Standard n°17

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Standard 17 Table des matières —

Matière comestible La vie se passe à table

Breakfast new wave Sam Riley 16 Téléphone tikka M. I. A. 18 Pique-nique au piano Bat For Lashes 20 Apéritif tardif Chloé Delaume 22

matière grise Dossier remue-méninges

OF COURSE PASSION Télévision Frédéric Taddéi 26 Questionnaire de Prost Bruno & Nicolas 31 Politique Schumacher à Matignon 32 Sport Vanina et Jacky Ickx 36 Featuring Lionel Froissart 40 PORTFOLIO Simon de la Porte 42 CULTURE Littérature Simon Liberati 46 Chronique Patrick Williams 49 Hip hop Existereo 50 Thunderdome MEC 52 Pop En Ford Mustang 54 Cinéma Courses-poursuites 56 Cinéma bis Carsploitation 58 Art Terribles engins 60 Art & Mode Radiomobile et Heartschallenger 64 PORTFOLIO Matthew Porter 66

Le passé participe

R E L E C T U R E

Photographies © Corbis.

SOCIÉTÉ Sciences et techniques Amphijeep 70 Sociologie Néo-routiers 72 Ecologie Goudron magique 74 Test Boulevard de la vie 76 Sécurité routière Morts chics au volant 78

M A T I È R E R E C Y C L A B L E Tony Wilson 84 V I E U X

G É N I E

Genesis Breyer P. Orridge 86 R E M I N I S C E N C E

Alan Moore 88

Directrice de la publication Magali Aubert. Standard est édité par Faites le zéro, SARL au capital de 10 000 euros et imprimé par Snel Graphics, Z.I des Hauts-Sarts – Zone 3, Rue Fond des Fourches 21, B-4041 Vottern, Belgique. Trimestriel. CP1107k83033. N°ISSN 16364511. Dépôt légal à parution. Standard magazine décline toute responsabilité quant aux manuscrits et photos qui lui sont envoyés. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction réservés. © 2007 Standard. — 6

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Standard 17 Table des matières (suite) —

M AT I È R E V I VA N T E Partir, dîner, consommer Gastronomie Kool Keith 94 Voyages Fleury-Mérogis 96 Ecologie Biocarburants 98 Sélection De l’ailleurs pour pas cher 100

M AT I ÈRE SYNT HÉT I Q UE « Les modes passent, le style jamais » Coco Chanel

C A H I ER MOD E

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Beauté par Lucille Gauthier 104 Last Day par Armelle Simon 108 Rock This Town par Jaïr Sfez 114 Concascador par Samuel Zlatoff 122 Conducteurs du dimanche ! par Bertrand le Pluard 130 No Cars Go par François Hugon 138 Calandre par Valérie Archeno 146 Spirit Of Ecstasy par Ilanit Illouz 156

MATIÈRE PREMIÈRE Ce qui sort

Photographies © Corbis.

Mode Surface to Air 170 Photo Weegee 172 Médias Tracks 174 Musique Liars, Animal Collective, Dirty Projectors, Lee Hazlewood 176 Littérature Laurent Graff, Alizé Meurisse, Olivier Adam, Mark Z. Danielewski 182 Cinéma Les Rois du Patin, 99 Francs, La Nuit nous appartient, DVDs 188

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Illustrations : Carla Barth — 8

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Photographies © Corbis.

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Standard Magazine Who’s who —

17 rue Godefroy-Cavaignac, F-75011 Paris T + 33 1 43 71 27 63 www.standardmagazine.com rédaction en chef Magali Aubert* & Richard Gaitet* direction artistique David Garchey* coordination mode Marlène Giacomazzo* beauté Lucille Gauthier* musique Guillaume Leroyer* cinéma Alex Masson art Frédéric Maufras* livres Jean Perrier* rédacteurs Antoine Allegre, Timothée Barrière, Estelle Cintas, Jean-Emmanuel Dubois, Stéphane Duchêne, Anne-Catherine Fath, Valentine Faure, Sandra Franrenet, Lionel Froissart, Yann Gallic, Adeline GraisCernea, Alexandre Lazerges, Eric Le Bot, Patricia Maincent, Leonardo Marcos, Romain Miroux, Wilfried Paris, Jean Soibon, Delphine de Vigan, Patrick Williams secrétaire de rédaction Anaïs Chourin stylistes Sandrine Arnone, Vava Dudu, François Hugon, Olivier Mulin, Eve Prangey, Jean-Marc Rabemila, Armelle Simon photographes Valérie Archeno, Velvet d’Amour, Richard Bellia, Axel Dupeux, Hélène Giansily, Caroline de Greef et Ilanit Illouz, François Hugon, Bastien Lattanzio, Félix Ledru, Bertrand Le Pluard, Jaïr Sfez, Samuel Zlatoff illustrateurs Babyscotch, Carla Barth, Sylvain Cabot, Simon de la Porte, Thomas Dircks, Thomas Gosselin, Juliette Maï Poirot, Miam Monster Miam, Matthew Porter, Vanessa Titzé publicité et partenariats David Herman* remerciements Julie Baranger, Julien Battut, Françoise Grandjean, Fany Rognogne (à vie), JB Wizzz, Meg Zlatoff *prénom.nom@standardmagazine.com en couverture Photographie Ilanit Illouz Stylisme Olivier Mulin Robe Lie Sang Bong, Casquette Fatima Lopes, Lunettes Lagerfeld Echarpe Paule Ka, Gants Buscarlet Ce numéro est dédié à la mémoire de Michel Garchey (1938-2007) — 10

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illustration Babyscotch — 11

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Standard 17 Edito —

Photographie Velvet d'Amour, Modèle Anabelle Ursulet chez Agence Plus, Bodypaint Julien Coumes — 12

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Standard célébrant la culture automobile, fallait-il laisser une fille en écrire l’édito ? J’ai d’abord cherché une feinte. J’aurais pu citer des titres de chansons intelligemment sélectionnés : My Mustang Ford (Marc Bolan), Always Crashing In The Same Car (David Bowie), Lost Highway (Hank Williams), Hitch-Hike (The Sonics), Fast Cars (Buzzcocks), Cruising (The Cars), There’s A light That Never Goes Out (The Smiths). J’aurais pu reproduire le style AutoMoto « C’est à deux pas du pavillon Verbeelding que Spyker produit les GT les plus excitantes du moment. » Mais je me suis dit : vite est-ce bien raisonnable ? Ayant beaucoup donné à la cité (pollué, bouchonné, nuit aux oreilles et au nez), la voiture est en train de vivre ses derniers crachotis incommodants. Bien sûr, elle ne sera pas parfaite, celle à venir, mais elle aura sonné le glas de l’ère du tout-automobile. Il est donc temps de se retourner sur les chapeaux de roues vers ce qui faisait vrombir les écolos : moteurs à essence, boîtes de vitesses mécaniques, dumb valve et diesel bi-turbo. Les châssis russes, les transmissions japonaises, les jantes américaines et les accessoires français : quel musée pourrait les contenir tous ? Les modèles disparaissent comme les dauphins blancs. Alors apprécions ces sensations de puissance et de liberté qu’offrent la poussière sur les jantes d’une grosse américaine, l’odeur du cuir de la berline sécurisée, la pétarade du coupé sport. Et puis surtout, retournons-nous sur la citadine, la voiture du peuple, celle dont on n’admire que le rapport qualité-prix, avant qu’elle n’ait quinze ans d’existence ou qu’elle ait quitté les pavillons pour aller se faire repeindre à Guadalajara. Pas plus qu’elle ne sera désormais dissociée de principes appropriés à l’évolution de l’environnement, l’automobile ne sera masculine. Mixité du moteur et de sa clientèle, propre, décomplexée et asexuée, la voiture de demain ne sera plus celle que nous avons connue jusqu’ici. A ceux qui n’en n’ont pas la conscience brassée, qui soutiennent encore que nous touchons là un univers d’hommes, et qui ont cru à la première phrase de cet édito : ah, les tires et vous ! Magali Aubert — 13

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Standard 17 Interviews —

La vie se passe à table

Matière comestible —

Sam Riley

Résurrection tétanisante de Ian Curtis. page 16

M.I.A.

Appel au soulèvement des mères au foyer. page 18

Bat For Lashes

Le chant des chauves-souris. page 20

Chloé Delaume

Le théâtre et son trouble. page 22

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Matière comestible Un acteur-chanteur à ma table —

Sam Riley

Breakfast new wave Mercredi 27 juin 2007 Hôtel Les Pavillons de la Reine, Paris

Tétanisante incarnation du leader épileptique et suicidé de Joy Division, le très britannique Sam Riley, 27 ans, débutant premier rôle à l’écran mais pas dans la chanson, a, en lui, un tigre après le « moteur ! ». Qu’avez-vous pris au petit-déjeuner ? Rien du tout, nada. Plusieurs cafés et des cigarettes alors que j’aurais pu profiter de l’énorme buffet de l’hôtel. Si jamais Jim Jarmusch tourne une suite de Coffee & Cigarettes, je suis prêt.

même : s’ils ne font ne serait-ce qu’une critique, je renonce au rôle. Pourtant, tout s’est bien passé. Quand je suis entré dans la loge, Bernard Sumner m’a examiné en détail et il a fini par me serrer dans ses bras, m’assurant que j’avais réellement quelque chose de Curtis en moi. Cependant, il ne m’a donné aucun conseil, à part « amuse-toi ! ». Je n’étais pas beaucoup plus avancé.

A quoi pense-t-on quand on arrive sur un plateau pour interpréter Ian Curtis, mythe pop et romantique, pendu à 23 ans ? Tout d’abord : ne pas penser au fait que tout le monde m’a posé cette question avant de jouer. Néanmoins, effectivement, c’est très bizarre. Notamment pour les scènes de concert devant près de deux cents fans. D’habitude, on engage des figurants directement sur les lieux de tournage. Là, c’était complètement différent : il y avait tous ces vieux fanas de Joy Division débarqués de toute l’Europe, et même des Etats-Unis, juste pour voir comment j’allais « détruire » leur héros. Dès la première scène, j’ai été complètement parano. J’avais l’impression que tout autour de moi on murmurait, on me jaugeait… A la fin, beaucoup sont venus me voir pour me dire qu’ils avaient vécu un truc carrément surnaturel. Pour eux, j’étais un fantôme.

En tant que chanteur du groupe 10 000 Things, comment avez-vous fait pour reproduire la voix de Ian Curtis ? Je savais que je pouvais chanter dans ce registre, très grave. Il a fallu que je m’entraîne, sans coach, sans chorégraphe. Tous les jours, sous la douche, dans ma voiture, je chantais par-dessus les albums de Joy Division, que j’ai découverts pour l’occasion. Ce type d’exercice me convenait bien : j’ai commencé à chanter très jeune, à 13 ans j’étais sur scène dans une comédie musicale – Le Magicien d’Oz [il se marre]. Je n’ai depuis pas arrêté de m’enregistrer sur cassette, en essayant d’imiter mes idoles. A croire que j’ai le « biopic » dans la peau. Quel genre d’idoles ? Ça dépendait des périodes, mais je suis toujours passé à côté de Joy Division. Vers 8-9 ans, je ne jurais que par les Beatles : Lennon était mon héros indépassable. J’allais même à l’école avec des petites lunettes rondes, sans verres. Les profs trouvaient ça complètement ridicule [il rit à nouveau]. Puis j’ai essayé d’imiter les « vrais » rockers, Bowie, Iggy, Lou Reed, Little Richards. A l’adolescence, j’ai été happé par la brit pop, complètement fasciné par l’arrogance de Liam Gallagher et le charisme de Jarvis Cocker. Un truc générationnel. Aujourd’hui, quand je joue avec 10 000 Things, on me dit parfois que je prends des accents rauques à la Jim Morrison. Faut dire qu’on fait du rock’n’roll pur et dur.

Pour la confiance, ça n’aide pas, ce genre de démarrage. Pas vraiment. Avant et pendant le tournage, je me suis toujours dit que j’étais la seule personne sur terre, aujourd’hui, qui pouvait tenir ce rôle-là. On aurait pu croire à de l’arrogance. Puis, un an s’est écoulé jusqu’à la projection de Control à Cannes, et là, je me repassais les scènes en mémoire et j’étais intégralement terrassé par le doute. Pour vous préparer, vous avez rencontré les survivants de Joy Division, qui composent encore aujourd’hui New Order *. Que vous ont-ils apporté ? J’avais peur qu’ils me prennent de haut. Je me répétais

« Avant d’avoir le rôle, j’en étais réduit à plier des chemises dans un entrepôt. » Sam Riley

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Le film

N’avez-vous pas eu peur que ce rôle écrasant n’handicape votre carrière de musicien ? Pas du tout. Quand j’ai eu le rôle, notre label avait clôt notre contrat, j’en étais réduit à plier des chemises dans un entrepôt de Leeds et à mendier mes fins de mois à mes parents. Jouer Ian Curtis nous a complètement relancés : après le tournage, j’ai écrit vingt chansons en un mois, plus que tout ce que j’avais pu faire en quatre ans. On a retrouvé un label, on vient d’enregistrer un deuxième album et notre Myspace n’a jamais été autant visité. Sans hype, la pop n’existe pas.

Plaisirs connus

On retiendra une gestuelle totalement dégingandée, quand le maigre Ian Curtis/Sam Riley, la chemise enfoncée dans le froc, entonne à nouveau « Love… love will tear us apart ». Un pantin disloqué, maigre et timide. Une image forte au milieu de la froideur mécanique de la cold wave, captée au cœur de la langueur pourrie des banlieues anglaises seventies, retranscrites assez justement par les plans classieux, noirs et blancs, du photographe et novo réalisateur Anton Corbijn. Un regret toutefois : le film n’adopte qu’un seul point de vue, celui de la femme de Curtis, Deborah, dont l’autobiographie servit de base au scénario. Dans son dernier tiers, Control se perd dans un interminable et prévisible mélo amoureux entre le chanteur, sa femme et sa maîtresse entrecoupé des (trop) nombreuses crises d’épilepsie de Curtis. Le mythe, alors épuré, n’en devient que trop étroitement humain.— T. B.

Vous vous êtes également beaucoup documenté sur l’épilepsie. Vous n’en avez pas marre que l’on vous pose tout le temps la question ? [Silence] Si, un peu. J’attends que la BBC m’appelle pour que je témoigne sur un plateau en tant qu’expert [et il éclate de rire].— * Bernard Sumner et Stephen Morris, guitariste et batteur de New Order, ont très officiellement démenti début août la séparation annoncée par le bassiste Peter Hook, a priori exclu de lui-même du légendaire phoenix new wave, né en 1980 des cendres de Joy Division.

Control (Sortie le 26 septembre)

Entretien Timothée Barrière Portrait Ilanit Illouz & Caroline de Greef — 17

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Matière comestible Une chanteuse à ma table —

M.I.A. Téléphone tikka Lundi 7 août 2007 Bureaux de Beggar’s, Londres

Sri-lankaise exilée à London depuis deux décennies, Maya Arulpragasam, alias M. I. A., 31 ans, personnifie la musique idéale de notre époque : effrontée, métissée, politisée, globalisée. Pour Kala, deuxième et dernier disque annoncé, elle est au bout du fil – dix-huit minutes.

Ce second album doit son nom à celui de votre mère, Kala. Parlez-moi d’elle. Je voulais que l’idée de féminité compte un peu plus. Ce n’est pas souvent le cas dans toute la merde booty shaking. La référence au prénom de ma mère m’est venue ensuite. Célibataire, elle a élevé ses trois enfants toute seule. Avant de commencer l’album, je regardais toutes ces dames rentrer chez elles après le travail, vers sept ou huit heures, qui doivent encore trimer à la maison, s’occuper du réveil des mômes le lendemain, sans à leurs côtés d’homme aimant. Horrible. Je voulais évoquer ce que les femmes devraient rechercher, dans le futur.

petite, au Sri Lanka. Tous mes amis refusaient de me laisser partir, je crois que j’en avais besoin, à ce moment-là. Sur Paper Planes, vous parlez d’une « démocratie du tiersmonde ». Quelle est l’idée ? Hum, bon, si je me perds dans la musique, je ne veux pas perdre l’endroit d’où je viens. L’union du Tiers-monde existe déjà, mais sa seule connexion musicale avec l’Ouest provient d’organisations bien établies. Quand Björk enregistre en Afrique, ou Damon Albarn au Mali, ils font comme Bob Marley et ne jouent qu’avec de gros orchestres tout à fait reconnus de la classe moyenne locale, dans des festivals similaires. Il s’agit d’ouvrir les ponts, de se connecter à la musique des rues, vous voyez ? Penser de manière mondiale en connectant les jeunes avec les jeunes.

Quels sont les meilleurs souvenirs que vous gardez de votre récent retour en Inde ? Les gamins qui dansent dans la vidéo de Bird Flu. C’est une chanson pour les garçons, très cool, très innocente. J’ai multiplié les allers-retours pendant trois mois. Le premier jour, nous arrivions du Japon et la police est venue armée frapper à notre porte pour nous demander du fric. Dans notre propre hôtel. Pour eux, c’est normal la corruption. La dernière fois, je suis restée trois semaines à la recherche de musiciens et du Timbaland de Bollywood, que j’ai trouvé et qui m’a fait rencontrer des batteurs mondialement connus – du moins, les batteurs les plus célèbres du pays. Ça m’a définitivement reconnectée aux sensations que j’avais,

Et la présence d’un « MC silencieux », je n’ai pas saisi le concept. Pas silencieux : muet. Si vous ne pouvez pas parler, vous exprimez néanmoins des sons, des vibrations. Cet Angolais pouvait ressentir le rythme et improviser. Ce que je voulais. Est-ce réellement votre dernier album ? Nous ne parlons pas d’un troisième disque, en tout cas. Je ne vois aucun avantage à devenir une popstar. Pour la suite, cinéma, mode ou autre chose, il faut que je me décide.—

« Je ne vois aucun avantage à devenir une popstar. » M.I.A.

Entretien Richard Gaitet — 18

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Le disque

Ainsi te revoilà, prêtresse minuscule et pourtant colossale de l’Internationale du groove. Deux ans après l’hommage à un père révolutionnaire absent (le très remarqué Arular), ce second effort. Vraisemblablement le dernier, à moins qu’il ne s’agisse d’un attrape-nigaud. Sur le Net, un clip tribal et coloré sur la grippe aviaire. Sur disque, douze titres, douze cartouches comme ce que l’on aimait des Neptunes – production massive, unanimement dansante, science du minimalisme et couches superposées, basses bastonnées, désinvolture et arrogance, collaborateurs triés sur le volet – néanmoins nourris de voyages, de l’odeur du monde. Pour Kala, plusieurs étapes. Inde, Libéria, Beverly Hills. Pour de l’électro vaudou sur un sample de Jonathan Richman. Du disco à cordes et Boney M à Bollywood. Une reprise droguée du Where is My Mind des Pixies. Un duo tuant avec le Dizzee Rascal africain. Un hit entendu avec Mr. Timbaland. Enfin : Paper Planes, appel anarchiste au soulèvement des mères au foyer et à la constitution d’une démocratie tiers-mondiste, appuyé par le Straight To Hell du Clash. M. I. A. tu peux tout prendre, tout est à toi. R. G.

Reine de Saba

Kala (Beggars) Live! Le Sri Lanka secoue ses hanches le 10 novembre à Paris lors du festival des Inrockuptibles (sous réserve). — 19

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Matière comestible Une chanteuse à ma table —

Bat For Lashes Pique-nique au piano Jeudi 5 juillet 2007 Salle de concert privée, EMI, Paris

Anglo-pakistanaise de Brighton, Natasha Khan, 28 ans, alias Bat For Lashes (« Battre des cils »), brode ses références mystiques à la harpe sur Fur & Gold, premier disque et conte de Grimm plébiscité par Björk et Thom Yorke. Une araignée au plafond ? Traquons la bestiole. A notre arrivée, Natasha est au piano et ne nous remarque pas.

ses mystères. Je continue à me déguiser sur scène. Je crois que certains habits ont le pouvoir de canaliser les énergies cosmiques. Je tiens peut-être de mon père cette faculté d'imaginer des histoires.

Natasha, bonjour. D’où venez-vous, précisément ? J’ai grandi entre deux cultures : mon père est pakistanais et ma mère anglaise. C’est comme un conflit entre deux philosophies de vie, avec la force d’une ouverture d’esprit à large focale. Mon père était très religieux, passionné. J’ai vécu quelques années au Pakistan, puis également à San Francisco, car j’étais amoureuse de Jack Kerouac – j’avais lu Subterranean Kerouac [biographie de l’auteur de Sur la route parue en 1998] et je voulais devenir l’un de ses personnages, explorer la spontanéité, le whisky, le jazz. J’ai exploré tout ça, mais j’ai trouvé mieux avec mes amis. J’ai ensuite étudié dans une école d’art le dessin, la musique, le cinéma, que j’ai mélangés pour comprendre ce que j’avais vraiment envie de faire.

Pourriez-vous nous en raconter une ? Celle qui dit pourquoi les hommes ont le droit de pleurer. Une sirène est amoureuse d’un pirate : idéale idylle mais amour impossible. Elle ne sait comment le retenir, car lui n’aime rien d’autre qu’écumer les océans. Ne supportant plus cette situation, ayant perdu le sens de sa vie, la sirène demande à son père, Seigneur de la mer, de mettre fin à ses jours. Comprenant la douleur de sa fille, il s’exécute à contrecœur, désintégrant son corps aussitôt transformé en eau qui, en un courant vif, pénètre violemment le corps du pirate pour ne devenir qu’un intarissable torrent de larmes. Je l’avais écrite pour mon copain qui habitait New York.

Dans le clip très étonnant de What’s a Girl to do, vous roulez à vélo de nuit dans une ambiance très proche du film Donnie Darko [Richard Kelly, 2001]. C’est votre idée ? Oui, ça faisait partie du briefing que j’ai écrit pour le clip. Je voulais mettre l’accent sur cet univers cinématographique que j’adore, Donnie Darko, The Goonies, E.T. Des voyages initiatiques où les personnages passent de l’enfance à l’âge adulte, prenant leur vie en main en enfourchant leurs BMX.

C’est très beau. Vous écrivez beaucoup de chansons ? J’ai terminé Fur & Gold il y a longtemps et je n’ai pas beaucoup composer depuis. A vrai dire, je n’ai écrit qu’un seul morceau. Aujourd’hui, j’aimerais travailler avec des artistes plus visuels, vidéastes, cinéastes (disons Vincent Gallo, Scott Walker, Devendra Banhart), et réfléchir à un univers plus ambitieux, notamment pour la scène.

Vous êtes un oiseau de nuit, non ? La nuit est un moment particulier pour moi, je m’y sens bien. C’est un temps de sensations et de travail intenses, plus particulièrement l’instant où l’on bascule dans le sommeil, avec l’impression de passer du singulier à l’universel. On peut capter l’invisible. Au petit matin, je suis très productive, comme rechargée de cette expérience.

Nous étions censés dîner ensemble. Quel est votre plus fort souvenir culinaire ? Lorsque je vivais au Pakistan, ma famille m’a offert une chèvre. Je devais m’en occuper et la nourrir chaque jour. Elle était adorable et je jouais avec elle tout le temps. Un jour, lors d’une fête religieuse, ma chèvre a été suspendue par une corde et éviscérée. J’ai trouvé ce spectacle particulièrement intéressant, mais je n’ai pas tellement aimé le goût plutôt fort de sa viande en curry.

Et de vos rêves provient votre univers visuel ? Je suis née aux environs d’Halloween. Nous faisions toujours de grandes fêtes costumées lorsque j’étais enfant et j’aimais beaucoup ce monde de la nuit, sous la lune et

Entretien Jean Soibon

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Le disque

Des chauve-souris

C’est en rêve qu’un cheval est apparu à Natasha Khan, à la fenêtre de sa chambre, lui annonçant son destin musical. Prémonition de la croisade d’une Jeanne d’Arc à la pop hantée, dont la première étape, Fur & Gold, disque minéral et généreux, dévoile un recueil de chansons évidentes, belles et patinées. Tantôt piano/voix lacrymal, tantôt ballade pour gynécée, souvent sombre et parfois martial, l’album est produit par David Faultline Kosten (du

pour cils

très beau label Leaf) et invite Josh T. Pearson (ex-Lift To Experience). L’apparence appliquée des concerts et des vidéos teens-mystiques de Bat For Lashes vibre d’une honnêteté touchante ; soutenus par un décorum sur mesure (plumes de paon, bijoux métalliques, dessins, collages, tatouages de chauves-souris, colliers shamaniques), ils offrent l’épaisseur nécessaire à un projet sonnant juste. J. S.

Fur & Gold (Parlophone/EMI)

« Il y a cette histoire de sirène qui raconte pourquoi les hommes ont le droit de pleurer. » Natasha Khan 21 — 21

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Matière comestible Un auteur à ma table —

Chloé Delaume Apéritif tardif Mardi 10 juillet 2007 Son appartement, Paris XIXe

Stakhanoviste du clavier, Chloé Delaume, 34 ans, un blog prolifique et 13 ouvrages au compteur, publie un nouveau livre-jeux et une première pièce de théâtre. Verre de Coca-Light sur la table, son chat Temesta sur nos genoux, on enclenche play pour faire le point sur sa carrière et ses nouvelles ambitions. Après une dizaine de romans et d’œuvres poétiques, tu publies pour la première fois une pièce de théâtre, Transhumances. Qu’est-ce que cela représente pour toi ? Le théâtre est plus important que ce que je croyais. C’est un autre espace de fiction possible. Trouver la voix des personnages, n’écrire que des dialogues, ça demande une visualisation sonore, une forme d’imagination dont je n’ai pas l’habitude. Et puis, il doit y avoir un twist [retournement final] ce qui suppose une vraie évolution narrative. Moi, je rate les fins. Mes troisièmes parties d’explication de texte étaient toujours ratées.

affreusement besoin de m’occuper. C’est aussi bête que ça. Avant, la chose que je préférais faire au monde c’était fumer des pétards devant la Playstation. Aujourd’hui, c’est écrire. L’inspiration ne vient jamais à manquer ? Non. J’essaie de faire de l’autofiction collective. Je préfère avoir toujours quelque chose à écrire sur n’importe quoi : la télévision, les Sims, les enfants battus ou la prostitution, plutôt que de m’étaler dans les médias. Et je m’arrange toujours pour qu’il m’arrive des aventures ahurissantes ! Je suis super chiante, mon mari me le dit, j’ai toujours un truc à dire sur tout. Et comme tout est matière à fiction...

C’était au départ une commande pour France Culture, penses-tu écrire d’autres pièces ? Oui. J’ai un vieux fantasme : réaliser quelque chose qui se situe entre la pièce et l’opéra expérimental avec Armande Altaï [rire]. Pour ça c’est cool le théâtre, ça permet de ne pas travailler toute seule devant ton ordi. Et puis tu penses surtout à l’auditeur, alors qu’un roman tu le fais avant tout pour toi. Il y a aussi la contrainte de l’oralité. Je ne pouvais pas être trop lyrique ou métaphorique. La langue ne peut pas se cacher et c’était un peu dangereux pour moi. J’aime travailler d’autres techniques, quitte à ce que le livre soit raté. C’est avant tout le geste qui compte.

Tu dis que tu pensais arrêter le forum d’Arrêt sur images avant la suppression de l’émission, pour te consacrer à l’écriture d’un « grand roman ». C’est vrai ? C’est toujours casse-gueule d’afficher ses ambitions, ça permet aux gens de t’attendre au tournant et tu peux te faire massacrer la gueule [rire]. Mais oui, j’aimerais revenir à quelque chose de plus littéraire que les livres-jeux, un truc qui tourne autour des morts et des cimetières. Je voudrais aller dans une morgue, faire une investigation à la Zola, sur le terrain... Ecrire un roman qui ne repose pas sur des psychoses personnelles. J’aimerais faire parler les morts et m’occuper des vieux. Je veux m’intéresser à l’orgasme des vieux [rire]. Bref, mettre un peu entre parenthèse le côté labo littéraire et travailler plus à l’ancienne.

Trois livres cette année, plus les chantiers qu’on peut suivre sur ton blog, tu n’arrêtes jamais ? Je suis workaholic, c’est clair. Ça fait trois semaines que je suis en vacances et je commence déjà à reprendre des notes… Bon, c’est certain que cette année je ne pensais pas faire autant de livres. Mais je dois faire gaffe à ce que je raconte sur mon blog, ça fait un peu dévidoir à plaintes. C’est mon côté concierge, parler de ce qui m’énerve.

Comme Beigbeder qui veut enfin devenir romancier. Oui, mais lui se dispersait dans des choses plus spectaculaires. Pourtant, il n’a pas besoin de faire le con pour manger, il vend assez de livres. J’ai toujours affiché mes partis pris sur le roman, avec mes livres-jeux comme réponse à la question du divertissement. Maintenant, je veux revenir à la notion de personnages, bosser leur psychologie, le choix des temps. Et travailler deux ou trois trucs de grammaire un peu ardus.

Tu as besoin d’urgence pour écrire ? Oui, sinon ça ne marche pas. Dans mes premiers textes, l’urgence venait de ma colère, je devais expulser ma rage. Aujourd’hui, ma vie est plutôt chouette, mais je ne peux pas faire autre chose. Et on me propose toujours des espaces. Ça fait un peu pétasse de dire ça, surtout que des auteurs confirmés ont du mal à publier, mais c’est vrai que j’ai la chance qu’on m’offre des opportunités de créer. Et puis j’ai

Définis-tu ton travail comme expérimental ? Je voudrais qu’on puisse passer au support numérique avec des liens hypertexte comme j’ai tenté de le faire avec le Buffy. Je veux faire avancer le roman. Les romans de gare d’il — 22

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Les Mouflettes d’Atropos, Sept ans 2000 Farrago.

2004 Certainement pas, Verticales. Elle reprend le principe du Cluedo pour dézinguer les compromissions en tout genre qu’elle observe chez les jeunes gens de son âge. L’ironie devient mortelle, personne n’en sort indemne.

d’auto-réflexion

Premier roman publié à 27 ans sous l’égide de Michel Surya et Jean-Paul Curnier. Autofiction à la langue fragmentée et poétique, Chloé Delaume y narre des relations tumultueuses avec les hommes et l’expérience de fille de joie.

2005 Les Juins ont tous la même peau, La Chasse au Snark. Hommage à Boris Vian qui aura aidé sans le savoir une adolescente à se débarrasser d’un nénuphar tenace qui envahit son corps au mois de juin.

2001 Le Cri du sablier, Farrago/Léo Scheer. Récit autobiographique d’une enfance placée sous le signe du tragique : elle a 8 ans quand son père assassine sa mère devant ses yeux. Roman sous forme de déflagration stylistique dans lequel elle poursuit sa quête de réappropriation de soi par le langage. Prix Décembre.

2006 J’habite dans la télévision, Verticales. Ou la réponse d’un cerveau humain qui met son temps disponible à la merci de la boîte à images. Patrick Le Lay aurait exigé une mise en demeure pour non-paiement du loyer.

2003 La Vanité des somnanbules, Farrago/Léo Scheer. Ce roman constitue le troisième volet d’une sorte de tryptique autofictionnel entamé avec Les Mouflettes. « Chloé Delaume n’est pas un personnage de fiction ordinaire. Elle est pire. » écrit-elle d'elle-même. Chloé Delaume ne fait pas de la fiction ordinaire, mais bien mieux.

2007 La Nuit je suis Buffy Summers et Transhumances, è®e Un livre-jeu dont vous êtes le héros, sur le monde onirique de Chloé et la schizophrénie ; une pièce de théâtre décrivant le parcours caillouteux d’un groupe de jeunes perdus en forêt.

« Avant, la chose que je préférais faire au monde c’était fumer des pétards devant la playstation » Chloé Delaume y a cent ans étaient de bien meilleure facture que les romans d’aujourd’hui. Et on me fera pas croire que c’est mon côté vieille mamie ronchonne du Muppet Show ! J’aspire plus à devenir une bonne bricoleuse qu’une « vraie écrivain ». Que penses-tu du roman engagé qu’appelle de ses vœux François Bégaudeau ? Mon Dieu... Je sais pas répondre à ça... Pour moi, ça veut rien dire, le roman est forcément un geste politique. Pas seulement dans la thématique. Le danger se situe plus dans la perte de la langue que dans un appauvrissement des problématiques de l’air du temps... Mon obsession, c’est plus le bio-pouvoir, les médias. Je me sens plus utile en animant des ateliers qu’en revendiquant des choses déjà dites mille fois. Se poser la question du politique en littérature, ça veut dire qu’à la base, on a un problème avec le geste littéraire. La littérature n’a pas pour but de « communiquer », ce mot horrible. Nous sommes déjà dans une époque si peu métaphorique...

Pour toi, la métaphore peut encore réenchanter le monde ? Bon, je suis un peu tarée là-dessus, c’est vrai. Mais je persiste à croire qu’en tant qu’écrivain, on se doit de passer un pacte avec le Petit Robert ! On ne peut pas se contenter de subir la langue assénée par le monde et les médias. Surtout pour quelqu’un comme moi qui parle comme une fille du Loft !—

La Nuit je suis Buffy Summers et Transhumances (è®e)

Entretien Jean Perrier Photographie Hélène Giansilly — 23

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Standard 17 Dossier remue-méninges • Edito —

Matière Grise

Puisque l’automobile est un équivalent assez exact des cathédrales gothiques Standard la revue culture & mode mythifiée par Roland Barthes appuie sur le starter. Frédéric Taddéi L’homme à la Volvo révise le questionnaire de Pro(u)st. Nicolas & Bruno lui collent au pare-chocs. François Fillon Le concessionnaire de la « F1

France » court-il à l’accident ?

Jacky Ickx Michel Vaillant en père et en os.

Nouvelle inédite du journaliste F1 de Libération. Simon Liberati Second roman, morale au tournant ? Existereo Dans la Buick Buick Buick du Californien tatoué. Sous le dôme du tonnère des Motards En Colère. Ford Mustang Steve McQueen et Chuck Berry sont d’accord avec nous. Rapport de police sur les meilleures courses-poursuites du cinéma. Les artistes Kristina Solomouka, Tom Sachs et Davide Bertocchi sont des semi-remorques. Radiomobile et Heartschallenger, deux projets modernes à base de benzène. Straights Routiers Trois jours en cabine avec les nouveaux rois de l’autoroute. Amphijeep Au Sud de l’Angleterre on barbote on the water. Vite une auto, je perds les eaux. Le goudron magique de Harry Parterre. Mourir au volant Crash toujours très chics.

— Citroën SM Version Américaine, 1971

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Of course Médias —

Parfaitement substitué à la Volvo P1800 la plus connue de la capitale, Frédéric Taddéi, 46 ans, fut pendant huit ans calfeutré derrière la caméra noctambule de Paris Dernière. Aux commandes d’une seconde virée de Ce Soir (ou jamais), limousine exigeante des débats cathodiques, il révise en déjeunant le questionnaire de Pro(u)st. La qualité que je désire dans une émission culturelle ? Frédéric Taddéi : Celle des invités. L’actualité culturelle est faite à 90% de choses que l’Histoire ne retiendra pas. Je m’intéresse donc plutôt à l’actualité du monde vue par des artistes et des intellectuels. S’il y a suffisamment de grands intellectuels – assez peu nombreux – on arrive à une certaine qualité. Les spectateurs ont l’idée que les émissions culturelles sont chiantes ; ils n’ont pas tort. Quand on me propose une quotidienne, je me demande comment ne pas m’ennuyer. Avec D’art d’art, je parle de peinture devant six millions de gens le dimanche à 20 h 40, mais cela dure une minute et demie. Il faut changer les règles. Ce Soir (ou jamais) peut marcher encore mieux en soulevant des questions plus originales, plus anglées. Nous avions retourné le débat « Faut-il avoir peur de l’Iran ? » en « L’Iran a-t-il des raisons d’avoir peur de nous ? ». Tout à coup, les téléspectateurs exultent, on entend l’Iran assiégé, etc. Il faut le faire davantage. Et aussi moins réinviter les gens, qui finissent par devenir des chroniqueurs. A la fin, Frédéric Mitterrand et Jean-Jacques Beinex se mettant sur la gueule, c’était de ma faute. La qualité que je désire dans une voiture ? La beauté. Pendant longtemps, ça n’a été que ça. C’est pourquoi je n’ai eu que des vieilles voitures de collection, dont une Triumph Herald et ma Volvo P1800 de 1964, que j’ai depuis 1992. Il n’y a pas plus viril que ce modèle, grand capot, et quel fuselage ! Je déteste les voitures dessinées par le même ordinateur où seul change la calandre. Maintenant, je commence à avoir envie de voitures puissantes et robustes. Confortables. Je me vengeais généralement sur les voitures de ma femme, assez sportives. Puis, il n’y a pas longtemps, je sortais d’un examen médical, je croyais que j’allais mourir – comme souvent chez les gens qui ne sont jamais malades – et en fait, je n’avais rien du tout. Je suis

allé acheter une Mercedes chez le concessionnaire d’en face, pour ma femme, qui m’a dit que c’était une voiture bien trop bourgeoise, qu’il fallait que je la revende.

Le principal trait de ma conduite à l’écran ? Ne jamais perdre le lien avec les téléspectateurs [en moyenne 620 000 par émission]. J’ai envie de faire du haut niveau, toujours intelligible et jamais élitiste. Les études le confirment : les gens n’ont pas l’impression d’être exclus de la conversation. J’espère que ça fera école. Le principal trait de ma conduite ? Décontracté, nonchalant. Comme à la télé, j’espère.

Mon principal défaut aux commandes de l’émission ? J’en vois beaucoup [long blanc]. Il m’arrive de laisser mes invités se débrouiller tout seuls : je compte sur eux pour qu’ils soient brillants, sans leur tendre la perche comme dans Paris Dernière. Je suis encore trop noninterventionniste. Il faut que je revienne pour dire : « Et vous ? » J’ai tendance à attendre qu’ils manifestent euxmêmes leurs différences, s’ils en ont envie, pour éviter de faire comme ces animateurs vulgaires, horribles, qui veulent de l’empoigne, qui dressent systématiquement, par exemple, les Juifs contre les Arabes. Quand vous avez un véritable anarchiste – Siné, Arrabal, ou le plus grands d’entre eux : Romain Bouteille – bataillant face à un homme de gauche et une femme de droite, qui n’y comprennent rien (car rien n’est plus troublant) et qui essayent de le faire passer pour un provocateur, c’est à moi de dire qu’il incarne la subversion de manière parfaitement cohérente et qu’il faut l’écouter. Face aux psychanalystes qui disaient qu’Artaud, Rimbaud, Baudelaire étaient fous, répondons qu’ils étaient

— Porsche 928s, 1979

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L’animateur que j’aimerais être ? J’aurais aimé être un showman, un homme capable de se lever et d’être aussi gracieux quand il bouge qu’avec sa pensée. Je suis plutôt un présentateur assis. L’émission idéale reste Paris Dernière, vous voyez, que j’espère bien un jour refaire. On ne me voit pas, on m’entend, c’est moi qui filme et qui monte, et je suis dans la vraie vie. J’étais parti pour une année supplémentaire et on m’a proposé Ce soir (ou jamais), que je ne pouvais pas refuser. Je rêve de retrouver une émission qui m’exalte autant. Je ne regarde pas la version actuelle, c’est trop intime, j’ai l’impression que quelqu’un se roule dans mon lit avec ses bottes. Je crois que Xavier de Moulins a mal pris cette formule. Ça n’a rien d’insultant, je l’aurais dit même s’il était génial. Quand vous quittez votre femme, vous ne tenez pas à savoir qui vous a remplacé.

des génies et que leur cohérence échappe à l’homme du commun. Je dois remettre les gens dans leur radicalité. Van Gogh s’est arraché l’oreille parce qu’elle lui faisait mal, tout simplement. Mon principal défaut au volant ? Je fume. J’ai toujours pensé que je mourrai en voiture à cause d’une cigarette.

