Ecriture et enluminure des manuscrits du IX au XII siècle (Brussels, 1926)

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ÉCRITURE ET ENLUM INURE DES MANUSCRITS


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PLANCHE 1

LE CHRIST, ROI DE GLOIRE Évang. du Mans. Bibl. Nat. Latin ’6t.


Dom Paul BLANCHON--LASSERVE Moine de Solesmes.

ECRITURE ET

ENLUMINURE DES

MANUSCRITS du IX e au XIIe siècle.

H ISTO IRE et TECHNIQUE

ABBAYE ST-PIERRE DE SOLESMES

ABBAYE DE SAINT-ANDRÉ

SABLÉ-SUR-SARTHE (SARTHE)

LOPHEM-LEZ-BRUGES



’IMAGERIE moderne, les vignettes et les modèles de quelques manuels ont vulgarisé l’écriture gothique et les enluminures des XIV e et .XV e siècles, empruntant surtout aux livres d’heures de cette époque.

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Seules, des publications moins répandues permettent à quelques-uns de connaître les manuscrits des siècles précédents, dont nos bibliothèques offrent cependant de magnifiques exemplaires. Nous voudrions faire apprécier ces richesses, montrer aux modestes artistes qui n’ont pas la prétention de créer un art nouveau, les ressources que leur présentent les anciens manuscrits. Ces trésors sont à la portée de tous : les bibliothécaires qui en ont la garde sont heureux, nous le savons par expérience, de voir que leur précieux dépôt n’eSl pas seulement objet de curiosité ou d’admiration; et c’eSt avec une amabilité parfaite qu’ils le confient à ceux qui veulent y chercher des modèles et s’en servir utilement. Ainsi nous pourrons faire hommage au Seigneur des nova et vetera : tirant de l’oubli les vetera, nous les rendrons nova en nous les appropriant sous leur forme antique. Ils auront servi deux fois à glorifier Dieu. Conquis par la beauté des écritures romanes, si affranchies de la raideur gothique, nous croyons que l’illuStration des manuscrits de la même période peut fournir aux enlumineurs de notre époque une riche moisson de motifs et de lettrines. Ils y reconnaîtront un caractère de grandeur et de force qui s’affaiblit toujours après le XII e siècle : car, de plus en plus, on ne recherche, dans la miniature, que la perfection du détail et le fini de l’exécution. Notre enluminure moderne ne gagnerait-elle pas à s’inspirer des anciens Styles en y apportant dans une mesure la perfeétion des siècles suivants ? Il serait alors tout naturel de revenir en même temps aux écritures dont lettres ornées et rinceaux n’étaient, dans les manuscrits les plus beaux, que le gracieux ornement. Depuis cinquante ans de nombreux ouvrages ont enseigné la paléographie,

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PRÉFACE

l’histoire de l’enluminure; toujours utiles et parfois richement documentées, la plupart de ces publications s’adressent à des érudits ou sont d’un prix peu abor­ dable. De plus/ce ne sont pas des livres pratiques, en ce sens qu’ils ne traitent pas de la technique de l’écriture, ne donnent pas les procédés, la manière des artistes anciens. Les débutants ne trouvent en France, pour les guider, que des manuels trop incomplets : des renseignements fragmentaires ne leur font pas voir un ensemble que la fréquentation des manuscrits permet seule d’acquérir. Sans prétendre tout dire, ce petit traité proposera pour l’écriture et l’enluminure quelques données pratiques et applicables à tous les genres; une courte analyse fera connaître en même temps les principales caractéristiques des Styles dont la période choisie, du IX e au XII e siècle, nous a laissé des manuscrits. La collection de documents anciens commencée ici, pourra sans peine être continuée plus tard par de nouveaux cahiers, si l’on veut faire bon accueil à ce premier essai. Les sources fécondes des bibliothèques de France ou de l’étranger ne sauraient être qu’effleurées par nos emprunts : mais peut-être donneront-ils à plusieurs le désir d’y aller puiser à leur tour et d’y chercher leur inspiration. Si dans l’étude technique des sujets abordés il a paru nécessaire de s’étendre sur de menus détails, ceux qui veulent faire bien ne doivent pas s’en effrayer. La plume préparée avec soin et conduite par une main habile fait la belle écriture, comme le dessin consciencieusement composé et les couleurs agencées avec art produisent une œuvre harmonieuse : elle fera revivre en notre X X e siècle les motifs anciens où les artistes nous ont laissé les traces de leur goût et de leur piété. Abbaye Saint-Pierre de Solesmes, 30 janvier 1926. F r . PAUL BLANCHON-LASSERVE, m.b.

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BIBLIOGRAPHIE A. Lecoy de la Marche, Les Manuscrits et la Miniature, Collection Quantin. Paris, 7, rue Saint-Benoit, 1884. Ouvrage très clair et très précis, probablement le meilleur traité d’ensemble qui ait été publié sur la matière. Partie historique étendue; un seul chapitre (VIIe ) sur les enlumineurs et leurs procédés. Les nombreuses illustrations, gravures sur bois, donnent une idée de ce qu’on trouverait dans les manuscrits auxquels elles sont empruntées, et dont l’indication eSt toujours exactement fournie.

Léopold Delisle, Le Cabinet des Manuscrits de la bibliothèque Nationale. Paris, Imprimerie nationale, 1881. Volume des planches. Cinquante planches, donnant en fac-similé diverses écritures empruntées à cent soixantesept manuscrits. Un tableau indique la cote du manuscrit, son sujet, le caractère et la date des écritures. Plusieurs de ces planches représentent des majuscules ornées.

Léopold Delisle, Mémoire sur d'anciens Sacramentaires. Paris, Imprimerie Natio­ nale, 1886. Onze planches in-folio de manuscrits du ix e siècle. Belle ornementation franco-saxonne. Héliogravure Dujardin.

Léopold Delisle, Le Sacramentaire d ’Autun. Paris, 1884, A. Lévy. Notice et planches de ce beau manuscrit du IX e siècle. saxonne du IX e siècle. Paris, Champion, 1888. Intéressante notice sur les manuscrits de l’école franco-saxonne. Cinq planches du manuscrit d’Arras; une planche de la Bible de Saint-Paul-hors-lcs-Murs, œuvre carolingienne.

Comte de BaStard d’Eftang, Peintures et ornements des manuscrits du I V e siècle au X V P siècle. 8 vol. grand in-f°. Magnifique publication, reproduétions parfaites. Voir le catalogue analytique qu’en a

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BIBLIOGRAPHIE dressé M. Léopold Dclisle dans son ouvrage : Les collections de baflard d'Estang à la biblio­ thèque Nationale. Nogent le Rotrou, 1885, pp. 230 à 279.

A. Durieu, Les Miniatures des manuscrits de la bibliothèque de Cambrai, avec album grand in-40 de 18 planches. Edouard Fleury, Les Manuscrits à miniatures de la bibliothèque de Laon, impartie VII e à X II e siècle, avec 25 planches lithographiées et 50 lettres gravées dans le texte. Laon, 1863. Du même auteur, Les Manuscrits à miniatures de la bibliothèque de Soissons, avec 16 planches lithographiées et 30 lettres gravées dans le texte. Paris, Dumoulin, 1865. Ces deux ouvrages, excellents à tous les points de vue, peuvent être très utiles : les notices qui accompagnent les planches donnent de précieux renseignements.

Rohault de Fleury, L'Evangile. Etudes d'iconographie, 2 vol. Tours, Marne, 1874. Du même auteur, Lw Saints de la Messe. Notre-Dame. La Messe. Études d'archéologie. Paris, Librairie des Imprimeries réunies, 1888. 8 vol. Tous ces volumes contiennent de nombreuses reproductions soignées, de miniatures de toutes les époques. On y trouvera quantité de sujets à copier ou dont on pourra s’inspirer, si on veut rester dans la tradition ancienne.

R. P. Ch. Cahier, S. J., Mélanges d'archéologie. Paris, Poussielgue, 1847-1853. Deux volumes de texte avec nombreuses lettrines et un fort volume de planches.

Du même auteur, Nouveaux mélanges d'archéologie. Paris, Firmin-Didot, 1874. 2 volumes. Tome I. A signaler surtout les illustrations des articles suivants : Peintures d’un manuscrit du NiedermünSter de Ratisbonne. Miniatures impériales. Tome II. Bibliothèques : belles reproductions de miniatures et de lettres ornées. L. Curmer, Les Évangiles des Dimanches et Fêtes. Paris, 1864. XLII-364 pages ornées de miniatures en couleurs extraites de manuscrits divers : malheureuse­ ment accompagnées d’un texte français en caractères modernes. Les pages de l’époque romane sont bien rendues. Une autre partie contient un texte revu par l’abbé Delaunay, comprenant une histoire de l’ornementation des manuscrits, par M. F. Denis (pp. 1-143); puis des notices sur les princi­ paux manuscrits enluminés et les plus célèbres miniaturistes; une classification des diverses écoles de peinture dans les manuscrits; enfin la description des ornements du grand ouvrage en couleur, et l’indication de leurs origines. Le tout est accompagné d’une quantité con­ sidérable de vignettes et de lettres ornées, et d’indications bibliographiques très complètes.

M. -A. Racinet, L'ornementation polychrome, z vol. in-f°. Paris, Firmin-Didot. Ces deux magnifiques volumes contiennent chacun plusieurs feuilles consacrées aux orne-

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BIBLIOGRAPHIE ments des manuscrits et donnent quantité de motifs reproduits en couleurs avec une exaCtitude absolue, et références des manuscrits.

André Michel, Histoire de Part depuis les premiers temps chrétiens jusqu 'à nos jours. ' 3 vol. Paris, Armand Colin, 1907. Pour chaque époque on trouvera, pour les divers pays et tous les Styles, un chapitre sur l’ornementation des manuscrits avec d’excellentes reproductions en noir, souvent très réduites.

Emile Mâle, L'art religieux du X II e siècle en F rance. Etude sur les origines de l’iconographie du moyen âge. Paris, Armand Colin, 1923. Contient des reproductions de miniatures d’origine byzantine ou syrienne dont se sont inspirés les architectes romans.

Album de Villard de Honnecourt, architecte du X III e siècle. Manuscrit publié en fac-similé par J.-B.-A. Lassus. Paris, Imprimerie Impériale, 1858. Nombreux et précieux documents pour la miniature.

Archaeologia or Miscellaneous trafts relating to Antiquity, Published by the Society of Amtiquaries of London. Vol. XXIV, année 1832. Reproduction en magnifiques gravures au trait, des miniatures du BénédiCtional de Saint-Aethelwold : manuscrit du x e siècle, de l’école de Winchester. Dans le même volume, une planche du BénédiCtional de l’archevêque Robert de Jumièges, Xe siècle. Enfin plus de cinquante planches très curieuses au point de vue de l’histoire de la miniature, extraites d’une paraphrase en vers de la Bible, Xe siècle.

Von Franz Landsberger, Der St.-Galien Folchart Psalter. Eine InitialenStudie. Saint-Gallen-Verlag der Fehr’schen Buchhandlung, 1912. En sept planches dont cinq en couleurs, cette publication reproduit quelques miniatures du célèbre psautier de Folchart : elles sont accompagnées d’une étude sur l’école d’enlumi­ nure de Saint-Gall et ses rapports avec les écoles carolingiennes.

Monumentapaleographica Vindobonensia. Karl M. Hiersemann, Leipzig. ColleCtion des manuscrits les plus importants de la Bibliothèque Impériale de Vienne. Belles reproductions en couleurs. Deux séries de huit livraisons in-folio.

Annales archéologiques. Paris, Didron. Tome I, i844,p. 15. Miniature du X e siècle. Ecole française de Rome, Mélanges d'archéologie et d'histoire. VI e année, i886 ? pp. 446-482. Le rouleau d’Exultet de la Bibliothèque Casanatense. Planches VII et VIII. Très bonne reproduction.

Leroux d’Agincourt, Histoire de l'art par les monuments. Tome V, planches XIX-LXXXI.

vol. grand in-f°.

Peinture en miniature sur les manuscrits.

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BIBLIOGRAPHIE

Barbier de Montault, Traité d'iconographie chrétienne. Paris, 1890. 2 vol. Paul Lacroix et Seré, Le Moyen âge et la Renaissance. Paris, 1849. Beaucoup de lettres ornées; planches en couleur. Au tome II, long article de M. Aimé Champollion-Figeac sur les miniatures des manuscrits.

Louis Gonse, L'art gothique. Paris, Librairies des Imprimeries Réunies. PP- 398-408 : L’enluminure des manuscrits. Revue de T art chrétien. Desclée. Chacune des années reproduit un certain nombre de miniatures.

Le miniature nei codici Cassinesi. Documenti per la Storia délia miniatura in Italia. Litographia di Monte Cassino. In-f°. Belle publication en fascicules, commencée en 1887; reproduisant en couleurs quantité de documents, avec notices explicatives.

Evangéliaire de Rabula. 26 planches in-f°. Miniatures syriennes du VIe siècle. Malheureusement les reproductions laissent à désirer. Henri Bordier, Description des peintures et autres ornements contenus dans les manus­ crits grecs de la bibliothèque Nationale. Paris, Champion, 1885. Mine abondante de renseignements utiles, avec illustrations. Dom Guéranger, Institutions liturgiques. Paris, Julien Lanier, 1851. Tome III, pp. 353-452. Ornements des livres liturgiques. Non illustré. Franz Steffen, Paléographie latine. 125 fac-similés en photographie avec explica­ tion et exposé de l’histoire de l’écriture latine. Paris, Champion, 1910. Enrico BanniSter, Monumenti Vaticani dipaleografia musicale latina. Leipzig, Ottone Arrassovitz, 1913. Nombreuses planches en phototypie. La librairie F. de Nobelle, à Paris, rue Saint-Sulpice, s’apprête à publier plusieurs ouvrages de luxe sur les manuscrits à miniatures de la Bibliothèque nationale dont beaucoup ont figuré dans l’exposition de cette Bibliothèque, en février 1926. On y trouvera de magnifiques reproductions accompagnées d’un texte dû aux meilleures autorités en ces matières. TRAITÉS PRATIQUES SUR L’ENLUMINURE

Théophile, prêtre et moine, Essai sur divers arts. Publié avec traduction française, par le comte Ch. de l’Escalopier. Paris, J.-A. Toulouse, 1843. Recettes de toutes sortes, pour les branches des divers arts que l’on pouvait cultiver dans un monastère du xn e siècle. 10

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BIBLIOGRAPHIE

Le Coloriste enlumineur. Desclée, Bruges. Série d’articles par Anatole Foucher.

Karl Robert, Traité pratique de l ’enluminure. Paris, Laurens, 1891. Il contient quelques bonnes indications. Les illustrations ne sont d’aucune valeur; celles qui reproduisent des lettres ornées ne portent aucune mention du manuscrit qui les a fournies.

A. Lecoy de la Marche, L ’art d ’enluminer. Paris, ErneSt Leroux, 1890. Texte latin d’un manuscrit du xiv e siècle, précédé d’une rédaction française contenant des renseignements pratiques.

Aug. Molinier, Les Manuscrits et les Miniatures. Paris, 1892. Alphonse Labitte, Les Manuscrits et l ’art de les orner. Paris, Laurens. Métier, histoire, pratique. M.-J. Loftie, Lessons in the art o f illuminating. London, Blackie & Son. J.-J. Laing, A companion to Manuel o f illumination. London, Windsor Newton. Edward Johnson, Writing and illuminating and lettering. John Hogg, London, q u ­ indications très pratiques mais par trop minutieuses pour l’écriture et la miniature. L’auteur tend surtout à la formation d’une écriture personnelle plus ou moins dérivée de celle des manuscrits.

John-M. Bradley B.-A., VLitiorical introduction to the collection o f illuminated letters and border s in the 'National art library Victoria and Albert Muséum. Eyre and Spottiswoode, London, 1901. Des études très intéressantes sur les Styles anciens sont données dans ce petit volume, avec indications détaillées des plus beaux manuscrits conservés dans les bibliothèques d’Europe. Nous nous sommes souvent inspiré des deux derniers ouvrages, dans le travail que nous publions. Heureux de retrouver dans Johnson les procédés que, depuis plus de quinze ans, l’étude des écritures anciennes nous avait fait adopter, nous avons quelquefois suivi son exposé en l’abrégeant. A M. John Bradley nous avons emprunté une classification des Styles déjà admise, mais présentée avec une grande clarté. Son livre nous a offert d’une façon très nette des renseigne­ ments détaillés qui ne se trouvent pas si heureusement groupés dans d’autres publications.

II



EXPLICATION DES PLANCHES1 Planche I. Frontispice. Le Christ, Roi de gloire. Evangéliaire du Mans. IX e siècle. Bibliothèque Nationale. Latin 261. Dans ce manuscrit, les lettres et les encadrements sont traités de la même manière : les barres d’or forment des compartiments dont les rinceaux sont alternativement gris mauve et vert olive sur fond noir. Mais la variété des motifs aux nervures et aux sertis de couleurs diverses, montre avec quel soin les artistes évitaient de se recopier. Les lignes blanches ou jaunes qui dessinent les contours des feuillages, se rejoignent aux angles des festons par une petite boucle intérieure, au lieu de l’angle vif que l’on rencontre ordinairement dans les manuscrits romans. Voir Tyniec, pl. III. Cette boucle eSt gracieuse, mais plus difficile à tracer que les feStons à angle vif : elle donne aussi au dessin moins de force et de netteté.

Planche IL Début d'un Fvangéliaire écrit pour l'empereur Lothaire f de Saint-Martin de Tours. Bibliothèque Nationale. Latin 266.

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Incipit Praefatio Sanéti Hieronimi Pr(es)b(yter)i inEvangelio. Capitales avec abréviations. Beau modèle de l’ornementation carolingienne. Les côtés du cadre sont d’une largeur exceptionnelle; des manuscrits de bien plus grande dimension ont des encadrements moins larges. Celui-ci donne, avec les capitales, un aspeét imposant à cette première page des Évan­ giles. Les entrelacs des angles, réguliers et soignés, moins compliqués que ceux des manuscrits celtiques, ont plus de force que ceux-ci, et sont bien caractéristiques de l’école carolingienne. t . Ces planches reproduisent de façon aussi exafte que possible les originaux : il nous a fallu seulement les réduire'dans une très faible proportion. Les trois premières sont faites d’après les excellentes reproductions de la colleétion de BaStard, sauf les rinceaux de Tyniec (pl. II). Les autres sont la copie fidèle de calques pris sur des manuscrits, qui étaient par ailleurs photographiés en entier. Il a donc été facile de reproduire les vraies teintes, que nous croyons être celles de l’époque’même des manuscrits. Car il eSt notamment des bleus et des verts que l’on retrouve dans les documents du ix e au x n e siècle, identiques en tous pays quel que soit l’état de conservation des manuscrits. L’humidité a pu ronger des pages, faire pâlir et jaunir l’écriture, ces couleurs restent fraîches, toujours les mêmes. Faites de terres, et sans produit chimique, elles étaient réellement inaltérables.

