Standard n°3

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...........MATIERES............................................................................................................ ...........................................................................................JUILLET / AOUT 2003...........

ARGENT économie - habitat 08 STREET ECONOMIE RE-MARQUE 10 marquetiques anonymes fooding : le mot interdit 12 détaxe les meilleurs produits à l’exportation 14 FICHES VILLE MEXICO

RAYON- X interviews - analyses 20 EST-CE QUE COMME ? TONY WILSON 21 QCM Philippe Katerine 22 Icônes MATT GROENING 24 LLOYD KAUFMAN 30 scanner le sordide dans le show-biz

EAU ET GAZ débats BRUTES sorties du mois 112 livres musique art cinema multimedia REALITE

OR mo d e 58 70 80 90 94 106

woodland blues RONAN MEROT amelie KT AULETA PORTRAITS DE NUIT SCHOHAJA MR PINE-UP ARMELLE SIMON PAYSAGES NOCTURNES PHILIPPE MUNDA Vous n’aimez pas la mer, VOUS N’AIMEZ PAS... ADRIAN PARFENE

36 RENDEZ - MOI MON CONCEPT la contrainte 38 haut / bas DAMALI AYO 40 ça chauffe L’art biotech ESTIL DANGEREUX ?

RECY CLABLES le passé participe 48 ANTIF**DING LA CAPSULE DE JUNK-FOOD 50 L’ACTU POURRIE KATE HUDSON 52 RELECTURES gris presque flamboyant 54 antijeunisme COQUELINE courrEges


Rediscover the taste of good music. ELECTRONIC MUSIC PARTY 19 sept - ElysĂŠe Montmartre - Paris

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50 rue de Ménilmontant 75020 Paris France T+ 33 1 43 25 05 20 / F+ 33 1 43 36 38 84 standard@paris.com www.standard.fr RÉDACTRICE EN CHEF

Magali Aubert DIRECTRICE ARTISTIQUE

Jenny Merot Mannerheim CO-RÉDACTEUR EN CHEF

Sébastien Pruvost

MODE Lala Andrianarivony & Armelle Simon LIVRES François Kasbi MUSIQUE Johan Girard ART Elfi Turpin CINEMA Alex Masson MULTIMEDIA Lâm Hua RÉDACTEURS Jean-Emmanuel Dubois Mathieu Cupelin Pilar Echezarreta Liliane Galanger Caroline Hamelle Batiste Liger Arthur Miquelet Benjamin Rozovas PHOTOGRAPHES KT Auleta Nicolai Lo Russo Ronan Merot Philippe Munda Adrian Parfene Schohaja Marc Sirvin STYLISTES Alexandra Bernard Valérie Nizan ILLUSTRATEURS / GRAPHISTES Gaspard Augé Beurkman Adrien Blanchat Yann Rondeau Pleasure Principle Shazzula Armelle Simon PUBLICITE / PARTENARIATS Philippe Munda MARkETING / PROMOTION Tanja Duhamel MAQUETTE The Paris Office CORRECTRICE Nolwenn Scheer STAGIAIRE EN CHEF Eric Bataillard REMERCIEMENTS Sylvain Brisson Fabrice Brovelli Nicocho Fany Rognone (à vie) Alexandre Sap JB ≤ ≥ « the swinging sausage» Fraisse Directrice de la publication Magali Aubert. Standard est édité par Faites le zéro, SARL au capital de 300 ¤ et imprimé par Repro Systèmes - ZAC de Beaupuy 1 - BP 8 - 85000 Mouilleron le Captif. Bimestriel. N°ISSN en cours. Dépôt légal à parution. Standard magazine décline toute responsabilité quant aux manuscrits et photos qui lui sont envoyés. Les articles publiés n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction réservés. © Standard.



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tpo


Nous serait-il tombé du ciel une anomalie témoignant de la pratique courante du «re-griffage» ? même réussi à leur piquer quelques clients». D’accord mais découdre des noms c’est mentir sur la marchandise. La naïveté de la consommatrice qui paie un certain prix (en l’occurrence 30 ¤ la culotte) pour un produit Agent Provocateur avec toutes les garanties qualité qu’elle devrait assurer, et qui se retrouve avec un ensemble Tartempion déguisé, ne l’émeut pas : «Vous devez être une jeune journaliste bien crédule pour me poser de telles questions ! Même si Agent Provocateur sous-traite une partie de sa production, ils font du bon travail. La preuve, Kylie Minogue a longtemps contribué à développer leur image. Elle a fini par lancer sa ligne de lingerie en copiant leurs modèles, et ça c’est dégueulasse.» Arnaquer les inconnus c’est normal, mais les gens du milieu, ça ne se fait pas. Empêtré dans son discours, tentant d’être convaincant, le sieur Folies by Renaud finit par avouer que les journalistes de Capital sur M6 voulaient tourner un sujet, mais qu’il avait toujours refusé que son nom soit cité à côté de la célèbre griffe anglaise. On n’y comprend plus grand-chose. C’est sûr, ce que je porte n’est pas vraiment ce pour quoi j’ai payé. Paul & Joe qui réestampille des jeans américains en restant dans la même gamme de prix, c’est pas grâve, mais l’exemple d’Agent Provocateur n’est pas le seul. Sous couvert de discrétion, c’est un fait établi, le consommateur ne peut rien contre la machine industrielle et son mépris, mais il est averti. D’ailleurs, le plus souvent, il s’en fout, ce qui compte c’est l’image. Un peu comme chez Mac do, vous bouffez de la merde mais vous le savez… Caroline Hamelle

A Standard, une culotte en dentelle noire a atterri sur un bureau. Jusqu’ici rien d’anormal, les gens de la rédac adorent les petites culottes, sauf qu’en y regardant de plus près, le bout de tissu comportait deux étiquettes : une du renommé Agent Provocateur et en dessous, une autre de Folies by Renaud, marque française inconnue du grand public. Nous serait-il tombé du ciel une anomalie témoignant de la pratique courante du «re-griffage» ? La démarche inverse du dégriffage : on ajoute une griffe à un produit pour le vendre plus cher. S’approprier la création d‘une marque pas connue produisant en grande quantité et donc pas cher, l’estampiller «luxe» et s’en mettre plein les poches est une pratique qui se fait avec l’assentiment des deux marques. Mais qu’en est-il de l’information de l’acheteur ? Vous allez dire qu’une entourloupe commerciale sur le dos de quelques clientes Yuppies, c’est pas trop grave. Mettons-y notre grain de sel tout de même : «Allo, je suis bien chez Agent Provocateur ?» Ce double étiquetage a quelque peu interloqué le service clientèle de la marque anglo-saxonne : «Oh, Erh…I really don’t know what it is. I’ll ask my boss and I’ll give you the answer by mail on Monday». Les lundis ont passé, on attend toujours. Le boss de Folies by Renaud a su apporter plus d’eau à notre moulin à questions : «Agent Provocateur ? Bien sûr c’est mon plus gros client ! Je leur fournis des produits sur lesquels ils ont une exclusivité totale». Et le double étiquetage, une erreur de leur part ? «Non, cela fait 3 ans que je travaille avec eux, l’année dernière j’ai souhaité laisser ma marque. Mais c’est dans mon intérêt de leur donner l’autorisation de dégriffer mes vêtements. C’est de bonne guerre, ils ne sont pas là pour me faire de la pub. En décembre dernier quand ils ont souhaité retirer mon étiquette, je ne m’y suis pas opposé. Au bout du compte, j’ai quand

STRE E T E C O N O M I E _ POURQOUI MON STRING A DEUX ETIQUETTES ?

Re-Marque

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Le fooding, ce n’est pas simplement goûter aux alchimies de la fusion food sur du skaï et une compile lounge, c’est aussi une marque déposée que personne n’a le droit d’utiliser.

gaspirator@noos.fr

«Bonjour Standard et welcome au numéro 2. Attention, […] vous utilisez la marque Fooding sans les mentions d'usage. Celle-ci est exploitée à titre exclusif par MMM ! Sarl (dont les actionnaires principaux sont Nova, et les journalistes Emmanuel Rubin et Alexandre Cammas). Fooding ayant valeur de label, Antifooding sous-entendrait que MMM !, société organisatrice de la Semaine du Fooding et du Grand Fooding d'été, est partie prenante dans cet article. Ce qui n'est évidemment pas le cas. Merci donc d'accuser réception de ce mail et de ne plus utiliser à l'avenir ce label sans notre accord express. […] Cordialement, …» Sans se douter de la surprise juridique qui l’attendait au coin de la pensée, le comité de rédaction avait jugé bon de tenir une rubrique «Antifooding». Inspirée par la peur que la vogue alimentaire des fashion-victimes de la capitale ne se répande au point de détrôner l’onctuosité des grecs-frites, le fumet des raviolis, le fondant des currywurst, cette rubrique (p. 49) marque un refus de voir l’esprit se mêler de trop près au désir stomachique. Avant d’être un nouvel art nouveau, manger est l’acte d’une satisfaction primaire. Laissons le droit à notre estomac de réclamer n’importe quoi. Nova Mag liste les restos qui distillent au gré de leurs menus des poulets coca-vanille ou des pâtes à l’encre de seiche. Notre rôle à nous est de laisser de côté la nourriture accessoire de mode, la pose, le m’as-tu-vu, pour donner une chance culturelle au garde-manger, aux plaisirs de la mal-bouffe. On ne sait si la mode a été lancée à Londres ou à Paris (Buddha Bar, l'Alcazar, Lô Sushi, le Korova...), cela diffère selon les dires. Le fait est que le terme a été déposé en 1999 par le rédacteur en chef des hors séries de Nova Mag. Que la définition soit

creuse ou pas, le concept a plu et il a suffi de récompenser quelques restos en vogue pour faire tâche d’huile. Là n’est pas le problème. Le hic se situe au niveau de l’Académie Française. Si le mot existait dans le dictionnaire, que feraient les avocats ? L’utilisation d’une idée qui fait mouche est inéluctable. Aucun comique, philosophe, scénariste, n’irait déposer ses néologismes car la plus grande preuve de succès d’une idée descriptive de son époque, c’est que tout le monde la reprenne. Mais quel succès autre qu’éphémère peut bien espérer un milieu dont la tendance est le gagne-pain ? Les inventions ne sont plus faites pour être partagées et durer mais pour rapporter. Dommage car la banalisation d’un mot est à la hauteur de sa grandeur. Et pour une fois qu’un mot «de la langue française» est en train de devenir une invention de renommée mondiale - «Fooding, the strangest word to appear in the French vocabulary. It refers to "eating with feeling". […] not only the food, but the style of the restaurant, the ambiance, the style of the personel, the music, matters.» (a-ton pu lire dans le New York Times) - son utilisation est bridée par le grand capital. Celui-là même que le patron de Nova (Jean-François Bizot, au demeurant estimé des rédacteurs de Standard) rêvait de briser de ses dents, de son talent, il y a trente ans en fondant le magazine Actuel. Notre rubrique s’appellera donc « Antif***ing ». Si, pour désigner le groupe de soutien de Dreyfus, l’inventeur du mot «intellectuel» avait pris la peine de déposer son invention et d’en chasser les repreneurs, il n’y aurait aucun intellectuel aujourd’hui. On serait bien emmerdés. Enfin, heureusement, avec 74 pages sur Google, alors qu’on n’a pas le droit de s’en servir, le fooding est en bonne voie: il apparaît déjà dans des guides sur Grenoble ou Chambéry et sur l’enseigne d’un resto/fooding de Saint-Cantrois en Belgique. Magali Aubert

MA RK E TI Q UE S A N O N YM E S _ POURQOUI LA PROMO ME VEUT-ELLE DU MAL ?

Fooding : Le mot interdit

Protégez vos idées Que ceux qui seraient tentés d’utiliser le mot «Queerwaï» sachent que nous venons de le protéger. Né de la contraction du mot anglais queer (étrange) et du japonais kawaï (mignon), il définit un concept : être à la fois indéfinissablement bizarre mais trop chou. Venez dépenser vos bobosous dans les stands de la semaine du Queerwaï…

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DETAXE _ les meilleurs produits a l’importation.

Import / expert


Fringues

Mike Alway The sound of Chartreuse Le créateur du label él Records, Mike Alway, qui a influencé Bertrand Burgalat (Tricatel) et Jarvis Cocker (Pulp), vous parle : «De 1690's à 1790's jusqu’aux 1960's, la mélodie de la chartreuse est un cartoon, une réinvention du psychédélisme pour un public urbain et sophistiqué. Exit les poils, le machisme, les mauvaises odeurs et les riffs turgescents, gardons les facettes agréables des sixties : le pop art, la mode, le féminisme, l'espionnage, la fantaisie, le sexe, la modernité... Inspirés de l’éclectisme de Syd Barrett, Patrick McGoohan, Frank Zappa, Roman Polanski, Chapeau melon et bottes de cuir, Ray Manzarek, Ennio Morricone, on a abandonné les conventions usées de la pop actuelle pour un sens du ludique qui va remuer l'establishment». JED dottwo.com/elgraphic

Le tracksuit vintage Misericordia Loin des revendications «conquistadoriennes» que d'autres Occidentaux auraient mis en œuvre, depuis 8 mois, trois jeunes Français exportent l'uniforme de l’orphelinat des sœurs de Nuestra Senora de la Misericordia. Dans la banlieue de Lima, ces femmes vivent leur foi en maintenant à flots un collège de 2500 étudiants et en leur fabriquant des vêtements traditionnels. Tout est en rapport avec leurs croyances : bleu marine pour la sérénité, ciel pour l'espoir et blanc pour la pureté. Street-wear, vintage, cela n'a aucun sens là-bas. Aurelyen, un des protagonistes de l'aventure, rapporte qu’au-delà du buzz créé par ce projet dont tous les bénéfices sont reversés à la communauté, «c'est le décalage entre l'univers fashion et une contrée où les gosses apprennent à vivre dans des bidonvilles, qui est enrichissant. Ils veulent que tu joues, que tu rigoles avec eux, ils se foutent de Misericordia, ils se foutent que DJ Cam porte leur veste, que Colette les distribue.» C.H. Colette / Nim / Surface to Air / missionmisericordia.com

Ménage et Jardinage Aspirateur et mini-jardin Un kit de la pousse du champignon qui rend tout drôle (le Psilocybe Cubensis pour les latinistes) et un aspirateur qu’on utilise par le nez pour enlever les poussières des tables basses ou des plaquettes de salle de bains. Tout cela n’est pas forcément licite en France mais s’achète sur le site anglais strangeavenue : «The bizarre bazaar, the only online shop you'll ever have to visit». M.A. strangeavenue.com

D E TAXE _ les meilleurs produits a l’importation.

Disque

Il Giaguaro In Lounge Les Italiens sont capables de la pire vulgarité – Berlusconi – et de la classe ultime : le cinéma de Mario Bava ou Il Giaguaro par exemple. Du grand art avec un article passionnant sur le regretté James Coburn, l’homme pillé par Mike Myers pour son personnage d'Austin Powers. Qui plus est, cette merveille de la culture neo-sixties est livré avec une compil qui redonne son sens initial au mot Lounge (vade retro Buddah bar). JED giaguaro.com

Fanzine Scram «Hollywood's journal of impopular culture» From L.A., Scram est tenu de main de maître par Kim Cooper, doctoresse es-Bubblegum. La couverture de Dan Clowes, la tête de file de la BD indépendante américaine actuelle (Ghost World), donne le la : articles sur des activistes hippies, des disques Mac Carthystes et les soirées Bubblegum du Magic Castle, bref, le meilleur guide de l'international pop ado underground. JED scrammagazine.com

aurelyen

Magazine

juliana beasley

Photo Lapdancer Juliana Beasley a 35 ans. Après une série de photo sur les enfants albanais exploités en Italie, elle s'est mise à vivre pendant 8 ans une vie de «Lapdancer» (danceuse nue se frottant contre le corps du client assis). Rémunérée 20$ la chanson, elle est passée par une trentaine de clubs, d'émotions, de pièges de l'industrie du sexe. Ses photos témoignant de l'étrange rapport entre des personnages Lynchéen qui, dans les franges de la société voient évoluer différentes sexualités, thérapies, amours - ont paru dans les magazines Village Voice ou De l'Air. Elles constituent ici son premier livre. M.A.

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fic h es _ les villes dont on ne parle jamais. 14

Mexico Texte Pilar Echezarreta Photos Marc Sirvin André Breton affirmait que le surréalisme existait là-bas avant d’être inventé en France. C’est vrai que le pays des Aztèques, pour qui se faire arracher le coeur était un sacrifice honorifique ultime au Dieu Soleil, a gardé quelque chose d’une muse angoissante, magique, mystique, morbide. Sa capitale est une rencontre avec un paradis parallèle. Si elle paraît violente, c’est sous l'effet fourmillant des 23 millions de personnes qui y vivent. Il faut, pour comprendre cette région du monde où les blondes (gueritas) doivent porter un bonnet pour se promener tranquillement, ne pas essayer de la comprendre, justement. Se laisser aller, absorber au mieux les codes urbains qu’on y trouve : les gens, les projets urbains inexistants, la cuisine, les transports, les couleurs, les coins perdus, les fruits, la religion, la musique, enfin toutes les curiosités qui font le caractère particulier de Mexico, qui sait réserver ses trésors urbains aux seuls bons observateurs. Sorte de L.A. à la culture très riche - surplombée du suaire de Virgen de Guadalupe, la Sainte de la ville - DF, une des villes les plus peuplées de la planète, n’est ni cosmopolite ni extrêmement polluée, elle est un chaos, en constante évolution, immergée en un lac desséché à 2200 [m] du niveau de la mer. Les quartiers qui marquent les Européens sont La Condesa (branché, cosmopolite et le seul où l’on peut marcher), La Roma (le Soho de Mexico, mélange de vieilles maisons coloniales et de galeries d’artistes) et Les Gated Communitis (zones d’habitations bourges, bouclées avec police privée, à l’esthétique argentée et kitsch de Santa Barbara). La Ciudad c’est aussi les minibus (peseros) et le dernier producteur au monde de Coccinelles. Fruit d’une économie en constant déséquilibre, elle marche à un rythme désespéré et attractif en même temps, ou les réalités diverses se mélangent, en constante friction et déploiement. On dirait que Mexico est tenue par des fils de coton, qui peuvent lâcher d’un moment à l’autre. Mais son niveau de surréalité et de magie la soutient avec joie et espoir.

* DF, nom officiel pour la Ciudad de Mexico (se prononce «dé-éfé»)


Miquel Adria Architecte et directeur d’une revue d’architecture, écrit des livres, organise des expositions, congrès, concours, et regrette tous les jours que la journée n’ait pas plus d’heures… Normalement on habite là où on est né. Moi j’ai décidé de choisir le lieu de ma vie. J’étais architecte à Barcelone et j’ai eu l’occasion d’habiter dans d’autres villes, comme Paris, par exemple. J’ai choisi Mexico, parce que j’ai fui l’excès de beauté propre aux villes européennes, à la fois fermées et remplies. Mexico reste ouverte, presque un projet à elle toute seule. Au départ, plaisir mental de l’étranger, on se permet d’inventer par-dessus le cumul des histoires : périodes, classes, couleurs, saveurs. Là, le sous-sol aztèque et colonial cohabite avec le métro (construit par la France en 1968) qui transporte le plus de personnes au monde, les technologies sophistiquées d’un état influencé par les Etats-Unis avec l’artisanat ancestral. Richesse et pauvreté extrêmes partagent le même territoire. Les saveurs les plus précieuses de la cuisine mexicaine concurrencent les fast-foods venus d’ailleurs. En tant qu’architecte, je projette, construis et il me semble qu’ici tout peut être fait.

[musée] A Mexico, tout est immense pour un Européen. Alors je recommande les grands espaces urbains. Et puis le Zocalo, le Musée d’anthropologie, Teotihuacan. [resto] Tacos el Farolito, un bon plat avec du mole oaxaqueño, chiles, rajas et equiparable vaut les meilleurs repas français ou chinois. (C. Newton, Colonia Polanco) [Lire] Sous le soleil du jaguar d’Italo Calvino. Juan Rulfo et évidemment Octavio Paz : le premier pour se plonger dans Mexico et l’autre, pour la comprendre. [promenade] Trajinera au lac de Xochimilco.


Francisca Rivero Lake Directrice de l’Espacio 33, cette jeune galeriste est une des femmes les plus actives de la scène artistique et sociale mexicaine. J’aime les villes qui ont la capacité de nous surprendre constamment, et pour cela, Ciudad de Mexico est la reine. C’est une ville régie par ses propres lois; en sachant comment et où chercher, on peut tout avoir et tout faire. J’apprécie qu’elle soit une mégapole qui ait gardé ses traditions ancestrales et ses caractéristiques uniques. Il doit être difficile d’arriver à Mexico sans la connaître, c’est peut être pour ça que nous sommes très accueillants, il y a toujours un sourire et une forme de joie de vivre. Les endroits à la mode changent très vite, quand on rencontre quelqu’un avec un look compatible ou similaire au nôtre, il faut lui demander où se trouve la movida. Il y a des opportunités dans tous les sens, ici, le «NON» ferme n’existe pas. Si les projets ont un tant soit peu les pieds sur terre, il y aura toujours une manière de les réaliser. Devant une affaire intéressante, tout le monde déborde d’enthousiasme. On est habitués aux «mille fonctions» (multi–task), à réaliser les choses avec un budget réduit. Le génie et l’habilité débordent du système D, du mélange, des existences différentes qui cohabitent. Mexico, c’est une centaine de villes dans la même, chacune avec ses habitudes et ses traditions. Elle est fascinante par

son essence et son énergie, ses gens et sa cuisine, son développement en vitesse et son histoire complexe, mais surtout, par l’impossibilité de la décrire et de la cerner en une seule définition. [Galeries] La mienne bien sûr : Espacio 33 (Amatlan 33, Colonia Condesa), et puis trois autres : OMR : (Plaza Río de Janeiro 54, Colonia Roma), Nina Menocal (Zacatecas 73, Colonia Roma), Enrique Guerrero (Horacio 1549-A. Polanco) [Musées] Museo Rufino Tamayo, Museo Carrillo Gil, Museo de Antropología, Museo del Templo Mayor. [bar] Bellini la vue plus spectaculaire de la ville (world Trade Center). [repas traditionnels] Los bisquets de Alvaro Obregón (Av. Alvaro Obregon, Colonia Roma) [shopping] Ropa Flora (2, Colonia Roma). Sur rendez-vous. (www.flora2.com)


Hector Mijangos PDG de Noiselab, l’un des labels de musique électronique les plus connus du Mexique. Il produit notamment le groupe Fancy Free connu mondialement. Je vois la Ciudad de Mexico comme un énorme laboratoire. Je suis né ici, et garde pour elle un sentiment spécial, à la fois d’amour et de haine. Je crois au travail en équipe, et au fait qu’on doive devenir des robots. J’ai choisi d’établir mon entreprise dans cette ville laboratoire parce que je trouve dommage que les gens les plus préparés, éduqués sortent du pays pour aller chercher ailleurs les opportunités. Ici, j’essaie d’attirer les jeunes talents créatifs, ensembles on crée des équipes de travail pour développer des projets dans le domaine de la musique, le multimédia, la mode. On est en train de construire une génération, et ça c’est une énorme satisfaction. Ça rend chingon* de faire ce qui me plaît et de voir qu’autour de moi les gens aiment ce qu’ils font. A Noiselab on travaille en équipe; on discute et on arrive toujours à des projets positifs. Notre esprit : GO FORWARD. *extraordinairement bien, mot très courant dans le langage mexicain

[Resto] Taro, un japonais spécialisé dans les Nabeyaki Udon et les moules au beurre. (Av Universidad). [Resto] Ligaya, pour sa soupe au Chicharron et filet aux 3 poivres sans moutarde (Av Nuevo Leon, 68 Colonia Condesa). [Resto] El Paisa, rica birria (Av Presidente Masaryk) [Resto] El Rabano, Pancita (Avenida 9 Colonia Portales) demander : Pancita grande surtida sin pata (phrase sans traduction mais délicieuse…)


Meir Lobaton Architecte, sculpteur et chef avec ses amis de son propre restaurant Quichén Ingredientes à La Condesa. Mexico est une des plus grandes villes du monde, et en même temps le village le plus petit. Elle est, en bien des points, stressante, mais on a le choix de s’engager dans le rythme ou de prendre son temps. Flâner, ça marche aussi. J’essaie de maintenir une vie locale, dans mon quartier, et de retrouver les valeurs d’une vie en communauté et convivialité avec le voisinage, on a un peu perdu ces valeurs au Mexique. Le stress est dû aux voitures qu’on est quasiment obligé d’utiliser à cause des distances (2 heures pour traverser la ville). Je planifie mes journées afin d’avoir à me déplacer le moins possible. En plus les stations de métro sont très éloignées les unes des autres, pas comme à Paris, et les gens un minimum aisés ne le prennent pas. Je prends mon vélo pour l’adrénaline car ici on ne respecte pas les cyclistes. Mais si on vit dans cette ville, il faut la vivre telle qu’elle est. Il y a un peu un mythe sur la nourriture ici. C’est vrai, il faut faire attention avec l’eau du robinet…. et les étrangers, où qu‘ils mangent à Mexico, sont exposés à ce qu’on appelle la Vengeance de Moctezuma : aux premières maladies stomacales pour ceux qui ne sont pas habitués aux épices….

[resto] Quichén (Fernando Montes de Oca #43, Colonia Condesa) A goûter absolument les Matza Balls et les rouleaux Quichén. [clubbing] El 33 nightclub avec Rockola et show trasvestí (Eje Central #33). [clubbing] Rioma, une boîte in pour les quartiers Roma et Condesa. House music (Av. Insurgentes y Michoacán) [musique] Kinky de Monterrey NL et Celso Piña (Acordeón norteño) [lire] Y retiemble en sus centros la Tierra de Gonzalo Celorio : Chronique sur le Centre Ville. Revues, CELESTE, culture urbaine, fashion, design, architecture au Mexique.