Mon occupation favorite dans chaque émission ? La terminer. Mon occupation favorite au volant ? Changer les vitesses. Mais j’ai aussi envie d’une boîte automatique : c’est là que je m’embourgeoise. Regarder le paysage. On voyage bien en voiture. En avion, on ne fait que se déplacer.

La voiture que j’aimerais être ? Celle de ma femme, quelle qu’elle soit. Ça ne dure généralement pas longtemps, car ma femme finit une voiture en trois ans. Mais la voiture, elle jouit.

Mon émission de rêve ? Aucune autre, sinon celles qui mûrissent dans ma tête. Ma voiture de rêve ? En ce moment, mon cœur balance entre une sportive et une bourgeoise, entre une Aston Martin récente et une Jaguar. Ma Volvo, c’est un peu l’Aston Martin BB5 du pauvre.

Le pays où je désirerais travailler ? Nulle par ailleurs. Mon outil, c’est la parole et je ne manie aucune langue aussi bien que le français. Dans Paris Dernière, j’ai fait très souvent des interviews en anglais, ma grammaire n’est pas mauvaise, mais j’ai peu de vocabulaire, et quand vous n’avez pas les mots, vous ne pouvez pas être

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Mes animateurs préférés dans la fiction ? A la limite, je les connais mieux. J’ai beaucoup aimé Faye Dunaway dans Network [Sidney Lumet, 1977]. Les couloirs des chaînes sont bourrés de cette race très particulière de femmes autoritaires, hystériques, séductrices – et sans scrupule. Avec ce physique d’héroïne intéressante : on avait envie de la punir au lit, et finalement c’était elle qui punissait William Holden. Il n’y a pas beaucoup de bons films sur la télévision, qui est un peu aujourd’hui comme le rock’n’roll dans les années 60 : on y projette beaucoup de fantasmes. Ça commence à devenir un sujet chez les jeunes écrivains. J’apparais dans deux ou trois romans, du temps de Paris Dernière, Ariel Wizman et Ardisson aussi, vus comme des espèces de rock stars. Dans l’un, une fille se fait violer par moi, avec plaisir. Sexe et cocaïne, quoi. C’est pas faux, d’ailleurs, mais c’est pas aussi tord-boyaux. C’est vrai qu’il y a une grosse concentration de jolies filles, beaucoup d’argent, de concurrence, et donc de haine et de compétition. Une matière littéraire. Le problème, c’est que c’est souvent raconté par ceux qui la regardent et pas par ceux qui la font. Comme si tout ce que vous saviez du sexe vous avait été transmis par des voyeurs. Mais ce serait moins fascinant, l’homme de télé en demeure le premier démystificateur. Il y a aussi celui de Good Night, And Good Luck [George Clooney, 2006]. Et comment j’ai envie d’être lui ! Je suis assez lui [il sourit].

subtil. Ça ne m’a pas empêché de faire des émissions à Beyrouth, Shanghai, Sofia, New York. Le pays où je désirerais conduire ? L’Allemagne, bien sûr, un vrai régal. Le développement économique est exécrable sur deux plans : on vous interdit de fumer partout et on impose des limites invraisemblables à la conduite automobile. Ce que je peux comprendre, car je n’ai pas envie que mon fils [7 ans] se fasse renverser par un chauffard. Mais si on parle de plaisir de conduire, il faut aller dans les pays en voie de développement. Le pire, c’est l’Amérique. D’abord les voitures sont à chier, ce sont des veaux. D’ailleurs, aucun Américain ne tire son épingle du jeu en F1. Aux Etats-Unis, vous êtes dans les plus merveilleux paysages qui soient pour conduire et vous êtes limités à 50 miles à l’heure. J’adore aussi conduire dans le désert en 4x4. Je recommande Dubaï, avec ses dunes hautes et rondes, très difficiles. J’ai conduit en Afrique, la proximité des animaux est assez agréable, en particulier celle des buffles. Le buffle est le seul animal dont vous ne pouvez savoir s’il va charger. Il ne donne aucun signe. L’éléphant prévient, le buffle, non. Ça ne m’est jamais arrivé, mais j’aime y penser. L’Australie, ce sont des décors à l’américaine et pas de flics, et les plus gros camions de la planète, les camions trains – moins beaux toutefois que les poids-lourds indiens –, avec des paysages de commencement de monde où personne ne vous emmerde. L’un de mes plus beaux souvenirs, c’est la Côte d’Azur à 6 heures du matin, j’avais 18 ans, entre le Gros d’Agde et Aes village. Il n’y avait personne. Que des routes en lacet au bord de la Méditerranée. Magnifique.

Mes pilotes préférés dans la fiction ? Le héros de Point Limite Zéro de Richard Sarafian. Un de mes amis participe d’ailleurs au « cannonball », relier une ville à une autre sans limitation de vitesse, un truc de super riche. Je n’aime pas voyager à ses côtés dans Paris.

Mes animateurs préférés dans la réalité ? Ils appartiennent à une époque révolue puisque j’ai arrêté de regarder la télévision dans les années 90. Les deux meilleures émissions culturelles de tous les temps à la télévision française ont été Le Grand Echiquier, de Jacques Chancel, et Samedi soir animé par Philippe Bouvard. Apostrophes donnait autant de temps à de très mauvais écrivains qu’au fameux entretien avec Soljenitsyne. Je regardais ça de façon innocente, sans songer à en faire. Après, il y a les rencontres. La première : Jérôme Bonaldi, qui m’a laissé faire ce que je voulais sur Canal +. Ensuite, je me suis trouvé énormément d’affinités avec Alain de Greef et Thierry Ardisson.

Ce que je déteste par-dessus tout à la télévision ? La célébrité. Avec les rapports délirants qu’elle engendre. Demander un autographe, c’est humiliant pour les deux personnes. Sauf pour Ava Gardner ou Proust. J’ai adoré faire de la télévision sans qu’on me voit. Ce que je déteste par-dessus tout en voiture ? Les mecs qui conduisent bourrés.

Les erreurs de direct qui m’inspirent le plus d’indulgence ? Toutes. Je veux être dans la position la plus déstabilisante : le plus proche de mes invités, sans fiche. J’ai une oreillette mais seulement pour savoir combien de temps il me reste. Je bredouille souvent, savonne pas mal. C’est le prix à payer pour une réalité indispensable à l’ère de la post-télé réalité. Le public sait comment parlent les gens normaux à l’écran. Problème : le mètre étalon, ce sont des débiles moyens… qui s’expriment néanmoins normalement. Alors il faut

Mes pilotes préférés dans la réalité ? Ma femme. Je ne pars pas non plus en voyage très régulièrement avec Fernando Alonso. J’ai voyagé avec des pilotes automobiles et c’est assez désagréable. Ils se sentent toujours obligés de vous épater.

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Les journalistes que je méprise le plus ? Je ne vous le dirais jamais [il rit]. Je n’ai pas de mépris, c’est vulgaire. De l’indifférence, oui, parfois de l’hostilité. Je méprise beaucoup d’émissions mais pas les animateurs. Ce serait mépriser le public ; et pourquoi pas, d’ailleurs. Je reviens du Festival d’Avignon. J’y ai vu des gens très élitistes se distraire devant des spectacles tout aussi méprisables. Il y a des films, des livres et des pièces faits pour tout type de gogos, parfois même récompensés par de nombreux prix. Pourquoi jeter la pierre à la télévision ? Parce qu’elle concerne des millions de gens ? Alors oui.

parler normalement, et tant pis si je bredouille. Pour moi, c’est vrai et c’est mon plaisir. Les infractions au code de la route qui m’inspirent le plus d’indulgence ? Presque aucune. Je n’aime pas les gens qui se garent n’importe où, je suis assez pour détruire les voitures sur place. Je déteste ceux qui grillent les feux et les limitations de vitesse en ville. Une voiture devient vite une arme et les gens très facilement cons au volant. J’essaye de ne pas l’être.

Mon accidenté de la route préféré ? Les filles de Crash de J. G. Ballard.

Le fait télévisuel que j’admire le plus dans l’Histoire ? Evidemment l’homme qui a marché sur la Lune. J’avais 8 ans, j’étais à Dax dans le moulin d’un grand rugbyman devenu commentateur sur Europe 1, un ami de mon père. Ce qui me fascinait, c’était que je ne savais pas comment arrivaient ces images en direct. Il me manquait le fil. Je me souviens aussi de l’attaque de Bagdad lors de la première guerre du Golfe. Le direct à ce point-là me fascine.

L’état présent de mon contrat ? Il n’est pas signé, c’est comme ça que je le préfère. Pour Paris Dernière, pendant huit ans, j'ai signé mon contrat en juin, pour l’année écoulée. Je pouvais me barrer quand je voulais et donc je les tenais [riant à nouveau]. J’ai eu ce problème avec Thierry [Ardisson] lors de la deuxième saison. Il trouvait que c’était pas bon, moi je trouvais qu’il était de mauvaise foi. Je lui ai dit : « La prochaine émission, soit tu l’aimes, soit j’arrête. » On était à égalité. Il a aimé. A France Télévisions, ça n’a pas marché. J’ai dû signer pour l’année ; imaginez que ça n’ait pas marché : ils m’auraient

Le fait automobile que j’admire le plus dans l’Histoire ? Paris-Moscou-Pékin. Je voulais être pilote quand j’étais petit. Je rêvais aussi du Londres-Sydney. Puis j’ai compris que ce que je voulais, c’était voyager.

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mis des chroniqueurs donnant leur avis sur l’actualité, j’aurais eu envie de me pendre.

acheter. Mais je me suis trouvé beaucoup trop petit sur le périphérique. Puis mon père m’a acheté une R5. C’est la seule fois que j’ai eu une voiture très classique, après je n’ai eu que des décapotables, des voitures de sport, de célibataire, ce que les autres considèrent comme des aspirateurs à nanas. C’était souvent le cas, mais c’était plus des aspirateurs à fantasmes [apparition d’Alain Mabanckou, auteur de Mémoires d’un porc-épic, prix Renaudot 2006, qui présente Frédéric à sa fiancée américaine comme very famous in France. Frédéric, se trompant sur son prénom, propose à l’écrivain de participer à son émission de radio en septembre].

L’état présent de mon permis à points ? Je crois qu’on m’en a encore retiré deux cet été, pour non respect des limitations de vitesse. Comment j’aimerais mourir en direct ? Sans souffrir. Les gens adorent, je trouve ça indigne. Je me demande souvent pourquoi ça n’arrive pas plus souvent, le type qui vous tire dessus en direct. Non seulement c’est un acte surréaliste au sens où Breton l’entendait, mais quel coup d’éclat, quoi. Les émissions télé sont très mal protégées, on y entre comme dans un moulin et je suis étonné, moi, qu’il ne me soit rien arrivé.

Pire moment de Ce soir (ou jamais) ? Les sept premières minutes de la première émission. Au-delà de la limitation de vitesse : j’allais beaucoup trop vite et je déteste ça, la vitesse à la télévision. J’ai annoncé le journal avec trois minutes d’avance et Marie Drucker était paniquée. J’étais comme un lapin dans les phares d’une voiture.

Comment j’aimerais mourir au volant ? Sans souffrir.

Ma devise en plateau ? Etre digne.

Pire accident ? J’avais emprunté la CX de mon père pendant qu’il était en voyage avec ma mère en Asie. Je voulais aller retrouver ma petite amie, et ma R5, achetée exprès pour éviter que je lui pique sa CX, ne démarre pas. Je pars à 3 heures du matin… J’ai dû passer à l’orange, et j’ai littéralement détruit une autre R5 qui, elle, avait largement anticipé le feu vert. Je n’avais rien du tout mais la R5 a explosé. Il n’y avait plus rien. J’ai vraiment cru qu’il y avait deux cadavres en face. Pendant dix secondes, je me suis dit que je ferais mieux de me barrer, ce que je n’ai pas fait, avec raison, car non seulement il y avait des témoins, mais j’avais perdu ma plaque d’immatriculation. Mon père n’était pas content, il était assez fétichiste. Pas moi. Un soir, à Pigalle, un poids lourd a détruit l’avant de ma Volvo, ça ne m’a même pas arraché une larme. Mon garagiste l’a récupérée au marteau. J’ai promis à mon fils que je la lui offrirai pour ses 18 ans s’il ne fume pas de cigarettes.—

Ma devise en voiture ? Arriver.

Première émission ? J’adorais les Dossiers de l’écran. J’y ai d’ailleurs été invité, à 18 ans, en 1979 : l’un des débats les plus vus de l’Histoire, longtemps dans le Guinness des records, suite au dernier épisode de la série Holocauste. J’étais invité parce que j’ai été déporté [silence]. Vous me dites oui ? [il rit]. Ils mettaient face-à-face de jeunes déportés et de jeunes Français qui n’étaient pas juifs, etc. J’étais le plus jeune. Ils en ont repassé un extrait chez Pascale Clark, je faisais chier Simone Veil. Première voiture ? Une petite Bianchi décapotable, empruntée à l’un de mes amis pendant un certain temps dans l’idée de la lui

Ce Soir (ou jamais), France 3, du lundi au jeudi vers 23 H, après Soir 3.

Entretien Richard Gaitet Portraits Hélène Giansily — 30

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Of course Cinéma —

Déboulonneurs héroïques de la culture d’entreprise, les deux zozos du glorieux Message à caractère informatif co-signent l’adaptation ciné de 99 Francs. Pour cerner leur ligne de conduite, appliquons-leur la version motorisée du sempiternel interrogatoire proustien. Les infractions au code de la route qui vous inspirent le plus d’indulgence ? Ecraser un ou des pigeons. Le fait automobile que vous admirez le plus dans l’Histoire ? La R19 cabriolet de Lionel Jospin. Les conducteurs que vous méprisez le plus ? Les 94, 92, 95, 78, 75 et 51. Et certains 38. L’état présent de votre permis à points ? En chimio. Comment vous aimeriez mourir au volant ? Dans un énorme éclat de rire tout en faisant l’amour. Votre devise en voiture ? Ne jamais freiner. Votre accidenté de la route préféré ? Jean-Marc, un pigeon gris qui mangeait du vomi la semaine dernière sur le boulevard Magenta. Votre road movie favori ? Little Miss Sunshine [Jonathan Dayton & Valerie Faris, 2006]. Votre chanson préférée parlant de voiture ? Tropiques au compteur/Change pas le moteur, de Muriel Dacq. Votre livre préféré sur les voitures ? Le catalogue des accessoires tuning de Norauto.—

Le principal trait de votre conduite ? Nicolas & Bruno : Fluidité, sécurité, fraternité et tendresse. La qualité que vous désirez chez une voiture ? Elle doit être ouverte aux expériences, souple et imaginative. Votre principal défaut au volant ? L’extrême vulgarité à l’égard des personnes qui ne sont pas immatriculées dans notre département. Votre occupation favorite au volant ? Compter les Space Invaders sur les murs. Votre voiture de rêve ? Une Prius pas horrible. La voiture que vous aimeriez être ? Le Dragster de Vincent Perrot. Le pays où vous désireriez conduire ? L’Inde, parce qu’on peut être 900 millions sur les routes en même temps et garder le sourire. Vos pilotes préférés dans la réalité ? Les pilotes d’imprimante. Vos pilotes préférés dans la fiction ? Alain Chabat au volant de son nouveau 4x4 dans Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants [Yvan Attal, 2004]... Quel talent ce gars. Ce que vous détestez par-dessus tout en voiture ? Passer dans un tunnel pendant les cours de la Bourse de Jean-Pierre Gaillard.

UNE VIE SUR

Première voiture ? Une 104Z marron. Voiture actuelle ? Une Vespa. Pire et meilleur moment passé dans une voiture ? Un kebab froid à 3 H du mat place Marcel-Sembat à Boulogne, en février 1993. Projets ? Finir ce questionnaire et le montage de La Personne aux deux personnes, notre premier film avec Daniel Auteuil, Alain Chabat et Marina Foïs. Une tuerie.—

LA ROUTE

99 Francs Sortie le 26 septembre Critique page XX

Questionnaire Stéphane Duchêne — 31

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Of course Politique —

Ainsi nommée par son nouveau Premier ministre, « la F1 France » roule pied au plancher, visant la pole position au sein du Grand Prix Libéral international. « Passionné de sport automobile », François Fillon, grisé par la vitesse, le coude sur la portière des réformes, court-il à l’accident ? Enquête avant la sortie de route.

Rapporté par le Canard Enchaîné, l’incident fit tâche d’huile. Mi-juin 2007 : à la veille du résultat des élections législatives, le Premier ministre, désigné le mois précédent et réélu député au premier tour, s’offre une visite officielle sur le circuit des 24 H du Mans. Trente minutes avant le départ, François Fillon, 53 ans, s’installe au volant d’une Audi RS4 prêtée par la direction de l’épreuve. Côté passager, le président du conseil général et à l’arrière, Roselyne Bachelot, pas très à l’aise. L’équipage « atteint vite 240 km/h », Roselyne « récite ses prières » et François lui adresse « T’as voulu être ministre des Sports, oui ou non ? ». Puis aux deux tiers du parcours, « le Schumacher de Matignon dézingue sérieusement la boîte de vitesse et, pour ne pas donner l’impression de rentrer au stand à pied au ralenti […] boucle le circuit en seconde, en total surrégime, dans un bruit d’enfer et une forte odeur de brûlé, sous l’œil navré des professionnels. » L’hebdomadaire satirique ajoute : « L’Audi cassée vaut, tarif catalogue, 77 000 euros TTC sans options, soit 66 SMIC. » Le surlendemain, notre Fangio à mèche, aperçu tout sourire dans les cases du dernier Michel Vaillant, réplique sur son blog. « Je comprends que la présence d’un Premier ministre sur un circuit automobile soit déroutante pour les journalistes du Canard, vu qu’il s’agit d’une première, mais cette surprise ne les autorise pas à transformer une banale panne d’embrayage en destruction d’une voiture de 77 000 euros. Je pratique le sport automobile depuis vingt ans. Je n’ai pas l’intention de m’en excuser et encore moins d’y renoncer. » Vrai : début juillet, lors d’une compétition mancelle de voitures anciennes, on le vit, pour une quinzaine de tours, aux commandes d’un prototype « Courage » et d’une antique Matra MS650 « Tour de France » – message reçu. D’un pépin mécanique tout à fait commun, on s’inquiétait, symboliquement, du flirt d’un gouvernement droitier, « décomplexé » et ridant l’état de grâce présidentiel, avec l’ivresse des performances. Au téléphone Stéphane Le Foll

(PS), adversaire malheureux de Fillon dans la Sarthe, s’en amuse léger : « Surrégime ! C’est drôle ! Pourvu que ce ne soit pas prémonitoire pour le pays ! » L’odeur de la gomme Vingt années de pratique. Presque autant qu’avec Pénélope, d’origine galloise, épousée en 1980 et qui lui donna cinq enfants. Natif du Mans, fils d’un notaire et d’une historienne, diplômé de droit public et de sciences politiques, héritier local du gaulliste Joël Le Theule, François Fillon fit du pays des rillettes un fief imprenable. En marge d’une carrière en pole position – maire, président de Conseil général, régional, député depuis 1988, sénateur intermittent –, l’ex-ministre de l’Enseignement supérieur sous Balladur, des Télécommunications sous Juppé, et des Affaires sociales puis de l’Education sous Raffarin s’est brillamment consolidé ce réseau de pilotes, de constructeurs et d’entrepreneurs indispensable à l’assouvissement d’une passion paradoxale, bruyante et discrète, plaisir de riche, connue tout en ne l’étant réellement que d’une poignée d’intimes : le sport auto, la vitesse, l’odeur de la gomme et des paddocks. « Mes premiers souvenirs, lit-on dans OuestFrance, c’est à l’âge de 14-15 ans, j’étais scout sur le circuit et je faisais la distribution des résultats dans les stands. » Le Foll confirme : « Gamins, on a tous fait les 24H du début jusqu’à la fin et, plus âgés, on passait nos nuits là-bas. Au Mans, on est tous des passionnés. » Mais alors que le chef du cabinet de François Hollande « enfilait le maillot » du Mans Union Club de football, l’enfant chéri du coin, lui, ne quittait pas la piste. A la cool avec Pescarolo « Tout ce qui roule et procure une sensation de vitesse, je prends. » Juin 2006 : sur le site d’Autosital, magazine francophone de l’automobile italienne, François Fillon, combinaison de cuir blanc, a de petits yeux. Il a conduit toute la nuit. « C’est l’occasion de se prendre pendant quelques instants pour un vrai pilote de course sur des

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Of course Politique (suite) —

voitures formidables. Un rêve d’enfant. » Pour la troisième fois, François participe à l’édition « Classics » des 24 H, réunion de bolides historiques. Il manoeuvre une Ferrari 250 GT, « une voiture mythique qui ne m’appartient pas, naturellement. Elle a tellement de valeur, au fond, qu’on fait très attention à ne pas l’abîmer. » L’année précédente, son coéquipier s’appelle Henri Pescarolo, quadruple vainqueur des 24 H. Au bout du fil, le bougon sexagénaire raconte : « Quand j’ai créé mon équipe en 2000, beaucoup de régions se sont manifestées, dont les Pays de la Loire, présidés par François Fillon. Je le croisais sur le circuit, mais je ne le connaissais pas beaucoup. Il a eu une initiative intéressante : une zone industrielle, le « technoparc », très jolie, très paysagée, en accès direct sur le circuit. Il m’a suggéré de m’y installer. On s’est revus très souvent. Il passait à l’écurie avec son frère et au passage, on organisait des essais. » Tellement cool, Henri. « On a ensuite eu cette proposition d’un collectionneur : courir ensemble aux 24 H Classics. Il abordait l’épreuve de manière très méthodique, sans espoir de se classer, me demandant énormément de conseils sur le freinage, les virages, les trajectoires. Il sait de quoi il parle, que ce soit sur le plan technique, aérodynamique, gestion des écuries. Il est à peu près capable de conduire n’importe quelle voiture de course. » Fan, Pesca ? « Ça fait dix ou quinze ans que je soutiens son action, il m’a conquis. L’industrie automobile, 1 2% du produit intérieur brut, a une image particulièrement négative en France. J’espère que sous son impulsion, on sortira de ces quinze ans de chiraquie atroces, rabâchant que l’auto est un engin de mort pollueur et les conducteurs des assassins potentiels. J’espère qu’on la regardera pour ce qu’elle est : un des plus beaux moyens d’évasion et de locomotion irremplaçable. » D’un rêve de minot devenu réalité, se dessinent alors des orientations politiques nationales.

le Club organisateur des 24 H, dont Fillon est membre du comité de direction avec son frère Pierre, subit voilà dix ans une baisse de fréquentation drastique. « Ils étaient pratiquement sur le point de déposer le bilan. François Fillon, Président du conseil régional, a créé une société d’économie mixte à l’intérieur de laquelle ils ont pensé marketing, en nommant à sa tête un publicitaire et en rénovant le circuit, la tribune, le village. Le mythe était vieillissant, il fallait le remettre dans l’air du temps. Puis le Club a repris le flambeau avec un businessman de haut niveau, qui manage ça comme un produit sportif et télévisuel. » D’où ces tours de manège gratuits pluriannuels, comme des renvois d’ascenseurs. Bientôt le burn out ? On se demande si le profil du conducteur Fillon pourrait avoir de l’influence sur le pilote gouvernemental. Driot évoque d’abord une curieuse addiction. « François n’a rien d’une groupie. Son père l’a emmené très tôt aux 24 H et ne serait-ce que le bruit et l’odeur des voitures, enfant, ça vous tient toute votre vie, un peu comme une drogue. J’ai une écurie mais je suis surtout trader en pétrole à Londres. Si je reste trois mois sans aller sur un circuit, l’ambiance, les cris, ça me manque. La voiture remplace le cheval à dompter. Vous voyagez, c’est la guerre sur la piste, c’est parfois des drames, des crashs et des joies fantastiques, du stress, de l’adrénaline, up, down, rien ne peut égaler ça. » Mais, Jean-Paul, où pareil camé peut-il mener la France ? « L’évolution du sport auto, c’est en Asie. Ici, ça devient de plus en plus délicat au niveau biocarburant, vitesse, pollution. Politiquement, ce n’est plus dans l’air du temps de soutenir ce sport. Fillon, Premier ministre, il assume ça. L’industrie automobile fait travailler 2,5 à 3 millions de personnes. Sans oublier qu’on reste une nation automobile, multi championne du monde des rallyes et de F1. On ne peut pas enterrer tout ça. »

Tours de manèges et tête-à-queue Le Fouquet’s, fin juillet. PDG de l’écurie Dams posée au Mans depuis bientôt vingt ans, quinquagénaire épanoui, ami proche du Premier ministre, Jean-Paul Driot donne rendez-vous dans ce bastion chic et onéreux de la nouvelle ère, aux Champs-Elysées. Leurs habitudes sont enfin dévoilées : « C’est en dehors du glamour – jamais un photographe –, en famille : l’hiver, trois à quatre après-midi dans l’année, on sort des monoplaces et on tourne. Mes fils viennent, ceux de son frère aussi. On est tous là, décontractés, à prendre notre pied. Il faut voir les sourires quand on sort des voitures, qu’on s’explique comment on est partis en tête-àqueue. Pour moi, ça vaut tout l’or du monde. Ça lui a permis de conduire d’abord l’ancienne Formule 3000 puis la Renault V6 qui monte à 290 km/h. Des voitures faisant tout de même 450 chevaux pour 500 kilos. » Pourquoi ces privilèges ? « C’est quand même lui qui a sauvé l’Automobile Club de l’Ouest ! » Après des années fastes,

La rentrée sifflant généralement le départ de mouvements sociaux, faut-il craindre le burn out du prototype Fillon ? Stéphane Le Foll lui, doute de « sa capacité d’endurance quand tout ira mal ». Resté aux stands, le véritable nouveau boss de l’écurie France, de petite taille, t-shirt FBI et lunettes fumées Pilot, songe déjà à son prochain challenger.—

Texte Richard Gaitet Illustrations Sylvain Cabot & Thomas Dircks — 34

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Of course Sémiologie —

Sur le bout de la langue politique trône cette surprenante figure de style : la métaphore automobile, dont l’actuel Premier ministre serait le concessionnaire en chef.

Nos oreilles ont l’habitude de ces formules : c’est connu, les grèves démarrent au quart de tour dès que le gouvernement embraye sur la réforme prévue par sa feuille de route. Dans le même temps, le Premier ministre doit souvent donner un coup d’accélérateur décisif pour remettre en marche le moteur de la croissance – à l’inverse, l’Etat risque d’assister à un terrible dérapage incontrôlé des dépenses publiques. Heureusement pour les ménages, des soupapes de sécurité sont mises en place… La novlangue médiatico-politique s’accommode de ces expressions. C’est presque normal : dans le grand Mécano constitutionnel, députés et ministres (conduisant rarement leurs propres véhicules) adoptent le verbe fleuri des meilleurs garagistes pour se faire entendre de Monsieur Tout-le-monde (souvent automobiliste). Quand le sujet se complique, la comparaison se raffine, mécaniquement : pour rendre compréhensible un discours technique, échappant au « mal absolu » qu’est la langue technocratique, nos élus ont parfois recours à des images… techniques. En 2004, MarcPhilippe Daubresse, oublié ministre de la Ville de l’ère Raffarin, avait sa manière d’évoquer la décentralisation : « La délégation de compétences sera réalisée progressivement. Nous inventons un carburateur. Vous y trouverez du carburant venant de l’Etat, de la Caisse des Dépôts…» En 2006, sur le plateau de France 2, plutôt que de répondre à une question précise sur la réforme de l’Etat, JeanFrançois Copé préféra : « On passe de la phase expérimentale à la phase industrielle... L’idée est de soulever le capot, comme pour regarder le moteur de la voiture. » Simple comme une visite chez Speedy.

faits éveillent en vertu de leur existence. » (Considérations morales, 1971). A se demander si François Fillon, expert en la matière, ne ferait pas du zèle pour protéger les Français d’une réalité jugée trop complexe. « 25 km/h » A chaque prise de fonction, un Premier ministre décrète l’urgence des réformes pour maintenir l’état de grâce et mobiliser l’opinion publique. De Villepin, fan éternel de Napoléon, s’était donné cent jours pour réformer le pays. Fillon, « moderne », a tout simplement assimilé la France à une Formule 1 qu’il fallait relancer en appuyant à fond sur le champignon. C’était sur Europe 1, en mai dernier : « Il faut la conduire [la France] au maximum de ses capacités pour qu’elle soit au premier rang de la compétition internationale en même temps, ménager sa mécanique et ne pas sortir de la route. » Et quelle est la première chose à faire quand on récupère les clés d’une F1 d’occasion ? On l’amène à la révision. Sous Fillon, la réforme de l’Etat s’intitule désormais : « Révision générale des politiques publiques ». On ne sait pas ce que ça veut dire, mais cela humanise les experts. L’éloge de la vitesse se retourne parfois contre son plus fervent défenseur : selon le Canard Enchaîné du 27 juillet 2007, le président de la République aurait eu ces mots durs pour remettre son pilote, garé en double file, à sa place : « Pendant que je fais du 250 à l’heure, il ne fait que du 25. »—

Quel est le sens d’un tel prosaïsme ? Relisons Hannah Arendt : « Les clichés, les phrases toutes faites […] ont socialement la fonction reconnue de nous protéger de la réalité, de cette exigence de pensée que les événements et les

Par Timothée Barrière — 35

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Of course Sport —

Gentleman incontesté du sport automobile belge, Jacky Ickx, 62 ans, grille la politesse au héros de papier. Par téléphone, une autre époque se raconte : pilotes bohèmes, sécurité zéro, morts brutales, panache et fair-play sur le paddock. Arrêt au stand.

Vous souvenez-vous de votre premier volant ? Jacky Ickx : Remettons les choses dans leur contexte : je n’ai jamais rêvé de sport automobile, pas même à l’adolescence. En revanche, je suis né dans un milieu culturellement intéressé par le sport, l’auto, les motos. Curieusement, après avoir raté brillamment mon école à 15 ans, j’ai reçu une moto tout-terrain en guise de récompense, et j’ai commencé des compétitions qui me réussissaient pas mal. Et voilà. Aucune fascination, petit garçon, pour la voiture ? Mais alors pas du tout. L’automobile était le cadet de mes soucis, j’étais bien plus attiré par le trial. Franchement, à 15 ans, je voulais être jardinier ou garde-chasse, en tout cas, je voulais être dans la nature. J’étais un enfant solitaire, je pouvais passer des journées entières seul à me balader dans les rivières ou dans les champs. Un jour, je suis allé voir le Grand Prix de Belgique avec mon père et j’ai beaucoup insisté pour qu’on ne m’y emmène plus. C’était particulièrement ennuyeux. Rassurez-nous, vous avez votre permis, quand même ? Ah oui, j’ai passé mon permis à l’armée en conduisant des chars d’assaut AMX, en faisant des tête-à-queue. J’étais très adroit avec ces engins-là. Comment naît le plaisir de conduire ? J'aimais bien la moto, et puis quelqu’un m’a prêté sa voiture – une BMW 700 coupée, un joli cabriolet dessiné par Michelotti, moteur bicylindre – pour des courses de côte, en hiver, des petits rallyes. Comme je marchais bien avec ce

modèle, on m’a proposé une Cortina Lotus, puis une Ford Mustang, puis une Formule 2, puis un prototype… Je faisais mes classes ! Chaque année, je conduisais des modèles plus puissants, plus rapides. C’était comme les études : vous ne passiez dans la classe supérieure qu’avec les performances suffisantes. Mon professeur de gymnastique, comme Fernandel dans Le Schpountz, me disait : « Vous n’êtes bon en rien, vous êtes mauvais en tout. » J’ai découvert que je pouvais gagner, être le meilleur. Ma carrière s’est dessinée comme ça, par accident, par rencontres. Cela a été quelque chose de formidable, mais je ne peux pas dire que ça a été passionnel. Vos plus grandes courses ? Pour moi, celle où on s’est « sublimé » collectivement – j’adore l’expression –, c’est Le Mans 1977. Je roulais pour Porsche, les deux voitures sont tombées en panne et je suis monté comme pilote de réserve sur la dernière au classement général. Année difficile : pluie, brouillard, etc. On a terminé premiers, devant Renault. Je n’ai jamais aussi bien roulé de ma vie, pareil pour mes coéquipiers, les mécanos, les ingénieurs. La déroute de départ est devenue une course mythique. La seconde, c’est mon premier Grand Prix [et première victoire], celui de France, à Rouen, en juillet 1968, pour ce contact vraiment direct, partagé, lourd et tragique avec les dangers de la course, puisque Jo Schlesser se tue [au volant de sa Honda RA 302]. Objectivement, on aurait pu faire évoluer ce sport plus tôt.

— BMW M1, 1978

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Quels étaient vos principaux rivaux à l’époque ? Jackie Stewart l’Ecossais ? Stewart, trois fois champion du monde [1969, 1971, 1973], était l’homme à battre. Ce qui caractérise cette période, c’est la personnalité de ses pilotes, Jackie Stewart, Graham Hill [anglais, champion du monde 1962 et 1968] ou le gentleman Jim Clark [écossais, champion du monde 1963 et 1965]. Comme aujourd’hui, sept ou huit garçons se montraient capables de gagner un grand prix ; mais maintenant, indiscutablement, il faut être dans la bonne écurie. Les voitures étaient plus empiriques en termes de mise au point, d’aérodynamisme. Avant les années 70, la notion de sponsoring n’existait quasiment pas, hormis les sponsors techniques (freins, bougies, huiles). C’était beaucoup plus cool, plus sympathique et plus « humain ».

pas conscience. Personne n’était obligé de le faire, mais tout le monde était content d’y aller. Les circuits et les voitures ont évolué de manière colossale. Bien sûr, le sport automobile ne sera jamais « sans risque », mais entre hier et aujourd’hui, c’est le jour et la nuit. Vous sentiez-vous kamikazes, inconscients, romantiques ? Comme les pilotes des grands prix de moto, nous étions des saltimbanques. On allait chercher la prime de départ et on vivait dessus pendant dix jours, jusqu’à la course suivante. Tous les jeunes pilotes de Formule 3 campaient ou dormaient dans les voitures, ou dans des hôtels minuscules. C’est vrai aussi que l’on mangeait plutôt une fois par jour que trois. C’est sûr que c’était beaucoup plus romantique, poétique. On voyait ce sport comme un acte de chevalerie. Heureusement, cette période-là est révolue.

Contrairement à Stewart, vous étiez un peu le dandy de la course, très fair-play ? C’était le cas de tous les pilotes. Le danger impliquait d’office le fair-play. Peut-être avais-je un côté plus dilettante, mais Stewart avait une ou deux longueurs d’avance sur ses compagnons de route. Il avait compris ce qu’allait devenir le sport automobile : hyper pro. Ce que je veux surtout dire, c’est que c’est une discipline d’égoïstes, d’individualistes. Votre pire ennemi, c’est votre coéquipier.

Aviez-vous peur ? Très sincèrement, il faut démystifier tout cela. La peur n’entre pas vraiment en question, même rétroactivement. Quand on part à la conquête de ses rêves, on n'a peur de rien, on a envie de réussir. Les accidents font partie de cette vie-là, comme la bravoure. Quand on ne se fait pas trop mal, on n’a qu’une préoccupation : revenir au plus vite. Mon ange gardien a eu beaucoup de boulot.

Quelles différences avec les compétitions d’aujourd’hui ? On dirait maintenant que nous étions « de bons amateurs », plutôt que des professionnels. Dans ces années-là, l’automobile était très accessoirement un sport d’argent. Les gens de talent étaient heureux de conduire des belles voitures, même gratuitement. C’était également un sport monstrueusement dangereux. Chaque année un pilote disparaissait. Cette prise de risques, nous n’en avions

Quels pilotes appréciez-vous aujourd’hui ? [Il rit] Je n’aime que Vanina ! En F1, l’âge moyen doit être de 25 ans aujourd’hui. L’Anglais Lewis Hamilton [22 ans] apporte une bouffée d’oxygène formidable [présent sur le podium lors de ses neufs premières courses de F1 en 2007]. A mon époque, à 23-24 ans, c’était une aberration, il fallait avoir de l’expérience pour qu’on vous confie des voitures. — 37

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Of course Sport (suite) —

Steve McQueen s’est inspiré de votre image pour le film Le Mans [Lee H. Katzin, 1971]. En avez-vous eu conscience ? Tout cela est bien exagéré. Steve n’a pas eu besoin de moi. Je l’ai connu, c’était un pilote brillant, passionné de courses et de cinéma, c’était sa nature.

palmarès

JACKY COURAGE ARRIVE

Toujours au rayon pop culture, vous apparaissez dans la BD Michel Vaillant. Je ne regrette qu’une chose : à chaque fois que je participe à une course avec lui, c’est toujours lui qui gagne. En plus, ce garçon ne vieillit pas et je trouve ça très désagréable !

1945

TOUJOURS PREUM’S

Jacques Bernard Ickx naît en tête le 1er janvier à Bruxelles.

1966 Vainqueur des 24 H de Francorchamps.

1967

Quelles sont vos activités aujourd’hui ? A côté de mes activités d’ambassadeur pour Audi, j’organise le « rallye des Pharaons », en Egypte, une course toutterrain pour camions, motos et autos. Entre les repérages et les parcours, ça me prend un ou deux mois par an. Nous voyageons également beaucoup avec mon épouse, en Afrique, en Amérique du Sud.

Champion d’Europe de Formule 2.

1968 Vainqueur du Grand Prix de France.

1969 Vice-champion du monde des conducteurs, vainqueur des 24 H du Mans, des Grands Prix d’Allemagne et du Canada.

1970

Quelles valeurs pensez-vous avoir transmises à votre fille, Vanina ? Je ne sais pas. Vanina a fait d’excellentes études de biologie et quand elle les a terminées, à 23 ans, elle a décrété qu’elle allait faire du sport automobile – une grande surprise pour nous deux. Il fallait beaucoup de courage : c’est un sport d’un machisme total, on ne lui a fait aucun cadeau et son nom a été curieusement un désavantage. Je n’ai jamais voulu être son mentor, encore moins son coach ou son manager. Elle s’est faite comme une grande, toute seule. Sa réussite, elle en est totalement propriétaire.

Vice-champion du monde des conducteurs, vainqueur des Grands Prix d’Autriche, du Canada et du Mexique.

