changer de statut, de devenir tour à tour espace d’art ou morceau de ville.

Photographies d'une installation artistique au Storefront for Art & Architecture



1_ Performance, instead of a letter, Storefront for Art & Architecture, 2010. 2_ Performance, six square, Julia Mandle, Storefront for Art & Architecture, 1999. 3_ Performance, Jamming Bodies Laboratory, Lucy McRae, Skylar Tibbits with MIT's Self-Assembly Lab and M. Brandon Finney, Storefront for Art & Architecture, 2015.


2. 1.

3.

251


Proposer des installations artistiques qui interagissent visuellement ou physiquement avec le contexte, l’espace public et/ou le piéton. Aller jusqu’à se laisser emplir entièrement par une œuvre. En effet, son volume complet peut être complètement envahi par une installation. Dans ce cas, les larges ouvertures permettent d’apprécier son résultat depuis la rue. Closed Worlds, Lydia Kallipoliti, Storefront for Art & Architecture, 2016


Sacred Spaces in Profane Buildings, Matilde Cassan, Storefront for Art & Architecture, 2011

Mettre à disposition du mobilier urbain amovible, éphémère et re-programable sans limite, tel que des bancs, des chaises, des tables, des aires pour jeux d’enfant… Les pièces mobiles incitent le corps à entrer en dialogue haptique avec la façade, et de ce fait, elles permettent au corps d’interagir avec l’espace de la galerie. Performer avec la façade ou avec la totalité de l’espace, de la galerie à la rue, sans distinction.

Organiser des projections de filmes, de débats, de conférences, d’élections politiques… S’ouvrir aux débats sur toutes les thématiques polémiques chères à l’organisation.

253


Photographie de la faรงade du Storefront for Art & Architecture


RĂŠtrospective BIG, Bjark Ingles Group, Storefront for Art & Architecture, 2008

255


Reef, Storefront for Art & Architecture, 2009

Snarkitecture, Dig office, Storefront for Art & Architecture, 2011


Leong Leong, Past futures, Present, Futures, Storefront for Art & Architecture, 2013

Reef, Storefront for Art & Architecture, 2009

257


SOIL, Blueprint, Storefront for Art & Architecture, 2015


Réaction de la part du public qui en vient à taguer cette enveloppe « trop nette ». L'installation, plastiquement sublime, est intéressante du point de vue formel ainsi que sur l'idée de vouloir contraindre et figer un dispositif qui serait trop agiter pour en prendre l'empreinte. Toutefois, son esthétique immaculée semble trop neutre pour le quartier autour de la galerie. Cela ressemble à un message de rébellion contre ce filme esthétisant qui fige et referme la galerie : Retour à une White box « joliment empaqueté. »

259


Pia Lindman, Facia, Storefront for Art & Architecture, 2006


Photographies du Storefront for Art & Architecture durant une réception (gauche), une conférence (milieu) et une projection de débat (droite), 2006

261


Toutefois, la mise en œuvre radicale de ce dispositif a conduit à certains compromis. En effet, afin de permettre la rotation des éléments mobiles et en tenant compte de l’épaisseur de ces derniers, un décalage est réservé entre la pièce pivotante et le reste de la façade fixe. Ceci engendre En période hivernale, dans le contexte un imparable non-hermétisme de la galerie, donc, une géographique de New York, le système impossibilité de s’affranchir des conditions du contexte de d’ouverture est difficile, voire impossible la ville à savoir la température extérieure, à utiliser à cause du froid. Ici, le dispositif « Since 1993, the façade has continued as role l’humidité de l’air, le bruit ambiant, ni la atteint sa limite. Toutefois, selon l’artiste as a canvas for supporting the working of artists lumière qui filtre au travers des interstices. Vito Acconci, cette problématique, d’ordre in many different ways. » technique, aurait pue être résolue si le budget alloué Ces contraintes entraînent une limitation dans le type Joseph Grima, Interview pour l’Architecture au projet avait été plus d’œuvre exposé. Une trop grande sensibilité ou fragilité Foundation 20'25 élevé. de la pièce d’art ne permettrait pas à celles-ci de prendre place au Storefront Gallery. On peut affirmer que ce dispositif produit une immense richesse spatiale. Ceci est un potentiel important avec lequel l’art ne se prive pas de jouer.

Vito en fait d’ailleurs la critique dans l’interview pour l’Architecture Foundation : « The one thing more money would have done. Just I still think the biggest failure of the project, I know Steven doesn’t agree with me. Or at least he didn’t. It’s a possibly really good space for spring and summer, it’s a terrible space for fall and winter. […] That’s a real failure. » Vito Acconci, 53'10 :


La somme de ces phénomènes devient évocatrice de l’idéologie même qui a conduit à l’élaboration de ce dispositif de façade. Le monde de l’art, et de la création en général, doit accepter la présence perturbatrice du monde qui l’entoure. Il est communautaire et non électif. Il est art pour la société et non pour lui-même.

La façade devient une œuvre engagée. Sa dimension symbolique et conceptuelle rattrape sa dimension fonctionnelle.

La galerie s’accommode des contraintes liées à cette façade comme une main tendue symbolique invitant le public.

Si les interstices semblent problématiques pour Vito, Steven Holl voit une certaine poésie se créer dans les résultantes, maitrisées ou subites, du système. De son point de vue, la façade prend des allures d’oeuvre d’art ellemême. Il évoque cela dans une interview qu’il donne au magasine GA : « Another aspect is a phenomena you can watch at night ; through the cracks between the panels, like a camera obscura, the lights of the city reflect on the inside of the gallery. Light comes through the really small slits that move up and down on the walls ; it’s a rear projection light that occurs at night. »

Photographie de l'intérieur du Storefront for Art & Architecture

263


e. La façade prend une valeur d’œuvre avec certaines limites

A l’origine du projet, la façade était censée faire partie d’une série d’installations imaginée par Kyong Park, qui aurait eut pour objectif de ré-interroger l’espace de la galerie en engageant la façade afin que, tous les deux ans, un duo formé par un artiste et un architecte propose un dispositif différent. Le but annoncé était donc de produire une installation éphémère, une création “When Storefront was singulière qui viendrait questionner cette introduced to us, I think limite verticale, plus ou moins opaque, we certainly weren’t has to entre l’espace d’exposition et l’espace renovate the place. We were public. asked to do a show. We were asked to do an installation“. Vito Acconci, Interview pour l’Architecture Foundation 30'00

Toutefois, manquant d’un budget suffisant pour prolonger cette ambition, et devant la force avérée du projet qui représente littéralement les valeurs de la galerie. La façade imaginée par Steven Holl et Vito Acconci devient le symbole caractéristique de l’organisation Storefront for Art and Architecture.