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KILL YOUR TELEVISION! La première compilation de clips en et en

47 clips / 46 artistes, 3h00 de musique et d’image POUR LECTEURS DVD DE SALON, ORDINATEURS ET POCKET PC TM.

Avec : Asian Dub Foundation, Calexico, Interpol, Jean-Louis Murat, J Mascis, Moby, Nada Surf, Nick Cave & The Bad Seeds, Radio 4, Jon Spencer Blues Explosion, Eiffel, Michael Franti, Sergent Garcia, Stephen Malkmus...

www.mute.com

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POLE Pole www.mute.com

Sortie le 08/07/03

Le retour du maître de l’electronica moderne, dub et minimale accompagné du rappeur Fat Jon (Five Deez sur le label Mush). “Pole” gagne beaucoup en intelligibilité – pas de click, pas de scratch ou de bleep, rien ne vient encombrer la clarté de ce nouvel opus.

SONIC MOOK 3

FUTURE NOW

Hot shit

Coming Soon...

Various artists

Une collection de groupes anglais et américains dans l’esprit d’un certain rock arty déglingué, avec un penchant indéniable pour le dance floor. La vraie réponse du rock à l’electro-clash !

Avec : Radio 4, Yeah Yeah Yeahs, Pink Grease, Klang (ex Elastica), Erase Errata, !!! …

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Various artists

Entre esprit de provocation, dévotion sans partage pour les guitares, la glam attitude et les mélodies vocales, FUTURE NOW (structure de management d’artistes) propose une nouvelle scène pop rock, qui a su intégrer l’électronique sans en devenir l’esclave. Des nouveaux talents de toutes nationalités.

Avec : Dombrance, Vegomatic, Men in the Moon, P-Jack, Boogie, Madame de C…

CLIENT client

Première signature electro pop du nouveau label d’Andrew Fletcher (clavier de Depeche Mode), Toast Hawaii. Un duo frais et surprenant…

SONAR 2003 www.mute.com

Various artists

Pour fêter l’événement, Mute sort une double compilation 28 titres avec les meilleurs artistes de l’édition 2003 du festival SONAR de Barcelone. La crême de l’electronica/ abstract hip hop (CD1) et de la techno (CD2) internationale.

Avec : Schneider Tm, David Grubbs, Prefuse 73, Sage Francis, Pole, Seefeel, Underworld, Metro Area, Akufen, LFO, Laurent Garnier, Jeff Mills, Scan X, Carl Cox…

*0.34 euro/mn

www.mute.com

NOUVEL ALBUM SORTIE LE 08/07/03


EST-CE QUE COMME_COPIE QU’ON FORME.

Tony Wilson 24 Hour Party People Grâce à Tony Wilson, ont vu le jour Factory (label légendaire de Joy Division, New Order ou Happy Mondays) et l’Haçienda, un des plus beaux clubs du deuxième millénaire. Il est logiquement le personnage principal de 24 Hour Party People, film retraçant l’épopée Madchester. Est-ce que comme New Order vous êtes supporter de Manchester City ? C’est vrai qu’ils ont fait la chanson de l’équipe d’Angleterre pour la coupe du monde, World in Motion - qui devait s’appeler E for England ! mais un tel appel à la drogue n’a jamais été toléré - mais il faut rétablir la vérité : ils font semblant de s’intéresser au foot, surtout Hooky. En fait, c’est leur manager Rob Gretton qui les a poussé à faire ce morceau, et qui leur a tout appris en la matière. Au départ ils n’étaient pas chauds pour le morceau. Est-ce que comme Malcolm Mac Laren vous considérez le marketing comme une discipline à part entière ? Non. Le Marketing sans rien derrière ça ne marche pas. Peter Saville, le graphiste de Factory Records, pensait que le packaging faisait tout, il a attendu quinze ans pour me dire que Republic de New Order aurait sans doute marché sans lui. Plus tard, il a quand même réussi un coup de génie en faisant vendre des tonnes d’albums de Gay Dad, une sombre merde, uniquement grâce au magnifique visuel de la pochette, évidemment inspiré de l’esthétique industrielle de l’époque Factory.

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Est-ce que comme Pygmalion vous considérez avoir transformé un tas de boue en œuvre d’art ? Pas vraiment, parce que j’ai plutôt joué un rôle de catalyseur. Je n’ai fait que créer les conditions pour qu’explosent les groupes de Madchester et que cette scène incroyable puisse voir le jour. Je me

suis toujours inspiré de Serge Diaghilev : c’est lui qui a permis à des gens comme Stravinsky de créer dans de bonnes conditions, ou à Nijinsky de venir danser à Paris, là où tout se passait, mais je n’ai rien créé à proprement parler. Est-ce que comme Warhol vous pourriez passer du rôle d’impresario à celui de créateur sans difficulté ? J’aurais aimé faire des films comme lui mais j’en suis incapable, alors que dans son cas, même s‘il a permis à plein de gens de se rencontrer et d’exister, c’est son œuvre propre qui domine. A Manchester, le potentiel artistique était là de toute façon, mais je ne sais pas si les choses auraient tourné aussi bien sans l’Haçienda et Factory Records. Mon œuvre à moi, en fait, c’est les autres. Est-ce que comme Blur vous auriez pris position contre la guerre ? Je m’implique beaucoup en politique mais contrairement à beaucoup, je suis un fervent supporter de Tony Blair et j’étais favorable à la guerre en Irak. Ceci dit, le truc pour lequel je m’implique n’a rien à voir avec ça. Je milite pour l’indépendance du Nord de l’Angleterre, à travers un référendum pour l’autodétermination. Là-haut, on en a tous marre de Londres, mais malgré les conseils de mon compère John Lydon, je ne pourrais jamais vraiment devenir homme politique. Sébastien Pruvost


Toujours aussi vieux jeu, courtaud, bedonnant et rougissant, Philippe Katerine revient avec la bande originale de Un Homme, un vrai des frères Larrieu. avoir d’autres… Ancien prof de sport, quelle avtivité pratiquez vous encore : tennis

Vous êtes plutôt autodidacte automobile autobiographique autoritaire Je n’ai pas d’autre façon de fonctionner. Personne ne m’a appris à faire ce que je fais, à part mon oncle qui m’a montré quelques accords : il avait une très douce voix, il chantait dans les mariages, des chansons de Wallis et Futuna. Sa voix de velours faisait tomber toutes les femmes en pamoison. C’est surtout ça qui m’a donné envie.

basket

Le pire à assumer serait :

minigolf

jouer dans un porno

Je ne supporte pas les sports individuels. Si j’étais au gouvernement, je les interdirais. J’ai une grande passion pour le rugby, le foot et le basket, que j’ai pratiqué dix ans avec à la clef six ou sept titres de champion de Vendée. C’était très émouvant. Les gens disaient qu’on était un délice à regarder.

UN QCM_C’EST BIEN PLUS FACILE.

Philippe Katerine

tromper sa femme sans lui dire tromper sa femme en lui disant L’idée est attirante, mais comment assumer ? Ça doit être difficile vis-à-vis de soi comme de son entourage, mais on doit en sortir grandi. Ça pourrait être magnifique.

Le plus appréciable signe de richesse extérieure : une piscine avec vue sur la mer

Qu‘est-ce que votre fille de 10 ans pourrait vous faire de pire :

une mâchoire avec des dents en or

écouter de la merde

une gourmette avec écrit Cynthia

vous traiter de vieux con sortir avec Patrick Fiori

Des dents en or ! Ça me plairait d’avoir un sourire jaune. Joey Starr me fait très envie. Mais pour l’instant c’est hors de mes moyens.

les crottes de nez

Ça me pend au nez. Si ça arrivait, je lui dirais qu’elle n’a rien compris, mais aucun risque. Sinon, elle écoute plein de trucs que j’aime comme les Destiny’s Child ou Kylie Minogue. Je ne vais pas la forcer à écouter Léo Ferré alors qu’elle en est à Lorie.

les boulettes de viande

Vous composez

les boulettes de hash

à la guitare

J’aime bien ça en ce moment. J’avais abandonné pour me consacrer à l’alcool pendant sept ou huit ans, puis j’ai un peu repris ces jours-ci. En studio, quand il y en a qui traînent, ça donne des choses formidables.

à la maison

Tes boulettes préférées sont :

à la bière à poil Ou au piano. Voire avec une batterie. 21 A poil, c’était pas mal, j’ai composé Bonjour !, Gare Montparnasse, Le Simplet et Inutile. Il doit y en


Matt Groening Rire jaune Propos recueillis par Benjamin Rozovas


bill morrison

personne à la Fox n’agit dans l’intérêt de la chaîne. C’est dans leur intérêt que Futurama fonctionne, pourtant ils font tout pour nous mettre des bâtons dans les roues. Les Simpson rencontrent un succès grandissant depuis 14 ans mais Fox n’a rien à voir là-dedans, du moins sur le plan créatif. Du coup, ils n’aiment pas la série. Ecoutez bien ça  : Fox n’aime pas Les Simpson  ! Comment ça se manifeste  ? Un total manque de soutien pour tous les aspects extérieurs au business de la série. Mais bon, j’ai appris à ignorer l’ignorance. Hollywood enfante des bataillons de costards-cravates en culottes courtes dont le seul boulot est de dire d’un air pénétré  : «mmm…non».

Salut Matt. Que faites-vous là maintenant  ? Là je roule sur La Cienega Boulevard en direction des studios Fox. Pas trop abattu par l’annonce de l’annulation de Futurama  ? Non, car tout n’est pas tout à fait perdu. Fox n’en veut plus, mais il faut se rappeler qu’elle n’en a jamais voulu. Au cours des cinq ans d’existence de Futurama, la chaîne n’a rien fait d’autre que nous snober, omettant délibérément de faire de la pub autour de la série. Mais elle actuellement rediffusée sur Cartoon Network et connaît un succès inespéré. Il se peut qu’elle renaisse de ses cendres, ici ou là, sous une forme ou sous une autre. On en discute. Qu’est-ce qui n’a pas marché  ? Rien, vraiment. Tout s’est déroulé comme prévu. On a travaillé comme des chiens, on a porté nos petits cerveaux de scientifiques frustrés à ébullition pour finalement créer la série dont j’ai toujours rêvé, à la fois parodie de science-fiction et contribution émue et sincère au genre. Tout le monde adore Futurama sauf la Fox. C’est aussi simple que ça. C’est incroyable de penser que vous, qui avez ressuscité la série d’animation en prime-time 25 ans après Les Pierrafeu et avez créé la sitcom la plus populaire de ces 15 dernières années, vous en chiez avec les dirigeants d’une chaîne. De surcroît la chaîne qui abrite Les Simpson… Vous ne pouvez pas imaginer à quel point les gens, dans ces hautes sphères capitalistes, peuvent se comporter comme des enfants. C’est vraiment comme être au lycée. Chaque fois que je me suis montré conciliant avec les gros emmerdeurs de la récré, ça a été pris pour un signe de faiblesse. Et chaque fois que je leur ai gueulé dessus, on m’a traité avec respect. C’est impensable de les voir répéter inlassablement les mêmes conneries  ;

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Qui aurait imaginé que «cartoonist» était un métier riche et prospère  ? De fait, le créateur des Simpson est aujourd’hui milliardaire, dépositaire du visuel pop-art le plus décliné de l’histoire du merchandising et heureux géniteur de deux séries d’animation diffusées en prime-time. Mais si Les Simpson approchent de leur 14ème année, de quoi bientôt prétendre au titre de doyenne des séries télé, Futurama, sa petite sœur SF, vient de mordre la poussière aux Etats-Unis. Alors Matt, Groening  ?

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La satire, en général, prend sa source dans la politique et la société. Elle émane d’une forme d’indignation. Comment s’est construite votre fibre satiriste ? J’ai grandi avec la télé. Immergé dedans 24/24. Je fais de la télé aujourd’hui en partie pour m’amender de toutes ces heures gâchées devant le poste. Je peux maintenant regarder derrière moi et affirmer que tout ce temps perdu était de la recherche. Pour moi, ce n’est pas suffisant de savoir que ce qui passe à la télé est nul, stupide ou pernicieux. J’ai besoin de comprendre ce que je peux faire pour y remédier. Est-ce la nature même du médium  ? La manière dont fonctionnent les grands networks aujourd’hui  ? Ou un échec des créateurs de programmes  ? Je me sens un peu comme un poisson qui analyserait l’eau de son aquarium, mais j’aspire surtout à montrer de quelle manière la télé est inconsciemment structurée pour nous garder accros. Avec Les Simpson et Futurama, j’essaye sous la forme d’un divertissement léger de bousculer les gens, de les éveiller aux tactiques d’endoctrinement et de manipulation pratiquées sur eux. En situant Futurama au troisième millénaire, je fais semblant de prétendre que les commentaires sur les injustices et les contradictions de notre époque appartiennent à un univers éloigné et fantaisiste.

Du mouvement steampunk des années 30 aux visions cyberpunk des années 80-90, les images du futur dans la SF disent traditionnellement plus de choses sur l’époque à laquelle elles ont été créées que sur l’époque qu’elles sont censées représenter. Que dit Futurama sur maintenant  ? En SF, c’est très simple, vous avez d’un côté la vision optimiste très chambre de commerce avec cités prospères et couleurs éclatantes et de l’autre un futur sombre, terrifiant et glauque à la Blade Runner. Notre futur est à mi-chemin, un mélange de merveilleux et d’horrible, un peu comme ce qui existe aujourd’hui. Quel rôle ont joué Les Simpson ces quinze dernières années dans l’évolution de la société américaine  ? J’aimerais dire qu’il y a un peu plus de scepticisme envers le gouvernement et toutes les formes d’autorité. Malheureusement, je ne trouve la preuve de ça nulle part. Le monde du divertissement s’est engagé au contraire dans une frénésie consumériste qui exclut tout discernement. Pour le pire ou pour le meilleur, Les Simpson ont participé sur la durée à l’accélération de la culture.

Les 3 premières saisons de Futurama et les 2 premières des Simpson sont disponibles en Zone 2 chez FPE.


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Pensez-vous être encore crédible en tant que franc-tireur satiriste maintenant que Les Simpson sont devenus un tel monolithe culturel  ? Ce que la série ne cesse de dire, encore et encore, c’est que l’autorité morale n’agit pas forcément dans le meilleur intérêt des individus. Profs, proviseurs, hommes d’Eglise, politiciens… Pour la famille Simpson, ce sont tous des rigolos, et je pense que c’est un super message pour les gosses (rires). Le grand paradoxe est là  : on tape sur les institutions tout en acceptant le fait que les gens s’y réfugient à la première occasion. Il y a certaines règles tacites à la télévision  : les personnages ne peuvent pas fumer, doivent mettre leur ceinture de sécurité au volant, et l’alcool est bien sûr prohibé. Dans Les Simpson, tous les personnages boivent, fument et ne mettent pas la ceinture. D’un autre côté, Homer et les siens aspirent à un idéal protestant. Ils vont à l’Eglise tous les dimanches. Ils parlent même à Dieu de temps en temps. Notre Dieu a cinq doigts. Pas comme les Simpson, qui en ont quatre. Et finalement vous vous en tirez à bon compte parce que ce ne sont que des dessins… Oui, bien sûr. On se cache toujours derrière l’argument  : «hé, ce n’est qu’un dessin animé  !». On a un épisode cette saison où les membres de la famille Simpson s’endorment les uns après les autres à l’église et font chacun un rêve en rapport avec la Bible. Homer et Marge sont Adam et Eve, Bart est David dans David et Goliath. Il y a aussi Moïse caché quelque part. Être original, c’est encore possible  ? Après 300 épisodes, il est presque impossible de ne pas se répéter. On s’est fait une raison. La première règle chez nous  : si ça date d’avant la saison 4, alors on peut le refaire. Les mecs de South Park ont réalisé récemment un épisode appelé «The Simpson did that  !», dans lequel Cartman et ses potes essayent d’inventer de nouveaux gags pour s’occuper, mais s’aperçoivent un peu désespérés que Les Simpson l’ont déjà fait. Sympa. Homer est-il stupide  ? C’est un vrai problème parce que si Homer devient trop primitif, trop animal, la série n’existe plus. Il doit conserver des émotions et des motivations authentiquement humaines. Certains fans pensent qu’il devient trop stupide.

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Lloyd Kaufman L’homme qui faisait des mauvais films (exprès)

L’un des gros succès de Troma (1991). Bientôt la suite : Sgt Kabukiman L.A.P.D..


j’ai voulu me tuer après avoir vu un de ses films. J’aime les films sombres. Et bien sûr Andy Warhol avec qui j’ai passé beaucoup de temps. Mes premiers films 8 millimètres utilisaient d’ailleurs des stars de la Factory. Rien à voir avec Les Capotes tueuses (cf. Killer Condom) et les monstres radioactifs qui font ta réputation. Bresson ? Mais Van Gogh a d’abord regardé les peintures des classiques flamands. Dali (on me compare à lui) se réfère aux classiques mais il est quand même révolutionnaire. Un jour, de nouveaux artistes seront inspirés par Troma et on trouvera cela étonnant aussi. Oh oh regardez (il désigne du doigt l’autre extrémité du stand), c’est Trish, notre nouvelle Tromette. N’est-elle pas gay ? Gay ? Oui, formidable, fabuleuse. (Trish nous rejoint) Trish : Lloyd est le nouveau Steven Soderbergh. Bientôt on montrera à Cannes Tales from the crapper en ouverture (Tales from the crapper est la dernière production en date du studio, une pochade tournée en DV selon les règles du Dogme 95… rebaptisé pour l’occasion Dogpile 95, ndr). Vous jouez dedans ? Trish : Non, moi je suis le Killer Condom. Regardez (elle désigne un éphèbe souriant sur l’affiche de KC). Du moins j’étais le Killer Condom avant mon opération. Heu… Lloyd, toi et ta troupe vous n’étiez pas logés au Carlton l’an dernier ? Apparemment ces grands messieurs du Carlton sont trop respectables pour nous. L’année dernière, il nous ont jetés à la rue en plein milieu du festival. Tant mieux : nos affaires en ont profité. Le seul inconvénient ici, au marché, c’est qu’on est entourés de fascistes. Les gens de la

Depuis 30 ans, Lloyd Kaufman dirige d’une main de fer le studio new-yorkais Troma. Comparse des francs-tireurs du cinéma américain des années 70 (Dennis Hopper, Roger Corman, Bert Schneider, Jack Nicholson…), Kaufman s’est spécialisé dans le nanar gore à deux francs. Des daubes trash mais drôles aux titres évocateurs (Blondes have more guns, Chopper Chicks in Zombie Town) qu’il écrit, produit, réalise, interprète, et vend lui-même. Nous l’avons rencontré (en français !) au dernier festival de Cannes, dans les entrailles du Marché du Film.

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Propos recueillis par Arthur Miquelet

Après s’être débarrassé d’un acheteur pot de colle, Lloyd nous entraîne dans le coin le plus à droite du stand Troma, entre les affiches périmées des films que le studio annonçait en fanfare il y a 2 ans (qui ne se sont jamais tournés) et les costumes en latex du Toxic Avenger et de Kabukiman. Lloyd est attentif à tout ce qui se passe autour de nous. Rappelle-nous dans quel contexte et de quelle manière Troma a été créé… Troma incarne depuis 30 ans l’anti-studio, l’antiHollywood, l’anti-élus, l’anti-Forrest Gump. Michael Hertz (co-créateur du studio) et moi voulions que Troma soit le studio alternatif par excellence et aussi le studio qui amuse. En fait nous espérons toujours devenir LE studio anti… Quels sont les films qui t’ont donné la vocation ? Le déclencheur pour moi a été Ernst Lubitsch. J’ai vu un de ses films quand j’étais à l’université de Yale. C’était si bien fait que je me suis dit : Wow, je dois faire du cinéma. Il y a aussi Chaplin, Keaton, Mizoguchi, John Ford, Howard Hawks, Renoir, Bresson… Manchette également parce que

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budgets. C’est impossible pour nous de lui donner de l’argent ; il en a trop. Attendez…qui d’autre ? Laissez-moi réfléchir (il réfléchit). Takashi Miike (réalisateur japonais, notamment du déglingué Audition, ndr) est un grand défenseur de Troma au Japon. Il donne des interviews nous concernant et déplace des montagnes pour que Citizen Toxie, le quatrième épisode des aventures du Toxic Avenger, soit diffusé là-bas en salles. Gaspar Noé est aussi un inconditionnel de Troma… Tu aimerais distribuer un film de Noé ? Oui, j’aurais adoré obtenir les droits d’Irréversible. En fait, j’aimerais tourner dans un film de Noé. Ou même j’apporterais les cafés. Je nettoierais les toilettes. Je mangerais la «shit» de Gaspar… Non, peut-être pas la «shit». Mais presque. A quoi ressemble le fan type de Troma ? Trish (de retour) : Il y a de tout. Des teenagers, des couples mariés, des bébés phoques. Cela va de 13 ans jusqu’à très vieux. Comme Lloyd Kaufman.

Manutentionnaire dans un lycée, il devient le Toxic Avenger au contact de barils chimiques, super héro radioactif. Personnage emblématique de Troma. et continue de rester fidèle à une politique d’exploitation qu’on ne voit plus depuis les années 70. Aujourd’hui, les grands studios se sont mis eux aussi au gore et à l’exubérance trash. Que vous reste-t-il ? L’indépendance absolue. Le monde est régi par une conspiration des élus. L’élu des syndicats, l’élu des hommes d’affaires, l’élu des bureaucrates. Ce sont eux les vilains, les diables. Ils contrôlent le cinéma, la TV, la radio, tout. Cinq sociétés se partagent le gâteau tout entier. C’est dégueulasse. Quand je suis venu à Cannes en 71, Godard disait : «La vérité 24 fois par seconde, c’est le film». Maintenant c’est fini. On a le «bullshit» 24 fois par seconde. Les grandes compagnies d’Hollywood en sont responsables. Il y avait autrefois beaucoup de petits studios comme Troma. Ils sont tous morts aujourd’hui.

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T’es vraiment remonté contre Hollywood ? Oui. L’esprit d’Hollywood fabrique les black-lists où les contrats n’ont aucune utilité. On signe les contrats et pouf… Ça vaut rien. Il ne reste plus que Troma. Troma est le seul studio dans toute l’histoire du cinéma qui existe depuis trente ans… Sans succès ! Et avec moi comme président, je peux vous garantir que ça va continuer comme ça !

L.K : Je suis un grand fan et aussi un climatiseur. Un peu de sérieux maintenant. Troma a 30 ans

Une horde de motards eux aussi radioactifs à découvrir en DVD Zone 2


Hormis quelques sorties DVD, genre Toxic Avenger et Kabukiman, nous n’avons pas accès en France à l’intégralité du catalogue Troma. Comment faire ? (S’adressant derrière lui à un type dans un costume) Peut-être peux-tu nous suggérer une solution, Killer Condom ? Killer Condom : C’est ridicule que Terror Firmer n’ait pas été distribué ici. Connaissant le bon goût des Français, ayant mangé leur nourriture, ils adoreraient Troméo et Juliette ou le futur Schlock and Schlockability, notre adaptation de Jane Austen. Ils seraient très en joie, très excités, surexcités voire. L.K : Très bien. C’était très profond et très sage.

Combien de titres dans le catalogue ?

Une des philosophies de Troma : les blondes ont plus de flingues.

Non, le premier film de Kevin Costner n’est pas Les Incorruptibles : la preuve. L.K : Plus de 200 films, en comptant les dessins animés Toxic Avenger et Kabukiman. Peut-être pourrions-nous parler de l’influence de Troma sur les metteurs en scène d’aujourd’hui. (à Kabukiman et Killer Condom, derrière lui) Qui a été influencé récemment ? Vous le savez mieux que moi les gars, vous étiez là l’année dernière. Parlez-nous des metteurs en scène. Killer Condom : Nous savons qu’en Amérique Quentin Tarantino est très influencé par le «Director Style» de Lloyd Kaufman. Cela se voit à la façon dont il a piqué des scènes à Toxic Avenger pour Reservoir Dogs. L.K : Disons qu’il s’en est inspiré. Beaucoup de grandes stars et de réalisateurs renommés ont commencé chez nous. Kevin Costner, par exemple, tenait la vedette de Sizzle Beach, USA. Oliver Stone a travaillé pour nous (il se contente d’un passage éclair dans l’un des premiers films de la boîte, ndr). Il y a plein de réalisateurs dans le monde qui adorent Troma. Todd Solondz, Roman Polanski, John Waters… Dans son autobiographie, John Waters raconte que Troma est la seule société qui a osé donner de l’argent pour produire Pink Flamingos 2, le «sequel». Malheureusement, Divine est mort prématurément et le film ne s’est pas fait. Maintenant, John tourne des films à gros

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sécurité prennent leur boulot bien trop au sérieux. Ils nous causent toutes sortes de problèmes pour aller et venir. Du coup, j’ai toute une collection de badges et d’accréditations autour du cou. J’ai celui-là (il nous tend un badge barré de la mention PRESS, avec son nom et sa photo à côté). Et si ça devient compliqué, je sors celui-ci (le même, mais avec la photo et le nom de Gérard Depardieu).


o g n y u e o h t


Un papier moraliste de Jean-Emmanuel Dubois

shazzula

Le people macabre est partout. Le journalisme à «sensation» pénètre notre quotidien au plus profond des supports d’information politique et générale, des shows tv jusqu'aux plus respectables des œuvres. Depuis quelques années on assiste à la «Voicisation» des médias. Maryline, Elvis, ce papier vous est dédié car bien sûr, le goût du peuple pour le people des coups durs ne date pas d'hier. Il a même donné des oeuvres fascinantes tel l'opus de Kenneth Anger (réalisateur underground culte) : Hollywood Babylon (où l’on découvre entre autres un Rudolf Valentino homo et fasciste). Ce qui a changé en 2003, c’est que le culte des stars et l’anecdote cafardeuse sont devenues les seules mythologies qui subsistent après les idéologies de la philosophie et de la religion. Star, le mot le plus galvaudé du moment, révèle par la perte même de son sens toute la mutation vers le bas de la société du spectacle. Le titre s'acquiert facilement, on passe de Romy Schneider à Loana pour soi-disant évoquer la même réalité. Le quidam sans talent ni discours particulier devient Star (la génération Steevy) et on se focalise sur ses déboires de vedette mineure. Pour mieux tenir son rang de semi-vedette anecdotique, la nouvelle star descend se faire humilier à coup d'expositions, d'échecs et autres secrets honteux. Le spectateur, lui, se dit qu'être star c'est pas si dur, que lui-même, il aurait pu... tout en se raccrochant à la banalité rassurante de son quotidien. Quand la célébrité mène au malheur ou le malheur à la célébrité, le monde semble plus juste. Aujourd'hui, sans talent particulier, il faut au moins exposer ses souffrances au public, tel un contrat tacite, une morale perverse et paradoxale dans un monde flou. Les tourments sont des indulgences à échanger contre une starisation injustifiée. Si la cruauté, le manque total de respect pour l'autre, les truchements sémantiques continuent, il va falloir créer «la société protectrice des humains et des artistes», mais qui pourrait s’occuper de ce généreux projet sans le dévoyer ? Dieu ? Patrick Topaloff ou Philippe Risoli ne sont-ils pas à

la fois les apôtres et le lumpen prolétariat de ce nouvel ordre moral et social ?