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E X PL IC A T IO N D ES PLA NCHES P la n c h e III . M ême manuscrit que la planche I L Canon des évangiles. Portique rom an avec encadrement . E n d’autres pages l’encadremen t e§t supprim é; mais alors des fleurons ou des feuillages s’échappent des chapiteaux ou de la base des arcs extérieurs et viennent garnir le vide trop grand laissé aux angles supérieurs de la page. Dans l’intérieur de ce portique, sont reproduites des portions d ’encadremen ts d ’un Sacramentaire du monastère de Tyniec, Pologne. Ce manuscrit du ix e siècle, composé certainement en pays lorrain n ’a pu malheureuse ment être étudié que sur des photographie s. Le coloris ne reproduit pas l’original mais celui de manuscrits contemporai ns. P la n c h e IV . Psalterium aureum de Saint-G all(Suisse) , écrit vers fyo p a r l'a bbéH artm ut. Initiales d ’un type très répandu dans les manuscrits du ix e au x n e siècle aux pays rhénans, en Suisse, en Bavière. Les fonds des lettres, presque toujours partagés en bleu et vert, d ’une teinte qui se retrouve partout, admettent cependant d ’autres couleurs surtout dans les ini­ tiales plus riches. L ’or eSt supprimé dans des manuscrits plus simples où les intervalles des branches ou feuillages sont laissés en blanc, avec leurs contours et ombres, formés de simples traits rouges, comme aux planches VII et VIII, avec ou sans fonds bleus et verts. P la n c h e V . A d m o n t j n . Hinsiedeln (Suisse). Graduels 115 et 114, X I e siècle. LI, I.-I. Initiales d ’un Evangéliaire d’Adm ont (Styrie). Les enroulement s sont du même style; mais le feuillage varié et plus gracieux offre les mêmes caractères que celui du Sacram entaire de Spire. Planche VIL Même genre que Saint-Gall. Manuscrits identiques : mais 113a toutes ses lettres d ’or, tandis que celles de 114 sont simplement au trait rouge avec fonds. Sur les branches, enroulées de façon très diverse, on retrouve toujours les mêmes bourgeons, les mêmes trèfles ou feuilles en pointe. P la n c h e VT. Psautier ambrosien de M ilan. X e siècle. M u n ic h , B ib lio th è q u e royale. Encadrem ents celtiques, dus sans doute à l’influence du monastère de Bobbio. Lettres très originales aux teintes un peu barbares des manuscrits celtiques. B : un prêtre revêtu d ’une chasuble et d’une sorte de pallium offre son manuscrit au Seigneur. Le Saint-Esprit représenté par la colombe, préside la scène. M : formé d’un ange qui révèle sans doute au saint roi David, autre branche de l’M, la prophétie messianique décrite dans le psaume M emento Dom ine David. O n retrouve quelquefois dans les manuscrits cette manière de construire des lettres avec des personnages. P la n c h e VTI. Sacramentair e de Spire. A . D . 1040. B ib lio th è q u e Im p é ria le de V ie n n e , 1845. Lettres aux enroulement s gracieux. Les D sont nombreux, car ils form ent la prem ière lettre de la plupart des oraisons. Ces lettres sont reproduites ici telles qu’elles se trouvent dans le manuscrit. Traitées plus richement, avec branches et feuillages en or, elles sont d’un très bel effet. Les petites lettres plus simples et assez frustes, au bas de la planche, sont d’un G raduel de Saint-Gall, ix e siècle. P la n c h e V I I I. Graduel de Saint-Psmme ran de Xatisbonne^ XT e siècle. M u n ic h , B ib lio th è q u e R o y ale, 14083. Lettres élégantes et légères faites d’un trait fin et net. O n peut les faire en or, en composer d ’analogues en combinant leurs enroulement s déjà si variés.

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TABLE DES MATIÈRES P réface................................................................................................................................ B ibliographie..................................................................................................................... Explication des planches...................................................................................................

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PREMIÈRE PARTIE : ÉCRITURE

Chapitre I. Du développement de récriture • ................................................................... 17 Capitales romaines. — Capitales rustiques. — Écriture cursive. — Onciale. — Minuscule et demi-onciale. — Écritures nationales. — École calligraphique de Tours. — Écriture carolingienne. — Écriture à partir du xn e siècle. — Écriture italienne du xve siècle. — Lettres ornées.

Chapitre IL Pratique de Vécriture. • .............................................................................34 Préparation des plumes. — Exercices préparatoires. (Matériel, pupitre, coups de plume. Choix et étude d’un modèle. Copie du modèle. Tracé des lignes). — Capitales et onciales.

Chapitre III. Analyse de quelques é c r it u r e s ..................................................................... 42 Capitale carrée. — Capitale rustique. — Onciale. — Demi-onciale. — Minuscule carolin­ gienne. — Minuscule du xn e siècle. DEUXIÈME PARTIE : ENLUMINURE

Chapitre I. Des divers styles d'enluminure • . . . . ............................................4-7 Art byzantin. — Art celtique. — Enluminure mérovingienne, visigothique et lom­ barde. — École carolingienne. — École de Winchester ou opus anglicanum. — Enlu­ minure dans les pays rhénans du x e au xn e siècle. — L’enluminure au xn e siècle. — L’enlu­ minure à partir du xm e siècle.

Chapitre IL Comment utiliser les styles anciens ? .............................................................y j Caractères généraux des Styles (ixe -xn e siècles).


TABLE DES MATIERES TROISIÈME PARTIE : PRATIQUE DE L’ENLUMINURE

Chapitre I. Matériel de P enlumineur •

................................................................ 61

Papier : parchemin, vélin. — Métaux : or, argent, platine, aluminium. — Couleurs. — Pinceaux. — Règles, équerres, compas.

Chapitre IL 'Exécution d'une page d'enluminure .... .........................................................67 I. Préparation du plan général et des feuilles à enluminer. IL Comment tendre la feuille de vélin. III. Écriture du texte. — Esquisse des enluminures. IV. Préparation du vélin pour la peinture. V. Pose des ors. — Divers procédés et recettes de pâte ou colle à dorer. — Écriture d’or. VI. Peinture. — Personnages et scènes. — Vêtements. — Encadrements, lettrines et ornementation. — Lettres d’or ornées. — Capitales et onciales sur fonds de couleur. — Inscriptions, écriture de textes, sur couleurs.


I


DÉBUT DES ÉVANGILES ÉCRITS POUR L’EMPEREUR LOTHAIRE, A L’ABBAYE DE SAINTMARTIN DE TOURS Bibl. Nat., ixe siècle i re moitié.


PREM IÈRE PARTIE Écriture. CHAPITRE PREMIER Du développement de l’Écriture/ OS écritures modernes dérivent des Capitales romaines dont nos majuscules restent la copie plus ou moins exafte. Les belles lettres des inscriptions monumentales de l’époque des Césars ont été modifiées au cours des siècles, et l’étude pratique de ces transfor­ mations nous fera connaître les meilleurs types d’écriture du moyen âge; peut-être nous les fera-t-elle apprécier et aimer.

N

CAPITALES ROMAINES. -

CAPITALES RUSTIQUES

Les Capitales romaines yenaient, semble-t-il, de lettres grecques dérivées ellesmêmes d’alphabets phéniciens répandus dans les colonies de la Méditerranée, et probablement plus anciens que les hiéroglyphes de l’Égypte. Les manuscrits les plus beaux que nous a laissés la période de l’empire romain sont écrits en capitales quadratae, imitées de celles des inscriptions (planche II, fig. i et 2). Bien plus faite pour le ciseau du sculpteur que pour la plume ou le pinceau du scribe, cette belle écriture subit sans tarder l’influence de ces instruments. Et elle se transforma rapi­ dement en capitale rustique, moins régulière mais plus souple, sans être cependant dépourvue de fermeté et de beauté (fig. 2). ’l


ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

Jusqu’au VIe siècle cette nouvelle écriture eSt employée dans les manuscrits. La capitale carrée subsiste encore; elle sert aux titres, aux initiales, et ses formes régulières deviennent le type généralement suivi pour les grandes lettres ornées. Capitales carrées et capitales rustiques maintiennent leurs droits jusqu’au XIIe siè­ cle; et sans transformation notable elles apparaissent au début des chapitres, aux principales divisions, aux mots importants. ÉCRITURE CURSIVE A côté de ces capitales réservées aux titres, ou au texte lui-même dans les manu­ scrits plus précieux, se forme une cursive employée dans l’écriture courante. Elle reproduit les capitales, mais en les traçant rapidement à la plume ; de ce fait leurs formes sont légèrement modifiées. A son tour l’écriture soignée, la capitale rustique, se transforma sous l’in­ fluence de la cursive, et par suite de l’emploi du vélin. Sur la peau bien préparée, la plume courait mieux que sur le papyrus; elle était aussi plus souple que le Stylet avec lequel on écrivait sur les tablettes de cire. Les capitales devinrent plus arrondies et donnèrent naissance à Xonciale qui bientôt les supplanta comme écriture des codices (fig. 3). ONCIALE Formée au III e ou IV e siècle, l’onciale devient l’écriture ordinaire des scribes jusqu’au début du IX e siècle. Puis elle ne sert plus qu’à certains manuscrits plus riches, et se conserve sans altération jusqu’au XIIe siècle, alternant souvent avec la capitale carrée et la capitale rustique dans les titres, les incipit, les mots impor­ tants. Et c’est de l’onciale que nous viennent quelques-unes de nos lettres mo­ dernes par ex. a, ê, (fig. 4 et 5). Ces lettres onciales, écrites à la plume, sont belles et lisibles : leurs formes élégantes et arrondies se font tout naturellement par la plume ou le roseau conve­ nablement taillés. Comme dans les capitales, les lettres sont d’égale hauteur, et peu de traits soit en haut soit en bas, dépassent l’alignement. »

MINUSCULE ET DEMI-ONCIALE En même temps que se formait l’onciale, la cursive minuscule se développait. Elle a pour caractéristique la hauteur inégale des lettres qui se prolongent au-dessus ou en dessous de la ligne. Bientôt cette cursive se combina avec l’onciale pour constituer la demi-onciale aux lettres grandes et larges, surtout dans les débuts où elles gardaient encore des formes d’onciales (fig. 7 et 8). Cependant la demi-onciale reste une écriture minuscule, et la plupart de ses 18


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F ig . i . CAPITALES QUADRATAE Titre et début du i c r Psaume d’un Psautier latin du Xe siècle. Manchester. Rylands Library, 133.

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DU DÉVELOPPEMENT DE L’ECRITURE


ÉCRITURE ET ENLUMINU RE DES MANUSCRITS

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F ig . 3. ONCIALE. CODEX AMIATINUS, vm e siècle. Florence, Bibl. Laurentiana. — Écrit à Yarrow.

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DU DÉVELOPPEMENT DE L’ÉCRITURE

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ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

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e Fig. 5. ONCIALE. SACRAMENTAIRE DE SAINT-AMAND. FRANCO-SAXON. ix SIÈCLE

Bibl. de Stockholm.


DU DÉVELOPPEM ENT DE L’ÉCRITURE

lettres sont empruntées à la cursive : les scribes l’adoptèrent, sans aucun doute afin d’écrire vite et facilement. ÉCRITURES NATIONALE S De toutes les écritures romaines qui subsistèrent après la chute de l’empire d’Occident, se formèrent en plusieurs pays des écritures nationales. Ce sont des écritures minuscules issues de la cursive à laquelle chaque région imprimait un caractère spécial. Ainsi prirent naissance les écritures italienne, lombarde, méro­ vingienne et visigothique. Mais en Irlande et en Angleterre les écritures nationales, au lieu de se modeler sur les cursives minuscules, s’inspirèrent des demi-onciales romaines qui avaient sans doute été introduites en Irlande par des missionnaires venus de Rome. Au VII e siècle ces écritures atteignirent leur plus haut degré de perfection, puis elles se transformèrent en devenant plus pointues. L’écriture des livres irlandais modernes n’eSt autre que cette ancienne écriture nationale de l’Irlande (fig. 6). ÉCOLE CALLIGRAPH IQUE DE TOURS Au IX e siècle l’école calligraphique de Tours imita la demi-onciale, et pour des manuscrits entiers se servit avec succès de cette nouvelle écriture. Elle diffère assez peu d’ailleurs, de la minuscule carolingienne de la même époque. ÉCRITURE CAROLINGIE NNE Le règne de Charlemagne si fécond pour la vie religieuse et les arts, fait aussi époque dans l’histoire de l’écriture, car le renouveau des études en entraîna la réforme. Déjà les écoles de Tours avaient donné de remarquables modèles de la demi-onciale : et c’eSt là encore, spécialement dans l’école de Saint-Martin, en même temps peut-être que dans l’école palatine d’Aix-la-Chapelle, que se forma la belle écriture qui a reçu le nom de minuscule carolingienne. Elle se répandit bien vite, non seulement dans les pays francs, mais dans toutes les régions voisines; et sauf en Irlande, elle supplanta peu à peu les écritures nationales Certains font venir la minuscule carolingienne de la demi-onciale, d’autres la font dériver exclusivement de la minuscule mérovingienne. Il semble qu’elle a été une transformation de cette dernière sous l’influence de la demi-onciale, toutes deux venant d’ailleurs de la cursive romaine (7, 8 et 9). 1. Alcuin d’York fut abbe de Saint-Martin de 796 à 804 et les manuscrits Alcuiniens sont de toute beauté; les figures 7 et 8 en sont des reproductions.

23


ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

Dans la minuscule carolingienne chaque lettre a sa forme déterminée, e$t indé­ pendante de sa voisine ou ne lui eSt jointe que par un trait de liaison (fig. 9). Cette écriture se développa dans les siècles suivants et arriva au XIIe siècle à sa perfection, au moins pour la régularité. Mais ce développement ne fut ni continu ni général : des régions, des écoles, des copistes conservèrent les anciennes formes, et jusqu’au XII e siècle il reste parfois difficile de déterminer, d’après l’écriture seule, l’âge d’un manuscrit dont la date peut, suivant la provenance, osciller entre le IX e siècle et la fin du XI e (fig. 10). Les pérégrinations des moines irlandais qui portèrent sur le continent leur écriture nationale tout en adoptant la Caroline, transformant l’une à l’aide de l’autre, engendrèrent des écoles nouvelles et créèrent des écritures plus ou moins différentes des types caractéristiques. Il n’en reste pas moins que les lettres de nos cahiers d’écriture, comme celles de notre écriture latine d’impression descendent directement de la minuscule carolingienne (fig. 11). ÉCRITURE A PARTIR DU X II e SIÈCLE Le changement qui se produisit du X e au XII e siècle fut sans doute le résultat du maniement plus aisé de la plume par des scribes plus soigneux. L’écriture devint plus régulière, les intervalles des lignes et des mots furent mieux gardés, en même temps que les lettres, formées avec plus de soin, se rapprochaient naturel­ lement; d’où économie d’espace et de temps. Cette modification de l’écriture correspond précisément à l’époque où, en architecture, l’ogive remplace le plein cintre. La distinction entre les traits forts et les déliés devient plus sensible; les traits ronds des lettres se brisent, et bientôt on rencontre deux brisures au lieu d’une, particulièrement dans les Missels et livres liturgiques, d’où le nom d’écri­ ture de Missel, ou encore de « lettres de forme ». Au XIIIe siècle cette écriture atteint sa perfection, ses lettres assez espacées n’exagèrent pas encore les formes pointues (fig. 14). Au XIV e siècle tout devient plus serré et plus anguleux. Le rapprochement des lettres avait en effet amené la transformation des courbes en des traits qui se rejoignaient à angles plus ou moins ouverts : c’était déjà un acheminement vers les caractères gothiques. Le désir de gagner de l’espace, justifié par l’usage du papier qui au XIII e siècle était encore une rareté, fit adopter pour les livres une écriture plus fine, compliquée encore par des abréviations nombreuses. Peu à peu on en arriva au XV e siècle à des caractères plus hauts, plus serrés, qui ne pré­ sentent qu’une série de larges traits verticaux dont les extrémités sont réunies par de minces lignes obliques souvent tracées après coup par une plume fine et 24


DU DEVELOPPEMEN T DE L’ÉCRITURE

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Fig . 6. ÉCRITURE SAXONNE DU vm e SIÈCLE London. B. M. Harley 2965. Passion selon les quatre Évangiles.


ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

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Fig . 7. CAPITALES ET ONCIALES Demi-onciale et minuscule carolingienne. École de Tours.


DU DÉVELOPPEMENT DE L’ECRITURE

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2. Tropaire Graduel de Saint-Emmeran de Ratisbonne. xie siècle. Munich Bibl. R. C. 1. m. 14083. F ig . 9. MINUSCULE CAROLINGIEN NE UN PEU M ODIFIÉE


DU DÉVELOPP EMENT DE L’ÉCRITUR E ♦

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ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

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Fig . 13. ÉCRITURE ANGLAIS E DU xn* SIÈCLE. Graduel de Saint-Alban. British Muséum Royal, 2 B. IV.


ÉC R ITU R E E T EN LU M IN U R E DES MANUSCRITS < —

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1. Missel Prémontré de Paris. Londres B. M. Add. 11862. 2. Missel de Stavelot. x in e s. Londres B. M. Add. 18031.

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3. Psautier de Brescia xiv e s. Manchester. Rylands lib. lat. 75. 4. Missel de Mayence x n e s. DarmStadt 3183. Fig. 14. ÉCRITURES DES xn« et xiii® SIÈCLES.

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DU DÉVELOPPEMENT DE L’ÉCRITURE

avec une précision mathématique. Les humanistes appelèrent cette écriture « gothique » c’eSt-à-dire barbare, car ce nom n’a jamais rattaché à l’ancienne nation des Goths l’écriture qu’il désigne. ÉCRITURE ITALIENNE DU XV e SIÈCLE Au début du XV e siècle on revint en Italie à l’ancienne minuscule, et l’Europe entière subit l’influence de cette rénovation. L’écriture italienne avait toujours conservé une certaine rondeur : tout en suivant de loin les modifications qui conduisirent à la gothique, elle n’avait jamais atteint les formes anguleuses adoptées en d’autres pays. Les scribes de la renaissance italienne prenant comme modèles les types du X I e et du XII e siècle, donnèrent à leurs caractères une perfection si achevée que l’on ne saurait attribuer au moyen âge les livres de cette période, alors même que la blancheur ou la finesse de leur vélin ne les trahirait pas d’avance. C’eSt là l’écri­ ture « antique rotonde » appelée quelquefois écriture « humaniStique ». Les premiers imprimeurs italiens l’adoptèrent : et en se modifiant sous l’influence de la cursive alors en usage, elle donna naissance en même temps aux caractères d’imprimerie dits « petites lettres romaines » et aux « lettres italiques ». t

LETTRES ORNÉES Elles ne furent à l’origine que les lettres ordinaires, capitales ou onciales agrandies et développées pour former la première lettre d’un chapitre, d’un psaume, d’une antienne. Coloriées le plus souvent, elles furent, selon le goût des artistes et la richesse du livre, augmentées des ornements les plus variés qui partaient du corps de la lettre, s’y accrochaient, encadraient quelquefois une petite scène inspirée par le texte voisin ou par la fête dont on voulait souligner ainsi l’importance. L ’art des enlumineurs s’exerce là en toute liberté, mais presque toujours ils con­ servent aux lettres leurs formes traditionnelles.


ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

CHAPITRE II Pratique de l’écriture. ES scribes anciens se servaient de roseaux ou de plumes d’oiseaux, cygnes, aigles, dindes, oies, corbeaux. Au lieu de produire les gros traits par la pression de la plume, comme nous le faisons aujour­ d’hui avec nos plumes de fer, ils les obtenaient par la forme même du bec de la plume dont l’inclinaison plus ou moins grande donnait aux traits leurs diôérentes valeurs. Les écritures droites comme l’onciale, la demi-onciale et leurs dérivées, écritures irlandaise et anglaise, se faisaient avec une plume taillée pour tracer les traits horizontaux fins et faire des traits verticaux épais de toute la largeur du bec. La plume était maintenue dans un plan perpendiculaire à la surface du parchemin. Cette façon d’écrire n’eSt pas naturelle, et il eSt plus normal de tenir la plume inclinée, c’eSt-à-dire en portant de côté vers l’épaule droite le bout opposé au bec. Aussi à partir du VIII e siècle on revint à ce qui avait sans doute été en usage au temps de la cursive romaine. C’eSt alors que les écritures irlandaise et anglaise prirent une forme plus pointue, et que les traits des demi-onciales furent créés par ce nouveau coup de plume : Les traits fins prirent une direétion oblique, ce qui rendit les lettres plus angu­ leuses et moins larges, le passage du trait large au trait fin se faisant sans transition : on eut au heu de Ll- Les traits les plus larges ne furent plus les traits ver­ ticaux mais les traits obliques, ce qui élargit les courbes de gauche au bas des lettres et celles de droite en haut C C DD . Les traits horizontaux moins fins, donnèrent des lettres plus fortes et moins élégantes; et les traits verticaux devenant au contraire plus fins, on tendit à rétrécir les lettres. Cependant l’école carolingienne réussit à garder à ses lettres la forme ronde et ouverte des écritures antérieures. Cette influence de la plume et de son maniement nous montre que pour repro­ duire les écritures anciennes avec leur caractère original, nous devons nous faire la main et écrire à l’aide des mêmes instruments qui ont servi aux anciens scribes. Et comme eux il nous faut aussi préparer nous-mêmes nos plumes et les tailler de la forme voulue par chaque écriture. 34


PRATIQUE DE L’ECRITURE

I. PRÉPARATION DES PLUMES Nous ne parlerons pas des roseaux qui n’étaient employés sur le vélin que pour les grands titres, et, dans les missels du X IIIe et du XIV e siècle, pour le gros texte du Canon de la Messe. La plume de corbeau, mince et ferme, a servi, à partir du X IIIe siècle surtout, à sertir d’un mince trait noir les enluminures et à tracer les légers filigranes qui courent le long des pages. Les plumes d’aigle ou de cygne sont belles et fortes : celles d’oie et de dinde, plus communes, se trouvent facilement ; et, bien préparées, elles suffisent à toutes les écritures. On peut d’abord les ébarber si l’on craint d’être gêné par leur trop grande dimension. La plume sera coupée grossièrement, et on lui donnera de suite une forme approchant de sa forme définitive (fig. A).

