Association de Propsective Rhénane : le développement métropolitain strasbourgeois

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NOTE DE SYNTHÈSE LE DÉVELOPPEMENT MÉTROPOLITAIN STRASBOURGEOIS ASSOCIATION DE PROSPECTIVE RHÉNANE JEAN-ALAIN HERAUD, HENRI NONN juillet 2012


Association de prospective rhénane Équipe de recherche : Bernard AUBRY, Jean-Alain HERAUD, Francis KERN, Jean-Paul MASQUIDA, Henri NONN Rédaction finale : Jean-Alain HERAUD, Henri NONN

Cette note résume et conclut les contributions diverses de l’association de Prospective rhénane (APR), réalisées et communiquées à la CUS en 2012 sous forme de fiches et de notes d’étapes, sur le thème du développement métropolitain (durable) et dans le cadre de l’élaboration du Plan local d’urbanisme (PLU) communautaire. Une attention particulière a été portée aux activités motrices de Strasbourg dans son environnement international, national et territorial très spécifique, ainsi qu’aux activités résidentielles et fonctionnalités centrales qu’exerce une métropole de cette taille (en référence au concept de taille critique). Les analyses qui suivent tiennent compte des travaux réalisés par les services et agences publiques en termes de la planification et de cohérence territoriale. Elles mobilisent également des sources statistiques traitées par l’APR comme celles du recensement de population de l’INSEE et cherchent à caractériser Strasbourg en comparaison d’agglomérations comparables (selon des critères pertinents). Cette publication est conclue par une analyse du concept de « deuxième couronne ». Précisons que l’APR ne considère pas son travail comme terminé. La présente publication finalise l’exercice pour lequel un accord partenarial a été conclu avec la CUS, mais il reste beaucoup de matière à traiter (particulièrement statistique) pour documenter dans le détail nos éléments de diagnostic, introduire de la cartographie et diverses illustrations, etc. Il est prévu qu’un cahier de l’APR reprenne et complète cette matière pour la fin de l’année ou début 2013.

Convention APR-CUS Note finale, 26 juillet 2012


LE DÉVELOPPEMENT MÉTROPOLITAIN STRASBOURGEOIS

INTRODUCTION Commençons par rappeler quelques éléments clés de la problématique métropolitaine de Strasbourg.

Strasbourg possède un rayonnement de capitale européenne

une faiblesse relative de la métropole alsacienne en termes de poids démographique et économique

En tant que métropole, et en comparaison de ses homologues françaises, Strasbourg possède indéniablement le rayonnement d’une grande ville non seulement comme capitale régionale mais aussi (et peut-être plus) comme capitale européenne sur un certain nombre de fonctionnalités liées aux institutions européennes, à l’enseignement supérieur et la recherche ou à sa situation géographique et logistique au cœur du continent. Ces activités fortes, qui font l’image de la capitale alsacienne, sont autant de pointes de sur-spécialisation dans des réseaux globaux qui masquent la faiblesse relative de la métropole alsacienne en termes de poids démographique et économique, en tout cas si on la compare à des métropoles françaises comme Lyon, Aix-Marseille ou Toulouse. L’application du concept de masse critique doit cependant être modulée selon les divers éléments du système métropolitain. Certaines fonctionnalités résidentielles liées aux facteurs classiques de centralité ne sont acquises de manière durable qu’à partir d’un certain seuil critique de population et d’activité économique en général. Toutefois, des problématiques spécifiques comme les fonctions européennes, le tourisme, la recherche et les secteurs de pointe, notamment, relèvent de considérations ad hoc, même si la situation dans une agglomération « millionnaire » (ou non) peut rajouter quelques éléments de compétitivité. Dans le concept de développement soutenable, il n’y a pas que la dimension économique. Si certains seuils atteints et effets de masse obtenus permettent d’acquérir un avantage compétitif durable dans les domaines recherchés (économies d’échelle, de variété, de

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réseau), cela peut aussi se traduire par des dégradations du cadre de vie et l’accumulation de problèmes sociétaux (déséconomies environnementales, effets d’encombrement, décohésion sociale). Les travaux de ces dernières décennies dans le domaine de l’économie résidentielle appliquée aux grands centres urbains (L. Davezies) ont bien montré qu’il y a un décalage croissant entre les lieux où se forme la valeur ajoutée et ceux où elle se dépense – un décalage encore plus sensible sans doute si l’on considère les lieux où le bien-être qui en résulte se réalise! ■

On ne peut pas analyser la situation strasbourgeoise comme celle d’autres métropoles régionales. Le fait d’appartenir à l’espace métropolitain dense et polycentrique du Rhin supérieur modifie considérablement l’appréciation des variables de centralité, comme des réflexions sur les spécialisations et les effets de masse critique. La dimension transfrontalière a toujours existé, mais elle se renforce nettement, à la fois de manière spontanée (effacement naturel des frontières avec l’internationalisation des comportements individuels et stratégies de firmes) et institutionnelle (Eurodistrict, Région métropolitaine trinationale du Rhin supérieur).

Les réflexions à mener en rapport avec les points évoqués ci-dessus pour mieux appréhender le « développement métropolitain » de Strasbourg supposent au préalable de cerner le concept même de « métropole ». Les questions théoriques et stratégiques autour de la masse critique et de l’attractivité peuvent s’approcher entre autres en réalisant des comparaisons entre métropoles ; encore faut-il se mettre d’accord sur le périmètre des métropoles : l’aire urbaine au sens de l’Insee estelle le bon niveau ? On peut par exemple se poser la question de savoir si la comparaison de l’aire urbaine de Strasbourg avec celle d’Aix-Marseille fait sens – non seulement en termes de taille mais aussi de nature de l’aire urbaine. La première partie de cette note aborde ce type de questions comme un préalable indispensable pour cadrer ce qui peut être dit et surtout mesuré à propos du développement métropolitain. La partie I traite ainsi de ce qu’on peut appeler la dilatation de l’aire urbaine. On y revient sur la définition et l’évolution de ce système concentrique formé d’un centre-ville et de ses diverses couronnes : un système dont la cohérence dans la diversité n’est pas acquise. La question est particulièrement sensible si l’on raisonne en termes de seuil de performance liée à la taille. On peut sans difficulté définir un niveau d’agrégation faisant de Strasbourg un pôle millionnaire en habitants si l’on englobe, outre la ville et ses deux couronnes, des villes moyennes et bourgs-centres qui appartiennent à son système de polarisation ; mais la question est alors de caractériser la gouvernance de cet ensemble. Pour compliquer les choses, rappelons qu’une partie de l’agglomération est en territoire allemand, plus proche géographiquement et fonctionnellement du centre que le périurbain du nord, de l’ouest et du sud ! Comment associer tous ces territoires – aux statuts variés et ayant chacun sa logique propre – à une stratégie commune de développement ?

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les réflexions à mener supposent de cerner le concept même de « métropole »

vers une stratégie commune de développement ?


le fonctionnement du système métropolitain implique une dynamique d’interrelations

des projets… à la gouvernance

La partie II décrit le fonctionnement du système métropolitain en distinguant ses différents sous-systèmes, inégalement concernés par les questions de masse critique, et plus ou moins articulés entre eux. On doit distinguer : plusieurs domaines d’activité qui relèvent de déterminants largement externes (des moteurs assez autonomes qui par contre ont un impact fort sur le développement métropolitain, en référence au modèle d’économie géographique classique dit « de la base ») ; et des activités « résidentielles » qui se justifient par la masse de la population résidente, mais aussi en liaison avec du « présentiel » (comme les touristes) et des fonctions de centralité (en Alsace et dans l’espace trans-frontalier). Ces considérations impliquent bien entendu la dynamique socio-démographique globale, la question des équipements publics, les politiques de mise en réseau et en cohérence de ces mondes différents mais reliés par le territoire. La partie III aborde quelques exemples de projets s’inscrivant dans la problématique du développement urbain « soutenable ». Ils éclaireront des dimensions sociales comme celles de la mixité, des solidarités ou du multi-culturel, mais aussi l’équilibre des territoires et les modalités de gouvernance. Un coup de projecteur particulier doit être donné sur la thématique des âges : quelle demande doit-on satisfaire dans le cadre d’un vieillissement inévitable de la population (des séniors actifs ou dépendants) ? Quels projets motiveront la présence (attraction et rétention) de jeunes ?

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I

LA DILATATION DE L’AIRE URBAINE

Il s’agit ici de caractériser l’aire urbaine correspondant à la métropole strasbourgeoise, en particulier pour mieux apprécier les effets de masse critique, pour autoriser ultérieurement des comparaisons nationales et pour apprécier sa dynamique de développement (démographie totale et en structure) à partir de données quantitatives à établir sur des bases géographiques et fonctionnelles pertinentes. On peut en effet parler d’aire métropolitaine, mais il y a aussi une « aire métropolisée » qui traduit la zone d’influence de Strasbourg. Cela pose la question des rapports aux territoires solidaires du développement de la métropole. Le phénomène central à observer est le progrès de la périurbanisation – de l'habitat et des activités. La périurbanisation comme les autres expressions de la zone d’influence se mesurent en polarités de flux : migrations résidentielles, migrations quotidiennes de travail, fréquentation des équipements et services « centraux »… Il faut aussi comprendre les relations économiques des entreprises. Enfin, les solidarités exprimées par les instances publiques dans l'organisation de l'aménagement, de l’urbanisme et du développement économique font partie du jeu qu’il s’agit de décrire.

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le progrès de la périurbanisation – de l'habitat et des activités

Les périmètres significatifs

La première chose à faire est de distinguer le cœur de métropole et l’aire métropolisée. Le cœur peut correspondre statistiquement à l’unité urbaine, soit 23 communes regroupant la ville-centre et la première couronne (banlieues contiguës) qui sont en continuité spatiale des éléments bâtis selon les critères de l’Insee1. On peut également admettre que c'est la CUS, formée de 28 communes, puisque les 8 localités extérieures à l'agglomération sont désormais participantes des soldes migratoires déficitaires antérieurement constatés dans l'unité urbaine, et du potentiel foncier devenu limité au regard de l'urbanisation. L’aire métropolisée, qui se trouve sous l’influence et l’impulsion du cœur, peut recevoir diverses définitions selon les composantes de cette « dépendance » que l’on décide d’analyser. On considérera principalement les migrations pendulaires et l’utilisation des équipements et services de la métropole.

Le cœur de métropole ■

l’aire métropolisée, zone d’influence de Strasbourg ?