Le dispositif proposé par le duo prend des valeur d’œuvre d’art, invoquant l’action du public comme acte créatif. Telle une toile vierge et lisse, le mouvement des panneaux produit des reliefs singuliers qui offrent une composition plastique expressive, en plan, lumière et ombre. L’épiderme de la galerie prend vie dans ces mouvements de rotations et chahutent cette limite entre intérieur/extérieur, lieu d’exposition/lieu de vie, espace d’art/espace public. C’est l’action de l’individu qui vient activer et sculpter cette limite. Pousser, tirer, pivoter, arracher, positionner, un marchandage spatial s’instaure entre le monde de l’art et l’espace de la rue. Ainsi, la manipulation de ce dispositif modèle le volume intérieur de la galerie et dans le même temps, agit sur le négatif de ce volume, à savoir l’espace piéton de Kenmare Street.

Tout le long du déroulé de la façade du Storefront, une variété de profils en coupe prennent forme. Une étude de la variation de ce « bas relief » en fonction du degré de rotation des panneaux est extrêmement pertinente afin de comprendre la richesse formelle que produit le système Nous avons donc réalisé mis en œuvre par Steven Holl et Vito Acconci. La galerie une série de simulations elle-même peut ainsi être perçue comme une sculpture à partir du modèle 3D de dynamique, interagissant de manière physique avec la galerie et du bâtiment l’espace public. dans lequel elle s'inscrit. Faisant varier l'angle de rotation des panneaux, nous avons laissé œuvrer un outil numérique de coupe paramétré pour extraire le contour du volume total du bâtiment tous les deux mètres. Ainsi, on peut visualiser le panel de profil d'élévation que génère la façade mobile.

265


90°_ 90°_ 90°_ 60°_ 90°_ 60°_ 60°_ 45°_ 60°_

0m_

+2m_

+4m_

+6m_

+8m_

+10m_

+12m_

+14m_

+16m_

+18m_

+20m_

+22m_

+24m_

+26m_

+28m_

0m_

+2m_

+4m_

+6m_

+8m_

+10m_

+12m_

+14m_

+16m_

+18m_

+20m_

+22m_

+24m_

+26m_

+28m_


0°_

-45°_

0°_ 0m_

+2m_

+4m_

+6m_

+8m_

+10m_

+12m_

+14m_

+16m_

+18m_

+20m_

+22m_

+24m_

+26m_

+28m_ -45°_

-90°_ -30°_ 90°_

-90°_ -30°_

-60°_

-60°_

-45°_ 60°_

-45°_


Evolution de la coupe a +2m du bord de la façade -90°

-60°

-45°


0째

45째

60째

90째


Evolution de la coupe a +4m du bord de la façade -90°

-60°

-45°


0째

45째

60째

90째


Evolution de la coupe a +14m du bord de la façade -90°

-60°

-45°


0째

45째

60째

90째


Evolution de la coupe a +24m du bord de la façade -90°

-60°

-45°


0째

45째

60째

90째


L’installation « blue print » proposée par l’agence d’architecture SO-IL en 2015 rend compte de l’aspect sculptural de cette façade. Ainsi, Florian Idenburg et Jing Liu propose un dispositif semblable à la série de « monuments empaquetés » des artistes Christo et Jeanne-Claude1. Ainsi, les deux architectes enveloppent la façade du Storefront, à l’aide d’une toile textile thermosensible. Ce qui révèle l’empreinte des reliefs générés par l’action des panneaux rotatifs. Produisant une enveloppe continue moulée qui mémorise de manière tangible, l’acte créatif et ponctuel qui a conduit à la dernière mise en mouvement des panneaux, avant que la toile ne se fige dans son état. On s’intéresse ici à l’aspect esthétique et au produit volumétrique, ou sculptural, d’un tel dispositif de façade, qui renforce sa valeur d’œuvre d’art.

Wrapped Coast, Christo and Jeanne-Claude, Australia, 1968


1_ Christo et Jeanne-Claude, est le nom d'artiste sous lequel est identifiée l'œuvre commune de Christo Vladimiroff Javacheff (1935) et de Jeanne-Claude Denat de Guillebon (1935 - 2009 ).Ce couple d'artistes contemporains s'est rendu célèbre par ses objets empaquetés. Naturalisés américains, ils ont vécu à New York dans le quartier de SoHo.



The Reichstag de Berlin en 1995, emballĂŠ par Jeanne-Claude and Christo


Par son système de balance sur pivots axiaux, la mise en action des panneaux de la façade du Storefront interfère de manière équivalente sur l’espace intérieur de la galerie et sur l’espace extérieur du trottoir. En effet, la façade se sculpte d’un côté comme de l’autre et ce qui est amputé à l’un est concédé à l’autre. Lorsque les empiècements Dans le but d'étudier ce phénomène nous quittent leur état de repos, le relief positif avons réalisé une analyse des flux potentiels qui se génère sur l’espace piétonnier de la de personnes que peut admettre le trottoir faisant face à la Kenmare Street va sensiblement impacter galerie du Storefront for Art and Architecture, en fonction les trajectoires des déplacements piétons du degré d'ouverture des panneaux rotatifs. Les panneaux aux abords de la galerie. Le volume de étant capable de pivoter autour d’un axe central, lors de leur la rue se sculpte en fonction des jeux activation, une moitié bascule vers l’intérieur de l’espace de mouvements des parties mobiles de tandis que le reste de l’élément va être la façade du Storefront. A la manière de projeté en saillit de la façade et émerger sur gouvernails, elles réorientent, redessinent l’espace public. le pattern des flux de personnes.

Cette analyse est ainsi une représentation de l’impact du déploiement de la galerie sur les usages de l’espace public. Elle montre ainsi que la façade a la capacité de prendre de l’épaisseur et donc que le volume de la galerie est variable.

En effet, le trottoir n’étant plus complètement utilisable pour se déplacer sur l’espace public, les zones délimitées par les panneaux font à présent parties de l’espace de la galerie. Elle s’étire ou se contracte en fonction des usages que l’on veut en faire, mais avant tout selon les compromis possibles avec l’espace public.


Impact de la rotation sur les flux pietons a 0° Dimension maximum de passage Dimension minimum de passage

3.49m 3.15m


Impact de la rotation sur les flux pietons a -30° et 30° Dimension maximum de passage Dimension minimum de passage

3.48m 2.06m


+

Niveau de perturbation de l'action des panneaux sur l'espace piéton

-

3.48m 2.05m

Extremums du passage laissé libre aux piétons


Impact de la rotation sur les flux pietons a -45° et 45° Dimension maximum de passage Dimension minimum de passage

3.48m 1.64m


+

Niveau de perturbation de l'action des panneaux sur l'espace piéton

-

3.48m 1.63m

Extremums du passage laissé libre aux piétons


Impact de la rotation sur les flux pietons a -90° et 90° Dimension maximum de passage Dimension minimum de passage

3.48m 1.25m


+

Niveau de perturbation de l'action des panneaux sur l'espace piéton

-

3.48m 1.25m

Extremums du passage laissé libre aux piétons


Cette étude nous permet de visualiser la manière dont la galerie est capable de gagner du terrain sur l'espace public. L'action des panneaux produisant un obstacle à l'usage conventionnel du trottoir, à savoir se déplacer le long des rues, ainsi ils repoussent cette fonction. L'espace d'exposition s’agrandit de la même surface que le trottoir perd.