Fig. A

Elle sera ensuite fendue à peu près au milieu de la pointe A. L’expérience appren­ dra quelle longueur on peut donner à cette fente, variable selon la dureté des plumes, et la souplesse de la main qui s’en servira. Des plumes très dures supportent une fente de 9 à 10 millimètres ; la plume y gagne de la souplesse, mais le bec s’ouvrira assez vite et obligera à une retaille de la plume. Les couteaux spéciaux ne sont pas nécessaires ; un bon canif bien tranchant, un fort couteau aiguisé sur le côté droit pour former biseau donneront les meilleurs résultats. Les côtés de la plume sont alors parés, c’eSt-à-dire taillés et raclés pour former la pointe, laissant la fente bien au milieu : la plume sera d’autant plus souple que l’on aura laissé plus de lon­ gueur à l’épaulement a b (fig. A). La pointe eSt coupée à la largeur voulue, qui e§t l’épaisseur des plus gros traits que doit fournir la plume courant de haut en bas et sans pression sur le papier ou le vélin. Pour bien couper la pointe, appliquer la plume le dos en dessus sur le bord d’une plaque de verre ou d’une surface dure, incliner le canif de façon à former un biseau comme celui des ciseaux de menuisier, et couper dans la direction voulue, faisant avec l’axe de la plume un angle plus ou moins grand. Pour des écritures droites, la pointe serait coupée perpendiculairement à l’axe de la plume, 35


ÉCRITURE ET ENLUMINU RE DES MANUSCRITS

ou si l’on veut, à la fente déjà faite (fig. B), tandis que pour les écritures qui exigent une certaine inclinaison de la plume, le canif devra cou­ per la pointe à un angle plus aigu : au lieu de couper à angle droit avec la fente, on pourra réduire à 75 ° ou même 70° pour des cas spéciaux. Le biseau permettra à la plume de faire des traits d’autant plus fins qu’il aura été plus allongé (fig. C). Cela fait, on égalisera les deux becs, sans toucher à la pointe, en les grattant sur le côté; on grattera aussi

Fig. C.

légèrement en dessous de la pointe afin que la surface soit bien plate et ne forme pas un creux, et que la tranche des deux becs porte également sur toute sa largeur. On peut examiner à la loupe la pointe ainsi préparée et s’assurer que la fente n’a pas été ouverte, que les deux becs sont bien en ligne et donneront par consé­ quent des traits pleins et réguliers. Il eSt préférable de couper la pointe un peu plus large et de la réduire par grattage, en dessous et sur les côtés. Cette préparation minutieuse de la plume serait exagérée et presque inutile si pour écrire 011 la plongeait simplement dans l’encre, comme on le fait avec les plumes de fer. On écrirait alors avec la goutte que Ton recueillerait au bout de la plume sans jouir des avantages dus à tant de soins. Si on garde le dos de la plume bien sec, remplissant seulement l’intérieur avec un pinceau ou une autre plume, on écrira avec l’encre débitée par le fin tranchant si soigneusem ent pré­ paré, et on pourra faire à volonté les traits fins ou les traits épais, sans aucun appui. Même, afin de régler le débit, et de conserver dans la plume une bonne provision d’encre, sans danger de la voir se répandre en grosses taches, on y Fig. D.

fixera un ressort : notre plume d’oie deviendra ainsi une véritable plume à réser­ voir. Ce ressort sera fait d’une petite bande de fer blanc taillée avec des ciseaux dans une boîte de conserves ou autre, peu épaisse. On lui donnera environ 4 cen­ timètres de long et 1 à 2 millimètres de large, réduisant son extrémité à la largeur exafte de la pointe de la plume. Le maniant entre les doigts, on lui fera prendre la forme d’un S allongé et presque ouvert du côté aminci et on l’introduira dans la plume, repoussant cette extrémité jusqu’à 1 ou 2 millimètres de la pointe (fig. D). 36


PRATIQUE DE L’ÉCRITURE

L ’encre placée avec un pinceau ou une plume dans la partie A sera maintenue dans cette cavité et coulera facilement par le bec. L ’expérience apprendra vite à chacun quelle e§t la meilleure courbure à donner au ressort pour qu’il tienne bien dans la plume et puisse recevoir assez d’encre : l’extrémité A trop aplatie, il ne recevrait presque rien ; trop courbé il laisserait déborder l’encre ou ne tiendrait qu’une grosse goutte à l’extrémité. Et l’encre coulera d’autant plus abondamment que le bout du ressort sera plus rapproché du bec de la plume ; il y a donc lieu de procéder à un petit réglage. La plume ainsi préparée durera longtemps : si à l’usage les becs s’écartent, un coup de plume un peu fort donné avec le dos de la plume suffira souvent à les rapprocher. Sinon il faudra refaire le biseau du bec un peu plus loin, et parer de nouveau les bords sans que l’on soit obligé, si la fente est encore assez grande, de retailler à nouveau toute la plume. Ces détails paraîtront menus peut-être : mais outre que la plume d’oie permet d’obtenir les formes propres à chaque écriture et que sa préparation minutieuse assure de bons résultats, l’usage du res­ sort fera gagner du temps, évitera les traits empâtés, et la peine que l’on aura prise sera largement compensée. IL EXERCICES PRÉPARATOIRES 1° MATÉRIEL

Pupitre. — Les miniatures de toutes les époques nous montrent les Evangé­ lises écrivant sur un pupitre incliné ; et sur ce point, l’accord eS presque absolu entre les manuscrits grecs les plus anciens et les évangéliaires du IX e au X II e siècle. Les petits tableaux qui nous représentent au XIV e et au XV e siècle un atelier d’enlumineur, nous prouvent que le pupitre incliné reSe en faveur auprès des copiées et des miniaturises. L’expérience démontrera l’avantage de cette inclinaison, très favorable au débit régulier de l’encre, et à une vue plus nette des lignes verticales qui, de cette façon, ne se présentent pas en raccourci. A défaut d’un pupitre, une planche peut être fixée par des charnières sur le bord d’une table, et plus ou moins inclinée à l’aide de supports ou d’une crémaillère. Encre. — On peut fabriquer son encre d’après un des nombreux procédés que l’on trouve dans les traités anciens. Les encres de Chine liquides sont bonnes : si on les trouve trop crues pour des travaux soignés, on pourra en faire une aux tons plus chauds. Pour les exercices il suffit d’une encre bien noire qui ne dissimule aucun défaut, bien liquide et coulant facilement de la plume. Un papier assez doux et non glacé convient aux exercices. Sur le pupitre incliné la feuille sera en partie recouverte par un sous-main plus large, papier ou buvard, 37


ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

maintenu cle chaque côté par des punaises. En faisant glisser la feuille vers le haut, aussitôt une ligne terminée, on écrira toujours à la même hauteur et la main se fera à une plus grande régularité. Au début on peut donner au pupitre une inclinaison de 45 ° : une fois la main habituée rà cette position d’abord fatigante, on pourra augmenter l’inclinaison jusqu’à 6o°. Alors la plume tenue presque horizontalement ne laissera couler que l’encre nécessaire. Coups de plume. — L’étude pratique des coups de plume se fera avec une plume très large, ou même un roseau, afin de tracer des grandes lettres à traits épais. Le biseau bien taillé donnera des traits nets, larges ou fins selon la position de la plume : c’eSt là, avec la gradation dans les courbes, ce qui donnera à l’écri­ ture son véritable caractère. La plume doit être maniée avec sou­ plesse : si la main eSt trop ferme, on ne sent plus assez le contaét avec le papier. Sur un bout de papier semblable à celui des exercices, on essaiera les traits ; et l’expérience déterminera pour chacun les positions de la main, l’incli­ naison du papier, la forme exaéte de la plume qui donnent les meilleurs traits, fermes et nets : traits horizontaux fins, ---- ; traits verticaux larges, | | |. Tout doit être agencé de telle manière qu’en écrivant, le biseau de la pointe reSte tou­ jours parallèle à la direction des lignes (fig. E, a, f, d \ Les croquis ci-dessus montrent comment on peut tracer également les traits hori­ zontaux et verticaux avec des plumes diversement taillées mais tenues à angles diffé­ rents (fig. E, <7, b, c), ou bien, en écrivant sur une feuille placée en oblique (fig. E, d \ En écrivant sur le pupitre incliné, le débit de l’encre se fait doucement; on le rend plus ou moins rapide par l’élévation ou l’abaissement de la plume : on le fait varier aussi en modifiant la distance du bout du ressort à la pointe de la plume. Comme les anciens copistes, on peut fixer à droite du pupitre l’encrier, et le pinceau dont on se sert pour remplir la plume. On doit toujours veiller à ce que plume et ressort ne s’encrassent pas et restent très propres. 2° CHOIX ET ÉTUDE D’UN MODÈLE

Pour se faire la main on choisira une écriture ronde et droite comme la demionciale (fig. 4 et 5). Quand on aura appris à tracer facilement ces caractères, on passera sans peine à des écritures inclinées et plus anguleuses. Ayant choisi un manuscrit, ou un bon fac-similé, on se rendra compte de l’appa38


PRATIQUE DE L’ÉCRITURE rence generale, étudiant avec soin toutes les particularités : réglage des lignes, dimensions et proportions, valeur des titres en capitales ou en onciales avec leur disposition spéciale. Un examen attentif pour lequel on s’aidera même d’une loupe, dévoilera les coups de plume qui ont donné à certains traits caractéristiques une forme qui ne pourra être obtenue d’une autre manière. La forme et l’agence­ ment des lettres seront notés avec attention. Il deviendra alors facile de reproduire cette écriture avec son vrai caractère. On se servira d’abord d’une plume plus grosse afin de faire un agrandissement dans lequel on découvrira mieux les défauts : la main prendra pour chaque lettre la position qui convient le mieux et s’habi­ tuera à écrire sans lenteur. Si l’on écrit lentement, même en tenant mal la plume, on peut arriver à une certaine correélion; mais il serait impossible d’obtenir des formes correftes dès que, tenant mal la plume, on essaierait d’écrire plus vite. Et l’on ne sait écrire que lorsqu’on écrit vite et bien. C’e§t la plume, guidée par une main sûre, qui fait l’écriture. Aussi la patience et le temps consacrés à ces débuts seront récompensés par l’expérience, qui permettra bientôt d’imiter les anciens scribes dont les œuvres vieilles de dix ou douze siècles font encore notre admiration. Si dans l’écriture que l’on veut reproduire, il se trouve quelque lettre trop originale, qui en rende la leéture plus difficile, on peut la modifier légèrement sans nuire au caractère général de l’écriture. Mais ces changements doivent se faire avec mesure, sous peine d’arriver à une écriture modernisée et dépourvue du cachet qui reste le privilège des anciens types. Parmi ceux-ci chacun pourra trou vendes écritures lisibles et parfaitement belles, à son goût : si on veut bien se priver de la satisfaction toute personnelle de se créer une écriture à soi, nous croyons pouvoir affirmer que les résultats obtenus viendront compenser ample­ ment ce petit sacrifice. 3° COPIE DU MODÈLE

La plume portée de gauche à droite fera les traits horizontaux fins; de haut en bas elle fera des traits larges : les courbes seront faites par un coup oblique et descendant L To . Sur la fin du trait descendant, oblique ou vertical, alors que l’encre coule encore librement de la plume, on peut faire de suite et en remontant un trait léger qui forme le pied de certaines lettres ou le raccord d’un autre jam­ bage [ [ q . De même, la plume reportée sur le trait vertical encore humide y amorcera plus facilement les courbes des b p m. Les hautes en massue ou ren­ forcées, des manuscrits carolingiens ou des écritures antérieures pour les b b it A se font par un premier trait ascendant avec appui sur la droite en arrivant au haut de la tige r t de façon à former l’amorce du trait descendant parallèlement,


ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

l’encre remplissant aussitôt l ’intervalle qui sépare en haut les deux traits t [ • f* et se font en commençant par le milieu à gauche, descendant puis remontant en suivant le premier trait pour revenir former la courbe supérieure. Les traits fins qui sont le pied de jambages verticaux se font, ainsi qu’il eSt dit plus haut, par un retour oblique de la plume à droite i 1 n i comme le petit trait du haut a été fait par un premier coup oblique ou horizontal avant de descendre verticalement ’ u . Certaines écoles relient les lettres par des traits d’accouplement qui se font par un coup de plume analogue à celui qui a fourni le pied. Généralement les lettres sont séparées dans les écritures que nous étudions, à l ’exception de zr c dont les extrémités viennent souvent toucher la lettre suivante. Jusqu’au XIIe siècle le véritable trait d’accouplement ne se rencontre que dans et quelquefois- dans r V T t . La cursive a toujours une tendance à relier les lettres. Les lettres d’un mot, alors même qu’elles ne sont pas jointes, forment un ensemble qui doit toujours conserver une apparence d’égalité. Le défaut des scribes qui unissaient les mots entre eux ne doit pas être imité par le calligraphe moderne. Dans les écritures soignées les intervalles des mots varient assez peu, tandis que les distances entre les lettres sont très variables, selon que les traits adjacents sont courbes, inclinés ou parallèles. Pour que l’asped général soit satisfaisant, deux lignes courbes devront être plus rapprochées que deux traits verticaux : ce rap­ prochement des courbes évitera une tache de lumière, tandis que l’éloignement des lignes parallèles empêchera une tache noire. On obtiendra ainsi une uni­ formité agréable à l ’œil o u ,tn , p^cuper^. Entre les mots il suffira de laisser l’espace d’un o pour que le texte soit très lisible. Les lignes devront être assez rapprochées pour que les jambages montants et descendants arrivent juste à se rencontrer. Cependant les anciennes écritures les prolongent volontiers, et souvent ils empiètent les uns sur les autres : alors il faut s’ingénier un peu, élargir ou resserrer les lettres d’un mot afin que la haSte d’un b, d’un d, ne vienne pas heurter le pied d’un p, d’un q. Les lignes espacées de trois fois la hauteur de l’o faciliteront toutes choses : pour des lettres qui ont environ 3 millimètres de hauteur ou pourra tracer les lignes à 1 centimètre d’inter­ valle. 4° TRACÉ DES LIGNES

Tant qu’on s’exerce il suffit d’employer un papier non glacé, plutôt légèrement rugueux : mais afin d’habituer la main dès le début à une grande régularité il sera utile de tracer des lignes simples, ou même doubles, c’eSt-à-dire indiquant exacte­ ment la hauteur des lettres. Sur le papier les lignes pourront être tracées finement 40


PRATIQUE DE L’ÉCRITURE

au crayon, et si on le veut, effacées ensuite. Mais on peut déjà et pour les exerci­ ces sur papier, employer le procédé qui servira ensuite pour l’écriture soignée sur parchemin ou sur vélin. En effet, la gomme laissant toujours sa trace sur ces matériaux, on ne peut songer à les régler au crayon que si Ton veut conserver ce tracé qui n’embellit pas l’écriture. Les anciens réglaient leurs feuilles à l’aide d ’une pointe un peu émoussée d’os ou d’ivoire. La distance des lignes fixée une fois pour toutes pour chaque manuscrit, était marquée sur le bord des feuilles par une règle garnie de pointes qui perçaient le parchemin : ces trous servaient de guides pour le tracé des lignes d’écriture qui paraissaient en creux d’un côté, en relief de l’autre. Plus tard le bord percé de trous était coupé; il reste encore cependant dans nombre de manuscrits. Pour ce tracé une ou deux épingles, selon que l’on veut des lignes simples ou doubles, fixées au bout d’un manche et légère­ ment coudées à l’extrémité, fourniront un instrument très pratique. Un autre procédé plus rapide guidera encore plus sûrement que ces lignes en creux ou en relief, qui donnent à la page un cachet d’antiquité, mais sont parfois gênantes aussi bien pour l’écriture que pour l’enluminure, si on veut par exemple avoir, pour les titres, des lignes plus ou moins espacées. Sur une feuille de papier calque assez rigide, on tracera bien exactement au crayon fin toutes les lignes de la page, encadrées entre les deux verticales des marges ou de l’encadrement : lignes simples, ou si on désire être guidé complètement dans la hauteur des lettres, lignes parallèles doubles. Avec une roulette à molette de dessinateur ou simple­ ment avec une aiguille, on percera toutes ces lignes de trous assez rapprochés lignes doubles :

lignes simples : f

f‘

f "™ ”

Le papier calque transporté sur la feuille à écrire et bien repéré, e§t solidement maintenu d’une main, tandis que de l’autre main on ponce légèrement tout le long des pointillés avec un petit sac de toile mince plein de poussière de charbon de bois ou de fusain pilé. En soulevant un coin du papier calque on voit si les lignes sont suffisamment marquées; alors on l’enlève sans le faire glisser, et on fait disparaître l’excès de charbon en soufflant ou en tapotant légèrement à l’envers de la feuille. En se servant d’un sous-main, on pourra écrire ainsi toute une page sans que les dernières lignes soient effacées. Une fois l’encre bien sèche, on passera sur toute la surface des raclures de peau (parum) que Ton se procure chez les gantiers, et on débarrassera ainsi la feuille de toutes les parcelles de charbon, des taches qu’aurait pu y laisser l’appui des doigts ou du sous-main. En frottant doucement avec un mouchoir de soie ou de toile fine, on enlèvera enfin les der­ nières traces de parum qui adhéreraient encore au parchemin. 4 i

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ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

On peut se faire à l’avance plusieurs calques à poncer pour diverses grandeurs d’écriture ou pour intervalles différents des lignes, afin d’être toujours prêt. Ils se conservent des années si on a choisi un bon papier, qui, gardé à plat, ne variera aucunement. Le procédé eSt commode, rapide et ne laisse aucune marque. III. CAPITALES ET ONCIALES Si on a des titres, de grandes lettres à mettre soit au début des pages soit au cours du texte, les lignes pointillées guideront tout aussi bien pour ces caractères : mais il sera bon, au moins pour les capitales et grandes initiales, de les esquisser aupara­ vant au crayon. On peut encore sur une bande de papier calque, tracer par le même procédé des lignes parallèles de la hauteur des capitales, onciales, capitale rustique : on portera ces bandes au point voulu, et, par un ponçage rapide, on obtiendra de suite les guides nécessaires. Onciales et capitales rustiques se feront bien à la plume. On la taillera un peu plus large, avec un biseau droit et bien fait, et elle sera réservée à l’onciale : celle de l’écriture ordinaire pourra servir à la capitale rustique.

ACP ACP Fig. G.

Les capitales carrées se feront au pinceau plus facilement. On peut aussi les faire à la plume, en dessinant les contours avec une plume fine, puis remplissant les intervalles avec la même plume plus chargée d’encre ou de couleur (fig. G).

CHAPITRE III Analyse de quelques écritures. ARMI des centaines de manuscrits nous avons choisi ceux qui nous semblaient être caractéristiques d’une époque, en même temps qu’ils réalisaient des types d’écritures faciles à imiter, lisibles et élégantes. Ce choix a eu pour objet de montrer non seulement l’écriture courante, mais encore l’agencement des initiales et des titres : en un mot cet ensemble si bien combiné qui donne aux anciens manuscrits le caractère artistique qui manque trop souvent aux productions modernes.