Le fabuleux monde de la télé grand public Public visé : la France d'en bas Figure dans l’actu : Julien Courbet, le faux complice Phrase type : «On s'est peut-être moqué de vous avec votre tube, et la vie ne vous a pas fait de cadeau mais vous avez vendu des millions de disques et on peut vous applaudir». Les victimes parfaites : les vedettes populaires déchues. Ce que le public attend, qu’il n’avouera jamais et qui ferait la meilleure audience jamais vue, c’est un dérapage, une orgie, un suicide ou un meurtre dans dans la roue de hamsters des «Nice people» prêts à tout pour être reconnus dans la rue. La possibilité du tragique suffit, la laisser se produire serait impensable. Heureusement, il nous reste les exhibitionnistes et les stars mortes pour se plonger dans la mare des tragédies du show-biz.

La chanteuse-morte-dans-des circonstances-pas-claires

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Le sordide dans le show-biz

A mesure que les barrières morales sautent et que les mots déontologie ou respect du public deviennent de veilles lunes, une nouvelle espèce d'animateur s'est fait jour : le bateleur de foire / faux complice. Julien Courbet est de ceux-là. La recette est simple : dénicher une vedette populaire ruinée, alcoolique, ou morte dans des circonstances non élucidées : «30 ans après le mystère reste entier, la vérité enfin dévoilée sur les derniers instants de la chanteuse tout de suite après la pub». Auriezvous songé par exemple que derrière le titre Les Papas pingouins du concours de l'Eurovision en 1980 se cachait un drame sur lequel il fallait absolument revenir en image ? Des deux pimpantes jumelles il ne reste plus que Sophie «passant 16 heures par jour devant la télé et survivant du RMI», Magaly étant morte du sida en pleine jeunesse - son mari lui ayant caché sa séroposivité. Le reportage accumule voyeurisme et pathos autour de cette femme bouffie par les cachets pris dans l'alcool, que l'on étouffe de pitié feinte pour 31


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thèques people» ont aussi compté : le livre de Pierre Assouline où Simenon est décrit comme un amateur de putes entretenant avec sa fille une relation dont l’ambiguïté la conduira au suicide ; celle de Marc Eliot racontant Walt Disney, ses amitiés nazies, ses problèmes sexuels… Les délires de Syd Barrett - créateur des Pink Floyd scotché à l'acide depuis 1968 – sont disponibles dans un ouvrage de Julian Palacios. Howard Hugues détient peut-être le record du nombre d’adaptations biographiques. Sujet idéal, il fut érotomane, mégalomane, paranoïaque, milliardaire et a fini sa vie reclus dans le mystère de sa chambre, sous alimenté et entouré de mormons. On le retrouvera mort, squeletique, barbu, les ongles démesurés, après 20 ans d’absence totale des médias. Leonardo Di caprio s’apprête à le jouer au cinéma, on en salive d'avance. Michel Polnareff, prends garde à toi, tes bios scabreuses doivent déjà traîner dans des tiroirs…

Le monde d’Hollywood Public visé : Le cinéphile moraliste. Figure dans l’actu : Bob Crane, de Papa Shultz au porno. Phrase type : «J'aurais jamais pu imaginer de tels personnages». Les victimes parfaites : les peoples mineurs dont la vie est un scénario macabre.

Ton père en short Paul Shrader, scénariste de Taxi Driver, Raging Bull et réalisateur d'Hardcore, s'intéresse au destin tragique de Bob Crane. La vie de l’acteur mineur de Papa Shultz (Hogan's heroes), provoque autant de polémiques que La Dernière tentation du Christ, l'autre scénario fort controversé de Sharder. Il faut dire que la série qui fit les beaux jours de M6 cachait en son sein un Bob Crane sexopathe, tournant pour Disney le jour, des marathons de pornos la nuit. Il filmait sans relâche ses innombrables relations avec des fans de passages. On retrouvera Crane battu à mort avec un pied de Caméra. On a longtemps soupçonné le complice de Crane, un technicien vidéaste du nom de Carpenter (secrètement amoureux de lui et jaloux). Pour Paul Shrader, Bob Crane est une métaphore consistant à montrer comment la célébrité peut rendre fou un Américain moyen jusqu'à provoquer chez lui des pratiques sexuelles compulsives, de plus, il est un pionnier de la vidéo et en ce sens révélateur de notre voyeuriste époque. L'aventure continue dans le réel : un des fils de Crane accuse Shrader de montrer son père comme un bigot schizo, il a décidé de mettre en ligne les films «privés» de son papa, pendant que son demi-frère Bobby accuse sa belle mère d’avoir participé au meurtre.

phique trash Public visé : Le public branché (ou ex-branché), ex-lecteur de Façade. Figure dans l’actu : Marie France, transexuel égérie de Pierre et Gilles et des nuits 80's. Phrase type : «Kiképédé, kikébi, kikédrogué» Les victimes parfaites : les happy-few copains avec des «écrivains». Dans la dénégation et l'hypocrisie télévisuelle de nommer des veaux arrivistes «nice people», les vessies des concierges/mateurs passent pour les lanternes du progressisme. Dans la même veine, la bio people, gorgée de name dropping, romance des soirées plutôt banales épicées de sexe passe pour de la littérature.

Dans les pissotières de l’underground Récemment parue aux éditions Denoël, la biographie de Marie France, ouvrage passionnant d'un point de vu sociologique, parcourt plus de trois décennies de destins hors-normes dans le monde de la nuit underground parisienne. Mais le client de ce genre de bio se fout que Marie France ait travaillé avec Marguerite Duras, Téchiné ou Genet, ce qu’il veut, c’est qu‘un type comme Ardisson mette l'accent sur son transsexualisme. A part une minorité qui lira la bio pour retrouver le Paris de l'Alcazar ou du Palace, ce qui fera de ce livre un succès (ou pas), est l'intérêt de la masse pour découvrir que Coluche, Gainsbourg et Nino Ferrer sont passés à la casserole avant, quand l’auteur était encore un homme. Là n'est pas l'essentiel, personne n’est obligé de se focaliser sur cet aspect des choses, mais la réponse de nos amateurs d'histoires de cul ont des arguments massue : la tolérance, la liberté d’expression, l'éducation du peuple, la Vérité. D’autant qu’il y en a pour tout les goûts. Qui n'a pas eu sa bio tire-larmes ? Marie Laforêt et son viol d'enfance révélé pour son psy, Annie Duperey et la mort de ses parents, Chantal Nobel et son accident avec Sacha Distel sans lequel Châteauvallon n’aurait pas été un tel fond de commerce. Leslie du Loft 2 publiant de vrais morceaux de viols a fait plus fort que Loana, mère indigne (la tendance lourde de la bio people inclue le rapport sexuel non désiré, l'accident pédophile étant un plus produit). Les hommes (homos) raffolent des bios révélations : Dave (Tell it all), Jean-Claude Brialy (Le Ruisseau des singes). Moins «grand public», celle de Kim Fowley (Sex, drugs & rock n'roll) est en préparation. Touche-à-tout de génie (réédité par le label français Microbe), Kim Fowley sait vendre sa vie. On y croisera des Beatles, des Punks, Cat Stevens et toute la pop des 30 dernières années, avec force détails croustillants et sans doute quelques descriptions de L.A. Dans la collection «biblio-


Même principe, même émission mais autre séquence ou autre émission et autre séquence : le sort mille fois traité de Joëlle du groupe Il était une fois (les Carpenters du pauvre). Tous les ingrédients sont là pour satisfaire nos plus vils instincts : mort d'overdose, divorce, milieu crapuleux, fans éplorés... «Sa beauté et son oeuvre resteront parmi nous, mais il ne faut pas toucher à la drogue». Mais c’est quand un ancien légionnaire balladurien se lance dans le créneau qu’on se rend compte que la demande pour le salace morbide ne connaît pas de limites. Après avoir surfé sur la mode «l'insécurité est partout» où le journaliste était exempté de quête d'objectivité, Charles Villeneuve, toujours à l'avant-garde des prophéties populistes, commémore Claude François. Expert médical à l'appui, il reprend le joyeux mythe urbain dit de «la mort par vibromasseur». L’extrait est rediffusé dans le Zapping, émission coprophage en matière d'auto-références. Nouveauté : retour gagnant, l’émission qui fait gagner aux has been (Jeanne Manson), la possibilité de ré-enregistrer un album avec Gérard Blanc, ou Julie Piétri. Merci TF1 ! Quand notre vie de salaryman est trop chiante, qu'on se dit qu'il reste 20 ans de traites à payer pour sa maison Phénix, on se rassure en se disant, «même si ma vie est nulle au moins je suis vivant, pas comme ces dégénérés du show-bizness, un vrai monde de requins (sick)».

La relève est assurée. D'autres films tel que Confessions of a Dangerous mind, première réalisation de Georges Clooney sur les dérives de l’inventeur américain de la TV réalité montrent qu’une tendance lourde se dessine à Hollywood. Citons pour mémoire le fameux Star 80 de Bob Fosse, ou comment une playmate petite amie du cinéaste et collaborateur d'Orson Welles : Peter Bogdanovitch finira par trouver la mort dans un déluge de poudres psychotropes de toutes sortes. Bogdanovitch a vu sa carrière brisée par ce film, ou quand la fiction s'inspirant du réel transforme le réel à son tour. Sans compter les diverses tentatives d’adaptations ciné de la vie de la maquerelle moderne Heidi Fleiss. Si on se déguise en assistante sociale, en croisé anti-drogue, en assaillant de la vérité, on est paré pour fouiller dans les défécations les plus ragoûtantes afin de servir un public lui aussi fort scatophile. Nous avons épargné les cas les plus connus des addicts du sexe comme les Mickael (Douglas et Jackson). La fiction s’est toujours auto-nourrie de la réalité. Et c’est pour ne pas se lasser qu’on en demande, à toutes les deux, toujours un peu plus. Pourtant, nos vies, sous l’influence du mal qui arrive aux autres, restent tout à fait les mêmes.

Livre : Marie France: Elle était une fois (Denoël) Disques : Kim Fowley The Dorian Gray of Rock n' roll (Microbe/Discograph) www.microberecords.com

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mieux exhiber. Deux ans de succès, vingt ans de malheur, Sophie entre sur le plateau de Courbet qui tel un maître de la mise en abîme, démiurge déguisé en assistante sociale rajoute du sordide à l'infamie. Elle est plus mal financièrement que nombre des spectateurs, encore plus moche aussi. Ce sous-titre est pensé si fort qu'il imprime nos inconscients… On se sent tout de suite mieux dans notre peau.

shazzula

Le monde de la littérature (auto) biogra-

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Nick Broomfield Hollyblood Le Michael Moore anglais fouille les poubelles du show-biz et s’appelle Nick Broomfield. Victimes de son flair : Heidi Fleiss, Courtney Love, Tupac Shakur et aujourd’hui Aileen, serialkilleuse condamnée à mort. issu d’un monde européen où la politesse et les bonnes manières ont naturellement cours, j’ai été immédiatement frappé par ce parfum de Sodome qui traverse la ville. L’avidité, les ambitions mises à nues, les jeunes filles fréquentant les vieux messieurs, la chirurgie esthétique… Naïvement, j’ai voulu comprendre cette mentalité, cette quête de perfection quasi-spartiate… et finalement mortelle. Dans une scène de B & T, quelqu’un refuse de te parler sous prétexte qu’il a vu tes films et qu’il connaît tes méthodes. Penses-tu pouvoir continuer encore longtemps ? Tu sais, ça marche dans les deux sens. Sur mon nouveau film, Aileen, des gens n’ont pas voulu m’adresser la parole avant de réaliser que j’étais le type qui avait fait Hollywood Madam. Soudainement, ils étaient prêt à me livrer leur mère. En DVD Zone 1. Hollywood Madam et Biggie & Tupac En DVD Zone 2 : Kurt & Courtney

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Quand tu pars enquêter sur la mort de Kurt Cobain par exemple, avec l’idée d’en faire un film, par quoi tu commences : le film ou l’enquête ? Au moment du tournage, je suis prêt à partir dans n’importe quelle direction. Toutes les rencontres et les situations qui se présentent à moi sont bonnes. Et sitôt que quelque chose devient énorme, comme la liberté d’expression et la censure infernale pratiquée par Courtney Love sur Kurt & Courtney ou l’histoire d’amour sado-maso de Heidi Fleiss et de son jules dans Hollywood Madam, je le mets dans le film, quitte à ce que cela devienne le thème principal. Tout ça apporte à l’esthétique documentaire un fil conducteur narratif qui entraine le public dans une aventure. Mon cinéma est un croisement entre la Detective Story et le journal de bord. Davantage que Kurt & Courtney, Biggie & Tupac, ton film sur l’assassinat du rapeur Tupac, révèle ta fascination pour le train de vie déca-dent des stars… Les deux films incarnent des idées différentes. Kurt & Courtney devait être un film musical sur Cobain, mais je n’ai pas pu obtenir les droits sur ses chansons. B & T était pensé dès le départ comme un roman policier. Je suis parti dans l’idée de résoudre un double meurtre non élucidé. Celui de Tupac et de son pote Notorious Big, tous les deux Noirs. C’est un essai sur la question raciale telle qu’elle est posée aujourd’hui aux Etats-Unis. Incidemment, B & T est aussi devenu un film sur la police de Los Angeles et ses rapports troubles avec le rap business. La première fois que je suis arrivé à L.A., il y a 14 ans, j’ai été révulsé. Etant


pleasure principle

SCANNER_NOTRE AMOUR POUR LE COTE SOMBRE DES PEOPLE.

SITES : www.bobcrane.com - www.sonyclassics.com/autofocus - www.mariefranceweb.com - www.findadeath.com - www.franksreelreviews.com/shorttakes/phoenix.htm (toutes les circonstances des morts de vedettes + des photos horribles + emplacement de la tombe‌)

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RENDEZ-MOI MON ©ONCEPT_LES DIFFERENTES FAÇONS D’EXPLOITER UN CONCEPT QUI MARCHE.

La contrainte c’est comme le fouet : c’est hyper bon. Quel intérêt, alors qu’il est possible de créer n’importe comment et dans tous les sens, de s’imposer des limites ? Réponse : la contrainte en tant que muse. prod, ni lumières autres que celles déjà présentes. Je donne tout le temps le même exemple : je refuse de me contenter de sampler un livre qui tombe sur une table et d’en faire un rythme. Délibérément, je sample un livre de Karl Marx ou de Noam Chomsky. Comme le Dogme, je travaille dans le sens d’une esthétique «augmentée», qui dépasse le résultat final.» La contrainte préférée d’Herbert ? La domestication de l’accident. «Au fond, tout le monde y a recours. Dans le processus artistique, tout est accidentel. Je viens de finir la biographie de Brian Wilson. Quand il se demande d’où peuvent venir les mélodies des Beach Boys, il en arrive à dire qu’elles sont tout simplement tombées du ciel. C’est pareil, en jazz, pour l’improvisation : on ressent beaucoup la tension entre accident et composition, chez Monk par exemple. Ce qui est marrant avec les musiques électroniques, c’est qu’il peut y avoir un accident une seule fois, et si on est en train d’enregistrer, on peut construire de toutes pièces des morceaux à partir de ça.» Oui, mais, sauf s’il avait un accident de voiture. The Matthew Herbert Big Band, Goodbye Swingtime, (Accidental Records) Sébastien Pruvost

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L’essence de la contrainte : un ensemble de règles que se fixe un artiste ou un collectif, pour jouer à les transcender. La contrainte est à la fois la branlette intellectuelle absolue et le jeu pour le jeu, avec le problème suivant : quand c’est réussi, ça peut être brillant, quand c’est raté, c’est juste nul et chiant. Autant dire que le mot en lui-même sonne limite stalinien, et que s’y frotter relève du sado-masochisme light. Le plus étonnant reste que parmi ses adeptes, de tout temps et dans tous les domaines, se trouvent les individus les plus libres et insoumis. Loin des vers en pieds du théâtre classique, des rimes riches de la poésie romantique ou des harmonies et contrepoints des compositeurs en collant et catogan, nos contemporains rivalisent d’imagination pour se lier pieds et poings. En littérature, depuis 50 ans, l’Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle) dont Perec faisait partie, s’amuse de lipogrammes, palindromes et autres joutes verbales. Au cinéma, une bande de cinéastes danois têtes à claques mais surdoués lance Dogma 95, travaillant sur la même idée : construire le labyrinthe dont on se donne les moyens de pouvoir sortir. Penchons-nous tout particulièrement sur la musique. Au début du XXème siècle, Schoenberg, Berg ou Webern décident que le carcan de la musique tonale ne les intéresse plus. A bas l’harmonie ! Vive la liberté atonale ! C’est ainsi que naît


Inspiré de ces prédécesseurs doloristes, Matthew Herbert, musicien bricolo-house d’envergure, «prod-artiste», ou «art-ducteur», selon ses mots, sort un nouvel album empreint de fantaisies contraignantes. Il présente son PCCOM (Contrat Personnel de Composition de la Musique), une liste de dix contraintes qu’il applique à toutes ses productions. Après plusieurs albums lumineux, Goodbye Swingtime est légèrement décevant. L’idée est intéressante (un big band + de l’électronique + PCCOM !), mais le résultat est un peu difficile, comme le sont tous les exercices liés à des règles. Comment se situe-t-il par rapport à Dogma, lui qui a travaillé sur un film avec Thomas Vinterberg l’année dernière ? «On a en commun ce rapport au contexte : par exemple ils n’utilisent que des accessoires qui se trouvent sur le lieu du tournage, la musique doit provenir du lieu de tournage, ils ne peuvent ajouter ni musique en post-

Best of du PCCOM

Personal Contract for the Composition of Music - Interdiction absolue d’utiliser des sons déjà existant. Surtout : pas de boîte à rythmes. - L’utilisation de la matière première sonore et sa manipulation sont considérées comme critères prioritaires en matière de composition. - Interdiction absolue d’utiliser la musique des autres. - L’inclusion, le développement, la propagation, l’existence, la duplication, la reconnaissance, la légitimité et la beauté de ce qui est généralement tenu pour des «accidents» sont encouragés. Leur sont reconnus autant de légitimité dans la composition que les décisions et actions délibérées, conscientes, préméditées. - Chaque sample sera détruit à la fin du morceau sur lequel il a été utilisé. - Les remixes sont effectués uniquement grâce aux sons du morceau original et des bruits produits par le packaging du support contenant ce morceau.

RENDEZ-MOI MON ©ONCEPT_LES DIFFERENTES FAÇONS D’EXPLOITER UN CONCEPT QUI MARCHE.

le principe dodécaphonique qui consiste grosso modo à ne passer d’une série de notes à une autre (d’où l’autre nom, musique sérielle) qu’après avoir utilisé chacun des douze demi-tons d’une octave. Tout ceci dans l’idée de remplacer la notion classique de reprise par celle de variation. L'un des buts principaux étant d'arriver à la variation perpétuelle d'une idée musicale donnée. Plus tard, tandis que Boulez ou Messiaen poussent le dodécaphonisme à l’extrême, Xenakis, lui, s’impose de transposer des équations mathématiques et des figures géométriques en partition.


HAUT ET BAS_DES CAPACITES, PEUT MIEUX FAIRE.

-Devine qui vient dîner ce soir ? Comment être une artiste black médiatisée de son vivant aux Etats-Unis ?

Le racisme bas du front est un mal connu et répertorié, par contre il y a encore beaucoup à dire sur ses incarnations «progressistes». Damali Ayo, jeune artiste de Portland (Oregon) en a eu assez de supporter les questions faussement humanistes de son entourage : «Est ce que les Noirs bronzent ?», «Je peux toucher vos cheveux ?». Plus insidieux et pervers que le racisme du beauf, il en est un d'autant plus irritant qu'il touche les éléments «éduqués» de la société : «Est ce que vos ancêtres ont connu les négriers ?». Contre tout cela, Damali Ayo crée le site www.rent-a-negro.com et veut que «le public soit traversé par l'inconfort, la confusion, la colère, la joie, la tristesse, tous les types d'émotions.» Son site propose de louer les services d'une personne afro-américaine bien éduquée, agréable à regarder et fort accorte. Le bobo progressiste n'ayant pas eu le temps de se faire des amis noirs pourra ainsi montrer qu'il reste à la pointe et qu'il met ses convictions en pratique au sein de sa vie sociale. L’artiste se définit comme «une manipulatrice honnête, qui présente des contradictions et attend une réponse». La première des réponses aura été une polémique dans les médias américains. Il faut l'avouer, le résultat de la provocation est jouissive. Les messages de réaction des internautes qui ne savent pas que le site est factice sont rassurants quand il s’agit de s’offusquer et effrayants quand certains trouvent l’idée géniale, passent vraiment commande ou en profitent pour exprimer leur haine. Le tout est d’un plaisir rare puisqu'il met à mal le paternalisme pataud d'une certaine frange bourgeoise si bien pensante de la société. Amali Ayo a décidé de pousser la performance jusqu'au bout puisqu'elle va vraiment se louer et inclure le résultat de son travail dans son œuvre.

POUR

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Faire de la provoque démago.

www.rent-a-negro.com

HAUT ET BAS_DES CAPACITES, PEUT MIEUX FAIRE.

-Un noir chérie !

CONTRE Est ce de l'art ou de l'agit prop ? Ayo déçoit quand elle déclare : «Quand un Blanc m'apprend quelque chose, je sens l’insistance et l’urgence des maîtres s'adressant à leurs serviteurs ou à leurs employés. Je comprends l'environnement blanc puisque j'y ai été forcée. Mais les Blancs ne sont obligés à aucun niveau d'apprendre d'autres cultures. Je n'en suis pas folle, mais j'aimerais d'avantage d'équité». Finalement en y regardant de plus près, la démarche de cette jeune artiste s'inscrit dans la droite lignée radicalo-cucul à la Guerilla girl avec cette morgue des gens persuadés d’améliorer les choses, «J'ai raison et si tu comprends pas la puissance de mon art t’es un réac ou pire encore». Se battre pour garantir un minimum social à toutes les minorités défavorisées aux USA vaut toutes les African studies et toutes les tentatives de culpabilisation du Blanc mâle occidental considéré par ses spécialistes de l'auto-victimisation comme l'oppresseur ultime. Plutôt que de battre sa coulpe dans un grand élan fraternel, l'observateur astucieux fera mieux de s'interroger sur l'histoire du canular qui veut se faire plus grand que ce qu'il n’est. Les situationnistes, et Debord en tête, voulaient dépasser l'art en l'atomisant, Ayo devrait suivre leur voie puisque le système US la dégoûte, relancer les Black Panthers ou militer concrètement pour un système social et éducatif plus équitable mais pas faire un business subventionné de ta révolte. Le ressentiment, s'il est compréhensible, a rarement fait de bonnes oeuvres surtout s'il se pare d'idéologie pour se justifier. Finalement si un jeune-Blanc provocateur avait créé ce site pour faire chier ses parents bobos, ça aurait été moins prétentieux, plus drôle, plus dérangeant et donc, plus utile. Jean-Emmanuel Dubois

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Après la nature morte, l’être vivant. Par Elfi Turpin et Magali Aubert

papillon manipule par marta de menezes

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Art Biotech

possible. L’idée qui consiste à s’accepter tels que la nature nous a construits est remplacée par le sentiment qu’il est envisageable de se réinventer. Aujourd’hui, ce courant phénoménologique porte son interrogation principale sur la perspective de «pièces de rechange organiques», notamment la peau : membrane perméable, bordure éphémère, médium de création métaphorique et d'hybridation. Les philosophes pensaient résoudre le problème de la technique par la morale, mais la biochimie échappe aux diverses tentatives de contrôle et se développe de manière autonome. La question n’est pas ici de savoir si la technique est en harmonie avec la société et le monde naturel (les débats récurrents sur le clonage, le nucléaire, les ondes des portables, les armes chimiques…) et si elle ira jusqu’à nuire à la survie de l’humanité. Celle qui nous intéresse est de savoir si, autonomisés, banalisés, rendus amusants par l’art, les progrès génétiques et nanotechnologique, ne sont pas plus dangereux entre les mains d’artistes farfelus sans surveillance qu’entre celles de savants militaires. L’intérêt pour l’ahurissant est logique. Les progrès techniques ou scientifiques sont nécessairement récupérés par des créateurs. Il est normal donc qu’ils se jettent sur le domaine du vivant. On ne va

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L'émergence des biotechnologies est le nouveau créneau d'inspiration des artistes toujours en quête de modes d'expression. Depuis le début du XXè siècle, l’art tente de dépasser la simple représentation et l’imitation, il trouve aujourd’hui de nouvelles transgressions dans la simulation et la création d’êtres vivants. Cela est-il dangereux ? Aujourd’hui, le fameux sujet de bac «science sans conscience n’est que ruine de l’âme» devrait être posé aux Beaux-Arts ! Intentions d'approche…

Les artistes ayant recours aux biotechnologies et à la culture tissulaire comme moyen d'expression soulèvent un nouveau débat. Ce n’est plus seulement aux scientifiques qu’incombe le risque de dérive génétique : l’éternelle fascination un peu facile et simpliste des artistes pour les sujets qui perturbent par eux-mêmes la société est désormais en cause elle aussi. Quand, au début des 90s, les artistes ont commencé à témoigner leur enthousiasme pour les progrès des biotechnologies (avec notamment l’exposition Post human à Lausanne en 1992), ils étaient convaincus que tout était


Parmi les plus médiatisés, (voir page 44) Jens Hauser, commissaire de l'exposition de Nantes, présente le couple Symbiotica (Tissue Culture and Art), Art Orienté Objet (Marion Laval-Jeantet & Benoît Mangin) tous plus ou moins inspirés des travaux de Edouardo Kac et Oron Catts. Tous sont passés par la Harward Medical School de Boston (l’antre de la recherche moléculaire, où sont fabriqués des kilomètres de tissus vivants) et travaillent en collaboration (ou en cachette, le nez dans les poubelles) avec des laboratoires pharmaceutiques. Ils sont lucides et semblent tournés vers les bonnes causes (certaines associations de protection des animaux font appel à eux) mais d’un autre côté, leur travail consiste aussi à mettre en

eduardo kac, genesis 2002

Même Bill Joy, le fondateur de Sun Microsystems et de Java, est revenu de ses illusions. Il parle de «technotopie, l’utopie technologique», et met en garde contre la facilité qu’on aurait à construire des robots capables de se reproduire et donc, de détruire l’écosystème. Il pense que les dégâts dus aux nanotechnologies pourraient équivaloir à

cent Hiroshima, à mille Tchernobyl. L’opinion artistique adopte une critique prophétique mais n’est-elle pas ignorante ou insuffisamment éduquée ? Le monde de l'art contemporain est pluriel et ouvert, chacun peut s'y introduire. Laisser des artistes évoluer dans ces domaines alimente la peur d’éventuelles inspirations funestes. De plus, au service de quelle idéologie personnelle militent-ils ?

