M E M O I R E | GEMBLE | 2 0 1 7

ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE NORMANDIE

L e tra n s f er t d e s m a i s o n s - d ’a r r ê t d u XI X e a u x c e n tre s p é n i te n t i a i re s d e s g ra nd s p ro g ra m m e s : ver s un e re d é f i n i t i o n d e l a c o nd i t i o n c a rc é ra l e ?

par :

Stéphane GEMBLE

Sous la direction de :

Milena GUEST

Séminaire de recherche : Les mutations sociales et spatiales de la ville et des territoires : acteurs, formes, enjeux.

Milena Guest, Maxime Decommer et Bruno Proth - 2016 / 2017

« Notre prison n’a que trois murs et c’est contre le quatrième que le prisonnier s’acharne, sur ce quatrième mur invisible qu’il écrit ses amours et ses rêves. »* Jean Cocteau

* Discours prononcé en séance publique le Jeudi 20 Octobre 1955 à Paris.

REMERCIEMENTS

La réalisation de ce mémoire a été possible grâce au concours de plusieurs personnes à qui je voudrais témoigner toute ma gratitude :

Je souhaite avant tout exprimer toute ma reconnaissance à ma directrice de mémoire Madame Milena Guest pour sa patience, sa disponibilité et surtout ses judicieux conseils, qui ont contribué à alimenter ma réflexion.

J’adresse également mes sincères remerciements à tous les professeurs, intervenants et toutes les personnes qui par leurs paroles, leurs écrits, leurs conseils et leurs critiques ont guidé mes recherches.

Je remercie Chantal Magdeleinat, Marie-Christine Markovic et Catherine Rechard d’avoir accepté de me rencontrer et d’avoir pris du temps pour répondre à mes questions.

Je suis très reconnaissant envers les directeurs des différents établissements pénitentiaires qui ont accepté de me recevoir et surtout envers Sebastien Launay, Cedric Labigne et Isabelle Marco pour m’avoir servi de guides pendant ces visites.

Enfin, j’aimerais remercier de tout coeur les membres de ma famille d’avoir accepté de relire ce mémoire et les remercier particulièrement pour leur présence et leurs encouragements qui sont pour moi les piliers fondateurs de ce que je suis et de ce que je fais.

SOMMAIRE

Avant-propos

5

Introduction

7

I - Espaces carcéraux, des logiques de production différentes selon les siècles

9

a) La prison de la Révolution

9

b) 1835 : La prison en tant que telle

9

c) 1955 : La prison, sujet de la politique des grands travaux

II - Le transfert : jeu d’échelles et enjeux territoriaux

10

12

a) Un changement d’échelle spatiale

12

b) Une relégation territoriale des nouveaux programmes de construction

14

III - Le transfert : de la volonté d’améliorer les conditions de détention à l’éloge de l’inconfort

19

a) Sous les coups de l’individualisation

21

b) Quelle place a la socialisation en détention ?

28

IV - Architecture carcérale : quels devenirs pour les anciennes maisons d’arrêt ?

33

a) Du Dessein au dessin : la position de l’architecte face aux grands programmes de constructions

33

b) Dispositifs architecturaux : une réminiscence évidente

38

c) Mais alors : démolir ou reconvertir ? Pourquoi pas réhabiliter ?

38

Conclusion

42

Bibliographie

47

Annexes

49

AVANT-PROPOS

Cette réflexion a commencé au tout départ par une étude de cas très forte de la maison d’arrêt de la Santé à Paris qui se trouve au centre de l’actualité ces derniers temps. En effet, en Juillet 2014, la prison s’est vidée de ses derniers détenus pour la première fois, en 150 ans, pour une large rénovation avant sa réouverture en 2019. C’est ce lieu très intéressant tant sur le plan architectural que sociologique qui m’a vite passionné et ce côté inaccessible et secret du milieu carcéral qui m’a toujours fasciné. Cette étude de cas m’a permis de comprendre pourquoi la dernière prison intra-muros de Paris fascine tant et continue de demeurer malgré les nombreuses incertitudes politiques. Elle a surtout introduit un questionnement sur le rôle de la prison dans notre société et l’importance de garder cette structure datant du XIXe siècle au cœur de la cité.

Les travaux de Nicolas Frize1 ont permis de se questionner réellement sur le rôle de la prison et de son utilité dans la société. Quelle est la pertinence de ces grands programmes de construction ? Faut-il continuer à construire de telles prisons ?

La lecture de l’incontournable Surveiller et Punir de Michel Foucault retrace l’histoire du châtiment, du supplice à la prison en analysant les rapports du pouvoir et du corps. Elle permet de poser les bases de l’individualisation de la peine en reprenant les travaux de Raymond Saleilles de la fin du XIXe siècle sur le sujet.

Cette notion d’individualisation s’oppose à celle de la socialisation développée par Pierre Bourdieu. Ces lectures m’ont amené à me questionner sur la condition carcérale du détenu. De nouveaux espaces sont proposés mais qu’en est-il de ces espaces vécus au quotidien ?

Le travail de François Dieu et Paul Mbanzoulou2 nous fait quant à lui comprendre le processus itératif des prisons françaises : « Il y a au commencement des mots. Les mots deviennent des murs. Les murs génèrent des maux et d’autres mots ». Cet ouvrage porte sur plusieurs questionnements que j’ai pu me poser également : la modernisation des prisons, la surpopulation carcérale ou la place de la prison dans la société.

1

FRIZE Nicolas, Le Sens de la peine : Etat de l’idéologie carcérale, Paris : Ed. Léo Scheer, 2004,

92p.

2

DIEU François, MBANZOULOU Paul (dir.), L’architecture carcérale : Des mots et des murs, Tou-

louse : Ed. Privat, 2011, 125p.

5

Ce dernier point est le sujet majeur du livre de Martine Herzog-Evans, La Prison dans la Ville, qui montre que la société a vacillé entre une volonté d’intégrer la prison et celle de la rejeter en totalité. Quelle est la place de la prison dans notre société aujourd’hui ?

Suite à ces premières recherches, le sujet des transferts des maisons d’arrêt de nos centres-ville me semblait évident avec la comparaison entre anciennes et nouvelles structures. Ce qui est à priori incomparable ne l’est pas forcement.

Plusieurs sources évoquaient un certain paradoxe entre les anciennes prisons des centre-ville, aujourd’hui vétustes mais « agréables » en vue de leur taille humaine et les nouvelles prisons contemporaines rejetées, d’une part, par les détenus euxmêmes mais également par le personnel qui regrette l’absence de rapports humains.

Il me semblait important et indispensable de pratiquer un lieu pour en comprendre le fonctionnement et ainsi vérifier cette première hypothèse. En corrélation avec la problématique posée, il était intéressant de visiter à la fois des prisons anciennes en tissu urbain dense, datant du XIXe, mais aussi des établissements récents. Ces visites ont demandé beaucoup d’énergie dans les démarches : mails, lettres et appels téléphoniques auprès des directeurs d’établissements, ou auprès d’autres acteurs. J’ai alors pu visiter le centre pénitentiaire du Havre (76) de 2010, le centre de détention de Joux-la-Ville (89) de 1990, le centre de détention de Valde-Reuil (27) de 1989 et la maison d’arrêt d’Auxerre (89) de 1853.

J’ai fait le choix également de m’entretenir avec des personnes qui avaient des regards différents sur la prison : un regard porté de près ou de loin sur le milieu carcéral. J’ai ainsi pu rencontrer Catherine Rechard, réalisatrice du Déménagement, Chantal Magdeleinat, psychiatre à la prison de la Santé et sa collègue Marie-Christine Markovic, psychothérapeute.

Toutes ces références, ces entretiens et ces visites m’ont permis de préciser la problématique et d’identifier plusieurs pistes sur le sujet.

6

Près de 70000 personnes sont détenues dans les prisons françaises, l’équivalent d’une ville moyenne évoluant hors de notre regard : la prison est à la fois très connue et inconnue de tous. La prison reste un lieu secret, isolé du reste de la société qui s’invite régulièrement dans le débat public à travers différentes problématiques. Au delà du sens de la peine et des rapports entre justice et société, la condition carcérale réinterroge notre démocratie, et de nombreux rapports officiels concluent à son indignité.

« Des murs écaillés, des chasses d’eau qui fuient, couvertes de mousse, des détritus par terre, des fientes de pigeon, des plumes, des milliers de pelures d’orange pendues aux barreaux pour masquer les effluves des WC à l’intérieur des cellules qui font dix mètres carrés et demi et accueillent trois ou quatre détenus. Les murs sont de couleur papier kraft avec une petite ampoule de 60 watts, à trois mètres du sol. Ils suintent de salpêtre. La fenêtre est minuscule et aucun air ne circule. Les carreaux cassés ne sont pas changés, le WC collectif n’a même pas de paravent [...] La vermine envahit les matelas. […] L’odeur, uniforme, fade et écœurante, [...] quelque chose d’indéfinissable mélangé à l’odeur de tabac, à l’odeur d’humidité, aux reflux d’égouts. » 1

Ainsi pouvait-on encore décrire la prison de la Santé il y a quelques années dans le livre de Véronique Vasseur : une description qui nous évoque une condition carcérale très dure qui date d’un autre siècle. De nombreuses prisons du parc pénitentiaire français datent du début du siècle dernier et leurs conditions matérielles également. L’insalubrité reste avec la surpopulation, les deux grands fléaux majeurs des lieux de privation de libertés en France. Ces critères servent au discours de justification des grands programmes de construction de ces dernières décennies qui ont pour objectif la création de nouvelles places et l’amélioration de cette dimension matérielle.

Dans de nombreuses villes de France, on retrouve les traces d’un volontarisme politique à fermer la prison au cœur de la cité pour cause de vétusté et à transférer cette dernière dans une structure plus grande et plus contemporaine à l’écart de la ville. Toulouse, Orléans, Lyon, Chartres, Rennes, Loos ... et bien d’autres villes ont connu ce changement et ce n’est pas fini, on annonce en 2010 «vingt-trois prisons vétustes fermées d’ici 2017»2 : il resterait aujourd’hui encore une dizaine de prisons dans l’attente de leurs fermetures.

Le système carcéral français est en réalité très imprégné de morale religieuse : à l’ancien régime, la peine relevait du supplice des corps. Suite à la révolution, cela a changé : c’est à l’âme que le système s’en est pris. Ce territoire, organisé comme une micro société, devenait alors façonné par les configurations 1

VASSEUR Véronique, Médecin chef à la prison de la Santé, Paris : Le Cherche Midi, 2000, p. 215

2

FREOUR Pauline, « Vingt-trois prisons vétustes fermées d’ici 2017 », Le Figaro (27 Juillet 2010)

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architecturales. Les murs gèrent alors la privation de libertés...en théorie... Un très gros enjeu vient alors aux mains des acteurs de la politique publique et des architectes. Face aux prisons de plus en plus anciennes, vétustes et surpeuplées, on cherche à renouveler le parc immobilier de la justice. Ainsi, ces dernières décennies, un changement de logique politique a eu lieu dans la production des établissements pénitentiaires. L’arrivée des grands programmes de construction a bouleversé les logiques de production.

Ces nouveaux centres pénitentiaires requestionnent alors entièrement l’échelle spatiale de la prison en France : le transfert a en moyenne triplé le nombre de détenus en passant d’un seul régime de détention avec la maison d’arrêt à plusieurs régimes avec le centre pénitentiaire. Quels sont les enjeux de ces transformations ? Mais surtout quelles en sont les conséquences ?

Ces transferts induisent également des changements en termes d’implantation : ces grands programmes ont relégué la prison hors de la ville. Nous verrons quelles sont les conséquences de cette relégation territoriale.

De plus, ces nouvelles logiques de production ont réinterrogé la détention en termes d’espaces vécus. Les grands programmes ont eu raison d’une attention portée à l’individualisation dans le but d’améliorer les conditions de détention.

Nous verrons que la cellule en elle-même justifie cette tendance. À l’inverse, la place de la socialisation dans ces nouveaux centres pénitentiaires est requestionnée. En quoi la condition carcérale en général se voit redéfinie avec ce transfert de la maison d’arrêt au centre pénitentiaire ?

Enfin, il s’agira de comprendre les différentes positions de l’architecte face à ces grands programmes de construction et quels sont les enjeux des potentielles réhabilitations de ces nouvelles friches urbaines ? D’une part, les regards des détenus tendent à les valoriser alors que d’une autre, certaines agences d’architecture proposent de décloisonner et de restructurer ces espaces carcéraux.

Alors que récemment Manuel Valls annonçait un nouveau grand programme de construction avec 33 établissements pénitentiaires de prévus3, il s’agira de se questionner, au travers ces transferts, de l’efficacité et la pertinence des grands programmes de construction qui, depuis des années, agitent l’opinion publique.

À l’heure où l’administration pénitentiaire ferme ces petites structures de centre-ville datant du XIXe siècle, au profit de grands établissements contemporains installés à l’écart des villes, ce mémoire propose une critique quant à l’espace vécu au quotidien.

3

BOYER Pauline, « Manuel Valls veut créer 33 nouvelles prisons », Le Figaro (06 Octobre 2016)

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I ESPACES CARCÉRAUX, DES LOGIQUES DE PRODUCTION DIFFÉRENTES SELON LES SIÈCLES

La conception moderne de la prison est née fin XVIIIe avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et l’adoption du premier code civil trois ans après : la peine privative de liberté va être décrétée en tant que telle tout en supprimant en partie les châtiments corporels4 et en instaurant la peine de mort comme peine capitale. Dans l’urgence de la situation, les premières prisons s’approprient les bâtiments nationaux et les biens confisqués au clergé dont l’architecture se prête bien à cette reconversion. Par exemple, en 1808, les bâtiments de l’abbaye cistercienne de Clairvaux sont aménagés pour un usage carcéral : les moines ont laissé places aux détenus. De nombreuses anciennes structures pénitentiaires sont des transformations de biens du clergé dont elles ont conservé style et appellations : parloirs, chauffoir, chapelle et cellule...

Ces bâtiments (conciergeries, dépôts de mendicité, tours, abbayes...) se situent bien souvent au cœur des villes. En effet, les architectes des Lumières pensent une architecture punitive, austère et angoissante placée au cœur de la ville comme symbole de la punition dans la société.

A partir de 1835, l’idée est de réformer les prisons départementales : deux systèmes d’encellulement importés des États-Unis, correspondant chacun à une philosophie différente, sont alors adoptés dans l’architecture des prisons françaises et parfois mixés dans un même établissement (prison de la Santé). Le système dit « auburnien » prône un encellulement individuel la nuit et un enfermement commun le jour avec pour valeur moralisatrice, le travail. Le système pennsylvanien est, lui, marqué par un isolement individuel strict de jour comme de nuit. Ces deux systèmes sont adoptés dans une forme idéale de la prison imaginée par Jeremy Bentham fin XVIIIe : le Panoptique5 (fig.1). Au XIXe, la prison est utilisée comme laboratoire d’innovations qu’on ne retrouve pas encore dans l’habitat collectif : le chauffage central, le tout-à-l’égout, l’éclairage au gaz... De 1875 à 1910, plus de quatre-vingts établissements sont construits ou aménagés : ils constituent une grande partie du parc immobilier français. Entre les deux guerres, la situation pénitentiaire reste très peu active.

4

Pilori, Supplice de la roue, Flétrissure, flagellation, Écartèlement ...

5

BENTHAM Jeremy, Panoptique, 1791

9

ARCHITEC TURES : E XPÉRIENCES ET PROSPEC TIV E

isolée 10. Or, avec les programmes 13 000, 4 000 et 13 200, l’État, qui réinvestit la maîtrise d’ouvrage, ouvre la voie à des opérations sérielles comprenant plusieurs bâtiments, et conduites sur une période déterminée, parfois très resserrée d’ailleurs 11.

Fig. 1. Panoptique de Jeremy Bentham, document tiré de Jeremy Bentham, The works of Jeremy Bentham, vol. IV, p. 172-173.

Fig. 1 : élévation, coupe et plan du panoptique de Jeremy Bentham illustré par Willey Reveley ;

Une autre clefsource de compréhension des récentes évolutions : BENTHAM Jeremy, Panoptique.

1791 de l’architecture carcérale réside dans le fait que la notion de réinsertion devient inhérente à la

A partir 1955, André Touren, directeur deet l’Administration Pénitentiaire, 10 « 22de [établissements sont érigés] entre 1961 et 13 entre 1912 1960 », Carine Lenfant-Valère, e o siècle », D’Architectures, n 110, mai 2001, p. 33. « Les prisons du xxi lance un ambitieux programme de modernisation du régime des maisons d’ar11 En 1795, l’administration des prisons est instituée au sein du ministère de l’Intérieur mais il rêt6 qui concernait 251911établissements sur pénitentiaire 163 (Amiens, Besançon, Blois, faut attendre pour que l’administration soit rattachée au ministèreBéthune, de la Justice.

Bourges, Briey, Caen, Carcassonne, Chambéry, Chaumont, Douai, Évreux, Laval, Le Puy, Lisieux, Mende, Montauban, Nevers, Orléans, Reims, Saint-Malo, /125 Soissons, Tarbes, Tours et Valence). Ce programme engage un changement dans les logiques politiques françaises : c’est la politique des grands travaux.

Ce premier programme va entraîner différents programmes de construction qui viennent concrétiser les réformes pénitentiaires, mises en place au lendemain de la seconde guerre mondiale sous l’impulsion de criminologues (Amor, Germain et Cannat) : sur une vingtaine d’années, onze établissements sont alors créés totalisant 6500 places dont Fleury-Mérogis.

A cette époque, la majorité du parc pénitentiaire français date encore du

6

TOUREN André, Rapport Général – Exercice 1955, Avril 1956

10

début du siècle, souvent du XIXe : les prisons françaises sont vieilles et vétustes.

Surpopulation, normes de sécurité et de confort minimum mises de côté et surtout hygiène scandaleuse : le monde du dedans est au plus mal.

C’est dans ce contexte que trois grands programmes de construction apparaissent à partir des années 1980 : les programmes 13 000, 4 000 et 13 200. Les noms de ces derniers correspondent au nombre de nouvelles places de détention prévues au lancement de ces projets. Ces grands programmes de construction constituent, dans l’histoire de l’architecture carcérale, les premières opérations de planification à grande échelle7. Ces trois périodes ont pour autant été créées avec des enjeux et des objectifs différents les uns des autres.

En 1987, le garde des sceaux Albin Chalandon lance « le programme 13 000 »8 qui prévoit la construction de vingt-cinq établissements offrant donc 13 000 places. Ce premier programme de construction intervient alors dans l’urgence pour répondre au manque de place, à l’insalubrité, à l’inadaptation et la vétusté du parc pénitentiaire en France. Ces vingt-cinq nouvelles structures sont réparties sur l’ensemble du territoire métropolitain qui est, pour ce faire, divisé en quatre zones bien distinctes (Nord, Est, Sud et Ouest). Pour chacune de ces zones, un groupement conception/réalisation se voit confier six ou sept établissements9. Ainsi, au terme d’un grand concours national organisé l’année même du lancement, la zone Nord revient à Christian Demonchy & Noëlle Janet ainsi que l’entreprise Spie Batignolles, la zone Est revient, quant à elle, à Guy Autran et l‘entreprise DUMEZ. Alors que Pierre & Cédric Vigneron prennent en charge la réalisation de la zone Sud avec l’entreprise GTM Eurest, la zone ouest est confiée au groupe Synthèse Architecture et l’entreprise SIGES.

En 1998, une prise de conscience a lieu : le garde des sceaux Pierre Méhaignerie créé « le programme 4 000 »10 qui a pour ambition de corriger les erreurs et manquements de l’opération précédente. Les 6 établissements, de plus de 600 places, se veulent révolutionnaires : « les prisons du XXIe siècle auront les douches dans les cellules »11. Ce qui améliore considérablement les conditions d’hygiène dans le milieu carcéral. Le concours est lancé sous forme de deux tranches différentes12 : la tranche A est remportée par Guy Autran et l’entreprise Eiffage Construction tandis que les lauréats de la tranche B sont Architecture Studio et Quille Dalla Vera.

7 ESPINAS Jean-Denis, « Révolution pénitentiaire : les chemins de l’architecture », Déviance et société, 1989 (vol.13, n°4) 8

Défini par la loi n°87-432 du 22 Juin 1987 relative au service pénitentiaire

9

Détails des établissements du programme 13 000 : Cf. annexe B

10

Défini par la loi n°95-9 du 6 Janvier 1995 relative à la justice

11 DUFRESNE David, « L’administration pénitentiaire engage le « programme 4000 », Vers des prisons plus humaines ? ». Libération (28 Juillet 1999) 12

Détails des établissements du programme 4 000 : Cf. annexe B

11

En 2002, face à une population carcérale recrudescente, le garde des sceaux Dominique Perben lance le plus grand projet de rénovation du parc immobilier carcéral : « le programme 13 200 »13 Le grand concours de ce dernier programme s’organise de la même façon que pour les précédentes opérations : on confie la construction des établissements à des groupements conception/ réalisation14. Les lauréats du concours sont bien plus nombreux que les précédents mais inégalement impliqués : alors que des groupements ont pour charge une seule réalisation, d’autres en ont six. Cette nouvelle opération de grande ampleur a pour but de fournir des bâtiments plus pérennes : pour ce faire, les délais de production sont beaucoup moins serrés. Les objectifs majeurs restent de résoudre les problèmes de surpopulation et d’améliorer les conditions de vie du détenu au quotidien.

La prison en tant que telle apparaît au XIXe siècle, ce qui rend l’histoire de l’architecture carcérale relativement récente. Durant ces décennies, des changements ont opéré dans la façon de concevoir la peine privative de liberté entraînant ainsi des modifications dans l’organisation et la forme de la prison. L’architecture carcérale n’a eu cesse d’évoluer et se différencie face à des changements de logiques politiques. En effet, cette dernière période des grands programmes de construction se démarque fortement des deux premières par son changement de logique : face aux prisons de plus en plus anciennes et vétustes, les gardes des sceaux cherchent à renouveler le parc immobilier de la justice. D’après les chiffres de l’Administration pénitentiaire divulgué chaque année depuis 1852, on peut noter que la population carcérale est passée de 26 795 détenus en 1960 à 66 270 en 2015 : face à cette hausse continue, on construit pour créer de nouvelles places. Mais aujourd’hui, face à la vétusté du parc pénitentiaire français, on doit également créer de nouvelles places pour remplacer celles à supprimer. En effet, la démolition de certaines structures nécessitent la création de places supplémentaires pour reloger les détenus. Ces derniers sont alors transférés dans de nouvelles structures.

II - LE TRANSFERT : JEU D’ÉCHELLES ET ENJEUX TERRITORIAUX UN CHANGEMENT D’ÉCHELLE SPATIALE

Ce changement de logique implique donc de construire un grand nombre de cellules : dans l’urgence de la situation et en vue de l’enveloppe budgétaire

13 Défini par la loi n°2002-1138 du 9 Septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) 14

Détails des établissements du programme 13 200 : Cf. annexe B

12

restreinte, l’administration pénitentiaire souhaite construire d’immenses établissements pour mutualiser et agrandir les services communs (infirmerie, ateliers, pôle sportif, pôle culturel...). Sauf que l’on peut constater que cette idée de construire plus grand pour offrir plus ne fonctionne pas : certes, on compte plus de détenus qui travaillent dans les ateliers mais, rapportés au nombre de détenus de l’établissement, le pourcentage reste le même que pour les anciennes structures plus modestes.

Aujourd’hui, des détenus sont transférés des maisons d’arrêt des centresville français, construites dans la seconde moitié du XIXe siècle et comptant bien souvent entre 150 et 200 places15 dans des nouvelles structures qui sortent de terre et qui offrent entre 600 et 800 places16 selon les établissements. On remarque nettement le changement d’échelle par le nombre de cellules opérationnelles.

Ces grands établissements regroupent bien souvent plusieurs types de structures (maison d’arrêt, établissement pénitentiaire pour mineurs, centre de détention, maison centrale) dans le but de minimiser les transferts : c’est ce qu’on appelle un centre pénitentiaire. En effet, dans les derniers programmes de constructions, les centres de détention et les centres pénitentiaires sont privilégiés au détriment des maisons d’arrêt qui manquent réellement : la surpopulation carcérale existe uniquement dans les maisons d’arrêt qui servent d’espaces transitoires pour les tribunaux.

« Le surpeuplement entrave considérablement la réinsertion des délinquants et, par là même, les possibilités de mieux protéger la société contre la criminalité. Les États encore concernés doivent redoubler d’efforts pour venir à bout du problème, en appliquant notamment des mesures alternatives à l’emprisonnement »17.

Et pour autant, l’administration pénitentiaire créé plus de places dans les autres secteurs que pour les détenus des maisons d’arrêt. Pour exemple, au Havre, le nouveau centre pénitentiaire offre une capacité de 210 places dans son quartier maison d’arrêt, ce qui a permis d’absorber tout juste les détenus de l’ancienne maison d’arrêt.

Ce choix de construire d’immenses centres pénitentiaires est d’autant plus critiquable que ces nouvelles structures viennent en remplacement des maisons d’arrêt vétustes des centres villes. La surpopulation des nouveaux centres pénitentiaires n’est peut être pas présente au niveau de la cellule mais elle est bien là en termes d’espaces.

15

Maison d’arrêt d’Auxerre (89) : 173 détenus

16

Centre Pénitentiaire du Havre (76) : 690 détenus

17

Thorbjorn Jagland, secrétaire général du conseil de l’Europe, dans un rapport de Mars 2016

13

MAISON D’ARRET CENTRE DE DETENTION QUARTIER MINEUR CENTRE DE SEMI-LIBERTE

Fig. 2 : Schémas d’organisations spatiales : Maison d’arrêt d’Auxerre (89) et Centre Pénitentiaire du Havre (76)

Ces deux schémas, représentés à la même échelle, illustrent la taille, l’organisation et le type de structure d’une maison d’arrêt classique du XIXe siècleMAISON en D’ARRET opposition à un centre pénitentiaire issu des grands programmes de construction.

CENTRE DE DETENTION On remarque immédiatement le changement d’échelle et le changement d’orQUARTIER ganisation spatiale : seuls deux bâtiments pour la maison d’arrêt, MAISON une dizaine pour MINEUR D’ARRET le centre pénitentiaire.

CENTRE DE DETENTION

CENTRE DE SEMI-LIBERTE

UNE RELÉGATION TERRITORIALE DES NOUVEAUX PROGRAMMES QUARTIER MINEUR

CENTRE DE

Les premières prisons, au lendemain de la Révolution, sont par nature dans SEMI-LIBERTE les centres-villes : en effet, on réquisitionne des biens nationaux ou du clergé pour en faire des prisons. S’en suit la première vague de construction, à la seconde moitié du XIXe siècle : il faut bien noter que ces prisons, pour la majorité des maisons d’arrêt, vont être construites en périphérie proche des villes mais c’est l’urbanisation toujours plus croissante qui va rattraper ces équipements et les englober dans un tissu urbain.

Cette implantation va générer toute une vie autour de la prison : au sein de ce « périmètre sensible »18, l’ensemble des relations sociales est affecté par la présence même de la prison. On retrouve de fortes interactions entre les établissements pénitentiaires et leur environnement. En effet, elle entraîne toutes formes de bénéfices économiques par les perspectives en termes de création d’emplois que génèrent la construction d’une prison. Si une nouvelle structure a un impact sur l’économie générale d’un secteur, elle impacte également sur une économie 18

COMBESSIE Philippe, HERZOG-EVANS Martine (dir.), La Prison dans la ville, Toulouse : Eres, 2009

14

plus locale (Hôtels, commerces, logements …). La prison, lieu symbolique des violences sociétales, est donc en général mal perçue par certains habitants : « Elle perturbe l’écosystème social environnant par sa simple présence »19. Ce périmètre sensible autour de la prison est forcement rejeté par quelques personnes mais il attire également certaines catégories sociales. Au cours de ses analyses, Philippe Combessie, sociologue, relève que des habitants issus de milieux intellectuels ou associatifs aiment aller à la rencontre des familles de détenus qui attendent l’heure du parloir dans des cafés aux abords des prisons. Il notera au cours de ses observations que dans le périmètre sensible, autour des murs d’enceinte, on retrouve systématiquement deux cafés : l’un s’adressant aux familles, l’autre aux gardiens qui y vont pour la pause ou en fin de service. Toute cette vie, dans ce « périmètre sensible » qui englobe la prison, disparaît totalement quand cette dernière est vouée à la démolition.

Par exemple, au Havre, dans le périmètre proche de l’ancienne maison d’arrêt (fig.3), on retrouve deux cafés « Le parloir » et « Le Danton » qui corroborent cette analyse de Philippe Combessie. Suite à la fermeture de la maison d’arrêt en 2010, Le Danton, l’un des cafés les plus anciens de la ville, a du fermer ses portes en raison de la désertification du quartier. A l’inverse, le nouveau centre pénitentiaire s’est implanté en pleine campagne à Saint-Aubin-Routot et est dépourvu de toute activité aux alentours (fig.4).

Dans les années 80, la situation se fait urgente : le parc pénitentiaire se fait de plus en plus vieillissant et l’enveloppe budgétaire restreinte le contraignant, le ministère de la justice s’oriente vers une solution du « franc symbolique » pour trouver du foncier disponible rapidement afin de déménager l’ancienne prison de centre-ville. Et c’est à l’extérieur des villes, en plein milieu des champs, que cette solution va être le plus facilement applicable. Cette démarche a impliqué un vrai engouement de la part des municipalités : 416 mairies ont déposé une candidature : « tout le monde exige sa prison privée »20.

En revanche, les habitants ne sont pas forcément pour la construction d’une prison sur leur territoire. Ce sont souvent ces considérations locales qui conduisent les municipalités à refuser l’implantation sur leur sol d’un nouvel établissement pénitentiaire.

Martine Herzog-Evans différencie trois situations possibles : la prison rejetée donc, où l’on retrouve de fervents opposants aux constructions pénitentiaires pour diverses raisons (rejet des politiques pénales, l’impact sur l’immobilier ou simplement la peur...) comme à Toulouse en avril 2005 ou à Meyzieu en juillet 2006 ; le besoin objectif d’une prison se fait parfois ressentir en raison d’une structure existante très vétuste ou d’une surpopulation carcérale trop importante : tel est le cas 19

COMBESSIE Philippe, HERZOG-EVANS Martine (dir.), La Prison dans la ville, Toulouse : Eres, 2009

20

HERICHER Anne, HERZOG-EVANS Martine (dir.), La Prison dans la ville, Toulouse : Eres, 2009

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à Toulon où l’ancienne maison d’arrêt Saint Roch avec un taux d’occupation de 230% a été remplacée par une nouvelle, La Farlède. Et enfin, cas plus rare, la prison désirée où l’on constate le souhait de la part d’élus ou d’habitants de voir une structure pénitentiaire se construire sur leur territoire (économie, infrastructures, logements …) comme à Nantes où les habitants ont rejeté la prison qui était proposée mais en ont souhaité une autre, plus conforme aux besoins locaux.

Avant même de visiter une structure, lorsqu’on s’y rend, on prend conscience de l’environnement dans lequel elle a été inscrite. En comparaison, je prendrai deux établissements du même département, dans l’Yonne : le centre de détention de Joux-la-Ville21 ouvert en 1990 et la maison d’arrêt d’Auxerre22 datant de 1853. Le cheminement pour aller à l’un ou à l’autre est totalement différent : alors qu’à Auxerre, je rentre dans la ville pour accéder à la maison d’arrêt, je peux apercevoir le « petit château » inscrit dans le tissu dense de la cité. A l’inverse, le centre de détention de Joux-la-Ville est en pleine campagne : ironie de la situation ou simple réalité, le GPS me fit passer par un chemin de terre avant d’accéder aux murs... Je verrais au retour qu’il existe bel et bien une route viable mais cette anecdote montre ce que peut être l’environnement proche du centre de détention. Ce dernier, comme la plupart des établissements du programme 13 000, a été relégué en pleine campagne : il est en plein milieu des champs et la ville la plus proche est donc Joux-la-Ville qui se situe à quatre kilomètres. Cette situation est réellement marquante lorsqu’on se rend au centre de détention.