Au sujet de cette restauration, l’avis est La flexibilité, la modularité, la force partagé entre l’architecte théorique et plastique de la proposition de et l’artiste. D’une part, Vito Holl et Acconci lui a permis de perdurer porte un point de vue plutôt ainsi d’année en année. Jusqu’en 2008, négatif sur cette décision où, face aux diverses dégradations qu’elle prise par la galerie. a pu subir, la façade s’est vue obligé d’être restaurée. « At the ré-opening of the A ce moment là, une nouvelle intervention gallery, after the renovation, aurait pu être envisager, donnant une Vito made a wonderful speech opportunité au Storefront gallery de in which he totally slam the idea changer de visage. Toutefois, le choix s’est that this façade shouldn’t have porté sur la remise en état du concept been renovated at all. And said originel des deux concepteurs. Cette that ” restauration is one of the nécessité de restaurer plutôt que de worst evils in architecture” » reconstruire est tout d’abord significatif de l’attachement de la galerie pour sa façade, Joseph Grima, vidéo AF 56'15 peut être même de sa dépendance.

« For me, coming from an other direction, one thing that interested me in architecture was that, when any architecture is built, this is assumption that soon or later it has to be renovated. It’s never gonna be good for all time. Whereas art has this desire to conserve and preserve. So the fact that architecture recognizes his time seems like a relief to me. It s part of the everyday world. […] But I like also the idea of a new façade every two years. » Vito Acconci, vidéo AF 58'15


Vito est particulièrement sensible à une des particularités propre à l’architecture qui est l’acceptation de la condition ultime de tout objet matériel de ce monde. En effet, contrairement à l’art qui aspire à perdurer et à surpasser les limites de la finitude, l’architecture assume de s’inscrire sur une période finie. Il est convenue que fatalement l’usure entraine la nécessité d’être, tôt ou tard, restauré ou reconstruit.

Mais avant tout, il semble que l’artiste aurait été d’avantage en faveur de l’idée de base de Kyong Park, qui voulait proposer un nouveau Storefront tous les deux ans, comme mise à jour d’un témoin formel de la ré-interrogation perpétuelle des valeurs de la galerie.

Ainsi Holl est lui plutôt favorable au choix des « I have a good friend who restaures art works. I dirigeants du Storefront de think it’s just like restoring an art work. If someone rénover le projet d’origine. stick the [deteriorate the art work] someone has Il fait un parallèle immédiat to fix it. And you still have a piece of art work. entre la façade de la galerie So I’m very very happy that it was restored. I et un objet d’art que l’on think it’s exciting you made that decision. I have restaure naturellement nothing to do with the decision and I’m glad lorsqu’il est détérioré. Il about that too because I wouldn’t have been affirme qu’une pièce d’art either decided to restore so better that you have restaurée reste une pièce beaten me out. » d’art. De son point de vue, la décision est légitime et honorifique envers Steven Holl, vidéo AF 56'50 son travail. Ainsi, il revendique que le projet de façade élaboré pour le Storefront porte une valeur d’œuvre d’art. Photographie de l'intérieur du Storefront for Art & Architecture pendant la restauration de 2008

289


En effet, certaines composantes du projet peuvent être critiquées, telles En dehors des points de vue de chacun que son aspect non-hermétique qui génère des contraintes thermiques, des concepteurs, qui n’ont d’ailleurs pas lumineuses, acoustiques, olfactives, hygrométriques importantes. été consulté dans la prise de décision, le L’impossibilité de clore hermétiquement cet espace est du à la nécessité simple choix de restaurer le projet selon les d’un décalage entre la partie fixe de la façade et les panneaux mobiles prescriptions d’origine, montre l’estime et afin de permettre leur rotation. Toutefois, cette particularité contrarie le l’attachement de l’organisme du Storefront contrôle précis de l’atmosphère de la galerie, excluant toute possibilité pour sa façade. Qu’on ait le droit de la d’exposer des œuvres sensibles. Mais également, cela s’avère gênant pour gratifier du statut sacré d’œuvre d’art ou une simple utilisation hivernale du dispositif, dans un endroit comme New non, une telle reconnaissance de la part York où le climat peut être impitoyable. De plus, il est aussi important de de son actuel titulaire, qui n’est même pas mentionner que si l’on veut conserver la maniabilité des le commanditaire d’origine « We have done a project that panneaux aucune pièce exposée ne peut reposer, être dudit projet, montre la is useful half of the year. » accroché ou être disposé dans le rayon de giration de cesvaleur immuable de la derniers. Ce qui conduit à une contrainte fonctionnelle façade. Vito Acconci, vidéo AF 55'05 inévitable supplémentaire, en faveur d’une exaltation du système de façade dynamique. Storefront for Art & Architecture juste après la restauration de 2008


Toutefois, un élément en particulier se trouve être d’avantage en la faveur de l’aspect fonctionnel de la A ceci près qu’une poignée en partie galerie, et au détriment d’une mise en œuvre radicale du frontale annonce la monofonctionalité procéder élaboré par Holl et Acconci : la porte d’entrée. avérée de cet élément unique. De même, On perçoit l’effort qui a été fait de la fondre au milieu des une légère butte de béton en partie basse autres pièces articulées de la façade. En effet, un traitement relie le niveau du trottoir avec celui de similaire avec un joint creux périphérique la galerie, interrompant la lisse basse et un double cadre en acier, ainsi qu’une continue en ce point unique. L’axe de rotation est excentré, épaisseur similaire à celle du reste du ce qui le condamne à se mouvoir d’une manière différente mur, donne à première vue l’aspect d’un de celle des autres pans. Pour finir, une cornière métallique panneau comme les autres. le contraint définitivement à pivoter uniquement vers l’extérieur. Ces quelques points dissonant nuisent à l’affirmation pleine et totale du dispositif de façade, mais ils sont très certainement des contraintes réglementaires auxquelles les deux concepteurs ont dû se plier dans le cadre de l’élaboration d’un projet de façade pour un lieu accueillant du public.