1971 Vainqueur du Grand Prix des Pays-Bas.

1972 Vainqueur du Grand Prix d’Allemagne.

1973 Vainqueur des Coupes de Spa.

1974 Vainqueur des Mille Kilomètres de Spa.

1975 Vainqueur des 24 H du Mans. Naissance de sa fille Vanina.

Y a-t-il un membre de la famille Ickx qui n’ait pas son permis de conduire ? Pas à ma connaissance. Personne ne roule à vélo, en tout cas.—

1976 Vainqueur des 24 H du Mans.

1977 Vainqueur des 24 H du Mans.

1979 Arrête la F1.

1981 Vainqueur des 24 H du Mans

1982 Champion du monde d’Endurance, vainqueur des 24 H du Mans.

1983 Champion du monde d’Endurance, vainqueur du Paris-Dakar.—

Entretien Leonardo Marcos — 38

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Of course Sport —

Comme Graham et Damon Hill, Gilles et Jacques Villeneuve, et récemment Alain et Nicolas Prost, Vanina Ickx, 32 ans, a confondu ADN et km/h. Toutes premières fois avec l’une des 49 femmes à avoir participé aux 24 H du Mans. Premier volant ? Vanina Ickx : La Porsche de Papa, sur ses genoux. Après les voitures à pédales, bien sûr. Premier permis ? En 1992. J’étais tellement nerveuse que mon pied tremblait tout seul sur l’accélérateur. Mais je l’ai eu du premier coup. Premières voitures de ville ? Une Citroën AX GTI toute noire, une BMW Contact, une vieille Cooper, et maintenant une Audi RS4. Je n’aimais pas particulièrement conduire en ville, et depuis que je l’ai essayée, ça devient un plaisir. Sinon, je tends plutôt vers les petites Cinquecento. Premier circuit ? A Zolder (Belgique) sur ma BMW Contact. J’ai fini glorieusement dernière, j’avais 21 ans. Puis, dans une salle de gym, je suis tombée par hasard sur une femme pilote qui avait sa saison bouclée : elle avait trouvé tous ses sponsors lorsqu’elle est tombée enceinte. Elle connaissait mon nom, évidemment, mais je n’avais fait que deux ou trois courses de kart, sans plus. Elle s’est

pourtant dit que j’étais la remplaçante idéale. C’est parti comme ça. Premier accident ? Lors de ma première saison, je prenais confiance et je roulais de plus en plus vite, jusqu’à perdre l’adhérence. J’ai fini dans les pneus. Ce n’était pas drôle de rentrer au stand à pied, le casque à la main et de dire « j’ai glissé ». Mais je n’ai pas eu peur. Ma peur, c’est plutôt de ne pas être à la hauteur. Premier grand rival ? C’est moi. Premières courses importantes ? Le Dakar avec Papa, intense. Les 24 Heures du Nürburgring et enfin, ma victoire avec Ferrari. Première ligne de conduite ? « Go hard or go home ». C’était la devise de Matthias Ekström [Suédois, 29 ans, champion DMT 2004]. Donner du spectacle même si ça se finit de temps en temps dans le bac.

peu plus. Un chef de team fera toujours plus confiance à un homme. Donc, oui, c’est dur. Mais on a d’autres atouts. A vitesse égale, on est parfois plus réfléchie, très endurante, physiquement résistante. En dehors de la course, on a des atouts de charme qui peuvent toucher un autre public, d’autres sponsors. Danica Patrick, aux EtatsUnis, réussit très bien. Elle est très jolie et l’exploite vraiment bien. Comment conserver sa féminité ? Sur le départ, le casque sur la tête, il faut se transformer, devenir un pilote et non pas une femme-pilote. Il faut jouer des coudes, s’imposer, ne pas faire de politesses. Rester féminine sur la piste… ça peut jouer des tours. Se faire un prénom ? Justement, ça aurait été plus dur si j’avais été un homme. Comme je suis une fille, on accepte que je ne sois pas mon père. Nicolas Prost [26 ans, quatrième au championnat d’Espagne de F3000 en 2006] subira davantage la comparaison.—

Etre une femme dans ce milieu ? C’est comparable à n’importe quel métier « d’homme » : il faut en faire un

J'usqu’au 28 octobre, Vanina participe à l’édition 2007 du DMT (Deutsch Tourenwagen Masters), championnat allemand des voitures de tourisme.

Entretien L. M. Illustrations tirées de Michel Vaillant : 24 heures sous influence, ©Graton éditeurs. — 39

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Of course Featuring —

Journaliste au service des sports de Libération depuis 1986, auteur de plusieurs ouvrages et biographies sur le sport automobile, le premier roman de Lionel Froissart paraît en octobre sous le titre Les Boxeurs finissent mal... en général. Ses nouvelles, comment finissent-elles ?

« C’est comme un chien sauvage qui aboie. Avant chaque course, ce jappement mécanique tire John Helinas de sa sieste. Dans l’espace mystérieux d’un stand tout proche, un mécanicien fait monter en régime le moteur d’une Formule 1. Comme toujours, cette plainte régulière a pour effet de réveiller la meute. L’atmosphère se gonfle peu à peu d’une multitude de hurlements métalliques. Wouap, wouap, wouap ! Puis, aussi soudainement, le silence s’installe à nouveau. Helinas quitte à regret sa confortable couchette aménagée à l’étage du luxueux motor-home de son équipe. Par l’une des vitres teintées, il peut voir l’agitation du paddock. Les invités qui tournent en rond, les VIP qui prennent la pose, les journalistes qui guettent les pilotes prêts à rejoindre leur monoplace, les désœuvrés qui ne font rien d’autre que regarder. Des papillons lui agacent le ventre. Helinas s’asperge le visage à l’aide d’un brumisateur. La giclée parfumée aux essences de plantes lui fouette les sens. Il n’est vêtu que d’un caleçon taillé dans un tissu ignifugé. Il se redresse, regarde sa silhouette dans le miroir et, satisfait, n’y voit aucune imperfection. Les muscles de ses épaules et de ses bras saillent sous sa peau ambrée, ses jambes sont fines et

musclées. Il pourrait travailler un peu plus ses pectoraux et ses abdominaux, mais à quoi bon. Il ne s’est jamais senti plus en forme. Depuis le début de cette saison, il est irrésistible. Quand la tête va, tout va. Une fois sanglé à bord de sa machine, il sait que ses mouvements seront sûrs, autoritaires et précis. Même son cou ne le fait plus souffrir, malgré les contraintes terribles que son organisme encaisse dans chacune des grandes courbes du circuit négociées à plus de 200 km/h. Dans le lointain, un nouveau grognement animal se fait entendre. Helinas abandonne à regret la contemplation de son image et enfile avec minutie chacun de ses vêtements anti-feu. Un caleçon long d’abord, un t-shirt à manches longues – obligatoire malgré la chaleur ambiante – dont les coutures sont retournées pour ne pas incommoder et troubler la concentration du pilote. Il choisit dans sa penderie une lourde combinaison bariolée d’écussons publicitaires. Contrat oblige, il ajuste sa grosse montre chronomètre qu’il enlèvera dans quelques minutes, avant de monter dans sa voiture. Une caméra viendra sans doute saisir ce détail lors de son installation. Sur le bureau qui

— Jaguar XK140, prototype Raymond Loewy, 1955

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jouxte sa couchette, il prend une bible fatiguée et l’embrasse longuement en fermant les yeux. Par habitude, c’est sur l’écran plasma géant de sa « cabine » que John Helinas contrôle l’heure exacte égrenée à la seconde près. La procédure officielle de la mise en grille ne commence que dans sept minutes. Tout juste le temps de réviser quelques paramètres techniques avec son ingénieur, d’ajuster la stratégie pour la course et de grappiller une ou deux informations sur celle de ses adversaires.

elles mijote sous une couverture chauffante. John tourne le dos à la scène. Dans un coin, sur de petites étagères, trois de ses casques sont prêts. Il prend celui du milieu, qu’il pose sur le support aluminium d’un établi ultramoderne. Il vérifie la propreté de la visière et le nombre de films de protection qu’il retirera les uns après les autres pendant la course. Son ballet de gestes est rodé. A quelques mètres de lui, son équipier semble frappé de mimétisme et s’adonne au même cérémonial. John ne le regarde pas.

Une double agression l’attend dehors. La chaleur lourde et humide d’abord, un mur de caméras et d’appareils photo ensuite. A quelques minutes du départ, John essaye de se composer un visage avenant et souriant. Planqué derrière ses lunettes sponsorisées, il marche droit devant lui sans marquer le moindre arrêt. A mesure qu’il s’approche de l’arrière du

Il fixe les boules de protection dans ses oreilles et contrôle que les écouteurs intégrés ne lui blessent pas la peau. Il enfile sa cagoule ignifugée et place le petit trou découpé dans le tissu au niveau de sa bouche pour pouvoir fixer la pipette de sa gourde. Enfin, d’un geste arabesque sans à-coup, il met son casque, qui scintille sous les éclats synchronisés des flashs.

stand, les papillons accélèrent leur course folle dans son estomac. Les journalistes s’arrêtent net à l’entrée gardée par un cerbère désagréable et silencieux. John pénètre dans son élément. Il passe à proximité d’une baie d’ordinateurs sans les regarder. Les écrans scintillent de dizaines de courbes de couleur. Des imprimantes aussi silencieuses que des tapis volants laissent glisser des listings sans fin. Des grappes d’ingénieurs et de techniciens lui tournent le dos. Son pas est décidé vers le garage, dont les portes s’ouvrent sur la piste. L’espace, noyé par la lumière, est d’une propreté clinique. Seule l’odeur des gaz brûlés flotte encore dans l’air. Agglutinés derrière une fine barrière élastique, d’autres photographes et cameramen le guettent. Son regard s’est arrêté sur SA voiture. Elle est là, offerte. Du cockpit pendouillent les lanières de son harnais de sécurité. A chaque coin du bolide encore silencieux, un mécanicien debout et immobile attend un ordre supérieur pour fixer les roues au monstre d’acier et de carbone. Pour l’instant, chacune d’entre

En se retournant, il rajuste l’entrejambe de sa combinaison et se dirige vers la gauche de sa machine, dont il enjambe les pontons. Prenant appui sur ses bras puissants, il glisse ses deux jambes en avant dans le cockpit sombre, puis s’y laisse glisser en douceur, laissant ensuite ses mécaniciens fixer le volant amovible et les six points d’attache de son harnais de sécurité. En un éclair, il balaye du regard les multiples fonctions tout en enfilant sa paire de gants. D’un geste virevoltant de l’index, il réclame la mise en route de son moteur. Une puissante vibration parcourt son corps et s’empare de ses sens. John ressent comme une délicieuse plongée en apnée. Son champ de vision se rétrécit pour ne plus balayer que les quelques mètres situés à l’avant de sa voiture. Maintenant il fait corps avec elle. Du petit doigt, il enclenche la première vitesse. Son cerveau évacue le bruit du moteur et passe en revue les virages qui vont bientôt défiler devant ses yeux. La course peut commencer. »—

Les Boxeurs finissent mal... en général (Editions Héloïse d’Ormesson), à paraître le 18 octobre.

Par Lionel Froissart Photographie LBS, Grand-Prix de France 2007 — 41

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Of course Portfolio #1 —

Accident ! par Simon de la Porte

— Simon de la Porte possède une Volvo 480 Turbo

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Of course Portfolio #1 —

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Of course Littérature —

Dandy de 47 ans à la langue enchanteresse, Simon Liberati aime la littérature, les femmes et les bolides. Nada exist, son deuxième roman, décrit le road trip ébouriffant de Patrice, ex-photographe de mode partant retrouver sa maîtresse au volant de son Aston Martin. Rencontre à deux vitesses dans un hôtel parisien. Une bonne partie de Nada exist se déroule en voiture. Vous les adorez ? C’est pour l’Auto Journal c’est ça ? Oui, il y a deux voitures dans le livre, une Austin Cooper et une Aston Martin 1973, avec laquelle le héros rentre à Paris. Au départ, je n’avais pas d’idée précise en tête concernant la voiture, si ce n’est qu’elle devait être noire. J’avais songé à la Pontiac GTO du film Macadam à deux voies de Monte Hellman, avec James Taylor, alors j’ai rendu un peu vulgaire l’Aston Martin en lui ajoutant un turbo compresseur de Pontiac.

souvenir [1984] . C’est Jacques Chardonne qui écrit dans une lettre à Roger Nimier [mort en voiture, cf. p. 79] que Paul Morand avait conseillé à Sagan de rouler en Aston Martin car il savait qu’elle roulait dangereusement et qu’il aimait bien pousser les gens vers la mort... Il y a aussi une splendide description de feux arrière dans La Côte sauvage, de Jean-René Huguenin, ou le passage sublime dans la Ford au Mexique dans Sur la route de Kerouac. Mais ce sont surtout des images de film comme Faster Pussycat, de Russ Meyer, ou Sandra, mon Visconti préféré, qui m’ont marqué.

Quel rôle joue-t-elle dans l’histoire ? L’emblème du livre, c’est la gravure de Dürer Le Chevalier, la Mort et le Diable. Lukardis [la maîtresse du personnage] est une image du diable. Patrice est le chevalier, il lui fallait donc une monture. C’est une application moderne du tableau. Et puis c’est aussi un prétexte comique à la Laurel et Hardy pour des situations clownesques du genre claquement de portière sur la main.

Vous roulez en quoi ? J’ai une Austin Cooper de 1997, une réédition des couleurs des années 60, une sorte de kaki. Je viens de la récupérer, elle avait une fuite d’huile dans l’embrayage, un problème de joint de spi, entre le vilebrequin et le moteur... Mais maintenant, elle est encore plus vive, je peux monter à 150 avec !

La voiture est l’épine dorsale de l’action, elle est prétexte à rire mais elle possède aussi une dimension inquiétante. Ça, c’est Christine de John Carpenter, avec la Chrysler Furie. J’avais en tête beaucoup d’images de ce film pendant l’écriture, et aussi de films de série B. Il y avait un petit côté macho dans mes comparaisons avec les femmes [rires] dans la version initiale, mais mes premières lectrices m’ont confié qu’elles trouvaient toutes ces descriptions de problèmes mécaniques un peu lourdes, alors j’ai élagué. Bon, j’ai fait pas mal d’approximations, mais j’ai aussi posé beaucoup de questions à Kiki, le garagiste du roman, qui est une des rares personnes à apparaître sous son vrai nom. Aviez-vous aussi certains romans en tête, où l’automobile est magnifiée ? Non, pas vraiment. Je ne connais pas de livre où la voiture joue un rôle aussi important. Bien sûr, il y a toute une imagerie de l’automobile en littérature, comme l’essai sur la vitesse de Françoise Sagan dans Avec mon meilleur

Bon, il n’y a pas que les voitures dans la vie. Après le succès d’Anthologie des apparitions, superbe accueil critique et 14 000 exemplaires vendus, vous sentez comment la réception de Nada exist ? Les deuxièmes romans sont toujours un peu compliqués, mais moi j’ai évité l’attente au tournant en mettant trois ans à l’écrire. C’est toujours difficile... et puis ma vie est complètement chaotique en ce moment, je perds mon appartement dans un mois. Pour vous montrer mon niveau social, je sous-louais l’appart’ du fils d’un ami [rires]. Je crois que je vais dormir dans ma Mini. Comment vous avez vécu le passage chez Ardisson où vous sembliez complètement ivre ? Je l’ai mal vécu pendant l’émission, très mal en me voyant après… J’avais l’air extrêmement soûl mais c’est surtout parce que j’avais des bottes neuves qui glissaient, j’avais peur de tomber en descendant l’escalier, et puis je ne voulais pas trop parler de l’histoire du livre, des deux ados qui se prostituent, ni du Palace en fait, j’étais dans un truc un peu

— Citroën M35 "Rotor", 1969

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viennent d’où, d’Alain Soral ?! Ça m’est arrivé deux fois, une fois au Palace quand j’étais jeune, et une fois avec Ahmed, qui est un personnage du livre, à l’occasion d’une fête…

schizo où je devais prouver que ce n’était pas mon histoire tout en laissant penser que ça pouvait l’être… Et la rumeur comme quoi vous n’auriez pas écrit Anthologie des apparitions, qu’il s’agissait d’Alain Soral ? J’ai aucun problème à parler de ça. Alain et moi avons été amis, pas très longtemps d’ailleurs. On s’était rencontré aux Bains Douches en 1978. Il avait traité le patron de petit antiquaire et voulait le découper au cutter. Plus tard, au Parti Communiste, on a participé à la création du collectif des travailleurs des médias. Bref. Quand j’ai en fini le livre que j’ai donc écrit complètement seul [rires], je le lui ai fait lire. Il m’a donné quelques conseils, replacé des virgules. Quand il a vu que ça marchait bien pour le livre, quelque chose a changé. Il a pété un plomb et a dû se dire : « Je vais faire un scandale pour que cette fiotte de Liberati soit démolie. » Je ne lui en veux pas. Je trouve qu’il a trouvé sa voie dans son engagement avec Le Pen. Ceci dit, il possède un vrai talent, pour rester dans les euphémismes, il est juste un peu soupe-au-lait. Quand Libération a insinué qu’il jouait avec des croix gammées quand il était jeune, j’ai envoyé un courrier disant « à ma connaissance, Alain Soral n’a jamais porté de bijoux ».

Il paraît que vous avez aussi eu, très jeune, une époque un peu facho ? Ah non, ça c’est totalement faux. J’étais à Stanislas (collège privé catholique de Paris)... Mais vous me faites un truc trash, là ? Non, mais c’est bien de poser des questions. Enfin voilà, j’étais à Stanislas, mais je ne m’entendais pas du tout avec les mecs du GUD et tous ces fils de la bourgeoisie française. Ni Soral d’ailleurs. Moi, j’étais plutôt dans un truc rock, communiste, rien à voir... Pour revenir au roman, vous racontez beaucoup d’anecdotes. Vous avez des fiches ? Non, contrairement à Ellis pour Glamorama, je n’ai pas fait de travail d’enquête. Je raconte des histoires en jouant à marabout de ficelle. Je commence une phrase et pars sur autre chose. Je fais un travail d’étalonnage comme au cinéma, pour que ce que j’ai écrit il y a un an ne sonne pas comme ce que je viens d’écrire. J’avais la structure temporelle et tout un tas d’histoires en gigogne : c’est un homme qui se réveille, qui ne va pas bien, et qui va de mieux en mieux au fil des heures. Mon plan dessinait une

Vous, en revanche, vous vous déguisiez en femme, jeune… Mais vous avez des informations incroyables, elles vous — 47

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Of course Littérature (suite) —

ligne temporelle, heure par heure et en spirale, le temps de la mémoire, du fantasme. Patrice, ex-photographe de mode, est en pleine décadence. Mais il y a une dimension grotesque plus présente que dans votre premier livre, plus gracieux mais plus froid. C’est certainement par réaction à Anthologie justement, où, comme un peintre sur une toile, j’avais mis beaucoup de ciel, pour le côté grâce de l’écriture. Là, je voulais beaucoup plus de terre. Je voulais un truc à la Bad Lieutenant [Abel Ferrara, 1993], si bien qu’au début j’avais un truc très noir, avec plein de caca [rire]. Beigbeder, qui n’arrivait pas à le lire, m’a demandé d'ajouter un peu de ciel... Et puis à la fin du roman, dans la tour de l’hôtel, il y a l’opposition du ciel et de la merde. Aujourd’hui la décadence nous est vendue comme lifestyle. Etes-vous fasciné par ce demi-monde que vous décrivez ? A 16 ans, ma thématique était déjà installée. J’aimais Pétrone, « Hollywood Babylone »... C’est aussi quelque chose de générationnel. Mais je pense être très critique envers ce milieu et cette thématique. Le narrateur se critique lui-même. La décadence, c’est du réel et aussi du fantasme. Avant c’était élitiste, aujourd’hui le phénomène s’est démocratisé. C’est une manière assez commune d’appréhender la réalité. Au bar de l’hôtel Régina, Simon Liberati descend trois marches et s’étonne que vous soyez là avant lui. Il commande un verre de Châblis et vous parle de Marc Lamour ou d’Eric Dahan, qu’il ne connaît pas personnellement. « Fais-le parler d’une personne connue, morte ou vivante, m’avait conseillé une de ses connaissances, il est incroyable. » La langue de Liberati est ponctuée de noms propres. Ils tiennent parfois lieu de verbes. Un Stéphane Bern branché, Simon Liberati ? Non, ce serait plutôt Beaumarchais chez les mondains. Car il rit de tout. Il faut l’entendre prononcer les pires horreurs dans un grand éclat de rire. A bien y réfléchir, il s’amuse même du jeu auquel il joue. De bonne grâce, il répond sans ciller à vos questions, narrant mille petites anecdotes. Après quelques négociations téléphoniques d’avant rendez-vous, nous arriverons même, ultime gageure, à réaliser son portrait, lui qui n’avait fait qu’une seule série pour la promotion de son premier roman : « Me retrouver avec une pipe au coin de la bouche au jardin du Luxembourg, non merci. » Il stoppe la mitraille un instant, il doit passer un coup de fil. On attend, en scrutant la grande roue des Tuileries. « Tu crois qu’il s’est barré ? » s’inquiète le photographe. Voilà qu’il réapparaît : « Pardon, je croyais qu’on avait fini. » Il accepte les dernières prises. Puis une femme passe, qui le raille. Plus tard, il ne voudra pas en parler. Il se pourrait qu’elle soit évoquée dans le livre. A notre tour, nous disparaissons sous le vent tiède et pressant d’un mois de juillet à Paris.— J. P.

Quelle figure moderne de la célébrité vous fascinerait aujourd’hui ? J’aime beaucoup Pamela Anderson. Pour une raison esthétique. Mais j’aime de plus en plus de gens, ça doit venir de mon âge, j’aime bien Victoria Beckham, par exemple [rire]... Philippe Lançon a dit que vous étiez une sorte de moraliste après Anthologie. Vous acceptez le terme ? Complètement, j’étais très touché. J’ai longtemps travaillé dans la presse féminine, 20 ans et beaucoup de conneries. Je travaillais beaucoup avec les psys, j’ai compris quelques trucs. Oui, je m’inscris dans la tradition des moralistes comme Saint-Simon. Je suis un écrivain psychologique et il y a un fond chrétien dans mes deux livres. Après, je ne sais pas si ce que je raconte peut se définir comme moral… La morale d’aujourd’hui s’inscrit où pour vous ? Pas du côté de la droite, c’est certain. Euh... On va dire que j’ai rien contre les religions. J’aime bien les prises de position du nouveau pape, comment il s’appelle... Benoît xvi, c’est ça ? Et puis comme maintenant chacun revendique sa religion de manière vive, oui, il faut peut-être monter les graves, ah ah... Vous repartez en voiture ? Non. Mais demain je pars à Biarritz en Austin.—

Entretien Jean Perrier Portraits Axel Dupeux — 48

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Of course Chronique —

Parfois, Patrice parvient à repartir : « Le moteur agitait de tremblements la masse de plusieurs tonnes, lui rendant le pouvoir de faire défiler une partie du monde sous son ventre. » Ou encore : « Il accélérait à fond : la machine put enfin développer sa vraie nature : froide, sincère, comme Lukardis. Une horlogerie d’avant la crise, d'avant les humiliations. » Dans sa voiture, Patrice se touche, se défonce, fantasme, s’enivre et, même, « se sent meilleur ». Semblable à son terrible engin, cette âme tourmentée, pleine de bassesses et de lucre, passe du trivial le plus comique (le portail, le garage, le Shopi) au sublime le plus pathétique, et fait parfois l’expérience – hautement immorale – que la « joie descend sur ceux qui ne le méritent pas ».

Par Patrick Williams C’est un paradoxe amusant. Alors que le président imprime un nouveau rythme au pays, lui faisant passer la cinquième (vitesse – pas République), la Mairie de Paris (en particulier) et notre réseau routier (en général) semblent mobilisés pour vous dégoûter à jamais des joies de l’automobile (pénibles radars, pénibles ronds-points). Partout l’exaltation de l’énergie – il va falloir « mettre le turbo », libérer l’esprit d’initiative – et partout le frein mis à cette si belle invention. Voyez le spectacle attristant d’une grappe de véhicules sur l’autoroute roulant toutes, dans un ensemble moutonnier, à 110 km/h précises : favorise-t-on réellement le « goût de la performance » ? Heureusement, tout le monde ne partage pas cette vision automobilement correcte. La bagnole n’est pas qu’un simple outil fonctionnel exempt de tout danger.

Noces tumultueuses A lire Liberati, on comprend mieux l’expression « rouler à tombeau ouvert ». Il y a de la résurrection dans l’air. En fait, l’écrivain a décrit – outre les nombreux autres aspects de ce grand roman – quelque chose de très vingtième siècle : les noces tumultueuses de l’homme et de la machine. Comme Kerouac dans Sur la route, comme James Dean dans La Fureur de vivre, comme Sagan et son accident, comme Ballard et son Crash. Sauf qu’ici, le héros est fatigué (ses cuisses ont grossi), la voiture patine, symbole d’une gloire passée. Reste une ode à une invention dangereuse et hautement symbolique, une croix qu’on porte et qui vous porte, un instrument de perdition et de rachat, un sacré paquet d’emmerdes et un extraordinaire appareil à sensations. « Tu sais que l’autoroute me donne toujours envie de pleurer », dit Patrice à Lukardis. Et loin sont ceux qui voudraient que l’autoroute nous donne toujours envie de bailler.—

Dans le superbe Nada Exist, Simon Liberati décrit son héros comme faisant totalement corps avec sa voiture, tel un mollusque malade dans une coquille fêlée. Patrice est photographe de mode, décadent, suintant l’alcool, rotant sa drogue. Alors que sa femme est en train de mourir, il doit rejoindre à l’hôtel Lukardis sa maîtresse, mais son Aston Martin de 1973, qui a beaucoup vécu, est en panne. Comme lui. Il se traîne, cherche les clés, fouille dans le bordel de la banquette arrière (parmi les mules d’une autre maîtresse, des cassettes de Paula Abdul, de Serge Lama), retrouve un fond de coke, redémarre, reperd ses clés, etc. C’est un vrai chemin de croix, d’une drôlerie glaçante, où sa vie défile. Le portrait proustien d’un jet setter fonçant droit dans le mur en regardant dans le rétroviseur.

Nada Exist, de Simon Liberati (Flammarion)

Photographies LBS

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Of course Musique —

Baromètre indissociable de la culture hip hop, la taille de sa caisse est-elle réellement le meilleur indice du talent d’un MC ? Existereo, chauffard californien de 32 ans, freak tatoué et rimeur codéiné en transit dans l’Hexagone, n’a d’yeux que pour les berlines froissées. Le hip hop et vous, c’est une vieille histoire ? Existereo : Au collège, mon ami Jerry Johnson m’avait filé la cassette du second Run-DMC, King of Rock [1985]. A la première écoute, j’ai su que je ne serai plus jamais le même. Vinrent Kool Moe Dee, les Beastie Boys. Au départ, j’étais exclusivement graffeur, j’ai commencé à écrire en sortant du lycée. Ma vie c’était : me réveiller, ne pas aller à l’école, faire mes ébauches, défoncer des murs toute la journée, aller en club et me péter en after... une vie de taré. Tout ce temps, mon acolyte en graff DJ Rob One me filait des cassettes démo. Et vu que j’ai toujours écrit – des lettres, des nouvelles, des poèmes –, mon premier rap est venu tout naturellement en 1993, l’année de mes 18 ans. J’ai plongé dedans sans jamais regarder en arrière, en sacrifiant beaucoup de choses. C’est impossible pour moi de devenir pompiste : je suis songwriter. On raconte que vous avez conduit votre première bagnole, une Porsche Carrera, à 7 ans. Ma mère était un peu timbrée. Elle m’a appris à conduire sur cette vieille voiture un peu moche. De son côté, tout le monde est un peu mécano. Dans ma famille, si à 10 ans tu ne sais pas rouler une clope et foutre les mains dans le cambouis, on dit que tu es « différent ». J’ai toujours aimé les voitures de sport et conduire vite. J’ai plié tellement de bagnoles, t’imagines pas, celles des amis, en location… je trouve, quoi qu’il arrive, le meilleur moyen de me mettre dans le décor. Etre rappeur, c’est être chauffard ? Avec mes potes, sur l’axe d’Hollywood, on était de sacrés trous de balle. On roulait pleine bourre sur ces artères très étroites. Ça nous faisait plaisir de terroriser tout le monde et de créer le contraste avec ces coins de Los Angeles très clinquants. Parce que Los Angeles est aussi une ville ghetto, truffée de gangsters. On faisait ça pour attirer l’attention et le respect des cramés qui se croyaient plus siphonnés que nous. Surtout quand on sortait du club pour aller chercher des fusils à pompe dans le coffre en hurlant « Fuck You Melrose ». On faisait brûler la gomme de nos pneus, histoire de montrer qu’on était chez nous. J’aime mes voitures, mais je les ai toutes défoncées.

Un modèle de prédilection ? Une Buick 68 Grand Sport, 400 chevaux, transmission turbo. Pas géniale pour l’autoroute : si tu dépasses 70 km/h, elle fait un boucan du tonnerre. En ville, c’est une vraie bonne caisse. Mais j’ai tellement de contraventions… Je ne suis pas allé au tribunal pour régler mes excès de vitesse, je suis fiché dans tous les Etats à proximité de la Californie. Ça craint, je suis à deux doigts de me faire coffrer. En ce moment, je roule en Pontiac, celle de ma mère, que j’ai récupérée à sa mort. Ma copine l’a mise sur le toit : six mille dollars de réparations. Vous êtes tatoué et percé de la tête aux pieds, vous n’avez jamais pensé à « pimper » votre auto ? Comme mes voitures préférées sont des vieilles berlines américaines – elles n’en ont pas l’air comme ça, mais à la longue, briquer ces caisses demande un fric fou et quand tu conduis comme un furieux, elles ont toujours un pet de travers –, je ne suis pas du genre à ajouter des freins hydrauliques et des écrans plasma dans l’appuie-tête. C’est sacrilège de faire ça aux grands classiques. Je déteste Pimp My Ride, l’émission sur MTV : ils dépensent tellement d’argent pour détruire des voitures tellement belles… Quand elles arrivent au garage, ce sont des épaves. Mais elles sont coooooools, c’est moche ce qu’ils leur font. Perso, je ne suis pas contre un écran télé, mais j’ai pas besoin d’une fontaine sur la banquette arrière. Voiture de rêve ? Les voitures trop coûteuses ne m’intéressent pas plus que ça. Alors : une collection de Buick, de la Roadmaster à la Grand Sport, de 1950 à 1965. Je le ferai un jour, quand j’aurai la place et surtout pas mal d’argent de côté. J’aime aussi les Aston Martin, sans GPS. En même temps, cette connerie m’a sauvé la vie une fois : je m’étais perdu dans l’Arkansas et je ne comprenais rien à l’accent des gens du coin. Et la pire ? J’ai eu des voitures franchement pas terribles, mais je ne les blâmerai pas : je leur en fais trop baver.—

— Plymouth Hemi Superbird, 1970

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French Connection

Avec ses muscles à la Iggy Pop, sa façon toute particulière de concasser l’orthographe et de rimer aussi vite qu’au volant de sa Pontiac, Existereo est à l’aise partout. Entre de nombreux projets parallèles aux Etats-Unis (Candie 22, les Shapeshifters), le tatoué a des connexions toutes particulières avec la France : il partage la scène avec la fratrie timbrée dDamage (beau paquet de morceaux à prévoir) et publiera en octobre Cafe Americano, produit par Tacteel, Para One, Tidoberman ou Kid Rolex, chez Institubes, le label de TTC. Aussi fasciné par Tom Waits que MF Doom, Suicidal Tendencies et les Beastie Boys, ce caméléon fait naviguer sa voix caverneuse avec style, fureur et flegme. Un vrai phénomène. www.myspace.com/existereo

Entretien Antoine Allegre Portrait Félix Ledru — 51

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Of course Musique et technologie —

Frappé des compilations Thunderdome, MEC, des Motards En Colère sans moto, propose de la noise à genoux et une installation vidéo debout. Leurs revendications sont sincères, nos compliments aussi.

Le vieux dictaphone allant témoigner de cet entretien sort de sa housse. « C’est très bien : mort au numérique ! La connectique est un peu merdique » réagit Medhi, porte-parole en cette rencontre entre MEC – Motards En Colère –, excellent groupe noise version techno-bruitiste, dont le leitmotiv tourne autour des propulseurs, des pots d’échappement ou de l’odeur du bitume. « Vive l’analogique ! Ça pourrait être notre base line. » Olivier Lamm, alias Mad Max au sein de la petite formation, Stéphane Laporte, alias Cava et Medhi Hercberg alias MBC (pseudos aux raisons tenues secrètes), jouent « à la gloire de la puissance motrice ». Couverts respectivement de casques Arai, Bolle et vintage, ils manient bien mieux la pédale de distorsion que celle de l’embrayage. Aucun d’eux n’a son permis moto. Medhi conduit un scooter Yamaha Neo’s parce que c’est pratique. Une passion pour les engins cultivée comme une frustration bénéfique : « Ne pas posséder l’objet est moteur d’agressivité et permet d’alimenter notre énergie. » Une convoitise permanente qui ne les empêche pas de se qualifier, sans ironie, de « vrais motards » : « C’est encore mieux en fantasme. Nous sommes là pour porter la parole motarde. Par procuration, je vais faire battre mon cœur aux 24 Heures du Mans moto, ou à l’Enduro du Touquet. Ça me permet d’écrire des chansons. On essaie de reproduire, sinon le son, l’énergie de ces manifestations sur scène. »

proches de celles de la Fédération française des motards en colère (FFMC) : « Notre projet a une orientation machiste, ce que n’assume pas vraiment la FFMC : nous sommes le statut masculin de la moto. » Que les femmes restent au garage n’est pas le seul idéal politiquement incorrect dont MEC se réclame : « Nous avons des protestations écologiques : il faut arrêter de nous interdire les forêts et les dunes, car le plaisir de la vitesse et de la puissance de la moto prime avant tout. » Et s’ils détestent les 4x4, n’allez pas croire que c’est parce que ça pollue – « Ça c’est plutôt cool, un beau nuage de fumée, c’est magnifique » –, mais parce que leur largeur gêne la conduite des motards. MEC aime les Yamaha, les Suzuki, les Kawasaki, des bolides très racés, agressifs, comme le son qu’ils diffusent, à genoux devant leurs boîtes à effets, les mots crachés dans le microcravate installé dans le casque. Gesticulants, criants, mais sans avancer d’un poil, on peut dire que c’est des fous lents.—

En une dizaine de concerts à travers le monde – le festival Full Pull à Malmö, Emergence à la Villette, Mutek à Montréal, une tournée au Japon avec Domotic et Davide Balula –, MEC a su se créer un public aux réactions catatoniques. Macho Macho Men Les sets d’une demi-heure défendent les revendications contre les limitations de vitesse (Just In Case I Go Boom), les barrières de sécurité décapitant les motards en cas de chute sur l’autoroute (Pneu crevé), les arnaques à la réparation (Garagiste de merde). Mais également des requêtes moins — Lancia Stratos Zero, 1970

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NEED FOR SPEED

« Régressif, pulsionnel, violent. » Ainsi se définit le travail musical de MEC. Des qualificatifs déclinables pour l’installation inventée par le groupe, agrémentant leurs performances scéniques. Avec Raphaël Seguin, un copain ingénieur, et la Roll’s des logiciels orientés objets (Max/MSP/Jitter, développé par l’Ircam), les trois motards ont mis au point un jeu vidéo dont le principe consiste à hurler dans un casque, les décibels faisant varier la vitesse de la moto sur l’écran. Celui qui devient sourd a de fortes chances de remporter la course.—

Live! Le 21 septembre au Name Festival de Roubaix et le 27 au Centre d’art du Vooruit, Gand, Belgique.

Texte Magali Aubert Photographies MEC — 53

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Of course Obsession —

S’il ne restait qu’un modèle au garage de la pop culture, ce serait celui-là. Tous les premiers dimanche du mois, le château de Vincennes prend des airs de drive-in sixties : c’est le rassemblement de la « scène » Mustang française. Probablement moins impressionnant que le quarantième anniversaire de la Mustang à Nashville en 2005 (cinq mille véhicules, cent mille fans), n’empêche : même en août, à neuf heures du matin, peu de propriétaires de la légendaire Ford ne rateraient l’occasion de venir parader – et certains font jusqu’à trois cents kilomètres. C’est plus chic qu’un congrès de dingos Tuning sur le parking du supermarché d’Ivry, et pas forcément accessible au non-initié, qui se faufile entre nombre de caisses siglées du glorieux cheval, pendant que l’heureux propriétaire n’a que numéros de série et obscures filières d’importation de soupapes à la bouche. Comme le collectionneur compulsif de vinyles originaux de Queen ou le geek aux doigts carrés, la technique n’est qu’un prétexte au passionné pour toucher le mythe du bout de la bielle. « Cette voiture est difficile à entretenir », concède par euphémisme Denis Bourgeois, président du Mustang Passion Club de France, le plus gros fan-club de l’Hexagone. « Elle concentre tout le rêve américain. » Ce n’est pas pour rien que l’US Navy avait lancé ce slogan de recrutement il y a quelques années : « Les Beach Boys, la tarte aux pommes, la Mustang 1967 : trois choses pour lesquelles mourir. » Si l’on ajoute qu’un gamin anglais vient de construire une maquette de Mustang 1965 à partir de cinq mille canettes de bière, plus de doute, le songe est encore bien vivace. Deux cents films ! Début des années 60 : toutes les firmes cogitent pour trouver la voiture qui collerait aux changements sociaux et culturels du baby-boom. Chez Ford, le PDG de l’époque, McNamara, résiste, satisfait de la vieille berline à papa. Kennedy entre en fonction en 1961 et fait de McNamara son secrétaire à la Défense. Son adjoint chez Ford, Lee Iaccoca, se frotte les mains : il va pouvoir entamer son programme de rajeunissement de la marque. Et lancer le 17 avril 1964, à grands renforts de publicité, la Mustang

– une coupée, sportive et chromée, le tout pour un prix défiant tout. Le succès est immédiat : en neuf mois, sept cent mille propriétaires friment sur les routes. Un record. Mais un design racé ne suffit pas à expliquer un mythe. C’est sans doute la plus grande réussite du marketing automobile : avoir créé un objet pop sans cesse récupéré par la culture éponyme. Prenons le cinéma : depuis Bullitt, où Steve McQueen conduisait sa Mustang clope au bec, le modèle se promène dans près de deux cents films, dont Un Homme et une femme de Lelouch, deux Gendarmes à SaintTropez; et trois James Bond. Pour la musique, même aura : la Mustang résonne comme un mantra générique pour paroliers inspirés : dès 1965, le malin Chuck Berry chante « I’ve got a 1966 Cherry-Red Mustang », juste avant le tube Mustang Sally de Wilson Pickett. En France, Gainsbourg nous fera faire « Mus à gauche, Tang à droite », et quand Renaud voudra prendre une « auto-stoppeuse » en 1979, ce n’est évidemment pas en Simca 1000. Etre une Fiat Punto ? Le phénomène continue : au début de l’été, l’obscur (mais bon) combo niçois de rockabilly expérimental, les Dum Dum Boys, publient l’amusant Ouh ouh j’aimerais être une Ford Mustang. Balducci, l’auteur de la chanson, se veut prosaïque : « J’avais vraiment envie de parler de vitesse… et puis ça sonne mieux que « Ouh ouh j’aimerais être une Fiat Punto ». » Le plus drôle, c’est que Ford n’a pas arrêté de jouer sur l’image pop de son fétiche. Si l’on oublie l’assez pitoyable jeu vidéo de 2005 (Ford Mustang, The Legend Lives, décevant même les disciples hardcore), l’Américaine a réussi une formidable joint-venture rock’n’roll : lancer en coopération avec Fender, des Mustang customisées pour accueillir une guitare électrique ad hoc. Et pour la présentation de son avant-dernière série au salon de l’auto de New York, la marque engagea la presque glamour Kylie Minogue, qui raconta à la presse ses folles virées australiennes avec daddy – dans sa Mustang. Et qu’advint-il de la maquette grandeur nature en canettes de Budweiser ? Ford, évidemment, l’utilise aujourd’hui pour sa promo.—

Texte Timothée Barrière — Ford Mustang Milano, 1972

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Pochettes sélectionnées parmi les cinq cent couvertures du minutieux Cars of Vinyl du collectionneur Jacques Petit (éditions Drivers). L’ouvrage nous amène à ce constat : que vous jouiez du rock, du surf ou du tuba, que vous soyez Roy Orbison ou les Jackson Five de Madagascar, et si vous n’avez pas d’idées pour illustrer votre musique, posez près d’une auto. Vous incarnerez sans peine le mouvement, l’élégance, le danger, le courage, l’aventure. Tout ce qui fait rêver les filles.—

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Of course Cinéma —

Appel à toutes les unités : une course-poursuite du niveau de Bullitt et des meilleurs Friedkin aurait été aperçue dans le nouveau James Gray. Magnez-vous le train et faites-moi un rapport.