L’opportunité foncière a donc pris le dessus sur la réflexion même de l’implantation des prisons dans l’espace géographique : le ministre de la justice, responsable de ces grands programme de construction, Albin Chalandon, reconnaît que « l’implantation des sites laisse à désirer. Les études furent expéditives […].

Lorsque l’on dispose d’une maigre enveloppe budgétaire pour acheter des centaines de mètres carrés de terrain, il est malvenu de faire la fine bouche sur la qualité de l’environnement ».

Les études sur la place de la prison dans la ville sont venues deux ans après le lancement du programme : en février 1989, Gilbert Bonnemaison, homme politique français et spécialiste des questions de sécurité, sort un rapport sur « la modernisation du service public pénitentiaire »23 où il aborde l’insertion de la prison dans la cité. L’objectif est que tous les acteurs mènent ensemble une politique qui vise à mieux intégrer la prison dans la cité afin de « limiter les effets ségrégatifs de l’incarcération, de prévenir la récidive et de permettre aux personnels de s’intégrer dans l’environnement social ». Mais pourquoi ce rapport arrive si tard ? Et pourquoi n’a-t-il pas été pris en compte après ?

21

Rapport de visite du centre de détention de Joux-la-Ville (89) : Cf. annexe G

22

Rapport de visite de la maison d’arrêt d’Auxerre (89) : Cf. annexe F

23 BONNEMAISON Gilbert, La Modernisation du service pénitentiaire, rapport au Premier ministre et au garde des Sceaux, ministère de la Justice, Paris, Février 1989

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Fig. 3 : Ancienne Maison d’arrêt du Havre (76) ; source : © Géoportail

Fig. 4 : Nouveau Centre pénitentiaire du Havre à Saint-Aubin-Routot (76) ; source : © Géoportail

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Ces deux photographies aériennes à la même échelle illustrent, outre un changement d’échelle considérable, la relégation territoriale de la structure pénitentiaire : l’ancienne maison d’arrêt est dans un tissu dense alors que la nouvelle structure pénitentiaire issue des grands programmes est reléguée au milieu des champs, à l’écart de la ville.

Pour ces grands programmes, la construction et le transfert doivent se faire rapidement ainsi l’approche se veut industrielle ; Pour comprendre le processus de fabrication, on différencie la prison idéale ( de l’Utopie au projet ) qui sont les mots qui précédent le projet, où l’on théorise dans une confrontation des idées autour de la construction et dans un deuxième temps, la prison réelle ( des projets aux constructions) où il s’agit ici de transformer les mots en murs : l’architecte est garant de la cohérence pendant « le processus complexe d’ajustements et de modifications face aux contraintes politiques, pratiques, technologiques et économiques »24 et en faisant face à la logique différente de l’Administration Pénitentiaire et son obsession sécuritaire. C’est après ce processus de conception bien spécifique aux grands programmes qu’on extrait un plan architectural type par lot. Les prisons qui en ressortent sont bien souvent démesurées, à l’écart de tous centres d’activités sans aucune réflexion de l’impact sur la condition carcérale.

Cette relégation territoriale est la conséquence d’une certaine forme de latence au niveau politique. La symbolique de la prison est responsable d’une implantation plutôt qu’une autre : au cœur de la ville pour impressionner avec le symbole de la punition ou en dehors pour se protéger de la contagion. Car effectivement, cette relégation territoriale de la structure pénitentiaire est synonyme de ségrégation sociale : les détenus sont mis à l’écart de la ville comme on le faisait à l’époque avec les lépreux dans les maladreries. Les nouvelles prisons isolées présentent également de nombreux désavantages directement liés à l’éloignement de la structure de la cité comme les coûts importants pour les extractions, les difficultés à maintenir des liens avec les familles des détenus, les difficultés d’accès également pour le personnel ...etc.

Sous cet angle, la prison prend une vraie place dans la société lorsqu’elle interagit avec ses éléments. En occultant la prison, on rend plus compliquée la révélation de certains faits embarrassants : la prison rendue visible nous rappelle alors qu’elle existe. « La prison n’est pas une ‘micro-ville’ ou même une ‘micro-société‘, mais une de ses composantes »25 insiste Anne Héricher, architecte, urbaniste et sociologue. Ainsi, on ne peut plus reléguer et faire abstraction de cet espace stigmatisant, aussi bien en milieu rural que urbain. La ville a le droit à sa prison et inversement la prison a le droit à la ville26.

24 DIEU François, MBANZOULOU Paul (dir.), L’architecture carcérale : Des mots et des murs, Toulouse : Ed. Privat, 2011 25

HERICHER Anne, HERZOG-EVANS Martine (dir.), La Prison dans la ville, Toulouse : Eres, 2009

26

LEFEBVRE Henri, Le Droit à la ville, Paris : Ed. Anthropos, 1968

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III - LE TRANSFERT : DE LA VOLONTÉ D’AMÉLIORER LES CONDITIONS DE DÉTENTION À L’ÉLOGE DE L’INCONFORT

En termes de temporalité, le transfert prend une place sur une longue durée : il s’étale et comprend, dans un premier temps, tout ce qui est de l’habitus dans l’ancienne structure : les habitudes qu’on y prend, son attachement, ses repères ... Et puis, c’est le détachement à ces accroches, c’est le déménagement à proprement dit : à un instant T, on arrache les détenus de leurs repères pour les mettre dans leur nouvelle structure. Et puis le transfert comprend aussi toute la phase d’appropriation qui suit ce déménagement : le détenu doit s’adapter et s’approprier les nouveaux lieux.

Au Havre, certains personnels ont vécu le transfert comme Sébastien Launay, formateur du personnel, qui se souvient de cette journée du 11 Avril 2010. Il me présentera un petit film qui retrace le déménagement de l’ancienne structure27.

C’est sur ses dires et en croisant avec le film Le Déménagement de Catherine Rechard28 qui filme le transfert de l’ancienne maison d’arrêt de Rennes jusqu’au nouveau centre pénitentiaire de Rennes-Vezin, qu’on tentera de comprendre cette journée si particulière aussi bien pour les détenus que pour le personnel.

La date exacte du déménagement se décide toujours au dernier moment, pour une question de sécurité. En pleine nuit, le bruit de l’impressionnant ballet (pompiers, voitures de police, hélicoptère, cars sécurisés…) réveille riverains et détenus et annonce le départ. C’est le jour J : le déménagement, c’est aujourd’hui.

Étant plus ou moins au courant de la date fixée, les détenus ont pu préparer leur départ. En pleine nuit, les membres de l’ERIS (Équipe Régionale d’Intervention et de Sécurité), cagoulés et armés, ne leur laissent pas le temps de récupérer les dernières affaires. Le détenu est mis à nu, fouillé, menotté aux mains et aux pieds puis extradé. « J’étais pas un être humain, ce jour-là. » explique Yann qui a vécu le déménagement de la maison d’arrêt Jacques-Cartier de Rennes au nouveau centre pénitentiaire de Rennes-Vezin. Dans la précipitation de la mission, les détenus sont traités comme de la marchandise : traînés, fouillés, parfois frappés … « Dans le bus, avec un copain, j’ai voulu blaguer pour détendre l’atmosphère. On s’est pris un coup de crosse »29. Le déménagement commence vers trois heures du matin et se termine vers midi quand l’ensemble des détenus est dans la nouvelle structure.

Le déménagement marque profondément les détenus qui le vivent : « Je

27 Déménagement décrit dans le rapport de visite du centre pénitentiaire du Havre (76) : Cf. annexe H 28

Le Déménagement. Catherine RECHARD, Candela Productions, 2015, 54 min

29 Propos d’un détenu dans Le Déménagement. Catherine RECHARD, Candela Productions, 2015, 54 min

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n’oublierai jamais cette nuit-là. Les autres non plus, même les surveillants. » conclue Yann. Le déménagement marque un changement dans les conditions de vie et le quotidien carcéral du détenu : du processus d’incarcération à sa sortie.

Le conditionnement du condamné à son séjour en détention commence véritablement dès le franchissement du portail de l’établissement pénitentiaire.

Tout le processus d’incarcération se met alors en place pour conditionner le condamné. En passant le premier sas, il est conduit dans des cellules d’attente par les équipes en charge des transferts (police, ERIS …). Dans les maisons d’arrêt, un surveillant en personne vient alors lui exposer étape par étape ce qui s’en suivra.

L’admission observe des règles strictes et un parcours précis. Tandis que dans les nouvelles structures, le dispositif est en grande partie dématérialisé : le surveillant est remplacé par une vidéo diffusée sur écran devant les cellules comme c’est le cas au centre pénitentiaire du Havre où le futur détenu se retrouve alors seul face à l’écran. Ensuite, le condamné est alors emmené au service du greffe qui gère la relation entre le détenu et la juridiction (application des peines ...etc). Ce service Enregistre le nom, prénom et biométrie de la main du nouveau arrivant. Le service du Greffe vérifie également l’objet de l’incarcération et lui attribue un numéro d’écrou : le condamné passe alors sous la responsabilité de l’Administration Pénitentiaire. Le condamné devient détenu. Le surveillant emmène ensuite le détenu au vestiaire où il remet toutes les affaires dont il n’a pas le droit en détention (vêtement bleu marine, kaki, veste à capuche...), les objets de valeurs sont gardés à la régie des comptes nominative et la structure pénitentiaire lui remet ses paquetages arrivants (vaisselle, hygiène, correspondance et documentation). Parfois, un livret d’accueil lui est remis pour expliquer tout le fonctionnement interne de l’institution de laquelle il fait désormais parti comme c’est le cas au centre de détention de Joux-la-Ville (89). C’est alors que, pendant les différentes visites effectuées, je me rends compte du vrai processus du détenu et de son conditionnement...

Le détenu est accompagné à la salle de fouille labellisée RPE30 assurant les normes réglementaires en termes d’hygiène notamment. Ici, il est fouillé intégralement à nu : cette fouille est une étape forte dans le cadre du processus arrivant.

Elle lui donne l’accès au quartier arrivant où il passera une quinzaine de jours en observation afin que l’administration établisse son profil. La durée d’observation permet également de réduire le choc carcéral pour le détenu arrivant. La fabrication de la condition carcérale passe par toutes ces phases qui font le conditionnement du détenu.

Ce conditionnement concerne toute personne qui rentre dans la prison :

30 Les Règles Pénitentiaires Européennes « visent à harmoniser les politiques pénitentiaires des Etats membres du Conseil de l’Europe et à faire adopter des pratiques et des normes communes. Ces règles portent à la fois sur les droits fondamentaux des personnes détenues, le régime de détention, la santé, l’ordre et la sécurité des établissements pénitentiaires, le personnel de l’administration pénitentiaire, l’inspection et le contrôle des prisons.» [Ministère de la Justice]

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le comportement du personnel est directement impacté au quotidien comme le décrit Chantal Magdeleinat, psychiatre à la Santé « Quand on rentrait, on donnait son téléphone portable, les clés USB, tout le matériel informatique... On passait tous les jours sous le portique », Véronique Vasseur, ancien médecin à la prison de la Santé, regrette elle de devoir se faire ouvrir d’abord cinq portes avant d’en ouvrir trois autres elle-même pour accéder à son bureau31.

Moi même, lors des différentes visites d’établissements pénitentiaires, j’ai pu ressentir tout ce processus de conditionnement : vérification de l’identité, dépôt de tout appareil électronique, passage au portique, vestiaire...

Ce dépouillement, vécu comme une sorte de rituel d’admission donnant la sensation de passer d’un état physique et social à un autre, nous rappelle que la détention est un monde à part.

SOUS LES COUPS DE L’INDIVIDUALISATION

La France fait face à une surpopulation carcérale historique : au 1er Juillet 201632, le parc pénitentiaire comptait 69 375 détenus pour 58 311 places opérationnelles. Sept établissements ou quartiers font face à une densité carcérale supérieure ou égale à 200% avec un record pour la maison d’arrêt de Nîmes qui compte 406 détenus pour 192 places.

En effet, la situation est particulièrement critique dans les maisons d’arrêt qui reçoivent prévenus et condamnés à de courtes peines. Ces derniers sont responsables de la hausse du nombre de prisonniers : le nombre de prévenus en attente de jugement ou de condamnation définitive est passé à 20 035, en augmentation de 13.8% en un an. Le seuil de 20 000 prévenus en prison n’a pas été atteint depuis près de onze ans.

Depuis des décennies, les gardes des sceaux se succédant, tentent en vain d’enrayer cette surpopulation carcérale. Face à ce fléau, la politique pénale tend davantage vers une individualisation de la peine qui consiste à faire varier la peine en fonction des caractères personnels du délinquant.

« Si le criminel n’est pas un perverti à fond, il faut que la peine ne contribue pas à le pervertir davantage; il faut qu’au besoin elle le relève et l’aide à se réhabiliter; et, si le criminel est un incorrigible, il faut que la peine soit contre lui, et au profit de la société, une mesure de défense et de préservation radicales. Cette adaptation de la peine à l’individu c’est ce que l’on appelle aujourd’hui l’indivi31

VASSEUR Véronique, Médecin chef à la prison de la Santé, Paris : Le Cherche Midi, 2000, p. 215

32 Ministère de la Justice, « Statistique mensuelle des personnes écrouées et détenues en France », 1er Juillet 2016

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dualisation de la peine. »33

Ce système de répression s’applique également en détention : la volonté de l’administration pénitentiaire d’améliorer les conditions de détention passe de plus en plus, avec les grands programmes, par une individualisation du détenu qui passe elle-même par le dispositif de la cellule.

En quête d’intimité, en proie à l’isolement

La cellule a toujours été au cœur du dispositif pénitentiaire34 : depuis 187535, le principe de l’encellulement individuel est mis en avant mais souvent reporté en raison du manque de places dans les prisons françaises. La prison collective est alors considérée comme l’école de la récidive et seul l’isolement peut éviter la « contagion morale » entre les détenus. Un changement de logique opère alors : à l’époque, l’isolement était vu comme une punition alors qu’aujourd’hui, il s’agit de respecter des conditions de détentions acceptables et la dignité humaine.

Le conditionnement du détenu, qui commence dès le franchissement du mur d’enceinte, est corroboré par l’emprise morale d’un quotidien extrêmement contraint par le règlement : le détenu est tributaire de la pénitentiaire. Plusieurs dispositifs de l’ordre sécuritaire ont un rôle préventif mais surtout symbolique : dans le cas des fouilles de cellules par exemple, « plus encore que sécuritaire, l’enjeu était moral »36. Chaque cellule est fermée par une porte comprenant un œilleton qui permet d’être observé à n’importe quel moment de la nuit ou de la journée.

Ce dispositif, pourtant indispensable, enlève toute notion d’intégrité morale et d’intimité. Cette dernière est d’autant plus compromise dans les maisons d’arrêt qu’on y recense une surpopulation carcérale grandissante : parfois, la cellule peut atteindre jusqu’à trois ou quatre détenus dans neuf mètres carrés alors qu’elle fut conçue pour une occupation individuelle, les détenus sont confrontés à une forte promiscuité (fig.5).

Les barreaux des maisons d’arrêt sont remplacés dans les nouveaux centres pénitentiaires par un caillebotis à travers lequel le détenu ne peut plus passer sa main. Ces grilles métalliques ont été mises en place pour éviter les ’yoyos’ : il est fréquent que les détenus se passent des choses d’une fenêtre à l’autre avec une longue corde, bien souvent un drap découpé. Mais ce dispositif enlève beaucoup au prisonnier : l’air extérieur donc, mais aussi la vue.

33

SALEILLES Raymond, L’individualisation de la peine, Paris : P.U.F., 1927 [1898]

34 ROUCAUTE Delphine, « La Cellule individuelle en prison, un droit encore repoussé », Le Monde (04 Décembre 2014) 35 L’article 1 de la loi Béranger du 5 Juin 1875 prévoit la séparation de jour et de nuit les inculpés, prévenus et accusés.

36 2015.

FASSIN Didier, L’Ombre du monde. Une Anthropologie de la condition carcérale, Paris : Seuil,

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Fig. 5 : Cellule de la Maison d’Arrêt de Saint-Malo (35) © Photo Gérard Lebailly

Fig. 6 : Cellule du Centre Pénitentiaire de Rennes-Vezin (76) © Photo Anne-Sophie Cortinovis

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Le caillebotis métallique empêche toute la relation que le détenu peut avoir avec un « extérieur » : dans les nouveaux centres pénitentiaires, il se contentera de ses 1h30 de promenade par jour. Tous ces éléments de sécurité prennent une place de plus en plus importante dans les grands programmes de construction au détriment des rapports directs avec les surveillants dans les anciennes structures.

Egalement, les douches sont installées dans les cellules depuis 1998 : ce qui est censé révolutionner le milieu carcéral en termes de confort et d’hygiène (fig.6). « Le premier réflexe des détenus lorsqu’ils sont arrivés à Saint-Aubin-Routot était de prendre une douche. Les premiers jours, c’était vraiment grandiose mais au bout d’une semaine seulement, certains se plaignaient déjà d’une certaine solitude. »37. Car, oui, en effet, les détenus en payent une immense solitude : dans les anciennes prisons, les détenus avaient toujours une excuse pour sortir de la cellule : aller chercher de l’eau chaude, aller à la douche... Dans les nouvelles, aucune. C’est la prison dans la prison. D’après un ancien détenu du nouveau centre pénitentiaire de Lyon-Corbas, « les gens n’en peuvent plus. Alors, c’est télé, toute la journée, joints et cachets pour dormir ». L’éternel enfermement fait régresser le détenu.

L’évolution des conditions matérielles de détention avec le transfert des maisons d’arrêt n’améliore paradoxalement pas la condition carcérale du détenu. Effectivement, le détenu ne sort plus de sa cellule : il reste maintenu dans son univers cellulaire qui renvoie aux conséquences évoquées précédemment (isolement, désocialisation, emprise morale, conditionnement). « On leur vend de l’eau chaude et une douche pour en contrepartie, un milieu beaucoup plus fermé et beaucoup plus isolant »38. Ces nouvelles logiques tendent vers une individualisation du détenu au détriment d’un échange avec les autres.

Lors des différentes visites, j’ai pu me rendre compte du pouvoir d’appropriation des lieux de la part des détenus et du personnel. En effet, à Joux-la-Ville, seul endroit où j’ai pu voir des cellules habitées, les détenus décorent leurs cellules de posters, de papiers peints : ils s’aménagent des étagères et économisent pour les remplir d’objets divers. Le bien être du détenu se fait par l’appropriation des murs et la construction d’un quant-à-soi.

Vers une séparation des régimes et des flux renforcée

Le transfert a induit une amélioration des conditions de détention au sein du dispositif cellulaire : la cellule est passée de 9m² dans les anciennes maisons d’arrêt à 11m², en moyenne, pour les nouveaux centres pénitentiaires. Mais la cellule n’est pas le seul espace impacté par ce changement : les espaces communs se sont 37

Sébastien Launay, formateur au centre pénitentiaire du Havre (76)

38

Entretien avec Catherine Rechard, réalisatrice Le Déménagement : Cf. annexe E

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vus largement modifiés et améliorés avec le transfert. A titre de comparaison, la maison d’arrêt Jacques Cartier de Rennes (35) qui faisait une superficie totale de terrain de 13 470 m², a laissé place au centre pénitentiaire de Rennes-Vezin d’une superficie de près de 100 000 m² développant ainsi des surfaces confortables pour les espaces communs (infirmerie, ateliers, pôle culturel, terrain de sport...).

La dimension matérielle de l’espace carcéral est fortement influencée par les problématiques de l’Administration Pénitentiaire : l’obsession sécuritaire conduit à une architecture de couloirs, de sas, de portes, de salles d’attente... En effet, les nouvelles technologies au service de la sécurité confortent une emprise morale sur le détenu : dans une surenchère sécuritaire, les yeux des surveillants sont remplacés par des caméras, les vitres sont teintées et les serrures automatisées … Le détenu se sait observé, sans savoir quand et par qui... Il fait face à la machine plutôt qu’à l’humain.

La séparation des régimes en différents quartiers

Historiquement les régimes sont séparés dans des établissements différents (Maison d’arrêt, Maison centrale, Bagne ...) mais les centres pénitentiaires, fortement développés pendant les grands programmes, multiplient les régimes de détentions et les complexifient (fig.7). Tant que le détenu reste dans son quartier ou dans sa cellule, la séparation est très simple mais tout cela se complique lorsqu’il s’agit des accès aux différents services communs : la gestion des déplacements génère rapidement des problèmes. A l’infirmerie du centre pénitentiaire du Havre, quatre ou cinq cellules seulement permettent de gérer les flux : elles servent à éviter que deux détenus de régimes de détention différents ne se croisent.

En effet, Isabelle Marco m’expliqua, lors de ma visite du centre de détention de Joux-la-Ville, que les surveillants séparaient les différents régimes de détention : les « AICS »39 dans le bâtiment 4, les détenus travailleurs dans le bâtiment 3, les « Weshs »40 dans le bâtiment 2 et les femmes dans le premier. Dans ces différents bâtiments, on peut différencier les ailes : certaines en régime fermé, d’autre régime semi-ouvert et enfin d’autres en régime ouvert. Cet exemple montre très bien la complexité que représente la gestion des flux dans un établissement qui, du premier abord, regroupe le même genre de détenu : des condamnés de plus de 2ans.

39

AICS : Auteur d’Infraction à Caractère Sexuel

40 Le terme « Weshs » est utilisé à Joux-la-Ville pour catégoriser les détenus bien souvent relativement jeunes de culture urbaine qui ponctuent leurs phrases par ce fameux « Wesh » en question.

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T Y PES DE STRUCTURES

RÉ G IME S D E D É T E N T IO N DPS Détenu du QA Détenu du QI Détenu du QD AICS Autre Détenu

Prévenus Maison d’Arrêt

DPS Détenu du QA Détenu du QI Détenu du QD AICS Autre Détenu

Condamnés

Prévenus

DPS Détenu du QA Détenu du QI Détenu du QD AICS Autre Détenu

Condamnés

DPS Détenu du QA Détenu du QI Détenu du QD AICS Autre Détenu

Quartier pour Mineurs

DPS Détenu du QA Détenu du QI Centre de Détention

Détenu du QD AICS

Régime fermé Régime semi-ouvert Régime ouvert Régime fermé Régime semi-ouvert Régime ouvert

Autre Détenu Centre Pénitentiaire DPS Détenu du QA Détenu du QI Maison Centrale

Détenu du QD AICS

Régime fermé Régime semi-ouvert Régime ouvert Régime fermé Régime semi-ouvert Régime ouvert

Autre Détenu

Semi-liberté

Centre pour Peines Aménagées

Reliquat <1an

Centre de Semi-liberté

Cf. : Article 717 et R. 57-9-12 du Code de Procédure Pénal

Séparation stricte selon la loi Maison d’arrêt d’Auxerre (89) Centre de détention de Joux-la-Ville (89) Centre Pénitentiaire du Havre (76)

Fig. 7 : Schéma des différents régimes de détention possibles

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La séparation des flux

Une grande problématique de la pénitentiaire est effectivement cette gestion des flux : 200 détenus presque tous du même régime sont déjà difficiles à gérer, alors 800 détenus de régimes différenciés (mineurs, prévenus, condamnés, AICS, DPS...) qui ne doivent jamais se rencontrer compliquent forcement les choses.

Dans ces établissements, l’aspect individu disparaît au profit d’un numéro d’écrou, le détenu devient un numéro. Surveillants et détenus passent alors parfois plusieurs minutes devant chaque porte, le temps que le PCI nous ouvre. Des surveillants que j’ai pu interroger lors de mes visites, ont estimé ce temps d’attente à environ 45minutes sur une journée de travail.

Effectivement, cette sensation d’isolement et de déshumanisation est pleinement partagée par le personnel qui travaille dans ces nouvelles grandes structures. Pour exemple, à Lyon-Corbas, les arrêts maladie sont passés de 2 à 22 jours par an et par surveillant41. La gestion des flux devient beaucoup trop contraignante pour tous. A vouloir gagner sur des locaux plus modernes, plus grands, tout le monde a perdu en rapports humains m’affirment la plupart des surveillants rencontrés au centre-Pénitentiaire du Havre qui regrettent une certaine sectorisation qui les éloignent de leurs collègues. La déshumanisation des prisons est le critère le plus discriminant pour les surveillants qui ont connus anciennes et nouvelles structures. Ils sont sectorisés et leur mission n’est plus la même. « On fait pas du tout le même travail ici, on travaille dans la quantité et pas dans la qualité »42.

L’arrivée de la gestion déléguée des Partenariats Publics Privés (PPP), avec les grands programmes de constructions dès les années 90, ont permis de confier le fonctionnement courant d’un établissement pénitentiaire à des prestataires privés en dehors des missions régaliennes (direction, surveillance et service du greffe). Ainsi, le centre de détention de Joux-la-Ville43 (89) est en gestion déléguée avec l’entreprise Sodexo qui gère tous les services à la personne et à l’immeuble (restauration, blanchisserie, cantines, espaces verts…). Cette gestion déléguée apporte un intérêt pour le centre : c’est propre, organisé… En effet, Sodexo a une obligation de résultat immédiat : selon le contrat, une serrure de sécurité défaillante doit être changée dans l’heure par exemple. Si les délais du contrat ne sont pas respectés, Sodexo obtient une pénalité pécuniaire. Ce fonctionnement permet d’améliorer les services proposés aux détenus : le nombre d’articles au

41 Chiffres de l’étude menée en 2014 par les services de Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté 42

Emmanuelle Gougez, surveillante responsable du pôle culturel du centre pénitentiaire du Havre

43

Visite du centre de détention de Joux-la-Ville (89) : Cf. annexe G

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catalogue de la cantine44 a été multiplié par quinze45 avec le transfert des maisons d’arrêt aux centres pénitentiaires.

Face à cette nouvelle logique d’individualisation et d’isolement, les détenus cherchent le contact par la vie extérieure … Mais les nouveaux centres pénitentiaires ont été relégué loin des villes, dépourvus de toute animation requestionnant ainsi la condition carcérale. . En centre-ville, les détenus restaient à leur fenêtre pour capter la vie et les mouvements de la ville : le son des trains, des voitures, de la ville... Dans les nouvelles prisons, le silence est aussi bien dehors que derrière les portes des cellules : les joints sur les portes occultent tout bruit qui proviendrait du couloir, créant un vrai climat anxiogène pour le détenu46.

De la sorte, c’est ce grand paradoxe qui persiste : le détenu de la maison d’arrêt, victime de vétusté et de promiscuité due à la surpopulation carcérale, est à la recherche d’une intimité alors que le détenu du centre pénitentiaire qui joui d’un espace de quant-à-soi, est victime d’isolement.

QUELLE PLACE A LA SOCIALISATION EN PRISON ?

Pour Pierre Bourdieu, la socialisation est une incorporation durable des manières de sentir, de penser, et d’agir. Il s’agit du groupe originel, de la famille ou de la classe sociale. Ici, la socialisation carcérale est l’apprentissage des règles qui dictent une « bonne » conduite, une morale vue comme l’adaptation, l’insertion et l’appartenance à un groupe.

A l’inverse de cette tendance d’individualisation dans les nouveaux centres pénitentiaires, on retrouve une certaine socialisation dans les maisons d’arrêt où le détenu entretient davantage de rapports avec les autres en vue d’une structure à l’échelle plus humaine. La consolidation relative des droits des détenus se donne à voir à travers l’amélioration des conditions matérielles de détention dans les nouveaux centres pénitentiaires. Elle va de paire avec la primauté sécuritaire de l’institution et entraine donc la dégradation des rapports sociaux. « Le confort, on peut s’en passer. […] On peut pas se passer du contact »

En détention, il existe donc des règles très strictes évoquées précédemment dans le conditionnement du détenu mais il existe également des règles plus im-

44 La cantine désigne la possibilité pour un détenu d’acheter des produits de la vie courante (nourriture, cigarettes, journaux …etc). Les produits doivent être distingués des services fournis gratuitement par l’administration pénitentiaire.

45 Chiffre basé sur les catalogues de la maison d’arrêt Jacques Cartier de Rennes et le nouveau centre pénitentiaire de Rennes-Vezin.

46

Le Déménagement. Catherine RECHARD, Candela Productions, 2015, 54 min

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plicites, « il y a une vie sociale obligatoire entre les prisonniers, il faut respecter les règles. Il y a une hiérarchisation, il ne faut pas rester dans son coin sans parler : si on vous dit bonjour, il faut répondre »47. Une vraie vie sociale existe et demeure : en arrivant, il faut faire son trou, se faire accepter dans la communauté, à l’échelle de la cellule mais également de la population carcérale en général.

Il existe une vraie hiérarchie sociale, presque morale dans les prisons : les interrelations des détenus sont organisées dans un système de caïdat dans les relations entre les détenus. A la tête, on retrouve les grands braqueurs qui sont bien souvent des personnes « brillantes, intelligentes mais très intolérantes ». En bas de la pyramide sociale carcérale, on retrouve les « pointeurs », violeurs et pédophiles, et encore plus bas, les « balances ».

La disparité sociale entre détenus : « de l’analphabète au polytechni48 cien » , la diversité des origines : plus de 80 nationalités différentes à la Santé par exemple, « Les africains, les asiatiques... il y a une communauté, ils aiment se retrouver ensemble »49, et le code moral entre détenus sont vecteurs de violences très présentes dans le milieu carcéral. « Il faut savoir que c’est un monde où l’on retrouve de la violence et du sang au quotidien »50.

Parfois sensible, ce processus d’adaptation du détenu aux rapports sociaux en prison est perverti lorsque les détenus sont isolés dans leur cellule : c’est ce qu’il se passe donc actuellement dans les nouveaux centres pénitentiaires où pour des raisons sécuritaires, de gestion des flux, les détenus sortent beaucoup moins qu’avant de leurs cellules. Ce maintien de socialisation est pourtant primordial dans la peine du détenu en vue de sa réinsertion. « On travaille dans la quantité et pas dans la qualité »

Cette déshumanisation est également ressentie par les surveillants comme Emmanuelle Gougez au centre pénitentiaire du Havre qui regrette encore amèrement ses anciennes conditions de travail. « La première fois que j’ai visité le centre pénitentiaire [de Saint-Aubin-Routot], je suis sortie en pleurant ». La politique de l’administration pénitentiaire n’a eu cesse de changer avec les grands programmes : l’augmentation des contrôles, une diminution du temps accordé par les surveillants aux détenus, une relative dépersonnalisation des relations entre détenus et surveillants en raison d’une place toujours plus importante accordée à la technologie, une « bureaucratisation de ces relations liée au recours croissant à l’écrit pour toutes les demandes »51, etc. Les surveillants, passés du rôle de porte47

Entretien avec Chantal Magdeleinat, psychiatre à la prison de la Santé : Cf. annexe C

48

Entretien avec Chantal Magdeleinat, psychiatre à la prison de la Santé : Cf. annexe C

49

Entretien avec M-C. Markovic, psychothérapeute à la prison de la Santé : Cf. annexe D

50

Entretien avec Cédric Labigne, premier surveillant à la maison d’arrêt d’Auxerre (89)

51

CHOLET Didier (dir), Les nouvelles prisons. Enquête sur le nouvel univers carcéral français, Rennes

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clés à celui de presse-boutons52, sont les garants destitués d’un système pénitentiaire remis en question. « Personne ne vous empêche de vous échapper librement dans votre tête »

Le rythme quotidien du détenu est ponctué par l’accès aux différents services que la structure propose qui restent les éléments moteurs au soin et à la réinsertion du détenu. Les corps professionnels intervenants sont le dehors du dedans de la prison.

