Espèces

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Makis de Mayotte ■ Expéditions scientifiques ■ Îles Éparses ■ Chauves-souris ■ Palmier nain ■ Animaux momifiés

Septembre 2011

Revue d’histoire naturelle

Zoologie Botanique Géologie Entomologie Ornithologie Ichtyologie Océanographie Systématique Herpétolo

Géophysique Climatologie Paléontologie Épistémologie Malacologie Primatologie O

Génétique Arachnologie Éthologie Mammalogie Systématique

Zoologie Botanique

À peine découvertes, déjà menacées Biodiversité en outre-mer… et ailleurs

L 15519 - 1 - F: 7,50 € - RD

ESPÈCES №1 - Septembre 2011 - Biodiversité en outre-mer… et ailleurs

ES

pèces

№1

■ ■ ■ ■ ■ ■

Rencontre : G. Boeuf /Y. Coppens, frères de sciences Mayotte : Des lémuriens en danger de mort Enquête : À quoi servent les expéditions scientifiques ? France : Chauves-souris victimes de la route Égypte : Animaux momifiés Méditerranée : Le palmier nain traque le réchauffement

DOM/S : 7,90€ - CAL/S : 1200 CFP – POL/S : 1250 CFP

Climatologie Minéralogie Ornithologie Ichtyologie Mycol


ologie Ours & Conseil scientifique Botanique Archéozoologie Géologie Océanographie Espèces est édité par Kyrnos Publications Association loi 1901 - SIRET : 449 685 569 00013 7, Le vieux chêne - 20 225 Avapessa Directrice de publication et rédactrice en chef : Cécile Breton /c.breton@especes.org / Tél. : 06 14 72 25 94 Journalistes : Julien Balboni / j.balboni@especes.org, Sophie Crançon / sophie.crancon@wanadoo.fr Secrétariat de rédaction : Jean-Michel Jager / jean-michel.jager@orange.fr Photographe : Emmanuel Boitier / e.boitier@especes.org Graphiste (création/réalisation de la maquette et illustrations) : Arnaud Rafaelian / arnaud.rafaelian@gmail.com pour les Éditions du grand chien Conception, photogravure, prépresse : Les éditions du Grand Chien (Ville-di-Paraso) www.grand-chien.fr / 06 14 72 25 94 Contact commercial : Marie-Anne Ramond / limpresa@sfr.fr / Tél. 04 20 04 41 83 Abonnements et vente au numéro Espèces - Service clients - 12 220 LES ALBRES Tél. : 05 65 80 47 73 / Fax : 05 65 63 26 79 / contact@bopress.fr Site internet : www.especes.org Trimestriel (4 numéros par an) n° 1 - septembre-novembre 2011 Dépôt légal à parution / © Kyrnos publications Commission paritaire : en cours Diffusion MLP Imprimé par l’IPPAC/Imprimerie de Champagne Zone industrielle - Les Franchises - 52 200 Langres Espèces est imprimé sur papier recyclé.

Conseil scientifique : Robert Barbault, directeur du département écologie et gestion de la biodiversité du MNHN. François Bonhomme, directeur du département biologie intégrative de l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier. Gilles Boeuf, président du MNHN. Yves Coppens, professeur honoraire de la chaire de paléoanthropologie et préhistoire au Collège de France. Thomas Cucchi, chercheur CNRS au laboratoire archéozoologie et archéobotanique du MNHN. Élisabeth Dubois-Violette, directrice de recherche émérite au CNRS, laboratoire de physique des solides. Guillaume Lecointre, directeur du département systématique et évolution du MNHN. Frédéric Médail, professeur à l’université d’Aix-Marseille, au sein de l’Institut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie. Daniel Nahon, directeur de recherche au Centre européen de recherches et d’enseignement en géosciences de l’environnement (université d’Aix-Marseille). Philippe Taquet, ancien directeur et professeur émérite au MNHN, membre de l’Académie des sciences. Stéphanie Thiébault, directrice de recherche au CNRS et directrice scientifique adjointe, chargée de la fonction d’agence et des actions transversales à l’institut écologie et environnement du CNRS.

Parrainage : André Santini, ancien ministre, député et maire d’Issy-lesMoulineaux.

Appel à contribution Vous êtes chercheur, étudiant ou amateur éclairé ? Soumettez-nous un article… en contactant directement la rédaction : c.breton@especes.org

Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - Éditorial Archéozoologie Phylogénétiq

Mode

Toute l’équipe d’Espèces tient à remercier chaleureusement toutes les personnes qui nous ont soutenues et aidées dans la construction de ce projet : Gilles Boeuf, Marc Cheylan, Bruno Corbara, Élisabeth Dubois-Violette, Thomas Grenon, Jean-Michel Jager, Guillaume Lecointre, Frédéric Médail, Anthony Pere, Daniel Segala, Jean-Denis Vigne et bien entendu l'ensemble des membres du conseil scientifique.

En couverture

d’emploi

“Je voudrais pas crever Avant d’avoir connu Les chiens noirs du Mexique Qui dorment sans rêver

Les singes à cul nu Dévoreurs de tropiques Les araignées d’argent Au nid truffé de bulles…” Boris Vian

N

ous avons été bien obligés de l’admettre, nous ne comprenons rien au désordre du monde, au réchauffement climatique, à la génétique, à la biodiversité, comme aux coléoptères… Ne voyez pas dans ce “nous” une généralité malvenue : je pense ce petit groupe à l’origine d’Espèces : journalistes, graphiste, bénévoles… Bien sûr, peut-être n’avons-nous pas le temps de nous y intéresser, peut-être est-ce par lassitude ou par saturation devant la masse d’informations dont il semble impossible, à notre échelle, de démêler l’écheveau. Peut-être vaut-il mieux laisser cela à ces originaux qui rampent derrière les coléoptères ? Mais si, parfois, notre désir d’ordre nous égare (G. Lecointre, p. 68), nous pouvons nous fier à notre désir de comprendre. Ce besoin a mené certains au bûcher, mais les temps ont changé et la curiosité est désormais non seulement un droit mais aussi – et cela n’engage que moi – un devoir. Jusqu’ici, l’écart se creusait entre nous et le monde des “sciences et techniques”, fruit de la nécessaire spécialisation, n’était pas si préjudiciable. Après tout, est-ce essentiel de savoir comment marche notre photocopieuse ? Ce n’est pas important… tant qu’elle marche. Or, aujourd’hui, je ne vous l’apprends pas : “Ça” ne marche plus !

Remerciements :

3

On pourrait facilement se passer de notre photocopieuse – par ailleurs menacée par des technologies plus performantes –, mais pouvons-nous nous passer de notre environnement ? Certains disent que oui, il suffirait d’en trouver un autre, une autre planète ! Après tout, l’humanité en a vu d’autres et n’a jamais raté une occasion de scier sa branche… Malheureusement, ces termes de biodiversité ou d’environnement recouvrent des concepts bien plus larges qu’ils en ont l’air (R. Barbault, p. 13)… et qui nous englobent,

Criquet de l’espèce Salomona redtenbacheri (famille des Tettigoniidés) qui, dans la vallée de Penaoru sur l’île d’Espiritu Santo au Vanuatu, se rencontre parfois dans les loges préformées de la plante à fourmis épiphyte Hydnophytum longistylum (Rubiacées). Voir l’article “En quête d’espèces”, p. 66 (cliché Emmanuel Boitier).

Par Cécile Breton, Rédactrice en chef nous, primates supérieurs si fiers de nos photocopieuses. Alors saurons-nous nous priver de nous-mêmes, partir à la benne avec tout le fourbi : veaux, vaches, cloportes, bactéries et mollusques ? Voilà qui pourrait heurter notre sentiment de supériorité. Voyons-y pourtant une grande chance, une occasion de descendre définitivement de notre piédestal, en espérant ne pas rater la marche. Certains sont descendus avant d’autres, malgré les idées encore tenaces sur le sujet, nous nous sommes donc adressés à eux : les scientifiques, les amateurs éclairés (ceux de la traque aux coléoptères) et tous ceux qu’anime la curiosité pour le monde qui nous entoure. Démarche simple et presque naïve pour notre petite association, mais seul moyen de comprendre pourquoi le monde scientifique s’agite. Retourner aux sources est ce que l’on apprend, en sciences comme en journalisme. Nous cherchons donc simplement à être un véritable “média” entre “eux” et “nous” (p. 74). Pour être tout à fait honnêtes, une autre motivation nous anime. Nous aimons nous amuser, même lorsque cela demande un petit effort. La notion de plaisir (p. 73) est bien loin de l’image que nous nous faisons de la recherche : blouse blanche + rigueur + austérité + travail riment difficilement avec joie de vivre. Encore une idée reçue à laquelle nous mènerons la vie dure. Une chose est sûre : apprendre doit être un jeu, le sérieux n’implique pas que l’on se prenne au sérieux – au contraire, même, serais-je tentée de dire. Alors je souhaite que nous vous amuserons autant que nous nous sommes amusés en créant cette revue avec rigueur, sérieux et travail.  À vous de juger. ESPÈCES №1 - Septembre 2011


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Mode

3 En couverture

d’emploi

“Je voudrais pas crever Avant d’avoir connu Les chiens noirs du Mexique Qui dorment sans rêver

Les singes à cul nu Dévoreurs de tropiques Les araignées d’argent Au nid truffé de bulles…” Boris Vian

N

ous avons été bien obligés de l’admettre, nous ne comprenons rien au désordre du monde, au réchauffement climatique, à la génétique, à la biodiversité, comme aux coléoptères… Ne voyez pas dans ce “nous” une généralité malvenue : je pense ce petit groupe à l’origine d’Espèces : journalistes, graphiste, bénévoles… Bien sûr, peut-être n’avons-nous pas le temps de nous y intéresser, peut-être est-ce par lassitude ou par saturation devant la masse d’informations dont il semble impossible, à notre échelle, de démêler l’écheveau. Peut-être vaut-il mieux laisser cela à ces originaux qui rampent derrière les coléoptères ? Mais si, parfois, notre désir d’ordre nous égare (G. Lecointre, p. 68), nous pouvons nous fier à notre désir de comprendre. Ce besoin a mené certains au bûcher, mais les temps ont changé et la curiosité est désormais non seulement un droit mais aussi – et cela n’engage que moi – un devoir. Jusqu’ici, l’écart se creusait entre nous et le monde des “sciences et techniques”, fruit de la nécessaire spécialisation, n’était pas si préjudiciable. Après tout, est-ce essentiel de savoir comment marche notre photocopieuse ? Ce n’est pas important… tant qu’elle marche. Or, aujourd’hui, je ne vous l’apprends pas : “Ça” ne marche plus ! On pourrait facilement se passer de notre photocopieuse – par ailleurs menacée par des technologies plus performantes –, mais pouvons-nous nous passer de notre environnement ? Certains disent que oui, il suffirait d’en trouver un autre, une autre planète ! Après tout, l’humanité en a vu d’autres et n’a jamais raté une occasion de scier sa branche… Malheureusement, ces termes de biodiversité ou d’environnement recouvrent des concepts bien plus larges qu’ils en ont l’air (R. Barbault, p. 13)… et qui nous englobent,

Criquet de l’espèce Salomona redtenbacheri (famille des Tettigoniidés) qui, dans la vallée de Penaoru sur l’île d’Espiritu Santo au Vanuatu, se rencontre parfois dans les loges préformées de la plante à fourmis épiphyte Hydnophytum longistylum (Rubiacées). Voir l’article “En quête d’espèces”, p. 66 (cliché Emmanuel Boitier).

Par Cécile Breton, Rédactrice en chef nous, primates supérieurs si fiers de nos photocopieuses. Alors saurons-nous nous priver de nous-mêmes, partir à la benne avec tout le fourbi : veaux, vaches, cloportes, bactéries et mollusques ? Voilà qui pourrait heurter notre sentiment de supériorité. Voyons-y pourtant une grande chance, une occasion de descendre définitivement de notre piédestal, en espérant ne pas rater la marche. Certains sont descendus avant d’autres, malgré les idées encore tenaces sur le sujet, nous nous sommes donc adressés à eux : les scientifiques, les amateurs éclairés (ceux de la traque aux coléoptères) et tous ceux qu’anime la curiosité pour le monde qui nous entoure. Démarche simple et presque naïve pour notre petite association, mais seul moyen de comprendre pourquoi le monde scientifique s’agite. Retourner aux sources est ce que l’on apprend, en sciences comme en journalisme. Nous cherchons donc simplement à être un véritable “média” entre “eux” et “nous” (p. 74). Pour être tout à fait honnêtes, une autre motivation nous anime. Nous aimons nous amuser, même lorsque cela demande un petit effort. La notion de plaisir (p. 73) est bien loin de l’image que nous nous faisons de la recherche : blouse blanche + rigueur + austérité + travail riment difficilement avec joie de vivre. Encore une idée reçue à laquelle nous mènerons la vie dure. Une chose est sûre : apprendre doit être un jeu, le sérieux n’implique pas que l’on se prenne au sérieux – au contraire, même, serais-je tentée de dire. Alors je souhaite que nous vous amuserons autant que nous nous sommes amusés en créant cette revue avec rigueur, sérieux et travail. À vous de juger.  ESPÈCES №1 - Septembre 2011


Sommaire

№ Actualités 6

3

1

4

Septembre 2011

Éditorial par Cécile Breton

Les mammifères toujours en question par Cécile Breton

Canis lupus a recolonisé les massifs par Julien Balboni

La chronique de Raymond le bousier

Aux origines du chien par Cécile Breton

13

4 Brèves 10 BD 11

Sommaire

par Arnaud Rafaelian

Une autre façon de voir le monde par Robert Barbault

14

Rencontre Gilles Boeuf & Yves Coppens

La nature pourra-t-elle conserver l’homme ?

Le point sur… L’outre-mer, trésor à protéger par Aurélie Bocquet

Reportages Makis de Mayotte par Laurent Tarnaud

19 24

En quête d’espèces : à quoi servent les expéditions scientifiques ? par Bruno Corbara

Les îles Éparses, nouvel Eldorado de la recherche par Sébastien Gignoux ESPÈCES №1 - Septembre 2011


Sommaire

46

5

Recherche

Chauves-souris victimes de la route par Laurent Arthur

Le palmier nain, témoin

des changements globaux en Méditerranée

par Frédéric Médail

Les momies d’animaux : une classification des espèces dans l’Égypte ancienne par Alain Charron

66

Entr’espèces par Bruno Corbara

L’arbuste, les fourmis et le champignon

68 73 Médias 74

Tribune

Les espèces, c’est nous qui les faisons ! par Guillaume Lecointre

Pédale douce

par Cécile Breton

par Julien Balboni

Vidard et la manière

79

76

Muséums

par Julien Balboni

Le Muséum de Bruxelles

À voir et à lire… ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie Actualités Mammalogie Botanique Ichtyologie Systématique Zoologie Ophiologie

Les mammifères 6

VIe congrès européen de mammalogie

Le mal nommé rat noir (Rattus rattus) - car il ne l’est jamais sous nos lattitudes - est d’une grande agilité dans les branches (cliché C. Breton).

D

epuis 24 ans, les mammalogistes européens se réunissent pour partager les résultats de leurs recherches au sein d’un congrès. Ce VIe congrès a réuni en juillet dernier, à Paris, plus de 400 chercheurs venant de tous les pays d’Europe (et notamment de l’Est) mais aussi d’autres parties du monde, jusqu’à la Corée et le Japon. Qu’est-ce que les mammifères de la vieille Europe ont encore à nous apprendre ? L’objectif est moins de découvrir de nouvelles espèces – même si en France, par exemple, trois nouvelles espèces de chauvessouris ont été identifiées au cours des vingt dernières années –, que de mieux connaître celles que nous côtoyons depuis des millénaires. Et parfois, force est de constater que les plus proches de nous n’ont été que tardivement étudiées. Les mammifères, par leur taille et leur proximité avec l’homme, nous apparaissent comme la partie la plus ESPÈCES №1 - Septembre 2011

toujours en question marquante du monde animal parce qu’elle en est la partie “émergée”. Pourtant la classe des Mammalia ne compte qu’un faible nombre d’espèces et, parmi elles, les plus grandes ne sont pas les plus nombreuses : les rongeurs, avec leurs 2 500 espèces, représentent 45 % de la biodiversité des mammifères. Souris, musaraignes, rats, mulots et campagnols, ces “nuisibles” d’hier, préoccupent beaucoup les chercheurs d’aujourd’hui. D’abord parce que nous avons une histoire commune avec certains d’entre eux puisque, si les souris ne sont pas des animaux “domestiques” mais “commensaux”, elles accompagnent les communautés humaines depuis le Néolithique et probablement bien avant. Christiane Denys (chercheuse en mammalogie dans l’UMR 7205 OSEB du département Systématique et Évolution du MNHN), organisatrice du congrès avec Stéphane Aulagnier (professeur à l’université Paul Sabatier de

Toulouse), travaille sur les micromammifères fossiles découverts dans les sites d’Afrique tels que le riche gisement d’Olduvai, célèbre pour avoir livré de nombreux vestiges d’hominidés. Nombreux et omniprésents, les rongeurs sont un sujet d’étude idéal : il est possible de suivre leur constante évolution comme leur répartition dans l’espace depuis les temps les plus reculés. Anne Tresset (chercheuse en archéologie dans l’UMR 7209 du département Écologie et Gestion de la Biodiversité du MNHN) a suivi les micromammifères dans le processus de recolonisation entamé après la dernière glaciation. Les îles des marges ouest de l’Europe, reliques d’anciens territoires émergés, ont conservé des communautés originales mêlant populations originaires du lieu et introduites. François Bonhomme (directeur du département de biologie intégrative de l’Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier) souligne, à l’occasion de la session inaugurale, combien les souris sont un modèle


Entomologie Climatologie Ornithologie Paléontologie

Actualités Herpétologie Malaco 7

Christiane Denys, l’une des organisatrices du congrès est aussi rédactrice en chef de la revue Mammalia.

mammifères en milieu urbain. Le développement de la génétique a aussi, évidemment, fortement influencé le paysage de la recherche. Grâce à l’étude des ADN anciens et modernes, la phylogénétique prend une dimension spatiale : la phylogéographie, qui permet désormais d’aborder les phénomènes de spéciation, la diversification d’une espèce autant dans le temps que dans l’espace.

pour l’étude des phénomènes de spéciation et de différenciation au cours du temps. Les souris qui servent la recherche ne sont pas seulement celles des laboratoires. Les vingt-deux sessions du congrès ne se limitaient évidemment pas à l’ordre des Rodentia. Une session seulement se focalisait sur une espèce, les autres abordant des thématiques plus larges : “La mammalogie comme beaucoup d’autres disciplines s’est orientée vers des approches dites “intégratives”, qui mettent en synergie plusieurs disciplines. C’est plus la notion de population qui prime sur celle de l’espèce proprement dite. Les progrès de la connaissance en écologie, génétique, éthologie etc. de ces animaux permettent désormais d’aborder plus précisément la dynamique des populations, les interactions existant entre elles, leur évolution dans le temps.” souligne Christiane Denys. Parmi ces centres d’intérêt apparaît, dans la mouvance de l’étude des milieux, celle des populations de

Mais ce sont aussi les préoccupations du temps qui dirigent la recherche (et les financements). Plusieurs sessions étaient consacrées aux zoonoses, aux espèces invasives ou aux ravageurs et, bien entendu, au problème de l’érosion de la biodiversité en Europe, qui touche les mammifères comme les autres. Onze espèces de mammifères sur 119 y sont menacées d’extinction selon des chiffres de 2009. L’analyse très fine du patrimoine de populations réduites met en évidence de grandes richesses génétique et conduit Johan Michaux, généticien à l’université de Liège, à poser des questions essentielles : quelle définition de l’espèce devons-nous considérer dans le domaine de la biologie de la conservation ? Comment conserver le potentiel évolutif ? Il déplore notamment que la biologie de la conservation ne soit pas toujours considérée comme une “vraie science”.

