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Un retour avec bien des détours

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Renate Kurmann

Renate Kurmann

MAISON DE SOINS

Un retour avec des détours

Lorsque la recherche d’un logement adapté ne donne rien et que les travaux dans l’appartement ne peuvent être terminés à temps, il faut parfois recourir à une solution transitoire. Ce n’est pas un cas isolé après un séjour de plusieurs mois en clinique.

Kathrin Huber Näf

Rupert Buschneg a derrière lui une longue carrière dans le bâtiment et le génie civil. Il se réjouissait de profiter d’une retraite bien méritée, mais celleci fut hélas bouleversée après trois ans à peine. Un matin de novembre 2020, il s’aperçut qu’il ne sentait plus ses jambes et fit un malaise, suivi d’une chute dans la salle de bain. Il fut admis en urgence à l’hôpital local. Après des examens approfondis dans différents hôpitaux, une tétraplégie due à une inflammation de la moelle épinière fut diagnostiquée. S’ensuivirent pour lui et sa famille des mois d’incertitude. Au début, il ne pouvait bouger ni les jambes, ni les bras, ni les mains. Après un séjour à la clinique de soins aigus, il fut transféré en décembre 2020 au Centre suisse des paraplégiques (CSP).

Le séjour à Nottwil coïncida avec la première vague de la pandémie de coronavirus, ce qui entraîna un stress supplémentaire. Sa capacité à prendre la vie du bon côté et à envisager l’avenir avec optimisme joua toutefois beaucoup en sa faveur à cette époque. Aujourd’hui encore, de petits progrès sont visibles grâce à son optimisme, son autodiscipline et le soutien de la physiothérapie.

Planifier l’avenir

En rééducation, on aborde rapidement le sujet de la planification de la sortie avec les patient·e·s. La plupart trouve qu’il est encore trop tôt pour l’envisager, ils ou elles sont à un moment où moult questions ne

Escale Rupert Buschneg a vécu temporairement en EMS

paraissent encore ni réglées ni clarifiées. L’espoir d’une guérison complète est leur priorité. Il faut alors beaucoup de doigté de la part des spécialistes pour laisser de la place à l’espoir tout en planifiant l’avenir de manière réaliste.

Il est souvent difficile d’évaluer si l’on peut prévoir un retour à la maison au vu de la hauteur de la lésion et des soins nécessaires. L’entourage atteint rapidement ses limites, surtout lorsque la personne a besoin d’une aide intermittente la nuit. Organiser et financer des soins à domicile la nuit avec des interventions irrégulières est compliqué. Dans le cas de Rupert Buschneg, la situation évolua favorablement après quelques mois et le retour à la maison avec un soutien approprié put être planifié.

Le Centre construire sans obstacles effectua une visite de l’appartement locatif où vivaient Rita et Rupert Buschneg depuis 34 ans. L’évaluation révéla qu’une transformation était possible, mais qu’elle entraînerait des efforts et des coûts importants. Forte de cette analyse, Rita Buschneg se mit en quête d’un nouveau logement, mais elle connut de nombreuses déconvenues: soit les logements annoncés comme accessibles en fauteuil roulant devaient eux aussi être adaptés, soit les loyers explosaient son budget. À la déception de devoir quitter leur environnement familier s’ajoutèrent la peur de l’avenir et la tristesse.

En discutant avec le propriétaire et les voisins, la possibilité d’occuper l’appartement au rezdechaussée du même immeuble locatif s’offrit à eux. L’adaptation de celuici aux besoins des personnes handicapées était plus facile, moins chère et plus durable à réaliser que pour l’appartement du 3ème étage. Pouvoir rester dans un milieu familier était très important pour tous les deux. Leurs fils vivaient à proximité et le couple profiterait de l’entourage social qu’il s’est construit pendant 40 ans. Cet environnement leur faciliterait la vie à la maison.

Malheureusement, l’appartement ne put être achevé avant la fin de la rééducation. On se mit alors à la recherche d’un établissement médicosocial avec une offre de soins appropriée en solution provisoire. Le passage de l’hôpital à l’ambulatoire est généralement très éprouvant pour celles et ceux qui le vivent; encore plus lorsqu’il ne s’agit pas du milieu familier. Rupert Buschneg décrit avec éloquence le fait que le séjour de neuf mois au CSP soude les patient·e·s, qui sont toutes et tous confronté·e·s à des problèmes et des destins similaires. Il se sentait choyé, entre de bonnes mains, bien à l’abri à la clinique, il connaissait son équipe de soignant·e·s et pouvait compter sur leurs compétences. En recourant à la solution transitoire, il avait l’impression, comme il le dit luimême, d’avoir perdu le contrôle de ses actes, d’être parachuté dans un endroit où il n’était pas à sa place, sans savoir ce qui l’attendait. En EMS, il vivait parmi des personnes très âgées. Les échanges étaient difficiles, voire impossibles. Il se sentait seul et souffrait encore plus qu’en rééducation de la séparation d’avec son épouse. Il avait du mal à s’en remettre à un nouveau personnel soignant peu habitué à s’occuper de tétraplégiques, sachant qu’il faudrait encore former une nouvelle équipe de soins à la maison, et aussi à supporter de ne pas savoir combien de temps durerait la solution provisoire.

Intervention du travail social

La perception des choses et l’état d’esprit décrits par Rupert Buschneg sont très compréhensibles et rejoignent les expériences d’autres client·e·s. Toute personne devant tirer un trait sur sa vie familière, abandonner ses rêves et envisager de nouvelles perspectives, a besoin d’un accompagnement et d’un soutien professionnels. En tant que travailleuse sociale, je connais l’interaction des tensions émotionnelles et des contraintes physiques avec les conditions sociales. Le conseil et l’accompagnement doivent fournir une aide à l’information, à la planification, à la décision et à la maîtrise en tenant compte des ressources existantes.

L’admission en EMS, même si elle n’est que provisoire, est un défi émotionnel pour les personnes touchées et est liée à de nombreuses démarches administratives et à des coûts élevés. Il faut clarifier si la taxe journalière peut être assumée par leurs propres moyens ou si une déclaration aux prestations complémentaires est nécessaire. Les autres droits en matière d’assurance sociale sontils déclarés et réclamés, tous les moyens auxiliaires sontils disponibles et financés? Comment surmonter les difficultés financières jusqu’à ce que les prestations soient effectivement versées? Les calculs auprès des offices peuvent prendre jusqu’à cinq mois. Lors du retour définitif à la maison, des questions se posent à nouveau sur le financement des soins à domicile, des prestations ménagères et des moyens de subsistance. Souvent, ces personnes se sentent délaissées et ne connaissent pas les prestations qui leur sont dues ou n’osent pas demander les prestations auxquelles elles ont légalement droit. Outre l’inquiétude de ne pas pouvoir rentrer chez elles, elles sont en proie à des peurs existentielles et à des incertitudes.

Comme le soulignent Rita et Rupert Buschneg, le travail social de la clinique et, après la sortie, le travail social de l’ASP ont été d’une grande utilité et d’un grand soulagement pour venir à bout de ces questions et problèmes. L’offre d’accompagnement professionnel à vie leur apporte une sécurité, car ils savent où s’adresser en cas de besoin.

Retrouver enfin son cadre familier

Au début du mois d’avril 2022, Rupert Buschneg est retourné dans l’appartement commun. Son épouse et lui s’habituent maintenant à leur nouvelle vie et en sont très heureux.

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