Historiquement, trois réformes ont été déterminantes dans le suivi et l’accompagnement du détenu : la loi de 199453 relative à la santé publique en milieu pénitentiaire qui va élever le niveau de formation des médecins dans les prisons, et qui aura la volonté d’apporter aux prisonniers des soins de la qualité la plus proche possible de ceux apportés à la population (médecin, dentiste, psychiatre …). La deuxième chose déterminante est la féminisation de la profession de surveillant : cela a énormément changé la relation entre les employés et également avec les prisonniers. Et enfin, l’arrivée du corps enseignant a été une grande évolution. « Il y a un corps enseignant colossal, cela va de l’alphabétisation au DUG de lettres, les profs de Paris VII viennent, il y a des débats, des conférences, des personnalités qui viennent. Chaque année, des prisonniers passent le DAEU, qui est l’équivalent du bac. Ils travaillent, ils sont préparés, ils ont des cours. Ils sont moins nombreux que les équipes médicales, mais ils sont beaucoup quand même. Ça a beaucoup changé l’atmosphère de la prison »54

Les détenus entretiennent une relation différente avec le corps médical et enseignant qu’avec les surveillants : il faut différencier les corps propres à la prison elle-même qui régissent et rythment le quotidien des détenus, de ce qui est de la routine (Direction, surveillants...) et les corps qui les ponctuent (enseignant, personnel médical...). Le SMPR (Service Médico-Psychologique Régional) (fig.8), le pôle culturel, le pôle sportif, les ateliers pour travailler sont autant de lieux de la prison que le détenu cherche pour sortir de sa cellule. « Par exemple, le SMPR est vécu comme un espace de liberté […], la première chose que les prisonniers disaient, c’était qu’ils faisaient de la luminothérapie lorsqu’ils venaient. […] La visée thérapeutique c’est ça : on est enfermé mais personne ne vous empêche de vous échapper librement dans votre tête. »55. : PUR, 2015 52

LE CHATELIER Luc, « Une autre prison est-elle possible ? », Télérama, 2014/01/22 (n°3341), p. 30-33

53 Loi n°94-43 du 18 Janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale. Chapitre II : Soins en milieu pénitentiaire et protection des détenus 54

Entretien avec Chantal Magdeleinat, psychiatre à la prison de la Santé : Cf. annexe C

55

Entretien avec M-C. Markovic, psychothérapeute à la prison de la Santé : Cf. annexe D

30

Fig. 8 : Le S.M.P.R. de la prison de la Santé de Paris (75) © Vladimir Markovic

Sans ces activités qui permettent la socialisation, le soin et la réinsertion du détenu, le rythme carcéral au quotidien se contenterait de la promenade comme unique sortie. C’est ce qu’il se passe aujourd’hui dans nos centres pénitentiaires : en vue de leur plus grand nombre, les détenus sont maintenus dans leurs cellules au maximum pour éviter le maximum de mouvement, source d’un potentiel problème. Cette gestion des flux répercute, comme nous l’avons vu, une solitude du détenu qui s’isole dans sa cellule. A Lyon-Corbas, dans la nouvelle structure, sur cent demandes pour voir un médecin, soixante-quinze à quatre-vingts56 n’aboutissent pas.

Dans les nouvelles structures, les rapports détenu/détenu ou détenu/surveillant se voient totalement changés : « [Un centre pénitentiaire] est trop grand, beaucoup trop grand... Trop impersonnel. Il y a trop de distance entre les collègues et les détenus »57

Les différentes visites m’ont montré un grand habitus dans la prison ancienne

56 Chiffres de l’étude menée en 2014 par les services de Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté 57

Emmanuelle Gougez, surveillante responsable du pôle culturel du centre pénitentiaire du Havre

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qui fait que les détenus et le personnel y ont leurs habitudes, leurs repères … Ils se sont appropriés les murs de leurs cellules, ils connaissent de près le personnel … mais le transfert dans une structure plus grande et isolée montre ces accroches pour leur ancienne maison d’arrêt. Tant sur le plan architectural et matériel que sur le plan social, la condition carcérale a été redéfinie et réinterrogée ces dernières décennies par les grands programmes de constructions. A vouloir faire trop grand, trop moderne, les détenus ayant connu le transfert regrettent leur ancienne structure : il ne s’agit pas de faire l’éloge de l’inconfort à proprement dit mais de relativiser sur ce qui est le mieux pour le détenu pour faire un travail sur lui afin d’éviter toute forme de récidive. « Y a le confort mais le confort... On peut s’en passer. […] On peut pas se passer du contact » se confie un détenu du nouveau centre pénitentiaire de Rennes-Vezin58.

Pour les nombreux facteurs évoqués jusqu’à maintenant (accroissement de la population pénale, surpopulation carcérale, la violence, la déshumanisation des structures...), le schéma actuel d’incarcération est inefficace en France : il est source de rupture avec les liens sociaux de la société (vie familiale et professionnelle) et entraîne une resocialisation dans les milieux déviants (récidive, radicalisation). La condition carcérale des détenus est redéfinie et requestionnée : depuis des dizaines d’années, l’administration pénitentiaire et le ministère de la justice tentent de l’améliorer avec les grands programmes de construction qui se succèdent les uns aux autres. Ces derniers répondent à un besoin matériel en épargnant totalement la dimension sociale dans la prison : la condition sociale du détenu contribue entièrement à sa condition carcérale.

La vie carcérale du détenu est donc dictée par un rythme qu’on lui impose : en effet, la peine privative de liberté entrave évidemment la liberté dans l’espace mais également dans le temps. Le quotidien du détenu est rythmé par les sorties promenades, les activités ou le travail qui forment le rythme carcéral en général.

Sur un rythme hebdomadaire, on rajoute les parloirs familles, les parloirs avocats...

Dans les anciennes maisons d’arrêt des centres-villes, le détenu sort également pour la douche, pour aller chercher l’eau chaude … En effet, les rythmes qui dictent la vie carcérale du détenu sont totalement différents dans les anciennes et les nouvelles structures. Dans les centres pénitentiaires des grands programmes, les détenus sortent beaucoup moins : ils perdent toute notion de temps : « un mois en fait trois ici »59. Ce rythme structure l’incarcération et entraîne des habitudes, des automatismes...

« [La prison] est un monde particulier, un temps particulier dans la vie de quelqu’un, c’est quelque chose dont les gens se défont difficilement. Ça leur est désagréable d’être dans la rue, dans les transports. Il y a des automatismes qui 58

Le Déménagement. Catherine RECHARD, Candela Productions, 2015, 54 min

59

Quentin, détenu du centre pénitentiaire de Rennes-Vezin – Le déménagement

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sont difficiles à oublier. Par exemple, il y a un détenu qui était au restaurant avec sa sœur, et quand on lui a apporté son plat, il a dit « merci surveillant ». Ils ont du mal à se faire servir, ils ne peuvent pas ne pas débarrasser l’assiette. C’est une expérience extrêmement marquante. »60

La condition carcérale est structurée par tous les éléments de l’espace temps propre à l’établissement pénitentiaire mais elle ne s’enferme pas qu’au temps de l’incarcération, la condition carcérale dépasse le temps du séjour...

IV - ARCHITECTURE CARCÉRALE : QUELS DEVENIRS POUR LES ANCIENNES MAISONS D’ARRÊT ?

DU DESSEIN AU DESSIN : LA POSITION DE L’ARCHITECTE FACE AUX GRANDS PROGRAMMES DE CONSTRUCTIONS

Les grands programmes de construction de ces dernières décennies répondent donc à un état d’urgence en France : le parc pénitentiaire français est très vétuste, la surpopulation est de plus en plus présente et la population carcérale ne cesse de croître. Ainsi, l’approche se veut alors industrielle : la construction et le transfert de ces nouvelles prisons doivent se faire rapidement. C’est après un processus de conception bien défini que l’Administration pénitentiaire et la maîtrise d’œuvre se mettent en accord pour extraire un plan architectural unique par lots (dans le cadre des programmes 13 000, 4 000A, 4 000B ou 13 200). Les deux vues aériennes (fig.9 et fig.10) illustrent bien l’implantation de deux prisons identiques réalisées sur le même plan alors que le contexte n’est évidemment pas le même. Ces deux centres pénitentiaires ont été construit dans le cadre du lot « Zone Est » confié à l’architecte Guy Autran dans le programme 13 000. Ces nouvelles structures sont démesurées, implantées dans des zones isolées, là où le foncier est moins cher, au détriment de toute logique de réflexion sur l’implantation des prisons ou des conditions d’incarcérations du détenu.

60

Entretien avec Chantal Magdeleinat, psychiatre à la prison de la Santé : Cf. annexe C

33

Fig. 9 : Centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand (71) ; source : © Géoportail

Fig. 10 : Centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (38) ; source : © Géoportail

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Plusieurs architectes se sont battus pour défendre leurs idées et leurs intentions premières visant à améliorer la condition carcérale en France mais se sont confrontés de près à la standardisation générale de l’architecture pénitentiaire dans le cadre des grands programmes de construction. Les logiques carcérales dépendent de la politique en vigueur.

En mai 1981, à l’arrivée de la gauche au pouvoir, les architectes ont cru pouvoir repenser l’univers carcéral : c’est le cas de Guy Autran qui, au début des années 80, expérimente sur le sujet. Cet architecte estime faire un travail humanitaire : « Il y a eu durant cette période une véritable volonté d’humaniser les prisons » se souvient-il. Après avoir conçu quelques prisons du programme 13000, comme nous avons pu le voir précédemment, on lui voit attribuer un terrain à Remire-Montjoly (Guyane) pour expérimenter une nouvelle forme de prison. L’architecte imagine les lieux de telle manière qu’il doit s’en dégager un sentiment de «sécurité objective» pour reprendre ses termes. Il cherche à faire disparaître les barreaux et dévoiler les volumes, la lumière... Tout est agencé pour « créer l’atmosphère la plus calme possible », et rendre « la sécurité quasiment imperceptible ».

Dans ce projet, Guy Autran cherche à ce que le détenu et le surveillant accepte de façon involontaire l’enfermement. Suite à cela, il est choisi pour dessiner les nouvelles prisons de la première tranche du programme 4000 (Plan 4000A) ; il dessine alors trois établissements (Seysses (31), Pontet (84) et Sequedin (59)) sous un même plan unique.

Christian Demonchy et Noëlle Janet ont eu un parcours similaire : en 1984, ils expérimentent l’architecture pénitentiaire à Mauzac. Le centre de détention de Mauzac (fig.11) est pensé à l’image d’un village : 21 pavillons, comportant seulement 12 cellules individuelles réparties sur deux niveaux avec une unité de vie commune (cuisine, douche, salle), se disposent autour d’un cour centrale sur le modèle d’une place de village. « Il n’y a ni couloirs, ni coursives, ni sas, ni caméras, ni serrures électriques », précise Christian Demonchy. Après s’être fait connaître dans le domaine, les deux architectes ont remporté une partie du programme 13000 et ont construit sept établissements pénitentiaires (Pontoise (95), Bapaume (62), Villepinte (93), Avesne-sur-Helpe (59), St-Omer (62), Vienne-le-Château (51) et Laon (02)).

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Fig. 11 : Centre de Détention de Mauzac (24) ; © Photo Damien Bouyssi

Plus récemment, l’agence Valode&Pistre remportent en 2006 un lot de quatre établissements pour le programme 13200 (Roanne (42), Béziers (34), Lyon (69) et Nancy (54)). Compte tenu des contraintes toujours plus importantes d’un point de vue sécuritaire et de la standardisation des prisons, la place de l’architecte est restée très limitée dans l’exercice : ils refusent désormais de retravailler pour l’Administration Pénitentiaire. « Sur le chantier de Roanne, le GIGN était venu faire des tests : nos murs étaient suffisamment hauts et infranchissables. L’Administration a néanmoins imposé qu’on les coiffe de ces désespérants rouleaux acérés » regrette Denis Valode.

Cette obsession sécuritaire de la part de l’Administration Pénitentiaire nuit fortement l’architecture de la prison : Isabelle Marco, formatrice du personnel au centre de détention de Joux-la-Ville, critique le choix d’une politique trop sécuritaire : « De toute façon, une prison ne tient que parce que les détenus le veulent bien ». Selon elle, il vaut mieux mettre son énergie pour assurer un bon climat dans la prison plutôt que d’être dans une obsession sécuritaire : un centre de détention n’est pas une maison centrale.

De nos jours seules certaines agences d’architecture parviennent à mettre en œuvre leurs meilleures intentions après une longue bataille avec la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP) comme l’agence Architecture Studio qui, après avoir « dessiné » le plan du programme 4 000B pour trois établissements 36

(Liancourt (60), La Farlède (83), Chauconin-Neufmontiers (77)), se voit adresser comme terrains d’expérimentations les DOM TOM où un projet de maison d’arrêt est prévu à St Denis de la Réunion et un projet de centre de détention à Papeari en Polynésie française. « Les Dom-Tom servent souvent de laboratoire pour de nouvelles pratiques pénitentiaires », souligne Martin Robain, architecte associé de l’agence Architecture Studio. La relégation territoriale comme condition d’expérimentation.

En prenant pour exemple le centre de détention de Tahiti qui sera livré au printemps 2017, Architecture Studio a voulu sortir des standards des prisons métropolitaines tout en respectant évidemment un cahier des charges strict : la prison comptera 410 places (presque moitié moins que certains centres pénitentiaires ouverts pendant les grands programmes) avec des cellules de 11m², mais aussi un faa’pu (potager polynésien) et des vues exceptionnelles vers la mer.

Malheureusement, ces nouvelles prisons qui sortent du cadre des grands programmes de constructions fixé par le ministère de la Justice, et qui laissent de la place et des libertés aux architectes, restent trop rares en France métropolitaine ...

L’architecte est alors garant de la cohérence pendant « le processus complexe d’ajustements et de modifications face aux contraintes politiques, pratiques, technologiques et économiques » et en faisant face surtout à la logique différente de l’Administration Pénitentiaire et son obsession sécuritaire.

Depuis des dizaines d’années, l’architecture pénitentiaire s’est fortement standardisée avec la même disposition générale pour tous les établissements des grands programmes de construction : un mur d’enceinte carré de la longueur de la portée des fusils, deux miradors placés dans les coins en diagonale, les bâtiments administratifs et accueil du public à l’entrée... etc. L’architecture des prisons tend à s’homogénéiser.

Peu de place est alors donnée aux architectes pour tenter d’expérimenter et de régler les problèmes que rencontrent l’Administration Pénitentiaire avec l’architecture.

Mais l’architecture ne dicte pas la gestion d’une structure pénitentiaire par la suite : de même qu’une peine dépend de la personnalité du juge qui l’attribue, la gestion d’une prison dépend de la personnalité du directeur qui la dirige.

Ainsi se pose un vrai dilemme pour l’architecte : faut-il contribuer à cette politique ? Construire une prison ou pas ? Certains préfèrent ne pas participer à ces concours ; d’autres, comme Valode & Pistre ont essayé et se sont résignés face à une Administration Pénitentiaire timorée et enfin, des derniers construisent des prisons pour faire reconnaître la dignité des personnes incarcérées comme Architecture Studio.

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UNE RÉMINISCENCE ÉVIDENTE

Mais alors, avec ces « prisons quatre étoiles » si mal vécues de l’intérieur et si mal vues de l’extérieur pour tout le confort qu’elles offrent, une autre prison est-elle réellement possible ?

Les architectes tendent à revenir sur des théories et des formes idéales de l’époque : le panoptique se retrouve dans l’étendue des nouveaux établissements.

En effet, la forme en étoile n’est plus dans le bâtiment en lui même mais dans la disposition des différents bâtiments les uns par rapport aux autres. En changeant d’échelle, les ailes du panoptique ont été remplacées par les différents bâtiments du centre. Le PCI61 remplace alors la rotonde : le centre physique a donné place à un centre délocalisé, dématérialisé. C’est le panoptique à grande échelle.

Dans les toutes dernières structures, les projets reviennent même sur des dispositifs architecturaux caractéristiques des maisons d’arrêt construites dans les centres-villes à la seconde moitié du XIXe : par exemple, sur le futur centre pénitentiaire d’Aix-Luynes 2, on revient à des étages en coursives pour des questions de sécurité (contacts visuels entre surveillants). En effet, ce dernier point était très regretté par les surveillants du centre-pénitentiaire du Havre qui ont connu l’ancienne structure : « Aujourd’hui, il n’y aucun contact visuel entre collègue : on est tout le temps en train d’écouter le Motorola [Talkie-Walkie] »62.

MAIS ALORS : DÉMOLIR OU RECONVERTIR ? ET POURQUOI PAS RÉHABILITER ?

Alors si on note un retour à des dispositifs des prisons du XIXe dans l’architecture moderne, pourquoi les démolir ?

L’ancienne maison d’arrêt du Havre a été démolie dans le quartier Danton : on retrouve aujourd’hui une friche en plein cœur du centre-ville (fig.12). Cette démolition a fait l’impasse sur une option de conservation patrimoniale ou de souvenirs et a gelé toute la vie qui était générée autour. Depuis la démolition, les deux cafés évoqués précédemment (Le Parloir et Le Danton) sont moins fréquentés.

L’association DanTonQuartier avait planché sur une éventuelle réhabilitation en marché couvert mais la destruction de la maison d’arrêt fut privilégiée à sa réhabilitation. Ces démolitions sont très fréquentes en France : A Orléans, à Chartres,

61 Le Poste de Centralisation de l’Information est chargé de gérer les ouvertures des grilles principales, les clefs, les talkies-walkies, les allées et venues des détenus et des personnes extérieurs...etc 62

Surveillant, doyen du centre pénitentiaire du Havre

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au Havre, on détruit les vieilles maisons d’arrêt de centre-ville car à quelques kilomètres, il y a du foncier pas cher où construire grand et moderne. La relégation territoriale reste une question politique.

A Paris, les enjeux sont différents : La Santé est la dernière prison intra-muros de la capitale : son implantation est stratégique par rapport au palais de justice du centre. Ainsi, pour répondre à la vétusté avancée de l’établissement, le ministère de la justice a lancé un grand concours au sein de plusieurs équipes présélectionnées : c’est l’agence de Pierre Vurpas & Associés qui a repensé totalement l’édifice (fig.13). Au programme jusqu’en 2018 : démolition des quartiers hauts, les plus vétustes, reconstruction d’un nouveau quartier dans l’enceinte, et rénovation du quartier bas en panoptique... « le tout dans le respect du patrimoine ancien ».

Cette problématique appliquée sur la capitale est bien moins prise en compte pour les autres villes de province. En effet, les enjeux sont bien différents et on préfère démolir pour reconstruire plus loin.

Dans le cas où l’opinion publique s’oppose fortement à la démolition, on arrive à des reconversions qui prennent en compte le facteur patrimonial et le facteur souvenir du bâtiment et pas seulement son état. Par exemple, à Lyon, les deux maisons d’arrêt du quartier Perrache sont fermées en 2009 et sont vouées à une certaine démolition : quelques citoyens vont défendre le droit de mémoire de ces lieux : comme deux étudiants de Lyon2 et leur blog « Sauvons les prisons de Perrache », une association (Patrimoine Rhonalpin) qui va monter aux créneaux, le CAUE du Rhône (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement) a organisé un colloque pour alerter l’opinion et enfin Paul Raveaud, militant PS habitant le quartier et sensible à ces questions, a rédigé une pétition avec l’historien Bruno Benoît qui a recueilli 87 signatures. Ce sont ces différents acteurs qui vont sauver le devenir des deux établissements. En 2015, la prison Saint-Paul est devenue le campus de l’Université catholique de Lyon (fig.14) et la prison Saint-Joseph forme un îlot au programme mixte avec logements, commerces et activités.

Ces reconversions sont un compromis entre sauvegarder du patrimoine ancien et profiter d’une opportunité foncière en plein cœur du quartier Perrache. Mais ces dernières sont critiquées par certains citoyens comme un architecte lyonnais qui a rédigé une lettre ouverte signée uniquement de ses initiales : « On détruit tout, on garde un décor pour faire plaisir à l’administration et aux associations, et on fait du Disney ».

39

Fig. 12 : Emplacement de l’ancienne Maison d’Arrêt du Havre (76)

Fig. 13 : Projet Maison d’Arrêt de la Santé de Paris (75) © Pierre Vurpas & Associés Architectes

40

Fig. 14 : Reconversion de la Maison d’Arrêt Saint Paul de Lyon (69) en Université

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CONCLUSION

L’histoire de l’architecture carcérale reste relativement récente avec l’apparition de la prison en tant que telle au XIXe siècle. Durant plusieurs décennies, la façon de concevoir la peine privative de liberté a beaucoup évolué entraînant ainsi des changements dans l’organisation et la forme de la prison. L’architecture carcérale n’a eu cesse d’évoluer et se différencie face à des changements de logiques politiques.

« Depuis des siècles, au rythme d’un balancier, la société a oscillé entre une volonté d’intégrer la prison et celle de la rejeter en totalité. »63.

A partir de 1955, un changement de logique politique a eu lieu dans la production des établissements pénitentiaires avec une approche industrielle. Dans l’urgence, face à ces prisons de plus en plus anciennes et vétustes et une population carcérale toujours plus croissante, les gardes des sceaux tentent d’y répondre avec des grands programmes de constructions qui se succèdent les uns aux autres pour renouveler le parc immobilier de la justice. L’Administration Pénitentiaire doit créer de nouvelles places pour remplacer celles à supprimer. En effet, la démolition de certaines maisons d’arrêt des centres-villes nécessitent la création de places supplémentaires pour reloger les détenus. Ces derniers sont alors transférés dans des nouveaux centres pénitentiaires. Ces différents programmes restent discutables : Vont-ils entraîner moins de surpopulation ou plus de prisonniers ? On remarque, en effet, que plus on construit, plus on enferme.

Depuis trente ans, aucun gouvernement n’a trouvé de solution pour redonner à la prison une place dans la société. Si depuis 1960, le nombre de détenus a plus que doublé, le taux de suicide dans les prisons a, lui, quintuplé. La situation se dégrade de plus en plus : d’un côté, le parc pénitentiaire vieillissant qui se fait de plus en plus vétuste et de l’autre, le besoin de créer de nouvelles place.

Ces nouveaux établissements pénitentiaires issus des grands programme de construction réinterrogent totalement l’échelle spatiale de la prison en France.

Dans la volonté de réduire au maximum les transferts et de mutualiser les services communs, les centres pénitentiaires s’imposent dans ces grandes opérations en remplacement des maisons d’arrêt des centres-villes. Ainsi, avec ce processus de 63

HERICHER Anne, HERZOG-EVANS Martine (dir.), La Prison dans la ville, Toulouse : Eres, 2009

42

transfert, une maison d’arrêt de deux-cents détenus devient un centre pénitentiaire de plus de sept-cents cellules. La superficie peut alors presque être multipliée par dix entre les deux structures.

Pour ce faire, l’Administration Pénitentiaire et le Ministère de la Justice acquièrent des terrains en s’orientant sur la solution de l’euro symbolique. L’enveloppe budgétaire restreinte les oblige à trouver du foncier disponible le moins coûteux possible en dehors de toute logique de réflexion sur l’implantation des prisons ou des conditions d’incarcérations du détenu. Les terrains sont bien souvent au milieu des champs, éloignés de toute activité... Cette relégation territoriale est la conséquence d’une certaine forme de latence au niveau politique. La symbolique de la prison est responsable d’une implantation plutôt qu’une autre : au cœur de la ville pour impressionner avec le symbole de la punition ou en dehors pour se protéger de la contagion. Car effectivement, cette relégation territoriale de la structure pénitentiaire est synonyme de ségrégation sociale. Les grands programmes de constructions tendent à occulter la prison rendant plus compliquée la révélation de certains faits embarrassants : la prison rendue visible nous rappelle qu’elle existe. Ces nouvelles implantations présentent nombreux désavantages directement liés à l’éloignement de la structure de la cité comme les coûts importants pour les extractions, les difficultés à maintenir des liens avec les familles des détenus, les difficultés d’accès également pour le personnel ...

Cette relégation territoriale et cette réinterrogation en terme d’échelle spatiale induisent des changements dans la condition carcérale du détenu. Pour une question de gestion des flux, l’Administration Pénitentiaire tend vers une individualisation du détenu qui passe par le dispositif de la cellule. En effet, cette individualisation ne se fait que par une amélioration des conditions matérielles qui répondent à la vétusté du parc pénitentiaire français. L’arrivée de la douche à l’intérieur de la cellule est une révolution des grands programmes.

Le détenu de la maison d’arrêt, victime de vétusté et de promiscuité due à la surpopulation carcérale, est à la recherche d’une intimité alors que le détenu du centre pénitentiaire qui joui d’un espace de quant-à-soi, est victime d’isolement.

En effet, l’évolution des conditions matérielles de détention avec le transfert des maisons d’arrêt n’améliore paradoxalement pas la condition carcérale du détenu. Effectivement, le détenu est maintenu dans son univers cellulaire et souffre d’isolement et de désocialisation. Ces nouvelles logiques de penser la peine privative de liberté tendent vers une individualisation du détenu au détriment d’un échange avec les autres.

La socialisation entre les murs est fortement impactée par les changements en termes de dimension matérielle. Cette dernière est effectivement fortement 43

influencée par les problématiques de l’Administration Pénitentiaire : l’obsession sécuritaire conduit à une architecture de couloirs, de sas, de portes, de salles d’attente... En effet, les nouvelles technologies au service de la sécurité confortent une emprise morale sur le détenu : dans une surenchère sécuritaire, les yeux des surveillants sont remplacés par des caméras, les vitres sont teintées et les serrures automatisées …

Cette nouvelle vision de la prison influe sur les relations à l’intérieur de l’univers carcéral. Tout le processus d’adaptation du détenu aux rapports sociaux en prison est perverti lorsqu’il est isolé dans sa cellule. Ce maintien de socialisation est pourtant primordial dans la peine du détenu en vue de sa réinsertion.

Les rapports qu’établissent les surveillants avec les détenus sont totalement réinterrogés avec le transfert des maisons d’arrêt aux grands centres pénitentiaires. Les surveillants se voient destitués de leur rôle principal en raison de la place toujours plus importante accordée aux nouvelles technologies qui entraîne une relative dépersonnalisation des relations entre détenus et surveillants et une bureaucratisation de ces relations due au recours croissant à l’écrit pour toutes les demandes concernant les différents services de l’établissement.

Les personnels de ces services restent le dehors du dedans de la prison : ils jouent un rôle majeur dans le fonctionnement de la peine privative de liberté.

Avec le transfert, ces relations se voient également changées. L’importance de ces corps est grandement diminuée à cause de l’émiettement des services et surtout à cause de la gestion des flux. Dans ces centres pénitentiaires, même la socialisation tend à renforcer l’individualisation.

La relégation territoriale de ces nouveaux établissements et leur échelle spatiale décuplée visant à améliorer les conditions de détention ont totalement déshumanisé les espaces carcéraux. La condition carcérale s’est vue entièrement réinterrogée en portant sur une individualisation du détenu qui passe par amélioration de la condition matérielle, au détriment d’une socialisation entre les différents corps que composent la détention. La surpopulation n’est plus dans la cellule mais dans l’organisation générale du centre pénitentiaire. L’objectif d’améliorer les conditions de détention a laissé place à un consensus sur l’éloge de l’inconfort que partage détenus et personnels.

Face à ces grands programmes de construction, l’architecte est dépourvu de moyens pour être garant de la cohérence pendant le processus complexe d’ajustements et de modifications face aux contraintes politiques, pratiques, technologiques et économiques : il fait face à la logique différente de l’Administration Pénitentiaire et son obsession sécuritaire.

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Depuis des dizaines d’années, l’architecture pénitentiaire s’est fortement standardisée et on retrouve exactement la même disposition générale pour tous les établissements des grands programmes de construction : un mur d’enceinte carré de la longueur de la portée des fusils, deux miradors placés dans les coins en diagonale, les bâtiments administratifs et accueil du public à l’entrée...

L’architecture des prisons tend à s’homogénéiser et de moins en moins de place est alors donnée aux architectes pour tenter d’expérimenter et de régler les problèmes que rencontrent l’Administration Pénitentiaire avec l’architecture. Ainsi se pose un vrai dilemme pour l’architecte : faut-il contribuer à cette politique ? On retrouve plusieurs positions face à ces nouvelles logiques de production. Certains préfèrent ne pas participer à ces concours ; d’autres, comme Valode & Pistre ont essayé et se sont résignés face à une Administration Pénitentiaire timorée et enfin, des derniers construisent des prisons pour faire reconnaître la dignité des personnes incarcérées comme Architecture Studio.

Les vieilles maisons d’arrêt des centres-ville français, construites dans la seconde moitié du XIXe, sont effectivement pour la plupart dans un état de vétusté importante mais tout le monde se met d’accord pour dire que la taille, l’architecture et l’implantation de ces structures sont idéales pour faire un travail de qualité sur le détenu pour reprendre les termes d’Emmanuelle Gougez. Alors pourquoi les démolir au profit de nouveaux établissements imposants et ultramodernes à l’extérieur des villes ? Les opportunités foncières et l’enveloppe budgétaire restreinte ont eu raison d’un manque de logique en terme d’échelle spatiale et d’implantation.

La question de ces nouvelles friches urbaines se posent alors : la démolition reste peu envisageable en vue de la valeur patrimoniale de nos prisons et de ce qu’elles représentent dans notre société. La reconversion est effectivement une solution pour préserver le génie du lieu mais attribuer un autre usage dans la cité.

La dernière solution qui s’offre aux mains des pouvoirs publics est la réhabilitation : Il s’agirait de garder l’usage du lieu de privation de libertés à la structure permettant de construire des structures pénitentiaires moins démesurées et plus contrôlées en complément. Seuls la prison de la Santé à Paris et les immenses établissements pénitentiaires construits à la moitié du XXe siècle (Baumettes, Fleury-Mérogis) bénéficient de quelques rénovations en vue de leur indispensabilité.

L’enjeu se trouve sûrement dans cette réhabilitation de l’ancienne maison d’arrêt : une réhabilitation spatiale mais aussi sociale. Cette réhabilitation a pour objectif de contrer une ségrégation spatiale des régimes sur un plan géographique et programmatique, alors que paradoxalement, aujourd’hui, on regroupe ces différents régimes de détention dans un même centre pénitentiaire. L’enjeu serait de garder un régime particulier dans cette ancienne structure afin de ré45

duire l’échelle de la nouvelle : un plus petit centre pénitentiaire permettrait de faire davantage un travail de qualité sur le détenu.

Ces questionnements sont d’actualités : le programme 13 200, lancé en 2002, vient d’être révisé pour lever les dysfonctionnements et le garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas ainsi que l’ancien premier ministre Manuel Valls ont annoncé, le 06 Octobre dernier, la construction de trente-trois nouvelles prisons. Les nouvelles structures doivent aujourd’hui répondre à certaines attentes en matière de qualité architecturale en restant extrêmement dépendantes aux contraintes sécuritaires, fonctionnelles et budgétaires. Le casse-tête des architectes est alors de pouvoir faire de l’architecture en faisant face à cette obsession sécuritaire de l’Administration Pénitentiaire, et la contrainte budgétaire fixée. Le futur centre pénitentiaire d’Aix-Luynes 2, qui sera livré en 2017, bénéficiera de ces premières révisions : on notera tout de même qu’il s’agit d’une structure de 735 détenus avec plusieurs régimes différenciés et que sur ces points, la prison de demain ne sera probablement pas la meilleure des solutions...