BULLITT

JADE

L’histoire. Chicago, vendredi soir. Le voyou Johnny Ross tente d’échapper à la pègre à laquelle il doit un paquet de pognon. San Francisco, samedi matin. Le lieutenant Frank Bullitt est chargé de protéger Ross sans savoir qui il est, avant de découvrir que son supérieur lui-même est de mèche avec les affreux. Quarante ans après, Bullitt reste dans les mémoires pour son utilisation sidérante de trois mythes américains : les bagnoles, les grandes villes, et Steve McQueen. Autos coursées-poursuivies. Dodge Charger et Mustang GT 1968. Durée de la séquence. 6’58’’. Pourquoi c’est fulgurant. Lors de sa sortie américaine, Bullitt est souvent mis à l’affiche en double programme avec Bonnie & Clyde. Les deux films fonctionnent alors comme une poussée d’adrénaline inédite à l’époque, confirmant que le cinéma est un art du montage et du son. La mort du couple de gangsters, comme l’échappée belle dans les rues de San Francisco s’avèrent inoxydables par leur degré de réalisme. Pour Bullitt, le scénariste Alan Trustman, qui trouvait l’intrigue « lente et confuse », fut catégorique : ni dialogue ni musique, rien que les montées ronronnantes des moteurs et le crissement des pneus. Le son est (quasi) live, la vitesse réelle (180 km/h) et les décors naturels. La tôle froissée aussi. Une seule chose sera trafiquée : McQueen, la star étant doublée la plupart du temps de la séquence. Mais celle-ci va tellement vite qu’on n'y voit que du feu.—

L’histoire. Un millionnaire de San Francisco est tué à coups de hachette. L’assistant du District Attorney conduit l’enquête qui l’amène à sa principale suspecte : son ancienne maîtresse, mariée depuis à un éminent avocat. Jade est l’une des bobines les plus mal-aimées de Friedkin (Bug, L’Exorciste). Ou plutôt l’une des plus mal regardées. Normal : deux ans après Basic Instinct, le thriller psychosexuel, genre déjà au bord de la parodie, tourne en roue libre. Jade brille pourtant beaucoup plus par la finauderie de son écriture et par l’art du retournement de codes. Autos coursées-poursuivies. Ford Thunderbird 1992 et Ford Taurus 1994. Durée de la séquence. 4’. Pourquoi c’est fulgurant. Pendant une bonne partie du film, le scénario de Jade évolue vitesse piéton et laisse le rouquin David Caruso (dix ans avant d’être le leader des Experts) pédaler dans la semoule. Puis, soudain, Jade s’emballe : Caruso prend sa Ford et colle au derrière d’une mystérieuse jeune femme, avant d’avancer au ralenti dans les ruelles d’un Chinatown bondé. Friedkin, grand chafouin : là où tout le monde attendait un remake époustouflant de ses propres scènes de French Connection (six minutes sous le métro aérien à poursuivre un piéton, 1971) ou Police Fédérale Los Angeles (des agents du FBI suivant des flics en sens inverse sur l’autoroute, 1985), les deux chassés-croisés les plus cinématiques jamais recensés, le réalisateur impose un feu rouge. La perspective change, le spectateur ronge encore plus son frein que les personnages, et la tension grimpe à son paroxysme sans qu’aucun coup ne soit donné sur l’accélérateur. Friedkin vient d’avoir un nouveau coup de génie : la poursuite automobile au point mort. —

William Friedkin 1995

Peter Yates 1968

— Alfa Romeo Zagato SZ, 1990

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De gauche à droite : Ford Mustang GT 1968, Dodge Charger 1971, Ford Thunderbird 1992. Ci-dessous : Ford Taurus 1994.

LA NUIT NOUS APPARTIENT James Gray 2007

L’histoire. Deux frères. L’un est flic incorruptible, l’autre fraye avec la mafia russe pour faire prospérer sa boîte de nuit. Les retrouvailles ne vont pas sans pépins. Le troisième James Gray (depuis la révélation Little Odessa en 1995) fïance le New York pré-Rudy Giuliani de la fin des eighties et le cinéma noir du Nouvel Hollywood des seventies. En 2000, à Cannes, The Yards s’était fait assassiner par la critique aux deux projections presse. Cette année, La Nuit nous appartient a été hué lors de la première projection et applaudie à la seconde (lire p. 190). Durée de la séquence. 1’30’’. Autos coursées-poursuivies. On a cru reconnaître quelques Chevrolet et une Buick. Pourquoi c’est fulgurant. Parce que cet instant synthétise à lui tout seul les enjeux du film. Aux trois quarts du script, Bobby (Joaquin Phoenix) et sa compagne (Eva Mendes) sont escortés sous une pluie torrentielle par son policier de paternel (Robert Duvall) vers une planque. Ils sont soudainement pris en chasse par la cosa nostra ruskov. D’un côté, l’alliance d’un cinéma urbain et dynamique à l’ancienne, et d’effets spéciaux ultramodernes (la pluie toute en CGI – images de synthèse). De l’autre, une vision claustrophobe – la séquence est quasi uniquement captée en vue subjective, celle de Bobby, devant à la fois maintenir la route et assister à la mise à mort de son père. Entre impuissance et nécessité de contrôle, c’est tout le poids d’un tragédien grec au volant d’un acte remarquable.—

Ci-dessus : La Nuit nous appartient

Ci-dessus-dessous : Scènes extraites de Bullitt

La Nuit nous appartient sortie le 28 novembre

Déposition Sgt Alex Masson — 57

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Of course Cinéma bis —

De Boulevard de la mort à Transformers, l’été a eu son lot de tôle froissée. Christophe Lemaire, archiviste éclaté d’un certain cinéma populaire pour Mad Movies et Rock&Folk, éclaire aux phares un sous-genre légèrement cabossé : la « carsploitation », ou film de bagnoles. Christophe Lemaire : « A la base, je ne suis pas fan de bagnoles et je n’ai pas le permis. Alors, les films de courses comme Grand Prix de John Frankenheimer avec Yves Montand [1966] ou Jour de Tonnerre [Tony Scott, 1990] avec Tom Cruise, m’ennuient. Dans le genre, optons pour les films un peu nihilistes, destroys. »

POINT LIMITE ZÉRO

LA COURSE À LA MORT DE L’AN 2000

(Vanishing Point, 1971) Réalisation : Richard C. Sarafian.

(Death Race 2000, 1975) Réalisation : Paul Bartel.

« Super culte. C’est l’histoire d’un ex-Marine, ex-flic et ex-coureur de stock-car, qui fait le pari de livrer une Dodge Challenger R/T de Denver à San Francisco en moins de quinze heures. Poursuivi par les flics pendant tout le film, il est aidé par des cibistes qui le poussent à gagner. Un hymne à la liberté très typique du début des années 70 : il roule à donf dans le désert et on est avec lui, plutôt que du côté des flics. Charlotte Rampling tenait le rôle d’une autostoppeuse, scène coupée au montage. »—

« Mon préféré ! Produit par Roger Corman, grand manitou mondial de la série B. Une BD super violente, totalement nihiliste. Le principe : lors d’une course intercontinentale, les chauffeurs gagnent 30 points s’ils renversent un adulte, 70 si c’est un enfant et 100, le summum, si c'est un vieillard. C’est le premier long métrage que j’ai vu interdit aux moins de 18 ans – j’avais 15 ans – et le premier rôle important de Stallone, qui joue le méchant, « Mitraillette Joe », totalement hystérique face à David Carradine, surnommé « Frankenstein », en cuir noir. Stallone allait devenir célèbre juste après : sur le tournage, il essayait de vendre le scénario de Rocky à Corman, qui l’envoyait chier. C’est l’une des rares créations originales de ce pompeur de Corman. Ironie du sort : Tom Cruise en produit le remake, Death Race 3000, réalisé par Paul W.S. Anderson (Alien Vs Predator). A Hollywood, ils sont tellement à la ramasse niveau idées, qu’après les classiques, ils puisent dans les scénarios à petit budget. »—

RICKY BOBBY ROI DU CIRCUIT (Talladega Nights : The Ballad of Ricky Bobby, 2006) Réalisation : Adam McKay. « Je suis fan de Will Ferrell depuis Ron Burgundy. Il joue toujours un personnage de crétin, ici pilote de course aux côtés de Sacha Borat Baron Cohen. Drôle et débile. Les courses de bagnoles sont plutôt saisissantes, pas parodiques comme dans Jours de tonnerre. »—

— Porsche 911 Targa, 1976

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LA FOLLE CAVALE

BOULEVARD DE LA MORT

(Speedtrap, 1977) Réalisation : Earl Bellamy.

(Death Proof, 2007) Réalisation : Quentin Tarantino.

« Une vraie série B, représentative des films de carambolages de l’époque. Un voleur de voitures est pourchassé par les flics et ça finit par des accidents monstrueux. Pas génial, mais le rôle principal est tenu par Joe Don Baker, un type au physique trapu à la Brando, présent dans de nombreux films d’action des seventies. A voir aussi : La Grande Casse, ou le pas très bon 60 Secondes chrono original, pas le remake nullissime avec Nicolas Cage. Qui inspira aussi le premier Ron Howard, Lâchez les bolides (Grand Theft Auto), sorti en 1977 et produit, encore, par Corman. »—

« Tous les films que je viens de citer, Tarantino les a vus. La course finale – un quart d’heure ! – est vraiment incroyable. A l’ère du cinéma numérique, il filme à l’ancienne, Zoé Bell fait ses propres cascades, c’est totalement kamikaze. N’importe qui aurait mis des trucages. »—

MAD MAX

ET MAD MAX 2, LE DÉFI (1979 et 1981) Réalisation : George Miller.

ET TRANSFORMERS ? (2007) Réalisation : Michael Bay.

« Vraiment géniaux. A l’époque, Mad Max était classé X en France et mon père m’a emmené le voir en Belgique – en bagnole. La caméra était au plus près des véhicules et ceux-ci roulaient à fond. J’aime cette sensation qui te fait penser « merde, le cameraman peut se faire exploser la gueule à tout instant ! » D’ailleurs, il y eut un mort : un cascadeur est tombé par terre et sa moto lui a roulé dessus et brisé la nuque. Ils ont gardé le plan à l’écran, paraît-il. Il doit y en avoir, des coureurs automobiles, avec des posters de Mad Max dans leurs chambres. »—

« Ça me gave un peu les effets spéciaux sont super impressionnants, mais ça va trop vite, tu n’as pas le temps de regarder les robots qui cassent tout. En revanche, j’étais avec des potes et Christophe Gans (Le Pacte des loups, Silent Hill), qui est fou de ça : il l’a vu trois fois. »—

ENFER MÉCANIQUE (The Car, 1977) Réalisation : Elliot Silverstein.

« C’est une copie de Duel de Steven Spielberg (1971) que je préfère à l’original. Une grosse bagnole sans conducteur débarque et fout la pagaille dans une toute petite ville américaine, en écrasant les gens. Le dernier plan m’avait traumatisé : la voiture tombe dans un ravin et, dans les flammes, on aperçoit le diable. »—

Christophe Lemaire ressuscite le magazine Brazil, en kiosque mi-septembre.

Entretien Jean-Emmanuel Dubois — 59

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Of course Art —

Devenue encombrante, inadaptée à la cité, la voiture continue d’évoluer sous d’autres formes : hybrides, écologiques… Elle reste une source d’inspiration artistique, mais nouvellement teintée de nostalgie.

Rêve moderniste pur de l’accélération, acte d’une puissance en tant que puissance : l’ère industrielle conquiert la vitesse, faisant de la voiture une carapace pour l’homme. La mécanique fascine, elle fait de nous des dieux dominant l’espace. L’art moderne y puise son iconographie et, depuis l’époque de « la machine célibataire » de Duchamp, la libido, vue comme une mécanique, entre au musée. Puis vient la limitation de vitesse, une désillusion moderniste. S’il a fallu freiner l’homme, c’est que la force de la machine souligne la fragilité du corps, comme celle des épaves humaines des Car Crash de warhol On trouve une remise en cause similaire dans le travail de Jason Rhoades, Bertrand Lavier, Gabriel Orozco, Erwin Wurm et Adel Abdessemed. Telle quelle, écrasée, tronquée, gonflée ou calcinée, la voiture subit des traitements permettant, à travers chaque singularité, de « revisiter » cet objet familier. Par ailleurs et au-delà de la spécificité des formes, de l’utilisation de la voiture comme matière première, ce sont des comportements, des lieux, des fantasmes qui sont générés (pages suivantes) par le jeu de courses de Tom Sachs, les paysages routiers de Kristina Solomoukha ou l’engin bande-son de Davide Bertocchi. Dans leurs visions, l’objet disparaît pour céder la place à ses traces symboliques. L’« extension » de Jason Rhoades La voiture s’impose dans l’œuvre du Californien Jason Rhoades, fasciné par les machines. Alors qu’il mettait à profit ses temps de trajet en investissant sa voiture comme son atelier, sa Chevrolet devient un musée personnel ambulants, pour lequel il remplit les fonctions de directeur et commissaire d’exposition. L’habitacle contient des objets personnels déposés par ses amis invités : Sylvie Fleury a choisi un écrin en fourrure et le seul parfum américain de

Chanel, le n° 22, pour le compartiment à gants ; dans le coffre, on trouve la reconstitution d’une œuvre mythique de Dieter Roth : des valises pleines de fromages fondants qui, appelant l’odeur, rappellent que la voiture est un lieu intime. Envoyé en Europe en juin 1998, ce musée roulant circule entre des centres d’art avec des plaques minéralogiques californiennes, témoins d’un long voyage. Des déplacements de cette Impala Super Sport, rebaptisée International Museum Project About Leaving and Arriving Super Space, naît une œuvre en devenir qui, garée sur le parking, ne franchissant pas la porte du musée, comme un refus de l’immobilisme de l’institution, privilégie les zones transitoires mobiles. Le « road movie » de Bertrand Lavier Bertrand Lavier propose la carcasse accidentée d’une Alfa Romeo rouge. Un ready-made qui entraîne le spectateur dans un scénario, conférant à cet « objet-signe » un statut dépassant le simple concept. Quelle cascade a pu produire une telle destruction ? Qu’en est-il des occupants ? On remarque en regardant attentivement cette sculpture, nommée Giulietta, que seul le nom de « Romeo » est resté sur la carrosserie. Une tragédie moderne réunit deux amants dans une explosion de métal. L’histoire se lit dans la violence des traces. La préciosité de la voiture (à l’instar de César, il a choisi un modèle fétiche) n’est pas sans évoquer la fin du Mépris de Godard : la mort de Jack Palance et Brigitte Bardot. Sa couleur rouge vif accentue l’effet cinématographique. Le crash a un fort pouvoir fantasmagorique, image de la passion que l’on peut éprouver pour une voiture et représentation d’une histoire dense dans le concentré d’énergie de la tôle froissée. Le « souvenir » de Gabriel Orozco La DS (1993) de l’artiste mexicain Gabriel Orozco est une

— Vector W2, 1979

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Ci-contre : « La D.S. », Gabriel Orozco 1993, Voiture Citroën DS 19 de 1970 reprofilée, 144 x 120 x 488 cm, Collection Fonds national d’art contemporain Ci-dessous : « Practice zero tolerance », Adel Abdessemed 2006, Terracotta, 390 x 140 x 108 cm Collection François Pinault

automobile, en fait proches des critères esthétiques des magazines féminins : elle se doit d’être fine, élancée, solide, performante. Une fois gonflée, elle perd les caractéristiques des arguments de vente pour devenir un objet grotesque et inadéquat. On dirait un gros enfant capricieux. Une image à peine démesurée.

Citroën à la forme très dynamique. Mincie d’un tiers de sa largeur, et n’offrant plus qu’une place, la DS 19 prend une silhouette athlétique et élancée. Ses courbes forment une pointe à l’avant, comme une flèche qui fend l’air. Une face agressive qui contraste avec son allure confortable et ample d’origine. Cette voiture faite pour accueillir une famille devient un espace exigu pour célibataire. Seul, face au pare-brise, il est entraîné dans un mouvement intérieur, un retour sur soi à l’image de cette DS sortie de nos souvenirs d’enfance. La mise en parallèle du culte de la voiture, de la déesse et de l’art, pose l’œuvre dans une perspective classique. Cependant, ce droit de toucher, voire de pénétrer, trouble ce statut iconique.

La « terre brûlée » d’Adel Abdessemed La possession d’un véhicule (et sa marque) est un enjeu social. Les soulèvements dans les banlieues sont caractérisés par des incendies de voitures, cibles choisies non seulement pour leur inflammabilité, mais aussi pour cet aspect symbolique par lequel chacun se sent concerné. Lorsqu'Adel Abdessemed fait le moulage d’une ossature calcinée en terre cuite, il sacralise ce geste de rebelle : le parallélisme terre cuite-voiture cuite transfère l’incendie dévastateur en phénomène artistique. Cet acte de destruction crée une construction de grande qualité plastique, au noir très dense et à la texture très riche. Practice zero tolerance (2006) est un symbole de rébellion dans l’enceinte de l’institution avec une mise en forme des plus classiques : une sculpture en terre cuite ; une brèche qui donne la force de l’œuvre de cet Algérien ayant fuit le

Le « caprice » d’Erwin Wurm Erwin Wurm utilise le quotidien pour le faire basculer dans une mise en scène absurde et décalée. Sa Fat Car (2000) enfle les formes d’une Alfa Romeo. Bouffis, les traits des véhicules s’humanisent, les couleurs vives des différentes versions leur donnent l’aspect alléchant de friandises. Le revers du capitalisme, la consommation à outrance mène à l’obésité, et rend la voiture caduque. Ce grossissement souligne les codes qui sous-tendent le design — 61

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Of course Art (suite) —

durcissement du pouvoir de son pays en 1994.

des vaisseaux sanguins qui irriguent les villes. Ce réseau se révèle une organisation fluide, à l’intérieur d’un complexe plus important, où l’individu disparaît au profit d’une structure qui l’englobe et le dirige. Emporté dans le flot des courbes qui donnent une sensation d’ampleur et de vitesse, l’œil parcourt une surface immense, et cette géographie de nulle part semble recouvrir le monde.

La pulsion de jeu de Tom Sachs Entre terrain de création et terrain de jeux, Nutsy’s (2003) de Tom Sachs est une course de voitures miniatures dans une ville recomposée où sont rassemblés des éléments disparates issus des utopies modernistes et de la grande consommation contemporaine. Les rails parcourent un ensemble urbain où se côtoient une reconstitution fidèle de l’unité d’habitation de Le Corbusier, un McDonald's et un ghetto, dans un style « bricolé » propre à l’artiste et contrastant avec la précision des éléments. Sans hiérarchie, l’ensemble est à parcourir au rythme d’une course de jouets. Le spectateur retrouve son comportement d’enfant dans la manipulation des télécommandes, éprouvant cette compétition permanente qui existe dans tous les milieux, et cette façon de passer sans conscience à travers le réseau urbain. La ville concentre les pouvoirs.

Si vous étiez une voiture ? Kristina Solomoukha : « Je me reconnais assez bien dans un camion semi-remorque… Voici quelques termes spécifiques : Camion semi-remorque : poids lourd servant à transporter des marchandises lourdes. Cheminée : tuyau par lequel s’échappe la fumée. Feu de gabarit : lumière indiquant la forme et la dimension du véhicule. Capot : couvercle ouvrant de la carrosserie, situé à l’avant du véhicule, au-dessus du moteur. Pare-chocs : dispositif situé à l’avant du véhicule, protégeant la carrosserie des chocs mineurs. Semi-remorque : appareil à roues, sans moteur, fait pour être tiré. Tracteur : appareil à roues, avec moteur, fait pour tirer. Aile : partie latérale de la carrosserie qui couvre les roues. Rétroviseur : miroir permettant de voir en arrière. Sirène : appareil servant à produire un signal sonore puissant. Déflecteur : appareil qui change la direction de l’air. »

Si vous étiez une voiture ? Tom Sachs : « Je suis une Plymouth Volare wagon de 1976 vert forêt. Je suis aussi un coupé Porsche 993 de 1997 argent. Souvent je suis une Honda Civic (5 portes) de 1984 bleu clair et cabossée, ou une voiture de police blanche sans traces, Chevy Caprice de 1989. J’aimerais être une Citroën DS restaurée ou une Porsche Spyder en aluminium de la fin des années 50. Mais aujourd’hui je marche. »

La douceur des échangeurs de Kristina Solomoukha Les vues aériennes de réseaux routiers The Geography of Nowhere, de Kristina Solomoukha, sont dessinées avec une aquarelle fine et légère. La fluidité de la peinture contraste avec la dureté de ces structures en béton et acier, cette fragilité picturale fait envisager ces réseaux comme une structure presque organique. La douceur des arabesques évoque une fleur, un papillon, des signes mystérieux sur le sol. Des routes parallèles tournent en rond et ne se croisent pour ainsi dire jamais. Lancée sur ces bretelles d’autoroute, chaque voiture, isolée des autres, participe au flot urbain

La bande-son de Davide Bertocchi Pour beaucoup, la musique est une part importante du plaisir de rouler. Le défilement du paysage et le sentiment d’évasion que procure la route sont alors liés à une musique. Davide Bertocchi crée un moyen de locomotion constitué d’une bande-son : Top 100 est un objet hybride constitué d’un corps de kayak et de roues en disques vinyles des 100 chansons préférées de 100 personnalités du monde de l’art contemporain. Une « automobile » aux allures de Formule 1 qui « flotte » sur des choix. La vitesse sous-tend

Ci-dessus : « Top100 », Davide Bertocchi 2003-2007, Courtesy de l’artiste Ci-contre : « Nutsy’s », Tom Sachs 2002, Courtesy de l’artiste

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« The Geography of Nowhere 1 & 2 », Kristina Solomoukha 2006, Aquarelle sur papier, 70 x 100 cm chacune Collection particulière

cette sculpture, mais c’est une vitesse qui s’annule : si les disques tournaient, ils n’émettraient pas de son et si le kayak avançait, il tournerait en rond. Machine déceptive, elle incarne néanmoins la nostalgie d’une centaine de personnes – comme si les sensibilités pouvaient s’additionner – et nous emporte dans un rythme virtuel, créant ce rapport troublant entre musique et déplacement. Si vous étiez une voiture ? Davide Bertocchi : « Je pense ressembler à ma voiturekayak Top 100 : elle se promène de lieu en lieu et s’expose comme une énigme. Objet voué à tourner en rond si d’aventure il devait se déplacer. »—

Art & Automobile, Cité de l’automobile, musée national, collection Schlumpf, Mulhouse Du 19 septembre 2007 au 31 janvier 2008.

Texte & entretiens Patricia Maincent — 63

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Of course Art & mode —

En art ou en mode, en France ou aux Etats-Unis, Radiomobile ou HEARTSCHALLENGER : ils ont choisi de véhiculer un message pétaradant. Radiomobile

FORTE FIESTA La personnalisation d’un véhicule de série caractérisée par l’installation d’accessoires extérieurs et intérieurs, cela s’appelle du tuning. Détournée en festival de musique, ça devient Radiomobile. Le duo artistique Kolkoz (Benjamin Moreau, 34 ans et Samuel Boutruche, 35) a initié la rencontre festive et artistique autour du tuning, dans le même but d’esthétique et de performance que ces réunions populaires. Mais voilà, en choisissant d’en confier la production musicale à la clique du Baron et de recruter les participants dans le milieu de la presse et de l’art contemporain, la décomplexion d’une certaine élite vis-àvis du tuning a bien eu lieu. Radiomobile est diffusée en direct dans les postes de tous les détenteurs de voitures tunées. Soumis à un jury, des créateurs (Ora-ïto, Thomas Lélu…) et leur équipe (en général ceux qui ont passé leurs soirées d’hiver au Paris Paris) – relative à une écurie (galerie, magazine) – se déplacent vers des lieux d’art. Le parcours de cet

été aura relié la foire de Bâle au musée de l’Automobile de Mulhouse, et aura récompensé Olaf Mooij pour The Braincar. La voiture la plus connue à ce jour est la Visa Gold qu’Olivier Babin (cf. Standard n° 2) a élaborée pour l’édition 2002. Un peu la même histoire que l’entrée des graffitis au musée. Pourquoi avoir choisi l’univers de l’automobile comme moyen d’expression ? « Les mouvements populaires de customisation nous ont toujours intéressés, pour leur côté fédérateur. Mais l’origine du projet vient d’une nécessité festive. Au début des années 90, les raves étant interdites, la mobilité a été un moyen assez drôle d’empêcher l’annulation de ces fêtes sauvages. L’idée consistait à inviter les DJ dans un studio de radio (pirate ou officiel) et de demander aux participants de se réunir en cercle munis d’un gros sound system, coffres et portières ouverts. Branchés sur la même fréquence, les autoradios amplifiés des centaines de voitures faisaient office d’énorme haut-parleur. Les phares et autres clignotants se chargeaient de l’ambiance lumineuse. »—

— Citroën Rosalie course, 1932

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HEARTSCHALLENGER

MACADAM EST SERVI

Pourquoi avoir choisi l’univers de l’automobile comme moyen d’expression ? « Cela nous a semblé la meilleure solution pour développer notre petite entreprise. Nous n’avions pas envie d’ouvrir une boutique et attendre que les gens viennent à nous. Nous pouvions nous rendre partout où il se passe quelque chose. Nous allons vers l’action. C’est génial de pouvoir être à différents endroits le même soir. Nous avons essayé de mettre au point le véhicule le mieux adapté à ce que nous voulions partager : les saveurs du goût, de l’écoute, du toucher et du ressenti. »—

Comment monter soi-même son job arty ? Leyla Safai et Benjamin Pollock vivent entre New York et Los Angeles grâce à leurs deux camions de glaces. Depuis deux ans, ils promeuvent leur musique HEARTSREVOLUTION et leur marque HEARTSCHALLENGER en vadrouillant de festivals en soirées, à l’intérieur d’un charmant petit habitacle designé par leur soin. Pour la gloire (showcase et mini-galerie) et pour l’argent de poche (sucreries, jouets et mixtapes, t-shirts, vinyles, stickers), ils roulent, allant supporter les gens qu’ils aiment, offrir leur bonne humeur sur des événements qui le méritent. Le camion rose est en train de faire le tour du monde au gré des fashion week, Londres, Paris cet automne et Tokyo pour le nouvel an. Quand on leur demande comment ils en sont arrivés là, Ben et Lo répondent comme dans une interview de Céline Dion : « Par la puissance de l’amour. » Sauf que ça sonne comme une chanson de Bob Dylan.

Les disques (disponibles chez Colette) C.Y.O.A! (White Heart Shaped Vinyl) 6» Glow in the dark Vinyl (Split records w/Crystal Castles) Les goodies www.heartschallenger.com/store

Texte Magali Aubert Photographie HEARTSCHALLENGER Bastien Lattanzio — 65

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Of course Portfolio #2 —

Four women par Matthew Porter

— Matthew Porter possède une Ford Mustang 1969 équipée d'un moteur Cobra Jet V8

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Of course Portfolio #2 —

— "Burnout/Supercharged" ©2007 Matthew Porter

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Of course Sciences et techniques —

Au sud de l’Angleterre, nous avons testé « l’Amphijeep », yellow car capable de traverser la Manche en sept heures, c’est-à-dire moins vite qu’un zodiac. Il s’excuse d’avoir les mains dans le cambouis puisqu’il démonte une boîte de vitesses. Tim Dutton est souriant, dégarni, les cheveux blancs, la cinquantaine énergique. Il parle vite et glousse de ses propres vannes (pourries). C’est le portrait craché de Louis de Funès et, comme l’acteur agaçant du Petit Baigneur (1968), il tient un chantier naval – pardon, un garage. Car Tim Dutton est l’inventeur farfelu de la seule voiture amphibie commercialisée à l’heure actuelle : l’Amphijeep Commander S2. Et ça le fait bien marrer : « Lorsque mes clients se garent à côté d’une Lamborghini ou d’une Porsche, c’est toujours l’Amphijeep qui est la plus regardée. » Ben oui : une voiture/bateau, ça en jet(te). Nous sommes à Littlehampton, charmante station balnéaire de la côte sud de l’Angleterre, à 62 miles (cent bornes) de Londres, entre Brighton et Portsmouth. Au bout de deux heures trente d’Eurostar et trois de tortillard Southern Railway, on aperçoit le garage de Dutton depuis la gare. « Ici, c’est la Floride du Royaume-uni : les retraités anglais viennent y mourir », pouffe de Funès, avant de préciser : « J’ai toujours habité dans le coin, mais depuis que je fabrique des voitures amphibies, je me suis installé sur la marina. » Son hangar en tôle n’est pas très bien rangé, il y a de la fibre de verre partout, ça sent la résine plus que l’huile chaude propre aux garages normaux. Ce taudis est l’usine de fabrication des voitures qui flottent, vieux rêve de gosse, vu et revu à la télé dans Inspecteur Gadget et James Bond (dans L’Espion qui m’aimait, 1977, une Lotus Esprit se transforme en sous-marin), la voiture amphibie est le gadget ultime, un truc qui amuse n’importe qui, même les plus réfractaires aux bagnoles. Le cahier des charges est simple : une carcasse waterproof qui se déplace sur l’eau grâce au même moteur que celui qui entraîne les roues. 4x4 Suzu-kit « Depuis 1969, je fabrique, en kit, des voitures de sports, des cabriolets, des coupés et même des breaks tout-terrains, explique Tim devant un mug de thé à la propreté douteuse. Le client monte la voiture lui-même. Pas besoin de se fatiguer, d’autant que l’industrie automobile produit des moteurs

ou des suspensions en grande série. Il suffit de choisir des véhicules donneurs populaires, qu’on trouve partout. Pour l’Amphijeep, j’ai pris comme base le petit 4x4 Suzuki. » Le gros du boulot consistait à concevoir le chassis-coque. Le choix du matériau : de la fibre de verre, utilisée sur les voitures (le Renault Espace) et les bateaux de plaisance depuis des décennies. Son entretien est facile et la technique du moulage permet de construire des kits en petite série – actuellement vingt par an. La seule différence avec un bateau à moteur classique, c’est que la coque doit supporter des organes immergés : les essieux. Le reste des composants de la voiture (sièges, tableau de bord, moteur, boîte de vitesses) reste à l’intérieur, au sec. Enfin, pour entraîner l’engin sur l’eau, Dutton utilise un système hydrojet identique à celui des scooters des mers. Une hélice, entraînée depuis la boîte de transfert, est enfermée dans une gangue et rejette l’eau comprimée à l’arrière du véhicule. Un léger gouvernail permet de diriger l’embarcation. De quoi atteindre six nœuds, soit 11 km/h, la vitesse d’un président de la République joggant au bois de Boulogne. Cachalot tape-cul Il faut reconnaître que l’Amphijeep a de la gueule. Sur le parking de la marina, ce 4x4 en forme de cachalot est plutôt avenant. La couleur, jaune vif et bleu marine, ajoute une touche criarde au tableau. « Bienvenue à bord » lance Bob, le fidèle homme de main de Dutton, à l’humour british un peu plus fin. Il sera notre instructeur : « C’est pas dur. Sur route, l’Amphijeep est un 4x4 comme les autres, un peu tapecul, mais ça roule à 130 sur autoroute. Pour naviguer, il suffit d’enclencher l’hydrojet en maniant la molette rouge près du frein à main, et d’enclencher le troisième rapport de boîte. » Enfantin. Et, en effet, on rit comme un gamin en fonçant dans l’eau avec un gros splash. On actionne les essuie-glaces et se retrouve, au volant, à flotter comme sur le zodiac de l’oncle Ernest. On se fend la gueule à courser les cygnes sur l’eau, mais déchante un peu quand le vent et le courant nous déportent. Sur l’eau, l’Amphijeep se comporte comme un bateau. Il faut donc veiller à ne pas dériver, ajuster

— Peugeot 402 Darl'mat Marcel Pourtout, 1936

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1944 VW type 166 « Schwimmwagen ». Véhicule militaire allemand construit sur la base de la Coccinelle. Sur les 15 000, 125 existent encore. En l’absence de gouvernail, le véhicule se dirigeait à la pagaie.

1961-1968 Amphicar. Le plus gros succès de voiture amphibie avec 3 800 exemplaires vendus. Simplicité d’utilisation mais terrible fragilité de la carrosserie-coque, qui rouillait.

sa trajectoire et garder le cap, euh… comme en mer, quoi. Pour remonter sur la terre ferme, aucun problème. Dès que le train avant touche la jetée ou la plage, on enclenche la première, les quatre roues motrices font le reste. Génial.

1980 Poncin VP 2000. Véhicule passe-partout 100 % français à six ou huit roues motrices, équipé d’un moteur de 2 CV. Problème : les Poncin n’étaient pas immatriculés et furent donc interdits sur route.

Dans le port d’Amsterdam Combien ça coûte ? Contre 15 000 livres (22 300 euros), Dutton livre un kit complet avec un manuel d’instructions très détaillé. S’ajoute le prix du véhicule donneur : un Suzuki Jimny, à partir de 12 000 euros neuf. D’occasion, c’est mieux. De toute façon, les pièces doivent être démontées et traitées contre la corrosion avant d’être réinstallées dans la coque moulée. Si on est riche et flemmard, pour 36 000 livres (53 500 euros), Tim monte le kit lui-même avec son équipe de lads édentés, aux cheveux longs, blonds et gras.

1985-1990 Amphiranger. Gros 4x4 fabriqué à 60 exemplaires en Allemagne. L’hélice était entraînée par un moteur électrique, mais la carrosserie en aluminium était beaucoup trop frêle.

1990-1996 Hobbycar B612A. Joli véhicule fabriqué en Loir-et-Cher, avec suspensions Citroën et pare-brise escamotable. Dommage que l’engin n’ait pas de capote, en cas de pluie.

« Depuis l’an 2000, on a vendu 99 véhicules, le prochain acheteur aura la n° 100 », se vante le père Dutton. Mais qui achète une Amphijeep ? « Certains s’en servent comme annexe sur leur yacht, d’autres habitent sur des îles privées. Il y a aussi quelques professionnels, dans le port d’Amsterdam, qui utilisent l’Amphijeep comme voiture de fonction. » Ha ! ha ! ce serait le moyen de transport idéal pour éviter les bouchons des voies sur berge de la Seine ? D’ailleurs, pour prouver la fiabilité au quotidien de son bateau à roues, Tim a traversé la Manche en novembre 2006, en sept heures et neuf minutes, de Douvres à Calais. Finalement, c’est plus long que la durée du retour de Littlehampton à Paris. On se console comme on peut… En attendant de gagner au loto.—

2003 Aquada Gibbs. La Britannique annonce 50 km/h sur l'eau et 160 sur terre. Sir Richard Branson a traversé la Manche avec, mais aucun véhicule n'est commercialisé.—

A partir du 14 novembre 2007, au moment où Eurostar arrivera dans sa nouvelle gare au cœur de Londres (St Pancras International), le temps de parcours entre Paris et Londres sera alors de seulement 2h 15. A partir de 77 euros ll’aller-retour Réservations : www.eurostar.com ou 08 92 35 35 39 (0,34 euros/minute)

Textes & photographie Alexandre Lazerges (à Littlehampton) — 71

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Of course Sociologie —

Blonde, citadine et apprêtée, notre journaliste a vécu trois jours en cabine avec les rois de l’autoroute. Un carnage ? Plutôt une rencontre avec la génération straight des néo-routiers. Une bourgeoise chez les routiers. Ça sonne un peu porno mais c’était – en substance – le pitch d’une très sérieuse enquête commandée par une boîte de sociologie. Au programme : des entretiens avec chauffeurs et patrons de petites entreprises de transport, ainsi qu’un périple CalaisLondres embarquée dans un 35-tonnes. Les routiers sont atteints du syndrome « trains en retard » : une profession très mal perçue, souffrant dans l’inconscient collectif de clichés solides et dont on ne parle qu’en cas de grève, de pollution ou de viol de jeune autostoppeuse anglaise. Mon entourage trépignait : « Comment c’était avec les routiers ? » Chacun m’imaginait dans une cabine pleine de posters dégoûtants aux côtés d’un conducteur tatoué et aviné, portant en fringues ce que ce rustre boit par mois. Tout faux. En route vers le Bedfordshire, c’est avec JeanPierre, 40 ans, deux enfants, en instance de divorce, que je vais découvrir le monde des « néo-routiers ». « Les gars racontaient trop de conneries » Dans son beau camion Peugeot rouge flambant neuf – un vrai rêve de petit garçon –, point de pin-up mais quelques livres pour ses longues soirées solitaires, et une télé « pour les infos ». Jean-Pierre n’ose pas fumer, me demande si ça me dérange, et très vite, devient intarissable sur le chagrin d’amour qui lui brise le cœur. Nous voilà devisant sur le couple, lui, conduisant avec précaution, moi, reine de la route à trois mètres au-dessus des automobilistes, tellement à l’aise que je m’endors paisiblement. Mais où est passée la grossièreté ? Les excès de vitesse, les ripailles arrosées, la main aux fesses des serveuses ? Quinze rendez-vous plus tard, ce qui n’était qu’une intuition s’impose comme une vérité : tatouages et bitures appartiennent au passé. Aujourd’hui, le camionneur veut rentrer voir femme et enfants le plus souvent possible, est à la pointe du développement durable et respecte les règles, car il a « tout à y gagner ». Tous les poids lourds sont aux

normes européennes, au point d’être dorénavant moins nocifs que nos voitures. Il a abandonné l’idée de jouer les fous du volant, les camions étant bridés. L’éternelle radio cibi ? Terminé : le routier d’avant-garde s’en est débarrassé depuis longtemps, « les gars racontaient des conneries toute la journée », ne regrette pas Jean-Pierre. Quant aux mythiques restos routiers, ils sont de plus en plus remplacés par des sandwiches avalés vite fait dans le bahut – économie oblige. Les Ogres de Varsovie What happened? L’ouverture à l’Est – qu’on appelle plutôt « concurrence déloyale » dans le métier –, ils y résistent en trouvant les failles, en valorisant des qualités qui, me dit-on partout, « ne se retrouvent qu’ici » : propreté, ponctualité, respect des règles. S’il y a toujours eu un certain corporatisme dans la profession, les néo-routiers endossent maintenant le costume des Gaulois irréductibles, gardiens du travail bien fait depuis l'apparition de ce nouvel ennemi commun : l’Ogre de Varsovie. Le chauffeur polonais, caricature du routier de l’Est, s’illustre avec succès dans le rôle du dernier de la classe, du pitre beauf à côté duquel son homologue hexagonal incarne une irréprochable perfection. Payées 400 euros (environ trois fois moins que nos compatriotes), roulant des semaines entières nourris « d’un kilo de patates et d’oignons », ces bêtes humaines n’embêtent personne pour rentrer chaque soir au bercail. Sans arrêt à l’origine de disputes sur des thèmes divers, principalement liés à l’hygiène, à la vitesse de l’éclair, le Polonais s’est construit une réputation de cochon (« on m’a dit qu’ils faisaient leurs besoins dans leur cabine »), ivrogne et sans gêne. Responsable, conscient et professionnel, le routier français, naguère symbole de la « France d’en bas », est en train de devenir une sorte d’élite dont on s’arrache les services. Marins consciencieux Quelque part en France au bord d’une nationale, derrière

— Kenworth Class 8 German Custom, 2005

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son bureau jonché de paperasse, de camions miniatures et de photos de son premier « semi » acheté dans les années 70, un patron parle du problème essentiel des transporteurs : l’impossibilité de trouver de la main-d’œuvre, obstacle au développement obligeant parfois certains à fermer boutique. « D’ici quelques années, il n’y aura plus de bons chauffeurs. C’est un métier qu’il faut aimer. Les jeunes n’aiment pas : ils ne veulent pas découcher, ils veulent des loisirs… C’est une question de génération. » Parfum de fin d’époque, quelque chose d’émouvant dans cette façon par exemple d’appeler ses employés « mes gars », dans cette solidarité forgée dans la solitude et la conscience permanente du danger, se saluant de la main quand ils se croisent… Des marins de la route. Avec, injustement, la noblesse en moins.