L’agglomération au sens de l’unité urbaine (23 communes) présente une cohérence typologique nette en termes de densité d’habitat (forte) et de dynamique socio-résidentielle et économique (typiquement urbaine). Elle concentre la quasi-totalité des grands équipements. En 2006, y vivent 444 500 habitants.

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Rappelons que l'unité urbaine était composée de 11 communes en 1954, puis de 16 jusqu'en 1975.

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le cœur de métropole c’est la CUS


la CUS fixe 53 % des emplois départementaux

le bassin touristique agrége 600 000 habitants

le Scoters : 140 communes censées partager les orientations de développement de la CUS

• La CUS (28 communes) fonctionne depuis 1968 comme une forme de « supra-communalité » de gestion et de projet. Avec 475 000 habitants en 2007, elle regroupe la moitié de la population du département du Bas-Rhin. Pour prendre un critère économique significatif, la CUS fixe 53 % des emplois départementaux. En nombre d’établissements le poids de la CUS est de 45 %. Une mesure de l’influence économique du cœur est la zone d’emploi (au sens de l’Insee). Ce concept qui repose sur l’observation des flux quotidiens de travail correspond dans le cas de la métropole strasbourgeoise à 90 communes, lesquelles rassemblent 556 400 habitants (chiffres 2006). On peut parler d’une véritable solidarité fonctionnelle, compte tenu de la multiplicité des lieux de travail où interviennent à la fois les activités diffuses dans le tissu des communes et les développements des « zones d'activités » (ZAE, créées avant les années 2000)2. Cependant, actuellement, ce périmètre est largement dépassé, tant par des réalisations plus externes de ZAE que par la diffusion de l'économie résidentielle de proximité. En incluant d’autres critères que les activités de « la base économique » métropolitaine, en regardant par exemple d’autres notions de bassin comme le « bassin touristique », on voit que l’on peut agréger facilement plus de 600 000 habitants sous une définition élargie du cœur. Enfin, il est inévitable d’évoquer le Scoters (Schéma de cohérence territoriale de la région strasbourgeoise) avec ses 140 communes censées partager les orientations de développement de la CUS : on dépasse là l’idée de cœur métropolitain car on englobe des territoires soucieux de garder des identités fortes.

L’aire urbaine Reprenons l’approche par les flux de travailleurs. En utilisant les migrations pendulaires de travail polarisées par les agglomérations, l'Insee définit un dispositif en auréoles : une ville-centre, une première couronne de communes qui lui sont soudées et qui partagent ses traits urbains (l’unité urbaine), et une deuxième couronne faite des localités envoyant au moins 40 % de leurs actifs migrants vers ce cœur principal3. Les limites de l'aire urbaine strasbourgeoise définies en 1999 agrègent à cette date 189 communes, dont 169 en 2e couronne, et totalisent 612 100 habitants ainsi que 267 150 emplois. Dans les contours de l'aire urbaine définie en 2010, on en vient à grouper 265 localités du Bas-Rhin, dont 245 en 2e couronne, ce qui en 2006 correspond à 753 000 habitants. La dilatation quantitative de l’aire est

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cf. Cahiers de l'APR, 2011-1, p.104-105, et Adeus, « Sozac », 2005. Il y a là un effet de « mono-polarisation » accentué par les infrastructures de transport convergentes sur l'agglomération. Au-delà de ces territoires urbains, prévalent les « communes multipolarisées » et les « espaces à dominante rurale » Pour l'Alsace, cf Insee : Chiffres pour l'Alsace ; et APR : La périurbanisation en Alsace…, Cahiers de l'APR, 2011-1)

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notable et se traduit aussi par un effet de structure qui mérite d’être analysé (développement de cadres de vie locaux qui transforment les campagnes en espaces néo-urbains)4. La question se pose d'adjoindre ou non au périmètre de l'aire urbaine au sens de l’Insee une « troisième couronne ». Les navettes au taux compris entre 15 % et 40 % en 2006 feraient ajouter les cantons de Bischwiller, Haguenau et Niederbronn, de Bouxwiller, Saverne et Marmoutier, de Saales, de Barr, Villé, Sélestat et Marckolsheim . Il faudrait aussi inclure dès lors les aires urbaines de Haguenau-Bischwiller (60 000 hab.) et de Saverne (20 000 hab.), à défaut de Kehl (35 000 hab.) qui ne capte encore que 6 500 navetteurs venant de la CUS. On obtiendrait alors un ensemble avoisinant ou dépassant les 900 000 habitants. L’aire urbaine est aussi portée par l’extension d’une zone d’influence relative aux équipements et services de Strasbourg. Ce champ d’attractivité exprime une fonction de centralité de haut niveau. Les équipements et services concernés sont destinés non seulement aux habitants de l'aire urbaine, mais aussi, plus généralement, de toute une région. Ce phénomène tend constamment à s’élargir avec les innovations, les effets d’échelle et les restructurations de services publics et privés. Plusieurs fonctions administratives donnent à Strasbourg une compétence sur l'Alsace entière ; d'autres sur le Bas-Rhin seulement. C'est l'héritage d'une capitale provinciale, désignée en 1965 comme « métropole d'équilibre » (organisation en armature hiérarchique des services et équipements publics). Certaines évolutions récentes renforcent le périmètre strasbourgeois. C’est typiquement le cas de la fonction universitaire avec l’adossement de l’Université de Haute Alsace à l’Université de Strasbourg et les restructurations/mutualisations de l’offre de formation (et de recherche) qui vont en découler dans les années à venir. Sur d’autres fonctions, la réalité est plus nuancée : exemple du commerce de luxe pour lequel Strasbourg a plutôt perdu en niveau relatif et se fait concurrencer par d’autres centres urbains éloignés (Paris avec le TGV) ou proches (dans le Rhin supérieur). Il ressort de l'examen des aires d'influence des villes d'Alsace que celle de Strasbourg approche aisément le million d’habitants à de nombreux points de vue. Encore faut-il souligner que le fait frontalier entrave en grande partie un développement d'influence à 360 degrés. Le développement des coopérations transfrontalières (Eurodistrict) permettent des échanges moins parcimonieux aux plans du travail, de la chalandise, des loisirs, comme des rapprochements dans l'aménagement et le développe-

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Dans les limites de 1999, l'assiette périurbaine est essentiellement villageoise (avec quelques bourgscentres et petites villes néanmoins). Dans celles de 2010, l'aire pourvoyeuse est élargie et englobe une partie du piémont vosgien, de Wasselonne- Marlenheim à Barr, en passant par Molsheim et Obernai ; elle comporte donc des « aires urbaines » auparavant individualisées, devenues liées par des mouvements pendulaires accrus au bénéfice de l'agglomération strasbourgeoise. On observe en conséquence une augmentation de foyers secondaires d'emplois. Aux mouvements pendulaires de travail s'ajoutent les déplacements pour les études ou pour certaines formations professionnelles. Ces flux d'actifs ou étudiants résultent non seulement de la polarisation de personnes issues du peuplement initial local, mais aussi du développement de la périurbanisation dans les deuxièmes couronnes nourrie par une émigration hors de l'agglomération ou par l'installation en périphérie de nouveaux habitants attirés par la métropole. (Cf CUSAdeus : Quarante ans d'urbanisation dans la CUS : Où ? Combien ? Comment ?, 2009).

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avec une troisième couronne, l’aire urbaine compte 900 000 habitants

une fonction d’attractivité régionale de haut niveau grâce aux équipements et aux services de Strasbourg


ment. La question transfrontalière demeure un enjeu majeur pour la « métropole millionnaire » que l'on cherche à mieux asseoir. Au total la zone d'influence concerne maintenant soit les 1,9 million d’habitants de l'Alsace, soit une grande majorité du million de Bas-rhinois et, sur plusieurs plans, des dizaines de milliers de résidents de l'Ortenau (chalandise, vie culturelle, loisirs-détente). C'est, à l'évidence, un champ spatial nettement plus ample que celui du Scoters. Rappelons par ailleurs que les densités moyennes de ces territoires dépassent les 220 hab/km2, et que la richesse vive moyenne de ces populations – à mode de vie « urbain » bien marqué – figure parmi les plus élevées de province pour ce qui est de la France, mais aussi de l’Allemagne.

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Les conditions de la « dilatation » et de « l'épaississement » de l'aire urbaine

L'attractivité strasbourgeoise telle que posée par l'examen des polarisations d'emploi et de centralité se traduit par des évolutions démographiques, des expansions résidentielles et des soutiens à la vie économique de la ville et de ses périphéries : éléments qui contribuent, avec les dynamiques de rayonnement et de compétitivité métropolitaines, à stimuler son développement. Toutefois, il importe d'en suivre les conditions comme les modalités de traduction spatiale.

Les modalités de desserte territoriale La trame d’infrastructure de transport alsacienne est dense (avec une densité de routes nationales et de voies ferrées deux fois plus élevée qu'en Aquitaine, Midi-Pyrénées ou Basse Normandie).

l'inconvénient du système routier est le manque de rocade externe

Le système routier dessine en particulier une arborescence qui converge sur Strasbourg. Typiquement, la voie rapide du piémont vosgien (VRPV) récente aide à drainer vers elle le piémont vosgien de Sélestat à Molsheim ; des contournements des villes moyennes ou plus modestes du Bas-Rhin, réalisés ou en cours, permettent des circulations plus aisées vers la grande agglomération. L'accessibilité routière en 30 minutes va de Strasbourg au delà de Marmoutier, Haguenau et Bischwiller, Barr et Sélestat, Rhinau, et en Bade jusqu'à Offenbourg-Oberkirch ou Rheinau et Achern (néanmoins, la déficience des liaisons avec le Pays de Bade reste patente). On peut conclure que les axes principaux qui ont guidé les premières vagues de périurbanisations en « doigts de gant », demeurent prégnants. L'inconvénient bien connu du système routier est le manque de rocade externe qui génère l'asphyxie des entrées d'agglomération et de l'A35 en lisière de ville. Par ailleurs, on peut regretter, comme dans beaucoup de métropoles, les efforts insuffisants pour modérer l’usage du véhicule individuel5. 5

La voiture reste dominante dans les déplacements au sein du Scoters (52 %, contre 11 % aux TC en 2009), et plus encore dans le Département hors Scoters (52 % recourent exclusivement à l'automobile, 21 % combinent auto et TC, 11 % seulement se fient aux FC). On peut en déduire une recommandation prioritaire en faveur d'une localisation préférentielle de la construction à venir auprès des T.C. , tout en sachant que cela va poser problème aux collectivités locales en charge de l'urbanisme.