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BIBLIOGRAPHIE

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• LEFEBVRE Henri, Le Droit à la ville, Paris : Ed. Anthropos, 1968, 284p.

• FOUCAULT Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris : Gallimard, 1975, 360p.

• LECLERCQ Philippe, Cuisine entre quatre murs : Excursion carcéro-gastronomique, 1999, 131p.

• VASSEUR Véronique, Médecin chef à la prison de la Santé, Paris : Le Cherche Midi, 2000, 215p.

• CHANTRAINE Gilles, Par-delà les murs. Expériences et trajectoires en maison d’arrêt, Paris : PUF, 2004 • FRIZE Nicolas, Le Sens de la peine : Etat de l’idéologie carcérale, Paris : Ed. Léo Scheer, 2004, 92p.

• COMBESSIE Philippe, Sociologie de la prison, Paris : La Découverte, 2009 • HERZOG-EVANS Martine (dir.), La Prison dans la ville, Toulouse : Eres, 2009, 134p.

• DIEU François, MBANZOULOU Paul (dir.), L’architecture carcérale : Des mots et des murs, Toulouse : Ed. Privat, 2011, 125p.

• MADRANGES Etienne, Prisons : patrimoine de France, Paris : Lexis Nexis, 2013, 400p.

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FILMS / SÉRIES : • La Brèche, Alain MOREAU, 1993, 53 min.

• Prison Break, Paul Scheuring, Adelstein-Parouse Productions, 2005, 5 saisons [série] • Prisons, la honte de la République, Bernard GEORGE, Cinétévé, 2006, 74 min.

• Un Prophète, Jacques AUDIARD, Why Not Productions, 2009, 155 min.

• Médecin Chef à la Santé, Yves RENIER, 2012, 90 min.

• Orange is the New black, Jenji KOHAN, Lionsgate, 2013, 4 saisons [série] • Le Déménagement, Catherine RECHARD, Candela Productions, 2015, 54 min.

• Détenues, Marie DRUCKER, What’s Up Films, 2015, 60 min.

• La Santé, une prison capitale, Valérie LAVALLE, Sertis, 2015, 50 min.

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ANNEXES

A

-

Lexique

50

B

-

Les prisons des grands programmes

52

C

-

Entretien avec Chantal Magdeleinat

54

D

-

Entretien avec Marie-Christine Markovic

61

E

-

Entretien avec Catherine Rechard

67

F

-

Visite Maison d’Arrêt d’Auxerre (89)

77

G

-

Visite Centre de Détention de Joux-la-Ville (89)

81

H

-

Visite Centre Pénitentiaire du Havre (76)

89

I

-

Visite Centre de Détention de Val-de-Reuil (27)

100

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LEXIQUE Architecture carcérale = Architecture pénitentiaire : prison

Architecture relative à la

Prison : Établissement où sont détenues les personnes condamnées à une peine privative de liberté ou en instance de jugement.

Centre Pénitentiaire (CP) : Établissement pénitentiaire qui a au moins deux régimes différents de détention. Ainsi, un centre pénitentiaire peut ainsi regrouper une maison d’arrêt, un centre de détention et/ou une maison centrale.

Maison centrale (MC) : Établissement pénitentiaire où les détenus les plus dangereux purgent leurs peines supérieures à deux ans. Le régime de détention est essentiellement axé sur la sécurité Centre de détention (CD) : Établissement pénitentiaire où les détenus purgent des peines supérieures à deux ans. Le régime est principalement orienté vers la resocialisation des condamnés.

Maison d’arrêt (MA) : Établissement pénitentiaire qui reçoit les prévenus en attente de leur procès, ainsi que les détenus condamnés à une peine d’emprisonnement inférieure à deux ans. Il s’agit du type d’établissement qui souffre le plus du surpeuplement carcéral (taux d’occupation moyen de 130 %) Centre de Semi-Liberté (CSL) : Établissement pénitentiaire destiné à accueillir des détenus bénéficiant d’un aménagement de peine dans le cadre duquel ils jouissent d’horaires de sorties fixés par le juge Centre pour Peines Aménagées (CPA) : Établissement pénitentiaire où sont affectés des détenus faisant l’objet d’une mesure de semi-liberté ou d’un placement extérieur, ainsi que ceux dont le reliquat de peine est inférieur à un an. Établissement Pénitentiaire pour Mineurs (EPM) : Etablissement pénitentiaire accueillant une soixantaine de détenus mineurs organisé pour privilégier l’éducation et l’insertion.

Quartier d’isolement (QI) : Cellules où les détenus sont isolés du reste de la détention pour leur propre sécurité. Les détenus sont placés sur décision du Directeur ou à leur demande. Les QI remplacent les QHS (Quartier de Haute Sécurité) et les QSR (Quartiers de Sécurité Renforcée), supprimés en 1982 Quartier disciplinaire (QD) : Cellules où les détenus sont isolés du reste de la détention pour la sécurité des autres détenus. Ces cellules de punition sont couramment appelées « mitard ».

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Détenu : Toute personne écrouée (retenue en détention à titre provisoire ou suite à une condamnation).

- DHR : Détenu à Haut Risque.

- DPS : Détenu Particulièrement Signalé : détenu mis à l’isolement et présence du G.I.P.N. pour les déplacements.

- DSR : Détenu à Surveillance Renforcée : détenu mis à l’isolement et présence de deux surveillants pour les déplacements à l’extérieur.

Prisonnier : Personne écrouée et ainsi privée de liberté.

Condamné : Personne jugée d’une peine, ayant fait l’objet d’une décision judiciaire définitive la déclarant coupable d’avoir commis une infraction pénale Prévenu (ou accusé) : Personne soupçonnée d’un crime ou d’un délit en attente de son jugement. Écrou : Procès verbal constatant qu’une personne a été remise à un établissement pénitentiaire. Il mentionne la date et la cause de l’incarcération.

AICS : Auteur d’Infraction à Caractère Sexuel

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LES PRISONS DES GRANDS PROGRAMMES PROGRAMME 13 000

ZONE NORD

Spie Batignolles - Christian Demonchy et Noëlle Janet Centre de détention de Bapaume, 1990, Pas-de-Calais Centre pénitentiaire de Maubeuge, 1990, Nord Maison d’arrêt d’Osny, 1990, Val d’Oise Centre pénitentiaire de Longuenesse, 1991, Pas-de-Calais Maison d’arrêt de Villepinte, 1991, Seine-Saint-Denis Centre pénitentiaire de Laon, 1992, Aisne

ZONE EST

DUMEZ - Guy Autran Centre de détention de Saint-Mihiel, 1990, Meuse Centre de détention de Joux-la-Ville, 1990, Yonne Maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, 1990, Rhône Centre de détention de Villenauxe-la-Grande, 1991, Aube Centre pénitentiaire de Varennes le Grand, 1991, Saône-et-Loire Centre de détention d’Aiton, 1992, Savoie Centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, 1992, Isère

ZONE SUD

GTM Eurest – Pierre & Cédric Vigneron Maison d’arrêt d’Aix-Luynes, 1990, Bouches-du-Rhône Maison d’arrêt de Grasse, 1992, Alpes Maritimes Maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, 1990, Hérault Centre de détention de Salon, 1991, Bouches-du-Rhône Centre de détention de Tarascon, 1990, Bouches-du-Rhône Maison centrale d’Arles, 1991, Bouches-du-Rhône

ZONE OUEST

SIGES - SERA Maison d’arrêt de Nanterre, 1990, Hauts-de-Seine Centre de détention de Neuvic, 1990, Dordogne Centre de détention d’Uzerche, 1990, Corrèze Centre de détention d’Argentan, 1991, Orne Centre de détention de Châteaudun, 1991, Eure-et-Loir Centre pénitentiaire de Châteauroux, 1992, Indre

PROGRAMME 4 000

TRANCHE A

Eiffage Construction - Guy Autran Maison d’arrêt de Seysses, 2003, Haute-Garonne Centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet, 2002, Vaucluse Maison d’arrêt de Lille-Sequedin, 2004, Nord

TRANCHE B

QUILLE-DALLA VERA - Architecture Studio Centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède, 2004, Var Centre pénitentiaire de Liancourt, 2004, Oise Centre pénitentiaire de Chauconin-Neufmontiers, 2004, Seineet-Marne 52

PROGRAMME 13 200

LOT 1

Eiffage Construction - Valode et Pistre Architectes Centre pénitentiaire de Béziers, 2009, Hérault Centre de détention de Roanne, 2009, Loire Maison d’arrêt de Lyon-Corbas, 2009, Rhône Centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville, 2009, Meurthe-et-Moselle

LOT 2

Bouygues Construction - Groupe Synthèse Architecture Centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne, 2009, Vienne Centre pénitentiaire du Havre, 2010, Seine-Maritime Maison d’arrêt du Mans-les Croisettes, 2010, Sarthe

LOT 3

Bouygues Construction - Groupe Synthèse Architecture Centre pénitentiaire Sud Francilien, 2011, Seine-et-Marne Centre pénitentiaire de Lille-Annœullin, 2011, Nord Centre pénitentiaire de Nantes, 2012, Loire-Atlantique DV Construction - Borja Huidobro et ARCHI5 Centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan, 2008, Landes Centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, 2010, Ain Centre pénitentiaire de Rennes-Vézin, 2010, Ille-et-Vilaine Léon Grosse - Architecture Studio Centre pénitentiaire de Saint-Denis, 2008, La Réunion

AUTRES RÉALISATIONS

Eiffage Construction - Azéma Architectes et SCAU Maison d’arrêt de Rodez, 2013, Aveyron Vinci Construction - ARCHI5PROD Centre pénitentiaire de Draguignan, 2016, Var Vinci Construction - Basalt Architecture Extension du centre pénitentiaire de Ducos, 2008, La Martinique Nofrayane - Cabinets Gronfreville, Dumet, Vaulet Extension de Rémire-Montjoly, 2012, Guyane Colas Mayotte - Cardete & Huet Architectes Extension de la maison d’arrêt de Majicavo, 2015, Mayotte

ÉTABLISSEMENTS POUR MINEURS

Marché n°1 : Léon Grosse - Adrien Fainsilber & Associés, Corinne Ézavin et Patrick Kaut EPM de Lavaur, 2007, Tarn EPM de Marseille, 2007, Bouches-du-Rhône EPM d’Orvault, 2007, Loire-Atlantique EPM de Porcheville, 2008, Yvelines Marché n°2 : Dumez - Pierre Vurpas & Associés, Philippe Beaujon et Daniel Briet EPM de Meyzieu, 2007, Rhône EPM de Quiévrechain, 2007, Nord EPM de Chauconin, 2009, Seine-et-Marne 53

CHANTAL MAGDELEINAT,

PSYCHIATRE

« Dans les nouvelles prisons, ce sont des vitres teintées, et ça ce n’est pas bon. [...] propre avec une belle peinture ce n’est pas mal mais il faut mettre du vivant. »

DIMANCHE 19 AVRIL 2015, 17H, DOMICILE DE C. MAGDELEINAT - PARIS XV Psychiatre depuis plus de quinze ans au 42 rue de la Santé, Chantal Magdeleinat connait par coeur cette prison : les plans, les divisions, les tailles des cellules... elle les a en tête. Depuis 1997, elle rencontre individuellement les prisonniers : ainsi, elle nous livre une vision globale de la prison et de ses pensionnaires.

Le rendez-vous est donné sur une péniche à deux pas de la tour Eiffel où Chantal Magdeleinat habite. Après m’avoir présenté son parcours professionnel, elle me détaille l’organisation du service psychiatrique : « Colombe Babinet m’a dit que c’était plus compliqué de visiter une prison à moitié vide qu’une prison encore en activité. Qu’en pensez vous ?

Ils disent n’importe quoi...Visiter une prison vide.. Une toute petite partie est occupée, ca ne présente pas les mêmes problèmes qu’une prison occupée, mais il vous faut un guide, et je pense que c’est ça le problème, car c’est assez grand, et les demandes doivent être innombrables, vu qu’une partie de la prison doit disparaitre. Pendant les journées du patrimoine, au bout de deux heures, c’était plein. Il y a eu des journalistes qui ont pu faire des reportages photos, et il y a eu la visite de Badinter, c’est paru dans un magazine, un figaro je crois.

Pouvez-vous me parler de votre travail ?

Oui, le service de psychiatrie est sur deux étages, dans la division 3. En dessous il y a un quartier d’isolement. Le service est séparé en bureaux, avec un quartier thérapeutique, il y a une verrière sur tout le long derrière, c’est l’endroit le plus propre. L’infirmerie (au centre) n’existe plus. C’est une des premières prisons à avoir eu une infirmerie.

C’est une histoire compliquée, étroitement liée à l’Histoire. Pendant la guerre, il y a eu beaucoup de résistants qui ont été emprisonnés ici, ce qui a ouvert la prison à des personnes qui n’étaient pas des délinquants. Assez rapidement après la guerre, il y a des psychiatres qui ont commencé à s’intéresser aux prisons, et dès le début des années 60, le psychiatre Paul Hivert venait toutes les semaines et, petit à petit, il a créé un service de psychiatrie. Ce qui est particulier avec le service de M. Hivert est qu’il n’était pas financé par l’administration pénitentiaire mais par le secteur sanitaire. En 61, il était seul et financé par l’administration pénitentiaire, et très vite l’administration 54

départementale de sanitaire et sociale lui a donné des moyens, il a pu faire venir des médecins et des infirmières. En 85 le service de psychiatrie a été officiellement rattaché à l’hôpital Saint Anne, qui est à 5 minutes d’ici. A ce moment-là, il était dans la division 4. C’était un très grand service. Moi j’ai travaillé plus de 15 ans, je suis arrivée en 97 environ, au début quand je suis arrivée le service occupait toute la 4e division.

Il était très grand car il avait des bureaux, des ateliers thérapeutiques, et des cellules d’hébergement, une cinquantaine.

L’administration pénitentiaire a voulu récupérer cette aile car on n’avait plus besoin d’autant de cellules d’hébergement, et aujourd’hui c’est devenu le quartier de semi-liberté. On a migré dans la 3e division.

Après 85, il y a eu la loi de 94 qui modifie complètement les choses : les prisonniers sont obligatoirement immatriculés sociaux individuellement et l’ensemble des soins appartiennent aux hôpitaux : donc ce qui était valable pour le service de psychiatrie est étendu à la médecine, le service de médecine appartient à Cochin.

La particularité de cette prison est qu’elle est entourée de deux hôpitaux : Cochin et Saint Anne. L’idée est que les prisonniers doivent recevoir des soins de la qualité la plus proche possible de la population. Après on déménage, et on se met dans la 3e division, où on a le premier et le deuxième étage sur les trois, et c’était l’ancien service de médecine.

Au rez-de-chaussée, il y a le quartier d’isolement et le quartier disciplinaire, et au deuxième étage, il y a le SMPR : le service médico-psychologique régionale, le service psychiatrique. L’UCSA est le service de médecine (unité de consultation et de soin ambulatoire).

Il doit y avoir deux verrières dans la prison, au niveau de la 3e et de la 4e division, ce qui rend ces deux services très lumineux. Au tout début, il y avait une infirmerie dans le bâtiment centrale, le quartier des prévenus est dans le plan panoptique et le quartier des condamnés dans le quartier haut. Donc les deux peuvent venir dans le bâtiment central, qui est actuellement une sorte de grand couloir dans lequel il y a les bureaux des chefs de détention qui ont une vision globale de la détention car les autres sont bâtiment par bâtiment, et les parloirs où les avocats peuvent recevoir leur client.

Un grand escalier qui monte vers les quartiers haut, car vous savez que la prison est en pente. On entre par la cour d’honneur, où il y avait la guillotine sur les marches, on traverse un couloir, on arrive sur la rotonde, et il y avait la chapelle. Dans la rotonde, il y a un bureau rond et au-dessus, la chapelle : l’ensemble des détenus pouvait entendre la messe car cela portait... il y avait une cloche aussi à ce niveau.

Le gros de la détention était dans les blocs ABCD. Cela fait plusieurs années que BCD sont fermés car les plafonds s’écroulent, donc depuis plusieurs années, il n’y a plus que 600 détenus dans la prison. Le A avait été refait, il est mieux que les autres. Dans la construction, ils ont utilisé des poutres métalliques et des colonnes en fonte qui se sont corrodées, en plus il y a un système électrique qui ne tenait pas la longueur, tout le monde ne pouvait pas avoir de réseau électrique. Et le problème des douches et de l’eau : les détenus n’avaient le droit qu’à trois douches par semaine car il n’y avait pas assez de douches. Il y a des petites fenêtres dans les cellules, qui sont d’ailleurs très jolies, et ce n’était absolument pas isolé, donc il faisait froid, malgré initialement un chauffage dès le départ car c’était quand même une prison très moderne pour l’époque. Le service de médecine était dans le bloc A, on y accédait par un escalier en colimaçon en pierre, on peut voir les marches usées par un siècle de circulation, c’est très beau, mais très peu pratique, c’était très compliqué. Ce n’était pas fonctionnel du tout. Aucun monte-charge non plus, donc gros problème d’achemine55

ment des repas, donc les gens mangeaient systématiquement froid.

Et vous, qu’est-ce qui vous a motivé à travailler dans ce secteur ?

J’ai été interne à la prison de Fresnes, ce qui m’intéressait était de voir comment s’organisait la privation de la liberté, le système humain de la privation de la liberté, la relation entre ceux qui étaient privés de liberté et ceux qui travaillaient à respecter ça, les surveillants, … C’était un prétexte de rentrer dans la prison par la psychiatrie. Après, j’étais dans l’hôpital Saint Anne, et il y a un médecin du service qui est parti pour un an, on m’a demandé si je voulais le remplacer, j’ai accepté, et cela fait maintenant quinze ans que je travaille là-bas.

Quelles sont les différences entre Fresnes et la Santé ?

C’est assez similaire comme bâtiment : c’est aussi des vieux bâtiments. Quand on rentre à la prison de Fresnes, il y a d’abord un grand couloir avec un plancher ciré, on sent la cire, avec des images de voyages au mur. C’est aussi assez beau. La prison de la Santé est vraiment très belle, par exemple au bout du couloir, cette immense fenêtre en ogive. On a pu faire des photos, avec une autorisation spéciale une fois, car tout est interdit là-bas. Quand on rentrait, on donnait son téléphone portable, les clés USB, tout le matériel informatique. On passait tous les jours sous le portique. Avec des autorisations à certains moments, par exemple lors de la fermeture en aout dernier, il n’y avait plus de prisonniers, à ce moment-là on a pu faire des photos. [Montre des photos] Comment s’organisait votre bureau ?

J’avais deux cellules, j’avais un grand bureau... j’adorais ces fenêtres, en arrondies...

Elles étaient très belles, avec des barreaux certes mais très belles... Il y avait une porte étroite, et des murs épais comme ça [30cm environ]. Ce n’était pas très haut, les gens grands devaient se courber, et difficile à meubler car c’était un peu étroit. Là, c’est des objets que les prisonniers m’ont fait, ils appelaient ça mon petit musée personnel. On avait un atelier de marionnettes en fait, Mme Markovic est marionnettiste à la Santé, c’est les productions des gens qui venaient dans notre atelier, son mari est photographe et il a fait plusieurs fois des photos officielles de la Santé, notamment à la fermeture.

La réinsertion des prisonniers se faisait elle par l’art ?

Pas du tout, l’atelier de marionnettes était uniquement thérapeutique, on s’occupait uniquement de la santé mentale des gens, on a aucune mission d’insertion, ni de lutte contre la récidive. Notre travail est de faire de la psychiatrie au sens très large du terme. On n’a aucun rapport avec la justice, pas de mission d’insertion. C’est pour ça que c’était intéressant. C’est au-delà de ça un regard sur le fonctionnement d’une institution, et de voir comment cela se passe à l’intérieur, d’être témoin et de participer à l’évolution des choses. A partir du moment où les services de médecine ont été indépendants, c’est tout une partie de la société qui a vu l’intérieur d’une prison, et c’est à partir de là que les choses ont évolué.

Cela me rappelle le livre de Véronique Vasseur, avez-vous connu la même chose ?

J’ai connu Véronique Vasseur, et bien sûr, c’était la même chose. Après ça a énormément changé, mais les choses étaient déjà en route quand elle a écrit son livre. En réalité, ça a montré que ce qui était en route devait se faire. La loi de 94 ne s’est pas appliquée tout de suite, et le livre est sorti en 96 je crois. Avec les médecins d’hôpitaux, il y avait une élévation du niveau des médecins qui s’occupaient des personnes 56

incarcérées. Une deuxième chose déterminante à mes yeux, est que la profession de surveillant s’est féminisée, et cela ressemblait plus à une caserne, et les femmes ont accédé à des emplois gradés. Ca a changé énormément l’ambiance entre les employés, ils ont trouvé un mode d’exercice normal, les repas sont devenus joyeux, mixtes. L’été, on pouvait manger dans la cour, ça a entraîné une ambiance bon enfant, c’était très agréable. Ca a beaucoup changé la relation entre les employés, et également avec les prisonniers. Cela a rendu le milieu plus normal. Véronique Vasseur n’en fait pas état car c’est venu après.

Une deuxième catégorie de personnes entrant dans la prison sont les professeurs. Il y a un corps enseignant colossal, cela va de l’alphabétisation au DUG de lettres, les profs de Paris VII viennent, il y a des débats, des conférences, des personnalités qui viennent. Chaque année, des prisonniers passent le DAEU, qui est l’équivalent du bac.

Ils travaillent, ils sont préparés, ils ont des cours. Ils sont moins nombreux que les équipes médicales, mais ils sont beaucoup quand même. Ca a beaucoup changé l’atmosphère de la prison.

De plus il y avait seulement 600 prisonniers, ils étaient moins tassés. Quand je suis arrivée, cela pouvait monter jusqu’à 2000 détenus, alors que la prison est prévue pour 1200. Le livre retrace très bien le début des années 90. A partir de 2000 ça a changé.

Le livre … j’y étais, il y a des patients que je connais, et c’était tout à fait ça. Elle témoigne de quelques choses de juste, mais qui a changé. Elle l’écrit à la fin d’une période, et le début d’une nouvelle, qui est à la fois du à la loi de 94. Par exemple, deux fois par an, il y avait des réunions avec les directeurs de la prison et des hôpitaux, et le directeur de la prison a été obligé de se plier à un certains nombres de choses pour des questions de responsabilité, plus la féminisation du personnel, ça c’est énorme je trouve, dans la légèreté de l’atmosphère et la violence.

Pouvez vous me décrire l’ambiance de la prison, par rapport à Fresnes par exemple?

Fresnes est réputé être une maison dure. Ce que les gens disaient était que la Santé est insalubre, mais agréable. . C’était vétuste, mais cela restait quand même joli, il n’y avait pas de graffiti sur les murs des couloirs par exemple .Tout le monde circulait dans la prison, il y avait des grilles, tout le monde attendait que les grilles s’ouvrent, les prisonniers y compris, et à l’intérieur, on circulait ensemble. Beaucoup de gens aimaient bien ça. D’abord parce que c’est une prison de la ville, on entend les bruits de la ville.

Soit les gens ne supportaient pas le côté insalubre, une personne qui avait peur d’attraper les maladies par exemple, il y avait des bestioles, des puces, … C’était jamais propre, même si c’était nettoyé, c’était impossible. Il y avait des gens affolés par l’insalubrité. Et il y avait ceux que ça ne dérangeait pas, et à ce moment-là, ils aimaient bien l’ambiance. Ce n’est pas une prison de jeunes, donc c’est plus calme, et c’est des délits commis dans Paris, donc les détenus ne sont pas là pour des vols de voiture de la banlieue, mais pour des délits plus graves, ce n’est pas tellement de la petite délinquance, il n’y avait pas tellement de bandes de jeunes. A la Santé il y avait pas mal d’affaires criminelles. Seulement les toutes dernières années, la Santé a commencé à recevoir des gens à partir de 18 ans.

On arrive en prison en fonction du lieu du délit, pas de l’endroit où on habite. C’est partagé en deux en fonction de l’alphabet officiellement avec Fresnes : La Santé prend les personnes du début de l’alphabet et Fresnes, les personnes de la fin. C’est le juge d’instruction qui décide, et c’est en fonction de pleins de choses : si c’est fait à plusieurs, il les éparpille par exemple. Tout le terrorisme est en Ile de France car le magistrat est en Ile de France, et ils sont répartis pour des raisons de sécurité : ils peuvent repartir dans leur région qu’une fois condamnés.

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Le quartier VIP et le quartier d’isolement sont les deux blocs importants. Le quartier VIP est pour les gens qui ne peuvent pas être en contact avec la détention normale pour leur propre sécurité : les policiers, les militaires, les surveillants de prison, et les personnes très médiatiques pour lesquelles tout le monde donnera des informations sur leur vie s’ils ne sont pas à l’écart. Ils vivent au bloc A, fermé du reste de la détention, et eux n’avaient pas le droit de sortir, ils n’ont pas le droit de travailler, et ils n’ont pas accès aux activités de la prison, ils avaient une salle d’activités et de musculation attitrées. Il doit y avoir douze cellules, un étage et une promenade à part. C’est tout aussi délabré que le reste, mais les surveillants qui travaillent là sont choisis, à priori des gens de confiance. Cela donne un groupe très hétérogène, entre un commandant de police qui a tué sa femme à un type concerné par des histoires de 39-45, et un truc financier : ils ne se seraient jamais rencontrés dans la vie habituelle. Ça ne fonctionne pas toujours le groupe, par moment ils se scindent, forment des groupes. Et ils vivent ensemble 24h/24.

Le deuxième quartier particulier, c’est le quartier de l’isolement, qui est au rez-dechaussée de la 3e division à côté du quartier disciplinaire. Là, les personnes sont isolées, mais pour leur dangerosité vis-à-vis de la détention, là c’est une décision pénitentiaire pour protéger la détention. Alors soit c’est des grands braqueurs qui se sont déjà évadés quatre fois, soit des gens très dangereux de par leur type de délit et leur psychologie. Par exemple, un grand meurtrier d’enfants ...

Il y a une hiérarchie dans les délits. Avant on classait les personnes en fonction de leur origine. Il y a énormément d’étrangers, il y a des gens de partout, ils faisaient attention au départ dans l’attribution, et petit à petit, ils changeaient facilement quelqu’un de cellules qui ne marchaient pas. Après on commence à se poser des questions quand il fait quatre demandes de changement en moins d’un mois, on se demande si ce n’est pas lui qui a des problèmes, et quel type de problème. C’est là que l’on est alerté, il y a des gens bizarres quand même, par exemple, mon codétenu se tient debout toute la nuit près de la porte avec une fourchette et je me demande si il ne va pas me crever les yeux quand je dormirais.

Leur intérêt est qu’une cellule marche... c’est le meilleur car ils se parlent, ils s’occupent ensemble, et ils partagent les frais, car il y a un système de cantine, et beaucoup n’ont rien. La télé est payante, améliorer son ordinaire est payant. Une cellule qui marche est une cellule équilibrée dans les revenus, ils s’entraident. Les cellules qui vont pas, sont les cellules où il y en a 3 qui ont, 1 qui n’a pas, et il ne peut pas choisir sa chaine de télé, il doit rendre des services. Cela donne des désastres quand un est libéré, transféré, car cela déséquilibre la cellule. Les gens d’un certain âge, avec une certaine autonomie, souhaitent être seul. Les plus jeunes préfèrent être à plusieurs, car ils n’aiment pas être dans une pièce dont ils n’ont pas la clé, seul. Les cellules individuelles sont dans les divisions uniquement, dans les blocs c’était du collectif. Les cellules sont à 2,3 ou 4, souvent 4.

Il y a beaucoup de demandes de cellules individuelles dès l’arrivée, mais ce n’est pas la totalité. Il faut que les gens soient rassurés pour demander une cellule individuelle.

Le problème est surtout la nuit, en cas de problème de santé, car le système d’alarme était vieillot. La nuit, il faut qu’ils ouvrent à deux avec un gradé, donc dans les urgences c’était compliqué.

Pour vous, pourquoi la prison de la Santé n’est ni inscrite ni classée aux Monuments Historiques ?

Je ne sais pas ... Mais elle a une chance de ne pas être complètement défigurée car elle fait partie du patrimoine collectif, c’est la dernière prison du centre-ville.

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Qu’est-ce qui vous a plus plu dans votre travail ?

Moi ce que j’aimais bien dans mon travail, c’est que je voyais la Terre entière, il y a plus de 80 nationalités différentes. J’étais dans mon bureau, je vois arriver un monsieur en béquille, c’était le chef des tigres tamouls en France. Pour le combat, les tamouls doivent tous participer et donner de l’argent, et si on ne le fait pas la milice fait comprendre manu militari qu’il est temps de donner. Ils étaient incarcérés pour harcèlement et violence sur des immigrés ici. Il arrive avec des béquilles car il a sauté sur une bombe il y a 20 ans : on entre dans l’histoire des tamouls et des sikhs.

Un autre exemple, je vois arriver un jeune homme que l’on pense africain. Lorsque je lui demande d’où il vient, il me répond suédois, et je me rends compte que ses parents venaient d’un pays africain : à un moment donné, la Suède a fait un appel d’offre pour travailler et ses parents ont migré. Du coup, on s’intéresse aux flux migratoires.

Après on a tout l’univers chinois, tout l’univers du bâtiment : les Tunisiens qui dirigent les Egyptiens, car ils parlent mieux français que les Egyptiens. Il y a les Philippins qui se réunissent dans un parc tous les dimanches, et on vient les embêter, ils donnent un coup de cocotte minutes sur la tête ... On a comme ça pleins d’histoires qui mélangent pleins de cultures. On voit défiler toute l’actualité : le monde arabe, ... C’est ça que j’aimais. Je travaillais beaucoup avec des interprètes. Je suivais l’actualité d’une autre manière.

Je ne pense pas que j’irais travailler dans une autre prison. Maintenant j’ai regagné mon hôpital, mais j’aimais bien dans cette prison aussi par la variété de population qui y était, les gens de tous les âges, et de tous les niveaux culturels. Je passais de l’analphabète au polytechnicien dans ma clientèle. Je pense que surement à Lyon, c’est un peu pareil... A Fresnes aussi, mais c’est beaucoup plus grand et c’est plus dur pour les prisonniers car les règles sont plus strictes.

La psychiatrie est organisée en secteur, les services sont territoriaux, en fonction des arrondissements. Donc on voit bien la différence sociologique entre les différents quartiers, qui est très nette.

A la prison de la Santé, on retrouve plein de gens qui ne pensaient pas se retrouver un jour en prison, pour des crimes graves. Ce n’est pas leur mode de vie. Après il y a de grands braqueurs très talentueux.