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ANALYSE DE QUELQUE S ECRITURES

CAPITAL E CARRÉE Dans chaque ligne les lettres sont toujours de la même hauteur, sauf le cas d’abréviations ou le manque de place, qui fera mettre une lettre plus petite dans les intervalles de deux lettres, entre les jambages de sa voisine : parfois F et L dépassent le niveau supérieur. Dans les anciennes inscriptions, les jambages latéraux de M sont quelquefois inclinés ; dans les manuscrits, aussi bien pour les grandes initiales que pour les capitales des titres, ils sont le plus souvent ver­ ticaux. Tous ces traits verticaux solides et bien plantés, arrêtés par un trait fin, joints entre eux dans certaines lettres par des traits horizontaux ou obliques, légers mais toujours fermes, donnent l’impression de force qui fait la beauté des inscrip­ tions romaines (voir fig. i et planche II). CAPITAL E RUSTIQU E Les traits verticaux conservent ici l’importance qu’ils avaient dans la capitale carrée; les traits horizontaux sont à peine indiqués comme des moignons, sorte de virgules, qui partent obliquement des hautes, formées par un coup de plume rapide. Ce même coup de plume termine les jambages légers de N, M, T, A, I, R... L ’A n’a plus de traverse : les boucles du B sont très dissemblables, celle du haut se trouvant fort réduite. F et L dépassent le niveau supérieur des autres lettres alors que Q et parfois les pointes de N et U descendent en dessous. La plume taillée obliquement fait assez facilement toutes ces lettres, dont les traits fins se tracent par le tranchant du biseau de la plume qui se retourne aux extrémités pour la “ virgule ” initiale ou finale. Les panses de P et de R sont peu déve­ loppées et généralem ent elles ne viennent pas, à leur extrémité inférieure, s’accrocher à la hafte ; la queue de R s’avance obliquement vers la droite. Faites d’un trait de plume plus large que celui qui termine les hautes, les barres hori­ zontales de L T sont assez courtes. Le jambage de gauche de V e$t courbé ou sem­ blable au jambage de droite de A, alors que le jambage de droite, fait d’un trait fin, dépasse presque toujours la ligne en descendant obliquement ou verticalem ent. S un peu étriqué, eSt fait d’un jambage oblique terminé par deux petits retours qui forment les deux courbes d’une façon assez imparfaite. Un gros trait oblique croisé d’un trait fin recourbé en haut sur la droite et muni en bas à gauche du coup de plume en virgule, forme l’X de cette capitale. Le parallélisme de tous les gros traits obliques e§t presque parfait dans les beaux modèles de capitales rustiques : et il donne à cette écriture un caractère de force et 43


ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

de régularité qui n’eSt pas sans beauté. Mal faite elle a facilement quelque chose de désordonné et d’échevelé (voir fig. 2). ONCIALE Belles lettres arrondies qui gardent l’apparence de majuscules d’égale hauteur. Seules les hautes de H, L, K et la tige initiale de ô dépassent en dessus l’alignement des autres lettres, et, en dessous des lignes, les queues de A, G, F, I, P, Q, R, Y, et le côté gauche. de N. L’onciale se fait avec une plume taillée d’équerre, non pas obliquement. Les traits verticaux débutent par un fin coup de plume horizontal qui forme leur tête ; la plume ramenée verticalement de haut en bas trace le large trait qui s’arrête à la ligne par un nouveau trait horizontal pour B, H, L, T, descend un peu en dessous en se terminant en pointe rejetée sur la gauche pour F, I, P, R. Les côtés de N sont faits d’un trait fin, dans certaines onciales (fig. 4), ou d’un trait large en haut et descendant en s’amincissant ; le trait oblique, de toute la largeur de la plume (voir fig. 3 à 10). DEMI-ONCIALE ET MINUSCULE CAROLINGIENNE Les lettres sont fortes, rondes et larges, les hautes petites. Les a sont de deux formes : o n c ia le o u faite de deux c accolés GU. Quelquefois Va semble fait comme Va onciale dont le trait de droite s’est simplement prolongé sur la gauche par une boucle plus grande qui vient le rejoindre en son milieu <X. La languette de e eSt parfois oblique ; g eSt ouvert et ressemble presque à notre moderne, le trait horizontal se prolongeant un peu à droite. Beaucoup de lettres débutent par une ligne de fuite formée par le coup de plume initial : la barre de t e§t ondulée, rejoignant les lettres voisines : à la suite de <?, le même coup de plume trace la languette de e et la barre de /, de même la tête de r vient rejoindre la lettre suivante. D’ailleurs la séparation des mots e§t imparfaite. Le point en haut marque la fin des phrases dont la première lettre e§t généralement une onciale (voir fig. 7 et 8). Le graduel de la cathédrale de Trêves (fig. 9, 1), nous donne un beau modèle d’écriture du X e siècle. La minuscule carolingienne y eSt déjà modifiée. L’ensemble a un aspeâ: très harmonieux, régulier : les lettres rondes et fortes ont des hautes bien proportionnées. Les boucles des e sont petites, et pourraient être agrandies. Certains r et r descendent au-dessous de la ligne alors que d’autres ne la dépassent pas : on pour­ rait adopter la seconde manière qui rendra l’écriture régulière et plus élégante. La boucle de gauche des a gagnerait à être développée comme celle des e ; les


ANALYSE DE QUELQUES ÉCRITURES

jambages de m et n sont terminés en pointe, alors que dans d’autres manuscrits ils s’arrêtent par un pied muni ou non d’une petite ligne de fuite. Les barres des t sont droites, forme qui peut être adoptée aussi bien que la forme ondulée encore fréquente à cette époque. Le point final eSt en haut, le point intermédiaire en bas. Le manuscrit de Saint-Emmeran de Ratisbonne (fig. 9, 2) nous rapproche au X I e siècle de l’écriture du XII e , restant cependant d’allure carolingienne. La planche VIII reproduit de nombreuses initiales de ce Graduel. Les manuscrits de Bamberg lit. 6, (fig. 10), de Bobbio, Milan D. 84, (fig. n ) sont de bons modèles de la minuscule des X e et X I e siècles en Allemagne et en Italie.

MINUSCULE AU XIIe SIÈCLE L ’Antiphonaire 601 de Lucques (fig 12) eSt un beau spécimen de l’écriture italienne qui reste, au X II e siècle, une Caroline plus soignée, très régulière. A la même époque, en Angleterre, le Graduel de Saint-Alban nous offre à son tour une écriture encore ronde, parfaitement lisible, avec plus d’un caractère des anciennes minuscules. Les a sont déjà ceux de l’italique du XIV e siècle alors que les hautes des b, h, l, rappellent celles du X e siècle. Les boucles des e, la barre des /, plus développées donneraient aussi plus d’élégance à cette belle écriture sans en modifier le type. Les quatre manuscrits de la fig. 14 sont la démonstration de la tendance gothique qui s’accentue toujours jusqu’au XIV e siècle, sauf en Italie où le Psautier de Brescia (fig. 14, 3), garde encore des formes arrondies. Mais déjà au X II e siècle en Allemagne, le Missel de Mayence (fig. 14) nous prépare aux formes futures. Avant la véritable écriture gothique, cette dernière fait transition, avec ses lettres plus anguleuses, déjà pointues. Les traits épais sont brusquement terminés en angle, ayant parfois une ligne de fuite qui sera bientôt le petit trait fin qui joint les jambages des lettres gothiques. La barre horizontale du t e§t moins fine, mais rappelle quelquefois le / des minuscules d’autrefois. Dans tous ces manuscrits on trouve les deux formes de l’r, la forme onciale ou moderne étant plutôt réservée pour la fin des mots.

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DEUXIÈME PARTIE Enluminure. CHAPITRE PREMIER Des divers styles d’Enluminure. E l’alphabet romain, comme d’une source unique, nous avons vu dériver toutes les écritures, et nous avons pu tracer rapidement l’histoire de leur développement. Il semble bien prouvé que la lettre romaine eSt le type dont devra se rapprocher toute écriture qui veut rester traditionnelle et lisible. L ’ornementation des manuscrits n’a pas subi un mouvement analogue à celui de l’écriture, et il n’eSt pas possible de remonter à des types dont se seraient inspirés les divers Styles. Aussi bien il eSt difficile de faire en quelques pages, dans un ouvrage tout pratique, l’IiiSlorique de l’enluminure, de montrer comment se sont formées les diverses écoles, quelles ont été les influences réciproques d’écoles très éloignées dont les manuscrits et les procédés passaient d’un pays à l’autre par des fondations monastiques, par des échanges ou par des dons. Renvoyant donc aux ouvrages spéciaux qui traitent de ces questions, il faut nous borner à donner ici les caraélériStiques des Styles qui peuvent être les plus utiles à l’enlu­ mineur moderne, et l’inspirer dans ses travaux.

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ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

I. ART BYZANTIN Les enluminures de Style byzantin ornent toujours des manuscrits écrits en grec ; mais elles ont eu une telle influence sur d’autres Styles qu’il n’y aurait, à notre avis, aucune anomalie à les reproduire ou tout au moins à s’en inspirer pour orner des textes latins. L ’ornementation se compose surtout de bâtiments qui, dans les plus anciens MSS, sont imités du Style de Pompéi ; plus tard ils reproduisent l’architeéture byzantine avec ses coupoles et ses colonnades de marbres coloriés qui forment les arrière-plans. Ces motifs sont le plus souvent encadrés dans des bordures qui furent d'abord peu ornées. Lorsque, sous les empereurs iconoclastes, on dut renoncer à représenter les saints, ces cadres se parsemèrent de feuillages, de dessins linéaires ou d’arabesques ; parfois des oiseaux y trouvèrent place ou bien des panneaux coloriés toujours sertis et parsemés d’or. Les personnages sont imités de l’antique et dessinés selon les données d’un canon inflexible, et presque aussi rigide que le canon égyptien ou assyrien. Les mou­ vements sont raides, et pour chaque type l’expression reste invariable. Les dra­ peries, d’abord classiques, furent plus tard moins bien dessinées, mais richement ornées de broderies et de pierres précieuses. Presque toujours les miniatures et les petites scènes sont peintes sur une feuille d’or qui forme un fond sans relief, sur lequel étaient appliquées les couleurs brillantes et variées, mélangées de gomme ou de blanc d’œuf, souvent très épaisses ; composition du sujet, pratique et procédés de peinture obéissaient à des règles fixes. La Bibliothèque Nationale possède bon nombre de ces MSS byzantins parmi lesquels on peut citer : Psautier grec 139. Œuvres de saint Grégoire de Nazianze. Gr. 510. Gr. 543. Gr. 550. Œuvres de saint Jean ChrysoStome. Gr. 654. Evangéliaire du X III e siècle. Gr. 54. Les Évangiles de Rohault de Fleury donnent nombre de reproduétions au trait de saint Grégoire de Nazianze. Gr. 510. A raison de la ressemblance de Style, nous pouvons classer parmi les MSS grecs le fameux Évangéliaire syriaque de Rabula écrit en 586 et souvent reproduit. L ’original eSt aujourd’hui à la Bibliothèque Laurentiana de Florence. 48


PLANCHE III



DES DIVERS STYLES D ’ENLUMINURE

IL ART CELTIQUE Ce Style qui, grâce aux pérégrinations des moines irlandais, a pénétré dans tous les pays d’Europe, n’emprunte rien à l’architeélure ; la nature lui fournit quelques animaux Stylisés : les personnages ne servent qu’à la décoration et restent plus ou moins symboliques ; leurs traits sont grossiers, souvent à peine formés. Le coloris des figures eSt toujours barbare; les yeux, représentés par un point noir dans une tache blanche, sont démesurément grands. L’ornementation des manuscrits celtiques eSt surtout calligraphique, le dessin consistant en tresses et entrelacs imités du tissage, en spirales entremêlées parfois d’animaux aux formes bizarres et fantastiques : serpents, chiens, oiseaux plus ou moins reconnaissables. Et l’exécution de ces dessins si compliqués et presque toujours symétriques, eSt d’une perfection admirable. Les lettres initiales aux formes anguleuses et quelquefois peu lisibles sont formées de panneaux finement coloriés et bien combinés. Des lignes de points rouges encadrent les lettres et les bordures dont elles font ressortir les contours. Tout ce travail e§t généralement exécuté à la plume en encres ou couleurs liquides, noires et aux tons doux. Cadres et entrelacs sont souvent d’un coloris très harmonieux : vert passé, rouge violet et jaune ; le blanc et le noir sont très crus. On ne trouve jamais d’or, et les peintures n’ont pas le brillant des teintes byzantines. Adoucies quelquefois par un mélange de blanc, elles restent trans­ parentes et paraissent nous avoir été conservées telles qu’elles étaient il y a douze et treize siècles. Les plus beaux manuscrits celtiques sont aujourd’hui dans les bibliothèques d’Angleterre et d’Irlande : on en trouve encore à Saint-Gall, à la Bibliothèque ambrosienne de Milan, au Mont-Cassin. Nous verrons à quel point l’influence cel­ tique s’eSt fait sentir en France dans l’ornementation carolingienne; mais nos bibliothèques n’ont pas conservé de MSS comparables à ceux dont on a souvent publié des reproductions, le “ Book of Kells ”, l’Évangéliaire de Lindisfarne, l’Évangéliaire de Saint-Arnould de Metz à Nuremberg, l’Évangéliaire de SaintBoniface à Fulda. III. ENLUMINURES MÉROVINGIENNE, VISIGOTHIQUE ET LOMBARDE Dans son volume descriptif des MSS de la Bibliothèque de Laon, M. Fleury donne un certain nombre de lettres appartenant à des MSS mérovingiens. Ces lettres appelées icbtiomorpbiques ou ornitboéides parce qu’elles sont formées de poissons ou d’oiseaux grossièrement dessinés, sont curieuses par leur forme aussi 49

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ÉCRITURE ET ENLUMIN URE DES MANUSCRITS

bien que par leur coloris un peu barbare, mais harmonieux : et elles peuvent encore aujourd’hui inspirer des travaux originaux. Nous en dirons autant des lettres visigothiques et lombardes que Ton trouve dans des manuscrits espagnols ou italiens. Dans le Psautier ambrosien de Munich à la planche VI, nous trouvons à côté de caradères carolingiens, une inspiration lombarde ou celtique. IV. ÉCOLE CAROLIN GIENNE Au IX e siècle une véritable école d’enluminure se forme et se développe dans tous les pays soumis à Charlemagne : on l’a appelée École carolingienne, et quelquefois franco-celtique ou franco-saxonne. Elle subit l’influence de l’art celtique, plus encore peut-être de l’art byzantin. Elle eSt caractérisée par ses belles bordures foliagées, encadrées de bandes d’or ou de couleur, et surtout par ses magnifiques initiales aux tiges enlacées d’or ou d’argent, aux feuilles d’or déli­ catement enlevées sur fonds de pourpre, de bleu ou de vert. Dans les frontispices et les pages importantes, c’eSt toute la page qui e§t teintée de pourpre sur lequel se détachent capitales et onciales d’or, ou même une seule initiale majestueuse accompagnée ou non des lettres du premier mot, d’un chapitre, d’un psaume, d’une antienne. Ces grandes initiales toujours éclatantes d’or et d’argent, les imposants portiques dont sont ornées les pages principales et dans lesquels nous retrouvon s de nombreux motifs de l’architedu re romane, donnent aux manuscrits carolingiens et à ceux qui, jusqu’au XII e siècle, les ont quelque peu imités, un caractère de grandeur et de force que l’on ne saurait trouver dans les autres Styles. Les personnages, dessinés à l’antique, nous rappellent l’art byzantin par leurs habits et tous les traits encore un peu fruSles : visages allongés en ovale, yeux largement ouverts sous des sourcils arqués, nez longs et minces aux narines larges. Le Christ bénit à la manière des Grecs ; les figures sont coloriées aussi à la manière grecque. Les scènes se détachent quelquefois sur des fonds unis de couleur, plus rarement d’or; et parfois les fonds sont formés de panneaux coloriés, plus souvent de motifs d’architeélure imités des monuments byzantins répandus alors en Occident. L’or ne couvre pas ordinairem ent de grandes surfaces ; il e§t posé au pinceau ou à la plume sur une préparation spéciale. Il a quelquefois un beau relief encore sensible dans les bandes, les tiges et les feuillages qui forment les enroulements et les entrelacs des bordures et des lettres. La peinture e§t appliquée ici et là en de larges bandes qui forment le fond d’un mot écrit en lettres d’or ou d’argent. Les couleurs dominantes sont le violet, le pourpre, le bleu, le rouge, le vert et le jaune, posés en gouache épaisse comme dans les miniatures byzantines. Sur un


DES DIVERS STYLES D ’ENLUMINURE

premier fond clair se font les ombres des vêtements, les nervures des feuillages et des arabesques. Les Manuscrits carolingiens parvenus jusqu’à nous sont nombreux et font le plus bel ornement de nos grandes bibliothèques. Parfois la beauté et la richesse de leurs reliures d’or aux pierres précieuses, aux applications d’ivoire sculpté montrent le prix que l’on attachait à des textes où les scribes et les enlumineurs avaient déjà consacré toutes les ressources de leur art. Paris, Abbeville, Trêves, Vienne, Saint-Gall, Londres ont de magnifiques exemplaires d’Évangéliaires et de Psautiers dont il serait trop long de donner une liste. Bien des ouvrages d’ailleurs ont décrit ces riches manuscrits ; et chacun pourra facilement faire connaissance avec ce grand Style qui, malgré l’imperfeftion du dessin, eSl peut-être le plus décoratif et le plus beau de toute la période de l’enluminure. Manuscrits franco-saxons. — C’eSt à l’école carolingienne qu’il faut rattacher un groupe de manuscrits remarquables, étudiés par M. Léopold Delisle. La plupart viennent d’églises du Nord de la France et des Pays-Bas, selon toute apparence de la région septentrionale des anciennes provinces de Sens et de Reims. Le terme franco-saxon, consacré par les plus respectables autorités, mérite d’être conservé à ces beaux manuscrits à peintures dont la seconde Bible de Charles le Chauve (MS. n° 2, fonds latin de la Bibliothèque Nationale), eSt le type le plus caractéristique. Leur décoration se rattache sans aucun doute aux écoles d’art qui brillaient alors d’un si vif éclat dans la Grande-Bretagne, et les calligraphes francs se sont certainement inspirés des manuscrits anglais pour l’ornementation de leurs manuscrits : mais leurs emprunts ne portent pas sur l’écriture proprement dite. Leur minuscule reste en effet une Caroline très pure, droite et régulière, telle qu’on la retrouve encore dans la fameuse Bible de Saint-Paul-hors-les-murs, l’un des plus remarquables produits de l’art carolingien. M. Delisle a signalé dix-neuf de ces manuscrits, parmi lesquels nous citerons encore : Quatre évangiles. MS. latin 257, de la Bibliothèque Nationale. id. MS. id. 357, de la Bibliothèque de Lyon. id. MS. id. 309, de Cambrai. id. MS. id. 48, de Leyde. Bibliothèque de Stockholm. Sacramentaire de St-Amand (fig. 5). Sacramentaire. MS. id. 158, Cambrai. MS. id. 2290, Bibliothèque Nationale. Sacramentaire de Saint-Denis. MS.S. id. 107 et 199, de la Bibliothèque de Laon. Évangéliaire de Saint-WaaSL Bibliothèque d’Arras. 51


ECRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

V. ÉCOLE DE W INCHESTER OU “ OPUS ANGLICANUM ” Dès le IX e siècle un Style anglais avait commencé à se former d’après des modèles carolingiens ; il arriva à sa perfection vers la fin du X e siècle. Le Missel ou Bénédiétional de Robert de Jumièges, archevêque de Cantorbéry en 1050, eSt le meilleur modèle de cet “ Opus anglicanum ” . Il eSt aujourd’hui à la Bibliothèque de Rouen, et nous savons qu’il fut composé dans les dernières années du X e siècle en même temps que le BénédiCtional d’Aethelwold, fait sous la direction de saint DunStan. L’ornementation de ce Style anglais ou anglo-normand eSl très caractéristique. Les motifs sont empruntés à l’architeCture : les scènes, les personnages sont placés dans des portiques, sous des arcs simples ou entrecroisés, ou en pleine page au milieu de l’encadrement. Colonnes, chapiteaux, arcs sont bordés de bandes d’or entre lesquelles courent des feuillages (aux feuilles retournées), disposés symé­ triquement et qui souvent débordent de leur cadre ; les encadrements sont traités de la même façon. Dans les manuscrits moins riches, les bandes d’or sont remplacées par des bandes peintes. Aux angles, aux centres des côtés, au sommet des arcs, des cercles, des quadrilatères, des losanges, des cercles à lobes sont le point de départ d’une nouvelle floraison aux feuilles plus longues et gracieusement enlacées. Ces riches feuillages donnent d’abord une impression de désordre et on n’y trouve pas la sévérité et la grandeur de l’art carolingien ; mais quand on les étudie de plus près, on ne peut s’empêcher d’admirer la perfection de leur dessin, et on eSl charmé par la finesse de leur exécution et l’élégance de tout l’ensemble. De grandes initiales couvrent ainsi toute une page et offrent le même caractère que les bor­ dures; dans le corps de la lettre, de jolis panneaux coloriés sont d’un très agréable effet. Les barres d’or sont serties d’un gros trait noir ; les feuilles sont le plus souvent de teintes bleues, rouges, vertes et roses, sur des fonds noirs éclairés par des points blancs formant triangle. On trouve plus rarement que dans les MSS carolingiens des pages teintées de pourpre, servant de fond aux initiales et aux titres ; les lettres d’or sont peintes directement sur le vélin. Au-dessus des scènes et des personnages, le fond ou le ciel e§t formé de bandes régulières, horizontales ou ondulées, dont les teintes varient du foncé au clair. Les personnages, mieux dessinés que dans les MS S carolingiens, imitent de plus près les modèles romains ; les draperies et les plis des vêtements sont bien marqués et de façon exaéle ; les mains sont généralement trop longues. La gouache épaisse et brillante a, dans ces manuscrits, presque l’apparence de la peinture à l’huile : les couleurs sont plus vives que dans les manuscrits carolin­ giens ; les ors, épais et en relief, sont bien appliqués et brillants. 52


PLANCHE IV

INITIALES DU PSALTERIUM AUREUM DE SA1NT-GALL (ix* siècle).