Acconci relève ce point en le qualifiant de « non-choix » : « The fact that the door was not separated from the rest of the openings, seems to be a kind of indecisive thing ». Vito Acconci, vidéo AF 47'13

291


Ainsi, les éternelles problématiques concernant Étrangement, pour Vito, il semblerait que l’usage devrait l’architecture subsistent. Et il semble que les deux primer sur le contenu spirituel ou esthétique. Il perçoit les concepteurs n’ont pas réussi à trouver de réels compromis limites fonctionnelles comme des échecs frustrants. De à ce sujet. La préoccupation majeure de l’architecture doitson côté, Steven Holl voit dans le manque d’hermétisme du elle être systématiquement de répondre aux usages pour bâtiment l’opportunité accidentelle de pouvoir jouir d’un lesquels l’édifice a été commandité ? Dans qu’elle mesure phénomène lumineux de « Camera Obscura » lorsque, à la un compromis sur l’aspect fonctionnel estnuit tombé, on est à l’intérieur de la galerie « A good friend of ours Peter il admissible lorsque qu’il est au profit d'une et que l’on observe les rayons lumineux, Nerva from Vienna, says that exaltation de son expressivité idéologique de l’éclairage public ou des véhicules en ” Architecture exists because et sensible ? L’architecture peut-elle marche, filtrer au travers des interstices des nature is dangerous. ” I don’t complètement devenir une œuvre d’art ? panneaux pivotant. know if I totally agree but at least one thing that architecture has to do is keeping you from getting cold and wet. » Vito Acconci, vidéo AF 55'05

Paradoxalement, l’artiste devient fonctionnaliste et l’architecte est plus sensible aux phénomènes visuelles qu’aux limites d’usage. On peut constater que même si toutes les conditions sont favorables à l’élévation d’un édifice architectural en œuvre d’art (à savoir, force idéologique du dispositif, réceptivité de la part du commanditaire, compatibilité entre les ambitions et le budget alloué, temporalité suffisante pour toutes les phases d’élaboration), la réglementation et les attentes fonctionnelles seront très souvent des prérogatives limitantes dans l’expression radicale d’un dispositif.


Au cours des années, l’organisation « Storefront for Art & Architecture » a gagné en popularité. Multipliant les évènements internes mais également hors des murs de la galerie de Soho, elle a pu se développer, se diversifier et étendre son rayon d’intervention. Son effectif a ainsi suivi la mesure de son ascension et face à un besoin d’espace croissant, elle a ouvert une annexe de bureau à une nouvelle adresse. Le Storefront Offices situé au 611 Broadway à New York a pour fonction d’organiser, de promouvoir et de régir la programmation de l’espace phare de la galerie au 97 Kenmare Street ainsi que des autres nombreux événements extérieurs à la galerie.

Grâce à son action hétéroclite, exaltée par le projet de façade de Holl et Acconci, le Storefront est parvenu à maintenir et même promouvoir l’abolition de cette limite théorique ou physique qui peut exister entre le monde de l’art et la société, pour au contraire contribuer au déploiement des espaces dédiés aux domaines de la création hors de leur limite conventionnelle. Dans ce sens, le Storefront se veut aujourd’hui à la fois un lieu d’exposition pour des productions artistiques, des recherches architecturales, scientifiques ou techniques, mais également un lieu de transmission lors des conférences organisées, un lieu de débat lors de discussions argumentées autour d’un thème défini, un espace communautaire lors de la projection de filmes, de l’organisation d’événements culturels (concerts, pièces de théâtre…), projection de débats politiques d’actualité…

En effet, par la force de son engagement et la pertinence de sa posture idéologique, le Storefront Gallery a eut la possibilité d’élargir le spectre de ses actions. L’organisation n’est plus, si tenté qu’elle l’est déjà été, une simple galerie d’exposition. Elle se veut le cœur d’un réseau d’actions qui se développent dans, autour mais également loin de l’espace d’origine. A l’image de la citation de Steven Holl : « Storefront is a new type of dynamic, urban, and interactive space. »

Hors de ses propres murs, le Storefront est à l’initiative de plusieurs événements ou expositions itinérantes aux Etats Unies ainsi qu’à l’international.

Steven Holl, p.234 de parallax

293


En 2009, « SpaceBuster » est un projet itinérant lancé à l’initiative du Storefront. Partant depuis la biennale de Chicago, un van blanc tente de relier New York en stoppant dans plusieurs villes tout au long de son parcours. Ce van a la particularité de contenir un ballon gonflable géant en plastic transparent qui, une fois gonflé, est capable de contenir et d’abriter différents types d’événements tels que des débats, des concerts, des performances, des ateliers… Espace éphémère mobile, interrogeant une fois de plus les limites physiques des espaces d’expression artistique. Telle une bulle de culture, flottante à travers les Etats Unies, et se posant par endroit afin d’offrir un air de spéculation, de recherche, d’expérimentation sous l'égide des valeurs du Storefront Gallery.

Face à une telle montée de succès, et une reconnaissance qui, au vue de son activité, semble être plutôt bien établie, on aurait pu s’attendre à un déménagement de l’espace de la galerie dans son ensemble vers un lieu plus adapté aux exigences de sa notoriété actuelle. Toutefois, il semble que le Storefront ne peut se passer de cet espace triangulaire de Soho, comme il ne peut s’affranchir de sa façade, qui sont les garants de l’image et de l’essence de l’organisation tout entière.


Photographie de SpaceBuster, projet itinĂŠrant du Storefront for Art & Architecture, 2009

295


MusĂŠe Solomon R. Guggenheim The Metropolitan Museum of Art Upper East Side & Madison Avenue Gallery Area

Midtwon & South Central Park Gallery Area Museum of Modern Art

Chelsea Gallery Area Flatiron Building & Madison Square Pk. Whitney Museum of American Art

New Museum SoHO Gallery Area Storefront Gallery

917 galleries d'art

Storefront Gallery


Densite des galeries nyc

L'analyse de la cartographie des galeries d'art de New York nous permet d'affirmer que leur répartition est le résultat de phénomènes de concentrations ponctuelles au sein de quartiers spécifiques.

Le Storefront for Art and Architecture s'est développé autour de l'affirmation d'un engagement social certain. D'un point de vue spatial, cette posture a conduit la galerie à s'ouvrir le plus possible sur la rue, afin de maximiser l’interaction avec son contexte. Il semble donc pertinent de comprendre ce contexte urbain dans lequel elle se situe et qui a certainement était un vecteur essentiel de son ascension.

Un nuage de galeries est observable proche du Storefront. Il s'agit des célèbres galeries de SoHO. Sans nul doute, le Storefront lui-même a tiré avantage de sa proximité avec ce lieu réputé de la scène artistique contemporaine. Générant une attraction importante de populations intéressées par les domaines créatifs. Toutefois, le Storefront n'est pas directement intégré au nuage. Sa fréquentation s'est donc, d'une certaine manière, constituée d'elle-même.