Les prisonniers sont organisés dans un système de caïdat dans les relations entre les détenus. Les chefs sont les grands braqueurs. Sachant qu’eux ont une loi interne, ce sont des anti sociaux, ils ont leurs propres lois. Et finalement, ils font respecter leurs lois beaucoup plus que nous ont fait respecter la loi tout court. Ce sont des gens brillants, intelligents, de bonnes familles également, ce n’est pas un problème socioculturel, mais ils sont extrêmement intolérants : ce sont eux qui décident à qui ont dit bonjour, et à ceux à qui on ne dit pas bonjour. En prison il y a une vie sociale obligatoire entre les prisonniers, il faut respecter les règles. Il y a une hiérarchisation, il ne faut pas rester dans son coin sans parler : si on vous dit bonjour, il faut répondre. On va vous demander très vite pourquoi vous êtes là, si ça parait pas tout à fait juste, on peut demander le mandat de dépôt : maintenant on n’en donne plus. Mais quand on part en ballade, vos affaires sont fouillées, pour regarder les lettres. Il y a des gens avec lesquels on a le droit de tourner, d’autres non, tout est orchestré par les grands braqueurs. La pire des choses ce n’est pas d’être un pointeur (violeur), la pire des choses c’est la balance : celui qui donne des informations aux surveillants. On peut le tuer la balance, on lui tombe à bras raccourcis à vingt, parfois avec des lames de rasoir. Il n’y a pas de certitudes parfois, mais cela s’enflamme et on voit un type taillé en pièce dans un coin sombre d’un couloir, passé à tabac complet. Il y a des gens qui ont peur en 59

détention, du coup ils se réfugient vers les surveillants, du coup ils vont être suspects de tisser des liens.

Les surveillants sont affectés tous les jours, il n’y a pas de régularité. Cela permet d’éviter les liens entre les surveillants et les détenus, et de protéger les surveillants, car ce ne sont pas des parisiens, ce sont souvent des jeunes, beaucoup d’antillais. On ne peut pas les exposer de façon répétée à des vieux loubars. Il y a une vie sociale dans la prison. Il faut faire son trou, se faire accepter dans la communauté. Alors il y a ceux qui se font racketter, avec menaces sur leur famille à l’extérieur.

Ces dernières années, l’administration pénitentiaire à la Santé était beaucoup plus sensible, attentive, incitait à porter plainte. Mais il y a toute une part de la vie du prisonnier que l’on ne connait pas. C’est un monde particulier, un temps particulier dans la vie de quelqu’un, c’est quelque chose dont les gens se défont difficilement. Ça leur est désagréable d’être dans la rue, dans les transports. Il y a des automatismes qui sont difficiles à oublier. Par exemple, il y a un détenu qui était au restaurant avec sa sœur, et quand on lui a apporté son plat, il a dit « merci surveillant ». Ils ont du mal à se faire servir, ils ne peuvent pas ne pas débarrasser l’assiette. C’est une expérience extrêmement marquante. Les cellules à deux, ce n’est pas très bon, il peut y avoir très vite un qui prend le dessus sur l’autre. A trois c’est mieux, les alliances changent. Ils faisaient des cellules à deux pour les travailleurs, mais ce n’est pas pareil car ils étaient dehors toute la journée.

Qu’est-ce que vous pensez de la réhabilitation ?

Moi je sais, mais je ne peux rien vous dire. Je pense que c’est nécessaire mais on va perdre de la convivialité. Par exemple, dans les nouvelles prisons ce sont des vitres teintées, et ça ce n’est pas bon. C’est pour ça que propre avec une belle peinture ce n’est pas mal mais il faut mettre du vivant. De toute façon, ce qui est dit est de garder la première disposition (plan panoptique) et de changer la deuxième. Le gros avantage c’est qu’ils sont très contraints, puisqu’il y a le 14e, qui est un beau quartier : Les riverains qui regardent ce qu’ils se passent, et qui s’opposeront à ce qu’ils ne leur plaisent pas. Ils sont obligés de faire une prison qui s’intègre dans le paysage, qui soit un minimum jolie.

Ils nous ont interdit de communiquer les plans. Moi j’ai fait partie des commissions pour ces travaux là, avant l’élection de Sarkozy, puis ça a été repris récemment. C’est pour ça que je connais par cœur cette prison, j’ai les plans, les divisions, les tailles des cellules. J’ai participé à ces commissions pour le service de psychiatrie, car on avait 1000 m², donc c’était très grand, et on ne veut pas être coincé dans un tout petit espace, on a des enjeux. Surtout que la psychiatrie participe vraiment à l’équilibre général de la prison. Il nous faut des pièces pour nos ateliers, ce qui permet aux gens de s’évader un peu du milieu carcéral. C’est la raison pour laquelle on est probablement aussi consulté. A cette époque, à un moment donné ils se sont dit qu’ils n’allaient pas la reconstruire là, et puis finalement la décision a été prise. Le XIVe s’est battu pour qu’elle soit reconstruite ailleurs, par rapport au foncier libéré.

A partir du 1e janvier 2014 il n’y a plus eu d’entrée. Il y a eu des gens libérés, des gens en centre de détention. A partir de mars, ils ont commencé à transférer les gens. Ça avait lieu deux fois par semaine, une fois un groupe vers Fresnes, une fois un groupe vers Fleury, en fonction des lettres de l’alphabet. Les gens savaient seulement 48h avant qu’ils partent. Ça a été très dur pour tout le monde. C’était la loterie. Il y en a qui était là depuis des années, 4 ou 5 ans : donc partir était difficile. Ils se retapaient l’intégration dans une autre maison d’arrêt : chaque fois, il faut s’habituer, faire son trou. Pour les familles ce n’est pas facile non plus. » 60

MARIE-CHRISTINE MARKOVIC,

PSYCHOTHÉRAPEUTE

« Oui, je pense que c’est très bien qu’il y ait une prison dans Paris. Même symboliquement je trouve ça très bien, c’est le symbole de la loi. »

SAMEDI 25 AVRIL 2015, 11H, DOMICILE DE M-C. MARKOVIC - PARIS XIV Depuis 1997, Marie-Christine Markovic anime des ateliers de fabrication de marionnettes à la prison de la Santé. A la différence de Chantal Magdeleinat, elle travaille collectivement avec les détenus : souvent des travaux manuels et parfois de la scénographie et de l’écriture. Son mari, photographe de métier, a pu réaliser des photographies officielles de la prison, notamment à sa fermeture.

Je retrouve Marie-Christine Markovic à son domicile, un appartement au dernier étage d’un immeuble du XIVe arrondissement de Paris, pas très loin de la prison.

L’entretien commence avec une description globale de la prison, de ses environs et du quartier... son quartier : « Le mur d’enceinte de la prison et celui de Saint-Anne datent de la même époque, ils sont similaires : un peu sombre avec des pierres et du lierre; et dans la topographie, ils se prolongent... Ensuite, on va jusqu’au bout de la rue d’Alesia, en longeant le mur Saint Anne. Il y a de très beaux couvents à côté, de l’autre côté du boulevard Arago.

En quoi consistait votre travail à la Santé ?

J’y ai travaillé de 1997 à 2014, j’ai fait la fermeture. J’ai travaillé qu’à la Santé. Au départ, j’étais engagée de manière vacataire pour réaliser des ateliers de médiation thérapeutique ou art thérapie. C’était dans l’esprit du médecin chef de l’époque, Dr.Dormoy, il a donné une impression assez forte, il a laissé sa marque, également le Dr.Hivert.

Au début, sous Hivert, c’était plus classique comme psychiatrie, mais à ce moment-là, le SMPR était vraiment une division à part, et ensuite c’est sous Dormoy que l’évolution s’est faite. Le travail a été de s’ouvrir vers toute la détention, d’ouvrir les gens à un espace psychique où ils peuvent penser que, s’ils ont fait quelque chose, c’est aussi parce qu’ils ont des problèmes. C’est à ce moment-là que le D.Dormoy nous a engagé avec une autre collègue qui fait de la peinture et un psychomotricien qui fait de la danse, remplacé ensuite par une jeune femme qui faisait des arts martiaux.

Moi, je fais des marionnettes et de la scénographie, de l’écriture. C’était ouvert au SMPR en priorité et, petit à petit, on a essayé d’ouvrir aux personnes qui venaient en 61

consultation une fois, pour voir un psy. Commencer à parler de soi est compliqué et pas forcément dans l’intérêt de ces personnes qui ont des pathologies particulières, de passeurs à l’acte : il y en a certains qui veulent venir voir un psy pour parler, mais on ne les différenciait pas. On voyait qu’il y avait une entrée dans le domaine psy par rapport à l’activité qui n’était pas uniquement une activité éducationnelle, on faisait des marionnettes, de l’écriture pendant une heure et demi.

Mais aussi par ma formation, je suis psychanalyste, j’essayais de les ouvrir sur ce que signifiait leur production pour eux, le cheminement de la pensée. Il y avait du travail en groupe et en individuel. J’ai toujours pensé qu’à travers le travail en groupe, on arrive à mettre en pratique ce qui arrive face à face. On faisait du travail en groupe, à 6 ou 7 maximum, je leur disais les règles de l’atelier, et leur demandais s’ils étaient d’accord. Ils devaient venir régulièrement, choisir un horaire, où ils ne feront pas autre chose.

Evidemment, il y a de temps en temps des parloirs, exceptionnels, mais il n’y a pas de problème, ils ne venaient pas ce coup-là. Mais je faisais des ateliers les jours où il n’y a pas de parloirs, le lundi et le mardi. Donc souvent les gens choisissaient un jour de parloir fixe pour venir un jour fixe à l’atelier. Il fallait également qu’ils gardent pour eux ce qu’il se passait dans l’atelier, ne pas en parler en dehors, et pendant l’atelier parler à tout le monde. Lorsqu’il y avait des chuchotements, je les reprenais pour qu’ils parlent à l’ensemble du groupe, mais je ne contrôlais pas tout non plus.

Au sein de la prison, le SMPR est vécu comme un espace de liberté. Ça a beaucoup évolué. Dans les dernières années, avec le dernier médecin chef venant de Fleury, il n’a pas eu le répondant suffisant par rapport à la pénitentiaire pour leur dire que ça ne les regardait pas ce qu’il se passait au SMPR. On s’était bagarré pour obtenir ce qu’on voulait. Quand j’ai commencé, je n’avais pas de clé, c’était le surveillant qui m’ouvrait la porte, avec des choses sympa parfois: « attendez je vide les poubelles j’ouvre votre porte après », on vit des humiliations. Le docteur Dormoy s’est bagarré pour avoir les clés, pour qu’on ne donne pas la liste des détenus qu’on avait en groupe, mais que ce soit le médecin qui fasse attention au mélange des genres.

Quand il y avait un détenu pour agression sexuelle, c’était difficile et certains ne voulaient pas travailler avec lui. J’ai eu des histoires dans mes groupes. Je prévenais auparavant que l’on devait travailler avec tout le monde, et que c’est pour vivre quelque chose de nouveau et pas forcément de reparler du passé. Je revoyais les gens des groupes en entretiens individuels tous les deux/trois mois, et ils me disaient des choses différentes, c’était intéressant.

Ces groupes ont un rôle dans le soin et non dans la réinsertion. Ce n’est pas un changement qui se fait en deux ans, c’était beaucoup de longues peines. A la fin, il y avait des gens plus jeunes, et le coté groupal était très intéressant. Il y avait un rituel de vivre ensemble, se dire bonjour, ne pas faire des apartés, c’est un peu comme une classe réduite. On a fait du thé, c’était mon truc, il fallait attendre que tout le monde soit là pour s’en faire un, attendre les autres.

On était un grand SMPR à Saint-Anne, une trentaine de personnes, 6 ou 7 médecins, 1 interne, 6-8 infirmières, 4 ou 5 à faire des ateliers thérapeutiques, et 3-4 psychologues.

On était un bon service, avec une réunion hebdomadaire. Et la réunion avec le pénitentiaire était très agréable quand c’était le médecin chef qui s’en chargeait. Il y a eu un essai de démocratisation mais c’est une organisation très pyramidale dans le pénitentiaire, donc pas vraiment très bien.

C’était un soin de venir dans les ateliers en groupe. Donc quand ils faisaient une connerie, ils avaient une punition interne : nous on trouvait ça dommage car cela 62

coupe la thérapie, on a réussi à obtenir que je puisse le voir en individuel, donc il montait, et il continuait sa marionnette, son texte avec moi. Ca a disparu quand il y avait le nouveau médecin chef, maintenant il a été promu dans le contrôle.

Le contrôle s’occupe des problèmes entre détenus : lorsque quelqu’un a son courrier ouvert, ou cela se passe mal dans sa cellule, il envoie une lettre au contrôleur qui lui répond. Pour les détenus, c’était intéressant. Ils sont très efficaces. On aurait pu travailler bien avec ce médecin chef, mais c’était la fin, il y a eu beaucoup de choses à gérer. Il a fallu vider la prison, et c’était très dur. Pour les prisonniers également, de ne pas savoir où ils vont aller, de se retrouver hors de Paris.

Vous pensez que la prison a sa place dans Paris ?

Oui, je pense que c’est très bien qu’il y ait une prison dans Paris. Même symboliquement je trouve ça très bien, c’est le symbole de la loi. C’est impressionnant. Et il y a tout un aspect avec possibilité de peine de prison, mais bon il n’y a pas assez de monde pour le suivi.

Quelle était l’ambiance de la prison ?

Les prisonniers passent sept portes pour venir nous voir : la cellule, dont ils ne sont pas maîtres, la porte de séparation du couloir, de la division, du rond-point centrale, de notre division, celle qui permet d’entrée au SMPR et ma porte. C’est impressionnant.

Tout ça c’est aussi des choses dans l’organisation de notre activité.

Vous connaissez les gens du SPIP : Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation ?

Ce sont les assistants sociaux, spécialisés au pénitentiaire, c’est une formation particulière de deux ans. Je trouve qu’ils sont un peu moins bien formés que des assistants sociaux où la formation dure trois ans. Ils sont en relation avec les familles des détenus, ils vont voir les détenus pour des problèmes sociaux, des problèmes de travail, des problèmes d’organisation de la vie culturelle et sociale. On travaillait souvent avec eux, en parallèle, car ils ont fait beaucoup de choses : des partenariats avec le Louvre, avec la maison des écrivains... Il faudrait aller les voir. C’est avec un d’eux que j’ai fait un groupe de travail sur le fait d’être père en prison. Ca a fait partie d’un souhait de travail. Ca a fait partie des choses qui ont été coupé à la fin…

On s’est concentré sur le soin à la fin. On est dans l’ambivalence, car c’est la première demande des détenus, ils veulent dormir, mais les médicaments qu’on leur donnait, ils ne les prenaient pas, les trafiquaient.

Le travail, c’était d’avoir un espace de vie sociale où les choses peuvent se dire, un espace personnel où ils peuvent parler. Souvent les détenus étaient envoyés par le médecin. Parfois, ils m’écrivaient directement, mais je les invitais d’abord à voir un médecin psy, car c’était sous couvert d’un travail psychologique. Après, s’ils ne voulaient plus voir le médecin mais ne voir que moi, une fois toutes les trois semaines, tous les mois, c’était possible, mais là encore il fallait passer par l’organisation pyramidale : le responsable est un médecin psychiatre, en dessous il y a 3 médecins psychiatres.

On ouvre un dossier médical à chaque fois qu’un détenu vient au SMPR, et c’est sous couvert d’un médecin, même si il nous fait confiance. C’est important que le détenu ait dans la tête cette organisation administrative. Il fallait qu’ils écrivent, et on devait répondre, il y avait une circulation de l’information.. Ces dernières années le courrier était moins bien distribué.

On avait le téléphone grâce au Dr Dormoy, ce qui nous permettait d’appeler le surveillant, pour lui fournir la liste avec le numéro des cours, pour lui demander pourquoi un détenu n’est pas là. C’est très lourd administrativement. C’est très différent dans un 63

hôpital normal, car ce n’est que pour le soin. On tenait beaucoup pour que chaque acte de la SMPR soit considéré comme un acte de soin. C’est pour ça que quand un détenu était au mitard, le psychiatre exigeait de les voir. Psychologue et psychothérapeute, c’était plus difficile d’obtenir un entretien, car la pénitentiaire jouait sur le fait que le détenu voit déjà le psychiatre. On se battait là-dessus, pour la continuité de ces soins. L’organisation des surveillants bloquait, car dans l’esprit de certains surveillants venir se faire du bien ici, ce n’était pas possible pour des gens qui étaient aussi horribles.

Du temps d’Hivert, les surveillants étaient parfois pas très loin des détenus, ils avaient souvent des parcours difficiles, d’immigration. On sent qu’il y a du rejet. Ils n’ont pas leur bac, ou très juste. Apparemment, c’est facile de devenir surveillant, même si il y a une formation après, au sein de l’ENAP, ils font tous un stage de 6 mois là-bas. Et on avait vu avec les surveillants, qu’un groupe de parole pouvait être intéressant, mais ce n’est pas à nous de le faire car on est là pour les détenus... Mais il y avait une psychologue pour ça, qui est partie et remplacée par une jeune qui n’avait pas le répondant.

C’est la volonté du médecin chef qui fait beaucoup dans l’ambiance, de faire des réunions avec les surveillants, des surveillants avec les infirmiers. Car lorsqu’un patient craque, c’est l’infirmier qui est aux premières loges, qui décide s’il faut appeler un psychiatre, un surveillant. Il se passait des choses graves tous les jours : des gens qui se scarifiaient, qui pétaient un plomb, à hurler, taper...

[Montre des photos] : Il y a les cours de promenades, les ballons, les bouteilles, les prisonniers font le yoyo : c’est-à-dire qu’il y en a un qui demande une bouteille d’eau par exemple et l’autre lui envoie par la fenêtre... Il y a les concertinas qui sont des barbelés. il y a également les filets contre les hélicoptères. Il y a eu plusieurs évasions... Ça c’est la promenade des particuliers, dans la 2e division, 12 cellules, assez grandes, construites sur le système à deux où l’on met les vip, qui sont souvent des policiers, des surveillants ... Egalement les détenus très médiatisés que l’on ne mélange jamais aux groupes. Il y a eu des thérapies qui se sont faites, moi pas, mais plutôt par intermédiaire de la médiation... mais ils allaient plutôt parler avec un psychologue et un psychiatre une fois par semaine. Donc ils avaient une toute petite cour, et dans les autres cours, ils jouent au foot, au basket. Là, ce sont des promenades du mitard pour tourner, isolé : ceux qui ont fait des bêtises, les terroristes ou affaires sensibles. Ils n’ont pas un régime forcement de mitard, mais c’est quand même assez lourd et pas très agréable. On les voyait en fin de parcours car ils craquaient.

Une division est composée de trois étages, et il y a quatre verrières sur les quatre divisions. Dans le SMPR, on avait deux étages. On entrait dans une grande division avec beaucoup de lumière en haut, c’était très joli. C’était fait dès le XIXe siècle, c’était génial. La première chose que les prisonniers disaient, c’était qu’ils faisaient de la luminothérapie lorsqu’ils venaient. Alors les surveillants rouspétaient car, quand ils venaient en atelier, ils venaient au premier étage : normalement ils ne devaient pas aller dans le couloir mais quand on est à 6 dans 15 m²... car mon bureau est le regroupement de deux cellules. Je trouve qu’il faut circuler, et je les laissais faire, car on leur demandait un énorme travail. Donc parfois ils soufflaient, sortaient, et je les laissais faire. Quand un détenu arrive, il lui présente son papier et le surveillant va le dispatcher, chez un médecin, dans la salle d’attente, chez un psychologue, un médecin chef qui est tout au bout vers les plantes, le secrétariat également ... La bibliothèque est très lumineuse, c’est là que l’on faisait le groupe d’écriture. Dans les blocs, ce n’était pas aussi lumineux.

En quoi consistait votre travail avec les marionnettes ?

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On a fait des spectacles avec les marionnette. Une marionnette peut représenter 4 ou 5 mois de travail à raison de 2h par semaine. On fait d’abord un moule de terre cuite, après on peut le faire en plâtre, en papier. Après il y a de la mousse si ils veulent.

Il y avait de la confiance avec la pénitentiaire car j’avais énormément de matériel : des ciseaux, des cutters, de la colle contact, de l’acétone, du papier de verre. On avait obligation de faire une liste avec tout le matériel, et soit disant le brigadier devait venir contrôler, mais il est jamais venu ... La lourdeur administrative. Il y a déjà eu des problèmes, par exemple des ciseaux qui ont disparu, il y a eu des fouilles. Parfois, il y a de grandes fouilles préfectorales, pour les portables, etc ... Et ils retrouvaient des trucs, des crayons, du papier, et les détenus disaient que ça venait de mon atelier, mais je ne leur ai jamais donné… [montre des photos] La science des détails moi j’adore. Par exemple, là, il y a 17 traits sur cette marionnette qui correspondent aux 17 coups de couteaux que la personne a mis pour tuer la personne qui mettait la pression sur lui. Chaque marionnette a une histoire. On avait du matériel, on avait un budget car on était un service hospitalier contrairement au SPIP. Sur les marionnettes, il y a des choses qu’ils ne veulent pas dire. On a quand même affaire à une population qui passe à l’acte, des gens qui ont une problématique avec réaliser/pas réaliser, donc coudre, peindre c’est autre chose. Souvent, il y a quelque chose d’eux dans leurs marionnettes. Après ce qu’on faisait aussi, c’était jouer avec les marionnettes, chaque marionnette avait une carte d’identité, au bout de 6 semaines, on improvisait des scènes, des lieux, et suivant les groupes, ça pouvait aller très loin ou pas, juste des petits sketchs.

Chaque fois qu’ils ont fini leur marionnette, ils peuvent les garder ou les donner, et je les expose au musée de Saint Anne, il y a plus de 200 marionnettes. Ils font leur carte d’identité : le nom, l’âge, l’origine, les principaux traits de caractères. C’est un bon travail, ça mérite d’être conservé.

Quels sont les éléments qui vous ont marqué architecturalement dans la prison ?

Ce que je vous ai dit sur les portes, le déplacement très complexe, sur l’exiguïté des lieux de circulation, les coursives, car dans la première SMPR que l’on a connu, les bureaux étaient en bas, et nous, on avait beaucoup d’espace, on pouvait sortir la table de ping-pong, faire des goûters, partager des repas. Je trouve que c’est très important, ça permet l’apprentissage du collectif : dans cet espace, ils sont responsables, ils peuvent le rendre plus beau… Je trouve que ça manque dans les prisons ce genre d’espaces. On avait deux espaces de 4 cellules à l’époque. Dans les blocs, c’est plus étroit : l’escalier en colimaçon est très étroit.

Au début, on les met en individuel, on leur explique comment ça marche, et ensuite ils se retrouvent dans des cellules à 2,3 ou 4, ou individuelle. L’encellulement individuel devrait être généralisé, le choix peut être d’être à deux. Je l’ai vu beaucoup avec les africains, asiatiques, où il y a une communauté, ils aiment se retrouver ensemble. Mais je ne pense pas que cela doit être permanent. Dans les divisions, ils étaient seuls et en commun dans les blocs. Les cours également, il n’y a pas d’arbre et je trouve ça dommage. Ils pourraient répartir les cours en fonction de l’activité effectuée dans la cour. Il faudrait des espaces de repos dans les cours, des bancs, de l’eau.

Pourquoi n’est-elle ni inscrite ni classée aux Monuments Historiques ?

Je ne sais pas, est ce que c’est un laissé aller ? un oubli ? un oubli volontaire ? Je trouve ça dommage car l’architecture à l’intérieur est belle et intéressante, surtout dans les divisions avec les verrières. Et c’est un terrain immobilier qui pourrait rapporter beaucoup d’argent s’il était vendu. Est-ce que cela pose une question d’éthique de classer aux monuments historiques une prison …

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Je trouve ça dommage car il faut la maintenir, la réhabiliter. Ce sont des murs solides, isolés. En contrepartie, il va y avoir une histoire de la cellule par rapport à une prison neuve. Ils n’ont pas fait le travail de mettre des bureaux avec une autre architecture que les cellules également. Je pense qu’on pourrait faire ça, avec des vraies fenêtres.

En règle générale il n’y a pas de problèmes au SMPR, car ils sentaient que c’était un espace d’ouverture et qu’ils ne voulaient pas le casser. Venir là c’est un espace socialisé, s’ouvrir, un espace qui faisait du bien. Sur les 15 ans, il y a eu un ou deux passages à l’acte. Ils disaient souvent que c’était le seul lieu où ils se sentaient aussi bien. « avec vous c’est pas pareil ».

Les Prêtres, les Imams vont dans les cellules. Il y a une salle dédiée, où il y a des messes collectives. Mais nous, on s’interdisait d’aller dans l’espace personnel du détenu, c’est lui qui vient, et je crois que c’est très important. Généralement, j’écrivais quand ils ne venaient pas. Et ils me répondaient.

Avec la réhabilitation la convivialité va se perdre. Là, tous les matins, c’est un surveillant qui ouvre la porte, parle. Après qu’il y ait une facilitation électronique, oui. Mais il faut du personnel. Là où il y a moins de personnel, il y a plus d’accidents. Dans les grandes prisons, on laisse la circulation libre, il y a des espaces collectifs. Mais tous ces espaces sont craints, car il y a suspicion de passage d’info sur des histoires sensibles, c’est n’importe quoi. Ce n’est pas parce qu’ils sont venus à l’atelier, qu’ils ont échangés des informations fondamentales... S’ils le font pas là, ils pourront le faire ailleurs.

Le dernier étage des blocs était du travail collectif (mettre des vis dans des boites), maintenant, c’est dans les cellules.

Si vous deviez résumer la prison en quelques mots vous diriez quoi ?

Enfermement... Clôture, ce n’est pas la même chose que l’enfermement... Règle : travailler sur l’enfermement durant trois heures dans un espace où il va sortir des choses différentes. Un enfermement avec un retour sur soi. La visée thérapeutique c’est ça : on est enfermé mais personne ne vous empêche de vous échapper librement dans votre tête. »

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CATHERINE RECHARD,

RÉALISATRICE

« Ces nouvelles prisons, ça fait beaucoup de points négatifs c’est sur … »

JEUDI 18 AOÛT 2016, 13H30, CAFÉ DE QUARTIER - PARIS IV Pourquoi votre film « Le Déménagement » reste compliqué à trouver , y a-t-il eu réellement censure à votre égard ?

C’est un truc qui n’a rien à voir avec le contenu, enfin je pense … C’est qu’on voyait des détenus à l’image, on voit les détenus qui ne sont pas masqués …

Mais j’ai pu trouver sans trop de problème votre premier film « La Prison dans la ville » en location vidéo alors qu’on voit également des visages de détenus … A l’inverse, pour « Le Déménagement », je n’ai eu d’autres moyens que de le télécharger illégalement pour pouvoir le visionner …

Ah c’est « Le Déménagement » que tu as été obligé de télécharger ? Ah oui mais voilà … Le problème c’était en fait que … Parce qu’en fait, on a fait ça dans le cadre d’une convention avec l’Administration pénitentiaire... Donc ça supposait différents trucs, notamment, qu’on ait l’accord de l’Administration Pénitentiaire et à partir du moment où ils étaient partie prenante du projet et qu’on avait toutes leurs autorisations, il n’y avait pas de raison que … Voilà … A moins qu’on ait dit des horreurs dans le film mais ce n’était pas le cas. Donc ils ont demandé le floutage des visages des détenus pour la diffusion télé … C’est pour ça que c’est resté dix-huit mois dans les placards parce qu’on n’avait pas flouté … Ce n’était pas par rapport au contenu, c’était vraiment par rapport aux droits à l’image du détenu. Et puis il y a eu concordance avec un autre film qui est sorti en même temps, « A l’Ombre de la république »...

Justement, je me posais la question : est ce que ça dérange de dénoncer ça ?

Oh non je pense pas, je pense pas …

Les détenus étaient d’accord pourtant …

Oui oui, bien-sur...

Et c’est après que ça a bloqué ?

Oui voilà … parce que … parce que c’est la prison. On donne le droit aux détenus de s’exprimer comme ils l’entendent … Mais bon le contenu de ce qu’ils disent : il y a rien ...Donc voilà, c’était une question de principe et puis ça s’est terminé au tribunal ad67

ministratif de Paris où on a eu gain de cause. Le tribunal a demandé à l’Administration Pénitentiaire d’annuler leur demande.

C’est donc l’Administration Pénitentiaire qui vous donne l’autorisation mais qui réclame les floutages après coups …

Bah oui … De toute façon, on peut rien faire dans une prison sans l’accord de l’administration pénitentiaire. Donc là, on avait une convention signée avec la direction à Paris : tout était hyper transparent avec tout le monde. On a respecté le truc jusqu’au bout parce qu’il était convenu qu’on obtienne l’autorisation de diffusion de l’Administration Pénitentiaire … Et c’est là où ils ont dit « Oh pour la télé, non, il faut flouter ».

Donc voilà …

Et pourquoi s’intéresser au milieu carcéral en particulier ?

Moi j’ai découvert ça en 1999 : en fait, j’ai quelqu’un qui m’a contacté, qui faisait du théâtre en prison, à la prison des femmes à Rouen, à Bonne-Nouvelle...

J’ai jamais réussi à la visiter … malgré un grand nombre de demandes …

Ah bon c’est vrai ? D’accord … Donc elle faisait un projet théâtre avec les femmes, et quelques temps avant, j’avais sorti un bouquin de portraits avec des femmes qui racontaient leurs vies, qui n’avaient rien à voir avec la prison. Du coup, sur ce modèle là, elle m’a demandé finalement de faire des portraits des participantes et puis de femmes de l’extérieur qui venaient raconter leur vie dans un atelier théâtral. Du coup, j’ai fait des portraits de tous ces gens là en prison...les filles dans leurs cellules et tout …

Et puis de là j’ai eu l’idée d’un autre projet photo que j’ai fait après, qui lui même m’a donné l’idée … voilà quoi. Un projet en conduit un autre parce que la première fois, j’avais jamais pensé aller en prison. [regarde la première version du mémoire] Ce livre là, elle l’a écrit avec … euh.. Philippe Combessie non ?

Exactement, il y a cinq ou six co-auteurs.

Philippe Combessie, il a écrit « Prisons des villes et prisons des champs » : il est vachement bien ce bouquin. Je sais plus si c’est le titre exact mais en tous cas, lui, c’est vraiment un incontournable. Et je crois bien que c’est prison des villes … ou des champs, c’est sur la prison du dedans et du dehors, la place de la prison géographiquement : ce que ça entraîne qu’elle soit dans la ville ou qu’elle soit dans les champs... Il en parle dans ce livre, ça se recoupe un peu mais l’autre, c’est un livre qu’il a écrit tout seul.

Oui, ils en parlent bien et d’ailleurs on le voit également dans le film ce rapport à la ville. Vous vous positionnez comment sur ce sujet ? Faut-il intégrer la prison ou l’isoler ?

Tu as vu « Une prison dans la ville » ? Bon, je pense qu’on se rend bien compte là …

L’effet de la ville à l’intérieur …

Et l’inverse aussi …

Oui après aussi l’effet sur les gens ...Y a aussi un effet sur les habitants que la prison soit au cœur de la cité. C’est pas anodin : ça veut dire qu’ils gardent leur place … Plus on les éloigne et plus … Comme les asiles d’aliénés qu’on allait mettre en dehors des villes. Ça leur permet de se sentir encore intégrés dans la société. Et puis aussi aux ha68

bitants de pas oublier qu’ils sont là...

Vous pensez que ça a vraiment un rôle sur ça ?

Oh ben moi je pense que oui … Parce que quand on voit pas, si on oublie les choses, on les oublie. Même si on les voit pas, on sait que la prison, elle est là !

Parfois, certains vont regarder que les mauvais côtés : les parloirs sauvages, ça fait du bruit …

Oui après il faut assumer … Oui c’est vrai que ça fait du bruit les parloirs sauvages mais à ce moment là, on peut rétablir la peine de mort et on en parle plus... C’est une histoire de responsabilités aussi … C’est vrai que c’est entre guillemets une nuisance mais comme il peut y avoir d’autres nuisances dans d’autres quartiers. Mais à un moment donné, il y a un endroit où il faut assumer les choses. Je pense que c’est des questions de sensibilité, d’approche … pas que au niveau du bâtiment aussi … la vision qu’on a du bâtiment prison, il vient aussi de la vison qu’on peut avoir de l’institution, ça découle.