Invité, le professeur J.-F. Merritt, de l’université de l’Illinois, donne, en clôture du congrès, un vrai “show” à l’américaine, drôle et passionnant, sur les stratégies de défense contre le froid développées par les petits mammifères.

Ce congrès, initié par la société européenne de Mammalogie, avec la collaboration de l’ONCFS (office national de la chasse et de la faune sauvage) et de la SFEPM (société pour l’étude et la protection des mammifères), financé par le CNRS, l’INRA et le Muséum national d’histoire naturelle, verra sa prochaine édition se tenir à Stockholm, en 2015.  C. Breton ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie Actualités Mammalogie Botanique Ichtyologie Systématique Zoologie Ophiologie 8

Canis lupus a recolonisé les massifs

Ce cliché a été pris le 8 juillet, non loin du col du Bonhomme, dans les Vosges. Il atteste du retour du loup dans ce massif (cliché ONCFS).

A

vec cette photo prise dans les Vosges, en juillet, la présence du loup est désormais confirmée dans la totalité des massifs français. Plus de doute possible : le loup est revenu dans les Vosges. Les éleveurs des 45 agneaux retrouvés égorgés depuis le mois d’avril s’en doutaient. Leurs soupçons ont été confirmés par un cliché signé de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. Cette image, prise le 8 juillet à 18 h 54, près du col du Bonhomme, dans le HautRhin, est le fruit de quinze pièges photographiques disséminés dans le massif vosgien par les agents de l’ONCFS. Les agents sont formels, et le courrier qu’ils envoient à la préfecture ne fait pas de mystère : “Tous les critères phénotypiques relevés sur la photo sont caractéristiques de ceux d’un loup, Canis lupus.” Il y a tout d’abord l’allure générale, qualifiée de lupoïde (tête en forme de pyramide). Mais ce n’est pas tout. Parmi les éléments les plus probants, le museau allongé et la présence d’un masque labial blanc, caractéristique du loup. Autre signe distinctif : le pelage contrasté entre la partie dorsale gris foncé, et la partie ventrale, plus claire, avec un dégradé progressif entre les deux. La queue, portée tombante en parallèle avec les postérieurs, avec une extrémité noire, ESPÈCES №1 - Septembre 2011

est aussi caractéristique de l’espèce. Enfin, la présence du fourreau pénien confirme le sexe mâle de l’animal. La présence du loup dans le massif vosgien fait également suite à une identification menée dans le massif du Jura, dans le Haut-Doubs.

Revenu dans le Mercantour en 1992 Le loup a disparu en France depuis les années trente, massacré à force de battues. La dernière observation authentifiée date de 1937, dans le Limousin. Mais, en 1992, deux premiers loups sont aperçus dans le parc national du Mercantour, dans les Alpes-Maritimes. Les spécimens seraient arrivés d’Italie. Un exemple rarissime de réintroduction naturelle. Le prédateur prend alors ses quartiers au nord de la Côte d’Azur, puis ne cesse de gagner du terrain. Selon l’Association nationale pour la conservation de l’ours, du loup et du lynx en France, les raisons de sa réapparition en France sont triples. D’abord, son statut d’espèce protégée, qui empêche les chasseurs de le tirer ; puis la réintroduction d’ongulés sauvages par ces mêmes chasseurs, lui offrant ainsi des proies potentielles ; enfin, la déprise agricole qui a permis l’extension des surfaces boisées, l’habitat privilégié de Canis lupus.

Environ 180 loups dans les Alpes Selon les estimations du réseau louplynx de Franche-Comté, la population du canidé s’élève en moyenne à 180 loups dans les Alpes. Les meutes les plus au nord ont été recensées en Haute-Savoie. Actuellement, 27 zones de présence permanente ont ainsi été répertoriées le long du massif alpin, dans des secteurs où la présence du loup en meutes est attestée pendant deux ans sans discontinuer. La raison de la pérégrination de quelques spécimens serait à chercher… dans la sociologie animale. En effet, chassé de sa meute, un loup peut parfois parcourir des centaines de kilomètres. C’est ainsi qu’il est désormais réapparu dans l’intégralité des massifs montagneux de France. Pour autant, le célèbre canidé ne se connaît pas que des amis. Le 27 juillet dernier, la ministre de l’Écologie, Nathalie KosciuskoMorizet, a reçu une délégation de députés, d’élus et de représentants d’éleveurs afin d’entendre leurs doléances au sujet du loup, coupable, selon eux, de dépecer trop de troupeaux à leur goût. Fin août s’est tenu un comité national “loup”. Y était examinée la mise en place d’un “arrêté de défense automatique qu’on prendrait à l’année sur toutes les zones attaquées l’année précédente”. Concrètement, les


Entomologie Climatologie Ornithologie Paléontologie

Actualités Herpétologie Malaco 9

éleveurs pourraient abattre les loups dès les premières attaques afin de défendre leurs troupeaux. Une marge de manœuvre bien supérieure à celle connue jusqu’ici : les tirs de défense n’étaient, en effet, autorisés qu’après un arrêté préfectoral, délivré dans un délai minimum de quinze jours après le constat des attaques.

583 attaques en un an Si le loup reste toujours classé parmi la catégorie “vulnérables” de la liste rouge des espèces menacée dressée par l’Union internationale pour la

conservation de la nature (UICN), l’État autorise néanmoins le “prélèvement” (autrement dit la chasse) de six loups par an, en France. Un quota qui pourrait être revu chaque année en fonction de la population estimée. Au 25 juillet 2011, 583 attaques de loups ont été recensées en un an, provoquant la mort de 2 115 moutons,

Aux origines du chien Spécimen de Canis familiaris précieux auxiliaire de la rédaction d’Espèces (cliché C. Breton)

L

e comte de Buffon parlait du “meilleur ami de l’homme”. Il aurait pu aussi le qualifier de “plus vieil ami”. Les chercheurs savent depuis longtemps que le chien domestique (Canis familiaris) est le plus ancien animal domestiqué par l’homme. Il suivait déjà les populations mésolithiques bien avant l’invention de l’agriculture et la domestication des autres espèces. Après quelques tergiversations concernant son origine, il est désormais acquis que Canis familiaris et lupus ont des ancêtres communs. Des études basées sur la biologie moléculaire avaient déjà démontré que les deux lignées avaient commencé à se séparer à une date bien plus haute (100 000 ans) que celle que les preuves archéologiques permettaient d’envisager (14 000 ans).

soit une augmentation d’environ 25 % des assauts et de 18 % des pertes par rapport à 2010, selon les chiffres du ministère de l’Écologie. Près de la moitié de ces attaques (272) a été enregistrée dans les Alpes-Maritimes et le Var, mais les Alpes-de-HauteProvence ont payé le plus lourd tribut (431 ovins tués).  J. Balboni

Un crâne de proto-chien avait déjà été découvert dans le site du paléolithique supérieur belge de Goyet, daté de 36 000 ans. Mais ce crâne de grande taille n’avait que quelquesunes des caractéristiques du chien (caractéristiques qui sont, par ailleurs difficiles à définir). Une découverte récente, dans une grotte de l’Altaï, vient confirmer et préciser ce que l’on supposait déjà : l’évolution du loup vers le chien a été longue et pleine de rebondissements. En effet, le crâne et la mandibule de Razboinichya, publiés par une équipe internationale dirigée par des chercheurs russes, cette fois datés de 33 000 ans, possèdent plus de caractéristiques proprement canines : un museau plus long et moins large que celui du loup, même si sa dentition reste très proche de celle

de ce dernier. Coïncidence ? C’est en Europe de l’Est que l’on trouve les plus anciens restes de l’homme moderne : Homo sapiens. Un nouveau gisement de restes humains, daté de 32 000 ans, vient d’être découvert en Ukraine. Il serait prématuré de parler de domestication volontaire même si ces modifications morphologiques sont directement liées au fait que le “chien-loup” côtoyait l’homme. Cette association à bénéfice commun est cependant la plus ancienne collaboration entre homme et animal, si bien que certaines hypothèses parlent d’une véritable “coévolution”. (cf. p. 80 Des chiens et des humains).  C. Breton Les publications de ces deux découvertes (l’homme d’Ukraine par S. Prat, S. C. Péan & alii, et le chien en Sibérie par N. D. Ovodov, J. Crockford et alii) sont accessibles sur le site de la revue PLos One : www.plosone.org 2011. Le crâne du “chien” de Razboinichya (source : www.posone.org)

ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie Brèves Mammalogie Botanique Ichtyologie Systématique Malacologie Exobiologie 10

Récifs coralliens : la lutte s’organise Le littoral de Mayotte et son récif (cliché J.-P. Quod).

L

’Initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor) va récompenser des élus ! À l’occasion de l’année de l’outre-mer, cette instance, co-animée par les ministères de l’Écologie et de l’Outre-mer, lance la première édition d’un concours national en faveur de la préservation des récifs coralliens, herbiers et mangroves. Récompensé par la “palme Ifrecor”, ce concours s’adresse uniquement aux élus d’outre-mer. Il a pour but de sensibiliser les décideurs politiques locaux à la sauvegarde de ces espaces qui sont, selon l’Ifrecor, “des écosystèmes rares et exceptionnels” qui offrent “aux communautés humaines de nombreuses ressources et services : refuge et nurserie pour les espèces, développement économique par le maintien d’activités de pêche et de tourisme, protection des côtes, ressources pharmacologiques”. Le concours, ouvert aux candidatures jusqu’en octobre, comportera deux volets : “amélioration des connaissances” et “protection-valorisation-restauration”. Un jury déterminera, parmi les concurrents, les projets les plus significatifs. À noter que la France est le seul pays au monde à posséder des récifs coralliens dans les trois océans de la planète. Leur surface cumulée couvre plus de 57 000 km2. Les collectivités françaises abritent près de 10 % des récifs et 20 % des atolls du monde. 

Les cellules de la cyanobactérie Prochlorococcus ont une forme allongée ; elles possèdent à leur surface des protéines reconnues par les virus. Certains virus [1], sont hautement spécifiques et ne vont se fixer que sur un type de récepteur [2]. Si ce récepteur a muté, le virus d’origine ne le reconnaît plus [3]. Au premier plan, le virus posé à la surface de la cellule de Prochlorococcus est en train d’injecter son ADN à travers la paroi de la cellule [4]. À l’arrière-plan, une cellule infectée de Prochlorococcus vient juste d’éclater et libère dans l’eau de mer des virus qui ont achevé leur cycle d’infection [5].

Schéma F. Partensky & L. Garczarek

Muter pour tromper les virus

1

00 milliards de particules virales par litre d’eau de mer dans les premiers cinquante mètres sous la surface de l’océan : les virus sont, de loin, les formes de vie marine les plus abondantes. Comment les organismes du phytoplancton – dont on connaît l’importance capitale dans la chaîne alimentaire – parviennent-ils à échapper à des prédateurs aussi nombreux (bien que ne mesurant parfois qu’un dixième de leur taille) ? C’est une question à laquelle répondent des chercheurs israéliens de l’institut Technion de Haifa, dans un article publié récemment dans Nature. Deux chercheurs de la station biologique de Roscoff (UPMC/CNRS), Frédéric Partensky et Laurence Garczarek, reconnus pour leurs travaux sur le sujet, ont été invités à commenter cette découverte par la célèbre revue. L’étude met en évidence les mécanismes moléculaires permettant aux micro-organismes les plus abondants du phytoplancton (les cyanobactéries du genre Prochlorococcus) d’échapper

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à leurs virus : les cyanophages. Ainsi, lors d’une attaque, les virus se fixent sur leur hôte au niveau de “récepteurs viraux”, des protéines situées à la surface de la cellule ; c’est en modifiant ces récepteurs grâce à des mutations génétiques que les cellules de Prochlorococcus parviennent à se rendre “méconnaissables” à leurs prédateurs viraux. Mais ce n’est pas sans risque pour ces cellules car leur croissance peut en être affectée ou encore elles peuvent être reconnues par de nouveaux virus. De plus, d’autres études ont suggéré que le génome des virus subit également des mutations à un rythme similaire, cette défense leur permettant d’infecter à nouveau leur hôte. C’est au final une perpétuelle “course aux armements” qui se livre dans ce monde microscopique. Rendons cependant hommage à ces virus qui, en s’attaquant en priorité aux bactéries les plus abondantes et épargnant les plus rares, jouent un rôle primordial dans le maintien de la biodiversité microbienne. 


Climatologie Entomologie Écologie Physiologie - BD Épistémologie Systématique Arché 11

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Biodiversité

en outre-mer… et ailleurs Massif de Saratsi, près de la vallée de la Penaourou, vers 600 m d’altitude, île d’Espiritu Santo, au Vanuatu (cliché E. Boitier).

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Biodiversité en outre-mer… et ailleurs

le monde E

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Une autre façon de voir

n définissant la biodiversité à partir d’un regard écologique et évolutionniste porté sur la nature vivante – et c’est bien ce qui s’est fait dans la mouvance du sommet de Rio de 1992 et la mise en œuvre de la convention sur la diversité biologique qui en est issue –, on crée un décalage des plus féconds et une ouverture rafraîchissante sur l’essence même de notre monde. De fait, à force de nous être laissés persuader que nous autres, Homo sapiens, sommes au-dessus de la Nature, nous voilà aujourd’hui impliqués dans une crise d’extinction qui touche le reste du monde vivant. Une crise qui aurait aussi valeur de signal pour les primates trop sûrs d’eux que nous sommes devenus : derrière la crise d’extinction, comme derrière la crise financière qui nous fait négliger la première – les espèces importantes, n’est-ce pas, ce sont le dollar et l’euro, what else ? – se profile une crise écologique majeure. Une crise que le concept de biodiversité permet d’appréhender dans toutes ses dimensions. D’abord parce qu’il nous délivre de la redoutable fascination du nombre, de la quantité, pour mieux nous entraîner dans la prodigieuse dynamique du vivant qui s’y exprime. On cesse d’être perdus, comme noyés dans la myriade d’espèces connues et inconnues, actuelles et disparues, invisibles et charismatiques. Finies donc les additions de choux, de carottes et de ratons laveurs ou les soustractions de dodos, de loups de Tasmanie et autres mammouths – calculs qui n’ont ni queue ni tête et sont une insulte à l’idée même de diversité. Ceci oublié, s’offre alors à nous la prodigieuse richesse des interactions qui tissent la trame vivante de la biosphère : omniprésence des relations mangeurs-mangés, mais aussi des liens de coopération, au sein des espèces comme entre elles. Ainsi, la biodiversité est tout simplement le tissu vivant

Par Robert Barbault, directeur du département écologie et gestion de la biodiversité du Muséum national d’histoire naturelle de la planète et nous en faisons partie, nous en dépendons, nous en sommes issus. Avec cet éclairage écologique qui vient compléter celui apporté par le fil évolutif qui, depuis l’origine, noue des relations de parenté entre tous les êtres, le fait “diversité” trouve sa pleine raison d’être : une stratégie d’adaptation aux changements, à un monde marqué par les bouleversements, par l’imprévisible, par les hasards. Et, du même coup, nous nous trouvons réinsérés – comme réincarnés, devrais-je dire – dans ce qui nous a fait ce que nous sommes, au sein de la nature. On peut comprendre la biodiversité, puisque c’est notre “nature” ; et l’on peut comprendre notre monde puisqu’il est fait de biodiversité, puisqu’il s’y enracine. Réintégrés à la nature, nous savons alors qu’il nous faut agir autrement, avec elle et non contre elle, dans le respect de la diversité et non dans le culte de l’uniformisation. Toutes les espèces sont de la famille, certes le plus souvent très éloignée ! Oui, avec le concept de biodiversité c’est à une nouvelle façon de voir le monde que nous sommes invités, car celui-ci nous parle de solidarité écologique et pas seulement de compétition. 

>C ollectif, 2005 - Millennium Ecosystem Assessment, 2005 – Ecosystems aund Human Well-Being : Synthesis, Washington D.C., Island Press. > Barbault R. et Weber J., 2010 - La Vie, quelle entreprise ! Pour une révolution écologique de l’économie, Paris, Seuil. > Mathevet, R. et al. 2010 - “La Solidarité écologique : un nouveau concept pour une gestion intégrée des parcs nationaux et des territoires”, Natures Sciences Sociétés, 18 : 424-433.

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iologie Rencontre Botanique Archéozoologie Cétologie Malacologie Éthologie Zoologie 14

Quand un paléoanthropologue rencontre un biologiste marin, qu’ont-ils à se raconter ? Des histoires de muséum, certainement. Yves Coppens et Gilles Boeuf se sont vus pour la première fois en 1974, quand le premier revenait d’Éthiopie, les bras chargés de découvertes capitales pour ceux qui s’intéressent à l’origine de l’Homme. Après s’être croisés durant des années, ils ont dernièrement noué de solides relations. S’ils partagent le même diagnostic sur l’état de la planète et de la biodiversité, leur pronostic pour l’avenir balance entre optimisme (Coppens) et lourdes inquiétudes (Boeuf). Tour d’horizon.

Propos recueillis par Julien Balboni et Cécile Breton

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Que vous inspire le mot “espèce” ? Gilles Boeuf : Je ne sais pas trop ce que c’est [sourires]. C’est un mot qui apparaît au milieu du xviii e siècle. Le grand naturaliste suédois Carl von Linné invente alors la classification binominale comprenant le genre et l’espèce. À partir de là, chaque individu aura deux noms : Homo sapiens,

Girafa girafa, etc. Tous les muséums et naturalistes du monde sont alors partis sur ce système. Mais, aujourd’hui, une partie du monde scientifique raisonne plutôt en termes de “bar code of life”, une séquence d’une trentaine de gènes qui sert de catalogue général : le bar coding. La notion d’espèce a désormais moins de valeur, notamment en ce qui concerne les


Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - G. Boeuf & Y. Coppens Minéralogie Gé 15 colloque de l’Unesco en janvier, puis à Nagoya, c’est un constat d’échec. Entre-temps, le mot “biodiversité” s’est largement démocratisé.

À ce propos, quelle est la provenance de ce mot employé aujourd’hui à tort et à travers ?

LA NATURE

pourra-t-elle conserver

L’HOMME ?

micro-organismes. Je me bats contre la notion d’espèce “remarquable” et je préfère aujourd’hui parler d’habitat. Prenons pour exemple le panda : pendant des années, on a tenté de le secourir, sans grand succès, jusqu’au moment où l’on a compris qu’il fallait protéger son habitat, la forêt de bambous. Yves Coppens : C’est un mot que j’aime beaucoup : j’ai vécu dans un milieu naturaliste où la petite fantaisie est de trouver de nouvelles espèces et de les nommer comme bon nous semble. L’espèce a droit de cité alors que le genre est plus artificiel, car c’est à partir de ce niveau que l’interfécondité disparaît. Cette classification ne correspond pas une réalité biologique, l’idée date de la fin du xvii e siècle. Mais le jour où il faudra la changer, on aura du boulot. C’est avec elle que l’on fonctionnera encore un certain temps.