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Le réseau ferroviaire régional, soutenu et développé, propose désormais des dessertes fréquentes et cadencées reliant à Strasbourg6. Il convient d'ajouter que plusieurs organisations de transports urbains locaux facilitent maintenant des rabattements autour des villes moyennes (Ritmo à Haguenau, TIS à Sélestat, Comette à Saverne, ou encore Pass'O à Obernai7) et que les échanges avec le piémont et le Val de Bruche bénéficient d’une bonne desserte cadencée. Les gares TER deviennent des enjeux d'aménagement et d'urbanisme – étudiés dans la démarche régionale « Urbagare »8.

vers une métropolisation en grappes

Le fait que divers pôles d'emploi notables se soient constitués sur plusieurs villes bas-rhinoises autres que l'agglomération strasbourgeoise (ancrant des « bassins de vie » locaux substantiels) atténue quelque peu la focalisation sur cette dernière9. De même, le jeu de leurs centralités intermédiaires capte des flux de chalandise, de formation secondaire et professionnelle initiale, de fréquentations liées à la santé ou à la culture – à moins de 30-40 km de la capitale régionale. Cette décentralisation partielle est une bonne chose, mais elle induit forcément de la complexité dans le système des 4 millions de déplacements quotidiens effectués dans le département.

Les évolutions actuelles de la population et de la construction Les indications relatives à l'accroissement démographique depuis les années 2000 font ressortir que « l'épaississement » par gains annuels de population (ces mouvements proviennent à la fois du solde naturel et des soldes migratoires) ralentit nettement en agglomération, commence à fléchir à l'échelle du Scoters et tend par contre à s’accentuer en périphérie10. L’affaiblissement du rythme urbain contraste donc avec les progrès de territoires en région, qui présentent des économies productives et/ou touristiques locales dynamiques. Plusieurs facteurs se combinent pour aboutir à ces évolutions contrastées : diminution de taille des ménages urbains, vieillissement de la population (assez général en Alsace), raréfaction et coût des terrains à bâtir en et à proximité de l'agglomération. La construction résidentielle est le reflet (partiel) de cette réalité démographique. Depuis 1990, le Scoters a fixé 65 800 logements nouveaux, mais la moyenne annuelle y fléchit ces dernières années11. Encore faut-il observer que la moitié des

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La fréquence des TER est de 30 à 50 (voire plus) par jour avec les villes moyennes polarisées par la métropole : Lauterbourg (32), Haguenau (40), Saverne (33), Molsheim (41) et le Val de Bruche (34), Barr (59), Sélestat (57), et Kehl (44). Cf. DNA du 16-1-2012 ; v.aussi carte document 13 sur les flux de voyageurs TER en 2009 du Cahier de l'APR, 2012-1. 7 Cf. J.Forthoffer, in Cahiers de l'APR (2011-2). 8 comme l'a montré S.Mosser in Cahiers de l'APR (2012-1). 9 Ainsi, parmi les salariés privés bas-rhinois en 2011, 158 000 sont employés hors de la CUS, soit 46,2 %. 10 Dans le département, le taux annuel de progression est de + 0,7 %, mais seulement de + 0,56 % dans le Scoters (contre + 0,79 % entre 1990 et 1999), et de + 0,36 pour Strasbourg et 7 de ses communes limitrophes. Par contre, on note des taux supérieurs à + 0,9 % dans les Scots de Sélestat et du Piémont des Vosges, alors que, pour ceux de l'Alsace du Nord et de Saverne on est voisin de la moyenne départementale (+ 0,8 %). 11 Le flux est actuellement de 3 930 ; le pic principal entre 1995 et 1999 et passé, et on tourne dans les années 2000 entre 2 700 et 3 900.

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les gains annuels de population ralentissent en agglomération, fléchissent à l'échelle du Scoters mais s’accentuent en périphérie


réalisations se situe dans l'unité urbaine (en tissu plus qu'en extension), où 95 % des 3 775 logements sociaux nouveaux ont été localisés. L'aire « Interscots » (le total du Scoters et de ceux qui le jouxtent) totalise 121 300 logements édifiés depuis 1990, dont 55 500 hors du Scoters. Ce qu’il faut aussi souligner sur le plan qualitatif, c’est que les immeubles collectifs prédominent dans le Scoters (env. 2 000-3 000/an) alors qu’à l'extérieur il s'agit encore surtout de maisons individuelles et d'implantations villageoises ou dans des bourgs. Le « modèle urbain » ne se retrouve que sur le piémont12.

l’attractivité est liée aux activités motrices, à la qualité des services d'accueil et de formation, de l'urbanisme et des aménités urbaines

Si l’on considère la dynamique récente de l'emploi, on notera qu’elle n'est que partiellement corrélée à l'évolution de population due aux soldes naturels, si ce n'est dans le domaine de l'économie résidentielle. De même, le lien aux fonctions de centralité n'exprime qu'une partie du marché du travail fondé sur l'attractivité métropolitaine, car peu producteur de solde migratoire. En outre, sur une partie de l'aire urbaine, la progression résidentielle est adossée à l'emploi frontalier. En fait, le plus important facteur d'attractivité de nouveaux résidents est à porter au crédit d'activités « motrices », soit productives positionnées sur des marchés étendus et compétitives, soit de fonctions tertiaires assurant rayonnement et renom. L’attractivité est liée à ces activités productives comme à la qualité des services d'accueil et de formation, de l'urbanisme et des aménités urbaines. Or, ces atouts se partagent entre parties centrales et environnements périurbains. Les firmes dynamiques recourant aux avantages de la métropole (aéroport, TGV, logistique, nœuds résiliaires, centralité de haut niveau, marché d'emploi vaste et flexible, riche en niveaux de qualification), qui entrent dans la « logique assurantielle » des grandes agglomérations décrite par P. Veltz13, peuvent en effet choisir une localisation intra- ou extra-urbaine. Le choix résidentiel des cadres joue ici un rôle essentiel. C’est l’ensemble de ces facteurs d’attractivité qui induit à la fois le cadre et « l'épaisseur » de l'aire métropolitaine, qui y suscite l'accroissement des soldes migratoires et des ressources économiques. Une condition essentielle est l’accompagnement par les politiques du logement et de l’accueil (aménités). Le fonctionnement du « système métropolitain », développé pour Strasbourg dans la partie II, montre que, pour les activités « motrices », il n'y a pas de « notion de seuil » univalent mais des configurations territorialisées différentes, relativement autonomes (davantage structurées par leurs réseaux) et en attente de synergies entre fonctions. Il reste que, là comme pour l'économie résidentielle, il convient d'intégrer les caractères propres à l'Alsace (économie tournée vers l'international, densité de peuplement élevée, maillages serrés de pôles et d'équipements, ampleur des modes de vie « multipolaires » des périurbains dans leur vie courante, investissements forts dans le « cadre de vie »…).

12 Cf Adeus, Les indicateurs de suivi, 2011-12. On observe en fait un jeu complexe de segmentation sociale des habitants (CSP, revenus) combinée aux prix des marchés immobiliers, aux facilités de desserte, comme au soutien apporté par les dynamismes économiques locaux, et d'attitudes des communes ou EPCI au regard de la périurbanisation (cf H. Nonn sur le piémont vosgien et P. Zander sur les positions des communes bas-rhinoises, in : Cahiers de l'APR, 2012-1). 13 P. Veltz (1996), Mondialisation, villes et territoires.

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Dilatation de la métropole et cadres institutionnels L'étude effectuée selon les zonages en aires urbaines de l'Insee permet d'individualiser les aspects propres aux cœurs urbains (ville-centre), aux agglomérations ou unités urbaines (incluant les 1ères couronnes) et aux parties périphériques mono-polarisées par ces dernières. Elle est utile pour les comparaisons inter-métropolitaines, en particulier sur des indicateurs statistiques largement accessibles, à opérer avec précautions. Mais cela ne se substitue pas aux analyses calées sur les cadrages « institutionnels » communaux, intercommunaux (EPCI) ou autres (syndicats de divers types, Scots, ententes transfrontalières…). Et là les aspects comparatifs entre métropoles deviennent plus délicats. Dans les modalités du développement métropolitain de Strasbourg, il est utile de rappeler comment interviennent ces instances de niveaux géographiques variés. ■

La ville-centre (pôle historique majeur, lieu de centralité et de nodalité supérieures) détient une surface étendue, incluant : des faubourgs aux développements parallèles à ceux des communes de 1ère couronne, le port rhénan, un campus central important, le « quartier européen », plusieurs quartiers d'habitat social : autant d’éléments partiellement spécifiques à retenir dans une comparaison entre métropoles14.

La ville est impliquée dans plusieurs domaines comme « pilote » (ou copilote) : notamment dans l'urbanisme de l'agglomération – et ce, dès les années 50-60, avec un Groupement d'urbanisme puis un Plan directeur (PUD) ; dans le portage des dossiers de « métropole d'équilibre », de « ville européenne » (contrats triennaux dès 1980), du logement social, de la rénovation urbaine et de la constitution de nouveaux quartiers ; dans la gestion du port ; dans l'action de la Sers ; en partie dans le développement universitaire et de la santé… Lors de la création de la CUS (1966-68), ses services et les personnels de la Ville ont porté ses nouvelles structures, ses enjeux et ses projets (Dossiers d'agglomération). Le poids de la ville n'était alors pas seulement démographique, patrimonial, culturel et d'emploi tertiaire, mais également stratégique et organisateur. Avec le temps, cette forme d’hégémonie s'est diluée et mieux partagée (de manière variable selon les domaines et les dossiers), au sein de la CUS, comme déjà dans le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de 1973 (SDAU) qui embrassait 93 communes. Actuellement, la ville-centre, affectée par la périurbanisation, garde sur son sol (78,3 km2) 39,5 % du peuplement du Bas-Rhin et 54,8 % de celui de la CUS ; 38,9 % des emplois départementaux (la CUS comptant pour 59,2 %), et les équipements majeurs de centralité.

14 Chaque métropole a ses spécificités, ce qui trouble forcément les comparaisons quantitatives, pourtant « utiles et nécessaires » (voir infra partie II ainsi que les annexes). Dans le cas de Strasbourg, la dimension rhénane et l’héritage d’une histoire riche et mouvementée jouent un rôle essentiel de spécification : voir typiquement l’imposant quartier de la Neustadt.