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pas empiéter sur le débat de la liberté de l’artiste, de sa responsabilité morale, etc… Au-delà de ça, les expériences de la biotechnologie ne sont pas sans dangers. Si certains voient les technosciences et leur transgénèse sauver le Tiersmonde, éradiquer les maladies et la pollution de l’eau, certains chercheurs - comme Frédéric Jacquemart qui a dit non au développement des manipulations génétiques en démissionnant de l’Institut Pasteur - font l’objet d’une méfiance croissante. De plus en plus de scientifiques déplorent le défaut de théorie présidant aux bricolages de la génétique moléculaire. En introduisant n’importe quels gènes dans n’importe quel génome, ces hommes cautionnent l’anéantissement de l’historicité et de l’évolution, et désorganisent le système vivant dans son ensemble.

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peaux d’artistes, art oriente objet

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comme quasiment impossible à qui n’est pas devin. N’est-ce pas la biologie qui est venue à l’art, en touchant à l’âme, domaine supposé d’élection des artistes, par le biais des clones. En perdant son objectivité, en transformant la réalité génétique, en en créant une nouvelle… Spéculations jusque-là propres à l’imaginaire artistique qui aboutit à «une science qui a perdu jusqu’au souvenir qu’elle avait pu se ranger sous la bannière de la vérité.»** L’humanité teste ses propres limites. Jusqu’au vertige, la science n’a jamais connu d’aussi grande implication. Bacon avait prévenu : «tout ce qui pourra être fait sera fait» et puisque les labos de biologie et les ateliers se rejoignent dans la démarche somnambulique de l’interrogation du futur, qui sait s’ils ne parviendront pas ensemble à un renouveau à la fois sensible et rationnel. Et si le système vivant qui émergera des créatures créées par l’homme s’avérait mieux que l’homme lui-même ? M.A. * D. Foray Les modèles de la compétition technologique ** Jean-Pierre Berlan La guerre du vivant

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image les peurs et fantasmes populaires. On peut les soupçonner de profiter de la médiatisation de découvertes effrayantes et de participer par là au bluff flagorneur du «tout est possible au nom de l’évolution». Tout semble possible en effet pour les labos qui appartiennent aux multinationales. L’art est devenu un médium autant pour les associations pour la survie des espèces que pour ces laboratoires. Ils collaborent donc au mercantilisme du délire scientifique qui saisit la biologie moléculaire. Entre les firmes et l’Etat qui sponsorisent ces expériences, la problématique économique et les intérêts sont de véritables enjeux pour les labos. Les start-up biotech lèvent des sommes considérables, comment empêcher qu’un jour, pour communiquer, elles manipulent des «artistes» ? Ce qui est certain c’est que cet art nouveau profite, comme la recherche, des failles juridiques, d’une grande médiatisation et du point aveugle de la philosophie des sciences. Nous avons besoin rapidement d’un organisme de contrôle mondial.

Ces nouveaux Frankenstein répondent à la fatalité technique, à notre dépendance de naïf enfant admirateur de la puissance, de grandeur, à l’innovant. Il leur est devenu possible, en compétition avec les scientifiques dans la course au fabuleux, de bouleverser l’environnement matériel, psychologique et social des hommes. Du pain béni pour ceux dont le rôle a toujours été de faire accéder par leur perception propre à une prise de conscience. Ils imposent là un point de vue sur une réalité qu’ils rendent plus prometteuse.


armelle simon

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De même que les Twins Towers ne servaient pas seulement à abriter des bureaux, mais écrivaient dans le ciel la puissance du capitalisme libéral, la génétique ne se limitera pas à guérir des maux, mais à prouver la suprématie de certains hommes sur d’autres. «La science ne pense pas» disait Heiddeger dans le sens où elle ne prend pas en compte la sensibilité. L’art qui l’accompagne, de ce point de vue, peut rassurer car il reste au-dessus de la réalité, ne descend pas aux abords neutres du rationnel. L’artiste n’a pas d’argument plus fort, plus spontané que sa sensitivité et cela reste avant tout apaisant. Sa participation sensible aux questionnements de la biologie moléculaire ne peut être que positive. L’évolution mêle progrès médicaux, machines et symboles (exemple le bébééprouvette). Il est naturel, dès lors, que les arts «plastiques» y prennent part. Pourquoi la prochaine invention révolutionnaire ne viendrait-elle pas d’eux ? En approchant la

science, l’art dépasse la pure imagination. En utilisant des éléments que personne ne maîtrise, l’artiste créateur ne peut pas pré visualiser le résultat, il se rend au hasard de la génétique. Edouardo Kac dit que «être amené à produire un geste dont les conséquences n’apparaissent qu’après» est un moyen d’approcher la vie dans le domaine des possibles. Comme des vaccins découverts par erreur, il se peut qu’en choisissant des domaines inexplorés, un créateur esseulé trouve une formule qui fera faire un bond à la destinée mortelle de l’humanité : «On ne choisit pas une technique parce qu’elle est efficace, mais c’est parce qu’on la choisit qu’elle devient efficace.»* Que la recherche soit utilisée à d’autres fins que la productivité ou la défense est un bienfait. C’est le propre de l’homme et plus encore celui de l’artiste d’aller au bout de ses questionnements sans en connaître les retombées. Mais on se demande s’il est possible d’avoir un débat franc dans le domaine biotech avec des responsables qui ne soient pas influencés par des intérêts économiques ? Et quand bien même cela serait envisa-

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Fami l l e Cyborg

Hybridation, manipulation du vivant, création, matière construite, l’art transgénique est une histoire de famille. La très médiatique Orlan questionne le corps depuis trois décennies, et en particulier le corps féminin en tant qu’objet et sujet, l’identité et par extension, la manipulation physique, biotechnologique et esthétique. Elle met en œuvre son image lors d’opérations-chirurgicales-performances et matérialise les pressions sociales exercées sur ce corps. Dans le cadre de sa démarche de «self hybridation» africaine et d’art charnel, elle travaille actuellement sur le projet d’un métissage par greffes de peau noire et de peau blanche et sur la construction d’un manteau de peaux d’Arlequin. La simulation pour l’instant informatique devrait mener, à terme, à la concrétisation matérielle.

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LE PADRE : Eduardo Kac Révélé en France par Alba, sa lapine phosphorescente, l’artiste brésilien Eduardo Kac est le défricheur de l’art transgénique et plus globalement de l’utilisation esthétique des nouvelles technologies. Ses outils : la télématique, la robotique, l’informatique et les biotechnologies. Sujet de réflexion : l’interaction dialogique par une confrontation des problèmes épineux d’identité, de communication, de médiation et de responsa-

bilité. Son œuvre : l’holopoésie, la téléprésence et la biotélématique. Au début des années 80, Eduardo Kac, évoluant au sein de la littérature expérimentale, prend conscience du caractère inopératoire et contraignant du cadre de la page asservissant la poésie. Il s’attache à libérer la lettre en la faisant évoluer dans les trois dimensions de l’espace physique. Il crée ainsi en 1983 les concept d’holopoésie (construction textuelle holographique à l’architecture fluide et immatérielle) et de poésie animée sur Minitel. De 1988 à 1998, il développe une série d’œuvres se regroupant sous le terme générique de téléprésence. Point d’orgue de cette expérience : Ornintorrinco, le petit robot autonome. Une coquille vide «habitée» et gérée à distance par le public via le téléphone puis l’internet. C’est dans cette recherche de la connexion consistant à associer les différentes composantes du vivant (humaines, animales) et en dernier lieu des systèmes organiques et technologiques que s’organisent ses récentes créations biotélématiques. Kac lance ainsi le projet «lapin PVF», petite lapine albinos (d’où le sobriquet Alba) chez qui des chercheurs de l’INRA ont introduit le gène bioluminescent de la méduse. Le blanc de ses poils et de ses moustaches vire au fluo sous la lumière ultra-violette. Alba étaie, selon Kac, un débat sur les rapports entre art et science, sur «les notions de normalité, d'hétérogénéité, de pureté, d'hybridation et d'altérité», et enfin sur


Poupees a soucis, Symbiotica

LA PROGENITURE : le groupe SymbioticA/ TC&A Le groupe Tissue Culture and Art du laboratoire SymbioticA, à l’Institut d’anatomie et de biologie de l’université d’Australie occidentale s’inscrit avec notamment ses travaux sur la culture tissulaire, dans la mouvance du body art. S’intéressant aux possibilités des greffes organiques, et plus particulièrement des autogreffes, les artistes ne font plus uniquement une utilisation réparatrice mais également esthétique des innovations médicales. Le corps devient matière première. Pourquoi ne pas le redessiner ? Leurs œuvres dépassent toutefois les questionnements d’un éventuel art corporel ou art charnel. Cherchant à «travailler avec de la vie», le groupe SymbioticA présente pour la première fois en 2000 des créations vivantes. Ces artistes font grandir des Poupées à soucis, sculptures semi-vivantes de quelques centimètres provenant de la culture tissulaire. Le public peut les nourrir et assister à leur mise à mort à la fin de l’exposition. Selon la tradition des Aborigènes d’Australie, elles représentent nos peurs, et dans ce cas, chacune de nos craintes face aux biotechnologies. Plus récemment au Lieu Unique à Nantes, nos artistes de laboratoire ont développé leur projet de «cuisine désincarnée». Ils ont réalisé à partir de cellules de grenouilles prénatales, une culture de steaks amphibiens qui croissent pendant la durée de l’exposition sans devoir pour autant sacrifier aucun animal. Une alternative à l’élevage. Si on pousse un peu plus loin le processus, ne peut-on

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«le dépassement des barrières matérielles et conceptuelles de l'art actuel pour pouvoir y inclure la création d'un être vivant». Eduardo Kac crée des œuvres transgéniques afin d’incorporer les réactions et les décisions des participants. En 2002, il met en place Genesis un dispositif complexe permettant aux visiteurs (de l’exposition et du site web) d’agir en direct sur la séquence ADN d’une vulgaire bactérie. Avec ses interfaces «homme-plante-oiseau-mammifère-robot-insecte -bactérie», l’artiste met en lumière le mystère et la beauté de la vie qui «sont aussi grands que toujours lorsque nous admettons notre étroite parenté biologique avec d'autres espèces et lorsque nous comprenons qu'à partir d'un jeu limité de bases génétiques, la vie s'est développée sur terre avec des organismes aussi divers que les bactéries, les plantes, les insectes, les poissons, les reptiles, les oiseaux et les mammifères.»

imaginer selon un procédé similaire une culture de steak d’homme ? L’artiste biotech est-il prêt à transgresser l’ultime tabou du cannibalisme ?

LES COUSINS : Le duo art orienté objet Ce duo français travaille en particulier sur la question de l’intégrité physique de l’homme et plus largement sur le problème de manipulation du vivant par le corps social. Marion Laval-Jeantet & Benoît Mangin s’adonnent depuis plus d’une dizaine d’années à une série d’expériences avec, ou le plus souvent en marge, des laboratoires de recherche aux poubelles encombrées. Ils ont récupéré, par exemple, une poule-vautour génétiquement modifiée qu’ils ont fait empailler, un veau cloné fluorescent, une vache top-secrète. Ils travaillent également sur l’allergisation à l’homme et tentent, sans succès, de ressusciter le dodo, l’oiseau disparu. A la limite du fétichisme, ils se procurent la laine de la brebis Dolly et tricotent des organes. Cobayes volontaires, ils se consacrent à la culture de peaux d’artistes sur derme de cochon. Ces peaux sont tatouées de symboles animaliers et destinées à ce que des collectionneurs se les fassent greffer. Avis aux amateurs. E.T.

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Pourquoi les animaux s’invitent-ils si souvent sur la scène de l’art contemporain ?

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Du réel, du vivant Dans les années 10, l’objet fait irruption dans l’art moderne avec les collages de Braque et de Picasso, les premiers Ready Made de Marcel Duchamp ou les dessins mécanistes de Picabia. L’objet usuel contextualisé réintégre une notion de réel et gagne le statut supérieur d’œuvre d’art. Il devient matériau de choix au moment du plein essor technologique. Le bien manufacturé est humanisé, sexué par Picabia et ses portraits mécanomorphiques. Le Portrait d’une jeune fille américaine dans l’état de nudité (1915) représente le dessin technique de la bougie d ‘une voiture décorée d’un explicite «For-ever». L’utilisation de l’animal dans l’art renvoie, aujourd’hui, à un processus similaire en répondant à la volonté anti-artistique qui prônait, avec Dada ou avec l’art concret, la réconciliation de l’art et la vie. A ce titre, l’animal dépasse la tautologie de l’objet choisi pour évoquer la vie elle-même, celle de l’auteur et celle du spectateur. Le vivant remplace l’objet en tant que matière première et mode d’expression. L’animal est-il construction de l’homme ?

Le yorkshire, cette œuvre d’art L’élevage sélectif ou industriel de nos bêtes de concours et petits compagnons tendent à en conserver le standard ou à en améliorer les performances physiques. Ces précautions d’éleveurs mettent en jeu des questions ambiguës de lignée, de race ou de sang. Le yorkshire est le fruit d’une longue sélection de chiens petits, peroxydés et hargneux. Le caniche royal est une sculpture. Le poulet de batterie aux très grosses cuisses est un bien de consommation fabriqué en série. La manipulation du vivant est donc bien antérieure à l’avènement de la recherche génétique ou du clonage. Elle répond par ailleurs aux questions plastiques soulevées par les besoins d’un art organique capable de se détacher des contingences extérieures de représentation du réel. La bête est pure création. L’œuvre d’art sous cette forme pousse et grandit, quasi autonome. Néanmoins mis en scène, l’animal joue un rôle à la fois symbolique, moral et métaphorique. Il est le reflet des faiblesses humaines et de prises de positions politiques ou métaphysiques. Autoportrait et écologie du geste artistique Le corps de l’homme, élément central imposé par les protagonistes de l’art performance et du body art des 70s laisse progressivement place à un

thomas grünfeld courtesy jousse entreprise

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I wanna be your dog


Wim Delvoye, Mickey Mouse, 2001 courtesy galerie obadia

Le règne du bisounours L’animal est donc un appareil critique efficace. Dénaturé, il va bien au-delà de ce qu’une représentation humaine aurait pu autoriser. Ainsi sont fréquemment imaginées des scènes animales torrides et burlesques. Paul Mc Carthy offre au regard les ébats d’un lapin et d’un ours en peluche à taille humaine tandis que Wim Delvoye immortalise les amours d’un daim et de sa biche dans une position anthropomorphique. La figuration animale, exagération comico-grotesque, est source de dégradation, dénigrement et humiliation jubilatoire du genre humain. Il attaque dans ce sens avec ironie et nonchalance le sérieux des avancées technologiques -et en ce qui nous concernebiotechnologiques de ces dernières décennies. Les

Misfits de Thomas Grünfeld agissent à cet effet sur plusieurs niveaux. Ses taxidermies d’animaux hybrides, cygne / gnou et autres coq / daim, s’inscrivent dans les pratiques anciennes qui sont celles des cabinets de curiosité. En effet, le cabinet de curiosité, regroupant collections minérale, végétale, animale et objets rares, tentait d’offrir à son possesseur une connaissance ordonnée du monde et apparaissait comme une justification concrète des textes antiques. Quelques «authentiques» animaux fabuleux étaient alors fort prisés. Corne de licorne ou sirène empaillée (buste de singe sur queue de thon) donnaient corps aux croyances anciennes. Les animaux chimériques de Grünfeld ne se font-ils pas l’écho des légendes populaires modernes engendrées par une crainte de la transgénèse ? L’animal double semble dès lors symptomatique du spectre de la manipulation génétique et de ses malformations. Chien-chien géant de Jeff Koons, cochons tatoués de Wim Delvoye, costume de lapin rose de Cattelan, ours blanc au radio cassette de Mark Dion, autruche / vache de Thomas Grünfeld, congrégation de nounours de Philippe Parreno, pieuvre vivante se promenant dans les rues Tokyoïdes de Shymabuku, le bestiaire contemporain dénigre avec bonheur les valeurs scientifiques positivistes et désarment, si cela était encore nécessaire, l’œuvre d’art.

CA CHAUFFE_L’ART BIOTECH EST-IL DANGEREUX ?

zoomorphisme ambiant évacuant ainsi toute velléité narcissique. L’œuvre emblématique de Maurizio Cattelan - Bidibidobidiboo - présente le suicide d’un petit écureuil empaillé gisant sur une table, un revolver à ses pieds dans une minuscule cuisine. Cette scène dérisoire et polysémique porte simultanément un coup au corps social générant l’acte de suicide même chez les plus innocents et attaque les actions funestes de l’homme sur la nature. De même Annette Messager récupère peluches et autres rebuts de l’enfance aux Puces qui rejoignent les «Anonymes». Une armada de nounours et d’animaux empaillés se coalisent à la nature sans cesse trahie, bafouée et négligée par l’homme.

E.T. Kitch et drôle, l’expo Pour l’amour des chiens à la Fondation Bismark 34, av. de New-York Paris 16è du 2 juillet au 30 août.

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liliane galanger

La capsule de junk-food On connaît les tendances des fabricants de craquelins, chips et autres éponge-alcools à la pseudodiversité gustative : moutarde, herbes de provence, bacon et autres crème-oignon. La principale caractéristique de ces arômes : ils sont un concentré des aliments qu’ils représentent (mais qu’ils ne sont pas, de toute évidence), réduisant, par quelque chimique opération, un pot entier de crème sur une surface de quatre centimètres carrés de pommes de terre reconstituées, le tout étant acidifié à la puissance mille. Un fabricant de biscuits apéritifs en forme de monstres est allé un peu plus loin dans cette tendance, en inventant l’arôme... pouletmayo. Dans un premier temps, il s’agit de s’ôter de l’esprit les conditions de fabrication de la chose (comme quand le bruit avait couru que la plus célèbre chaîne de fast-food préparait ses nuggets avec des poules entières broyées, plumes et os compris...). Sent-on le goût du poulet ? De la mayo ? Difficile à dire. Aucun des deux, en fait. Mais on connaît ce goût. Attendez. Mais oui, c’est le gôut de la junk food, tout simplement : la graisse qui dégouline du kebab nocturne, l’huile de friture du fastfood, la mayo durcie au soleil... En un biscuit, on a avalé à peu près tout cela. Beurk ? Miam ? Je ne sais pas, je ne veux pas le savoir. De toute façon, il commence à se faire tard, je suis déjà bourrée.

ANTIF**DING_UN ART DE VIVRE AU QUOTiDIEN.

#3

Liliane Galanger

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COMMENT GERER UNE ACTU POURRIE_EN L’OUBLIANT.

K a t e Hudson «On ne parle pas de mon nouveau film ?» Elle était Presque célèbre. Le film d’une seule actrice. Le rôle d’une vie: Depuis, Kate Hudson a joué dans Comment se faire larguer en dix leçons, qui sort ces jours-ci. Comment éviter le sujet ? Ne pas en parler.

Très simplement (rires). Il y avait quelque chose de magique dans le fait de jouer Penny Lane, une fille si pleine de vie et de mystère qu’elle ensorcelle de sa présence le rock’n roll circus des années 70. Elle est comme un mirage aux yeux nostalgiques de Cameron, qui a fantasmé cette époque (il était là, il s’en rappelle). Penny faisait naître des vibrations autour d’elle et capturait l’essence même de la musique, du moins ce qu’elle représentait pour ceux qui en jouaient. Je parle d’elle au passé parce que pour moi elle a quasiment existé. Elle aurait pu Comment devenir star en un film ? En ayant la chance de croiser des types comme exister. Aujourd’hui, quand je revois le film, j’arrive Cameron Crowe. L’expérience que j’ ai vécue sur à m’extraire totalement du personnage et de «la Presque Célèbre a réellement été vertigineuse, pas performance». Je ne vois que sa musique à elle. seulement du point de vue de ma carrière mais dans le voyage spirituel effectué. Ce film repose sur un Comment vivre avec une rock star ? (son mari, Chris travail de cœur. C’est tout l’amour de Cameron pour Robinson, est le leader du groupe Black Crowes) Chris représente pour moi tout ce que peut être le la musique. rock: la non-compromission, la lutte, la légèreté, la Comment se faire à l’idée que l’on représente l’incar- sincérité, la rage de vivre... Etant moi-même fan de nation vivante du rock’n roll selon Cameron Crowe ? guitares, on s’entend comme un charme.

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suis si bien mariée que cette idée-là ne m’a jamais traversé l’esprit.

Si, si. Comment gérer sa nouvelle image d’actrice romantique ? Je n’ai pas vraiment réfléchi en me lançant dans Comment larguer un mec.... Cela me semblait une bonne idée sur le moment. Le succès du film aux Etats-Unis m’a transportée ; ce n’est pas si facile de faire rire les gens.

Comment tourner trois films en un an ? Du sommeil et du cœur à l’ouvrage. En réalité, j’ai pris une année sabbatique après le tournage de Four Feathers (film d’aventures de Shekar Kapur, toujours inédit en France, ndr) et il s’est trouvé qu’à mon retour devant les caméras deux films m’attendaient, successivement. Je suis prête pour une autre année à ne rien faire:

Comment tourner un film avec Matthew Mc Conaughey (son partenaire dans Comment larguer...) sans porter plainte pour harcèlement sexuel ? Oh Goodness, you French ! Matthew est un ange. Je

Le vôtre sans doute... Non, non, non. Matt est très respectueux. Notre collaboration fut platoniquement fructueuse.

Comment se faire larguer en dix leçons, Daniel Petrie, sortie le 11 Juin. Arthur Miquelet

COMMENT GERER UNE ACTU POURRIE

Comment grandir avec des parents célèbres ? Je ne suis pas «l’enfant de cinéma» de Goldie Hawn et Kurt Russel. J’ai grandi à l’écart des plateaux. Mais ça, j’ose espérer que les gens en ont conscience, qu’ils ont même oublié «d’où je venais». On ne parle pas de mon nouveau film ?