2010 a été l’année mondiale de la biodiversité, et vous avez parcouru le monde, de conférence

en conférence. Comment est née cette lutte pour la protection des habitats ? G. B. : Le moment clé est la conférence de Rio, en 1992. Auparavant, il y avait bien eu quelques livres pionniers, comme La planète au pillage, de Fairfield Osborn (1949) Le printemps silencieux, de Rachel Carson (1962), puis Avant que nature meure, de Jean Dorst (1965), les travaux de René Dumont dans les années soixantedix… Même des écrivains ou réalisateurs ont participé à ce mouvement, comme René Barjavel et ses romans d’anticipation, ou encore Stanley Kubrick, le réalisateur de 2001, l’Odyssée de l’espace. Puis vinrent Rio et la signature de la convention sur la diversité biologique par une majorité de pays, à l’exception des États-Unis. Ensuite, il y eut la conférence de Johannesburg et le discours de Jacques Chirac sur la “maison qui brûle”. Les signataires s’engagèrent à freiner l’effondrement. Huit ans plus tard, à Paris au

G. B. : En 1985, le mot est créé lors de la préparation du National forum on biological diversity, mais c’est l’entomologiste E. O. Wilson, le “grand maître des fourmis”, qui le publie en 1986. Sa définition la plus simple est “la fraction vivante de la nature”. La biodiversité explose il y a 1,5 milliard d’années dans les océans, avec l’apparition… du sexe. On connaît aujourd’hui 1,9 million d’espèces. 200 000 sont des pollinisateurs, et 2/3 sont des insectes. Mais on est encore loin d’avoir découvert tout le monde vivant. On estime qu’il y a entre 10 et 30 millions d’espèces vivant sur la Terre. Si l’on prélève 1 000 litres d’eau ou une tonne de terre, où que l’on soit, on y retrouvera 20 % d’espèces connues et 80 % d’inconnues. Il faut savoir, par ailleurs, que l’on découvre entre 16 000 et 18 000 nouvelles espèces chaque année. La durée de vie d’une espèce est comprise entre 2 et 8 millions d’années. En sachant que les plus petites espèces sont celles qui survivent le plus longtemps.

Où en est-on de la menace qui pèse sur la biodiversité ? G. B. : Tout est dans le rapport Millenium, ou Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (réf. p. 13), commandé en 2000 par les Nations Unies, et achevé quatre ans plus tard. C’est un document emblématique et incontournable. Si l’on résume, ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie Rencontre Botanique Archéozoologie Cétologie Malacologie Éthologie Zoologie 16 d’une grande mauvaise foi pour affirmer que l’homme n’est pour rien dans son dérèglement. Alors que nous nous parlons au Jardin des plantes de Paris, dans le bureau du comte de Buffon, le grand naturaliste français, plus de deux siècles se sont écoulés depuis sa mort. Et l’homme n’a fait que détruire les écosystèmes, et accélérer ce processus. C’est dans les îles que l’on voit cela de manière encore plus forte : en Corse, tous les mammifères endémiques ont disparu ; dans les Mascareignes, au cœur de l’océan Indien, il n’a fallu que quelques années pour que le dodo s’éteigne. Y. C. : Je travaille, pour ma part, surtout sur l’histoire de l’homme, son origine et sa filiation. Or, dans cette filiation, la diversité biologique apparaît sans arrêt. Je suis un homme de terrain, et j’ai pu constater que dans un sol fertile, on trouve un reste

“Sommes-nous sur les bases d’une sixième crise mondiale ? En tout cas, nous suivons un rythme effarant.” Gilles Boeuf ce texte dit deux choses : d’abord il relance l’intérêt pour les écosytèmes à préserver en priorité ; puis il annonce que le taux d’extinction des espèces est mille fois plus élevé que durant la dernière crise mondiale, la disparition des dinosaures. Sommesnous sur les bases d’une sixième crise mondiale ? En tout cas, nous suivons un rythme effarant. En quinze ans, l’homme a tué 90 % des grands poissons pélagiques ! Il y a quatre explications à cette crise : d’abord la destruction des milieux et la pollution ; puis la surexploitation des ressources. Il ne reste en effet que 7 % de la forêt originelle du Brésil. Ensuite, la dissémination des plantes, qui s’accélère avec l’intervention de l’homme, vient pertuber les habitats. Ainsi, il existe 300 000 espèces de plantes, et 300 posent des problèmes de prolifération. On ne peut plus remonter le Mississipi à cause des jacinthes d’eau. La dernière explication, c’est le climat… et il faut être ESPÈCES №1 - Septembre 2011

d’humain ou de pré-humain fossile pour 5 tonnes d’autres ossements de bestiaux. Je suis paléontologue et, avec la profondeur du temps, on observe des changements constants. Les sociétés animales sont bousculées en permanence. Elles doivent sans cesse se reconstituer et, durant ce laps de temps, il n’y a plus de place pour tout le monde… et des espèces s’éteignent. Il y a trois millions d’années, des mastodontes s’efforcent de s’adapter à une période de sécheresse, développent des tubercules supplémentaires à leurs molaires afin de s’alimenter plus facilement, et échouent pourtant. Il y a des postes, des niches, mais pas pour tout le monde ! Certains se débrouillent en changeant leurs dents, leurs pattes ; d’autres, comme l’homme, changent leur tête, et ça marche. Pour moi, l’espoir reste entier. Des extinctions, il y en a eu beaucoup et parfois radicales. La diversité du moment a parfois disparu en majorité, mais la souplesse de la dérive génétique est intervenue.

L’histoire du cœlacanthe est, à ce propos, significative. Il était un poisson de surface, et l’apparition des petits Téléostéens, plus rapides, a sûrement troublé l’écosystème de l’époque : il a été forcé de partir dans les grands fonds et il s’est adapté à des milieux si profonds qu’on l’a perdu de vue. Les paléontologues le connaissaient au Crétacé. Et le jour où un scientifique en a trouvé un sur le marché de Durban, on a mis au jour sa capacité d’adaptation.

Yves Coppens, c’est donc pour vous une fatalité, mais l’homme est pourtant responsable de l’accélération de la disparition des espèces ? Y. C. : Les sociétés, humaines comme animales, sont frappées par le paradoxe de l’être vivant : la grande souplesse de la spéciation et la grande contrainte du carcan génétique. Un homme et une femme ne font que des petits hommes, pas des éléphants. Mais la nature trouve des “trucs” en permanence, notamment grâce à la dérive génétique. Mais il est vrai que l’homme a déjà provoqué quelques catastrophes : regardez, par exemple, la manière dont l’introduction d’un mammifère vivipare comme le lapin a entraîné le désastre dans le monde des kangourous et autres marsupiaux. Ces espèces sont indépendantes. Les placentaires sont nés en Europe, les marsupiaux en Amérique. Les marsupiaux sont partis en Amérique du Sud puis se sont épanouis en Australie, à l’abri des placentaires. Mais, il y a cinquante milliers d’années, l’homme est arrivé avec son petit lapin sous le bras pour pouvoir le manger, et, dans la confrontation du lapin et du kangourou, le métabolisme du lapin l’a emporté : ce fut une énorme rupture d’écosystème. Pourtant, la biodiversité est utile à l’homme en permanence. Ainsi, j’ai récemment croisé Yvon Le Maho [NDLR : écophysiologiste, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des manchots] qui me disait


Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - G. Boeuf & Y. Coppens Minéralogie Gé 17 être frappé par le fait que les femelles manchots passent des mois à revenir au nid pour alimenter les petits et mettent dans un coin de leur estomac des réserves de poisson qui ne pourrit pas. On est en train d’essayer de synthétiser cette protéine “inventée” par le manchot, pour que ça puisse servir aux poissonniers.

Gilles Boeuf, votre vision semble pessimiste. L’homme n’a-t-il pas parfois réussi à vivre en intelligence avec la nature ? G. B. : Je ne suis pas catastrophiste. On sait bien que tout cela va mal se terminer, mais bon… [sourires]. À Tautavel, Homo erectus a chassé, pêché et cueilli pendant 600 000 ans. Heureusement que quelques peuplades ont vite intégré le fait qu’il fallait modérer la pression sur leur environnement. Mais, souvent, l’homme influe sans le savoir sur son environnement. En 1944, les Américains débarquent sur les côtes françaises à l’aide de bateaux et de péniches. Sur ces péniches s’étaient accrochées en nombre des crépidules, un mollusque gastéropode qui n’existait qu’en Amérique du Nord. Ce coquillage s’est parfaitement adapté à la vie européenne, et a proliféré au point d’entrer en compétition pour la nourriture et l’espace avec d’autres mollusques comme les moules et les huîtres, et les a éliminés de leur environnement initial.

“Pas besoin de jeter la pierre à l’homme. Qu’il exploite son milieu avec ses outils, c’est la moindre des choses, ce que fait n’importe quel animal.” Yves Coppens Y. C. : L’homme est parti avec une population de quelques milliers d’individus. Sa progression démographique a été très lente. Il vivait à l’époque en plein “développement durable”. On estime qu’il atteint les dix millions d’individus au Néolithique, il y a 10 000 ans. On atteint le milliard en 1810 ou 1815. Ensuite, en 200 ans, on passe de 1 à 7 milliards. La prolifération de cet être vivant est comparable à la floraison d’un champignon, et c’est forcément au détriment des autres espèces. Hubert Reeves, que j’aime bien, mais qui est bon dans le ciel et moins sur la Terre, me disait qu’il fallait rétablir l’ours dans les Pyrénées, car il fallait un prédateur. Je lui ai répondu : “Enfin, Hubert, le prédateur, c’est toi !” La surface de la Terre est très anthropisée depuis le dernier changement climatique. Cette anthropisation va se poursuivre. Et il est grand temps, si on veut conserver les paysages que l’on aime bien, de les inventorier de suite et les circonscrire, comme le fait l’Unesco. Mais, de toute façon, le prochain changement climatique modifiera tous les paysages. Pas besoin de jeter la pierre à l’homme. Qu’il exploite son milieu avec ses outils, c’est la moindre des choses, ce que fait n’importe quel animal. Depuis le xixe siècle et le développement de démographie, il a fallu produire de la nourriture en masse, et donc de la pollution. La réaction existe depuis une petite cinquantaine d’année. Il y a eu prise de conscience. J’ai confiance en l’humanité. Il y a

évidemment une énorme inertie, car il y a des profits à bousculer. Mais nous sommes aujourd’hui conscients que l’exploitation de notre planète, qui jusque-là était à notre profit, l’est devenue tout d’un coup à notre détriment. Là, on a compris.

Il semblerait que les migrations de l’homme aient perturbé les écosystèmes. Au fond, pourquoi a-t-il voulu bouger autant, parfois dans des régions où la vie est particulièrement difficile ? Comment en est-il venu à impacter l’environnement à ce point ? G. B. : Je vois trois raisons principales aux migrations de l’homme. D’abord, la baisse des ressources : plus rien à manger, il faut partir. Il y a aussi l’esprit aventureux de l’être humain qui se demande en permanence ce qui se trouve derrière la montagne. Troisième point, il a parfois été chassé de son territoire par d’autres tribus ou clans : c’est la pression démographique qui agit ; les forts gardent les bons territoires, et les faibles les mauvais. Il ne faut pas chercher loin la raison qui a poussé l’homme à venir habiter une région comme la Terre de Feu, en Amérique du Sud… Y. C. : J’ai une théorie sur la relation de l’homme et de son espace : l’environnement subi, conquis, surpris et compris. En premier lieu, l’homme a d’abord subi son environnement. Il réussit à s’y adapter, sans pour autant l’impacter. La culture naît à ce ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie Rencontre Botanique Archéozoologie Cétologie Malacologie Éthologie Zoologie 18 moment-là. Le deuxième mouvement est né il y a 10 000 ans, au moment du dernier changement climatique et de la fin de la dernière glaciation, qui fait pousser les graminées de manière naturelle. Les hommes s’arrêtent de bouger pour cueillir pendant 2 000 ans, avant de commencer à planter. L’environnement est alors conquis, mais dans une optique de développement durable. Le troisième moment déterminant est le xixe siècle, avec la révolution technique et industrielle : l’environnement est alors surpris et “sur-pris”, c’est le début de la surexploitation. Le dernier mouvement est celui que nous vivons de nos jours, c’est le temps de l’environnement compris, de l’éducation des foules au développement durable. C’est ce point qui me rend optimiste pour l’avenir.

Quel est, au final, le rôle du scientifique face à ce constat ? Y. C. : Tirer la sonnette d’alarme, c’est bien. Les écolos, je leur dis bravo ! Autrement, on serait encore à se demander si c’est vrai ou pas. G. B. : Parler, et encore parler de ces problèmes. En 2010, j’ai tenu 63 conférences sur la biodiversité, et j’ai pu toucher des publics d’entreprises comme EDF, Veolia, Dassault… Heureusement, nous parlons de mieux en mieux de biodiversité.

Auriez-vous des solutions politiques ? G. B. : Premièrement, je ne suis pas politisé. Ensuite, le B-A BA est d’arrêter d’opposer la croissance du PIB et le plein-emploi à une vie harmonieuse avec l’environnement. Je préconiserais d’abord de stopper ou de taxer ceux qui abusent et surexploitent. En premier lieu : la forêt et la pêche. Le nombre de saumons atlantiques pêchés a été divisé par cinq en 30 ans ! Et je ne parle pas du thon rouge. Je ne suis pas contre la pêche, mais je pense que l’on peut réconcilier écologie et économie. ESPÈCES №1 - Septembre 2011

Y. C. : Les lobbys sont tous en action, mais l’essentiel était le changement des mentalités et, pour cela, il faut commencer par les petits. Aujourd’hui, on apprend à l’école primaire ce qu’est la biodiversité. L’humanité continue à changer la face de la Terre, mais on peut limiter les dégâts en arrêtant certaines exploitations non raisonnées. J’ai vu l’homme naître [sourires], et ce n’est pas de sa faute s’il est humain. Tant qu’on n’a pas trouvé d’autre moyen de résorber le CO2 qu’en réduisant sa production, on continue. Le changement est en cours, mais on ne l’arrête pas comme ça : il est comme une locomotive qui mettra du temps à s’arrêter.

2012 verra l’organisation d’une nouvelle conférence mondiale sur la biodiversité, à Rio, vingt ans après le sommet fondateur. Quels sont vos espoirs ? G. B. : J’espère d’abord retrouver la dynamique et l’espoir de 1992. Nous verrons en 2011 la création de l’IPBES, plateforme intergouvernementale scientifique et politique dédiée à l’amélioration des connaissances sur la biodiversité et les services écosystémiques. L’Inde et le Brésil s’y engagent, ce qui est une formidable nouvelle. Y. C. : Comme je suis optimiste, j’ai trouvé que Copenhague a été un

“Il faut être d’une grande mauvaise foi pour affirmer que l’homme n’est pour rien dans le dérèglement du climat.” Gilles Boeuf succès, en ce sens que beaucoup de chefs d’État se sont mobilisés et sont venus et, par là même, ils engagent les idées de leurs pays. À partir du moment où il y a prise de conscience, il y a mauvaise conscience. On a avancé un peu. Et mettre d’accord sept milliards de gens n’est pas chose facile.

L’alarmisme ne risque-t-il pas de lasser la population, finalement ? G. B. : Je ne crois pas. Il y aurait lassitude si les gens étaient totalement catastrophistes. Mais ce qui m’inquiète aujourd’hui, ce ne sont pas les États, mais bien la concentration de l’argent et des connaissances dans les mains de quelques grandes entreprises. Y. C. : Il faut essayer de parler sans alarmer. Cela me rappelle une anecdote : en 2004, j’étais chargé par Jacques Chirac de diriger la commission de la Charte pour l’environnement, j’allais le voir, et je lui dis “il n’y a rien de plus banal qu’un changement climatique.” Il m’a répondu : “Ah ne commencez pas, hein !” 

Biographies Yves Coppens, 77 ans, est célèbre pour avoir découvert le squelette de “Lucy” en Éthiopie, en 1974. Ce paléontologue et paléoanthropologue est professeur honoraire au Collège de France. Il fut le responsable de la commission qui a rédigé la Charte de l’environnement, promulguée en 2005 par le président Chirac. Il fut également directeur du Muséum national d’histoire naturelle au début des années quatre-vingt. Il anime sur France Info une chronique intitulée Histoires d’hommes, avec Marie-Odile Monchicourt. Gilles Boeuf, 51 ans, est le président du Muséum national d’histoire naturelle. Ancien de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), ce biologiste marin – il a longtemps travaillé sur la migration des salmonidés – est un passionné d’entomologie. Il fut la figure majeure, en 2010, de l’Année internationale de la biodiversité, enchaînant les conférences à travers le monde. Gilles Boeuf anime sur RFI une chronique intitulée C’est pas du vent avec Anne-Cécile Bras et, sur France Info, Info sciences avec Marie-Odile Monchicourt. Il intervient également très régulièrement dans La tête au carré de Mathieu Vidard sur France Inter (voir p. 74).


Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - Biodiversité outre-mer Zoologie Systéma

L’outre-mer 19

trésor à protéger

par Aurélie Bocquet, chargée de programme “Outre-mer” au comité français de l’UICN.

Tortue olivâtre (Lepidochely olivacea). Cliché G. Feuillet

L

a France est en tête du classement des pays rassemblant une biodiversité exceptionnelle. Cette place est due à la richesse naturelle qu’abritent les collectivités d’outre-mer. Les douze collectivités françaises d’outre-mer sont dispersées partout dans le monde : du Subarctique (pour Saint-Pierre et Miquelon) à l’Antarctique (pour la Terre Adélie), en passant par les zones tropicales de trois grands océans. En dépit de surfaces terrestres limitées, et souvent insulaires, la biodiversité présente dans ces territoires est souvent remarquable et confère donc à la France une grande responsabilité au niveau international en matière de conservation. ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie Le point sur… Botanique Archéozoologie Paléontologie Systématique Ophiologie 20 Une grande diversité biologique conjuguée à un fort endémisme Les ensembles biologiques (ou biomes) terrestres et marins des collectivités d’outre-mer, presque tous situés en zone intertropicale, font partie de régions biogéographiques disparates . Le caractère insulaire de la plupart des collectivités d’outremer est à l’origine du très haut niveau d’endémisme de leur faune et de leur flore. L’isolement géographique contribue à l’apparition de nouvelles espèces. Il s’agit d’une divergence progressive des caractéristiques génétiques et/ ou morphologiques, autrement appelée “processus de spéciation”.