Storefront Gallery


MusĂŠe Solomon R. Guggenheim The Metropolitan Museum of Art Central Park Columbus Circle Museum of Modern Art Rockefeller Center Times Square The Town Hall Pennsylvania Station & Manhattan Mall Empire State Building Grand Central Terminal & Roosevelt Flatiron Building & Madison Square Pk. Whitney Museum of American Art Union Square Park Jazz Club Area Washington Square Park Tompkins Square Park New Museum SoHO Shop/Gallery Area Storefront Gallery 9/11 Tribute Museum Charging Bull Brooklyn Bridge

Storefront Gallery


Densite des tweets nyc Ces représentations nous montrent une cartographie de l’activité twitter localisée sur New York. L’étude de ce paramètre a vocation à nous éclairer sur la manière dont le contexte urbain du Storefront est utilisé, perçu et communiqué par le biais des réseaux sociaux. Plus particulièrement twitter, qui nous intéresse particulièrement du fait de son format essentiellement textuel qui lui a permis de revêtir un statut

de forum virtuel, un mur d’expression portant des messages plus ou moins engagés ou politisés. On peut tout d’abord constater une activité twitter importante sur une zone quasi continue au centre de l’île de Manhattan, où se situe la galerie qui nous intéresse. Une corrélation parait évidente entre la densité de tweets, la présence de monuments iconiques ou la localisation de lieux liés à la culture. Ainsi, cet indice parait être un paramètre pertinent en vue de comprendre l'activité et les dynamismes urbains. L'échantillon de tweets étudié se constitue de 110 264 posts géolocalisés et récoltés sur plusieurs semaines en Juillet/Aout 2017.

Storefront Gallery


Musée Solomon R. Guggenheim Muséum américain d'histoire naturelle The Metropolitan Museum of Art

Museum of Modern Art Rockefeller Center Times Square Pennsylvania Station & Manhattan Mall High Line & Chelsea Gallery Area Flatiron Building & Madison Square Pk. Whitney Museum of American Art

Washington Square Park Tompkins Square Park New Museum SoHO Shop/Gallery Area Storefront Gallery Tenement Museum 9/11 Tribute Museum Charging Bull Main Street Park

Storefront Gallery


Tweets lies a culture Une analyse terminologique du contenu des tweets nous a permis de classifier ces posts en fonction de la catégorie de sujet qu'ils mentionnent. Cela dans le but de visualiser la répartition spatiale des activités ou des centres d'intérêt de la population new yorkaise. A cet effet, nous avons établi des groupes de termes qui renvoient à un sujet particulier.

Puis, nous avons testé la présence et la récurrence de ces termes au sein du contenu textuel des twitt géolocalisés. Le premier groupe correspond à des mots faisant référence à la culture ou à l'art : Architecture . Art . Artist . Creation . Design Exhibition . Gallery . Museum . Showroom L'observation de la répartition spatiale des tweets nous permet de constater leur correspondance avec les lieux liés à la culture ou capables d'accueillir des manifestations culturelles : Musée, galerie, parc... Le Storefront est localisé très proche de certaines nébuleuses mais n'est pas luimême considéré comme localisé dans une zone d'intérêt forte pour les sujets culturels.

Storefront Gallery


Central Park

Rockefeller Center Times Square The Town Hall Pennsylvania Station & Manhattan Mall Grand Central Terminal & Roosevelt Flatiron Building & Madison Square Pk. Whitney Museum of American Art Union Square Park Jazz Club Area Tompkins Square Park Sara D. Roosevelt Park SoHO Shop/Gallery Area Storefront Gallery

55 Wall Street

Storefront Gallery


Tweets lies a evenement De manière analogique à la précédente analyse, nous avons étudié la récurrence et la concentration spatiale de mentions liées au domaine de l’événementiel. Le groupe de terme se défini par les mots : Beer . Cocktail . Club . Concert . DJ . Drink Event . Leisure . Party . Wine

Au regards de ces représentations cartographiques on peut observer une masse assez diffuse, néanmoins notable, au dessus de la zone où se situe le Storefront. Cela nous permet d'affirmer que cette thématique présente un intérêt particulier en ce lieu. Une dynamique multiforme est multitemporelle commence à émerger de la situation spatiale de la galerie. Ces observations vont dans le sens du choix de la galerie à avoir souhaité développer un établissement pluridisciplinaire, proposant des évènements variés, prenant place à différents moments.

Storefront Gallery


Lenox Hill Hospital Central Park Columbus Circle Rockefeller Center Times Square The Town Hall Pennsylvania Station & Manhattan Mall Empire State Building Flatiron Building & Madison Square Pk. Chelsea Market Union Square Park Jazz Club & Entertainment Area Tompkins Square Park Sara D. Roosevelt Park SoHO Shop/Gallery Area Storefront Gallery

Century 21 Department Store Main Street Park

Storefront Gallery


Tweets lies a restauration En dernier lieu, nous avons étudié la récurrence et la concentration spatiale de mentions liées au domaine de la restauration. Le groupe de terme se défini par les mots : Breakfast . Brunch . Burger . Delicious Diner . Eat . Food . Pizza . Restaurant

Cette fois ci, la galerie semble correspondre à une zone de fort intérêt pour les activités de bouche. Le quartier se présente ainsi comme un environnement pour le moins dynamique et fréquenté du cœur de Manhattan. Cette attractivité multiforme a de tout évidence impulsée sa popularité et continue de le faire. Nous nous sommes volontairement concentré sur des notions liées au loisir car on estime que les différentes activités qui animent le Storefront sont consommées durant le temps libre dédié aux loisirs des personnes.

Storefront Gallery



Recurrence des termes lies au loisir au sein des tweets nyc

On peut observer que la thématique de la restauration est particulièrement présente sur la communauté twitter de New York. Ce facteur est ainsi à prendre en compte dans le reste des analyses concernant la récurrence des terminologies. En effet, on peut imaginer que le format du tweet est particulièrement adapté à communiquer du contenu en relation avec ce sujet et que sa représentation sur les réseaux sociaux soit au delà d'un réel usage de l'espace urbain. Bien qu'à relativiser, il reste toutefois un indicateur pertinent. Il nous informe sur l'éveil de l'intérêt de la population à certains endroits et sur certaines thématiques.



Recurrence des termes SoHO & ... au sein des tweets nyc

La galerie se reconnaissant à l'interface de SoHO, Little Italy et Chinatown, il est important de noter qu'elle se situe en réalité dans le quartier de Nolita, qui est, en effet, proche des 3 autres quartiers bien qu'il en soit tout à fait distinct. Nous avons ainsi décider d'appliquer l'analyse de récurrence des termes en s'interrogeant également sur la correspondance entre les notions. Nous avons donc testé l'association des groupes de mots avec les noms des 4 quartiers à proximité de la galerie.



Recurrence des termes Nolita & ... au sein des tweets nyc

On peut ainsi constater que le terme de SoHO est beaucoup plus souvent relayé sur les réseaux sociaux que Nolita. Si galerie se reconnaît comme partie prenante du quartier de SoHO c'est avant tout pour profiter de l'aura et du rayonnement qui y est associé. La galerie se reconnaît ainsi d'avantage de l'idéologie de SoHO à défaut d'y être réellement implanté. Les limites administrative du quartier lui-même sont distendue par la volonté des lieux limitrophes de se reconnaître du célèbre district d'art.