DES DIVERS STYLES D’ENLUMINURE Nous avons cité avec le Bénédiâional de l’archevêque Robert (980) et celui d’Aethelwold de la même époque (Bibl. du duc de Devonshire), les deux plus beaux MSS de cette école. Le British Muséum en contient plusieurs. Nous avons en France le Sacramentaire 987 de la Bibliothèque Nationale, qui e§t de l’an 1000, et un bel Évangéliaire de 990 à la Bibliothèque de Boulogne. Ce dernier renferme une grande initiale B sur fond de pourpre. VI. ENLUMINURE DANS LES PAYS RHÉNANS DU X e AU X II e SIÈCLE Sur les bords du Rhin, en Souabe et en Bavière, le £tyle carolingien se perfec­ tionne à partir du X e siècle. Il subit tour à tour des influences byzantines et saxon­ nes. Les détails sont plus soignés et plus riches. Les branches et les feuillages d’or forment, dans les bordures et les initiales, des dessins d’une grande richesse et d’une délicatesse exquise, à l’imitation des travaux les plus fins en métal ou en broderie. L ’or, en relief, e£t serti de rouge ; des chiens, des dragons, d’autres animaux viennent se mêler aux enroulements variés à l’infini, et en augmentent l’originalité. Certains manuscrits dans lesquels l’or a été réservé à quelques pages, ou même entièrement écarté, nous offrent des entrelacs et des branches feuillagées dessinés au trait rouge sur le parchemin qui reste apparent, ou couvert de fonds générale­ ment bleus et verts. E t cette ornementation légère et très élégante eSt de grand effet et remplie de cachet. Parfois le feuillage disparaît, et à l’inverse des enlu­ minures de l’époque de Winchester, il ne reSle plus que des branches enlacées, ne donnant que des amorces de feuillage. De ces enlacements se sont peut-être inspirés les nombreux travaux en fer forgé qui remontent à cette époque. Dans les scènes, les arrière-plans sont des monuments de l’époque à architecture presque byzantine, sans aucun paysage. Et souvent les sujets sont simplement peints sur un grand fond uni, bleu, vert ou or : ou bien ils sont, comme les lettres, dessinés au trait rouge sur le vélin et entourés de fonds bleus et verts. Quand on approche du XII e siècle, on trouve des personnages dessinés encore de cette façon, mais au trait noir et légèrement teintés d’une sorte de lavis. Les membres sont en général trop allongés, les yeux trop fixes ; les poses sont bonnes, naturelles et élégantes. La gouache, quand elle eSt employée, eSt épaisse et brillante. De cette période, il nous reste de nombreux MSS. Le Père Cahier a reproduit dans ses Mélanges d’Archéologie, des pages d’un Évangéliaire de la Bibliothèque Nationale, 8851. Il nous donne aussi de nombreuses esquisses de l’Évangéliaire de NiedermunSter. Fleury, dans les manuscrits de Laon, nous offre de beaux exemples de MSS de 53


ÉCRITURE ET ENLUMINU RE DES MANUSCRIT S

cette époque. Il faut encore citer l’Antiphonaire 9448 de la Bibliothèque Natio­ nale, et surtout l’Hortus Deliciarum, de l’abbesse Herrade de Landsperg qui fut brûlé en 1870 à Strasbourg mais dont copie exaéte avait été prise. Il était de la fin du X II e siècle, commencé probablemen t en 1175. VII. L ’ENLUMIN URE AU X IP SIÈCLE A partir du X II e siècle, on constate un grand progrès dans la technique de l’enluminure . Les personnages sont mieux proportionné s, plus soignés. L’orne­ mentation eSt plus riche en feuillages, dont les vives couleurs se détachent souventsur des fonds d’01* bruni : les enroulements sont plus compliqués et on commence à trouver des animaux placés entre les branches. Il s’y rencontre encore de belles initiales, mais elles sont surchargées de menus détails, et sont le plus souvent dépourvues de la majesté et de l’ampleur des grandes lettres des IX e et XI e siècles. Les encadrements sont plus rares. Les initiales s’agrémentent parfois de dessins à la plume ou de motifs qui s’éloignent de la lettre pour former au texte une sorte de bordure. Les fonds empruntent moins à l’architeéture, et sont souvent diaprés et traités à la façon des émaux ; et vers la fin du siècle apparaissent dans certains manuscrits des essais de paysages un peu grossiers. La gouache eSt appliquée avec une grande perfection ; les ombres et les nervures des feuillages plus tourmentés, au lieu d’être posées en teintes foncées, sont obtenues par des traits fins et déliés plus ou moins serrés. L’or, en feuilles ou liqui­ de, est appliqué sur des surfaces bien préparées. Les grandes pages de pourpre à lettres d’or ont disparu. Le précieux traité du moine Théophile nous renseigne sur tous les procédés pratiques de l’enluminure du XII e siècle. Mais ces méthodes n’étaient pas nouvelles et nous pouvons être certains que depuis longtemps elles se transmettaie nt d’école à école. Il existait déjà au XI e siècle un traité De coloribux et artibus ILomanorum qui remontait peut-être au X e, et donnait sans doute un résumé des procédés employés dans divers centres artistiques. S’il n’eSt pas le premier à avoir écrit un traité, le moine Théophile n’en reste pas moins le premier auteur dont l’œuvre nous soit parvenue. Nous possédons aujourd’hui nombre de manuscrits du XII e siècle. On peut citer parmi eux : L’Évangéliaire n° 1378, de la Bibliothèque de Trêves; le fameux Hortus deli­ ciarum, de l’abbesse Herrade de Landsperg (les reproductions en ont été publiées 54


DES DIVERS STYLES D ’ENLUMINURE

en 1890, d’après des calques) ; la Bible de Floreffe, British Muséum, Add. 17737.8; le Psautier de Vauclerc, Laon, 29; l’Evangéliaire 243 bis, de Laon. Ces deux derniers MSS ont été décrits par Fleury. VIII. L ’ENLUMINURE A PARTIR DU X III e SIÈCLE Le Psautier de saint Louis, conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal, nous fait connaître un Style nouveau que l’on a très justement appelé le Style de l’époque de saint Louis. De la France du XIII e siècle, où il se forma et se développa, il se répandit très rapidement dans les pays voisins, où il devint la base des Styles nationaux qui s’y constituèrent dans la suite. La transformation de l’écriture commencée au XIIe siècle se poursuivit de façon progressive. Jusqu’au XIV e siècle elle entraîna dans l’enluminure des modi­ fications analogues. Avec une écriture de plus en plus serrée et anguleuse, les formes arrondies et majestueuses des capitales et des onciales ne pouvaient plus cadrer : ces lettres disparurent des titres, et avec elles les grandes majuscules qui n ’étaient que leur développement normal. Les courbes élégantes et les solides jambages de ces initiales s’étaient épanouis naturellement en gracieux enroulements, en feuillages délicats et ondulés qui venaient, comme en se jouant, remplir les intervalles laissés libres par le corps de la lettre, et souvent jaillir au dehors. Elles méritaient bien le nom qui plus tard leur fut donné : Lettres de tournure. L ’ornementation des encadrements s’alliait à celle des initiales, pour donner aux pages principales des manuscrits une majesté que soulignaient encore les beaux titres et incipit en capitales ou en onciales d’or. En un mot tout était com­ biné pour faire valoir les textes que l’on devait lire ou chanter. Ces textes avaient été écrits avec amour par des moines, des clercs ou des moniales qui en comprenaient le sens ; et leur art s’unissait à leur foi pour exprimer cette intelli­ gence du texte dans la décoration des livres saints, et faire de leurs manuscrits œuvre de beauté. Mais peu à peu se formèrent, en dehors des cloîtres et des collégiales, des écoles de cahigraphes et de peintres laïques ; trop souvent le but des enlumineurs salariés ne répondit plus à l’idéal des artistes moins habiles qui les avaient précédés. Bien heureux sont encore ceux qui ne recherchèrent que la perfection de leur art en poursuivant un but simplement artistique : car plus d’un ne craignit pas de souiller des livres liturgiques ou de piété par des scènes légères, quelquefois indécentes, par des dédicaces grossières qui nous font d’autant plus regretter les pieuses invocations des anciens scribes, leurs naïves imprécations contre les spoliateurs 55


ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

de leur travail. Ces grotesques, les dessins d’animaux, les scènes de chasse, tiennent une place toujours croissante dans les manuscrits du X III e et du XIV e siècle. D ’ailleurs les enlumineurs ne se limitent plus à la décoration des livres saints ou liturgiques : la science, le dogme, puis la littérature, et enfin le roman font appel aux ressources de leur art qui traitera trop souvent avec la même liberté les sujets religieux et les œuvres profanes. L’influence gothique a fait passer du symbolisme ancien et des formes hiératiques, à un art nouveau, naturaliste : l’enluminure devient en effet un art vrai, une branche de la peinture ; comme aux siècles précédents, elle crée des types qui seront adoptés plus tard par les sculpteurs et les peintres verriers. Car le XIIIe siècle n ’a pas tout inventé : il a exprimé avec plus d’ampleur la pensée du moyen âge et lui a donné, spécialement en France, sa forme la plus parfaite ; mais son art s’adresse plus à notre sensibilité qu’à notre intelligence. (Cf. E. Mâle.) C’eSt la gothique anguleuse qui inspire au peintre des vignettes les appendices à crochets caractéristiques de cette époque. De plus en plus la décoration se rétrécit jusqu’à n’être plus composée que de tiges légères qui courent le long des pages : de ces tiges s’échappent, au hasard et sans ordre, des feuillages gracieux, des traits fins terminés par une feuille de lierre faite d’une gouttelette d’or bruni serti de noir. Dans les lettrines, des groupes ou de petits personnages remplacent les ornements linéaires. C’eSt bien là 1’ “ enluminure ” qui reçoit au XIIIe siècle le nom qu’elle gardera désormais, et que l’on donnera aussi bien aux œuvres anciennes. L’art y gagna peut-être, tout au moins dans le fini et la perfection du dessin : et les petits tableaux répandus à profusion dans le texte et dans les lettrines dépas­ sent de beaucoup ce que l’on avait peint jusque-là. Le progrès se continua dans les deux siècles suivants pour arriver aux scènes charmantes que l’on admire dans les Heures de Duc de Berry et dans le Bréviaire Grimani. Mais l’ensemble y perdit, et il faut bien constater une vraie décadence dans le dessin linéaire, dans l’ordon­ nance même de la décoration. Tout devient uniforme : les titres se distinguent à peine, l’initiale n’eSt plus qu’un accessoire et l’œil n’eSt plus attiré que par une ornementation un peu monotone. La finesse des détails a fait disparaître la beauté plus sévère des anciens Styles.


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PLANCHE V

ADMONT 5ii. EINSIEDELN. Graduels 115 et 114.



ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

CHAPITRE II Comment utiliser les styles anciens. ANS vouloir proscrire l’enluminure ainsi transformée à partir du X III e siècle, et après avoir montré les véritables progrès qu’ehe réalisa, nous n’hésitons cependant pas à croire que, tout au moins pour l’ornementation de livres liturgiques ou de piété, les Styles anciens sont plus conformes à la belle tradition des siècles de foi, mieux adaptés au caractère grave et religieux de ces livres. Un Evangéliaire de Charlemagne ou de Charles le Chauve, un Graduel de Salzbourg, ont, du seul fait de leur illustration, de la disposition ordonnée du texte et des titres, de leur écriture même, une beauté sévère avec laquelle ne peuvent rivaliser les plus charmants volumes d’Heures, les Bréviaires les plus finement enluminés du XIV e et du XV e siècle. Aurions-nous donc la prétention de faire revivre aujourd’hui des Styles vieux de huit à dix siècles? Ne serait-ce pas une erreur semblable à celle qui a fait adopter, il y a une cinquantaine d’années, les Styles des XIV e et XV e siècles et l’écriture gothique pour les images de piété et les travaux d’enluminure? On doit, il eSt vrai, éviter l’anachronisme; et il eSt difficile de ressusciter un art ancien, de le transporter tel quel dans le cadre différent d’une autre époque. Les goûts ne sont plus les mêmes, les idées de nos jours ne sont plus celles du IX e et du XII e siècles : et il eSt bien certain que l’illustration des livres modernes par des procédés mécaniques nous a habitués à des impressions tout autres que celles que nous donnent les manuscrits anciens. L’art du moyen âge obéissait à une tradition que venait enrichir l’expérience de chaque atelier et qui se développait par les échanges et les dons de manuscrits d’un pays à l’autre ; mais il restait, en somme, limité à certains types. E t peut-être n ’a-t-on plus aujourd’hui le sens et le goût des couleurs qui font la beauté desMSS, qu’elles soient un peu éteintes comme dans les MSS du IX e siècle, plus vives comme au XII e : ce sont cependant ces coloris délicats et le relief que leur donnent les applications d’or, qui généralement font apprécier les manuscrits anciens. Pourquoi n’y pas revenir au moins dans les livres litur­ giques, dans l’ornementation qui se rapporte plus ou moins aux choses de la liturgie, pourquoi ne pas nous inspirer de ces types si beaux dont le haut moyen âge nous a laissé tant de précieux documents? Mais comment l’enlumineur moderne devra-t-il se servir des anciens manuscrits? Faut-il copier matériellement le texte et l’ornementation?

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Si nous avons un texte ancien, Missel, Graduel, Rituel, etc., à reproduire sur vélin L ne semble-t-il pas que nous avons tout avantage à prendre pour modèle un de ces manuscrits dont nous avons admiré la beauté. Nous avons autant de titres à le faire que lorsque nous choisissons pour nos églises des ornements, des calices, des garnitures d’autel de forme et de dessin antique. Nous suivons avec bien peu de variations le cérémonial et toute la liturgie du moyen âge ; nous cherchons précisément à chanter les mêmes textes comme on les chantait il y a neuf et dix siècles, et si notre notation moderne a reçu quelque perfectionnement, elle reproduit dans son dessin la notation neumatique. Il n’y a donc pas anachro­ nisme à s’inspirer, en les perfectionnant au besoin par un dessin plus exaCt et une exécution plus soignée, des scènes, des personnages et des ornements qui nous charment dans les anciens manuscrits. Ce ne sera pas là une copie servile : l’artiste du X X e siècle pourra non seulement perfectionner le dessin mais inventer, suivre son goût dans le coloris, dans les combinaisons variées de ses compositions, sans sortir du Style qu’il veut suivre et dont un peu d’expérience lui fera vite comprendre l’esprit. Comme les anciens variaient à l’infini leurs enroulements, leurs agence­ ments de feuillages, au point que parmi des centaines de lettrines d’un même manuscrit, on n’en trouve pas deux identiques, de même le miniaturiste pourra créer sur les types anciens de nouveaux modèles, et, suivant l’espace dont il dispose, faire surgir du corps de ses initiales et de ses bordures, les enroulements des branches qui seront la réalisation de son idée et son travail personnel. Nous croyons que l’écriture et l’ornementation doivent marcher de pair et qu’il y aurait anachronisme à accompagner d’ornements carolingiens une écriture purement gothique, à écrire un texte français au milieu d’enluminures du moyen âge. C’eSt pour ces travaux, nous semble-t-il, que les beaux MSS français des X IV e et XV e siècles pourraient servir de modèles. Mais les textes latins, les textes litur­ giques surtout, gagneraient à être reproduits en écriture romane et à être accom­ pagnés d’une ornementation de la même époque. Et comme au cours de ces trois siècles l’âge exaét des écritures et des Styles n’eSt pas toujours très bien déterminé, comme on trouve dans un pays, et avec une écriture spéciale, une ornementation qui devait paraître déjà ancienne dans le pays voisin, nous croyons qu’il ne faut pas être trop Striét. Les enlumineurs du IX e au XII e siècle ont sans hésiter intro­ duit dans leur décoration des entrelacs que leur fournissaient les anciens MSS celtiques; rien ne nous interdit d’accompagner notre écriture XIe et XII e siècle, d’ornements empruntés aux MSS carolingiens, de faire profiter notre écriture et i. Nous parlerons toujours de vélin, sans exclure pour cela le parchemin et le papier ; mais parce que nous pensons, pour les motifs donnés plus loin, que des travaux qui doivent durer et occasionnent un grand travail, méritent ce que l’on peut trouver de mieux.

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COMMENT UTILISER LES STYLES ANCIENS

nos miniatures du Style carolingien, des progrès faits au X II e et même au X III e dans le dessin des personnages, dans la composition des sujets et des scènes, tout en conservant le caractère du Style que nous aurons adopté. Remarquons en passant que les initiales ou lettrines des manuscrits ont été composées à une certaine échelle ; et si nous admirons leurs belles proportions, le balancement harmonieux des pleins et des vides, n’oublions pas que des réductions ou des agrandissements matériels par le pantographe ou par photographie détrui­ ront presque certainement ce jeu des proportions. Une lettre réduite ainsi sera trop pleine ; agrandie, elle aura des vides trop grands, des branches trop grosses en proportion des feuilles. Il vaudra donc mieux copier ces lettres à la dimension voulue, en modifiant selon les besoins les proportions, en faisant les changements nécessaires ; et ce sera encore pour l’artiste une occasion d’exercer son goût et de donner à son travail une note personnelle. Les livres imprimés pourront eux aussi profiter de l’ornementation que nous avons étudiée. Nous savons que nos caractères d’imprimerie dérivent des lettres romaines. Les majuscules de nos livres reproduisent exactement les capitales que nous retrouvons dans tous les titres des MSS du moyen âge : leur texte se rapproche davantage des écritures romanes que de la gothique adoptée dans les débuts de l’imprimerie. Sans anachronisme nous accompagnons ce texte d’une notation musicale dont le dessin remonte jusqu’au IX e siècle. Nous croyons donc que l’imprimeur moderne peut orner ses livres liturgiques de lettrines, d’ornements empruntés aux époques dont nous avons parlé si longuement. Mais tout en conservant le Style et le dessin, ces sujets devront être adaptés au caradère d’un livre imprimé. La couverture de ce traité montrera le parti que l’on peut tirer de types anciens pour orner un livre par une impression en deux couleurs, rouge et noir L Avant de passer à l’exécution pratique de cette enluminure que nous voudrions faire mieux connaître, il sera bon d’en résumer les caractères principaux, dont les planches de ce livre pourront d’ailleurs donner une idée très exaéte. Du IX e au X II e siècle les manuscrits dans lesquels s’eSt exercé l’art des enlu­ mineurs ont au moins leurs initiales ornées. Faites au simple trait rouge à la plume ou au pinceau, avec ou sans fond, ces initiales suffisent avec les titres en capitales ou onciales, pour donner grand air à des pages bien écrites. Ces mêmes lettres paraissent dans des manuscrits plus riches, mais le corps de la lettre, branches et feuilles sont en or ou en argent sertis d’un trait rouge ; noir i. Les deux grandes initiales E E sont la copie à peine modifiée, en rouge et noir, de lettrines or et argent du manuscrit Lit. 6 de Bambery (voir fig. io).

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ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

au XII e siècle. Il n’e£t pas rare de trouver dans la bibliothèque d’un même monas­ tère les deux éditions d’un même manuscrit. Le plus bel exemplaire était réservé aux fêtes, ou mis à l’usage de l’abbé, d’un fondateur, d’un prince, alors que le plus simple était d’usage journalier. (Cf. Einsiedeln, PI. V.) Dans les lettrines on trouve parfois des scènes à personnages, vrais petits tableaux, séparés aussi dans beaucoup de manuscrits et occupant une partie de la page ou même toute la page. Les titres du début des manuscrits, des fêtes importantes, les scènes d’une page sont souvent encadrés dans des portiques ou des bordures qui donnent au manuscrit une richesse incomparable. Les portiques reproduisent généralement des motifs d’architedure de l ’époque; nous en avons parlé dans notre revue des différents Styles. Les encadrements sont toujours formés de deux cadres rectangulaires, barres d’or ou de couleur ou faites de deux traits noirs, de 2 à 3 millimètres de largeur et séparés par un intervalle de 1 à iy 2 centimètre dans lequel court un motif quelconque : entrelacs, guirlandes, fleurons, feuillages au coloris varié, ou même d’or ou d’argent, parfois d’une seule teinte plate. Ces motifs se détachent le plus souvent sur des fonds plus foncés, mais ce n’eSt pas là une règle inflexible. Aux angles des encadrements, aux milieux de leurs côtés, des entrelacs com­ pliqués et de grand effet viennent opérer la jonction des barres d’or, interrompre la raideur de leurs lignes ; d’autres fois c’eSt un cercle, un carré régulier ou à lobbes qui forment les angles ; ou bien les coins du cadre sont ornés d’un fleuron, de quelques feuilles qui viennent accentuer l’angle. Cette ornementation simple et solide peut être variée à l’infini, sans rien perdre de son caractère grave qui s’allie si bien aux grands titres en capitales et onciales, et convient mieux que tout autre aux livres liturgiques.