Des exemples étonnants L’endémisme élevé dû à l’insularité va malheureusement souvent de pair avec des risques importants d’extinction de nombreuses espèces en outre-mer. Pour caractériser le degré de menace, l’outil le plus fiable est la “liste rouge” de l’UICN. Elle se base en effet sur des critères très précis pour caractériser les espèces et définir les risques d’extinction de milliers d’espèces et de sous-espèces. En Nouvelle-Calédonie, le cagou (Rhynochetos jubatus) est le seul représentant vivant d’une famille biologique entière d’oiseaux, celle des Rhynochetidae. Cet oiseau ne vole pas et niche au sol. Cette caractéristique l’expose aux risques de prédation. Les individus adultes, les juvéniles et les œufs sont chassés par les rats, chats et chiens introduits sur la Grande Terre. La gallicolombe des Tuamotu (Gallicolumba erythroptera) endémique de l’archipel des Tuamotu en Polynésie française, est considérée comme en “danger critique”. Cette espèce granivore, de taille moyenne (25 cm environ), vit dans les forêts sèches tropicales. Les menaces sont variées : la gallicollombe souffre de la prédation par les chats et les rats, mais aussi de la disparition de son habitat et des conséquences de catastrophes naturelles. L’albatros d’Amsterdam (Diomedea amsterdamensis) est l’un des plus grand albatros. Son envergure moyenne est de 2,8 m et son poids moyen de 8 kg. Il est endémique de l’île d’Amsterdam, dans les Terres australes et antarctiques françaises. Le couple d’albatros est fidèle tout au long de sa vie et se retrouve tous les deux ans en mars, toujours au même endroit. La femelle pond un seul œuf tous les deux ans. Le poussin est élevé par les deux parents pendant dix mois. Sa longévité est estimée à 80 ans. Cette espèce est menacée par la prédation des animaux introduits (chats, rats). Mais la menace la plus sérieuse qui pèse sur l’albatros d’Amsterdam est la pêche à la palangre. Dans les eaux internationales autour de l’île d’Amsterdam, une importante flotte palangrière pêche le thon. Chaque année dans le monde, cette pêche tue des dizaines de milliers d’albatros. Ils sont hameçonnés et noyés lors de la mise à l’eau de la palangre, lorsqu’ils tentent de récupérer les appâts.

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En ce qui concerne les espèces marines, le dugong (Dugong dugon) que l’on retrouve seulement à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie, est considéré comme “vulnérable”. Ce mammifère marin herbivore serait à l’origine du mythe des sirènes. Il se nourrit d’herbiers de phanérogames et est menacé par la disparition de sa source d’alimentation, par les pollutions et par les collisions avec les plaisanciers. La tortue luth, en Guyane, et la tortue imbriquée, dans les Antilles françaises, sont toutes deux “en danger critique”. La tortue luth (Dermochelys coriacea) est une espèce de tortue de la famille des Dermochelyidae, la seule du genre Dermochelys. C’est la plus grande des sept espèces actuelles de tortues marines et la plus grande des tortues de manière générale. La Guyane est l’un des hauts-lieux de ponte au monde. La tortue luth est menacée par le braconnage, les filets de pêche, la pollution et l’urbanisation du littoral. Chez les plantes, le kaori rouge (Agathis corbassonii) et le kaori blanc (Agathis moorei), endémiques de Nouvelle-Calédonie, sont classés “vulnérables”. Ils sont menacés par la destruction de leur habitat. Comme pour la faune, ces deux espèces illustrent le fait que la Nouvelle-Calédonie est un formidable terrain de jeu pour les biologistes. L’endémisme et les menaces justifient le fait que la Nouvelle-Calédonie soit considérée comme “hotspot” de biodiversité. Les hotspots (ou points chauds) caractérisent les zones abritant au moins 1 500 espèces endémiques et ayant perdu 70 % de leur végétation primaire.

Albatros d’Amsterdam (Diomedea amsterdamensis), cliché M. Prat (TAAF)


Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - Biodiversité outre-mer Zoologie Systéma 21 Plaine des Tamarins, cirque de Mafate, Réunion (cliché A. Bocquet).

Le cagou (Rhynochetos jubatus), cliché R. Le Guen.

Des menaces prégnantes Destruction, altération et fragmentation des habitats

La modification des habitats naturels, ou leur destruction pure et simple, est l’un des mécanismes les plus destructeurs de la biodiversité. Toutes les collectivités d’outre-mer sont concernées. Il se met en œuvre par le biais de l’urbanisme et la construction d’infrastructures, de l’exploitation forestière et agricole, des activités minières, des feux ou, pour les récifs coralliens, de la pollution, des aménagements du littoral ou des activités touristiques mal encadrées. À peu près tous les habitats sont atteints. Certains récifs coralliens, comme la barrière de Nouvelle-Calédonie, sont globalement en bon état, mais peuvent être localement menacés près des agglomérations urbaines (le Grand Nouméa, par exemple) ou des zones de forte érosion (exploitation minière). Les forêts sèches ou semi-sèches qui s’étendaient autrefois le long des côtes de certaines collectivités d’outre-mer ont, quant à elles, pratiquement disparu, réduites pour la plupart à des lambeaux relictuels de quelques hectares. À la Réunion, 90 % d’entre elles ont été transformées en cultures ou habitats secondaires. En Nouvelle-Calédonie, elles n’occupent plus que 1 % de leur surface initiale, ce qui correspondrait, compte tenu de l’endémisme actuel de ces formations (59 espèces de plantes strictement inféodées) et en se basant sur les données de la biogéographie insulaire, à l’extinction d’une bonne centaine d’espèces de plantes. Cependant, certains milieux naturels des collectivités d’outre-mer sont dans un excellent état de conservation. Les forts reliefs accidentés de certaines îles ont protégé les végétations d’altitude des aménagements excessifs : s’il reste encore 30 % des habitats relativement intacts sur la Réunion (dont l’altitude maximale atteint 3 069 m), les forêts naturelles de Mayotte ne représentent plus que 3 % de la surface totale de l’île (qui culmine à 660 m d’altitude). Introduction d’espèces

En raison de leur caractère principalement insulaire, les collectivités d’outre-mer sont particulièrement vulnérables aux introductions d’espèces exotiques. D’une manière ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie Le point sur… Botanique Archéozoologie Paléontologie Systématique Ophiologie 22

Tortues Luth (Dermochelys coriacea), cliché R. Le Guen

ESPÈCES №1 - Septembre 2011


Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - Biodiversité outre-mer Zoologie Systéma 23 générale, l’absence initiale d’animaux brouteurs a rendu les espèces végétales fragiles devant la pression des bovins, chèvres ou cerfs introduits, tandis que l’absence de prédateurs a rendu les espèces animales très vulnérables face aux chats, chiens ou rats introduits. Contrairement à une idée généralement admise, l’introduction d’espèces ne profite en rien à la biodiversité d’une région et ne reflète bien souvent que l’ignorance de son patrimoine naturel. Rien que sur le plan économique, certaines introductions réalisées dans les collectivités d’outre-mer sont célèbres par l’étendue des dégâts qu’elles ont causés, comme par exemple l’escargot géant d’Afrique Achatina fulica, terrible ravageur des cultures, introduit à la Réunion, à Mayotte, en Polynésie, à Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et aux Antilles, ainsi qu’une autre espèce d’achatine (Achatina immaculata), en Guyane. Les introductions d’espèces ont, de plus, causé de nombreuses catastrophes écologiques qui se sont soldées par des extinctions d’espèces. Les espaces et les paysages ne sont pas plus épargnés et les formations mono-spécifiques d’espèces envahissantes remplacent petit à petit de nombreuses forêts d’outre-mer : les deux tiers de Tahiti sont maintenant envahis par un arbuste ornemental, le miconia (Miconia calvescens). Les herbivores ou les oiseaux introduits sont souvent particulièrement efficaces comme agents de dispersion de plantes introduites. En retour, la résistance au broutage de certaines plantes introduites aboutit à la formation de faciès mono-spécifiques. Surexploitation des espèces

L’exploitation des ressources naturelles n’est pas toujours menée durablement. L’exemple du dodo de l’île Maurice est tristement célèbre, et il est probable que l’ibis de la Réunion ait subi exactement le même sort. L’extinction des vertébrés démontrée par les fouilles paléontologiques dans les îles du Pacifique ou des Caraïbes est attribuée à la chasse, ainsi qu’à

la compétition et à la prédation résultant de mammifères introduits (rats, chats, chiens, cochons, chèvres, etc.). Plus récemment, le phoque des Caraïbes, autrefois présent en Martinique et en Guadeloupe, a sans doute disparu. Du xviie au xixe siècle, il était pourtant si abondant qu’on l’exploitait pour son huile. Changement climatique

À ces causes de dégradation s’ajoutent désormais, de façon certaine, les conséquences du réchauffement climatique. L’endémisme très élevé des espèces des collectivités d’outremer s’explique par des conditions de vie très strictes que le réchauffement climatique vient modifier. Dès lors que les conditions changent, avec une augmentation des températures, une pluviométrie modifiée et des épisodes climatiques extrêmes plus fréquents, le faciès peut être considérablement modifié. Le réchauffement climatique intervient comme un facteur aggravant les menaces déjà constatées.

Des améliorations ? La reconnaissance internationale des patrimoines naturels marin de Nouvelle-Calédonie et terrestre de La Réunion, par leur classement au Patrimoine mondial de l’Humanité, met en évidence leur valeur universelle. Des espaces protégés terrestres et marins ont été créés ou sont en cours de création. Récemment ont été créés les réserve naturelle nationale des Terres australes françaises, réserve naturelle marine de La Réunion, parc naturel marin de Mayotte, extension du parc national de Guadeloupe, réserve naturelle nationale de Matoury en Guyane, aires marines communautaires en Province nord de Nouvelle-Calédonie Le dispositif BEST, réclamé par les ONG depuis 2003, est en route. Il permettra à l’Europe de reconnaître enfin l’importance de la biodiversité de ses régions ultrapériphériques et de ses pays et territoires d’outre-mer par l’adoption d’une politique européenne de protection de la biodiversité en outre-mer, avec des moyens dédiés. Cette “année des outre-mers” doit être l’occasion de poursuivre, plus que jamais, tous ses efforts et toutes ses initiatives. 

À paraître en novembre Biodiversité d’outre-mer : ouvrage du Comité français de l’UICN, coordonné par Aurélie Bocquet et Olivier Gargominy. Éditions Roger Le Guen. ISBN : 978-2-915964-06-6.

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iologie REPORTAGE - Entomologie Herpétologie Géologie Malacologie Mammalogie 30

Par Bruno Corbara Photographies Emmanuel Boitier

Alice — À quoi ça leur sert d’avoir un nom, s’ils ne répondent pas quand on les appelle ? Le Taon — Ça ne leur sert de rien, à eux, mais je suppose que c’est utile aux gens qui leur donnent des noms. Sans ça, pourquoi est-ce que les choses auraient un nom ? Alice — Je ne sais pas. Dans le bois, là-bas, les choses et les êtres vivants n’ont pas de nom… Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir, 1872

En


Zoologie Éthologie Volcanologie Paléontologie - En quête d’espèces Océanographie Ichtyo

quête d’espèces

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À quoi servent les expéditions scientifiques ?

L

a décennie écoulée a été témoin d’un renouveau des expéditions scientifiques dédiées à l’étude de la biodiversité de notre planète. Renouant avec l’esprit des grandes expéditions naturalistes du passé et mettant en œuvre des moyens techniques et humains considérables (navire océanographique, engin volant, grimpeurs, spéléologues et plongeurs professionnels), la mission Santo 2006 (“Santo 2006 Global Biodiversity Survey”), par exemple, a déployé près de 150 chercheurs sur une île du Pacifique Sud, afin d’y inventorier les organismes vivants, des fonds océaniques environnants jusqu’aux sommets des montagnes.

Fougères arborescentes d’une forêt d’altitude, Espiritu Santo, Vanuatu.

Sur la même période, des projets très ambitieux visant à réaliser l’inventaire exhaustif de tous les organismes vivant sur un territoire donné ont vu le jour et sont en cours de réalisation, à l’instar d’un programme d’initiative francoitalienne qui, depuis juin 2008, a comme cadre d’étude le parc national du Mercantour et son voisin transalpin, le parco naturale Alpi Marittime. Au-delà d’un goût évident pour l’aventure – de nos jours toute relative –, qu’est-ce qui fait ainsi courir, grimper, ramper ou plonger, dans des endroits parfois difficiles d’accès, des scientifiques spécialistes d’organismes souvent confidentiels, comme s’il y avait urgence ou péril en la demeure ? Ces champions de la description et de la classification des organismes vivants sont motivés par l’espoir de découvrir des espèces “nouvelles pour la science”, appartenant à un groupe, ou “taxons” qu’ils étudient avec ferveur pendant toute une vie. Ils auront d’autant plus de chances d’être récompensés dans leur quête que les organismes auxquels ils s’intéressent, totalement ignorés du commun des mortels, sont peu spectaculaires et délaissés par les naturalistes amateurs. Toute démarche qui contribue à améliorer la connaissance du monde qui nous entoure est fort louable, mais au-delà de cet aspect fondamental, à quoi ce travail sert-il ? Et pourquoi ce sentiment d’urgence qui semble animer des chercheurs dont la discipline d’appartenance (la taxonomie) s’inscrit par essence dans le temps long de l’expertise difficilement acquise et dont les méthodes s’accommodent généralement mal de toute précipitation ?


iologie REPORTAGE - Entomologie Herpétologie Géologie Malacologie Mammalogie 32

Coléoptère (Xylotrupes gideon asperulus Minck, 1920).

La notion de biodiversité spécifique Depuis le Sommet de la Terre (ou “Convention sur la diversité biologique”) qui s’est tenu à Rio en juin 1992, la sauvegarde de la biodiversité est devenue – au moins en apparence – un enjeu politique de premier plan. C’est en effet à cette occasion que l’on a pris conscience, au niveau planétaire, de l’importance de la diversité du vivant et des risques qui pesaient sur son avenir. Mais avant d’aller plus loin, qu’entend-on précisément par “biodiversité” et en quoi sa sauvegarde peut-elle interpeller le politique et intéresser le citoyen ? Pour les scientifiques, ce concept s’adresse à trois niveaux hiérarchiques du vivant : celui des écosystèmes, celui des espèces qui composent ces derniers et, enfin, celui des caractéristiques génétiques des individus. Pour le grand public, le niveau intermédiaire, celui de la diversité dite spécifique, est le plus aisément compréhensible ; pour le biologiste de terrain, également : l’espèce correspond à l’unité de biodiversité la plus facilement accessible. Dans ce qui suit, je me cantonnerai à ce niveau – spécifique – d’appréhension de la diversité biologique. C’est aussi celui qu’affectionnent les taxonomistes, dont le métier consiste, justement, à décrire et nommer des espèces, travail fort utile au biologiste : savoir exactement à quelle(s) espèce(s) il a à faire étant le prérequis à toute étude écologique sérieuse. ESPÈCES №1 - Septembre 2011


Zoologie Éthologie Volcanologie Paléontologie - En quête d’espèces Océanographie Ichtyo 33 Pourquoi préserver la biodiversité ? Les raisons de préserver la diversité biologique sont multiples. En premier lieu, les êtres vivants sont sources de services rendus à l’espèce humaine… à tel point que certains économistes se sont toqués d’en estimer la valeur monétaire. Sans entrer sur ce terrain, il est évident, par exemple, que les espèces vivantes sont à l’origine de tout ce que l’homme mange et, au-delà, qu’elles constituent un réservoir de ressources pour la fabrication de produits, entre autres dans les domaines de l’agro-alimentaire, de la pharmacie et des cosmétiques. Tant d’espèces connues et tant encore à découvrir sont donc autant de ressources potentielles à préserver pour les générations à venir. Cependant, au-delà de tout argument utilitariste, et même si l’on peut accepter que certaines espèces disparaissent sous nos yeux – au regard de l’Évolution, c’est là leur destin inéluctable, y compris pour Homo sapiens –, on ne peut moralement pas rester spectateur sans tenter d’en retarder l’échéance. De même qu’il me serait difficile d’accepter que la cathédrale de Reims soit détruite, je préfère savoir que telle abeille solitaire endémique – dont l’existence ou la non-existence ne changera rien au cours du monde, sinon peut-être pour l’orchidée dont elle est le pollinisateur de prédilection – pourra continuer d’exister pour les générations futures. D’autant qu’il est toujours possible de

Collecte des espèces vivant dans une plante à fourmis épiphyte du genre Hydnophytum (famille des Rubiacées).

L’expédition Santo 2006 (Santo 2006 Global Biodiversity Survey)

La fleur d’Amorphophallus paenifolius (famille des Aracées) par son odeur de viande avariée, attire les insectes pollinisateurs.

Pendant le second semestre de l’année 2006, l’île d’Espiritu Santo (ou Santo) au Vanuatu, dans le Pacifique Sud, a été le lieu d’une des plus grandes expéditions scientifiques de tous les temps, organisée par le Muséum national d’histoire naturelle de Paris, l’IRD et l’ONG ProNatura International. Dans le but d’étudier la biodiversité des différents milieux qui caractérisent cette île grande comme la moitié de la Corse, plus de 150 scientifiques, étudiants et techniciens appartenant à 25 nationalités l’ont explorée, des fonds voisins de l’océan jusqu’au point culminant de l’île (à plus de 1 800 mètres d’altitude) pour y collecter des échantillons de plantes et des specimens d’animaux. Récifs coralliens, plages, rivières, grottes, forêts : tous les milieux naturels, mais également les espaces anthropisés de cette île occupée depuis 3 000 ans par l’homme, ont fait l’objet de récoltes visant à l’inventaire le plus complet de sa flore et de sa faune. Faisant appel aux techniques de récolte les plus variées et mettant en œuvre des moyens humains (plongeurs, grimpeurs, spéléologues) et des matériels (navire océanographique, ballon dirigeable) conséquents, ils ont accumulé une quantité d’informations sur la biodiversité de l’île qui nécessitera encore des années pour être traitée par les spécialistes. Déjà, des dizaines d’espèces nouvelles, appartenant surtout à des groupes très discrets (mollusques, crustacés, insectes) ont été décrites, mais aussi quatre vertébrés, trois poissons et un gecko dont les femelles affectionnent de pondre dans les cavités d’une plante épiphyte hébergeant par ailleurs des fourmis ! ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie REPORTAGE - Entomologie Herpétologie Géologie Malacologie Mammalogie 34

En haut : libellule du genre Diplacodes. Ci-contre : punaise arlequin (Hémiptère) et champignon bioluminescent du genre Mycena. En bas : Fougères épiphytes.

La biodiversité spécifique en quelques chiffres Comme il n’en existe pas de catalogue officiel exhaustif, le nombre d’espèces actuellement décrites varie dans des proportions non négligeables. En effet, une espèce a pu être décrite à plusieurs reprises avec des noms différents ou, inversement, sous une description et un nom se dissimulent parfois plusieurs espèces. Avec cette incertitude à l’esprit, on compte environ 1,4 million d’espèces décrites “fiables” d’animaux pour 320 000 plantes, 75 000 champignons et 50 000 micro-organismes. Au sein des animaux, on compte environ 1 million d’insectes dont 350 000 Coléoptères. En comparaison, on ne compte qu’environ 29 000 poissons, 9 900 oiseaux et 5 400 mammifères. Quant à ce qui reste à découvrir, les estimations vont de 10 à 100 millions d’espèces, selon les auteurs. Les extrapolations les plus récentes étant plutôt révisées à la baisse : autour de 8 à 9 millions. Plus de 10 000 espèces “fiables” sont décrites chaque année. Selon Philippe Bouchet, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, avec les moyens actuels, et sur la base de 10 millions d’espèces non décrites, il faudrait environ dix siècles pour parvenir à bout de “l’insaisissable inventaire des espèces” qui peuplent actuellement la Terre.