D’ailleurs, dans les grands programmes de construction, on les a mis à l’écart des villes mais pas par conviction juste par intérêt économique …

Oui, il y a l’histoire du foncier … Je pense pas qu’on les ait mis à l’écart pour une raison autre . Ou alors à très longs termes, c’est plus... Ça va dans la même démarche qui fait que l’on construit les asiles d’aliénés à l’extérieur aussi pour se débarrasser de la vue qui peut déranger... Ce qui est intéressant, par exemple, à Rennes, c’est que la vieille prison, quand elle a été construite, elle était en dehors de la ville. Là c’est au niveau de l’urbanisme, c’est intéressant : c’est la ville qui s’est rapproché de la prison.

Il y a juste quelques prisons qui sont initialement au cœur de la cité : on a autrefois pris quelques biens du clergé …

Oui c’est ça …pour les prisons qui sont dans d’anciens monastères … mais c’est vrai que les constructions, finalement, à l’époque, se sont faites en dehors de la ville déjà et c’est après que ça a … Mais aujourd’hui, on a l’impression que c’est en centre ville donc on les met encore plus loin puisque la ville est là et que ça gêne, on les met encore plus loin … Et elles seront peut être jamais rattrapées par l’urbanisation ...

Est-ce que vous pensez qu’il y a un intérêt à garder ces anciennes structures en tant que prison plutôt que de les vider et de les abandonner ? Par exemple au Havre, ils ont rasé l’ancienne maison d’arrêt sans aucune notion patrimoniale … C’est impressionnant d’ailleurs ce vide en plein cœur de la cité.

Ah oui c’est vrai ? Parce que c’est récent ?

Oui, l’ouverture du nouveau centre pénitentiaire en 2010 et la démolition de la prison arrive peu de temps après. Et justement, est ce qu’il y a pas un intérêt à garder la petite structure ?

Bah ça veut dire qu’on garde la mémoire … C’est compliqué de trancher hein. Mais en tous cas, est ce qu’il faut garder la mémoire parce que … des gens ont souffert là, un lieu où les gens ont souffert … Pour moi ce serait plus ça.

C’était plutôt par rapport à l’emplacement privilégié dans la cité, le rapport à la ville … On met les nouvelles structures à l’écart de la vile car on a pas le foncier disponible mais là, dans ce cas, on l’aurait déjà. Ce serait l’idée de faire deux petites structures 69

plutôt qu’une immense à l’écart comme on le fait actuellement.

C’était l’idée des derniers … Euh.. En tous cas, il y a eu un moment où il était question de faire des structures plus petites … Mais ça, ça se fait pas.

Je pense que c’est un gros problème aujourd’hui la taille des structures …

Bah oui bien-sur … Après plus c’est gros, plus c’est déshumanisé ! Ça devient un monstre... C’est une ville. Ce que dise aussi les surveillants c’est que plus il y a de monde et plus c’est compartimenté et moins les gens se croisent, et moins il y a de vie sociale...

Et pourtant cette vie sociale est indispensable pour la réinsertion du détenu …

Oui bien-sur …

C’est pour cela que j’évoquais l’idée de conserver ces anciennes structures et d’en construire une en complément mais beaucoup plus raisonnable. Plutôt que raser celle ci pour construire une immense.

L’idée ce serait de rénover alors ? Mais je crois que rénover ça coûte plus cher que de reconstruire, il me semble hein. Il me semble qu’on m’avait dit ça.

Donc on reviendrait juste à une question financière alors ?

Je pense que tout est là oui. Il y a un autre truc qu’il y a dans la construction des nouveaux établissements, c’est que ce sont des constructions en PPP : c’est plus intéressant... Bon ça, c’est un truc que je maîtrise pas bien. En tous cas, je pense que, dans un premier temps, c’est plus intéressant pour l’État mais à termes, c’est un mauvais calcul. Ça revient très très cher. Ce qui fait que les services sont de plus en plus délégués au privé aussi alors que c’est des choses qui appartiennent …Même la surveillance quelques fois …

Ah oui ? C’est aussi privé ?

Bah dans quelques cas, il me semble bien … Ça reste à vérifier mais il me semble que à des endroits, si c’est en projet ou je sais pas, mais que même la surveillance serait déléguée au privé. Ce qui n’est pas forcement une bonne chose.

Par contre, je sais que par exemple au Havre, quand j’avais visité le nouveau centre pénitentiaire, c’était tout le temps très propre … grâce à la gestion privée. C’est lavé régulièrement …

Oui mais après la vraie question est là : est-ce qu’on se satisfait que ce soit propre et que ce sente la javel ? Ou la vie … Comment la vie se développe sur un terrain comme ça ? C’est toute la question entre les vieilles et les nouvelles …

On voit d’ailleurs dans Le Déménagement que les détenus ont du mal à s’approprier la nouvelle cellule.

Bah se l’approprier et puis surtout ce qu’il y a au delà de la cellule... la circulation ne se fait plus de la même façon. La cellule en elle même, elle a les caillebotis … C’est quand même pas rien.

On le voit clairement dans le film : entre Jacques Cartier et la nouvelle, ils ne se déplacent pas pareil, ça change tout. Par contre, j’ai vu dans « La prison dans la ville » 70

qu’il y avait quand même des grillages aux fenêtres mais pas des caillebotis.

Oui il y a des grillages fins c’est vrai que je pense qu’à Jacques Cartier, avec les mecs qui passaient leur mains par la fenêtre, ça allait pas rester comme ça longtemps …

Je pense qu’aujourd’hui, même dans des établissements anciens, il doit y avoir des grillages aux fenêtres. Après ça dépend de l’établissement, du quartier … Voilà.

Ces grillages sont là pour uniquement éviter les yoyos ? Ou y a-t-il un autre intérêt ?

Alors il y a ça … Mais aussi je pense qu’au premier besoin auquel ça répond c’est que les gens ne jettent pas de la bouffe dans les cours et après y a des rats. C’est vrai que dans le film, on voit la personne qui balaye la cour mais en fait, il balaye la cour alors qu’il venait de le faire : on est arrivé trop tard donc … bref. Il l’a refait exprès pour le film sinon c’est puissance 10 ce qu’il ramasse. Et tous les jours. Donc le premier objectif des grillages, c’est ça et le deuxième c’est pour empêcher les yoyos.

Ils se punissent eux même pour le coup...

Oui, ils se punissent eux même mais pourquoi on jette des trucs dans la cour quand on est en prison ? Parce qu’on est mal … Je travaillais dans un foyer pour travailleurs migrants dans le 15e, et y avait une petite cour intérieur avec un arbre au milieu, c’était une poubelle ! Parce que quand les gens vivent sous contrainte, dans des endroits où ils se sentent pas bien … Voilà... On peut pas demander aux gens de prendre soin de leur environnement quand ils sont dans un lieu où ils sont contraints. Il y a un truc psychologique qui fait qu’on peut pas demander ça aux gens … Les choses sont très compliquées. C’est avant tout un mal-être. Je sais plus dans quelle prison, on m’avait dit qu’on leur donnait des sacs poubelles pour lutter contre ce truc de balancer par la fenêtre : on leur donne des sacs poubelles, c’est relevé tous les jours mais ils balancent quand même par la fenêtre ! Donc c’est pas qu’ils n’ont pas de poubelle mais c’est bien qu’il y a un signe … c’est la manifestation de quelque chose. Et plus on vit dans une poubelle, moins on l’aime. Et en même temps c’est normal de pas aimer l’endroit où on est en prison … sauf rares exceptions.

Au début, je pensais que c’était seulement pour éviter les yoyos et dans le film, on se rend bien compte que ça ne marche même pas, qu’ils trouvent toujours un moyen …

Moi, je me rappelle à Cherbourg, la première fois que j’avais visité … J’y étais allé une première fois avant pour voir comment ça se passait, en prévisions du tournage et en fait, c’est le directeur qui m’avait fait la visite. Je crois bien qu’à l’époque, il n’y avait pas de grillages sur les fenêtres mais très peu de temps après, dans les semaines qui ont suivi, il y eu un incident à Cherbourg et ils ont mis ces grillages là. Après le directeur m’avait dit « Oui c’est parce qu’il y avait trop de saloperies dans la cour, c’était une poubelle l’enceinte » Et puis aussi parce qu’ils se passaient des trucs.

Dans ces nouvelles structures, il y a une amélioration des conditions de détention : notamment, l’arrivée de la douche dans chaque cellule … Est ce que c’est une bonne ou une mauvaise évolution ?

Je pense que c’est une évolution naturelle, c’est juste un truc minimum. Les prisons sans douche, elles ont été construites à l’époque où dans les habitations, il n’y avait pas de salle de bain. Ça a été construit à l’image... Mettre une salle de bain, une douche dans la cellule, c’est juste se remettre au niveau du minimum vital qu’on donne à l’extérieur. Donc c’est pas une amélioration, c’est juste un truc normal.

Je demandais cela justement parce qu’il y a un paradoxe : d’un point de vue de l’hygiène et du confort, c’est indiscutable mais cette évolution entraîne un vrai isolement 71

pour les détenus... Ils ne sortent plus.

Donc on vend finalement l’eau chaude et la douche en cellule mais ça permet de vendre un truc plus sécurisé ! C’est une espèce de donnant-donnant.

Dans le film, un détenu en parle très bien en disant qu’ils peuvent se passer du confort mais pas du contact.

Mais oui, ils sont pas dupes : ils voient très bien qu’on leur vend de l’eau chaude et une douche pour en contrepartie un milieu beaucoup plus fermé et beaucoup plus isolant. Mais c’est une bonne chose du coté où c’est normal. C’est comme les écrans plats : les gens sont hallucinés qu’ils aient des écrans plats mais il y a même plus moyen d’acheter une télé qui ne soit pas un écran plat aujourd’hui … donc qu’est ce qu’on va leur mettre ?

Certains parlent de prisons quatre étoiles …

Alors ça c’est depuis toujours ! Justement quand j’écrivais le dossier pour Le Déménagement, on s’en rend vite compte : même Fleury-Mérogis était considéré comme une prison quatre étoiles. Juste parce qu’on met à niveau avec la vie extérieure... Enfin, on met à niveau … c’est même pas mettre à niveau, c’est juste qu’on pâlit à des trucs qui sont justes énormes : ne pas avoir d’eau chaude, c’est pas possible, ne pas avoir de douche non plus. Et c’est comme ça qu’il va bien falloir trouver une solution pour internet, pour le téléphone c’est déjà en train de se trouver. Il faut bien suivre l’évolution de la société sinon on maintient les gens dans un état de … Voilà. On les rabaisse à un niveau même plus de celui du citoyen. Ça reste des citoyens ces gens.

Et puis plus on est mal traiter à l’intérieur, et plus on développe une haine à l’extérieur et c’est un engrenage. Mais même avec de l’eau chaude ou avec ce que l’on veut, ce ne sera jamais un endroit vivable alors qu’on n’en rajoute pas. Ça permet de faire évoluer les choses.

Mais alors comment contrer cet isolement qu’ils vivent au quotidien ?

Pour le coup, l’architecture y est pour beaucoup … Elle isole encore plus les détenus.

Dans quels dispositifs ça les isole plus que les anciennes prisons ?

A Jacques Cartier, je sais pas si dans le film on s’en rend bien compte mais dans cette grande nef, avec les trois étages, oui on s’en rend compte. Les surveillants nous disaient « Nous le matin, on arrivait à Jacques Cartier, on arrivait en bas et on disait bonjour : tout le monde nous voyait arriver et celui qui était au troisième au bout, voyait celui arriver en bas » Ça veut dire qu’on a un peu une vue d’ensemble de ce qu’il se passe dans l’ensemble de la prison. Et pour les détenus c’est pareil. Et évidemment d’un point de vue sécurité, c’est compliqué aussi.

Pendant les différentes visites, j’avais compris que ces coursives étaient regrettées par les surveillants mais c’est intéressant de voir que c’est pareil du coté des détenus.

Oui c’est vraiment parce que ça créait une espèce de visibilité … Y a des surveillants qui m’expliquaient à Vezin qu’ils ont quelques fois super peur : y a un escalier qu’on ne voit pas dans le film d’ailleurs je pense, non j’ai pas tourné dans les escaliers. Mais c’était sur trois étages … Nan plus que ça, donc y a un escalier qui dessert tous les étages avec des portes bloquées à chaque fois, ça veut dire qu’à chaque fois on appuie et y a le surveillant au PIC qui regarde sur ses écrans qui est ce qui appelle, « OK, j’ouvre » mais ça prend du temps ça. Et il y a déjà ds surveillants qui se sont fait tabassés parce qu’ils se trouvaient à un endroit où la caméra avait un angle mort ou 72

le temps qu’ils appuient sur leur bazar pour qu’on vienne les secourir … Et le mec qui va venir le secourir, le temps qu’il passe toutes les grilles, toutes les portes, le temps qu’il attende qu’on lui ouvre, ben voilà. Y a vraiment des fois des gens qui ne se sentent pas en sécurité à cause de ça.

C’est vraiment du coté des surveillants mais aussi des détenus que cet espace est vécu.

Oui tout a fait, c’est clair que les surveillants, la plupart, ça leur convient pas du tout.

Ils ont perdu des choses … Une relation aux autres, une relation aussi je pense aux détenus parce que se retrouver tout seul dans les escaliers avec un mec... Moi quand on m’ouvrait la porte au RDC, et que je devais monter à je sais plus quel étage si le tournage se passait là-bas : c’est déjà arrivé que je le fasse toute seule, bon ben là « Qu’est ce que je vais trouver en haut de l’escalier ? J’espère qu’ils vont pas trop traîner à la porte. ». A priori, il n’y a pas de soucis mais bon, on se pose la question : moi, je suis un peu claustro et quand je suis derrière une porte, j’aimerais bien qu’on m’ouvre vite.

Avant les surveillants avaient réellement une liberté de mouvement avec leur clé qu’ils n’ont plus maintenant.

Oui, ils sont dépendants du type qui est central et qui gère pleins de caméras, qui a pleins de trucs à gérer en même temps. Après c’était au début, peut être que ça existe plus, mais il y avait des problèmes de sas : il avait beau ouvrir mais si y a une porte là bas qui est ouverte aussi, c’est pas possible, il faut d’abord que celle là soit fermée... C’est un peu délicat. C’était peut être des dysfonctionnements, je sais pas.

Au final, vous avez connu Rennes-Vezin vraiment au tout début ?

Oui c’était en Juin le tournage et ils ont déménagé en Mars. Pour les détenus aussi c’est un problème de sécurité, y a des gens qui se font casser la gueule dans l’escalier et le temps que quelqu’un intervienne, c’est bon.

Mais c’est un paradoxe avec toutes ces caméras, ces grilles, ces sas...

Mais oui c’est ça, c’est paradoxal toute cette sécurité.

Cette obsession sécuritaire n’a pas forcement a avoir lieu finalement ?

Cette obsession sécuritaire a été faite pour un fait précis qui potentiellement pourra venir là enfin … Tout est fait au maximum pour le gros cas qui va peut être passer par cette prison. Le cran est mis au max. Mais la plupart, la majorité des détenus qui sont incarcérés ne nécessitent pas tout ce développement de sécurité. Mais comme ça existe et que ça fonctionne, ils vivent avec. Ça veut dire qu’on met au même niveau, en fait, des gens qui ne le sont pas du tout.

Ils ne font aucune différence entre maison-d’arrêt, centre de détention ou maison centrale …

Alors à Vezin, le problème de Vezin, et ça doit être le problème de tous les centres pénitentiaires : les gens du centre de détention à Vezin se plaignaient qu’ils avaient quasiment les mêmes conditions que la maison-d’arrêt parce que l’architecture est faite d’une telle façon que finalement l’architecture du centre de détention n’est pas tellement différent de celle de la maison d’arrêt. Le régime « portes ouvertes » fonctionne dans des horaires beaucoup plus serrées et puis ils disaient « Oui à Nantes, on avait un terrain de boules, ici on peut pas ! » Bon, une boule à Nantes et à Rennes 73

est une arme pareille. Et puis des histoires de choses qu’ils avaient en maison d’arrêt et qu’ils n’ont pas à Vezin parce que c’est un centre pénitentiaire : ce sont pas les mêmes bâtiments, pourtant c’est séparé...

Et puis pour un centre pénitentiaire, il n’y a qu’une seule infirmerie, qu’un seul pôle culturel … Ça limite au niveau de la gestion des flux.

C’est pareil, là, y a aussi une gestion des flux qui est particulière à ces gros établissements … Alors c’est plutôt la démultiplication des unités : par exemple, il y a des bibliothèques dans chaque bâtiment. C’est des petites bibliothèques qui du coup ont moins de propositions, moins d’offres, et les gens ont moins de déplacements à faire.

Parce que si dans chaque bâtiment, il y a une bibliothèque, ils n’ont pas à se déplacer pour y aller. Ça devient un truc plus petit. Je pense que c’est ça... Ça c’est à vérifier aussi … En tous cas, un des effets du gigantisme, c’est que y a pleins de petites unités où les gens vont facilement sans se déplacer mais ils se rencontrent jamais.

Je me rappelle du Havre, pour l’infirmerie, il n’y en avait qu’une seule et c’était juste ingérable parce qu’ils ne pouvaient pas faire venir quelqu’un de la maison d’arrêt en même temps que quelqu’un du centre de détention …

Poussé au bout, ça fait pleins de petites unités où les gens … Déjà il y a moins de bouquins, de propositions. Les salles pour l’école c’est pareil je crois … Alors il y avait un centre scolaire mais je sais qu’il y avait aussi cette démultiplication des salles.

C’est soit l’un, soit l’autre … Une seule grande infirmerie qui ne marche pas parce qu’il y a trop de monde ou alors cette démultiplication des salles.

C’est vrai qu’à 400 détenus... Non c’est plus que ça : c’est 700 à Vezin. Il faut gérer …

Justement, quand on passe d’une structure où il y a 100-150 détenus à 700 détenus, est ce que ça peut marcher ?

On récupère les détenus de l’ancienne et après y a des gens qui viennent de partout...

Mais on peut pas faire le même travail... Alors qu’il y a un vrai travail à faire sur eux de l’ordre psychologique...

Ah oui ça c’est sur, c’est sur Au Havre, la dame qui était responsable du pôle culturel, vivait très mal la nouvelle structure : lorsqu’elle l’a visitée pour la première fois, elle a pleuré. Elle disait qu’elle n’aimait pas du tout cette structure parce qu’ils faisaient pas du tout le même travail : elle disait qu’elle faisait ici un travail de quantité alors qu’avant c’était plus un travail de qualité où on était à proximité des détenus … C’est paradoxal.

Oui c’est compliqué …

Je ne sais pas comment ça se passe pour les grandes structures mais anciennes comme Fleury-Mérogis ou les Baumettes ?

Les Baumettes c’est uniquement Maison d’arrêt et Fleury c’est que maison d’arrêt aussi je crois.

Et ça y change beaucoup … Il n’y a pas ce problème de gestion des flux avec un quartier mineur, un quartier femme …

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Ça dépend de l’espace en fait parce que si c’est déjà compartimenté, les gens circulent à l’intérieur de leur espace. A Vezin, quelqu’un qui est en maison d’arrêt ne peut pas croiser quelqu’un qui est en centre de détention puisque c’est deux espaces différents.

Il y a des lieux communs tout de même …

Oui, il y a le gymnase, le terrain de sport mais tout ça … il y a un emploi du temps qui fait que les gens ne se croisent pas.

Il y a pas vraiment de prison idéale au final …

Eh non je pense pas. Il faut voir du côté des prisons ouvertes : Casabianda … Il y a un film qui doit être terminé là sur Casabianda. Je ne sais pas qui est le réalisateur mais je sais que ça a été soutenu par le Secours Catholique. Il y a peut être moyen de retrouver par eux, de les appeler carrément si tu trouves pas et que ça t’intéresse. C’est la mission prison du Secours Catholique.

Pour vous, quelle place a l’architecture dans une prison ? C’est forcement très contraint par les normes de sécurité …

Bah oui, c’était un peu le point de départ du Déménagement, c’était vraiment sur la question du projet. Moi j’avais vu que des prisons anciennes et j’avais entendu parler des prisons nouvelles tellement .. « Oui c’est inhumain »... Donc le film c’était un peu poser cette question.

La prochaine prison qui va ouvrir sera celle d’Aix-Luynes et ils vont laisser plus de place à l’architecture avec des espaces paysagers, qui forcement seront fermés, mais il y aura des arbres, des plantes.

Je pense que c’est ce qui devait se faire à Vezin mais qui a un peu été abandonné.

Je sais pas pourquoi. Je pense que c’est une question financière. Bien-sur que l’architecture est … Le dernier film que j’ai fait, que j’ai tourné à la prison d’Épinal : c’est une petite maison d’arrêt des années 1980 peut être ? Et à l’intérieur, c’était super étonnant d’ailleurs, on rentrait dans un immense hall avec des plantes, la machine à café ...enfin bon pas pour les détenus la machine à café. Et dans cet espace là, y avait tout le pôle scolaire avec des murs vitrés : très très ouverts, au bout l’escalier... Ah et les salles de cours de l’autre coté du hall. Donc les détenus descendaient par un escalier quand ils venaient à l’école : on leur ouvrait ce grand espace là et on venait voir le prof au groupe scolaire quand on avait une question. Plutôt pas mal conçu de ce que moi j’en ai vu, je suis pas allée dans les niveaux. A Épinal … En tous cas, ils y avait un espèce truc là où les gens se croisaient, les surveillants, les profs, les responsables scolaires... Au bout, il y avait les parloirs avocats. Donc voilà, un espace de circulation.

Et depuis que j’y suis allée, le directeur a pété les plombs et il a fait mettre des grilles partout ; cet escalier qui montait je sais pas où, là, il est fermé ;des nouveaux murs, des nouvelles grilles … L’architecture elle est au départ comme elle est, elle peut être pensée d’une façon un peu intéressante et puis on vient monter des murs et mettre des grilles.

J’avais vu une agence d’architecture qui construisait des prisons et qui refusait d’en reconstruire parce que le cahier des charges … C’est Valode&Pistre, ils ont fait la prison de Roanne et dès l’inauguration, le GIGN avait prouvé que leur murs étaient suffisamment hauts et infranchissables mais l’administration pénitentiaire a imposé qu’il y ait des barbelés au dessus.

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Tu vois l’architecte de Mauzac ? C’est pas un prison ouverte mais c’est fait d’une façon un peu … pensée de façon intelligente avec, si j’ai bien compris, des pavillons …

Un truc un peu réfléchi ! C’est un mec qui intervient beaucoup, qui est très ouvert, on peut discuter avec lui. C’est quelqu’un d’intéressant. Il disait qu’il avait jamais refait autre chose : enfin, qu’il y en a jamais eu d’autres. Il y a eu Mauzac et rien eu d’autre.

C’est ça qui est surprenant : c’est qu’on fait aucune différence architecturalement parlant entre les différentes structures pénitentiaires, maison d’arrêt, centre de détention, maison centrale …

Oui voilà et puis il suffit d’ouvrir les portes un peu plus et on dit que voilà …

Alors que c’est pas du tout le même type de détenus dedans … c’est un peu dommage...

Oui ! Oui, dommage … c’est un euphémisme.

Pour une maison centrale, par exemple, je comprendrais qu’il y ai un accent sur la sécurité.

Ouais, ouais …

Et sur ces questions là, il y a sûrement un enjeu sur la réhabilitation.

La question de la réhabilitation , c’est vraiment une question où j’ai pas vraiment d’avis là-dessus. Je sais qu’aux dernières nouvelles, à Rennes, il était question que ça reste le centre de semi-liberté mais ça a été un tolet : dans le voisinage, il en voulait plus. Ils voulaient plus que ce soit l’Administration Pénitentiaire. Pour l’instant, ces vieilles prisons, elles servent de lieu de tournage : comme ça, ça fait un petit revenu à l’Administration... un bon revenu même. Et puis c’est un lieu d’entraînement pour les ERIS. A Lille, je crois qu’elle est complètement... Ah oui, à Loos, je crois que c’est vraiment terrain vague là, on peut y rentrer. Et en même temps, quoi faire d’intelligent dans ces lieux là ?

Comme à la prison de la Santé qu’ils sont en train de réhabiliter : c’est peut être prendre un parti pris en les rénovant vraiment et pas juste un coup de peinture...

Mais pour y faire quoi dedans ? Je sais pas si ça va redevenir une prison...

Ah si, à la prison de la Santé, oui ! Ils disaient qu’il y avait un intérêt géographique.

Tandis que sur les autres villes...

Mais c’est vrai aussi que le fait que les prisons soient loin, ça influe sur le fait que les gens s’y rendent moins... Les avocats, les magistrats, les familles n’en parlons pas …

Effectivement, c’est contraignant pour tout le monde. Ces nouvelles prisons, ça fait beaucoup de points négatifs c’est sur …

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MAISON D’ARRÊT D’AUXERRE (89)

« Je préfère largement travailler dans une petite structure comme celle d’Auxerre »

LUNDI 23 NOVEMBRE 2015, 14H30, MAISON D’ARRÊT D’AUXERRE, 13 AVENUE CHARLES DE GAULLE Me voilà avec deux femmes en train d’attendre devant la porte principale de la maison d’arrêt : l’une, avec un grand sac, me laisse penser qu’il s’agit d’une employée ; la seconde tient dans sa main une carte d’identité... Ici, il faut montrer patte blanche.

La porte s’ouvre : il y apparaît un homme, muni d’un gilet pare-balles, qui tend un papier à la seconde femme ; La première lui fait la bise et rentre dans l’enceinte de la prison. Après une courte explication de ma présence, tout en lui présentant ma carte d’identité, l’homme me fit entrer. Me voilà de l’autre côté des concertinas du « petit château » comme on la surnomme.

Après avoir traversé la cour d’honneur, nous rentrons dans un premier bâtiment : une surveillante vérifia mon identité puis, après cinq minutes, me demanda de déposer tous ce que j’avais dans les poches dans un casier (en ne gardant uniquement carnet et crayon) puis m’invita à rentrer dans une pièce.

LE BUREAU DU CHEF D’ÉTABLISSEMENT Me voilà dans le bureau du commandant et chef d’établissement, Pierre PEPE, avec deux officiers à ses côtés : le commandant adjoint et un lieutenant. De natures très ouvertes et serviables, les trois hommes ont échangé avec moi pendant une vingtaine de minutes : je leur ai présenté mon sujet, mes orientations … Ils m’ont présenté leur point de vue sur la politique carcérale en France, la surpopulation, les douches collectives, les grands programmes de construction, leur inefficacité.. etc. Au cours de la discussion, un quatrième homme nous a rejoint : il s’agit de Cédric LABIGNE, 1er surveillant et chef d’équipe, huit années passées au sein des murs (Juillet 2005 – 2012 et chef de détention depuis Novembre 2014 après 2 ans à la prison de Fresnes) : il sera mon guide pour toute la visite.

LA COUR D’HONNEUR On commence par faire demi-tour pour retourner dans la cour d’honneur. Un premier bâtiment, face à la rue, est un lieu réservé aux surveillants : on y trouve un vestiaire homme, un vestiaire femme, une cuisine, une salle de repos avec un lit (les surveillants sont quatre la nuit dont un qui se repose) et une salle de repas. En face de ce dernier, on retrouve le quartier de semi-liberté accolé au bâtiment administratif, visité en premier, avec plusieurs bureaux dont celui du chef d’établissement.

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Premier point de sécurité : nous devons attendre quelques minutes avant de pouvoir rerentrer dans le bâtiment administratif car la porte principale de la prison est ouverte : par effet de sas, les deux portes ne doivent jamais être ouvertes en même temps. Après un passage sous un portique (ceinture retirée, manteau fouillé), nous accédons à un couloir donnant accès au chemin de ronde : la surveillante lance un appel au mirador avec son talkie-walkie prévenant que « le chef de détention et une personne extérieure entrent dans le chemin de ronde » avant de nous ouvrir la porte.

LE CHEMIN DE RONDE Nous voici dans le chemin de ronde, lieu de surveillance et d’écoute : mon guide parle plus doucement... Nous déambulons dans un chemin délimité par deux grandes barrières infranchissables surmontées de concertinas : d’une part, l’enceinte extérieure de la maison d’arrêt ; de l’autre, tantôt un haut grillage, tantôt un second mur … J’entends des cris, je croise des regards à travers les barreaux du bâtiment … Nous avons une vue plongeante sur les pièces au sous-sol (semi-enterré) : la salle de muscu, la cuisine... Un point noir est fixé sur le mur de la prison à l’opposé du mirador : M.LABIGNE m’explique que lorsque le mirador, seul poste armé, ne voit plus le point par mauvais temps : il lance le plan anti-brouillard qui permet de déployer des rondes de surveillants armés le long de l’enceinte. Nous continuons notre chemin tout tracé … Nous croisons un homme, ramassant les feuilles, accompagné d’une surveillante … probablement un détenu... Nous passons devant les cours de promenade où tous les détenus d’un étage se regroupent deux fois par jour pendant 1H15 (ETAGE 1 : 8h30-9h45 / 14h – 15h15 et ETAGE 2 : 10h – 11h15 / 15h30 – 16h45). Sur le chemin, nous passons à côté d’un rat mort « ça fait parti des visiteurs qu’on a parfois ... ». Une cour de promenade à l’arrière du bâtiment se trouve en friche : ce seront les seuls brins d’herbes que j’aurais eu la chance de croiser dans la prison … une chance non partagée avec les détenus. Arrivé à la fin de notre ronde, un système avec une petite poignet de porte permet de taper en résonance pour prévenir la surveillante qu’il faut nous ouvrir. Nous voilà retournés dans le couloir de départ.

Avant d’arriver au sas pour entrer en zone de détention, nous croisons deux portes : le parloir avocat et le parloir famille … Ces deux espaces font la transition entre le dernier espace extérieur (familles, avocats) et la zone de détention (détenus). La dernière porte s’ouvre, nous arrivons directement au cœur de la prison.

CROQUIS IN SITU

L’INFIRMERIE Nous sommes restés de l’autre côté de la grille, l’infirmerie occupe toute la partie droite de l’aile B : elle est gardée en permanence par un surveillant qui me demanda ironiquement si je voulais dormir ou planer … et que tout était possible.

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Après avoir demandé l’ouverture de la porte de l’aile A au RDC, nous accédons au quartier d’isolement : Un détenu fait le ménage juste à côté de moi. Le surveillant décrocha un gros trousseau de clés, relié à son pantalon par un cordon de sécurité, et m’ouvrit une cellule.

LA CELLULE Il s’agit d’une cellule du quartier d’isolement, avec des personnes en bonne conduite et isolée : on retrouve donc ici un seul lit … Il faut imaginer les mêmes 9m² avec des lits superposés pour toutes les autres cellules : Exceptions pour le QI et le QD, on vit à deux dans ces 9m²... Parfois 3. La cellule est encore pleines d’affaires : le détenu est parti ce matin en quartier disciplinaire. Les toilettes sont isolées par une cabine mais la porte est cassée … La plupart des portes de cabines sont cassées d’après le surveillant. On retrouve un petit lavabo, une télé accrochée au mur, une corbeille, une table, une chaise, le lit et une armoire. La fenêtre, relativement petite, se trouve en hauteur avec des barreaux.

Pendant que nous discutons, un détenu dans une cellule plus loin appelle le surveillant … Les murs ne sont pas isolés. Un autre détenu réclame du tabac au quartier disciplinaire, il s’énerve, crie et frappe contre la porte...

Après ce passage, nous passons plusieurs portes de sécurité pour descendre au soussol … Nous croisons plusieurs détenus qui partent en promenade.