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Strasbourg conserve 39,5 % de la population du Bas-Rhin, 38,9 % des emplois et les équipements majeurs de centralité


la CUS a les capacités d’orienter la planification et l'aménagement sur l’ensemble de l’agglomération

fléchissement du solde migratoire de la CUS au bénéfice du reste du Bas-Rhin

La CUS constitue la seconde base de structuration métropolitaine. 23 de ses 28 communes font partie de l'unité urbaine strasbourgeoise, et les 5 qui s'y ajoutent sont désormais participantes des caractères dynamiques de l'agglomération – démographie, types d'habitat, et activités (cf. encart final).

L'entité, établie en « supra-communalité », en fait un corps solidaire et codirecteur du développement urbain ; d'autant que s'y sont répartis depuis les années 70-80 des équipements ou des ZAE. À sa naissance, fut parallèlement instaurée l'Agence d'urbanisme (aujourd'hui ADEUS), dont le champ de compétence était d'emblée étendu à une centaine de communes, mais tournée d'abord sur l'établissement du SDAU (1973), des Dossiers d'agglomération (1990 puis 2000) et du Plan de déplacements urbains (PDU, 1999) pour le compte de la CUS15. La CUS peut ainsi, à partir de ses services, intervenir sur l'ensemble de l'agglomération ou au moins orienter la planification et l'aménagement : le plan de référence (« Strasbourg Grand Format »), la politique économique (« Éco 2020 »), environnementale (« Éco-cités »). Dans les programmes, la place de la Ville a été très importante dans la première décennie de ses chantiers, mais elle s’est atténuée ensuite au nom du souci d'équilibre, par distinction entre Maire de la Ville et Président de la CUS, depuis 1989, ou du fait de dossiers dépassant le seul cadre urbain (transports collectifs, zones d'activités, ZUS, logement social…) Cependant, les incidences de la périurbanisation et de l'étalement métropolitain, de même que le besoin de relancer la dynamique métropolitaine, amènent actuellement à une reprise de préoccupations centrales de développement comme de « modèle urbain » liant le cœur et ses marges, soit l'agglomération dans son entier16. Quoique marquée par le fléchissement de ses soldes migratoires au bénéfice du reste du Bas-Rhin, rappelons que la CUS « pèse » encore 43,3 % dans la population départementale, et 59,2 % du total de ses emplois. Elle dépasse le milliard d'euros en budget annuel (référence 2007). Et elle constitue le « territoire contractualisé» le plus dense du Département, nourri en outre par des ressources d'Etat importantes complétées d'aides régionales (Anru et Politique de la Ville, université-recherche, santé, infrastructures, via le CPER ou le contrat « ville européenne »). • Le Scoters (Schéma de cohérence territoriale de la région strasbourgeoise), confié à un Syndicat mixte et réalisé en 2006, permet, lui, de rapprocher agglomération majeure et territoires périphériques. Sur 22 % de la superficie du Bas-Rhin, il fixe 55,8 % des habitants. Ici, il ne s'agit pas d'œuvrer en « supra-communalité », mais de promouvoir une coopération entre EPCI (au total 12) ayant choisi d'adhérer aux

15 On sait que ailleurs l'Adeus a en charge l'Observatoire de l'habitat pour le Département, et l'aide à la production de PLU d'autres localités et autres villes bas-rhinoises, voire d'autres Scots, comme elle participe à l'élaboration de schémas et études d'échelle régionale ou transfrontalière. 16 Sont ainsi questionnés les dimensions suivantes : la ville rhénane ; la compétitivité et l’attractivité urbaine ; la ville post-carbone et celle « des proximités » (dans l'urbain et le périurbain) ; la cohérence des territoires dans les nouveaux rapports ville-campagne ; et les redéfinitions des niveaux de centralité.

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orientations et aux stratégies de développement et d'aménagement de la métropole (syndicat mixte). En fédérant ainsi 140 communes et plus de 600 000 habitants, le Scoters ne rallie toutefois pas la totalité des localités inscrites dans l'aire urbaine Insee17. Du moins exprime-t-il une entité dans laquelle les acteurs reconnaissent à la CUS son rôle de locomotive18, tout en y insérant des problématiques plus spécifiques : taille, ancienneté, ressources et vitalité de chaque EPCI ou « territoire de projet » ; place de l'agriculture (périurbaine ou de grande culture) ; attitudes vis à vis des lotissements ou de l’urbanisation proche des gares19; problème des circulations externes à la CUS… L’enjeu du Scoters est d’importance, car il est le lieu d’arbitrage entre les préoccupations d'identité locale portées par leurs élus et la nécessaire cohérence métropolitaine (rappelons que sur le périmètre hors CUS du Scoters se trouvent des aménités et des équipements métropolitains fondamentaux). ■

« L'inter-Scots » ne constitue pas un cadre institutionnel, mais une démarche initiée en 2008, dictée par l'extension spatiale de diverses problématiques communes : mobilités, périurbanisation de l'habitat et de diverses activités, évolution de l'armature urbaine et des centralités comme des systèmes de transport, souci de diversification dans la production des logements, dans la gestion économe des espaces et recherche d'économies d'échelle. Elle pallie l'absence de Schéma régional d'aménagement, en se limitant toutefois au seul Bas-Rhin (moins l'Alsace bossue)20. Cette articulation montre combien métropolisation et périurbanisation contemporaines débordent les délimitations de Scots elles-mêmes héritières des SDAU des années 1970-80.

La démarche inter-Scots nous paraît très judicieuse dans l'examen des répartitions tant des activités économiques à marchés internationaux s'adossant à la force métropolitaine que des résidences des cadres ; ou encore pour la structuration de l'économie présentielle. Elle permet d’aborder les enjeux des rapports ville-campagne contemporains, ceux des solidarités multiples ou ceux des diverses mobilités. Pour l'heure, on y privilégie les indicateurs renseignant sur la production (quantitative et qualitative) d'habitat, la gestion économe du foncier, l'ajustement des centralités et des polarités de l'emploi21. Un pas supplémentaire reste à franchir, qui affinerait les modalités d'échanges (sociaux, économiques..) ou les complémentarités entre ces « territoires de projet » selon une démarche de gouvernance « multi-acteurs et multi-niveaux ».

17 Au nombre de 182 dans le cadre défini en 1999, puis de 267 dans celui de 2010. La polarisation dominante de l'emploi par l'agglomération dépasse également son périmètre, tout comme le marché immobilier ou l'aire de chalandise de cette dernière. 18 Avant même de parler de questions de gouvernance, rappelons que la CUS regroupe presque les 4/5 de la population du Scoters. 19 Cf l’évaluation du Scoters en cours ; enquête de P. Zander in Cahiers de l'APR 2012-1. 20 Sont concernés : les Scots approuvés de la région strasbourgeoise, d'Alsace du Nord et du Piémont des Vosges, et ceux, en cours d'élaboration, de Sélestat, de Saverne, de la vallée de la Bruche et de la Bande Rhénane nord. 21 Cf dossiers Adeus 2011-12.

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le Scoters est le lieu d’arbitrage entre les préoccupations d'identité locale et la cohérence métropolitaine


le marché immobilier pourrait s'élargir à l'espace badois voisin

Le transfrontalier institutionnalisé s'exprime ici dans le cadre de « l'Eurodistrict CUS-Ortenau ». Créé par convention bi-nationale en octobre 2005, doté d'une structure juridique de GECT en 2008, et disposant d’un budget de 850 000 euros en 2011, il cumule plusieurs objectifs : la coopération poussée à l'échelle locale pour constituer un « territoire » commun de vie courante (une urbanité partagée, une appartenance collective, des aménagements co-établis) ; le dimensionnement transfrontalier de la métropole, localement et au sein de la Région Métropolitaine Trinationale (RMT) Rhin supérieur ; et la confortation du positionnement européen de Strasbourg (y compris l'accès à des fonds européens type Interreg).

Le premier objectif s'est amorcé inégalement selon les dossiers22. Il s’agit maintenant d'ouvrir à des innovations administratives et réglementaires encore plus poussées qui peuvent servir de modèle pour la construction européenne (avec l’effet complémentaire de renforcer l’image européenne de Strasbourg). Le marché immobilier pourrait s'élargir à l'espace badois voisin de manière plus sensible, incitant à davantage de liens sociaux. Pour les autres objectifs, on table sur les connexions TGV-ICE, sur une pépinière transfrontalière d'entreprises, et sur la dynamique, cette fois en réseaux, des piliers de la RMT du Rhin supérieur. Actuellement, l’Eurodistrict inclut les 28 communes de la CUS et 51 localités du Landkreis de l'Ortenau. Ce périmètre est discuté : 5 EPCI « riverains » de la CUS côté français manifestent un souhait d'adhésion, de l'Ackerland-Kochersberg à Erstein, ce qui ferait passer les communes françaises à 70 environ, et pousserait à tenir davantage compte des petites villes de l'aire urbaine française ou encore de besoins de rocades. Cette évolution paraît essentielle pour asseoir la fonction métropolitaine transfrontalière de Strasbourg, non seulement quantitativement (masse critique), mais aussi fonctionnellement.

24 Zone tarifaire de transports collectifs, de téléphonie mobile ; cadencement accru du TER entre Strasbourg et Offenbourg ; animations culturelles et conférences ; liens éducatifs et sur la formation ; programmation de la prolongation du tram strasbourgeois sur Kehl d'ici 2015, ainsi que concertation sur l'urbanisation « des Deux Rives » (ZAC Citadelle-Starlette-Coop-Port du Rhin) impliquant un 3e pont sur le fleuve ; rapports renforcés en matière de santé, sport, éducation, police et administrations.

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II

LE FONCTIONNEMENT DU SYSTEME MÉTROPOLITAIN

Il s’agit, dans cette partie, de caractériser l’agglomération comme un ensemble de sous-systèmes interactifs mais logiquement séparables. Ces sous-systèmes appartiennent à deux grandes catégories : ■

les secteurs moteurs qui participent à ce qu’on appelle l’économie de la base : leurs déterminants sont largement exogènes, même s’ils puisent une partie de leur énergie et éventuellement de leur excellence (avantage compétitif) du territoire ; ils contribuent aussi massivement à faire vivre le territoire et sont l’interface essentielle du système métropolitain avec les divers systèmes de niveau supérieur (national, européen, mondial) ; les activités de type résidentiel qui sont déterminées par la présence d’une masse de population justifiant des services, des équipements et des aménagements adaptés ; cette composante fondamentale du système métropolitain global est largement déterminée par des problématiques de masse critique de population et de centralité dans les territoires concernés.