Zoologie Éthologie Volcanologie Paléontologie - En quête d’espèces Océanographie Ichtyo 35 reconstruire à l’identique une cathédrale, alors que nous ne savons pas recréer un animal à partir d’un spécimen de collection (même avec son ADN complet !).

Menaces sur la biodiversité La richesse spécifique des écosystèmes est considérée par certains scientifiques comme une garantie de stabilité et de résistance aux perturbations, notamment climatiques. Une des questions qu’ils se posent, par exemple, est de savoir à partir de quel moment un écosystème devient véritablement menacé, au fur et à mesure que diminue le nombre d’espèces qui le constituent. Il n’y a bien sûr pas de réponse simple, chaque écosystème étant un cas particulier et certaines espèces (dites “clés de voûtes”) ayant une importance plus grande que les autres pour l’équilibre global. De plus, à une question d’apparence aussi simple que “de combien d’espèces se compose cette forêt ?”, personne n’est en mesure de répondre de façon satisfaisante. Quant à la question “combien d’êtres vivants différents y a-t-il actuellement sur Terre ?”, les chiffres avancés varient largement du simple au décuple (voir encadré). Répondre avec extrême précision à ces questions n’est pas forcément nécessaire ; s’approcher de la réalité est par contre primordial si l’on souhaite comprendre comment fonctionnent les écosystèmes considérés et si l’on désire élaborer des stratégies efficaces pour leur conservation. Les espèces disparaissent, nous l’avons vu, c’est leur destin. Néanmoins, les activités humaines ont désormais un tel impact sur l’environnement qu’elles provoquent un déclin inédit de la diversité du vivant. Selon certains scientifiques, cette diminution de la biodiversité, qu’ils qualifient de “sixième extinction de masse”, dépasserait en rapidité tout ce que la Terre a connu au cours de son histoire géologique. Si de multiples indicateurs confirment des disparitions à grande échelle, il est assez risqué, en toute logique, d’avancer des chiffres concernant la proportion d’êtres vivants concernés puisque l’inventaire de ce qui existe à l’heure actuelle est très loin d’être réalisé. Au-delà de l’absence de données quantitatives fiables, on ne sait rien (ou très peu de choses) sur l’importance écologique de la plupart des espèces décrites , alors comment, dans ce cas, faire des choix pertinents pour la sauvegarde des milieux menacés ? Comment établir des priorités ? On voit qu’il n’y a pas d’autre alternative, pour les scientifiques qui se préoccupent de biodiversité et qui veulent la maintenir dans sa plus grande intégrité, que d’augmenter de façon considérable et par tous les moyens possibles nos connaissances sur son état actuel. Il y a donc urgence à ce que des inventaires, les plus exhaustifs et raisonnés possibles, soient entrepris prioritairement dans les zones estimées de plus forte biodiversité, ces “points chauds” ou ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie REPORTAGE - Entomologie Herpétologie Géologie Malacologie Mammalogie 36 “hotspots” de la planète. Nombre de chercheurs, et parmi eux des taxonomistes, avec l’appui de leurs organismes de tutelle et d’ONG de conservation, sont donc aujourd’hui plus que jamais incités à partir en quête d’espèces.

Des programmes à grande échelle et leurs limites Ainsi sont nés des programmes d’inventaires à gros moyens, tels ceux évoqués plus haut, qu’il s’agisse d’expéditions qui s’intéressent à la vie terrestre, comme le programme IBISCA-Panama (inventaire de la biodiversité des arthropodes d’une forêt tropicale, du sol à la canopée), à la vie marine, à l’instar de l’expédition Panglao organisée par le Muséum d’histoire naturelle aux Philippines en 2004, ou à la vie dans ces deux milieux, avec la mission Santo 2006 au Vanuatu. C’est également dans cette perspective qu’est né le concept d’ATBI (All Taxa Biodiversity Inventory) visant à l’étude exhaustive de tous les segments de la biodiversité sur un secteur géographique précis. Le premier de ces projets a débuté au tout début du millénaire sur les 2 200 km 2 du Great Smoky Mountains National Park, aux États-Unis. En France, un inventaire analogue s’est mis en place dans le Mercantour et un autre est en projet dans la réserve des Nouragues, en Guyane française. Néanmoins, récolter n’est pas tout. L’identification et la description d’espèces demandent des compétences longues à acquérir et beaucoup de taxons manquent de spécialistes car, lorsqu’ils existent, ceux-ci sont surchargés. Si l’on prend l’exemple des insectes, qui représentent une part considérable de la biodiversité animale (voir encadré), le nombre de taxonomistes est ridiculement faible au regard de la tâche qui reste à accomplir. Déjà, lors de la Convention de Rio, les conséquences de ce “goulot d’étranglement” taxonomique étaient évoquées comme un obstacle sérieux. Depuis, en dépit des déclarations d’intention et de certains programmes internationaux de soutien à la science taxonomique, le goulot ne s’est pas vraiment desserré. En fait, alors que la biodiversité est déclinée partout comme une priorité, on laisse péricliter la discipline scientifique qui permet de mieux connaître et définir ses unités de base, les espèces.

Deux scénarios Une course-poursuite s’est ainsi engagée entre le désir de connaissance des scientifiques et une réalité qui se dérobe sous leurs yeux. La pression anthropique est telle, notamment sous les tropiques (qui recèlent l’essentiel des “points chauds” de biodiversité), que ces derniers risquent de perdre rapidement une grande part de leur richesse spécifique. Les botanistes et zoologues qui parcourent aujourd’hui la planète pour collecter des échantillons de ESPÈCES №1 - Septembre 2011

Libellule du genre Neurothemis.


Zoologie Éthologie Volcanologie Paléontologie - En quête d’espèces Océanographie Ichtyo 37 L’arboglisseur, un ballon dirigeable dédié aux collectes en canopée.

plantes et des spécimens d’animaux déposent dans leurs musées respectifs des représentants d’espèces qui auront disparu à la décennie suivante. Elles viendront ainsi rejoindre le dodo et le loup de Tasmanie dans la trop longue liste des victimes d’Homo sapiens et les échantillons qui les représentent, reliques desséchées d’espèces rayées de la surface de la Terre, pourront être assimilés à des fossiles. Nos chercheurs auront travaillé, en quelque sorte, pour les paléontologues de demain ! Il est ainsi à craindre qu’au rythme où vont les choses l’inventaire (quasi) exhaustif des espèces vivantes se réalise plus vite que prévu… par simplification de la tâche. Le seul espoir pour que se maintienne à un niveau proche de l’actuel la diversité du vivant sur Terre implique un retournement drastique de perspective qui échappe au domaine de la science. Rêvons : la population de la Terre se stabilise, les standards de consommation s’établissent à des niveaux soutenables pour la planète, la pression que l’homme exerce sur les espaces naturels se relâche, l’essentiel des points chauds de biodiversité est préservé et la sixième extinction en cours est stoppée avant d’avoir occasionné trop de dégâts. Les taxonomistes, des femmes et des hommes qui – nous l’avons vu – travaillent difficilement dans l’urgence, pourraient alors poursuivre avec sérénité leur grande œuvre d’inventaire et de classification avec la certitude que leur travail, ajouté à celui de leurs semblables des générations futures, pourra un jour aboutir. Et alors, une fois que la liste des acteurs du vivant sera établie, il restera encore tout à comprendre de leurs rôles respectifs et des diverses pièces qu’ils jouent ensemble… 

Illustrations de l’article : Les photos illustrant cet article ont toutes été prises dans la région du village de Penaoru, sur l’île de Santo au Vanuatu, au cours de l’expédition Santo 2006. Elles sont l’œuvre d’Emmanuel Boitier, qui a suivi, comme entomologiste amateur et photographe, une partie du programme “Forêts, montagnes et rivières” de l’expédition.

Sur les “explorateurs de la biodiversité” en général : >B ouchet P., 2007 - “L’insaisissable inventaire des espèces”. Les dossiers de La Recherche, n° 28, p. 48-55. L’article de référence (en français) sur la quête sans fin des taxonomistes, par Philippe Bouchet, professeur au Muséum national d’histoire naturelle (où il dirige l’unité de taxonomie). Philippe Bouchet est biologiste marin, spécialiste des mollusques et co-directeur de l’expédition “Santo 2006 Global Biodiversity Survey”.

Sur l’expédition Santo 2006 Deux ouvrages, un en français et un en anglais, relatent cette aventure scientifique. > Tardieu V. et Barnéoud L., 2007 - Santo, les explorateurs de l’île-planète. Belin, Paris, 288 p. Un ouvrage témoignage rédigé par deux journalistes scientifiques qui ont participé à l’expédition, avec plus de 350 photographies. > Bouchet, Ph, Le Guyader H. et Pascal, O. (eds), 2011 - “The Natural History of Santo”. Muséum national d’histoire naturelle, Paris ; IRD, Marseille ; Pro-Natura international, Paris, 572 p. Patrimoines Naturels, 70. Ouvrage tout récent, rédigé par plus de 100 auteurs, participants à l’expédition ou chercheurs spécialistes des îles du Pacifique Sud et du Vanuatu. Un état des lieux sur la biodiversité de l’île de Santo réalisé alors que les premiers résultats scientifiques de l’expédition – dont un grand nombre de découvertes d’espèces nouvelles – commencent à être publiés dans les revues spécialisées. Deux parties de l’ouvrage (“Espiritu Santo in space and time” et “Terrestrial fauna”) ont été coordonnées par Bruno Corbara qui a co-organisé le programme “Forêts, montagnes et rivières” de l’expédition Santo 2006.

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iologie RECHERCHE - Botanique Entomologie Herpétologie Océanographie Génétique 52

LE PALMIER NAIN Témoin des changements globaux en Méditerranée

L

e palmier nain ou doum (Chamaerops humilis L.) est l’un des deux palmiers indigènes de la région méditerranéenne, avec le palmier de Théophraste (Phoenix theophrasti Greuter), endémique de Grèce et de Turquie. Le palmier nain se localise en Méditerranée occidentale, et il caractérise les végétations thermophiles d’Afrique du Nord et du sud de l’Europe. Il constitue le seul représentant d’un genre d’Arecaceae (ou Palmae), famille botanique qui comporte plus de 2 400 espèces réparties en 183 genres. Bien isolé sur le plan systématique – d’après l’étude phylogénétique d’Asmussen et collaborateurs en 2006 –, le doum s’intègre à la sous-famille des Coryphoideae et ses plus proches voisins sont les genres Trachycarpus et Guilhaia. Le genre Chamaerops date du Crétacé, selon L. Emberger (1933), et le palmier nain fut sans doute largement répandu en Europe tempérée jusqu’à la fin de l’ère tertiaire (Pliocène terminal), voire plus tardivement : en Provence, les travaux de Gaston de Saporta ont montré la présence assez fréquente au Pliocène d’un palmier à feuilles flabelliformes*, que le célèbre paléobotaniste attribue au Chamaerops. Mais les refroidissements climatiques de la fin du Tertiaire, et surtout les glaciations du Quaternaire, ont conduit à la disparition, ou tout au moins à une sévère réduction de son aire de répartition en Méditerranée septentrionale. En l’absence d’étude génétique, il demeure bien difficile de se prononcer sur l’éventuelle persistance de populations refuges ponctuelles et littorales. Fossile de palmier à feuille flabelliforme* (Flabellaria lamanonis) du Tertiaire (Stampien) de Provence (cliché P. Biolatto, MHN Aix-en-Provence).

Frédéric Médail est professeur à l’université d’Aix-Marseille, au sein de l’Institut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie (IMEP, UMR CNRS-IRD). Ses recherches concernent principalement la biogéographie et la biologie de la conservation des écosystèmes et des végétaux du bassin méditerranéen. Courriel : f.medail@univ-cezanne.fr ESPÈCES №1 - Septembre 2011


Génétique Éthologie Entomologie Paléontologie - Le palmier nain Archéozoologie Ichtyol 53 Lors de la période historique, l’aire de répartition de Chamaerops humilis connut une réduction notable, probablement liée à la péjoration climatique du “petit âge glaciaire”, combinée à des impacts humains croissants. Si sa présence durant l’Antiquité a été signalée par Théophraste en Crète, où cet auteur le considérait comme abondant (Amigues, 1991), il y fait actuellement défaut. On le connaît à l’état de beaux restes, précisément en Crète, mais aussi en Cyrénaïque et sur la côte dalmate. Dans cette dernière région, il a disparu de l’île de Lokrum, près de Dubrovnick, alors qu’il formait encore, vers 1850, d’épais fourrés. L’extinction des populations naturelles de ce palmier est aussi survenue à Malte.

Distribution actuelle et écologie en région méditerranéenne Le palmier nain présente une aire morcelée, depuis la Croatie jusqu’à la péninsule Ibérique et l’Afrique du Nord, mais il ne s’éloigne guère des côtes du bassin méditerranéen occidental. Il est surtout commun au Maroc et en Algérie, plus localisé au nord de la Tunisie, et atteint ponctuellement la Libye occidentale ; il fuit en général les régions continentales comme, au Maroc, la vallée de la Moulouya ou trop humides (Rif occidental).

Sur le plan climatique, L. Emberger le qualifie dès 1933 comme l’“ennemi de tous les extrêmes, il occupe dans la gamme des climats méditerranéens la place moyenne”. Cependant, ce palmier peut tolérer une vaste gamme de précipitations, depuis le bioclimat aride supérieur et des pluies annuelles avoisinant les 300 mm jusqu’à des secteurs très arrosés sous bioclimat très humide (par exemple plus de 2000 mm sur le versant atlantique de la péninsule Ibérique). Son aire de distribution est surtout contrainte par les basses températures, même si le palmier nain est assez résistant au froid (dommages aux feuilles à partir de -9 °C, aux bourgeons foliaires vers -11,5 °C). Le palmier nain est l’un des constituants majeurs de la “brousse thermophile” à olivier sauvage, caroubier et lentisque, présente dans les variantes chaude et tempérée des bioclimats semi-aride et subhumide, notamment sur substrats calcaires. Cette formation végétale est fréquente en région sud-méditerranéenne jusqu’à 500 m d’altitude, mais reste cantonnée au strict littoral en Méditerranée septentrionale. Caractéristique de l’étage de végétation thermo-méditerranéen, le doum pénètre toutefois l’étage méso-méditerranéen en Afrique du Nord, notamment dans les chênaies vertes sur calcaire, et il atteint exceptionnellement 2 200 mètres d’altitude sur le revers nord du Haut-Atlas.

Limites de la région bioclimatique méditerranéenne Distribution du palmier nain

Station isolée

Station historique

Carte de distribution générale du palmier nain en région méditerranéenne (d’après Médail & Quézel, 1996, modifié, infographie A. Rafaelian).

Palmier nain adulte, Sicile sud-orientale, Portopalo di Capo Passero (cliché V. Andrieu-Ponel, IMEP).

ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie RECHERCHE - Botanique Entomologie Herpétologie Océanographie Génétique 54

Carte de distribution des populations de palmier nain en France méditerranéenne ; seules les populations non plantées et présentes dans les milieux naturels ou semi-naturels ont été figurées (export de la base de données SILENE du Conservatoire botanique national méditerranéen le 21/01/2010, http://silene.cbnmed.fr/).

Dynamique et état de conservation en Méditerranée Sur les marges orientales de son aire, l’extinction historique du Chamerops est bien documentée – on l’a vu – depuis l’Antiquité. Sa dynamique actuelle s’avère plus contrastée de part et d’autre de la Méditerranée occidentale, car les trajectoires environnementales de l’Europe méridionale et du Maghreb sont diamétralement opposées. Si, au nord, l’espèce progresse de manière significative, il n’en va pas de même sur la rive méridionale, même si, dans son aire d’élection, le palmier nain demeure encore assez commun à l’étage de végétation thermo-méditerranéen. Grâce à ses très bonnes capacités de reprise végétative à partir de la souche, ce palmier peut tolérer des degrés importants de stress environnementaux et surtout de perturbations. Toutefois, à force de subir depuis des siècles une surexploitation par l’homme (voir encadré) et les conséquences d’un pastoralisme souvent effréné, ce palmier a fini par régresser au Maghreb malgré ses exceptionnelles capacités de persistance. S’il peut subsister dans certains secteurs très perturbés, ce n’est souvent qu’à l’état d’individus chétifs ne pouvant plus fructifier car constamment broutés ou coupés. Ceux-ci forment le dernier rempart arbustif avant la quasi-disparition du tapis végétal et les pertes afférentes de sol par érosion. Très maltraitée par l’homme, la “chaméropaie” nord-africaine devient vestigiale et elle ne persiste plus que de façon fragmentaire, dans les secteurs rocailleux difficiles d’accès. Seuls quelques lieux sacrés (les marabouts, voir ci-contre), plus ou moins respectés par les troupeaux, abritent encore épisodiquement de véritables arbres isolés ou en bouquets qui atteignent cinq à sept mètres de hauteur. Ils témoignent encore des bonnes possibilités locales de croissance du palmier tant que les perturbations restent modérées.

Situation en France méditerranéenne Le palmier nain fut signalé entre Nice et Menton dès la fin du xviii e siècle par le botaniste turinois Allioni, et revu en 1808 par A. P. de Candolle et Risso. Puis, quelques botanistes comme F. Mader le récoltèrent jusqu’aux environs de 1850. La dernière station “naturelle” de la Côte d’Azur, localisée sur les collines surplombant Villefranche-sur-Mer, a disparu vers 1870. Dans sa flore, Ardoino indiquait en 1879 que “cet arbuste remarquable n’était pas rare autrefois sur les rochers entre Monaco et Mont Alban, où il marquait l’extrême limite septentrionale de la famille des palmiers. Ce n’est que comme souvenir qu’il nous est permis de la mentionner ici.” Ces localités ont en effet été détruites par la construction du chemin de fer et le développement des cultures et de l’urbanisation, mais aussi en raison de prélèvements par des jardiniers. Ainsi, les flores ultérieures ne signalent plus cette espèce en France, et les botanistes du début du xx e siècle l’ont recherchée sans succès. À partir des années cinquante, on signale l’espèce dans le Var, en deux populations exiguës : l’une sur le littoral des Maures, entre Sainte-Maxime et Saint-Raphaël (où le phytosociologue René Molinier a pu l’observer durant plus de dix ans avant de la voir disparaître sous des terrassements), l’autre sur la colline du Vieux Château d’Hyères (où elle existe toujours), par J. Bouchard en 1946. ESPÈCES №1 - Septembre 2011

Jeune palmier nain implanté dans une garrigue thermophile à euphorbe arborescente sur les corniches de la Riviera, au-dessus de la Principauté de Monaco (cliché Jean-Marie Solichon, Jardin exotique de Monaco).


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Remarquable individu de palmier nain en situation semi-protégée de “marabout” au Maroc. Rif, Ouezzane (cliché F. Médail, IMEP).

À l’heure actuelle, Chamaerops humilis est bien présent et en expansion en France méditerranéenne continentale, signalé dans l’Aude, les Bouches-du-Rhône, le Var et les Alpes-Maritimes. Il a aussi été indiqué récemment en principauté de Monaco où il se rencontre en huit petites stations (Médail et al., 2007), mais il s’agit très probablement d’individus échappés de cultures et naturalisés. Ce palmier est curieusement absent de Corse à l’état indigène, alors qu’il est assez commun sur les autres îles tyrrhéniennes, dont la proche Sardaigne.