Alors que je rentre chez moi – en train – avec une collection de t-shirts, de polaires et de coupe-vents XXL aux couleurs des transporteurs britanniques et français, généreusement offerts par tous ces gentlemen, un raccourci me vient : pendant que mes amis préparent leur accident cardiovasculaire en angoissant sur l’avenir, Jean-Pierre et ses collègues aiment leurs femmes, élèvent leurs enfants et réaffirment une conscience professionnelle à toute épreuve. Je me rappelle que Jean-Pierre, au cours d’une conversation, avait eu cette drôle d’expression qui m’avait beaucoup plu : « dans mon inconscient collectif personnel ». C’est justement ce qui vient de se passer : quelque chose a dû changer dans mon inconscient collectif personnel.—

Texte Valentine Faure (entre Londres et Calais) Photographie Le Bureau Standard — 73

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Of course Ecologie —

Bitumes dépolluants, chaussées roses : depuis plus d'un an, dans les Côtes-d'Armor, les revêtements verts, c'est pas sorcier. « A défaut d’avoir du soleil, il faut avoir des idées ! » plaisante Patrick Leweurs, directeur des infrastructures du conseil général des Côtes-d’Armor. Ce passionné d’innovation se révèle intarissable sur les dispositifs anti-pollution qu’il a contribué à mettre en place dans son département : « Avec 4 500 kilomètres de routes, nous possédons un vaste terrain d’expérimentation à disposition des projets de préservation de l’environnement. » Attirés par cette audacieuse politique (initiée par le président du conseil général, Claudy Lebreton), les laboratoires des plus grandes entreprises accourent de toute la France pour tester grandeur nature leurs essais jusqu’alors confinés. Goudron dépolluant C’est à Dinan qu’a été mis à l’épreuve le revêtement qui absorbe les gaz d’échappement. Développées selon un procédé made in France résolument innovant, ces routes mystérieuses, plus connues sous l’appellation Chaussées NOxer®, ont la particularité de neutraliser les oxydes d’azote (NOx) responsables des pics de pollution par une réaction chimique produite par l’action des ultra-violets. « Concrètement, explique Alain Sauget, membre de la direction des techniques et de la promotion d’Eurovia1, il s’agit d’appliquer sur la route un coulis spécifique à base de ciment contenant du dioxyde de titane (TiO2). Une fois posé, le TiO2 active l’oxygène de l’air, qui se combine avec les oxydes d’azote pour former des composés azotés stables et non polluants qui seront éliminés par l’eau de pluie. » Mis en place pour la première fois en octobre 2006 sur plus de deux kilomètres de chaussée, ce procédé dépolluant se développe progressivement dans d’autres départements. Si les résultats sont encore difficiles à évaluer en raison de la jeunesse de la technique, les essais en laboratoire sont très encourageants : 90 % des gaz pollués qui viennent au

contact du revêtement sont éliminés. En plus d’être propres, ces chaussées répondent à toutes les exigences de sécurité routière. Que demander de plus ? Des routes colorées ? Magicien d’Oz, es-tu là ? Les routes du pays d’Oz Prenons ce prétexte écolo pour confier la direction artistique de notre bitume à des fluokids. Comme l'héroïne du pays d’Oz, vous feriez rouler votre rutilante Titine sur des chemins flashys. L’entreprise Colas a en effet mis au point un procédé, Végécol (jusqu’ici surtout utilisé pour sa transparence qui valorise les coloris naturels des granulats), qui permet de teinter les routes suivant une large palette de couleurs, comme en témoigne l’embarcadère rose de l’île de Bréhat (Côtes-d’Armor, encore). Commerciale pour la société Hélary2, Nadine Carteron détaille : « Végécol est, comme son nom l’indique, une sorte de colle végétale, substitut de bitume issu de ressources agricoles totalement renouvelables. Ce liant, entièrement biologique, entraîne une réduction de l’émission de gaz à effet de serre. » Grisant. Le Botox de la route Va-t-il falloir regoudronner la France aux saines couleurs de l’arc-en-ciel ? Que les futurs nostalgiques se rassurent, les entreprises de travaux publics ont trouvé une solution pour préserver nos bonnes vieilles routes à nids-depoule : le recyclage. S’inscrivant dans une démarche de développement durable, Eurovia a inventé la machine qui renouvelle les chaussées en injectant un liant bitumineux à froid dans les gravats. Baptisé Recyclovia®, ce procédé génère peu de pollution à la fabrication : en excluant d’une part le recours à des matériaux neufs, et en recourant d’autre part à des conditions de fabrication et d’application

— Messerschmit Kabinen Roller, 1953

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sans chauffage. En supprimant la case « décharge des gravats », et symétriquement l’apport de granulats venant directement des carrières, cette technique permet de réduire notablement le nombre de camions nécessaires : une diminution de 70 camions par jour par kilomètre recyclé. Toutes ces avancées ne sont pas simplement bonnes pour nos poumons, ce sont aussi d'excellentes questions pour les fins d’après-midi sur France 3 : « Top : avant que l’on se penche sur le problème en 2006, combien de camions au kilomètre nécessitait la fabrication d’une route ?... Jean-Michel ? Oh oui ! oui ! oui ! » Et c’est gagné !— 1 2

Filiale du Groupe Vinci, géant de la construction de la voirie. Filiale du Groupe Colas Centre-Ouest.

Texte Sandra Franrenet Illustration Vanessa Titzé — 75

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Of course Test —

Quel est le moment de l’existence d’une femme où elle a impérativement besoin d’une voiture dans la minute ? L’idée de départ était simple. Enfiler un bon gros ventre de femme enceinte, se badigeonner l’entrejambe de flotte, se poster dans la rue et enchaîner tout un tas de grimaces laissant suggérer que les prochaines minutes seront capitales. Me conduira-t-on spontanément à la maternité la plus proche ? Combien de taxis ne me verront pas quand, sur le bord de la chaussée, je me tordrai de douleur ne pouvant à peine les héler de l’index ? Une chaîne de l’amitié se formera-t-elle à l’intérieur d’un bus tandis que le chauffeur prendra sur lui de changer sa trajectoire ? Combien de temps faudrait-il aux sapeurs pour me récupérer en plein Paris, en plein boulevard Magenta, en plein embouteillage, en plein soleil, en pleine période de soldes ? Sexys et en bande Ayant réalisé au préalable une enquête sur un panel gigantesque de vingt femmes, j’avais une idée de l’état d’urgence (lorsque l’on est, bien sûr, pas encore à l’hôpital) déclenché par la « perte des eaux », ou rupture de la poche amniotique. J’arrivais à cette conclusion : 60 % des sondées sont accompagnées by car par leur époux/concubin/plan-cul responsable, ou par un proche (tonton Raymond, la voisine). Elles s’assoient le plus souvent à l’arrière et embrayent sur une série d’exercices respiratoires plus ou moins innés. Le conducteur panique rarement, soucieux de la sécurité, respecte le code de la route, s’arrête limite pour faire le plein et chantonne par-dessus Europe 2, en balançant de-ci de-là des « ça va ? », qui n’en finissent pas d’énerver la suffocante. Elle souhaiterait comprendre pourquoi cet imbécile ne grille pas les feux en hurlant « Poussez-vous, ma femme accouche ». Dans 30 % des cas, ce sont les pompiers, le Samu ou des secours en tous genres qui récupèrent le colis. Rapides, efficaces, équipés, gyrophare en berne, sexys et en bande, on leur cède le passage. Les 10 % restants sont plus épiques. On ne se lasse pas de les raconter, ces ratés, ces actes manqués, ces pannes d’essence en rase campagne, cette joie d’un périph à l’arrêt, cette idée d’autostop, ces hélicoptères, ces téléphériques défectueux, ces coupures de courant dans le métro, ce coffre arrière mal fermé qui s’ouvre sur l’autoroute, cette bonne copine qui tenait à venir alors qu’elle est malade et qui dégobille dans un virage.

Christine à l’Eléphant bleu Heureusement, il y a ce catalogue de récits charmants, hautement symboliques. Elsa se rend au supermarché et décide d’en profiter pour faire laver sa Fiat Uno. A l’intérieur, dès le premier coup de brosse à lessive automatique, elle sent qu’un « truc » lui coule dans les jambes, la carrosserie dégoulinante faisant corps avec sa conductrice, telle Christine, la Plymouth Fury 1958 vivante et vengeresse du film de Carpenter. La future mère attendit dix minutes, prisonnière, que le nettoyage se termine, et lorsqu’elle sortit enfin de l’habitacle en s’avançant vers le mécano pour payer son du, elle précisa : « Il faudra laver l’intérieur, aussi. » Autre exemple, des plus féeriques : en visite conjugale d’un salon de l’auto à ciel ouvert, Martine explora l’antre merveilleuse d’une énorme limousine et, émue par la visite de ce carrosse d’ordinaire inaccessible, en perdit son liquide maternel. La direction, fantasque et amusée, actionna le luxueux bolide et l’accompagna ainsi, royale, pondre son œuf.

Radio Sun Tropic Mon expérience fut nettement moins fabuleuse. Simulant des contractions et vidant mon Evian dans mon pantalon, je restai vingt minutes sur le trottoir en lançant des regards désespérés à quiconque croisait mon chemin. Les conducteurs, eux, fixaient l’horizon ; je recevais toutefois l’aumône de quelques clins d’œil de passagers plus intéressés par mes fesses trempées que par la destinée de mon enfant à naître. Je me dirigeai vers une station de taxi. La première voiture se signala « occupée » et démarra à toute berzingue, manquant de renverser un piéton. La seconde auto s’approcha et le chauffeur baissa la vitre. Lorsqu’il devina mon état, son visage s’illumina d’un sourire et il me fit prendre place à l’intérieur de sa vieille Peugeot. Afin d’illustrer le calvaire dans lequel nous nous trouvions à présent lui et moi, je fis mon possible pour parler avec difficulté, incapable de citer le moindre obstétricien. Je tenais à ce qu’il prenne les choses en main, qu’il sente que sa performance, sa logique, sa maîtrise de la vitesse étaient indispensables. Il passa la seconde, tranquille, et poussa Radio Sun Tropic un peu plus fort en hurlant : « Tu aimes la musique, hein ? C’est bien, la musique ! » Il s’adressait au bébé. Durant tout le trajet, il ne fit que s’adresser au bébé, conduisant doucement, ignorant les dos d’âne et me faisant payer la course. Quinze minutes plus tard, j’étais face à l’hôpital Saint-Louis. —

— BMW 320 Turbo, 1978

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la route des vacances. La 505 Peugeot. La couleur de celle du taxi, je ne m’en souviens pas. C’est kif-kif, la boule au ventre, Quand deux écrivains font un enfant, avec Ernest en plus. Je lui ai dit que je risquais de perdre les ils prennent le temps. eaux sur la banquette arrière en tissu molletonné. Il ne m’a « Les contractions, puis les contractions pas regardée, vers Philippe : « Vous rapprochées. Je n’ai toujours pas perdu ne m’avez pas dit qu’elle est les eaux. Philippe travaille de dos, je enceinte, appelez une ambulance ! ». me dis que l’ambulance ne se déplacera Puis, pour moi, en démarrant son pas pour si peu. Six heures, Philippe compteur : « J’espère que vous n’allez a fini d’écrire, il appelle un taxi. Des pas salir. » J’avais trop mal pour dire j’en contractions et je ne sais plus comment veux un autre. Six heures trente-sept, me mettre. Drôle comment on peut heure du matin, ça devait être le seul à oublier la douleur quelques années plus avoir repris le boulot. La 505 associée à tard. Je me souviens que mes jambes la tête de mon beau-père Eric. Dès que je n’étaient pas assez longues pour bien les bouge, il me regarde dans le rétroviseur, étirer. En descendant les quatre étages pourtant il pile aux feux. Il se dit peutde la rue Gauthey, je me concentre sur ce être que ça va m’aider à tout retenir. Le que je vais dire au type du taxi, essayer sapin jaune pâle sous le rétroviseur se de faire passer la douleur qui coupe la balance franchement en diffusant son respiration. odeur pour toilettes, et je me sens prête Je n’en ai pas revue souvent depuis à dégobiller derrière son siège. Il a fait l’histoire de mon beau-père qui avait vite. Ernest peut-être par dégoût aura du demandé des sous à ma mère pour mal à sortir quinze heures plus tard. » — l’usure des pneus de sa voiture après

featuring

L’USURE DES PNEUS

Anne-Catherine Fath mère au foyer, vient de publier Rude, premier roman, court collage de vignettes autobiographiques sur une adolescence grise et rude, donc, entre l’Alsace, Oxford et Paris, agissant comme le négatif involontaire du second récit de son époux Philippe Jaenada, Néfertiti dans un champ de canne à sucre.

Texte Adeline Grais-Cernea Photographie Bastien Lattanzio — 77

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Of course Sécurité routière —

D’un James Dean mythologique, dont nous avons retrouvé le carrefour meurtrier, en passant par Camus, Grace Kelly ou le Mozart du basket croate, dix-sept célébrités ont défié leur fureur de vivre au cœur de carambolages fatals et invraisemblables. éjectée et renversée

MARY WARD & BRIDGET DRISCOLL Si Mary Ward et Bridget Driscoll sont connues, c’est surtout pour être les deux premières tuées de la route recensées à ce jour. Mary Ward, scientifique irlandaise de 42 ans, se trouvait, le 31 août 1869, à bord du prototype automobile à vapeur conçu par des cousins bricoleurs lorsqu’elle en fut éjectée au hasard d’un caillou, passant sous ses roues et s’y brisant, entre autres abattis, la nuque. Bridget Driscoll, mère de famille anglaise de 45 ans, fut renversée par un véhicule roulant à… 7 km/h, le 17 août 1896, en traversant la rue dans le quartier de Crystal Palace. Double ironie de l’affaire : le chauffard, Arthur James Edsall, fut un temps accusé d’excès de vitesse ; quant au procureur en charge de l’affaire (conclue en accident), il déclara, visionnaire, qu’une telle chose ne devait plus jamais, ô grand jamais, se reproduire.—

etourdi

NATHANAEL WEST Le romancier Nathanael West est mort le 22 décembre 1940, à 37 ans, le lendemain du décès de son ami Francis Scott Fitzgerald, dans un accident aussi tragiquement ridicule que celui imaginé par ce dernier dans Gatsby le Magnifique. En voiture avec sa femme près d’El Centro (Californie), West oublie un stop et paf ! L’auteur de The Day of The Locust était un piètre pilote. La plupart de ses amis, étonnamment médiums, refusaient d’ailleurs de monter en voiture avec lui dès qu’il évoquait la possibilité de prendre le volant.—

atomisé

JAMES DEAN « La seule grandeur pour un homme, c’est l’immortalité. » Nicolas S. ? James Dean, également auteur de la devise : « Vivre vite, mourir jeune et faire un beau cadavre ». Contradictoire ? Non, car Jimmy a su concilier les deux à 24 ans, le 30 septembre 1955, sur l’US Highway 466, aux abords de Bakersfield, trou perdu de Californie (photos). Mais pas avec le panache qu’on imagine en Dean, l’accrochecœur au vent, crashant sa destinée à la vitesse de la lumière dans un bolide en fusion. S’il est bien au volant d’un bolide (une Porsche 550 Spider), en compagnie de son mécanicien (moins glamour, ça), il chemine à un train de sénateur (même pas 90 km/h). Ce n’est pas le cas de l’étudiant chauffard qui lui coupe la route au volant d’une Ford Sedan (équivalent supposé de la Chrysler Châteauroux). La Spider, que Dean surnomme Little Bastard, n’est donc pas en cause. Elle n’en gagnera pas moins le statut de voiture maudite : tous ceux qui en acquerront les pièces mythiques (pneus, transmissions) auront de mystérieux accidents, anodins ou mortels, et chaque exposition de la carcasse du « petit bâtard » virera au drame (incendie, chute de la Porsche sur un visiteur). Une voiture bien rancunière qui a pu inspirer Stephen King au moment d’écrire Christine.—

— Ford Mustang concept, 1962

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encastré

percuté

copieur

Aujourd’hui, 4 janvier 1960, Albert va mourir. Le Nobel de littérature est en voiture avec son copain Michel Gallimard, neveu du fondateur des éditions du même nom. Au PetitVilleblin, dans l’Yonne, juste à côté de nulle part, la Facel Vega 3 devient incontrôlable et mord un platane. Camus, 46 ans, meurt sur le coup, et Gallimard, quelques jours plus tard, à l’hôpital. Des débris de la voiture sont retrouvés à plus de trente mètres de l’impact, mais la cause de l’accident reste floue : malaise de Gallimard, éclatement d’un pneu combiné à une vitesse excessive (130 km/h sur une route de campagne). L’écrivain René Etiemble tranchera : « J’ai longtemps enquêté et j’avais les preuves que cette Facel Vega était un cercueil. » Ce que l’on appelle donc rouler à tombeau ouvert.—

Il y a des morts plus rock’n’roll que d’autres. Eddie Cochran, 21 ans, est dans un taxi avec sa fiancée et Gene Vincent, en ce 16 avril 1960, quand celui-ci percute un lampadaire. Cochran est la seule victime de l’accident. Le chauffeur, répondant au nom de George Martin (comme le producteur des Beatles), fait six mois de prison et restera privé de permis pendant quinze ans pour conduite dangereuse. De la voiture accidentée, on extirpera la guitare de Cochran, une Gretsch transportée jusqu’à la voiture après le concert de la veille par un jeune fan et roadie nommé Mark Feld, futur Marc Bolan, luimême leader des futurs T. Rex et futur accidenté de la route. Anecdote qui alimentera la thèse de la « Malédiction Marc Bolan ».—

Sorte d’anti-Camus, chef de file des Hussards redorant le blason des écrivains de droite dans les années 50, Roger Nimier marche pourtant sur les traces (de pneu) de l’auteur de L’Etranger. Le 28 septembre 1962, son Aston Martin DB4, offerte par l’éditeur Gaston Gallimard (une famille qu’il vaut mieux éviter au moment de monter en voiture), s’écrase de manière inexpliquée contre le parapet d’un pont après avoir fauché sept bornes de béton (l’histoire ne dit pas si la voiture du Hussard finit sur le toit). Nimier a 36 ans. Après sa mort, son premier roman connaîtra une publication posthume. Son titre : L’Etrangère. Comme par hasard.—

ALBERT CAMUS EDDIE COCHRAN ROGER NIMIER

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Of course Sécurité routière (suite) —

aveuglée

JAYNE MANSFIELD Le 29 juin 1967, alors que l’actrice playmate roule sur une route de Louisiane avec son avocat et amant Sam Brody, un certain Ronnie Harrison et trois de ses enfants, leur Buick Electra 66 s’encastre sous un camion rendu invisible par un brouillard anti-moustique (la zone est marécageuse). En dépit des airbags naturels dont dispose Jayne, les trois adultes assis à l’avant meurent sous la violence du choc. Une légende tenace raconte que Jayne, 34 ans, aurait été décapitée (thèse accréditée par le film Crash). La rumeur tient notamment à une photo de l’accident où l’on aperçoit, à l’intérieur de l’habitacle, une perruque blonde, tantôt prise pour son scalp, tantôt pour… la dépouille de son chien. Le bruit tient aussi à cet avertissement d’Anton LaVey, ayant nommé Mansfield « Grande Prêtresse honoraire de son Eglise de Satan » (!), de ne jamais monter en voiture avec Sam Brody, qu’il détestait, sinon il se fâcherait tout rouge.—

maudit

MARC BOLAN 16 septembre 1977 : Marc Bolan, prince du glam rock, et sa femme, la chanteuse américaine Gloria Jones, rentrent d’un restaurant de Mayfair. Bien que fou d’automobiles, Bolan ne conduit pas et c’est Gloria qui envoie la Mini 1275 GT se ficher dans un sycomore après une sortie de route à petite vitesse (48 km/h, selon le frère de Gloria qui les suivait). Elle s’en tire avec une fracture de la mâchoire, mais Bolan est éjecté et tué. Il allait avoir 30 ans. Beaucoup de ses collaborateurs ayant été victimes de mort violente (dont ses deux coéquipiers au sein de Tyrannausorus Rex devenu T. Rex), on a longtemps parlé de malédiction. C’est qu’en plus, Bolan sembla attribuer des titres prémonitoires à ses deux derniers singles : Dandy in The Underworld et Celebrate Summer dont le refrain répète « Summer, is Heaven in 77 ».—

tournant

FERNAND RAYNAUD Alors qu’il s’apprête à annoncer, à 47 ans, son retrait de la scène, Fernand Raynaud se retire carrément de la vie le 28 septembre 1973 sur une route proche de Riom (Puy-de-Dôme). Probablement lancée à grande vitesse, la très classe Rolls 68 de l’humoriste auvergnat s’accouple avec une bétaillère. La faute à un virage que certains disent maudit et qui avait déjà provoqué en quelques semaines les morts successives de quatre Portugais et de trois jeunes dans une 2 CV. C’est là tout le pouvoir démocratique de la mort au tournant : elle ne fait pas plus de différence entre une 2 CV et une Rolls, qu’entre Fernand Raynaud et un saisonnier.—

spectaculaire assoupi

embouti

DRAZEN PETROVIC

GRACE KELLY

19 juin 1986, lancé comme une balle sur la route reliant Valbonne à Opio, dans les Alpes-Maritimes, la moto de Coluche, une Honda 1100, ne peut éviter l’avant d’un camion manœuvrant à l’entrée d’un camping et qui empiète largement sur la route. Les témoins diront qu’il roulait à une vitesse si impressionnante qu’il n’a même pas eu le temps de freiner. Le comique, 42 ans, meurt sur le coup, son casque explosant au contact d’un phare du 38-tonnes. La France est en deuil. On parle de suicide, on crie même à l’assassinat, Renaud écrit Putain de camion. Misèèèère.—

Le 7 juin 1993, au sortir de sa meilleure saison NBA, « le petit Mozart » du basket européen zappe le retour de stage en bus avec ses coéquipiers de l’équipe nationale croate. Au lieu de ça, il dort à la place du mort sur une autoroute allemande aux côtés d’un mannequin, Klara Szalantzy, sa compagne, et d’une internationale de basket turque. Pas pour longtemps et pour toujours : un poids lourd arrivant en sens inverse franchit la glissière centrale et s’immobilise en travers de l’autoroute. La Golf conduite par Klara arrive au même moment et le heurte de plein fouet. Ne portant pas sa ceinture, Petrovic, 29 ans, est tué sur le coup, dans son sommeil. Les Mozart font rarement de vieux os.—

Y a-t-il plus belle fin pour une star hollywoodienne que de quitter une route escarpée pour s’envoler dans le vide, le fichu flottant dans la brise ? Pour un peu, on se croirait dans Thelma et Louise, version Grace et Stéphanie. On suppute que la princesse, 52 ans, a perdu le contrôle de sa Rover P6 sur les hauteurs de Monaco à cause d’un accident cérébral. Elle meurt le lendemain, 13 septembre 1982, Stéph de Monac réchappant miraculeusement de la chute dans le ravin pour le plus grand bonheur des ouragans discographiques. Une rumeur, incertaine mais fort belle, dira que Grace est morte sur la portion de route qu’elle empruntait en voiture dans l’un de ses plus grands films, La Main au collet, d’Alfred Hitchcock, en 1955.—

COLUCHE

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piqué

dégorgée

ANDRÉ POUSSE

En 1970, Linda Lovelace, de son vrai nom Linda Susan Boreman, éternelle interprète du mythique porno Gorge profonde (1972), n’est pas encore connue lorsqu’une Chrysler heurte son Opel Cadet. Fort heureusement, la gorge qui fera d’elle une star est intacte, mais les blessures sont nombreuses. Pire, lors de la transfusion sanguine qui s’ensuit, elle contracte une hépatite qui nécessitera une greffe du foie en 1987. Mais c’est un second accident routier qui l’emportera, à 53 ans, au terme d’une longue traversée du désert doublée d’une vie miséreuse : le 3 avril 2002, elle perd le contrôle de sa voiture de sport sur une route du Colorado. Deux tonneaux la conduisent à l’hôpital de Denver, où le tuyau qui la maintient en vie sera ôté des profondeurs de sa gorge le 22 avril suivant.—

Grand interprète des dialogues d’Audiard, on n’ose imaginer le juron fleuri éructé sur le vif par l’acteur André Pousse après le tragi-comique accident de voiture qui entraîna son décès à retardement le 8 août 2005. Alors qu’il rentre chez lui dans les environs de Saint-Tropez, Pousse est piqué par une guêpe entrée dans l’habitacle. Dans la panique, l’ancien champion cycliste donne un inutile coup de volant qui le propulse dans le ravin où il fait plusieurs tonneaux. Solide, malgré des blessures à la tête et deux côtes cassées, André pousse jusque chez lui, à pied. Avant d’être conduit à l’hôpital où il meurt quatre jours plus tard, à 85 ans, méditant probablement cette phrase de son mentor dialoguiste : « L’été : les vieux cons sont à Deauville, les putes à SaintTropez, et les autres sont en voiture un peu partout. » Jusque dans les ravins, les cons.—

poursuivis

LADY DI & DODI AL-FAYED Le 30 août 1997, au soir, Diana Spencer et Dodi le dodu quittent le Ritz. Prise en chasse par des photographes people, la Mercedes S280, pilotée par le chauffeur Henri Paul, pénètre dans le tunnel de l’Alma à grande vitesse, tape le mur droit, puis file embrasser un pylône. Henri Paul et Dodi Al-Fayed sont tués sur le coup, le garde du corps Trevor Rees-Jones s’en sort, mais la Princesse du Cœur, 36 ans, succombera à des blessures internes à la Salpêtrière, deux heures plus tard. Accident provoqué par les paparazzi (sérieusement vilipendés après l’affaire), meurtre commandité par la reine Elizabeth II (la princesse était, dit-on, enceinte de Dodi, et la présence troublante d’une mystérieuse et maléfique Fiat blanche accrédite l’hypothèse) : tout a été dit sur la mort de Lady Di(ed). Y compris qu’Henri Paul n’avait pas siroté que du Earl Grey.—

LINDA LOVELACE

Textes Stéphane Duchêne Photographies Bastien Lattanzio (à Bakersfield, Californie) — 81

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standard 17 • Le passé participe —

matière recyclable RELECTURE Tony Wilson ferme l’Usine 84 VIEUX GÉNIES Genesis Breyer P-Orridge en pilote automatique 86 REMINISCENCE Alan Moore gentleman extraordinaire de la BD 88

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R E L E C T U R E

M O R T

M U S I Q U E

D ' U N

C H I C

T Y P E

Excentrique impresario de la new wave, découvreur de Joy Division et des Happy Mondays, signés sur le label historique Factory Records, Tony Wilson, 57 ans, s’est éteint le 10 août des complications d’un cancer du rein. Nous l’avions rencontré. Lyon, 2 avril 2005, bibliothèque de la Part-Dieu. Mr. Tony Wilson termine une courte conférence sur l’esprit très speed de « Madchester », prélude à une carte blanche accordée à la scène musicale locale, étirée des balbutiements du punk au sacre de la house anglaise, lors du festival des Nuits Sonores. Près de lui, Matt Carroll, auteur de pochettes pour les Happy Mondays, est déjà bien bourré. Deux ans auparavant, l’excitante existence d’Anthony H. Wilson eut l’honneur d’être portée à l’écran dans le film 24 Hour Party People, faux rockumentaire sur l’éclosion d’un mouvement culturel, dont le dandy Wilson fut le fil rouge et le démiurge visionnaire. Pourtant, ce jour-là, comme une antithèse à l’orateur smart idéalement incarné sur pellicule par Steve Coogan, l’allure du quinquagénaire étonne : t-shirt publicitaire blanc, froissé, rentré dans un pantalon pas terrible, lunettes pendant sur le ventre, cheveux ni longs ni courts, teints et coupés comme ceux de mon oncle. Ce qu’on ne savait pas, c’était qu’un cancer l’épuisait. Démêlant le vrai du faux de son exubérante biographie, Wilson nous apparut alors tel qu’il aura toujours été : très chic.

aujourd’hui tous les grands moments de ma vie : Malcom McLaren me donnant un t-shirt ou la première fois que j’ai vu Elvis Costello sur scène et me disant « bonjour ». Je me répétais « c’est ça ou rien d’autre ». Puis j’ai commencé à bosser avec des groupes. Parce que j’aime le Grand Art. Hier soir, c’était la panique. La moitié de mon nouveau groupe [Raw-T, du hip hop juvénile] avait disparu dans l’hôtel. Un cauchemar. Mais quand ils sont montés sur cette putain de scène, quinze secondes après le début du premier morceau… c’était… je ne sais pas… si intense, si dingue. C’est le meilleur groupe du monde, croyez-moi. Je n’arrive pas à croire qu’à 55 ans, j’éprouve encore ce genre de trucs. J’ai eu beaucoup de chance. Mr. Tony Wilson est également reporter sur Granada TV. Dans ses reportages, on voit des canards gardant des moutons et des nains nettoyant des éléphants. Mr. Tony Wilson aime beaucoup les animaux. Non non non, tout ça, c’est bidon, chiqué. Le scénariste est un génie. Il a vu tous mes passages télé, mais le coup du canard, je ne l’ai jamais fait. J’ai filmé un éléphant, effectivement, mais sans nain. C’était un clin d’oeil à un autre programme, le Zoo sauvage de Bob. [A Matt Carroll] Rappelle-toi quand la trompe de l’éléphant lui cogne la bite [ils ricanent]…

Diplômé de l’université de Cambridge, Mr. Tony Wilson aime se rendre à des concerts de rock avec sa petite amie. Un soir, parmi 40 personnes, il assiste au premier live des Sex Pistols et c’est un choc. Tony Wilson : Vrai : j’étais à ce premier concert de juillet 1976 et il y avait une quarantaine de personnes. Faux : j’y suis allé seul. C’était une très belle soirée, la nuit la plus chaude du siècle et le concert fut incroyable. Le film ment sur un autre point : on voit le public pogoter alors que ça a été inventé quelques années après. J’ai pris mon pied à partir de (I’m Not Your) Stepping Stone, une chanson de singe. Quand j’ai commencé à comprendre ce qu’il se passait, j’ai vu ce gentleman en coulisses dans ce costume de cuir noir. Personne à Manchester ne portait de costume de cuir noir : chemise et pantalon. C’était Malcom McLaren. Il m’a dit : « Vous aimez, Mr. Wilson ? » J’ai répondu : « Oui, mais c’est un peu tendre. » Il rétorqua : « Ne vous inquiétez pas, ça va venir. »

Mr. Tony Wilson est plutôt doué en deltaplane. En revanche, le deltaplane, c’est vrai. Mais je suis nul : deux vols, deux crashs. Dans le film, ils ne sont pas parvenus à recréer la scène, donc ils se sont servis de mes reportages de 1975. Mr. Tony Wilson est un peu tête à claques, frimeur, il aime se taper des groupies dans des camions, mais c’est quelqu’un d’intègre, d’honnête et un fin rhétoricien. C’était le grand mensonge du film. Ma copine de l’époque s’en est plainte, très énervée, elle s’inquiétait que ses parents puissent voir ça et réclamait des excuses. Ma seconde femme a été très touchée par ce passage. J’ai eu une grosse engueulade avec Michael [Winterbottom], je lui disais de l’enlever, il a refusé en m’envoyant me faire foutre. Mon image publique, on dirait que ce ne sont pas mes affaires.

Dans sa vie, Mr. Tony Wilson a découvert deux groupes ayant permis à beaucoup d’Occidentaux dépressifs, drogués ou passionnés de musique de placer Manchester sur une carte. La musique est ma passion depuis les sixties. Je me rappelle

A travers son label Factory et son club l’Hacienda, Mr. Tony Wilson a participé à un mouvement musical rendant les DJ superstars. — 84

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« J ’ A I PA S S É L A P L U PA RT D E M A V I E À S O U T E N I R D E S G R O U P E S, PA R F O I S C O M P L È T E M E N T C O N S, M A I S Q U I E N AVA I E N T B E S O I N. » TO N Y W I L S O N

C’est désespérant – la plus grosse erreur de nos vies ! La dance devait rester sans visage. Nous étions dingues de nos DJ, comme Michael Gray [DJ anglais de garage house] ou Laurent [Garnier], mais je rejette le culte des DJ superstars. Ils sont massivement surpayés et provoquent des banqueroutes. Certains me disaient : « On n'a pas besoin de vous. » Vous croyez quoi ? On a fait de vous des putains de musiciens !

complètement cons, mais qui en avaient besoin. Le producteur saisit la musique à travers les attentes sincères de ses compositeurs. Ils pensent qu’il n’est pas nécessaire, mais si. Parfois j’ai raison et ça donne les disques de New Order ou le travail de Martin Hannett sur Joy Division. Parfois je me plante. Et si Mr. Tony Wilson n’était pas devenu Mr. Tony Wilson ? Je serais un présentateur de télévision très, très, très populaire. Dans les années 80-90, j’étais fait pour être le nouveau reporter star de la BBC. Cela aurait été pratique pour payer ces putains de factures.—

Mr. Tony Wilson se demande souvent quel est le rôle d’un producteur. Le producteur est l’élément le plus important du processus musical. J’ai passé ma vie à soutenir des groupes, parfois

Entretien Richard Gaitet Photographie Richard Bellia, avril 2005 — 85

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V I E U X

E N

G É N I E

M U S I Q U E

P I L O T E

A U T O M A T I Q U E

Diva transsexuelle de la musique industrielle, Genesis Breyer P-Orridge, 57 ans, alias Neil Andrew Megson alias « Djin », n’est évidemment pas des plus faciles à cerner. En liberté depuis 1976, de retour avec un disque odieux (le nouveau PTV 3) faisant suite à un album lumineux (le dernier Throbbing Gristle), le poète et performer post-punk répond ce qu’il veut. Vous voilà de retour avec un véritable album de Psychic TV (rebaptisé PTV3 en 2004). Cela faisait longtemps. Genesis « Djin » Breyer P-Orridge : Oui, quinze ans. Le batteur Edward O’ Dowd est un ami de longue date de Lady Jaye [sa femme, guitariste] et il pensait que c’était triste, oui, qu’il n’y ait pas de nouvel album. Je disais je suis fatigué et il répondait tu ne devrais pas penser ainsi, tu es un grand compositeur. « Prouve-le », ai-je balancé. Edward est revenu avec une compilation de ses chansons préférées, ce qui m’a rappelé que lorsque je retire de l’équation mon histoire personnelle et mes sentiments, la musique est bonne. Je lui ai lancé ce défi : trouve-moi des musiciens. Il l’a fait.

genres à égalité : évoluons vers l’hermaphrodisme. C’est très important. Nous devons nous soigner en tant qu’espèce, ou nous sommes condamnés. Revenir aux histoires premières de l’humanité. L’information est partout, aujourd’hui. Cela fait-il des citoyens plus intelligents ? Non, la paresse est en hausse. Autrefois, il ne suffisait pas de trouver l’information, sa quête en elle-même vous éduquait. Si tu devais voyager en France, chercher une bibliothèque, tu rencontrais des gens, tu leur parlais. Et quand finalement tu trouvais le document, tu ressentais quelque chose d’unique. L’ère du clic, c’est une expérience très réduite. Les faits, à eux seuls, ne valent rien, seul le voyage compte.

L’album s’intitule… J’aime me pointer avec des idées, des pensées, de la poésie, et faire changer la perception de la vie chez les gens. C’est le bon moment : nous vivons une époque très sombre, réévaluons-la en considérant, via ce disque, que le plaisir est une arme. Face à l’avarice, la consommation, la désinformation, il est important de créer un espace sans danger, où les gens se relaxent et oublient toute inhibition.

Timothy Leary, que vous avez bien connu, était très optimiste pour le cyberespace. Qu’est ce qui a changé ? Tout a été détruit par le business, les compagnies. C’est amusant que tu mentionnes Timothy Leary : j’étais chez lui en 1993-94 quand Microsoft lui a offert des millions pour privatiser le cyberespace. Il a refusé. Leur but était de limiter la liberté et la force. C’est triste et ironique de voir que seuls les extrémistes politiques ou religieux récoltent les fruits d’Internet. La culture globale est polluée par ce système de pensée binaire où tous sont en guerre contre les autres, matérialisme de l’Ouest fondamentalisme du Sud.

…Hell is invisible, Heaven is her/e. Ça roule pour vous ? C’est une vision théorique, une affirmation très positive, comme toujours ! [Il rit]. C’est ma façon de défier une conception patriarcale de la réalité, de dire que nous devons cesser avec les systèmes binaires conflictuels, que nous devons nous tourner vers ce qui soigne et apaise. Sur la pochette, on peut voir deux « pandrogynes » [transsexualité « non-soustractive » comprenant les caractéristiques des deux sexes], concept évoqué dans la chanson In Thee Body. C’est du psychédélisme moderne, à la fois intéressant et accessible, tu ne penses pas ?

Un dernier mot ? ! Viva la évolucion ! Lady Jaye utilise ce slogan pour la tournée, posé sur un t-shirt dans le style des posters situationnistes de mai 68. L’évolution est notre programme de base, prenons les commandes de notre développement ou nous resterons des êtres préhistoriques. Ce serait une tragédie, car nous sommes des créatures merveilleuses. C’était génial de parler avec toi, j’aurais aimé que l’on continue.—

Si, si. Le monde est condamné tant qu’il sera séparé en deux. C’est une philosophie très ancienne : les divinités d’avant la chrétienté sont toutes hermaphrodites. Les grandes religions monothéistes sont patriarcales, cela nous a rendu violents, diaboliques. L’humanité est constituée des deux

Entretien Jean-Emmanuel Dubois Photographie Dan Mandell — 86

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« A V E C L’ I P O D , T O U T E S T F L U I D E E T J E TA B L E . TO U T E S T B A S É S U R D E PETITS MOMENTS ORGASMIQUES. » GENESIS « DJIN » BREYER P-ORRIDGE

les sorties

throbbing gristle =

DVD

« sexe turgescent » Le DVD Thee Majesty vaut surtout pour l’incroyable Satan bouche un coin avec et dédié à la mémoire du peintre surréaliste et photographe éroticofétichiste Pierre Molinier (1900 – 1976), appuyé des sonorités psychédéliques de Georges Montalba, l’homme à l’orgue spooky et à l’homosexualité scandaleuse (pour l’époque). Le sataniste mythomane Anton Lavey, se faisant passer pour Montalba, est également de la party, renforçant ici la famille spirituelle de Genesis Breyer dans ce qu’elle a plus contre culturelle – le live 2004, sur l’autre face, est assez hypnotique. Attention édition très limitée. Rayon disques, rappelons qu’à l’inverse du nouveau PTV3, tentative indigne et laide de hard FM pseudo psyché riche en solos de basses eighties, le dernier Throbbing Gristle, Part Two The Endless Not, paru au printemps après deux décennies de silence, honore toujours davantage la musique industrielle que les gros sabots dark wave à la Nine Inch Nails ; et de façon, semble-t-il, plus solaire, car, c’est entendu, l’âge rend optimiste. J.-E. D.

Thee Majesty – live à la Fondation Cartier Satan bouche un coin – hommage à Pierre Molinier de Jean-Pierre Bouyxou, 1967 (Sordide Sentimental)

CD PTV3 Hell is invisible, Heaven is her/e (Sweet Nothing/Cargo/Differ-ant) Throbbing Gristle Part Two The Endless Not (Mute/EMI)

Live! Djin sort de sa lampe le 27 octobre à Strasbourg et le 28 à Paris.

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R É M I N I S C E N C E

À

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M O O R E

Alan Moore, 54 ans, est un auteur adulé. Scénariste révolutionnaire du monde des comics, pillé et trahi par Hollywood à travers les adaptations foireuses de V for Vendetta, From Hell ou La Ligue des Gentlemen extraordinaires (et bientôt Watchmen par Zack Snyder), il semble en mutation. Ponçant un roman de 800 pages, Jérusalem, à l’heure du 3e volume des Gentlemen extraordinaires, le barde barbu britannique s’éparpille tout en se recentrant : super héroïque.