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5 ic u r mrAUiT dno u o r u m u ou tr doixcol» PSAUTIER AMBROS1EN DE MILAN (x« siècle). Bibl. royale. Munich.



TROISIÈME PARTIE Pratiq ue de l ’Enlum inure. C H A PITR E PR EM IER Matériel de l’Enlumineur. I. PAPIER. -

PARCHEMIN, VÉLIN «

OS papiers modernes contiennent presque tous des acides qui peuvent agir sur les couleurs. A la longue ils se tachent, deviennent cassants ou s’effrittent par le frottement et l’usage, comme il arrive au joli papier Japon. Et on ne constatera ces défauts qu’après avoir dépensé de longues heures à un travail dont la durée deviendra douteuse, et qui, en tous cas, perdra bientôt de sa fraîcheur. On ne peut donc recommander le papier, quel qu’il soit, que pour des travaux de peu d’importance et dont la conserva­ tion eSt limitée. Si on veut faire œuvre qui dure et qui ne soit pas altérée par les années, il faut avoir recours, malgré leur prix assez élevé, au parchemin et au vélin. La dépense eSt minime lorsqu’on la compare au temps que l’on emploiera à écrire et à enlu­ miner une feuille indeStruétible. Moins précieux et moins cher que le vélin, le parchemin suffit lorsqu’il e§t bien préparé, à des travaux ordinaires et de petite dimension. Fait de peaux de mouton,

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i. Le précieux traité du moine Théophile nous e$t d’un grand secours pour notre travail, avec l’étude attentive des manuscrits par laquelle nous pouvons retrouver les mêmes procédés qui les ont produits.

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ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

il eft généralement moins épais que le vélin, ou peau de veau. Il a l’inconvénient de rester presque toujours graisseux et de jaunir quelquefois par plaques. Aussi bien pour le parchemin que pour le vélin, il faut écarter absolument ceux qui sont soi-disant préparés pour l’enluminure, et recouverts dans ce but d’enduits calcaires qui les font ressembler à du papier blanc. Ils perdent ainsi tout leur cachet, et si la peinture y eSt plus facile, l’écriture y devient facilement pâteuse et sans déliés. Si on le demande, les fabricants fourniront tout aussi bien des “ peaux pour documents ” , simplement polies à la pierre ponce : elles garderont peut-être quelque rugosité plutôt favorable à l’écriture, et sans inconvénient pour la pein­ ture si on se conforme aux indications qui seront données plus loin. Ces feuilles conserveront l’apparence originale de la peau, avec même ses défauts qui ne nuisent pas à l'asped final du travail. Un parchemin livré trop gras et insuffisamment poli du côté resté plus jaune, peut être facilement amélioré si on désire écrire ou peindre sur cette face dont la teinte agréable donne un grand relief aux enluminures et à l’écriture. On passe rapidement la feuille dans une cuvette d’eau ; et, la laissant égoutter un instant, on la fixe avec quelques punaises sur une forte planche à dessin bien propre. On l’enduit de savon et on la brosse fortement ; ou bien on la frotte à la pierre ponce, jusqu’à ce qu’on ait fait disparaître les taches de graisse ou les inégalités. Au moyen d’une éponge mouillée, on enlève tous les résidus du grattage et on laisse sécher. Le vélin naturel eSt d’ordinaire bien préparé sur les deux faces. Il e§t blanc ou de teinte un peu crème, laissant paraître du côté chair des sortes de veines, et, du côté poil, les petits creux qui marquent la naissance des poils ; ces légères irrégu­ larités qui témoignent de la réalité du vélin, font plutôt valoir le dessin, et mieux ressortir les couleurs. C’eSt le vélin seul qu’il faut employer pour des travaux soignés ; c’eSt à lui que nous devons la parfaite conservation de manuscrits qui ont traversé dix et douze siècles sans la plus petite altération : il assurera aussi la durée de nos œuvres. IL MÉTAUX -

OR, ARGENT, PLATINE, ALUMINIUM

Les métaux s’appliquent en poudre délayée dans de l’eau gommée, soit diredement sur le vélin, soit sur une couche de pâte spéciale : et alors ils peuvent être brunis et acquérir un brillant parfait. Ils s’appliquent aussi en feuilles, à l’aide d’une colle que l’on étend aux endroits voulus et sur laquelle, au moment favorable, on place la feuille d’or, d’argent... Les divers procédés d’application seront indiqués plus loin. L ’argent doit, croyons-nous, être exclu de tout travail destiné à durer. Il noircit

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MATÉRIEL DE L’ENLUMINEU R

rapidement et dans beaucoup d’anciens manuscrits sa place n’eSt indiquée que par une tache noire. On le remplacera donc par le platine, ou si Ton veut travailler à moins de frais, par l’aluminium. Comme tous ces métaux se traitent de façon identique, nous ne parlerons que de l’or. Les feuilles d’or se vendent “ collées ou “ non collées ”, c’eft-à-dire fixées ou non sur de petites feuilles de papier de soie. L ’or collé eft plus facile à manier ; il perd un peu de son éclat, mais on peut aisément le faire revenir. Il e§t quelquefois en feuilles moins épaisses, pour le même prix, que l’or non collé ; et si on veut, on peut se munir de ce dernier. A l’occasion il eSt d’ailleurs facile de le coller au moyen d’une feuille de papier de soie que l’on a légèrement frottée de cire : on pose le papier sur la feuille d’or en appuyant le doigt sur toute la surface, et on le soulève garni de la feuille d’or collé. En se servant d’or collé ou en collant son or soi-même, on supprime tous les accessoires de coussin à dorer, couteau... que nécessite l’emploi de la feuille d’or non collée. Nous conseillons donc les ors collés. Mais il faut aujourd’hui renoncer aux épaisses feuilles d’or qui font la richesse de nos anciens MSS. E t c’eSl bien plus au manque d’épaisseur de l’or que nous fournissent les batteurs d’or, qu’aux colles ou pâtes à dorer, qu’il faut attribuer les insuccès et le peu de durée des ors de nos miniatures. L ’or double du commerce n’a pas le quart de l’épaisseur des feuilles d’or du XH^siècle. Le moindre frottement, le brunissage le plus léger les use, en laissant voir la colle qui la supporte et qui elle, n’a pas varié. Quelques brunissoirs d’agate, ou dents de loup compléteront le matériel du doreur, s’il veut tenter le brunissage de ses ors. III. COULEURS Les meilleures couleurs sont sans contredit celles que l’on vend en poudre très fine, impalpable, spécialement broyées pour la miniature. On fait parfaitement avec ces poudres les mélanges des diverses teintes, mais on a l’ennui de devoir les pré­ parer ensuite par l’addition d’eau gommée à laquelle il faut ajouter encore du sucre ou de la glycérine. Nous avons constaté que les bonnes couleurs d’aquarelle donnaient d’excellents résultats : et celles qui se vendent en tubes sont les plus pratiques lorsqu’il s’agit de les mélanger pour obtenir des teintes analogues à celles que nous aimons dans les anciens manuscrits. Ces couleurs en tubes se conservent parfaitement ; si elles se desséchent trop, il eSl aisé d’ouvrir le tube par le bas et d’y introduire quelques gouttes d’eau mélangée de glycérine. Si on entreprend un travail qui peut durer des mois ou des années, on aura


ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

avantage à préparer d’avance une quantité assez grande de ces mélanges afin de retrouver toujours les mêmes teintes. Pour chaque couleur on fera trois tons régulièrement gradués : ton foncé, ton moyen, ton clair. Ces couleurs se conser­ veront dans des godets qui pourront, s’ils sont assez grands, contenir une bonne quantité des trois tons et fournir à des travaux prolongés. Les godets de 4 à 5 cen­ timètres de diamètre sont de bonne taille, faciles à tenir d’une main pendant le travail. Les séries de trois ou quatre godets s’emboîtant les uns dans les autres sont pratiques pour garder les couleurs à l’abri de la poussière. Nous nous sommes limités à l’ornementatio n des manuscrits du IX e au X II e siècle. Pour cette période la palette de l’enlumineur n’eSt pas très chargée, et douze de nos couleurs modernes suffisent à composer les teintes qui seront nécessaires. Carmin, brun rouge, vermillon, ocre jaune, terre de Sienne naturelle, terre de Sienne brûlée, jaune de chrome clair et foncé, cadmium clair ou gomme gutte, bleu d'outremer, bleu de Prusse; vert de Prusse; enfin blanc de chine en gros tubes ou en flacons, dont on fera une grande consommation dans la première préparation des teintes, et dont il faudra toujours conserver une petite quantité. Les couleurs doivent en effet être gouachées, c’eSt-à-dire mélangées de blanc, au moins dans les tons moyen et clair, afin de n’être pas transparentes et de bien couvrir le vélin.- La palette définitive sera obtenue par les mélanges suivantes : Pourpre. Carmin, ou mieux laque carminée, brun rouge outremer, terre de Sienne naturelle, blanc. Vert. Chrome jaune foncé, terre de Sienne naturelle, un peu de bleu de Prusse et de blanc. Vieux rouge. Ocre jaune, vermillon, chrome clair, brun rouge et blanc. Pouge moins vif. Plus de brun rouge et d’ocre jaune, moins de chrome clair. Chamois. Blanc, ocre jaune, chrome foncé ; ou bien, terre de Sienne naturelle, chrome et blanc. Vieux bleu. Outremer, terre de Sienne naturelle. Pieu vert. Bleu de Prusse, outremer, un peu de chrome clair. Dans les couleurs où il entre du vermillon, le blanc d’argent e§t préférable au blanc de Chine qui tend à faire noircir le mélange sous l’aétion de la lumière. Si les tons de ces mélanges sont trop foncés, ils seront éclaircis une fois le mélange terminé, par un peu de blanc, jusqu’à ce que l’intensité voulue soit obtenue. Sur une plaque de verre dépoli et avec un couteau à couleurs, les mélanges des couleurs en tubes se feront rapidement. De chaque tube on fait sortir une petite quantité de couleur : il eft plus facile d’ajouter que d’enlever. On met côte à côte ces petits cordons de couleur, donnant la plus grande longueur à celui que l’on sait devoir dominer dans la teinte finale. Avec le couteau on les mélange bien, 64


PLANCHE VII

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MATÉRIEL DE L ’ENLUMINEUR

les tournant et retournant sur le verre dépoli jusqu’à ce que le tout soit bien homo­ gène et réalise la teinte cherchée. N’ajoutant pas d’eau, on conserve aux couleurs la densité qu’elles ont dans leurs tubes. Avec le couteau, on porte sur un côté du godet presque toute la teinte foncée ainsi préparée. Puis, à ce qui reste sur la palette, on ajoute du blanc de façon à obtenir un ton moyen en quantité à peu près égale à celle du ton foncé, reprenant s’il le faut un peu de celui-ci. Ce ton moyen eSt placé dans le godet à côté du ton foncé, sans racler la palette, où du blanc mélangé encore à ce qui eSt resté du ton moyen, permettra d’obtenir le ton plus clair. Pour la plupart des couleurs qui ne sont pas, comme le pourpre foncé, devinées à couvrir de grands fonds, c’eSt cette teinte claire qui devra être préparée en plus grande quantité. Elle aussi trouvera sa place dans le godet. Si les couleurs ainsi placées dans le godet sont restées assez épaisses, elles s’étendent peu ; et si elles se touchent, elles ne risquent pas de se mélanger. Une bande de carton mince ou de papier fort, dressée entre les petits paquets, évitera d’ailleurs tout mélange ; et une fois les couleurs un peu plus fermes, on l’enlèvera sans difficulté. On aura ainsi toujours sous la main les trois tons d’une même couleur, dans un seul godet, ou dans deux godets si on en a fait une plus grande quantité. Toutes les couleurs étant ainsi préparées en trois tons, d’intensité égale autant que possible pour toutes les teintes, il sera utile de se faire, sur une bande de carton ou de vélin, une gamme de couleurs qui montrera toujours d’un seul coup d’œil la palette complète et permettra de juger d’avance les combinaisons de couleurs qui conviennent le mieux à chaque ornementation. Les dessins du moyen âge, personnages ou motifs de décoration sont géné­ ralement sertis d’une fine ligne noire. L’encre de Chine et le noir d’ivoire employés après le XIV e siècle pour les légers enroulements dessinés à la plume de corbeau, sont trop crus pour ces sertissages. On composera donc un noir ou brun violacé par un mélange de brun rouge, bleu de Prusse et terre de Sienne brûlée. Les ors sont généralement sertis en rouge. Jusqu’au XIIe siècle, ce rouge eSt, comme celui qui sert aux dessins ou lettrines faites au trait, et aux titres, composé d’un mélange de vermillon et gomme gutte, ou cadmium clair. Le rouge de Saturne a la même teinte, mais il se durcit très vite et devient inutilisable. Au XIIe siècle on emploie du vermillon pur. IV. PINCEAUX Quelques enlumineurs veulent avoir un pinceau spécial pour chaque couleur. Ce soin nous paraît exagéré, et nous devons dire que dans les travaux les plus soignés nous avons employé sans inconvénient le même pinceau pour toutes sortes de teintes, à condition, bien entendu, de le laver rapidement avant de le 6

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passer d’une couleur à l’autre ; et de l’essuyer avec un linge fin sans duvet, ou mieux encore en le pressant légèrement entre les lèvres. Quand on a un pinceau bien en main, quand, par un long usage, on en connaît toutes les ressources, on eft surpris de la facilité avec laquelle il se prête aux exigences les plus diverses, et on trouve avantage à s’en servir le plus possible. Tel pinceau très ordinaire a pu être employé plus de vingt ans à placer de la colle d’or en surfaces grandes et petites, à tracer de petits traits fins : réduit à 2 millimètres de longueur, tout rond du bout, il pouvait encore dessiner de légères capitales rustiques avec leurs traits déliés. Quatre ou cinq bons pinceaux seront donc très suffisants, deux moyens, un gros et un fin ; et si on veut faire des figures, des traits de grande finesse, on pourra se munir encore de deux pinceaux très fins. V. RÈGLES, ÉQUERRES, COMPAS Les anciens manuscrits ne se font pas toujours remarquer par la régularité du dessin et la reâitude des traits : pourtant les lignes d’écriture étaient tracées à la règle, et leurs distances mesurées au compas. Nous n’avons pas à imiter ce qui eSt défaut ou manque de soin. Il eSt aujourd’hui si facile de se procurer règles, équerres, compas et tire-lignes, que l’enlumineur moderne aurait tort, sous prétexte d’archaïsme, de négliger ces instruments. Une ou deux règles plates assez grandes pour couvrir les plus longs dessins que l’on projette, deux équerres dont une à 45°, permettront de mettre bien en place toutes sortes de dessins ou d’encadrements. Un compas avec son porte-crayon et son tire-lignes, un tire-lignes, assureront la régularité des lignes qui sertiront les bandes d’or, les arcs ou les cercles. On emploiera pour les premières esquisses des crayons un peu durs, qui sans appuyer marqueront suffisamment sur le vélin, et ne risqueront pas d’y laisser des dépôts de mine de plomb. Il importe de n’avoir rien à effacer à la gomme sur le vélin ou le parchemin, car elle y laisse presque toujours des traces brillantes difficiles à enlever. Le moyen qui sera indiqué pour reporter sur ces matériaux des dessins faits et corrigés à loisir sur un papier, fera éviter les inconvénients de grosses corrections sur le vélin. Un crayon Conté n° 2 ; un flacon de fiel de bœuf, dont nous verrons l’emploi, du papier calque assez rigide et bien transparent, compléteront le matériel de l’enlumineur.

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CHAPITRE II Exécution d’une page d’enluminure, ou d’un travail plus considérable. I. PRÉPARATIO N DU DESSIN ET DES FEUILLES A ENLUM INER ANS faire un brouillon exaét de tout le travail à exécuter, surtout s’il comprend de nombreuses pages, il eSt bon de se rendre compte | à l’avance des dimensions qui conviendront le mieux à ce que l’on projette, et de juger de l’effet produit, par de petits croquis à échelle très réduite faits rapidement à main levée. On réglera de suite les grandes lignes de la composition, et nombre de détails : type et dimensions de l’écriture, importance à donner aux titres, aux capitales, aux lettres ornées et aux grandes initiales, dimensions des encadrements s’il y a lieu, largeur des marges. Tous ces points ne peuvent être fixés par des règles : le but et l’effet que l’on cherche les font traiter par chacun de façon différente. Si on a choisi un Style donné pour l’écriture et l’enluminure, c’eSt chez les anciens que l’on trouvera les meilleurs guides ; et celui qui veut réussir ne saurait mieux faire que de consulter les manuscrits, ou leurs fac-similés de l’époque dont il a l’intention de s’inspirer pour son travail. S’il doit y avoir des encadrements enluminés, des portiques, les marges seront plus réduites que si on fait simplement des pages d’écriture ornées de grandes lettres et d’initiales ; et à l’intérieur de l’encadrement, l’écriture pourra remplir presque complètement l’espace vide, ne laissant au bout des lignes que 2 ou 3 millimètres. Une feuille qui ne doit recevoir que de l’écriture et des applications légères sans grandes surfaces à peindre, sans ors en relief, pourra, si elle e§t suffisamment plane, être fixée sur un carton épais ou une planche à dessin par des punaises ou par de petites bandes de papier gommé : elle aura donc toujours sur chaque dimen­ sion 15 millimètres au moins de plus que sa taille définitive. On la retournera simplement si on veut orner l’autre face. Mais ce procédé ne suffit plus dès que la feuille eSt peu rigide, surtout dès que la peinture comporte des ors et des grands fonds, et que l’on veut travailler facile­ ment des deux côtés. Alors la feuille doit être tendue sur un cadre de bois ou un Stirator. De simples cadres de bois blanc faits de lattes de 7 à 8 millimètres d’épais­ seur et de 3 centimètres de largeur seront préparés, de façon qu’ils aient de chaque

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côté i à 2 centimètres de plus que la feuille, et que leur ouverture soit un peu plus grande que les dimensions des enluminures qui seront faites au verso. Avant d’entreprendre un travail considérable, on fera bien de se munir de plusieurs de ces cadres afin de pouvoir écrire à la suite un plus grand nombre de pages : l’écriture sera plus uniforme et une partie du travail, ainsi disposé en même temps, se fera plus vite et gagnera en unité. II. COMMENT ON TEND LES FEUILLES Le parchemin sera humecté en passant rapidement et à plusieurs reprises, sur une des faces, une éponge débarrassée de l’excès d’eau, mais encore bien humide. Le vélin ne peut supporter sans se tacher le contaet de l’eau. On le placera entre deux feuilles de papier blanc non buvard un peu plus grandes ; et ainsi protégé, le tout sera enveloppé d’un linge mouillé mais dont l’eau ne suintera plus, en veillant à ce que le linge ne puisse toucher le vélin. Après une demi-heure le vélin sera suffisamment détendu. Pendant ce temps on prépare quatre bandes de papier assez fort de 3 ou 4 centimètres de largeur, et ayant aussi 3 ou 4 centimètres de plus que les côtés de la feuille à tendre ; au dernier moment on les enduira de colle de pâte un peu épaisse, à laquelle il faudra laisser le temps de bien pénétrer le papier. Tout étant prêt, la feuille humectée — parchemin ou vélin — sera portée sur le cadre où elle doit être tendue : on aura mis à l’intérieur de ce cadre une cale sup­ portant un carton afin que la feuille soit soutenue sur toute sa largeur à un même niveau. On la mettra ainsi bien en place sur le cadre un peu plus grand qu’elle : et rapidement on appliquera une à une les quatre bandes de papier collant, les faisant mordre de 8 à 10 millimètres sur le côté de la feuille et les repliant sur les bords du cadre et en dessous ; en donnant deux coups de ciseaux aux extrémités on formera les angles solidement. Avec un peu d’expérience cette opération, qui paraît au début compliquée, se fera en quelques minutes. En séchant, tout se tend parfaitement : et sur cette feuille tendue comme une peau de tambour, on travaillera avec la plus grande facilité, sans risquer de voir des dessins déformés par la contraction produite dans les applications d’or et de peinture. Le travail terminé, on découpera la feuille à l’intérieur des bandes de papier, ou on décollera celles-ci à l’aide d’un couteau, et la feuille détendue se conservera bien plane. Après avoir tendu une ou plusieurs feuilles, on marquera d’abord au crayon le contour extérieur. On pourra de suite, par un second tracé, indiquer les encadre­ ments, ou très légèrement la place qui doit être occupée par la partie écrite, en fixant la largeur des marges. Si on doit faire un certain nombre de pages du même 68


PLANCHE VIII.