CROQUIS IN SITU

LE SOUS-SOL La configuration reste la même qu’aux autres niveaux : L’espace central distributif avec la rotonde qui comprend le bureau de la personne s’occupant de la gestion des cantines. Une composition toujours tripartite avec l’aile A pour les cuisines, l’aile B pour les ateliers et l’aile C pour la salle de sport. Je comprend mieux la présence d’un portique détecteur de métaux : on sort pas de la cuisine comme ça...

LES CUISINES M.Labigne crie à la grille pour demander l’ouverture : « Cuisine !!! » … Un homme répondit... Après une courte présentation, le responsable de la cuisine me fit visiter ses locaux ... Les cuisines sont très propres et bien entretenues : j’apprends qu’elles ont été rénovée très récemment … « On a ouvert ici le 31 Décembre 2013 ». On me décrit un état de vétusté très avancé dans les cuisines avant qu’on ne les refasse.

La visite se termine … M.LABIGNE me raccompagne en se livrant un peu plus personnellement : il s’est habitué à vivre dans ce lieu particulier, il n’y fait plus attention … « Il faut savoir que c’est un monde où l’on retrouve de la violence, du sang... ».

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La visite est terminée, je passe les différents sas de sécurité pour accéder à la porte principale : de l’autre côté du mur, je peux faire le bilan sur un après-midi en prison.

L’architecture des lieux est remarquable : les miradors, les hauts murs, les concertinas... identifient la prison en tant que telle. J’ai trouvé cette maison d’arrêt très agréable par ses espaces intérieurs : la lumière diffuse parvient à éclairer l’ensemble des distributions ; la pierre caverneuse des murs rendent la prison thermiquement agréable ; les éléments remarquables et exceptionnels tels que la rotonde, le parquet au sol les plafonds voûtés, la verrière font le charme du lieu. Bien que ce ne fut pas réellement flagrant lors de ma visite, la prison porte des marques de vétusté courantes dans les prisons du XIXe des centres-villes : infiltrations générant une humidité importante, peintures et plâtres des murs et des plafonds écaillés avec des tâches de moisissure, fenêtres et huisseries non étanches … etc.

Certaines choses paraissent évidentes mais sont forcement impressionnantes lorsqu’on les voit : toutes les portes sont fermées à clés, tous les mouvements sont contrôlés par des procédures bien définies : effet de sas, appel au mirador, plan anti-brouillard … etc

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CENTRE DE DÉTENTION DE JOUX-LA-VILLE (89)

« Une prison ne tient que parce que les détenus le veulent bien »

LUNDI 21 DÉCEMBRE 2015, 09H00, CENTRE DE DÉTENTION DE JOUX-LA-VILLE, POSTE AUX ALOUETTES

L’ENTRETIEN ISABELLE MARCO Fille de directeur de prison, elle a grandi dans le milieu pénitentiaire : elle a habité au sein même de la maison d’arrêt d’Avignon. Elle est aujourd’hui formatrice du personnel au centre de détention de Joux-la-Ville où elle a commencé en tant que simple surveillante il y a 23ans. Rattachée à la direction interrégionale de Dijon, elle gère la formation sur les structures d’Auxerre, de Joux-la-Ville et de Nevers. Son rôle est d’évaluer les surveillants stagiaires lors de leurs stages de découvertes ou de mises en situation. Elle assure l’organisation de la formation continue auprès des surveillants titulaires (Formation TIR, MTI, ARI…). Elle assure également des formations elle-même comme la préparation au concours, aux écrits … etc.

UN ECHANGE Le Rendez-vous est donné dans le bureau d’Isabelle MARCO dans le bâtiment du Mess personnel en face de l’entrée principale. Elle m’invite à m’installer autour du bureau pour discuter pendant une vingtaine de minutes durant lesquelles nous allons parler de nombreuses choses qui m’ont éclairées sur le sujet : « Une prison ne tient que parce que les détenus le veulent bien ». Isabelle MARCO m’explique qu’il vaut mieux mettre son énergie pour assurer un bon climat dans la prison plutôt que d’être dans une obsession sécuritaire : le centre de détention n’est pas une maison centrale.

La politique socialiste actuelle favorise, selon elle, les peines alternatives : les TIG, le sursis, ou le bracelet électronique. En ayant toujours vécu dans ce milieu, Isabelle Marco a compris que la prison est une solution pour personne : « Les détenus y sortent bien souvent plus détruits qu’ils n’y sont entrés ».

Le centre de détention s’est construit, au début du programme 13000, en 1990. On retrouve 600 places effectives réparties en 4 bâtiments : 3 pour les hommes et 1 pour 81

les femmes. A l’origine du projet, le bâtiment femme devait être une maison centrale et devait donc être totalement autonome du reste de la structure mais la politique a changé et devenant un centre de détention, elle a été rattaché à « la rue » où on retrouve les différents services. Ainsi, on retrouve des jours de la semaine « rue hommes » ou des jours « rue femme » pour organiser le centre de détention et scinder les mouvements.

Mais Isabelle MARCO m’expliqua que ces mesures n’empêchent pas les rencontres : les jours « rue femmes », les détenues vont dans le coin du terrain de sport et parlent aux détenus homme : un échange de numéro d’écrou pour débuter une correspondance et tout va très vite jusqu’au mariage pour obtenir des parloirs. En prison, tout le processus de séduction et d’attente n’existe pas : « on s’aime au premier regard et on se marie au deuxième ». Ce phénomène est, selon elle, un vrai fléau : une femme qui se fait incarcérer parce qu’elle a tué son ancien mari qui la violait et qui la battait a une forte probabilité d’obtenir une bonne réinsertion ; mais en débutant une telle relation, elle replonge dans une mauvaise fréquentation. « On essaye de la mettre en garde, de lui dire pourquoi ils est là, que quand il sortira, il la mettra au tapin, qu’il la battra… Mais elles répondent toutes qu’ils ont changé… ». Elle m’explique qu’il s’agit d’un vrai problème d’organisation de la prison : un problème initial déjà, sur le plan, les femmes n’ont pas à se retrouver aussi près du quartier des hommes. Mais c’est également un problème d’organisation interne : un pare-vue a été déployé le long du terrain de sport mais s’arrête au niveau du quartier des hommes : pourquoi ne pas le prolonger ?

Le centre de détention est en gestion déléguée avec l’entreprise SODEXO qui gère tous les services à la personne et à l’immeuble (restauration, blanchisserie, cantines, espaces verts…) sauf la Direction, la Surveillance et le service du Greffe. Cette gestion déléguée apporte un confort supplémentaire pour le centre : c’est propre, organisé…

En effet, SODEXO a une obligation de résultat immédiat : selon le contrat, une serrure de sécurité défaillante doit être changée dans l’heure par exemple. Si les délais du contrat ne sont pas respectés, Sodexo obtient une pénalité pécuniaire. L’attaché d’administration a pour rôle de superviser le budget.

Isabelle MARCO m’expliqua que les détenus peuvent se séparer grossièrement en deux catégories : les AICS (Auteur d’Infraction à Caractère Sexuelle) et les « Wesh ». Un vrai problème de fond existe sur ces deux catégories : les AICS sont des détenus modèles, ils sont polis, calmes, ordonnés … Les Wesh sont tout le contraire : ils impliquent beaucoup d’énergie de la part des équipes pénitentiaires pour gérer la dangerosité CARCERALE qu’ils présentent … Mais en réalité, ce sont les AICS qui présentent une vraie dangerosité SOCIETALE … Le Wesh trafiquera de la drogue ou volera quelque chose. L’AICS, lui, violera et tuera et pas toujours dans cet ordre-là. Les équipes pénitentiaires doivent donc être très vigilantes sur des personnes qui ne présentent aucune dangerosité apparente. Elles savent où fouiller selon la catégorie du détenu : un Wesh, on cherche un portable, de la drogue, de l’alcool … Pour un AICS, « ce ne sera que du papier » : ils écrivent noms, adresses et numéros à la loupe, illisibles à l’œil nu sur des carnets entiers…ou ils cachent des photos d’enfants. En détention, ils ont tout leur temps pour organiser leur réseau. « C’est le loup qui dort ».

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CROQUIS IN SITU : PLAN SCHEMATIQUE DE L’ORGANISATION DES QUARTIERS

LA VISITE L’habitude ? Je ne sais pas mais je prends les devants pour troquer ma carte d’identité contre un badge de visite : de même pour retirer ceinture et montre pour passer le portique. Me voilà dans l’enceinte du bâtiment.

LE POSTE DE CONTROLE A l’entrée, le premier poste de contrôle joue un double rôle : le contrôle des entrées de véhicules et de personnes mais aussi la gestion des clés. A Joux-la-Ville, les clés ne se trouvent pas au PCI comme dans d’autres établissements. Un surveillant en gilet pare-balle est le pion mobile du poste de contrôle : il ouvre le sas d’entrée, contrôle les véhicules … etc.

Nous empruntons un passage sous-terrain pour remonter dans la cour d’honneur qui, comme dans tout autre établissement, donne l’accès au chemin de ronde et au bâtiment administratif.

LE CHEMIN DE RONDE ET LE V.I. Particularité à Joux-la-Ville, il n’y a aucun mirador : le mirador est en réalité ambulant.

Un poste sécurisé se trouve dans la cour d’honneur. Deux hommes nous ouvrent la porte et nous accueillent dans leur bureau : je remarque qu’un d’eux a une cartouchière sur lui. Je visualise rapidement la pièce qui se compose d’un espace toilettes 83

et d’une pièce de vie : deux gros fauteuils en cuir font face à une télé où défilent les vidéos de surveillance. On retrouve un espace cuisine avec au-dessus une seconde télé pour le divertissement. Je remarque que deux fusils à pompe sont accrochés au mur, prêts à intervenir. Les deux hommes m’ouvrirent la seconde porte qui donne accès au chemin de ronde : le VI (Véhicule d’Intervention) est stationné, prêt à partir en ronde : c’est un mirador mobile. En cas de plan anti-brouillard, un second véhicule armé tourne dans le chemin de ronde également.

LE BATIMENT ADMINISTRATIF Un premier poste en rentrant est réservé au vaguemestre qui distribue et contrôle le courrier : certaines lettres sont lues en diagonale, d’autres, pour les détenus signalés, sont scrutés attentivement. Certains courriers officiels ne peuvent être ouverts (grandes institutions, OIP…) Une salle est réservée aux CAP (Commission Application des Peines) où le JAP (Juge d’application des peines) décide des aménagements de peine, des permissions de sorties, des RPS… On organise également dans ces locaux les débats contradictoires avec également 1 JAP et un procureur pour les détenus ayant une peine entre 2 et 10 ans sinon pour les peines au-delà, on organise des TAP (Tribunaux Application des Peines) avec 3 JAP et un procureur. La régie des comptes nominative s’occupe de gérer les comptes des détenus pour cantiner, téléphoner, épargner sur un pécule libération, obtenir de l’argent pour les permissions de sortie…etc. La régie gère aussi les objets de valeurs des détenus (argent, bijoux…etc). Le service du greffe s’occupe de la relation entre le détenu et la juridiction : l’application des peines … etc. Au fur et à mesure des visites, je commence à comprendre les abrévations et le vocabulaire spécifique du milieu.

LE PROCESSUS D’INCARCERATION Directement attaché au greffe, on retrouve un sas pour l’acheminement des arrivants avec quelques cellules d’attente. On enregistre nom, prénom et biométrie de la main ; on vérifie l’objet de l’incarcération et le détenu passe alors sous la responsabilité de l’Administration Pénitentiaire. Le détenu est alors emmené au vestiaire où il remet toutes les affaires qu’il n’a pas le droit en détention (vêtement bleu marine, veste à capuche …), les objets de valeurs sont gardés à la régie des comptes nominative, on lui remet ses paquetages arrivants (vaisselle, hygiène, correspondance, documentation…). On passe ensuite par la salle de fouille labélisée RPE qui rentre également dans le cadre du processus arrivant. Cette dernière étape lui donne l’accès au quartier arrivant. Isabelle MARCO me donna le livret d’accueil que l’on donne au détenu arrivant : ce livret est pour moi une mine d’informations pour comprendre plus précisemment l’organisation interne de l’établissement.

LE QUARTIER ARRIVANT Sur place, on retrouve un premier surveillant responsable du quartier : il a une mission d’observation auprès des nouveaux détenus. Isabelle MARCO se questionne sur l’utilité du quartier arrivant dans un centre de détention : il est censé réduire le choc carcéral alors que la plupart des détenus arrivent directement d’une maison d’arrêt et connaissent déjà la détention. Le quartier possède 14 cellules pour 15 places (1 cellule double). La cour de promenade est commune aux 7 détenus actuels.

L’organisation interne de la prison se base sur le PCI, dans la rue au centre de l’établissement qui assure la sécurité de l’établissement en général. Le PCC est la personne mobile qui gère les ouvertures de portes de la rue : « Le PCI est la pieuvre dont les tentacules sont les PCC, le VI et les PIC ». Les PIC sont des sortes de mini-PCI dans chaque quartier.

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LA RUE En rentrant dans la rue, espace clos et couvert (contrairement au Havre), je remarque de suite un espace vaste et lumineux qui se trouve au centre de la détention. La rue regroupe différents services pour les détenus : UCSA, Bibliothèque, Salle de musique, Service socio-éducatif, espace formation professionnelle, le salon de coiffure, la salle polyvalente, la salle de musculation, le BGD et les accès aux différents quartiers de détention. On retrouve également au premier étage le poste de surveillance des promenades où je remarque un surveillant qui surveille à la fois à l’œil nu et à la fois à l’aide de caméras.

LE BGD Le bureau des gradés de détention est le bureau où se réunissent les gradés. Isabelle MARCO me présenta alors un gradé qui me montra les toutes dernières prises : on trouve de tout dans les projectiles que les personnes extérieures jettent par-dessus les murs. Le gradé m’expliqua que les détenus n’ont qu’à s’improviser un grappin avec fourchette pliée et drap découpé pour récupérer la marchandise. On trouve de la drogue, des bouteilles d’alcool, de red-bull, beaucoup de portables … Surtout des miniportables facilement dissimulables. Sinon on m’expliqua que les portables se louent en prison : il n’y a plus qu’à cacher la carte SIM dans une couture de pantalon. Lors de la discussion entre la formatrice et le gradé, je comprends que ce dernier ne se plait pas dans son travail et perd toute motivation.

L’UCSA L’Unité de Consultations et de Soins Ambulatoires se trouve au premier étage de la rue : en entrant, nous passons devant un sas d’attente où je remarque 5 ou 6 femmes assises qui attendent leur tour. On retrouve différents services et salles de soins comme dans un hôpital : salles de soins, dentiste, kiné … et une pharmacie.

LA BIBLIOTHÈQUE Pour tenir la bibliothèque et la gestion des livres, deux détenus (un homme et une femme) ont été formés pour devenir bibliothécaire.

LE CENTRE SOCIO-ÉDUCATIF Aujourd’hui, en ces heures de vacances, toutes les salles sont vides mais on y organise différents cours avec des professeurs de l’éducation nationale et différentes activités.

Il y a même une salle de musique avec un groupe de détenus. Il y a également une formation professionnelle sur deux ans pour devenir chef d’entreprise. Je constate que l’établissement est plutôt bien équipé, notamment sur les instruments de musique.

De retour dans la rue, nous nous dirigeons vers le plus gros bâtiment de la détention : les Ateliers.

LES ATELIERS Les ateliers occupent un rôle très important dans la détention à Joux-la-Ville. Ils permettent de réinsérer les détenus par le travail. On retrouve alors 4 alvéoles : Une première pour les femmes et trois autres pour les hommes. Le travail des femmes consiste à monter à la chaine des dynamos de vélos. Chez les hommes, un atelier consiste à coudre des nappes cirées, des carrés nettoyants…etc. Les hommes à la couture et les femmes à la soudure. Une deuxième alvéole est réservée à l’atelier Publicités. Le der85

nier atelier, le plus grand, joue un rôle primordial avec l’atelier aux oignons : on y met les détenus arrivants pour tester leur motivation. De nombreux problèmes internes à l’atelier vont bientôt entrainer la fermeture de l’atelier oignon alors qu’il existe depuis toujours.

QUARTIER D’ISOLEMENT & QUARTIER DISCIPLINAIRE Les deux quartiers sont regroupés et se trouvent à l’écart de la détention : leurs rôles est alors plus efficaces à l’inverse des anciennes prisons où les deux quartiers s’installent bien souvent dans une aile standard et se retrouvent au cœur de la détention. On retrouve une dizaine de cellules dans chaque quartier : celles du quartier d’isolement sont identiques aux autres cellules du centre de détention. A l’entrée du quartier disciplinaire, on retrouve, à côté de la salle de commission discipline, un vestiaire où les détenus déposent toutes leurs affaires : en cellule, ils n’ont pas leurs objets personnels à disposition, « C’est le vrai mitard ». Les détenus y sont enfermés jusqu’à 20 jours maximum ou 30 en cas de violence sur personnel. Selon Isabelle MARCO, les douches sont réellement le point faible de l’établissement en général. Je me questionne alors sur la présence d’une trappe dans la porte de la douche : elle permet, en fait, de menotter le détenu avant d’ouvrir la porte. A l’extérieur, 4 cours en « camembert » sont quasi identiques : 2 pour le quartier isolement se différencient des 2 du quartier disciplinaire uniquement par une porte grillagée avec la trappe ainsi qu’un grillage au-dessus de la cour. Cette visite me pose une question importante : quelle est la réelle différence entre le quartier disciplinaire et le quartier d’isolement en prison ? Pourquoi sont-ils systématiquement regroupés ? Pourquoi les détenus sont-ils presque traités de la même manière ? Alors que leur régime est totalement différent : les détenus du quartier disciplinaire sont isolés pour la sécurité des autres, à l’inverse du quartier d’isolement, où les détenus sont isolés pour leur propre sécurité. Isabelle MARCO me confirma ce phénomène : « Le quartier d’isolement est en fait vécu comme une vraie punition.»

LES QUARTIERS DE DÉTENTION HOMMES Nous longeons les cours de promenade dans les grands espaces de circulations grillagés : la formatrice m’expliqua que ces espaces ont été redivisés au fil des années pour plus de sécurité. Nous passons à quelques mètres de dizaines de détenus qui jouent au foot dans les cours de promenade : je remarque que certains se regroupent alors que d’autres détenus préfèrent s’isoler en promenade. Nous commençons par le bâtiment 4, sur deux étages, soit 4 niveaux (mezzanines), qui concentrent le plus d’AICS. Le PIC au milieu surveille deux entrées sur le bâtiment. Chaque étage se compose de quatre ailes regroupées par deux en un point central. Chaque aile fonctionne avec un système de demi-niveaux avec des mezzanines : on y trouve 25 cellules, soit 26 détenus possibles par aile car il y a une cellule disponible pour deux détenus qui en font la demande (couple, frères…). Au bout de la série de cellules, on retrouve une cuisine collective et une buanderie disponibles aux 26 détenus. Un surveillant s’occupe de deux ailes soit d’une cinquantaine de détenus. On retrouve ainsi 2 surveillants par étage.

Isabelle MARCO m’expliqua que l’administration pénitentiaire joue avec ces séparations d’espaces dans l’organisation interne de la prison : les régimes différenciés sont beaucoup utilisés à Joux-la-Ville et font leurs preuves. Ainsi, une aile se trouve en régime fermé (cellules fermées en journée comme en maison d’arrêt), alors qu’une autre se trouve en régime semi-ouverts (fermées que le matin ou après-midi) et une dernière en régime ouvert (centre de détention standard, les cellules sont ouvertes en journée et on circule dans l’aile). Un détenu agité est transféré d’un régime à un autre et inversement… C’est une bonne alternative avant le quartier disciplinaire. Il faut savoir adopter « une main de velours dans un gant de fer ».

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CROQUIS IN SITU : SCHÉMA DES COURSIVES

CROQUIS IN SITU : 1 POINT CENTRAL, 2 SURVEILLANTS POUR 4 AILES

Nous rentrons dans une aile avec Isabelle MARCO au milieu d’une vingtaine de détenus. Avec une certaine émotion, j’observe les lieux et les détenus : plusieurs sont installés sur une table dans l’espace central et cuisinent une frangipane. Toutes les portes sont grandes ouvertes et j’ai une visibilité sur toutes les cellules : ce sont les premières cellules occupées que je peux visiter. Il est intéressant de voir comment les détenus se sont appropriés les lieux : certains ont décoré les armoires avec une sorte de papier-peint imitation briques, d’autres se sont aménagés des meubles…

Nous continuons la visite avec le bâtiment 3 sur un étage unique qui regroupe les détenus travailleurs. Il s’organise exactement de la même façon que le bâtiment précédent.

Le bâtiment 2, sur deux étages, est le plus agité : il regroupe tous les « Weshs ». Dès lors où nous passons la porte, je ressens une ambiance différente : les détenus sont plus bruyants, plus excités… Il n’est pas question de rentrer au cœur d’une aile ici au milieu de 25 détenus par question de sécurité.

UVF En marche pour visiter le tout dernier quartier du centre de détention, nous passons devant les futurs UVF : Comme beaucoup d’établissements pénitentiaires, Joux-laVille entreprend des travaux pour construire des Unités de Vie Familiale qui apportent un vrai plus au centre de détention.

QUARTIER DE DÉTENTION FEMMES Le quartier femme est composé d’un unique étage sur un plan un peu différent des quartiers hommes : le PIC se trouve sur le côté et on trouve une seule porte d’accès.

L’accès aux différentes ailes se fait par un espace de circulation. Nous rencontrons plusieurs surveillantes (seules des femmes travaillent au quartier femme) avec qui nous discutons une dizaine de minutes. L’ambiance est beaucoup plus sereine que le quartier précédent… Je le ressens immédiatement. Les femmes sont beaucoup plus calmes et respectueuses en général selon Isabelle MARCO. Je remarque que les murs sont plus colorés en général, la cour de promenade est fleurie et plantée par les détenues elles-mêmes. Le quartier a été imaginé initialement pour fonctionner en autonomie même si aujourd’hui, il est rattaché à la rue (jour « rue femme »). On retrouve ainsi des services socio-éducatifs dans le bâtiment avec beaucoup d’activités. Il y a par exemple une salle de soin ou un grand salon de coiffure où interviennent des vraies coiffeuses extérieures à la différence du salon hommes de 2m² environ géré par un détenu du centre de détention. 2 cellules sont dédiées au QI et deux autres au QD : tout se gère dans le bâtiment pour pas que les femmes et les hommes se croisent. Les cellules QI et QD sont très peu utilisées : on préfère le confinement dans les cellules.

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Une dernière cellule, que l’on retrouve dans chaque quartier et bâtiment, est la CeProU : la Cellule de Protection d’Urgence avec la télé sous bulle, les meubles scellés … etc pour les détenus suicidaires. Je trouve cette dernière cellule très froide et presque plus angoissante qu’une cellule standard : est-elle efficace pour la psychologie du détenu suicidaire.

LES PARLOIRS Nous terminons la visite par tous les espaces surveillants, de repos, les bureaux du SPIP … et surtout par les parloirs. Une première série de box est réservée pour les parloirs avocats. Les parloirs famille viennent juste d’être refaits pour être aux normes pénitentiaires : on retrouve des codes couleurs au sol pour orienter les familles d’un sens et les détenus de l’autre.

CROQUIS IN SITU : SCHÉMA DES PARLOIRS

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CENTRE PÉNITENTIAIRE DU HAVRE (76)

« C’est trop grand, beaucoup trop grand… Trop impersonnel. Il y a trop de distance entre les collègues et les détenus »

LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015, 09H00, CENTRE PÉNITENTIAIRE DU HAVRE, SAINT-AUBIN-ROUTOT

L’ENTRETIEN SEBASTIEN LAUNAY Major et formateur du personnel, il a connu différentes structures pénitentiaires : d’abord surveillant à Fleury-Merogis, il a évolué à Argentan puis il arrive en 2003 à l’ancienne maison d’arrêt du Havre. Il va connaitre le 11 Avril 2010 sa fermeture et le transfert dans la nouvelle structure qui fut une épreuve très émouvante pour l’ensemble du personnel et des détenus.

Le rendez-vous est donné dans le bureau de Sébastien LAUNAY, major formateur du personnel, qui se trouve dans le mess personnel, un bâtiment à l’écart de la prison où on retrouve tous les locaux à destination du personnel (certains bureaux, vestiaires, salle collective, mess…). On y rentre sans carte et sans contrôle. La journée commence par une longue discussion avec Sébastien et son collègue, Mathieu RENARD, sur le vaste sujet du milieu carcéral.

LE TRANSFERT Le 11 Avril 2010, dès le lever du soleil, le transfert des 179 détenus commence : lorsque les équipes de l’ERIS arrivent cagoulées et armées dans l’enceinte de la maison d’arrêt, les détenus avaient déjà fait leur lit et rangé leur cellule. A la fin de la journée, le directeur a passé tout le personnel en revue avec beaucoup d’émotions. Il a ensuite passé quelques semaines tout seul dans sa prison pour assurer sa fermeture définitive. Le premier réflexe des détenus lorsqu’ils sont arrivés à Saint-Aubin-Routot était de prendre une douche. Les premiers jours étaient vraiment grandioses mais au bout d’une semaine seulement, certains se plaignaient déjà d’une certaine solitude.

LE CENTRE PÉNITENTIAIRE Le centre pénitentiaire du Havre a été inauguré en 2010, il s’inscrit dans le « programme 13200 » lancé par le garde des sceaux Dominique PERBEN en 2002. Sa capacité d’accueil est de 690 places divisées en 5 quartiers : Un quartier Maison d’arrêt de 210 places réservé aux détenus prévenus ou condamnés à une peine inférieure ou égale à 1an ; Un quartier centre de détention de 390 places (séparé en deux bâtiments CD1 89

& CD2) destiné aux détenus condamnés à une peine supérieure à 1an ; Un quartier d’accueil de 30 places dédié aux arrivants, Un quartier mineurs de 15 places et un quartier de semi-liberté de 45 places. A l’inverse d’une maison d’arrêt comme Auxerre qui est dans une gestion purement publique, ces nouvelles prisons inaugurées depuis 2007 sont en gestions mixtes : elles ont été financées en Partenariats Public/Privé. Celle du Havre est financée par le bailleur Thémis et dans le cadre d’une gestion déléguée, elle est gérée par la société GEPSA. L’avantage du privé est l’argent disponible, l’inconvénient, les délais beaucoup trop longs. La demande de l’installation d’une grille peut mettre des années si elle n’entrave pas la sécurité même du dispositif. Les douches dans les cellules sont vraiment une bonne chose selon Sébastien Launay : même si il reconnait que les détenus en payent une lourde solitude, cela permet une réelle amélioration en termes d’hygiène. « On récupère un détenu propre le matin ».

VUE AÉRIENNE DONNÉE PAR SEBASTIEN LAUNAY LORS DE LA VISITE

LA VISITE Deux bâtiments (en plus du mess) sont à l’écart de la prison : l’un est réservé à l’accueil des familles, l’autre est le centre de semi-liberté. Arrivé devant l’enceinte du centre, je dois montrer patte blanche devant les vitres teintées du premier poste de contrôle. Je troque ma carte d’identité contre un badge qui me donnera l’accès au portique de sécurité. Alors que les objets personnels (portable, portefeuille..) avaient été laissés dans le bureau du formateur, je retire ceinture, montre et autres objets pour passer le portique de sécurité.

Me voilà à l’intérieur du carré de 220 m de côtés avec ses deux miradors en diagonale. Dès lors, la visite sera ponctuée par une ouverture des portes automatisée suite à la demande via un bouton : l’autorisation et l’ouverture de la porte, après une attente allant de 10 à 30 sec, se fait au PCC (Poste de Contrôle des Circulations) correspondant pour les différents quartiers ou au PCI pour les accès principaux.

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LA COUR D’HONNEUR Je remarque, tout de suite, la même composition que l’on retrouve depuis des siècles : Une cour d’honneur donne accès au chemin de ronde qui fait le tour de la prison puis une zone neutre qui sépare le chemin de ronde de l’espace de détention. S. Launay m’expliqua que ces deux espaces n’empêchent pas le parachutage de divers objets (portables, drogues…) de l’extérieur vers l’intérieur, sous les yeux des miradors. Cette cour d’honneur donne accès au bâtiment administratif.

BATIMENT ADMINISTRATIF On retrouve un bâtiment de bureau relativement classique avec la direction au troisième étage, des bureaux au deuxième, au premier, on retrouve des vestiaires, des chambres de repos pour les surveillants de nuit, et une salle de musculation pour le personnel. Au RDC, on retrouve le service du Greffe qui gère le dossier du détenu écroué par rapport à l’extérieur.

A l’intérieur, près du grand portail d’entrée, on retrouve une dizaine de cellules temporaires pour les nouveaux arrivants : qui font face à deux grands écrans permettant de leur présenter numériquement la procédure de l’écrou pour la future incarcération.

On retrouve donc juste à côté les salles de fouilles qui sont aux normes européennes avec le label RPE. Chaque objet est listé (boite de gants, pare-vue, patère, caillebottis, chaise…). On retrouve également les vestiaires avec tous les objets que les détenus avaient en tant qu’arrivant et qui sont interdits (vêtement bleu marine, kaki, vêtement à capuche…). Nous ressortons du bâtiment administratif…

LES SAS EXTERIEURS En sortant, nous croisons un surveillant qui me montre immédiatement son mécontentement sur la conception du centre pénitentiaire : « Parce que c’est de la merde ! ».

Beaucoup d’incohérence selon lui : la hauteur du sas pour la cuisine est beaucoup trop juste … Certains camions ne passent même pas : « on est obligé de rentrer que l’arrière du camion » les portes restant ouvertes, on perd toute notion de sécurité avec l’effet de sas. Le sas des ateliers est lui aussi trop juste en hauteur mais également en longueur : « si on rentre un semi entier, on a plus assez de place pour manutentionner la marchandise ». Aucune hauteur n’est indiquée sur les passages et les portes sont en général beaucoup trop justes pour la manutention.

Le centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne a été construit sur le même plan mais ce genre de problème n’a absolument pas été corrigé apparemment. Pourtant, des acteurs de l’APIJ passent de temps en temps pour relever les problèmes d’usages.

LE POSTE CENTRAL D’INFORMATIONS (PCI) Dans un sas entre deux grilles sécurisées, une grande vitre teintée avec des barreaux, c’est le poste central d’informations. Quand ils n’autorisent pas l’accès des principales portes automatisées, les membres du PCI passent leur temps les yeux rivés sur les caméras : certaines rivées sur l’extérieur, la plupart scrute chaque recoin du centre.

On retrouve plus de 300 caméras. Le PCI s’occupe de la gestion des clés : à l’intérieur, on peut retrouver deux armoires doubles remplies de trousseaux. C’est ici qu’on gère les différentes alarmes et la sécurité incendie, on y recharge également les talkiewalkies si indispensables aux surveillants.

Le PCI est le centre de la prison comme pour une prison panoptique : le centre physique a donné place à un centre délocalisé, dématérialisé.

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LA RUE Après avoir passé ce sas du PCI, qui forme la limite avec la zone de détention, on accède à la rue qui, comme son nom le laisse prétendre, est un long espace cerné par des bâtiments avec des services différents. Cette rue donne accès aux parloirs, aux UVF mais aussi au centre socio-culturel principal de la prison.