Recurrence des termes Chinatown & ... au sein des tweets nyc

Il en est de même pour Chinatown, pour lequel on constate une association importante avec des termes liés à la culture et à l'art. Le tout associé à une densité de tweet plus importante que pour Nolita.



Recurrence des termes Little italy & ... au sein des tweets nyc

Little Italy reste quand à lui plutôt intégré au domaine des activités de bouche. Toutefois, le trio SoHO, Little Italy et Chinatown évoque indubitablement une notion de mixité sociale et culturelle. Valeurs chères au Storefront for Art & Architecture.

315



Tweets lies a Storefront L'analyse des termes contenus dans les tweets a pue mettre en évidence seulement 5 posts mentionnant le terme : Storefront. Et parmi eux, seul 1 était porteur d'un contenu relatif à la galerie. L'approche visant à étudier le contenu des messages rendus public via réseaux sociaux s'avère pertinente du point de vue urbain. Il est toutefois plus difficile à

mettre en œuvre dans le cadre de l'étude d'un élément urbain ponctuel particulier. Cela peut être dû au fait que l'on s'est efforcé de collecter uniquement les tweets géolocalisés, ce qui constitue une limitation importante dans la quantité de données recueillies. Afin d'augmenter sensiblement le niveau de précision et de fiabilité de l'étude, il aurait également fallu capter les tweets continuellement et non périodiquement. Storefront Gallery


Storefront Gallery

Storefront Gallery


Sentiment (-) des tweets Les tweets étant majoritairement composés de texte, ils contiennent un message, une information plus ou moins objective. Un algorithme associé à un dictionnaire nous permet d'analyser les mots contenus dans les tweets afin de classifier leur niveau de négativité ou de positivité. Le script attribue ensuite un score entre -1 et 1 en fonction du sentiment moyen du tweet.

Les représentations ci-jointes proposent une cartographie de la densité des messages laissant transparaître un sentiment négatif, pondéré par le degré de négativité du texte contenu.

Storefront Gallery


Storefront Gallery

Storefront Gallery


Sentiment (+) des tweets Storefront Gallery


Storefront Gallery

Storefront Gallery


Sentiment (+/-) des tweets Storefront Gallery


CONCLU SION

La galerie, crée en 1982 par Kyong Park, s’installe d’abord dans une minuscule boutique au 51 Prince Street à Soho, dont la vitrine sur rue est le seul trait particulier. Dans l’immensité écrasante de New York, la voix de la petite galerie cherche à émerger. Dénonçant l’élitisme et l’égocentrisme « Storefront gallery » ou la galerie vitrine. Le nom sous du monde de l’art, elle aspire à rompre lequel l’institution apparait est lui-même évocateur d’une certaine posture provocatrice au sujet de la limite avec les codes de l’espace d’exposition conventionnel afin de renouer le lien entre l’espace privée et l’espace public, entre l’intérieur avec le public. Les premiers événements et l’extérieur. Par définition, la vitrine suggère un élément qu’elle organise affirment ses ambitions. architectural de façade posant un obstacle physique entre Délibérément, la galerie ne se contraint l’espace public de la rue et l’espace privée d’un commerce. pas à la surface délimitée par les 4 murs Cette limite est néanmoins partielle. Sa nature vitrée de son local. Elle colonise la rue, déborde permet d’avoir visuellement accès au contenue de son sur l’espace public et interagissant avec les envers. Par extension, le terme désigne un dispositif qui a passants. Le dialogue entre l’art et la rue se pour but de mettre en valeur objets, idées, principes ou tisse. créations, provocant chez ceux qui peuvent les découvrir l’envie de se les approprier. Une galerie qui se définie comme un lieu public : « an experimental forum and exhibition space ».


Par les thématiques traitées, les programmations proposées, les évènements organisées, les éditions produites, les personnalités accueillies la Un espace singulier mais contraint : En 1986, la galerie galerie refuse clairement de s’écarter des rejoint son lieu actuel au 97 Kenmare Street. La morphologie considérations du public, de se replier sur extrêmement particulière de l’espace, à savoir un long, un microcosme initié et élitiste comme pointu et peu profond triangle rectangle, pousse la galerie d’autres lieux consacrer aux arts. Elle à outrepasser une nouvelle fois les limites de sa façade. se forge ainsi une image d’institution Si ce volume atypique génère des appropriations pour le alternative, socialement et politiquement moins intéressantes de la part des artistes, les contraintes engagée. Elle cherche avant tout à favoriser spatiales avérées conduisent à un phénomène d’asphyxie l’interaction, sans pour autant rejoindre du lieu. Comme un acte de rejet symbolique à l’encontre le consensus, adoptant, si nécessaire, une de l’opacité de la façade existante, une série de travaux posture critique. expriment le besoin des reconnecter avec le public, rompre l’hermétisme subit de la galerie par le « Storefront ». La réconciliation définitive des deux espaces se concrétise en 1993 au travers du projet de façade commandé à Steven Holl et Vito Acconci.

Un « show » qui a fini par résider : A l’origine, le projet de façade était censé s’inscrire sur une temporalité courte. Imaginée comme une installation éphémère à l’occasion de l’exposition de dessins de Holl et Acconci, cette « devanture » devait s’inscrire dans une série d’installations vouées à être renouvelée annuellement. Toutefois, les contraintes budgétaires et surtout l’incroyable succès du design du duo architecte/artiste, la façade perdure devenant une référence architecturale à New York.

325


Un contexte de remise en question des théories architecturales et formelles : L’élaboration du projet s’inscrit dans un contexte post-moderne durant lequel les La « white box » sera débats théoriques et formels sur l’architecture font rage. l’archétype privilégié des Les reliquats du modernisme sont également palpables. En « machines à exposées » qui particulier l’influence immodérée que le courant a pu avoir émergent sans limite dans sur l’esthétique et l’expression architecturale des lieux ces années là. Toutefois, d’exposition. Un modèle quasi hégémonique de la galerie fermeture du monde de d’art définit par Brian O’Doherty comme « un white cube » l’art, neutralité spatiale, ou « une chambre d’esthétique » dans lequel le monde éradication de l’expression extérieur est exclu et la présence du corps seulement du contexte et de l’individu tolérée en tant que « mannequins kinesthésiques » pour ne trouverons un profond pas nuire à l’auto-évaluation de l’art. Son rejet de la part de Steven seul rôle est la mise en valeur des œuvres Holl, de Vito Acconci mais également et exposées par effet de contraste, par un surtout de l’organisation Storefront ellecontrôle stricte de l’atmosphère tout en même, dont les valeurs sont parfaitement permettant une grande flexibilité spatiale antagoniques. et fonctionnelle.