La Ligue des gentlemen extraordinaires, dont vous publiez aujourd’hui le troisième volet, est peuplée d’antihéros. Croyez-vous encore à la notion de héros classique ? Cette conception a pris du plomb dans l’aile au vingtième siècle, d’un point de vue psychologique. Les héros s’avéraient souvent psychopathes, et l’héroïsme est une notion très subjective, suspecte : il y a toujours quelque chose qui ne tourne pas rond chez les héros physiques. Après la Première Guerre mondiale, l’Allemagne, souffrant d’un Traité de Versailles injuste, a fait d’Hitler un héros. Aux Etats-Unis, dans les années 80, c’est le aussi le cas d’Oliver North, qui vendait des armes sous l’administration Reagan. D’ailleurs, Reagan lui-même se prenait pour les personnages de ses films et je suis sûr que certains pensent que George W. Bush est un héros.

n’imagine pas Bruce Willis dans le rôle d’un inspecteur d’Amnesty International [il se marre]. Notre culture juge la moralité en fonction de sa télégénie. Idem pour les héros politiques. L’un des meilleurs présidents américains fut William Taft [le 27e,, de 1909 à 1913]. Il serait inéligible aujourd’hui car il était obèse, ça ne passerait pas bien à la télévision. On préfère élire des types huileux et semicharismatiques. Le concept d’héroïsme nous fait faire ces erreurs. Les comics actuels sont encore composés à 80 % de héros. Absolument. C’est pourquoi l’industrie des comics est redondante et, de mon point de vue, amenée à mourir. Aux Etats-Unis, les ventes baissent depuis des années. Imagine qu’au départ, c’était une lubie de la fin des années 30. C’est étonnant de voir que ces figures iconiques puissent durer si longtemps – cela en dit long sur l’infantilisme de la culture occidentale. Je pensais qu’après le 11-Septembre, l’Amérique, honteuse, allait remballer ses super héros. Le super héros est le symbole de l’invulnérabilité et de l’impunité américaine. Ce mythe est tellement loin de toute réalité que rien ne me semble plus absurde. Hollywood et l’industrie des comics ne pensant évidemment pas comme moi [il rit], vu l’inquiétante prolifération des adaptations boiteuses. Pour te dire à quel point je suis bigot, je n’ai pas vu ces films, mais j’ai vu la bande-annonce ridicule de Spiderman 3. L’émotion de mes 11 ans a été altérée. Le portrait de l’Homme de Sable par Steve Ditko, réalisé avec des pinceaux et de l’encre, était une invitation à faire marcher son imagination. Au cinéma, cela devient cette image de synthèse très chère qui montre effectivement ce qui se passerait si un homme pouvait se transformer en sable. Si ces effets spéciaux ont coûté des millions, les dessins de Ditko étaient meilleurs et montraient l’expression merveilleuse d’un idéal enfantin. Pareil pour les Quatre Fantastiques, qui possédaient une certaine grandeur naïve née du pinceau humain de Jack

Le héros de l’un est-il le méchant de l’autre ? Nos médias manipulent cette notion. Il y a quinze ans, à la télévision, on me demandait si je pensais que l’étudiant chinois qui s’était posté face à un char place Tien An Men était un héros. J’ai répondu que c’était un geste extrêmement courageux, mais qu’en Occident, on nous donnait à voir ce symbole seulement par le prisme de sa position anticommuniste. Idem pour le jeune Polonais qui s’est immolé pour protester contre l’arrivée des chars russes à Prague, au printemps 1968. Alors je leur ai parlé d’un cas moins connu : à la fin des années 80, en réaction à la politique économique de notre gouvernement, un chômeur anglais a garé sa voiture en bas du 10 Downing Street. Il a mis le feu à son véhicule, puis à lui-même. La télévision en a parlé le soir, deux jours plus tard. Depuis, l’événement n’est jamais mentionné. Parce que c’est un héros anticapitaliste. On nous laisse admirer certains héros parce que d’autres nous remettraient trop en question. On doit donc faire attention. Oui. Les vrais héros ne font pas les titres des journaux. On — 88

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Je pensais qu’après le 11-Septembre, l’Amérique, honteuse, allait remballer ses super héros. » ALAN MOORE

pas voir Le Silence des agneaux pour le personnage de Jodie Foster et s’identifient secrètement à l’horrible cannibale. Dans un sens, c’est plutôt sain.

Kirby. L’héroïsme acceptable des comics Marvel du début des années 60 me laisse froid dans sa version moderne, générée par ordinateur dans des blockbusters. On dirait que le monde occidental a perdu toute perception de la profondeur et ne dépasse pas la surface.

Dans vos Gentlemen extraordinaires, les personnage agissent héroïquement parce qu’ils y sont forcés. Nous avons essayé de rester au plus proche des personnages originaux, édulcorés au fil des années à la télévision et au cinéma, à cause d’une sensibilité victorienne trop dure à supporter. Allan Quatermain est accro à l’opium, son créateur Henry Rider Haggard le décrivait comme parfois lâche, refusant de se battre : on est loin de l’image d’explorateur de Sa Majesté sans peur et sans reproche. L’Homme invisible a été montré comme un redresseur de torts : dans la nouvelle originale, c’est un fou qui veut dominer le monde. Le capitaine Nemo reste un fanatique lui aussi, en dépit du noble James Mason dans le film de Disney. Pour Jules Verne, Nemo s’appelait le prince Dakkar, c’était un missionnaire indien devenu pirate technologique en lutte contre l’Empire britannique. Pour Jekyll et Hyde, nous avons extrapolé certains indices du roman de Stevenson : à la fin, Hyde est plus puissant que Jekyll. Je me suis dit : au bout de douze ans, comment cette situation aurait-elle empiré ? Cela aboutit même à la sodomie peu

Au début du vingtième siècle, on observe une tradition des vilains populaires comme Fantômas, Raffle ou Arsène Lupin. Une catharsis contre l’autorité ? C’est surtout vrai pour la France. Il y a aussi ce psychopathe grandiose de Robur, le conquérant de Jules Verne. Lupin et Fantômas sont des héros anti-sociaux, à la manière de Robin des Bois en Angleterre. Aux Etats-Unis, il faut creuser au-delà des romans à un sou [« dime novels »] et aller vers la pornographie des années 30 ou les Tijuana Bibles, de petits comics mal dessinés qui montraient les célébrités dans des situations sexuelles. Il y avait même un sous-genre dédié aux exploits sexuels des gangsters à la John Dillinger ou Baby Face Nelson… Les comics criminels des années 50 furent interdits parce qu’on pensait qu’ils glorifiaient le délit en faisant du voyou une figure romantique. On doit soutenir les héros officiels, mais du fond du cœur, nous aimons les méchants. Je n’aime pas beaucoup les romans de Thomas Harris, mais je suis sûr que les gens ne vont — 89

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« S I TO U S L E S M O M E N T S S O N T É T E R N E L S D A N S L’ Œ U F G É A N T D E L’ E S P A C E - T E M P S , N E FA I S R I E N Q U E T U N ’ A U R A I S E N V I E D E V I V R E É T E R N E L L E M E N T. » ALAN MOORE

plaisante dont est victime l’Homme invisible ! La femme de Stevenson aurait été horrifiée de la première version du livre à l’homosexualité suggérée. Ma fille va travailler sur Sherlock Holmes, généralement connu comme pépère et rassurant – à l’inverse de l’idée de Conan Doyle, sinistre et dépendant à une solution de 7 % de cocaïne. Notre version semble anti-héroïque, d’accord, mais ainsi sont-ils à la base. On présente une version assainie du passé.

éternelle, avec d’un côté le big bang, le début, et de l’autre le big crunch, la fin. Entre les deux, tous les moments ont existé, vont exister, sont en suspension pour l’éternité. A l’inverse de la réincarnation, il se pourrait que l’on revienne vivre la même vie à la même époque. Quand notre conscience touche la fin d’un filament de 70 ans qui forme notre existence, il n’y a pas d’endroit où aller, sinon au début. Nous vivons notre vie indéfiniment, sans nous en rendre compte, excepté lors de moments de déjà-vu. Bien sûr, si tu es attaché à l’idée de libre arbitre, c’est plutôt terrifiant. Mais a-t-on besoin de libre arbitre ? Tirons-en un dogme : si tous les moments sont éternels dans l’œuf géant de l’espace-temps, ne fais rien que tu n’aurais envie de vivre éternellement. Les bons moments sont éternels – c’est le paradis notre récompense – et les pires aussi – notre damnation. Nous nous jugeons nous-mêmes, plutôt qu’un Dieu éloigné. Jérusalem explore cette idée, cela résonne en moi. Cela tue l’idée chrétienne du genre « si vous avez des moments durs sur terre, ce n’est pas grave, car dans votre vie future, tout s’arrangera ». Mais qui sait ? Dans deux ans, je croirai peutêtre à quelque chose à 180° de ce que je crois aujourd'hui.

Comme dans 300, la BD de Frank Miller, filmé par Zack Snyder [adaptant actuellement Watchmen, le chefd’œuvre d’Alan Moore]. 300 est devenu un film d’extrême droite, incroyablement raciste, presque hitlérien. Les Spartes n’étaient pas du tout homosexuels, mais proches des actuels militaires américains. En face, il y a ces Perses « diaboliques », tous gays, noirs, avec des guillotines à la place des bras et des rhinocéros de combat. On dirait une apologie de l’invasion de l’Iran. On dirait que l’Amérique se rend compte qu’elle n’a que cinq cents ans et réinvente l’Histoire pour la mettre au diapason de ses valeurs. Comme si la Grèce antique avait un rapport avec les Etats-Unis. C’est de la colonisation historique.

Continuez, il reste un peu de place. Dans le monde de la science et des mathématiques certaines idées vont dans cette direction en tout cas. Gerard ’t Hooft [prix Nobel de physique 1999] suggère qu’il n’y a pas d’incertitude quantique, il pense qu’il y a un niveau plus fondamental au-dessous du niveau quantique, où toutes les contradictions physiques sont résolues. Beaucoup sont réfractaires à cette idée de non-incertitude quantique car elle nie le libre arbitre. Nous avons besoin de l’illusion, mais pas du libre arbitre en lui-même. Gardons cette illusion, du moins jusqu’à ce que mon ouvrage soit publié [rires].—

Votre avis sur la vie, la mort... C’est le sujet de mon prochain roman, Jérusalem, qui fera la moitié d’un million de mots. Je l’aurai fini dans deux ans. Selon le concept d’Austin Osman Spare [artiste et magicien anglais], nous vivons dans un univers à quatre dimensions. Et si le physicien Stephen Hawking a raison, nous n’en appréhendons que trois, en associant la quatrième avec le passage du temps. Le temps ne passe pas en réalité, sinon à travers notre perception. L’univers est une sorte de boucle

Entretien Jean-Emmanuel Dubois Remerciements Chris Staros pour son aide précieuse Photographie José Villarubia Dessins Miam Monster Miam

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Alan Moore & Kevin O’Neil La Ligue des gentlemen extraordinaires, vol. 3 (Top Shelf, et bientôt chez Delcourt). DVD de l’excellent documentaire de Dez Vylenz, The Mindscape of Alan Moore (Shadowsnake). Alan Moore & Mélinda Gebbie, Lost Girls (Top Shelf).

Entretiens et nouvelle inédite dans L’Hypothèse du lézard (Les Montons Electriques, 2006). Panini annonce en 2008 une édition luxueuse de Watchmen. Le roman Jérusalem sortira en France en 2009 chez Calmann-Levy.

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Standard 17 • Partir, dîner, consommer —

MADE R THE NITY

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V I VA N T E GASTRONOMIE Kool Keith, electro rap et nouilles japonaises 94 VOYAGES Fleury-Mérogis, secrets de cour ECOLOGIE Des biocarburants un peu bidon

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SELECTION Les produits à l’import

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GASTRONOMIE • ANTIF**DING

KOOL KIFFE LA NOUILLE Notre reporter se remettra-t-il de ce stupéfiant déjeuner avec Kool Keith, extravagant minotaure new-yorkais de l’électro hip hop, dans un sobaya japonais de la capitale des Gaules ?

En compagnie des Ultramagnetic MC’s, le cinglé Keith Thornton a perturbé la face du rap new-yorkais dès 1984 (formation du groupe), ainsi que le rap extra-muros dès 1988 (premier album). En solo, caché derrière différents avatars (Kool Keith, Dr Octagon, Black Elvis), il y apporta sa science de l’à-peu-près, son sens de l’absurde expérimental et une louche de pornographie débile, le tout embrumé par une forte dose de psychotropes puissants (surpuissants ?). Où allait-il chercher tout ça ? Peut-être dans cet anesthésiant pour animaux appelé « PCP » qui, en une seule gorgée, triple la population de chauves-souris dans une pièce. De passage à Lyon le soir de la fête nationale, il fallait se frotter au kif. Chicken ramen de Néandertal Keith, 43 ans, a faim. Accompagné de DJ Kut Master Kurt et de Denis, son manager, Kool se racle bruyamment la gorge et balbutie une poignée de phrases aux frontières du réel tandis que son petit monde s’attable dans un sobaya (restaurant de pâtes) japonais. Keith parle peu, mange salement, en reluquant le postérieur des serveuses. En entrée, il dévore une ration copieuse de raviolis frits aux crevettes, inondées de sauce soja. La salade ne restera qu’un décor. Première question, polie : « La tournée se passe bien ? » Première réponse : regard torve pendant que s’amoncellent débris de friture à la commissure de ses lèvres – à ce jour, notre table empeste toujours le soja. Keith ne veut pas comprendre. Préfère engloutir son ice tea en trois secondes. Pour le plat principal, il opte pour un chicken ramen servi dans une céramique un peu fashion, épais conglomérat de grosses nouilles jaunasses, de poulet mariné et de petits légumes verts sautés au wok (et un autre ice tea). Keith ne répond toujours pas, si l’on excepte ses grommellements de Néandertalien affamé. Voici, pour vous, le morceau de conversation le plus consistant de cette journée.

en plus épicé. Et un autre ice tea. – Keith, les Ultramagnetic MC’s peuvent-ils se reformer ? Keith extirpe de son assiette un piment rouge particulièrement volcanique, me toise fixement et le croque, sans broncher. Kut Master observe placidement la scène : « Cet homme a un estomac d’acier. » Quel dommage que son cerveau soit en mousse. Et un autre ice tea derrière la cravate, un. Peut-être me reste-t-il une chance d’exercer mon métier : la balade digestive post-addition. Perdu. Florilège de perles lâchées par Kool Keith : « Si Paris c’est New York, Lyon c’est un peu Los Angeles ? » Paul Bocuse est un chef de gang, on lui dira : « Les haricots, ça craint. » « Je veux une glace à la fraise. » « Tu connais des numéros d’escort girls ? » « Petite chose chocolatée, appelle-moi à New York quand tu auras 18 ans. 18 ans ! T’entends ?! » « Je veux une autre glace à la fraise. » Un autre ice tea ? Deux heures plus tard, les pieds sur la péniche club où aura lieu le show, je recroise l’olibrius. Salutations. « Tu sais où je peux commander un ice tea ? » Je lui montre le bar. Thornton sort une énorme liasse de dollars et cherche où changer son argent. Un jour férié, à une demi-heure de son propre concert ? Comme freiné par un amas de gras à l’entrée de ses artères, Keith déboule calmement sur scène, pataud et, miracle, parvient à aligner ses couplets. Scéniquement ? Graisseux, fatigué, sans efforts pour saluer la foule transie par la venue d’une légende du rap. Un ami me glisse à l’oreille : « Tu sais, les gens atteints de la maladie d’Alzheimer, la seule vraie mémoire qui leur reste est musicale. » Ainsi prévenu, je ne m’étonne pas qu’en sortant de scène, après avoir jeté des préservatifs et des bouquins de fesse dans le public, Keith me salue pour la quatrième fois de la journée et demande où commander un ice tea. On entend encore aujourd’hui le reporter hurler à la mort, nu, baragouinant des mots insensés dans le coin d’une pièce sombre.—

– Keith, The Return of Dr Octagon, votre dernier disque, c’est du funk d’extraterrestre non ? – Hey, toi, la rousse (dit-il à la serveuse), la même chose,

Texte Antoine Allegre Photographie DR

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« LES HARICOTS, ÇA CRAINT. TU CONNAIS DES NUMÉROS D’ESCORT GIRLS ? JE VEUX UNE AUTRE GLACE À LA FRAISE. » KOOL KEITH

Kool Keith s’est fait appeler Dr Dooom, Black Elvis, Big Willie Smith, Dr Sperm, Sinister 6000, Robbie Analog, Keith Korg, Blonde Man, Platinum Rich, Mr Green, Reverend Tom, Jimmy Steele, Erotic Man, Keith Televezquez, Rhytm X, Poppa Large, Mr Gerbick… Il y a maintenant une dizaine d’années, il a créé Dr Octagon. Suite à un premier effort avec Dan The Automator et Q-Bert, le docte érotomane est de retour, synthétisant tout ce qu’il fut dans sa carrière : maquereau attardé, expérimentateur électronique, friand de booty funk accéléré, dénicheur de samples carbonisés. En somme : un musicien/parolier insaisissable. Ça part globalement dans tous les sens et on a parfois du mal à suivre, flirtant sur la lame du rasoir, perdu entre incompréhension totale et balourdise bonhomme. Kool Keith a généré l’électro hip hop : il en demeure le père indigne avec lequel on inhale des choses illicites en matant des Latinas épilées en position équivoque. La classe ? La vraie.— A. A.

Le disque

LA LAME DU RASOIR

CD The Return of Dr Octagon (Warm) DVD Ultra Octa Doom

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VOYAGES • LÀ-BAS

M A C A S E À F L E U R Y- M E R O G I S Condamné à quatre mois de prison ferme pour « tentatives de violences volontaires » lors des manifestations parisiennes au soir du résultat des présidentielles, puni pour un pavé ramassé qu’il n’a pas lancé, Romain, journaliste de 29 ans, a été libéré au bout de dix semaines. Carnet de cellule et secrets de cour.

Au moment où j’écris tout ça, les surveillants squattant le hall du bâtiment d’en face s’en prennent plein la gueule. De tous les étages, ça gueule des Nique Ta Mère, des Fils De Pute, ça traite de travelos dans un énorme cri du cœur qui prend tout l’écho de la cour. En réponse, l’un des matons a la bonne idée de nous montrer son cul dans une classe sans risque, et ça repart : les insultes pleuvent de partout dans une gerbe de sifflements, inefficaces comme les projectiles d’un canon Playmobil. Et les gardiens, ils se marrent, ça les fait rire de se faire insulter par une brique de trois étages pleine de gens qui ne les aiment pas. Vue de ma chambre, Fleury ressemble à une vaste cité HLM, avec des carrés de pelouse au milieu, sur lesquels deux cages de but servent de perchoirs aux corbeaux. Tout à l’heure, mon voisin du dessous s’engueulait avec un type à distance. « On en parlera en face, t’avais pas à faire ce que t’as fait ! » Puis deux minutes après, c’est celui d’à côté qui s’exprime. - « Whooo Michel ! Whoooooo Michel ! Whooooooooo Michel ! - Ouaaaaiis, ouaais, ouais ! - Whoooooooo Michel, j’me suis fait péter ! J’me suis fait péter ! - C’est qui ? - Whooooooo Michel, c’est Bertrand, j’me suis fait péter, Michel, j’me suis fait péter ! D’taleur au parlu, j’me suis fait péter ! Quarante dollars, mon pote, j’ai trop le ceum’ ! - Whooooooo ! Parle plus fort, j’entends pas ! - D’taleur au parlu, j’me suis fait péter ! J’ai trop l’ceum’ ! Putain, ch’ui dégoûté ! - Quoi ? Parle plus fort ! - J’te dirai demain ! Demain, j’te dirai ! - Quoi ? - Demain, mon pote, demain ! Demain ! - Si, si ! » Voilà le genre de discussion typique qui peut surgir de la fenêtre d’une cellule voisine, à n’importe quelle heure de la journée, sauf évidemment vers 23 heures, quand ont commencé les rediff de L’Ile de la tentation (la plupart d’entre nous a la télévision). Conversation pourrissant généralement le silence de six cents détenus, adressée à un gars vingt geôles plus loin, et qui, pour sa compréhension, a plus intérêt à écouter l’écho et à connaître le vocabulaire :

le « ceum’ » signifiant plus communément « la poisse », « j’me suis fait péter », s’être fait serrer à la fouille avec du shit, et le « parlu », le parloir. C’est généralement d’un grand intérêt, vu que les gars entendent rarement bien. Mais tout a de l’importance pour les gens qui sont seuls. Le foie à la poêle Il y a aussi les histoires de cour, plus ou moins vraies, plus ou moins cocasses. La cour, c’est l’ensemble des détenus d’un groupe de promenade. On se connaît de près ou de loin. Tout se sait, quels serpents sifflent sur les têtes, pour ceux qui veulent savoir. Il paraît qu’ils ont mis dans notre aile un mec qui aurait fait un séjour en psychiatrie pour avoir bouffé tout cru le poumon gauche de son codétenu. Deux jours plus tard, il paraît qu’en fait, c’était le foie, et qu’il l’a passé à la poêle. Le type n’a l’air de rien. Il est tout petit, gros bide, yeux gentils, et si l’histoire est vraie, l’homme est un mix de Landru et d’Hannibal Lecter. Il paraît que les Hongrois qui font de la muscu façon cinq cents pompes par jour seraient là pour une banque braquée à la mitraillette et des grenades balancées sur les gendarmes qui venaient les arrêter. Il paraît que le p’tit gars jugé pour les émeutes et qui traîne avec nous serait là pour avoir frappé sa mère et qu’elle serait à l’hôpital. Plus personne ne veut lui parler. Je lui signale l’histoire, il veut des noms, mais non… Le lendemain, il descend son mandat de dépôt dans la cour. Il est bien là pour violences le soir de l’élection. Moralité : un maton a essayé de coller de lui une mauvaise réputation, de lui ficher toute la cour sur le dos. Etre là pour avoir touché une fille, c’est mal vu, alors pour avoir touché sa mère… « Blocage » le 14 juillet Au début, certains me prenaient pour une taupe, un flic infiltré. Il a fallu qu’une armoire normande intervienne en douceur pour désamorcer toute embrouille potentielle liée à un délit de faciès. Et pis après ça passe. Si tu caches pourquoi t’es là, t’es suspect. Et ton codétenu se démerdera pour fouiller ton placard, trouver tes papiers, lâcher l’info. Faut rien cacher sinon t’es banni. A moins que t’aies balancé du bizness de cour afin de gratter des remises de peine exceptionnelles. Si tout le monde apprend ça, autant essayer de fuir : t’es foutu.

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Peu avant le 14 juillet fut confirmée cette rumeur : il n’y aura pas de grâces présidentielles. Visages dépités, ambiance encore plus lourde, comme si la météo merdique ne suffisait pas. Se réveillent des bruits de « blocage » : c’est-à-dire descendre en promenade et refuser de remonter. Ça va arriver, je ne sais pas quand, mais ça chauffe. Les surveillants sont tendus. Tout à l’heure, à la gamelle, l’un d’eux a refusé de passer une canette de soda d’une cellule à une autre en signalant qu’il n’était « pas payé pour être gentil ». Ça n’arrange pas la tension. Les gardiens craignent les émeutes. Ils ont peur de ce qui peut arriver dès qu’ils ouvrent une porte – un détenu pourrait considérer qu’il n’a rien à perdre et se venger sur le premier uniforme de ce déni de grâce incompris. Tiens, ça sent le brûlé… du PQ grillé, très exactement… ça vient de chez le voisin… autant fermer la fenêtre malgré la chaleur et ma propre fumée de cigarette… Le rouleau enflammé tombe de la fenêtre… bientôt suivi d’une dizaine d’autres, immolés sur l’autel de la fête nationale et du pardon populaire, en un feu d’artifice nourri de haine bien fumante.

laisse, ma copine siffle sur le toit d’en face ! Seul ici, je me sens comme Steve McQueen dans La Grande évasion ; ne manque qu’une balle à lancer contre le mur. Dans tous les films, le gentil, c’est jamais le directeur ou les matons, c’est celui dans la cage, qu’importe ce qui t’a mené là. Une fois que t’es dans le film, t’es le héros. L’Armée des douze singes, L’Evadé d’Alcatraz, Fortress. Pourtant, si tous les prisonniers avaient l’impression d’être les gentils, ce ne serait pas tenable. Le soleil tape. C’est moche ces nuages à travers les barreaux, ces fenêtres punies par les fientes de pigeon et les restes de nourriture jetés par le voisin d’en haut. Le soleil tape. Je le prends pleine gueule et c’est sacrément bien.— Texte Romain Miroux Illustration Sylvain Cabot & Thomas Dircks

Penser en termes d’années Il faut dormir. Dormir pour être en forme, pour voir la psy demain, pour encore passer quelques heures en salle d’attente à lire et se souvenir des inscriptions murales, variant du classique « Nique les matons » au « J’ai buté ma femme et mes trois gosses, tant pis pour eux, ils l’avaient bien cherché », en passant par « Tous les juges sont juifs » et « Venezuela, 11 kg, nov 2006 ». Des fois j’aimerais bien lire, mais maintenant, je n’ai plus le droit de descendre de livres en salle d’attente. Je ne sais pas pourquoi. Parfois, je parle avec des mecs. Un Ecossais venant du Brésil, tombé à Roissy avec dix-sept kilos de cocaïne. Très sympa, vraiment. Un autre ayant pris huit ans ferme pour meurtre. Il en a déjà tiré quatre et dit posément : « Plus que quatre, ça va rouler. » J’ai déjà du mal à penser en termes de mois, alors en années… Plus tard, un dealer d’héroïne au kilo me confie : « Tu vois celui-là ? Eh ben il a prié avec Ben Laden. » Tu peux croire ou faire semblant, mais il n’y a jamais plusieurs bruits sur un mec : il n’y en a qu’un, et parfois c’est la vérité. Le coup de la double peine Souvent, des gars tranquilles, seuls en cellule, reviennent d’une activité pour trouver dans leur piaule un codétenu fraîchement sorti du service psychiatrique, enfermé là-bas pour s’être battu, taillé les veines, trop shooté aux médicaments, parfois les trois en même temps. Un « co » dont la première question est « Tu fumes ? Il te reste du tabac ? Parce que moi je suis short, là. » Un co avec lequel il vaut mieux partager pour éviter de comprendre de trop près la raison de ses troubles mentaux. C’est le coup de la double peine : t’es en taule et en plus ton co est pas zen.

« TU VOIS CELUI-LÀ ? EH BEN IL A PRIÉ AVEC BEN LADEN. » UN DEALER D’HÉROÏNE AU KILO

J’entends les oiseaux voler au-dessus de ma tête. Etrange cette impression qu’ils me regardent en se foutant de ma gueule, en me disant Tu vois c’est pas marrant, hein ? Je te

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ÉCOLOGIE • EN VERT ET CONTRE TOUT

LES BIOCARBURANTS COULENT UNE BIELLE Fin octobre, le « Grenelle » de l’environnement doit éclaircir la position française au sujet des carburants verts, soit 1 % de la consommation nationale d’essence. Problème : rouler à l’huile de friture, c’est tout bidon.

Il y a deux familles de biocarburants : ceux fabriqués à base d’huile (de tournesol, de colza, de soja, de palmier, de friture, de poisson) et ceux à base d’alcool (de betterave à sucre, de blé, de canne à sucre ou de maïs – « l’éthanol », c’est lui).

primaire (ou forêt vierge, n’ayant jamais été exploitée). Chaque heure disparaît l’équivalent vert de trois cents terrains de foot. Or, la forêt aide à limiter les rejets de CO2. Sans elle, nous ne parlerions plus d’effet de serre mais « d’effet de four ».

« Biocarburant » est un abus de langage Le terme approprié serait « agrocarburant », puisqu’il s’agit d'un carburant de substitution au pétrole, produit à partir d’une combustion de matériaux organiques. « Biocarburant » fait penser à l’agriculture biologique, donc à un truc écologique – un peu comme les yaourts « bio ». Or, vu que les biocarburants sont cultivés à base d’OGM, qu’ils grandissent avec une tonne d’engrais et qu’ils survivent grâce à une masse considérable de traitements pesticides, rien n’est plus inexact que ce préfixe.

2e hic : les pays pauvres vont manger du palmier Le prix des céréales flambe : en 2006, le maïs et le blé ont augmenté de 25 %, parmi une hausse globale et sans précédent des tarifs agricoles (+5,2 %) depuis la fin des années 80. Les industriels préfèrent alors investir dans des cultures qui serviront d’agrocarburant, plus rentable que les denrées alimentaires. Leur développement impose donc à certains pays du Sud, comme le Brésil, le Mexique et le Guatemala (qui n’étaient déjà pas les champions de l’obésité), de se mettre au régime. Dans ces pays importateurs de maïs en provenance des Etats-Unis, le prix de la tortilla a augmenté de 80 % en 2007.

Le gouvernement y croit, les industriels encore plus Sur le site de l’Assemblée nationale, la secrétaire d’Etat à l’écologie Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM pour les intimes) paraît pourtant lucide sur l’ère post pétrolière : « Le biocarburant, c’est très intéressant. Mais aucune option ne pourra remplacer le pétrole. Nous sommes à un embranchement de l’Histoire : soit nous faisons d’une grande politique de développement durable un atout, soit nous restons passifs, au risque d’être confrontés à une gestion de la pénurie difficilement compatible avec un système démocratique. » Nos politiques orchestrent donc un ballet pour lequel de nombreux danseurs songent à passer des auditions : les agriculteurs, agro-industriels, betteraviers, grands céréaliers (à la recherche de nouveaux marchés), les grands groupes (Total) et les constructeurs automobiles. Mais aussi les agronomes ou l’Institut français du pétrole. Le tout avec la bénédiction de l’Etat, qui voit là un moyen de relancer la croissance. 1er hic : ils contribuent au réchauffement de la planète En Malaisie, le développement de la culture d’huile de palme est responsable de 87 % du déboisement de la forêt

3e hic : le pétrole est toujours nécessaire Une directive européenne de 2003 fixait un taux de 5,75 % d’incorporation de « biocarburants » à la consommation d’essence des pays d’Europe. D’ici 2010, la France s’est carrément fixé 10 % (contre moins de 1 % aujourd’hui). Pour Michel Dubromel, responsable des questions de transport et de mobilité durables à France Nature Environnement, fédération d’associations écologistes, c’est irréaliste : « Les agrocarburants ne sont pas tous verts, le “bilan carbone” de certains agrocarburants (entre leur production et leur consommation) est plus important que celui du pétrole. De plus, pour fabriquer et acheminer un litre d’agrocarburant, il faut parfois un litre de pétrole ! Dans ce cas, ce n’est ni rentable, ni possible, puisqu’on n’aura plus de pétrole ! » 4e hic : la Terre n’y suffirait pas « Si l’on cultive du pétrole végétal sur 60 % des surfaces réservées pour ce type de culture, on peut faire rouler les camions français pendant… deux jours. Quelle serait la surface nécessaire si on voulait maintenir le trafic routier

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mondial ? La totalité de la planète Terre ne suffirait pas, même si elle était recouverte de cultures pour agrocarburants », poursuit Michel Dubromel. Vers une autre solution ? Que faire ? « La première réflexion de France Nature Environnement est la suivante : pourquoi nous déplaçonsnous ? Il est temps d’étudier la réduction de la mobilité. La voiture individuelle et le transport sur route sont les plus gros consommateurs de carbone – et surtout les moins efficaces. Pensons aux solutions alternatives : des cars à la demande et des transports collectifs comme le tramway (auxquelles beaucoup de villes, Lyon, Paris, et bientôt Brest ou Le Mans reviennent). De toute façon, à ce train, on ne pourra pas s’en sortir ! » Limiter ses déplacements en fera hurler certains, rêver d’autres. Ce que remarquait dès 1854 l’écrivain contemplatif par excellence Henry David Thoreau : « Si, au lieu de fabriquer des traverses, et de forger des rails, et de consacrer jours et nuits au travail, nous employons notre temps à battre sur l’enclume nos existences pour les rendre meilleures, qui donc construira des chemins de fer ? (…) Mais si nous restons chez nous à nous occuper de ce qui nous regarde, qui donc aura besoin de chemins de fer ? » La croissance, sans doute.— Texte Estelle Cintas Illustration Baby Scotch Pour aller plus loin Le dossier Les Agrocarburants : mythes et réalités, dans la lettre Arehn Infos n° 50, www.arehn.asso.fr. 99

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Pendant les années 60, lors du règne du prince Sihanouk au Cambodge, de jeunes chanteurs et chanteuses ont enregistré dans leurs garages des disques inspirés par ce qu’ils entendaient sur les ondes de la radio des Forces américaines. Mélange d’endogène (folk khmer, instruments traditionnels) et d’exogène (doo-wop, guitares surf et distorsions psychédéliques), le rock khmer avait ses clubs, ses fans et ses stars : Ros Sereysothea Sinn Sisamouth, Pan Ron. Pendant dix ans, avant l’arrivée de Pol Pot au pouvoir, le rock khmer a prospéré, inconnu en Occident. Plébiscité par Danger Mouse (Gnarls Barkley, Gorillaz) ou le rock-critic Nik Cohn, le meilleur de cette musique ressort aujourd’hui sur V/A - Cambodian Rocks (Parallel World/6 CD) et c’est inouï : une sorte de tropicalisme asiate, ou la plus belle rencontre musicale à ce jour entre l’Asie et l’Occident.— Wilfried Paris

Au Brésil, le tropicalisme de Duprat, Veloso, Gil et autres Os Mutantes ne fut pas seulement ce diamant étincelant des sixties, mais su se décliner sur toute une décennie. La samba et la bossa, mâtinées de garage américain, de fuzz et de glamour eurent leurs prolongements sur toutes les années 70, cultivant psychédélisme foufou et protest-songs expérimentales, en exil ou sous un régime avarié. Entre l’explosion spontanée des origines et la combustion prog-rock qui suivit, et avant le retour de bâton des 80’s FM, la compilation V/A - Brazil 70 – After Tropicalia : New directions in Brasilian Music in the 1970’s du beau label Soul Jazz (qui aime décidément les post-trucs), fait le résumé (lacunaire évidemment) du post-tropicalisme en ses multiples trajectoires singulières. Des maîtres inoubliables (Gil, Costa, Lee) aux génies obscurs (Ednardo, Seixas, Os Novos Baianos, Valença), ces tours de chant sont une belle introduction à un mouvement musical à l’imagination débridée, encore trop méconnu par ici.— W. P.

L’action se place à Graceland. « A l’extrémité sud de la place se trouve l’Elvis Presley Automobile Museum. […] A l’entrée trône une magnifique Cadillac bleue, posée sur un socle […] sous les feux des projecteurs, scintillent les chromes des Rolls Royce, des Stutz Blackhawks, le vernis des Ferrari, des Continental Mark, les laques des Mercedes, des Cadillac, des HarleyDavidson. Sont exposés également des objets personnels, blousons en cuir, carte de crédit pour essence, permis de conduire. » Au nom du King (Editions Aux lieux d’être), coulisses de la thèse d’ethnologie sur les fans d’Elvis soutenue par Gabriel Segré, maître de conférence à Paris-10 Nanterre, présente humblement les méthodes suivies par le chercheur pour appréhender cet objet d’étude pop : la religion Presley, ou comment le vide spirituel de l’époque se régénère de cultes profanes, vibrant de Belleville à la fameuse « Candlelight », retraite aux flambeaux devant la tombe du chanteur.— R. G.

Nous avons fait la connaissance du créateur de la collection de t-shirts Stunt !! en juillet dernier à Barcelone, pendant le salon de prêt-à-porter Bread and Butter. Alors, bien sûr, il y en avait des pelles de jeunes marques sympathiques, mais aucune ne collait mieux à notre thème et surtout, l’homme aux imprimés Lamborghini est venu lui-même déposer des cadeaux à la rédaction.— www.stunt-works.com M. A. — 100

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Dans Riot on Sunset Strip (Jawbon Press), le savant pop Domenic Priore prouve que les ChampsElysées branchés du Los Angeles 1966-67 et sa collusion showbiz/ contre-culture, genre Sonny & Cher, Peter Fonda, Nancy Sinatra meets les Byrds, Love et les Seeds, furent bien plus excitants que les hippies « authentiques » de San Francisco.— J.-E. D.

Zig zag zoug. Une seule de ces paires sera disponible cet hiver, celle au truck. Les deux autres sont des vintage américaines. Mais les damiers (motif déposé par la marque Vans) seront disponibles sur d’autres modèles : les montantes Sk8-Hi ou les classiques Slip-On.— www.vans.com M. A.

Si tu as du goût et que tu aimes danser, que tu aimes le rétro cool et le moderne raffiné, une seule solution : la Boutique chic, sélection dirigée par Georges Deligny, avec Cucumber, Vegomatic, Roudoudou, The Pinker Tones et la crème de la crème de la scène néo loungecore rétro futuriste 2007. Chouette ! Par ailleurs, échappé des pépites de Pony Taylor, Cucumber sort sur le label montpelliérain Cosmic Groove deux 45 tours sur d’immaculés vinyles colorés en blanc aux titres évocateurs d’univers psychotroniques, It’s Hippopotime et Chris Clubber.— J.-E. D. www.boutique-chic.com www.cosmicgroove.fr www.cucumbermusiclab.com

Misty Lane, la bible italienne des mods, des garage rockers et des amateurs de pop sixties, sort un nouveau numéro, toujours impeccable, avec des articles sur The Commitee, Jefferson Airplane, Q 65, Blue Magoos. En Grèce, le passionnant fanzine Lost in Tyme s’y colle avec de superbes articles, dont un papier sur ? and the Mysterians et une compilation groovy.— J.-E. D. www.mistylane.it www.myspace.com/lostintymefanzine « Enveloppe double 100 % coton finition Schintz, traité Teflon anti-tâche, garnissage en thinsulate pour une conservation de la chaleur optimisée ainsi qu’une bonne respirabilité du corps. Lavable en machine à 40 °. Impression numérique sur textile. Dim. 220 x 240 cm (quatre dimensions disponibles). Prix : 415 euros. Oreillers assortis. Dim. 60 x 60 cm. Prix d’une paire d’oreillers : 100 euros. » Au fait, la couette New York Tax i de la marque Lestra a été dessinée par les designers Mat&Jewski, je vous en informe car cela n’était pas inscrit sur l’étiquette.—Tel. lecteurs : 01 42 00 37 65 M. A.

La meilleure radio au monde est sur le Net : www.luxuriamusic.com diffuse une émission bubble-gum délicieuse présentée par Becky Ebenkamp, Bubblegum & other delights. On bulle de plaisir.— J.-E. D. — 101

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Standard 17 Cahier mode —

MATIÈRE SYNTHÉTIQUE « LES MODES PASSENT, LE STYLE JAMAIS. » COCO CHANEL

BEAUTÉ PAR LUCILLE GAUTHIER 104 « LAST DAY » ACCESSOIRES PAR ARMELLE SIMON « ROCK THIS TOWN » PAR JAÏR SFEZ 114 « CONCASCADOR » PAR SAMUEL ZLATOFF 122 « CONDUCTEURS DU DIMANCHE ! » PAR BERTRAND LE PLUARD 130 « NO CARS GO » PAR FRANCOIS HUGON 138 « CALANDRE » PAR VALÉRIE ARCHENO 146 « SPIRIT OF ECSTASY » PAR ILANIT ILLOUZ 156

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En bonus : série « Moto-cross » de Vava Dudu et Alfredo Piola sur le blog de Standard (www.standardmagazine.blogspot.com)

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Beauté Edito —

À VOS MARQUES, PRÊTS... Après avoir bullé tout l’été, le stress de la vie moderne fait son grand retour. Rentrée à 200 à l’heure : il faut que le corps suive. Pour éviter la déprime, resynchronisons-le. La caféine n’étant pas le meilleur des stimulants, intéressons-nous aux actifs instantanés, boosters d’énergie et concentrés express… C’est l’heure de passer aux stands pour recharger nos batteries.

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TOUTENUN Biomatrix 10, un gel après-rasage multifonction qui regroupe en un seul geste la totalité des soins nécessaires, soit 10 actions en une application chrono : apaiser, raffermir, tonifier, accélérer la cicatrisation, régénérer… En exclusivité aux Galeries Lafayette.