LE CENTRE SOCIO-CULTUREL En effet, on retrouve un centre principal qui permet de regrouper des classes complètes sur certaines activités : autrement, on retrouve des petits centres socio-culturels dans chaque quartier. En rentrant, les couleurs vives, les affiches au mur et les fresques aux murs me laissent présager une échappatoire pour les détenus. J’y rencontre Emmanuelle GOUGEZ, surveillante responsable du pôle. Son avis est très tranché sur la prison : elle n’a pas du tout supporté le transfert et le changement. Lors de sa première visite avant de prendre l’activité, elle est sortie en pleurs du centre pénitentiaire se jurant de ne jamais venir travailler ici. Après ces premières années, elle ne se sent toujours pas bien dans son travail : « C’est trop grand, beaucoup trop grand… Trop impersonnel. Il y a trop de distance entre les collègues et les détenus » La déshumanisation est effectivement le sujet qui ressortait principalement lorsqu’on demandait l’avis des différentes personnes. « On fait pas du tout le même travail ici, on travaille dans la quantité et pas dans la qualité ». Le centre socio-culturel oriente ses activités selon trois axes majeurs : des activités culturelles, cultuelles et scolaires. On retrouve des cours de Hip-Hop, de yoga, de musique, de dessins … Certaines activités sont ponctuelles, d’autres, temporaires. Le rapport à la religion des détenus n’est pas oublié : l’aumônerie musulmane possède un créneau ; une grande fête post-ramadan est même organisée dans le gymnase ; l’aumônerie catholique intervient les jeudis après-midi et le dimanche matin ; un pasteur vient une fois par semaine pour l’aumônerie protestante.

Les témoins de Jéhovah ont été reconnus récemment et interviennent également dans le centre pénitentiaire. Côté scolaire, deux salles sont réservées à l’éducation nationale avec des tableaux interactifs. L’objectif prioritaire est de lutter contre l’analphabétisme. On peut passer certains diplômes grâce aux cours allant du FLE (Français-Langue Etrangère) à des CAP, passant par un équivalent du brevet des collèges.

Beaucoup d’enseignants et de vacataires ont pour missions d’enseigner, éduquer et occuper les détenus pour éviter d’en faire des inoccupés. Les « inos », comme on les appelle, sont les pires en termes de gestion : ils passent 22h par jour dans la même cellule, créant un climat anxiogène. E. GOUGEZ regrette : en réalité, les locaux du centre socio-culturel n’ont pas une surface beaucoup plus grande que l’ancienne structure : alors que le nombre de détenus a, lui, presque quadruplé.

Dans ce premier bâtiment dans la zone de détention, Sébastien Launay m’expliqua deux principes valables dans tout le centre pénitentiaire : une porte sécurisée se retrouve à chaque fois au fond des quartiers, elle ne s’ouvre que dans un sens et permet une intervention, en cas d’incident, venant des deux côtés. Le deuxième principe concerne une seconde porte : il s’agit d’un accès au quartier mineur. En effet, les mineurs ne doivent jamais croiser les majeurs : ainsi, ils ont leur propre accès dans chaque service du centre : Terrain de sport, Infirmerie, Centre socio-culturel, parloirs … etc. La prison est un labyrinthe dont très peu connaissent tous les accès.

LE QUARTIER ARRIVANT Nous nous dirigeons ensuite au quartier arrivant, où nous rencontrons le major Charles RALECHE, gradé en charge du quartier, ainsi que le surveillant M. HOCHART avec qui nous discutons pendant un moment. Le quartier comprend 28 cellules où l’on accueille les nouveaux détenus pendant une période d’observation allant de 7 à 10 jours pour estimer leur dangerosité ou leurs pensées suicidaires. Toujours par rapport 92

au label RPE (Règles Pénitentiaires Européennes), le centre doit être dans la possibilité de proposer au nouveau détenu une douche (dans la cellule), un repas chaud, des vêtements et un paquetage arrivant. Une pièce sert donc de stockage pour ces différents éléments. Comme pour les mineurs, le personnel doit s’organiser avec 3 régimes différents : les détenus des centres de détention, les prévenus et les condamnés. M. Raleche doit s’organiser pour qu’ils ne se croisent jamais mais on ne lui en donne pas les moyens : seule une petite cour de promenade comprise entre les bâtiments est destinée au quartier arrivant … Un membre de l’APIJ a dit, lors de l’inauguration, « vous ne me faites plus ça ! » en parlant de la cage de zoo. La salle de sport n’est pas prévue initialement dans le programme : les gardiens ont donc transformé une salle d’audience en salle de musculation … Je pourrai remarquer ça plusieurs fois dans l’ensemble de la visite : les usagers s’approprient les lieux : « Dans la pénitentiaire, on sait s’adapter ! ». Le gardien me montra les deux couloirs répartissant 14 cellules de chaque côté du poste de contrôle.

LA CELLULE TYPE La cellule du quartier arrivant est pratiquement la même que pour toutes les autres cellules des zones de détention. Le gardien m’ouvra la cellule 201 : Sur une surface globale de 10m² environ, je visualise un bloc sanitaire sur la gauche (composé d’un lavabo, de toilette et d’une douche), d’un lit, d’une table avec sa chaise, d’une petite étagère avec une télé. La fenêtre, avec ses barreaux, est à hauteur d’homme contrairement aux anciennes maisons d’arrêt. Il existe des cellules doubles qui se composent comme cette dernière mais avec un lit superposé et une surface un peu plus grande. Il existe plusieurs autres types de cellules spécifiques en dehors de celles standards.

LA CELLULE PMR On en retrouve 3 par RDC des différents quartiers : le gardien m’en a ouvert une occupée pour montrer l’organisation avec un lit médicalisé. La surface est évidemment beaucoup plus adaptée.

LA CELLULE DE PROTECTION D’URGENCE On en retrouve également à chaque quartier, elle est destinée aux détenus en grande détresse psychique : pour éviter le suicide, cette pièce est dénuée de point d’arrimage et dotée de draps indéchirables (pour éviter les pendaisons). La fenêtre est condamnée, la télé est sous une bulle de verre au mur, les patères sont souples et on retrouve un détecteur de fumée dans chaque cellule. Le bloc sanitaire est coupé à mi-hauteur pour pouvoir un visuel à tout moment sur le détenu.

LA CELLULE DU QUARTIER DISCIPLINAIRE – LE MITARD Cette cellule est particulière : destinée à un détenu ayant fait une faute, elle a pour objectif de réellement le punir. D’abord, à l’entrée, comme pour toute cellule disciplinaire, une double porte. Au Havre, on retrouve un système de sas avant cette seconde porte. Ainsi, la première porte de la cellule nous amène dans une cage grillagée avec une seconde porte pour accéder à la cellule aux murs et au sol gris..

L’encellulement est forcément individuel : les seuls meubles (table, tabouret et lit) sont soudés au sol, on retrouve des toilettes avec lavabo incrusté ainsi qu’une douche : mais aucun bloc sanitaire … Les éléments sont directement visibles de la cage grillagée. En termes d’équipement, seul un allume-cigare avec interrupteur est incrusté dans le mur : interdiction d’avoir un briquet au mitard. La lumière de la cellule se suffira d’un gros spot éblouissant. Comme pour la cellule de protection d’urgence, une détection d’incendie est placée dans chaque cellule et la porte est bloquée à un quart 93

de l’ouverture. Point critiquable : l’évacuation de la douche se fait au milieu de la cage grillagée rendant le sol très glissant (le sol a déjà été retouché pour cette raison).

Toutes les cellules du quartier disciplinaire et du quartier d’isolement (cellule standard) ont des fenêtres qui donnent directement sur un mirador.

CROQUIS IN SITU : PLAN CELLULE DISCIPLINAIRE

UVF – UNITE DE VIE FAMILIALE Les UVF sont des appartements meublés situés à l’extérieur de la zone de détention permettant aux personnes détenues de recevoir des visites de leur famille ou de leurs proches pour une durée variable de 6 à 72 heures, sans surveillance continue avec une durée minimum de deux mois entre deux séjours. Sur 4 UVF, une est plus grande avec une chambre supplémentaire et une autre est aux normes PMR. Ces rencontres se font via une demande de la famille d’une part et une demande du détenu de l’autre. Une enquête est réalisée au préalable pour déterminer la véracité de leur relation. Le détenu doit cantiner pour pouvoir nourrir ses hôtes : aucune nourriture ne vient de l’extérieur. Comme pour un appartement standard, un état des lieux est fait avant et après la durée de visite. Certains éléments sont évidemment différents d’un appartement standard : On retrouve une seconde porte de sécurité en plein milieu du salon : toujours ce principe de sécurité pour une intervention des deux côtés. Un appel est tout de même fait trois fois par jour à heures fixes : la personne détenue et les visiteurs doivent se présenter devant la porte en tenue décente. Dernier point de sécurité : un bouton d’alarme est installé dans les toilettes et dans la salle de bain : il est statistiquement reconnu qu’une femme battue se réfugie dans ces espaces. Les UVF permettent le maintien des liens familiaux : ils permettent également d’obliger le détenu à avoir un bon comportement au sein de la détention s’ils veulent continuer les UVF et s’ils veulent passer d’une visite de 6h à une visite de 24h … etc.

Retour à la visite : Nous continuons notre chemin pour arriver au secteur de l’infirmerie : USN1 – UNITE SANITAIRE DE NIVEAU 1 « L’infirmerie », comme on l’appelle plus couramment, est en réalité bien plus qu’une simple infirmerie : rattachée à l’hôpital Jacques Monod du Havre, elle comporte tous les services nécessaires pour des soins quotidiens … Pendant la visite, je découvre un cabinet de dentiste, des salles de consultation, un kinésithérapeute, une salle de radio, une pharmacie … etc. Lorsque Sébastien Launay me parlait, je sentais des regards se porter sur moi à travers les hublots : des salles d’attente permettent de gérer les différents flux de détenus : un mineur ne doit pas croiser un prévenu qui ne doit pas croiser un condamné… Si par malheur, un DPS (Détenu Particulièrement Signalé) doit se rendre à l’infirmerie, c’est tout le service qui se bloque. On y rencontre Madame HERSANT, cadre Santé, qui gère le service : Selon elle, ce n’est pas comparable avec ce qu’il avait avant (seuls quelques bureaux pour tout faire) : les équipes ont été multipliées par 3. La modernisation des locaux lui donne l’impression, comme pour Mme Gougez, l’impression de travailler dans la quantité plus que dans la qualité (on note 94

plus de 150 passages par jour à l’infirmerie). « On a perdu une proximité ». Alors que nous discutions, je remarque une équipe d’infirmières se dirigeant vers la détention avec des plateaux remplis de médicaments. La prise de cachets est une chose très répandue dans le milieu carcéral.

Lors de la conception du projet, les équipes médicales ont été consultées : on leur a demandé leur besoins, on leur a proposé deux solutions mais peu de leur demandes étaient favorables… « C’était plus symbolique qu’autre chose ». Madame Hersant regrette certaines incohérences sur le plan d’origine : d’abord, une salle était prévue initialement pour le développement des radios argentiques alors que l’USN1 est dotée d’un traitement numérique des radios … Malgré la remarque faite lors de la conception, la salle existe bel et bien aujourd’hui et sert de débarras. Sur les plans, la pharmacie a été conçue comme un espace utilisé qu’en cas de besoins réels, pensée donc comme un espace très sécurisé avec une porte de sécurité, fermée à clé… etc. « Elle est aussi sécurisée que l’armurerie » alors que la réalité du terrain n’est absolument pas prise en compte : la pharmacie est utilisée de l’ouverture à la fermeture de l’USN1, la porte reste donc tout le temps ouverte. Les demandes de modifications de plans n’ont absolument pas abouti. A l’ouverture, il leur manquait une salle de soin : les équipes ont donc transformé un bureau en salle de soin. Encore une fois les équipes font preuve d’adaptation dans l’usage des lieux pas toujours pensés sur la réalité d’usages.

Nous continuons notre visite en retournant dans la rue, pour accéder au Quartier d’Isolement et au Quartier Disciplinaire.

LE QUARTIER D’ISOLEMENT Ce quartier, de 12 cellules types avec vue sur mirador, comprend trois genres d’isolements de détenus : Le premier concerne les détenus isolés administrativement, à la demande du tribunal ; le deuxième est l’isolement à la demande du détenu (parce qu’il se sent en danger…etc.) ; et enfin, le dernier concerne les détenus isolés pour leur propre sécurité, à la décision du centre pénitentiaire (ancien policier, militaire, VIP …). On m’emmene dans la cour de promenade du quartier comprise entre 4 murs de béton qui verdissent avec l’humidité : au-dessus de moi, deux épaisseurs de grillages avec des concertinas obstruent la vue du ciel. Le quartier a également sa propre bibliothèque, sa propre salle de sport…

LE QUARTIER DISCIPLINAIRE A la différence du quartier d’isolement, où les détenus sont isolés pour leurs propres sécurités, on isole les détenus du quartier disciplinaire pour la sécurité des autres. On retrouve dans le quartier des cellules d’attente pour la salle de commission qui s’organise comme un tribunal où ont lieu des jugements internes à la prison.

Lorsque Sébastien Launay me présentait au personnel et leur demandait ce qu’il pensait de l’architecture de la prison : plusieurs personnes ont fait la même critique sur le fait de mettre le quartier disciplinaire au deuxième étage : « Il suffit que le détenu soit un peu agité, refuse de marcher, et il faut le descendre de sa cellule, traverser la cour, monter deux étages dans les escaliers où il se débat… ».

LE ROND POINT Tout au bout de la rue, après avoir passé une énième grille de sécurité, nous arrivons dans le rond-point central : c’est l’espace extérieur qui dessert les différents quartiers de détention et autres bâtiments. En reprenant le principe des anciennes prisons panoptiques mais à plus grande échelle, le rond-point gère les flux, non pas entre les dif95

férentes ailes, mais entre les différents bâtiments. On retrouve un PCC avec des vitres teintées « on ne sait pas trop à qui on dit bonjour parfois ». Le rond-point est grillagé : à l’intérieur, je peux percevoir des espaces verts et plantés entre les bâtiments : question sécurité, on aurait dû mettre des pares-vues dans les circulations extérieures pour obstruer les accès en cas d’interventions. De là, comme pour un vrai rond-point, chaque direction est indiquée : « Gymnase », « Ateliers, Cuisines », « MA », CD1 », « CD2 »… Nous empruntons le chemin des ateliers.

CROQUIS IN SITU : SCHÉMA ROND-POINT

LES ATELIERS Nous rencontrons Hervé, le gradé qui gère l’organisation des ateliers. Ces derniers s’organisent en alvéoles fermées, au nombre de dix, où travaillent les détenus. En arrivant, il est impressionnant de voir ces dizaines de détenus avec tous la même tenue à quelques mètres de moi en train de travailler. Même principe que pour les autres pôles, on sépare les différents régimes dans des alvéoles différentes. Ils sont 150 à travailler dans les ateliers dans une journée : leur travail varie, allant de la cartonnerie au collage en passant par l’assemblage de câbles Ethernet. Le gros problème qu’ils rencontrent aux ateliers, mis à part le sas trop court évoqué précédemment, est le manque de place pour le stockage. Encore une fois, rien est comparable par rapport aux ateliers qu’ils avaient à l’ancienne maison d’arrêt mais à vouloir faire trop grand, on manque de place sur les locaux secondaires. Un entrepôt est prévu pour stocker les marchandises mais ne suffit pas par rapport aux quantités sorties entrainant ainsi d’autres problèmes (sécurité incendie…). Le stockage sortant doit attendre un délai de 24h avant d’être évacué pour une question de sécurité : si un détenu souhaite sortir par la grande porte avec les marchandises, il sera repéré au prochain appel dans les cellules.

LA FORMATION PROFESSIONNELLE Adjacents aux alvéoles, on retrouve des ateliers destinés à la formation professionnelle où l’on peut suivre des formations de 6mois pour obtenir un diplôme de magasinier, de plaquiste ou de cuisinier. En visitant les ateliers, je suis étonné par le talent de certains détenus : ils ont créé un décor en plâtre d’un camion à échelle 1 :1 peint et aménagé.

Il y a également une statue de la liberté réalisée par un détenu. Ces formations demandent une organisation dans la gestion des outils : les formateurs ont su s’adapter et ont construit une cage pour stocker sous clé les outils. L’expérience des centres pénitentiaires de Poitiers, de Rennes, de Bourg-en-Bresse… n’ont visiblement pas servies.

Comme pour l’ensemble des ateliers : il y a 3 grandes salles pour les formations mais ramenées à l’échelle de la prison ce n’est surement pas assez.

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LA BLANCHISSERIE & LA CANTINE Toujours au RDC, à côté des ateliers, on retrouve l’espace blanchisserie accolée à la cantine. A la livraison, il n’y avait seulement que quatre murs : les équipes ont pu aménager comme ils voulaient le service. Malgré ça, « les locaux ne sont pas très bien foutus » : les portes pas assez larges et la marche à l’entrée ne facilitent pas la manutention. On manque encore une fois beaucoup de stockages : les palettes et les marchandises s’entassent souvent dans les couloirs.

La blanchisserie est organisée selon le principe de la marche en avant, elle emploie 9 détenus pour traiter tout le linge du centre pénitentiaire. Le linge sale arrive dans des filets aux numéros d’écrous et noms du détenu. Je remarque ainsi des dizaines de noms sur des filets au sol.

La cantine est en réalité un magasin de stockage où les détenus peuvent acheter tout un nombre de produits répertoriés sur une liste. Les produits vont du tabac aux friandises en passant par la console de jeu ou la cafetière électrique. On dit que les détenus « cantinent ».

LES CUISINES Toujours dans la continuité des ateliers, de la blanchisserie et de la cantine, on retrouve les cuisines : le surveillant responsable des lieux nous invita à visiter. En rentrant, un grand espace libre sert de stockage aux chariots de repas prêts à partir. A droite, une première cuisine qui sert à la formation : lors de la visite, les 14 élèves-détenus étaient en pleine évaluation par le chef du centre pénitentiaire ainsi qu’un meilleur ouvrier de France reconnaissable par son col tricolore. A droite, il y a les grands locaux des cuisines où 24 détenus préparent les 1400 repas par jour qui nourrissent l’ensemble du centre pénitentiaire. A l’inverse de la maison d’arrêt d’Auxerre, je ne suis pas rentré dans les cuisines mêmes pour une question d’hygiène, je regardais seulement de la porte. D’un point de vue sécurité, certains points sont indispensables : les couteaux sont stockés dans un coffre dans le bureau du chef ; suivant le principe de marche en avant, on retrouve une caméra, un vestiaire et une grille de sécurité à l’entrée et à la sortie des cuisines. Le surveillant nous confia qu’elles étaient trop grandes pour une prison et qu’ils n’avaient aucun problème de stockage contrairement aux autres services.

LE GYMNASE ET LE TERRAIN Retour au rond-point, nous prenons la direction du gymnase où nous rencontrons un surveillant qui a passé une formation pour devenir moniteur de sport : ils sont trois moniteurs pour gérer un seul gymnase pour toute la prison. Mêmes principes pour le gymnase, les moniteurs doivent gérer les allers et venues entre les différents régimes (condamnés, mineurs, prévenus …). Le moniteur nous vante les avantages d’avoir de telles surfaces : un gymnase couvert, un terrain ouvert… Mais il regrette de ne pas avoir été écouté, les zones ne sont pas assez reliées entre elles entre extérieur et intérieur : il aurait fallu que le terrain extérieur et le gymnase soient directement reliés par une porte, qu’une fois dans le quartier sport, on puisse circuler comme on veut. Il manque clairement un abri sur le terrain extérieur. Il aurait mieux fallu savoir sacrifier un peu d’espace du terrain de foot pour pouvoir diversifier les sports également. Encore une fois, on s’approprie les lieux : les grandes salles de rangement sont devenues salle de ping-pong ou dojo. Le gymnase se transforme en grande salle de conférence, de cinéma ou autre : on retrouve un écran géant qui s’abaisse avec à l’opposé, on retrouve une régie au-dessus des bureaux des moniteurs. Le pôle sportif est fier d’avoir accueilli l’émission sportive de Luis Fernandez le Mardi 20 Septembre 2011 en direct du gymnase du centre pénitentiaire : c’était la première fois en France qu’on donnait la 97

parole à un détenu en direct, sans filet. En termes de sécurité, les surveillants ont fait installer des pares-vues entre le terrain et le chemin de ronde, en cas d’intervention.

Petite anecdote : le budget ballon est énorme … En effet, les concertinas sont des vraies lames de rasoirs et ne pardonnent pas aux ballons égarés.

Sébastien Launay me montra quelques éléments architecturaux simples qui montrent que tout est pensé dans cette obsession sécuritaire : tous les bords de toiture sont arrondis pour éviter la prise d’un grappin, l’eau s’écoule donc à même le sol, sans gouttière.

LA MAISON D’ARRÊT La maison d’arrêt et le centre de détention 1 sont exactement les mêmes bâtiments.

On se dirigea alors vers la maison d’arrêt : dans l’espace entre le rond-point et la porte de la MA, on se retrouve avec 5 détenus … Les grillages. C’est le PIC (Poste d’information et de Contrôle) du quartier qui nous donna l’accès aux lieux. Après la première porte, on arrive dans un atrium ouvert sur les quatre niveaux du quartier. Les atriums créés dans les espaces d’hébergement permettent l’entrée importante de lumière et, en théorie, une communication naturelle par la voix, entre les étages, créant une transparence visuelle et sonore.

Le premier surveillant, en charge du quartier, me confia que ce n’était pas aussi efficace que les coursives dans les anciennes maisons d’arrêt où l’on gardait sans cesse un contact visuel avec ses collègues : d’ailleurs, les toutes dernières structures reviennent sur ce principe de coursives fonctionnant sur deux niveaux. RDC – 1er étage en coursives – 2ème étage plein et 3ème étage en coursives. En effet, au Havre, les planchers béton à chaque niveau empêchent une visibilité immédiate de l’ensemble des surveillants, l’atrium n’étant pas suffisant. Le surveillant reconnait un certain inconvénient aux portes automatisées : « Quand ton collègue se bat de l’autre côté de la grille et que toi, tu attends qu’on t’ouvre parce que le mec du PIC est dans l’action… ». Pour lui, les douches dans les cellules présentent aussi bien des avantages que des inconvénients : pour les surveillants, ça évite un mouvement en moins et donc une source de problèmes mais les douches communes permettaient de sortir le détenu et de le voir et de juger de son état mental et physique. Pour le détenu, la douche lui apporte un confort en termes d’hygiène mais il en paye une forte solitude. « Les détenus sont nettement plus propres. ». On retrouve au RDC une zone socio-culturelle avec bibliothèque, salle de muscu et une salle informatique.

CENTRE DE DÉTENTION 2 Sur une disposition différente, on retrouve les mêmes éléments que les autres bâtiments de détention : l’atrium ouvert à l’entrée avec le PIC. On m’explique que l’organisation interne d’un centre de détention s’organise différemment de la maison d’arrêt : les longues peines peuvent circuler la journée dans leur aile respective. En effet, il y a deux serrures sur les portes et le détenu possède une des deux clés le permettant de s’enfermer la journée ou de circuler pour aller dans une laverie ou dans une cuisine que l’on retrouve dans chaque aile du bâtiment.

Après être retourné par le rond-point central, nous nous dirigeons vers le dernier quartier qu’il nous reste à visiter : LE QUARTIER MINEUR (EPM) En passant le premier portique, en s’approchant du bâtiment, on retrouve les accès privatifs aux différents services (USN1, centre socioculturel…). Dans cet espace tampon, je remarque des espaces de verdure avec des ruches : les adolescents dé98

veloppent avec les éducateurs une activité apicultrice. Le quartier mineurs offre 15 places pour des jeunes de 13 à 18 ans. Tout le quartier est organisé de telle manière que les jeunes ne peuvent avoir aucun contact, qu’il soit visuel ou sonore, avec les majeurs.

En arrivant face à la porte, l’ouverture se fit attendre … 30-40secondes… Heureusement qu’il n’y a pas d’urgence. En rentrant, je fais la rencontre de deux surveillants dont l’un est le doyen de la prison : il a connu un grand nombre de structures et a vécu le transfert de l’ancienne à la nouvelle prison. Pour lui, la prison est certes plus propre, certes plus grande mais elle est totalement désociabilisante : chaque surveillant est sectorisé et ne sort pas de son quartier. En effet, les deux surveillants rencontrés sont les seuls du quartier mineurs : ils travaillent avec des enseignants, des éducateurs … La mission n’est pas la même que pour un surveillant lambda. Malgré l’obsession sécuritaire, le centre pénitentiaire peut être dangereux : il n’y aucun contact visuel entre collègue « On est tout le temps en train d’écouter le Motorola (Talkie-Walkie) ». Le quartier s’organise sur deux niveaux : au RDC, on retrouve toutes les salles d’activités (sportives, culturelles, scolaires, de travail, de cuisine …). Au premier étage, je visualise deux grands couloirs : les cellules s’alignent d’un côté du couloir ; de l’autre, des fenêtres hautes pour éviter le contact visuel avec les autres quartiers. A la fin de la visite du quartier, j’ai demandé clairement au doyen des surveillants s’il préférait travailler ici ou s’il préférait l’époque de l’ancienne maison d’arrêt : il m’a répondu sans hésiter qu’il regrettait l’ancienne structure mais qu’ici, il s’était adapté.

LES PARLOIRS A proximité des parloirs avocats, je rentre dans une salle de visioconférence qui permet d’être en direct avec le tribunal : face à la télé avec la caméra, on trouve une table avec une chaise. Ce jugement permet de garder le détenu en sécurité et évite les transferts. En rentrant dans l’espace parloirs, je peux remarquer un long couloir avec une faille lumineuse en toiture : dans ce couloir, 50 cabines de parloirs s’alignent avec une salle réservée aux visites organisées par le relais enfants-parents. Les visites s’enchainent du mardi au samedi.

La visite s’est donc terminée par l’espace parloirs : nous nous sommes dirigés alors vers la sortie puis vers le mess personnel. De retour dans le bureau de Sébastien Launay, nous avons échangé pendant un long moment : il m’a montré une vidéo de la fermeture de la maison d’arrêt du Havre, nous avons consulté une exposition sur l’histoire pénitentiaire installée dans une grande salle commune.

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CENTRE DE DÉTENTION DE VAL-DE-REUIL (27)

« Dehors, on pense que les gens ici sont des voleurs, des tueurs … 80% sont des pointeurs »

VENDREDI 18 DÉCEMBRE 2015, 08H00, CENTRE DE DÉTENTION DE VAL-DE-REUIL Cette expérience s’inscrit dans le cadre d’un marché de Noël au sein du centre de détention de Val-de-Reuil avec mon employeur saisonnier : le sport 2000 Louviers. Le rendez-vous est donné à 7h00 du matin sur le parking du magasin pour charger la marchandise. Dominique, le directeur du magasin ; Tony, le manager de l’équipe et Sébastien, un vendeur, sont présents pour participer au marché de Noël. A 8h, nous arrivons à l’entrée du centre de détention. Nous sommes les premiers commerçants à arriver sur place, on nous dirige alors à la porte du CD2 (la prison se compose de 2 centres de détention bien distincts à l’intérieur du même mur d’enceinte : le CD1 pour les peines allant de 2 à 7 ans et le CD2 pour les peines au-delà de 7ans) LES SAS D’ENTRÉE Après avoir attendu les moniteurs de sports de la prison, nous pouvons rentrer. Au premier poste de contrôle à l’entrée du centre, un homme nous demande nos cartes d’identité : après avoir montré patte blanche, nous rentrons dans le premier sas. Portables et autres objets sont déposés dans un casier ; ceintures et montres sont retirées temporairement pour passer le portique. Nous franchissons la deuxième porte pour accéder au chemin d’accès des différents bâtiments. Nous attendons le camion pour continuer notre chemin et passer les différents sas véhicules, à pied, pour rejoindre le gymnase en compagnie des moniteurs de sport. Nous passons devant les bâtiments de détention où le sol est jonché de détritus qui datent de 24h puisqu’on nous expliqua que des détenus auxiliaires ramassent tous les matins les détritus.

LA PRÉPARATION Arrivé au gymnase, nous rejoignons notre stand, le plus grand du marché de Noël.

Nous déchargeons le camion avec l’aide des moniteurs. Nous avons alors toute la matinée pour s’organiser, ordonner, ranger, présenter… Le stand est organisé de la sorte : installées sur toute la largeur en fond du gymnase, les tables forment une limite que les détenus ne pourront franchir ; des barrières les orientent dans un sens de circulation le long de ces tables. Les produits sont exposés derrière les tables : on ne retrouve rien dessus pour les raisons qu’on imagine. Pour cette journée, l’administration pénitentiaire a sélectionné quatre détenus triés sur le volet pour nous aider pour la préparation et la vente. Ainsi, nous faisons la connaissance de Mohammed, Saman, Samir et Jérome. Alors que les autres stands se préparent, nous nous préparons également toute la matinée à la venue des détenus.

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LE REPAS DU MIDI Aux alentours de midi, les surveillants et les moniteurs de sport nous ont tous rassemblés pour nous diriger vers le mess personnel : après avoir passé près de huit portes de sécurité en gardant le système de sas, nous nous retrouvons dehors. Le mess du personnel se trouve au deuxième étage du bâtiment central de l’entrée entre les deux Centres de détention. Le repas est offert par l’administration pénitentiaire. Vers 13h15, nous rejoignons en groupe le gymnase : le portique, les mêmes portes, les mêmes sas et nous voilà de retour à notre stand. Plus que 30min avant l’arrivée des détenus : on me briefe.

LA VENTE Un peu avant 14h, on voit arriver une masse dans le couloir à l’autre bout du gymnase : 150 détenus rentrent alors dans le gymnase. Pendant plus de deux heures, nous n’allons pas arrêter : présentation des produits, discussion sur les prix, remplissage des bons de commande… Certains détenus cherchent les problèmes mais la plupart sont avenants et sympathiques. Deux surveillants sont postés de part et d’autre du stand pour notre sécurité. Je vois défiler sous mes yeux des dizaines de carte de détention avec nom, prénom et numéro d’écrou. Certains font physiquement peur, d’autres nous ressemblent. Une tombola, organisée par l’administration pénitentiaire, vient ralentir le rythme effréné de la vente … Pendant ces temps de répit, je discute avec un surveillant qui me décrit « un drôle de milieu ». Il faut se méfier de tout et de tout le monde.

APRÈS LE MARCHÉ A la fin de la vente, nous restons avec nos 4 détenus auxiliaires pour ranger le stand.

Nous voyons de près leur vie en collectivité : trois des détenus commencent à s’échauffer avec le dernier parce qu’il n’aide pas à ranger les tables et discute … Des mots, des tensions … Nous n’intervenons pas et les laissent régler leurs problèmes entre eux.

Nous discutons avec les quatre en attendant l’arrivée du camion. L’un est ici parce qu’il a tué sa femme d’une trentaine de coups de couteaux, un autre parce qu’il est remonté d’Espagne avec une voiture remplie de drogues et qu’il s’est fait arrêter à 20km de Paris. Ce dernier était humainement intéressant : Il regrette d’être tombé pour ce genre délit et d’être mélangé avec des violeurs (pointeurs). « Dehors on pense que les gens ici sont des voleurs, des tueurs … 80% sont des pointeurs ». Il regrette que pour Noël, la fête des enfants, on ne lui ait pas autorisé sa permission de sortie alors qu’il est père de deux enfants mais qu’on laisse sortir des pointeurs… « Ce n’est pas normal ! ».

La journée s’est terminée en rentrant au magasin pour décharger la marchandise restante. Ce fut une expérience forte en émotions et très intéressante humainement...

La prison est un concentré de notre société, on a vu de près ce que pouvait devenir l’être humain.

CROQUIS IN SITU : ORGANISATION DU GYMNASE

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StĂŠphane GEMBLE SĂŠminaire de recherche : Les mutations sociales et spatiales de la ville et des territoires : acteurs, formes, enjeux.

Milena Guest, Maxime Decommer et Bruno Proth - 2016 / 2017