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RELECTURE_TROP JEUNES POUR AVOIR LU. 52

Gris presque flamboyant ANDRÉ BEUCLER Gueule d’amour (Ed. Folio / Gallimard) GEORGES SIMENON Romans I et II (Gallimard / Pléiade)

Gueule d’amour, pour tous, c’est le film de Jean Grémillon, tourné en 1937, avec dans les rôle-clés, Jean Gabin et la sublime Mireille Balin. C’est dommage, et la postérité n’est pas si ingrate qui, réédition après réédition, rend justice à l’auteur du roman éponyme : André Beucler (1898-1985). Cet intime de Giraudoux et de Léon-Paul Fargue, auxquels il consacra deux très beaux hommages (Dimanche avec L.P. Fargue et Les Instants de Giraudoux), ce compagnon de Morand, de Max Jacob, de Cocteau, de Kessel, de Saint-Exupéry, fut un des exemples les plus aboutis de ce que l’on a pu nommer – le cinéma de Julien Duvivier en étant la plus vive illustration – le réalisme poétique. Tout chez Beucler est allusion, suggestion, ouverture. Pas de jugement, seulement un style au service d’une poésie inouïe : «Toute vie profonde a une façon incompréhensible de toucher au réel que l’explication défigure» écrivait-il dans La Ville immobile, un de ses plus beaux romans. A son propos, Morand écrivait : «Il y a des années que je n’ai pas adhéré à un auteur avec autant de contentement.» Et Kessel, dont on connaît le discernement : «Ton talent me rendrait un peu envieux si je t’aimais moins.» Quoique profondément romantique, Beucler aime le gris, le quotidien, sa richesse, sa prodigalité aussi ; les femmes, la naissance du désir, la difficulté d’aimer, le destin et l’attente. Gueule d’amour, c’est le surnom donné à Lucien Bourache : séduire il sait. Aimer, en revanche, le précipite dans la désolation. Il aimera une femme, une inconnue rencontrée après l’Armistice,

que deux autres hommes aiment aussi, nonchalante et désirable, vagabonde et sensible à tous les sourires. Une femme dangereuse. Une femme perdue comme on le dit d’une balle. Et ça fait mal. On connaît le procédé, Morand, dans La Glace à trois faces, et Yashushi Inoué dans Le Fusil de chasse, y ont recours. Mais la spécificité de Beucler, c’est de montrer ces trois hommes simultanément aux prises avec la passion pour une même femme, ce qu’ils ignorent. Evidemment tout cela finira mal, mais a-t-on jamais vu Tristan, Iseult, Roméo ou Juliette, heureux ? Eros et Thanatos, comme le disait l’économiste Keynes à peu près en ces termes, «c’est toujours le même qui reste». Simenon, c’est une autre affaire. Quoique. Lui aussi aimait le gris, la ville, les «gens ordinaires». Il avait une sincère sympathie pour les personnages moyens pas médiocres : moyens, juste moyens - qui constituent son monde. Reste que sa publication en Pléiade est un événement, la revanche de Gide sur Paulhan. Gide, si peu romancier, était fasciné par Simenon, leur correspondance en témoigne. Paulhan n’aimait pas Simenon, qui le lui rendait bien : trop «homme-de-lettres» à son goût. Le choix de 21 romans qui composent les deux volumes de La Pléiade couvre les périodes «française», «américaine» et enfin «suisse». Les maîtres d’œuvre de cette édition ont bien travaillé. Le Commissaire peut rentrer se coucher, sa femme l’attend : l’affaire est dans le sac. François Kasbi




Propos recueillis par Caroline Hamelle Videopicts Nicolai Lo Russo

Vous devenez plus sage ? Non. Je deviens de plus en plus adolescente. L’adolescence c’est le meilleur morceau. Si vous arrivez à vous construire en gardant cette sève alors vous n’êtes jamais vieux. C’est très dur de préserver l’insouciance du temps où on n’a pas reçu de coups et où on avait envie de foncer. L’essentiel c’est de garder encore l’envie malgré tout, de continuer vers notre décision de base sans se laisser rogner les ailes. Belle vision… C’est peut-être ça le vrai sens. La joie, elle, est formidable mais éphémère, c’est une explosion, c’est comme être amoureux. Mais le bonheur vous ne l’atteignez jamais, il est justement dans la souffrance. Des amis m’ont dit que j’allais rencontrer une femme hors du commun. Avez-vous conscience de cette image fantasque que vous dégagez ? Non. Je n’aime pas les projecteurs. J’ai peur de moi-même. Mais j’ai ce truc en moi, merci à mes parents. On est ce qu’on est et après le plus dur c’est de l’être totalement. J’ai eu la chance de vivre à côté d’un grand homme. C’est dur de faire ce choix. Je l’ai rencontré à 17 ans et j’ai dit oui à tout, le concept, la marque. A partir de là, la place d’une femme est difficile à trouver. Est-ce qu’il vous manque professionnellement ? Oui. Son raisonnement d’homme me manque beaucoup. Les femmes raisonnent différemment. Cette merveilleuse complémentarité, je ne peux pas la réinventer. Vous l’appelez quand vous avez de grandes décisions à prendre ? Je lui raconte ce que je fais. Il est malade mais a toute sa tête. Le plus dur c’est de lui dire les choses difficiles facilement, sans que ça l’atteigne trop, car il aurait envie de m’aider et ne le pourrait

Au rythme de la jeunesse dynamique des utopiques années soixante, André Courrèges démocratise la diffusion de la haute couture. Il est le premier à proposer la mini-jupe, le mini-short, une combinaison seconde peau et des vêtements transparents. En 1965, la «Bombe Courrèges» révolutionne la haute couture en explorant de nouvelles matières et le dessus du genou. Merci de cette avancée vers le nu, pour le blanc infini et le poétique absolu. Parti à la retraite il y a 5 ans (à 75 ans), André Courrèges laisse sa phénoménale moitié Coqueline, à ses côtés depuis la création de la marque en 1961 - sortir de l'ombre et faire face aux détracteurs / copieurs. À 63 ans, cette originaire du sud-ouest nous donne une belle leçon d'humanité, toute en verve communicative et énergie. Les médias, les couturiers, les politiciens… Sifflent les oreilles ! Merci d’avoir accepté l’interview d’un petit magazine ! Ce n’est pas de ma faute : il y a 2 ans, j’ai rencontré une jeune fille qui sortait de Sciences Po, Margaux, mon attachée de presse. Elle a sur les épaules un électron libre pas facile à contrôler. Là, elle a su me diriger, elle a pensé que cet interview pouvait coller. Alors j’ai lu votre magazine, ce principe d’interview est assez inusité : j’ai dit oui. Les vieux ont encore quelque chose à dire ça vous parle ? Ah non ! (elle quitte la pièce et revient avec une feuille de papier), je préfère l’appréciation d’un monsieur chinois qui m’écrit : «Vous avez encore l’air très jeune et gentille» et il finit sa lettre par «salut». C’est pas mignon ? Je vais vous dire : on n’est pas vieux, on rajoute du patrimoine.

ANTIJEUNISME_LES VIEUX ONT ENCORE QUELQUE CHOSE A DIRE, SURTOUT LES GENIES.

Tel est son nom de code : Coqueline Courrèges

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Vous pensez sincèrement qu’elle sera commercialisée ? Je vais essayer alors que ce n’est pas mon rôle. Je vais prouver qu’avec une énergie non polluante, du charbon ou du bois cette petite voiture peut fonctionner. Je veux combattre cette mauvaise réputation que la presse fait à l’électricité. Comment vivez-vous au quotidien ? Très simplement. Le plus important c’est de s’instruire. La tête ne s’endort jamais. Vous partez en vacances de temps en temps ? Oui mais uniquement pour la carcasse. Je ne sais pas fermer le robinet de la tête. Revenons sur un conflit des années 60 : qui de vous ou de l’anglaise Mary Quant a réellement inventé la mini-jupe ? Le détenteur de l’invention est serein. Le raisonnement chez Courrèges c’est quelque chose de fondamentalement posé, et ce n’est pas le même que chez Mary Quant. En 1962 nous sommes allés recevoir le prix du Sunday Times à Londres. A l’époque, il n’y avait pas de défilés de couture avec des caméras et des appareils photos, c’était des réunions, jamais un couturier n’allait voir le défilé de son concurrent. Pourtant, ce jour-là Mary Quant - qui était dans les cosmétiques - est venue voir le nôtre. Depuis elle est passée à la couture. Vous avez votre réponse. Aujourd’hui, en mode, on assiste à un retour des 60s… Non, on assiste à rien du tout, à part à un manque total de créativité.

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Avez-vous conscience de l’impact que vous avez ? Est-ce que ça vous flatte que Marc Jacobs pour Louis Vuitton s’inspire de vos créations ? Mary Quant était curieuse de nous connaître.

pas. Avant il me protégeait maintenant j’essaye de faire perdurer son patrimoine de raisonnement. Un beau défi. C’est quoi votre secret de jeunesse ? Les emmerdes et l’imagination. S’écrouler devant une emmerde ne sert à rien, l’imagination nous tire. Vous prenez de la DHEA ? Non c’est un trompe-couillon. Une tasse de café, un bon verre de Bordeaux le soir, c’est goûtant. Ou du tilleul, j’ai plutôt besoin de calmer la bête que de l’énerver. Refusez-vous de vieillir ? Ah non je voudrais bien crever. Il y a des jours où l’accumulation de bêtises m’énerve à un point ! Bush fait une guerre en Irak et on n’ose pas dire que c’est un assassin et un voleur de pétrole ! Un couturier étudie l’humain pour l’habiller, il est forcé de regarder l’ensemble du sujet, c’est-à-dire la terre. Il voit qu’il n’y a pas de loi, de frontière, de race, de langue, il y a des hommes nus qu’il faut habiller. Là, les inepties paraissent tellement grosses. Par exemple, la maquette de notre voiture électrique date de 1969. On était alors dans le coup, 30 ans après, rien n’est débloqué. On n’aura plus d’ozone, l’eau est souillée, des énormités, alors là je râle. Et je fais une voiture électrique alors que ce n’est pas à moi de la faire, ils ont tout, l’argent des impôts etc. Mais le fric bloque tout. La voiture c’est ma réponse au monde. Pour leur montrer que voilà : je sais faire une robe mais regardez comme c’est une facile de faire une voiture intelligente. Quand vous dites «ils», vous parlez du gouvernement ? Non je parle de l’ensemble des raisonnements des hommes. Qu’on soit un curé ou un président, on est un homme.


Qu’elle ait assis sa réputation sur cette mini-jupe est beaucoup moins grave que ce que font Marc Jacobs, Michael Kors, Hedi Slimane ou Jean-Paul Gaultier aujourd’hui. Pour être couturier, on n’a pas besoin d’un financier ; pour être artiste, il faut d’abord créer. Mon mari a choisi ce métier parce qu’avec une petite machine à coudre, un morceau de tissu de 3 mètres, on pouvait entrer dans la course. J’aime ce challenge à investissement léger. Les couturiers actuels ce sont des stylistes, des mercenaires à la solde des financiers. Ils veulent d’abord la gloire et l’argent et ensuite la création. Ils n’ont pas le temps de devenir artistes même s’ils pourraient l’être. J’ai téléphoné à LVMH, je leur ai dit : «vous achetez ma baraque, mon patrimoine, mes patronages et là, vous pourrez faire du Courrèges». Ils m’ont répondu qu’ils allaient organiser un rendez-vous où je pourrais expliquer aux 4 qu’ils ne devraient pas faire ça. Ça va, on n’est plus à l’école ! Je reste diplomate… Vous dites que Hedi Slimane ou Jean-Paul Gaultier ne sont pas des artistes ? Non, ils ont des valeurs, mais ils ne savent pas les exploiter pour les conduire à devenir artistes. Si vous vous posez tous les jours des questions, vous oubliez la gloire et l’argent, et vous devenez plus vous même. Ça ne vous flatte pas, vous considérez qu’ils vous pillent ? Ces gens-là faussent le jeu. Ils prennent le patrimoine dans l’essence même. J’ai deux solutions : je prends le plus gros avocat américain ou je les rencontre pour discuter. Ce que j’ai fait et en plus je n’ai pas averti la presse, ça aurait faussé le débat. Etes-vous déçue de l’an 2000 par rapport à la vision que vous en aviez dans les années 60 ? C’était bien la peine qu’on travaille tellement pour

ne voir que des blue jeans (même si j’ai rien contre), des gens cradocs dans la rue, du noir, du grisou, du triste, mal rasés, mal lavés, mal peignés. Il y a eu de très belles inventions scientifiques, mais pour moi du point de vue couture, il n’y a plus d’élégance, c’est à vomir. Est-ce que vous croyez en l’humain ? Oui, il faut faire confiance à la jeunesse. L’adulte dégrade tout. Ils disent qu’on va laisser la terre en bon état pour nos enfants. Faites-le, puisque vous avez le pouvoir de le faire. Au lieu de ça, ils continuent de faire la guerre. C'est le hobby génétique de l’homme. Pourquoi refusez-vous de rentrer dans le jeu de la communication actuelle ? Les magazines de mode reposent sur un système d’édition, derrière lequel il y a des usines à imprimer, des gens à payer, des pages à remplir. Les journalistes font des choix, trient l'information et la déforment. Qui sont-elles, ces péronnelles pour critiquer, pour anéantir une industrie-mode ? C'est très dur de se désimpliquer, de rester objectif et peu d'entre elles savent le faire. Elles sont payées et soudoyées. Il faudrait repositionner la moralité et il y a fort à faire. Avez-vous l'intention de raccrocher un jour ou l'autre ? Qui pourrait prendre la relève, votre fille ? Oui, il faudrait que j’arrête, je suis turbulente mais cassée de partout. Quant à savoir si Marie va prendre la relève... Elle est aussi douée que nous mais pour les chevaux. Dans la couture, vous êtes maître de votre sujet, mais la programmation de votre enfant ne vous appartient pas…


MODE

En juillet, comme en août, il fait trop chaud pour travailler, trop chaud pour faire du shopping, trop chaud pour manger. Par conséquent, tout ce qu’il nous reste à faire, et là tous les magazines de mode sont au diapason : on se met en maillot. Et on s’écrase (protégés, évidemment) sur les plages trop ensoleillées, pour hâler notre teint toujours trop terne. Pour son premier été, la mode dans Standard est à l’image de son équipe : sans le sou, fraîche et souriante. Comme les autres, on se défroque volontiers, voire on se dépoile… mais en ville… et la nuit. Un pavé noir au milieu du magazine qui illumine le paysage un peu morose de la presse mode française. Des pages qui, sans les rituelles plages des mers du sud, de l’eau turquoise et des peaux brunies des beautés presque trop belles, sont «trop et zen». Lala.


woodlandpar blues Ronan Merot


Jeans Earl Jeans Top argent Véronique Branquinho Cache-cœur Bruno Pieters


Chemise et dÊbardeur Robert Normand Jeans Levi’s



Haut en maille brodĂŠ Tom Van Lingen Jeans Diesel


Pull Barbara Bui Veste en tweed Chanel Jean Levi’s


Chemise en satin A.F. Vandervorst Gilet en cuir A.F. Vandervorst Jeans A.F. Vandervorst Chaussures blanches Tsumori Chisato



Bandeau pailletĂŠ Tsumori Chisato Pull en cachemire Marani Jeans Cosmic Wonder jeans


Maillot de bain noir Tsumori Chisato


STYLISME Alexandra Bernard COIFFURE Delphine Courteille chez atelier 68 MAQUILLAGE Myriam Afia pour Shiseido The Make Up MANNEQUIN Loulia chez Next


Amélie par KT Auleta


Bombers jaune fluo Toto solde Débardeur en maille noire Gilles Dufour Caleçon imprimé Tsumori Chisato Bottines résilles Rodolphe Ménudier Paris GAUCHE Polo rayé Adidas Mini jupe à pois Benoît Missolin limited edition Caleçon Calvin Klein Chaussettes imprimées Bernhard Willhelm Chaussures compensées Rodolphe Ménudier Paris


Sweat rouge Adidas Short damier multicolore Tsumori Chisato Casquette puces Baskets noires Converses All Star / DROITE Bombers jaune fluo Toto solde



Combishort or Junk Gilet rayĂŠ sans manches zipĂŠ Puma Chaussettes de foot Adidas




Veste quadrillée provencal Junko Shimada Minijupe en cuir noire Junko Shimada t-shirt résille vert fluo Guillaume Henry Converses en cuir noires GAUCHE Sweat coupé Champion Maillot de bain turquoise Tsumori Chisato


Top bandeau fleuri Bernhard Willhelm Caleçon rayé Véronique Branquinho Chaussures compensées Rodolphe Ménudier Paris / DROITE Débardeur blanc Barbara Bui Mini jupe pailletée Benoît Missolin limited edition Chapeau Yazbukey


STYLISME Lala Andrianarivony MAQUILLAGE / COIFFURE Suzanne Verberk MANNEQUIN Amélie chez Karin REMERCIEMENT Greg & Armelle


portraits de nuit par Schohaja VALERIE robe imprimâ„Ś ĂŠ e mousseline de soie Matthew Williamson



EMILIE robe patchwork en mousseline de soie Tsumori Chisato



SANDRINE djellaba en mousseline de soie Isabel Marant boucles d’oreilles Lyie Van Ricke



CALLA tunique en mousseline de soie et cuir Sophia Kokosalaki



STYLISME Valerie Nizan MAQUILLAGE Manami ADRIAN chemise en cotton Gap




Slip Diesel Bracelet ĂŠponge Nike Casquette Kana Beach Pendentif porte-clef Vivienne Westwood


Bandeau éponge Adidas Originals Chaines Dior Homme par Hedi Slimane Caleçon Miu Miu Bracelet éponge et lunettes D&G



AUDREY


Place Gambetta_Paris XXe

PAYSAGES NOCTURNES par Philippe Munda


ERIC


Canal Saint Martin_Paris Xe


CENDRILLON


Place de la Concorde_Paris VIIIe «...je me suis souvenue d'un rêve, au bord de l'océan, d'immenses silhouettes émergent de l'eau, les douz Dieux de l'Olympe. Alignés, immobiles, une déesse me tend un kiwi, je le prends et continue de marcher, rassurée, je ne me souviens plus si le cadeau venait d'Aphrodite ou d'Athéna...»


GISELE


Gare de Lyon _ Paris XIIe


HELENE


Jardin _Paris XXe


PHOTOS philippe.munda@wanadoo.fr ASSISTE DE Eric Bataillard (+ Hélène Iratchet) POST PRODUCTION Yann Rondeau AVEC Audrey Aubert (danseuse) Eric bataillard (metamoderne.com) Cendrillon Béllanger (plasticienne) Gisèle Vienne Hélène Iratchet (artiste) Guillaume (graphiste) & Béatrice (styliste). LEUR PROPRES VETEMENTS Maillot de bain Tsumori Chisato Baskets Stan Smith Adidas Sels de Bain adoucissants Dreamline Paradis Flottant Maillot de bain H&M Sous-vêtements Chantal Thomass Chaussures Barbara Bui Sandales Birkenstock Jean Diesel Tatouage Rudy chez Tintin - Petite culotte www.agentprovocateur.com Top Martin Margiela Tirages Self Color REMERCIEMENTS Margot Montigny & Vincent Voillat - Sarah & Rudy Philippe Mihailovitch (Penny Johnson Ltd) - Schohaja Jenny & Ronan - Giovanni Di Stefano (Propaganda) - Valérie Nizan

GUILLAUME & BEA


LOCATION DE LABOS PHOTOS TRADITIONNEL ET NUMERIQUE TEL : 01 42 09 42 41 WWW. SELFCOLOR.COM



«Vous n’aimez pas la mer, vous n’aimez pas la montagne... IDA : Un maillot une pièce rose fluo Sylvia Rielle Sur un bikini rayé Rosa Chà DE GAUCHE A DROITE : Soquettes roses et visière rayé Lacoste débardeur assymétrique GSUS chez Citadium short Puma Chez Citadium bikini bleu Andrès Sarda culotte verte Benetton bikini Jean-Paul Gaultier t-shirt rayé Benetton maillot une pièce assymétrique Rosa Chà un débardeur jaune Axara sous un débardeur beige Sisley bikini à pois Roxy chez Citadium maillot une pièce Lacoste drap de plage turquoise Monoprix short rose Benetton capeline Lacoste t-shirt Le Clan des Chineurs short blanc Lacoste visière Lacoste bikini rayé Monoprix bikini imprimé Benetton t-shirt Custo Barcelona drap de plage Billabong chez Citadium t-shirt jaune Le Clan des Chineurs t-shirt noir Le Clan des Chineurs lot de 3 strings Diesel t-shirt Cat People


Vous n’aimez pas la campagne... allez vous faire foutre !» A Bout de Souffle VINCENT : un sweat-shirt Le Clan des Chineurs boxer rouge Benetton sous un short en éponge bleu Fred Perry chez Citadium lunettes Cébé IDA T-shirt Cat People mini jupe jaune Benetton , lunettes D&G ANNA maillot de bain blanc Adidas Originals lunettes Emmanuelle Khann vintage RONAN visière Lacoste t-shirt noir Le Clan des Chineurs boxer Adidas. DE GAUCHE A DROITE Drap de bain Kustom Dis Joe chez Citadium polo turquoise Lacoste short en jean Lacoste drap de bain rouge Monoprix chaussettes blanches et casquettes Lacoste polo rayé vert Diesel short blanc Lacoste short en jean Le Clan des Chineurs drap de bain turquoise Monoprix casquette Beach Volley Guerrisol drap de bain rouge imprimé 6876.

par Adrian Parfene stylisme Le bureau de style models Ida S @ Stockholm 2, Vincent @ Success, Anna et Ronan. remerciements Mickaël.



LIVRES

Les monstres

Les écrivains du Montana

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En marge JIM HARRISON Jim Harrison appartient à ces écrivains capables de réconcilier les «branchés» et les «classiques». Pas un mince exploit. Après Dalva et La Route du retour, notre «redneck» du Michigan nous livre son autobiographie, magnifique. En marge, «Big Jim» l'a pratiquement toujours été, de son enfance à son passage décevant à Hollywood. Il résulte de cette positon d'exclusion le sentiment d'une réalité ayant tué toutes les illusions ; la faute à un pays qui détruit le rêve en voulant l'instaurer. De la mélancolie à la dépression (voire plus), il n'y a qu'un pas. Alors pour survivre, Harrison fait, avec élégance et simplicité, l'élégie de la nature, de la culture indienne, de la chasse, des chiens, des clubs de strip-tease ou de la France. Ainsi, «la vie est si brève qu'on désire se souvenir de tout, du bon comme du mauvais. Elle se déplace si vite qu'on oublie trop facilement qu'elle ne pardonne rien. Auriez-vous vraiment envie de conduire une voiture sans frein ?» Baptiste Liger Christian Bourgois. 470 pages. 25 ¤


LIVRES

En lieu sûr WALLACE STEGNER Stegner (1904 - 1993), c’est un peu comme René Fallet (Paris au mois d’août, Les Vieux de la vieille), chez qui l’on devait séparer la «veine whisky», mélancolique, de la «veine beaujolais», plus gaillarde. Il y a deux «veines» chez Stegner : celle, intimiste, crépusculaire, de La Vie obstinée et de Vue cavalière, et celle, plus épique des «Ecrivains du Montana» de Angle d’équilibre ou de La Bonne grosse montagne en sucre. En lieu sûr appartient à la première : deux couples d’universitaires sur le retour, qui se connaissent depuis la fin des années trente, se retrouvent dans une maison isolée. Ils se souviennent. C’est September version Montana. Il y a quelque chose de tchékhovien dans le vibrato stegnerien : «Je voulais faire toucher du doigt une vérité moins fardée encore que d’habitude. Faire entendre une musique qui ne remuerait que de tout petits bruits, mais dont les échos iraient loin.» Dont acte, assez magistral : publié en 1987 aux USA, ce roman est le meilleure introduction à l’œuvre de celui que Jim Harrison considère comme un maître. François Kasbi Ed. Phébus. 384 pages. 21,50 ¤

Les Sylvia Sylvia Plath, un galop infatigable VALÉRIE ROUZEAU L’essai fraternel et inspiré (suivi d’un choix de poèmes) que Valérie Rouzeau consacre à l’Américaine Sylvia Plath est un signe de plus de la ferveur croissante qui entoure l’écrivain. L’importance, quarante ans après son suicide, à 31 ans, de l’auteur de La Cloche de détresse, son unique et cultissime roman, en est d’autant plus évidente. Nouvelliste douée, Plath est très tôt remarquée pour la violence de ses poèmes («Moi, mon âme est fêlée»), et l’extrême sensibilité qui les caractérise : «Ce que je redoute le plus, je crois, c’est la mort de l’imagination. Quand le ciel, dehors, se contente d’être rose, et les toits des maisons noirs, cet esprit photographique qui, paradoxalement, dit la vérité, mais la vérité vaine, sur le monde.» C’est d’abord elle, le poète, qui intéresse Rouzeau. On évoque les figures d’Emily Dickinson, de Virginia Woolf, voire de Dylan Thomas qu’elle idolâtrait. Brièvement, son histoire avec Ted Hugues, poète lui aussi, immense selon elle, grande histoire d’amour, fin tragique : toute la panoplie d’une héroïne des Lettres. François Kasbi Ed. Jean-Michel Place. 126 pages 11 ¤. Une lubie de Monsieur Fortune SYLVIA TOWNSEND WARNER On sait le poète de La Belle Hortense, Jacques Roubaud préfacier de Monsieur Fortune avare de dithyrambes. Aussi lorsqu’il évoque STW (1893-1978) en ces termes : «une des plus grandes romancières anglaises du XXème siècle.» et Monsieur Fortune, «un des grands moments de la prose anglaise de ce siècle», on sait qu’il ne badine pas. Et pour qui ne connaissait jusqu’alors que Laura Willowes, son roman le plus connu, c’est un enchantement. On y retrouve STW telle qu’en elle-même, une grande excentrique anglaise, attentive aux objets, au concret, mais aussi à «l’élaboration fictionnelle du monde» : ironie, humour, fantaisie...et surtout quelque chose de fantomatique dans la beauté intacte que découvre le pasteur Fortune dans l’île de Fanua. Irréel, à la fois familier et inquiétant. Evangéliser les Polynésiens n’est pas une mince affaire lorsque le Diable local s’en mêle. Le Diderot du Supplément aux voyages de Bougainville n’est pas loin. A recommander aux amateurs de contes philosophiques et de romans d’aventures. François Kasbi Ed. Gallimard. 236 pages. 8 ¤.

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Prix Nobel & Cie A la fleur de l’âge S.J. AGNON Michel Mohrt (Montherlant «Homme libre»), disait à propos de Montherlant que c’était «Chateaubriand corrigé par Stendhal». Excessif, mais assez juste. Si l’on osait, on dirait de S.J. Agnon que c’est un peu Maupassant corrigé par Tchekhov. Une histoire simple, un style limpide, phrases courtes, peu de psychologie, et pourtant, comme chez Stendhal ou Tchekov, des trésors d’humanité. Avant de mourir à la fleur de l’âge, une mère brûle des lettres. Sa fille l’a vue : elle veut connaître le secret de ces lettres. La plus vieille amie de sa mère l’aidera un peu à élucider le mystère : histoire d’un amour impossible entre la mère et un jeune professeur de philosophie. La jeune fille rencontrera ce professeur, et … Taisons-nous. Prix Nobel de littérature en 1966, S.J. Agnon (1888, Galicie – 1979, Israël) est un écrivain méconnu : «le mal a soixante-dix facettes, l’amour a un visage» et la grâce et l’humour d’Agnon sont uniques. François Kasbi Ed. Gallimard. 118 pages. 13,50 ¤.

Poésies I et II O.V. L. MILOSZ Milosz, c’est une histoire compliquée pour qui n’aurait retenu que son nom. Car il y a deux Milosz : Oscar (1877-1939) - le nôtre - est né russe et mort lithuanien. Ceslaw, son lointain cousin polonais, fut Prix Nobel de littérature en 1980. Ceslaw, en poésie, est proche de son aîné, éloigné du modernisme mallarméen, très en phase avec la «nudité frémissante de la chair humaine». Mais il y a en outre, chez Oscar, patente dans le deuxième volume de ses Poésies, l’inquiétude métaphysique, la morsure mystique et l’occultisme. Jusqu’en 1914, Oscar est une manière d’alter ego de Larbaud, cosmopolite et mondain. Après la «nuit d’illumination mystique» du 14 décembre 1914 et, deuxième date-clé, 1916 et sa «rencontre» avec Einstein, c’est sa tentative de retrouver, par des chemins métaphysiques et religieux, la conception mathématique de la relativité. Il y parvient. Les deux Milosz (Oscar et Ceslaw) étaient donc trois (Oscar 1 et 2, et Ceslaw)…A (re)découvrir. François Kasbi Ed. André Silvaire. 14,55 ¤ chacun.