L’articulation des sous-systèmes moteurs entre eux et avec le sous-système résidentiel est une question cruciale. Elle ne va pas toujours de soi et mérite donc une réflexion approfondie (et en prospective) de la part des aménageurs et autres décideurs. Il est aussi essentiel de soutenir les moteurs individuellement pour assurer l’avenir de la métropole, car ceuxci sont les grands créateurs de richesse et attracteurs de résidents. D’un autre côté, soutenir les fonctionnalités et la qualité du secteur résidentiel est indispensable, non seulement pour le bien-être des résidents actuels, mais aussi pour asseoir durablement les secteurs moteurs – lutter contre une possible expatriation et/ou en attirer plus.

1

Vers un développement endogène et exogène pérenne

Il n’y a aucune raison de fixer a priori un seuil de population pour le développement harmonieux et durable d’une région urbaine. La question est : une masse critique pour quoi faire ? Tout dépend des fonctionnalités que l’on considère. Il y a certes une forme de développement métropolitain qui met en œuvre une masse critique de population : tout ce qui a trait aux grandes fonctions de centralité dans le périmètre que vise la métropole. Il nous semble que le seul sens qui peut être donné à la réflexion sur ce paramètre principalement démographique (« la métropole millionnaire ») est celui d’un seuil nécessaire pour que s’auto-alimente une croissance endogène de type résidentiel. Pour le reste, le développement d’un territoire peut parfaitement se concevoir selon le modèle de la théorie de la base en économie géographique, à savoir qu’une ou quelques activités de rayonnement global peuvent tirer la dynamique de tout le système territorial. Les secteurs moteurs de ce type ont chacun leurs déterminants et la notion de masse critique est

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les secteurs économiques moteurs sont les créateurs de richesse, attracteurs d’activités et de résidents

la masse critique est un seuil nécessaire pour que s’autoalimente une croissance endogène de type résidentiel


compétitivité, excellence, réseaux : fondements des activités motrices

relative aux domaines concernés, voire perd de sa signification au profit de notions comme la compétitivité par l’excellence, par les réseaux. C’est l’argumentaire que nous avons développé dans la première Note d’étape et qui va être repris ici de manière très synthétique. Nous considérons qu’il s’agit là d’une question réellement centrale du débat. Strasbourg et sa région dépendent considérablement de sources exogènes de développement, depuis les institutions européennes jusqu’aux entreprises à capitaux étrangers ; mais il est parfois difficile de faire une séparation nette entre les secteurs d’activités relevant de logiques externes et celles qui sont nées et restent enracinées dans le territoire. Le complexe académique (enseignement supérieur et recherche, ESR) est un cas de figure particulier qu’il est intéressant d’analyser à titre d’exemple de l’articulation endogène/exogène. De même, nous avons tendance à considérer le tourisme comme un moteur externe, à l’instar d’une industrie exportatrice, même s’il entretient avec le résidentiel un rapport étroit et des similitudes (présentiel/résidentiel).

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le système de l’enseignement supérieur n’est pas totalement imbriqué dans le tissu économique même s’il l’impacte fortement

Deux exemples de sous-systèmes à déterminants globaux On peut considérer le système de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) comme assez largement extra-territorial. Les institutions d’enseignement et/ou de recherche (publique) dépendent dans une très large mesure de financements nationaux ou internationaux – malgré la part croissante des collectivités au cours des dernières décennies. De même, les chercheurs et diplômés ne restent pas nécessairement sur le territoire, ce qui est logique si l’on veut bien considérer le fait que l’ESR est un secteur disproportionné en regard de la population et du tissu économique local ou régional. Enfin, un tissu d’entreprises high tech commence à se développer au contact de ce système académique de haut niveau, mais là encore, cela ne se fera pas en symbiose forte avec le tissu économique traditionnel. Bref, par beaucoup d’aspects, ce sous-système métropolitain n’est pas fortement encastré dans l’ensemble, même s’il l’impacte fortement comme les études l’ont montré23. Pour autant, on ne doit pas considérer la dynamique du sous-système ESR comme exogène, car l’excellence scientifique locale attire les chercheurs et les étudiants, le système se reproduit, il est marqué localement et les instances extérieures de financement continueront à soutenir le système tant qu’il fonctionne, car il est de l’intérêt du « global » que chacune de ses composantes « locales » fructifient. L’excellence scientifique strasbourgeoise est un système auto-entretenu, le succès attirant le succès, à travers les flux de financement, l’attraction d’étudiants, de jeunes chercheurs ou de partenaires industriels (rarement locaux).

23 Voir L’impact territorial des universités : le cas de l’Alsace, Les Cahiers de l’APR, 2011-3.

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Il s’agit donc d’une fonctionnalité typiquement métropolitaine, à la fois locale par son identification territoriale et les infrastructures associées, et très largement déterminée sur des « marchés » globaux : marché mondial des études supérieures, compétition scientifique pour les publications et autres reconnaissances académiques, qui attirent à leur tour plus de visibilité, de financement et de flux entrants d’étudiants et de chercheurs. ■

Les activités de Strasbourg « capitale de l’Europe » constituent un autre exemple de sous-système largement déterminé par des organisations externes et cependant fortement enraciné dans la métropole, par son histoire, son image, sa localisation frontalière et multi-culturelle, ses infrastructures et tous les effets de synergie déjà développés entre les composantes du sous-système. La dimension durable et assez largement auto-organisée du système est visible. On l’observerait même dans des scénarios très négatifs comme la disparition des sessions du Parlement Européen : un système fondé sur le reste des institutions européennes présentes survivrait à cette éventualité, même si le système tertiaire européen et international de la métropole s’en trouverait affaibli. Ce que nous montrent les deux exemples précédents, c’est qu’une métropole comme Strasbourg abrite divers sous-systèmes métropolitains aux logiques partiellement indépendantes, aux déterminants plus ou moins exogènes mais capables de générer leurs propres dynamiques. Ce qui les relie cependant c’est une certaine qualité d’environnement : accessibilité, aménités urbaines, services généraux, notamment.

3

D’autres spécialisations métropolitaines, à l’avenir plus incertain

Pour faire le tour des activités métropolitaines spécifiques à Strasbourg, il est intéressant de revenir sur les comparaisons faites dans le document du Scoters24 – des analyses à reprendre et à enrichir sur la base de statistiques récentes et plus diversifiées. Le document signale que les fonctions métropolitaines supérieures « les mieux représentées » en 1999 sont (outre la recherche que nous venons d’aborder) : – la banque-assurance – le commerce – l’information Nous verrons que cette liste peut être complétée, mais aussi amendée. Certaines activités ne sont plus de vrais moteurs, ou pourraient le redevenir, mais via des restructurations. D’autres pourraient le devenir. Dans tous les cas, l’articulation avec le système résidentiel et/ou avec les autres secteurs moteurs semble essentielle. ■

Des informations plus récentes que celle du document du Scoters confirmeront sans doute que le pôle bancaire et financier de Strasbourg n’a pas tenu ses promesses. Indépendamment de la crise

24 Rapport de présentation, p.79

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les fonctions métropolitaines supérieures les mieux représentées en 1999 : la recherche, la banqueassurance, le commerce, l’information


financière mondiale actuelle remontant à 2008 qui rend toute prévision d’évolution encore plus délicate qu’à l’accoutumée, il ne semble pas que la division internationale du travail en finance-risque laisse beaucoup de place à Strasbourg. Cela ne signifie pas bien entendu que ce secteur n’ait pas à jouer un rôle important dans le dispositif métropolitain local, mais il paraît peu probable qu’il puisse constituer à l’avenir une « base » de développement significative susceptible d’entraîner l’économie locale. Autrement dit, le secteur bancaire et financier est un élément important du dispositif d’accompagnement du développement métropolitain, sans en être un « moteur », c’est-àdire une activité de la base économique25.

d’utiles activités d’accompagnement

seule l’émergence d’un ensemble d’initiatives convergentes permettra de construire un vrai système économique autour des technologies

Concernant le pôle commercial strasbourgeois, nous touchons à une fonctionnalité nettement plus « résidentielle ». Il est peu probable que l’on vienne du monde entier à Strasbourg pour faire du shopping. Ce n’est donc pas en soi une vraie « base ». Par contre, si l’on y vient pour des activités « européennes », « scientifiques » ou touristiques, culturelles, on peut en profiter pour faire des courses. Le constat a souvent été fait que les commerces de qualité ne sont plus aussi présents qu’autrefois. La relative banalisation des commerces reflète sans doute la structure socio-économique actuelle de la population de l’agglomération (et des touristes), qui n’est plus marquée par une part significative des classes les plus aisées. Il n’y a pas là forcément un réel problème, mais il faut avoir conscience que les activités commerciales sont plus tirées par la demande résidentielle que poussées par une offre spécifique pour laquelle Strasbourg aurait une image particulière. Il en va de même de l’hôtellerie restauration, sauf si l’on considère que le développement d’un Strasbourg « ville de congrès et de salons » est à même de constituer un sous-système dynamique et durable. C’est une option possible en synergie avec les systèmes académique et européen, mais il faut clairement y adjoindre d’autres dimensions pour en faire un vraie base à visibilité globale : tourisme culturel et marchés artistiques, par exemple. Le secteur de l’information et de la communication au sens large est une option de spécialisation envisageable, sur la base d’éléments déjà développés, autour d’Arte, des industries et services du pôle image26 et en synergie avec certains secteurs du système scientifique et technologique. Il reste cependant beaucoup à faire pour asseoir un sous-système ambitieux à visibilité mondiale dans ce domaine. En matière d’infrastructures, on doit pouvoir mieux utiliser l’avantage comparatif qu’offre un territoire particulièrement bien doté en réseaux numériques et bien placé géographiquement sur la carte mondiale des autoroutes de l’information. Cependant, seule l’émergence d’un ensemble d’initiatives convergentes permettra de construire un vrai système économique autour de ces technologies. Au-delà de la dimension technique, l’enjeu est la constitution d’un tissu d’industries créatives. C’est l’objet de la quatrième proposition de plan d’actions sectorielles de la feuille de route Strasbourg Eco 2020 « activités créatives ».

25 C’est par contre typiquement la fonction de la City pour la métropole londonienne : une activité globale qui fait vivre le local. 26 La fermeture d’Iconoval décidée par la Région Alsace n’est pas un très bon signal en la matière.