En Provence, nous avons découvert les premières stations importantes dans les années quatre-vingt-dix vers Ramatuelle, sur les caps Taillat et Lardier et leurs environs, l’ensemble comprenant une centaine d’individus. Depuis, le palmier nain a pu être observé en de nombreuses localités, le long d’une bordure littorale comprise entre La Ciotat (Bouches-du-Rhône) et Saint-Raphaël (Var). Certaines de ces stations comme celle du cap Taillat abritent des individus adultes, hauts de un à deux mètres, qui fleurissent et fructifient régulièrement et abondamment. Mais ces spécimens ne sont pas forcément tous âgés de plusieurs décennies – et à fortiori d’un siècle ! –, contrairement à ce que nous avions suggéré en 1996. Dans les Alpes-Maritimes, il est connu une trentaine de stations. Assez commun en individus isolés sur tout le littoral depuis l’Estérel jusqu’à Menton, le palmier nain est surtout présent dans le secteur des corniches entre Nice et Menton : Mont Alban, Mont Boron, Cap Ferrat, Roquebrune-Cap Martin. La majorité des stations françaises se situe à proximité immédiate du rivage, jusqu’à 500 m d’altitude. Le palmier s’observe soit en situation de falaise, soit, plus souvent, au sein de maquis denses sur sols superficiels. Il est fréquemment associé à l’olivier sauvage ou ensauvagé, le caroubier, l’euphorbe arborescente, le chêne vert, le lentisque et le filaire à larges feuilles. Ces localités se situent dans la variante thermique à hiver tempéré à doux, mais si les populations occidentales (La Ciotat, Toulon et Hyères) sont soumises à un bioclimat subhumide, celles situées plus

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iologie RECHERCHE - Botanique Entomologie Herpétologie Océanographie Génétique 56 à l’est (Var oriental et Alpes-Maritimes) connaissent un bioclimat humide. Ceci traduit bien le gradient croissant des précipitations observé depuis la Provence calcaire jusqu’à la Provence siliceuse et la Côte d’Azur.

Un bio-indicateur du réchauffement climatique ? La découverte de Chamaerops humilis en de nombreuses localités du littoral de Provence et des Alpes maritimes a soulevé diverses interrogations, tant sur le plan de la dynamique écologique que de la réaction de l’espèce face aux changements climatiques. Tout d’abord, l’on peut se demander si les populations sont en place déjà depuis longtemps ou si, au contraire, elles sont d’installation récente. L’intensité des recherches botaniques dans cette région depuis la fin du xixe siècle, permet de favoriser plutôt la seconde interprétation. Si l’on accepte l’hypothèse d’une mise en place récente, il convient d’admettre une installation in situ dans le milieu naturel à partir de graines issues de spécimens horticoles. Effectivement, les fruits de palmier sont appréciés de divers mammifères (rat noir, renard, sanglier) et oiseaux frugivores qui peuvent disperser abondamment les graines des nombreux individus plantés. La majorité des palmiers observés dans la nature se réfère donc probablement à des spécimens naturalisés, et l’on recense de plus en plus souvent des semis, y compris sur les premiers contreforts littoraux. Toutefois, nous n’avions pas exclu la possible “réactivation de certaines souches très malmenées et quasi invisibles auparavant” (Médail & Quézel, 1996) liée à la chute de l’exploitation de ces milieux par l’homme et ses troupeaux, au moins dans des localités d’accès difficile (falaises) et non affectées par l’urbanisation. De plus, si Chamaerops humilis est cultivé depuis de longues années dans certains jardins botaniques, son utilisation horticole extensive n’est guère antérieure aux années cinquante ou soixante, ce qui est sans doute trop récent pour expliquer la mise en place de tous les exemplaires observés à l’état adulte. Dans ces conditions,

la spontanéité de certains individus est envisageable, et ils ont pu servir de pieds mères dans la puissante colonisation actuelle observée en quelques lieux, comme au cap Taillat. Mais seule une étude génétique comparative de ces populations (approche phylogéographique) pourrait peutêtre en préciser l’origine en les comparant à celles de l’aire d’indigénat certain. Ainsi, Chamaerops humilis est, à l’heure actuelle, bien en place sur le littoral du sud-est de la France, en un certain nombre de populations sont indiscutablement en expansion. Ces observations posent directement le problème de l’amélioration des conditions climatiques au cours de ces dernières décennies. En effet, les froids hivernaux représentent le facteur écologique limitant majeur qui explique sa distribution au nord de la Méditerranée. Les moyennes du mois le plus froid, et plus encore les moyennes mobiles sur quinze ans, montrent l’élévation de ces températures qui varie, selon les stations, entre un demi et plus d’un degré centigrade. La résistance aux périodes de grands froids (minima absolus) de ces populations souligne qu’elles ont supporté sans dommage grave les froids hivernaux sévères des années 1956, 1985 à 1987. Les compensations thermiques dues à la proximité de la mer ou à la position rupicole des populations ont sans doute épargné de nombreux individus provençaux. Palmiers nains en situation côtière, Sardaigne orientale, Cala Gonone (cliché F. Médail, IMEP).

Les usages multiples du palmier nain Dès l’Antiquité, le palmier nain avait un usage alimentaire : il était utilisé en tant que “cœur de palmier” en Crète, selon Théophraste, et en Sicile, selon Servius : “Sélinonte est une ville […] où abondent les palmiers dont les gens se nourrissent”. Les parties tendres de la plante étaient d’ailleurs couramment consommées au xixe siècle : il “fournit en effet un aliment dont on fait encore usage en Sicile, en Algérie, et dans tous les pays où croît cette plante” et “on en vend abondamment sur les marchés dans quelques parties de l’Algérie”, selon F. Lenormant, en 1856. D’après J. Bellakhar, il est encore consommé de nos jours dans le nord du Maroc, cru ou cuit, et comme garniture pour le couscous. Mais le Chamaerops fut encore plus recherché pour ses usages en sparterie, comme l’indique Théophraste : “ils ont la feuille plane et souple ce qui permet de l’utiliser pour tresser couffins et paniers”. Jusqu’à nos jours, les feuilles ont servi au rembourrage, à tresser des nattes, paniers, chapeaux ou balais, ainsi qu’à l’élaboration du papier. Au Maroc, le tissu fibreux entourant la souche participe à la confection de pans de tente. À partir des fibres foliaires, on obtient aussi un crin végétal utilisé pour la confection de cordages, matelas, et étoffes grossières. Riches de nombreux composés phytochimiques, diverses parties de l’espèce (feuille, stipe, spadice) sont recherchées dans la médecine traditionnelle de l’ouest algérien : en usage interne comme antidiabétique, antispasmodique ; contre la constipation et les maux gastriques, selon Hasnaoui et collaborateurs, 2011. Les fruits sont consommés au Maroc contre le diabète, la diarrhée et les gingivites ; mais pour ôter leur astringence, ils sont mis alors à tremper dans de l’eau salée durant trois jours ! ESPÈCES №1 - Septembre 2011


Génétique Éthologie Entomologie Paléontologie - Le palmier nain Archéozoologie Ichtyol La situation actuelle du palmier nain est ainsi plus favorable qu’elle ne l’a été au xixe siècle, au cours duquel il avait été repéré seulement dans les environs de Nice. Quelle qu’en soit l’origine, son expansion est bien favorisée par l’amélioration des conditions thermiques locales depuis au moins une trentaine d’années (en particulier l’atténuation des minima hivernaux). Une telle progression est aussi signalée sur la côte ligure par F. Orsino et S. Olivari en 1987, et en Croatie. Chamaerops humilis semble bien constituer, sur la frange nord-méditerranéenne, un végétal bio-indicateur du réchauffement climatique en cours, comme l’est par ailleurs un palmier exotique (voir encadré). 

Glossaire Enveloppe climatique : ensemble des conditions climatiques limites caractérisant la distribution géographique d’une espèce donnée. Flabelliforme : caractérise un organe végétal dont la forme rappelle celle d’un éventail. Forêt sclérophylle laurifoliée : type de forêt (laurisylve) se développant sous un climat chaud et humide (par exemple dans certaines îles des Canaries et de Madère), composée de ligneux à grandes feuilles persistantes, simples, luisantes et coriaces.

Quand les palmiers “traquent” le réchauffement climatique en Europe En Europe tempérée, plusieurs observations récentes corroborent ce phénomène d’expansion d’espèces thermophiles, aussi bien en milieu terrestre qu’en milieu marin. En Suisse méridionale (Tessin), on note depuis une trentaine d’années la progression spectaculaire du palmier à chanvre (Trachycarpus fortunei (Hook.) H. Wendl.) introduit de Chine au début du xixe siècle, et voisin sur le plan phylogénétique du Chamaerops. Non seulement le Trachycarpus se maintient bien dans les forêts sclérophylles laurifoliées*, mais il fructifie et se régénère sans problème dans ces habitats soumis au climat insubrien. L’étude de Walther et collaborateurs, en 2007, a confronté certaines caractéristiques environnementales de son aire de distribution indigène en Chine par rapport à sa distribution réalisée actuelle ou à sa distribution potentielle en Europe. Seule a été considérée “l’enveloppe climatique”* de l’espèce, qui permet d’estimer les paramètres bioclimatiques limites à son développement, mais qui n’intègre pas les autres facteurs environnementaux. La nette progression du Trachycarpus s’expliquerait par une amélioration des températures hivernales et un allongement de la saison favorable à la croissance. Ce palmier se rencontre à partir d’une valeur seuil pour la température mensuelle moyenne du mois le plus froid de l’année égale à + 2,2 °C ; ces périodes favorables ont augmenté de manière significative en durée et en fréquence dans le Tessin (ex. à Lugano) depuis 1950 et deviennent continuellement favorables à partir de 1985. D’autres régions d’Europe, comme la Croatie, connaissent une telle naturalisation de l’espèce. Avec le réchauffement climatique en cours, l’expansion rapide du Trachycarpus devrait donc se poursuivre dans le futur.

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LES MOMIES D’ANIMAUX Une classification des espèces dans l’Égypte ancienne Alain Charron Conservateur en chef du musée départemental de l’Arles antique

Les Égyptiens de l’Antiquité avaient une certaine propension au classement. L’analyse du contenu, souvent déroutant, de milliers de momies d’animaux offertes en dévotion aux dieux nous en apprend beaucoup sur leur vision des familles du vivant.

L’

historien grec Diodore de Sicile, qui vécut au ier siècle avant J.-C., a rapporté dans sa Bibliothèque historique que “[…] les Égyptiens vénèrent extrêmement quelques animaux, non pas seulement quand ils vivent, mais quand ils sont morts aussi, tels les chats, les ichneumons, et les chiens, et encore les faucons et les animaux appelés chez eux ibis, et aussi les loups, les crocodiles et bien d’autres encore du même genre… Quand meurt l’un des animaux mentionnés, ils l’enveloppent dans un fin tissu de lin, se frappent la poitrine en gémissant et le transportent pour l’embaumer. Puis, une fois traités à la résine de cèdre et aux substances odoriférantes et propres à assurer une longue conservation du corps, ils l’ensevelissent dans des coffres sacrés” (Livre I, 83, traduction M. Casevitz, Paris, 1991). Diodore n’a cité que quelques-unes des espèces rencontrées dans la vallée du Nil, faisant l’objet d’un lien particulier avec la religion égyptienne, et sans ordre. On trouve des animaux assez divers (des mammifères, des oiseaux, ainsi qu’une espèce de reptile), domestiques et sauvages, terrestres, célestes et aquatiques. À cela, il faut cependant apporter une correction : le loup n’a jamais hanté l’Égypte. Lui et d’autres, comme Hérodote au vii e siècle avant J.-C. ou Strabon au tournant de notre ère, ont été pour le moins surpris de l’attitude des anciens Égyptiens envers les animaux qui peuplaient la vallée du Nil. Leurs assertions nous sont utiles pour ESPÈCES №1 - Septembre 2011


Climatologie Entomologie Écologie Physiologie - Les momies d’animaux Océanographie O 59 Momies de chats, période ptolémaïque (332 30 av. J.-C.), nécropole de Stabl Antar, envoi de Maspéro (cliché Musée des Confluences -Département du Rhône/P. Ageneau).

essayer de comprendre le rôle des animaux dans les cultes, mais il faut les accepter avec circonspection car le sensationnel ou le merveilleux sont souvent perceptibles dans leurs écrits.

Les animaux représentent des dieux Tous les animaux correspondant à une divinité ne sont pas cités, mais quelques-uns reviennent régulièrement comme le chat, l’ibis ou le faucon. Ainsi, les dieux Thot, figuré par les artistes égyptiens sous les traits d’un homme ibiocéphale ou d’un babouin, Anubis sous ceux d’un grand canidé noir et d’un homme à tête de chien, ou encore Horus comme un faucon ou hiéracocéphale. Tous les dieux ne sont pas représentés sous forme animale ou hybride, certains peuvent avoir une bête unique ou une espèce entière qui leur est attachée : à Memphis, le taureau Apis incarne Ptah ; à Thèbes, le bélier est Amon. Si les associations animal-divinité sont très anciennes, certaines remontent au moins à l’époque thinite, il faut attendre la Basse Époque (entre 664 et 332 av. J.-C.) pour voir des bêtes vivantes élevées en grand nombre et surtout momifiées en l’honneur ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie RECHERCHE - Égyptologie Taxinomie Primatologie Herpétologie Ichtyologie 60 d’un dieu. Il existe cependant des témoignages antérieurs, notamment les taureaux Apis déjà cités, pour lesquels des tombes ont été préparées au Serapeum de Saqqarah dès le règne d’Amenhotep III (Nouvel Empire, XVIIIe dynastie), ou les chats de Bastet à Busbastis. Ces derniers sont connus par les milliers de statuettes et de boîtes reliquaires en bronze surmontées d’une ou plusieurs figures de ce félin représentant la divinité sous la forme de son animal et dont les premiers exemples remontent peut-être à la fin de la XXIIe dynastie ou, plus sûrement, à la XXVIe dynastie. Ces reliquaires étaient confectionnés pour contenir la momie d’un chat, souvent jeune.

Momie de canidé, période romaine (30 av. J.-C.-IIIe siècle apr. J.-C.), Thèbes, Lortet (cliché Musée des Confluences -Département du Rhône/ P. Ageneau).

Trafic sous les bandelettes C’est essentiellement entre le iv e siècle avant et le iii e siècle après J.-C., c’est-à-dire la période comprise entre la dernière dynastie indigène, la XXXe, et la fin de l’époque gréco-romaine, que l’Égypte s’est couverte de nécropoles dédiées à des espèces animales représentant des divinités. Très longtemps, on a cru que chaque cimetière n’était voué à préserver que les restes momifiés d’une espèce “choisie” par, ou pour, la divinité. Au début du xxe siècle, les travaux remarquables de deux chercheurs du muséum de Lyon, Louis Lortet et Claude Gaillard, sur la faune momifiée de l’ancienne Égypte, ont cependant modéré cette acception. À peu près deux mille spécimens rapportés d’Égypte ont été étudiés, conservés et forment maintenant l’exceptionnel fonds du futur musée des Confluences de Lyon. Certaines momies ont été débarrassées de leurs couches de tissus et de bandelettes et les deux savants ont constaté ce qu’ils étaient en droit d’attendre : le corps de l’animal lié à la divinité. Mais dans de nombreux cas ils ont eu la surprise de trouver des emballages ne contenant en fait que des morceaux de ESPÈCES №1 - Septembre 2011

corps, becs, pattes, têtes, os… parfois infimes, voire des œufs pour les oiseaux et les crocodiles, plusieurs animaux enchevêtrés ou encore des animaux différents de celui ou ceux attendus (certaines divinités, comme Thot ou Amon, par exemple, pouvaient être représentées par deux espèces différentes, l’ibis et le cynocéphale pour le premier, et le bélier et l’oie pour le second). C’est ce dernier aspect qui intéresse notre étude, après une première constatation qui permet de se rendre compte qu’il ne s’agit pas de cas isolés, mais de la généralisation d’une pratique commune à tout le pays.

Non, ce ne sont pas des erreurs ! Il a été souvent avancé que les anciens Égyptiens avaient commis des “erreurs”, mais ceux-ci, et plus particulièrement les personnels en charge des élevages, connaissaient bien la nature qui les environnait, ce que montrent parfaitement les peintures et reliefs des époques antérieures. De nombreuses représentations d’animaux, parfois accompagnées de leurs noms en hiéroglyphes, ont permis aux spécialistes de reconnaître les espèces, même si certaines posent encore quelques problèmes d’identification ou si quelques erreurs ont pu s’insérer dans un corpus très fourni. On songe, par exemple, aux mastabas de Saqqarah, aux tombes de Beni-Hasan ou au temple de Deir-el-Bahari. Cependant, si les animaux sont figurés en fonction du milieu dans lequel ils évoluent, ils ne paraissent jamais classés suivant un schéma défini, les représentations n’ayant pas été réalisées dans un but “scientifique” ou pour rendre compte de la vie quotidienne, mais dans un but religieux et/ou funéraire : c’est ainsi, par exemple, que le porc n’est


Climatologie Entomologie Écologie Physiologie - Les momies d’animaux Océanographie O 61 Reliquaire de lézard, Basse Époque (664 -332 av. J.-C., Haute Egypte, Lortet. (cliché Musée des Confluences -Département du Rhône/P. Ageneau).

que très rarement montré alors que l’étude d’ossements trouvés en fouilles montre qu’il figurait souvent au menu des anciens Égyptiens. Un papyrus vient également corroborer les connaissances des Égyptiens dans leur étude des animaux. C’est un texte conservé au Brooklyn Museum (n° 47.218.48 et 85) qui a été étudié par Serge Sauneron et, très récemment, par Sydney Aufrère. Connu sous le nom de Traité d’ophiologie, il est daté de la XXXe dynastie ou du début de l’époque ptolémaïque. Il s’agit d’un traité médical, destiné aux praticiens, qui répertorie les serpents, les morsures qu’ils provoquent et les soins qu’il convient d’apporter, quand cela est possible… ! Pratiquement tous les serpents présents sur le sol égyptien sont répertoriés et précisément décrits. Il semble qu’une distinction ait été faite entre les colubridés et les serpents plus petits, du type vipère. Les exemples d’animaux différents momifiés à la place de celui lié à la divinité sont nombreux, mais, surtout, ils se répètent assez parfaitement d’un site à l’autre, que les nécropoles soient réduites ou gigantesques (comme celles de Tounah el-Gebel en Moyenne-Égypte ou de Saqqarah-Nord). Il est même arrivé que les études de momies, essentiellement celles déposées en l’honneur du faucon Horus, montrent que l’animal figurant le dieu était minoritaire par rapport aux autres bêtes qui avaient fait l’objet de soins de la part des embaumeurs, les taricheutes. Une approche visant à différencier les espèces a été élaborée par Pascal Vernus, notamment à partir de textes dont un hymne au créateur solaire qui distingue les animaux en fonction de critères rationnels comme leur milieu (ou écosystème) : “Il a bâti les hommes, les petits quadrupèdes et les grands quadrupèdes, les oiseaux, les poissons et toute la vermine”.