Les obsédés de la célébrité

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Cette soif de célébrité CHRIS ROJEK Cette soif de célébrité est un livre de sociologue, érudit mais pas bêcheur, ludique avec ce qu’il faut de name-dropping, le sujet l’exige. Le sujet ? Définir la célébrité, son origine, et l’envie qu’elle suscite. A l’origine, la chute des dieux, la naissance des démocraties et des sociétés laïques, le besoin d’une religion de substitution. C’est l’Amérique qui s’y colle ; ce sera la promotion de l’homme du commun : «L’idéologie de l’homme du commun a porté la sphère publique au rang d’arène politique et culturelle par excellence où personnalité et style individuel procurent une distinction et attirent l’attention de tous.» Rojek évoque la paranoïa des stars, l’obsession des fans, voire le désir de reconnaissance de certains tueurs en série. La postface - vive, rouée - de Beigbeder est, pour reprendre le mot de Talleyrand à propos de l’hypocrisie : «l’hommage du vice à la vertu». La transgression - Beigbeder, pubard critique de la pub dans 99 Frs - n’étant pas le moyen le moins efficace d’accéder à une certaine célébrité : seule la modalité d’accès a changé. François Kasbi Ed. Autrement. 204 pages 19 ¤.


Les poètes biographes Quinze variation sur un thème biographique ROGER LAPORTE Qu’on soit ou non de sa chapelle, c’est toujours un émerveillement de lire Roger Laporte. Et c’est à dessein que l’on évoque sa «chapelle», tant il est vrai que la lecture de cet intime de Blanchot, celui que Foucault, Derrida, Barthes et quelques autres ont reconnu comme un de leurs pairs, commande le recueillement. Tant il est vrai aussi que la fécondité, la finesse de sa réflexion critique suggèrent de pistes de lecture. Dans ses Quinze variations sur un thème biographique, indispensables à tous ceux qui se mêlent un peu de littérature, qui s’intéressent à l’élaboration d’une œuvre littéraire, on retrouve la démarche de Laporte : le corps à corps avec la «bio» de la «graphie», c’est-à-dire avec la vie intrinsèque de l’écriture. On retrouve ici Artaud, Kafka, Blanchot, Hölderlin, Proust, Char, Van Gogh, Mozart… et des clés pour «comprendre les mécanismes obscurs qui président à la forme d’une œuvre.» C’est, simplement, outrageusement intelligent. François Kasbi Coéd. Flammmarion /Léo Scheer. 414 pages. 12 ¤. Artaud et Paule BERNARD NOËL En 1969, à 39 ans, Bernard Noël publie Le Château de Cène : chef d’œuvre. Réédition en 1971, chez Pauvert : scandale, procès pour «outrage aux mœurs». André Pieyre de Mandiargues, grand poète, subtil critique, se déplace : «Le très priapique, très ésotérique et très luxueux et très flamboyant Château de Cène, que je crois pouvoir attribuer à l’un des plus purs parmi les jeunes poètes de ce temps.» Trente ans avant la nouvelle génération d’écrivains (Houellebecq, Angot, Despentes, Nobécourt) qui propulse à nouveau le corps au centre de la scène littéraire, Noël frappe fort : héritier d’Artaud et de D.H. Lawrence, il libère le corps de la gangue qui le tient prisonnier, sans pudeur. Cela choque. Dans Artaud et Paule, bel hommage à l’œuvre de transsubstantiation qui eut lieu entre Artaud, qui mourait, et Paule Thévenin, qui déchiffrera, sa vie durant, les cahiers du poète, Noël revient sur les «énigmatiques noces mystiques nées des sacrifices de Thévenin et d’Artaud.» Subtil et généreux. François Kasbi Coéd. Flammarion/Léo Scheer. 12 ¤. A signaler : la réédition de Les premiers mots

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Je hais les acteur BEN HECHT A propos de la célébrité et des déboires qu’elle provoque, on aurait pu choisir d’évoquer l’épatant recueil d’articles que Greil Marcus a consacré à Elvis : Dead Elvis, Chronique d’une obsession culturelle (Allia) qui figure d’ailleurs en bonne place dans la biblio de Chris Rojek. Mais on préfère fêter la réédition de Je hais les acteurs, d’un autre très grand monsieur, dans une nouvelle collection, Culte fiction, qui, après Edith Warton, Scott Fitzgerald ou Nancy Mitford, remet à l’honneur un des bijoux de l’auteur de l’inoubliable Juif amoureux, le ci-devant Ben Hecht. Considéré comme un des grands «screen-writers» d’Hollywood, on lui doit Scarface, Notorious, Gilda et une centaine d’autres scénarios plus ou moins cultes, il avait le sens de la formule, il était drôle, cynique, tendre, toujours lucide. Sa description amusée et cruelle de la Mecque-du-cinéma et l’intrigue policière supérieurement menée font de Je hais les acteurs, un des sommets de l’art «benhechtien». François Kasbi Ed. La Découverte / coll. Culte fictions.


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Les femmes et l’autofiction : Queues de comètes Œuvre, thérapie ou coup de fleuret revanchard ? Corsaires, hissons un œil sur les remparts de la citadelle «qualité littérature» touchée de plumitives s'escrimant à faire de l’autofiction. Bretteurs, spadassins, joueurs d'épées et autres traîne-rapière, en garde ! En matière d’autofiction sentimentale, les hommes ont choisi leur camp : soit la passion sans bornes pour l'idée qu'ils se font de l'amour et pour l’élue chargée d'incarner cet idéal (Fitzgerald, Sollers ou nouvellement Charles Pépin et Nicolas Rey), soit le trash provocateur (Hervé Guibert, Christophe Donner, Dustan). Les femmes, elles, semblent moins maîtresses d’elles-mêmes. Si elles ont leur provoc - les frasques orgiaques de Catherine Millet, la prose leste du journal érotique d’Anaïs Nin - elles sont plus facilement tentées par les dérives du genre : lettre personnelle, règlement de compte, etc. Beaucoup écrivent comme elles pleurent des romans insipides qu’on remarque quand un des «personnages» porte plainte, comme le mari de Camille Laurens à la sortie de Amour : roman (un bon livre par ailleurs). Aux abords de chaque mouvance, des écrivains mineurs captent un peu du rayonnement des auteurs véritables. Sachons donc faire la distinction entre les femmes de talent et les imposteurs de l’autofiction. Frédéric Beigbeder, fraîchement recruté chez Flammarion, semble raffoler de ces histoires persos révélées au grand jour du ressentiment féminin ; il a publié le premier roman d’Anne Casanova, et celui de Lola Lafon. Les épanchements des filles témoignent trop des dommages collatéraux qu’entraîne le succès d’un genre littéraire. Dans l’autofiction, il s’agit d’atteindre une justesse universelle par un procédé de morcellement d’une vérité personnelle, d’effritement du moi ; un art délicat dont les meilleurs exemples sont Céline, Cendrars, Gary, Loti… Mais la plupart du temps, ce que le mauvais écrivain prend pour de l’inspiration n’est que la force mesquine et éphémère du mal vécu transformé en anecdote. La revanche publique aide à se relever de terre, mais c’est une puissance faible. Le regard des autres n’est pas toujours une compensation digne. L'étiquette «roman» procure l’avantage de s’épancher en toute liberté de conscience. Pour ne pas nuire à son entourage, il vaudrait mieux parfois garder ses tristesses pour soi et assumer ses déboires dans une solitude salvatrice. Mais comment avoir encore conscience de cela dans une époque où les reality shows sont le prestige ultime du quart d’heure annoncé comme glorieux ? Quand Rousseau a annoncé le référent de ses Confessions («ma vie»), ses contemporains, témoins médusés, se sont vus confrontés à l’âme d’un homme bon à qui ils n’avaient rien demandé. Il en faut beaucoup, aujourd’hui, pour qu’on éprouve le moindre embarras devant les révélations sans vertu et sans écriture des diverses commandes autobiographiques - au hasard : le Général Aussaresse, Gabriel Matzneff, Loana, Loïc Le Floch-Prigent… Après un demi-siècle de psychanalyse et de télévision, l’aveu est devenu banal à un point tel que les vrais auteurs français ne savent plus s’exprimer autrement. Ils jurent avec de grands yeux qu’il ne s’agit pas d’eux. Qu’est-ce qu’on va imaginer là, ce n’est pas parce que le personnage s’appelle comme eux, vit dans la même ville et fait les mêmes fautes de français qu’eux, qu’il faut faire l’amalgame ! Enfin voyons, ne te laisse pas prendre au piège petit lapin lecteur ! Il y a de quoi agacer, oui, mais les innovateurs ont toujours eu cet effet en leur temps.

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Les pionnières Maguerite Duras, Nathalie Sarraute et toutes les femmes qui, appartenant au nouveau roman, ont amorcé l’autofiction à leur insu. Attribuons leur cette note de Louise de Vilmorin datée de 1923 dans son journal : «Je désincarne délibérément jusqu’à un certain point car je me méfie de la réalité, de sa petitesse.» De leur travail sur le temps, la macération, elles ont su extraire la substance même de l'expérience vécue. Les bonnes élèves Christine Angot, Annie Ernaux, Camille Laurens et toutes les femmes rendues plus fortes par leur mari, leur amant… Ces livres sont intéressants et souvent bien écrits car ils sont le fruit d’une revanche sur la vie. Tout beau livre est une revanche avec, pour arme, le doute à toute épreuve et une lucidité inutile, comme ceux de Duras : «L'histoire de ma vie n'existe pas. Ça n'existe pas […]. Il y a de vastes endroits où l'on fait croire qu'il y avait quelqu'un, ce n'est pas vrai il n'y avait personne.» Les mauvaises élèves Anne Casanova, Nathalie Rheims et toutes les femmes déçues par leur mari, leur amant… Ces livres sont inintéressants et souvent mal écrits car ils sont le fruit d’une vengeance sur la vie. La vengeance est stérile, donne envie de les plaindre et de citer Linda Lê : «C'est donc à ça qu'elle occupe ses journées, Elle s'éreinte à tricoter une petite romance tire-larmes, Tu mens, petite princesse cloîtrée dans le temple Littérature, Tu files un conte minaudier».

Les genres fondateurs Les mémoires La valorisation de l'authentique et de l'intime est déjà constituée à l'âge classique, mais ce n'est qu’à partir de la vogue des mémoires, au XVIè siècle avec Montaigne, que l'on repère la victoire des sujets privés qui s’accentue au XVIIè - le Cardinal de Retz, La Rochefoucauld, Saint-Simon. Celles-ci sont presque toujours le fait de pensées moralistes et universelles. Les confessions Le genre remonte disons à Saint-Augustin (IVè siècle) et s'accompagne de morale et de foi. L'exaltation du sujet n’est pas d'ordre privé, mais se fait dans une relation d'abnégation et d'ordre sacré. Rousseau marque le point de départ vers la réflexion sur soi et le récit intime. Ce que continuera au XIXè siècle un Senancour, qui vient d’être réédité en Garnier Flammarion. Le journal intime Le journal intime sous forme de registre des événements a laissé de magnifiques témoignages (le règne d’Henri III dans le Journal de Pierre de l'Estoile ou la vie à la cour de Louis XIV grâce à celui du marquis de Dangeau). Ça n’a jamais été, avant le XIXè siècle, un moyen d'expression et d'auto-analyse, genre né de pères très différents : Benjamin Constant, Stendhal, Alfred de Vigny, Michelet, Baudelaire, Jules Renard, Gide, Léautaud, Julien Green...

Les théoriciens

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1975 - Philippe Lejeune établit dans son ouvrage Le Pacte autobiographique, une classification des «écritures de soi». Il définit l'autobiographie comme «un récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier, sur l'histoire de sa personnalité». Comment qualifier les récits de Simone de Beauvoir puisqu'ils ne sont pas exclusivement le récit d'une vie individuelle, Les Mémoires d'Outretombe qui ne sont pas toujours rétrospectives, ou encore, La Vie ordinaire de Georges Perros écrite en vers ? Dans son tableau des combinaisons possibles de l'autobiographie, Lejeune laisse pour ces cas inclassables, une case indéterminée et deux «cases aveugles». 1977 - Serge Doubrovsky qualifie son roman Fils d’autofiction. ll comble ainsi le no man's land du tableau de Philippe Lejeune. L’autofiction désigne les cas où l'auteur établit un pacte romanesque alors que le nom de son personnage est le sien, ou qu’inversement, il présente une autobiographie sans faire coïncider son nom et celui du personnage. Si Doubrovsky est l'inventeur d'un terme, le concept était déjà habité par des écrivains pratiquant ce procédé, dans l’hybridité des genres, tels Proust, Céline, Malraux, Genet ou encore plus près de nous Blondin, Modiano, Barthes, etc... Le vocable est lancé sur la littérature mondiale, de même que les multiples controverses qui lui sont liées. Magali Aubert



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Top Ten «Nus, au soleil» Une juste sélection faussement estivale

Tommy Guerrero Tommy Guerrero A douze ans, les genoux écorchés par de vaines tentatives de percer dans la scène skate de son quartier, on était fan de Tommy Guerrero parce qu’il faisait partie de la Bones Brigade, le team des dieux vivants de la planche à roulette. Beaucoup plus tard, on se permet de rester fan de Tommy Guerrero pour des raisons qui en découlent. Sur le label Mo’Wax atterrit son troisième album diffusé en Europe, à l’image du garçon : skate-romantique, apaisé. Toujours un peu mélancolique, imprégné du sentiment de plénitude, d’un groove paresseux et exotique, assez mystique, spécial vacances au bout du monde. (Mo’Wax / Beggars Banquet) Colleen Everyone on earth wants answers Sur la pochette, Collen rend hommage à son frère Frédéric, 1973-1995. Alors nous aussi, et par la même occasion à tous les petits chéris qui nous ont quittés, qui nous manquent et continuent à nous faire avancer de là-haut. Avec un tel moteur, Colleen ne pouvait que réussir un disque intimiste. Trituré mais jamais torturé, tout se joue dans les textures, où l’on entend presque son souffle et ses battements de cœur parmi des entrelacs de cordes. Parisienne et ex du label Active Suspension, ses compositions sont granuleuses, organiques et d’une abstraction toute poétique. (Leaf / Chronowax) Monsieur Mo Rio Bonne Chance Assis (sur un transat) entre Remy Bricka l’homme orchestre et Etienne Charry le magnifique, Moritz Finkbeiner alias Monsieur Mo Rio est à l’origine de l’album le plus mignon de l’été. Toujours mid-tempo, avec un côté mal assuré et tremblotant, le jeune Allemand fan de Stereo Total égrène dans un français approximatif et donc charmant des paroles tellement simplettes qu’irrésistibles, comme «Je veux pas que tu t’en vas parce que je suis amoureux comme autrefois». Une définition possible de l’homme le plus fort du monde. (S.H.A.D.O / Pop Lane) Tommy Hools All Souls’ Night Les mods frenchy de Tommy Hools se sont acheté un gros producteur. Avec leur deuxième album All Souls’ Night, les trois garçons sont toujours dans ce mélange assez agréable de toutes leurs influences mods, funk et soul, beaucoup plus cohérent que le précédent, Popular Frequencies. Leur amour des musiques black et du groove à tout prix leur permet de prévoir des tubes sur les radios rock, et non plus sur les college radios, comme You Torture Me. (Recall)

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The Thrills The Thrills Ne pas se fier aux apparences : malgré leur nom, les Thrills ne font pas partie de cette troupe de jeunes gens qui font gueuler trois pauvres accords de guitare en pensant décrocher la lune. Non, les Thrills sont cinq petits gars de Dublin, protégés de Morrissey, rêvant, dans la pluie irlandaise, de Californie et de sunshine pop. Pour composer leur album, ils se sont offert un exil doré de quatre mois à San Diego. Le resultat : une bonne gorgée de «Good Vibrations», comme dirait Brian Wilson. (Virgin)


MUSIQUE Broadcast Pendulum En attendant un deuxième album qui s’annonce déjà comme un chef d’œuvre (Ha Ha Sound, prévu pour septembre), on se délectera, tous les membres en éventail, de Pendulum, EP aux allures de mini-album (cinq des six titres ne figurent pas sur leur futur album). Pour ceux qui ont raté les épisodes précédents, résumons la formule Broadcast : la voix magique de Trish Keenan, des bribes d’électronique vintage, une savante déconstruction des formats, à mi-chemin entre berceuses pop et jazz d’avant-garde. Sombre, psychédélique et enivrant. (Warp / PIAS) Luma Lane Nicegirls Quelque part au fin fond du Bedfordshire, Luma Lane concocte, avec sa voix en sucre d’orge, de délicates berceuses avec des bouts de guitare, de piano et de clochettes électroniques. Dans un coin de l’Angleterre où il n‘y a pas grand chose d’autre à faire que de se bourrer d’ecsta et d’alcool bon marché, il est vital de trouver des échappatoires. Celui de Luma Lane, en forme de pop minimaliste, mélancolique et nuageuse (pas si éloignée de celle de Takako Minekawa ou Lali Puna) nous télé-porte gentiment. (Twisted Nerve / Chronowax) Davide Balula Pellicule Le plasticien Davide Balula nous emmène dans ses paysages musicaux imaginaires avec, pour palette, quelques bouts de folk bancal, des crépitements électroniques et des parasitages en tout genres. La plupart de ces sons électroniques sont le fruit d’opérations chirurgicales sur appareils domestiques (lecteurs CD, micro-ondes ou radios-réveils démontés), échantillonnés. Cette démarche s'inscrit dans les actions et sculptures que Davide Balula réalise au sein de l'Appareil, sa microstructure d'intervention plastique. (Active Suspension) Edwin Moses Love Turns You Upside Down Le bien-nommé label espagnol Siesta ressuscite le répertoire d’un obscur tonton du funk 70s. Né en 1941, engagé dans les mouvements de résistance noir-américains, Edwin Moses a signé, il y a 33 ans, un obscur chef d’œuvre funk, Dead Town. Dans les années 80, devenu Musulman, il se rebaptise Jamal Nasfum et enregistre près de 200 titres pour des microlabels, refusant, sur les conseils d’Allah, les contrats avec les majors. Depuis, il n’a pas dévié d’un poil des enseignements de ses contemporains Marvin et Curtis, livrant un nouvel album tout chaud, tout doux, tout rond. (Siesta / PIAS) Paddy Mc Aloon I trawl the megahertz Paddy Mc Aloon (Prefab Sprout) est un génie de la pop. Malheureusement, pensant accéder au succès de masse, Paddy a plus d'une fois «abîmé» ses sublimes mélodies à l'autel de la production FM. En «congé» d'un groupe devenu un projet solo déguisé, il se réinvente. Quasiment aveugle, Paddy se raccroche aux talks-shows radiophoniques, il en a nourri un album qui bouscule les codes. A la fois mélodique et expérimental, I trawl the megahertz se mérite, mais une fois qu'on a plongé, on n’a plus envie de remonter. (Capitol / E.M.I) Après Ready Made, Hedi Slimane a sélectionné Bosco pour réaliser la bande son de la collection Dior Hommes 2003-2004, une «rumba industrielle». Attention concept ! Bosco Change yourself (chez Colette)

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Dans ton sac de plage, connasse. Les compiles de l’été Ragazza Pop L’excellent label italien S.h.a.d.o lance une division exclusivement féminine, sous le nom de Ragazza Pop. La première sortie du label est une compilation introductive où l’on retrouve la crème de la pop à couettes : The Ladybug Transistor, Die Moulinettes ou encore April March. Le rôle de la marraine est endossé par Moe Tucker, qui a révolutionné la rythmique rock au sein du Velvet Underground (je joue debout, tambours battants métronomiques), avant de se marier et de bosser chez Wal-Mart. Revenue à la musique, on trouve ici trois titres surprenants (dont deux inédits) de cette petite androgyne mythique. (S.h.a.d.o. / Pop Lane) Little Rabbits Plus le temps passe et plus les Rabbits semblent obsédés par la Nouvelle Vague, voilà ce qui suinte de Radio. Le projet consiste à sélectionner leurs compositions les plus marquantes et à les faire retravailler par leur producteur Jim Waters et leur «DJ» Laurent Allinger. Adorerait-on leurs tubes nouvelle formule sans avoir connu les originaux ? Sans doute que oui. Ces versions plus tordues font passer leurs morceaux pour ce qu’ils sont : des standards pop. Sans oublier les curiosités, raretés et monstruosités tout aussi gouleyantes du deuxième disque. (Barclay/Universal) Mutant Disco Exactement le genre de compilation ultra-sexuelle pour se réconcilier avec le genre disco trop facilement méprisé, car trop souvent représenté, il est vrai, par de la musique de merde. Avec Mutant, rien de tout ça : une disco underground, parallèle en tout cas, dont on n’osait à peine rêver. Sensuelle ou robotique selon les morceaux, avec comme dénominateur commun, ce parfum de décadence et de stupre qui donne envie de devenir transexuelle à grosses miches. Des beats de Playgroup aux claviers de Vitalic, tout était déjà à peu près là. (ZE Records / Discograph) Northern Electronic Fraîcheur, électricité et soufre : Fat Truckers, White Trash, ou Dog Ruff, tous originaires de Manchester ou Sheffield, le couteau entre les dents, prêts à tabasser des vieilles, comptent réellement parmi les electro-rock’n’rollers qui frappent. Plus «fifties», le dernier album d’Electronicat devrait mettre tout le monde à genoux. Le son le plus fessant du moment, c’est encore la nouvelle compilation Sonic Mook Experiment, Hot Shit. Northern Electronic (BLIP / Discograph) Sonic Mook Expertiment Hot Shit (Labels) Fat Truckers is for sale (Discograph) Electronicat 21st century toy (Disko B / Cyber) Nice Up The Dance Une brochette de morceaux qui sonne typiquement comme une compil de saison, taillée pour l’été et la torpeur, bien à cheval entre dancehalll et ragga bien bien roots. Le flow et les basses gigantesques de Cutty Ranks, la très grosse voix et le groove obèse de Pompidoo, le beat colossal et entêtant de Sean Paul, tout ici est élastique, mais massif et écrasant : impeccable pour rester coller au hamac. (Soul Jazz / Discograph) J.G, JED et S.P.

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Après l’assaut des Toxic Girls, il y a quelques mois, Tsunami Addiction organise la riposte des garcons, parmi lesquels O. Lamm, Hypo ou My Jazzy Child : qui va gagner la guerre des sexes ? Boyz Revenge (tsunami-addiction.com)


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Pills, thrills, bellyaches and History 24 Hour Party People, le film.