L’appauvrissement architectural des espaces d’exposition doublée d’une notoriété grandissante des théories déconstructivistes depuis les années 80, conduit à concentrer l’attention et l’énergie des architectes sur le traitement extérieur des façades, comme un écrin indépendant enveloppant une multitude de « white boxes ». Produisant ainsi d’immenses sculptures agitées où « l’espace est figé dans une caricature de la dynamique ». Steven Holl s’opposera à cette dérive avec véhémence en insistant sur l’élaboration d’un système ouvert, exaltant la richesse spatiale et fonctionnelle, stimulant l’interaction avec le public et le contexte.


Un architecte en maturité idéologique : Lorsque Steven Holl réalise la façade pour le Storefront for Art & Architecture, il est parvenu à un stade de maturation idéologique avancé. On peut en faire cas dans ses réalisations d’alors : XYZ appartement dans la tour du MoMA à Manhattan 1983, Fukuoka Hinged Space Housing au Japon 1989-1991, Stretto House à Dallas 1989-1991, D.E. Shaw & CO. Offices à New York 1991-1992, Kiasma Museum of Contemporary Art à Helsinki 1992-1998. L’architecte a remisé les considérations typo-morphologiques qui le guidaient en du début de sa carrière pour finalement changer sa propre parallaxe et rejoindre des considérations phénoménologiques.

Son approche se fonde sur une culture riche des différents domaines de la création. En architecture, son intérêt est évident pour l’esthétique de Développant une approche pluridisciplinaire Franck Lloyd Wright et de Le Corbusier, bien visibles dans le traitement Holl, a recours aux pratiques de la science, des ouvertures, le dessin des menuiseries, les jeux de lumière, d’ombres de la philosophie, de la technique et de l’art. et de couleurs, l’attention particulière aux détails, jusqu’au design du Il considère l’architecture contemporaine mobilier. On note également une influence des œuvres de l’architecte libératoire car il est admis qu’elle s’inspire Carlo Scarpa, qui est particulière prégnante dans la façade de références qui dépassent les limites de du Storefront gallery. Le travail précis sur les découpes sa propre discipline. On peut ainsi mesurer l’influence abstraites mais géométriques des panneaux mobiles, manifeste pour les théories des artistes modernes, l’expression singulière de leur dessin, la finesse dans notamment les peintres abstraits et cubistes. Elles le traitement des joints, les jeux de mouvements et de nourrissent sa réflexion sur la composition des formes, bascules des éléments architecturaux, l’exaltation des sur le contenu sensible des figures, des couleurs, de leur phénomènes sensibles liés au contexte, l’inscription du composition, sur les dispositif ouverts qui exploitent la projet sur plusieurs temporalités. Cette somme de notions temporalité et le mouvement d’une œuvre. Il s’inspire permettent de l’assimile à l’architecte vénitien. également des études sur la parallaxe explorée dans les peintures cubistes. Riche de toutes ces influences culturelles, l’architecte confère une forte dimension spirituelle à son travail.

327


Cette synthèse idéologique Il finit par asseoir son idéologie par un lui permet de développer recours fortement assumé à la pensée une série de concepts phénoménologique qui ambitionne qui remettent l’être, ses de comprendre les mécanismes de perceptions, ses usages l’être impliqué dans la perception des ainsi que le contexte au phénomènes. Cette approche le conduit à être particulièrement concerné par le cœur des discussions architecturales : champ du sensible, de la perception, par le contexte, ainsi que par Parcipating Walls : Stimuler l’interaction, le contenu spirituel de rapport à l’usage, valeur communautaire son architecture. Cela a de l’architecture à l’égard de l’esthétique certainement encouragé brute. Holl à tendre vers un Enmeshed Space : Re-connexion de dispositif urbain plus qu’une l’architecture avec le contexte en vue d’une forme architecturale. ré-institutionnalisation symbolique de la discipline.

Ils sont ses outils de rébellions contre les autres mouvements théoriques qui prévalent dans l’architecture des années 90.

Hinged Space : Système ouvert permettant une flexibilité fonctionnelle et un champ des usages illimité.

Un artiste qui devient architecte : Au moment de sa collaboration pour le Storefront, Vito Acconci s’éloigne du milieu de l’art dont la dimension contemplative l’ennui. Il devient de plus en plus concerné par les qualités spatiales, ce qui le rapproche de la pratique architecturale « qui fait de l’espace un thème conceptuel et non plus un fond neutre pour l’émergence du corps dans son existence immédiate ».

« I realized, I had no interest in viewers. I had interest in users, participants and habitants. […] From the space of the body to the body of space. » Vito Acconci.


Un dispositif exaltant la création : Le système dynamique de Holl et d’Acconci a prouvé ses qualités et son perfectionnement. Conférant à la galerie une grande richesse du point de vue spatial et fonctionnel, il offre une multitude de configurations largement exploitées par les intervenants du Storefront.

Sacralisation du dispositif : Paradoxalement, on peut conclure que la réalisation de Steven Holl et de Vito Acconci a atteint précisément ce qu’elle cherchait à exorciser, une valeur d’oeuvre d’art. Entre une sculpture abstraite, un « Canvas » accueillant toute forme d’appropriations artistiques ou sociales, une « camera obscura » filtrant les phénomènes de la ville au travers des écarts entre les panneaux. Jusqu’à être finalement restauré dans son état d’origine, 25 ans après son achèvement alors qu’elle devait être éphémère. Elle est désormais considérée comme l’icône emblématique de la galerie, mondialement connue. Cette façade fût déterminante pour que le Storefront for Art & Architecture devienne un véritable espace public dédié à l’art.

329


BIBLIO GRAPHIE

Livres_ . Angela Lape, Paul Klee L’ironie à l’oeuvre, Editions du Centre Pompidou, Paris, 2016. . Brian O’Doherty, White Cube, L’espace de la galerie et son idéologie, édité par JRP Ringier, Co-édition avec La Maison Rouge, Fondation, 2017. . Herausgeber Kunsthaus Bregenz, Acconci, Holl : Storefront for art and architecture, édité par Ostfildern : Hatje Cantz ; Bregenz : Kunsthaus Bregenz , 2000. . Marc Richir, Phénoménologie et architecture, Le Philosophe chez l’architecte, C. Younès, M. Mangematin, Descartes et Cie, Paris, Février 1996. . Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Editions Gallimard, 1945. . Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Editions Gallimard, 1964. . Paul Klee, Théorie de l’art moderne, Editions Denoël, 1964. . Paul Valéry, Introduction à la méthode de Léonard De Vinci, Editions de la nouvelle revue française, 1919. . Ronnie Self, The Architecture of Art museums, a decade of design : 2000 - 2010, édité par Routledge, 2014. . Slavoj Žižek, Vivre la fin des temps, Editions Flammarion, 2011. . Steven Holl, Parallax, 2000, New York, p.234. . Steven Holl, Juhani Pallasmaa, Alberto Pérez-Gòmez, Questions of perception, Phenomelogy of Architecture, édité par William Stout Publishers, San Francisco, 2006. . Wassily Kandinsky, Cours du Bahaus, éditions Denoël, 1975. Revues_ . Storefront for Art and Architecture, GA, n°, p., Japon, Interview de Steven Holl. . Question de point de vue, Cosa Mentale, octobre 2010, n°3, p.63, Paris. . Steven Holl, Architecture d’aujourdhui, n°291, p.87-115, février 1994. . Acconci Studio, L’Arca international, n°75, mars/avril 2007. . Zonen des Übergangs, Privatisation de l’espace public, Archithèse,n°4, p.46-49, juillet/aout 2000. . L'intim = L'intimité, Quaderns d'arquitectura i urbanisme, juillet 2000, n°226, p.166-175.