SPEED On connaissait les « regonfleurs » de lèvres, les « floutteurs » optiques, voici Tri Aktiline, un combleur de rides qui gonfle et lisse les sillons les plus marqués de manière quasi instantanée. La promesse : après huit semaines d’utilisation, l’apparence des rides est diminuée de 45 %. Aussi rapide qu’efficace. Riche en protéines et vitamines A, B et C, Super Speed, le dernier soin Nickel, stimule et hydrate durablement l’épiderme grâce à la métamulsion, un procédé breveté qui permet aux actifs de pénétrer trois fois plus vite qu’une émulsion classique. Biotherm invente un nouveau geste cosméto : le lifting express avec Lift Instant Flash, des ampoules bourrées d’actifs et de polymères tenseurs pour un coup de jeune en deux temps (trois mouvements). Au Printemps de la beauté. Côté make up, le vernis 1 seconde de Bourgeois fait sa petite révolution : un pinceau panoramique inédit et une formule enrichie en silicones volatiles à séchage ultra rapide permettent un temps d’application record.—

SURBOOSTER Six gouttes seulement du Concentré Essentiel Energisant Caudalie suffisent pour redonner de l’éclat aux peaux les plus ternes et stressées grâce aux huiles essentielles de rose musquée, d’amande et de pépin de raisin. Quatre gouttes pour le sérum revitalisant Skeen, formulé à partir de vitamine C pure et active 11 %, qui stimule la peau et assure une meilleure oxygénation. A utiliser ponctuellement ou en cure de 15 jours. Pour pallier les défaillances dues au stress de nos vies actives, Fushi, marque anglaise fondée sur un principe de beauté holistique, « la beauté extérieure vient du bien-être intérieur », a élaboré un cocktail riche en minéraux et en vitamines B et C, le complexe Total Energy. Une capsule par jour suffit à faire le plein en nutriments essentiels pour renforcer l’endurance et redonner de l’énergie. A découvrir aux Health & Beauty Bar de Sephora.—

Cosmence masque Cell Booster, un soin qui sait s’adapter aux emplois du temps des femmes les plus speed. Trois minutes seulement pour le masque coup d’éclat et, pour les plus pressées, 30 secondes suffisent pour la version gommage. Adieu trousse qui déborde et temps perdu. Rush Hour de Benefit réunit en un mini stick le nécessaire de beauté de la working girl. Sa texture crème beige rosé permet un maquillage express sur l’ensemble du visage. By Terry lance VIP, very important product, des sérums sous formes de stylos, de pinceaux massants et de roll-on au design futuriste simple, nomade et hygiénique. Hyper pratique, en un clic, la dose exacte de sérum est libérée pour cibler au plus près les besoins du visage. Idéal pour les femmes actives, ces outils « tout en un » se transportent partout et peuvent être utilisés à tout moment de la journée, même sur le maquillage. Chez Sephora à partir du 15 octobre.—

Par Lucille Gauthier Illustration Gwladys Rabardy — 105

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Beauté Sélection —

ENERGIZER Par Lucille Gauthier Illustration Gwladys Rabardy

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Déodorant parfumé Tokyo By Kenzo Gloss baume hydratant n° 2 Superbalm, Clinique Masque fondant instantané Nutri Repair Fructis, Garnier Crème pour les mains à la rose La Compagnie de Provence Soin de jour hydratant visage Essentiel-C SPF 15, Murad Soin stimulation jeunesse Baume +Jeune +Longtemps, Clarins Soin d’eau hydratant éclat yeux HydraFeel, Yves Saint Laurent Crème rafraîchissante pour le corps Gingembre Surprise, Origins Bain douche Ananas grenadine aux extraits de guarana, Sephora Gel nettoyant visage Blue Herbal, Kiehl’s Soin hydratant 24 H Aqualia Thermal, Vichy Stick paupières waterproof Aquatic Green Color Definer, Gemey Maybelline — 107

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LAST DAY

ACCESSOIRES PAR ARMELLE SIMON

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FEATURING NOUVELLE COLLECTION LEVI’S® FALL/WINTER 2007

ROCK THIS TOWN STYLISME SANDRINE ARNONE PHOTOGRAPHIE JAÏR SFEZ RÉALISATION DAVID HERMAN MAQUILLAGE SHIRIN MODÈLES THAÏ, SHAZZULA (AQUA NEBULA OSCILLATOR), JULIEN HALLARD REMERCIEMENTS JEAN-BAPTISTE GUILLOT (BORN BAD RECORDS), DAVID HISPARD (AQUA NEBULA OSCILLATOR), LA FÉLINE BAR, LE ZAK BAR

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SHAZZULA VESTE CUIR CLOUTÉE MOSCHINO COUTURE VINTAGE, CHEMISE EN SOIE BLANC CASSÉ LEVI’S® BLUE, JEANS SKINNY NOIR LEVI’S® RED TAB® 513, CEINTURE DAVID HISPARD (AQUA NEBULA OSCILLATOR), CHAUSSURES COLISÉE DE SACHA PAGE DE GAUCHE THAÏ CHEMISE BEIGE LEVI’S® RED TAB®, VESTE EN CUIR NOIR LEVI’S® BLUE, SHORT CUIR CHRISTOPHE LEMAIRE, CHAUSSURES PIERRE HARDY

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PAGE DE DROITE THAÏ BLOUSE GRIS FONCÉ LEVI’S® RED TAB®, SHORT CUIR CHRISTOPHE LEMAIRE, CHAPEAU JACQUELINE COIFFURE, CHAUSSETTES GASPARD YURKIEVICH

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SHAZZULA TUNIQUE NOIRE LEVI’S® RED TAB®, CEINTURE VINTAGE, CAPE MOMO, CHAUSSURES GASPARD YURKIEVICH THAÏ VESTE CHRISTOPHE LEMAIRE, CHEMISE VICHY NOIRE LEVI’S® RED TAB®, MINIJUPE MARINE LEVI’S® RED TAB®, CEINTURE VINTAGE

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JULIEN VESTE CHRISTOPHE LEMAIRE, CHEMISE BLEU CIEL LEVI’S® RED TAB®, JEANS NOIR VELOURS LEVI’S® RED TAB®, CHAUSSURES NOIR KENNEDY VINTAGE, FOULARD VINTAGE

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JULIEN JEANS SLIM NOIR LEVI’S® RED TAB® 511, CHEMISE LEVI’S® RED TAB®, CEINTURE DAVID HISPARD (AQUA NEBULA OSCILLATOR), FOULARD TOKYO VINTAGE, CHAUSSURES NOIR KENNEDY VINTAGE SHAZZULA CHEMISE VINTAGE, JEANS À BRETELLES ROUGES LEVI’S® VINTAGE CLOTHING THAÏ CHEMISE À MANCHES COURTES VICHY ROUGE LEVI’S® RED TAB®, JEANS SKINNY BLEU LEVI’S® RED TAB® 473

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JULIEN BLOUSON EN CUIR MARRON LEVI’S® VINTAGE CLOTHING, CHEMISE NOIRE LEVI’S® BLUE, PANTALON CHRISTOPHE LEMAIRE, CHAUSSURES NOIR KENNEDY VINTAGE SHAZZULA BLOUSE LEVI’S®RED TAB®, GANTS STYLIST’S OWN, CHAUSSURES ET CHAUSSETTES GASPARD YURKIEVICH

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to Zla l e u Sam latoff s e i aph gZ a togr ge Me Viol o h P & a l uil mi Maq les Mi è Mod

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Custom Lipstick par Vava Dudu — Casque Yamaha

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Custom Cagoule par Babyscotch — Casque Yamaha

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Custom Vaudou par Marion Jolivet — Casque Yamaha Strass Swarowski

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NORBERT T-SHIRT JEREMY SCOTT C/O KOKON TO ZAI, BLOUSON 55 DSL, PANTALON WOODS&WOODS MEN, LEGGINGS REPETTO, MASQUE DE MOTARD SPY OPTIC, BASKETS JC DE CASTELBAJAC POUR LE COQ SPORTIF.

CONDUCTEURS DU DIMANCHE ! PHOTOGRAPHIES BERTRAND LE PLUARD STYLISME JEAN-MARC RABEMILA ASSISTANTE STYLISTE JULIE BARANGER MODÈLES NORBERT ET FRANCK

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FRANCK CHEMISE QUINZE SERGE BLANCO, GILET FIRETRAP, PANTALON WOODS & WOODS MEN, CRAVATE BRAY STEVE ALAN, GANTS AGNELLE, LUNETTES KENZO, MONTRE NIXON. Std17_4.indd 131

NORBERT SWEAT FRANKLIN MARSHALL, LEGGINGS REPETTO, CHAÎNE PENDENTIF ANDREA CREWS, SANDALES ERIC LEBON.

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FRANCK POLO LACOSTE, GILET JEROEN VAN TUYL, PANTALON WOOYOUGMI, CASQUETTE FIRETRAP, LUNETTES KENZO, GANTS AGNELLE. NORBERT T-SHIRT TRICOLORE POUR LE COQ SPORTIF, BLOUSON JC DE CASTELBAJAC POUR LE COQ SPORTIF, PANTALON ROMAIN KREMER, CAGOULE BABY SCOTCH, MONTRE NIXON, TENNIS SPRINGCOURT.

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FRANCK CHEMISE QUINZE SERGE BLANCO, VESTE WOODS& WOODS MEN, FOULARD SIXTY, LUNETTES KENZO, GANTS AGNELLE. NORBERT SWEAT TWOTOM C/O KOKON TO ZAI, COMBINAISON WOODS & WOODS MEN, CALEÇON PULL-IN, GANTS AGNELLE, BASKETS ONITSUKA TIGER.

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NORBERT HAUT ZIPPÉ SURFACE TO AIR, GILET MATERIAL BOY C/O SURFACE TO AIR, CALEÇON LONG ANDREA CREWS, BANANE ANDREA CREWS, GANTS AGNELLE. FRANCK CHEMISE PAUL & JOE, SALOPETTE ERIC LEBON, CRAVATE ENERGIE, CHAÎNE PENDENTIF GWA, GANTS AGNELLE.

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Une série de François Hugon Modèle Samantha Ypma chez New York Models Assitant Matt Johnsen Remerciements My Love Jamie Johnsen

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Robe Alexandre Herchcovitch, Chaussures Vintage Charles Jourdan

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Robe Pleasure Principle, Chaussures Vintage, Gants Alexandre Herchcovitch

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Combinaison Alice McCall A droite : Short Alexandre Herchcovitch, Echarpe Vintage

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make-up julie nozières hair richard blandel chez b agency modèles camille yi chez ford models et bernhardt dubois chez bananas models

photographies valérie archeno assistée de cécile leroux direction artistique et stylisme eve prangey assistée de ayako iijima

Calandre

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camille chemisier en soie paul & joe, jupe imprimée fleurie et gants en cuir bordures écossaises vivienne weswood, boots en daim à fleur casadei, bernhardt chemise en jean clouté blaak, jeans blanc pepe jeans, chaussures tressées munoz vrandecic.


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robe bustier en vinyle et bolĂŠro en soie rayĂŠ giorgio armani, collier au doigt vernis munoz vrandecic


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camille blouse imprimé ikat cacharel, pantalon vivienne westwood, chaussures à talons vernis bicolore et lunettes paul smith bernhardt blouson en cuir kaki surpiqué hermes, débardeur number nine, echarpe et montre paul smith.


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camille chemisier en dentelles et franges fade, robe jacquard brillant cacharel, bottes en poulain pierre hardy bernhardt redingote jacquard paul smith.


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bernhardt costume trois pièces et chapeau style amish number nine, chaussures paul smith camille manteau manches bouffantes cacharel


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bernhardt pardessus woods and woods men, t-shirt en nylon giorgio armani


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remerciements dom’s, catherine leroy de la mairie de forges les eaux et le studio le petit oiseau va sortir

bernhardt veste en tweed paul smith, débardeur number nine, pantalon en cuir huilé blaak, lunettes et chaussures paul smith, porte-clef munoz vrandecic camille perfecto en vison clouté alenaakhmadullina, chemisier moon young hee, jupe en soie couleur cuivre sharon wauchob, cuissardes vernies casadei.


PHOTOGRAPHIE ILANIT ILLOUZ STYLISME OLIVIER MULIN MAQUILLAGE ESTELLE JAILLET COIFFURE MAKIKO NARA MODÈLE RALUCA CHEZ METROPOLITAN ASSISTANTE PHOTO ELINA JUOPPERI ASSISTANTE STYLISME MARLÈNE GIACOMAZZO STUDIO LE PETIT OISEAU VA SORTIR REMERCIEMENTS : WWW.DREAMCAR.FR, HÉLOÏSE DELAUNAY — 156

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ROBE JANTAMINIAU HAUTE COUTURE, BRACELET PAUL & JOE, COIFFE EN PLUMES VINTAGE CHEZ OLIVIER, BOTTINES GUESS PAGE DE GAUCHE ROBE ET CACHE-COL PORTÉ EN VOILETTE PAULE KA, BROCHE ROSIER MOUTON COLLET, BRACELETS METAL POINTU’S, ESCARPINS PIERRE HARDY

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ROBE KATIA BEREZKINA, PARURE TINA BARRAT, BROCHE CORPUS CHRISTI, MITAINES BUSCARLET PAGE DE DROITE MANTEAU DE COUR GEORGES CHAKRA HAUTE COUTURE, DIADEME VINTAGE CHEZ OLIVIER

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ROBE TUVANAM, BRACELETS METAL POINTU’S, ESCARPINS PIERRE HARDY

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ROBE FATIMA LOPES, BRACELET PAUL & JOE, ESCARPINS CASADEÏ

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Standard 17 Matière première —

MATIÈRE PREMIÈRE Ce qui sort

— Mode Surface to Air 170 Photo Weegee

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Médias Tracks 174 Musique Liars, Animal Collective, Dirty Projectors, Lee Hazlewood 176 Littérature Laurent Graff, Alizé Meurisse, Olivier Adam, Mark Z. Danielewski

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Cinéma Les Rois du patin, 99 Francs, La Nuit nous appartient, les DVDs 188 — 169

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Paillettes Jeunes pousses —

En sept ans, la boutique/studio de création Surface To Air est presque devenue un empire de mode. Graphiste et Parisien pure souche, Aldric Speer, 29 ans, explique comment ses vêtements se retrouvent en septembre dans les vitrines de Barney’s NY, sur Madison. Depuis quand ne couds-tu plus devant la télé ? J’ai jamais commencé. J’avais plus envie de monter une marque que d’être styliste, voir un projet aboutir plus que « faire » des vêtements. J’ai débuté comme vendeur chez Comme des garçons, puis acheteur pour le groupe Sazaby au Japon. N’ayant pas de formation particulière, j’ai dû prouver constamment que je méritais ma place. D’ailleurs, je m’entoure de stylistes avec qui confronter mes modèles [les premières collections furent élaborées avec Nicolas Andreas Taralis (DA chez Cerruti depuis) ou Blaak. Cet automne, seconde collaboration de Thomas Engelhart (DA chez Mugler), pour les 150 styles homme et première pour Dorothee Loermann, qui s’occupe des 100 looks femme].

Vous ferez quoi après ? Avec Nic [Jones, associé et directeur du salon Rendez-vous], on va ouvrir un practice de golf sur une plage de Bali. Il a eu cette idée l’été dernier : surfer le matin et boire des cocktails l’après-midi en twistant sur le sable.

Donnez-nous une bonne raison de croire que vous serez encore là l’an prochain ? On a un bail de neuf ans.

Vous a-t-on déjà confondu avec un autre créateur ? On est parfois associé aux deuxièmes lignes de créateurs. C’est souvent flatteur d’ailleurs : Raf by Raf, Acne.

Combien de collections comptez-vous dessiner ? Je ne compte pas arrêter. Je n’en aurai jamais marre, parce que je ne fais pas que dessiner : je produis, j’ouvre des boutiques… La dernière en date est à Sao Paolo et peut-être la prochaine à Los Angeles. C’est le développement qui m’intéresse. Tant que ça continuera à marcher, je ne me lasserai pas.

Vous a-t-on déjà dit que vous vous posiez trop de questions ? Non, c’est pas mon style. On préfère faire les choses sans réfléchir plutôt que prendre le risque de ne rien faire. Si demain on nous propose d’ouvrir un restaurant, on va dire oui. On n’a vraiment pas le temps, on ne sait pas ce que ça représente, mais on va dire oui. Parce que c’est génial, un nouveau projet.—

Qu’est-ce qui vous donne l’impression de sortir du lot ? On est des « pas que ». On n’est pas qu’une marque de vêtements, qu’un studio de DA, qu’un salon. On a commencé en voulant importer des créateurs pour notre boutique et puis on a fini par exporter un concept : prendre toutes les directions de création possibles dans le domaine de la mode et de la communication.

Entretien Magali Aubert

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Il y a eu des articles dans Biba ou Libé, mais un petit rappel est toujours éclairant : Surface To Air est un studio pluridisciplinaire né dans la rue de L’Arbre-sec d’une boutique alternative qui s’est développée de manière phénoménale grâce à la volonté de quatre jeunes associés. Leur nouvel espace (ouvert ce printemps) se devait d’être à la hauteur de leur rayonnement naissant : 600 m2 dans le Marais pour accueillir une seconde boutique, le magazine Vice France, leur ligne de vêtements (créée en 2005), le studio de création (visuels pour Tsumori Chisato, conseils pour Adidas Originals ou clip pour Justice – Never Be Alone, qui a remporté le MTV Awards face à Kanye West) et le meilleur salon de mode français (Rendez-vous).—

Vêtements Surface To Air en vente dans 20 boutiques en France. Renseignements au 01 47 03 30 98 Salon Rendez-vous : du 4 au 7 octobre, www.rendez-vous-paris.com Nouvelle boutique : 68, rue Charlot, Paris 3e Ancienne : 46 rue de l’Arbre-sec, Paris 1er qui proposent les collections de Surface, Cathy Pill, Raf by Raf Simons, Rick Owens, Atelier 11, Henrik Vibskov, Blaak...

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Pixels —

Photographe événementiel canonique du second tiers du XXe siècle, Weegee est montré dans tous ses contrastes au Musée Maillol. photographe forme une fresque plastique des tracas et des bizarreries d’une ville, dans laquelle il n’hésite pas à luimême se mettre en scène, muni de son flash ou non. Le grand intérêt de l’exposition du Musée Maillol, constituée de 228 tirages originaux issus de la collection Berinson, est qu’elle montre les diverses déclinaisons de quarante ans d’images. De scènes de baignade à Coney Island en liesse estivale au Lower East Side, de transports urbains en soirées interlopes, apparaît le photographe d’un quotidien en apparence moins catastrophiste, qui sait fixer tout ce que l’humanité new-yorkaise peut vivre au quotidien. Un tel panorama révèle à quel point la vision de Weegee aura été déterminante, ses images de célébration humoristique (parfois critique) lui donnent à sa manière autant d’antériorité sur le Pop Art qu’un Walker Evans, mais de l’intérieur du drame et de l’euphorie d’une société piégée dans sa représentation. A revoir en tant qu’icônes de l’ère des medias de masse, qui plus est, un important ouvrage reprenant les photographies de la collection Berinson vient d’être publié chez Gallimard.—

De Weegee, né Arthur Fellig en Galicie, on retient surtout le mythe : celui d’un photographe tellement à l’affût des faits divers qu’il branchait la radio de sa voiture sur le même canal que celui de la police. Pour le Daily News, l’Herald Tribune et le PM Daily il parcourt la ville de nuit afin d’y saisir tout ce qui peut relever du plus violent et du plus spectaculaire : cadavres sanguinolents retrouvés en pleine rue après règlements de compte mafieux, incendies, accidents. Tout ce qui peut rappeler aussi un pittoresque directement sorti des romans et des films noirs de l’époque. Si ce n’est que Weegee dépasse ses clichés pour en faire le feuilleton grinçant d’une déroute quotidienne. D’une voiture éventrée de plein fouet dans un immeuble, la légende de l’image pointe la présence d’un chat niché sous le véhicule et fixant le photographe : Le Chat curieux, lequel succède à de nombreux Aller au paradis dans un cercueil métallique à 5000 dollars et aux longs Ironie du sort : un policier hors service qui rentrait chez lui s’est fait tuer par balle devant une chapelle funéraire où un cercueil attendait à l’entrée. Au-delà de ses impératifs sensationnalistes, le

Texte Frédéric Maufras — 172

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Le feuilleton grinçant d’une déroute quotidienne.

Weegee dans la collection Berinson, Musée Maillol, Paris, jusqu’au 15 octobre. Catalogue au titre éponyme, Gallimard/Musée Maillol, 224 pages, 228 illustrations, 35 euros. www.museemaillol.com

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Paraboles Télévision —

Tour operator des freaks mondiaux depuis dix ans, le magazine d’Arte joue-t-il encore son rôle de passerelle contre-culturelle ? Sur le trajet du pétaradant C’était un rendez-vous, de Claude Lelouch, le corédacteur en chef David Combe, 37 ans, à peine deux points sur le permis, passe au contrôle technique. Pour notre numéro spécial vitesse, nous avons eu envie d’effectuer le trajet du court métrage de Claude Lelouch, C’était un rendez-vous [1976], dans lequel il traverse Paris sans décélérer.

je faisais un sujet par an. Je naviguais entre Paris Première, TF1 et TV5. Un copain cadreur chez eux m’a dit que j’allais m’amuser, j’y suis allé et ils m’ont proposé un sujet sur le dub londonien. J’y connaissais rien du tout. Le style de l’émission était déjà très marqué. Quand j’arrive, Tracks est purement musicale, dure vingt-six minutes et se veut très underground, engagée, news magazine, limite discours publicitaire – sympa, hein. Plus tard, avec Jean-Marc, on met en place un certain nombre de nouvelles rubriques, en changeant de format, de rythme. Etre deux m’a permis de tenir. Il y a quand même de la pression, avec Arte. Des objectifs. Quand tout va bien, cinq cent mille personnes regardent Tracks.

Vous n’avez jamais fait de sujet sur ce film polémique ? David Combe : Partant de la porte Dauphine. On a seulement passé le clip du groupe Snow Patrol, qui l’avait repris. Je l’avais vu sans le son, intrigué, qu’est-ce c’est que ce plan-séquence ? Ça ne m’étonne pas de l’époque : les mecs se faisaient plaisir, ne respectaient rien. La caméra est placée très bas, cela donne une sensation de danger très efficace. Remontant l’avenue Foch. Depuis combien de temps avez-vous cette voiture ? Descendant les Champs-Elysées. Six ans. C’est la BMW 316 de ma femme. Elle était enceinte et elle a eu envie d’une voiture. Elle ne m’a pas coûté grand-chose – mille euros. Je n’aimais pas du tout les BMW : de ma banlieue de Verrièresle-Buisson [Essonne], je trouvais que c’était des bagnoles de richards, de cadres supérieurs qui friment en carrosserie noire. Celle-là, ça va, elle a plutôt un look de gitan. C’est la voiture imparable pour se faire arrêter par les flics. C’est pourtant celle d’un ancien commissaire, un modèle de 1980 qu’il entretenait depuis vingt ans. J’y connais rien, moi, je déteste ça, conduire. Les conducteurs sont râleurs, agressifs. En plus, c’est un gouffre financier et à Paris, ça sert à rien, sauf pour déposer mes deux enfants chez mes parents. J’aime mieux ma vieille Vespa. Que signifie cette vierge sur le tableau de bord ? C’est la Vierge du Parking, un cadeau que mon collègue Jean-Marc [Barbieux, corédacteur en chef] m’a ramené de Los Angeles. Quand on la remonte, les ailes s’activent et on trouve une place tout de suite. Arrivant place de la Concorde.

Comment définir l’émission ? Elle repose sur une idée complexe qui donne ce sentiment de « bordel » : c’est d’arrêter de catégoriser la culture, de l’isoler de la société, en faisant l’effort d’y intégrer un autre élément, « les communautés intentionnelles » – je ne dis pas « tribus », c’est un peu galvaudé. Nous relions le tout par l’histoire du mot « culture » en allemand, englobant le lifestyle, les modes de consommation et les mentalités. Tracks parle de ceux qui sortent des sentiers battus, qui ouvrent des portes, qui bougent leurs fesses. Ce qui ne signifient pas qu’ils vont réussir, qu’ils font quelque chose d’intéressant, de joli ou de louable, mais on estime que ces diversions auront des répercussions. Longeant le quai de l’Hôtel de Ville. On l’a vu avec les « perdants magnifiques », qui font tout pour refuser de gagner de l’argent et rentrer dans le système, qui gaspillent leur énergie à faire du skate et des choses absurdes et qui se retrouvent exposés à la Biennale de Venise en tant que « référents culturels ». Ce que développe Bruce Benderson dans son essai Concentré de contre-culture : les mouvements contreculturels finissent toujours par être récupérés. C’est ça ou les idées crèvent. Elles finissent par devenir des produits marchands alors que c’était invendable au départ. Le punk. Les raves. Le bouquin d’Hakim Bey sur les « zones d’autonomie temporaires », à propos duquel on a fait une spéciale, donne une explication perverse : n’importe

Journaliste à Tracks depuis quand ? Optant pour une voie souterraine, direction Châtelet – entorse à l’itinéraire lelouchien car David doit rejoindre son bureau. Quasiment depuis le début, 1997, j’étais pigiste, — 174

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« Une société n’a que deux moyens d’appréhender ses fortes têtes : les écraser ou les intégrer. » David Combe, Tracks

explosions, et un architecte des cités. Des gens qui inversent les valeurs. « C’était mieux avant », c’est l’erreur fatale quand on fait du journalisme. Si ça se trouve, à Sarcelles, il y a des mecs en train de s’éclater qui font un truc déterminant pour les dix ans à venir. Se garant devant sa boîte de production, près de la rue de Charonne : « T’aurais dû le faire avec mon patron, il a une Porsche Carrera. »

quel mouvement est récupéré parce qu’il est tenté, à un moment, de s’institutionnaliser, en prenant de mauvaises habitudes, en créant des lois, des hiérarchies. Hakim Bey suggère qu’en renonçant à l’idée de durer, on a une chance de rester contre-culturel. Etre mobile, avoir conscience de sa propre fin, c’est très nihiliste. Tracks est comme un appareil sismographique pour tous ces mouvements qui nourrissent le système, laissent des traces ou des icônes. Déboulant sur l’avenue Henri-IV puis place de la Bastille.

Projets ? Un festival, Get Off The Tracks, premier rassemblement des mondes hors-pistes, worlds off-tracks, en partenariat avec Agnès b., les 1er et 2 décembre. Vous y verrez des vidéos activistes, des membres du Critical Art Ensemble, la boîte d’édition d’Hakim Bey, soupçonné de « bio terrorisme » par la CIA, des décadents tokyoïtes habillés mangas fétichistes, des burlesques gothiques anglais, des poupées digitales, des adeptes de la modification corporelle et d’incroyables imports ragga et rockabilly. L’idée d’underground à tout prix, pur, caché, est un peu morte.—

Vous venez de fêtez vos dix ans. Doutez-vous d’avoir fait le tour ? Ce serait prétentieux. Le monde est beaucoup plus dingue que l’on croit. On a fait le tour du pâté de maison, on connaît la France, l’Allemagne, l’Angleterre, mais il y a deux cent cinquante pays, non ? Je n’ai pas de lassitude. Le mec de Thalassa parle de poissons depuis trente-cinq ans, il ne s’emmerde pas. Ce matin, on a fait se rencontrer un artiste qui repeuple ses merdes avec des petits soldats, un Suisse qui met des bombes dans des petits gâteaux et filme ses

Une scène du film de Claude Lelouch (1976) à 200 km/h.

Aujourd'hui : impensable, le feu est rouge.

Tracks, Arte, chaque jeudi à 23 h 25 Entretien et photographies Richard Gaitet — 175

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Platines —

Ce ne sont pas des bobards : le trio expérimental new-yorkais Liars s’offre un puissant virage pop, à la lisière de l’adolescence.

Après Drum’s Not Dead, leur album multimédia sorti en 2006 (chaque titre était accompagné de trois mini films exclusifs), les Liars sont de retour avec leur projet le plus dépouillé et direct à ce jour. On le sentait venir depuis quelques lives furibonds, où Angus Andrew, Aaron Hemphill et Julian Gross se transformaient en power trio de choc, reprenant Nirvana à fond les ballons et faisant sauter en l’air toute une foule sur des pop songs acides de surcharges électrique ; le Liars nouveau serait donc pop, ferait tabula rasa d’une trilogie discographique rocailleuse, qui avait plus à voir avec Throbbing Gristle qu’avec AC/DC, figurant ainsi le premier disque commercial du combo noise rock le plus dangereux de la major EMI. Car, après quelques appels du pied déceptifs au mainstream et des embryons de tubes morts-nés dispatchés çà et là, les néoLiars réconcilient les fans de Whitehouse et de Ouï FM sur leur premier album éponyme. Presque un premier album tout court. Selon ce grand escogriffe d’Angus Andrew, chanteur et guitariste so trendy, « on vient de la noise et la musique expérimentale est devenue pour nous la norme. Alors, l’idée de faire des chansons pop dans une forme très traditionnelle est apparue pour nous la seule chose expérimentale à faire : un vrai défi, très effrayant. Ce disque est probablement notre

plus extravagant, au regard de ce que nous savions faire, parce que nous avons dû apprendre à jouer autrement, à perdre nos habitudes. » Enregistré au studio Roc de l’ancienne Allemagne de l’Est, et mixé à Londres par Gareth Jones, producteur d’Erasure et de Depeche Mode, le Liars nouveau abandonne les collages sonores de trente minutes, aux titres alambiqués comme This Dust That Makes The Mud, pour laisser place à des chansons parmi les plus conventionnelles et puissantes de leur répertoire. « Aaron et moi travaillions séparément, chacun de notre côté, et dans des directions très différentes. Mais nous avions le même objectif : écrire ce que nous ressentions quand nous étions adolescents. » Aaron soufflant le chaud (fréquences graves, basses saturées et mélopées entre le Velvet et les Spacemen 3) et Angus le froid (médiums et aigus qui vrillent les tympans, lyrics teenage, riffs Motörhead). Les Liars offrent hits survoltés à la DFA 1979 (Cycle Time), petites litanies façon Beck (Houseclouds), punk garage/ digressions dissonantes manière Sonic Youth, et réveillent les fantômes européens du Bowie de Low. Ils font bien de cet album dualiste un futur classique rock de 2007.— Live! Les bonimenteurs affabulent le 9 octobre à Lille, le 10 à Paris et le 11 à Lyon.

Texte Wilfried Paris Photographie Joe Dilworth — 176

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Huitième livrée du zoo psyché folk de Baltimore posé à New York, cette Confiture de fraises coule-t-elle dans le gosier ?

Hier Depuis 2000, Animal Collective accumule les disques majeurs et les performances haletantes. « Il y a un moment pour écrire et enregistrer, où vous sentez que la matière est suffisamment mûre. Vous êtes encore en train de la créer, très attaché, émotionnellement. C’est là qu’il faut bouger. » Tout d’abord apparu sur leur propre écurie puis signé sur Fat Cat (très essentiel label de Brighton), le quatuor du Maryland monte en puissance sans dévier de ses principes. « Trop s’inquiéter de ce qu’on peut penser de nous empêche de faire quelque chose de vraiment personnel. Très longtemps, l’accueil n’a pas été aussi positif. »

« particulièrement sereins pour continuer à faire exactement ce que nous voulons, avec nos tripes et notre instinct, comme toujours ». Juste à temps. Demain Des concerts prophétiques auront levé le voile durant l’été : Animal Collective se passera de guitares sur scène, leur psyché folk se projetant dans un futur 100 % électronique. « Nous avons déjà une dizaine de nouveaux morceaux, tout aussi dynamiques et rythmiques, peut-être un peu plus moelleux. Nous travaillons avec beaucoup plus de textures acoustiques, de textures de basses. En pensant énormément aux structures de la musique classique. » Et la transe était là, lors de ce concert de juillet à la Maroquinerie. Toujours avoir un disque d’avance, comme un pied dans le futur.—

Aujourd’hui Strawberry Jam, album de transition pour un présent étrangement pop, publié chez Domino, maison mère de Franz Ferdinand, Four Tet ou Arctic Monkeys. « Nous sommes en train de changer » : le fruit d’un travail raffiné, jouissif, rendu compliqué par l’emménagement de Panda Bear à Lisbonne. « La distance a pimenté les choses, en ajoutant un truc amusant. Nous savions déjà que ça marcherait dès la première répétition sans lui. » Collectif à géométrie variable, ces animaux se sentent

Discographie 2000 Spirit They’re Gone, Spirit They’ve Vanished (Animal) 2001 Danse Manatee (Catsup Plate) 2002 Hollinndagain (St. Ives) 2003 Campfire Songs (Catsup Plate) 2003 Here Comes The Indian (Paw Tracks) 2004 Sung Tongs (Fat Cat) 2005 Feels (Fat Cat) 2007 Strawberry Jam (Domino)

Texte Jean Soibon Entretien Alexandre Cortay Photographie DR — 177

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Platines —

Artiste lunaire ancré à Brooklyn, le jeune David Longstreth invente une musique à la fois transe, folk et savante. Le lien essentiel entre Arthur Russell, Prince, Grizzly Bear ou Kronos Quartet.

Dirty Projectors éclaire la voie. Derrière : David Longstreth, du genre productif. Un peu bizarre, aussi. Echappé des amphithéâtres de Yale où la vie lui promettait un avenir doré, il creuse « un genre d’idée sur les choses et leurs représentations, comme des reflets légèrement variés et érodés… à la Stuck Inside of Mobile With The Memphis Blues Again *. » Longstreth se réinvente alors dans l’enregistrement de musiques fascinantes. Entrelacs de voix, arrangements de cordes, mélodies lancinantes, rythmiques tribales. Dirty Projectors se construit lo fi puis se décompose laptop, en un précieux sirop musical. Le jeune homme n’est pas facile à cerner. On pense à Prince dans cette façon de placer sa voix. « Je pense la voix comme un autre instrument, avec mélodie et contrepoint, plutôt qu’avec un profil nécessairement narratif. Et puis j’aime ajouter du poids, du travail ou du sens. » On croise le spectre d’Arthur Russell (élève de Philip Glass, violoncelliste et spécialiste des musiques indiennes qui, dans son œuvre imposante, trouva le temps d’inventer la garage music) dans cette approche à la fois intuitive et savante. Mais non : « J’ai découvert son travail plutôt récemment. J’ai écouté World of Echo (1986), que j’aime énormément, mais ce n’est pas une influence. » Quant à son rôle de compositeur (« avec cette valeur d’histoire et de formalisme ? »), David mélange les cartes : « Quincy Jones, un vrai compositeur, lui. ».

guerre entre Cortes et les Aztèques (The Getty Address). Elle est aussi solitaire : « Il y a tellement de communautés musicales différentes à New York – d’ailleurs ce serait agréable d’être impliqué dans l’une d’entre-elles. » De nouvelles collaborations ? « J’aimerais travailler avec Jay-Z. » En lieu et place de cette figure hip hop, deux outsiders de Grizzly Bear (Chris Taylor et Christopher Bear) apparaîtront sur son prochain projet, Rise Above, bientôt disponible. Alléchant : David y reprend de mémoire l’album Damaged de Black Flag, premier groupe punk hardcore de l’histoire fondé en 1976, sur la base des souvenirs de la vieille cassette qu’il avait ado. « M’est apparu que je devais le faire. » A venir, donc, ce témoignage sensible et maladroit, basé sur l’intuition, méchamment incontournable. On vous aura prévenus. — *Chanson de Bob Dylan sur Blonde on Blonde, 1966, qui

inspira son nom au Groupe de Memphis, mouvement de design et d’architecture influent, fondé en 1980 par de joyeux drilles en réaction au sinistre post-Bauhaus.

DISCOGRAPHIE 2002 The Graceful Fallen Mango (This Heart Plays) 2003 The Glad Fact (Western Vinyl) 2003 Morning Better Last! (States Rights) 2004 Slaves’ Graves and Ballads (Western Vinyl Records) 2005 The Getty Address (Western Vinyl) 2006 New Attitude EP (Marriage Records) 2007 Rise Above (Dead Oceans)

Black Flag « de mémoire » Sur disque, l’aventure est constante. Entre transe folk pour ensemble à cordes (Slaves Graves & Ballads) et opéra rock majestueux, dans lequel Don Henley – des Eagles – se perd dans un cauchemar post-colonial sur fond de

Texte Guillaume Leroyer — 178

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Pour ceux qui auraient manqué des épisodes, Stuart Moxham se cache derrière l’un des plus grands disques new wave, Colossal Youth, signé de son ex-groupe Young Marble Giants (récemment réédité avec pléthore de bonus). De Stuart, vous connaissez Love At First Sight, repris en France par Etienne Daho, filtré sous le titre Café de Flore. En compagnie de l’expatrié Louis-Philippe, reprenant les choses où Polnareff et Michel Legrand les ont laissées en 1969 avec une sensibilité moderne, Stuart propose aujourd’hui un bel ouvrage. The Huddle House tient du labor of love pop intemporel, que l’on écoutera dans cinq ans quand d’autres engouements seront retombés comme des soufflés. A l’acoustique, porté par une voix discrète, le charme opère. Dans ses notes de pochette, Moxham décrit ses chansons en quelques mots, on entre dans l’intimité de l’artiste sur la pointe des pieds, sans déranger. C’est tout l’effet de cette « maison à l’intérieur de laquelle se blottir » à la douceur pastorale, suave et subtile.— Jean-Emmanuel Dubois

Soufflant sa dixième bougie, le prolifique label allemand Tomlab rassemble les images disparates et truculentes d’un riche catalogue en une image généreusement cohérente : Puppy Love, état des lieux pétillant qui fleure bon l’eau de Cologne. En 1997, Joerg Follert, Jens Massel et Tom Steinle publient un CD-R de Visor (hommage ambient au Laughing Stocks de Talk Talk), premier d’une centaine de références éditées. Tomlab soigne son esthétique (jusqu’à signer l’album de l’artiste David Shrigley, auteur de l’artwork du dernier Deerhoof) et cultive sa pépinière avec Alphabet Series, opération trimestrielle de 45 tours colorés. Chercheur insatiable et artisan d’un son singulier, Tomlab dresse un bilan pop capiteux sur 21 morceaux, où retrouver les attendus The Blow, Casiotone For The Painfully Alone, Xiu Xiu, The Books, Patrick Wolf et Les Georges Leningrad, savourer des inédits de Simon Bookish, Erase Errata, Final Fantasy, Deerhoof, Christopher Francis et déguster les nouveaux venus Munch Munch et No Kids. Groß, on vous dit.— Jean Soibon

Les numéros trois ne sont pas toujours les meilleurs (Mad Max 3, par exemple). Le troisième album studio de Bertrand Burgalat, Chéri B.B., est à l’inverse un aboutissement. Et s’il ne portait qu’en son sein cet ébouriffant duo disco avec le mage de Canterbury Robert Wyatt (le barbu le plus cool du royaume d’Albion, avec Alan Moore, voir p. 88), ce disque resterait fréquentable. Burgalat, l’un des rares artistes hexagonaux contemporains dont la somme des influences est supérieure à leurs sources séparées, invoque le krautrock, la pop et le disco. Notre ami à la frange Playmobil ne prétend pas réinventer la poudre : il offre un plat relevé de paroles aux petits oignons, dont l’ironique Mal de bright, co-écrit avec Matthias Deburreaux (M. Produit de l’année), uppercut dans les gencives de l’icône goth par excellence, la Mort. Vous en comptez beaucoup, des artistes rendant hommage à Vic Godard (Subway Sect) avec autant de panache, voire qui connaissent l’auteur de Out of Touch ? S’il existe une justice, les imitations véreuses à la Benjamin Biolay iront moisir en enfer et Chéri B.B explosera à grande échelle. Oubliez toute résistance.— J.-E. D.