Les cinéphiles trouvent le film assez nul, les poppies, clubbers et autres illettrés adorent. Le film de Michael Winterbottom, 24 hour Party People, du nom de l’album des Happy Mondays, a mis une bonne petite baffe à tous les croqueurs d’ecsta qui l’ont vu. Retraçant la vie mancunienne de la fin des seventies – l’explosion punk au début des nineties – l’explosion house à travers le personnage bien réel de Tony Wilson, on a droit à plusieurs scènes d’anthologie. Et pas seulement celle où les deux frères Ryder / Happy Mondays tuent trois mille pigeons en les nourrissant de croûtons à la mort aux rats, ce qui est à la fois intelligent et constructif. Tony Wilson, donc, est celui qui a lancé le label Factory (cf interview page 20) et feu l’Haçienda, qui restera comme un des clubs les plus magiques du XXème siècle finissant. Son club finit par fermer parce que ses clubbers sont tellement gavés d’ecstasy qu’ils ne consomment plus rien au bar. On se rend compte qu’on a affaire à une épopée artistique et romantique et jusqu’au-boutiste. Reste à situer tous ces pourris dans une perspective historique, dans le top 10 avec les situs, impressionnistes, Dada, le surréalisme, Warhol, la Beat Generation, ou quasiment. Les Happy Mondays comparés à Mozart, un personnage pivot, producteur, qui tient plus de Guy Debord que d’Eddy Barclay. Pour les nostalgiques, un double CD et DVD des Inspiral Carpets vient de sortir : des clips, des extraits de lives et des leçons de coupe au bol. Pour l’élite des fans de Madchester, il est bon de savoir que Shaun Ryder vient de prêter sa voix à Amateur Night in the Big Top, projet dub électronique typiquement à l’anglaise, un peu à la Leftfield, limite vulgos mais assez jouissif, d’un enivrant exotisme de pacotille. Heureux soient les simples d’esprit. Inspiral Carpets Cool As (Mute / Labels) Amateur Night in the Big Top (OWS/Pias) S.P. 24 Hour Party People en salle le 4 juin (B.O. / Warner Music) + Compilation Inspiral Carpets Cool As CD + DVD (Mute / Labels)

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MUSIQUE

Salut les robots ! A quelques siècles d’ici, après qu’une guerre chimique a rayé de la surface de la planète toute trace d’humanité, deux petits robots redécouvrent la surf way of life du début des 60s. Leur groupe : The Surfin’ Robots. Surfer Red et Surfer Blue, puisque c’est leurs noms, tiennent plus d’Astro ou du Nono d’Ulysse 31 que de Terminator. Ils passent leur temps à chevaucher des vagues (voir les vidéos sur le site du groupe) et des guitares surf. Pastiche électronique et délirant de la surf music 60s (et ses stars Dick Dale, Tornadoes, Beach Boys première période et autres Surfaris), ce projet parallèle du groupe français Vegomatic ressemble à ce qu’auraient pu faire Add N to (X) s’ils avaient quitté Londres pour la côte ouest américaine. Tout aussi rétrofuturiste, mais enregistré à la fin des 60s, le Hush Little Robot du pionnier électronique Bruce Haack baigne dans une électronique dada et approximative. L’album compile des bouts de ce chef d’oeuvre de psychédélisme noir qu’est The Electric Lucifer (1969) et d’albums éducatifs pour enfants composées au synthesizer (This Old Man de 1974, The Way Out Album for Children de 1968). Bruce Haack n’a jamais étudié l’électronique. Cela ne l’a pas empêché pour autant de construire, en dix-huit mois, sans plans ni diagrammes, un monstrueux synthesizer analogique sur lequel ont été composées ces vignettes pop robotiques et déglinguées. Si ces enregistrements ont plus de trente ans, ils conservent cette fraîcheur qui fait le génie des pionniers (à l’époque, la musique électronique était loin d’être balisée), et fait de Hush Little Robot une pièce électronique bien plus excitante que le travail de pas mal de branleurs electronica. Fondamentalement robotique, et largement plus flippant, le Linear Accelerator de Dopplereffekt, émanation du mystérieux collectif Dataphysix, chante la technologie triomphante et les automatisations métalliques d’un monde déshumanisé. Si les premiers titres de l’album sont très, très ardus (cette flippante impression de se retrouver dans une chaîne de montage déserte sur le coup des cinq heures du matin), la suite, pas tellement plus riante, explore néanmoins de resplendissants horizons électroniques et monocordes, quelque part entre un Kraftwerk désincarné (Myon-Neutrino, HiggsMechanism) et un générique rétrofuturiste de FR-3 Auvergne circa 1976 (Z-Boson). Quand l’humanité aura disparu, peut-être que les machines de Dopplereffekt tourneront encore en boucle quelque part aux alentours de Detroit. J.G. The Surfin’Robots : Cowabungiga ! (Future Now / La Baleine) http://www.vegomatic.com/surfinrobots/surfinrobots.html Bruce Haack : Hush Little Robot (QDK Media) Dopplereffekt : Linear Acclerator (International Deejay Gigolo)

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Les guitares sèches ont toujours raison. Julie Doiron a longtemps officié dans le légendaire bricolo-punk-lo-fi band Eric’s Trip, dont les membres doivent être devenus profs ou facteurs. Elle, en tout cas, continue en solo sur le minuscule label espagnol Acuarela. Lasse de se cacher derrière sa disto, elle diffuse nonchalamment une folk lumineuse. Jeffrey Lewis aussi chante tout seul avec sa guitare folk un peu comme le Beck acoustique des débuts, avec la même grâce. Parfois, il s’entoure et produit une sorte de punk qui sent le whisky à plein nez, et c’est toujours aussi bien : seul contre tous, il a raison. Les guitares acoustiques c’est pas pour les demi-sels. Plus intello, Dennis Driscoll, songwriter de Bellingham à la mèche rebelle, distille, avec son troisième album Mysterium Mysteryum, un folk fragile et bringuebalant, sous l’influence de Phil Ochs, Yo La Tengo ou Neutral Milk Hotel, et ça donne Penelope, fausse sirène et vrai fantôme : une frissonnante ballade. Un peu comme Adam Green, qui nous ramène à nos souvenirs enfouis de chants du cathé, mais en mieux, jamais aussi bien que Leonard Cohen, mais pas mal quand même. Les ayatollahs de Grandaddy n’utilisent presque pas de guitares sèches, mais ils sentent tellement bon le foin que c’est kif kif bourricot. Même si leur dernier LP Sumday n’est pas aussi bien que les précédents, il reste un des albums les plus riches du moment, avec une étonnante attirance pour les mélodies à la Supertramp, et ce charme bucolique qui les caractérise. Prometteur aussi, le jeune écossais Alexi Murdoch, rejeton putatif de Jeff Buckley et Nick Drake. Adam Green Friends of Mine (Rough Trade / Pias) Jeffrey Lewis It’s the ones who’ve cracked that the light shines through (Rough Trade / Pias) Julie Doiron / Okkervil River (Acuarela / Pop Lane) Dennis Driscoll Mysterium Mysteryum (Yo Yo Recordings) Grandaddy Sumday (V2) Alexi Murdoch Four Songs (Import)

S.P.


Hanson, Warhol, Bustamante ©Punktum/h.-ch.Schink

Devoirs de vacances Du radicalisme de l'art à la baguenaude culturelle, le panorama des manifestations artistiques estivales est large et ne semble pas totalement céder à la tentation de l'exposition «grand stade», rétrospective monographique ou thématique, susceptible de draguer et contenter la congrégation internationale du tourisme en quête de divertissement. Au contraire, l'été sera climatisé et studieux. Matière principale : histoire-géo. Fourniture : Carte, globe, plan, maquette, graphiques et crayons de couleurs. Consigne : l'art est un moyen de prendre de la hauteur pour regarder le monde contemporain. Emploi du temps…

Géographie

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La Carte surréaliste du monde publiée dans Variétés en 1929, rompait avec la représentation occidentale et ethnocentrique de la planète. La position centrale de l'Océanie, l'échelle ridicule de l'Europe et des Etats-Unis faisaient acte. La carte, chère aux géographes, explorateurs et militaires, pénètre alors les territoires de l'art. Elle devient questionnement, bouleversement, détournement. La géographie, procédé. L'internationale situationniste, cherchant à bouleverser «l'esthétique et au-delà de l'esthétique tout comportement», élabore, entre autres, une psychogéographie qui est «l'étude des lois et des effets précis d'un milieu géographique agissant directement sur le comportement affectif». Dérive, expédition, carte mentale, la topographie reste un enjeu majeur de la création contemporaine. L'exposition GNS (Global navigation System) au Palais de Tokyo en est un relevé et en propose différents contours. Ainsi la carte-enquête : Laura Horelli dessine l'Atlas des pays dont le président est une femme. La carte-égo : Thomas Hirschhorn conçoit des «plan-moi» comme, dit-il, «le plan ouvert d'une personne et de ses positions artistiques, sociales, politiques, éthiques, de sa subjectivité et de ses désirs». Ou encore la carte-subjective : Pierre Joseph réalise de mémoire des «plan-reliquats» du vécu. Avec ses Plan de métro et Monde érotique, l'artiste revendique, en outre, un droit à l'erreur. A travers la mise en échec du GPS et des données scientifiques objectives, l'accent est porté sur la marge, le chaotique ou le clandestin. Le déplacement opère. «Coloriez les océans et les mers en bleu», disait le professeur. «Pas possible» aurait répondu Kirsten Pieroth qui nous montre l'eau translucide de quatre mers dans des bouteilles achetées dans leurs pays d'origine.


ART

Histoire L'art use «de son pouvoir à réinventer la géographie et l'histoire» rapporte Francesco Bonami, actuel directeur de la biennale de Venise. De même, l'exposition. En tout cas telle que la conçoit Eric Troncy, «auteur» de Coollustre en Avignon, troisième et dernier volet du cycle constitué de Dramatically Different (Le Magasin, Grenoble, 1997) et de Weather Everything (Musée de Leipzig, 1998). Là, portrait de Kadhafi par Bazile Bustamante sur papier peint à l'effigie de Mao par Andy Warhol, face au menaçant canon de Pino Pascali pour l'histoire contemporaine. Ici, la cabane taguée de Didier Marcel, le pylone tordu par une quelconque tempête de Bertrand Lavier, les restes du feu de camp de Piero Gilardi, les sacs poubelles de Gavin Turk, les couvertures à respiration de Wendy Jacobs pour l'anecdote post apocalyptique. Seize salles comme autant de scènes composent un récit quasi cinématographique dont le spectateur fait l'expérience physique. L'exposition est œuvre totale, collection idéale et compilation spectaculaire. Entre rêverie et cauchemar.

Classe verte à Venise De rêve, il est également question dans l'exposition des expositions. La 50è édition de la Biennale de Venise sous le titre de Rêves et conflits. Dictature du spectateur se veut point de rencontre entre le désir d'une manifestation véhiculant des valeurs esthétiques et entre la nécessité éthique de refléter une thématique du conflit. L'exposition internationale à l'Arsenal, en complément des pavillons nationaux, est composée à cet effet de huit zones autonomes qui rendraient compte de l'état de l'art. Etat de l'art qui à son tour signalerait, selon son directeur, «l'état du monde», ses bouleversements géopolitiques et économiques se répercutant jusque dans le domaine de l'esthétique. Avec les zones Le quotidien altéré, Retards et révolutions, Lignes de faille, Systèmes individuels, Zone d'urgence, La structure de la survie, Représentations arabes contemporaines, et enfin Station utopie, l'art agit en tant que véhicule d'investigation et observatoire permanent. L'exposition vire à la suprême expédition. GNS, Palais de Tokyo, Paris, du 5 juin au 7 septembre 2003. Coollustre, Collection Yvon Lambert en Avignon, du 25 mai au 28 septembre 2003. Biennale de Venise, 50e exposition internationale d'art, Rêves et conflits. La dictature du spectateur. Du 15 juin au 2 novembre 2003, www.labiennale.org Elfi Turpin Hannah Greely, Silencer 2002, Courtesy de l’artiste

Damien Ortega, Cosmic thing 2002


Histoire d'O. «L'O-isme» est une nouvelle religion d'inspiration messianique imaginée par l'artiste californien Jim Shaw. Elle serait née selon lui au milieu du XVIIIe siècle dans l'état de New YorK. Adoration d'une divinité féminine, réincarnation, marche à rebours du temps et iconoclasme sont les ingrédients de cette nouvelle fiction anthropologique. Après My Mirage racontant l'histoire d'un jeune adolescent blanc américain évoluant au sein de la contre-culture étasunienne des années 60, Jim Shaw perpétue son exploration de l'histoire et de la culture populaire américaine. Il réunit au Magasin des œuvres d'inspiration «O-iste», tableaux d'amateurs achetés dans des brocantes, images interdites, instruments de musique rituels. L'œuvre d'art est duelle et réversible. Déguisée en artefact - celui d'une communauté spirituelle imaginaire dont Jim Shaw se fait l'anthropologue - elle participe à la fois à une installation extrinsèque, à l'évocation du féminisme essentialiste des 60s et à la réminiscence de l'histoire sombre du colonialisme californien. Souvenir bien plus trash encore qu'un Iggy Pop*, vêtu de la robe de Laura Hingals, s'empiffrant de fayots. White spirit. Yanomami, l'esprit de la forêt fait ressurgir le spectre de l'exotisme et nourrit la question délicate des résonances et correspondances de l'art contemporain et de pratiques tribales rituelles. Ni documentaire, ni humanitaire, cette exposition est le résultat d'une confrontation d'un ensemble d'artistes internationaux avec les chamans d'un village d'Amazonie. Existe-il une secrète corrélation entre art contemporain et pensée mythique ? Les artistes en question, au-delà d'un travail illustratif ou anthropologique sur le chamanisme, interrogent les mécanismes de création de l'image et font écho à son apparition (chère au chamanisme) ainsi qu'à l'affirmation du pouvoir de l'image rêvée, pensée ou racontée. Les enseignes de Vincent Beaurin, issues de visions mentales et de leur transformation, rappellent la luminosité des esprits et des ancêtres descendus danser sur terre. Raymond Depardon joue le rôle de passeur. La photographie révèle l'image. Gary Hill, par le biais de la vidéo, en explore (depuis les années 70) le phénomène de formation, de disparition, de perception et en fait, à la Fondation Cartier, une expérience physique. Tony Oursler est fasciné par la démultiplication de la personnalité. Rien de neuf dans la forêt ? * Cf Dead man de Jim Jarmush Jim Shaw, O, centre national d'art contemporain de Grenoble, du 15 juin au 14 septembre 2003. Yanomami l'esprit de la forêt, Fondation Cartier pour l'art contemporain, du 14 mai au 12 octobre 2003.

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jim shaw, the rite of 360˚ 2002, vue de l’exposition a la galerie praz-delavallade

ART Méthode créative, sujet de réfléxion, l’anthropologie est-elle pratique artistique ?

jim shaw, the land of the octopus#2, 2003 courtesy patrick painter galerie

jim shaw, untitles, photo de julian hoeber

Anthropofiction


Keep cool. Rencontre entre Yoghourt et l'american sauce. Stefan Nikolaev développe la «nostalgie cool» soit l'expérience de l'éloignement, du temps et de la distance. One for the money, two for the show, Stefan Nikolaev, Galerie Michel Rein, 42 rue de Turenne, Paris 3, jusqu'au 15 juillet 2003. Remake. Après L'important c'est d'aimer de Zulawski ou Twin Peaks de Lynch, c'est autour d'Orange mécanique et Mulholland drive de se faire dégonfler par Brice Dellsperger : ses remakes fonctionnent toujours sur le mode de l'appauvrissement formel. Body double 16-18, Brice Dellsperger, galerie Air de Paris, 32 rue Louise Weiss, Paris 13, jusqu'au 26 juillet. Carte blanche. Mathieu Mercier et Saâdane Afif invitent leur «crew» (Liam Gillick, Bernard Rüdiger, Stéphane Calais, André Cadere, Delphine Coindet, Richard Fauguet, Bruno Peinado…) autour d'une recherche commune sur l'objet de consommation et sa dissolution à l'intérieur d'un dispositif artistique. De la «fétichisation» à la subversion du bien commun… Special dedicace, Musée départemental d'art contemporain de Rochechouart, du 21 mars au 31 août 2003 Elfi Turpin

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CINEMA

Cochon qui s’en dédit Le sens de la vie, c’est tout droit ?

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Mc Dull dans les nuages n’est pas un dessin animé pour les enfants. Il ne faut pas se fier à son look de produit Hello Kitty et à son trognon cochon de héros. A moins de vouloir à tout prix initier un gniard au goût mi-raisin de la vie qui l’attend. Bienvenue à Hong-Kong, ville impitoyable dans sa manie d’aller plus vite que les gens, de cultiver l’apparât sur la substance. Mc Dull dans les nuages détonne donc dans la production locale, non seulement en étant un exemple rare de film d’animation fait dans l’ex-colonie britannique, mais surtout en prenant le temps de raconter des choses cruciales bien qu’invisibles. Et se jumelle ainsi avec d’autres merveilles asiatiques : Mary Iyagi prônait les vertus de l’imagination, Totoro celles de la nature, Tony  Yuen avec Mc Dull, se rapproche de Nos voisins les Yamadas en démontrant la force d’une vie ordinaire. Sans jamais minauder. Entraînées par une musique primesautière et une certaine propension à la déconnade, ces aventures existentielles tirent le meilleur d’une apparence enfantine ; déconcertante au premier abord, elle apparaît rapidement comme l’environnement idéal pour ne pas sombrer dans le cynisme ou le désenchantement. Surtout quand la forme se révèle inventive, embrassant design tendre des personnages et réalisme des décors. Film de cochon mais pas moins adulte pour autant dans sa justesse d’observation, Mc Dull est très attachant dans sa volonté de refuser les œillères, ne pas faire dans le mignon tout plein pour aborder l’absurde du sens de la vie. Finalement, emmener son môme voir ce film très pédagogique n’est peut-être pas une si mauvaise idée. A.M. Mc Dull dans les nuages, le 2 juillet.


CINEMA

Omelette islandaise Un adolescent, ça s’emmerde ferme au pays des elfes et des trolls ! Finalement Bjork ne raconte que des craques sur l’Islande. Au vu de ce que raconte le cinéma local, la musique de la fée clochette boréale n’a pas l’air d’être en phase avec son pays. Noi Albinoi a des airs de descente brutale pour un contact plus terre-à-terre avec le sol. Un sol particulièrement meuble dans ce premier film de Dagur, Kari, hanté par un vieil ado trimballant son spleen dans l’isolement d’une île réfrigérée, quoique réchauffée par un sens de l’absurde, envoyant des signaux de fumée aux voisins nordiques, Aki Kaurismaki ou Roy Andersson. Noi, grande perche de dix-sept ans, étriqué dans sa routine, les pieds retenus par le carcan social, a dans la tête de lointains palmiers. Loin de la carte postale givrée, Kari a un don pour retirer au dernier moment sous nos pieds le tapis moelleux de l’exotisme et montrer la poussière amoncelée dessous. Rien n’est gagné d’avance dans cette balade doucereuse au pays des fjords, parfaite variante islandaise de l’omelette norvégienne, alternant zones chaleureuses et coups de froid à l’image d’un personnage central dont on ne sait s’il est un idiot congénital ou un génie ignoré. En entretenant ce drôle de suspense jusqu’au bout, Kari fuit la mièvrerie d’une fable morale à la Will Hunting, et finit par se réfugier dans les rêves de Noi, amorphe rebelle débarrassé de son ancienne vie, littéralement rasée. Mais sans savoir si l’avenir sera forcément plus radieux privé d’une profonde nuit nordique. Portrait aigre d’un désespoir ordinaire, Noi Albinoi nous laisse hésiter entre coup de soleil ou coup de cafard, mais assurés de la découverte d’un bon réalisateur, habités par une musique plus mélancolique et moins froide que celle de l’ambassadrice officielle du pays. A.M. Noi Albinoi, le 9 juillet

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CiINEMA

United colors of cinema Comme dirait Jacques Martin : «Les zenfants sont formidâââbles». Surtout dans le cinéma indépendant new-yorkais.

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Qu’est ce qui différencie, hors les contingences matérielles, un film hollywoodien d’un film indépendant américain ? Son âme. Long way home, le premier film de Peter Sollett n’en manque pas pour parvenir à rendre palpable et réaliste les tribulations d’un môme dans le Lower East Side new-yorkais, le temps d’un été. S’il y fait aussi chaud que dans le Do the right thing de Spike Lee, le climat y est bien plus tendre. Jusqu’à faire fondre les conventions bâties par les studios : pas de sentiment de caricatural ghetto, en dépit d’une concrète authenticité dans les rapports sociaux. Et surtout dans les rapports amoureux naissants chez les ados. Puisque Victor, 16 ans et frimeur est accusé par ses potes de s’être tapé un cageot, il tente de redorer son blason en s’attaquant à Judy, fille farouche, qui fait baver tous les minots. Voilà pour le postulat initial. Plus surprenante, l’arrière-cour du film, celle qui dépeint le quotidien du coin (précarité à tous les étages, absence de père, obligation de débrouillardise), encerclé par la petite délinquance et le deal de dope. Avec un effet de justesse décuplé par un choix de comédiens non-professionnels, clairement en prise directe avec l’environnement décrit. Que la mise en scène de Sollett, sobre, ne baratine pas. Il n’est pas question ici de faire dans le larmoyant ou le film à thèse socio-cul, juste de restituer ce qui semble une réalité ou du moins d’autoriser des personnages à être vraiment incarnés. Ni condescendant, ni paternaliste, Sollett restitue sans misérabilisme une tranche de vie. Savoureuse même quand elle rejoint par son naturalisme le Larry Clark de Kids, dans une version plus lumineuse. A.M. Long way home, le 2 juillet


CiINEMA_

Dans le fond Un fantôme dans un sous-marin fait-il «glou, glou» au lieu de «bouh, bouh» ? J’ai toujours aimé les films de sous-marin. Au moins autant que ceux de fantômes. Peut-être parce qu’il s’agit d’y créer, puis d’y gérer, au mieux, des sensations de claustrophobie se rapprochant de l’enfermement dans une salle de cinoche. Arrêtons-là la psychanalyse pour s’intéresser à Abîmes, sympatoche film cumulant les plaisirs des deux genres. Soit donc un submersible coulant progressivement prenant, à son insu, à bord, en même temps que les rescapés d’un bateau-hopital torpillé, un spectre venu chatouiller la mauvaise conscience de certains officiers. David Twohy aime à l’évidence la contrainte, quand en plus de deux genres, il s’attaque à un autre face à face en introduisant une présence féminine au milieu d’un monde d’hommes vivant en huis-clos. Ça vous rappelle Alien 3 et sa prison spatiale ? Normal, Twohy a écrit une des versions du scénario avant d’être viré du film. Le voilà en position inverse : en capitaine d’un projet initié par Darren Aronofsky. Abîmes serait-il le requiem pour un genre ? Pas tout à fait. En dépit d’un évident savoir-faire de la part de Twohy pour l’ambiance, le film fonctionne surtout par petites touches habiles, la surprise venant plus de la psychologie, soignée, des personnages que des effets, en retrait. De quoi alimenter un mystère grandissant autour du réalisateur, dont on ne sait toujours pas malgré d’excellentes séries B (Pitch black, Timescape) si l’on tient ou pas avec lui le nouveau John Carpenter. En attendant qu’un jour il soit adulé avec retard par Les Cahiers du cinéma, comme nombre de petits maîtres devenus grands sans que cette revue ne s’en aperçoive, Abîmes n’est pas pour autant un coup dans l’eau, la bataille navale qu’il met en place entre deux genres s’avérant d’une remarquable stratégie de cinéma. A.M Abîmes, le 30 juillet

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CiINEMA

Mangeurs de daubes Un film de cannibales, c’est forcément une histoire de cuisine interne…

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L’été cinéphile a toujours été le royaume du nanar et de la sortie en douce de petites perles dont les distributeurs ne savent pas quoi foutre ni comment les marketer. Qu’on soit clair, Wrong turn joue d’évidence dans cette catégorie. Et pas tout seul au vu de la flopée de séries B d’horreur qui vont tenter de rafraîchir par la frayeur les salles surchauffées. Mais alors pourquoi aller voir ce film-ci plutôt que ses nombreux rivaux estivaux (The eye, Darkness, Cube 2, Terreurpointcom, Hypnotic…) ? Dire que Wrong turn est meilleur qu’eux serait beaucoup, mais cette histoire de vacanciers décimés par un trio d’anthropophages dans une forêt américaine, tout en restant anecdotique, possède quelque chose de plus sympathique que ses concurrents. Ne serait-ce que de ne pas se voiler la face en cachant ses origines ou son manque de renouveau. Ici on verse dans le fait-tout des réminiscences des survival des années 70-80, en particulier Massacre à la tronçonneuse et Délivrance sans, s’en cacher, avouant sans problème l’auto-cannibalisme du genre. Mieux, les instigateurs de l’affaire, de la production au réalisateur, sont visiblement conscients des acquis du spectateur et évacuent donc rapidement au nom de la connivence les pénibles passages introductifs. Résultat : moins de 80 minutes concentrées autour d’une course-poursuite forestière. Autre bon point, la confirmation d’un retour au gore après une décennie de fausse-pudeur dans les films d’épouvante. Wrong turn fait peut-être la popote mais aime la viande saignante ; se payant même quelques amuse-bouches assez croustillants lors d’un passage très réussi (le seul ?) de galop dans les arbres. Enfin, il faut bien avouer que le casting de teenagers promis à un destin de méchoui est ici plus goûteux qu’à l’accoutumée, Desmond Harrington, Eliza Dushku et Jeremy Sisto gagnent plus en empathie que les traditionnels jeunes cons qui méritent leur sort. S’il est entendu qu’en temps normal, on préfèrerait voir ce drame de la consanguinité chez les boulotteurs de chair humaine directement en vidéo, en temps de vache maigre, Wrong turn fera l’affaire entre une baignade et une séance de bronzette. A.M. Wrong turn, le 23 juillet


CiINEMA

A l’œil Armada de gros films sur les écrans cet été, faute de temps ou de projections, on n’a pas pu les voir. Mais on en pense déjà quelque chose… Terminator 3, le soulèvement des machines (6 août) Pour : Sous la houlette de Jonathan Mostow, bon faiseur (Breakdown, U-571), on est sûr d’avoir un quota minimum de scènes d’action potables. Contre : Annoncé à Cannes, un énième Mortal Kombat avec Kristina Loeken, la Terminator femelle de ce troisième épisode en héroïne. Plus encombrant encore : pour la promo du film, Schwarzie suivra une étape du tour de France et présentera le film mi-juillet à Toulouse et Narbonne. Pour T4, il se lattera avec Christophe Lambert et se pointera à poil dans les camps nudistes du Cap d’Agde ? Hulk (l2 juillet) Pour : Ang Lee et son scénariste James Camus risquent de rendre fumasses les fans du comic-book avec un scénario déviant de l’œuvre originale pour aller vers une psychologie fine. Jennifer Connely et Nick Nolte en personnages apparemment loin d’être secondaires. Contre : On s’est aperçu avec le minable Daredevil qu’un héros Marvel ne fait pas forcément un bon film. Le look du géant vert colérique aperçu dans la bande-annonce, limite ridicule et artificiel dans son image de synthèse. Rendez-nous Lou Ferrigno !!! Et puis, y a-t-il vraiment un Chien-Hulk dans ce film ? Dumb & Dumberer (23 juillet) Pour : La jeunesse des deux héros décérébrés de Dumb & Dumber, film séminal des frères Farrelly. A l’ère Jackass, une dose de bêtise crasse et pétomane, ça fait forcément envie. Contre : Un ersatz de Jim Carrey peut-il être aussi démentiel que l’original ? Quelqu’un sait qui est ce Troy Miller, réalisateur sur ce coup ? Bruce-Tout-Puissant (9 juillet) Pour : Jim Carrey faisant l’intérim pour Dieu pendant une semaine. Quelque chose à rajouter ? Contre : L’indécrottable morale catho à la mor(monne)-moi le noeud qui adoucira le film en fin de parcours. Impossible d’ignorer qu’on est dans une familiale production Disney. Charlie’s angels 2 : les anges se déchaînent (le 16 juillet) Pour : A y réfléchir, le premier film était vraiment fun dans son côté je m’en foutiste, et ses drôles de dames virant drôles de bimbos avec un joli sens de l’autodérision. Contre : Dévoiler un peu plus le 95C de Drew ou Cameron et remplacer Bill Murray par Bernie Mac, comique black pas drôle et absolument inconnu chez nous, n’annonce pas un sens du renouveau. On prend les mêmes et on recommence ? A.M.