BiblioWeb_ . Site Web du Storefront gallery : http://storefrontnews.org/archive/ . Site Web de Steven Holl : http://www.stevenholl.com/ http://www.stevenholl.com/projects/storefront-for-art-and-architecture . Site Web d’Acconci Studio : http://acconci.com . Video d’interview de Steven Holl et Vito Acconci au sujet du Storefront gallery - Architecture + Art: Steven Holl and Vito Acconci : https://vimeo.com/6306520 . Video de Vito Acconci - Seedbed : https://en.wikipedia.org/wiki/Seedbed_(performance_piece) http://www.moma.org/collection/works/109933?locale=en . Interview de Vito Acconci : http://architettura.it/artland/20020624/index_en.htm . A propos des lieux d’exposition contemporains : http://marges.revues.org/705 . A propos du Guggenheim de Bilbao de F.O. Ghery : http://cthomasset.free.fr/docs/UB03-Guggenheim.pdf . A propos du projet Mobile Linear City : http://museumarteutil.net/projects/mobile-linear-city/ http://ekladata.com/MsaLc1OkztFfcLWNIEczvUVMiag.pdf http://news.stanford.edu/thedish/2012/10/30/22685/

https://likemyplace.wordpress.com/2014/01/01/nomad-mobile-linear-city-by-acconci-studio-ny-1991/ . A propos de la notion de Parallax : https://en.wikipedia.org/wiki/Parallax#As_a_metaphor https://en.wikipedia.org/wiki/Depth_perception#Monocular_cues . A propos du White Cube : http://www.hopesandfears.com/hopes/now/question/216781-why-are-art-galleries-white-cubes . A propos de Piet Mondrian : https://fr.wikipedia.org/wiki/Piet_Mondrian . A propos du Cubisme : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cubisme . A propos du Suprématisme : http://www.universalis.fr/encyclopedie/suprematisme/2-alogisme-de-l-image-au-signe-pur/ . A propos de Vassily Kandinsky : https://fr.wikipedia.org/wiki/Vassily_Kandinsky http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-kandinsky-mono/ENS-kandinsky-monographie.html . A propos de la notion de phénoménologie : https://fr.wikipedia.org/wiki/Phénoménologie . A propos du déconstructivisme : http://agora.qc.ca/documents/deconstructivisme--pourquoi_deconstruire_larchitecture_par_pierre_grenier https://fr.wikipedia.org/wiki/Déconstructivisme https://en.wikipedia.org/wiki/Deconstructivism


BIBLIO GRAPHIE

. A propos de Vladimir Tatline : https://fr.wikipedia.org/wiki/Vladimir_Tatline . A propos d’Alexandre Rodtchenko : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Rodtchenko http://photonumerique.codedrops.net/spip.php?article32 . A propos du Structuralisme : https://en.wikipedia.org/wiki/Structuralism_(architecture) . A propos des photographies de Frank Machalowski : http://monovisions.com/interview-with-frank-machalowski/ . A propos de James Turrell : http://web.guggenheim.org/exhibitions/turrell/ . A propos de Jorge Oteiza : https://www.guggenheim.org/artwork/artist/jorge-oteiza https://www.guggenheim-bilbao.eus/fr/expositions/oteiza-mythe-et-modernite/


Remerciements : DERVIEUX Alain HERNANDEZ Dominique MIDANT Jean Paul NILLUS Philippe PÉRÈS-NILLUS Agathe VILLIEN Philippe


ABST RACT

En 1993, Kyong Park, jeune conservateur de SoHO, se rapproche d’un duo composé d’un architecte, Steven Holl, et d’un artiste, Vito Acconci, afin qu’ils proposent un dispositif éphémère pour la façade de sa galerie, le « Storefront for Art & Architecture ».

A cette période, les deux protagonistes ont atteint une maturité idéologique certaine qui leur a procuré l’ambition et la radicalité nécessaire pour porter un projet aussi provocateur que celui qu’ils ont élaboré.

Le projet se développe dans un contexte post-moderne, sur fond d’un certain enthousiasme pour, le jeune mais intellectuellement vigoureux, courant déconstructiviste. Conditions qui vont amener les concepteurs a un parti pris pour le moins affirmé et dénonciateur.

Le budget minime alloué au projet n’a pas tari la force expressive de celui-ci. Au contraire, il en a exalter l’essentiel. De son côté, la galerie est déjà bien connue pour sa posture provocante et alternative sur la scène culturelle de SoHO. Depuis sa création elle revendique ses valeurs communautaires, socialement engagées, et prône une réconciliation de l’art et du public. Interrogeant sans cesse la limite entre les deux, la nouvelle façade deviendra l’emblème de ses préoccupations.

Ainsi, une série d’études, d’analyses et de simulations nous ont permis de mieux comprendre les éléments qui ont fait la force, la singularité et la popularité de la petite galerie new yorkaise.


In 1993, Kyong Park, young curator in SoHO, gets in contact with a duo composed by an architect, Steven Holl, and an artist, Vito Acconci, in order to propose an ephemeral design for the façade of his gallery, the « Storefront for Art & Architecture ».

At that time, both protagonist reached a certain ideological achievement which provides to them the ambition and the radicality needed in order to support a project as much provocative as the one they developed.

The project was elaborated whithin a post-modern context, reinforced by a certain enthusiasm for the young, but intellectually virulent, deconstructivism. These conditions led the designers to a strong and defiant position.

The tiny budget given to the project did not diminish its strong expressivity. But it enhanced the essential elements. For its part, the gallery is already well know for its position provocative et alternative within the cultural field of SoHO. Since it was built, the gallery claimed its communitarian, socially engaged values, as well as the reconciliation of art and public. Questioning anytime the limit between both, the new facade became the symbol of gallery’s concern.

Several studies, analysis and simulations allowed us to understand better the elements that gave strength, singularity and popularity to the little gallery.



337


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.