Cette typologie est néanmoins différente de nos critères actuels. Les tortues aquatiques ont ainsi été déterminées par le signe du poisson. Les oiseaux ont été séparés suivant ceux qui volent, ceux qui restent à terre et ceux qui ne font que passer au cours de leur migration. La vermine regroupe les insectes. Quant aux animaux terrestres, la séparation concerne d’un côté ceux qui sont près du sol, comme les vers, les grenouilles ou les serpents, et de l’autre ceux campés sur leurs hautes pattes. Ces deux “classes” sont elles-mêmes subdivisées en grandes et petites bêtes.

Insolites familles d’animaux Les rapports de fouilles qui se sont attardés sur les momies animales découvertes lors des prospections et les études spécifiques réalisées dans des laboratoires n’ont pu que constater l’abondance de cas étranges. Cependant, si des rapprochements entre divers animaux révèlent que certains avaient été rassemblés au sein d’une même famille, nous ne pouvons pas connaître l’étendue de la taxonomie mise au point par les Égyptiens. En effet, ne sont concernés que les animaux liés à des divinités et momifiés en leur honneur. Toutes les autres bêtes devaient appartenir à des familles, mais nous ne pouvons pas soupçonner lesquelles. On pense ainsi aux insectes, alors que pratiquement seuls les scarabées ont été l’objet de soins particuliers. À leur propos, on ne peut pas parler de momification, ces insectes coprophages ayant été, semblet-il, simplement desséchés. Si nous n’avons rien sur les bovidés – et ceux-ci étaient assez nombreux dans le pays pour fournir les sujets devant ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie RECHERCHE - Égyptologie Taxinomie Primatologie Herpétologie Ichtyologie 62 peupler les nécropoles –, il existe quelques témoignages concernant les gazelles et certains caprinés. Au sud d’Esna, le site de Kom Mereh a livré, dans une chambre du temple ainsi que dans des tombeaux situés à 3 km au sud du village, des gazelles Gazella dorcas et sa sous-espèce isabella, ainsi que quelques corps de mouflons à manchettes (un capriné), sans que l’on puisse totalement expliquer la présence de ces derniers, qui paraissent avoir été plus liés au bélier… à moins que les gazelles et les caprinés n’aient appartenu au même ensemble pour les habitants de la vallée du Nil. Plusieurs exemples datés du Nouvel Empire pourraient indiquer qu’une taxonomie a été mise en place avant la

Basse Époque. Des ostraca* découverts à Deir-el-Medineh présentent le dieu Amon de Thèbes sous forme animale. Or, à la place du bélier, l’artiste a dessiné un mouflon à manchettes, accompagné à chaque fois d’une légende différente, comme “le ba* vivant d’Amon-Rê, roi des dieux”. Un exemple particulier concerne le bélier de la ville de Mendès dans le Delta. Il est possible, à travers des témoignages d’auteurs classiques, de supposer que les membres de la sous-famille des Caprinae (à laquelle appartiennent les moutons et les chèvres, et dont seuls les mâles ont été préservés), aient été réunis dans un même groupe pour les Égyptiens. En effet, Hérodote, par exemple, mentionne que “les Mendésiens vénèrent tous les animaux de l’espèce caprine et, plus que les femelles, les mâles, pour qui les chevriers ont plus de considération ; il en est un qu’ils vénèrent entre tous ; lorsqu’il vient à mourir, c’est un grand deuil dans tout le nome* mendésien” (Livre II, Euterpe, 46, traduction de P. E. Legrand). Or, sur les documents égyptiens, notamment la stèle de Ptolémée II, figure un bélier, l’Ovis platyura aegyptiaca, coiffé de deux paires de cornes, les siennes plus celles, horizontales et torsadées, d’une race de bélier disparue depuis longtemps au moment de la confection du monument, l’Ovis longipes palaeoaegyptiacus. Il n’y a qu’une exception recensée dans cette iconographie, une drachme du nome mendésien frappée en 144-145, sous le règne de Marc-Aurèle, qui porte au revers un Harpocrate* (?) tenant dans la main ESPÈCES №1 - Septembre 2011

Momies de poissons, période romaine (30 av. - 337 apr. J.-C.) Esna ? (cliché Musée des Confluences -Département du Rhône/P. Ageneau).

Ci-dessus, momie de musaraigne et, en haut de la page suivante, corps d’une autre musaraigne momifiée. Fin de la Basse Epoque (?), vers 350 av. J.-C., site d’Abou Rawash, nécropole “F” de Rêdjedef (clichés A. Charron).


Climatologie Entomologie Écologie Physiologie - Les momies d’animaux Océanographie O 63 figurées également sous une forme léonine. Alain Zivie a découvert, sur le site du Bubasteion de Saqqarah, la momie d’un lion, un grand mâle adulte ayant vécu en captivité. Le rapprochement entre les deux félins, attesté par la religion, est donc corroboré par une découverte archéologique. Mais il n’est pas le seul : des restes de servals (Felis serval) ont été occasionnellement placés avec des chats. En revanche, aucun autre félin n’a été trouvé pour l’instant, on pense notamment aux léopards et aux guépards dont la peau pouvait être revêtue par les prêtres. Les chiens n’étaient pas seuls dans certains cimetières. Lycopolis, la ville du loup, nom donné par les Grecs à

gauche un bouc. En revanche, les notices géographiques d’Edfou et l’Encyclopédie sacerdotale conservées sur un papyrus de Tebtynis indiquent, dans une liste de nomes, que la “chèvre mâle” était taboue à Mendès. Il faudrait maintenant pouvoir analyser les ossements mis au jour dans le cimetière de cette ville afin de savoir si les deux espèces étaient représentées ou si le bouc a pris la place du bélier à une date restant à déterminer.

Du babouin disparu à la musaraigne au nez pointu Deux espèces de cynocéphales ont été momifiées en l’honneur de Thot : le Papio hamadryas, considéré comme l’animal du dieu et le Papio anubis (ou babouin olive). Il faut signaler qu’à la Basse Époque, le babouin avait complètement disparu du pays et les exemplaires vivants étaient soit nés en captivité, soit apportés depuis des contrées plus méridionales. Cependant, diverses nécropoles, notamment à Thèbes et à Saqqarah, ont livré d’autres singes, surtout des singes verts (des cercopithèques), mais également, dans ce dernier lieu, des magots (singes sans queue du genre macaque). Le chat est un animal dont on a trouvé des momies en nombre considérable dans plusieurs nécropoles. Les plus fameuses sont celles de Bubastis, dans le delta, de Saqqarah, dévolues à Bastet, et du Speos Artemidos, en Moyenne Égypte, consacrée à Pakhet, des déesses dangereuses

l’ancienne Assiout, a livré également des chacals et des renards placés là en l’honneur du dieu Oupouaout, figuré traditionnellement sous la forme d’un grand canidé noir. Pourtant, l’animal du dieu est généralement le Canis lupaster dont la livrée est ocre jaune, couleur plus naturelle pour un animal du désert. Les derniers mammifères pour lesquels nous avons des parentés intéressantes sont les musaraignes. À Abou Rawash, au nord de Gizeh, ces dernières années, nous avons pu étudier plus d’un millier de momies de ces insectivores et il faut compter au moins autant de crânes isolés ramassés lors des fouilles. L’étude de ces derniers a permis de mettre en exergue au moins quatre espèces, différentes notamment par la taille, alors qu’il est fort probable que les Égyptiens n’ont pas fait la distinction entre les variétés présentes sur le sol égyptien. Nous avons également pu identifier, accompagnant ces petits insectivores, des rats et des souris. Des restes de ces rongeurs – qui ne pouvaient en aucune manière être confondus avec les musaraignes au nez pointu – portent des traces de momification, quand ils ne sont pas encore pris dans de la résine noire. Les anciens Égyptiens devaient placer ces animaux dans une même catégorie.

Des origines souterraines et subaquatiques Les serpents étaient parfois mêlés dans une même nécropole : à Kôm Ombo, notamment, des momies de cobras Naja haje côtoyaient des colubridés non spécifiés. En revanche, ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie RECHERCHE - Égyptologie Taxinomie Primatologie Herpétologie Ichtyologie 64 à Thèbes, c’est de nécropoles différentes que proviennent des couleuvres et des vipères cérastes. Nous n’avons que très peu d’éléments concernant ces reptiles car les études d’identification sont rares. À Lisht, dans le Fayoum, des maisons et des silos en briques crues ont été mis au jour sur le côté nord de la pyramide d’Amenemhat 1er. Dans ces derniers, une centaine de jarres a livré des lézards et des varans du Nil. Les deux espèces correspondaient sans doute à une même famille. À proximité de ces silos, de petites fosses ont fourni des poteries grossières contenant des cendres et des ossements de lézards et de serpents. Ces animaux paraissent avoir été traités fréquemment ensemble. Sans doute faut-il penser à un rapprochement entre animaux vivant sous la terre. Le cas des poissons est plus facile à traiter, il semble bien qu’ils ont été regroupés dans un même ensemble des animaux vivant dans l’eau. Dès l’Ancien Empire, on trouve dans divers mastabas (et notamment le tombeau de Ti à Saqqarah) des reliefs de scènes nilotiques où de nombreux poissons ont été figurés et souvent identifiés par les savants modernes. Des momies de poissons ont été trouvées en grand nombre, mais rarement étudiées. Il est ainsi très difficile de savoir si plusieurs espèces ont occupé la même nécropole que l’on considère généralement comme “spécialisée”. À Esna, on ne mentionne ainsi que la perche du Nil, Lates niloticus, poisson de la déesse Neith. Cependant, d’autres sites ont livré divers spécimens : à Gourob, dans le Fayoum, ce sont quatre espèces qui ont été identifiées (Bagrus docmac, Clarias lazera, Lates niloticus et Synodontis schal).

Des momies d’oiseaux par millions En ce qui concerne les oiseaux, seules quelques espèces étaient normalement concernées : essentiellement le faucon du dieu Horus, l’ibis de Thot et le vautour de Nekhbet.

Tous les oiseaux de proie du ciel Louis Lortet et Claude Gaillard ont étudié plus de cinq cents momies de rapaces. Au lieu de trouver systématiquement un faucon, ils ont mis en évidence pratiquement tous les oiseaux de proie vivant dans la vallée du Nil, y compris des rapaces nocturnes. Tous ces rapaces, après leur mort, étaient momifiés et recouverts de bandelettes qui leur donnaient simplement “l’air” d’oiseaux de proie. Certains ne sont représentés que par un seul spécimen, mais d’autres genres sont abondamment représentés : cinquantedeux éperviers d’Europe (Accipiter nisus), quarante-deux milans (Milvus aegyptius), soixante-et-onze buses (Buteo desertorum, Buteo rufinus et Buteo buteo), vingt-sept aigles (Aquila clanga) ainsi que trente-trois faucons (Falco pelegrinoides babylonicus et Falco tanypterus), quatre-vingt-onze faucons crécerelles (Cerchneis (ou Falco) tinnunculus). En revanche, il n’y avait pas un seul Falco peregrinus, le faucon pèlerin, qui représenterait Horus. Cependant, nous ne sommes toujours pas sûrs de l’espèce exacte qui incarnait Horus. Si le faucon pèlerin est celui qui depuis longtemps a la préférence, un autre candidat pourrait être retenu : le faucon lanier (Falco biarmicus).

Des dieux finalement indulgents Les momies d’animaux n’apportent malheureusement pas de réponses à toutes les questions de taxonomie des espèces animales. Mais une étude plus poussée des nécropoles et de leurs occupants permettrait certainement de proposer de nouveaux liens. Actuellement, nous n’avons pas de certitudes à proposer pour comprendre ce qui a poussé les Égyptiens à organiser la faune de leur pays. Mais de nombreux écrits concernant d’autres domaines (et notamment le traité d’ophiologie cité plus haut) montrent que les Égyptiens avaient une propension au classement. En revanche, la méthode retenue n’a pas l’aspect scientifique de nos taxonomies modernes : elle résulte sans doute de l’observation des animaux, de leurs ressemblances physiques, de leur mode de vie ou du milieu dans lequel ils évoluaient, mais d’une façon empirique. En ce qui concerne les croyances, les dévots et le personnel des temples devaient savoir que tous les animaux emmaillotés ne correspondaient pas toujours à l’image exacte de la divinité… mais l’offrande était recevable car l’animal choisi appartenait à la même famille que celui élu par la divinité et avait bénéficié de rites qui, en le sacralisant, le rendaient efficient.  ESPÈCES №1 - Septembre 2011

Momie de crocodile, période gréco-romaine (332 av. J.-C. - 337 apr. J.-C.), Kom Ombo, Lortet (cliché Musée des Confluences -Département du Rhône/P. Ageneau).

Glossaire Ba : une partie spirituelle d’un individu ou d’une divinité. Trop hâtivement traduit par le mot français “âme”, il peut apparaître indépendamment de son support physique, c’est ainsi qu’un animal pouvait être le ba d’un dieu. Harpocrate : littéralement “Horus l’enfant”, le dieu juvénile est le fruit de l’union posthume d’Osiris et d’Isis. Il est figuré nu et est reconnaissable à la mèche de cheveux et au doigt porté à la bouche qui symbolisent l’enfance. Ce dernier geste a été mal interprété par les auteurs grecs et latins comme un symbole de discrétion et de silence. Nome : circonscription administrative dirigée par un nomarque. Le nome mendésien était situé au nord-est du Delta. Ostracon (ou ostrakon ; pl. ostraca ou ostraka). Fragments de calcaire ou tessons de terre cuite dont l’usage remonte à l’Ancien Empire et sur lesquels furent inscrits des reçus, des registres, des comptes, des listes ou des lettres et même des copies d’œuvres littéraires et des dessins.


Climatologie Entomologie Écologie Physiologie - Les momies d’animaux Océanographie O 65 Le rapace dans une cage dorée Il est intéressant de voir que l’un des principaux sites où était adoré le dieu Horus, Edfou, renommé pour son temple d’époque ptolémaïque, conservait, à côté de la statue de culte, un rapace vivant dans un bâtiment situé en avant du premier pylône du temple. Lors de la fête du 1er Tybi (premier mois de la saison Peret, l’hiver), l’oiseau était désigné par le dieu, par l’intermédiaire de sa statue, en un mouvement d’approche de la litière, les porteurs étant mus par une force surnaturelle. Le dieu choisissait son représentant, un oiseau vivant parmi plusieurs rapaces au plumage moucheté – sans que nous ne sachions s’il s’agissait obligatoirement d’un faucon – et l’oiseau choisi devenait un ba* du dieu pour une année ; il était placé sur un perchoir, puis était présenté et protégé par la divinité. Dans ce lieu, considéré comme le palais royal, le dieu et le faucon vivant apparaissaient dans “la loge de couronnement” puis, ce dernier était exhibé sous la protection de la divinité. Le rapace vivant d’Edfou était appelé, entre autres noms, le faucon, le grand faucon, le faucon vivant ou la bête sacrée d’Harakhty. Cependant, les oiseaux présentés devant la statue divine ne portent alors pas le nom de faucon, mais il leur est appliqué le terme drty qui désigne un rapace (mais également Horus) sans qu’il soit possible d’identifier l’espèce exacte.

momies a porté sur d’autres oiseaux ayant des spécificités assez proches de celles des ibis : flamants, cormorans, hérons, spatules et cigognes. Il y a cependant assez peu de ces oiseaux, car l’ibis, qui a maintenant disparu du pays, pullulait alors. Strabon rapporte ainsi : “l’ibis, quant à lui, est le plus apprivoisé de tous les oiseaux. Il a la forme et la taille de la cigogne mais présente deux types distincts par la couleur : l’un a la couleur de la cigogne, l’autre est entièrement noir. Tous les carrefours d’Alexandrie sont pleins de ces oiseaux utiles sous certains rapports mais inutiles à d’autres” (traduction P. Charvet, in Jean Yoyotte, Pascal Charvet, Stéphane Gompertz, Strabon, Le voyage en Égypte, Paris, 1997, p. 203). De la tombe 120 d’Elkab furent retirés des ossements de divers animaux, mais essentiellement de vautours. L’étude des restes publiée par Achilles Gautier et Stan Hendrickx a recensé, parmi d’autres oiseaux dont la présence est encore à comprendre, trentequatre vautours fauves (Gyps fulvus) et deux vautours percnoptères d’Égypte (Neophron percnopterus). Avec ces deux espèces – dont la première a prêté ses traits à la déesse de la cité, Nekhbet –, figurent huit spécimens de pygargues vocifères (Haliaeetus vocifer). Ce rapace habituellement piscivore ne dédaigne pas les charognes et sa physionomie le rapproche des vautours ; du coup, il est possible que sa présence soit comprise comme un rapprochement d’espèces.

L’ibis, grand favori des embaumeurs, et le vautour L’autre oiseau très fréquemment rencontré est l’ibis. Il est même l’animal qui a été le plus momifié dans la vallée du Nil : des centaines de milliers d’exemplaires, voire quelques millions. On compte des ibis noirs (Plegadis falcinellus) en nombre important, tant à Saqqarah qu’à Tounah-el-Gebel, mais encore plus d’ibis sacrés (Threskiornis aethiopicus), l’oiseau de Thot. Par ailleurs, l’étude des

>C harron A. 2003 - “Taxonomie des espèces animales dans l’Égypte gréco-romaine”, Bulletin de la société française d’égyptologie, 156, mars 2003, p. 7-19 >C harron A. (dir.) 2002 - La mort n’est pas une fin, pratiques funéraires en Égypte d’Alexandre à Cléopâtre, catalogue, Arles. >D unand F. et Lichtenberg R., avec la collaboration d’A. Charron, 2005 - Des animaux et des hommes : une symbiose égyptienne, Éditions du Rocher, Monaco.

Les chauves-souris, qui appartiennent au règne des mammifères, paraissent avoir été confondues avec les oiseaux, peut-être simplement parce qu’il s’agit d’un animal volant. Nous ne connaissons actuellement qu’un seul exemple de momie contenant cinq chauves-souris associées à un hibou démembré ; elle a été trouvée à Dashour, dans un corridor de la pyramide rhomboïdale.

>G autier A. et Hendrickx S. 1999 - “Vultures and other Animals Remains from a Tomb in the Elkab Necropolis, Upper Egypt : an Exercice in Salvage Archaeozoology”, Historia Animalium Ex Ossibus, Rahden, p. 161-178. >M alaise M. 1987 - “La perception du monde animal dans l’Égypte ancienne”, Anthropozoologica, 7, p. 28-48. >V ernus P. et Yoyotte J. 2005 - Bestiaire des pharaons, Perrin, Paris.

ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie Muséums Mammalogie Archéozoologie Paléontologie Systématique Minéralogie 76

L’étonnante odyssée des iguanodons de

BRUXELLES

Le Muséum des Sciences naturelles de Belgique

Le Muséum des Sciences naturelles à Bruxelles reçoit 300 000 visiteurs chaque année. La plupart viennent découvrir ce que les chercheurs nomment un “trésor national”. Les 29 fossiles d’iguanodons, exhumés de la mine de Bernissart, en Wallonie, en 1878. par Julien Balboni Journaliste

Louis De Pauw, préparateur au Muséum, et son équipe ont mis trois ans à dégager les fossiles de Bernissart. 130 années plus tard, le Muséum des Sciences naturelles de Belgique lui doit une partie de sa notoriété (cliché Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, Th. Hubin).