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MULTIMEDIA

Edito Les fesses entre deux buffets

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Standard est bi(mestriel). Chose qui ne sied pas forcément à la frénésie compulsive de l’actualité numérique, forcément calée en temps réel. Face aux sites Internet et même à la presse spécialisée, le chroniqueur de la presse gé’ se sent un peu à la masse, vaguement occupé à placer de petits feuillets consuméristes de-ci de-là. Je ne blâme pas les gentils PR qui se démènent, juste le système qui nous fait un peu voir le film le mardi d’avant le mercredi. Bref, on se contente de recevoir des presse-communiqués beaming with joy et promesses de croissance, puis de jouer au jeu correspondant la veille de sa sortie. Et on squatte, mollement, pour la forme, les soirées de lancement. Car depuis quelque temps, les gros éditeurs et studios, gonflés par la reconnaissance terminale du jeu vidéo, engagent des branchés pour exciter leurs cocktails mercantiles. Pedro Winter, Ariel Wizman sont de nouveau overbookés, engageant dans leur sillage cette nouvelle race de pique-assiettes : les rac’hypes. Attirés par les promesses d’open bar et l’envie de se faire voir, nos amis les rac’hypes rameutent leur troupeau d’amis buzzables, telles des sauterelles qui ravagent tous les bons plans boiboi popotte sur leur passage. Notoires exemples : la SET, première course de Kart entre labels indépendants, comme Yellow, Kitsune ou Headbangers, montée par le magazine Hispano branchouille Neo2 et payée par l’éditeur Rockstar (GTA c’est eux) venu présenter son jeu. Ou la soirée Enter The Matrix (le mauvais jeu tiré du bon film) organisée en sous-main par Blast Magazine pour le compte d’Atari, featuring Matthias Mimoun en pianiste dandy Vegas à l’entrée. Ravis de boire à la santé et aux frais des beaufs en costard et Palm qui reluquent leurs copines à franges, les mècheux – popeux, assistants créa, pigistes et autres graphic crew members se contentent de cracher dans la soupe en s’exhibant, avant de s’en aller butiner à une inauguration du Palais de Tokyo. Alors que les décideurs, toujours en cravate, s’échangent des cartes de visite en reluquant des minettes à frange, ravis d’être invités dans ce qu’ils pensent être le cœur du hype de la capitale, au moins autant que le VIP Room. Les fans de Planète TV auront bien sûr reconnu ce micro-éco-système de donnant-donnant, un peu comme pour le requin et son poisson nettoyeur, l’alligator et son oiseau cure-dent. Je te sers de caution, tu me sers du champagne. Etant un peu branché et un peu journaliste, je me délecte de ce spectacle de bon cœur, en avalant le plus vite possible les cannelets de Bordeaux et les mini brochettes jambon de pays / melon qui pourraient encore traîner sur les buffets. Tout ce petit ménage ressemble à un énième add-on des Sims, ses personnages prévisibles mais toujours passionnants, ses scripts, l’impression d’être manipulé juste ce qu’il faut… Tiens tiens… Je pense jeux vidéo. Eh bien finalement, je le fais bien, mon boulot. L.H.


MULTIMEDIA

Ikaruga Spirit’s alive Dans l’air ambiant, slalomant entre les courants telluriques ou simplement à la Fnac se balladent de merveilleuses créatures. Bonjour, Ikaruga. Si Atari (ex-Infogrames) sort parfois des jeux un peu pourris qui cartonnent en ventes (Enter The Matrix), ils savent aussi parier sur des titres fabuleux qui ne se vendront pas. Développé par le mythique studio japonais Treasure (Gunstar heroes, Radiant Silvergun et Silhouette Mirage qui ont inspiré cette présente merveille), Ikaruga est un jeu (de) fou : une furie qui se débat dans ses beaux vêtements. Définitivement le meilleur shoot’em up de l’histoire, cette perle ne séduira que les hardcore gamers, les fans de jeux d’arcades, les nippon touch addicted et les amoureux de la Dreamcast (qui fait son baroud d’honneur avec ce jeu). L’idée même de vous expliquer le fonctionnement basique et les subtilités de cette pièce d’orfèvre m’emplit d’une joie à faire pâlir une pub de crédit consommation. Le concept premier n’étonnera personne pour peu que vous ayez touché Space Invader ou l’un de ses descendants. Un vaisseau, des ennemis, plein de tirs, crampes aux doigts, sueurs, boss de fin de niveau, sortage de langue, perte de contrôle, juron. Un acte amoureux immuable depuis 20 ans. Donc on tire ici, toujours, mais il faut compter avec le Yin et le Yang. Evidemment. Vos ennemis sont en effet noirs ou blancs. Et le vaisseau qui vous sert de bras armé peut changer à volonté de couleur et par corollaire celle de ses tirs. En version noire, on tire des balles noires. Idem en blanc. De ce constat, les tirs blancs font plus mal aux ennemis noirs et vice versa. Sachant que les ennemis des 2 couleurs se succèdent de manière continue et toujours plus complexe, on a déjà mal à la tête rien que d’y penser. Et c’est là qu’intervient la subtilité : votre vaisseau peut également absorber les tirs rivaux s’il revêt leur couleur. Ça charge de + sa barre de super tir qui, une fois pleine, détruit tous les ennemis. C’est génial, stressant, magnifiquement pensé et travaillé. La débauche de mots de cet article retranscrit un peu cette ambiance d’un bordel et d’une beauté rares. Parmi la plèbe des sous-productions occidentales en 3D maniérée, achetez Ikaruga pour renifler un peu génie des Japonais. Si vous n’avez pas de Gamecube, achetez quand même Ikaruga. Ne vous sous-estimez pas. Ikaruga, 49¤ (Atari) L.H.

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MULTIMEDIA

Over design Les gens en ont marre de leur gros Nokia 3310. Et les fabricants en ont marre de moins vendre. D’où un concept, l’over design. Pour quel résultat ?

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Le portable c’est un marché massif. Plus de SFR, de Mobicartes et de Millenium soir / week end que de lignes fixes. Ce portable qui faisait si yuppie puis si early adopter puis si Jérôme Bonaldi puis si «t’es où là ?» est devenu un objet emmerdant, sulfureux comme un discman. La faute entre autre à Nokia qui, avec son modèle 3310 a trusté les ventes, tout ça parce qu’il y avait Snake, ce satané jeu qui vous faisait oublier la misère d’un trajet en métro ou l’ennui d’une classe de lycée Suédois. Le marché étant arrivé à saturation, nos amis constructeurs se battent pour rameuter le banc de mérous tenté de renouveler son terminal. Mais il faut changer, inventer de nouveaux standards. Sans véritable avancée technologique (l’UMTS est en retard grave), on se penche sur l’esthétique. Nokia se lance ainsi avec des nouveaux modèles tendance My First Sony. Prenez le dernier né, 3650 qu’il s’appelle. Avec son ventre potelé et ses touches surdimensionnées, il ressemble plus à un bambin trop sevré au Bledina qu’à un avatar de la convergence (c’est qu’il est complet le bougre). On en viendrait presque à regretter les légendaires 6110 et 8210 (dessiné par Kenzo). Et de son côté, les siamois nipposuédois Sony – Ericsson reviennent au côté bourgeois Habitat avec le T610, laqué et carré. Bizarrement, c’est Siemens qui grille tout le monde côté buzzitude en sortant la gamme Xelibri, quatuor de téléphones aussi ingrats au premier abord qu’attachants au final. Siemens, la marque de mon aspirateur, le fabriquant des barrettes de DDRam Micron (excellentes, prenez-les par deux) ? Bah voui. «Nous sommes perçus comme une marque branchée en Allemagne, pas encore en France oû nos téléphones font assez sérieux» nous assure la responsable de com’. Bref, les Xelibri n’ont pas été élevés en laboratoire r&d mais dans les bureaux de tendance. Campagne David la Chapelle, communication ultra régressive (Anticipation 2ème degré) et cyber (look vectoriel), tout y est. Les Xelibri suivront même le cycle des saisons de la couture pour, sans accéder au premier rang des défilés, accompagner la rédactrice mode. Colette (aux Galeries Lafayette) puis le Printemps sont des corners exclusifs pour ceux qui ne veulent pas passer par le site (www.xelibri.com). D’après la vendeuse de Colette «Ah mais on a été dé-va-li-sés !». Mon cousin Daniel, en pleine phase de relooking, s’en est offert un. Verdict : «Ça flingue pas autant que prévu, mais les gens s’arrêtent clairement dessus». Des gens qui s’arrêtent sur un portable, une scène qui avait disparu depuis 10 ans. Pari gagné ? «De toute façon, j’ai acheté ce Xelibri en attendant le SL55 de la même marque». SL55 qui offre l’avantage d’être design ET beau.


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Miscellaneous Une thématique pour digérer Ce mois-ci, intéressons-nous à 2 évènements qui comptent et qui commencent par un E. C’est fini : L’E3 Alors que l’E3 (Electronic Entertainment show) vient de fermer ses portes et que la petite mort guette journalistes, PR et hôtesses (moins bonnes qu’en 2001), on attend une rentrée sous le signe du PC. Plutôt ironique, vu que l’on annonce la mort des jeux PC (concurrence des consoles, piratage facile et développement difficile) depuis des années. Bref, Half-Life 2, Doom 3, World of Warcraft se sont taillés la part du lion. Avec un timing parfait, j’enchaîne mes 6 mois de CDD divers et foireux pour toucher les ASSEDICS en septembre et enfin perdre une vie sociale qui trop longtemps m’a retenue parmi vous. www.e3expo.com/ Ça commence : L’ES World Cup Les petits frenchies de Ligarena - la société qui a lancé les plus gros rassemblements réseaux de France, les LAN Arena - organisent au Futuroscope du 8 au 13 Juillet la Coupe du Monde des Jeux Vidéo. Avant de rire, sachez que 400 champions venus du monde entier vont s’arracher la tête à coup de clics de souris pour grappiller une partie des 150 000 euros en cash mis en jeu. Le gouvernement a même donné sa bénédiction. Tout de suite, vu comme ça… www.esworldcup.org

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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le cyber, sans jamais oser le faire. Salut Standard, Moi c’est Sydney et j’aime les beignets, chauds comme la braise du matin. Je me demandais comment agrémenter mes soirées d’escort girl où, je t’avoue, je m’ennuie à mourir d’amour. Les vieux clients, c’est chiant quand c’est vivant. Tu dois me helper ! From Sydney with love hihi ! Salut ma petite pute, J’espère que les affaires vont bien. Lorsque tu sens le formol monter en toi, pense à te masturber discrètement sans arracher la nappe. Pour cela, utilise le Kitty Vibrator qui transformera ton téléphone en vibro qui soubresaute au doigté et à l’oeil. Et comme disait notre père spirituel, «place aux jeunes». Standard, Standard… Alors voilà, je ne comprends pas. Alors que je me sens bien dans ma peau (je kiffe mes bras), mes amis me prennent au choix pour un nihiliste macho ou un capitaliste un tantinet aristo (pas de fric, mais de la gueule). Résultat, je ne me taperais jamais une de mes vraies amies. C’est chiant, non ? Charles Louis Planade. Carlito, Ce problème d’incompréhension mêlé de crainte de la part de tes amis provient d’une jalousie qui finalement les dépasse. Tu serais un ambidextre que ce serait pareil. Ne te renie donc pas et joue ouvertement à Burnout 2 (meilleur sur Gamecube et Xbox que sur PS2), histoire de passer en plus pour un chauffard Cronenbergien. Pour tes amies, je crains qu’il ne faille faire ton deuil. Ce serait gâcher une siiiii beeeelle amitié. Chère Miss Byte, Mon copain et moi on kiffe faire des plans cochons complètement ultra risqués : genre l’amour sous les draps, comme ça direct. Où même parfois dans la chambre de mes parents quand ils sont en week end à la Baule. Et ensuite on joue à la PS2. Qu’est-ce que t’en pense ? Alexis Mon cher Alexis, Je vois que tu as une vie sexuelle absolument épanouie et luxuriante. Huge. Je te propose de jouer à Silent Hill 3 (Konami) quelques minutes avant l’amour. Si tu arrives encore à bander après ça, je t’apprends le jeu de la bouteille.

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Service Antiproductivité Ah ! Bientôt la fin de l’année, depuis septembre qu’on l’attend… Pour ne pas craquer ouvertement, voici quelques calmants à prendre avant la pause de 11 heures et vers 16 heures, avant de quitter «j’ai un rendez-vous / interview / vers solitaire») cet affreux bureau en plaqué. www.holdthebutton.com Car la nature est vraiment bien gaulée, l’homme trouve souvent challenge à la mesure de son intellect du moment. Le jeu est extrêmement bête et addictif.. Et je sens que vous vous faîtes présentement chier au boulot.

www.habbohotel.com Ce n’est qu’un chat avec une interface graphique méta cute. Pourtant, l’idée de jouer le rôle de son propre Sims est plutôt grisante et on se retrouve à draguer une Susie 911 en dansant avec elle pendant 40 minutes (alors que c’est probablement un ado texan qui sèche ses cours). Le coup de cœur du mois.

www.googlefight.com Rapide et ne mangeant pas de pain, Google Fight permet de comparer la popularité de 2 mots au travers du moteur de Google. On peut ainsi savoir de manière totalement arbitraire qui est le plus fort dans son service. Standard écrase quasiment tout.

www.zombo.com Ronald de la marque Ron Orb m’avouait un jour qu’il laisserait bien la basse synthé de I feel Love en boucle pour toujours s’il pouvait. J’ai fait de même avez ZooooombO dot cOm où une voix archi sexy dit plein de choses du style «you are on zommmmbo dot com. You can do everything on zombo dot com. PLease stay on zombo dot com» etc.. C’est un site culte depuis des années. Vraiment une expérience étrange.

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REALITE

Six mois au fond d’un sex shop Une eXpérience vécue par Mathieu Cupelin «La monnaie, s’il-vous-plaît.» Pour que le client soit satisfait de la déclinaison des pièces qu’on lui tend, le tout est de juger, dans la seule fraction de seconde du regard rapide qu’autorise la bienséance, de sa personnalité, du genre de consommateur que l’on croit deviner : dépensier, prenant ses aises, pressé, mesquin, près de ses sous, précoce, long à venir, contemplatif. On a rarement à me reprendre (à moins que tels d’entre eux n’osent rien y redire). Ensuite de quoi le monsieur se rend à l’étage, en vitesse presque immanquablement. De cette sorte de client-là, il en est bien peu à s’attarder pour bavarder. Lorsqu’ils se décident à entrer, c’est pressés par une situation d’urgence. A l’extérieur, un grand X crucifié sur l’enseigne d’un magasin aux vitres teintées. A l’intérieur, derrière le comptoir, je m’entends répondre sans rire «VidéoPlaisir à votre service» au téléphone. Le travail se limite à peu de choses : faire de la monnaie à la clientèle des dix «cabines de visionnage individuelles» et encaisser trois à quatre articles par heure en moyenne. Sans pouvoir parler de coup de bourre, il y a une heure de fréquentation plus assidue des cabines : le pic se situe en fin de journée, au moment de la fermeture des bureaux. Nos cols-blancs et cadres moyens ont besoin d’évacuer leur journée éparpillée dans les graphiques et les colonnes de chiffres. L’esprit lessivé, ils ne demandent qu’à se vider de tous leurs déboires, de toutes leurs frustrations. Et ils n’ont pas tort : à les voir ressortir, une décharge de la sorte semble bénéficier à l’ensemble des fonctions et agir comme un puissant calmant sur le système nerveux. Autre moment d’afflux, bêtement : la pause de midi. Le magasin ouvre ses portes à 12h15; sitôt la grille tirée, plusieurs hommes surgissent de nulle part, me bousculant quasi sur leur passage. Ceux-là sont des habitués, ils guettent l’ouverture d’un oeil mouillé.

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Vendeur au savoir atypique Vendeur n’est pas un métier très considéré. Mais mon domaine de spécialisation attire l’intérêt des clients – en particulier de ceux qui sont entrés dans le magasin «parce qu’ils sont passés devant». Dans leur esprit, je suis détenteur d'un savoir précieux, secret, je possède la clé de l’âme de mes congénères et surtout de leur corps, et ils ne doutent pas que j’ai acquis le pouvoir de les manipuler à ma guise : je suis le dépositaire privilégié des fantasmes humains, puisque j’ai la brillante mission de les pourvoir en fournitures de toutes sortes. Beaucoup m’interrogent sur la fréquentation du magasin - à croire que la majorité des gens entrent là uniquement pour savoir ce que les autres viennent y faire. Même si par contenance ils ne la posent qu’en deuxième ou troisième lieu, une question surtout revient, et on sent qu’elle leur brûlait les lèvres : «beaucoup de femmes viennent ici ?» (et, seconde partie de la question, implicite : elles achètent quoi comme trucs ?). La demande m’amuse à la fois et m’embarrasse. J’aimerais les baratiner, les rendre verts d’excitation, leur foutre à travers la gueule des monceaux de conneries pour les impressionner, les rendre jaloux, les faire saliver dans leur froc ; leur montrer qu’ils sont parfaitement inaptes à comprendre et à satisfaire les fantasmes féminins, incapables de faire jouir les femmes et de les transporter vers l’extase psycho-somatique. Car, au rayon des appétits sexuels féminins, la plupart de ces coqs ne sont que de gros chapons indigestes et lourdauds, l’esprit occupé non à tirer toute la substance d’un acte magique, mais à essayer de ne pas arriver à terme trop vite, rougeauds de cette coûteuse concentration qui altère toute sensualité. Leur inventivité résumée à ce pénible ramonage, ces jeunots ou même ces hommes d’âge mûr, tirent de ces gueules devant des instruments ! Ils n’en soupçonnaient pas l’existence, à cause de leur vision étriquée confinée à deux sexes emboîtés. Blêmes les rendent leurs questions, voulûment détachées, sur de simples boules de geishas et mes réponses surtout, qui supposent l’utilisation en couple de ces gadgets, donc, l’accord préalable et la participation active ou passive d’une femme. Le plus frappant reste leur aversion de façade pour l’homosexualité, les plaisanteries les plus lourdes fusant à la vue de l’outillage anal, parfois impressionnant certes, utilisé par les pédés. C’est comme sacrifier à un dieu, sans être au fait de ses rituels. À leurs yeux, ces formes insoupçonnées de sexualité tiennent du mystère des religions, et j’ai soudain la jouissance d’en être le hiérophante, l’initiateur. Ces découvertes les gênent profondément, les renvoyant à la platitude de leurs pratiques. En se moquant des autres, ils compren-


nent à quel point ils aimeraient pouvoir les imiter.

La courroie dans la poulie Déboule un jour un spécimen de pedigree assez gratiné : sans que je le voie venir, une sorte de cabot fantoche monté sur patins à roulettes se propulse à l’intérieur du magasin, survolant les marches d’entrée. L’olibrius est petit et «mincelet», 35 ans environ, juché sur des gambettes de poulet aux hormones, vêtu de jaune et de violacé ; le poil et le cheveu rares et inégaux, agrippés à un cuir épineux, le toupet coiffé comme des algues battues par les courants marins. Mal rasé, la moustache égarée dans les points noirs, le teint olivâtre. Le visage ramassé, les yeux collés à des montures de lunettes de couleur criarde. Le tout vibrionnant et toupinant dans les rayons, patinant à grandes foulées, décrivant des arcs de cercle, se glissant dans les coins jambes écartées. En somme, une assez jolie pièce de collection. Sa requête ne déçoit pas mes espérances : «Je cherche des strings, mais des vrais strings avec juste la ficelle derrière, hein, vous en avez ? J’ai déjà fait plusieurs magasins». Une voix éraillée et stridente, vrillante comme des roulements à billes. Je lui dégotte quelques pauvres modèles de fin de stock, tout ce qu’on a, car, à cause des hémorrhoïdes, les amateurs de fente strangulée ne sont pas légion chez les mâles. Vient alors une longue explication de notre damoiseau, comme quoi «c’est quand même fou on trouve pas de strings ficelle facilement, parce que lui il peut pas envisager même de mettre autre chose, comme ces slibards de grand-père ou ces caleçons dégueulasses que tout le monde a, non lui il faut qu’il soit à l’aise autrement ça va pas, mais le problème c’est que ça s’use vite, surtout avec le sport, ça tire sur la corde et tout et tout». Une belle logorrhée, pendant laquelle je m’efforce de ne pas penser – et j’y pense donc de toutes mes forces - à ses fesses malingres de première communiante saignées chaque jour en leur milieu par un fil sans pitié, tiraillant sans cesse dans un sens ou dans l’autre, déchirant à nouveau une peau mal cicatrisée, humides de transpiration et de désinfectant. Douce France ! voilà tes enfants.

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REALITE L’habitué de la pire espèce Il y a peu de clientèle homosexuelle ; quelques jeunes branchés, à qui l’on n’en remontre pas ; quelques vieux déboussolés, à l’affût d’une rencontre hypothétique dans le magasin; un seul habitué, et naturellement, de la pire espèce. Une sorte de grande homasse à la barbe de femme à barbe, longue et soyeuse, suintante, lustrée, les cheveux déserteurs d’un large front bombé surplombant des yeux toujours humides et obscurs, fuyants, de grosses lunettes lui mangeant les joues, les pommettes rouges, la peau épaisse et grasse, une bouche renfrognée et humectée comme un anus lubrifié, des greffons de membres de singe vissés sur un long tronc mal dessiné, un immuable pantalon de velours côtelé et un trench-coat vert, tout concourait à me rendre cet être insupportable, visqueux, dégoulinant, et dès qu’il franchissait l’entrée de mon échoppe, c’était comme si une grosse limace de mer baveuse venait plonger sa vase dans mon petit bocal. Ce type me soufflait au visage une voix doucereuse à l’excès, mièvre et hypocrite, qui engluait mes oreilles comme un camembert coulant. A chaque visite, le zozo veut à tout prix choisir ses propres films de cabine, et, postillonnant devant les étalages couverts de scènes viriles et poisseuses, il les choisit avec une lente délectation qui me met au supplice. Puis il me présente le résultat de ses recherches et me prie d’aller installer les cassettes dans le local vidéo. Pendant la montée à l’étage, il fait en sorte de monter derrière moi et je sens son regard avide embrocher mon arrière-train dodu. Il prend plaisir aussi à me poser des questions bizarres, décalées ou stupides, semblant pourtant guetter ma réponse comme parole d’oracle : «Vous aimez Dalida ?». Celle que je n’ai pas encore comprise : «A quoi ça sert, les serviettes qu’il y a dans les cabines ?». Impossible de savoir si cet escogriffe se paie ma tronche. Je fais tout pour ne pas entrer en conversation avec lui, pour me montrer distant. Il dit à mon collègue que j’ai l’air stupide.

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De la conclusion à la généralisation Puis-je, du point de vue éthique, considérer avec le respect et la déférence dus au client un monsieur, d’un âge quelconque, qui rapporte une cassette vidéo de location contenant des scènes tournées avec des adolescentes ou des femmes enceintes, ou dont les spécialités sont la punition, le dressage d’esclaves, le foot ou fist-fucking et autres expériences sado-masochistes ? Doit-on admettre de telles inclinations, à partir du moment où elles se rencontrent dans la nature humaine ? La question se pose d’autant plus que nombre d’adeptes de ces pratiques se présentent sous un jour tout à fait aimable et honorable. Plus les personnes semblent riches, bien habillées et cultivées, mieux elles semblent placées dans la société, plus leurs fantasmes sont pervers et vicieux. Franchement, je n’ai jamais vu d’ouvrier désirant être langé et torché par une vieillarde tout en mâchonnant, en guise de tétine, la verge atrophiée d’un transsexuel. A croire que l’opulence, les moyens, sur le plan matériel, engendrent le sentiment de manque inavouable de possession totale de la chair.


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ADRESSES Adidas : www.adidas.com A.F Vandervorst : 01 49 23 79 79 Agent Provocateur : www.agentprovocateur.com Andrès Sarda : 01 49 26 06 05 Axara : 01 42 22 30 01 Barbara Bui : 01 49 23 79 79 Benetton : 01 55 35 97 06 Benoît Missolin : 01 40 26 47 81 Bernhard Willhelm : 01 49 23 79 79 Bruno Pieters : 01 49 23 79 79 Calvin Klein Underwear : 01 53 81 22 00 Cat People : 01 40 13 93 36 Champion : 04 72 15 66 60 Chantal Thomass : 01 41 49 93 17 Converse : 02 99 94 82 94 Cosmic Wonder c/o Onward : 01 55 42 77 55 Custo Barcelona : 04 78 00 40 41 D&G : 01 47 64 60 00 Diesel : 01 40 13 70 55 Dior Homme par Hedi Slimane : 01 40 73 53 01 Dreamline Paradis Flottant www.galerieslafayette.com Earl Jeans c/o Le Bon Marché : 01 44 39 50 77 Citadium : 01 55 31 74 00 Gilles Dufour : 01 42 01 51 00 Guillaume Henry : 01 40 26 47 81 H&M : www.hm.com Isabel Marant : 01 49 23 75 40 Jean-Paul Gaultier : 01 44 68 85 05 Junk : 01 42 60 94 12 Junko Shimada : 01 42 60 94 12 Kana Beach : 02 98 48 92 43 Monoprix : www.monoprix.fr Lacoste : 01 44 82 69 00 Le Clan des Chineurs : 01 47 70 10 23 Lee : 01 40 03 69 20 Levi’s : 01 42 77 19 79 Lyie Van Ricke : 01 42 23 44 14 Marani : 01 42 82 50 00 Martin Margiela : 01 40 15 07 55 Matthew Williamson chez Zenta : 01 56 59 95 21 Miu Miu : 01 53 63 20 30 Nike : www.nike.com Robert Normand : 01 42 76 00 00 Rodolphe Ménudier Paris : 01 42 01 51 00 Rosa Chà : 01 40 20 42 40 Sisley : 01 55 35 97 06 6876 : +44 20 89 68 68 76 Sylvia Rielle : 01 47 70 10 23 Sophia Kokosalaki chez Maria Luisa : 01 47 03 9615 Tom Van Lingen au Labo des Galeries Lafayette : 01 42 82 34 56 Toto solde : 01 46 36 36 09 Tsumori Chisato : 01 42 78 18 88 Veronique Branquinho : 01 44 87 90 90 Vivienne Westwood Man : 01 49 27 00 23 Wendy & Jim : 01 42 36 92 41 Yazbukey : 01 49 23 79 79


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