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Un secteur important n’est pas cité dans la liste des fonctions métropolitaines spécifiques du présent Scoters (sans doute pour une raison de choix d’indicateurs), mais se retrouve souvent dans les documents stratégiques de la CUS et de la Région Alsace, c’est celui de la logistique et des transports. Le carrefour multimodal exceptionnel de cette région axée sur un fleuve européen majeur, qui se renforce régulièrement dans le domaine ferré – mais de manière plus inégale en matière aéroportuaire – est un véritable atout qui a déjà commencé à donner une image logistique à la fois dynamique (investissements conséquents) et moderne (logistique à forte valeur ajoutée, moins intensive en foncier). Le poids des exportations alsaciennes, lisible dans les statistiques, n’est pas dû qu’au dynamisme des entreprises et établissements du territoire : on connaît (ou devine) la fonction importante de plateforme commerciale internationale de Strasbourg et de toute la région. Les thématiques Mobilité et Energie de la Stratégie régionale d’innovation comme le secteur clé « mobilités innovantes et multimodales » de la Feuille de route de Strasbourg Eco 2020, ainsi que les activités du Pôle de compétitivité Véhicule du futur révèlent par ailleurs les potentialités stratégiques d’innovation dans le domaine. Nous voulons souligner ici en quoi le système économique et technologique des transports et de la logistique constitue d’ores et déjà une fonction métropolitaine évidente de Strasbourg, mais aussi, potentiellement, une vitrine des développements futurs du secteur. Autrement dit, ce domaine pourrait concerner autant des fonctions de centralité classiques qu’une forme de base de développement dans l’économie globale. Enfin, le classement du Scoters ne repérait pas non plus l’axe métropolitain potentiel autour du Tertiaire supérieur international (pour reprendre la terminologie du plan d’action Strasbourg Eco 2020). Se pose en fait la question des possibilités de construire sur la base des activités des institutions « européennes » de la ville, un véritable système de services tertiaires de haut niveau et de visibilité mondiale. Il y a là un vrai problème de taille critique qu’il serait intéressant de vérifier statistiquement en observant des villes comparables en notoriété internationale. Il y a aussi une question de fond en termes de compétences et d’ambition des acteurs présents sur le territoire. Vu de loin (de Paris ou d’Amérique), il paraît étrange que Strasbourg n’ait pas profité jusqu’à présent de son image européenne pour développer plus d’activités tertiaires supérieures de type international : juristes internationaux intervenant auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, formations universitaires ambitieuses sur la thématique de l’Europe attirant des étudiants du monde entier, consultants spécialisés dans divers domaines du management public et privé international…

Ces exemples de sous-systèmes métropolitains confirmés ou potentiels nous ont permis de constater une assez riche variété de types : certains sont clairement des bases c’est-à-dire des secteurs d’entraînement, susceptibles de tirer l’économie métropolitaine plutôt que d’en dépendre. D’autres correspondent (en partie au moins) à l’exercice de fonctions de centralité ou en tout cas apparaissent assez fortement déterminés par le fonctionnement de la métropole telle qu’elle est, au moins dans leur stade actuel de développement.

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Strasbourg n’a pas profité de son image européenne pour développer suffisamment les activités tertiaires supérieures de type international


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c’est de la mise en réseau des systèmes locaux et régionaux que peut découler une création de valeur

Comparaisons et conditions générales du développement métropolitain

Pour établir un diagnostic des secteurs moteurs et caractériser la qualité du système résidentiel de Strasbourg, une comparaison avec d’autres métropoles est utile. Les travaux de l’APR en la matière sont loin d’être terminés. Il en ressort des pistes de réflexion que nous évoquons dans les paragraphes qui suivent. Mais nous souhaitons aussi insister sur la dimension collaborative entre territoires : les systèmes locaux ne sont pas qu’en concurrence, en situation de se partager un hypothétique gâteau ; ils sont aussi éventuellement complémentaires et c’est de leur mise en réseau que peut découler une création de valeur. C’est particulièrement le cas de l’espace transfrontalier du Rhin supérieur pour Strasbourg. D’autres cohérences pourraient être mises en exergue, comme par exemple le Grand-Est, mais sans doute avec moins de potentialités sur les champs que nous considérons comme prioritaires.

Éléments de comparaison La comparaison des métropoles françaises confirme que celle de Strasbourg est plutôt bien placée en termes d’emplois métropolitains supérieurs27 ; mais il faut relativiser en tenant compte du type de métropole auquel elle appartient. Nous avons déjà souligné qu’elle est de type spécialisé et non généraliste. La présence d’un grand nombre de chercheurs publics, par exemple, est une situation qui ne peut pas être comparée directement à un ensemble plus équilibré de spécialistes de disciplines fondamentales et de chercheurs industriels (situation que l’on retrouve typiquement en Rhône-Alpes). Plus généralement, avoir beaucoup de chercheurs parmi les emplois tertiaires supérieurs n’est pas neutre : les études montrent par exemple qu’un cadre chercheur, même dans le privé, gagne moins qu’un cadre en général. Pour certaines fonctions métropolitaines de type résidentiel, cependant, on peut considérer globalement que la masse agrégée des emplois de niveau « cadre » fait sens : structures de consommation, utilisation des infrastructures et services publics, pratiques culturelles… Les flux entrants et sortants de cadres et leur évolution à long terme constituent aussi un indicateur global d’attractivité et de compétitivité relative par rapport aux autres métropoles. Les premières observations que nous avons pu faire montrent que la situation de l’agglomération strasbourgeoise ne présente pas une évolution très favorable dans le temps. Il reste à analyser de manière fine dans quelles catégories se perdent ou se gagnent les emplois de cadres et vers quelles destinations se font les flux. Un autre indicateur important à suivre est celui des jeunes : d’où viennent-ils, en particulier pour faire des études, et où vont-ils ensuite ?

27 Le document de présentation du Scoters (p79) indiquait déjà une bonne position de Strasbourg, en 6e position parmi les métropoles françaises pour le taux d’emplois métropolitains supérieurs (derrière Paris, Grenoble, Toulouse, Montpellier et Lyon).

LE DÉVELOPPEMENT MÉTROPOLITAIN STRASBOURGEOIS

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Nos travaux d’analyse des recensements de population de l’Insee montrent que la proportion de jeunes en emploi est relativement favorable ; mais les flux entre agglomérations montrent, eux, une propension à en exporter vers les grands pôles urbains que sont Paris, Lyon et Marseille (en contrepartie, le bilan des flux entrants de jeunes professionnels est positif en provenance des métropoles françaises plus modestes). Une manière nouvelle et prometteuse de mesure de l’attractivité et le développement endogène dans un contexte d’économie créative consiste à repérer parmi les emplois les catégories pouvant être considérées comme « créatives » au sens de Richard Florida ou selon des catégories affinées par des études menées récemment en France28. De ce point de vue, les statistiques du recensement donnent une image mitigée : les catégories professionnelles à forts contenus en connaissance sont très bien représentées tant qu’il s’agit de la recherche publique ou du secteur de la santé ; mais on ne retrouve pas les mêmes indices de spécificité élevés pour les fonctions créatives en entreprise (ingénieurs, chefs de projets informatiques ou encore consultants) ou pour les industries créatives (artistes, publicistes, auteurs, éditeurs…)29. Un élément important de la créativité des territoires selon Florida est son degré d’ouverture et l’attractivité qu’il exerce. Dans ce domaine on peut chercher à évaluer les flux migratoires à long terme : nous avons calculé la proportion de résidents français nés ailleurs que dans la région et observé que selon ce critère Strasbourg ne brille pas particulièrement parmi les métropoles françaises. D’une manière globale, l’indicateur que nous avons calculé pour rendre compte de l’intensité de capital humain (prenant en positif la proportion d’actifs en emploi diplômés de niveau élevé et en négatif celle des actifs sans diplômes) classe la métropole strasbourgeoise dans une position parfaitement médiane parmi les douze plus importantes. Le paradoxe de Strasbourg est donc sa spécialisation relative forte dans le secteur académique (en formation comme en recherche), sans que cela se traduise par une spécialisation notable en activités productives fondées sur la connaissance et menant à de la création. Par contre, beaucoup de professionnels strasbourgeois à haut niveau de compétences sont actifs dans des domaines juridiques, administratifs et du secteur de la santé. Pour ce qui concerne les secteurs moteurs plus classiques, moins riches en connaissance, nous avons cherché à repérer parmi les professions à haut degré de spécificité ce qui pouvait fonder une stratégie d’avantage comparatif en ressource humaine. Le résultat donne, là encore, une image quelque peu mitigée. Pour ce qui est des fonctions tertiaires supérieures, nous venons de souligner l’importance quantitative des spécialistes du droit ou de l’administration, ce qui est positif. Par contre, on ne trouve pas de spécialisation aussi nette qu’on pouvait s’y attendre en commerçants, en cadres de l’hôtellerie-restauration, de l’immobilier,

28 Voir les travaux de Sébastien Chantelot à l’échelle nationale (un expert qu’il serait intéressant d’inviter à Strasbourg). 29 La principale profession libérale assimilable aux activités « créatives » qui apparaît sur-représentée est celle des architectes.

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les catégories professionnelles à forts contenus en connaissance sont bien représentées dans la recherche publique ou le secteur de la santé, mais pas dans les fonctions créatives en entreprise ou industries


notamment. Ces questions mériteraient d’être reprises en détail et les chiffres à confirmer30. Les fonctions commerciales (achat et vente) paraissent plus affirmées du côté de l’industrie et des grandes entreprises. Enfin, les cadres spécialistes de la logistique et de la planification sont plutôt bien représentés.