TROPAIRE. GRADUEL DE SAINT-EMMERAN DE RATISBONNE Bibl. royale Munich. C. 1. m. 14083.



EXÉCUTION D’UNE PAGE D’ENLUMINURE type, ces tracés se feront très rapidement à l’aide d’une feuille de papier calque sur laquelle on aura marqué très soigneusement au crayon ou au tire-lignes fin les contours extérieurs des pages et ceux des encadrements. A chaque angle de ces trois rectangles on percera un trou avec une épingle. Ce calque étant bien maintenu sur la feuille tendue, une pointe fine de crayon, passée dans chaque trou d’épingle, indiquera sur la feuille les points de rencontre des côtés qui seront ainsi exactement tracés en quelques minutes et de façon très uniforme. Si on doit écrire des deux côtés du vélin, on marquera à l’envers, en regardant par trans­ parence, les points précis des angles ; et on n’aura qu’à les joindre de même. Si on a un texte, des titres à écrire, les lignes nécessaires seront obtenues par le procédé indiqué page 40. Si on doit faire un livre ou un cahier de plusieurs feuilles, on disposera d’avance les feuilles, d’après le sens du parchemin ou du vélin. Ces feuilles se courbent toujours du même côté ; il faut donc les tourner de telle sorte que les courbures ne soient pas toutes dans le même sens, mais se contrarient d’une feuille à l’autre : les côtés chair, plus blancs, se feront vis-à-vis ; de même les côtés poil. III. ÉCRITURE DU TEXTE Tous ces préparatifs étant achevés, on pourra commencer à écrire le texte courant en ménageant l’espace des titres, des en-têtes de page s’il y a lieu, des lettres initiales. Un léger croquis au crayon indiquant dès le début cette orne­ mentation, ou l’écriture plus grande, rendra service ; et il sera aussi plus facile de bien mettre en place les lettres, grâce aux lignes horizontales poncées pour l’écriture, et devinées à disparaître une fois la page écrite. Le projet préalable que l’on aura pu faire, réduit ou grandeur d’exécu­ tion, permettra de faire rapidement ces esquisses, sans interrompre le travail d’écriture qu’il y a tout avantage à faire à la suite, si possible, pour obtenir une plus grande unité. Il eSt bon aussi de commencer par l’écriture : Si on fait une erreur de texte, une tache, que des soins peuvent rendre rares, mais qui restent toujours possibles aux plus attentifs ; enfin, si on gâche partiellement ou entière­ ment une feuille de vélin, ce ne sera qu’une perte matérielle, très différente de la perte d’une feuille déjà enluminée. De plus, le texte écrit à l’avance pourra inspirer certains détails d’enluminure qui seront alors placés en bonne situation ; on ne risquera pas de trouver au haut d’une page un motif qui aurait mieux été placé en face du texte de la page précédente. On se rend enfin mieux compte de l’ensemble du travail, puisque c’eSt le texte qui doit tout régler et que l’enluminure lui eSt subordonnée. 69


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Dès que l’on aura écrit le texte, l’encre étant bien sèche, on enlèvera soigneu­ sement toute trace de charbon des lignes, en frottant avec du parum puis avec un chiffon de lin ou de soie. On dessinera alors exactement au pinceau ou à la plume, plutôt qu’au crayon, tout ce qui doit être peint, lettres, motifs d’orne­ mentation, encadrements... Le moyen le plus rapide e§t de faire d’abord tous ces dessins sur un papier calque, grâce auquel on pourra mesurer l’espace exaét que l’écriture a réservé pour chaque dessin ; on les reportera à coup sûr à l’endroit voulu sur la feuille. Si l’on veut répéter le même motif sur un encadrement, on le dessinera avec grand soin ; puis entre deux lignes parallèles tracées sur le calque à la distance voulue, on le calquera autant de fois qu’il sera nécessaire pour remplir une moitié d’un côté de l’encadrement. On se servira pour ce tracé d’un crayon Conté, taillé très fin. Si le motif peut sans inconvénient être reproduit à l’envers, on n’aura qu’à retourner cette bande sur la feuille entre les deux barres de l’enca­ drement déjà tracées ; et, la maintenant bien d’une main, on la frottera doucement avec l’ongle ou un manche arrondi, et tout le dessin sera reporté en un instant. Si on veut le faire dans l’autre sens, on repassera au crayon l’envers du calque, qui peut être ainsi reporté successivement sur quatre ou huit moitiés d’encadrement. On partira comme on le voudra des angles ou des milieux du cadre ; et en arrivant aux milieux ou aux angles, on joindra les motifs en les modifiant légère­ ment ou les composant d’une façon différente qui sera faite une fois, et ensuite reportée aux autres angles ou milieux de côtés. Les initiales dessinées par ce procédé sur le calque ou sur un papier, et calquées à l’envers avec le crayon noir, seront de même reportées à leur place exaéte, et il ne sera pas interdit si le Style le permet, de pousser les feuillages jusqu’entre les intervalles des lignes, de les accrocher à l’encadrement. Ces tracés faits à l’envers sur des calques donnent souvent heu à des rectifications de lignes ou de courbes qui, à peu de frais, per­ fectionnent le dessin. Et ce procédé, grâce au travail préliminaire fait en dehors de la feuille de vélin, évite tout danger de tacher cette feuille, d’y faire des traits inutiles qu’il faudrait effacer ou corriger ; il eSt enfin d’une propreté parfaite. Des pages entières d’enluminures peuvent être ainsi dessinées sur papier, corrigées à loisir, et en quelques minutes, reportées d’un seul coup sur la feuille de vélin. Quand il faut, sur le vélin bien tendu, tracer au compas des cercles ou des arcs de cercle, la pointe du compas plusieurs fois placée au même point pour des cercles concentriques ou pour des esquisses suivies de traits définitifs en peinture, ris­ querait de percer le vélin. Il eSt nécessaire, pour éviter cette faute qui suffît à déprécier une page, de se munir d’une petite plaquette de corne transparente à travers laquelle on verra bien le point marqué comme centre : on y pourra sans danger appuyer la pointe du compas. Pour tracer les cercles des auréoles on décou-


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pera dans une bande de corne ou de celluloïd une petite lame de cette forme : dont la partie amincie passera sur le cou du saint. I En tâtonnant on fera prendre à l’extrémité A la position voulue pour que le petit logement percé pour la pointe du compas soit bien au centre de la tête, générale­ ment sur la ligne des yeux, entre l’œil et l’oreille pour un profil. On pourra se servir de ce petit instrument sur une figure déjà peinte, sans crainte d’abîmer la peinture. IV. PRÉPARATION DU VÉLIN POUR LA PEINTURE Une fois les dessins reportés sur le vélin, il sera bon de le préparer à recevoir les ors et la peinture, surtout s’il eSt, comme nous l’avons recommandé, sans prépa­ ration calcaire et de nature rugueuse. Ces rugosités plutôt favorables à une belle écriture à la plume d’oie, sont un léger obstacle à la peinture fine. La pierre ponce employée à l’avance y remédierait, mais ce frottement qu’il serait difficile de fimiter aux seules parties à peindre enlèverait de la beauté au vélin. Les anciens nous ont laissé deux procédés faciles : i° Frotter légèrement toutes les portions qui doivent être recouvertes, avec un morceau de colle à bouche bien humeétée. Le moine Théophile réclame pour cette opération la salive d’une personne à jeun (qui contient à ce moment plus d’éléments corrosifs). Si les surfaces à peindre sont grandes, ce procédé devient épuisant et on fera mieux de recourir au blanc d’œuf. 2° On bat en neige un blanc d’œuf, puis on prend avec un pinceau, plus ou moins gros suivant les surfaces à enduire, non pas le liquide, mais la mousse de l’œuf battu ; et on l’étend grossièrement à tous les endroits qui seront peints ou dorés. Si la mousse se dépose en trop gros paquets, on l’étend avec le doigt, ou bien une fois sèche, on enlève l’excès avec le dos d’une lame de couteau. Cette opération rapide facilite beaucoup le travail de peinture ; si le blanc d’œuf e§t passé rapide­ ment et légèrement il n’efface aucun des dessins au pinceau ou au crayon. Le pinceau glissera facilement sur cette colle qui a déjà unifié les rugosités du vélin auquel il fixera solidement la colle d’or et la peinture. Les esquisses qui auraient pu souffrir d’un de ces deux procédés sont retouchées au crayon, mieux encore au pinceau avec une couleur foncée, brun rouge ou autre. S’il s’agit de faire seulement des capitales ou de grandes lettres unies en or ou en couleur, cette préparation n’eSt pas nécessaire. A la plume ou au pinceau, ces lettres se font diredement sur du vélin même rugueux : on met au besoin plusieurs couches, et on repasse soigneusement les contours pour corriger les dentelures que peut occasionner la rugosité du vélin. 71


ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

V. POSE DES ORS Ces longues préparations qu'un peu de pratique abrégera très vite, nous condui­ sent enfin au vrai travail de l’enluminure. Il commence par l’application des ors. Cependant on pourra réserver pour la fin certains ors que leur situation rendrait plus fragiles, ou risquerait de faire abîmer au cours d’un travail qui durera peutêtre des semaines ou des mois, encore qu’il soit facile de les protéger par un carton fixé aux côtés du cadre, et calé assez haut pour qu’il ne touche pas la feuille. Si l’on peignait avant de dorer, surtout avec l’or en feuilles, des parcelles d’or pourraient adhérer aux peintures qui souffriraient également du frottement et du brunissage qui suivent la pose de l’or. L’application première de l’or a encore cet avantage de mieux guider dans le choix des teintes, dont la valeur relative peut changer complètement dès qu’on les rapproche de l’or. Et si celui-ci n’était appliqué qu’à la fin, lorsque le coloris choisi serait déjà bien agencé, on aurait quelquefois des surprises en voyant se modifier l’effet que l’on avait voulu réaliser par le choix des couleurs. Nous savons que du IX e au X II e siècle l’or a été répandu avec profusion dans les encadrements et ornements, dans les initiales et dans les titres : jusque-là, en dehors des fonds de miniatures des MSS grecs, on le trouvait surtout dans les textes écrits entièrement en onciales ou capitales d’or et d’argent, sur du vélin teinté en pourpre. La dépense considérable de ces MSS fit abandonner ce luxe, et à l’époque de Charlemagne, les plus beaux MSS n’ont que quelques pages ainsi teintées. Les frontispices des fêtes principales sont sur vélin de couleur pourpre, des titres sont écrits en or sur une bande de pourpre, ou diredement sur le vélin. Après avoir formé les enroulements et les feuillages des grandes initiales jusqu’au X II e siècle, l’or n’eSt plus guère employé au X III e siècle que pour le corps des lettres et les fonds unis ou diaprés qui arrivent, au XIV e et au XV e siècle, à un éclat dont le temps n’a pas altéré la perfedion. L ’or s’applique à la plume ou au pinceau pour les petites lettres sans relief, ou pour des fonds mats. La poudre d’or qui se vend au gramme ed délayée dans de la gomme adragante : ce mélange se trouve déjà fait dans les coquilles ou godets qui contiennent des gouttes d’or ; l’addition d’un peu d’eau avec un pinceau, lui donne l’humidité nécessaire à son emploi. Pour les grands fonds d’or, pour les lettres et initiales en relief, pour les barres d’or des encadrements ou des entrelacs, il faut que l’or en feuilles ou en poudre soit supporté par une préparation spéciale ou « colle d’or » appliquée d’abord en épaisseur plus ou moins grande. Les recettes de colle d’or sont multiples et nous nous bornerons à en indiquer 72


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quelques-unes. La plupart sont à base de craie, de plâtre, ou de quelque autre matière terreuse comme le bol d’Arménie, employé par les doreurs : une colle, une substance gluante comme le sucre, le miel, la mélasse, sont mélangées à la base et lui donnent de la souplesse en la faisant adhérer ; enfin une couleur jaune ou rouge e§t ajoutée pour que les applications soient bien visibles sur le parchemin. Un clou de girofle ou un autre désinfeftant aident à la conservation de ces colles assez sujettes à la fermentation. Voici des mélanges conseillés par divers auteurs : 1. Plâtre de Paris io, blanc de céruse 3, colle de poisson 3, mélasse 1. Cette pâte, comme les suivantes, doit être souvent remuée afin que les portions terreuses qu’elle contient soient toujours bien mélangées aux autres parties. L’addition d’eau ou de colle les rend assez fluides pour qu’elles coulent facile­ ment du pinceau. 2. Plâtre fin bien cuit 1, bol d’Arménie 1/4, miel ou sucre candi en quantité suffisante pour que le mélange ait une saveur légèrement sucrée. Cette pâte eSt appliquée au pinceau en la délayant s’il le faut avec l’eau de gomme. Quand elle e§t sèche, si on veut plus de relief on peut ajouter d’autres couches. Puis on l’aplanit avec un grattoir, on la recouvre de blanc d’œuf sur lequel on applique, avant qu’il sèche, la feuille d’or pressée par un tampon d’ouate. (De arte illuminandi traduction Lecoy de la Marche, p. 95.) 3. Plâtre en poudre et bol d’Arménie en égales quantités. Ajouter peu à peu la partie liquide du blanc d’œuf battu en neige, jusqu’à ce que la poudre soit bien humectée et puisse se travailler avec le couteau à palette, sans cependant être liquide. Cette pâte doit être broyée très fine en ajoutant au besoin un peu d’eau. On l ’additionne alors d’eau gommée et de fiel de bœuf — quelques gouttes de chaque liquide — d’un peu de dextrine qui la conservera, et enfin de vermillon qui lui donnera de la couleur. On peut mettre de cette pâte plusieurs couches, à condition que la précédente soit bien sèche. Puis on la couvrira de gomme arabique additionnée de glycérine, et on y posera la feuille d’or. 4. Dissoudre un blanc d’œuf dans un demi-verre d’eau en agitant avec un tube de verre, laisser reposer deux jours, et décanter la liqueur jaunâtre. Sur les parties à dorer on étendra une pâte faite de sanguine et de vermillon en poudre délayés dans de l’albumine légèrement chauffée au bain-marie. Cette pâte une fois sèche sera uniformément recouverte d’une assiette à dorer composée de sanguine additionnée de la liqueur jaunâtre préparée à l’avance. L’assiette étant encore moite, on y applique la feuille d’or ; ou bien sur l’assiette déjà sèche, on 73

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étend de l’or en poudre délayé dans la même liqueur jaunâtre. (Adeline, La pein­ ture à Peau.) 5. i vermillon, i /3 cinabre mélangés et broyés soigneusement, puis délayés avec un clair de blanc d’œuf battu, additionné d’eau par temps chauds, sans eau en hiver. Couvrir de cette préparation les endroits à dorer. Appliquer l’or en poudre délayé dans la colle de parchemin chaude. (Moine Théophile, De divers arts.} 6. Pâte Foucher. Cette pâte, que l’on trouve dans le commerce, se place à chaud; elle donne, quand elle eSt de fabrication récente et bien employée, de fort beaux résultats. L ’or en poudre dont on la revêt peut être bruni et obtenir l’éclat d’une feuille de métal. Son emploi difficile nous y a fait renoncer. 7. Nous donnons pour terminer une recette qui eSt partiellement empruntée à l’ouvrage du moine Théophile. Légèrement modifiée et expérimentée pendant de longues années, elle nous a généralement donné des résultats très bons, et qui paraissent durables. Nous ne la donnons pas comme infaillible, car quel que soit le mélange, s’il n’eSt pas tout à fait au point lorsqu’on l’emploie, il craquera quelque jour. Le remède préventif eSt de faire plusieurs essais chaque fois que l’on renouvelle sa provision de colle à dorer, de les soumettre à la chaleur, à une torsion exagérée : s’ils résistent suffisamment, il y a bien des chances que la colle soit très bonne. On fait avec de la gomme arabique une colle de la consistance d’un sirop épais : les morceaux de gomme sont placés dans un petit sachet de mousseline, on suspend ce sachet au milieu d’un verre plein d’eau que l’on met au soleil. La gomme se dissout doucement et le sachet retient toutes les impuretés. La colle à dorer pouvant se conserver des années, on n’a pas à craindre d’en faire une bonne provision. A la quantité de colle de gomme, ainsi obtenue, on ajoute 1/3 de bon vinaigre, blanc de préférence : supposons 150 grammes de gomme, 50 grammes de vinaigre; nous y joindrons 10 gouttes de glycérine qui donnera de la souplesse, gros comme une petite noix de sucre candi, pour empêcher la colle de sécher trop vite. Enfin elle sera colorée avec de la gomme gutte en tubes, qui augmentera sa consistance et additionnée de bol d’Arménie réduit en poudre, afin d’augmenter encore la coloration et la souplesse, à condition d’être de nouveau mélangée à la colle chaque fois que l’on devra s’en servir. La colle eSt prête; mais si on veut la perfectionner, on la fera cuire au bain-marie; une ébullition un peu prolongée la mélangera bien et favorisera sa conservation. On lui donne la densité voulue soit en la réduisant par l’ébullition soit en l’allon74


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géant d’eau. Froide elle doit couler modérément du pinceau, une goutte se main­ tenant un instant au bout du pinceau, de façon à être portée sans danger à un point quelconque de la feuille à enluminer. Goutte à goutte la colle eSt ainsi placée sur les portions à dorer, avec plus ou moins d’abondance selon les surfaces à couvrir et le relief désiré ; aussitôt, chaque goutte eSt étendue par le pinceau, du centre vers les bords, la pointe du pinceau l’amenant aux angles en suivant tous les contours. D ’elle-même elle s’étend régulièrement, très unie, et formant relief aux centres des dessins; aussi, dès que la colle sera légèrement prise, le pinceau la ramènera du centre vers les bords dont elle tend parfois à s’écarter et où elle eSt en couche plus mince. Les irrégularités ainsi produites s’atténueront au bout de quelques instants ; tant que la colle n’épaissit pas trop, on peut renouveler cette opération et éviter les petites poches où la colle se rassemblant en masse plus épaisse serait trop longue à sécher et formerait un relief disproportionné. Dans les grandes surfaces, il faudra étendre rapidement la colle un peu plus épaisse, et en couche plus légère, quitte à passer une seconde couche sur la première bien sèche, si on n’a pas obtenu du premier coup le relief cherché. On s’assure que la colle eSl à point pour recevoir la feuille d’or, en la touchant légèrement avec le doigt ou avec l’angle d’un morceau de papier fin. Il faut que l’on sente une surface ferme mais encore moite : en regardant obliquement la surface de la colle, on se rend compte du moment voulu, que les essais préalables et l’expérience apprendront mieux que toute explication. On prend alors par le com la feuille de papier de soie qui supporte l’or collé, et on l’applique diredement et à plat, en évitant tout glissement, à l’endroit voulu. D ’un léger frottement du doigt par-dessus le papier, on fait adhérer l’or, appuyant davantage aux angles et aux bords du dessin dont on suit parfaitement les con­ tours à travers l’or et son support, grâce à l’épaisseur de la couche de colle. On augmente la pression du doigt si l’on sent que la colle reste bien ferme, et si on voit qu’elle ne traverse pas; puis on enlève la feuille de papier après avoir,par un petit mouvement à droite et à gauche, séparé, s’il ne l’eSt déjà, l’or saisi par la colle, de l’or encore adhérent au papier. S’il y a grande épaisseur de colle à certains points, il eSt nécessaire d’attendre que le tout soit bien sec, ces endroits restant tout juste moites ; sinon on s’exposerait à faire dans l’application d’or, une tache que l’on ne pourrait corriger complète­ ment. Alors on haie légèrement sur la partie à dorer, et cette haleine lui rend assez d’humidité pour qu’elle saisisse la feuille d’or ; pour éviter tout accident et n ’avoir pas à surveiller attentivement le moment où la colle arrive juste à point, nous trouvons qu’il y a avantage à employer de façon courante ce procédé assez simple. 75

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ÉCRITURE ET ENLUMINURE DES MANUSCRITS

Si rien ne presse, il eSt préférable de tout laisser en place pendant quelques heures pour donner à la colle le temps de durcir. On passe alors un tampon d’ouate sur toutes les surfaces dorées, légèrement d’abord pour enlever l’excès d’or, puis plus fort surtout sur les bords où la colle eSt moins épaisse, et graduellement en allant vers les portions où le relief e§t plus grand.Si on voit que l’or n’a pas bien pris partout, on fait de nouvelles applications d’or, après avoir rendu un peu de moiteur à la colle en hâlant de nouveau. Le frottement au tampon d’ouate, ou même avec le doigt à condition qu’il soit bien sec, arrive à donner à l’or un éclat moins brillant assurément que celui de l’or bruni, mais souvent de meilleur effet, plus discret et moins brutal. Cet or ne se brunit pas à l’agate ou à la dent de loup, bien plutôt à cause de son peu d’épaisseur qu’à raison de la colle à dorer. Si on fait usage d’ors de différentes couleurs, jaune, rouge et vert, ou de platine, dont le voisinage produit de très heureux effets, on les place successivement; et s’ils sont très voisins, surtout dans les cas où il faut hâler sur la colle pour les faire prendre, il eSt prudent d’attendre que l’or d’une couleur soit bien sec avant de poser celui d’une autre couleur. On peut encore, au moment de poser or ou platine sur la colle à peu près sèche, protéger les ors déjà posés, avec de petits morceaux de papier découpés. ÉCRITURE D’OR.