ESPÈCES №1 - Septembre 2011

L

eur découverte a engendré la construction d’un nouveau musée. Qui peut en dire autant dans le monde ? Si le Muséum des Sciences naturelles de Bruxelles maintient une telle réputation, c’est probablement grâce à sa collection de fossiles d’iguanodons unique au monde. Elle compte, en plus de quelques spécimens fragmentaires, vingt-deux squelettes complets dont neuf montés. Et tous sont exposés dans la Galerie des Dinosaures. Tout débute en 1878. À 322 mètres de profondeur, un groupe de mineurs de Bernissart, à la frontière franco-belge, suit la trace d’une veine de charbon. Les ouvriers butent sur une poche d’argile et aperçoivent, encastrée dans le minerai, une lueur jaune. De l’or ? Les mineurs se frottent les mains et remontent quelques échantillons. À l’air libre, l’ingénieur principal se

rend compte que le précieux métal doré n’est “que” de la pyrite. Mais celle-ci émerge de ce qui semble être un os de grande taille. Mieux que de l’or : une mine de fossiles. L’ingénieur envoie rapidement un télégramme à Bruxelles, afin d’avertir les autorités scientifiques. Louis De Pauw, préparateur au Musée d’Histoire naturelle, prend la direction des opérations, descend dans la mine, et se rend compte du caractère exceptionnel de la découverte : ce sont des dizaines d’ossements qui se trouvent à portée de main. Les travaux, titanesques, peuvent débuter.

130 tonnes de fossiles à Bernissart Durant trois ans, Louis De Pauw et son équipe dégagent les fossiles. Au fur et à mesure, ceux-ci sont repris


Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - Bruxelles Océanographie Systématique 77 sur un plan d’ensemble, partagés en blocs de 0,5 à 2 m de long et, pour les protéger lors du transport, sont plâtrés (une technique qui est toujours utilisée aujourd’hui). Le matériel est alors remonté à la surface, pièce par pièce. 600 blocs et 130 tonnes de fossiles sont ainsi exhumés dans des conditions dantesques (effondrements, inondations, etc.). En 1881, les fouilles prennent définitivement fin. Vient le temps de la science. Jusqu’alors, on n’avait découvert qu’un seul exemplaire de dinosaure relativement complet : l’hadrosaure du New Jersey, aux États-Unis. Subitement, ce sont ainsi une trentaine d’Iguanodon bernissartensis, pour la plupart complets et encore articulés, et un Iguanodon atherfieldensis, plus petit, qui sont mis au jour. Parallèlement, des milliers d’autres fossiles, animaux et végétaux ont été retrouvés, permettant de reconstituer l’écosystème. En trois ans, les fouilles mirent au jour environ 3 000 poissons, une

salamandre, des tortues d’eau douce, quatre crocodiles, un fragment d’aile de cigale, et même une phalange de dinosaure carnivore. Enfin, de nombreux fossiles de bois, de plantes et de fougères ont été découverts de cette manière. Tout un petit monde figé dans le temps et découvert 125 millions d’années plus tard. Les iguanodons faisaient-ils partie d’un même troupeau ? L’idée, séduisante sur le papier, a été battue en brèche au fil des années. Car les dinosaures ont probablement trouvé la mort les uns après les autres. En effet, les squelettes ont été retrouvés dans des couches d’argile distinctes. Au Crétacé inférieur, la région de Bernissart était une plaine basse marécageuse. Après leur mort, sous l’effet de la gravité, les corps des iguanodons ont dérivé jusqu’au point le plus bas du marécage pour s’y entasser. Ce sont ces couches d’argile qui ont protégé les restes des dinosaures, empêchant leurs squelettes de se briser et de se disperser.

Camille Pisani, directrice du Muséum des Sciences naturelles de Belgique.


iologie Muséums Mammalogie 78 Pascaline Lauters, paléontologue : “Tous les Bruxellois sont venus visiter le Muséum une fois dans leur vie”.

La première galerie d’Europe C’est ainsi qu’un nouveau lieu où entreposer cet étonnant matériel est à trouver. La découverte motive le gouvernement à envisager l’extension du vieux Musée d’Histoire naturelle, pourtant tout juste transféré du palais d’Orange-Nassau vers le parc Léopold. Une nouvelle aile est construite pour l’occasion. Elle ouvrira ses portes en 1905. “Je vous avais dit que notre musée était trop petit”, sourira Edouard Dupont, le directeur

L’apport de nouvelles découvertes Le Muséum des Sciences naturelles n’est pas qu’un conservatoire ou un lieu d’exposition : il continue à œuvrer dans l’actualité scientifique. Ses paléontologues ont ainsi travaillé sur plusieurs gisements européens et asiatiques au cours de ces dernières années. Ainsi, en 2001, le Muséum et l’Amur KNII de Blagoveschensk organisent des fouilles à Kundur (Russie) et y découvrent notamment le squelette complet d’un nouveau genre d’hadrosaure, Olorotitan, datant du Crétacé supérieur. La crête de ce dinosaure “à bec de canard” devait, selon les chercheurs, servir de caisse de résonance à ses cris. Plus tôt, de 1995 à 2001, le Muséum et le Musée de Mongolie intérieure ont entrepris six campagnes de fouilles dans le nord de la Chine et en Mongolie inférieure, sur les sites de Bayan Mandahu et Erenhot. Ces recherches ont permis de découvrir des spécimens de Protoceratops (un cératopsien), Pinacosaurus (un ankylosaure) et Bactrosaurus (un hadrosaure primitif). Ces découvertes dans une zone jusqu’alors peu explorée permettent de mieux appréhender la biodiversité des dinosaures juste avant leur extinction.

de l’époque, en s’adressant aux autorités. En attendant, en 1882, le premier spécimen découvert est monté dans la position que l’on imaginait alors, celle du bipède. Aujourd’hui les scientifiques s’accordent à penser que qu’Iguanodon marchait à quatre pattes et courait sur deux. Cette découverte connaît un tel retentissement qu’elle attire l’attention du voisin français, bien déçu de voir un tel trésor exhumé à quelques kilomètres seulement de ses frontières. La France essaiera bien de convaincre la Belgique de lui céder un exemplaire contre monnaie sonnante et trébuchante. Sans succès. Près de 130 ans plus tard, le Muséum des Sciences naturelles de Bruxelles vit une nouvelle jeunesse. L’aile des dinosaures a été entièrement repensée en 2007 et remporte désormais un franc succès auprès du grand public. “Nous sommes dans le top 10 mondial des muséums en termes de collections : 37 millions de spécimens, dont près de 2 millions de matériel paléontologique. Et nous avons la plus grande galerie de dinosaures d’Europe”, assure la directrice, Camille Pisani, physicienne venue à l’histoire naturelle par le musée. “Et si nous ne sommes pas le seul muséum à avoir des dinosaures entiers, nous sommes certainement le seul à posséder un troupeau. C’est l’héritage de l’industrie minière”, sourit-elle.

intéressant rassemblement de minéraux, mais aussi de nouvelles salles qui délaissent l’approche systématique au profit d’une approche globale des relations entre les différentes espèces et leur milieu, comme en témoigne notamment BiodiverCITY, la nouvelle galerie sur la biodiversité en ville. Aujourd’hui, le Muséum se veut à la fois pédagogique (de nombreuses activités pour les enfants) et pointu. Au point d’être devenu un point de rassemblement national. “Tous les Bruxellois sont venus visiter le musée une fois dans leur vie”, assure la jeune paléontologue Pascaline Lauters, qui réalise une thèse sur le cerveau des dinosaures. Ainsi, 85 % des visiteurs sont belges. Et 30 % sont des scolaires. Ce qui laisse une importante marge de progression. “Notre notoriété à l’étranger n’est pas encore optimale. Nous allons devoir y travailler. Même si ce n’est pas notre seul objectif ”, complète Camille Pisani. En effet, le musée en lui-même n’est que la partie émergée de l’iceberg. Avec 150 scientifiques qui lui sont attachés et divers mandats officiels pour représenter la Belgique en matière de conventions internationales dans son domaine, le Muséum des Sciences naturelles est incontournable. 

Une aile flambant neuve

Pratique

Les iguanodons sont bel et bien la locomotive d’un muséum qui recèle de nombreuses surprises par ailleurs. Une vaste collection d’animaux contemporains naturalisés, de superbes ossements de baleines, un

Muséum des Sciences naturelles, 29 rue Vautier, 1 000 Bruxelles, Belgique. Ouvert de 9 h 30 à 17 heures du mardi au vendredi et de 10 heures à 18 heures les week-ends et lors des vacances scolaires belges. www.sciencesnaturelles.be Tél. : 00 32 (0)2 627 42 38


Entomologie Climatologie Ornithologie Paléontologie

À voir Ichtyologie Systématiqu 79

À voir Au fil des araignées

Paris, 5 octobre 2011 - 2 juillet 2012

L

e Muséum national d’Histoire naturelle de Paris propose jusqu’à l’été prochain une exposition dont l’objectif clairement affirmé est de “combattre les clichés” sur les araignées (non ! ce ne sont pas des insectes). Lourde tâche, mais l’on craint que ce que l’on ne connaît pas, ou mal. L’exposition prend le mal à sa base, cherchant l’origine de cette peur ancestrale et consacrant des espaces définis signalés “zones sensibles” présentant, entre autres, des films de fiction terrifiants. Vous trouverez, en regard, les vérités scientifiques qui mettent à mal ces images d’Épinal : origine, écologie et surprenantes caractéristiques et diversité des arachnides. Jardin des plantes, Grande galerie de l’évolution, 36 rue Geoffroy-Saint-Hilaire, 75005 Paris, Tél. 01 40 79 56 01 http://araignees.mnhn.fr

“Faites” de la science

Dans toute la France, 12-16 octobre 2011

L

es milliers de manifestations qui auront lieu dans toute la France à l’occasion de la désormais institutionnelle Fête de la science s’articulent autour des trois thèmes “annuels” chauve-souris, forêts et chimie (et toujours biodiversité). Pour découvrir les animations proposées dans votre région : Rendez-vous sur le site (rénové) www.fetedelascience.fr

Océanopolis

Brest, exposition permanente

O

céanopolis Brest, qui a fêté ses vingt ans d’existence l’année dernière, a ouvert un nouvel espace entièrement consacré à la biodiversité marine. S’y tient désormais l’exposition qui réunit fossiles, reconstitutions, images de synthèse, jeux interactifs, films, animations… et vous mènent à comprendre de façon ludique comment les océans sont à l’origine de la vie et combien elle s’est diversifiée dans ce riche écosystème. Océanopolis dispose déjà de trois pavillons (tropical, polaire et tempéré) sur 8700 m 2 d’espace de visite. Port de plaisance Moulin Blanc 29 200 Brest / Tel : 02 98 34 40 40 www.oceanopolis.com ESPÈCES №1 - Septembre 2011


iologie À lire Mammalogie Botanique Ichtyologie Systématique Ichtyologie Primatologie 80

Aux origines de l’environnement

Des chiens et des humains

A

V

Pierre-Henri Gouyon & Hélène Leriche (dir.) Fayard, 2010

Dominique Guillo Le Pommier, 2009

À lire Chaque trimestre, nous vous proposerons une sélection de sorties récentes… mais nous y glisserons aussi quelques références qui ne le sont pas, de ces livres dont on connaît parfaitement l’emplacement dans le désordre de notre bibliothèque. Un choix bien entendu tout à fait subjectif (et assumé).

près le cerveau, les plantes, les langues, l’art ou l’humanité, la collection Fayard “Aux origines de…” s’enrichit d’un nouveau titre, cette fois consacré à l’environnement. Les “origines” sont pourtant loin d’être le seul thème abordé par ce livre, qui réunit 35 auteurs, tous scientifiques, spécialisés dans des domaines aussi variés que l’écologie, l’agronomie, l’astrophysique, l’économie, la philosophie… et qui proposent autant les bases de ce que l’on doit savoir sur les climats et les origines de la vie qu’une réflexion et une projection sur leur avenir (et le nôtre). Un point de vue diachronique et pluridisciplinaire, offrant non seulement un état des recherches les plus récentes qu’un point sur les mutations qu’à subi (et que doit amorcer) notre société dans son rapport au monde. Il est impossible, dans le cadre de ces quelques lignes, de rentrer dans le détail de ce livre au contenu (et à l’illustration) de grande qualité ; sachez que, quelle que soit la question que vous posez sur les sols, la biodiversité, la vie sur les autres planètes, notre rapport à la nature, la génétique ou les agriculteurs, la réponse est dedans. Indispensable donc. 500 pages – 48,90 €

ESPÈCES №1 - Septembre 2011

ous aimez votre chien ? Ne culpabilisez plus. Vous n’êtes pas un irrécupérable asocial. Vous vous faites manipuler et ce, depuis au moins 30 000 ans. J’exagère à peine. Dominique Guillo, chercheur au CNRS (anthropologue, sociologue et historien des sciences), a une approche tout à fait unique des rapports entre Canis familiaris et Homo sapiens. D’abord parce que son étude est véritablement transdisciplinaire : éthologie, paléontologie, sociologie… En passant en revue les études passées et récentes, D. Guillo construit un solide argumentaire qui écorche au passage bon nombre d’idées reçues. Il redonne à l’animal sa véritable place : un chien n’est qu’un chien, certes, mais sa présence (grandissante) auprès de nous n’est-elle que le produit de notre seule volonté ? N’aurions-nous pas été aussi un peu domestiqué par lui ? Et non, votre Shar-Peï ne descend pas en droite ligne des compagnons des empereurs de la dynastie Han, même si vous l’avez payé très cher. Pour comprendre ce qui fait du chien un animal qui n’a aucun équivalent dans son rapport avec l’homme, faites confiance à D. Guillo qui, lui aussi, aime son chien.

320 pages – 22 €


Entomologie Climatologie Ornithologie Paléontologie Guide critique de l’évolution

À lire Ichtyologie Systématiqu 81

Des oursins et des hommes

La vie est belle,

Les surprises de l’évolution Sephen Jay Gould Le seuil - 2004

Où l’on découvre des liens insoupçonnés entre la mer et nous

Martin Wells Le Pommier - 2009

Sous la direction de Guillaume Lecointre Belin - 2009

P

ar le plus grand des hasards, ce livre a un rapport avec l’auteur du précédent. Après les chiens, D. Guillo s’est occupé des Français dans Ni Dieu, ni Darwin, les Français et l’évolution, qui fait un point sur ce que nous savons sur l’évolution, nous Français, les plus darwiniens du monde. Et bien le résultat est étonnant, il traîne dans les esprits de l’Hexagone de bien vieilles idées et bon nombre d’entre nous n’ont fait que remplacer “Dieu” par “la Nature”. “C’est un peu court” et les 600 pages du livre dirigé par Guillaume Lecointre, directeur du département systématique et évolution du MNHN, le prouvent. Une véritable somme qui explique dans le détail la théorie de l’évolution de sa genèse à ses développements les plus récents, émaillée de nombreux exemples didactiques, extraits de textes, définitions précises de ces termes dont nous croyons connaître le sens : dérive génétique, adaptation… Nous vous recommandons le chapitre V, Concepts flous et idées fausses, chers compatriotes, car il faut réagir. 576 pages – 35 €

S.

J. Gould dédicace son livre à Norman D. Newell, professeur de géologie à l’université de Columbia, “mon maître”. Je n’ai pas peur de lui retourner ce titre tant S. J. Gould est un véritable génie de la vulgarisation scientifique (autant qu’un grand scientifique, mais d’autres sont mieux placés que moi pour en juger). En ouvrant La vie est belle, on peut être saisi par une certaine angoisse : schémas techniques, bestioles improbables, portraits d’austères scientifiques en col dur… et pourtant, à partir l’histoire de la découverte et de la réinterprétation d’un gisement de fossiles (le schiste de Burgess), S. J. Gould vous embarque dans véritable roman. Mais attention, il vous manipule : pour connaître la suite de l’histoire, vous vous intéresserez à des animaux vieux de 500 millions d’années, aux mécanismes de la recherche, et vous apprendrez sans même vous en apercevoir : “Oh ! bien sûr, vous pouvez sauter les passages portant sur les descriptions anatomiques, et néanmoins parfaitement capter le message global du livre […] mais, je vous en prie, ne le faites pas, car sinon vous ne vous rendez jamais compte à quel point le ‘drame de Burgess’ est passionnant et beau.” 480 pages – 8,5 €

I

l faudra finir par l’admettre : les chercheurs britanniques n’ont pas leur pareil lorsqu’il s’agit de faire partager leur passion pour leur discipline. Martin Wells est de ceux-là ! Professeur de biologie à Cambridge, il nous offre un petit bijou d’humour et de curiosité. Émaillant ses histoires d’anecdotes personnelles, il s’observe observer la nature avec grande érudition et ce regard amusé sur soi-même dont on a fait, outre-Manche, une philosophie de vie ! “[…] car un dauphin qui recherche la compagnie des hommes doit être sans nul doute un scientifique ou quelque autre asocial incapable de bien s’entendre avec ses semblables ; j’utilise le masculin car ces individus solitaires sont presque toujours des mâles, ce qui doit bien signifier quelque chose.” Vous vous surprendrez à vous passionner pour la vie trépidante de la bernique et, comme il le développe à la fin de l’ouvrage, vous comprendrez que si la science doit servir à quelque chose, c’est d’abord à ne pas s’ennuyer. Ces petites chroniques naturalistes enrichies de ses réflexions sur la faune autant que sur ses collègues, nous emmènent loin des habituelles compilations naturalistes qui font actuellement florès. 288 pages – 8,5 € ESPÈCES №1 - Septembre 2011


Revue d’histoire naturelle Compléments d’articles, infos et achat en ligne sur www.especes.org La création de cette nouvelle revue doit beaucoup au travail bénévole des membres de l’association et des scientifiques qui la soutiennent, tous fermement convaincus de l’importance de la diffusion des sciences. Plusieurs personnalités de la recherche ont rejoint notre conseil scientifique, dont Yves Coppens et Gilles Boeuf (président du Muséum national d’histoire naturelle). Le contenu d’Espèces est principalement assuré par les scientifiques, mais vous y trouverez aussi des reportages, une riche illustration, des interviews et des actualités. Nous ne ménagerons pas nos efforts pour satisfaire votre curiosité, provoquer votre étonnement ou votre admiration pour le monde qui nous entoure.

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Makis de Mayotte ■ Expéditions scientifiques ■ Îles Éparses ■ Chauves-souris ■ Palmier nain ■ Animaux momifiés

Septembre 2011

Revue d’histoire naturelle

Zoologie Botanique Géologie Entomologie Ornithologie Ichtyologie Océanographie Systématique Herpétolo

Géophysique Climatologie Paléontologie Épistémologie Malacologie Primatologie O

Génétique Arachnologie Éthologie Mammalogie Systématique

Zoologie Botanique

À peine découvertes, déjà menacées Biodiversité en outre-mer… et ailleurs

L 15519 - 1 - F: 7,50 € - RD

ESPÈCES №1 - Septembre 2011 - Biodiversité en outre-mer… et ailleurs

ES

pèces

№1

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Rencontre : G. Boeuf /Y. Coppens, frères de sciences Mayotte : Des lémuriens en danger de mort Enquête : À quoi servent les expéditions scientifiques ? France : Chauves-souris victimes de la route Égypte : Animaux momifiés Méditerranée : Le palmier nain traque le réchauffement

DOM/S : 7,90€ - CAL/S : 1200 CFP – POL/S : 1250 CFP

Climatologie Minéralogie Ornithologie Ichtyologie Mycol


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