Une comparaison avec Nantes Un essai de comparaison un peu plus systématique a été fait avec une métropole qui présente suffisamment de points communs avec Strasbourg (particulièrement en taille) pour que l’exercice prenne tout son sens. Il s’agit du cas de Nantes.

des enseignements à tirer des démarches comparatives

Commençons par la structure et l’évolution démographiques. La comparaison des courbes correspondant aux poids des aires urbaines de Nantes et Strasbourg depuis 1968 par groupe d’âge met en évidence la plus grande jeunesse de la population à Nantes. En niveau absolu ce sont les 15-29 ans, puis les moins de 15 ans qui atteignent la tranche 1,4 à 1,6 pour Nantes. Dans le même temps les moins de 15 ans baissent à partir de 1999 et passent en dessous du seuil de 1,2 en 2006 pour Strasbourg. L’évolution est tout aussi manifeste pour les moins de 15 ans et son évolution accentue la différence avec Strasbourg pour les 15-29 ans et 30-44 ans. Il est à noter que dans ce dernier groupe on assiste même à un fléchissement pour Strasbourg à partir de 1999. On observe que cette différence persiste pour les 45-59 ans ! Seul le groupe des 60-75 présente un poids et une évolution très proches. En ce qui concerne le poids des plus de 75 ans, il progresse plus rapidement à Nantes qu’à Strasbourg. À Strasbourg, après avoir chuté à partir de 1982, il tend à se stabiliser à partir de 1999. Le développement des services à la personne à domicile et les maisons de retraite médicalisées seront corrélés à cette évolution. En matière de flux de jeunes professionnels, Nantes en envoie plus à Paris que Strasbourg ne le fait, mais il en reçoit également plus. Nantes en reçoit plus que Strasbourg en provenance des petites aires urbaines. Vis-à-vis d’une grande métropole également lointaine comme Lyon, Nantes possède aussi un léger avantage en attractivité. Le degré d’ouverture – mesuré par la proportion de résidents français nés en dehors de la région – est similaire. Sur l’indicateur de capital humain, Strasbourg possède une légère supériorité. Les spécialisations par grandes catégories professionnelles sont assez semblables, mais si l’on regarde dans le détail des professions, on observe des spécificités. Par exemple, pour exactement le même poids de cadres supérieurs, on trouve plus de chefs d’entreprises de plus de 10 salariés à Nantes. Les indices de spécificité font apparaître des différences de poids dans les catégories d’actifs relevant des secteurs créatifs : Strasbourg est plus

30 Quand les calculs de spécificité reposent sur des petits nombres, la nomenclature étant assez détaillée, ils ne sont pas toujours très significatifs statistiquement. Il faudrait recourir à des regroupements. Des études détaillées et des entretiens avec des spécialistes seraient également utiles pour interpréter les observations statistiques, particulièrement quand elles sont contre-intuitives.

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spécialisée dans les cadres scientifiques et techniques (chercheurs, ingénieurs conseil, architectes…) et surtout dans la recherche publique, alors que Nantes héberge plus d’experts en études économiques par exemple. Du côté des créatifs du domaine artistique, cela dépend des disciplines : Strasbourg est très présent en musique et arts plastiques alors que Nantes domine en arts vivants et auteurs scénaristes.

La problématique de l’espace du Rhin supérieur Une importante dimension dont il faut tenir compte pour analyser et comparer la métropole alsacienne est son appartenance à l’espace du Rhin supérieur - et plus précisément au périmètre du projet de la Région Métropolitaine Trinationale (RMT) du Rhin supérieur. La RMT est à la fois un espace de convergence dans les spécialisations fonctionnelles (économiques, scientifiques, en modes de vie…) et un espace de complémentarités dont on pourrait tirer d’importants avantages si on interfaçait de manière plus systématique ses composantes nationales en abaissant les barrières institutionnelles, réglementaires, linguistiques et d’une manière générale les routines organisationnelles. Les quatre « piliers » de la RMT ont déjà commencé à œuvrer dans ce sens. Par exemple, le pilier Science a permis d’aller au-delà des activités traditionnelles de la fédération des universités du Rhin supérieur (EUCOR) en lançant un appel à projets scientifiques transfrontalier, l’Offensive Science31. Le pilier Économie a permis aux CCI de faire émerger de nouveaux projets communs. Pour prendre l’exemple du pilier Science, la relative convergence des thématiques d’excellence apparaît clairement avec les premières mesures scientométriques : en particulier les spécialisations en sciences de la vie et en chimie/pharmacie/matériaux. Réunie, la RMT du Rhin supérieur pèse lourd en termes de publications dans ces champs disciplinaires : entre 2 et 3 % de l’ensemble européen, c’est-à-dire largement le poids scientifique de pays de taille moyenne comme l’Autriche, la Belgique ou le Danemark32. L’enjeu est de tirer de cette masse critique potentielle toutes ses potentialités en améliorant la connectivité interne (nous avons pu l’évaluer à seulement 3 % : proportion de co-publications au sein de la RMT en comparaison des co-publications totales). Le but de l’Offensive Science est justement d’inciter au développement de coopérations transfrontalières au-delà des relations spontanées et des réseaux déjà établis. En ce qui concerne les complémentarités entre les métropoles de la RMT, on peut noter par exemple la présence d’universités généralistes (Strasbourg et Freiburg) et de centres beaucoup plus spécialisés comme

31 L’Offensive Sciences a pour objectif de promouvoir des projets phares dans le Rhin supérieur en apportant une contribution financière et technique lors de la formulation et de la mise en oeuvre de projets INTERREG IV Rhin supérieur dans les domaines de la recherche et de l’innovation. À la différence d’EUCOR, les partenaires possibles ne sont pas qu’universitaires au sens strict, ils impliquent aussi les Fachhochschule, les centres de recherche extra-universitaires, les instituts scientifiques disposant de fonds publics… L’opération bénéficie d’un budget de 15 millions d’Euros financé pour 50 % par Interreg. 32 Voir J-A. Héraud, « Premiers indicateurs de production scientifique concernant la RMT Rhin supérieur », Note evoREG N°11, novembre 2010. http://www.evoreg.eu/docs/files/shno/Note11.pdf

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des atouts euro-régionaux


constituer les fonctionnalités d’une capitale de rang mondial en agrégeant les principales métropoles du Rhin supérieur

un million d’habitants en englobant des territoires qui sont déjà sous l’influence de Strasbourg

le Karlsruher Institut für Technologie (KIT) ; des établissements publics mais aussi privés (Novartis à Bâle) ; des centres de recherche publics de type assez semblable (CNRS et Max Planck) ou au contraire spécifiques à un pays (Instituts Fraunhofer). D’une manière plus générale, entre les principales métropoles du Rhin supérieur, on pourrait constituer les fonctionnalités d’une capitale de rang mondial en les agrégeant. Strasbourg possède un maximum de fonctions européennes, mais Bâle est aussi présent en termes d’institutions internationales (Banque des règlements internationaux) et à Karlsruhe siège la Cour constitutionnelle allemande, sans compter l’Institut d’administration de Speyer qui joue le rôle de l’ENA et de l’INET pour l’Allemagne; Bâle est une des capitales mondiales du marché de l’art avec Art Basel, mais il existe aussi des marchés à Strasbourg et Karlsruhe ; la muséographie est extrêmement présente sur tout le territoire de la RMT, avec parfois des spécialisations très pointues comme par exemple à Mulhouse ; les aéroports sont nombreux et spécialisés (il reste sans doute à les relier par des transports terrestres efficaces). En conclusion, nous soulèverons la (ou plutôt les) question(s) de gouvernance. En effet, pour ce qui est des activités résidentielles liées aux fonctions de centralité de la métropole, il est clair que l’enjeu de la masse critique (avec d’éventuels effets de seuil à déterminer en comparant à des métropoles millionnaires) est, dans le cas de Strasbourg, lié à la possibilité de se coordonner avec des centres secondaires, puisque l’agglomération n’est pas campée au milieu d’un vaste désert fonctionnel. Se pose dans ce cas la double question de la coordination politique du côté français (gouvernance inter-SCOT) et en transfrontalier (Eurodistrict). Le seuil du million – si tant est que ce chiffre soit plus pertinent qu’un autre – peut être atteint en englobant des territoires qui ne sont pas si éloignés et qui sont en grande partie déjà sous l’influence polarisante de Strasbourg. Pour ce qui est des secteurs plus globaux, déjà affirmés (tertiaire public international, système académique) ou en cours d’émergence (secteur logistique, environnemental, industries créatives ?) la criticité n’est pas de type résidentiel, mais dépend d’un choix de créneaux. Il existe aussi des enjeux de gouvernance dans ces activités de base spécialisées car l’espace du Rhin supérieur est caractérisé par des complémentarités autant que des concurrences. Dans les domaines où l’ensemble de la zone est en pointe, il peut être utile de se coordonner pour conforter la visibilité mondiale et jouer un jeu à somme positive. Les outils de coopération politiques peuvent être poussés en matière de recherche et de transfert de connaissances (clusters transfrontaliers), pour les formations universitaires, les transports et la logistique, la création et le marché de l’art, le tourisme, mais aussi – pourquoi pas – les domaines d’innovation sociale qui renoueraient avec l’idéal de l’humanisme rhénan qui a su s’exporter mondialement dans le passé. Bien sûr les deux types d’activités ne sont pas indépendantes. Il est donc important de repérer où sont les synergies entre l’économie résidentielle et les secteurs de spécialisation globaux : infrastructures, services privés et publics, qualité de l’environnement et cohésion sociale. Les modèles classiques de management stratégique montrent que la valeur d’une

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organisation n’est pas simplement la somme de celles de ses divers centres d’activités, mais dépend crucialement de la cohérence du portefeuille d’activités. La notion de masse critique est liée à la théorie des économies d’échelle, mais il ne faut pas oublier qu’existent aussi des « économies de champ » qui traduisent la fertilisation croisée des activités productives. Il y a là encore une autre forme de gouvernance métropolitaine : comment les sous-systèmes coopèrent-ils ? comment favoriser le développement de spécialisations en synergie positive plutôt que mutuellement neutres voire incompatibles ? Ces réflexions montrent l’intérêt mais aussi les limites d’une approche strictement quantitative du développement métropolitain.