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Ninja Tune, c’était bien en 1996, en pleine période trip hop, mais maintenant, à part intéresser des DJ chauves et subventionnés de hiphop instrumental, quel intérêt ? Vous pouvez rayer cette phrase. Le label vient d’exhumer un disque de 1969 qui n’a pas pris une ride. Remontons le temps : Doug, Daryl et Dennis Dragon, brothers fans de « Ray Charles, Oscar Peterson, Beatles, Stones, Hendrix, Miles Davis, les artistes Blue Note, les musiciens be-bop » vivotent et barbotent autour de Malibu. Membres éphémères des Beach Boys – Doug jamme au piano et Daryl Dragon « se prend ses hamburgers en pleine face parce qu’il ose en manger sous le nez du végétarien Dennis Wilson » – les frérots composent pour eux BFI, « Blue Forces Intelligence », jazz funk sophistiqué à la David Axelrod et spleen profondément californien que ne dénigrerait pas Philippe Garnier. BFI sous le bras, ils font le tour des labels, « personne n’en veut », « se découragent » et « rangent les bandes sur l’étagère ». Dennis devient producteur, Doug part à Hawaï puis en Australie, Daryl s’investit sur deux albums de Dennis Wilson (Pacific Ocean Blue et Bamboo, encore inédit) avant de décrocher un tube sous la forme du duo Captain & Tenille (Love Will Keep Us Together). BFI ? Au placard. Jusqu’à ce que le designer sonore DJ Food, « qui sait entendre entre les lignes », ne tombe par hasard sur la bande originale d’un film obscur contenant, devinez, l’un des morceaux secrets. Qui l’incite à remonter le fil de ce conte surf et à retrouver Dennis Dragon, qui l’avertit de l’existence d’un album complet. « Mieux vaut tard que jamais, non ? » Tu m’étonnes, Doug.— Jean-Emmanuel Dubois

Vous le savez peut-être, l’Espagne est une terre accueillante en matière de pop. Des coloris stars de la Caza Azul en passant par Elefant Records et Siesta, on ne vénère pas que la tortilla au pays de Jesus Franco. Single est le projet solo de Teresa Iturrioz, chanteuse de « Le Mans », dans la lignée de Saint Etienne (après Rouen, tournez à gauche) avec un côté plus âpre, ibère, en somme. Accompagnée de son acolyte Ibon Errazkin, Teresa ne s’est pas moqué du monde : Pio Pio accroche par ses mélodies, son interprétation fine et ses arrangements complexes, la chanson éponyme, électro jazz aux accents Moondog et talk over diaphane, méritant à elle seule l’acquisition de cet album. Soyons sérieux : Lee Hazlewood vient de mourir, Claudine Longet ne risque pas d’enregistrer un nouveau disque, Jeannette ne répond plus au téléphone. Bref, les occasions d’écouter un tube de ce calibre sont rares.—

Nick Talbot trimballe sa tristesse lumineuse depuis plusieurs disques majestueux. Ayant trouvé refuge sur le label Warp (qui a décidément le nez fin), ce fragile de Bristol se reconstruit sur la base d’un songwriting à fleur de peau dans Gravenhurst (nom chipé à Dave Pajo). Entre voix cristalline scintillant sur un lit de mousse et rock musclé cognant ses rythmes essentiels, Gravenhurst grandit au gré du vent. Souvent comparé à Nick Drake ou Low, il s’aventure aussi du côté des univers de My Bloody Valentine ou Slowdive pour mieux renaître sous la forme d’un one man band, entouré mais éternel solitaire. Car dans sa douleur, Nick reste seul. Musique merveilleuse et dépressive, Gravenhurst transporte des fantômes. Et ce malheur installe une étrange distance entre l’œuvre et son auteur, empêchant toute facilité et stigmatisant tous les éclairs de génie, faisant de The Western Lands un petit pas plus loin dans une vérité toujours plus belle. Jusqu’à la rupture ?— Jean Soibon

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Platines RIP —

Le psychédélique chanteur producteur de l’Oklahoma s’en est allé début août, à 78 ans, d’un cancer du rein dans sa demeure de Las Vegas. Il est l’homme de These Boots Are Made For Walking, tube symbole de l’émancipation féminine, interprété en 1966 par Nancy Sinatra (que Lee voulait entendre « comme chanté par une gamine de 14 ans qui s’envoie en l’air avec des chauffeurs routiers », mais d’abord composé pour lui-même). D’autres l’auront découvert via la reprise de Some Velvet Morning par Lydia Lunch et Nick Cave. Responsable du son de guitare de Duane Eddy et des premiers disques de Gram Parsons, Hazlewood s’installe en Suède au début des seventies pour éviter à son fils Mark son incorporation dans une armée en route vers le Vietnam. Au pays d’Ingmar Bergman (disparu la même semaine), il publie de nombreux disques sans rencontrer de succès commercial, puis sombre dans l’oubli, jusqu’à la réédition en 1999 de son catalogue par le batteur bonhomme de Sonic Youth, Steve Shelley, via son label Smells Like.

L’auteur de ces lignes se souvient d’un concert parisien, au Trianon en 2002 où grâce au guitariste Pete Aves et les High Llamas, il se fit dédicacer backstage l’album Requiem For An Almost Lady (1971). Le moustachu s’était saisi du disque en marmonnant « Celui-là, j’en ai vendu trois », sourire en coin. Barton Lee Hazlewood enregistrait sa musique pour qu’elle se vende ; ce qui expliquait peut-être, live, ce soir-là, l’excès de Solo rock FM et de claviers DX7. On se jetait alors, en rentrant, sur Nancy & Lee (1968) et Nancy & Lee Again (1972), ainsi que le splendide Cowboy in Sweden (1970) assorti de Love And Other Crime (1968). Dans son premier numéro, Standard en avait fait le pionnier de sa rubrique « Vieux génies ». Il nous disait : « Je suis un peu solitaire, mais j'ai vécu comme un roi. » En décembre 2006, il publiait son dernier album Cake or Death.—

Réédition des trois albums MGM de Lee Hazlewood chez Runt Records www.runtdistribution.com/water.html

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Papiers Chroniques —

OLIVIER ADAM

rien A l’abri de Editions de l’Olivier, 219 p., 18 €

Cher Olivier Adam, Lorsque nous nous sommes réunis pour décider des livres de cette rubrique, j’ai annoncé que j’allais chroniquer le vôtre, arguant d’une lointaine fidélité à l’égard de votre travail et d’un véritable coup de cœur pour votre précédent roman, Falaises. Je n’en ferai rien. Parce qu’autant vous le dire tout de suite, Olivier Adam, vous m’énervez. Vous m’énervez même prodigieusement. Je veux dire en tant qu’auteur, moi aussi. Je suis jalouse de vous, de votre envergure, de votre talent. Voilà. Depuis longtemps. Mais là, franchement, vous dépassez les bornes. Par exemple, quand vous écrivez : « Je voudrais bien savoir si les enfants se remettent de ce genre de choses. De ça et du pire à venir. A mon avis, non. Personne ne se remet jamais de rien. Il suffit de regarder les gens autour de nous. Ici ou ailleurs. Dans la rue, les maisons, partout. Ce que chacun trimballe de casseroles, ce qu’on enterre avec soi. » Ça m’énerve parce que c’est ça. Parce que j’aimerais l’avoir écrit. J’ai des tas d’amis écrivains très sympathiques dont j’admire le travail, ça n’est pas la question. Vous, ce n’est pas pareil. Vous ratissez la même terre, vous brassez le même désespoir, je crois bien que nous sommes faits du même bois, nous venons des mêmes banlieues, nous sommes sensibles aux mêmes nuits, aux mêmes thèmes (et je ne parle pas de ceux qui soulignent que mon livre s’apparente au vôtre, ou l’inverse, hein, on pourrait croire que j’en profite pour me faire de la pub). Nous avons quelque chose en commun. Quelque chose qui fait que votre livre me tombe des mains et je me dis : putain, comment il fait ? N’allez pas vous y méprendre, je ne suis pas en train de vous faire une déclaration. Vous n’êtes pas du tout mon genre. Et j’espère sincèrement ne

jamais vous rencontrer. Mais vous êtes décidément l’écrivain des enfances saccagées, des vies abîmées, des morts qui rongent les familles, de l’ennui, de la perte, vous êtes l’écrivain de la mémoire persistante, de la violence quotidienne, vous savez dire le monde qui vous entoure, noir. Et de cette obscurité naît la lumière. Je ne vous félicite pas.— Delphine de Vigan

MARK Z. DANIELEWSKI

O Révolutions Denoël, 360 p., 25 €

Il est des livres qui constituent une gageure totale pour le critique. O Révolutions (Only Revolutions en anglais) du génial et taré Mark Z. Danielewski est de ceux-là. Il ne s’agit pas d’un livre-monde mais d’un livreodyssée. Il faut le voir pour le croire : quatre textes/récits par pages, deux à l’endroit, deux à l’envers. Tous les O du

livre en jaune ou vert. Des néologismes à foison, de la poésie, de la vitesse. 360 pages, 360 mots par page et la boucle est bouclée, à l’infini. C’est une épreuve physique et mentale, un marathon couru comme un sprint qui vous emmène de la guerre de sécession à la guerre froide et bien plus encore. Avec deux adolescents éternels, Sam et Hailey – imaginez Adam et Eve punks, ou Roméo et Juliette crunks, hurlant « On a toujours 16 ans ! ». 16 ans ou l’âge des révolutions possibles : accession au corps, au langage, à la vie. Sam et Hailey parcourent les EtatsUnis dans tous les sens, dans toutes les voitures et connaissent toutes les histoires du monde : l’Amour, la Haine, la Violence, le Mensonge, le Renoncement, les Guerres. Sam et Hailey baisent, se droguent, se battent : « Là où je vais la voie devient. » pense Sam. Contre le monde, pour le monde, ils se battent et se débattent. Autour d’eux, la faune et la flore, éternelles, les observent, comme les Dieux. Autour du récit, l’Histoire, éternelle aussi, se morcelle, dans ce drôle pays que sont les USA. D’un côté le récit de Sam, à l’envers celui de Hailey, les deux se recoupant page 180. Le critique pressé aura donné quelques pistes, il dira qu’ici se croisent Shakespeare et Pérec et que le roman fera date, forcément. Il n’emploiera pas le terme roman culte auquel il préfèrera celui de roman mythique. Il expliquera qu’au bout du livre, du voyage, il y a la Mort, certainement, mais aussi la Liberté et l’Amour-toujours. Sam et Hailey for ever. Finalement, le critique concluera par ce qu’il sait faire de mieux, citer : « Tout le monde rêve le Rêve / mais noUS le sommes. » Rêvez ce livre, vous pourrez dire que vous y étiez.— Jean Perrier

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CLARA DUPONT-MONOD

BRUCE BENDERSON

Grasset, 233 p., 17,90 €

Scali, 332 p., 24 €

Après avoir prêté sa voix au roi Marc, le mari doublement trahi de Tristan et Iseult, Clara Dupont-Monod donne aujourd’hui la parole à Juette la recluse. Juette que l’on connaît par le chapitre que lui a consacré l’historien Georges Duby dans ses Dames du XIIe siècle et dont la biographie a été écrite par Hugues de Floreffe, un prêtre qui fût son confident et son ami. Juette est née en 1158 à Huy (petite ville de l’actuelle Belgique). Enfant étrange et solitaire, elle est mariée à 13 ans à un receveur des impôts choisi par son père. Dès la première nuit, l’homme entre en elle par effraction « comme on éclate une pierre » et n’a de cesse de renouveler ses assauts. Veuve quelques années plus tard, refusant un nouveau mariage, Juette a des extases, s’engage dans la religion. Dans ce Moyen Age qui voit naître les premières hérésies cathares, elle défie le clergé : « Si je dois suivre un monde, ce sera un monde sans pape et sans mère, sans autre loi que la mienne. » Libre, insoumise, si perméable au monde et si hermétique aux hommes, Juette fera de sa vie un trajet exemplaire et mystique, toujours au bord de la folie. Durant toutes ces années, elle restera fidèle à son ami Hugues, ce prêtre avec lequel elle entretient une relation intense où l’amour est impossible à dire, pourtant parfois à fleur de peau. « Hugues n’a rien dit. Il a tendu les mains pour que j’y enfouisse mon visage. Ma tête est tombée entre ses mains. C’était la première fois qu’il me touchait. » L’intention de Clara DupontMonod n’est pas biographique mais romanesque. Bien au-delà d’une voix, elle rend à Juette ses rêves, ses peurs, son corps meurtri. La réinvente. La grande force du livre réside dans la liberté que l’auteur s’octroie à l’égard de la figure qui l’inspire, liberté qui lui permet d’être au plus près de son sujet, lui conférant une étonnante modernité. Pure, habitée, l’écriture fait corps avec son personnage, lui donne le souffle, le désarroi, la force. La passion selon Juette est un livre troublant et magnifique, une réflexion profonde sur l’engagement, la folie, et les rapports qu’ils entretiennent avec l’enfance.—

« L’iconographie du bouc, cette petite barbe pointue au niveau du menton, a toujours été liée à une certaine forme de délinquance ou de transgression. Tant en anglais qu’en français, le mot fait directement référence à la barbe d’un bouc, cette bête lubrique, parfois méchante et malodorante. Le bouc est également associé à Satan et lorsqu’ils sont figurés, les diables en portent un. A mon époque, le bouc représentait la marginalité macho et parfois, l’intellectualisme excentrique. Les jazzmen beats et quelques junkies le portaient. Dans les films de science-fiction des années cinquante, ils indiquaient les personnalités politiquement à gauche qui avaient la fibre trop artistique et trop intellectuelle pour faire le bien de l’humanité, négligeant les conventions et le bon sens. » Ceci développé parmi cinquante idées de l’underground détaillées par la plume rieuse et didactique du gai New-yorkais Bruce Benderson, prix de Flore 2004 pour son Autobiographie érotique. On y trouvera également les « piliers » idéologiques de la « Church Of Euthanasia » (« suicide, avortement, cannibalisme, sodomie »), l’usage fondamental d’une huile de cuisson pour ménagères, le goût d’un mouvement anti-urbain pour les combis Volkswagen ou le portrait de José Bové, dont « les actes évoquaient parfois ceux de Hans Bricker, un petit garçon hollandais qui essayait d’empêcher que les Pays-Bas soient submergés en plaçant son doigt dans une digue ». Fort instructif.—

La Passion selon Juette Concentré de contre-culture

ERIC PARADISI

Séquelles ordinaires Gallimard, 159 p., 14,50 €

A l’œil nu, c’est une histoire comme les autres. Un homme et une femme, Boy meets girl, rien de bien nouveau sous les étoiles. Ils se rencontrent à la Saint Sylvestre, ils dansent, ils font l’amour. Elle est consultante dans un gros cabinet, il traduit des romans. Elle a un sourire à tomber à la renverse, il sait plaire aux femmes. Elle aimerait une vie à deux, il observe le ciel en quête de sentiment. Ils s’enlacent à la nuit tombée, sous une enseigne lumineuse. « Un couple sur terre. Un couple qui tourne sur lui-même. Accomplit sa première révolution. » Des histoires, ils en ont eu d’autres, elle comme lui, ils trimballent leurs casseroles (chien en garde alternée, conversations avec une ex à travers l’interphone, étés solitaires). S’il n’y avait que ça… Si on y regarde d’un peu plus près, l’image se trouble, la lumière aussi, et les étoiles partent en poussière. Phobique, Luca ne peut fréquenter les lieux publics (à part un café près de chez lui où il a sa table) et ne circule qu’en taxi. Solène mange la nuit. Elle avale des quantités de nourriture et elle vomit. Si on y regarde de plus près, leurs failles apparaissent, et s’entrechoquent. Luca raconte cette histoire impossible à prolonger. Solène et lui. Leurs souffrances parallèles, qui ne peuvent converger. Après un beau premier roman (La Peau des autres en 2005), Eric Paradisi retrouve les thèmes qui lui sont chers, auxquels il s’attaque cette fois de front. Sous la peau : le vide, le manque. Sous la peau : l’histoire, ce qu’on cache, ce qui ronge. Ce livre est invisible à l’œil nu.— D. d. V.

Richard Gaitet

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Papiers Chroniques Poches et BD —

par Thomas Gosselin

Dans ma poche

à la rentrée C’est noir mais c’est bien Marc Vilrouge Air conditionné (Points Seuil). Un roman parabole sur le pur et l’impur, la mort et le rejet, parce qu’il faut lire ou relire Marc Vilrouge, auteur radical, décédé à 35 ans, en janvier dernier, juste après la parution de son dernier roman (Le Livre impossible, Le Dilettante). Leslie Kaplan, Fever (Folio). Quand la vie de deux adolescents d’aujourd’hui bascule dans l’irréparable.

Ça se vend mais c’est bien John Irving Je te retrouverai (Points Seuil). Le onzième roman d’Irving, sans doute le plus autobiographique, hanté par le fantôme du père et les figures féminines (histoire de rappeler qu’Irving est l’un des auteurs les plus inventifs de sa génération). Yann Queffelec Ma Première femme (Livre de Poche). Un fils perd sa mère, les yeux secs, et décide de ne jamais en faire le deuil (histoire de se rappeler que Queffelec n’est pas seulement une bête à best-sellers, mais aussi un écrivain).

C’est drôle et c’est bien Stephen Mac Cauley Sexe et Dépendances (10/18). Un agent immobilier, lassé d’une vie sentimentale dominée par les contacts anonymes et les rencontres sur Internet, fait vœu de chasteté. Comme quoi les bonnes résolutions restent parfois des vœux (aux) pieux. Egalement : sortie en salles le 12 septembre de l’hilarant La Vérité ou presque (du même auteur), adaptation ciné par Sam Karman, avec Karin Viard et André Dussollier (10/18 itou).— D. d. V.

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Nos collaborateurs publient des livres RICHARD BELLIA

Un œil sur la

musique Trois chansons sans flash, 250 p., 65 €, 2 kg

Fringuant photo reporter pour feu Melody Maker, Rock&Folk, Libération et votre revue favorite (enquêtant sur les fêlés d’éclipses totales, l’atavisme gaulois ou les lessives d’Alain Bashung), Richard Bellia publie début octobre et tout seul Un œil sur la musique, recueil de 450 clichés rock captés sur scène, backstage ou sur le vif et commentés, on s’en doute, avec tout le sel dont l’homme est capable. Période couverte ? « De 1982 – Cure à Bruxelles, Robert Smith a 21 ans et une tête d’ado – à l’été 2007 – une classic de Keith Richards à Lyon. On n’a jamais beaucoup de temps pour shooter. C’est souvent : trois chansons sans flash. Comme si tu faisais un créneau dans une allée avec un camion. » Ci-contre ? « Les Cramps, mai 1984 à l’Eldorado, Paris. Ils avaient eu un mauvais article dans Libé : ils arrivent et mettent le journal en miettes, s’arrosent de vin rouge, sortent leur bite et se protègent au parapluie. » Edition limitée (mille exemplaires numérotés) sur www.richardbellia.com.— R. G.

DELPHINE DE VIGAN

No et moi JC Lattès, 287 p., 14 €

Delphine de Vigan tient, avec Jean Perrier, la rubrique littérature que vous êtes en train de lire. Par humilité, elle ne voulait pas qu’on parle de son livre (son quatrième roman) alors chut, lisez ceci tout bas. Lou est très intelligente et malgré des affects pesants, elle voit sa vie à moitié pleine. Apprivoiser No, une jeune fille SDF, sera la plus magnifique de ses expérimentations d’enfant précoce. Et l’amour, ça prend forme comment dans la tête d’une adolescente de 13 ans qui a sauté trois classes ? « Si on admet que par deux points on peut faire passer une droite et une seule, un jour, je dessinerai celle-ci, de lui vers moi… » Dans sa vision idéaliste, tout est si simple, que ne pas pouvoir appliquer sa logique naïve au réel devient très compliqué. Alors on devient adulte.— M. A.

ESTELLE CINTAS Une femme contre les pesticides Sang de la terre, 224 p., 15,90 €

Cassandre lucide spécialisée dans l’environnement et le journalisme animalier, plume d’oie chez Wapiti et annonciatrice pour Standard des pénuries d’eau à venir, de la fin des pommes ou de la vérité sur les biocarburants (p. 90), Estelle Cintas signe une enquête autour de l’omerta française sur la question des pesticides. Réalisé sous l’angle d’un portrait de femme (l’héritière contaminée d’un clan d’apiculteurs berrichons ayant fait de sa vie un combat), l’ouvrage pique où il faut. Jusqu’au réveil des pouvoirs publics ?— R. G. — 185

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Papiers Jeune pousse —

Coqueluche de Pete Doherty (elle signe l’artwork de son prochain single) et des éditions Allia, Alizé Meurisse, 21 ans, est moins une lolita branchée qu’un écrivain en devenir. Son premier roman, l’exalté Pâle sang bleu vous le prouvera, parbleu. Depuis quand avez-vous cessé d’écrire pour votre journal intime ? Alizé Meurisse : Je suis trop dans la lune pour tenir un journal intime, je ressasse assez dans ma petite tête de linotte pour ne pas être intéressée par le contenu de mes journées. Mais j’adore en acheter, je trouve ça joli et fascinant, surtout ceux avec les petites clefs. Petite, j’ai réussi à en ouvrir un sans éraflure avec une épingle à cheveux. En revanche, j’aime écrire de longues lettres, pas tant pour raconter mon quotidien que pour partager des sentiments, des idées, des choses qui m’inspirent. Et j’ai des carnets que je remplis de dessins, coupures de journaux, petits textes, etc. Donnez-nous une raison de croire que vous serez encore là dans quelques années ? Je suis coriace. Qu’allez-vous faire maintenant que votre roman est sorti ? Je viens de dessiner l’artwork de Delivery, le prochain single des Babyshambles [elle signait déjà les photos officielles de leur premier disque] et il est possible que je m’occupe de l’album. Je commence à griffonner un deuxième roman, mais c’est encore embryonnaire. J’aimerais organiser une expo de peintures : il faudrait que je rassemble mes toiles et que j’en travaille une quinzaine de plus, j’ai un contact à New York.

Après l’internement à l’HP de leur mère, Charles et Manon, la vingtaine, déambulent dans les rues chaudes de Paris, à la rencontre de leur destin. Manon travaille dans un bar et tombe sur Johnny, aussi paumé qu’elle. Johnny traîne dans les salles de boxe. Fou amoureux de Manon, il échappe à une bande de jeunes truands qui voulaient l’arnaquer. Les escrocs retrouvent la trace de sa bien-aimée. Sur une Le livre trame narrative assez simple, Alizé Meurisse plaque tous les accords nerveux d’une langue rock flirtant avec plusieurs registres, tour à tour lyrique ou exaltée : « T’es un stéréotype ! », qui reflète à merveille les joyeux paradoxes et les premiers tourments adolescents. Cette jeune auteur a bien l’âge de ses artères, elle ose tout, elle danse avec son style au plus près des sentiments. On reconnaîtra une certaine candeur de ton, et surtout une trentaine de pages qui auraient mérité plus d’attention, mais le talent d’Alizé Meurisse est pregnant.—

Comment voyez-vous votre avenir ? Comme quelque chose qui n’existe pas… Vous avez déjà vécu dans un demain, vous ?

COUILLUE

Qu’évoque pour vous le mot « réussite » ? Un jeu de cartes entre les mains tatouées d’une belle gitane. Craigniez-vous que les gens se méprennent sur vous ? Non, qu’ils le fassent si ça les chante… ça m’en touche une sans m’en s’couer l’autre !—

Pâle sang bleu, Allia

Entretien Jean Perrier Autoportrait cut-up Alizé Meurisse — 186

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Papiers Questionnaire de Bergson —

Etrange et sombre sous une apparente légèreté, Laurent Graff, 38 ans, l’auteur d’Il ne vous reste qu’une photo à prendre cultive la discrétion. Ce qui ne nous a pas empêchés de lui soumettre notre bientôt célèbre questionnaire de Bergson. Comment vous représentez-vous l'avenir de la littérature ? Laurent Graff : La littérature, comme tout ce qui réside sur terre, est soumise au réchauffement de la planète. Elle vit donc sous la menace d’une possible extinction, d’une fin prochaine. Cette menace peut être une forme de salut pour elle, tout au moins elle doit être un excitant bénéfique. Que pourrait-on écrire, sachant que le dernier mot approche ? Une Bible ? Une Bible qui reprendrait les thèmes éternels avec d’autres mots. Le monde ne change pas, il vieillit. Cet avenir possède-t-il aujourd'hui même une quelconque réalité, ou est-il un pur possible ? On peut déceler çà et là, dans un désabusement jouissif (Houellebecq), dans une futilité maniaque (Delerm), dans une frénésie dégénérescente (Dantec), les signes d’une littérature incontestablement angoissée. Je souhaite que de ce désespoir émanent des voix libres et lumineuses. Vous-même, où vous situez-vous ? J’aime partir de la noirceur pour aller, si possible, vers la lumière, à la manière d’un peintre qui tenterait d’éclaircir une toile noire. Pour revenir sur le cas Houellebecq, que j’aime beaucoup, je trouve qu’il y a énormément de tendresse chez lui, je suis sûr que son rêve le plus sincère doit être de se faire casser la gueule dans un premier temps, puis de se faire aimer. Si vous pressentez l’œuvre à venir, pourquoi ne la faites-vous pas vous-même ? J’aimerais en avoir le talent. S’il ne me restait qu’un livre à lire, je relirais Knut Hamsun, prix Nobel un peu oublié et auteur de La Faim, le livre le plus humble et le plus humain que j’aie jamais lu. S’il ne me restait qu’un livre à écrire, ce serait un chant d’amour, à la fois anecdotique et universel. L’histoire d’un couple fondateur, mythique, emblématique. Le monde a besoin de couples immortels réactualisés. Ça pourrait commencer comme ça : « L’eau, le vent, la terre, le feu et l’amour. » L’amour, cinquième élément. Question subsidiaire : il ne vous reste qu’une photo à prendre ? Je l’ai prise sans savoir que c’était ma dernière. Elle a le visage de l’amour.—

Comme il y a la dernière cigarette, le dernier verre ou le dernier baiser, Laurent Graff invente la « dernière photo », un genre de roulette russe dont on ignore l’enjeu. Neigel, son héros, n’a jamais vraiment fait le deuil de M., une femme Le livre qu’il a aimée et photographiée sous tous les angles, une femme dont il a tenté de fixer l’image, emportée par la maladie. Des années plus tard, à Rome, Neigel participe à un jeu au cours duquel les candidats voyagent avec pour mot d’ordre : « Il ne vous reste qu’une photo à prendre ». Laurent Graff confirme la singularité de sa prose, facétieuse et noire, avec cet air de ne pas y toucher qui aborde l’essentiel.—

SINGULIER

Il ne vous reste qu’une photo à prendre, Le Dilettante

Entretien Delphine de Vigan Photographie Laurent Graff, Autoportrait par transposition — 187

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Pellicules —

Triple axel déconnant autour des noces de glace de Will Ferrell et Jon Heder, marioles d’une néocomédie US injustement boudée par les distributeurs hexagonaux.

Sous prétexte que le rire n’est pas une donnée universelle, les distributeurs sont en train de faire passer le public français à côté de toute une nouvelle (et irrésistible) génération de comiques américains. A force de sorties salopées ou de films discrètement lancés direct en DVD, voire gardés au placard, beaucoup de grandes pointures du gag restent à découvrir. Pour un Adam Sandler, dont on nous inflige les comédies pas drôles, Will Ferrell reste dans l’ombre. Pourtant, quiconque à vu Ron Burgundy, présentateur vedette ou Ricky Bobby, roi du circuit (2005) sait que ce type est un génie de la blague. Le sort des Rois du patin – dont la date ne cesse d’être repoussée – est d’autant plus problématique pour son distributeur que Ferrell y est associé à Jon Heder, figure de prout d’un type de comédie apparu aux USA ces dernières années : l’éclat de personnages nerds boutonneux et puceaux. Tout autant inédit en France (Napoléon Dynamite, l’hilarant titre de gloire d’Heder, datant de 2004, n’est même pas sorti en DVD chez nous), Les Rois du patin permet leur rencontre en rivaux de patinage artistique devant apprendre à se côtoyer pour former le premier couple de patineurs mâles.

La confrontation entre Ferrell, tout en extériorisation macho, et Heder, en intériorité névrosée, fait d’autant plus d’étincelles que les deux acteurs sont d’absolus champions dans leur catégorie, illuminant cette alliance de la carpe et du lapin d’un étonnant sous-texte progressiste. Entre les vannes jouissivement puériles ou absurdes et les allusions gay-friendly, se tisse un vrai discours sur la tolérance et le mariage homo. Pas de quoi alerter Christine Boutin*, mais disons que Les Rois du patin est le film rêvé pour ceux qui veulent se marrer devant sauts piqués et portés-levés sans les commentaires néo-beaufs de Philippe Candeloro et Nelson Monfort.— Les Rois du patin

Sortie (peut-être) le 3 octobre *Fin juillet, la ministre du Logement et de la Ville a demandé un « droit à l’objection de conscience » pour parents d’élèves auprès du ministère de l’Education suite à l’autorisation de diffusion dans des collèges et lycées de la Palme d’Or 2007 Quatre mois, trois semaines et deux jours, chronique roumaine d’un avortement clandestin.

Chronique Alex Masson — 188

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Transposition inaboutie par Jan Kounen du best-seller anti-pub de Beigbeder. Pour (moins de) cent balles, t’as (presque) plus rien.

Soyons clairs : dans le contexte actuel, engoncé entre fantasme d’un cinéma de genre et pantalon baissé devant les exigences des chaînes de télé, 99 Francs apparaît haut la main comme ce qui est arrivé de mieux à la production nationale depuis très longtemps. C’est pas tous les jours que débarque un long métrage portant en bannière mauvais esprit et recherche formelle, tout en ayant pignon sur rue. Pour rappel, le bouquin de Frédéric Beigbeder, aux deux bouts d’un élastique liant pamphlet anti-société de consommation et auto-fiction, racontait la remise en question d’un publicitaire, désireux d’allumer le bûcher des vanités sous son milieu socioprofessionnel. Après plusieurs tentatives (Kassovitz, De Caunes, Beig’ lui-même), c’est Jan Kounen qui s’y attelle. Pas si inattendu que ça : Kounen a fait ses armes dans la pub avant d’être proclamé cinéaste énervé (Doberman, 1997), puis de sonder son Moi profond via le mysticisme exotique (de Blueberry à Darshan, 2004-2005). La quête d’Octave Parango a résonné chez Kounen, très à l’aise dans la reconstitution de l’univers des fils de pub des années 90 : arrogant, superficiel, cynique.

nous vendre sur l’air du sursaut humaniste ou de l’éco-warriorisme. Sauf peut-être un film comme 99 Francs. Kounen et Dujardin sont dans un bateau entouré de grosses bouées de sauvetage. Qui tombe à l’eau ? Tout le monde quand une seconde partie démine le terrain, se surprotège, se dédouane à longueur de plans. La faute vient peut-être plus de l’œuvre initiale : 99 Francs, le livre, n’était que du sous-Bret Easton Ellis. Fidèle, le film, après une première heure très accrocheuse, accouche de la même souris riquiqui ; un sous-Fight Club ne pouvant réprimer dans son épilogue un ripolinage sirupeux de bons sentiments. Pour cause de quota de noirceur pas en phase avec une image familiale, mais surtout parce qu’il critique les annonceurs, 99 Francs ne sera jamais diffusé en prime time sur TF1. La vraie subversion aurait été justement qu'il soit conçu de manière à pouvoir l’être, afin de rendre à la ménagère un peu du temps de cerveau disponible détourné par la Patrick Le Lay Inc. En l’état, ce film risque fort, à l’exception de quelques géniales vannes et de la prestation de Jocelyn Quivrin, de ne devenir hyperhype que chez les créatifs de pubs. Voire d’inspirer leurs brainstormings pour la prochaine campagne Danone.—

Des sous Pas de bol pour le cinéaste, l’époque a changé. La tendance faux-cul des années 2000 est à la prise de conscience. Aujourd’hui, on peut tout

99 Francs

Sortie le 26 septembre

Chronique Alex Masson — 189

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Pellicules —

Le réalisateur confidentiel de The Yards met de l’eau dans le vin noir de ses polars familiaux. Toujours à suivre.

Un film peut-il être aussi exceptionnel que conventionnel ? Oui. James Gray, 42 ans, est un obsessionnel. Ses trois films (Little Odessa, 1995, The Yards, 2000, La Nuit nous appartient, aujourd’hui) entrelacent douleurs familiales, fratries blessées, communautés d’étrangers aux USA, milieu du crime et un amour du cinéma noir des années 70. La Nuit nous appartient suit la brebis galeuse d’un clan de flics polonais, devenue patron de la nuit à Brooklyn. La trame policière n’est qu’un accélérateur pour explorer les relations entre deux frères, chacun d’un côté de la loi, et leur père, implacable. Comme toujours chez le metteur en scène, il est question de transmission de valeurs, d’héritage. Gray a probablement dû méditer celui de The Yards, polar embrassant large – Shakespeare et Coppola –, revu à la hausse depuis mais victime d’une taule aussi sérieuse qu’imméritée. Très probablement en réaction à cet échec public, La Nuit nous appartient fait profil bas. C’est un très bon point quand le film gagne en sécheresse

et en rythme pour flirter avec Friedkin et Lumet, et particulièrement dommageable quand il se contente de rester sur la superficialité des rapports et d’élaguer la pesanteur lyrique que méritait le sujet. Comme si Gray avait intégré dans son cahier des charges sa propre quête de reconnaissance via une obligation de résultat commercial. Le film n’en sort pas indemne, mais plus que passionnant dans les scènes les plus stéréotypées portées par une mise en scène puissante, ou par la fièvre intérieure de Joaquin Phoenix et Eva Mendes, prodigieux couple maudit. Pas de quoi faire oublier la bride suffisamment pour convaincre ceux qui n’auraient pas vu ses précédents que Gray est peut-être le dernier spécimen d’une fin de race : celle des grands cinéastes américains classiques. La Nuit nous appartient

Sortie le 21 novembre (détails de la séquence de la course-poursuite p. 56).

Chronique Alex Masson — 190

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Pellicules —

La Guerre est finie Alain Resnais 1966 (MK2).

La Mariée était en noir François Truffaut 1968 (Pathé).

Bijou d’héroïsme en noir et blanc interrogeant avec élégance et gravité les strates complexes de la notion d’engagement (politique, amoureux, personnel), La Guerre est finie se poursuivra toujours pour Diego, militant communiste espagnol sous Franco assurant la liaison d’une résistance idéologique entre Paris et Madrid. Soucieux d’un camarade « qui n’est pas venu au rendez-vous du jardin botanique », Diego, qui selon les endroits, les hommes et les femmes, se fait appeler Francisco, Rafael, Carlos ou Dimanche, souhaite intervenir. Le Parti l’en dissuade et le met sur la touche. C’est pour lui le moment, comme pour Jorge Semprun, scénariste de choix de ce Resnais multi récompensé post-Marienbad et coordinateur expulsé du PC ibère moins d’un an plus tôt, de relativiser ses combats sous les traits de Montand (parfait), jeté d’un flirt juvénile (Geneviève Bujold) à une passion patiente, éternelle (Ingrid Thulin). Lors d’une scène d’amour donnant tout son sens au repos du guerrier – ici libre-penseur – Diego panache que « les coups de foudre ne sont pas prévus dans la vie d’un révolutionnaire professionnel. » Le nôtre est total.—

Avec son septième film, le nouvel élève d’Hitchcock, biberonné l’année précédente à coup d’entretiens, livre une copie laborieuse du film noir : psychologie de bazar, jeu d’acteurs excessif, dramaturgie agaçante, montage brutal versus plans-séquences traînants, zooms saccadés, arrêts sur images incongrus… La musique impeccable d’un Bernard Herrmann fraîchement limogé par « Hitch » écrase même cet objet chétif dont la moitié des voix semble postsynchronisée. Pas grand-chose n’émerge, à part des dialogues assez enlevés et un casting raffiné (Claude Rich est beau). Cessons d’accuser Tarantino d’avoir pompé pour Kill Bill l’histoire de cette veuve qui, vengeant son époux tué le jour de son mariage, raye un à un le nom de ses cinq victimes répertoriées dans un calepin. Rapprochons cette mariée de La Route de Corinthe, sorti six mois plus tôt, où une jeune veuve recherche… les assassins de son mari ! Claude Chabrol y instille à merveille le malaise et l’impénétrable souffle du tueur (guettons le DVD, toujours inédit en France, de pied ferme).— E. L. B. Macunaïma

R. G. La Guerre est finie

La Chambre verte François Truffaut 1978 (Pathé).

Macunaïma : ce nom porte malheur. C’est aussi l’histoire d’un héros flemmard amateur de jolies femmes et qui, né noir, devient blanc sous une fontaine magique. De la jungle à la ville à travers une série de rencontres loufoques, Macunaïma est l’une des œuvres majeures du cinéma Novo, Nouvelle Vague brésilienne dont la devise était « Une idée dans la tête, la caméra au poing ». Expérimental, revisitant la comédie populaire des années 50, s’interrogeant sur l’identité brasilena et la société de consommation, le film dynamite les standards de l’époque vers un joyeux foutoir. Entre le Graphique de Boscop et, si, Borat.—

Avec le rachat par la Fox du catalogue MGM, c’est au tour de cette œuvre « défunte » – où l’acteur Truffaut dresse un mausolée à son épouse décédée – de ressusciter dans un joli mausolée marketing. Oeuvre honnête (bien que démonstrative), La Chambre verte sera de loin son plus gros four commercial. Présent dans presque toutes les séquences, sauf notamment lors d’un plan appuyé où Nathalie Baye se recueille sur sa tombe dans un grand travelling circulaire, Truffaut (son spectre) rôde sur ce film (et – de moins en moins – sur notre cinéma) en forme d’hymne à son souvenir, à ce ton solennel et didactique d’une vision du septième art comme refuge.—

E. C. & Y. G.

E. L. B.

Macunaïma Joaquim Pedro de Andrade 1969 (Carlotta).

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Pellicules —

Le Dernier des fous Requiem For Billy The Kid Anne Feinsilber 2006 (MK2).

Le Violon Francisco Vargas 2006 (Bodega).

Le Dernier des fous Laurent Achard 2006 (MK2).

Le 14 juillet 1881, à Lincoln, NouveauMexique, Billy The Kid tombe sous les balles de son ami le sheriff Pat Garrett. Face à la version officielle, une bande de cow-boys rouvre l’enquête. Ressuscité par la voix de Kris Kristofferson – qui interpréta le Kid dans le film de Sam Peckinpah en 1973 – Billy donne sa version des faits. Si vous aimez stetsons, winchesters et règlements de comptes sanglants, sortez du saloon. Ni western ni vrai documentaire, ce premier film tente le parallèle entre deux météores de la jeunesse : le voyant Rimbaud et le voyou Billy, pour une balade poétique.—

« Mais, Plutarco, à quoi cela sert-il de se révolter ? », s’enquiert un propriétaire terrien sur le point de vendre une mule à un violoniste infirme, septuagénaire, résolu à sauver sa belle-fille des mitraillettes d’un camp militaire gouvernemental. Description elliptique d’un Mexique reculé, en guérilla permanente pour le respect des droits du sol, ce premier film en noir et blanc désarme (une pirouette narrative symptomatique d’un solide sens du récit) et atteint l’allégorie dans des séquences inoubliables : les leçons de musique d’un vieil homme à son bourreau.—

On ne sait pas ce qu’elle a, Maman. Elle hurle. Elle dit qu’elle ne sortira jamais de sa chambre. Second film – coup de fouet. Martin, « 10 ans, presque 11 », traverse l’été dans le silence opaque de la ferme familiale. Comme la gamine de Cria Cuervos, ses yeux de cocker hagard enregistrent tout : père accablé, grand-mère cassante (Annie Cordy) et grand frère brisé, ignoré, à fleur de peau. Prix Jean Vigo et prix de la mise en scène au festival de Locarno, adapté d’un roman de Timothy Findley si loin si proche de la sourde brutalité de Des Souris et des hommes, Le Dernier des fous terrifie, remue, tue. Cinéaste à suivre.—

R. G.

E. C. & Y. G.

R. G.

Requiem For Billy The Kid

Le Violon

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