Pour des lettres d’or auxquelles on veut donner du relief, on peut très facilement se servir de cette colle. On l’applique soit au pinceau, soit à la plume d’oie, en l’allongeant d’eau s’il le faut, pour qu’elle coule facilement de la plume. Et l’or se pose sur cette colle comme précédemment. Si on ne veut ni relief ni brillant, on se sert tout simplement d’or en poudre et l’on écrit encore au pinceau ou à la plume. VI. PEINTURE L’écriture et les ors étant achevés, nous pouvons entreprendre la peinture, l’enlu­ minure proprement dite. On ne saurait donner de façon absolue l’ordre à suivre dans les peintures ; il peut varier selon chaque composition, la place des différents dessins, le temps prévu pour leur exécution. On peut dire que généralement il vaut mieux faire d’abord les parties qui demandent un plus long travail, afin de ne pas abîmer au cours de ce travail des portions déjà peintes. Ainsi lorsque toutes les esquisses auront été soigneusement achevées, on fera les personnages en premier lieu en commençant par les figures ; puis l’ornementation, dans laquelle les fonds ne se peindront qu’après que les détails, feuillages, fleurons... seront finis ou à peu près, 76


EXÉCUTION D ’UNE PAGE D ’ENLUMINURE

car les dernières touches ne se donnent qu’une fois que les fonds sont posés. On pourra cependant, surtout lorsqu’on hésite sur le choix et l’agencement des couleurs, couvrir d’une sorte de lavis tout l’ensemble ou seulement une partie des motifs à peindre : on se rend compte tout de suite des couleurs que l’on emploiera pour les vêtements, pour l’ornementation ; on peut sans inconvénient corriger ce qui ne convient pas, puisque les teintes opaques des couleurs gouachées ne laisseront rien paraître de ces légers lavis. PERSONNAGES ET SCÈNES

Dans notre étude rapide des divers Styles du moyen âge, nous avons constaté que les miniatures proprement dites, scènes et personnages, y étaient traitées de façon beaucoup plus simple et généralement moins soignée que dans les MS S du XIV e et du XV e siècle. Les sujets ne comportent jamais ces paysages, châteaux forts ou villes, qui sont le cadre des scènes plus récentes. De grands motifs d’architeCiure, des séries de toits et de dômes ou de tours, des arcs et des colonnades servent de fond et de cadre aux personnages, quand ceux-ci ne sont pas tout sim­ plement placés sur un fond uni de couleur ou d’or. On ne peut fixer de règles pour la composition de ces miniatures. Si l’on veut rester dans l’esprit du Style adopté pour l’écriture et l’ornementation, on fera bien de s’inspirer de modèles pris dans des MSS de ce même Style. Comme on l’a dit déjà, nous ne devons pas copier les défauts des anciens ; mais, nous inspirant de leur genre, de leur sens artistique et de leur tradition, nous pouvons chercher à rectifier, à perfectionner leur dessin et leurs procédés. Ainsi serons-nous assurés de donner à nos œuvres, avec une plus grande perfection, tout le cachet des œuvres d’autrefois. Il ne nous eSt pas interdit, si nous adoptons le Style carolingien, de placer dans les beaux portiques qui ornent si magnifiquement les MSS de cette époque, des per­ sonnages mieux dessinés et peints avec plus de fini que ceux de ces MSS. En faisant mieux, il eSt facile de conserver le caractère d’une période et toute son originalité. On gagne du temps si, avant de commencer à peindre, on dessine très exacte­ ment les personnages et les plis de leurs vêtements. Leurs positions, leur mouve­ ment, leurs geStes seront étudiés avec soin ; les anciens regardaient bien, s’ils ne faisaient pas d’anatomie ; et il eSt tel MS du IX e et du X e sièole où, dans un personnage grossièrement dessiné mais bien drapé, on ne peut découvrir aucun mouvement inexaét. On gardera donc bien les proportions ordinaires du corps humain, et avant de se lancer dans la composition de scènes, il sera utile de faire des esquisses sinon d’après nature, du moins d’après des modèles bien choisis. Un canon tel qu’en donnent les grammaires du dessin, rendra service : les manne77


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quins articulés prennent des positions exaétes, mais indiquent les mouvements avec quelque raideur qu’il e§t assez facile de corriger dans l’esquisse. Ces études préliminaires ne seront pas sans importance ; car, à l’époque dont nous nous occupons, les mouvements et les lignes des membres apparaissent toujours sous la draperie, et en règlent les plis. Figures et vêtements étant donc étudiés à part, puis reportés sur le vélin par le procédé ordinaire, on les passera au trait foncé qui paraîtra sous la première couche de peinture, et servira de guide pour peindre les détails des traits. Les figures seront traitées avec soin, sans qu’il soit nécessaire de leur donner la perfection des miniatures sur ivoire du XVIIe siècle. Par contre il ne faudrait pas, sous prétexte d’archaïsme, imiter les figures grossières des MSS celtiques et de quelques autres. Une première teinte couleur chair couvrira bien toute la figure : si on tient cependant à conserver la ressemblance d’une esquisse réussie, cette couche couleur chair sera placée à l’intérieur des traits de l’esquisse, mais elle devra bien couvrir, et, pour ne pas laisser de creux, empiéter plutôt sur ces traits. En regardant par transparence on s’assurera qu’il n’y a pas de creux ou de jours. Et cette remarque s’applique à toute enluminure : il ne faut pas empâter, mais la peinture doit tout couvrir et ne jamais laisser de vides. Cette première teinte chair sera préparée d’avance, comme les autres teintes, en assez grande quantité. Et dans un des godets d’une série on pourra, en petits tas, réunir toutes les teintes qui doivent être employées pour les figures. Teinte chair : blanc, ocre jaune et brun rouge. Pour les vieillards on ajoutera un peu d’ocre jaune à cette teinte ; pour les figures plus jeunes, la teinte sera éclairée. Brun rouge, pour les traits. Brun rouge et terre de Sienne naturelle, avec une petite pointe de bleu d’outre­ mer, pour la bouche et des traits plus foncés. Terre de Sienne naturelle et outremer, pour les ombres des chairs. Terre d’ombre avec blanc pour les cheveux, que l’on ombre avec terre de Sienne naturelle et brun rouge. Cheveux gris : terre d’ombre avec blanc et noir, ou bistre avec ocre jaune et terre de Sienne brûlée. Pendant que sèche la teinte posée sur une figure, on peut, comme nous l’avons dit, placer des teintes en lavis ou définitivement sur les vêtements voisins. On verra mieux l’expression de la figure, si elle e§t rapprochée des teintes qui l’accom­ pagneront. S’il y a des auréoles d’or, on peut aussi les faire d’abord ; mais il e£t souvent préférable de ne les faire qu’en dernier lieu. 78


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La première couche teinte chair étant bien sèche, on repasse les traits au brun rouge ou au mélange brun rouge et terre de Sienne. Cheveux, sourcils et barbe, seront ensuite faits de la même teinte et ombrés suivant l’éclairage de la figure. Puis on marquera légèrement les ombres qui feront ressortir les points lumineux formés par la teinte chair posée en premier lieu : creux des orbites, ombre du nez, de la bouche, du menton et du cou, seront simplement indiqués d’un trait ou d’une légère couche de peinture avec le pinceau peu chargé, presque sec. Car il vaut mieux revenir plusieurs fois sur le même point que d’y poser une trop grande quantité de peinture dont on a peine à se débarrasser, une fois qu’elle a pénétré dans la pre­ mière couche. Suivant l’exemple des anciens, nous n’hésitons pas à conseiller le procédé le plus simple pour enlever au pinceau peu chargé l’excès de peinture, et retoucher, adoucir une ombre trop forte : on serre légèrement le pinceau entre les lèvres, on refait ainsi sa pointe et on lui prend en même temps ce qu’il a de trop d’une pein­ ture tout à fait inofensive et, de plus, très diluée. Les pinceaux plus gros et plus chargés seront lavés chaque fois qu’il sera nécessaire, et en tous cas avant les changements de teinte, dans un vase d’eau ; et on les essuiera avec un linge de soie ou de lin fin et sans duvet. Dans la teinte pour ombres qui contient du bleu, cette dernière couleur devra être en faible quantité, pour ne pas donner aux figures une apparence verdâtre ou sale. Les mains, les pieds seront faits comme les figures, avec des ombres très légères pour indiquer la courbure, ou les principaux mouvements des articulations ; les contours et les doigts seront marqués d’un simple trait bien net. VÊTEMENTS

Sur les teintes plates déjà posées et qui laissent voir l’esquisse, on fera d’abord les grandes ombres en teintes plus foncées, les creux étant marqués du ton le plus foncé ; et Ton pourra suivre d’un trait brun, presque noir, les grandes lignes des plis, les contours : enfin on indiquera par un trait de même couleur les principaux mouvements qui doivent se laisser deviner, sans exagération cependant, à travers les draperies des vêtements. Si les personnages doivent être ornés d’auréoles de couleur ou d’or, on sera sûr de les placer plus exactement si on attend que la figure soit achevée. On la protégera, si on craint de l’abîmer, d’une petite ron­ delle découpée dans du papier ou une carte, et, à l’aide du petit instrument décrit page 71, on tracera au compas le cercle de l’auréole. La colle d’or ou la peinture seront alors posées comme à l’ordinaire, et en regardant le dessin obliquement de tous côtés, on s’assurera que peinture ou colle couvrent bien jusqu’aux contours 79


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de la tête. Si la peinture de la figure est assez sèche et de plus protégée par un papier, l’or s'appliquera sans nuire en rien à la peinture. Quand les auréoles ne sont pas en or, elles sont en blanc mélangé d’un peu de jaune, puis serties de rouge : on en rencontre quelquefois en vermillon ou en bleu. Après les personnages, on fera, si on veut, les motifs qui les encadrent, et leurs fonds de couleur ou d’or. Encore une fois, chacun e§t son maître pour régler, suivant les circonstances, l’ordre à suivre afin qu’une partie déjà exécutée n’ait pas à souflrir du travail prolongé sur une portion voisine. Les cercles qui doivent sertir les auréoles ne seront tracés qu’après que le fond aura été posé : ils viendront ainsi cacher les irrégularités inévitables qui se pro­ duisent aux points de rencontre des ors et des couleurs. ENCADREMENTS ET ORNEMENTATION

Les ors et les personnages étant achevés, on fera les motifs divers qui forment l’ornementation, les détails des lettres qui renferment des scènes ou des person­ nages, les motifs des encadrements... Tous les sujets, fleurons, feuillages, enroulements, seront peints d’une première teinte plate, généralement du ton le plus clair et le plus gouaché, si par-dessus doivent paraître des ombres ou nervures de feuilles. Cette première teinte doit bien couvrir ; et si Ton emploie un ton plus foncé et moins gouaché, on peut sans inconvénient y ajouter un peu de couleur plus opaque afin que le vélin soit bien couvert. Les couleurs doivent être délayées en quantité suffisante pour tout ce que l’on doit faire aftuellement : on y gagnera plus d’uniformité et on n’aura pas à interrompre la pose de la peinture, afin de procéder à un nouveau délayage. On gagne encore du temps en appliquant de suite un même ton sur tous les motifs, qui, dans une page ou dans deux pages en regard, sont de même couleur. Le pinceau bien chargé, selon l’étendue à couvrir, e§l porté au centre du motif, et la peinture eft étendue dans tous les sens vers les bords ; elle s’égalise d’ellemême, on en reporte une nouvelle quantité, allant toujours en l’étendant vers les bords et les angles, sans trop frotter le parchemin : le pinceau doit glisser sur la surface de cette petite nappe liquide, et l’étendre ainsi en couche peu épaisse. Si le vélin eSt bien tendu et la couleur de bonne densité, ni trop liquide, ni trop pâteuse, elle séchera avant d’avoir eu le temps de donner de l’humidité au vélin, et d’y former des poches où elle resterait en trop grande épaisseur. Le premier ton de tous les motifs d’une couleur étant posé, on posera de même le premier ton d’une autre couleur, ou de plusieurs autres s’il y a lieu. Ces pre­ mières couches sécheront ainsi les unes après les autres et on pourra continuer le travail sans interruption. Prenant le ton moyen de la première couleur, on fera à 80


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la suite tous les détails : nervures ou ombres de ses motifs ; puisque la surface eSt déjà couverte, il faudra peu de peinture qui séchera assez vite, et on pourra le plus souvent faire presque aussitôt, avec le ton foncé, la ligne centrale des ner­ vures ou les plus grosses ombres. Le dessin intérieur des motifs eSt ainsi à peu près achevé. On fera alors les fonds, sur lesquels ils doivent ressortir. Dans les anciennes miniatures, ils sont le plus souvent d’un ton foncé; et nous croyons qu’il eSt plus facile d’harmoniser avec les ornements de ces Styles un ton foncé qu’un ton clair, surtout si le fond eSt d’une certaine étendue. De légers dessins d’une teinte foncée posés sur une bande claire produisent dans certains manuscrits un effet très heureux. Si on emploie pour les fonds un ton foncé, on se rappellera qu’il contient moins de gouache et doit être posé en plus grande épaisseur, avec de la peinture moins délayée. Pour les grands fonds, au lieu de commencer par le milieu, on partira d’un coin ou d’un côté et on couvrira la surface par étapes successives, reprenant avant que la peinture ait séché, à l’endroit où on s’eSt arrêté. Il faut agir prestement, et on arrivera assez vite à joindre si bien les coups de pinceau que lorsque tout sera sec on ne puisse découvrir aucune solution de continuité. Ayant délayé une quantité de peinture suffisante, on pourra aussitôt repasser par coups de pinceau peu chargé, aux endroits où la peinture n’aurait pas suffisamment couvert, ce que l’on voit de suite en redressant la feuille devant la lumière et regardant par transparence. On peut, sans inconvénient, interrompre le travail d’un grand fond que l’on ne pourrait finir en une seule séance : il faut alors s’arrêter sur une ligne un peu tourmentée et travailler en dégradé les derniers coups de pinceau. On reprendra facilement à la séance suivante, employant d’abord le pinceau peu chargé, afin de ne pas empâter les points de rencontre. Lorsqu’on peindra les fonds, on reétifiera le dessin des sujets déjà peints et dont la première teinte aura pu être posée rapidement et dépasser légèrement les con­ tours dessinés au crayon ou au pinceau. Le fond empiétera ainsi sur cette teinte et on sera certain de ne laisser aucun vide non couvert. Le sertissage de tous les ornements viendra compléter cette première reftification, en égalisant les lignes de jonftion du fond et des sujets. Il se fera avec un pinceau plus fin, donnant un trait bien égal. Les dessins couleur sur couleur sont sertis en noir, c’eSt-à-dire avec notre noir violacé (p. 65), ou en brun très foncé. Jusqu’au X II e siècle les ors sont toujours sertis en rouge minium, puis le rouge devient plus vif, vermillon pur ; à partir du X III e siècle les ors sont quelquefois sertis en noir, plus tard ils le sont toujours. Le trait de sertissage devra être ferme, mar­ quant les contours et surtout les angles d’une ligne bien nette : il finira de cacher les jours qui subsistent encore au bord des motifs. 81


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Tout le dessin étant serti, on fera, si les motifs en comportent, les lumières ou les ombres, entre les nervures et dans la direction des angles du sertissage. Ainsi sera marqué le vrai mouvement de la feuille, du fleuron, par ces petits traits, blanc un peu jauni, ou de la teinte foncée : ils iront en diminuant de l’extérieur au centre du motif, suivant la courbe des nervures. Et, par eux, le motif changera d’aspeCt et prendra de l’allure. Un trait blanc jauni, parallèle au sertissage et le touchant presque, contribuera encore à faire ressortir et à éclairer les motifs. On le placera bien entendu du côté éclairé ou viennent mourir les nervures. Nous employons pour ces traits du blanc jauni, c’eSt-à-dire mélangé d’un peu d’ocre jaune ou de cadmium, afin que l’opposition aux couleurs avoisinantes ne soit pas trop forte. Certains manuscrits carolingiens ont ces traits, comme les lumières, franchement jaunes (pl. I. Frontispice). Les lumières sont quelquefois alternativement jaunes et noires. Enfin les ors des barres de l’encadrement seront sertis d’un trait rouge. Pour les parties droites, les cercles, ces sertissages se feront à la règle et au tire-lignes, ou au compas. On pourra les achever au pinceau si le tire-lignes n’a pas pris tout à fait bien sur le vélin rugueux et non couvert de blanc d’œuf aux bords du dessin : le pinceau sera d’ailleurs nécessaire, s’il y a des entrelacs ou des fleurons d’angles. La retouche au pinceau des traits faits au tire-lignes, leur rend de la souplesse et plus d’élégance. LETTRES D’OR ORNÉES

L ’or aura été posé sur ces lettres en même temps qu’aux encadrements, à moins qu’on n’ait préféré les exécuter avant ou après le reste du dessin. Les fonds seront appliqués de la même façon que les autres, prenant soin de les faire arriver bien en contaCt avec les contours de l’or qu’ils pourront aussi rectifier. Si, dans le corps de la lettre, on peint quelques motifs, on les fera comme à l’ordi­ naire ; et le sertissage en rouge viendra compléter la lettre. CAPITALES OU ONCIALES SUR FONDS DE COULEUR

A moins que ces lettres soient de très petite dimension, il est préférable de les faire d’abord sur le vélin. On fait ensuite le fond autour des lettres et à l’intérieur, remplissant jusqu’aux contours du cadre, de la bande tracée à l’avance. La peinture ainsi posée après coup reCtifie les irrégularités de l’or, et le consolide sur les bords. Pour les lettres plus petites, on fait le fond en teinte plate ; puis, avec un pinceau fin et une couleur qui tranche bien sur le fond, on dessine exactement les lettres, et on y applique l’or comme à l’ordinaire. Il faut que le fond soit bien sec ; de plus, comme la colle d’or eSt en partie absorbée par le fond, on peut l’employer un peu plus épaisse. Si on doit hâler afin d’appliquer la feuille d’or, on veillera à ce 82


1 EXECUTION D ’UNE PAGE D’ENLUMINURE

que la peinture ne reprenne pas d’humidité; car elle saisirait l’or tout aussi bien que la colle, et on ne pourrait se débarrasser de cet or que par un grattage dont les traces s’enlèvent difficilement : comme la colle d’or retient plus facilement l’humi­ dité, il n’y a, après avoir hâlé, qu’à attendre quelques instants pour appliquer la feuille. INSCRIPTIONS, ÉCRITURE DE TEXTES

Des inscriptions, des titres ou des textes, peuvent être écrits sur des fonds ou des bandes d’or ou de couleur. Sur la couleur bien sèche, on écrira en lettres blanches, (blanc jauni) ou en lettres très foncées qui peuvent assez bien ressortir sur des fonds déjà foncés. Sur des fonds d’or ce sont les lettres rouges, minium ou ver­ millon, qui produiront le meilleur effet. Tous les détails de peinture et d’écriture enfin achevés et corrigés par une dernière retouche, il ne reste plus qu’à dégager la feuille de vélin de son cadre de bois, ou du carton sur lequel elle a été tendue. Avec un canif ou un grattoir bien aiguisé et une règle plate, on découpera la feuille suivant les contours marqués au début du travail. Si elle doit faire partie d’un livre et être refiée, il sera mieux encore de la décoller simplement en passant un canif en dessous des bandes de papier, et de décoller de la même façon tout l’entourage de papier, laissant à celui qui fera la reliure, le soin de couper toutes les feuilles à la même dimension. Le vélin reprendra un peu de souplesse sans que la peinture ait à en souffrir. Si on doit le conserver un certain temps, le meilleur procédé consistera à le maintenir dans un cartonnage entre deux feuilles de papier calque ou de papier de soie. Une feuille destinée à être encadrée et peinte d’un seul côté pourra être laissée sur son carton que l’on coupera à la dimension voulue. Un passe-partout bien assorti viendra cacher les bandes de papier qui ont servi à tendre le vélin.

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DES PRESSES DE PHOBEL S. A.

BRUXELLES 2122-27

IMPRIMI POTEST Solesmis, die 8 Decembris 1926. 7 F r. G ermanus Cozien Abbas S. Pétri de Solesmis.




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