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question de gouvernance…


III DES PROJETS POUR UN DÉVELOPPEMENT URBAIN SOUTENABLE Cette partie ne prétend pas à l’exhaustivité et ne propose pas une vision stratégique définitive. Elle cherche seulement à lancer des pistes de réflexions et à servir de conclusion à la présente Note, en en synthétisant les idées forces du point de vue de l’action et pas seulement de l’analyse.

le seuil de masse en physique peut-il être appliqué à un système humain complexe comme une métropole ?

la question de la concentration d’actifs est liée à celle de leur mise en réseau

Pour introduire ces réflexions finales, il est utile de repartir du concept de masse critique. Le débat lancé par la CUS sur le poids démographique de l’aire urbaine fait en effet écho au concept de masse critique issu de la physique : le seuil de masse concentrée en un espace confiné qui autorise l’alimentation d’une réaction en chaîne. Comment appliquer une telle idée à un système humain complexe comme une métropole ? Dans quelles conditions le fait d’atteindre un certain seuil démographique déclencherait-il un mouvement irréversible (durable) d’attractivité et de développement ? Dans le monde organique, on observe des systèmes plus proches du modèle social/économique (qui est notre propos) que les systèmes de la physique. Dans les systèmes du vivant, ce n’est pas tant la quantité et la variété des composants qui compte, que l’organisation de ces éléments. Le point commun avec la réaction en chaîne nucléaire est la question centrale des interactions, mais avec une palette d’interactions infiniment plus riche que l’échange de neutrons entre atomes fissiles. La question de la concentration d’actifs (à tous les sens du terme : individus en activité, actifs physiques, actifs financiers, images et réputations…) apparaît donc immédiatement accompagnée de celle de leur mise en réseau. Et la question territoriale ressurgit alors : les réseaux pertinents sont-ils confinés sur le territoire ou non ? Une région apprenante et créative est-elle obligatoirement un système complet d’interactions ou n’y a-t-il pas place pour un modèle de « smart region » qui saurait localiser chez elle quelques nœuds bien choisis des réseaux globaux les plus dynamiques ? Considérons que la métropole idéale, qu’elle soit millionnaire ou pas, doit en tout cas favoriser les interactions sur les dimensions suivantes : – le niveau des individus qui composent la structure démographique de la métropole, et de leurs liaisons au sein d’organisations comme la cellule familiale, les collectivités, les entreprises, les associations… – le niveau plus cognitif des intelligences, des dynamismes, des potentialités et inerties culturelles… y compris quand ces facteurs sont portés par des individus d’exception qui ont un pouvoir créatif et/ou d’entraînement ; – le domaine des structures et des politiques (car elles ne sont pas toujours bien articulées) ; – et très concrètement : un bassin d’emploi, de production, de consommation, et tout ce qui fait le fondement de l’économie résidentielle. À trop réfléchir en termes de masse critique, on risque de passer à côté de l’essentiel, qui est le concept de projet. Quels sont les projets indivi-

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duels et collectifs ? Ceux des chercheurs, des entrepreneurs, des pouvoirs publics, de la société civile… ? Ces projets sont-ils partagés, indépendants, conflictuels… ? Qu’il s’agisse d’un projet de vie individuel ou d’un projet porté par une communauté, ce qui le caractérise c’est une libération d’énergie au travers de la créativité, de la motivation puis de la puissance de travail, des réseaux d’alliés, un climat général dans l’environnement sociétal, économique et institutionnel. Tous ces paramètres ne sont pas sans rapport avec une certaine masse critique démographique, mais cette dernière ne constituera jamais qu’une condition nécessaire, certainement pas suffisante.

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La place du projet dans la gouvernance de la métropole

Le projet étant la libération d’une énergie potentielle portée par des composantes du système, il s’agit de favoriser cette expression spontanée, de savoir recenser les propositions, les évaluer. La motivation des porteurs de projets est variable : ambitions économiques, sociétales, humanitaires… Une fois le projet formulé, il est déterminant de (il contribuera à) tous les changements que l’on prétend planifier : mobilités, habitat, aménités et services divers… Le projet est aussi porteur d’image, positive ou négative, d’où des effets d’entraînement. Enfin, il faut rappeler que le projet ne répond pas forcément à un besoin recensé ; il exprime par contre des compétences particulières ou répond à des conditionnements spécifiques (par exemple géographiques – comme la situation frontalière – culturels ou patrimoniaux). En termes d’aménagement métropolitain, l’approche par les projets consiste à construire une vision du futur (ou un ensemble de visions logiquement compatibles) pour en tirer les conséquences plutôt que de gérer au fil de l’eau ou en se fondant sur des modèles déterministes. C’est cela le sens profond de la prospective. À défaut, on se contentera de prévisions mécanistes, ce qui suffit tout juste à assumer le moyen terme.

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Les atouts de la métropole strasbourgeoise

L’analyse qui suit reprend la plupart des éléments évoqués dans la partie II en évoquant les sous-systèmes métropolitains. Elle peut servir à proposer des pistes d’action. La question de fond est la suivante : les atouts de Strasbourg sont-ils assez puissants pour lui redonner la place qu’elle a occupée historiquement sur le Rhin, en France, en Europe ? C’est l’expression d’une stratégie défensive (résister à la concurrence) mais aussi offensive au sens positif du terme : quelles créations Strasbourg peut-elle offrir au monde ? Après avoir énuméré les atouts de la métropole, il faudra envisager de les traduire en projets porteurs de développement, reconnaître ou faire émerger les acteurs de ce développement, éventuellement les attirer (ne faut-il pas faire émerger de nouvelles élites ?) et enfin créer le climat de confiance nécessaire tout en négociant les bons compromis entre intérêts de court et long termes.

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le projet, vecteur d’énergie, de créativité et de prospective


Les atouts en quelques mots : – les institutions européennes (le Parlement, mais aussi toutes les autres : quelles relations avec la métropole ?) ; – le monde académique (enseignement supérieur, recherche, transfert de connaissance et de technologies : quelle place pour l’entreprise et l’innovation dans tous les champs ?) ; – l’industrie régionale (la région – ici le périmètre est régional et pas seulement urbain – a gardé de fortes traditions et infrastructures industrielles : comment ressusciter ce tissu par développement exogène et surtout endogène ?) ; – le Rhin vu comme un lien (s’approprier les berges : créer des ponts et des projets transfrontaliers) ; – l’organisation territoriale en matière de transports (assumer la fonction de plateforme logistique multimodale : résoudre enfin les viscosités, particulièrement sur l’axe N-S) ; – le patrimoine territorial (ville, villages, paysages, traditions, en Alsace et plus largement dans l’espace du Rhin supérieur, sont-ils idéalement valorisés dans une approche contemporaine et innovante ?).

3 Strasbourg : une métropole rhénane, internationale, contemporaine

Trois visions synthétiques

Strasbourg est une métropole multiple et donc de lecture complexe. La segmentation suivante peut aider à y voir plus clair. C’est une métropole rhénane : un scénario à 2050 serait de la construire franchement sur les deux rives. C’est une métropole internationale : à l’horizon 2030 il faut assurer la pérennité des institutions européennes et en profiter pour relancer sa vocation internationale au sens plus large avec des sièges d’organisations, des sièges d’entreprises, des représentations de pays émergents. C’est une métropole contemporaine (connaissance et innovation) : pour 2030, en faire un modèle mondial en matière de systèmes de transports, d’usages innovants de l’énergie, de l’eau, de l’agriculture et du cadre de vie. La manière de faire avancer les projets dans le cadre de ces trois grandes visions, consiste à : – trouver des projets et communiquer ; utiliser ces projets pour créer une image forte (attractivité) ; associer des noms publics et privés reconnus ; – créer des infrastructures efficaces et des structures publiques accessibles qui aident à porter ces projets ; – créer des plateformes de rencontre pour développer des réseaux tertiaires et industriels ouverts et créatifs. Voici quelques idées d’actions sous chacune de ces visions.

La métropole rhénane La problématique rhénane mobilise plus que les autres la question de l’urbanisme, de la durabilité environnementale et sociale, de la culture, de la logistique et des échanges économiques de voisinage. Strasbourg doit gérer son économie résidentielle, impliquant le logement et les mobilités. Nous avons besoin d’un projet de grande ampleur en

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matière d’habitat, d’une extension des transports en commun intégrant des « couronnes » supplémentaires et de repenser des projets de contournement type GCO. Pourquoi pas un système de logistique urbaine innovante, une gestion du trafic automobile également innovante, un concept de « route intelligente » pour des « transports en commun individuels » ? « Strasbourg sur le Rhin » doit devenir le nouveau mot d’ordre, avec des immeubles en bord de l’eau comme à Bâle, Cologne, Francfort. Il y a des ponts à construire (5 par ville sur le Rhin) et des grands projets à partager avec les collectivités badoises et suisses.

« Strasbourg sur le Rhin » doit devenir le nouveau mot d’ordre

En matière de culture, il faut retrouver l’équivalent du rayonnement de la Renaissance et trouver une forme contemporaine du vivre ensemble comme à l’époque de la Décapole. La mobilisation transfrontalière de la société civile est plus difficile à faire que celle des forces politiques, académiques ou économiques. Mais on peut y contribuer en renforçant les lieux de rencontre et l’apprentissage des langues dès le plus jeune âge.

La métropole internationale La problématique internationale renvoie aux efforts d’accueil de cadres (logement), de bureaux (sièges d’administration), de services aux entreprises, d’interfaces entre le sous-système européen et les autres. Des actions devraient être entreprises vis-à-vis de chacune des institutions européennes présente, avec des projets spécifiques (thématique ONG avec la Cour des droits de l’homme, politique urbaine avec le Conseil de l’Europe, dossiers techniques avec le Parlement – en matière de politiques agricole, de transports, de santé…). Les contacts avec l’université pourraient être beaucoup plus développés qu’ils ne le sont. Dans le monde de demain il ne faut pas oublier non plus l’ensemble des pays émergents : l’international ne s’arrête pas à l’Europe ; par contre le modèle européen de Strasbourg et son image sont sans doute un bon point d’entrée à valoriser dans le monde entier.

La métropole contemporaine (tournée vers la connaissance et l’innovation) La problématique « contemporaine » se fonde sur la qualité existante de la recherche et des formations supérieures, mais nécessite beaucoup d’imagination pour l’interfacer avec le monde économique et la société. Dans un territoire « apprenant » il n’y a pas que les spécialistes de la connaissance qui contribuent à la créativité. L’innovation doit être aussi organisationnelle, sociale, culturelle, artistique. L’action peut s’appuyer sur l’existant (forte communauté de chercheurs et d’étudiants, pôles et clusters déjà lancés, présences de cadres et d’ingénieurs) mais il faut penser toutes les interfaces avec la ville pour créer de nouvelles formes de créativité menant à l’innovation et au développement. Cette politique d’innovation doit être en même temps une politique de la jeunesse, une politique des communautés internationales présentes, des communautés ethniques et sociales également, une politique de campus au sein de la cité. ■

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ne pas oublier l’ensemble des pays émergents

l’innovation doit être aussi organisationnelle, sociale, culturelle, artistique…


Document réalisé par la Ville de Strasbourg et la Communauté urbaine de Strasbourg Direction de l’urbanisme, de l’aménagement et de l’habitat, service Prospective et planification territoriale. Crédits photos : CUS-E. Chenderowsky, E. Laemmel ; F. Zvardon. Contact : Arnaud.DURAND@strasbourg.eu © Ville de Strasbourg et CUS, mai 2013. www.strasbourg.eu


Ville et Communauté urbaine 1 parc de l’Étoile 67076 Strasbourg Cedex - France Site internet : www.strasbourg.eu Téléphone : +33 (0)3 88 60 90 90 Fax : +33 (0)3 88 60 91 00 Courriel : courrier@strasbourg.eu


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